le parquet une autorité judiciaire indépendante
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Le parquet, une autorit judiciaire indpendante ? 1
GRANGER Marc-Antoine
Sisme judiciaire 2, tempte sur le parquet
3, procureur () sur la sellette
4,
les arrtsMedvedyev5 etMoulin
6 rendus par la Cour europenne des droits de lHomme les 29
mars et 20 novembre 2010 auraient, selon le professeur Frdric SUDRE, sonn() le glas du
parquet 7. Sans exagrer la porte juridique de ces arrts qui sinscrivent dans une ligne
jurisprudentielle somme toute bien affirme, il convient cependant de ne point ngliger leur
impact sur le droit positif franais. Ils bousculent le statut du parquet au regard de la
Constitution franaise ou, tout le moins, nous interrogent.
Certes, le statut du parquet est un vieux serpent de mer du droit constitutionnel
juridictionnel 8 qui ressurgit pisodiquement que ce soit notamment loccasion des projets
de rforme de la procdure pnale9
ou de diffrentes affaires mdiatico-judiciaires 10
. Dj
en 1994, la lumire des propositions du Comit consultatif pour la rvision de la
Constitution11, le doyen Louis FAVOREU dressait un constat plutt svre mais qui na
malheureusement pas perdu de son acuit : le problme du statut constitutionnel du parquet
1 Marc-Antoine GRANGER, docteur en droit, membre de lIE2IA, ATER lUniversit de Pau et des Pays delAdour.2Jean-Franois RENUCCI, Un sisme judiciaire : pour la Cour europenne des droits de lHomme, lesmagistrats du parquet ne sont pas une autorit judiciaire , D., 2009, p. 600, [en ligne]. Disponible sur[www.dalloz.fr] et Jean-Franois RENUCCI, Laffaire Medvedyev devant la grande chambre : les dits et les
non-dits dun arrt important , D., 2010, p. 1386, [en ligne]. Disponible sur [www.dalloz.fr].3Jean-Pierre MARGUENAUD, Tempte sur le Parquet , comm. sous CEDH, 10 juillet 2008,Medvedyev c/ France,RSC, 2009, p. 176, [en ligne]. Disponible sur [www.dalloz.fr].4Jean-Franois RENUCCI, Un sisme judiciaire : pour la Cour europenne des droits de lHomme, lesmagistrats du parquet ne sont pas une autorit judiciaire , op. cit.5 CEDH, 29 mars 2010,Medvedyev et autres c. France, requte n 3394/03.6 CEDH, 20 novembre 2010, Moulin c. France, requte n 37104/06.7 Frdric SUDRE, Le glas du parquet , somm. sous CEDH, 20 novembre 2010, Moulin c/ France,JCP G, n 49, 6dcembre 2010, [en ligne]. Disponible sur [www.lexisnexis.com].8 Expression emprunte au doyen Louis FAVOREU pour dsigner les travaux relatifs lorganisation ou aufonctionnement de la justice sous langle constitutionnel : Louis FAVOREU, Brves observations sur la situationdu parquet au regard de la Constitution , RSC, 1994, p. 675, [en ligne]. Disponible sur [www.dalloz.fr].9 Mireille DELMAS-MARTY (dir.), La Mise en tat des affaires pnales, rapport de la commission justice pnale etdroits de lHomme, La documentation franaise, janvier 1991, pp. 225, [en ligne]. Disponible sur[www.ladocumentationfrancaise.fr] ; Henri DONNEDIEU DE VABRES, La rforme de linstruction
prparatoire , RSC, 1949, pp. 499 et s. (texte du rapport de la commission sur le code dinstruction criminelle) ;Philippe LEGER (dir.), rapport du comit de rflexion sur la justice pnale, 1er septembre 2009, pp. 59, [en ligne].Disponible sur [www.justice.gouv.fr], et Pierre TRUCHE (dir.), rapport de la commission de rflexion sur la justice, Ladocumentation franaise, juillet 1997, pp. 500, [en ligne]. Disponible sur [www.ladocumentationfrancaise.fr].10 Concernant l affaire dOutreau , v. en particulier le rapport n 3125 de Philippe HOUILLON et de AndrVALLINI, fait au nom de la commission denqute charge de rechercher les causes des dysfonctionnements dela justice dans laffaire dite dOutreau et de formuler des propositions pour viter leur renouvellement, enregistr la prsidence de lAssemble nationale le 6 juin 2006, [en ligne], pp. 585 et suivantes. Disponible sur[www.assemblee-nationale.fr]. Concernant l affaire Woerth-Bettencourt , v. par exemple, AFP, Jugedinstruction pour Woerth-Bettencourt : " pas trop tt " , 26 octobre 2010 ; Eva JOLY (propos recueillis par GrardDAVET), " M. Courroye est un procureur aux ordres " , Le Monde, 16 juillet 2010, p. 11, et la ptition du club justice, droits et scurits lance sur le site du journal en ligne Mediapart demandant louverture duneinstruction : Plus de 27.000 signataires de lappel pour une justice indpendante et impartiale , [en ligne].Disponible sur [www.mediapart.fr]. Concernant laffaire urba , v. notamment, Valry TURCEY, Vers unnouveau pouvoir judiciaire ? , LPA, n 100, 20 aot 1997, p. 3, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr].11
Rapport remis au prsident de la Rpublique le 15 fvrier 1993 par le Comit consultatif pour la rvision de laConstitution, J.O., 16 fvrier 1993, pp. 2537-2555.
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et de ses membres nest toujours pas rsolu, du moins de manire vraiment satisfaisante 12
. A
lheure de la rforme de la garde vue13
et de la procdure pnale plus globalement14
, une
rflexion sur lindpendance du parquet et sur son rle dans la phase prsentencielle du
processus pnal ne peut tre vite dautant que les rcentes dcisions rendues par la Cour
europenne des droits de lHomme et par les juridictions nationales ont dj commenc
produire leurs effets. En tmoigne, par exemple, la loi du 5 janvier 2011 relative la lutte
contre la piraterie et lexercice des pouvoirs de police de lEtat en mer15. Esprant rpondre
aux attentes de la Cour strasbourgeoise, le lgislateur franais a prvu que le procureur de la
Rpublique doit saisir le juge des liberts et de la dtention (JLD) dans un dlai de 48 heures
suivant la mise en uvre des mesures de restriction ou de privation de libert prises
lencontre des personnes bord des navires souponnes davoir commis des actes de
piraterie. Ce magistrat du sige statue dans un dlai de 48 heures sur la prolongation
ventuelle de ces mesures coercitives pour une dure maximale de cinq jours 16 . Plus
rcemment encore, le 14 avril 2011 prcisment, le lgislateur a vot la loi relative la garde
vue17. Prvue initialement pour figurer dans le cadre de la rforme densemble de la
procdure pnale, cette modification du rgime juridique des gardes vue a finalement t
adopte sparment pour tenir compte de la dcision M. Daniel W. et autres rendue par le
Conseil constitutionnel le 30 juillet 201018. Afin de permettre au lgislateur de prendre les
mesures ncessaires dadaptation du droit positif, le Conseil constitutionnel a en effet dcid
de reporter au 1er
juillet 2011 la date deffet de labrogation des dispositions du code de
procdure pnale relatives au rgime commun des gardes vue qui ont t juges contraires
la Constitution19
. Pour tirer les consquences des jurisprudences nationales et europennes,
12
Louis FAVOREU, Brves observations sur la situation du parquet au regard de la Constitution , op. cit.13 V. la loi n 2011-392 du 14 avril 2011 relative la garde vue, J.O. 15 mars 2011, texte n 1, p. 6610. Lajurisprudence de la Cour europenne des droits de lHomme, du Conseil constitutionnel (Cons. const., dcisionn 14/22 QPC, 30 juillet 2010,M. Daniel W. et autres, J.O. 31 juillet 2010, p. 14198) et de la Cour de cassation (Cass.,crim., 19 octobre 2010, n 10-82902 ; Cass., crim., 19 octobre 2010, n 10-82306, et Cass., crim., 19 octobre 2010,n 10-85051) ont rendu ncessaire cette rforme du rgime de la garde vue.14 Lavant-projet du futur code de procdure pnale soumis concertation ([en ligne]. Disponible sur[www.justice.gouv.fr]) prvoit en particulier un cadre juridique unique permettant de mener les investigations depolice judiciaire - lenqute judiciaire pnale - qui se substituerait ainsi lenqute de flagrance, lenquteprliminaire et linstruction prparatoire. La direction des activits de police judiciaire serait assure par le seulprocureur de la Rpublique (art. 221-16 de lavant-projet du futur code de procdure pnale soumis concertation). Pour sa part, le procureur gnral devrait conserver la surveillance des officiers et agents de police
judiciaire (art. 221-13 de lavant-projet du futur code de procdure pnale soumis concertation). V. PhilippeLEGER (dir.), rapport du comit de rflexion sur la justice pnale, op. cit. Pour la mise en vidence de quelquesdifficults lies linstauration de ce cadre unique denqute, v. notamment, Haritini MATSOPOULOU,
Plaidoyer pour lindpendance fonctionnelle des magistrats du parquet , comm. sous CEDH, 29 mars 2010,Medvedyev et autres c. France, requte n 3394/03, Gaz. Pal., n 117, 27 avril 2010, p. 15, [en ligne]. Disponible sur[www.lextenso.fr].15 Loi n 2011-13 du 5 janvier 2011 relative la lutte contre la piraterie et lexercice des pouvoirs de police delEtat en mer, J.O. 6 janvier 2011, n 4, p. 374.16Ibid., art. 6.17 Loi n 2011-392 du 14 avril 2011 relative la garde vue, prc.18 Cons. const., dcision n 2010-14/22 QPC, 30 juillet 2010,M. Daniel W. et autres, prc.19Ibid., considrant n 30. Dans le prolongement de larrt Association AC ! lu par le Conseil dEtat le 11 mai 2004(Rec. p. 197) et de la dcision rendue par le Conseil constitutionnel le 19 juin 2008 propos de la loi relative auxorganismes gntiquement modifis (Cons. const., dcision n 2008-564 DC, 19 juin 2008, Loi relative auxorganismes gntiquement modifis, Rec. 313, considrant n 58), la rvision constitutionnelle du 23 juillet 2008autorise le Conseil constitutionnel moduler dans le temps les effets des abrogations prononces sur lefondement de larticle 61-1 de la Constitution. Larticle 62, alina 2, de la Constitution dispose en effet : unedisposition dclare inconstitutionnelle sur le fondement de larticle 61-1 est abroge compter de la publication
de la dcision du Conseil constitutionnel ou dune date ultrieure fixe par cette dcision. Le Conseilconstitutionnel dtermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont
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cette loi du 14 avril 2011 (promulgue le 15 avril 2011 sans mme avoir t dfre au
Conseil constitutionnel sur le fondement de larticle 61, alina 2, de la Constitution) poursuit
deux objectifs : dune part, matriser le nombre des gardes vue par un encadrement plus
strict des conditions justifiant le recours ces mesures de contrainte et, dautre part,
accrotre de faon significative les droits des personnes gardes vue notamment le droit
lassistance dun avocat 20. Au-del de ces adaptations bienvenues du droit en vigueur,
juges encore trop timides selon certains21, des modifications plus profondes sont prconises.
Ainsi, le groupe de travail sur lvolution du rgime de lenqute et de linstruction
recommande une rvision constitutionnelle tendant modifier le statut du parquet22. Et la
snatrice Nicole BORVO COHEN-SEAT de dclarer quen 2008 nous avons rat le
coche ! 23 . Dans la mme veine, la Commission nationale consultative des droits de
lHomme (CNCDH) estime que, dans le cadre de la rforme de la procdure pnale, des
garanties dindpendance du parquet devraient tre assures, dune part, par une nomination
sur avis conforme dun Conseil suprieur de la magistrature rnov et, dautre part, par la
suppression pure et simple dans les textes des instructions individuelles 24.
Avant dengager plus avant lexamen de la question de lindpendance du parquet, quelques
prcisions liminaires simposent. A ce titre, le parquet rassemble les magistrats du ministre
public, cest--dire le procureur gnral prs la Cour de cassation, les procureurs gnraux
prs les cours dappel, les procureurs de la Rpublique prs les tribunaux de grande instance
et les magistrats placs sous leur direction respective25
. Certains auteurs ont parfois propos
dexpliquer lorigine tymologique de lexpression parquet en indiquant quautrefois, les
reprsentants du ministre public se tenaient, comme les avocats, sur le plancher mme de la
salle daudience, au pied de lestrade sur laquelle sigeaient les juges 26
. Bien que
lexplication nait pas convaincu lensemble de la doctrine, lappellation quant elledemeure
27. Quoi quil en soit, et la lettre de larticle 1
erde lordonnance portant loi
susceptibles dtre remis en cause . Sur cette question, il pourra tre utile de se reporter la communication duConseil constitutionnel : Les effets dans le temps des dcisions QPC du Conseil constitutionnel , avril 2011, [enligne]. Disponible sur [www.conseil-constitutionnel.fr].20 Projet de loi relatif la garde vue n 2855 prsent au nom de M. Franois FILLON, Premier ministre, parMme Michle ALLIOT-MARIE, ministre dEtat, garde des sceaux, ministre de la justice et des liberts, enregistr la prsidence de lAssemble nationale le 13 octobre 2010, [en ligne]. Disponible sur [www.assemblee-nationale.fr].21 Concernant la loi du 5 janvier 2011, v. larticle rdig par Clmentine KLEITZ, La Convention europenne,simple joker , Gaz. Pal., n 13, 13 janvier 2011, p. 3, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr]. Concernant la loidu 14 avril 2011, v. larticle rdig par Haritini MATSOPOULOU, Une rforme inacheve. A propos de la loi du
14 avril 2011 ,JCP G, n 19, mai 2011, 542, [en ligne]. Disponible sur [www.lexisnexis.com].22 Rapport dinformation n 162 de Jean-Ren LECERF et Jean-Pierre MICHEL fait au nom de la commission deslois constitutionnelles, de lgislation, du suffrage universel, du rglement et dadministration gnrale par legroupe de travail sur lvolution du rgime de lenqute et de linstruction, enregistr la prsidence du Snat le8 dcembre 2010, pp. 5 et 43, [en ligne]. Disponible sur [www.senat.fr].23Ibid., p. 47.24 CNCDH, Avis sur la rforme de la procdure pnale, adopt par lAssemble plnire du 10 juin 2010, 22, [enligne]. Disponible sur [www.cncdh.fr].25 Pour davantage de prcisions, v. Jean PRADEL, Procdure pnale, Ed. Cujas, 12me d., Paris, 2004, pp. 127 et s., etMichle-Laure RASSAT, Procdure pnale, Ellipses, Paris, 2010, pp. 170 et s.26 Franois KONING et Stanislas VAILHEN, Le ministre public laudience pnale : tout sauf une " simpleerreur de menuiserie (1re partie), LPA, 28 janvier 1999, n 20, p. 13, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr].27 Selon le professeur Jean-Marie CARBASSE, cette explication nest pas soutenable, dans la mesure o lasparation entre les gens du roi et les juges du " sige " remonte aux dbuts de linstitution, cest--dire unepoque o le sol des salles de justice ntait videmment revtu daucun parquet, et en tout cas bien avant que le
terme " parquet " ne dsigne un tel revtement de sol : Jean-Marie CARBASSE, Histoire du parquet, PUF, Paris,2000, p. 20. V. galement, Jacques HOSSAERT, Ministre public : notion et rle. Rentre solennelle du TGI de
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organique relative au statut des magistrats, les magistrats du parquet font partie du corps
judiciaire linstar des auditeurs de justice et des magistrats du sige28
. Parsa dcision
rendue le 21 fvrier 199229, le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalit de cette
unit du corps judiciaire30
dans la mesure o il a jug que larticle 1er
de lordonnance
statutaire, qui prvoit que " tout magistrat a vocation tre nomm au cours de sa carrire,
des fonctions du sige et du parquet " (), nest pas contraire la Constitution 31 .
Paralllement, et dans le prolongement dune jurisprudence constante, le Conseil
constitutionnel a rcemment raffirm dans sa dcision M. Abderrahmane L., rendue le 6 mai
2011, que lautorit judiciaire comprend la fois les magistrats du sige et du parquet 32.
Or, est-il besoin de rappeler que larticle 66, alina 2, de la Constitution dispose : lautorit
judiciaire, gardienne de la libert individuelle, assure le respect de ce principe dans les
conditions prvues par la loi . Ds lors, le magistrat du parquet, tout autant que son
homologue du sige, est habilit par la Constitution garantir le respect de la libert
individuelle. Ceci explique quau-del de ses principales attributions relatives lexercice de
laction publique, lapplication de la loi33 , lapprciation de lopportunit des poursuites34,
lexcution des peines excutoires35 et la reprsentation de la justice dans les politiques
territorialises 36, le parquet et, en particulier le procureur de la Rpublique, contrlent
certaines mesures denqute privatives de libert linstar de la garde vue. Cest sur ce
terrain dexploration que la problmatique de lindpendance du parquet sera plus
particulirement examine, car cest sous ce prisme que le statut du parquet est sans doute le
plus mis lpreuve. La Cour europenne des droits de lHomme exige en effet que, dans
Nanterre , LPA, n 33, 14 fvrier 2003, p. 3, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr], et Michle-Laure
RASSAT, Procdure pnale, op. cit., p. 170.28 Art. 1er de lordonnance n 58-1270 du 22 dcembre 1958 portant loi organique relative au statut de lamagistrature, J.O. 23 dcembre 1958, p. 11551.29 Cons. const., dcision n 92-305 DC, 21 fvrier 1992, Loi organique modifiant lordonnance n 58-1270 du 22dcembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, RJC I-483.30 V., par exemple, sur cette question : Jrme BETOULLE et Guy CANIVET, Magistrat , Dalloz, Rp. pr. civ.,mars 2005, p. 17, [en ligne]. Disponible sur [www.dalloz.fr], et Louis FAVOREU, Brves observations sur lasituation du parquet au regard de la Constitution , op. cit.31 Cons. const., dcision n 92-305 DC, 21 fvrier 1992, prc., considrant n 10.32 Cons. const., dcision n 2011-125 QPC, 6 mai 2011,M. Abderrahmane L., J.O. 7 mai 2011, texte n 76, considrantn 8. Pour une dcision rendue en ce sens sur le fondement de larticle 61, al. 2, de la Constitution, v. Cons. const.,dcision n 93-326 DC, 11 aot 1993, Loi modifiant la loi n 93-2 du 4 janvier 1993 portant rforme du code deprocdure pnale, Rec. 217, RJC I-552, considrant n 5.33 Larticle 31 du code de procdure pnale dispose : Le ministre public exerce laction publique et requiertlapplication de la loi .34
Larticle 40, alina 1er
, du code de procdure pnale prvoit que le procureur de la Rpublique reoit lesplaintes et les dnonciations et apprcie la suite leur donner () . Certains procureurs estiment que lopportunit des poursuites (sest) transforme en opportunit du mode de poursuite, car la rponse pnaletend devenir obligatoire, mais selon des modes de plus en en plus varis . Lopportunit exercerait davantageses effets sur le choix des modes de poursuite que sur le choix dexercer ou non les poursuites. Dans cetteperspective, on peut se reporter utilement au rapport scientifique de recherche : Florence AUDIER, MayaBEAUVALLET, Eric-Guy MATHIAS, Jean-Luc OUTIN et Muriel TABARIES, Le mtier de procureur de la Rpubliqueou le paradoxe du parquetier moderne, recherche ralise avec le soutien de la Mission de la Recherche Droit et
Justice, 2007, p. 139, [en ligne]. Disponible sur [www.gip-recherche-justice.fr].35 En principe, une peine est ramene excution lorsquelle est excutoire et devenue dfinitive, cest--direlorsque les dlais dopposition, dappel ou de pourvoi en cassation sont expirs. Toutefois, le dlai dappel duprocureur gnral prvu aux articles 505 et 548 du code de procdure pnale ne fait pas obstacle lexcution dela peine privative de libert. Dans cette dernire hypothse, la peine est excutoire mais non encore dfinitive :v. lart. 708 du code de procdure pnale.36 Pour une approche de cette fonction sous langle dune sociologie descriptive et analytique, v. en particulier,
Philip MILBURN, Katia KOSTULSKI et Denis SALAS, Les procureurs. Entre vocation judiciaire et fonctions politiques,PUF, Paris, 2010, pp. 135 et s.
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lexercice de cette mission de protection de la libert individuelle, le magistrat prsente des
garanties dindpendance tant lgard de lexcutif que des parties. Reste dfinir, tout au
moins sommairement, ce quil convient dentendre par indpendance du parquet 37. Pour le
professeur Thierry RENOUX, il sagit de la situation dans laquelle le magistrat na rien
craindre ni dsirer de personne 38
. A loccasion de laudience solennelle de rentre de la
Cour de cassation, le procureur gnral, Jean-Louis NADAL, a raffirm son attachement
lindpendance des magistrats quil considre comme le bien le plus prcieux de la justice
dans la Rpublique . Il a rappel la dfinition quen proposait lun de ses prdcesseurs,
Andr DUPIN : " quelque chose de plus que la libert ", la " libert perfectionne ".
Car " tre indpendant, cest savoir dfendre son opinion, sa croyance et ses actes contre les
attaques du dehors, contre tous ceux qui, sans en avoir le droit, font effort sur notre volont
pour nous imposer la leur ; en un mot, cest savoir tre soi, dans la puret de sa conscience et
de sa conviction (...) " 39. En raison de leur lien avec le pouvoir excutif, des conditions de
leur nomination et du droulement de leur carrire, ainsi que de leur rle lgard des parties
dans le procs pnal, il semble bien difficile dadmettre que les membres du parquet
bnficient des garanties dindpendance susceptibles de satisfaire aux exigences
conventionnelles. Doit-on en dduire, linstar du syndicat de la magistrature, que la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg a disqualifi() le ministre public pour la mission de
37 En premier lieu, il importe de distinguer lindpendance des magistrats judiciaires prvue par larticle 64 de laConstitution et lindpendance des juridictions dans la mesure o, dans le cadre de ces lignes, seule la premireretiendra notre attention. Garanti par larticle 16 de la Dclaration des droits de lHomme et du citoyen du 26 aot1789 (v. par exemple, Cons. const., dcision n 2006-545 DC, 28 dcembre 2006, Loi pour le dveloppement de la
participation et de lactionnariat salari et portant diverses dispositions dordre conomique et social, Rec. 138,considrant n 24), le principe constitutionnel de lindpendance des juridictions (v. par exemple, Cons. const.,dcision n 86-223 DC, 29 dcembre 1986, Loi de finances rectificative pour 1986, Rec. 184, considrant n 5)signifie notamment que ni le lgislateur, ni le gouvernement, non plus quaucune autorit administrative nepeuvent empiter sur leurs fonctions (Cons. const., dcision n 2007-551 DC, 1er mars 2007, Loi organique relativeau recrutement, la formation et la responsabilit des magistrats, Rec. 86, considrant n 10). Il rsulte de ladcision Consorts C. et autres rendue par le Conseil constitutionnel le 2 juillet 2010 que ce principe delindpendance des juridictions est susceptible dtre invoqu lappui dune question prioritaire deconstitutionnalit ( propos des tribunaux maritimes commerciaux (TMC) : Cons. const., dcision n 2010-10 QPC,2 juillet 2010, Consorts C. et autres, J.O. 3 juillet 2010, p. 12120). V. titre complmentaire, Thierry RENOUX, Indpendance de la justice , in Olivier DUHAMEL et Yves MENY (dir.), Dictionnaire constitutionnel, PUF, Paris,1992, pp. 500-502.En deuxime lieu, il convient de ne pas confondre lindpendance avec limpartialit. A la diffrence delindpendance, limpartialit ne se conoit que par rapport soi et non par rapport des influences extrieures. Elle exclut tout militantisme, tout favoritisme () et toute prtention idologique (Jean-Louis BERGEL,
Introduction gnrale , in actes du colloque du Snat, Loffice du juge, 29 et 30 septembre 2006, p. 23, [en ligne].Disponible sur [www.senat.fr]). En consquence, elle exige que le magistrat, quelles que soient ses opinions, soitlibre daccueillir et de prendre en compte tous les points de vue dbattus devant lui (Conseil suprieur de lamagistrature, Recueil des obligations dontologiques des magistrats, Dalloz, Paris, 2010, p. 9). Pour une prsentation dela ncessaire impartialit que les membres du ministre public doivent manifester dans lexercice de leursmissions, v. en particulier, Marc ROBERT, Le rle et le statut du ministre public en Europe : les grandsproblmes et le projet de recommandation du Conseil de lEurope , in Quel ministre public en Europe au XXImesicle, actes de la confrence paneuropenne organise en coopration avec lEcole nationale de la magistrature(22-24 mai 2000), d. du Conseil de lEurope, Strasbourg, 2000, p. 40.En dernier lieu, limpact du budget du ministre de la justice sur lindpendance du ministre public ne sera pasretenu dans le cadre de cette tude. Pour une mise en vidence de cet aspect de lindpendance du ministrepublic, v. par exemple, Darina SVABYOVA, Rle et statut du ministre public , in Quel ministre public enEurope au XXIme sicle, op. cit., p. 89.38 Thierry RENOUX, Le Conseil constitutionnel et lautorit judiciaire. Llaboration dun droit constitutionneljuridictionnel, prface de Louis FAVOREU, Economica, PUAM, Droit public positif, Paris, 1984, p. 99.39
Jean-Louis NADAL, discours prononc loccasion de laudience solennelle de rentre de la Cour de cassation,Paris, 7 janvier 2011, [en ligne]. Disponible sur [www.courdecassation.fr].
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contrle des gardes vue 40
? Telle est lune des questions centrales laquelle cette
contribution se propose de rpondre. Pour ce faire, et dans le cadre qui vient dtre trac, un
rexamen du statut constitutionnel du parquet simpose (I). Il sera alors possible de dmontrer
que ce statut constitutionnel du parquet nest pas vritablement en sursis (II).
40 Syndicat de la magistrature, Observations sur le projet de loi relatif la garde vue dpos lAssemble
nationale le 13 octobre 2010 , Paris, novembre 2010, p. 19, [en ligne]. Disponible sur [www.syndicat-magistrature.org].
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I] Le statut constitutionnel du parquet
Par les apports successifs de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel a
progressivement difi un vritable statut constitutionnel du parquet palliant le relatif silence
du constituant en la matire. Dans loptique de cette tude, trois lments essentiels
constitutifs de ce statut seront mis en exergue. Primo, la Constitution garantit lindpendance
du parquet (A). Secundo, le parquet assure la protection de la libert individuelle (B). Tercio,
le parquet dirige la police judiciaire (C).
A-Lindpendance du parquet constitutionnellement garantieEn 1994, et au terme dune interprtation de la dcision rendue par le Conseil
constitutionnel le 9 juillet 1970 propos de la loi organique relative au statut des magistrats 41,
le doyen Louis FAVOREU indiquait que lindpendance des magistrats du parquet nest pas
constitutionnellement protge 42. En ltat actuel du droit, cette affirmation mrite dtre
pondre, car la jurisprudence constitutionnelle, certes non sans une prudente rserve 43,
garantit lindpendance du parquet.
En cho au quatrime principe formul par la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 en
vertu duquel lautorit judiciaire doit demeurer indpendante () 44, larticle 64 de la
Constitution du 4 octobre 1958 dispose : le Prsident de la Rpublique est garant de
lindpendance de lautorit judiciaire . Est ainsi consacre par la Constitution
lindpendance de lautorit judiciaire45
. Le Conseil constitutionnel assure avec vigilance le
respect de cette indpendance comme lillustre par exemple la dcision quil a rendue le 19juillet 2010 sur saisine de la loi organique relative lapplication de larticle 65 de la
Constitution46. Aprs avoir rappel les termes de larticle 16 de la Dclaration des droits de
lHomme et du citoyen et des articles 64 et 65 de la Constitution, le Conseil juge qu il
rsulte de lensemble de ces dispositions que lindpendance du Conseil suprieur de la
magistrature concourt lindpendance de lautorit judiciaire 47.Bien entendu, la formule
du constituant selon laquelle cest le Prsident de la Rpublique, chef du pouvoir excutif, qui
assure lindpendance de lautorit judiciaire peut paratre bien incongru(e) 48, ou tout le
41 Cons. const., dcision n 70-40 DC, 9 juillet 1970, Loi organique relative au statut des magistrats, Rec. 25, GD 14.42 Louis FAVOREU, Brves observations sur la situation du parquet au regard de la Constitution , op. cit.43 Louis FAVOREU et Loc PHILIP, avec la collaboration de Patrick GAA, Richard GHEVONTIAN, FerdinandMELIN-SOUCRAMANIEN et Andr ROUX, Les grandes dcisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, Grands arrts,14me d., Paris, 2007, p. 183.44Loi constitutionnelle du 3 juin 1958 portant drogation transitoire aux dispositions de larticle 90 de la
Constitution, J.O. 4 juin 1958, p. 5326.45 On peut observer que, non sans une certaine maladresse smantique (le terme droit ntant pas le plusidoine), le Conseil suprieur de la magistrature considre que lindpendance de lautorit judiciaire est un droitconstitutionnel : Conseil suprieur de la magistrature, Recueil des obligations dontologiques des magistrats, op. cit.,p. 1.46 Cons. const., dcision n 2010-611 DC, 19 juillet 2010, Loi organique relative lapplication de larticle 65 de laConstitution, J.O. 23 juillet 2010, p. 13583.47Ibid., considrant n 5.48
Guy CARCASSONNE, La Constitution introduite et commente, prface de G. VEDEL, Seuil, Points, 9me
d., Paris,2009, p. 312.
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moins curieu(se) 49
. On peut regretter que la rvision constitutionnelle du 23 juillet 2008
nait pas fait disparatre cette formulation datant de lge de pierre, car comme lindique le
professeur Guy CARCASSONNE autant proclamer que le loup est garant de la scurit de
la bergerie 50
. Afin de supprimer cette impossibilit constitutionnelle vidente pour un
Prsident () dtre () garant de lindpendance judiciaire 51
, il serait particulirement
judicieux de substituer lactuel article 64, alina 1er, de la Constitution un nonc du type
lautorit judiciaire est indpendante que lon retrouve dans certains textes
constitutionnels sous rserve de quelques variations smantiques 52 . Dailleurs, Nathalie
MERLEY a parfaitement dmontr que le Conseil constitutionnel lorsquil mobilise larticle
64 de la Constitution occulte gnralement la rfrence au rle du Prsident de la Rpublique
de sorte que cest bien plutt la Constitution elle-mme que le chef de lEtat qui garantit
lindpendance 53 de lautorit judiciaire.
Toujours est-il que par sa dcision du 11 aot 1993 rendue propos de la loi portant
rforme du code de procdure pnale, le Conseil constitutionnel a prcis pour la premire
fois que lautorit judiciaire () comprend la fois les magistrats du sige et ceux du
parquet 54. Cette jurisprudence, depuis lors constamment conforte, conduit reconnatre
que lindpendance des magistrats du parquet est constitutionnellement protge55. En effet,
qualifis d autorit judiciaire par le droit constitutionnel jurisprudentiel, les magistrats du
parquet jouissent du mme coup de la garantie constitutionnelle de leur indpendance
conformment larticle 64 de la Constitution. Comme lindique le rapporteur public Mattias
GUYOMAR dans ses conclusions sur larrtMme Nadge A.56
, le principe de lindpendance
de lautorit judiciaire impose que des garanties particulires sattachent la qualit de
49 Jacques ROBERT, La nation et ses juges , RDP, 2006, n 3, p. 547, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr].50 Guy CARSASSONNE, La Constitution introduite et commente, op. cit., p. 312.51 Jacques ROBERT, La nation et ses juges , op. cit.52 V. en particulier, larticle 191 c de la Constitution suisse ( Dans lexercice de leurs comptences
juridictionnelles, les autorits judiciaires sont indpendantes et ne sont soumises qu la loi ) ; larticle 209 de laConstitution de la Rpublique du Burundi ( le pouvoir judiciaire est impartial et indpendant du pouvoirlgislatif et du pouvoir excutif ) ; larticle 65 de la Constitution de la Rpublique arabe dEgypte ( LEtat estsoumis la loi. Lindpendance de la magistrature et son immunit sont deux garanties fondamentales pour laprotection des droits et des liberts ) ; larticle 68, alina 1er, de la Constitution de la Rpublique Gabonaise ( La
justice est une autorit indpendante du pouvoir lgislatif et du pouvoir excutif ), et larticle 99, alina 1er, de laConstitution du Niger ( Le pouvoir judiciaire est indpendant du pouvoir excutif et du pouvoir lgislatif ). Lestextes constitutionnels cits sont notamment accessibles en ligne : [www.accpuf.org]. Parfois, les Constitutionsprcisent explicitement que les membres du parquet bnficient de lindpendance. Cest le cas, par exemple, delarticle 151 de la Constitution belge ( Les juges sont indpendants dans lexercice de leurs comptences
juridictionnelles. Le ministre public est indpendant dans lexercice des recherches et poursuites individuelles,sans prjudice du droit du ministre comptent dordonner des poursuites et darrter des directivescontraignantes de politique criminelle, y compris en matire de politique de recherche et de poursuite : [enligne], disponible sur[www.const-court.be]) ou de larticle 108, alina 2, de la Constitution italienne ( La loiassure lindpendance des juges des juridictions spciales, du ministre public prs ces juridictions et despersonnes trangres la magistrature qui participent ladministration de la justice : [en ligne], disponible sur[http://cdpc.univ-tln.fr]).53 Nathalie MERLEY, Le chef de lEtat et lautorit judiciaire sous la V me Rpublique , RDP, 1997, n 3, p. 713.En ce sens, v. par exemple, Cons. const., dcision n 92-305 DC,21 fvrier 1992, Loi organique modifiantlordonnance n 58-1270 du 22 dcembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, Rec. 27,considrant n 7.54 Cons. const., dcision n 93-326 DC, 11 aot 1993, Loi modifiant la loi n 93-2 du 4 janvier 1993 portant rformedu code de procdure pnale, Rec. 217, RJC I-552, considrant n 5.55 Dans le prolongement de la dcision du 11 aot 1993, v. par exemple, Cons. const., dcision n 97-389 DC, 22avril 1997, Loi portant diverses dispositions relatives limmigration, Rec. 45, considrant n 61 et Cons. const.,
dcision n 2010-80 QPC, 17 dcembre 2010,M. Michel F., J.O. 19 dcembre 2010, p. 22374, considrant n 11.56 CE, sect., 1er octobre 2010,Mme Nadge A., n 311938.
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magistrat, sans incidence sur ce point quil soit du sige ou du parquet 57
. En lespce, et
suivant linterprtation de son rapporteur public, la section du contentieux du Conseil dEtat
en a dduit que les principes constitutionnels de lindpendance de lautorit judiciaire et de la
sparation des pouvoirs impliquent que le dcret de nomination dun magistrat ne peut tre
retir dans les conditions fixes par la jurisprudence Ternon, mais seulement dans celles
formules par le statut de la magistrature58. Reste cependant que les membres du parquet
bnficient de garanties dindpendance moins importantes que leurs homologues du sige59.
En premier lieu, aux termes de larticle 64, alina 4, de la Constitution, les magistrats
du sige sont inamovibles, cest--dire quils ne peu(vent) recevoir sans (leur) consentement
une affectation nouvelle, mme en avancement 60, sauf dplacement doffice prononc au
titre dune sanction disciplinaire61 ou application de la rgle des sept ans pour les chefs de
juridiction des premier et second degrs 62 . La jurisprudence constitutionnelle livre de
nombreux exemples de censures prononces pour violation de linamovibilit des magistrats
du sige. Le 26 janvier 1967, par exemple, le Conseil constitutionnel dclare
inconstitutionnelles les dispositions de la loi organique modifiant et compltant lordonnance
du 22 dcembre 1958 qui ouvraient au Gouvernement la facult daffecter doffice un
emploi de magistrat du sige des conseillers rfrendaires dont les fonctions arrivaient
expiration63
. Toutefois, la diffrence de larticle 107 de la Constitution italienne64
, la
Constitution franaise ne garantit linamovibilit quaux seuls magistrats du sige ce qui
signifie que les parquetiers ne sont donc pas labri de toute affectation nouvelle non
librement consentie65
. Il sagit l dune diffrence fondamentale de situation entre les
magistrats du sige et les magistrats du parquet au regard du degr de leur indpendance.
Reste que lindpendance ne se rduit pas la garantie de linamovibilit et, progressivement,la situation statutaire des membres du parquet sest rapproche de celle des magistrats du
sige. Bien que le pouvoir disciplinaire lgard des magistrats du parquet continue dtre
exerc par le garde des Sceaux66, le lgislateur organique a prvu ds 1994 qu aucune
sanction contre un magistrat du parquet ne peut tre prononce sans lavis de la formation
57 Mattias GUYOMAR, concl. sur CE, sect., 1er octobre 2010, Mme Nadge A., Gaz. Pal., 21 octobre 2010, n 294,p. 16, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr].58 CE, sect., 1er octobre 2010,Mme Nadge A., prc.59 Il est bien sr question de lindpendance lgard du pouvoir excutif puisque par rapport aux parties et aux
juges du sige, les magistrats du parquet jouissent dune indpendance absolue. V. pour une bonne synthse,
Jacques BUISSON et Serges GUINCHARD, Procdure pnale, Litec, 5me
d., Paris, 2009, p. 356.60 Art. 4, alina 2, de lordonnance n 58-1270 du 22 dcembre 1958 portant loi organique relative au statut de lamagistrature, prc.61 Art. 45 de lordonnance n 58-1270 du 22 dcembre 1958 portant loi organique relative au statut de lamagistrature, prc.62 Art. 28-2, 37 et 38-2 de lordonnance n 58-1270 du 22 dcembre 1958 portant loi organique relative au statut dela magistrature, prc.63 Cons. const., dcision n 67-21 DC, 26 janvier 1967, Loi organique modifiant et compltant lordonnance n 58-1270 du 22 dcembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, Rec. 19.64 Art. 107 de la Constitution italienne : Les magistrats sont inamovibles () .65 A titre dillustration jurisprudentielle, le Conseil dEtat a dj jug quaucune disposition ni aucun principegnral du droit ninterdit au Prsident de la Rpublique () de muter doffice dans lintrt du service lesmagistrats qui ne bnficient pas de linamovibilit, notamment ceux qui sont en service ladministrationcentrale du ministre de la justice : CE, 27 juillet 1979,Jeol, n 03748, Rec. 339.66 Art. 48 de lordonnance n 58-1270 du 22 dcembre 1958 portant loi organique relative au statut de la
magistrature, prc. On rappelle que le pouvoir disciplinaire lgard des magistrats du sige est exerc par leConseil suprieur de la magistrature.
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comptente du Conseil suprieur de la magistrature 67
. En outre, et sur le plan
constitutionnel, deux volutions majeures ont permis de renforcer lindpendance des
magistrats du parquet. Dune part, la rvision constitutionnelle du 27 juillet 199368reconnat
lexistence des magistrats du parquet au sein mme de la Constitution, et en particulier, dans
son article 65 en prvoyant que le Conseil suprieur de la magistrature comprend deux
formations, lune comptente lgard des magistrats du sige, lautre lgard des
magistrats du parquet 69. Plus encore elle a subordonn la nomination des magistrats du
parquet lavis du Conseil suprieur de la magistrature (CSM), lexception des procureurs
gnraux nomms en conseil des ministres70. A titre dillustration, le 30 dcembre 2010, le
Conseil dEtat a annul le dcret de nomination aux fonctions davocat gnral prs la Cour
de cassation du procureur gnral prs la Cour dappel de Riom, Marc ROBERT, au motif
que le Conseil suprieur de la magistrature navait justement pas donn son avis sur cette
nomination dans les conditions prvues larticle 65 de la Constitution71. Dautre part, le 23
juillet 200872, la rforme constitutionnelle adopte la suite des travaux du comit de
rflexion et de proposition sur la modernisation et le rquilibrage des institutions de la V me
Rpublique a mis fin la prsidence du CSM par le chef de lEtat73 et la vice-prsidence par
le garde des Sceaux74. La rvision constitutionnelle a en outre tendu la procdure de
consultation du Conseil suprieur de la magistrature pour la nomination de tous les membres
du parquet, y compris le procureur gnral prs la Cour de cassation et les procureurs
67 Art. 20 de la loi organique n 94-101 du 5 fvrier 1994 modifiant lordonnance n 58-1270 du 22 dcembre 1958relative au statut de la magistrature, J.O. 8 fvrier 1994, n 32, p. 2148.68 Loi constitutionnelle n 93-952 du 27 juillet 1993 portant rvision de la Constitution du 4 octobre 1958 etmodifiant ses titres VIII, IX, X et X, J.O. 28 juillet 1993, n 172, p. 10600.69
Art. 1er
de la Loi constitutionnelle n 93-952 du 27 juillet 1993 portant rvision de la Constitution du 4 octobre1958 et modifiant ses titres VIII, IX, X et X, prc.70 Ibid.71 CE, 30 dcembre 2010,M. Robert, n 329513 et 329515.72 Loi constitutionnelle n 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vme Rpublique, J.O.24 juillet 2008, n 1171, p. 11890, texte n 2.73 Saisi de la loi organique relative lapplication de larticle 65 de la Constitution, le Conseil constitutionnel acependant formul une rserve dinterprtation aux termes de laquelle le principe dindpendance des membresdu Conseil suprieur de la magistrature fait galement obstacle ce que le premier prsident et le procureurgnral de la Cour de cassation participent aux dcisions ou aux avis relatifs aux magistrats qui ont,antrieurement, t membres du Conseil suprieur de la magistrature sous leur prsidence (Cons. const.,dcision n 2010-611 DC, 19 juillet 2010, Loi organique relative lapplication de larticle 65 de la Constitution,considrant n 12). Concernant la prsidence du CSM qui est dsormais confie aux chefs de la Cour de cassation,v. notamment, Yves GAUDEMET, Rapport de la Commission Balladur : libres propos croiss de PierreMAZEAUD et Olivier SCHRAMECK , RDP, n 1, 20 aot 2008, p. 3, [en ligne]. Disponible sur
[www.lextenso.fr] ; Jean GICQUEL, Le nouveau Conseil suprieur de la magistrature , JCP G, n 31, 30 juillet2008, I 176, [en ligne]. Disponible sur [www.lexisnexis.com] ; Vincent LAMANDA, discours prononc loccasionde laudience solennelle de rentre de la Cour de cassation, Paris, 7 janvier 2011, [en ligne]. Disponible sur[www.courdecassation.fr] ; Michel LE POGAM, Rforme du Conseil suprieur de la magistrature. Entreouverture et autonomie , JCP G, n 40, 4 octobre 2010, 982, [en ligne]. Disponible sur [www.lexisnexis.com] ;Daniel LUDET, Conseil suprieur de la magistrature : une libert surveille ? , LPA, n 254, 19 dcembre2008, p. 111, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr], et Dominique ROUSSEAU, Un CSM sans tte et sanspouvoirs nouveaux , LPA, n 97, 14 mai 2008, p. 80, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr].74 Sur ce point souvent passez inaperu dans les commentaires doctrinaux, v. Jean-Louis GALLET, Vers unnouveau CSM ? , Gaz. Pal., n 264, 21 septembre 2010, p. 10, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr] ;Stphane PINON, Lencadrement des pouvoirs de nomination du prsident : " lessentiel " dans la rvision du23 juillet 2008 , Droit administratif, n 2, fvrier 2009, tude 3, [en ligne]. Disponible sur [www.lexisnexis.com], et
Jean-Claude ZARKA, La rforme du Conseil suprieur de la magistrature , Gaz. Pal., n 150, 29 mai 2008, p. 8,[en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr]. On remarque cependant que larticle 65, alina 9, de la Constitutionautorise, sauf en matire disciplinaire, le ministre de la justice participer aux sances des formations du CSM.
Cette participation ne peut quencourir la critique : les travaux du CSM auraient gagn tre dgags de la tutellede lexcutif.
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gnraux75
. Interrog sur la question de lindpendance des magistrats du parquet, le garde
des Sceaux, ministre de la justice et des liberts, Michel MERCIER, a rcemment
dclar avoir lintention de dcider comme dira le CSM 76 en suivant toujours ses avis.
Faute dtre expressment transcrite dans le texte de la Constitution, cette dclaration
dintention na, force est de le constater, aucune porte juridique. Ds lors, on mesure
aisment combien il est dplorer que nait pas t entendue, la proposition de soumettre un
avis conforme du Conseil suprieur de la magistrature lensemble des nominations propos
par le garde des Sceaux toutes les fonctions du parquet, dj formule en 1997 par le rapport
tabli par la commission de rflexion sur la justice, prside par le prsident Pierre
TRUCHE77.
En second lieu, lindpendance lendroit des magistrats du parquet ne peut
sexprimer aussi pleinement qu lendroit des magistrats du sige en raison du principe de la
subordination hirarchique des membres du ministre public. Ce principe signifie que les
magistrats du parquet sont soumis leurs suprieurs hirarchiques et en dernier ressort au
garde des Sceaux. Sur ce point, et de faon synthtique, le professeur Michle-Laure
RASSAT dcrit larchitecture du parquet en indiquant que lensemble des magistrats du
ministre public est plac dans une organisation hirarchique, au sommet de laquelle se
trouve le reprsentant du gouvernement pour les questions de justice, cest--dire le garde des
Sceaux, la hirarchie du corps tant, par ailleurs, deux branches. Lune delles est deux
degrs, constitue par le garde des Sceaux, et le procureur gnral prs la Cour de cassation
(qui nest pas le suprieur hirarchique des autres membres du parquet) ; lautre trois
degrs : garde des Sceaux, procureurs gnraux des cours, procureurs de la Rpublique des
tribunaux 78
. Dans sa dcision en date du 2 mars 200479
, le Conseil constitutionnel sestprononc sur les contours de ce principe de subordination hirarchique. En lespce, le
Conseil devait apprcier la constitutionnalit du nouvel article 30 du code de procdure pnale
ainsi rdig : le ministre de la justice conduit la politique daction publique dtermine par
le Gouvernement. Il veille la cohrence de son application sur le territoire de la Rpublique.
A cette fin, il adresse aux magistrats du ministre public des instructions gnrales daction
publique. Il peut dnoncer au procureur gnral les infractions la loi pnale dont il a
connaissance et lui enjoindre, par instructions crites et verses au dossier de la procdure,
dengager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction comptente de telles
rquisitions crites que le ministre juge opportunes 80. Le Conseil constitutionnel souligne
quen vertu de larticle 20 de la Constitution le gouvernement dtermine et conduit la
politique de la nation, notamment dans le domaine de laction publique et quen vertu de
75 Art. 31 de la loi constitutionnelle n 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V me
Rpublique, prc.76 Samedi sur RTL, le ministre de la Justice navait pas t aussi radical dans son opposition BriceHORTEFEUX. Ecoutez ce que Michel Mercier disait de laffaire samedi , [en ligne]. Disponible sur [www.rtl.fr].77 Pierre TRUCHE (dir.), Rapport de la commission de rflexion sur la justice, op. cit., p. 35. Concernant lavortement dela rforme constitutionnelle, v. par exemple, Olivia DUFOUR, Rforme de la justice : qui a peur delindpendance des juges ? , LPA, n 17, 25 janvier 2000, p. 3, [en ligne]. Disponible sur [www.lextenso.fr].78 Michle-Laure RASSAT, Procdure pnale, op. cit., p. 174.79 Cons. const., dcision 2004-492 DC, 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux volutions de la
criminalit, Rec. 66, GD 50.80Ibid., considrant n 96.
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En dfinitive, la Constitution garantit lindpendance de lautorit judiciaire. Ds lors,
en qualifiant les membres du parquet d autorit judiciaire , le Conseil constitutionnel
reconnat invitablement quils bnficient linstar des magistrats du sige de cette
indpendance. Toutefois, pour filer la mtaphore scalaire, lindpendance reconnue au plan
constitutionnel lautorit judiciaire comprend en ralit deux niveaux : au niveau infrieur,
lindpendance relative dont bnficient les magistrats du parquet, et au niveau suprieur,
lindpendance pleine et entire dont jouissent les magistrats du sige. En tout tat de
cause, la qualification de membre de lautorit judiciaire qui est accorde au magistrat du
parquet engendre une autre consquence sur le plan constitutionnel : au mme titre que la
magistrature assise, la magistrature debout est garante de la protection de la libert
individuelle87.
B-La protection de la libert individuelle par le parquetconstitutionnellement garantie
Larticle 66, alina 2, de la Constitution est fort connu : lautorit judiciaire,
gardienne de la libert individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions
prvues par la loi . Est ainsi formul ce que certains appellent le principe de la garantie
judiciaire 88. Il suppose lintervention de lautorit judiciaire ds lors quil est port atteinte
la libert individuelle. On rappelle que la libert individuelle se dfinit classiquement par
deux mots : habeas corpus, ce qui signifie littralement avoir son corps . En substance, et
au-del de la garantie contre les arrestations et les dtentions arbitraires, la libert individuelle
constitue le point de rencontre 89 de certaines liberts qui, tout en bnficiant dune
protection constitutionnelle autonome, intgrent le rgime de protection de la libertindividuelle partir dun certain degr de contrainte. En tout cas, le Conseil constitutionnel a
jug que la garde vue est assurment une mesure de police judiciaire qui met en cause la
libert individuelle 90. Autrement dit, elle doit ncessairement tre place sous le contrle de
lautorit judiciaire. Dans sa dcision rendue le 11 aot 1993, le Conseil constitutionnel a jug
conforme larticle 66 de la Constitution, lintervention du procureur de la Rpublique dans
le plus bref dlai possible 91 pour assurer le respect de la libert individuelle au cours dune
garde vue dcide par un officier de police judiciaire92. Plus encore, le juge constitutionnel
admet qu lissue du dlai de vingt-quatre heures leprocureur de la Rpublique peut dcider
de la prolongation de la garde vue pour un nouveau dlai de vingt-quatre heures sans pour
87 Lexpression magistrature debout dsigne les magistrats du parquet qui se lvent pour prendre la parole laudience la diffrence des magistrats du sige qui demeurent assis. En ce sens, v. par exemple, GrardCOUCHEZ et Xavier LAGARDE, Procdure civile, Dalloz, Sirey, 16me d., Paris, 2011, p. 146.88 Mireille DELMAS-MARTY (dir.), La Mise en tat des affaires pnales, op. cit., p. 71.89 Louis FAVOREU et alii., Droit constitutionnel, Dalloz, Prcis, 12me d., Paris, 2009, p. 909. Concernant ladfinition des contours de la libert individuelle, v. galement, Bertrand MATHIEU et Michel VERPEAUX,Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, LGDJ, Manuels, Paris, 2002, pp. 533 et s. et Annabelle PENA-SOLER, Les rapports entre la libert individuelle et la libert daller et venir dans la jurisprudence du Conseilconstitutionnel, thse pour le doctorat en droit, Universit dAix-Marseille III, 1998, pp. 511.90 Cons. const., dcision n 93-326 DC, 11 aot 1993, Loi modifiant la loi n 93-2 du 4 janvier 1993 portant rformedu code de procdure pnale, Rec. 217, considrant n 3.91
Ibid.92Ibid.
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se dduit de la nature judiciaire de la mesure de police envisage, a conquis les rivages du
droit constitutionnel jurisprudentiel100
. Son rattachement au bloc de constitutionnalit peut
tre fond sur les dispositions de larticle 66 de la Constitution comme le suggre lanalyse de
la dcision M. Jean-Victor C. rendue le 16 septembre 2010101
. A propos du contrle de
constitutionnalit des dispositions relatives au fichier national automatis des empreintes
gntiques (FNAEG), le Conseil constitutionnel indique que le prlvement biologique dcid
par lofficier de police judiciaire aux fins de rapprochement ou de conservation au fichier,
ncessairement accompli dans le cadre dune enqute ou dune instruction judiciaires, est
plac sous le contrle du procureur de la Rpublique ou du juge dinstruction, lesquels
dirigent son activit conformment aux dispositions du code de procdure pnale . Il en
dduit que le grief tir de la mconnaissance de larticle 66 de la Constitution doit tre
cart 102. Ce raisonnement par lequel le Conseil constitutionnel relie le contrle de lautorit
judiciaire sur la police judiciaire aux dispositions de larticle 66 de la Constitution a t
expressment confirm le 10 mars 2011 dans la dcision rendue propos de la loi
dorientation et de programmation pour la performance de la scurit intrieure (LOPPSI)103.
Cette direction et ce contrle quexerce lautorit judiciaire sur les dispositifs de police
judiciaire revtent cependant des modalits dapplication diffrentes selon les cadres
dintervention de la police judiciaire : avant louverture dune procdure dinformation, la
direction et le contrle de la police judiciaire sont assurs par le procureur de la Rpublique ;
une fois linformation ouverte, la police judiciaire est dirige et contrle par le juge
dinstruction104. Dans le cadre de cette analyse, cest videmment la direction et le contrle de
la police judiciaire avant louverture dune procdure dinformation qui retiendront notre
attention puisquils sont les seuls tre raliss par le parquet105
.
Charg dorganiser la rpression des infractions avec le concours des forces de
scurit intrieure et dexercer laction publique, le procureur de la Rpublique dirige et
contrle la police judiciaire en toute hypothse 106, cest--dire quelles que soient les
personnes comptentes pour constater les infractions aux dispositions pnalement
sanctionnes, en rassembler les preuves et en rechercher les auteurs 107
. Ainsi par exemple,
saisi de la constitutionnalit des dispositions lgislatives qui confiaient aux fonctionnaires
de ladministration des tlcommunications habilits () et asserments 108 le pouvoir de
100
Concernant la dimension constitutionnelle de la distinction police administrative / police judiciaire, v. Marc-Antoine GRANGER, Constitution et scurit intrieure. Essai de modlisation juridique, thse pour le doctorat en droit,Universit de Pau et des Pays de lAdour, 2010, pp. 99 et s.101 Cons. const., dcision n 2010-25 QPC, 16 septembre 2010,M. Jean-Victor C., J.O. 17 septembre 2010, p. 16847.102Ibid., considrant n 12.103 Cons. const., dcision n 2011-625 DC, 11 mars 2011, Loi dorientation et de programmation pour laperformance de la scurit intrieure, J.O. 15 mars 2011, n 0062, texte n 3, p. 4630, considrant n 59.104 Pour une illustration jurisprudentielle rcente relative au contrle ralis par le procureur de la Rpublique oule juge dinstruction loccasion de la mise en uvre des traitements de donnes caractre personnel au moyendes logiciels de rapprochement judiciaire, v. Cons. const., dcision n 2011-625 DC, 10 mars 2011, prc.,considrant n 71.105 En ce qui concerne la direction de la police judiciaire assure par le juge dinstruction, v. Marc-AntoineGRANGER, Constitution et scurit intrieure. Essai de modlisation juridique, op. cit., pp. 204 et s.106 Cons. const., dcision n 97-389 DC, 22 avril 1997, prc., considrant n 19.107 Cons. const., dcision n 90-281 DC, 27 dcembre 1990, Loi sur la rglementation des tlcommunications,
Rec. 91, considrant n 7.108Ibid., considrant n 2.
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au sens de larticle 5 3 de la Convention. Le statut constitutionnel du parquet serait-il ds
lors menac de disparatre sous la pression des exigences formules par la Cour de
Strasbourg ? Telle est la question laquelle il convient de rpondre.
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Convention122
. En lespce, outre limprcision des textes fondant leur privation de libert, les
membres de lquipage dnoncent avoir subi une privation arbitraire de libert en ayant t
dtenus pendant treize jours sur le Winnersans contrle de la part de lautorit judiciaire. Au
titre de la violation de larticle 5 1, la Cour accueille la demande des requrants considrant
quils nont pas t privs de leur libert selon les voies lgales 123
. En effet, pour la Cour,
laccord donn par le gouvernement cambodgien aux autorits franaises dintercepter
le Winnernorganisait pas les conditions de la privation de libert bord, notamment (les)
possibilits pour les intresss de contacter un avocat ou des proches 124. De faon quelque
peu acrobatique 125 (la qualification conventionnelle du procureur de la Rpublique
relevant logiquement de larticle 5 3 de la Convention et non de larticle 5 1), la Cour
ajoute que les mesures prises par les marins du commando franais ntaient pas places sous
le contrle de lautorit judiciaire. Pourtant, le procureur de la Rpublique contrlait les
mesures prises bord par les forces militaires franaises. Cest affirmer que pour la Cour le
procureur de la Rpublique nest pas une " autorit judiciaire " (). Il lui manque en
particulier lindpendance lgard du pouvoir excutif pour pouvoir tre ainsi
qualifi () 126. En revanche, la mme Cour dcide quil ny a pas eu violation de larticle 5
3 de la Convention. Aprs avoir rappel que la dtention impose aux requrants bord
du Winnerntait pas sous la supervision dune " autorit judiciaire " au sens de larticle 5
de la Convention et qu ils nont donc pas bnfici de la protection contre larbitraire
quoffre un encadrement de cette nature , la Cour juge effectivement que la dure de la
privation de libert subie par les requrants se trouve justifie par les circonstances tout
fait exceptionnelles 127
de laffaire. Par cet arrt, certes non dfinitif, la Cour europenne
considre ainsi que le manque dindpendance du procureur de la Rpublique lgard du
pouvoir excutif fait obstacle ce quil soit considr comme une autorit judiciaire au sensde larticle 5 de la Convention. A la demande du gouvernement franais et des requrants,
laffaire a t renvoye devant la grande chambre de la Cour europenne.
122 On rappelle que larticle 5 1 de la Convention europenne dispose : toute personne a droit la libert et lasret. Nul ne peut tre priv de sa libert, sauf dans les cas suivants et selon les voies lgales :a) sil est dtenu rgulirement aprs condamnation par un tribunal comptent ;
b) sil a fait lobjet dune arrestation ou dune dtention rgulires pour insoumission une ordonnance rendue,conformment la loi, par un tribunal ou en vue de garantir lexcution d'une obligation prescrite par la loi ;c) sil a t arrt et dtenu en vue dtre conduit devant lautorit judiciaire comptente, lorsquil y a des raisonsplausibles de souponner quil a commis une infraction ou quil y a des motifs raisonnables de croire la
ncessit de lempcher de commettre une infraction ou de senfuir aprs laccomplissement de celle-ci(hypothse vise en lespce) ;d) sil sagit de la dtention rgulire dun mineur, dcide pour son ducation surveille ou de sa dtentionrgulire, afin de le traduire devant lautorit comptente ;e) sil sagit de la dtention rgulire dune personne susceptible de propager une maladie contagieuse, dunalin, dun alcoolique, dun toxicomane ou dun vagabond ;f) sil sagit de larrestation ou de la dtention rgulires dune personne pour lempcher de pntrerrgulirement dans le territoire, ou contre laquelle une procdure dexpulsion ou dextradition est en cours .Quant larticle 5 3, il prescrit : toute personne arrte ou dtenue, dans les conditions prvues au paragraphe1 c) du prsent article, doit tre aussitt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilit par la loi exercerdes fonctions judiciaires et a le droit dtre juge dans un dlai raisonnable, ou libre pendant la procdure. Lamise en libert peut tre subordonne une garantie assurant la comparution de lintress l'audience .123 CEDH, 10 juillet 2008,Medvedyev et autres c. France, prc., 62.124Ibid., 61.125 Jean-Pierre MARGUENAUD, Tempte sur le Parquet , op. cit.126
CEDH, 10 juillet 2008,Medvedyev et autres c. France, prc., 61.127Ibid., 68.
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Le deuxime volet jurisprudentieldate du 29 mars 2010128
: il sagit de larrt rendu
par la grande chambre dans laffaire Medvedyev et autres. La Cour confirme la violation de
larticle 5 1 au motif que les autorits franaises sont intervenues sur le fondement dun
accord ad hoc qui ntait pas suffisamment prvisible 129
. En fondant exclusivement sa
motivation autour du principe gnral de scurit juridique 130
, la Cour ne ritre pas sa
digression relative au contrle de l autorit judiciaire sur la privation de libert. Afin de se
conformer aux observations de la Cour de Strasbourg sur ce point, le lgislateur a adopt le 5
janvier 2011 un rgime juridique spcifique pour la dtention bord des personnes
interpelles dans le cadre de laction de lEtat en mer131. Concernant le moyen tir de la
violation de larticle 5 3 de la Convention, la Cour europenne des droits de lHomme
commence par rappeler que cet article suppose un contrle judiciaire rapide et
automatique afin de garantir une protection contre les comportements arbitraires, les
dtentions au secret et les mauvais traitements 132. Elle indique galement que le magistrat
qui contrle les dtentions doit prsenter les garanties requises dindpendance lgard de
lexcutif et des parties, ce qui exclut notamment quil puisse agir par la suite contre le
requrant dans la procdure pnale, linstar du ministre public 133. A cet gard, elle juge
que les autorits franaises ont satisfait cette exigence dans la mesure o les requrants ont
t prsents des juges dinstruction, lesquels sont assurment susceptibles dtre qualifis
de " juge ou autre magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires " au sens de
larticle 5 3 de la Convention , dans un dlai de huit neuf heures aprs leur placement en
garde vue. Par ailleurs, le fait que la prsentation aux juges dinstruction nait pu tre
ralise quaprs treize jours de maintien en dtention sur le Winner se trouve justifi par des
circonstances tout fait exceptionnelles 134
: il tait matriellement impossible de prsenter
physiquement les requrants aux juges dinstruction dans un dlai plus court. Par consquent,la grande chambre considre quil ny pas eu de violation de larticle 5 3.
Dans un communiqu de presse, le garde des Sceaux, ministre de la justice et des
liberts, Michle ALLIOT-MARIE, prcise : la CEDH dans sa dcision ne remet pas en
cause le statut du parquet franais. Cela met fin aux interprtations que certains ont voulu
donner depuis le premier arrt de la Cour, le 10 juillet 2008. La Cour rappelle uniquement les
principes qui se dgagent de sa jurisprudence sagissant des caractristiques que doit avoir un
juge ou un magistrat habilit pour remplir les conditions poses par la convention europenne
128 CEDH, 29 mars 2010,Medvedyev et autres c. France, prc.129 Ibid., 100.130 Ibid., 102. Selon la jurisprudence de la Cour, ce principe signifie que les conditions de la privation de liberten vertu du droit interne et/ou du droit international soient clairement dfinies et que la loi elle-mme soitprvisible dans son application, de faon remplir le critre de " lgalit " fix par la Convention, qui exige quetoute loi soit suffisamment prcise pour viter tout risque darbitraire et pour permettre au citoyen ensentourant au besoin de conseils clairs de prvoir, un degr raisonnable dans les circonstances de la cause,les consquences de nature driver dun acte dtermin ( 80).131 Loi n 2011-13 du 5 janvier 2011 relative la lutte contre la piraterie et lexercice des pouvoirs de police delEtat en mer, prc.132 CEDH, 29 mars 2010,Medvedyev et autres c. France, prc., 118.133
Ibid., 124.134Ibid., 130 et 131.
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des droits de lHomme en matire de dtention 135
. Reprenant le titre du clbre film de
Patrice LECONTE, la position du gouvernement franais est claire : circulez y a rien
voir . Pour sa part, le syndicat de la magistrature ne lentend pas ainsi et estime au contraire
que, loin dtre clos, les dbats autour du ministre public ne font que commencer 136
. La
vrit juridique est que, sur le plan conventionnel, lindpendance du parquet est loin dtre
acquise. Pour dterminer si un magistrat jouit ou non de lindpendance au sens de larticle 5
3, la Cour europenne apprcie la fois des critres objectifs tenant au statut du juge (sont
examins notamment le mode de dsignation ou les garanties contre les pressions extrieures)
et un critre subjectif tenant l apparence dindpendance aux yeux du justiciable 137. En
particulier, si lindpendance nexclut pas toute subordination dautres magistrats, cest sous
rserve quils jouissent eux-mmes dune indpendance analogue138. Or, lintervention du
pouvoir excutif dans la nomination et le droulement de carrire des magistrats du parquet139,
les ordres que le garde des Sceaux peut leur intimer par voies dinstructions140, le fait que les
parquetiers ne sont pas inamovibles141 et quils sont susceptibles dagir la fois en tant
quautorit de poursuite et en tant quautorit dinstruction au sens de la Convention
europenne142, sont autant dlments qui conduisent considrer que le parquet ne bnficie
pas de lindpendance requise pour tre qualifi dautorit judiciaire au sens de larticle 5 3
de la Convention. Pour rsumer, la situation constitutionnelle du parquet et la situation
conventionnelle du parquet divergent quant lapprciation de son caractre indpendant. En
caricaturant, la question de savoir si le parquet est ou non indpendant deux rponses se
profilent. Dun ct, la rponse du Conseil constitutionnel qui sexprime sous la forme dun
oui mais . De lautre, la rponse de la Cour europenne qui est un non catgorique .
Ce dfaut dindpendance du parquet dj manifeste au regard des solutionsconsacres par la jurisprudence europenne dans laffaireMedvedyev est confirm avec larrt
Moulin c. France rendu par la Cour europenne des droits de lHomme le 23 novembre
2010143. Il sagit du troisime et dernier volet de la trilogie jurisprudentielle. En lespce, la
requrante, matre France Moulin, avocate au barreau de Toulouse a t arrte Orlans et
place en garde vue le 13 avril 2005 dans le cadre dune commission rogatoire ouverte pour
135 Michle ALLIOT-MARIE, CEDH : arrtMedvedyev. Le garde des Sceaux prend acte de la condamnation de laFrance pour la dtention de lquipage dun navire arraisonn dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogueen haute-mer , communiqu de presse, 29 mars 2010, [en ligne]. Disponible sur [www.presse.justice.gouv.fr].136
Syndicat de la magistrature, ArrtMedvedyev : le parquet franais nest toujours pas une autoritjudiciaire... , communiqu de presse du 29 mars 2010, [en ligne]. Disponible sur [www.syndicat-magistrature.org].137 V. notamment CEDH, 28 juin 1984, Campbell et Fell c. Royaume-Uni, requte nos 7819/77 et 7878/77, A 80, 78.138 CEDH, 4 dcembre 1979, Schiesser c. Suisse, requte n 7710/76, A 34, 31.139 V. supra. I A140 Pour une illustration jurisprudentielle a contrario, v. par exemple, CEDH, 4 dcembre 1979, Schiesser c. Suisse,requte n 7710/76, A 34, 35 ( le procureur de district de Winterthour navait reu de la direction de la justiceou du gouvernement cantonal, comme dailleurs du procureur gnral, ni conseils ni instructions avant de placerlintress en dtention provisoire ).141 V. supra. I A142 V. par exemple, CEDH, 26 novembre 1992, Brincat c. Italie, requte n 13867/88, A 249-A, 17 et s. ; CEDH, 28octobre 1998, Assenov et autres c. Bulgarie, requte n 24760/94, Rec. 1998-VIII, 144 et s., et CEDH, 3 juin 2003,Pantea c/ Roumanie, requte n 33343/96, Rec. 2003-VI, 236 et s. Pour le Conseil constitutionnel en revanche, lefait que le procureur de la Rpublique soit en charge de la poursuite et de la preuve nest pas contraire la
Constitution : Cons. const., dcision n 80-127 DC, 19 et 20 janvier 1981, prc., considrant n 33.143 CEDH, 23 novembre 2010,Moulin c. France, prc.
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trafic de stupfiants et blanchiment des produits de ce trafic. Le lendemain, elle a t conduite
Toulouse pour assister la perquisition de son cabinet en prsence des juges dinstruction
orlanais. Le mme jour, un juge dinstruction toulousain a prononc la prolongation de la
garde vue sans avoir entendu au pralable la requrante. Le 15 avril 2005, lissue de sa
garde vue, elle a t prsente devant le procureur de la Rpublique adjoint prs le tribunal
de grande instance de Toulouse, qui a ordonn sa conduite en maison darrt en vue de son
transfrement devant les juges dinstruction orlanais qui ont dcern un mandat damener
son encontre. Le 18 avril 2005, les juges dinstruction dOrlans ont procd linterrogatoire
de premire comparution de la requrante et lont mise en examen pour rvlation
dinformations issues dune enqute ou dune instruction en cours, blanchiment de produits
provenant de trafics de stupfiants, blanchiment aggrav, et sortie illicite de correspondance
remise par un dtenu personne habilite. Dans le mme temps, le juge des liberts et de la
dtention du tribunal de grande instance dOrlans a ordonn sa dtention provisoire. Devant
la Cour europenne des droits de lHomme, la requrante invoque une violation de larticle 5
3 de la Convention dans la mesure o elle navait pas t aussitt traduite devant un
juge ou un autre magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires . Dans la
veine de la jurisprudenceBrogan144, la Cour europenne rappelle qu une priode de garde
vue de quatre jours et six heures sans contrle judiciaire allait au-del des strictes limites de
temps fixes par larticle 5 3, mme quand elle a pour but de prmunir la collectivit dans
son ensemble contre le terrorisme, ce qui ntait au demeurant pas le cas en lespce 145
. En
loccurrence, la Cour constate quentre le placement en garde vue de matre France Moulin
le 13 avril 2005 et sa prsentation aux juges dinstruction dOrlans le 18 avril 2005 pour
linterrogatoire de premire comparution , plus de cinq jours se sont couls sans que la
requrante nait t entendue personnellement par les juges dinstruction en vue dexaminer lebien-fond de sa dtention. Reste, il est vrai, quelle a t prsente au procureur de la
Rpublique adjoint du TGI de Toulouse deux jours aprs son arrestation. Ds lors, la Cour
devait dterminer si ce magistrat parquetier pouvait tre qualifi dautorit judiciaire au sens
de larticle 5 3 de la Convention. Aprs une tude exhaustive du statut du parquet146, la Cour
europenne inscrit sa dcision dans le sillage des prcdents Medvedyev en jugeant que le
procureur adjoint de Toulouse, membre du ministre public, ne remplissait pas, au regard de
larticle 5 3 de la Convention, les garanties dindpendance exiges par la jurisprudence
pour tre qualifi, au sens de cette disposition, de " juge ou (...) autre magistrat habilit par la
loi exercer des fonctions judiciaires " 147.
La solution est dfinitivement entendue, faute dune indpendance suffisante au regard
des critres formuls par la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lHomme, le
procureur de la Rpublique nest pas une autorit judiciaire au sens de larticle 5 3 de la
Convention. Pour autant, la pice en trois volets jurisprudentiels termine, le spectateur reste
144 CEDH, 29 novembre 1988, Brogan et autres c. Royaume-Uni, requtes nos 11209/84, 11234/84, 11266/84 et11386/85, A 145-B.145 CEDH, 23 novembre 2010,Moulin c. France, prc., 61.146
Ibid., 21 et s.147Ibid., 59.
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sur sa fin, car les dcisions Medvedyev et Moulin ne remettent pas vraiment en cause la
possibilit pour le parquet de garantir la protection de la libert individuelle.
B- La protection de la libert individuelle par le parquet maintenueTirant les leons des arrtsMedvedyev etMoulin, la chambre criminelle de la Cour de
cassation a jug dans un arrt du 15 dcembre 2010 que cest tort que la chambre de
linstruction a retenu que le ministre public est une autorit judiciaire au sens de larticle 5
3 de la Convention europenne des droits de lHomme, alors quil ne prsente pas les
garanties dindpendance et dimpartialit requises par ce texte et quil est partie
poursuivante 148. Les juges du quai de lhorloge reviennent ainsi sur leur jurisprudence
traditionnelle selon laquelle le procureur de la Rpublique, magistrat de lordre judiciaire
qui a pour mission de veiller lapplication de la loi , est bien cet autre magistrat habilit
exercer des fonctions judiciaires au sens de larticle 5 3 de la Convention europenne de
sauvegarde des droits de lHomme et des liberts fondamentales 149 . Sil mrite dtre
soulign, le revirement semble devoir tre relativis lorsque dans le mme arrt du 15
dcembre 2010 la chambre criminelle admet que le procureur de la Rpublique peut
cependant garantir la protection de la libert individuelle pendant toute la dure de la priode
juge compatible avec lexigence de brivet 150
impose par la Cour europenne des
droits de lHomme. Quelques mots dexplication simposent.
Larticle 5 3 de la Convention dispose : Toute personne arrte ou dtenue, dans
les conditions prvues au paragraphe 1 c) du prsent article, doit tre aussitt traduite devant
un juge ou un autre magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires et a ledroit dtre juge dans un dlai raisonnable, ou libre pendant la procdure. La mise en
libert peut tre subordonne une garantie assurant la comparution de lintress
laudience . Dans la jurisprudence europenne, lexigence du contrle judiciaire sur les
arrestations ou les dtentions est subordonne la condition de temps formule par ladverbe
aussitt . En dautres termes, cette exigence ne simpose quau-del dun certain dlai.
Toute la difficult est de dterminer prcisment ce dlai, la Cour nayant jamais pris le soin
dindiquer ce quil fallait entendre par aussitt . Elle a seulement jug quun dlai de
quatre jours et six heures tait excessif151. De sorte que la prsentation lautorit judiciaire
ne parat simposer qu partir de lexpiration du dlai maximum de quatre jours darrestation
ou de dtention au sens de larticle 5 3152. Partant, et supposer cette interprtation vrifie,
il faut admettre que le contrle de la libert individuelle assur par le procureur de la
Rpublique nest pas directement remis en cause. En dautres termes, tant que la garde vue
148 Cass., crim., 15 dcembre 2010, n 10-83674.149 Cass., crim., 10 mars 1992, nos 91-86944 et 92-80389, bull. crim. 1992, n 105, p. 272.150 Cass., crim., 15 dcembre 2010, prc.151 Sur ce point, v. CEDH, 29 novembre 1988, Brogan et autres c. Royaume-Uni, prc., 62 et CEDH, 23 novembre2010,Moulin c. France, prc., 61.152 V. en ce sens Franois FOURMENT, Aprs laffaire MOULIN, encore du grain moudre , comm. sousCEDH, 23 novembre 2010, Moulin c. France, requte n 37104/06, Dalloz, 2011, p. 26, [en ligne]. Disponible sur
[www.dalloz.fr] et Marc GUILLAUME, comm. sous Cons. const., dcision n 2011-125 QPC, 6 mai 2011, M.Abderrahmane L., Cah. Cons. const., [en ligne]. Disponible sur [www.conseil-constitutionnel.fr].
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ne dpasse pas un dlai de quatre jours, le procureur de la Rpublique peut continuer de
contrler le respect de la libert individuelle. En droit franais, cette solution est bien sr
purement thorique puisque la jurisprudence constitutionnelle impose paralllement
lintervention dun magistrat du sige au-del de quarante-huit heures de garde vue. Cest
ainsi que le professeur Franois FOURMENT peut crire juste titre, non sans une certaine
ironie, que le droit franais offre plus de garanties que la Convention 153. Dans le mme
sens, lorsquune personne a fait lobjet dun dfrement lissue de sa garde vue la
demande du procureur de la Rpublique, elle comparat le jour mme devant ce magistrat ou,
en cas douverture dune information, devant le juge dinstruction saisi de la procdure154. En
cas de ncessit et par drogation ce principe, la personne peut comparatre le jour suivant
et peut tre retenue cette fin dans des locaux de la juridiction spcialement amnags, la
condition que cette comparution intervienne au plus tard dans un dlai de vingt heures
compter de lheure laquelle la garde vue a t leve, dfaut de quoi lintress est
immdiatement remis en libert 155. Par sa dcision M. Michel F. rendue le 17 dcembre
2010156, le Conseil constitutionnel a dclar conforme la Constitution la privation de libert
ncessaire la prsentation de la personne devant un magistrat lissue de sa garde vue et,
le cas chant, le lendemain de celle-ci. Il a cependant formul une rserve dinterprtation :
la privation de libert (), lissue dune mesure de garde vue prolonge par le procureur
de la Rpublique, mconnatrait la protection constitutionnelle de la libert individuelle si la
personne retenue ntait pas effectivement prsente un magistrat du sige avant
lexpiration du dlai de vingt heures 157 susvis. Autrement dit, dans cette hypothse, la
prsentation effective devant un magistrat du sige doit intervenir avant la soixante-huitime
heure, cest--dire, l encore, bien avant le dlai de quatre jours darrestation ou de dtention
au sens de larticle 5 3 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de lHommeet des liberts fondamentales. Faisant cho cette dcision, la loi du 14 avril 2011 relative la
garde vue prvoit que lorsque la garde vue a t prolonge mais que cette prolongation
na pas t ordonne par le juge des liberts et de la dtention ou par un juge dinstruction, la
personne retenue doit tre effectivement prsente la juridiction saisie ou, dfaut, au juge
des liberts et de la dtention avant lexpiration du dlai de vingt heures 158
. Par ailleurs, afin
dviter que des privations de libert durent plus de quatre jours sans intervention dun
magistrat du sige, le lgislateur a galement modifi dans cette mme loi les modalits
dexcution des mandats damener ou darrt. Il indique que la personne interpelle plus de
200 kilomtres du juge mandant doit tre prsente devant le JLD et non plus devant le
procureur de la Rpublique159.
153 Franois FOURMENT, Aprs laffaire MOULIN, encore du grain moudre , op. cit.154 Art. 803-2 du CPP, jug conforme la Constitution : Cons. const., dcision n 2011-125 QPC, 6 mai 2011,M. Abderrahmane L., prc.155 Art. 803-3 du CPP. Cette procdure dite du petit dpt , autorise par larticle 803-3 du code de procdurepnale, nest permise que lorsque la comparution le jour mme savre impossible. De surcrot, elle suppose lerespect dun certain nombre de garanties et est interdite lorsque la garde vue a dur plus de soixante-douzeheures.156 Cons. const., dcision n 2010-80 QPC, 17 dcembre 2010,M. Michel F., J.O. 19 dcembre 2010, p. 22374.157Ibid., considrant n 11.158 Art. 17 de la loi n 2011-392 du 14 avril 2011 relative la garde vue, prc. Conformment lart. 26 de cette
mme loi, cette disposition nentrera en vigueur quau 1er
juin 2011.159 Art. 22 de la loi n 2011-392 du 14 avril 2011 relative la garde vue, prc.
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En dfinitive, le statu quo semble pouvoir tre maintenu : le statut constitutionnel du
parquet pourrait encore avoir de beaux jours devant lui. Sur le plan constitutionnel, ni
lindpendance des parquetiers, et des procureurs de la Rpublique en particulier, ni leur
pouvoir de diriger la police judiciaire, nont jamais t expressment contests par la Cour
europenne des droits de lHomme160. Quant leur rle de garant de la libert individuelle au
sens de larticle 66 de la Constitution, il nest pas directement affect par ses arrts les plus
rcents. Dailleurs, la loi du 14 avril 2011 relative la garde vue ne modifie pas la donne sur
ce point. Alors quelle consacre un certain nombre de droits au profit du gard vue161,
notamment le droit tant attendu lassistance de lavocat au cours de la garde vue162, cette
loi laisse subsister le contrle du procureur de la Rpublique. En tmoigne la rdaction de
larticle 62-3 quelle cre au sein du code de procdure pnale : La garde vue sexcute
sous le contrle du procureur de la Rpublique, sans prjudice des prrogatives du juge des
liberts et de la dtention prvues aux articles 63-4-2 et 706-88 706-88-2 en matire de
prolongation de la mesure au-del de la quarante-huitime heure et de report de lintervention
de lavocat. Le procureur de la Rpublique apprcie si le maintien de la personne en garde
vue et, le cas chant, la prolongation de cette mesure sont ncessaires lenqute et
proportionns la gravit des faits que la personne est souponne davoir commis ou tent
de commettre. Il assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi la personne garde
vue. Il peut ordonner tout moment que la personne garde vue soit prsente devant lui ou
remise en libert 163.
Toutefois, et au-del des exigences formules par la Cour europenne des droits de lHomme,
le temps nest-il pas venu de placer le contrle de la libert individuelle labri de tout
soupon ? Dans sa thse, le professeur Michle-Laure RASSAT a trs justement dmontrque la nature de la fonction doit tre en rapport troit avec le caractre de linstitution
164.
Sous cet angle, le renforcement de lindpendance des magistrats du parquet nest point un
luxe : elle est une ncessit, ou selon lexpression du professeur Jean PRADEL et du directeur
de lquipe spciale de la lutte contre le terrorisme de lONU, Jean-Paul LABORDE, une
grande exigence de notre temps 165
. La confiance du justiciable sen trouverait assurment
grandie166. En ce sens, le premier prsident de la Cour de cassation, Vincent LAMANDA, a
rappel loccasion de laudience solennelle de rentre du 7 janvier 2011 que la justice doit
recevoir de la socit autant quelle lui apporte . Il a poursuivi en indiquant que ce quil lui
faut obtenir et ce quil lui appartient de donner, cest de la confiance. Lindpendance et la
160 La prudence de la Cour est manifeste lorsquelle indique quelle nest en effet appele se prononcer quesous le seul angle des dispositions de larticle 5 3 de la Convention, et des notions autonomes dveloppes parsa jurisprudence au regard desdites dispositions : CEDH, 23 novembre 2010,Moulin c. France, prc., 57.161 V. par exemple, Haritini MATSOPOULOU, Une rforme inacheve. A propos de la loi du 14 avril 2011 ,JCPG, n 19, mai 2011, 542, [en ligne]. Disponible sur [www.lexisnexis.com].162 Plus de cent quatorze ans aprs la loi Constans du 8 dcembre 1897 qui a ouvert le cabinet du jugedinstruction aux avocats, le droit lassistance dun avocat est dsormais consacr au cours de la garde vue.163 Art. 2 de la loi n 2011-392 du 14 avril 2011 relative la garde vue, prc.164 Michle-Laure RASSAT, Le ministre public. Entre son pass et son avenir, op. cit., p. 161.165 Jean PRADEL et Jean-Paul LABORDE, Du ministre public en matire pnale. A lheure dune ventuelleautonomie ? , Dalloz, 1997, p. 141, [en ligne]. Disponible sur [www.dalloz.fr].166 A propos de la crise de confiance entre les Franais et la justice, il pourra tre utile de se reporter au rapportdactivit annuel de 2007 du CSM qui prsente les rsultats de lenqute dopinion mene en 2008 par linstitut
franais dopinion publique (IFOP) : CSM, rapport dactivit annuel de 2007, pp. 85 et s., [en ligne]. Disponible sur[www.conseil-superieur-magistrature.fr].
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7/31/2019 Le parquet une autorit judiciaire indpendante
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dontologie des magistrats en sont les ressorts majeurs 167
. En outre, les magistrats du
parquet gagneraient en srnit, car en ltat actuel du droit le doute (fond ou non) peut
toujours germer sur les conditions dans lesquelles (ils) travaillent 168. A ce propos, dans les
chevaux du lac Ladoga, le garde des Sceaux, Alain PEYREFITTE navait pas manqu de
souligner que notre re du soupon se plat dceler partout des influences occultes, des
trahisons obscures, des secrets florentins 169. Par ailleurs, et mme si ltude de cette fonction
accorde au ministre public a t volontairement vince du champ de cette contribution, la
rcente association des parquetiers au processus de dfinition des sanctions pnales dans le
cadre des voies alternatives (en particulier la comparution sur reconnaissance pralable de
culpabilit : CRPC) milite galement en faveur du renforcement des garanties dindpendance
du ministre public170. La piste suivre consisterait ds lors aligner totalement le mode de
nomination des magistrats du parquet sur celui de leurs collgues du sige. Cela suppose deux
modifications denvergure constitutionnelle171 : dune part, le CSM doit pouvoir formuler des
propositions pour les nominations des magistrats du parquet prs la Cour de cassation, pour
celles des procureurs gnraux et pour celles des procureurs de la Rpublique, et dautre part,
les magistrats du parquet ne doivent tre nomms que sur avis conforme du CSM.
Paralllement, le rgime disciplinaire applicable aux magistrats du parquet devrait tre calqu
sur celui applicable aux magistrats du sige. Ainsi, la formation du CSM comptente lgard
des magistrats du parquet statuerait comme conseil de discipline des magistrats du parquet172
.
Pour aller un peu plus loin dans lapproche prospective et complter ces quelques lments
dune nouvelle conception du ministre public 173, les mesures prises par le parquet en
matire de libert individuelle pourraient galement tre places sous le contrle dun
magistrat du sige174
. Il serait de la sorte rpondu aux inquitudes exprimes par lAssemble
parlementaire du Conseil de lEurope quant la possibilit pour le ministre public dtreresponsable des mesures privatives de libert
175. Dans cette perspective, la proposition
formule par la CNCDH dinstaurer un droit de recours devant un juge du sige , qui
apprciera la lgalit et lopportunit des mesures de contrainte, est tudier176. Elle semble
constituer un bon compromis entre le simple maintien du contrle par le procureur de la
167 Vincent LAMANDA, discours prononc l