le paradoxe de l’ordinaire etl’anthropologie historique - bartholeyns

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24/01/13 18:49 Le paradoxe de l’ordinaire et l’anthropologie historique Page 1 sur 24 http://acrh.revues.org/1928 L’Atelier du Centre de recherches historiques Revue électronique du CRH 06 | 2010 : Faire l’anthropologie historique du Moyen Âge Une histoire en question Le paradoxe de l’ordinaire et l’anthropologie historique GIL BARTHOLEYNS Résumés Français English Italiano L’anthropologie historique a été définie comme une histoire du collectif contre une histoire- récit, turbulente et élitiste. L’avènement de l’« histoire de l’ordinaire » ouvre un paradoxe car les conditions du savoir historique, telles que le document ou la transmission, ainsi que l’écriture même de l’histoire, sont largement sous le signe de la discontinuité et de l’exceptionnel. Ainsi, tandis qu’il existe un savoir historique qu’on peut appeler homologique (où l’objet étudié est conforme aux moyens de son étude), l’historien anthropologue, lui, met en œuvre une contre-histoire, un savoir asymétrique. Cela comporte un saut épistémologique redoutable. Un certain nombre de réflexions récentes sur l’histoire résultent directement de cette inversion constitutive: par exemple, la question de la représentativité des corpus et des cas isolés ; l’interrogation sur d’objet de la connaissance historique, si ce n’est ni le singulier ni l’universel ; la poursuite du décentrage « politique », vers une histoire par le dehors. L’opposition entre les deux historiographies, celle que l’on dit traditionnelle, des institutions et des dates, et l’autre plus égalitaire et anthropologique, n’est-elle pas ainsi, au moins conceptuellement, dépassée ? Et dès lors, n’est-on pas entré, depuis quelques décennies, dans un troisième paradigme, dont l’anthropologie historique fait partie, est ici ou là sur le front ? On le suggérera : à présent, on a affaire à des événements-symptôme, les structures sont en action, il y a des individus-civilisation. Au-delà des acquis que constitue le fait de ne pas se limiter aux aspects conscients ou de faire parler les autres, ce régime de scientificité a ceci d’intarissable que la recherche elle-même – nos catégories, notre vocabulaire, nos pratiques – est pour lui objet de recherche. Historical anthropology has been defined as a history of the collective as opposed to a political and elitist narrative history. The advent of “a history of the ordinary” has exposed a paradox because the conditions of historical knowledge, such as documentary evidence or transmission, as well as the writing of history, are focused on discontinuity and the exceptional. While there is a historical knowledge that one might call homologous (where the object of study conforms to the means of its examination), the historical anthropologist himself engages with a counter

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L’Atelier du Centre derecherches historiquesRevue électronique du CRH

06 | 2010 :Faire l’anthropologie historique du Moyen ÂgeUne histoire en question

Le paradoxe de l’ordinaire etl’anthropologie historiqueGIL BARTHOLEYNS

Résumés

Français English ItalianoL’anthropologie historique a été définie comme une histoire du collectif contre une histoire-récit, turbulente et élitiste. L’avènement de l’« histoire de l’ordinaire » ouvre un paradoxe carles conditions du savoir historique, telles que le document ou la transmission, ainsi quel’écriture même de l’histoire, sont largement sous le signe de la discontinuité et del’exceptionnel. Ainsi, tandis qu’il existe un savoir historique qu’on peut appeler homologique(où l’objet étudié est conforme aux moyens de son étude), l’historien anthropologue, lui, met enœuvre une contre-histoire, un savoir asymétrique. Cela comporte un saut épistémologiqueredoutable. Un certain nombre de réflexions récentes sur l’histoire résultent directement decette inversion constitutive: par exemple, la question de la représentativité des corpus et descas isolés ; l’interrogation sur d’objet de la connaissance historique, si ce n’est ni le singulier nil’universel ; la poursuite du décentrage « politique », vers une histoire par le dehors.L’opposition entre les deux historiographies, celle que l’on dit traditionnelle, des institutions etdes dates, et l’autre plus égalitaire et anthropologique, n’est-elle pas ainsi, au moinsconceptuellement, dépassée ? Et dès lors, n’est-on pas entré, depuis quelques décennies, dansun troisième paradigme, dont l’anthropologie historique fait partie, est ici ou là sur le front ?On le suggérera : à présent, on a affaire à des événements-symptôme, les structures sont enaction, il y a des individus-civilisation. Au-delà des acquis que constitue le fait de ne pas selimiter aux aspects conscients ou de faire parler les autres, ce régime de scientificité a cecid’intarissable que la recherche elle-même – nos catégories, notre vocabulaire, nos pratiques –est pour lui objet de recherche.

Historical anthropology has been defined as a history of the collective as opposed to a politicaland elitist narrative history. The advent of “a history of the ordinary” has exposed a paradoxbecause the conditions of historical knowledge, such as documentary evidence or transmission,as well as the writing of history, are focused on discontinuity and the exceptional. While thereis a historical knowledge that one might call homologous (where the object of study conformsto the means of its examination), the historical anthropologist himself engages with a counter

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history, or an asymmetrical knowledge. This brings with it a formidable epistemological leap. Anumber of recent reflections on history directly result from this constitutive inversion: forexample, the way a corpus or isolated cases may be or may not be representative; theinvestigation of the object of historical understanding, be it neither singular nor universal; theconsequence of “political” decentralization towards a history from the outside. The oppositionbetween these two historiographies, one considered traditional, investigating dates andinstitutions, and the other more egalitarian and anthropological – is not this gap, at leastconceptually, already a thing of the past? Have we not, for several decades, entered into a thirdparadigm, in which historical anthropology plays a part, already visible at the fore? We wouldsay that presently, we are dealing with symptom-events, the structures at work, and theindividual as a civilization. Beyond the givens provided by the fact of not limiting oneself to theconscience aspects, or to talk about Others, this scientific regime is as inexhaustible as theresearch itself: our categories, vocabulary, and practices are themselves the subjects of study.

L’antropologia storica si è affermata come storia del collettivo di contro alla storia-racconto,turbolenta e elitaria. L’avvento della “storia dell’ordinario” inaugura un paradosso perché lecondizioni del sapere storico, a partire dai documenti e dalle modalità di trasmissione, cosìcome la stessa scrittura storiografica, sono largamente sotto il segno della discontinuità edell’eccezionalità. Così, mentre esiste un sapere storico che definiremo omologico (nel qualecioè l’oggetto studiato è conforme ai mezzi d’indagine), lo storico-antropologo produce unacontro-storia, un sapere asimmetrico. Ciò comporta un significativo salto epistemologico. Partedelle riflessioni recenti sulla storia sono il prodotto diretto di questa inversione: per esempio, laquestione della rappresentatività dei corpus e dei casi isolati; l’interrogativo sull’oggetto dellaconoscenza storica, singolare oppure universale; il perseguimento della dislocazione politica, aifini di una storia “dal di fuori”. L’opposizione di due storiografie, la tradizionale, delleistituzioni e delle date, e l’altra, più egualitaria e antropologica, non ha concettualmente persodi pertinenza? Non si è forse entrati, negli ultimi decenni, in un terzo paradigma, del quale lastessa antropologia fa parte, e che si trova esattamente a cavallo fra le due? Lo suggeriremo:attualmente, ci si occupa di avvenimenti-sintomo, di strutture in azione, di individui-civilizzazioni. Al di là degli acquisti costituiti dalla scelta di non limitare l’indagine agli aspetticoscienti o ancora di dare la parola agli altri, la specificità di questo regime di scientificitàrisiede in ciò, nel fatto che la ricerca essa stessa – le nostre categorie, vocabolario, pratiche –costituiscono per lui un oggetto di ricerca.

Entrées d’index

Mots-clés : anthropologie historique, éthique, histoire de l’histoire, mode de connaissance,régime de scientificité, Moyen ÂgeKeywords : ethics, historical anthropology, history of history, Middle Ages (the), ordinary(the) / extraordinary (the), scientific regime, ways of understandingParole chiave : antropologia storica, etica, medioevo, modalità di conoscenza, regime discientificit, storia della storia

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L’anthropologie historique commehistoire de l’ordinaire

[…] obligé, par les grands événements qu’il doit raconter, d’écouter tout ce quine s’offre pas à lui avec une certaine importance », l’historien « n’admet sur lascène que les rois, les ministres […] tout cette classe d’homme fameux dont lestalents et les fautes, les emplois ou les intrigues ont produit le malheur ou laprospérité de l’État. Mais le bourgeois dans sa ville, le paysan dans sachaumière […] au milieu de ses travaux, de ses plaisirs, au sein de sa famille etde ses enfants, voilà ce qu’il ne peut nous représenter.2

Une histoire des comportements et des habitudes – ce qu’on appelait auXVIIIe siècle une histoire des mœurs – c’est peut-être, dans son imprécision,l’expression qui convient le mieux pour désigner le champ couvert parl’anthropologie historique. Une histoire des habitudes pour l’opposer à l’histoireévénementielle, de ce qui ne se produit qu’une fois. C’est, au contraire, l’histoirede ce qui ne fait jamais événement, des gestes, des rites, des penséesindéfiniment répétées comme allant de soi. Mais aussi une histoire descomportements pour l’opposer à l’histoire des institutions comme à l’histoiredes décisions.

Ce que nous appelons aujourd’hui [1986] l’anthropologie historique n’est peut-être rien d’autre que l’accomplissement du programme que Marc Blochassignait à l’histoire des mentalités [qui] consiste à explorer les logiques quicommandent les comportements collectifs les moins volontaires et les moinsconscients.3

L’évolution de l’objet de l’histoire au XXe siècle peut être décrite comme le passage del’extraordinaire (le particulier, l’unique) à l’ordinaire (le collectif, le structurel, le banal).Aux individus exceptionnels, aux chefs-d’œuvre et aux événements mémorables, on adonné préférence aux oubliés, aux documents sans prétention, aux dimensionsrépétitives et partagées de l’existence. L’histoire au ras du sol, par le bas ou par lesmarges, autant de formules qui ne sont pas totalement affranchies des jugements devaleur sur lesquels reposait le grand récit traditionnel, mais qui incarnent cettetransformation du regard sur le passé et donc, pour nous, du passé lui-même.L’« anthropologie historique » est représentative de cette valorisation de l’ordinaire.Elle n’est pas la seule, la Social History des historiens britanniques, l’histoire duquotidien (Alltagsgeschichte) en Allemagne, la microstoria italienne l’ont été chacune àsa façon1. Mais l’anthropologie historique a été largement définie sous cet angle par lesauteurs et dans les actes d’institution que sont les notices de dictionnaire et les histoiresde l’histoire.

1

En 1978, dans l’ouvrage collectif La Nouvelle Histoire, qui paraît l’année de lacréation du Groupe d’anthropologie historique de l’Occident médiéval par JacquesLe Goff à l’École des hautes études en sciences sociales, André Burguière ouvre lechapitre intitulé « L’anthropologie historique » par les regrets que formulait en 1782l’historien Legrand d’Aussy :

2

Huit ans plus tard, en 1986, André Burguière, pour le Dictionnaire des scienceshistoriques, présente les « directions principales » de l’anthropologie historique en cestermes :

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Et Burguière conclut ainsi sa notice :

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Savoir homologique, savoir

L’Encyclopædia Universalis a consacré deux articles à l’anthropologie historique,signés du même auteur4. Le premier, réédité en 2002, met l’accent sur l’avènement duquotidien ordinaire, comme dans la notice de 1978. Le second, paru en 2008, souligneque « l’apport le plus sûr de l’anthropologie historique », c’est « sa réflexion surl’historicité des habitudes », dans la mesure où celle-ci a permis de « se dégager desœillères d’une vision européo-centrée ». L’article réaffirme ainsi, en l’actualisant, cettecaractéristique de l’anthropologie historique – donner la parole aux autres – au-delàcette fois de la culture populaire et des marginaux intérieurs. Le propos, dans sa volontéd’identifier l’anthropologie historique à l’intégration des absents de l’histoire, nementionne pas l’ethnohistoire américaine qui pense l’histoire des cultures sans écrituredès les années 19505 ; ne profite pas du fait que la première fois où le termed’anthropologie historique est employé dans les Annales, semble-t-il en 1975, c’est ausujet des sociétés andines6 ; et il rapatrie des œuvres comme Le Carrefour javanais7,rattachant ainsi l’anthropologie historique (via Serge Gruzinski ou la « vision desvaincus » de Nathan Wachtel) à une histoire globale, pourtant menée en majorité parles anthropologues anglo-saxons et les historiens de l’économie, dont il n’est pas faitmention. Le rapprochement avec une histoire mondiale en plein essor, où tous sontagents et où l’exception occidentale est réévaluée par l’étude des relations systémiquesentre le plus grand nombre, est révélateur de l’importance que continue d’avoir le« paradigme » de l’ordinaire pour définir l’anthropologie historique8.

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« La répétition, l’habitude est une des bases essentielles [de l’anthropologiehistorique] » et la « promotion de la culture matérielle » y participe amplement, écritFrançois Dosse dans Les Courants de l’histoire en France paru en 1999, revu etaugmenté en 20059. La conception de l’anthropologie historique comme histoireordinaire se trouve également chez ses principaux animateurs, d’emblée. En 1964paraît la Civilisation de l’Occident médiéval de Jacques Le Goff. Les chapitres de lapartie intitulée « La civilisation médiévale » (après « L’évolution historique »)présentent une série de thèmes qu’on pourrait reprendre sans hésitation si l’on voulaitétablir une bibliographie d’anthropologie historique de la société médiévale :« Structures spatiales et temporelles » ; « La vie matérielle » ; « La société chrétienne »,qui porte notamment sur « la femme et l’enfant », « les exclus… » ; « Mentalités,sensibilités, attitudes », consacré aux rêves, aux gestes, au jeu.

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La proximité parle d’elle-même. Le premier texte que Jacques Le Goff place dans lapartie qu’il intitule « Vers une anthropologie historique » pour Un Autre Moyen Âge est« L’histoire et l’homme quotidien » (1972) : « conversion à l’homme quotidien » écrit-il10. Dans la préface de Pour un autre Moyen Âge (1977), donc peu après que sadirection d’études est renommée « Anthropologie historique de l’Occident médiéval »11,Le Goff définit celle-ci comme « une histoire autre que celle des classes dirigeantesblanches et plus lente et profonde que celle des événements »12. Le termed’anthropologie est retenu parce qu’il est « susceptible de s’appliquer aux hommes detoutes les cultures » et le Moyen Âge, atteint « dans ses habitudes journalières, sescroyances, ses comportements, ses mentalités », vaut par ce qu’il « a créé d’essentieldans nos structures sociales et mentales »13. Le corps, l’alimentation, la famille, la mort,la croyance, le temps : l’extension même du domaine de l’historien, auquel contribuefortement l’anthropologie historique, concerne surtout le régulier lié au biologique et leprofond lié au collectif.

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asymétrique

L’opération historiographique

Ce paradigme de l’ordinaire induit un paradoxe épistémologique car la nature mêmede la démarche historique et ses moyens se trouvent plutôt du côté de l’extraordinaire,de l’exceptionnalité. Ceci, à la fois sur le plan de l’énonciation (1), c’est-à-dire des objets,du récit, de l’explication, mais aussi au niveau du document (2), et de latransmission (3).

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Tout récit en effet – et tout discours historique est un récit14 – procèdefondamentalement de la discontinuité et de la différence. Il n’est pas nécessaire de lerappeler longuement après la théorie15. Si rien ne s’est produit qui sorte de l’ordinaire, iln’y a rien à raconter. Et dès lors qu’on raconte, on produit des unités discrètes, onsélectionne, on singularise. L’historien ne fait pas autre chose, même quand il refusel’homologie entre, d’une part, son mode d’énonciation du passé ou son objet d’étude, etd’autre part, les éminences historiques et narratives que sont le personnage etl’événement. C’est même un principe cher à l’anthropologie historique de commencerpar porter au rang de fausse évidence ce dont elle entend faire l’histoire : elleentreprend de faire l’histoire de ce qui est réputé ne pas en avoir.

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De manière générale, historiciser n’est rien d’autre que transformer le même enautre, le « naturel » en particulier. La mise à distance, leitmotiv cher à l’anthropologiehistorique, rend les choses étrangères, les « exotise ». Si bien que formuler un nouvelobjet historique, c’est mettre en vedette, faire apparaître une réalité16. Les Intellectuelsau Moyen Âge (1975) de Jacques Le Goff : « ce titre, sans précédent, écrit KrzysztofPomian, identifie par un heureux anachronisme tout un domaine qui accède àl’existence »17. De ces nouveaux objets, on entend faire, pour ainsi dire, toute unehistoire. En somme, le souhait de tenir compte des idées et des actions banales va depaire avec celui de leur attribuer un statut hors du commun.

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À propos du récit historique lui-même, Paul Ricœur a montré comment FernandBraudel, le promoteur de l’histoire lente et impersonnelle, recrée de l’événement et desagents historiques. « La notion même d’histoire de longue durée dérive de l’événementdramatique »18, et Ricœur se demandait si « pour rester historique », l’histoire nedevait pas « élaborer en quasi-événements les mutations lentes » qu’elle décrivait19.Braudel découpe l’histoire non plus dans le temps mais en espaces culturels et, montanten généralité, il continue de personnifier : « les civilisations sont les personnages lesplus complexes »20. La Méditerranée est le grand personnage et son éclipse de la scènemondiale est le grand événement autour duquel l’intrigue s’organise. L’échelle change,mais la logique actantielle demeure. Quant à Georges Duby, promoteur de l’histoire desmentalités et des « systèmes de valeurs »21, dans laquelle l’anthropologie historique voitune étape décisive de son développement, Ricœur montre comment il dramatise lastructure22. Si on a l’habitude de dire que l’on ne peut pas raconter une structure et quel’on ne fait le récit que d’événements23, structure et événement sont néanmoinsnécessaires l’un à l’autre. Pour Duby lui-même, l’histoire structurelle demandait uneattention particulière aux conjonctures : « Une crise. Les formations idéologiques serévèlent au regard de l’historien dans les périodes de mutation tumultueuse »24. Onretrouve une idée similaire chez Braudel : « Ce n’est pas la durée qui est tellementcréation de notre esprit, mais les morcellements de cette durée »25.

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L’objet historique, la narration et enfin l’explication placent l’anthropologie11

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La production du document

historique ainsi que toute histoire de l’ordinaire dans une tension constitutive avec leurcontraire. Il n’est sans doute pas utile de rappeler la théorie fonctionnaliste du récit. Lerécit, provoqué par une crise ou par un écart, a pour but de diminuer le trouble, deréduire l’incompréhension en donnant du sens (une cause) à ce qui est arrivé26. Orl’explication ou du moins la compréhension est une autre des grandes préoccupationsde l’anthropologie historique face aux « faits » et face à une histoire descriptive où leschoses arrivent parce qu’elles arrivent. En ce sens, l’historien attaché aux choses et auxêtres banals ne renonce pas à faire l’histoire du hors-norme. Au contraire, les immensespéripéties que sont les croisades, le capital, les révolutions ou les massacres se jouent àune échelle proprement collective. C’est plutôt ici au niveau du raisonnement – non dufactuel ou de l’objet étudié – que l’unique et l’incommensurable sont refusés et que sedéveloppe l’asymétrie du savoir historique : l’inouï, qui fait comme définitivementrupture, sera traité sur des modes explicatifs structurels, systémiques, multifactoriels,dans la durée la plus longue, ou à la faveur d’une idéologie, voire d’un hypothétiqueinconscient massif. Ce dernier mode d’explication, presque sans agent ni responsabilité,a été reproché précisément à « l’histoire des mentalités » dans le cas où « l’air dutemps » servirait à rendre compte du surgissement de la barbarie27. Les mentalitésn’expliquent rien, a-t-on dit, elles doivent être expliquées.

Les documents eux-mêmes sont produits en grande partie par des incidents, des faitsinhabituels ou marquants. Ils ont en outre souvent la forme d’un récit. Le spectaculaireet l’exotique nourrissent la chronique et le récit de voyage ; l’irrégularité génèrel’archive judiciaire ; la vie de saint raconte des miracles ; les inventaires de biens sontoccasionnés par le décès ou la confiscation ; ce sont les biens précieux et les curiositésque l’on consigne en priorité. Ainsi les Confessions d’Augustin28 décrivent la série deschocs initiatiques de l’auteur, que reflète la structure de l’œuvre. La chronique latine deGuillaume de Nangis nous apprend qu’un enfant à deux têtes est né à Namur en 1118 etqu’une malheureuse a engendré un être mi-homme mi-chien en 112629, mais l’auteurignore toutes les autres naissances.

12

L’historien du collectif ou du banal doit compter avec cette condition critique de laproduction de l’information historique. Cette production par la crise vautparticulièrement pour l’information qui sert à l’histoire de « l’homme quotidien ».

13

En effet, la vie matérielle des « Espagnols » de la fin du XVIe siècle nous est connueparce que la Grande y felicísima Armada est allée par le fond. Mais surtout, ce sont auxrares moments où les individus sortent de l’ordinaire (du licite, du tolérable, del’orthodoxe) qu’ils laissent une trace. Thème phare de la Nouvelle Histoire et destravaux d’anthropologie historique du monde médiéval, les marginaux30 et tous ceuxdont la parole n’a pas de poids, ne sont présents dans « les discours bavards etautorisés » que par un « désordre minium »31. L’écuyer Jean de Falvi et son entouragenous sont connus parce qu’en 1309 il coupe l’oreille d’un valet dénommé Mahiet ettranche les tendons d’un certain Kesnot32. Le procès en anomalie met au jour leshommes, les actes et les idées auxquels le nouvel historien décide de s’intéresser. Onconnaît les mouvements de foi mis à l’index par les enquêtes que l’Église ordonne, lesprocès qu’elle organise, les conciles qui rejettent. « Positivement », on ne les connaîtque par quelques ouvrages (cinq connus à ce jour pour la doctrine cathare, conservésdans une poignée de manuscrits). L’historien doit l’essentiel de sa connaissance despratiques et des traditions hétérodoxes, populaires et orales, sur lesquelles portent lespremiers séminaires dits d’anthropologie historique du Moyen Âge33, aux traités de

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Transmission et conservation

réfutation et aux « bruits » qu’elles génèrent. Le Miroir des simples âmes anéanties estbrûlé en 1306 et le 1er juin 1310 avec son auteur, la béguine Marguerite Porete. Maisl’ouvrage va plus vite que l’Inquisition, et pendant deux siècles ce sont lescondamnations qui lui attirent les faveurs adverses34.

L’anthropologie historique comme histoire de l’ordinaire, enfin, mène son projetdans une situation fondamentalement dissonante avec la principale logique de sélectionet de conservation des documents. Si l’incendie parisien de la Chambre des comptes en1737 détruit indifféremment ; l’homme, lui, choisit : « Galileo, oui, Jean Dupont, non »,résume Arnold Esch35 à propos du rapatriement à Rome, par le Vatican, des 3 600volumes de procès que Napoléon avait fait déplacer à Paris. Les images ne sont pasmieux loties. Les images de culte et les sculptures d’églises, oui, les graffitis et lesesquisses, non. Les réalisations des Maîtres flamands vont résister au temps, leurdestruction involontaire va susciter un sentiment de perte, laissera inconsolable tandisque la production dévotionnelle de masse, les réalisations collectives des ateliers duXVe siècle ne sont pas assez « uniques » ou « belles », ne sont tout simplement pas assezidentifiées, n’ont pas assez de personnalité36 pour recevoir au cours du tempsl’attention nécessaire à leur survie. Les critères de grandeur et d’exceptionnalitéinterviennent dans la constitution de la plupart des séries et classements documentaires(textes ou objets), sous différentes formes ou attitudes : la célébrité, l’esthétisme, lathésaurisation et, au cœur du procès historique, l’archivage. C’est d’ailleurs contre ceprincipe que l’archivistique moderne se pense. Pour répondre à la massificationdocumentaire, les méthodes de sélection mécanique ou aléatoire (les dossiers pairs, unelettre sur deux, etc.) prennent acte de l’importance de constituer des fonds « neutres »pour la future connaissance du passé. Par la moins mauvaise des représentativités, ellerompt avec le régime traditionnel de sélection, quasiment anthropologique, puisque, sil’on en croit les paléologues37, l’intérêt pour les objets naturels procède avant tout de ladissemblance et de la rareté. Seule la discontinuité fait signe ; de même que pourl’archéologue, l’intermittence – du rien entre du quelque chose – est la condition de lamémorisation matérielle38.

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Là où le principe d’importance ne joue pas positivement dans le processus detransmission, il continue de jouer à l’envers. Et c’est là ce qui fait le plus souvent naîtrel’archive ordinaire. L’objet redevenu anodin ou qui a perdu sa magie a parfois plus dechance de survivre que le symbole ou l’exemplaire représentatif qu’est l’idole païennepour le chrétien ou la statue d’un saint pour le protestant. Un bon exemple de cesdestins heureux est celui des enseignes de plomb de la fin du Moyen Âge que l’onportait sur ses vêtements. Témoignages précieux de la piété courante et de la relationambiguë du profane et du sacré, ces broches figurées et légendées, retrouvées parcentaines dans les lits de rivières (lieux de conservation involontaire), étaient sansdoute jetées par les pèlerins, notamment depuis les ponts, une fois leur vœu exaucé, ouquand ils revenaient d’un pèlerinage.

16

La plus grande part de notre connaissance des techniques anciennes et du cadrephysique de la vie quotidienne, des grands comme des petits, provient des découvertesen milieu lacustre, dans les fossés et dans les poubelles médiévales. L’histoire de laculture matérielle est amplement redevable au passage à l’inutile, à la mise au rebus, àl’excédent, à l’oubli.

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Le processus de connaissance reste bien asymétrique puisque c’est l’exception à lalogique de transmission dominante – le beau, le rare, le précieux, l’utile, tel la charte

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Inversion constituante de laproblématique historiquecontemporaine

enregistrant l’acte diplomatique – qui fournit l’information homologique, c’est-à-direl’information qui correspond en nature à son sujet : par exemple, les objets duquotidien pour l’historien des « choses banales »39.

La tension entre le signifiant et le commun, entre l’original et le multiple existe doncde la naissance de la trace à l’écriture de l’histoire. La réalité historique etl’historiographie sont d’un bout à l’autre sous le signe de la crise et de l’exception. Maisle paradoxe prend forme quand, de la réalité, on explore les dimensions les pluspartagées (la mort ou la croyance), les plus routinières (le travail ou le temps), faites deconventions et de rythmes.

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L’historiographie événementielle ou biographique est de type homologique. Histoirehistorisante, disait-on, et Le Goff rajoutait : histoire qui lâche la proie pour l’ombre,histoire de la surface, à peu de frais40. Dans cette historiographie, les choses se passentfacilement puisque l’historien suit pour ainsi dire l’histoire. Il s’intéresse aux Grands,aux institutions, aux manœuvres politiques : tant mieux, puisque ce sont eux quigénèrent en premier lieu des documents et qui restent prioritairement en mémoire, etpuisque c’est dans ce contexte que naissent à la fois l’archive et l’historien.

20

Pour s’en tenir au Moyen Âge et au médiéviste, les premières collections de« sources » apparaissent au IXe siècle au sein des grandes abbayes sous la forme decopies d’actes (celui de Fulda, établi en 828, en contenait environ 2 000). Et les sièclespassant, au cours desquels l’Église et les cours princières mettent en place des organesde gestions des textes générés par leurs activités, les premières collections critiques sontle fait d’initiatives à vocation ecclésiologique ou confessionnelle, comme les Actasanctorum fondés en 1607 pour contrer la critique protestante du culte des saints, ou àvocation idéologique voire ethno-nationale comme les Monumenta Germaniaehistorica, lancées en 1819 par l’ancien ministre prussien Karl von Stein (virulentopposant à la France), qui offre en priorité la matière carolingienne aux historiens del’empire germanique et de ses possessions.

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On peut dire la même chose des realia. Les premières collections d’objets sontl’œuvre des institutions et des élites, et les éléments retenus se caractérisent, à un titreou à un autre, par leur exceptionnalité. Le trésor ecclésiastique ou princier est fondé surla sacralité et la valeur économique. Les collections particulières, qui se créent à la findu Moyen Âge, regroupent des antiquités (inscriptions, marbres, monnaies) puis, au fildu temps, des artefacts du « Moyen Âge », des curiosités exotiques, des chefs-d’œuvrede contemporains. Pour leurs acquéreurs, elles ont pour fonction de manifester leurgoût personnel et leur rang. C’est dans ces milieux aisés, amoureux des lettres, que sedéveloppent les savoirs critiques : la philologie, l’épigraphie, la numismatique, enfinl’« archéologie » et l’histoire de l’art, jusqu’à la création des musées par les monarques.Les musées, comme un grand nombre de bibliothèques publiques, bénéficient souvent,tel le Louvre, d’une collection royale de départ41.

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Quant aux historiens, Hincmar, les moines de Saint-Denis ou Froissart, ils sont auservice du pouvoir ou, comme Richer, au sommet du pouvoir, célébrant le génie dechefs laïcs et religieux. Ils offrent ainsi les « premières versions » de l’entreprisescientifique de leurs lointains successeurs, de Wilhelm von Humboldt ou Augustin

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Thierry, aux méthodistes de la seconde moitié du XIXe siècle, généralementhistoriographes officiels eux aussi, soucieux maintenant d’aller voir les textes.

En somme, le document, surtout célèbre, est produit et détenu par des personnescélèbres qui demandent qu’on les célèbre et qui offrent pour cela toutes les conditionsrequises, emploi, lieu, ressources. Dans ce cas de figure, aucun saut épistémique ne doitêtre fait. Faire l’histoire et l’écrire est tout un. C’est le grand personnage qui génère leplus de discours contemporains ; l’œuvre d’art justement dite « intemporelle » qui a leplus de chance de traverser les époques ; le récit événementiel qui bénéficie du genreofficiel de la chronique ; l’histoire par le centre et par le haut qui profite en premier lieuà la professionnalisation des historiens ; la méthode scientifique qui se forge au contactdes œuvres littéraires de premier plan et des textes issus des grandes institutions. C’esttout l’inverse dans le cadre du savoir où s’inscrit la démarche de l’anthropologiehistorique. L’historien va d’abord contre l’histoire « naturelle » de l’histoire. Il chercheson information ordinaire ou représentative par de-là le singulier, il ne s’intéresse pas apriori aux vestiges pour ce dont ils témoignent directement.

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L’historien qui se sert d’un document institutionnel comme l’incontournablecartulaire ou polyptique du Haut Moyen Âge, se livre-t-il forcément à une histoirehomologique ? Quand il s’en sert, cela ne veut pas dire qu’il fait la monographie d’uneabbaye prestigieuse. À travers lui, il peut étudier les faibles face aux puissants, le mondepaysan, la production céréalière42. Cela signifie plutôt qu’il doit « faire avec », c’est-à-dire dégager autre chose que ce qu’offre le document et déjouer au besoin le discoursdont il est porteur. Aller « contre », aller « malgré », aller « sans » lui. Quelleinformation me donne un document sans que ce soit son objectif ? Qu’est-ce qu’il neveut justement pas me révéler ? Quelles absences hautement significatives manifestentun texte ou une image ? La contre-enquête est tellement une habitude que l’on ad’abord tendance à attribuer le manque d’informations à un manque de sources, quandil est tout simplement dû au régime historique de la production documentaire.

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Mais tout historien non homologique ne fait pas pour autant de l’anthropologiehistorique. Il partage seulement avec celle-ci un intérêt pour l’ordinaire, le régulier,voire la structure (matérielle) de la vie courante, intérêt qui entraîne d’emblée unesituation asymétrique entre les conditions objectives du savoir et la visée – la vision –de ce savoir. Le plus souvent, bien entendu, la situation est intermédiaire, mixte. Pourse rendre compte des complications qui découlent de l’asymétrie entre les moyens et lesfins, imaginons un instant que, pour établir la généalogie de l’aristocratie hennuyère,nous ayons uniquement à disposition les dénombrements de foyers en Hainaut desXIVe-XVIe siècles, un des rares types de document historique où l’officiel s’intéresse aucollectif et au modeste. Nous rêverions assez vite d’avoir entre les mains des annales outout autre écrit de commande qui nous raconterait l’ascension d’une famille surplusieurs générations.

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Toute contre-histoire, et l’anthropologie historique est l’une des plus entière par sadouble dimension politique et thématique, va donc essayer d’avoir recours à uneinformation homologique43. Elle va chercher de préférence là où l’information savante apu se constituer « en marge » du savoir institutionnel : notamment dans ladocumentation folklorique. Tandis que l’historisme se développe en Allemagne et enFrance, l’Académie celtique (1804), puis différents recueils et revues à l’échelleeuropéenne, surtout après 1870, mettent au jour et en ordre ce qu’on appelait les« antiquités populaires ». Vues comme des superstitions ou des croyances, parfoisélevées au rang de richesses nationales, elles sont d’abord pensées en termes desurvivances, d’univers parallèle, opposé à la culture écrite ; puis, à partir des années1970, elles sont abordées en termes de coexistence et de dialogue entre différents

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Spécificité, représentativité, et point devue « politique »

L’objet de la connaissance historique

niveaux de culture44. Le patrimoine « folklorique » est de fait la ressource-clé del’anthropologie historique comme histoire de la vie rurale (contre la ville motrice), durécit populaire (comparé à la théologie), de l’héritage « païen » (vis-à-vis de l’ordreclérical). Le Saint Lévrier de Jean-Claude Schmitt, paru en 1979, en est le meilleurtémoin45.

Pour élargir son terrain, l’historien est nécessairement entré dans un régime deconnaissance asymétrique. La rupture de la filiation entre les présupposés historiquestraditionnels (le personnage, la politique, l’œuvre de génie) et l’écriture de l’histoire estsans doute plus importante sur le plan épistémologique que les possibilités thématiquesque cette rupture a ouvert. On peut en effet rapporter certaines questions de méthodequi se sont posées ces dernières décennies à cette rupture d’équivalence plutôt qu’aurefus de l’exceptionnel et à l’intérêt pour le nombreux ou le non-événementiel. C’estindirectement qu’elles résultent d’une histoire de tout et de tous et du sérieux accordé àtout témoignage. C’est-à-dire l’écrit, plus seulement « noble », les objets et les images,puisque les considérer comme des « sources » à part entière fait partie du processus dedissociation46.

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Des questions de méthode qui relèvent du savoir asymétrique, retenons-en trois.(1) La réflexion sur la « spécificité » : ou sur quelles réalités l’historien travaille-t-il dèslors qu’il ne s’intéresse ni au singulier ni à l’universel ? (2) Le problème de la« représentativité » du document : ou comment peut-on prétendre atteindre le généralà partir de témoignages jugés exceptionnels ou uniques en leur genre ? (3) Le soucid’une histoire décentrée : ou comment poursuivre la déconstruction des postulatstraditionnels de l’opération historique.

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C’est dans le cadre de la définition « moderne » de l’histoire, telle que Paul Veyne apu la formuler en 197147, qu’on a identifié l’objet de la connaissance historique commeétant tout ce qui ne relève ni des singularités ou de l’accident, au sens aristotélicien, nide l’invariant ou de la loi (qui est autre chose que la répétition). L’être de l’histoire, a-t-on dit, c’est le « spécifique ». Dans les termes du paradigme de l’ordinaire déjà exposés,on dira que l’ennui ontologique de la matière n’a pas de prise sur la représentationhistorique de la réalité. Ce monde ignore le rien entre le quelque chose. Sauf s’il cherchel’effet littéraire, l’historien éclipse le non-spécifique : la mer est salée, les hommesrespirent. Pareilles indications ne sont jamais données pour elles-mêmes. Et si l’onrappelle que l’eau est salée, c’est pour indiquer que « la salinité de la Mer du Nord estconsidérablement plus élevée que celle de la mer Baltique » et que cette différence,cruciale pour la conservation des vestiges, a pour conséquence que la culture navalenordique est beaucoup mieux documentée48.

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Où se situe l’ordinaire par rapport au spécifique ? D’abord dans l’effacement communde la singularité : l’expérience de tel roi, telle qu’il a éprouvée sa charge. Ensuite,l’ordinaire dont parle l’historien ne s’oppose pas au spécifique, ce sera de l’ordinairespécifique : non pas l’expérience d’avoir un corps, mais d’avoir un corps au Moyen Âge.

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Dans la lignée de cette réflexion sur le genre historique, on dira que si une motte32

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Les conditions heuristiques

castrale occupe un chercheur pendant dix ans, c’est qu’elle est une « particularitéspécifique49 » des fortifications de cette région, elle dit quelque chose sur une formationsociale. L’historien ne tire rien du fait que cette tour n’en est pas une autre. Si ondécouvre qu’un feu s’est un jour déclaré dans les murs, le bâtiment disparaît au profitd’une histoire où il se demande combien de personnes le feu a laissé sans abri. Est-ceun accident domestique, une vengeance, un éclair qui a enflammé les pailles ?L’interpelle surtout, à partir de cette nouvelle situation, la composition du foyer, leréseau d’entraide dans le cadre féodal de cette période. Cette habitation-là est unedeuxième fois abandonnée.

L’odeur des champs après l’orage, le clair de lune… est ce qui manque toujours àl’image du passé et qui ne manque jamais à aucun récit historique. Qu’on lise un récitpurement événementiel et aristocratique ou bien la description d’une structure socialeou d’une représentation collective, on n’a jamais affaire à du non-spécifique. Celui-ci estindifféremment exclu, du moins non pertinent, dans le récit homologique et dans lerécit asymétrique. Mais il pose d’emblée question à l’historien qui récuse l’individu pourson individualité, l’humeur d’un chef comme cause de la guerre, etc. Prenons un titre oùune singularité exceptionnelle est associée au général : « Le corps extatique d’Elisabethde Schönau (1128-1164), ou : comment parlait-on de son propre corps au MoyenÂge »50. Pourquoi – à quelle condition – est-ce une fausse antinomie ? Même sil’historien s’applique à décrire l’expérience irréductible d’une personne, même s’ils’occupe d’un cas particulier, ce n’est pas pour son vécu proprement dit, mais pour laspécificité de ce vécu. « Dévalorisation du singulier » écrit Paul Veyne, cela veut direque ce n’est pas une histoire d’amour entre l’historien et Elisabeth. On s’attachera à unpersonnage, grand ou petit, dans la mesure où celui-ci incarne « plus ou moinssingulièrement » un moment du monde, une fonction, une expérience générique, nousreviendrons ce point. Si le lecteur s’attache à une personnalité ou à son sort, ce n’estjamais comme historien.

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On peut cependant se demander si tous les « extraordinaires » peuvent êtreégalement représentatifs, s’il ne faudrait pas pousser la réflexion et dégager les critèresou les types de représentativité. L’image authentique du Christ, la Sainte Face, est en soiextraordinaire, mais elle se diffuse sur tous les médias, dans toute l’Europe51. Qui duRoman de la Rose ou d’un exemplum maintes fois recopié et entendu est le plusreprésentatif de la littérature médiévale52 ?

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Edoardo Grendi53 a formulé en 1977 la notion d’« exceptionnel normal » pourdésigner le document rare, révélateur de l’état ordinaire, et plus largement le cassingulier (l’œuvre isolée d’un inconnu) ou la situation hors norme, quoique banale (unefête, un meurtre), qui dévoilent ce qui reste généralement caché ou implicite, « leniveau plus profond, invisible, qui est celui des règles du jeu »54. On peut y voir unéquivalent du contexte rituel pour l’anthropologue. C’est un témoignage parmi d’autres,dans les années 1970, de l’événement redéfini comme indice d’une configurationgénérale. « Marginalité exemplaire » que celle du saint et des diaboliques, dit JacquesLe Goff, « révélatrice du fond des choses »55. L’unique ne vaut que par sa valeurheuristique56. La représentativité de l’exceptionnel, c’est bien sûr faire contre mauvaisefortune bon cœur. Car l’historien de la conduite habituelle, du comportement le plussuivi, de l’idée ou du sentiment le plus partagé, au sein d’un groupe ou par une sociététout entière en admettant de fortes variations, n’a guère que l’écart, la déviance, lasanction qui laisse une trace, pour mener l’enquête. Encore va-t-il alors surtout saisir

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L’histoire par le dehors

les contours de la « normalité », ce qui est convenable, ce qui n’est pas scandaleux,comme il le sait en général déjà grâce à la documentation normative (pédagogique oulégale). Pour lui, la méthode ethnographique n’est pas applicable, qui suggère dedélimiter d’abord « l’étendue de la conformité » si l’on veut définir la déviance, ou des’intéresser aux sanctions courantes, surtout informelles (c’est-à-dire observables), sil’on veut découvrir « les règles de la vie normale ». Aussi l’historien érige-t-il lareprésentativité paradoxale de ce qui sort de l’ordinaire en stratégie d’approche de laréalité sociale57.

Sur le plan de la démarche, liaison d’une épistémologie et d’une éthique, le« paradigme » de l’ordinaire, par quoi l’anthropologie historique s’est initialementdéfinie, mais qui est partagé par la plupart des courants ou écoles historiques dans laseconde moitié du XXe siècle, a rompu avec la tradition d’une histoire épique et élitiste,commandée par l’Église et les princes, puis par l’État-nation et l’Occident. On met fin,de différentes façons, à la valorisation de ce qui fut le plus souvent valorisé par lasociété et l’historiographie : la vision des dominants, l’ethnocentrisme européen. Dansle panorama actuel, la démarche de l’histoire globale vient immédiatement à l’esprit carsa grande question est la co-évolution des sociétés à grande échelle à travers unecritique du miracle européen58. Mais laissons cela de côté pour rester au niveau desnotions et d’une société. Non sans ironie, Émile Durkheim se demandait en 1883 à quoipouvait bien servir les grands hommes, puisqu’on ne sait que trop, malgré qu’on en ait« jamais beaucoup discuté », à quoi servent les petits, dont la fonction est « de vivre, deperpétuer la race, de fournir une matière à des créations nouvelles, de tenir la scène »59.« Neutralité axiologique », c’est ainsi qu’en 1917 Max Weber60 a appelé le principe decette histoire qui ne se raconterait pas depuis un promontoire (social ou culturel) et qui,par un effet de balancier inverse, s’est mise à questionner la vie « des petits » et desparias, ceux-ci devenant à leur tour les divulgateurs exemplaires de la rationalité socialeet politique.

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Décentrée ou décolonisée, l’histoire qui donne la voix aux « marginaux » ou au« populaire » n’en a pas pour autant terminé avec le modèle du centre et de lapériphérie, du haut et du bas. Elle le critique mais le conserve. En ce qui concernel’histoire médiévale, travailler « à distance » des couplages synthétiques comme l’ordreet le désordre ou la norme et la déviance, ressemble encore à la vision des médiévaux,mais également au modèle bourgeois, conservateur, à la criminologie morale duXIXe siècle. Une histoire par le dehors est-elle possible qui s’affranchirait de telsréférents, un savoir lavé de ses divers positionnements « majoritaires », qui serait tout àfait asymétrique, sans verser ni dans le relativisme, ni dans le militantisme ? Sans douteune façon de se détacher positivement de ces ancrages à la fois indigènes etconventionnels, au nombre desquels on peut ajouter les couples légal/illégal etpermis/interdit, peut être de s’intéresser au passage ou au rapport de l’un à l’autre. Enhistoire, ne doit-on pas prendre position au cœur des changements d’états ? Ne dit-onpas de l’histoire qu’elle est la science du devenir ? Or l’interdit, l’ordre, la marginalité,même le projet d’une anthropologie sociale qui s’attache aux façons dont les hommesconstruisent des mondes de sens en procédant à une classification des êtres et leschoses, s’intéressent en priorité à des états et non à des rapports. Objet-manifeste à cetégard, la transgression rend d’emblée sensible ce qui change, ce qui est menacé quandune règle, établie socialement ou plus ontologique pour la culture en question, n’est passuivie61.

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Un troisième paradigme ?

Sans doute critiquer la notion même de société, concept forgée au XIXe siècle et on nepeut plus impensé, est-ce aussi une façon de prendre à la racine le problème du point devue à partir duquel on pense et on écrit. « C’est pourquoi j’ai choisi un lieu banal et unehistoire commune », écrit Giovanni Levi en conclusion de sa critique de la visionglobalisante qu’entraîne, pour la démarche empirique, l’idée de société62. Pas deSociété, mais du social, dira la sociologie de l’acteur-réseau63 pour rompre avec lavision holiste d’un univers où les hommes et leurs interactions sont déterminés par desformes et des forces extérieures, intériorisées. Se passer de l’idée qu’une société planeau-dessus des hommes, c’est un peu comme pour l’économiste se passer de l’idée de lamain invisible d’Adam Smith. Les relations sociales ne sont pas seulement la résultanteinfiniment reconduite d’un ordre unilatéral. En ce sens, l’historien met en regard despolarités qu’on sait en tension et à partir desquelles on peut à nouveau parler d’« ordresocial ». Il met en évidence la pluralité des normes en présence et toute situation établieest le fait d’une inter-normativité. De même, il observe la diversité des moyens derésoudre un conflit. Comment réparer ? À côté du tribunal : la vengeance, le charivari,l’évitement, le compromis établi par des intermédiaires de confiance. Résolutions« infra-judiciaires », a-t-on dit un moment pour marquer la distance avec le juridisme,où la Loi, le Justicier et la sanction formelle rétabliraient seuls l’équilibre social. Ne passeulement demander sur quoi tient la société (quel est son système dereprésentations ?), mais par quelles pratiques elle tient, se répare, se donne une imaged’elle-même64.

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S’ouvrir à l’autre, ne pas raconter du point du vue du plus fort, ces traits, qui ont étéattribués à la démarche de l’anthropologie historique, rencontrent l’effort desanthropologues pour « symétriser » l’étude des sociétés : traiter les autres comme nousnous traitons ; nous traiter comme nous traitons les autres. Mais aussi désormais : nepas faire comme si tout se passait entre les hommes. Le partage entre eux et nous estaussi un partage entre sujet et objet. Le savoir non homologique, en toute rigueur, sortdu piège du sujet, ou pour mieux dire, élargit cette notion, ne réserve pas ce statut auxseuls humains et fait de l’objet une catégorie de l’action sociale, plutôt qu’une simplecomposante de celle-ci. Il y a biens des manières d’entendre ce dernier point. Les choseset les biens ne se limitent pas à être le décor des relations mais en sont la plupart dutemps le moyen. Ils contiennent en eux des rapports sociaux établis (de distinction parexemple). Dans une histoire des ordinaires, on tiendra le rapport sujet-objet pour unfacteur élémentaire de « subjectivation » : la sensibilité d’une personne, sa perceptiondu monde, ses relations sont en grande partie conditionnées par sa vie matérielle. A-t-illes moyens de voyager ou d’offrir à manger ? Et chez lui, est-il contraint dans sesoccupations par le manque de lumière, une fois la nuit tombée ? Les uns donnerontdonc aux objets et aux biens un rôle d’agent historique de premier plan, considérantque la culture n’est pas seulement du côté des idées. D’autres entreprendront unehistoire de la culture matérielle proprement dite : à quelles conditions les choses sont-elles légitimes, de quoi dépend leur valeur, comment circulent-elles, quel sort leurréserve-t-on ? D’autres encore, à la suite des ethnologues65, considéreront les objetsdans les termes même du sujet : ils ont une biographie, une carrière, leur réputation estrelative à leurs qualités. Et ils ne seront pas seulement des choses inertes, déjà toutfaites, dont on ne fait que se servir, mais la matérialisation efficace de normes, detemps, d’énergie, de valeurs et de techniques, que le terme « artefact » met en évidence.

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Les observateurs de l’historiographie range celle-ci en deux genres ou tendancesséculaires : l’histoire événementielle, proche du pouvoir et volontiers narrative, etl’histoire ethnographique, plus attachée aux civilisations qu’aux personnalités, plusattentives aux mœurs qu’aux institutions. La Popelinière au XVIe siècle ou Voltaire aprèsbien d’autres appelaient de leurs vœux des œuvres moins chronologiques et plusexplicatives66. Et même si l’archiviste sumérien, qui passe pour le premier historien,laisse une histoire politique des rois et des villes-États67, Hérodote, systématiquementpris en exemple à ce sujet, s’intéresse aux coutumes des peuples avant de relater lesconflits qui les opposent. On aurait donc depuis, que les hommes parlent au passé, deuxconceptions de l’historiographie.

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L’anthropologie historique a été définie dans ce cadre68. « Renaissance de l’histoireanthropologique », a-t-on écrit à son propos, la plaçant ainsi au terme d’un mouvementplus profond, intermittent, lui donnant des antécédents et même une histoire69, au-delàdes filiations historiennes plus immédiates que sont l’œuvre de Marc Bloc pour lemédiéviste, l’école des Annales et la Nouvelle Histoire, dont elle participe. Conceptionhumaniste et curieuse du passé, donc, qui aurait enfin triomphé, après un long règned’histoires antidémocratiques et littéraires. Mais est-ce bien la victoire institutionnellede ce qui ne s’est pas « scientifiquement » imposé durant le long siècle historiciste ? Ilne semble pas.

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On peut certes dire qu’on assiste dans le courant du XXe siècle à la résurrection d’unsavoir plus « anthropologique » et à son approfondissement depuis quelques décenniesavec la création d’une quasi-disciple, l’anthropologie historique. Ou bien on peut mettreen avant des ruptures, des transformations profondes : l’évanouissement del’économique et du quantitatif, l’abandon du concept de « mentalités », le glissementdes représentations vers les pratiques, etc. Quoi qu’il en soit, l’anthropologie historiqueet l’histoire culturelle plus largement, ce n’est pas la vieille histoire des mœurs,collection d’anecdotes, formulées avec les mots d’aujourd’hui.

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Les mœurs et coutumes du passé étaient traitées sans lien avec l’« institution » de lasociété. Équivalent de la couleur locale, elles n’étaient pas cause et produit d’une visiondu monde. Les critiques voyaient dans les événements célèbres et les personnagesmémorables ce qu’y voyaient ceux qu’ils critiquaient : des objets charismatiques et nonpas encore « prismatiques ». Une défaite, une alliance, un couronnement demeuraientpour eux l’occasion d’une narration tautologique qui, pour paraphraserVoltaire, n’apprend finalement que des dates et des noms ; ce n’était pas encore ladécouverte d’une grammaire événementielle, propre à un système de coordonnéessociales institué dans la profondeur, non des hommes, mais des fonctions qu’ilsincarnent. Bref, individu et événement n’étaient jamais considérés en creux, en vued’autre chose. D’une certaine façon, les positions d’un Étienne Pasquier ou d’un JeanBodin au XVIe siècle, d’un Saint-Réal ou d’un Mabillon au XVIIe siècle, étaient anti-homologiques sans être asymétriques.

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D’un autre côté, la perspective de l’anthropologie historique ou de l’histoire sociale etculturelle des modernistes ne se réduit pas à l’application de la méthode critique(diplomatique, philologique) à un questionnaire différent de celui qui a fait naître celle-ci. Et la réhabilitation progressive de l’événement, du personnage et du récit n’est pas leretour de la tendance homologique, ni un équilibrage savant entre deux positionsextrêmes. La résolution du paradoxe de l’ordinaire est de trouver, dans les conditionsélémentaires du savoir historique (les grands, les crises, l’exceptionnel), une approche« positive ».

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Individu, événement, structure

Le souci d’une histoire-problème, c’est-à-dire celui de poser des questionsplutôt que de chercher des « faits » ; une pensée en termes de structures, derelations, et non d’objets isolés, sans renoncer pourtant ni à l’histoire desévénements (à condition de les saisir dans leur vrai contexte), ni à l’histoire-récit (à condition d’élucider le statut de l’« intrigue » bâtie par l’historien), ni àla biographie (si elle permet de repenser les rapports entre individu et société àune époque donnée)70.

[...] le mot “collectif” a pu égarer : on vise [à présent] non pas des discoursmajoritaires ou dominants, mais les énoncés transversaux qui donnent uneunité forte à un temps, à un changement, dans les champs les plus divers, dansles registres sociaux les plus distincts […] L’histoire restreinte et “réaliste” desmentalités étudieraient en somme l’incorporation du réel, en ses moments rareset structurants.77

Que l’on soit sans doute entré, ces dernières décennies, dans une troisième voie – celle de la synthèse – voilà ce que donne à penser, par exemple, la déclarationd’intention du dictionnaire thématique dirigé par Le Goff et Schmitt :

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Y frappe les conditions auxquelles l’événement, l’individu et la narration ont unevaleur historiographique. On pense à ces manifestes ou ces mises en abyme maintes foiscités à ce sujet que sont Le Dimanche de Bouvines, 27 juillet 1214 (1973) de GeorgesDuby, le Saint Louis (1996) de Jacques Le Goff, et aux critiques faites au livre clé de larencontre entre histoire et ethnologie, Montaillou, village occitan (1975). Emmanuel LeRoy Ladurie, n’étant pas en présence d’une société vivante, fit comme si les procès-verbaux dressés par l’inquisiteur Jacques Fourrier étaient une fenêtre sur le monde, le« témoignage sans intermédiaire que porte le paysan sur lui-même71 », à partir duquel ilest possible de ressusciter les voix sous la forme de dialogues en mode direct.Le Menocchio72 (1976) de Carlo Ginzburg, meunier du Frioul que fait parlerl’Inquisition, sera discuté non pas tellement sur sa représentativité que sur l’objet decelle-ci : informateur d’une « cosmologie millénaire » transmise oralement, d’unenappe culturelle allant de l’Inde ancienne à l’Europe rural du XVIe siècle, ou plutôt d’uneversion gauchie du manichéisme transalpin ?

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Certes les événements ont peut-être pour la première fois chez Lucien Febvre en191173 le statut de symptôme. Ils reflètent, ils sont les « éléments d’une série, en tantqu’ils dévoilent [des] variations conjoncturelles74 ». Mais l’événement légitimé« comme un révélateur75 » est aussi désormais objet d’histoire : fabrication del’événement76, ou comment les choses font-elles événement, crise, rupture dans unesociété ? Quelle sensibilité, favorable ou non à la nouveauté, à l’irrégularité, prend encharge ce qui arrive, et quelles explications ou solutions leur trouve-t-on ? Quelvocabulaire et quelles cultures du temps, du visible, de l’information donnent forme àl’événementiel ? Dans la lignée de l’« événement discursif » de Michel Foucault, AlainBoureau, en 1989, note que :

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On dépasse théoriquement l’opposition entre événement et structure. La structurepeut être « cause générale » d’un événement, et l’événement peut être le seul moded’appréhension de la structure. Ainsi, pour Reinhard Koselleck, « certaines structuresne sont appréhendées que par le biais d’événements dans lesquels elles s’articulent », et« les structures […] à assez long terme, sont les conditions de possibilité d’événements[…], structure in enventu »78. De même l’opposition épistémologique si tenace est levéeentre répétition et historicité, entre science nomothétique (qui cherche des lois) etscience idiographique (science de l’unique). Quant à l’individu d’exception, pour lequel

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Nous savons ce qu’ils ignoraient

[...] se distinguent surtout par le choix de perspectives complémentaires :l’histoire organisant ses données par rapport aux expressions conscientes,l’ethnologie par rapport aux conditions inconscientes, de la vie sociale […]l’ethnologie tire son originalité de la nature inconsciente des phénomènes[qu’elle étudie]81.

on dispose généralement d’une information généreuse, c’est pour ce qu’il partage avecles hommes de son temps qu’on écrit sa biographie. Louis IX face à la maladie et au salutchez Le Goff, contrairement à la vie de Frédéric II en surhomme par Kantorowicz. À lafois représentant et représenté par sa culture, le grand homme, placé consciemment oupas sous le concept sartrien d’« universel singulier », devient l’homme-siècle, l’individu-civilisation. À l’inverse, on peut concevoir l’étude de personnages collectifs, « lemoine », « le marchand », dans la mesure où « les hommes du Moyen Âge ont bien euconscience de l’existence d’un type particulier, d’un personnage collectif »79.

Les exégèses des catégories historiographiques et les histoires de certaines de cesnotions par Paul Ricœur, Hayden White, Lawrence Stone, Reinhard Koselleck ouKrzysztof Pomian font partie de l’instauration de ce « troisième paradigme ». Lamultiplication d’oxymores, tels que « l’extraordinaire représentatif » de Daniel Milo80,est symptomatique de cette résolution de la contradiction entre l’ordinaire etl’extraordinaire, l’unique et le commun.

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Pour être moins incomplet il faut encore indiquer au moins sommairement undernier dépassement conceptuel, vu son importance pour l’anthropologie historique etbien qu’il n’ait pas été tellement sujet à discussion. L’idée de travailler sur ce quiéchappe aux hommes ne va pas de soi en histoire. En 1949, Claude Lévi-Strauss sefaisait l’écho de ce présupposé en indiquant qu’histoire et ethnologie :

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Lévi-Strauss faisait remonter sa définition à Edward Tylor, disant que l’ethnologieétait l’étude « de la culture ou civilisation [c’est-à-dire] les croyances […] les coutumes,et toutes autres aptitudes ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de lasociété »82. Le conscient et l’inconscient ou l’automatique, autrement dit le subjectif etle collectif, ne forment pourtant plus une charnière disciplinaire ou conceptuelle,comme ils pouvaient l’être encore pour l’historien des mentalités, des sensibilités, dessystèmes de valeurs, des structures sociales, de l’imaginaire, des représentations, peuimporte ici les mots et les domaines. Lors de la discussion (publiée) qui suit saconférence de Spolète sur le rituel symbolique de la vassalité en 1975, Jacques Le Goffestime encore devoir rappeler que l’objet de l’histoire ne se limite pas à ce que leshommes savaient sur eux-mêmes ou sur la société où ils vivaient83. Désormais onn’indique plus que l’on est à même de reconstituer de grandes « représentations » (lesTrois Ordres, le Purgatoire, l’Enfer), dont chaque individu au mieux n’a jamais eu entête qu’un morceau, une version. Ces représentations ne correspondent nullement àleur existence historique, ce sont des super-visions84. L’historien, au cœur de sonintention « communiste », produit des perceptions extra-ordinaires, fort différentes deces sortes de moyennes que les mentalités ou la pensée collective ont parfois voulu être.La représentation est décrite dans le temps, l’espace et analysée dans sa significationcumulée. On va récolter de façon aussi exhaustive que possible les textes et les images,mentionner la première attestation, reconstituer la diffusion, identifier les lieux et lesmoments de densité, les transformations lentes ou brusques. La quantité de donnéesaugmente la finesse de « l’image ». L’événement est proprement historiographique. S’il

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Le régime de scientificité del’anthropologie historique

est vaste et complexe, il finit par renvoyer le lecteur à l’expérience des contemporains :à lui aussi, il échappe. Il peine à le ressaisir dans sa globalité, alors qu’il est capable de lefaire après un interminable récit de guerre ou après l’explication complète d’unerévolte.

Enfin : quitter le subjectif pour mieux y revenir. Dès lors qu’on doute qu’il y ait unementalité collective ou un « esprit du temps », la question se pose de la sortie du régimede subjectivité qui colle à la peau de l’histoire homologique, et l’on entreprendvolontiers une histoire des émotions, dont Lucien Febvre est considéré comme leprécurseur en France. On s’intéresse à la subjectivité mais pas à celle d’un individusingulier : la peur à l’époque de la peste mais pas la peur d’Un tel face à la peste. D’autrepart, cette histoire ou « comment reconstituer la vie affective d’autrefois85 » s’interrogesur ses modèles interprétatifs. Avant d’étudier l’émotivité et l’usage des sens dans unesociété, quelle psychologie adopter ? Une des avancées a été en effet de mettre à laquestion le modèle ordinaire qui est le nôtre, celui de l’émotion comme accumulationqui déborde. La sensibilité est aussi, disent les sciences humaines et sociales, le résultatd’une évaluation tantôt instantanée et tantôt mûrie ; un codage culturel assimilé etreproduit ; un bagage émotionnel de très longue durée, configuré socialement86. Lespassions, certes, mais au sein et au sens de « cultures », « communautésémotionnelles » qui sont alors l’objet des historiens de l’existence87. L’anthropologiehistorique du Moyen Âge comme démarche se double d’une anthropologie« historique » quand elle s’attache aux conceptions anciennes de l’homme et du genrehumain, à l’expérience sensible qui en découle88 : d’où vient l’homme ? Comment est-ilfait ? Quelle est sa condition et qu’est-ce qu’il n’est pas ? Pourquoi et comment ressent-il les choses ?

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« Poser des questions plutôt que de chercher des “faits” » est peut-être le premier detous les principes récurrents auxquels l’anthropologie historique s’identifie. En étantfidèle à l’histoire-problème, elle ne se dote pas d’objets propres, sinon que la rechercheelle-même est objet de recherche. Point de rencontre entre l’histoire et l’anthropologie,elle évolue naturellement en fonction de l’évolution des problématiques et desméthodes des deux disciplines. Si elle ne semble pas s’être altérée malgré les mutationshistoriographiques, les crises invoquées, les tournants pris, c’est que la remise enquestion n’est pas extérieure à son régime de connaissance, mais le caractérise. À cetégard, dans l’espace plus vaste des sciences sociales, l’esprit semble en effet le mêmeentre les premières formulations et aujourd’hui. On en prend conscience à la lectured’un document inédit.

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En 1973 se tient au centre culturel de Royaumont une « rencontre inter-disciplinaire », où sont réunis une cinquantaine de membres de la VIe section de l’Écolepratique des hautes études, sous la présidence de Jacques Le Goff. Roland Barthes,alors chargé de faire le rapport final de cette réunion dont le projet remonte à 1971,consigne en treize pages le fruit de deux journées de réflexion89. Celle-ci frappe par sonactualité et, pour la génération des années 2000, elle peut susciter le désir.

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Le programme90 souhaitait « que chaque participant arrive à la réunion aussidisponible que possible : aussi, pas d’exposés, pas de rapports prévus ; chacun peutintervenir autant de fois qu’il le désire et à chaque séance, pour faire part de son

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[...] se porter systématiquement à l’écoute des malaises (par exemple, enarchéologie), des mutations (passage à des structures décentrées), et surtout desexclusions, en faisant parler le monde du silence (par exemple les jeunes, lesfous), de façon à faire apparaître la relation de l’exclu à la société. La recherchene doit pas rester purement intérieure au savoir ; elle doit en quelque sortedésapprendre la société, révoquer des classements, des catégories, despratiques91.

Notes

1 Voir respectivement, George M. TREVELYAN, English Social History. A Survey of Six Centuriesfrom Chaucer to Queen Victoria, Londres, New York - Longman, 1978 (1973) : « Social historymight be defined negatively as the history of a people with the politics left out » (p. VII). AlfLÜDTKE, introduction à Alltagsgeschichte. Zur Rekonstruktion historischer Erfahrungen undLebensweisen, New York-Francfort, Campus Verlag, 1989, trad. fr. « Qu’est-ce que l’histoire duquotidien et qui la pratique ? », in ID. (éd.), Histoire du quotidien, Paris, Éditions de la MSH,1999, p. 1-38. Carlo GINZBURG et Carlo PONI, « Il nome e il come : scambio ineguale e mercatostoriografico », Quaderni storici, 40, 1979, p. 181-190, trad. fr. partielle « La micro-histoire »,Le Débat, 17, déc. 1981, p. 133-136. Pour l’évolution du questionnaire de la « nouvellehistoire », dont l’anthropologie historique est issue, voir les remarques de Krzysztof POMIAN,« L’histoire des structures », in Jacques LE GOFF (rééd.), La Nouvelle Histoire [1978],Bruxelles, Complexe, 2006, p. 117-119.2 André BURGUIÈRE, « L’anthropologie historique », in Jacques LE GOFF, Rogier CHARTIER etJacques REVEL (dir.), La Nouvelle Histoire, Paris, Retz, 1978 (collection Les Encyclopédies duSavoir moderne, 11), republié partiellement par Jacques Le Goff en 2006 aux ÉditionsComplexe, p. 137-164 (pagination de cette dernière édition).3 ID., « Anthropologie historique », in André BURGUIÈRE (dir.), Dictionnaire des scienceshistoriques, Paris, Presses universitaires de France, 1986, p. 54 et 59. C’est André Burguièrequi souligne.4 ID., « Anthropologie historique », Encyclopædia Universalis, 2002 (der. éd.) et 2008(1re éd.). Le dernier article est consultable par abonnement : www.universalis.fr.5 L’American Society for Ethnohistory et la revue Ethnohistory (Duke University Press) sont

expérience, de ses idées, de ses suggestions, interroger son voisin ». Il était prévu de sedemander « qu’est-ce que “chercher” ? », de s’interroger sur « les pratiques derecherche », sur « l’écriture de la recherche », sur « les aspects mythiques » del’interdisciplinarité, évidemment centrale pour l’anthropologie historique (terme absentdu rapport). Il ressort que « chercher, c’est essayer de faire surgir un niveau inéditd’intelligibilité ».Barthes consigne aussi que les entretiens « font apparaître unesensibilité inattendue au langage même de la recherche », que « l’écriture collective a lemérite de constituer une réaction heureuse contre l’appropriation du savoir ». Ce n’estpas tant l’interdisciplinarité qui importe que « sa problématisation » ; elle se joue àtrois niveaux : « l’entraide technique », « le concours des disciplines sur un thème »,« le surgissement d’un objet de savoir nouveau, imprévisible ». Enfin, une discipline« peut être provisoire ».La partie du rapport consacrée à la recherche se termine sur ces mots :

De 1970 environ à 2010, ce qui a changé notamment ce sont les « malaises ». À côtéde l’archéologie, de la culture matérielle, on pourrait placer l’économie. C’est aussil’échelle spatiale et temporelle du décentrement et du don de parole aux « exclus » del’Histoire, avec le développement de l’histoire des « peuples sans histoire », de l’histoireglobale, et de l’histoire ethnographique des grandes rencontres. Le programme restevalable, non pas parce qu’on n’y aurait pas encore satisfait, mais parce que certainsproblèmes sont bien posés. Les réponses qu’à travers le temps on leur donne ne les fontpas pour autant s’évanouir pour autant.

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fondées en 1954. Erminie WHEELER VOEGELIN, « An Ethnohistorian’s Viewpoint », Ethnohistory,2, nov. 1954, p. 166-171. La formule ethno-history semble apparaître dans les années 1930, parexemple dans American Antiquity, vol. 4, n° 1, 1938. Il était loisible de donner l’exemplepionnier de l’américaniste Alfred Métraux, comme le font Lucette VALENSI et Nathan WACHTEL,« L’anthropologie historique », in Jacques REVEL et Nathan WACHTEL (dir.), Une École pour lessciences sociales, Paris, Cerf/EHESS, 1996, p. 265-268, « Du terrain aux archives ».6 Cf. Annales ESC, sept.-oct. 1975, 5, dossier « Anthropologie historique », p. 1186 et s., et en1978 le dossier « Anthropologie Historique des Sociétés Andines », Annales ESC, 5-6.7 Denys LOMBARD, Le Carrefour javanais. Essai d’histoire globale, Paris, Éditions de EHESS,3 vol., 1990.8 Pour l’histoire antique, voir Marcel DÉTIENNE, Comparer l’incomparable, Paris, Seuil, 2000,et François DOSSE sous la rubrique « L’école d’anthropologie historique de l’Antiquité grecque »dans Les Courants de l’histoire en France, XIXe-XXe siècle, Paris, A. Colin, 2005 (Gallimard,2007), p. 435-438. L’Antiquité est quelque peu délaissée par André Burguière (sauf dans lesecond article de l’Encyclopædia Universalis, 2008), plus attaché à la filiation de Marc Blochet Lucien Febvre qu’à l’apport de Claude Lévi-Strauss et du structuralisme, et par conséquent àl’importance du mythe, de la parenté et du rituel pour les médiévistes. Sur cet apport, voirJean-Claude SCHMITT, « Anthropologie historique », Le Moyen Âge vue d’ailleurs, Bulletin ducentre d’études médiévales d’Auxerre, hors série, n° 2, 2008,http://cem.revues.org/index8862.html, § 17-21.9 François DOSSE, « L’école d’anthropologie historique », Les Courants, op. cit., p. 434-448, icip. 442. Voir aussi ID, « Plädoyer für eine historische Anthropologie des Mittelalters »,Frühmittelalterliche Studien, 38, 2004, p. 1-16, et L’Histoire en miettes. Des Annales à la« nouvelle histoire », Paris, La Découverte, 2005 [1987], p. 164-165.10 Jacques LE GOFF, « L’historien et l’homme quotidien [1972], repris dans Un autre MoyenÂge, Paris, Gallimard (Quarto), 1999, p. 319 ; réédité d’abord dans Pour un autre Moyen Âge,Paris, Gallimard, 1977.11 Le programme d’enseignement de l’année 1975-1976 indique encore « Histoire et sociologiede l’Occident médiéval », p. 74. Mais le compte-rendu de l’année 1975-1976 porte le titre« Anthropologie historique de l’Occident médiéval », p. 188, puis le programme de 1976-1977,p. 23 (Arch. de l’EHESS, Paris). Sur la percée de la notion d’anthropologie historique dans lesprogrammes de l’EHESS : Lucette VALENSI et Nathan WACHTEL, « L’anthropologie historique »,op. cit. Pour le Moyen Âge et le moment décisif des années 1960, entériné dix ans plus tard,Jean-Claude SCHMITT, « Le séminaire », L’Ogre historien, Paris, Gallimard, 1998, p. 17-32.12 Jacques LE GOFF, Pour un autre Moyen Âge. Temps, travail et culture en Occident :18 essais, Paris, Gallimard, p. 15 de l’édition « Quarto », Paris, Gallimard, 1999.13 Ibid., p. 16.14 Malgré les attaques portées par les historiens contre le récit en raison de l’associationdominante entre narration et fiction, et pour rompre avec les histoires événementielles etromantiques.15 Kenneth BURKE, The Grammar of Motives, New York, Prince-Hall, 1945, et William LABOV etJoshua WALETSKY, « Narrative analysis », Journal of Narrative and Life History, 7, 1997, p. 3-38 (Essays on the verbal and visual Arts, 1967) – tous deux à la suite du concept aristotéliciende peripéteia (Trouble chez Burke). « Une histoire commence lorsqu’apparaît une sorte debrèche dans l’ordre des choses », « (…) ce qui nous pousse vers le récit, c’est précisément ce quine se déroule pas comme nous l’espérions » : Jerome BRUNER, trad. fr. Pourquoi nousracontons-nous des histoires ?, Paris, Retz, 2002, p. 19 et 28. Krzysztof POMIAN (L’Ordre dutemps, Paris, Gallimard, 1984) introduit la question du récit historique par les causesordinaires de la narration, p. 74-75.16 « Découvrir de l’hétérogène » (p. 107), « faire sorti des différences » (p. 110) :Michel DE CERTEAU, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 106 et s. (c’est lui quisouligne). Michel DE CERTEAU est lui-même pour « L’invention du quotidien », titre général deArts de faire et de Habiter, cuisiner (avec Luce GIARD et Pierre MAYOL), Paris, 1980 ; Gallimard,1990 et 1994. Cf. Pierre MAYOL, « Michel de Certeau, l’historien et la culture ordinaire », Esprit,283, 2002, p. 191-205.17 ID., « Temps, espace, objets », in Jacques REVEL et Jean-Claude SCHMITT (éd.), L’Orgrehistorien. Autour de Jacques Le Goff, Paris, Gallimard, 1998, p. 73.18 Paul RICŒUR, Temps et Récit. 1. L’intrigue et le récit historique, Paris, Seuil, 1983, p. 366 ets., ici p. 365.

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19 Ibid., p. 196-197.20 Fernand BRAUDEL, La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II,Paris, Armand Colin, 3e édition revue et augmentée, 1976, vol. 1, p. 95.21 Cf. son article manifeste de 1961 : Georges DUBY, « L’histoire des mentalités », dans CharlesSAMARAN (dir.), L’Histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, p. 937-966, et en 1972 « Histoiredes systèmes de valeurs », dans Dominique MOÏSI et Jérôme DUMOULIN (dir.), L’Historien entrel’ethnologue et le futurologue, Paris, Mouton, p. 251-263, repris dans Mâle Moyen Âge. Del’amour et autres essais, Paris, Flammarion, 1988, p. 165-179.22 Paul RICŒUR, Temps et Récit, 1. L’intrigue, op. cit., p. 386.23 Sur cette question, voir Reinhard KOSELLECK, « Darstellung, Ereignis und Struktur » (1973),repris et trad. dans Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris,Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2005, p. 133 et 137.24 Georges DUBY, Les Trois Ordres ou l’Imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978.25 Fernand BRAUDEL, Écrits sur l’histoire, Paris, Flammarion, 1969, p. 76.26 Cf. note 15. Jerome BRUNER, « Finalement, pourquoi des récits ? », op. cit., p. 79 et s.27 Jean WIRTH, « La fin des mentalités », Les Dossiers du Grihl. Les dossiers de Jean-PierreCavaillé, 2008, http://dossiersgrihl.revues.org/284. Cette conférence, prononcée en 1988, estantérieure à l’ouvrage de Geoffrey E.R. LLOYD, Demystifying Mentalities, Cambridge,Cambridge University Press, 1990, trad. fr. Pour en finir avec les mentalités, Paris, LaDécouverte, 1993, dont la conclusion est intitulée « La fin des mentalités ».28 Cf. Peter BROWN, trad. fr. La Vie de saint Augustin, Paris, Seuil, nouv. éd. aug. 2001 (1971).29 GUILLAUME DE NANGIS, Chronique latine, éd. Hercule GÉRAUD, Paris, Renouard, vol. 1, 1843,p. 9 et 15.30 De fait, c’est Jean-Claude SCHMITT qui traite des marginaux dans La Nouvelle Histoire,op. cit. : « L’histoire des marginaux », p. 277-305, et Jacques LE GOFF contribue en 1979 àl’ouvrage Les Marginaux et les Exclus dans l’histoire, dirigé par Bernard VINCENT, par un articleprogrammatique : « Les marginaux dans l’Occident médiéval », p. 19-28.31 Deux expressions d’Arlette FARGE, Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle, Paris,Gallimard/Julliard, 1979 et 1992, p. 10 et 11 ; voir aussi La Vie fragile. Violence, pouvoirs etsolidarités à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1986, p. 7 et s.32 Les Olim, éd. Arthur BEUGNOT, Paris, Imprimerie royale, 1839, t. 2, p. 61, n° 3641 (Olim, IV,f. 157).33 Archives de l’EHESS, Paris : Annuaires de l’EHESS. Comptes rendus des cours etconférences, 1974-1975, p. 198-200 (« structure de l’imaginaire », « exempla médiévaux »,« les rêves… », « le merveilleux… ») ; 1975-1976, p. 188-190 (« les problèmes des rapportsécrit-oral, culture savante-culture populaire ont continué à faire l’objet d’une attention spécialedans la perspective d’une anthropologie historique de la société occidentale ») ; 1976-1977,p. 271-273 (premier axe « Culture savante et culture populaire au Moyen Âge : les exempla » ;publications : « “Jeunes” et danse des chevaux de bois. Le folklore méridional… », « “Religionspopulaire” et culture folklorique », etc.). Je remercie Goulven Le Brech et Yamina Irid, duService des archives de l’EHESS, pour leur aide et leur disponibilité.34 L’historien de la pensée des perdants durant l’Antiquité tardive est encore plus redevable àcette condition « négative » de l’existence historique des idées : cas exemplaires du ContreCelse d’ORIGÈNE et du Contre les hérésies d’IRENÉE DE LYON.35 Arnold ESCH, « Chance de transmission et hasard de transmission. Représentativité etdéformation de la transmission historique », in Jean-Claude SCHMITT et Otto – Gerhard OEXLE(dir.), Les Tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, Paris,Publications de la Sorbonne, 2002, p. X, note 28. Sur l’effet de sélection historique sur le savoirdes sociétés passées voir aussi son article de départ : « Überlieferungs-Chance undÜberlieferungs-Zufall als methodisches Problem des Historikers », Historische Zeitschrift,240, 1985, p. 529-570 (à propos des conditions sociales de la transmission évoquées plus haut,p. 544 et s.) et Der Historiker und die Erfahrung vergangener Zeiten, Munich, 1994, p. 39-69.36 Au sens de Seymour EPSTEIN, « Traits are Alive and Well », in David MAGNUSSON et NormanS. ENDLER (éd.), Personnality at the Crossroads, Hillsdale NJ, Lawrence Erlbaum Associates,1977, p. 83-98.37 Michel LORBLANCHET, La Naissance de l’art. Genèse de l’art préhistorique dans le monde,Paris, Errance, 1999, à propos des premières collectes de curiosités naturelles, p. 89 et s.

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38 Laurent OLIVIER, Le Sombre abîme du temps. Mémoire et archéologie, Paris, Seuil, 2008,p. 199-200 et passim.39 Daniel ROCHE, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation, XVIIe-XIXe siècle,Paris, Fayard, 1997.40 Jacques Le Goff, « L’histoire politique est-elle toujours l’épine dorsale de l’histoire ? »(1971, « Is politics till the bakstone of History ? »), repris dans L’Imaginaire médiéval, Paris,Gallimard, 1985, p. 337.41 Krzystof POMIAN, « Collezionismo », Enciclopedia dell’arte medievale, Rome, vol. 5, 1994,p. 156-160 et « Collection : une typologie historique », Romantisme, 112, 2001, p. 9-22.42 Je pense par exemple aux travaux de Jean-Pierre DEVROEY, notamment Puissants etmisérables. Système social et monde paysan dans l’Europe des Francs (VIe et IXe siècles),Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2006.43 « Folklore trop méprisé, ethnologie du pauvre, qui est pourtant une source essentielle pourl’anthropologie historique » : Jacques LE GOFF, Pour un autre Moyen Âge (1977), p. 15 de l’éd.« Quarto », Paris Gallimard, 1999.44 Jean-Claude SCHMITT, « Les traditions folkloriques dans la culture médiévale. Quelquesréflexions de méthode » (1981), repris dans Le Corps, les rites, les rêves le temps. Essaisd’anthropologie médiévale, Paris, Gallimard, 2001, p. 129-152.45 ID., Le Saint lévrier. Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le XIIIe siècle, Paris,Flammarion, 1979, nouvelle éd. rev. et aug. 2004. Sur le plan pédagogique, l’auteur est trèsattaché aux travaux de Jeanne FAVRET-SAADA, Les Mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans lebocage, Paris, Gallimard, 1977 ; d’Yvonne VERDIER, Façons de dire, façons de faire. La laveuse,la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979, et de Claudine FABRE-VASSAS, La Bêtesingulière. Les juifs, les chrétiens et le cochon, Paris, Gallimard, 1994. Ils sont cités commeexemples d’« ethnologie européenne » dans J.-C. SCHMITT, « Anthropologie historique »,op. cit., § 21, et repris aux côtés de Arnold VAN GENNEP (Les Rites de passages, 1909) et deVladimir PROPP (Morphologie du conte, 1970) dans la bibliographie « Anthropologiehistorique », de 29 titres, distribuée au séminaire à l’automne 2009.46 Sur le texto-centrisme de la science historique : Krysztof POMIAN, Sur l’histoire, Paris,Gallimard, 1999, p. 346 et s. Sur l’image : Jean-Claude SCHMITT, « L’historien et les images »,dans Otto-Gerhard OEXLE (éd.), Der Blick auf die Bilder. Kunstgeschichte und Geschichte imGespräch, Göttingen, Wallstein Verlag, 1997, p. 7-51 ; Jérôme BASCHET, L’iconographiemédiévale, Paris, Gallimard, 2008. Sur les sources matérielles : Karen HARVEY, History andMaterial Culture. A Student’s Guide to Approaching Alternative Sources, Londres, Routledge,2009.47 Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1971, chap. 1 et chap. 4, « Par purecuriosité pour le spécifique », en particulier p. 82-85. Réflexion poursuivie par PhilippeMongin contre « la culture de l’unique », c’est-à-dire la tendance des historiens à « traiter lesévénements passés au point de vue des caractères qui les individualisent le plus » : Ph. MONGIN,« Retour à Waterloo. Histoire militaire et théorie des jeux », Annales HSS, 2008, 1, p. 64-66,ici p. 64. L’expression « culture de l’unique » est de Jean-Yves GRENIER, « Du bon usage dumodèle en histoire », in J.-Y. GERNIER, C. GRIGNON et P.-M. MENGER (dir.), Le Modèle et le Récit,Paris, Éd. de la MSH, 2001, p. 91.48 Michel DE WAHA, « La hache qui façonne l’eau. Infrastructures du transport maritime etdéveloppement au haut Moyen Âge », in Alain DIERKENS et Jean-Marie SANSTERRE (éd.), Voyageset voyageurs à Byzance et en Occident du VIe au XIe siècle, Genève, Droz, 2000, p. 21-82, icip. 23.49 L’expression est de Paul VEYNE, op. cit., p. 82.50 Titre d’une communication de Jean-Claude SCHMITT prononcée le 22 décembre 2003 aucolloque Corps et image. Techniques de l’image et réflexions sur l’image du XIIe au XVe siècle,dirigé par Katrin KÄRCHER, Kristin MAREK, Raphaële PREISINGER et Marius RIMMELE, Zentrum fürKunst und Medientechnologie (ZKM), Karlsruhe.51 Sur la viralité de l’exceptionnel, pouvant devenir représentatif d’un moment : Pierre-OlivierDITTMAR, « Le débat sur la Bible des illettrés », Séminaire Recherches en histoire visuelled’André GUNTHERT, EHESS, 11 février 2010.52 En lien avec l’« histoire axiologique » : Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire, op. cit., p.94-95.53 Edoardo GRENDI, « Microanalisi e storia sociale », Quaderni storici, 35, 1977, en part. p. 512.

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54 Carlo GINZBURG et Carlo PONI, « La micro-histoire », op. cit., p. 136.55 Jacques LE GOFF, « Les mentalités. Une histoire ambiguë », in Jacques LE GOFF etPierre NORA, Faire de l’histoire, III Nouveaux objets, Paris, Gallimard, 1974, p. 120.56 « Le marginal est un miroir » écrit Bernard VINCENT (dir.), Les Marginaux et les Exclusdans l’histoire, op. cit., p. 12.57 Je me permets de renvoyer à Gil BARTHOLEYNS, « Sociologies de la contrainte en histoire.Grands modèles et petites traces », Revue Historique, 642, 2007, p. 285-322, en part. p. 313-321.58 L’œuvre de Jack GOODY est à ce propos significative, en dernier lieu : The Theft of History,Cambridge, New York - Cambridge University Press, 2006, et The Eurasian Miracle,Cambridge, Polity Press, 2010. Voir Philippe BEAUJARD, Laurent BERGER et Philippe NOREL (dir.),Histoire globale, mondialisations et capitalisme, Paris, La Découverte, 2009. Je remercieLaurent Berger de m’avoir transmis cet ouvrage avant sa sortie en libraire.59 Émile DURKHEIM, « Le rôle des grands hommes dans l’histoire » [1883], repris dans Textes1. Éléments d’une théorie sociale, Paris, Minuit, 1975, p. 409-417, ici p. 409.60 Max WEBER, voir les essais entre 1904 et 1917 publiés dans Gesammelte Aufsätze zurWissenschaftslehre, 2, Tübingen, Mohr, 1951, trad. fr. Essais sur la théorie de la science, Paris,Plon, 1965.61 Cf. Gil BARTHOLEYNS, Pierre-Olivier DITTMAR et Vincent JOLIVET, Image et transgression auMoyen Âge, Paris, PUF, 2008, en particulier l’introduction, « À l’arrière de nos images », et lechap. 1, « Le drame des catégories », p. 9-45 ; Gil BARTHOLEYNS, « Sociologies », op. cit., p. 314-315.62 Giovanni LEVI, L’eredità immateriale : carriera di un esorcista nel Piemonte del Seicento[1985], trad. fr. Le Pouvoir au Village, Paris, Gallimard, 1989, p. 14.63 Bruno LATOUR, Re-assembling The Social. An Introduction To Actor-Network Theory,Oxford University Press, 2006, trad. fr. Changer la société, Refaire de la sociologie, Paris, LaDécouverte, 2006.64 Le « faire » la paix de Nicolas Offenstadt est symptomatique du tournant constructiviste dulien social en histoire comme processus relationnel, fabrication de l’accord : NicolasOFFENSTADT, Faire la paix au Moyen Âge, Paris, O. Jacob, 2007.65 Handbook of Material Culture, éd. par Christopher TILLEY, Webb KEANE, Susanne KÜCHLER,Michael ROWLANDS et Patricia SPYER, Londres-Thousand Oaks-New Dehli, Sage Publications,2006.66 Krzysztof POMIAN, L’Ordre du temps, Paris, Gallimard, 1984, p. 7 et s., avec beaucoup plusde nuances cependant.67 Samuel Noah KRAMER, L’Histoire commence à Sumer [1957, rev. et aug. 1975], Paris,Flammarion, 1994, p. 60 et s.68 Cf. André BURGIÈRE, en 1978, article cité note 2, p. 137-140, et le premier article dansl’Encyclopædia Universalis, cité note 4 ; Jacques LE GOFF, « L’historien et l’homme quotidien »[1972], repris dans Un autre Moyen Âge, op. cit., p. 319 et s.69 Jacques LE GOFF : « la vocation universelle du christianisme maintient [malgré tout] pourl’ethnologie une structure d’accueil… », op. cit., p. 320.70 Jacques LE GOFF et Jean-Claude SCHMITT, préface du Dictionnaire raisonné de l’Occidentmédiéval, Paris, Fayard, 1999, p. VIII.71 Emmanuel LE ROY LADURIE, Montaillou, village occitan de 1294 à 1328, Paris, Gallimard,1975, p. 9.72 Carlo GINZBURG, Il formaggio e i vermi. Il cosmo di un mugnaio del ‘500, Turin, Einaudi,1976, trad. fr. Le Fromage et le vers. L’univers d’un meunier du XVIe siècle, Paris, Flammarion,1980. Andrea DEL COL (éd.), Domenico Scandella detto Menocchio. I processi dell’Inquisizione(1583-1599), Pordenone, Edizioni Biblioteca dell’Immagine, 1990, introduction.73 Relevé par Krzysztof POMIAN, « L’histoire des structures », op. cit., p. 117, à propos de lathèse de Lucien FEBVRE, Philippe II et la Franche-Comté. La crise de 1567 ses origines et sesconséquences : étude d’histoire politique, religieuse et sociale, Paris, Honoré Champion, 1911.74 Ibid.75 Georges DUBY, L’Histoire continue, Paris, O. Jacob, 1991, p. 153.76 « Production de l’événement » dit Pierre NORA, « Le retour de l’événement », in

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Jacques LE GOFF et Pierre NORA (dir.), Faire de l’histoire, I. Nouveaux problèmes, Paris,Gallimard, 1974, p. 287 ; remarque comparative entre l’événement contemporain et ancien,p. 298-300.77 Alain BOUREAU, « Propositions pour une histoire restreinte des mentalités », Annales ESC,1989, 6, p. 1501.78 Reinhard KOSELLECK, Le Futur passé, op. cit., p. 137. La dernière expression est empruntée àHans Robert Jauss.79 Jacques LE GOFF, « L’homme médiéval », in ID. (dir.), L’Homme médiéval, Paris, Seuil,1989, p. 8. Voir les remarques d’Alain BOUREAU, « Récit, drame, histoire », in L’Ogre historien,op. cit., p. 155-156.80 Daniel S. MILO, « L’extraordinaire représentatif », Éditions Papiers,http://editionspapiers.org/publications/lextraordinaire-representatif Voir aussi Id., « Pourune histoire expérimentale, ou la gaie histoire », Annales ESC, 1990, 3, p. 717-734. Plus haut,on citait la « particularité spécifique » de Veyne (note 49), l’« exceptionnel normal » de Grendi(note 53), la « marginalité exemplaire » de Le Goff (note 55).81 Claude LÉVI-STRAUSS, « Histoire et ethnologie » [1949], repris dans Anthropologiestructurale, Paris, Plon, 1958, p. 25.82 ID., citant Edward B. TAYLOR, Primitive Culture, vol. 1, 1873, p. 1.83 Jacques LE GOFF, « Les gestes symboliques dans la vie sociale. Les gestes de la vassalité », inSimboli e simbologia nell’alto Medio Evo, Spolète, 1976, p. 679-788.84 Un exemple récent et pensé comme tel : Jérôme BASCHET, Le Sein du père. Abraham et lapaternité dans l’Occident médiéval, Paris, Gallimard, 2000 (essentiellement à partir desimages).85 Lucien FEBVRE, « Comment reconstituer la vie affective d’autrefois ? La sensibilité etl’histoire », Annales d’Histoire Sociale, 3, 1941, p. 5-20, repris dans Combats pour l’histoire,Paris, A. Colin, 1953, p. 221-238.86 Barbara H. ROSENWEIN, « Histoire de l’émotion : méthodes et approches », Cahiers decivilisation médiévale, 46, 2006, p. 33-48.87 ID. (éd.), Anger’s Past. The Social Uses of an Emotion in the Middle Ages, Ithaca, CornellUniverstiy Press, 1998. Critique, n° 716-717, Émotions médiévales, 2007.88 Damien BOQUET et Piroska NAGY (dir.), Le Sujet des émotions au Moyen Âge, Paris,Beauchesne, 2009 ; Gil BARTHOLEYNS, Pierre-Olivier DITTMAR, Thomas GOLSENNE,Misgav HAR - PELED et Vincent JOLIVET, Adam et l’Astragale. Essais d’anthropologie etd’histoire sur les limites de l’humain, Paris, Éditions de la MSH, 2009.89 Arch. de l’EHESS, Paris, Roland BARTHES, Compte-rendu, 13 p. Barthes fait généralementsuivre les idées du nom de leurs auteurs. Parmi eux, dans les extraits donnés ici, on note à partBarthes lui-même, Alain Touraine, Ignacy Sachs, Jean-Claude Gardin, Chombart de Lauwe,Jean-Pierre Peter, Jean-Paul Aron, Oswald Ducrot. Parmi ceux dont le nom est repris sur laliste des participants de ces journées des 19 et 20 mai 1973 (Arch. de l’EHESS : Liste desparticipants, 1 p.), il y a Raymond Aron, Georges Balandier, Pierre Bourdieu, André Burguière,Claude Bremond, Isaac Chiva, Hubert Damisch, Maurice Godelier, Emmanuel Leroy Ladurie,Jean Malaurie, Robert Mandrou, Jean Petitot.90 Arch. de l’EHESS, Paris : Programme des séances de travail, 1 p.91 Arch. de l’EHESS, Paris : Roland BARTHES, Compte-rendu, p. 3.

Pour citer cet article

Référence électroniqueGil Bartholeyns, « Le paradoxe de l’ordinaire et l’anthropologie historique », L’Atelier du Centrede recherches historiques [En ligne], 06 | 2010, mis en ligne le 11 juillet 2010, consulté le 24janvier 2013. URL : http://acrh.revues.org/1928 ; DOI : 10.4000/acrh.1928

Auteur

Gil Bartholeyns

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Gil Bartholeyns est maître de conférences à l’Université de Lille 3, titulaire de la chaire CNRSCulture visuelle - Visual studies. Ancien chercheur du FNRS à l’Université libre de Bruxelles età l’EHESS, puis à Oxford et au Musée du quai Branly, il a coécrit Image et transgression auxMoyen Âge (PUF, 2008), coédité Adam et l’astragale. Essais d’anthropologie et d’histoire surles limites de l’humain (Éditions de la MSH, 2009) et La Performance des images (Éditions del’Université de Bruxelles, 2010). Prochainement Les apparences de l’homme. Penser l’objet etl’ornement corporels pour la revue Civilisations ; Manuel d’anthropologie des techniques(Éditions de la MSH); Naissance d’une culture des apparences (issu de sa thèse de doctorat).

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