le partage du sensible dans l'attente l'oubli de maurice blanchot

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    UNIVERSIT DU QUBEC MONTRALService des bibliothques

    Avertissement

    La diffusion de ce mmoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signle formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cyclessuprieurs (SDU-522 - Rv.01-2006). Cette autorisation stipule que conformment l'article 11 du Rglement no 8 des tudes de cycles suprieurs, [l'auteur] concde l'Universit du Qubec Montral une licence non exclusive d'utilisation et depublication oe la totalit ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pourdes fins pdagogiques et non commerciales. Plus prcisment, [l'auteur] autorisel'Universit du Qubec Montral reproduire, diffuser, prter, distribuer ou vendre descopies de [son] travail de recherche des fins non commerciales sur quelque supportque ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entranent pas unerenonciation de [la] part [de l'auteur] [ses] droits moraux ni [ses] droits de propritintellectuelle. Sauf entent contraire, [l'auteur] conserve la libert de diffuser et decommercialiser ou non ce travail dont [il] possde un exemplaire.

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    AVANT-PROPOS

    Je tente essentiellement dans ce mmoire de saisir ce que la relation l'autreimplique et comment le sens ultime de l'existence humaine rside dans lapassion se chercher pour approfondir notre relation au monde et aux autres.C'est pourquoi je dsire remercier certaines personnes qui m'ont accompagndans cette passion : mon directeur de marise Pierre Ouellet, mes parents(Charles et Colette), ma soeur Maude, et bien entendu tous mes amis sans qui jene sais trop si je serais encore l pour lutter raliser tout instant ce que jesuis. Je pense en particulier : Fanny Arsenault Villeneuve, Magali Babin,Martine Batanian, Daniel Canty, Michel F.Ct, Karine Denault, Will Eizlini, JustinEvans, Bernard Falaise, John Heward, Martin Kusch, Eric de Larochelire,Mylne Lauzon, Anni Lawrence, ric Ltourneau, Rachel Levine, ChristofMigone, Flix Morel, Stephen de Oliveira, Luc Paradis, Jonathan Parant, MarieClaude Poulin, Maryse Poulin, Anthony Seck, Sam Shalabi, Marie-Douce StJacques, Catllerine Tardif, Roger Tellier-Craig, Hugo Tremblay, Jean-SbastienTruchy, Sophie Trudeau, et Alexander Wilson.

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    TABLE DES MATIRES

    AVANT-PROPOS iiRSUM vINTRODUCTION 1CHAPITRE 1 :LES VOIX DE L'ATTENTE ET DE L'OUBLI 71.1 Deux voix la recherche d'un dialogue et la rsonnance spectrale de la voixnarrative 7

    1.1.1 la recherche d'un dialogue 71.1.2 La voix narrative 10

    1.2 Le passage du dehors au neutre (son incarnation dans l'espace littraire) 201.2.1 Le passage du dehors au neutre 20

    1.3 L'espace littraire blanchotien 271.4 Le temps de L'attente l' oubli 29CHAPITRE Il :LE TEMPS SUSPEf\IDU 322.1 L'ex-stase de l'tre ou l'abme d'tre soi-mme (sur la finitude) 322.2 Sur l'attente et l'oubli 362.3 Le chiasme comme espace de relation (sur l'infini) .44

    2.3.1 Le visage levinassien 442.3.2 Maurice Blanchot et Martin Heidegger .482.3.3 Maurice Blanchot et Emmanuel Levinas 52

    CHAPITRE III :LE CHIASME RELATIOf\IEL 573.1 La communaut inavouable 57

    3.1.1 La communaut des tres spars (tres seuls ensemble) 573.1.2 La communaut finie des tres marqus par leur finitude 60

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    3.1.3 La mort de l'autre 633.1.4 Le cadavre 64

    3.2 La sparation, le fragment. 663.2.1 L'tre-spar-discontinu 663.2.2 La communaut des amants 703.2.3 La forme fragmentaire 73

    CHAPITRE IV:LE PARTAGE DU SENSiBLE 824.1 Le dialogue amoureux 82

    4.1.1 L'amour comme modalit d' esprance 824.1.2 Le caractre amoureux de L'attente l'oubli 834.1.3 En dialogue avec Martin Buber (le Je Tu \1 et le partage de la vie) 854.1.4 Le dploiement de la vie 89

    4.2 La parole paradoxale 924.2.1 Le paradoxe 93

    CONCLUSiON 97BIBLIOGRAPHIE 101

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    RSUM

    L'oeuvre de Maurice Blanchot, si importante soit-elle pour la pense littraire dela seconde moiti du vingtime sicle, demeure l'une des plus difficiles cerner.Tenter d'extraire quelque chose de substantiel qui permettrait au lecteur decomprendre l'oeuvre blanchotienne est une tclle des plus ardues. Commententendre le sens d'une pense incarne par l'criture qui prcisment dsireveiller sur le sens absent?Je tente travers ce mmoire de voir comment la pense blanchotienne remetradicalement en question l'aspect conceptuel du langage comme outil decommunication afin de l'ouvrir son tranget constitutive: ce chiasmeinalinablement matriel qui est le seul espace de communication possible audel de toute pense conceptuelle et idologique. partir du rcit L'attente l'oubli, je tente de voir comment chez Blanchot l'crituren'est pas seulement le vhicule d'un message quelconque mais se dploie aussicomme de la matire-langage o le sens s'absente. La forme fragmentaire durcit et l'utilisation excessive de la forme paradoxale dtournent constamment lesens de ce qui est crit vers un ailleurs inacessible et ne donnent entendre aulecteur que la rsonance spectrale des voix qui narrent le rcit. L'attente l'oublise dveloppe comme un trange dialogue de sourds o les narrateurs semblent la recherche d'un dialogue venir. En fait, ils lancent, telles des bouteillesjetes la mer, des appels vers l'autre sans savoir si il y aura un cho. Les deuxnarrateurs semblent bien tre spars l'un de l'autre par un chiasme. Cettesparation est l'espace de ce que je nomme chiasme dialogique. Cette ideinspire par la pense blanchotienne me permet de repenser la relation l'autrecomme une forme de partage du sensible au-del du conceptuel et del'idologique. L'attente l'oubli de Maurice Blanchot n'est donc pour moi qu'unpoint de dpart pour redfinir la relation l'altrit comme une passion del'tranget matriellement situable : nulle part ailleurs qu'ici.

    Mots-cls: Maurice Blanchot; Altrit; tranget; thique; Littrature;Phnomnologie.

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    IntroductionNous remarquons seulement que tout langage o il s'agit d'interroger

    et non pas de rpondre, est un langage dj interrompu, plus encore un langageo tout commence par a dcision (ou la distraction) d'un vide initiaf.Maurice Blanchot

    Ce qui lie les tres vivants est a priori d'ordre charnel. Les vivants nepartagent d'abord pas le sens - conceptuel ou idologique - qu'ils donnent aumonde mais plutt le simple fait d'tre incarns et d'avoir faire l'preuved'eux-mmes travers la vie qui les donne au monde et qui leur donne lemonde vivre2. Ce fait d'tre vivant ensemble se double d'uneseconde vidence: la solitude essentielle de nos expriences de la vie. Mais,bien que nous soyons fondamentalement spars les uns des autres,l'espace entre nous reprsente aussi le lieu possible d'une rencontre. Cetespace qui spare et rassemble est celui du chiasme relationnel. C'est luiqu'investit un rcit de Maurice Blanchot publi en 1962 aux ditions Gallimardintitul L'attente l'oublr.

    L'attente l'oubli matrialise le chiasme relationnel travers une narrationfragmentaire cimente et prolonge par ses blancs. Un trange changeamoureux entre deux voix: l'une fminine et l'autre masculine prend corpsdans cet espace narratif poreux o les carts entre les fragments sont lesmultiples points d'articulation de l'change. Ces deux voix cherchent ourdirun dialogue, voyageant l'une vers l'autre sans jamais pourtant s'atteindre.1 Maurice Blanchot, L' entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 9.2 Je fais rfrence ici aux travaux de Michel Henry, notamment son texte Pour unephnomnologie de la communaut dans La communaut en paroles. Communicationsconsensus, ruptures, Bruxelles, Mardaga, 1991.3 Maurice Blanchot, L'attente l'oubli, Paris, Gallimard, 1962.

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    Les paroles semblent tre des appels qui pointent vers un change possible,mais toujours report. Le dialogue est toujours venir. Les deux voix du rcitvivent une sparation fondamentale, mais attendent toutes deux un cho leurs appels.

    Si Blanchot peut crire que c'est la voix qui t'est confie, et non pas cequ'elle dit4, c'est que les voix ne font ici que se croiser dans un espacetextuel constell de blanc, sans que l'une ne sache jamais si sa parole a tentendue par l'autre. La posture d'nonciation commune aux deux voixsouligne pourtant une possibilit de communication, mais qui ne relveraitpas du discours. Ce n'est pas ce qui est dit qui est ici entendu, mais ledploiement vital et concret des voix. Le langage de la communication estconfront, dans l'intervalle qui lie et spare les tres et les choses, sapropre matrialit. Le texte fait rsonner sa sonorit, sa rythmique se faitchant, cri, bgaiement.

    Je tente d'examiner travers ce mmoire comment un texte littraire commeL'attente l'oubli, en faisant surgir du sens partir d'une matire sensible, peutservir d'ancrage une rflexion plus spcifique sur la faon dont le sensprend forme aux limites de la communication. Maurice Blanchot remetd'ailleurs en question dans ce rcit le dialogue entendu au sens classique duterme, qui suppose la circulation d'une information entre un metteur et unrcepteur. Le dialogue n'implique pas pour lui un change direct ettransparent, mais consiste au contraire faire l'preuve de l'impossibilit decommuniquer. Le chiasme qui spare les tres et les relie du mme coup nepermet aucune entente, les exposant plutt au paradoxe du partage d'tre

    4 Ibid., p. 11

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    fondamentalement seuls ensemble. L'attente l'oubli matrialise ce seulsensemble par l'criture et dlimite ainsi un espace relationnel compos parla circulation du sensible dans l'intervalle du chiasme dialogique. La littraturefait surgir des formes, des sensations, des messages et des ides dansl'espace fondamental du partage du sensible reliant les tres vivants au-deldes idologies, des dogmes et des discours - bref, au-del (ou en de) detout ce qui peut se dire. L'exprience littraire n'a pas lieu ailleurs que dansl'exprience vive du sujet jet dans le monde.Ma lecture de ce rcit est donc principalement d'ordre philosophique et puisedans la phnomnologie et l'hermneutique, mais elle emprunte aussi auxthories littraires sur l'criture fragmentaire et la narration, qui se penchentsur la matrialit du langage. Ce mmoire est divis en quatre chapitres,chacun s'attardant sur une des caractristiques formelles spcifiques de lanarration et sur un aspect de la pense philosophique qui habite le texte.Chaque chapitre constitue une forme de dialogue entre la pense littraire etla philosophie et circonscrit un espace de rflexion sur le rapport de lalittrature au monde. Il s'agit toutefois d'observer comment les dispositifsformels du texte ne sont pas le simple rsultat du travail de la pense, mais laralisent plutt dans toute sa potentialit sensible et participent ainsi audploiement de 1a vie.

    Le premier chapitre est consacr l'analyse de la relation entre les voix quicomposent le rcit et sur la notion de voix narrative chre MauriceBlanchot. En effet, le concept de voix narrative permet de voir comment unetoute autre voix contient les deux voix qui se croisent l'intrieur du rcitsans jamais parvenir leur destinataire. Cette troisime voix merge du texteet vient abmer et interrompre les voix des narrateurs, mais permet un

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    change de paroles, car chez Blanchot, le dialogue demeure venir et seretire hors d'une temporalit immdiate. En ce qui concerne la question de latemporalit, il sera ncessaire de voir comment 1' espace littraire deBlanchot implique la fascination de l'absence de temps et une mise entreparenthses de certains des rquisits de la phnomnologie et des thoriesd'un de ses pres fondateurs, Edmund Husserl.

    Le second chapitre poursuit la rflexion sur la temporalit en relation avec leconcept d'espace littraire blanchotien travers un questionnement sur lesnotions d'oubli et d'attente. En plus d'tre deux des thmes rcurrents durcit, ces attitudes du sujet face au temps reprsentent des donnescardinales du chiasme relationnel. Ici, le travail de Blanchot puise dans lapense philosophique de Martin Heidegger et d'Emmanuel Levinas. L'trepour-la-mort de l'analytique existentiale heideggrienne souligne laconstante interruption possible de la vie, temporellement finie, du sujetphnomnologique. Levinas, lui, tente d'exorciser l'touffement propre ausens de la finitude en dtournant son regard sur un sens de l'autreintimement li la question de l'infini. Blanchot emprunte l'une et l'autrede ces positions philosophiques et les fait dialoguer travers sa pratiquelittraire.

    Le troisime chapitre porte spcifiquement sur la manire dont le chiasmerelationnel s'incarne dans la trame narrative fragmente de L'attente l'oubli.Cllez Blanchot, la discontinuit assure la continuit - les blancs qui sparentles fragments sont des interruptions au propos, qui ouvrent des brchesbantes sur le vide tout en assurant la continuit. Par la lecture desfragments de L'Athenaeum (Novalis, Friedrich et Wilhelm Schlegel) en

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    passant par les diverses thories portant sur la dislocation communautaire(Georges Bataille et Jean-Luc Nancy) et par les crits sur l'criturefragmentaire (Maurice Blanchot et Philippe Lacoue-Labarthe), plusieurs sontvidemment familiers avec cette antinomie colmatrice : l'interruption est unprincipe de mise en relation complexe. Ce chapitre trace l'volution historiquedes liens entre la pratique du fragment crit et une philosophie de lacommunaut des tres discontinus spars.

    Le dernier chapitre termine la rflexion en se penchant sur la formeparadoxale d'nonciation propre L'attente l'oubli et au concept de partagedu sensible. En faisant presque systmatiquement suivre une affirmation desa ngation, et ce, dans la mme proposition, Blanchot dtourneelliptiquement le sens du rcit vers un ailleurs inaccessible. Cet ailleurs estl'espace littraire lui-mme, qui prsente sous une forme sensible unepense dsignant sans cesse les limites du pensable. La lecture de l'uvrede Maurice Blanchot par Emmanuel Levinas sera l'une des balisesthoriques de notre rflexion sur l'improductivit exacerbe du discours quidbouchera ensuite sur la notion de partage du sensible telle qu'labore parJacques Rancire. La lecture des tudes phnomnologiquescontemporaines de Michel Henry vient aussi clairer la question afin de voirde quelle faon la littrature en tant qu' arts de faires , pour citer Michel deCerteau, est une participation incarne l'activit vivante et peut permettreL1ne redfinition sensible de la relation des tres vivants au rel, aux autres et eux-mmes.

    5 Michel de Certeau, L'invention du quotidien (t.arts de faire), Paris, Gallimard, 1980.

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    Essayer de circonscrire la pense de Maurice Blanchot n'est toutefois pasune tche simple. Cette pense qui dsire veiller sur le sens absent, on lacerne difficilement puisqu'elle se dvoile et se cache en mme temps. Ainsi,s'approcher de cet univers obscur signifie s'immiscer au coeur mme dumystre, ou plutt se maintenir dans les parages d'un insondable secret.Pour veiller sur le sens absent, il faut demeurer sans cesse auprs de ce quiest incomprhensible, puisque l o le sens s'absente, il n'y a rien comprendre. Tenter de comprendre, voire tenter de circonscrire une telleexigence est un non-sens en soi. Toutefois, le fait de tendre vers ce non-senspar le biais du langage reprsente prcisment la posture adquate pourrpondre l'exigence thique implicitement expose par la penseblanchotienne. L'enjeu n'est donc pas ici d'essayer de tracer les contours(mme flous) d'un systme philosophique qui viendrait synthtiser la pensede Blanchot. Il s'agit plutt de crer du sens, ou de voir comment on peutinventer du sens partir de la matire complexe et paradoxale que constituele langage blanchotien. D'ailleurs, il est impossible d'laborer un discourslinaire et synthtique partir de ce langage elliptique se dployant commele ressassement ternel d'un retour au rien, duquel tout merge et vers otout s'achemine. Si, dans ce mmoire, je semble revenir sans cesse sur mespas, tantt pour clari'fier certains concepts exposs prcdemment, tanttpour insister, voire approfondir certains enjeux de la rflexion, ce n'est quepour mieux accompagner Blanchot sur ces chemins qui ne mnent nullepart6.

    6 Toutefois, pour faciliter la lecture, les sections des chapitres qui abordent la pensephilosophique sous-jacente l'oeuvre de Blanchot sont titres en caractre romain, alorsque celles qui se concentrent plus spcifiquement sur L'attente l'oubli sont plutt titres enitalique.

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    Chapitre 1

    Les voix de l'attente et de l'oubli

    1.1 Deux voix la recherche d'un dialogue et la rsonance spectrale dela voix narrative1.1.1 la recherche d'un dialogueL'attente l'oubli consiste en l'alternance de deux voix en qute d'un dialogue.Ici, les voix d'un homme et d'une femme rsonnent dans toute leur solitudeessentielle travers un change amoureux o les protagonistes neparviennent pas entendre la parole de l'autre. Jamais les interlocuteurs dece rcit ne se retrouvent vritablement face face puisqu'ils sont exposs un abme qui les spare et les empche de communiquer directement: Fais en sorte que je puisse te parler ... vous ne parlez pas vers moi, vousparlez vers quelqu'un qui n'est pas l pour vous entendre1,). Le dsir decommunication est manifeste: l'un supplie l'autre de lui adresser la paroleafin qu'un dialogue puisse advenir. Bien entendu, un dialogue ne peutadvenir que si et seulement si l'autre rpond l'appel: on ne parle pas quelqu'un tant et aussi longtemps qu'il ne peut ou ne veut pas nous rpondre.Le dialogue suppose en principe un change direct entre deux interlocuteurs.

    Toutefois, Maurice Blanchot matrialise par l'criture dans L'attente l'oubliune toute autre ide du dialogue. La structure dialogique classique est icifracture pour laisser rsonner le silence entre les paroles des deux

    1 Maurice Blanchot, L 'attente J'oubli, Paris, Gallimard, 1962, p. 57-58.

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    - Nous sommes spars, j'en ai peur, par tout ce que vous ne voulez pasdire de vous.- Mais aussi runis cause de cela.- Runis: spars2.

    Cet cart exacerb par certains non-dits soulignant l'chec d'unecommunication immdiate les runit parce qu'ils partagent somme toute lefait d'tre fondamentalement seuls. La sparation devient l'espace mme dudialogue chez Blanchot, puisque c'est grce cet entre-deux vide que ledialogue peut advenir:

    Il ne put s'empcher - de se sentir li elle par cet chec. Il ne comprenaitpas bien pourquoi. Il l'avait comme touche travers le vide[... ]- Face face en ce calme dtour.- Non pas ici o elle est et ici o il est, mais entre eux.- Entre eux, comme ce lieu avec son grand air fixe, la retenue des chosesen leur tat latenf3.

    Ce dialogue marqu par l'interruption indique une double solitude qui pointel'impossibilit d'une communication directe et transparente:

    Qu'elle ne st rien de lui, il n'en avait jamais dout. Elle l'ignorait, il acceptaitson ignorance. D'abord quel lan, quelle vie profonde cause de cettesolitude redouble; la fin, quel poids de tromperie et d'erreu,-4.

    Cette double solitude est souligne par l'asymtrie du rapport: l'homme estconscient du fait que cette femme ignore tout de lui et qu'elle n'en sait rien.Un vide immense les spare, et ce, tout autant d'un point de vue physiqueque sur le plan du degr de conscience du rapport, ou plutt de l'absence derapport. C'est pourtant grce cet espace entre eux, tout aussi vide soit-il,qu'il peut y avoir articulation de cette non-relation constituant la relation ellemme. D'ailleurs, l'espace dans lequel se retrouvent les deux interlocuteurs2 Ibid., p. 42.3 Ibid., p. 11 puis 162.4 Ibid., p. 237.

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    de L'attente l'oubli est prsent comme une chambre d'htel vide: Lacaractristique de la chambre est son vide. Quand il entre, il ne la remarquepas ... Mais, ds qu'il veut la dcrire, elle est vide et les mots dont il se sert nerecouvrent que le vide5.

    En effet, il faut toujours un espace vide entre deux choses, entre les deuxpices d'un engrenage par exemple, pour qu'une articulation soit possible.Cet entre-deux est indispensable pour que le dialogue puisse advenir: L'interruption est ncessaire toute suite de paroles; l'intermittence rendpossible le devenir; la discontinuit assure la continuit de l'entente6 . Voicicomment s'articule le chiasme dialogique pour Maurice Blanchot: il neconsiste pas en un change de paroles, mais relve plutt d'une articulationdes voix dans l'interstice vide se situant entre les interlocuteurs. Cet cartentre les narrateurs est le lieu par o pntre une toute autre parole. Il esttoutefois important d'emble de spci'fier que cette toute autre voix n'est pasla voix omnisciente de l'auteur se manifestant dans le confort du lieu o ilcrit. Cette solitude radicale que partagent les narrateurs, l'crivain l'prouveaussi face son uvre et jamais sa position n'est confortable, puisqu'il estautant assig par cette redoutable toute autre parole que le texte qu'iltente d'crire.

    1.1.2 La voix narrative

    Maurice Blanchot explique rigoureusement dans L'entretien infini commentl'criture est aussi le jeu du dtournement continuel et de la distanciation de

    5 Ibid., p. 17.6 Maurice Blanchot, L'entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 107.

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    toutes choses: En ce sens, raconter est le tourment du langage, larecherche incessante de son infinit. Et le rcit ne serait rien d'autre qu'uneallusion au dtour initial que porte l'criture, qui la dporte et fait que,crivant, nous nous livrons une sorte de dtournement perptuel7 . Ainsi,l'crivain lui-mme est mis distance par son uvre, qui vient le congdier etlui rappeler sa solitude essentielle. L'crivain est bel et bien seul, et ce,mme par rapport ce qu'il crit, car l'criture met en branle un processus dedistanciation radicale. Blanchot dit bien:

    crire, c'est briser le lien qui unit la parole moi-mme, briser le rapport qui,me faisant parler vers toi ", me donne parole dans l'entente que cetteparole reoit de toi, car elle t'interpelle, elle est l'interpellation qui commenceen moi parce qu'elle finit en tois.

    Il a t dit plus haut que l'interruption permet la continuit de toute suite deparoles, car, lorsque l'on s'adresse quelqu'un, il faut bien se taire pourpermettre l'autre de nous rpondre. Arrter de parler est un a priori audialogue qui permet de pointer l'absence de la parole de l'autre et de s'unir cette absence afin de donner corps au vide, espace de la rsonance possiblede cette toute autre parole. L'criture en tant qu'adresse porte en son sein lamme exigence. Tendre vers l'autre par l'criture, c'est aussi pointer sonabsence, mais galement devenir cette place vide qui peut l'accueillir. Cetteabsence est alors bien prsente dans le dsir intense que l'autre arrive toutprix. Ce manque agit comme une troue du sujet qui lance l'appel et dlimiteainsi un lieu de passage par o s'opre l'altration de cette toute autreparole.

    Quand crire, c'est dcouvrir l'interminable, l'crivain qui entre dans cettergion ne se dpasse pas vers l'universel. Il ne va pas vers un monde plussr, plus beau, mieux justifi, o tout s'ordonnerait selon la clart d'un jourjuste. Il ne dcouvre pas le beau langage qui parle honorablement pour tous.

    7 Ibid., p. 564.8 Maurice Blanchot, L'espace littraire, Paris, Gallimard, 1955, p. 20 - 21.

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    Ce qui parle en lui, c'est ce fait que, d'une manire ou d'une autre, il n'estplus lui-mme, il n'est dj plus personne. Le 1\ qui se substitue au Je , telle est la solitude qui arrive l'crivain de par l'uvre9.

    Comme le souligne Blanchot, lorsque l'crivain perd le pouvoir de dire Je, ilperd aussi le pouvoir de faire dire Je d'autres que lui. Cet cart, quicreuse ce qui est crit et celui qui crit, distancie alors aussi les personnagesd'eux-mmes. Cette diffrence ancre au sein du mme va dissoudrel'identit des narrateurs, qui ne peuvent plus s'assurer de leur positionnonciative, c'est--dire du Je partir duquel ils parlent: Avec quellemlancolie, mais quelle calme certitude, il sentait qu'il ne pourrait plus jamaisdire Je 10 . Les interlocuteurs de L'attente "oubli semblent avoirl'impression que quelqu'un d'autre parle par derrire la place de Je, etqu'une force autre attire tous les mots en les dtournant de leur parcoursinitial: cc Il commena d'entendre ct de ce qu'elle disait, et comme enarrire, mais dans une tendue sans profondeur, sans haut ni bas, etpourtant matriellement situable, une autre parole avec laquelle la siennen'avait presque rien de commun 1 .

    Cette prsence impersonnelle qui vient troubler le Je des narrateurs n'estpeut-tre rien d'autre que cette voix neutre du texte que Maurice Blanchotappelle la voix narrative. Dans le court essai intitul

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    travers ce Il ne prend pas la place occupe par un sujet qui normalements'affirme en un Je. La manifestation de cette voix narrative donne en effetsouvent l'impression au lecteur que l'histoire n'est raconte par personne etque les sujets d'action (terme que Blanchot prfre au terme personnage)perdent le pouvoir de dire Je et ne peuvent plus ainsi s'identifier aveceux-mmes:

    Le il narratif, qu'il soit absent ou prsent, qu'il s'affirme ou se drobe,qu'il altre ou non les conventions d'criture - la linarit, la continuit, lalisibilit - marque ainsi l'intrusion de l'autre - entendu au neutre - dans sontranget irrductible, dans sa perversit retorse. L'autre parle. Mais quandl'autre parle [... ] ce n'est prcisment jamais l'autre, il n'est plutt ni l'un nil'autre, et le neutre qui le marque le retire des deux, comme de l'unit,l'tablissant toujours au dehors du terme, de l'acte ou du sujet o il prtends'offrir. La voix narrative Ue ne dis pas narratrice) tient de l son aphonie.Voix qui n'a pas de place dans l'uvre, mais qui non plus ne la surplombepas, loin de tomber de quelque ciel sous la garantie d'une Transcendancesuprieure: le il n'est pas l'englobant de Jaspers, il est plutt un videdans l'uvre13 .

    De cette manire, la voix narrative est prcisment cette voix blanche, cetteparole silencieuse du vide qui voyage entre les paroles des deuxinterlocuteurs de L'attente l'oubli et qui les traverse en leur faisant prouverl'impossibilit de dire Je . Ce Il n'est donc pas uniquement unintermdiaire entre les voix masculine et fminine du texte qui permet leuralternance, mais aussi ce qui les marque du sceau de l'altrit. Cette voixtroue la trame narrative pour permettre aux forces de l'autre d'assigerl'espace-texte et de prendre possession des narrateurs, qui ne sont plus lesseuls matres en leur demeure (demeure-corps-nonciatif/demeure-espacelittraire ).

    13 Ibid., p. 565.

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    C'est pourquoi mme si ce rcit est essentiellement narr la troisimepersonne du singulier et que les pseudo-dialogues sont rapports entreguillemets et sont pour la plupart crits la premire personne du singulier, ildemeure que parfois ce systme est rompu et qu'il est impossible de savoirqui parle exactement. Ds la premire page, une interrogation ce proposest formule: Qui parle? disait-t-elle. Qui parle donc? 14 . Dj,l'tranget de la prsence d'une autre voix vient troubler le chez-soi. Une voixtrangre semble maner du texte mme pour venir questionner la solidit dufoyer nonciatif des deux narrateurs, qui, d'emble, sont lis par l'criture quiles carte l'un de l'autre. Ils sont en effet lis parce qu'ils se retrouvent en cetespace littraire qu'est L'attente l'oubli, mais aussi parce qu'ils tentent decommuniquer par le biais de l'criture, ce qu'indique l'ouverture du rcit:

    Ici, et sur cette phrase qui lui tait peut-tre aussi destine, il fut contraint des'arrter. C'est presque en l'coutant parler qu'il avait rdig ces notes. [ ...] Illes lui montra. Elle ne voulait pas lire. Elle ne lut que quelques passages.[ .. . ] Qui parle? disait-elle. [...] Elle avait le sentiment d'une erreur qu'ellene parvenait pas situer15

    Le narrateur masculin tente bien de communiquer avec elle par le biais del'criture, mais au lieu de transmettre quoi que ce soit, ses notes critesdonnent la femme l'impression d'une erreur insituable. C'est que l'criturelaisse rsonner une voix elle-mme difficile localiser, que Maurice Blanchotva jusqu' qualifier de spectrale et de fantomatique . L'aspect spectralde la voix narrative met en vidence l'impossibilit pour celle-ci de s'incarner,car elle incarne prcisment ce qui empche la fondation d'un sol identitairesolide. Cette voix est insituable et fluide parce qu'elle ne vient de nulle part etparce qu'elle est ce nulle part retirant le sol sous les pieds des sujets d'action.

    14 Maurice Blanchot, op. cif., p. 1.15 Ibid.

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    Elle entrane alors l'uvre vers un lieu d'errance radicale, car, en tant queforce d'attraction provenant du dehors, elle dcentre constamment.

    Dans L'attente l'oubli, de longs passages laissent toutefois clairement cettevoix narrative parler au point o elle donne l'illusion de devenir une tiercepersonne dans le dialogue:Deux tres d'ici, deux anciens dieux. Ils taient dans ma chambre, je vivais avec eux. Uninstant, je me mlai leur dialogue. Ils n'en furent pas surpris. Qui tes-vous? Un desnouveaux dieux? Il - Non, non; un homme seulement. Il Mais ma protestation ne les arrtapas. Ah, les nouveaux dieux! ils sont enfin venus. Leur curiosit tait lgre, instable,merveilleuse. Que faites-vous ici? Je leur rpondais. Ils ne m'coutaient pas16.

    Parfois, on la questionne comme si elle en savait davantage que quiconque(comme un dieu, d'ailleurs, qui peut poser son regard omniscient surl'ensemble de la ralit) et comme si elle tait incarne: L'indiffrenceprcisant la prsence. - C'est par cette indiffrence qu'elle vous attire. Mais est-ce qu'elle m'attire? - Vous l'attirez, vous tes tous deux dans largion de l'attrait. 17 . Ne proviendrait-elle pas de la rgion de l'attrait? Sicet homme et cette femme ont l'intuition que cette voix est celle d'un dieu,peut-tre se trompent-ils d'un point de vue nominal, mais que, possiblementcomme un dieu, elle jaillit du non-lieu de l'attrait, qui n'est pas un espacesacr, mais le berceau de l'innommable. C'est aussi pourquoi MauriceBlanchot dit de la voix narrative qu'elle est aphone et qu'elle ne peut pass'incarner. Son caractre spectral semble mme effrayer d'autresoccasions les narrateurs du rcit qui se demandent qui parle exactement travers cette voix silencieuse: Jamais tu ne donneras rponse unetelle parole. Aussitt, il se dresse et demande: Qui a dit cela? Et

    16 Ibid., p. 63.17 Ibid., p. 103.

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    comme partout rgne un grand silence, il demande encore: Qui garde lesilence? [... ] L'espace non fray de l'effroi18 .

    La voix narrative provient d'une reglon des plus trangres, celle del'tranget mme partir de laquelle un pouvoir d'attraction peut se dployerdans toute sa puissance. Cette dernire attire les personnages vers ce nonlieu de l'tranget lorsqu'elle les aspire par derrire et/ou lorsque sa voixparle travers leur bouche et les dpossde ainsi de tout sentiment deproprit face eux-mmes: Attire en elle, en ce lieu de l'attrait qu'elle sesent devenir. 19 . Lors de ce passage, la figure fminine se voit pntre parcette autre voix qui commence parler travers sa bouche, ce qu'indique lefragment suivant la scne de possession :

    - Quand elle se redressa lgrement...elle dit:- C'est un peu aprs qu'elle dit cela?- Un peu aprs, si vous voulez.- Est-elle toujours prs de vous?- Elle se redresse lgrement.- Pour pouvoir mieux vous regarder?- Elle regarde plutt ce qu'elle dit20.

    Ici, ce elle renvoie la fois au personnage fminin et la voix fantmequi maintenant s'est glisse en elle.

    L'trange voix pntre toutes les autres diffrents moments du rcit autantle elle que le il : Mais, disait-elle, c'est seulement depuis que je vousconnais que vous ne le connaissez pas. 21 , et le Je : Elle lui parle, il nel'entend pas, je l'entend en lui 22 . Il ne s'agit pas d'une tierce voix, mais

    18 Ibid. p. 48 - 49.19 Ibid., p. 128.20 Ibid., p. 129.21 Ibid., p. 50; je souligne22 Ibid., p.76; je souligne

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    d'une toute autre voix, car si elle provient de la rgion de l'attrait, elle estaussi la voix du mystre mme qui passe travers: Vous ne vousadressez jamais moi, seulement ce secret en moi dont je suis spare etqui est comme ma propre sparation 23 .

    De nombreux autres extraits dans la structure narrative du rcit peuventtmoigner de cette prise de possession des nonciateurs, car, si,gnralement, (comme il a dj t mentionn) la narration est la troisimepersonne du singulier et que les changes entre les figures masculine etfminine sont rapports entre guillemets ( la premire personne dusingulier), les dialogues deviennent parfois plus ambigus. Par exemple, latroisime personne du singulier, d'abord utilise la page 13 - [...] il pensaque l'vnement [...] , - est remplace par la premire personne du singulierdans le passage suivant rapport sans guillemets: [ . .. ] combien je t'habite[ . . . ] . De mme, la page 30, trois fragments interrogatifs utilisent ladeuxime personne du singulier: Il n'est pas vrai que tu sois enfermeavec moi et que tout ce que tu dis ne m'as pas encore dit [...J , comme si ceIl neutre se transformait encore une fois en le Je de l'interlocuteur masculin.Aussi, cette situation s'inverse parfois, et on rapporte entre guillemetsl'interrogation des deux personnages face un troisime qui intervient sousla figure de la troisime personne du singulier: Quand vous a-t-il dit cela? Me l'a-t-i1 dit?24 Dans ce dernier passage, les deux interlocuteurs sequestionnent propos d'une tierce personne qui, prsente en tant quetroisime personne du singulier, ne peut tre que cette voix narrative qui nes'adresse jamais quiconque, mais parle travers leur parole. Bref, la voixnarrative transperce le rcit et organise l'espace textuel en y semant23 Ibid., p.17.

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    ambigut, et ce, autant au plan formel que narratif. Cette voix est ce quidcentre radicalement l'uvre et retire aux sujets d'action leur identit en lesattirant toujours au dehors, ce qu'indique Claude Lvesque propos deL'attente l'oubli:

    L'intrusion du Il dans la narration se laisse ramener l'effraction du neutredans le dsuvrement qu'il opre sur l'uvre et sur les interlocuteurs:ceux-ci, de par l'inscription du dialogue, sont soumis au dtournement dudehors [...] ne se rencontrant jamais face face, mais obliquement, demanire dtourne et en vertu de ce dtour mme25 .Les forces du dehors sont des plus redoutables, car elles surgissent parerreur et attirent le sujet qui en fait l'preuve vers un lieu d'errance ledpossdant de sa subjectivit. En effet, le dehors est une pure dchirure etune ouverture sur un monde sur lequel le sujet n'a plus de prise. L'preuvedu dehors est aussi l'exprience de l'impouvoir, c'est--dire d'un tat o lesujet qui, normalement a une prise sur le monde qui est vis par lui via sonintentionnalit, se retrouve devant l'insaisissable: Parle sans pouvoir. - Tume demande si tranquillement l'impossible26 Marianne Zarader parle magnifiquement de ce rapport l'insaisissable dansson ouvrage sur Blanchot, L'tre et le neutre ( partir de Maurice Blanchotp.Elle y explique de quelle manire ce dessaisissement du sujet devantl'irruption du dehors doit se comprendre deux degrs. La situation la plusvidente est lorsque le sujet est sans pouvoir sur ce qui lui arrive, c'est--direlorsque l'extriorit le submerge et l'expose au dehors. Cette absence depouvoir est toutefois minimale puisqu'il est encore le sujet de cetteexprience et que, prcisment, il la subit. Il est encore celui qui reoit cette24 Ibid., p. 40.25 Claude Lvesque, L'inscription du dialogue dans L'tranget du texte: Essai surNietzsche, Freud, Blanchot et Derrida, Paris, ditions 10/18, 1978, p, 246.26 Maurice Blanchot, op. cif., p. 86.

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    question pose par l'extriorit qui fait agir les forces de l'altrit en lui. Il estdonc encore en mesure d'accueillir cette question et d'y donner un sens.Toutefois, lorsque Blanchot parle de l'exprience radicale de la dchirure dudehors, il est important que cette dchirure opre sa force en dehors dumonde o saisir est possible et, par consquent, chappe ainsi lapossibilit de donner un sens l'exprience. L'preuve n'est relle quepour celui qui s'y perd, et celui qui s'y perd n'est plus l pour portertmoignage de sa perte28 . prouver l'insaisissable dans toute sa radicalitrend impossible toute vise intentionnelle du sujet devant l'exprience laquelle il ne peut plus donner sens. Il lui est mme retir le pouvoir minimald'avoir la possibilit d'tre le sujet de cette exprience, puisque cette dernireefface toute subjectivit. Si le dehors doit rester hors sens, il doit allerjusqu' m'arracher ce pouvoir minimal: il doit s'excepter de tout rapport au Je- ce rapport impliquant par essence donation du sens et ouverture d'unhorizon 29. Il faut alors que non seulement celui ou celle qui est cartel parl'exprience du dehors se retrouve sans pouvoir devant elle, mais qu'il soitgalement dessaisi de lui-mme sans que d'aucune faon il puisserassembler sa subjectivit en un Je. En fait, il doit ne plus pouvoir seretrouver devant ce dehors, puisque celui-ci est maintenant un dedans quiconserve son caractre d'extriorit et vient alors fissurer toutes les frontirespouvant circonscrire une intriorit ou un sol identitaire minimal. Subirl'irruption du dehors, c'est tre expos aux forces de la dissmination quiintimement font craquer les parois de la demeure.

    27 Marlne Zarader, L'tre et le neutre ( partir de Maurice Blanchot), Paris, Verdier, 2001.28 Maurice Blanchot, La part du feu, Paris, Gallimard,1949, p. 219.29 Marlne Zarader, op. cif., p. 124.

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    Comment Maurice Blanchot va-t-il tenter de conceptualiser clairementl'effacement du sujet qui fait l'preuve de ces forces? Cet effacement est-ilmme possible si l'intrusion du dehors est aussi l'intrusion de l'impossible? Ilest impratif de se poser prcisment la question. Si le monde commehorizon d'apparition de tout sujet possible, le sujet comme ple deconstitution de l'objectivit comme telle, l'intentionnalit comme rapport entrel'un et l'autre: tous ces repres vacillent si je puis tre expose ce queBlanchot nomme le dehors30 , alors les fondations de la phnomnologie 31sont remises en question. Si Blanchot a des affinits, entre autres, avec lapense d'Emmanuel Levinas et de Martin Heidegger qui sont a priori desphnomnologues (tous deux ayant rpondu leur manire par leurs crits Husserl), il demeure qu'il rompt partiellement avec la phnomnologie duct de ses rquisits principaux. Il faut souligner que Blanchot va au-del desthses la base du champ phnomnologique, mais qu'il ne rompt pas avecl'ensemble de celui-ci, puisque sa pense emprunte aux thories deHeidegger et de Levinas et qu'il insiste sur l'aspect exprientiel du neutre.Toutefois, il est avant tout essentiel d'analyser de quelle manire il romptavec les laborations inaugurales de la phnomnologie afin de voircomment cette rupture l'amne ailleurs.

    1.2 Le passage du dehors au neutre et son incarnation dans l'espacelittraire

    1.2.1 Le passage du dehors au neutre

    30 Ibid., p.9231 La phnomnologie est une cole philosophique dont les assises thoriques ont tdveloppes en profondeur par le philosophe allemand Edmund Husserl.

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    Husserl a nonc clairement: Le titre du problme qui embrasse toute laphnomnologie est l'intentionnalit. Il exprime la proprit fondamentale dela conscience, et tous les problmes phnomnologiques [... ] s'yincorporent. 32 En fait, la phnomnologie rflchit sur le rapport du sujet aumonde. Le sujet fait l'exprience de ce monde dans la mesure o il le vise etprend conscience des objets qui le composent par le biais de l'intentionnalit.Pour rsumer rapidement les prsupposs de la pense de Husserl, on peutdire qu'il est impossible de dissocier la conscience de son intentionnalit.Ainsi, mme les modes inconscients au sens freudien, ou les strates inintentionnelles de la conscience participent encore de l'intentionnalit.Toutefois, la pense de Blanchot se positionne ailleurs par rapport auxassises de la phnomnologie, car, sans mme en critiquer les fondations(toute conscience est intentionnelle), il met en vidence qu'il y a cc desexpriences qui ne sont plus celles d'une conscience 33. C'est quel'intentionnalit embrasse tout le champ du possible, mais ne peut cependantpas saisir l'impossible qui envahit parfois le sujet et qui vient en tant que forcedu dehors le dpossder de sa subjectivit, en lui retirant la possibilit d'treconscience. Blanchot ne conteste pas que le sujet est li au monde par sesvises intentionnelles (ou inintentionnelles), mais il parle d'une toute autreexprience, celle de l'intrusion du dehors. Le dehors qui surgit n'appartient enrien au monde, car il est un hors-monde reprsentant la dchirure mme quicartle le sujet et lui retire son statut de sujet. Le rgne du dehors n'est celuide nulle chose, car il n'a pas de forme chosale, c'est--dire qu'il n'est pas unobjet et n'appartient pas au monde matriel et au domaine du possible, car iln'est cc rien d'autre qu'une dchirure dans la trame des choses. Ce qui doncs'impose, peut tre dit trouv et dborde toute rception n'est aucun lment32 Edmond Husserl, Hua, Paris, Magnus Nijhoff, 1968, p. 357.

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    du monde, ni le monde comme tel, mais le pur cart qui advient parfois et, s'iladvient parfois, c'est qu'il est toujours latent, le manquement, l'chec de laconstitution 34 .

    Bref, Maurice Blanchot ne critique pas directement la pense de Husserl, caril parle d'une toute autre exprience qui marque une rupture entre le sujet etle monde, entre le sujet et sa subjectivit, et efface tout autant le sujet quel'objet. En fait, tous ses crits manifestent la mme obsession et ressassentles mmes questions en tentant de circonscrire de quelle faon le langagelittraire tmoigne de cette rupture. C'est pourquoi, comme il a t dit plushaut, celui ou celle qui crit regarde l'impossible travers cet cart etprouve une solitude face lui-mme (ne pouvant plus dire Je ), face aurel qui se retire et face cette irralit, ce dehors qui surgit. Cetteimpossibilit de dire Je et la transformation de la premire personne dusingulier en l'anonymat du Il, Maurice Blanchot la nomme aussi l'expriencedu neutre . Le passage du dehors au neutre est d'une importance capitaledans la pense blanchotienne, car il circonscrit les tentatives de cet crivaind'chapper la dialectique afin de parler d'une toute autre exprience difficile mettre en mots s'il en est une -, celle de l'intrusion de l'innommable.En effet, dans les textes tardifs de Blanchot, le dehors semble tre jug parl'auteur comme un terme encore trop dialectique, car il constituenominalement le ple oppos l'intriorit ou au monde et, par consquent,conserve la trace de la chose quoi il s'oppose ou tente d'chapper.Toutefois, Blanchot passe sans cesse du mot dehors au terme neutresans vritablement faire une distinction prcise d'autres occasions, et c'estpourquoi il est difficile parfois de cerner prcisment son lexique et de33 Marlne Zarader, op. cit., p. 148.

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    distinguer ce qu'il nomme: le dehors, le neutre, l'autre nuit, etc. Ces termestentent tous de circonscrire l'innommable et la tche n'est pas des plussimples lorsqu'il s'agit d'utiliser le langage pour nommer ce qui n'appartient aucun mode d'expression.

    Qu'entend Blanchot par neutralit? C'est qu'expos une telle dchirure, lesujet, qui n'en est plus un, perd en mme temps que le rapport lui-mme(ne pouvant plus dire Je ) la possibilit de se trouver l, d' tre-l (cequi est une rfrence directe au Oasein heideggerien - concept qui seraanalys un peu plus loin). Ce rapport neutre est un rapport qui s'excepteraitde la problmatique de l'tre et poserait une question qui ne soit pas questionde l'tre35 Si l'tre demeure indissociable, comme l'a d'ailleurs montrHeidegger, de l'ordre de la prsence, le neutre n'est pas l'tre puisqu'ilrenvoie cet cart en tant que tel et l'absence qui se maintient en toutechose. Cette absence n'est toutefois pas le contraire de la prsence, maisest la prsence de l'absence, une prsence/absence, ces deux termesdevenus indissociables dans la zone du neutre. Le neutre est l'espace quiconserve les ples en tension, voire les efface au profit d'une exprienceinnommable ne pouvant tre dcrite par les catgories d'analyse de lapense. Le sujet qui pose son regard sur les choses du monde se spare delui par ses vises intentionnelles, mais le neutre blanchotien est l'espace dela fascination qui envahit et qui rend impossible cette sparation analytique.Le sujet qui est possd par le dehors fait l'exprience du neutre dans lamesure o il n'y a plus ni intriorit ni extriorit, mais se retrouvededans/dehors, bref nulle part. D'ailleurs, pour Blanchot la tche de lalittrature et de l'art est de veiller sur le neutre: veiller sur le sens absent.34 Ibid., p. 149.

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    Emmanuel Levinas dit que, pour Maurice Blanchot, l'essence de l'art rsidedans cet inessentiel o le sens s'absente. Levinas souligne que dcrirel'uvre d'une faon aussi contradictoire ne renvoie aucunement une formedialectique o l'alternance des contraires amne un apaisement de lacontradiction en une synthse. Chez Blanchot, cette contradiction estmaintenue dans toute sa tension et dfait le sens et les possibilits d'actionsur celui-ci pour laisser pntrer l'impensable. Il insiste sur le caractreinessentiel de l'essence dernire de l'uvre. L'art doit descendre vers lepoint o rien n'a encore de sens pour veiller en toute inquietude sur cetteabsence de sens afin de se maintenir en mouvement face ce qui ne peuttre saisi. L'art doit rappeler qu'il y a erreur et que malgr que le mondes'affirme comme la possibilit de la matrise de l'homme travers ce qu'ilnomme vrit et ses entreprises de domination du rel, tout retourne versl'insignifiant (tout meurt et dprit) et que s'efface ventuellement toutepossibilit de matrise. La littrature peut rendre compte de cette erreur enmanifestant l'innommable, en pointant les limites du langage et en ralisantce qui excde le monde comme horizon de matrise de l 'homme: l'irrel.Tche contradictoire, voire impossible.

    La littrature a la possibilit d'actualiser cette irralit, car, en faisant parler cequi n'est pas rel, elle laisse s'accomplir ce qui est non-monde. Si lesrflexions de Blanchot sur Kafka et Mallarm indiquent plusieurs reprisesqu'crire c'est revenir ce que le langage est a priori, c'est--dire carterles choses dans les mots, alors crire manifeste cet cart en un parlerimpersonnel qui n'appartient pas l'ordre du jour puisqu'il tmoigne de la

    35 Maurice Blanchot, L'entretien infini, p. 11.

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    disparition des choses du monde dans la noirceur abyssale de cette fente paro un tout-autre-monde submerge le rel.

    trangre au Monde et aux arrires-mondes, la littrature, pour Blanchot,suppose le regard du pote, une exprience originelle dans les deux sens decet adjectif: exprience fondamentale et exprience de l'origine [ ...) Nousn'allons pas de la chose l'image potique par simple neutralisation du rel,ni du langage quotidien l'image du langage qui serait le langage potiquepar diminution. 1\ faut, d'aprs Blanchot [...) que les choses puissent treaperues comme image et le langage comme posie. L'image prcde, dansce sens, la perception36.Il ya un monde derrire le monde qui est errant, un monde de l'erreur fait-l'image-de qui parle par-derrire et manifeste, en de du possible, uneextriorit radicale par rapport au rel. La littrature, voire l'art en gnralpeut en tmoigner ou du moins attester de la puissance d'attrait de cetteextriorit.Dans son ouvrage De l'existence l'existant, Emmanuel Levinas crit:

    Nous pouvons dans notre relation avec le monde nous arracher au monde.Les choses se rfrent un intrieur en tant que parties du monde donn,objets de connaissance ou objets usuels, pris dans l'engrenage de lapratique o leur altrit ressort peine. L'art les fait sortir du monde, lesarrache, par l, cette appartenance un sujet. La fonction lmentaire de"art qu'on retrouve dans ses manifestations primitives consiste fournir uneimage de l'objet la place de l'objet lui-mme3?

    Par l'image, il est possible de se rapporter indirectement aux choses et demaintenir ainsi leur extriorit en les arrachant l'unique perspective dumonde. Les choses reprsentes se dtachent du monde travers lesdiffrentes images matrialises par les livres, photographies ou les tableaux(par exemple), qui sont tout de mme des objets de ce monde. L'esthtiqueexacerbe la matrialit des choses en soi et les maintient en dehors .36 Emmanuel Levinas, Sur Maurice Blanchot, Paris, Fata Morgana, 1975, p.12-13.37 Emmanuel Levinas, Oe l'existence l'existant, p. 83.

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    L'esthtique produit donc les choses en soi, non pas comme des objets dedegr suprieur, mais en cartant tout objet, elles dbouchent dans unlment nouveau-tranger toute distinction entre un dehors et undedans, se refusant mme la catgorie du substantif38.

    Ces choses brutes et dnudes s'arrachent du monde dans les uvres d'artet se jettent sur les sujets qui peuplent le rel comme des fragments dematire s'imposant en tant que tels. Des bouts de rel nous touchent, nouscaressent, et nous heurtent en tant qu'autres, et non en tant qu'objets ayantdes fonctions prcises. Ces dernires, que le monde utilitaire impose auxobjets, ne sont que des formes qui les vtent et dissimulent leur matrialitbrute. L'art peut effacer ces fonctions par le gaspillage de leur sens et en lesattirant vers le monde de l'erreur. Georges Bataille disait bien que lesacrifice est immoral, la posie est immorale39 , car la posie sacrifie le sensusuel des mots et les emporte ailleurs, l'extrieur de tout sens prconu parle social et ses lois (sa moralit). L'essence de l'art est d'tre inutile etd'chapper la dialectique utile/inutile - le sol du systme conomique, voirecapitaliste - en proposant une alternative au systmatique par uneinvestigation de l'trange(r). Cette investigation conserve le statut d'altrit del'trange(r), puisqu'elle ne permet pas l'assimilation du mme ni larduction de son extriorit en une dclinaison possible d'une intrioritquelconque.

    Cette tranget s'incarne tout de mme en des objets qui ne sont pas desobjets au sens philosophique, mais des supports matriels, mdiums de cettetranget. Le mot mdium renvoie ici la fois son sens mystique - celuiou celle qui porte et transmet la parole de l'tranger et les voix spectrales

    38 Ibid., p.87.39 Georges Bataille, L 'exprience intrieure, Paris, Gallimard, 1943 et 1954, p. 158.

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    venues d'ailleurs - et sa signification pratique - le support matriel del'oeuvre. Le mdium incarne l'tranget qui passe travers et maintientl'autre en tant que tel, en ne le dvoilant jamais et en conservant sonmystre. Loin de l'sotrisme, nous nous trouvons plutt ici dans dans labanalit. Les mots qui cartent les choses comme objets et les transformenten images sont aussi matire, mais une matire qui conserve l'altrit, quil'accueille en tant que demeure. La chose ne s'efface pas dans l'image, elle yapparat mais autrement. L'image ne renvoie pas seulement un absent, ellerend prsente cette absence et constitue sa cabane dans le dsert del'erreur:L'art, d'aprs Blanchot, loin d'clairer le monde, laisse apercevoir le sous-sol dsol, ferm toute lumire qui le sous-tend et rend notre sjour son essence d'exil et aux merveilles denotre architecture - leur fonction de cabanes dans le dsert [...] La recherche potique del'irrel est la recherche du fond dernier de ce rel40 .1.3 L'espace littraire blanchotien

    L'espace littraire est le lieu de l'exil et de la rencontre de l'autre du langagedans le langage. trange paradoxe que nous indique Blanchot propos de lalittrature qui doit, selon lui, ramener la prsence vers l'absence et manifesterl'innommable l'intrieur du domaine de la nomination. Cette volontcontradictoire ne pointe qu'un chec l'horizon, c'est--dire un impossible.Or, Blanchot dsire prcisment que vouloir cet impossible soit la tche de lalittrature.

    Si le langage est bien ce pouvoir qui est le ntre de nommer les choses, deles rendre dicibles, il existe pourtant un espace ", dans le langage, dont laseule vocation est d'accueillir l'indicible, de le prserver, de rpondre de lui:c'est l'espace littraire, o prend naissance ce que Blanchot nomme criture,pome ou ceuvre41 .

    40 Emmanuel Lvinas, Sur Maurice Blanchot, p. 23.41 Marlne Zarader, op. cit., p. 212.

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    Cet espace est celui de l'erreur en l'uvre permettant l'errance et lamaintenant sur des chemins qui ne mnent nulle part. L'erreur la garde ainsien mouvement perptuel, toujours venir dans un processus de redfinitionconstante qui l'empche de se complaire en un objet purement utile, dtachdu mystre premier l'ayant rendu possible. Ce mystre est l'impossibilit danslaquelle elle se trouve et la ncessit qu'elle demeure processus et questioninfinie.

    Comme il est crit dans L'attente l'oubli, la zone neutre de l'erreur est unespace de fascination qui n'est qu'un lieu de navigation: Attendre, serendre attentif ce qui fait de l'attente un acte neutre, enroul sur soi, serren cercles dont le plus intrieur et le plus extrieur concident42. Il faut trepatient et attendre pour laisser le neutre faire son uvre: tracer le lieu del'erreur. Maurice Blanchot insiste sur le fait que l'impatience est une fauteindubitable au sein de l'erreur, car elle est une attitude irrespectueuse face la vrit de l'erreur mme qui est de ne jamais en finir avec l'indfini:

    L'impatience est cette faute. C'est elle qui voudrait prcipiter l'histoire versson dnouement, avant que celle-ci ne se soit dveloppe dans toutes lesdirections, n'ait puis la mesure du temps qui est en elle, n'ait levl'indfini une totalit vraie [ ... ] Tche impossible, tche qui, si elles'accomplissait jusqu'au bout, dtruirait cette vrit vers laquelle elle tend43 .

    L'uvre attire celui ou celle qui en subit l'attrait en un non-lieu o le tempsest suspendu. Si l'essence de l'uvre, son in-essence, est cet cart o ledehors pntre et cette zone neutre o il n'y a plus de dedans et de dehorsmais o l'extriorit devient le centre mme de toute intimit, alors le tempsse transforme en celui de l'intervalle. Ce temps de l'intervalle expliqumtaphoriquement s'approche du temps entre les battements de l'aiguille de42 Maurice Blanchot, L attente l'oubli, p. 20.

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    l'horloge marquant le temps codifi. Entre le tic et le tac qui indique le dbutet la fin d'une priode de temps quantifiable, il y a un tout autre tempsouvrant sur un temps indfini, voire infini. Dans l'espace littraire qui est celieu/non-lieu d'un cart, Le langage n'est pas un pouvoir, il n'est pas lepouvoir de dire [... ] Il n'est jamais le langage que je parle [... ] mais c'est lemonde qui sous cette pousse se drobe: le temps perd alors son pouvoirde dcision; plus rien ne peut rellement commencer44 . Cette fascination del'absence de temps dont parle Blanchot dans L'espace littraire est lie lavrit de l'cart o dbut et fin concident lorsque celui qui prouve cettefascination se maintient sur la limite mme. L'exprience-limite peut semanifester par la volont de l'crivain de pointer les limites du langagelorsqu'il tente de faire parler l'indicible, mais elle se rvle aussi en ce tempslimite o l'uvre s'enfonce lorsqu'il n'y a plus d'avant et d'aprs. Entre le ticet le tac des horloges qui ponctuent le temps codifi, un temps nonquantifiable dploie ses forces et attire vers un ailleurs dissout dans l'infini.

    1.4 Le temps de L'attente l'oubli

    D'ailleurs, L'attente l'oubli circonscrit l'vnement d'une suspension de latemporalit et ne dlimite en fait aucune prsence, car ce temps de ruptureouvre sur un jeu infini dans lequel pass et avenir se rassemblent en un carto le vide, dans toute sa splendeur, rduit tout au rien: L'attente qui a lieudans le temps ouvre le temps l'absence de temps [... ] Lorsque le tempsprend fin, se dissipe aussi ou se drobe l'absence de temps45 . En fait,mme si d'emble l'histoire de L'attente l'oubli semble s'orienter et se43 Maurice Blanchot, L'espace littraire, p. 98.44 Ibid., p. 55 - 57.45 Maurice Blanchot, L'attente l'oubli, p. 99.

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    dvelopper de manire linaire, il ne suffit que de poursuivre la lecture pourraliser qu'il n'en est rien et que dans ce rcit les premiers mots disenttout46 . Le temps semble suspendu afin de laisser place l'espace mme dutexte qui, fragment et poreux, devient un espace-limite, un lieu vide o toutpeut advenir.

    Le livre ne commence-t-il pas par ces mots: Ici, et sur cette phrase47 ? Iciest le premier signe partir duquel l'espace littraire se dvoile. Cet espace,qui pourtant s'tend sur plus de 160 pages, ne semble pas vraiment sedvelopper, mais constitue plutt un lieu vide o le temps est interrompu. Ceici n'est pas une terre ferme o il est possible de se retrouver, mais un nullepart, un lieu d'errance, comme l'indique encore une fois Claude Lvesque: L'attente l'oubli s'ouvre sur l'espacement et le dtour initial que portel'criture en sa diffrence; entrant dans l'espace insituable de l'criture, noussommes livrs une sorte d'erreur et de dtournement perptuel 48

    Ce vide initial ainsi expos en un ici ouvre sur l'espace insaisissable del'entre-deux o se rature toute origine et dans lequel s'engouffre le rcit. Toutsemble tourner dans ce livre autour d'un centre vide qui exerce une forced'attraction ne menant proprement parler nulle part. L'espace littraire est lelieu d'une erreur/errance folle o il n'y a pas de chemin (pas de sens prescrit),mais seulement un parcours, car le sens est chez Blanchot toujours au-del(ou en de) du discours achev et, par consquent, inatteignable. De cettemanire, le sens de l'histoire est dtourn par un cercle vicieux qui l'entranesans cesse ailleurs. Cette exprience-limite et cette fascination de l'absence46 Emmanuel Lvinas, Sur Maurice Blanchot, p. 8.47 Ibid., p.?46 Claude Lvesque, Op. cit., p. 239.

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    de temps propre l'espace littraire blanchotien doivent tre analyses enprofondeur par le biais des liens thoriques qu'entretient la pense deMaurice Blanchot avec celle d'Emmanuel Levinas - dont les rflexions sur lanotion d'infini (notamment dans Totalit et infinf9) - et les thories de MartinHeidegger - qui prennent forme en une analytique existentiale dveloppe partir de la finitude de l'tre. Blanchot s'inspire de ces deux philosophes et lesfait dialoguer implicitement dans nombre de ces crits et tente, partir de cedialogue, de dfinir l'espace littraire comme le lieu de la fascination de l'absence de temps. D'ailleurs, juste le titre du texte analys ici, L'attentel'oubli, dmontre explicitement j'importance de la relation du sujet latemporalit et son ex-stase. Ex-stase qui va aussi permettre d'aller plus loinafin de comprendre ce qu'entend Blanchot par chiasme dialogique.

    49 Emmanuel Levinas, Totalit et infini, Martinus Nijhoff, La Haye, 1971.

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    Chapitre 2Le temps suspendu

    2.1 L'ex-stase de l'tre ou l'abme d'tre soi-mme (sur la finitude)

    La question de l'ex-stase temporelle heideggerienne peut en effet permettrede mieux cerner ce qu'est le chiasme dialogique blanchotien, puisqu'ellepose le problme de la finitude du sujet phnomnologique (son tre-pour-Iamort) en relation avec l'ouverture du dit sujet face l'autre. D'ailleurs, la mortrde un peu partout chez Blanchot, constituant presque, en fait, le thmecentral de son uvre fictionnelle et thorique. Toutefois, l'univers blanchotienne fait pas l'apologie de la mort (ni de la vie, d'ailleurs). Il ne s'agit pas pourlui de vnrer la mort ou la vie, ou mme la mort et la vie, mais de clbrer lecouple la vie/la mort dans toute sa tension en tant que contour del'exprience vcue, et donc en tant qu'espace de dlimitation rendant cetteexprience possible 1. C'est l'exprience de l'criture que Maurice Blanchota consacr sa vie, et il aborde souvent cette question travers une rflexionsur la mort. La mort ne reprsente cependant pas chez lui qu'uneinterruption, mais plutt ce jaillissement incessant, cette naissance ternellede l'uvre, comme le souligne Franoise Collin dans son ouvrage MauriceBlanchot et la question de l'criturfl :

    La mort n'est jamais la fin des rcits de Blanchot, mais plutt leurcommencement (non leur dbut). L'vnement de la mort, lorsqu'il estracont, se loge et l, et il est recouvert par la poursuite de la phrase,cach et rpt comme phrase [ ... ] La mort en effet n'est pas fin, ni mmela possibilit d'en finir [...] la mort n'a pas de temps qui lui soit propre, ni deplace qui soit sienne. Elle vient toujours trop tt ou trop tard et sa venue n'arien d'clairant. Loin d'tre la retombe dans un quelconque en-soi, elle est

    1 Cette question sera directement aborde au quatrime chapitre.2 Franoise Collin, Maurice Blanchot et la question de l'criture, Paris, Gallimard, 1971.

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    l'impossibilit mme de l'en-soi, autant qu'arrachement au pour-soi [...) Ilest vain d'ajouter qu'aucune pense ne russit la penser [... ) Sa prsenceest, au-del de la jouissance et l'horreur, la zone de la fascination3 .La mort est toujours dj l'trange(r) et est arrachement au monde, et c'estpourquoi elle ne peut tre saisie, ni mme vcue, puisqu'elle est prcismentce qui retire au sujet toute possibilit d' tre- le- sujet-de chaquepas, on est ici, et pourtant au-del. Mais comme on atteint cet au-del sansl'atteindre par la mort, on l'attend et on ne l'atteint pas4 " est impossibled'accder cet au-del, puisque, pour le faire, il est ncessaire de passer travers la limite que constitue la mort qui, elle, retire au sujet le pouvoir d'atteindre quoi que ce soit. Toutefois, la mort reprsente plus qu'une limite,puisqu'elle ne peut tre vcue: elle est ce qui ne peut tre rencontrpuisqu'elle est une forme d'altrit radicale se maintenant dans ladistanciation de ce qui est toujours venir tout en tant dj l.

    Quoi en effet de plus autre que la possibilit d'en finir pour un sujet? Cettecontingence fondamentale, soit la possibilit de mourir, menace toujours lesujet de devenir non sujet, Le sujet est en effet toujours sujet de sonpropre non , viol par son ngatif, et il est en relation directe avec un videessentiel log intimement en lui par o le dehors peut s'infiltrer. Si la mort estl'altrit absolue, alors le sujet en tant qu'tre-pour-Ia-mort dialogue avec unealtrit radicale qui se pointe l'horizon et rsonne dans les profondeurs del'tre. C'est partir d'une telle rflexion sur la finitude de l'tre que lephnomnologue allemand Martin Heidegger arriva formuler son concept d'abme d'tre soi-mmes . Selon lui, le sujet est en relation son

    3 Ibid., p.51 - 52.4 Maurice Blanchot, L'attente l'oubli, Paris, Gallimard, 1962, p.56.5 Voir le troisime chaptre de l'ouvrage de Martin Heidegger tre et Temps {traduction deFranois Vzin}, Paris, Gallimard, 1986.

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    inalinable finitude et n'est ainsi pas simplement confront un dehorspouvant tre saisi par une intriorit, mais est a priori saisi par l'extriorit quien est son excs intime. Bref, cet abme d'tre-soi-mme laisse le dehorss'infiltrer en le sujet qui n'est maintenant plus le seul matre en la demeure.L'tre-l (Dasein) , pour Heidegger, est toujours dj dchir par l'tre-avec(Mitsein) qui nous fonde en tant que dialogue et nous met en rapport avecune altrit qui ne se tient plus seulement devant nous, mais serait un autrequi se cache en secret dans les profondeurs de notre tre. La possibilit demourir est toujours l'uvre et peut toujours arracher l'tre du l et abmercet tre-l (Dasein) en une brche bante sur le vide par o le dehorss'infiltre et efface les limites entre l'intimit et l'extriorit. Cet abme d'tresoi-mme conceptualis par Martin Heidegger suspend bien notre tre audessus d'un nulle part/sans-fond qui rend impossible la localisation de la terreferme de l'identit et dchire le sujet en le confrontant constamment cedehors qui se loge intimement en lui. Bref, si ce rapport la mort nous fonded'emble en tant que dialogue selon Heidegger, Je est aussi un autre, pourparaphraser Arthur Rimbaud, et est constamment en prsence de cet trange peuplement innombrable du vide6 qui renvoie ce grouillement informe

    manifest par l'il Y a.

    Il demeure que, si cette forme d'altrit qu'est la mort ne peut trerencontre, elle peut, selon Maurice Blanchot, tre aperue travers l'attente

    travers l'attente, celui qui attend meurt en attendant. Il porte l'attente dansla mort et semble faire de la mort l'attente de ce qui est encore attenduquand on meurt. La mort considre comme un vnement attendu, n'estpas capable de mettre fin l'attente. L'attente transforme le fait de mourir en

    6 Maurice Blanchot, op. cit., p. 54.

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    quelque chose qu'il ne suffit pas d'atteindre pour cesser d'attendre. L'attenteest ce qui nous permet de savoir que la mort ne peut tre attendue7 .

    L'attente peut donner voir la mort sans l'atteindre parce que la mort ne peuttre l'objet de l'attente. La mort, forme d'altrit des plus radicales, doitdemeurer ce dehors et doit advenir par accident sans qu'on s'y attendevraiment. Elle est cette irruption du dehors qui saisit mais qui ne peut tresaisi, puisqu'elle est l'insaisissable mme. Cependant, celui qui attend estmourant, c'est--dire qu'il peut tout instant mourir. Il meurt sans cesse et setient dispos mourir. L'attente radicale dont parle Blanchot est seulementune disposition qui n'est attente d'aucun objet, d'aucun objet prcis, mais uneattention ce qui peut advenir et/ou qui advient sans cesse. Si la mort faitalors toujours son uvre en tant qu'-venir et que, mourant, le sujet faittoujours dj l'exprience de sa limite (qui devient son excs intime, comme ila t dit un peu plus haut), alors les limites s'estompent. Il n'y a plusd'extriorit et d'intriorit, mais une lutte constante entre les ples etouverture de la finitude de l'tre un autre temps, celui de l'au-del du tempsmarqu et fini. Ce temps est celui de l'intervalle entre les battements desaiguilles de l'horloge qui marque le temps. Cet espacement intime de l'trequ'Heidegger nomme l'abme d'tre soi-mme est toujours aussi une exstase temporelle, puisque le sujet fini est confront cette 'finitude qui se logeen lui, creusant un cart en lui et l'ouvre sur un temps autre, ce temps indfinide l'intervalle.

    L'abme d'tre soi-mme est donc a priori ex-stase temporelle, puisque cevide initial/inaugural n'est rien d'autre que le temps comme tel, comme le

    7 Ibid., p. 55.

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    souligne Roberto Esposito dans son ouvrage Communitas qui traite del'abme d'tre soi-mme heideggerien :

    La structure temporelle qui soustrait le subjectum son identit en lesuspendant une contingence, ou finitude, qui le fait ne plus tre tel: nonsujet. .. Le temps tend, tire , le sujet jusqu' son point de rupture; ill'ouvre et l'expose son altrit constitutive8 .

    Cette ex-stase temporelle est d'ailleurs omniprsente dans L'attente l'oubli,o ces deux attitudes du sujet face au temps (l'attente et l'oubli) servent depoint d'ancrage un discours thorique sur le temps implicite au rcit, maisqui toutefois ne fait jamais directement rfrence une pense philosophiqueprcise. Il reste qu'une pense y est l'uvre et qu'il est ncessaired'essayer de la circonscrire.

    2.2 Sur l'attente et l'oubli

    L'attente, chez Blanchot, est une attente radicale qui ne doit pas renvoyer une chose prcise: L'attention que l'attente rassemble en lui n'est pasdestine obtenir la ralisation de ce qu'il attend, mais laisser s'carter parla seule attente toutes les choses ralisables, approche de l'irralisable.9 Ici, l'attente est une attention extrme dirige vers l'immdiat et une approchede l'insaisissable. Cet tat d'attention extrme est alors aussi une ouverture l'immensit du dehors et tout ce qui peut advenir par accident. Le caractreaccidentel de ce qui peut merger du dehors implique qu'il est inutiled'attendre quelque chose, mais qu'un quelque chose (anonyme et sansnom avant qu'il se prsente) peut advenir tout instant. Ce qui peut advenir

    8 Roberto Esposito, Communitas. Origine et destin de la communaut, Paris, PUF, 2000,p.50.9 Maurice Blanchot, op. cit., p. 47.

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    En ce point extrme de l'attente o depuis longtemps ce qu'il y a attendrene sert qu' maintenir l'attente, dans le moment peut-tre dernier, peut-treinfini12.

    De cette faon, cette attente pour l'attente subsiste en cet cart o uneambigut temporelle rgne. Ce point extrme de l'attente maintient dans unmoment qui est possiblement fini ou infini. Fini parce qu'il se termine chaque instant et infini puisqu'il est le mouvement mme du devenir etconstitue une ouverture ce qui ne cesse d'advenir. D'ailleurs, au chapitreprcdent, il a t mentionn que le dialogue ne prend jamais vritablementforme dans L'attente l'oubli, mais que les interlocuteurs se maintiennenttoujours dans une certaine position d'attente de rponse aux appels qu'ilslancent vers l'autre. Cette attente est en quelque sorte infinie, car le dialogueest davantage un devenir-dialogue, c'est--dire un dialogue qui est possiblemais qui n'advient pas ncessairement. La rencontre est toujours venir, carsi rien n'indique que les paroles des narrateurs parviennent jusqu' leurdestinataire, il demeure qu'elles constituent une srie d'appels dirigs versl'autre et permettent ainsi la venue d'un dialogue. Les voix des diffrentsnarrateurs ne font que voyager entre-eux dans cet cart o un temps ind'finirgne, et c'est pourquoi nous pouvons dire qu'un change dialogique neprend jamais forme, mais ne cesse d'advenir en tant que possibilit: il n'y apas entre eux de vritable dialogue. Seule l'attente maintient entre ce qu'ilsdisent un certain rapport, paroles dites pour attendre, attente de paroles 13 . L'attente cre un lien entre les interlocuteurs, car mme si un change deparoles n'advient jamais tout fait, cette attente radicale les maintient

    12 Ibid., p. 16.13 ibid. p.52

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    ensemble par le fait que tous deux attendent: Oui, ensemble. - Mais dansl'attente. - Ensemble, attendant et sans attendre14. Le temps qu'ouvre l'attente en soi est indfini. ce propos, on ne peutvaluer depuis quand les deux interlocuteurs attendent exactement, ni mmeidentifier l'poque dans laquelle leur histoire se droule: Depuis quandattendait-il? L'attente est toujours l'attente de l'attente, reprenant en elle lecommencement, suspendant la fin et, dans cet intervalle, ouvrant l'intervalled'une autre attente15. En cet instant d'extrme attention, une extasetemporelle dchire la trame du temps linaire et l'ouvre sur un temps indfiniqui suspend ce temps linaire pouvant tre divis en avant et/ou aprs. cepoint de rupture, le pass est effac par l'oubli et l'avenir est tout sauf lapointe de la finitude, puisqu'il est ce qui toujours advient et est ainsi ouverturesur l'infini. Cependant, mme si Blanchot insiste dans une large mesure surl'autorfrentialit de l'attente, il demeure que celle-ci n'a pas d'intimitpropre et est ruine constamment par un processus de dcentrement qui,justement, assure le mouvement incessant:

    L'attente ne peut s'attendre elle-mme au terme de son propre pass,s'enchanter de sa patience, s'appuyer une fois pour toutes sur le courage quine lui a jamais fait dfaut. Ce qui la recueille, ce n'est pas la mmoire, c'estl'oubli 16.L'oubli parasite la mmoire en lui prsentant le pass comme perte et dtruitles nouveaux phnomnes qui se prsentent lui en les faisantinstantanment replonger vers le nant duquel ils ont merg. L'oubli est uneouverture qui, l'instant mme, constitue la limite o pass et avenir14 Ibid., p. 43.15 Ibid., p. 50.

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    disparaissent. Cependant, l'oubli ne renvoie pas directement au tempsprsent pour Maurice Blanchot: Le prsent que leur ferait l'oubli: laprsence libre de tout prsent, sans rapport l'tre, dtourne de toutpossible et de tout impossible1? C'est que l'oubli ne renvoie pas l'immdiat, mais est un processus d'effacement qui soustrait ce qui fut etmme trs souvent ce qui est en oprant sans cesse sur la mmoire.

    Selon Maurice Blanchot, l'essence de la relation entre la mmoire et l'oubliest la confusion. En effet, la confusion seme par l'oubli au sein de lammoire assure un mouvement indfini qui permet l'acheminement vers unailleurs/nulle part. Cet exil intime engendr par cette relation particulire entrela mmoire et l'oubli est toujours a priori une forme de mise en pril, gage demouvement. Maurice Blanchot explique dans plusieurs de ses crits quel'oubli est l'vnement d'un effacement qui circonscrit un lieu de passage etde mtamorphoses. Oublier, c'est tracer les contours d'un espacecontinu/discontinu qui est un espace de changement o l'intimit et le dehorss'entrechoquent pour crer du mouvement. L'oubli est aussi ce qui est oubliet maintient celui qui oublie en rapport avec ce qui a t oubli tout enservant de force mdiatrice avec ce qui est venir.

    Maurice Blanchot considre cependant l'oubli d'une manire beaucoup pluscomplexe. L'oubli ne remplit pas seulement la fonction d'intermdiaire selonlui, car il diffre toujours de ce qu'est une fonction ou un outil servant crerdu mouvement. L'oubli ne peut pas occuper une simple fonction

    16 Michel Foucault, La pense du dehors dans Critique sur Maurice Blanchot, Minuit,Paris,1966, p. 544.17 Maurice Blanchot, op. cif., p. 103.

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    d'intermdiaire, mais doit devenir l'vnement d'une dpossession radicaledu sujet qui ne peut plus s'y rfrer comme un outil quelconque:

    Il faut que ce qui est moyen, intermdiaire, simple oubli instrumental etpossibilit toujours disponible, s'affirme comme profondeur sans voie et sansretour, chappe notre matrise, ruine notre pouvoir d'en disposer, ruinemme l'oubli comme profondeur et toute cette commode pratique de l'oubli.Ce qui tait mdiation est alors prouv comme sparation 18

    Voil ce qu'est l'oubli: l'preuve de la sparation et non seulement un lieu demdiation entre pass et avenir. En fait, l'oubli est la fois ce lieu mdiateuret un espace sans mdiation, car il est l'oscillation mme entre ces ples,puisque l'essence de l'oubli est l'interruption: Oublier ce qui se retient l'cart de l'absence, l'cart de la prsence, et ce qui pourtant fait surgir laprsence, l'absence, par la ncessit de l'oubli, c'est ce mouvementd'interruption qu'il nous serait demand d'accomplir19 . L'oubli renvoie l'vnement d'une interruption, mais c'est bien la sparation qu'il exacerbequi permet de tenter d'effectuer un lien: Vous ne vous adressez jamais moi, seulement ce secret en moi dont je suis spare et qui est comme mapropre sparation20 . Cette sparation intime peut renvoyer la mort, forceinterruptrice du sujet par excellence. D'ailleurs, Blanchot relie l'ide de la mort son concept d'oubli. Il conoit l'oubli d'une faon paradoxale qui renvoiel'oubli lui-mme (comme il le faisait de l'attente), c'est--dire au fait quel'oubli devrait tre aussi oubli et ananti pour demeurer l'indterminable entant que tel. Une autre force, qui n'est pas l'oubli, peut selon Blanchotcirconscrire l'indtermination de l'oubli et ainsi l'approfondir. Cette force est lamort, qui met vraiment un terme l'oubli - dont l'essence est l'interruption - etl'accomplit ainsi dans toute sa profondeur: Celui qui meurt achve

    18 Maurice Blanchot, L'entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 461.19 Ibid., p. 290.20 Maurice Blanchot, L'attente l'oubli, p. 107.

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    d'oublier, et la mort est l'vnement qui se rend prsent dansl'accomplissement de l'oubli 21 Blanchot nonce que cet trange rapportentre mourir et oublier est une nigme impossible rsoudre, mais qu'i lconstitue une ouverture sur l'impossible. Un passage de L'attente l'oublinonce magnifiquement et dans toute sa complexit cette relation:

    Oublier la mort, ce serait vraiment se souvenir de la mort? Le seul souvenirqui serait la mesure de la mort, ce serait l'oubli? L'impossible oubli.Chaque fois que tu oublies, c'est la mort que tu te rappelles oubliant.Oubliant la mort, rencontrant le point o la mort soutient l'oubli et l'oublidonne la mort22 .

    Ce point est l'espace de l'interruption en tant que telle o l'oubli et la mortcoincident pour ouvrir sur ce qui est au-del ou en de de tout possible:l'impossible. L'oubli et/ou la mort sont des figures du neutre pour Blanchot quine pointent que le retour monotone de l'impossible et de l'chec. Chez lui, lesconcepts d'oubli et de mort n'appartiennent plus un espace-temps continu,mais la discontinuit du retour de ce qui brise tous les liens entre le soi etl'extriorit et/ou l'intriorit. Cette interruption est toujours latente puisqu'ellene cesse d'tre retour. Ainsi, la force interruptrice revient sans cesse faire sonuvre, mais demeure cache et travaille constamment par-derrire, commela voix narrative blanchotienne analyse au chapitre prcdent.

    Maurice Blanchot dit bien qu'il faut accueillir l'oubli comme secret pour saisirl'espace o il se cache, l o il fait son uvre en dsoeuvrant par-derrire.Le deuxime chapitre de L'attente l'oubli s'ouvre par ces mots:L'oubli, le don latent. Accueillir l'oubli comme l'accord avec ce qui se cache, le don latent.Nous n'allons pas vers l'oubli, pas plus que l'oubli ne vient nous, mais soudain l'oubli atoujours dj t l, et lorsque nous oublions, nous avons toujours dj tout oubli: noussommes, dans le mouvement vers l'oubli, en rapport avec la prsence de l'immobilit de

    21 Maurice Blanchot, L'entretien infini, p.291.22 Maurice Blanchot, L'attente l'oubli, p. 90.

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    2.3 Le chiasme comme espace de relation (sur l' infini)

    2.3.1 Le visage levinassien

    Le point ultime de la proximit et de la rencontre est dans cette latence deschoses qui restent dissimules et qui entretiennent un dsir infini. Si ce dsirest une ouverture sur l'infini, c'est bien parce qu'il ne peut pas tre combl (ilest tout aussi autorfrentiel que l'attente et l'oubli). La pense de Blanchotcroise ici celle d'Emmanuel Levinas, qui distingue clairement le dsir dubesoin: Dans le besoin, je puis mordre sur le rel et me satisfaire assimilerl'autre. Dans le dsir, pas de morsure sur l'tre, pas de satit, mais avenirsans jalons devant moi 25 . Cette ouverture sur le toujours--venir, voirel'infini que permet le dsir est aussi une forme de respect de l'autre,puisqu'elle le maintient toujours distance et ne peut ainsi le rduire dumme. Pour qu'il y ait du mme et de l'autre, il faut une sparation dlimitantles territoires respectifs de chacun. Cette sparation renvoie les termes leursolitude inalinable, mais c'est bien en tant que solitudes que l'un et l'autrepeuvent se rencontrer: La sparation est la constitution mme de lapense et de l'intriorit, c'est--dire d'une relation dans l'indpendance 26. Sans indpendance, l'autre perd de l'altrit, puisqu'il est ramen dumme. La dpendance est dj une tentative de possession et est une formede pression pour rduire l'autonomie de l'autre. L'un et l'autre doivent serencontrer en tant que diffrences absolues, c'est seulement de cette faonque chacun conserve son altrit face l'autre. En fait, Levinas souligne que24 Maurice Blanchot, L'entretien infini, p. 28925 Emmanuel Levinas, Totalit et infini, Martinus Nijhoff, La Haye, 1971, p.121.26 Ibid., p.1 07.

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    l'un et l'autre sont en rapport, mais s'absolvent du mme coup de ce rapport,car c'est justement ce qui les spare qui permet qu'ils se retrouvent face face, mais toujours distance. Le chiasme dialogique blanchotien neconsiste en rien d'autre qu' cette approche d'autrui impliquant un dtour,une distance parcourir qui maintient autrui toujours ailleurs o il demeureAutre tout jamais. Le dbut du passage cit plus haut ne commence-t-il pasainsi:

    "Face face en ce calme dtour ?- Personne n'aime rester face face avec ce qui est cach.- Face face, ce serait facile, mais non dans un rapport oblique27

    Ce face face indirect comme structure de la relation renvoie chez Levinas la question du rapport l'infinit du visage de l'autre. En fait, ses rflexionssur la sparation comme espace relationnel sont directement lies laquestion d' avoir l'ide de l'infini en nous . Dj, avoir l'ide de suppose une sparation ncessaire pour poser un regard analytique sur lachose, mais, selon Levinas, avoir l'ide de l'infini implique une sparationplus radicale qui dborde de l'ide adquate. L'ide de l'infini est latranscendance mme qui ne peut tre intgre ou saisie, car elle excdetoute possibilit de totalisation, et c'est pourquoi cette sparation ne peut treanalytique et permettre une saisie (et du mme coup une intgration). Cettesparation est relation la transcendance qui ne peut jamais se laisserintgrer et demeure mystre: une question infinie. Ce n'est toutefois pasparce que le mme est marqu par une insuffisance devant l'infini qu'unetotalisation est impossible, mais bien parce qu'il se retrouve devant laquestion infinie de l'autre. La totalisation est impossible, car il y a toujours del'altrit et de l'infini qui dborde le Tout. L'autre fait figure de transcendance

    27 Maurice Blanchot, L'attente l'oubli, p. 85.

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    pour celui qui lui fait face, car il est le lointain qui ne peut pas trevritablement rencontr, puisqu'il est impossible de se rapporter lui dans unrapport qui annulerait l'infini intervalle de la sparation. Cet intervalle doit tremaintenu pour que l'autre demeure autre tout jamais.

    Levinas nonce clairement que, pour vritablement rencontrer autrui, nousdevons nous maintenir distance afin qu'il demeure insaisissable. Pour cefaire, nous devons en quelque sorte lui faire face indirectement. C'estpourquoi Levinas va jusqu' dire que pour voir le visage de l'autre dans toutesa nudit, il faut viter imprativement de remarquer la couleur de ses yeux.Il est alors prfrable de se perdre dans le noir de sa pupille, dans le centrevide de son oeil o le regard s'abme en non-regard, car, toujours selonLevinas, le regard est connaissance et peut saisir par la perception certainstraits du visage, la forme du nez ou de la bouche, par exemple. Ce regardanalytique fait violence l'extriorit du visage, sa nudit, puisqu'une tellesaisie rduit cet inconnu du connu, le dpouillant donc de ce qui lui permetd'incarner ce dehors insaisissable. Le Mme et l'autre ne sauraient entrerdans une connaissance qui les embrasserait. Les relations qu'entretient l'trespar avec ce qui le transcende ne se produisent pas sur le fond de latotalit, ne se cristallisent pas en systme 28 . Pour que le visage d'autruidemeure toujours Autre , il est ainsi prfrable de demeurer distance, etne pas tenter de le saisir. Bref, pour Levinas le prochain est toujours lelointain qui fait loi et ordonne au mme de se soumettre son appel quitrouble le chez-soi. L'autre est pour lui ultimement un mystre qui attire parson appel et qui ordonne la dpossession de soi pour accueillir sa parole, cequi constitue une responsabilit (et la responsabilit est toujours un pour28 Emmanuel Levinas, op. cit., p. 79.

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    autrui selon lui). Il est donc impratif d'tre responsable de la responsabilitmme d'autrui, et surtout de ne rien lui demander en retour, puisque, si laresponsabilit est un pour autrui, il est ncessaire que l'un s'oublie pourlaisser place l'autre. La relation l'autre est toujours asymtrique,puisqu'tant responsable de sa responsabilit, il n'est possible que detmoigner du fait qu'il est notre loi intime, l'ide-de-I'infini-en-nous :

    L'intriorit n'est pas par consquent un lieu secret quelque part en moi. Elleest ce retournement ou l'minemment extrieur, prcisment en vertu decette extriorit minente, de cette impossibilit d'tre contenu et parconsquent d'entrer dans un thme, infinie exception l'essence meconcerne et me cerne et m'ordonne par ma voix mme. Commandements'exerant par la bouche de celui qu'il commande, l'infiniment extrieur sefait voix intrieure, mais voix tmoignant de la fission du secret intrieur,faisant signe autrui. Signe de cette donation mme du signe. Voietortueuse29

    Enfin, si la loi est pour Levinas la loi du sens de l'autre qui commande dulointain, elle tait plutt chez Heidegger cet tre loi qui prcde le sujet,c'est--dire 1' tre loi de toute loi, la possibilit mme de la loi, de ce qui lafait tre. Cette emphase de Martin Heidegger dans son analytiqueexistentiale sur le sens de l'tre est ce quoi rpond assez viol