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Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
LE PARADOXE DE L'IMPLICATION :SUBJECTIVITÉ ET ENGAGEMENT PROFESSIONNEL DANS LE MÉTIER INFIRMIER.
Mémoire suivi par M-C Le Floch'.
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Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
SOMMAIRE :
Remerciements : 3
Introduction : 4
CHAPITRE I/ L'IMPLIC ATION, UN ENJEU POUR L'ORGANISATION : 8
I.1/ LE DÉTOURNEMENT DES SUBJECTIVITÉS : 8
I.2/ L'IMPLICATION CONTRAINTE : 10
I.3/ L'INJONCTION À S'IMPLIQUER : 14
I.4/ IMPLICATION ET SUR-IMPLICATION : 16
CHAPITRE II/ L'IMPLICATION, UN ENJEU POUR L'ACTEUR : 20
II.1/ IMPLICATION ET AUTONOMIE DANS LE TRAVAIL : 21
II.2/ IMPLICATION ET MODERNITÉ : 24
II.3/ L'HYPER-IMPLICATION : UNE STRATÉGIE DE RÉSISTANCE À L'ENRÔLEMENT DES SUBJECTIVITÉS ?
27
CHAPITRE III/ L'IMPLICATION DANS LE MÉTIER INFIRMIER : 31
III.1/ LE RÔLE INFIRMIER : TROIS SECTEURS ET UNE IDENTITÉ ? 31
III.2/ LE MÉTIER INFIRMIER : ENTRE TECHNIQUE, RELATION ET ORGANISATION : 36
III.3/ IMPLICATION, ORGANISATION ET TRAVAIL SUR AUTRUI : 39
CHAPITRE IV/ MÉTHODOLOGIE ET DÉROULEMENT DE L'ENQUÊTE : 42
IV.1/ CHOIX MÉTHODOLOGIQUES : 42
IV.1.1/ L’entretien semi-directif : 42
IV.1.2/ Le guide d’entretien : 44
IV.1.3/ É tude exploratoire et échantillonnage : 44
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IV.2/ DE LA DIFFICULTÉ D'OUVERTURE D'UN TERRAIN À LA DÉCOUVERTE D'UN NOUVEAU MATÉRIAU :
45
IV.3/ ANALYSE DES CONDITIONS D'ENQUÊTE : 47
IV.3.1/ Les entretiens : 47
IV.3.2/ Les Forums : 49
IV.3.3/ Les discussions informelles : 49
CHAPITRE V/ AUX ORIGINES DE L'IMPLICATION : 51
V.1/ UN MODÈLE OU UNE HISTOIRE COMME BASE MOTIVATIONNELLE : 51
V.2/ UN ESPACE SUBJECTIF AUX SOURCES DE L'IMPLICATION : CARACTÈRE ET VOCATION : 55
V.3/ LE DON DE SOI, LE STATUT ET LE RÔLE : TROIS PROFILS POUR TROIS SECTEURS? 58
CHAPITRE VI/ LA CARRIÈRE IMPLICATIONNELLE : 62
VI.1/ L'IMPLICATION COMME UNE CARRIÈRE : 62
VI.2/ LE RELATIONNEL AU COEUR DE L'IMPLICATION : 65
VI.3/ LA CARRIÈRE IMPLICATIONNELLE ET SES LIMITES : 70
CHAPITRE VII/ IMPLICATION ET RECHERCHE D'AUTHENTICITÉ : 74
CONCLUSION : 81
GLOSSAIRE : 84
BIBLIOGRAPHIE : 86
ANNEXES : 89
=> ANNEXE 1 : GUIDE D'ENTRETIEN : 90
=> ANNEXE 2 : TABLEAU SIGNALÉTIQUE DES ENTRETIENS RÉALISÉS : 92
=> ANNEXE 3 : DESCRIPTION SYNTHÉTIQUE DES INFIRMIÈRES ENTRETENUES : 93
=> ANNEXE 4 : EXEMPLE DE DISCUSSIONS SUR LES FORUMS INFIRMIERS : 99
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Je tiens à remercier pour ce mémoire :
Mme Le Floch' pour son écoute, ses conseils et sa disponibilité,
M Caradec pour les séminaires qui ont nourri et aiguisé notre réflexion,
M Durand et M Martuccelli pour leurs conseils,
Mes camarades de Master, et notamment Jérémie, pour la fécondité de nos échanges,
Et, enfin, Adeline pour sa patience et ses conseils toujours avisés.
Je lui dédie ce travail ainsi qu'à notre enfant qu'elle porte encore lorsque j'écris ces lignes...
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INTRODUCTION :
« Il n'y plus rien qui va ! Le monde tombe en ruine ! »
Combien de fois n'avons-nous pas entendu ce type de discours sur la fin du monde, la
fin d'un monde. A chaque coin de rue, au détour d'un caddie, aux arrêts de bus ou encore sur
un lieu de travail, ce ressenti commun semble ressurgir. On dénonce le délitement des
relations sociales, la généralisation d'un individualisme destructeur, la disparition du respect.
Mais sur quoi repose ce ressenti ? Est-ce le fruit d'une réelle évolution de la société ?
L'individualisme est-il vraiment la cause de cet ''effondrement'' ? Mais cet effondrement
existe-t-il réellement ?
Nous pouvons effectivement légitimement nous poser la question des évolutions de la
relation entre individu et société, car c'est bien cette question qui est ici en jeu. La sociologie
nous expose également, à plus d'un titre, l'étendue des modifications en cours. Au coeur de
son questionnement, l'évolution de la société s'inscrit en profondeur dans la relation que celle-
ci entretient avec les individus la composant. La problématique sous-jacente ressort sous
diverses formes de questionnement : la question de la modernité en est un des emblèmes, les
réflexions sur la domination, sur les institutions en sont un autre exemple.
Le questionnement traversant ce mémoire, au-delà d'une « simple » perception issue
du sens commun, se base sur, et prolonge plusieurs constats sociologiques. Par exemple,
Christian Thuderoz, dans son article Du lien social dans l'entreprise, Travail et
individualisme coopératif1, pose en effet la question des nouvelles organisations de l'atelier en
montrant l'insuffisance de l'explication de la fin du taylorisme. Celui-ci cherche en effet à
démontrer l'émergence d'une « nouvelle donne sociale et productive »2 au sein de l'atelier au
travers des recompositions des relations sociales, et de la redéfinition des rapports de
l'individu au collectif. Malgré un discours des entreprises de plus en plus « citoyennes », les
relations salariales se tendent, mises en péril par le poids du chômage et des différentes
« restructurations nécessaires ». Il constate ainsi, notamment avec des interlocuteurs
syndicaux, que les collectifs de travail sont menacés mais, participent, dans un même
mouvement à une forte évolution, grâce à l'émergence d'innovations telles que cercles de
1 Thuderoz C., « Du lien social dans l'entreprise, travail et individualisme coopératif », in Revue Française de Sociologie, XXXVI, 2, 1995, pp. 325-354.
2 Ibid, p. 325.
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qualité, groupes de travail,... Ce sont en effet ces nouvelles façons de s'organiser et de
coopérer, plus horizontales, d'après l'auteur, qui auront permis une appropriation d'espaces
d'expression dans l'entreprise où l'ouvrier semble davantage écouté, mais aussi sollicité pour
résoudre les problèmes en coopérant avec d'autres corps de métiers. Thuderoz insiste sur le
fait que l'existence des dispositifs participatifs notamment, ne supprime pas les mécanismes
de contrôle et de coercition, mais « ils les recomposent. Ils ne gomment pas la relation de
subordination, mais ils peuvent permettre “une redistribution et une négociation de la
distribution des initiatives, des sanctions et des contrôles”. »3.
Il y a attachement au collectif de travail, mais avec une forte conscience de la
révocabilité de celui-ci. L'acteur se garde toujours ainsi la possibilité de rompre son lien avec
son groupe de travail. « Cet individualisme sera donc dit coopératif, car il mêle étroitement le
souci de l'individu de se réaliser lui-même [...] et sa volonté d'agir, avec d'autres individus,
pour réaliser un projet. »4. Pour conclure, Thuderoz module son propos, se défendant ainsi de
proclamer le triomphe de l'individualisme. Il désire juste montrer des évolutions notables, des
cassures, dans des situations qui ne sont jamais aussi claires, du fait de la perpétuelle
négociation entre formes, nouvelles et traditionnelles, d'agir en entreprise. Ainsi, pour lui,
l'entreprise s'est fait « contaminée » par les influences de la modernisation avancée de nos
sociétés, faisant de l'individu un être autonome, soucieux de lui-même, réflexif...
Cet exemple d'une théorie sociologique sur les évolutions des relations entre acteur et
organisation5 nous paraît très probant pour notre étude. Nous aurions pu également parler, afin
de mettre en valeur ces évolutions, du déclin de l'institution étudié par Dubet. En effet,
nombreuses sont les études récentes à avoir questionné les effets de celles-ci sur la
construction des institutions et des organisations. Or, à la lecture de ces différents ouvrages,
nous avons été amenés à nous demander : mais que se joue-t-il pour l'acteur quand la relation
aux groupes, aux organisations changent ? Lui, qui vit la société de l'intérieur, change-t-il
également, et si oui, dans quel sens ?
C'est ce que nous proposerons d'approcher tout au long de ce mémoire. Pour cela, nous
nous pencherons sur l'implication de l'acteur dans son travail. En effet, le travail représente
encore la principale forme d'organisation avec laquelle l'individu est en contact, quasiment
quotidiennement. Or questionner son implication au travail, revient à se demander comment
3 Op. Cit., p. 342.4 Ibid., p. 346.5 Quelques termes sont définis dans le glossaire en fin de mémoire afin de clarifier ma position vis-à-vis des
nombreux débats théoriques sur ces questions.
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l'acteur s'attache et s'investit dans l'organisation, comment il se conçoit face aux contraintes
organisationnelles.
Ce mémoire de Master 2 recherche se cantonnera ici à explorer le champs de
l'implication au travail en vue de préparer un travail de thèse devant suivre. En effet, comme
le dirait Martuccelli, « l'intérêt de la question posée est partie prenante de la vertu de la
réponse apportée. »6. Nous essayerons donc d'élaguer au maximum notre problématique et nos
hypothèses afin d'en sortir l'essence, le coeur solide utilisable pour la thèse.
Dans cette optique, nous commencerons par étudier ce que la sociologie a pu nous
apprendre sur l'implication, successivement en l'envisageant du point de vue de l'organisation
(chapitre I) puis du point de vue de l'acteur (chapitre II). En effet, la sociologie du travail
actuelle nous apprend, a plus d'un titre, comment l'organisation du travail (et principalement
le management moderne) met en place différentes stratégies pour inclure l'individu dans sa
recherche de profit notamment, et dans les objectifs de l'entreprise plus largement. Nous
avons ainsi pu voir apparaître des concepts tels que l'enrôlement de la subjectivité ou encore
l'implication contrainte nous révélant ainsi la place décisive que prend aujourd'hui la
subjectivité de l'acteur au travail. Faire adhérer pleinement l'individu aux objectifs de
l'entreprise semble ainsi devenir l'enjeu principal des modes d'organisation du travail actuels.
Par conséquent, se placer du côté de l'acteur revient pour nous à poser la question de la
réception de ces « injonctions à s'impliquer ». Autrement dit, nous nous demanderons ce qui
se joue pour l'individu lors de cette mise en tension de son implication professionnel. Nous
verrons ensuite pourquoi nous avons choisi d'étudier le métier infirmier et comment celui-ci
nous paraît intéressant dans notre approche de l'implication au travail (chapitre III). Il nous
faudra bien sûr expliquer ensuite la démarche que nous avons utilisé pour notre enquête
(chapitre IV), en essayant d'en faire ressortir les avantages et les limites. Enfin, les trois
derniers chapitres seront consacrés à l'analyse de nos résultats de terrains où nous
commencerons par tenter de dégager un schéma des origines de l'implication (chapitre V),
puis nous exposerons notre vision de l'implication comme un processus prenant racine dans la
pratique du métier autour de l'importance du relationnel notamment (chapitre VI), pour enfin
terminer sur la question des liens entre implication et modernité (chapitre VII) où seront
présentées nos principales hypothèses de travail pour la thèse.
6 Martuccelli Danilo, La consistance du social, une sociologie pour la modernité, Rennes, Coll. Le Sens Social, Presses Universitaires de Rennes, 2005.
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CHAPITRE I :
L'IMPLICATION, UN ENJEU POUR L'ORGANISATION :
Dans la littérature sociologique des vingt dernières années, la question de l'implication
et de l'engagement est apparue de plus en plus centrale dans l'analyse de l'organisation du
travail et au vécu de cette expérience. Nous commencerons donc par explorer ce champs très
large des études sur l'implication en se concentrant sur le point de vue de l'organisation. En
d'autres termes, il s'agira d'appréhender, dans un premier temps, l'intérêt de l'organisation pour
cette question de l'engagement de ses employés, puis de savoir comment le regard
sociologique a pu faire une lecture des différents mécanismes mis en place, à cette fin, dans
l'organisation. Le troisième moment sera consacré à l'étude de l'importance sociétale de cette
question pour enfin déboucher sur notre questionnement final de savoir à quel moment
l'implication du travailleur bascule dans la « sur-implication », dans laquelle l'engagement au
travail sert davantage l'organisation que le travailleur (rejoignant ainsi la question de
l'exploitation).
I.1/ LE DÉTOURNEMENT DES SUBJECTIVITÉS :
L'article de Danièle et Robert Linhart7 sur l'évolution de l'organisation du travail se
pose la question de la justesse des analyses récentes sur l'émergence de nouvelles
organisations. En effet, reprenant les thèses de plusieurs auteurs, dont Veltz, Zarifian et
Thuderoz, ce dernier ayant été abordé dans l'introduction, ils diffèrent cependant sur les
conclusions à apporter. Ainsi, pour eux, les évolutions que sont l'importance de la
communication, du travail en coopération, ou encore la valorisation de l'autonomie, ne
représente pas la fin du Taylorisme, bien au contraire, mais une évolution, une adaptation, de
celui-ci.
Le taylorisme ne s'est jamais caché d'être une organisation de la contrainte dans
l'entreprise, une forme institutionnalisée de domination8 : « L'organisation scientifique du 7 Linhart Danièle, Linhart Robert, « l’évolution de l’organisation du travail », in Kergoat Jacques, Boutier
Josiane, Linhart Danièle, Jacot Henri, Le monde du travail, Paris, La Découverte, coll. Textes à l'appui, 1998, pp. 301-308.
8 Il est bien entendu que la domination ici évoquée, est une domination systémique et ne veut en aucun cas se situer dans une théorie d'un « complot » de quelques personnes dominant l'énorme masse des travailleurs. Les
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travail correspondait ainsi à l'institutionnalisation d'une certaine forme de contrainte, de
coercition dans le procès même du travail, à un détour organisationnel pour obliger les
ouvriers à travailler en fonction, non pas de leurs intérêt propres, mais de ce qui était alors
présenté par Taylor comme le bien du plus grand nombre, le bien de la nation. On sait que
c'est devenu surtout une machine de guerre contre les ouvriers. »9. Pour les auteurs, les
directions des entreprises aujourd'hui se sont engagées dans une rénovation de leurs outils de
domination, sans pour autant renier l'héritage Taylorien de l'organisation du travail.
Afin de contrer les auteurs du post-taylorisme cités ci-dessus, Danièle et Robert
Linhart leur reprochent de ne jamais poser la question de l'acceptation par les salariés des
nouvelles demandes du management coopératif, reposant si fortement sur l'engagement des
subjectivités. Or, « l'engagement ne semble pas pour autant garanti. [...] On en veut pour
preuve l'immense effort entrepris par ces directions pour « travailler » la subjectivités des
salariés, pour transformer une identité qui leur paraît encore bien trop enracinée dans les
valeurs du passé »10.
Ainsi, d'un côté, on garde la séparation très stricte des tâches de conception et de
réalisation, tout en cherchant de l'autre à impliquer, à mobiliser les subjectivités des employés.
« Là où l'initiative était interdite, la voilà obligatoire sous la forme d'une sollicitation
systématique de la mobilisation personnelle et des échanges intersubjectifs dans les équipes.
La prescription de l'activité se fait prescription de la subjectivité » note également Yves
Clot11. Le mode d'organisation pratique reste très Taylorien tandis que, paradoxalement, les
entreprises « se sont d'ores et déjà lancées dans ce qu'on peut appeler une bataille identitaire
pour moderniser la tête des salariés, c'est-à-dire leur faire intérioriser les valeurs, la culture,
les méthodes standard de raisonnement de l'entreprise, [...], à partir de la rationalité dominante
de l'entreprise excluant tout débat, toute discussion possible, toute proposition alternative
quant à la manière de gérer »12. Il s'agit donc, selon les auteurs, de fracturer les formes
traditionnelles de solidarité afin de créer une nouvelle solidarité interne à, et générée par,
l'entreprise. Cet objectif paraît très contradictoire et problématique vis à vis de la persistance
des formes procédurales tayloriennes d'autant plus que celles-ci demandent une très forte
dominants ne sont tels que parce qu'ils sont les « bénéficiaires » de cette organisation de la domination, et non parce qu'ils veulent, à titre individuels, aliéner ou asservir leurs vis-à-vis.
9 Ibid., p.305.10 Linhart Danièle et Robert, Op. Cit., p. 305.11 Clot Yves, « Le sujet au travail », in Kergoat Jacques, Boutier Josiane, Linhart Danièle, Jacot Henri, Le
monde du travail, Paris, La Découverte, coll. Textes à l'appui, 1998, pp. 165-172.12 Linhart Danièle et Robert, ibid. p. 307.
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obéissance alors que les nouvelles attentes s'articulent autour des notions de dialogue, de la
prise d'initiative et de l'autonomie.
En parallèle, Pascal Nicolas-Le Strat13 mène une analyse similaire sur les métiers de
l'intervention sociale faisant fortement appel à ces « nouvelles technologies de la
participation-implication » comme nous pourrons le voir un peu plus loin. Il nous dit par
exemple que l'implication souhaitée est constitutive aujourd'hui du « principe organisationnel
central de la gestion productive »14. Ainsi, pour lui, les entreprises aujourd'hui recherchent la
seule participation positive, constructive et responsable, pour une auto-activation par le
travailleur de sa propre activité de travail. On cherche ainsi à stimuler la capacité de réponse
des individus et à les responsabiliser vis-à-vis de la performance globale du système
productif. La notion d'implication n'est pas nouvelle aujourd'hui15, mais le post-fordisme la
renouvelle en y convoquant la subjectivité qui devient une source de richesse en tant
qu'intelligence collective ouvrière mise au service du travail.
Cette idée de détournement, de prescription des subjectivités, voire même
d'enrôlement dans un sens plus fort, apparaît donc aujourd'hui cruciale dans le vécu du monde
du travail. Danièle et Robert Linhart nous disent que l'organisation du travail aujourd'hui n'a
pas encore pratiquement évolué de la même manière que ces injonctions, au travers de toutes
les persistances de l'organisation taylorienne. Cependant, nous allons voir, dans la partie
suivante, qu'elle peut également être génératrice d'un important phénomène d'implication
contrainte.
I.2/ L'IMPLICATION CONTRAINTE :
Jean-Pierre Durand, dans son livre sur la chaîne invisible16, nous explique pourquoi il
a fondé ce concept d'implication contrainte pour rendre compte des évoluions de
l'organisation du travail aujourd'hui. Ainsi, il part du constat paradoxal que « la grande
majorité de ceux qui disposent d'un emploi (stable ou précaire) travaillent plus dur qu'hier17,
soit à travers un alourdissement de la charge de travail, soit à travers un allongement de la 13 Nicolas-Le Strat Pascal, L'implication, une nouvelle base de l'intervention sociale, Coll. Technologie de
l'action sociale, éd. L'Harmattan, Paris, 1996, 172p.14 Ibid., p. 14.15 L'auteur note ainsi que le travail à la chaîne est l'engagement le plus total, car il s'agit de répéter une seule
tâche mais sur un mode suraccéléré.16 Durand Jean-Pierre, La chaîne invisible, travailler aujourd'hui : flux tendu et servitude volontaire, Paris,
Seuil, coll. économie humaine, 2004.17 C'est l'auteur qui souligne.
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durée du travail, mais se déclarent en général plus satisfaits qu'autrefois par leur travail. »18.
Il souhaite ainsi éviter les deux écueils principaux liés à cette question : celui d'une vision
enchantée des évolutions de ces organisations (permettant par exemple à l'employé de
s'épanouir dans son travail grâce à l'augmentation de sa marge d'autonomie,...), mais
également celui d'une vision plus désenchantée où l'évolution serait uniquement guidée par la
peur et génératrice de souffrance au travail, niant ainsi l'existence de satisfaction au travail
pourtant nécessaire à l'acceptation du travail.
L'auteur note ainsi un fort développement des contraintes au travail, s'accompagnant
d'une importante demande d'implication faite aux employés. « D'où le concept d'implication
contrainte que nous avons forgé pour rendre compte de ce paradoxe. Les salariés s'engagent
souvent à fond dans leur travail parce qu'ils ne peuvent faire autrement s'ils veulent conserver
leur emploi : le maintien de la tension du flux (pas de panne, pas de rupture du flux, etc.),
renforcé par l'individualisation des salaires fondée sur le comportement des travailleurs, les
contraintes à s'impliquer. En même temps, cette implication est payée de quelques
satisfactions obtenues dans l'activité du travail : relatif élargissement de l'autonomie de
chacun, créativité encouragée quoique encadrée [...] Autant de raisons qui rendent acceptables
la contrainte ou l'obligation d'implication. »19. En mettant en place cette implication
contrainte, voilant le rapport salarial, les organisations se rapprochent fortement d'une
situation de servitude volontaire selon l'auteur. Par quels moyens l'implication contrainte est-
elle générée dans l'organisation ? Et comment rassemble-t-elle ainsi les conditions d'une
nouvelle servitude volontaire, si chère à Étienne de La Boétie ?
Selon Durand, les conditions de travail ont profondément évoluées suivant de
« nouveaux paradigmes organisationnels », dont l'émergence fut favorisée par l'ébranlement
des modèles sociaux traditionnels dû, notamment, à l'importance du chômage structurel. Le
premier et le plus grand paradigme, est l'arrivée du flux-tendu dans la gestion
organisationnelle. Cette arrivée est très fortement liée au capitalisme et à sa logique
d'accumulation de capital. « En effet, le flux-tendu met en mouvement permanent la matière,
en tant que forme de capital, et la force de travail qui le valorise : plus fort que le taylorisme
qui luttait contre la flânerie des hommes, le flux-tendu met en mouvement continu la matière
(donc augmente le taux de rotation du capital) et invente un principe de gestion de la force de
travail qui, tout en évitant un encadrement trop strict (donc en réduisant les coûts), auto-
18 Durand, Op. Cit., p. 16-17.19 Ibid., p. 17.
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engage et auto-mobilise les hommes sur des objectifs qu'ils font leurs (l'hétéro-suggestion) et
qui interdisent concrètement les temps d'inactivité. »20. Nous retrouvons ici l'idée du
détournement des subjectivités en ce que les employés adoptent les objectifs de l'entreprise et
se font les vecteurs volontaires de leurs réalisations.
Poussant un peu plus loin l'idée, Durand explique que le management par projets serait
même la figure emblématique des exigences du flux-tendu aujourd'hui tant les valeurs
réticulaires, de coopération sont centrales dans l'élaboration, dans des délais souvent très
courts, de ces projets mettant en jeu la survie même du groupe, garantissant ainsi sa
discipline. Il rejoint ainsi des auteurs comme David Courpasson21 ou encore, dans un autre
registre, Luc Boltanski et Eve Chiapello22 pour qui cette notion de projet représente l'icône de
l'évolution des organisations capitalistes. Boltanski et Chiapello parlent ainsi d'un nouveau
sens de la justice: la « cité par projets » . Le nom de la « cité par projets » vient de
l'organisation par projets préconisée par les manuels de management. Le projet est en effet
l'occasion et le prétexte de la connexion en réseaux. Il est ainsi comme un noeud de
connexions actives capables de faire exister à un moment donné, des objets ou des sujets. Le
principe supérieur commun de la cité par projets est par conséquent l'activité, au nom de
laquelle on peut juger les actes et les personnes. L'activité s'intègre ainsi à des projets où la
connexion devient un état naturel entre les acteurs. Les mots d'ordre sont donc se connecter,
communiquer, se coordonner, s'ajuster aux autres et faire confiance.
Ainsi, nous voyons que cette organisation plus « mobile et flexible » correspond
parfaitement à l'idéal du flux-tendu, alliant ainsi des contraintes fortes, mais générant
également un investissement fort de la part des salariés, tant la rotation des tâches et des
objectifs rend le travail plus intéressant et plus divers. Il ne faut cependant pas y voir un
éclaircissement radical des conditions de travail car « s'il y a bien élargissement des tâches et
polyvalence, la délégation de responsabilités tant vantée par les « nouveaux organisateurs »
n'a lieu qu'à l'intérieur de procédures et de cadres fixés unilatéralement par les managers et par
les organisateurs »23.
Néanmoins, le flux-tendu apparaît bien comme l'organisation la plus avancée
aujourd'hui dans la course à la rationalisation du travail. Pour l'employé, accepter le flux-
20 Durand, Op. Cit., p.364-365.21 Courpasson David, L'action contrainte, Organisations libérales et dominations, Paris, PUF, Coll. Sciences
Sociales et Société, 2000.22 Boltanski Luc, Chiapello Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.23 Durand, Ibid., p. 367.
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tendu, revient à accepter de se mobiliser et de s'engager, en coopération avec ses pairs, dans
les limites fixées par l'encadrement. D'autant plus que l'environnement économique et social
opacifie dramatiquement la visibilité du statut de travail, rendant ainsi plus facile (voire plus
inconditionnelle) l'acceptation de ce mode d'organisation : la menace du chômage et la
recherche de sûreté de l'emploi, le suivi des comportements et le modèle de la compétence, la
précarité du travail et l'organisation cimentée autour d'un coeur stable restreint et d'une
périphérie menacée et élargie, ... Outre un intérêt certain et une augmentation de la
satisfaction ressentie dans des emplois souvent plus contraignants, Jean-Pierre Durand se
demande ce qui peut faire accepter à l'employé de se plier aux exigences de cette implication
contrainte. L'auteur distingue ainsi cinq logiques, parfois contradictoires, pouvant permettre
de mieux appréhender les raisons du difficile engagement au travail aujourd'hui :
1. Chacun est contraint de vendre sa force de travail pour vivre ;
2. Aujourd'hui le salarié est contraint de bien travailler pour satisfaire aux exigences du
flux-tendu imposé par les employeurs ;
3. « Pour ajuster son comportement aux nouvelles normes, le salarié mobilise tout son
être : d'où les notions de savoir-être et de mobilisation de la subjectivité, d'implication,
d'engagement et mieux encore d'adhésion à la culture et aux objectifs de
l'entreprise »24 ;
4. Le salaire reçu en échange du travail ne rémunère pas complètement l'engagement
fourni, car on donne à l'employé « l'opportunité de conserver son emploi »25 ;
5. Pour continuer à supporter les contraintes de son implication, le salarié se négocie un
ensemble de croyances, les transformant ainsi en un engagement volontaire rendant le
travail plus intéressant. « D'où l'idée de consentement paradoxal au travail, qui associe
une satisfaction au travail née d'une hétéro-suggestion : puisque l'implication est
contrainte, la sortie du paradoxe réside dans la construction volontaire de
l'acceptabilité du travail ; on pourrait aussi parler d'une soumission à une situation
imposée. »26.
24 Durand, Op. Cit., p. 372.25 Cette phrase un peu caricaturale fait bien ressortir l'idée énoncée par Mr Durand d'une forme de chantage à
l'emploi.26 Ibid., p. 373.
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I.3/ L'INJONCTION À S'IMPLIQUER :
Danilo Martuccelli, dans son article sur les figures de la domination27, vient compléter
notre propos en essayant de redéfinir les mécanismes de la domination et leurs évolutions
aujourd'hui. Car, en effet, comme nous venons de le voir, ces tentatives de prescription de la
subjectivité rentrent bien dans un effort de rationalisation et de contrôle des salariés, en
d'autres termes, dans des formes d'exercice d'une domination au sein de l'entreprise. Ainsi,
l'auteur cherche à reposer la question des figures de la domination afin de prétendre à un
schéma plus actuel et plus proche de notre réalité sociale. Il pose ainsi deux grands axes
analytiques qui lui permettront de définir quatre idéaux-types des expériences de la
domination.
Dans son premier axe analytique, il se charge de distinguer deux dimensions de la
domination à travers les notions de consentement et de contrainte. En effet, il ne faut pas
négliger aujourd’hui les compétences critiques de l’individu, sortant ainsi de son ignorance
des jeux de domination. Le consentement des dominés n’est plus aujourd’hui aussi clair
qu’avant. Les principes de l’imposition culturelle, telle qu’elle était envisagée, ne s’applique
plus aussi directement du fait de cette déchirure du voile de l’ignorance. Cependant, il nous
présente la deuxième dimension, plus actuelle d’après lui et que nous avons déjà rencontré au-
dessus, c'est-à-dire la contrainte. Elle émerge en opposition au consentement et peut se définir
comme suit, au sens de Courpasson : « La contrainte y est vue à la fois comme une limite
d’action et comme un déterminant de l’action. Elle diminue le champ des choix possibles, et
en détermine partiellement le contenu. »28. Pour Martuccelli, on observe aujourd’hui une
prépondérance de la contrainte sur le consentement, c'est-à-dire « du primat des principes de
l’intégration systémique sur ceux de l’intégration sociale »29.
Le second axe analytique repose quant à lui sur la distinction des inscriptions
subjectives de la domination : L’assujettissement et la responsabilisation. L’assujettissement
est le mécanisme assez classique d’assignation de l’individu comme sujet, c'est-à-dire dominé
et non acteur de sa propre vie. Mais aujourd’hui, dans les sociétés modernes occidentales, on
fait de plus en plus appel à la responsabilité individuelle dans l’explication des situations
d’échec,… En d’autres termes, l’individu est contraint d’intérioriser sa situation d’échec
27 Martuccelli Danilo, Figures de la domination, in Revue Française de sociologie, 45-3, 2004, pp. 469-497.28 Courpasson, L'action contrainte, Op. Cit, p.24.29 Martuccelli Danilo, Figures de la domination, ibid., p.476.
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comme une faute personnelle, il devient responsable de tout ce qui lui arrive dans une logique
conséquentialiste où il est jugé sur ce qu’il a fait, n’a pas fait ou aurait dû faire.
Au croisement de ces deux axes analytiques, nous pouvons trouver quatre idéaux-
types d’expériences de la domination :
Consentement ContrainteAssujettissement Inculcation Implosion
Responsabilisation Injonction Dévolution
L’inculcation, figure la plus classique de la sociologie de la domination, repose sur la
manipulation des besoins dans le but de maintenir cette domination. Il s’agit d’un processus
de consentement inscrit sous forme d’assujettissement.
L’implosion, proche de l’aliénation, repose sur la transformation des problèmes
sociaux en problèmes psychologiques notamment à travers le sentiment d’impuissance.
Autrement dit, « c’est donc dans l’écart entre les contraintes subies et l’appel, impossible à
satisfaire, à devenir un sujet que réside en dernier ressort l’implosion de l’individu »30.
L’injonction, gardant l’idée d’une norme, cherche le consentement par l’appel à
l’individu en tant qu’acteur, et notamment de sa propre vie. L’exigence doit venir de soi. Il
existe quatre formes principales d’injonction : l’injonction à l’autonomie, l’injonction à
l’indépendance, l’injonction à la participation et enfin l’injonction à l’authenticité.
La dévolution, dernier idéal-type, en rappelant l’existence d’une solidarité collective,
renvoie à la responsabilité des situations d’échec de l’individu. Il cause et se cause des torts et
doit donc assumer seul les conséquences de ses actes. Il se trouve contraint d’assumer sa vie.
Pour Martuccelli, la dévolution sert à masquer l’absence croissante de maîtrise des processus
sociaux de la part des dirigeants, ayant recours à une responsabilisation à outrance.
Nous retrouvons ainsi l'idée de consentement paradoxal, exposée plus haut, dans la
figure de l'injonction à participer et donc à s'impliquer et à s'engager. L'employeur cherche le
consentement de l'individu à subir sa domination. Cependant, la figure de la dévolution nous
semble plus probante aujourd'hui par l'inscription forte des contraintes face à la
responsabilisation de l'individu. Martuccelli dit lui-même : « la domination s'exerce désormais
moins par le biais du consentement, que par des contraintes de plus en plus éprouvées et
présentées comme des contraintes. [...] au sein de l'intermonde, la domination ne trouve plus
30 Martuccelli Danilo, Figures de la domination, Op. Cit., p.482.
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son noyau principal dans une idéologie unique, mais dans un ensemble de contraintes, qui en
dépit de leur malléabilité, sont parfois vécues comme étant indépassables par l'acteur. C'est
lorsque la vie sociale cesse d'être éprouvée comme élastique que la domination s'impose. »31.
Mais, aujourd'hui, cette domination cherche de plus en plus à dompter l'autonomie des
salariés en cherchant à endiguer et contrôler l'initiative, en construisant des réseaux où les
compétences individuelles des salariés pourront créer une plus-value substantielle pour
l'entreprise. Mais ces diverses injonctions à l'initiative, à l'autonomie, exigent intrinsèquement
une très forte implication de la part des salariés, implication d'autant plus sans borne qu'elle
est difficilement mesurable. « La gestion de l'initiative par le pouvoir passe de plus en plus
par la capacité à mettre en contact des individus et des compétences, au sein d'une
configuration permettant d'augmenter l'efficacité d'ensemble d'un système ou d'un réseau, en
exigeant un plus grand investissement du salarié. »32.
I.4/ IMPLICATION ET SUR-IMPLICATION :
Nous venons donc de voir pourquoi les entreprises cherchent aujourd'hui à placer les
subjectivités de leurs employés en adéquation avec les propres objectifs entreprenariaux et
comment cela peut se faire, à travers des modes d'organisation novateurs et des normes de
contrôles (voire la mise en place d'auto-contrôles par les normes et le renvoi constant à la
responsabilité individuelle). La question de l'implication devient donc centrale aujourd'hui
dans l'analyse du travail et des relations de pouvoir au travail. La question légitime qui vient
ensuite est de savoir à quel moment l'implication devient néfaste pour l'employé, ou en tout
cas relève davantage du ressort de l'exploitation que de l'épanouissement. En effet,
l'implication paraît, dans un premier temps, nécessaire au travailleur pour ressentir du
« plaisir » et de la satisfaction au travail, mais, dans un second temps, semble le desservir en
devenant un outil pour l'entreprise, un facteur générateur d'une plus-value ne bénéficiant pas
au travailleur étant donné son manque de mesurabilité et, par conséquent, de rémunérabilité
directe. Nous reconnaissons ainsi la définition même de l'exploitation comme a pu la
présenter Danilo Martuccelli dans son article sur les capacités au travail33. Quel est donc la
31 Martuccelli Danilo, La consistance du social, une sociologie pour la modernité, Rennes, Coll. Le Sens Social, Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 193.
32 Martuccelli Danilo, La consistance du social, Ibid., p. 223.33 Martuccelli Danilo, les trois logiques des capacités au travail: notes sur l'exploitation, in colloque
interdisciplinaire: la représentation de l'acteur au travail, CLERSE, 20, 21 novembre 2003.
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frontière entre l'implication pour soi-même et l'implication exploitée ?
Pascal Nicolas-Le Strat, dans son ouvrage L'implication, une nouvelle base de
l'intervention sociale, nous explique son questionnement sur les « nouvelles technologies de
la participation-implication ». En effet, pour lui, celles-ci participent autant aujourd'hui d'un
renouveau de l'organisation capitaliste que d'une nouvelle gestion des politiques publiques, en
d'autres termes la participation peut être considérée comme « principe organisationnel central
pour la gestion productive »34.Un peu plus loin, il continue en disant que « Ce régime d'action
économique joue des paradoxes : il érige des aspirations de nature extra-économique (non
quantifiable) en facteurs déterminants de sa compétitivité, il fait dépendre la productivité du
travail du fait que ce travail soit véritablement vécu comme une activité – c'est-à-dire que
l'individu s'y engage en tant que subjectivité active. »35, rejoignant ainsi les débats dont nous
avons fait écho précédemment. Cette question de l'implication aujourd'hui est au coeur de
nombreux enjeux : mobilisation, domination et institutionnalisation. En effet, ce dernier point
semble très important pour l'auteur, car l'implication lui apparaît comme le révélateur des
modifications dans le processus d'institutionnalisation, autant dans son actualisation que dans
sa reproduction. « A travers la déconstruction de son rapport à l'institution, un individu
interroge rien de moins qu'une façon singulière dont une institution s'actualise en lui (que ce
soit dans l'opposition, l'adhésion ou la défection) »36.
L'auteur, dans sa recherche sur les dispositifs d'insertion sociale, distingue deux
principes d'action pour cette « technologie de l'implication » : un principe de stimulation des
bénéficiaires sur une base contractuelle ; un principe de finalisation sur la base de la définition
d'un objectif d'insertion (logique projet).
Au travers de ces deux principes, est recherchée l'initiative individuelle (puis sa
canalisation) dans une mise en responsabilité individuelle dont il fait une triple lecture : une
mise sous tension systématique de l'implication dans une forme exacerbée
d'instrumentalisation de soi ; une rapide intellectualisation du vécu et de l'intégration ; les
politiques d'insertion rouvrent l'initiative des individus par rapport à leur situation de vie dans
un effort de rationalisation de la gestion du social.
Cette sur-implication a également pour objectif d'éviter le point de rupture où l'idéal
démocratique pourrait se briser. C'est en ce sens qu'il s'agit d'une technologie politique,
34 Nicolas-Le Strat Pascal, L'implication, une nouvelle base de l'intervention sociale, Coll. Technologie de l'action sociale, éd. L'Harmattan, Paris, 1996, p. 14.
35 Ibid., p16.36 Ibid., p.23.
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nouvelle certes, puisqu'elle ne cherche plus à contrôler directement les conduites de vie mais
bien plus à amener l'acteur à les réfléchir, les raisonner, dans le sens voulu par ce qui n'est rien
d'autre que des mécanismes de domination.
La notion d'implication n'est pas nouvelle aujourd'hui, comme nous l'avons déjà dit,
mais le post-fordisme, d'après l'auteur, la renouvelle en y convoquant la subjectivité qui
devient une source de richesse en tant qu'intelligence collective ouvrière mise au service du
travail. L'injonction à s'impliquer représente ainsi une tentative de contrôle de cette
intelligence collective si dure à appréhender et à mesurer. L'auteur va même plus loin: « La
sur-implication n'est rien d'autre qu'une tentative de résorption de cette fragilité structurelle du
capitalisme développé, c'est en fait une technologie politique de la mobilisation, un moyen
d'exploiter ce qui n'est pas quantifiable, ni même immédiatement identifiable, c'est-à-dire ce
que l'on entend habituellement par l'ensemble des qualités coopératives et
communicationnelles de l'homme au travail »37. Ainsi, la régulation sociétale ne passe plus par
le contrôle des individus, mais vise à instrumentaliser le meilleur de ceux-ci et à optimiser
leur implication. Il se constitue donc un nouveau mode d'intellectualisation plus médiatisé du
rapport société/individu. « L'enjeu de l'intégration n'est plus tant que l'individu s'abstienne
d'actes illicites, ou qu'il se conforme aux normes et aux contenus axiologiques normalisés,
même si ces exigences restent toujours actives, mais qu'il investisse le meilleur de lui-même
dans son effort d'intégration, qu'il instrumentalise ce qu'il possède de plus intime pour
maximiser la performance de sa socialisation »38.
L'auteur constate également aujourd'hui une forte diminution de l'importance des
normes et des valeurs des appartenances (comme par exemple pour le travail, encore reconnu
généralement comme une forme privilégiée d'entrée en relation sociale, comme une sphère
d'action socialement légitimée, mais également comme une forme vide de sens, « sans emploi
effectif, dans la mesure où elle n'est plus réellement ni investie ni appropriée »39) qui explique
ainsi une expérience du déracinement quasi-incontournable. Il n'existe plus que deux solutions
pour l'individu déraciné : la sur-implication dans un moment présent et factuel, ou le manque
d'implication, le retrait qui apparaît, dans cette optique, comme un signe de la crise de l'ordre
institué des pratiques.
37 Nicolas-Le Strat Pascal, Op. Cit., p.41.38 Ibid., p.67.39 Ibid., p. 74.
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Ces deux auteurs, Pascal Nicolas-Le Strat et Danilo Martuccelli, nous semblent
particulièrement intéressants ici en ce qu'ils font appel à la réflexivité de l'individu et aux
possibilités d'exit, de retrait de celui-ci. Le premier nous présente ainsi la notion d'association
dissociante (un mode d'association à partir d'un processus de dissociation des appartenances et
interdépendances) qui est pour lui, le « projet de sens » de la modernité capitaliste, une
socialité à durée déterminée et une implication toujours négociable. Il nous explique ensuite
que l'organisation post-fordiste caractérise l'individu comme une intellectualité active, capable
de maîtriser son rapport au monde. « L'individu est requis d'évoluer efficacement dans son
rôle sans coïncider complètement avec lui. Et au delà, il est supposé remplir d'autant mieux
son rôle qu'il saura préserver à son encontre une distance interprétative »40. C'est la
distanciation intégratrice. L'agencement des subjectivités paraît ainsi être la question centrale
de la transition post-fordiste.
C'est cette distance, cette réflexivité, qui nous intéressera dans le cadre de ce mémoire.
En effet, notre point de vue se situera davantage sur la réception de ces technologies de
l'implication par l'acteur et notamment sur ce que nous pourrions momentanément appeler les
stratégies de résistances à l'injonction à participer, à s'impliquer, à s'engager.
40 Nicolas-Le Strat Pascal, Op. Cit., p.139.
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CHAPITRE II :
L'IMPLICATION, UN ENJEU POUR L'ACTEUR :
Nous venons donc de voir les intérêts que représentaient ces nouvelles technologies de
l'implication pour les organisations et comment cela s'inscrivait dans des mécanismes
systémiques de dominations voire d'exploitation du travail salarié. Pour parfaire notre tour
d'horizon de la question de l'implication au travail, nous allons maintenant aborder cette
question en adoptant, cette fois, le point de vue de l'individu, de l'acteur. En d'autres termes,
nous nous questionnerons sur les enjeux quotidiens de cette question pour l'acteur. Comment
celui-ci perçoit-il aujourd'hui et réagit-il à ces tentatives d'enrôlement des subjectivités?
Comment cette question de l'implication se cristallise-t-elle pour l'acteur et quels en sont ses
enjeux?
Cette partie sera cimentée autour d'un fort postulat : celui de l'irrépréssibilité de la part
de liberté de l'individu face à la domination. En d'autres termes, pour nous, l'acteur a toujours
à sa disposition un espace d'expression de sa liberté, qu'il l'utilise ou non, mais n'est jamais
totalement déterminé par les mécanismes de domination ou, plus particulièrement ici, par les
modes d'organisation du travail. Nous rejoignons ainsi Gilbert de Terssac lorsqu'il dit que
« les comportements ne sont pas déterminés totalement par les structures, au sens où ils ne
peuvent être réduits à l'exercice bien rôdé de fonctions, comme si la société était une totalité
organique. [...] l'individu n'est pas réductible à un sujet passif dont le comportement serait
strictement réglé par des déterminismes sociaux. »41.
Pour bien expliciter notre propos, cette partie s'articulera en trois temps : en premier
lieu, nous nous questionnerons sur la place de l'autonomie pour l'acteur au travail aujourd'hui,
en ce qu'elle peut, ou non, permettre de mieux appréhender ces tentatives de captation des
subjectivités ; puis nous essayerons de comprendre le rôle de la réflexivité dans la modernité,
et en quoi celle-ci joue un rôle cruciale et ambivalent ; pour enfin poser l'hypothèse de la
notion d'hyper-implication comme stratégie réappropriatrice de l'engagement de l'acteur par
celui-ci.
41 Terssac Gilbert De, Autonomie dans le travail, Paris, PUF, Coll. Sociologie d'aujourd'hui, 1992, p. 29.
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II.1/ IMPLICATION ET AUTONOMIE DANS LE TRAVAIL :
Ce premier temps de cette partie consistera pour nous à essayer de comprendre en quoi
la question de l'autonomie peut faire ressortir l'importance de la question de l'implication pour
l'acteur. En effet, le premier constat à faire est le lien fort entre autonomie et liberté, dont nous
avons expliqué, un peu plus haut, l'importance dans notre propos. Ainsi, François Dubet, dans
son étude sur les injustices au travail42, voit l'autonomie comme un des principes de justice
fondamentaux. Il propose ainsi de considérer ces principes de justices comme « les
dimensions normatives des logiques de l'action structurant toute expérience sociale et, pour ce
qui nous concerne ici, de l'expérience de travail »43. Ainsi, l'autonomie est issu d'un travail
normatif de l'acteur. Pour Dubet, l'aspect normatif d'une expérience sociale se définit tout
d'abord, comme un principe légitime, puis, comme « une activité normative du sujet, comme
l'exercice d'une délibération et d'un jugement autonomes donnant au jugement le sceau de sa
véritable moralité »44. Ce jugement porte ici sur la satisfaction au travail, mais également sur
le sentiment d'épanouissement au travail, de bonheur. Par conséquent, le sentiment
d'autonomie représente, pour Dubet, l'expression de la liberté dans nos société, en d'autres
termes, « la manifestation subjective et sociale du postulat métaphysique de la liberté »45. Pour
lui, l'autonomie est de nature éthique puisqu'elle repose avant tout sur un rapport de soi à soi,
et est, par conséquent, très fortement ancrée dans le territoire de la subjectivité. Il s'agit ainsi,
pour l'individu de se sentir s'appartenir, de pouvoir se réaliser pleinement, s'épanouir. Le
travail devient créatif, il permet au travailleur de se réaliser. C'est la valeur épanouissante du
travail qui est ici mise en avant. Celle-ci a ainsi toujours traversé la littérature sur le travail, de
Marx aux libéraux, en passant par le mouvement ouvrier ou le travail artistique. L'autonomie
marque donc la séparation entre le travail utilitaire et le travail émancipateur, entre la
réalisation d'une tâche, et la réalisation d'une oeuvre, le Kako, attaché à la survie, et le Kalo,
travail vraiment humain et digne, créateur. « Le kako est vulgaire et épuisant, le kalo est
aristocratique et pleinement humain. »46.
Nous voyons ainsi clairement apparaître la possibilité du travail comme expression de 42 Dubet François, « proposition pour une syntaxe des sentiments de justices dans l'expérience de travail », in
Revue Française de Sociologie, 46-3, 2005, pp. 495-528 ; et Dubet François (et al.), Injustices, l'expérience des inégalités au travail, éd. Du Seuil, 2006.
43 Dubet François, « proposition pour une syntaxe des sentiments de justices dans l'expérience de travail », Ibid., p. 497.
44 Ibid., p. 497.45 Dubet François, Injustices, Ibid., p. 129.46 Ibid., p. 135.
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la liberté à travers la notion d'autonomie. Cependant, quand l'acteur s'implique, il met ses
ressources individuelles, dont une partie de son autonomie, à disposition de la cause pour
laquelle il s'engage, ou, ici, pour l'organisation. Gilbert de Terssac, dans son ouvrage déjà cité,
nous montre de la même façon l'importance de l'autonomie dans le processus de production.
En effet, celle-ci est indispensable à la création des règles non-écrites, complémentaires des
règles écrites officielles, dans l'optimisation du processus de fabrication, et donc de la
production. « Laisser des degrés de liberté aux exécutants apparaît bien comme une condition
de l'efficacité des automatismes et non un obstacle qu'il s'agit d'éliminer. »47. En d'autres
termes, il rejoint ainsi la définition de l'autonomie énoncée par Dubois (et alii., 1976) qu'il cite
ainsi : « Produit de la division technique du travail, l'autonomie mesure l'influence du
travailleur sur l'objet travaillé, sur les méthodes de travail. Produit de la division sociale du
travail, l'autonomie mesure l'indépendance, la liberté du travailleur dans l'atelier. Notre
concept d'autonomie intègre donc à la fois l'influence du poste et son indépendance. »48. Nous
voyons ainsi clairement apparaître que l'autonomie fait partie intégrante du processus de
production, en ce qu'elle participe pleinement de l'élaboration et des règles de cette
élaboration dans l'atelier.
Comme nous l'avons dit plus haut, l'autonomie, depuis quelque années prend une
tournure différente dans l'utilisation qui en est faite. De Terssac nous dit lui-même que l'on
observe aujourd'hui la création d'espaces d'autonomie encadrés. Nous voyons effectivement,
en premier lieu, un relâchement des procédures de contrôles sur les contributions des
travailleurs, mais « cette contribution est en quelque sorte « bridée » par les attentes de
l'encadrement et « encapsulée » à l'intérieur d'une obligation d'assurer la continuité de la
production »49. Il y a donc aujourd'hui un éventail de choix possibles dans une même situation
pour l'exécutant, mais ces choix sont encadrés, voire édictés préalablement. Nous voyons
donc l'importance de la question de l'autonomie dans l'organisation du travail aujourd'hui,
allant presque jusqu'à une prescription de l'autonomie paradoxale, un détournement de
l'autonomie. Pour schématiser, l'organisation scientifique du travail s'était évertuée, avec le
Taylorisme, de supprimer toute marge d'autonomie pour se rendre compte, plus tard, que cette
technique n'était pas optimale à cause de la tendance à résister des individus. Ceux-ci créaient
ainsi des règles parallèles, non-écrites comme dirait De Terssac, pour rendre la production
47 Terssac Gilbert de, Op. Cit., p. 75. L'auteur se place ainsi clairement dans la ligne des théories de la régulation conjointe de Jean-Daniel Reynaud.
48 Cité in Terssac de Gilbert, Ibid., p. 76.49 Ibid., p. 108.
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plus efficace, tout en mettant en place des stratégies de freinage, de sabotage, ou autres, leur
permettant d'exprimer leur individualité et leur liberté50. Face à ces réactions, le management
changea radicalement de voie, créant ainsi des espaces d'autonomie, permettant d'optimiser la
production tout en maintenant un contrôle sur les travailleurs. « Aujourd'hui, par le biais des
cercles de qualité, un retournement complet a été réalisé : les pratiques inventées par les
exécutants, les régulations de travail qu'ils savent créer non seulement ne sont plus
l'expression clandestine de leur « résistance au changement », mais sont considérées comme
une ressource précieuse à mobiliser, comme un gisement d'intelligence et de productivité. »51.
Par conséquent, nous pouvons légitimement nous poser la question de savoir si l'individu peut
ressentir, appréhender les mécanismes d'enrôlement des subjectivités au travers de cette
question de l'utilisation de son autonomie.
Ainsi, pour Dubet, le sentiment de justice au travail, lié à cette composante liberté,
vient de ce que peut apporter le travail comme intérêt, autant dans le travail propre que dans
les relations sociales, ainsi que dans le sentiment de réalisation de soi. « À l'opposé, le
sentiment d'injustice résulte de ce que la sociologie du travail a longtemps défini comme un
sentiment d'aliénation subjective : fatigue, usure, absence d'intérêt pour la tâche, sentiment de
mépris et d'impuissance sur sa propre activité. »52. Face à ce qu'a pu nous apprendre la lecture
de l'ouvrage de Gilbert de Terssac, nous pouvons voir que ce détournement de l'autonomie
peut facilement être perçu comme une désappropriation de l'activité du travailleur, rejoignant
ici le sentiment d'impuissance. L'encadrement de son autonomie peut ainsi créer ce fort
sentiment d'injustice que Dubet rapproche du sentiment d'aliénation subjective. Et c'est dans
cette conception de l'individu sujet que l'autonomie prend toute sa force. L'individu y cherche
ainsi à devenir un sujet « maître et souverain », dans une logique d'action définie comme une
subjectivation. Ainsi, pour Dubet, « l'autonomie participe de la domination dans la mesure où
elle oblige l'acteur à s'identifier aux catégories qui en font le coupable de son propre malheur.
Du point de vue moral, la liberté est rivée à la responsabilité [...] »53.
50 Sur ce point, voir Crozier Michel, Friedberg Erhard, L'acteur et le système, les contraintes de l’action collective, Paris, Seuil, 1977.
51 Reynaud Jean-Daniel, Le conflit, la négociation et la règle, seconde édition augmentée, éd. Octares, Coll. Travail, Toulouse, 1999, p. 159.
52 Dubet François, « proposition pour une syntaxe des sentiments de justices dans l'expérience de travail », Op. Cit., p. 508.
53 Ibid., p. 510.
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II.2/ IMPLICATION ET MODERNITÉ :
Nous venons donc de voir comment la notion d'autonomie, tout en étant
intrinsèquement liée à la problématique de l'implication, s'ancrait profondément dans le
territoire de la subjectivité de l'acteur. Pour bien comprendre cette notion de subjectivité, nous
orienterons notre questionnement vers la question de la sociologie de la modernité. En effet,
nous pouvons nous demander, à la lueur des débats contemporains, comment la modernité
rend la notion de subjectivité plus cruciale, et en même temps plus ambivalente pour l'acteur.
Au delà de l'intérêt réel de cette question dans l'étude des mécanismes sociaux de
détournements de la subjectivité, il nous faut bien comprendre à quel point, la notion de
subjectivité s'inscrit dans le social aujourd'hui, bien qu'étant irrémédiablement, une marque de
l'individu. Ainsi, pour Danilo Martuccelli, elle se définit comme « un rapport particulier avec
le monde social »54. Pour lui, l'étude de la subjectivité, bien loin d'être une étude de la
constitution psychique de l'humain, domaine réservé à la psychologie et sortant du champs de
la sociologie, prend tout de même sa place dans l'analyse sociologique du fait de « la
stimulation sociale spécifique dont la subjectivité est le théâtre dans la modernité »55. En effet,
la modernité semble se caractériser par une perte de repères et de supports pour l'individu,
contraint ainsi de se replier vers une intériorité, un quant-à-soi protecteur. Ainsi, c'est dans
cette recherche de distance au monde que se crée l'espace de la subjectivité, dans cette fuite
face à l'étrangeté créée par le différentiel entre l'aspiration à être comme on se conçoit, et la
vision de ce que le monde nous renvoie de possibilités d'être. « Elle est aussi une sorte de
résistance interne, « ce » qui nous permet de tenir face à l'invitation constante à l'incohérence
dans laquelle nous plonge le monde. Et elle est aussi, tout particulièrement, une expérience
culturelle irrépressible, ce sentiment immédiat que nous avons tous, de pouvoir, en rentrant en
nous-même, fuir le monde. »56. Peter Berger, cité par Anthony Giddens dans son ouvrage sur
les conséquences de la modernité57, nous donne ainsi une autre illustration de cette idée. Il
rapproche en effet les notions de sur-institutionnalisation de la sphère de la vie publique et de
désinstitutionnalisation de la sphère privée, due à la domination des grandes organisations
bureaucratiques et à la société de masse notamment, qui créent « un amoindrissement de la
54 Martuccelli Danilo, Grammaires de l'individu, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio/Essais, 2002, p. 438.55 Ibid., p. 443.56 Ibid., p. 454.57 Giddens Anthony, les conséquences de la modernité, coll. Théorie sociale contemporaine, éd. L'Harmattan,
Paris, 1994 ( 1990).
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vie personnelle, [...] privée de points de repères solides : on assiste à un retour vers l'intérieur,
vers la subjectivité humaine, et l'on recherche le sens et la stabilité dans le moi intérieur. »58
C'est ainsi, pour Martuccelli, que la subjectivité s'aperçoit le plus lors des périodes de
« crise », lorsque l'individu se sent en décalage avec le monde social et ses positions sociales,
lorsqu'il a le sentiment qu'aucune représentation sociale ne peut contenir l'entièreté de son
être. François Dubet l'exprime ainsi: « dans une perspective sociologique, la subjectivité est
perçue comme une activité sociale engendrée par la perte de l'adhésion à l'ordre du monde, au
logos. »59. L'individu ne se reconnaît plus dans l'image qu'il perçoit du monde, et se réfugie
donc dans une intériorité sans limite, dont l'expression est favorisée par toutes les nouvelles
pratiques visant à mettre en public les états d'âmes et débats intérieurs : banalisation des
revues « psychologisantes », type presse féminine ou masculine, groupes de discussions, ...
Pour Martuccelli, la subjectivité a préexisté à la modernité mais, ce qui est nouveau et
important de noter, c'est que la modernité y fait particulièrement appel dans sa recherche de
distanciation au monde. « La subjectivité est ce projet, rendu progressivement possible par
l'explosion des textures culturelles dans la modernité et par la diversification des contraintes
sociales, dans lequel l'individu cherche à s'affirmer à distance du social. »60. Et ce qui rend
profondément moderne cette expérience de distanciation au monde, c'est le recours à la
réflexivité qui y est fait. Par opposition à la subjectivité, même si ces deux notions sont
intimement liées, la réflexivité apparaît comme une caractéristique constitutive de la
modernité.
Selon Giddens, dans son ouvrage déjà cité, la réflexivité existait déjà avant la
modernité, mais prend une place prépondérante dans l'avènement de celle-ci. Elle existait, et
existe encore, comme caractéristique intrinsèque de l'action humaine : « L'être humain en
action reste normalement « en contact » avec ses motivations, lesquelles font partie de cette
action. Dans un autre texte, j'appelle cela le ''contrôle réflexif de l'action'', l'intérêt de cette
expression étant de souligner le caractère chronique des processus en jeu. »61. Ainsi, pour lui,
l'action humaine intègre un contrôle logique et continue du comportement et de ses
environnements. C'est cela qui constitue le fondement de la réflexivité, bien au-delà de sa
relation à la modernité. L'originalité de la place de la réflexivité dans la modernité vient de ce
qu'elle « participe du fondement même de la reproduction du système, de telle sorte que la
58 Giddens Anthony, les conséquences de la modernité, Op. Cit., p. 122.59 Dubet François, Sociologie de l'expérience, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 1994, p. 99.60 Martuccelli Danilo, Grammaires de l'individu, Op. Cit., p. 465.61 Giddens Anthony, les conséquences de la modernité, Ibid. p. 43.
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pensée et l'action se réfractent constamment l'une sur l'autre »62. En d'autres termes, le lien
fondamental unissant l'action et le savoir est considéré comme un soutien primordial du
système moderne. Par le jeu incessant, le va-et-vient constant entre la pensée et l'action, la vie
sociale se révise constamment dans la modernité, les pratiques sociales évoluent au rythme
des analyses de l'action, cette analyse rentrant elle-même dans l'élaboration de l'action. La
modernité semble ainsi toujours attirée par le nouveau tant l'action se modifie en s'actualisant
continuellement. Cependant, on observe que « ce qui caractérise la modernité n'est pas
l'adhésion au nouveau en tant que tel, mais la présomption de réflexivité systématique — qui
bien sûr comprend une réflexion sur la nature de la réflexion elle-même. »63. Giddens montre
ainsi que les sciences sociales, et particulièrement la sociologie, sont traversées par une
réflexion à la base de la réflexivité moderne. « Dans les sciences sociales, il faut ajouter au
caractère instable de toute connaissance fondée sur l'expérience l'effet de « subversion » dû à
la réintroduction du discours scientifique social dans les contextes qu'il analyse. »64. Nous
voyons ainsi clairement apparaître que le reflet des connaissances produites à partir de
l'analyse d'un contexte, change ce contexte et modifie ainsi son analyse. Par conséquent, la
réflexivité, tout en permettant d'éclairer l'action par le savoir, en brouille le contenu et sa
perception.
Pour revenir au coeur de notre sujet, il est important de noter l'importance du caractère
profondément rationnel de la réflexivité. Elle poursuit ainsi le projet rationalisateur des
Lumières en y ajoutant l'originalité d'être vécue individuellement : « Le contrôle réflexif de
l'action repose sur la rationalisation conçue en tant que procès plutôt qu'en tant qu'état, et
comme intrinsèque à la compétence des agents. »65. C'est dans ce fondement rationnel qu'elle
trouve aujourd'hui son expression la plus complète. Pascal Nicolas-Le Strat a ainsi bien mis
en valeur ce processus d'intellectualisation dans les actions de réinsertion ou les différentes
formes d'action sociale. C'est par un retour intellectuel sur l'action et une instrumentalisation
des expériences que se mettent en place les technologies de l'implication étudiée par cet
auteur.
Toutefois, Danilo Martuccelli note une différence entre réflexivité et rationalisation :
« Si hier le projet de rationalisation visait à accentuer la maîtrise du monde et l'autocontrôle
de soi, aujourd'hui la réflexivité, en insistant sur les conséquences contre-productives de nos
62 Giddens Anthony, les conséquences de la modernité, Op. Cit., p. 44.63 Ibid., p. 45.64 Ibid. p. 46.65 Giddens Anthony, La constitution de la société, coll. « sociologies », PUF, Paris, 1987 (1984), p. 51.
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actes, induit un autre rapport de maîtrise envers nous-même et le monde »66. En effet, l'auteur
considère la réflexivité comme un phénomène propre à la modernité car elle est un « produit
culturel » et une pratique tournée vers l'extérieur. Il s'agit ainsi de commenter l'action, de
l'accompagner d'un regard critique. « Dans ses liens avec la subjectivité, elle est cette
pratique, socialement induite et tendant à se généraliser, qui nous met systématiquement en
position de commenter nos actions, des bavardages télévisuels aux conversations intimes, des
séances thérapeutiques aux exercices scolaires. »67.
Pour conclure cette partie, nous résumerons notre intérêt pour les questions liées à la
subjectivité et à la réflexivité en revenant sur la question de la recherche de distanciation au
monde propre à la modernité. Par la réflexivité, ce regard critique sur les actions, qui se
développe dans la modernité au point de quasiment devenir une forme d'action à part entière,
l'individu se voit pourvu d'un outil important dans sa volonté de distanciation. « Par excès ou
par défaut, par prévision anticipatrice ou par disculpation rétrospective, la réflexivité permet
en effet à la subjectivité de trouver une expression en acte à cette aspiration moderne d'être à
distance du monde. »68. Comme nous le verrons dans la partie suivante, c'est ce mécanisme
qui nous paraît particulièrement intéressant dans notre étude de l'implication au travail. En
effet, nous pouvons légitimement nous demander si cette faculté moderne de distanciation au
monde ne permet pas de mieux appréhender le jeu se déroulant autour de la question de
l'implication. Prendre ses distance ne peut-il pas permettre de « supporter » — au sens de se
créer un support — les technologies de l'implication et leur expression la plus poussée, la sur-
implication ? Comme le dit Martuccelli, et c'est ce que nous essayerons d'étudier plus avant à
travers notre étude, « grâce à la connaissance discursive et au retour sur soi et sur les
événements, l'individu en reste maître tout en affirmant sa distance face à eux »69.
II.3/ L'HYPER-IMPLICATION : UNE STRATÉGIE DE RÉSISTANCE À L'ENRÔLEMENT DES SUBJECTIVITÉS ?
Nous avons donc vu, dans le premier chapitre, comment l'implication pouvait être au
coeur de nombreux enjeux pour l'organisation : production, participation des employés,
gestion de la main d'oeuvre, délégation des formes de contrôles. De nombreuses technologies
sont ainsi apparues afin de créer cette implication. Le concept d'implication contrainte,
66 Martuccelli Danilo, Grammaires de l'individu, Op. Cit., p. 526.67 Ibid., p. 530.68 Ibid., p. 510.69 Ibid., p. 510.
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présenté par Jean-Pierre Durand, nous paraît ainsi emblématique de notre propos.
L'implication est générée par un ensemble de contraintes organisationnelles, par un mode
d'organisation dépossédant le travailleur des fruits de son implication. Pascal Nicolas-Le Strat
nomme ainsi cette forme d'implication la sur-implication en ce qu'elle sert davantage les
objectifs de l'organisation que ceux de l'acteur. Cette pratique semble également renforcée par
l'arsenal de valeurs et le contexte entourant le travail. Chômage de masse et nécessité de
trouver un emploi, mais aussi, et peut être surtout, les différentes injonctions propres à notre
temps, allant de la responsabilisation à outrance à l'injonction à s'impliquer, à s'engager. Tout
cela semble nous mener vers un détournement des subjectivités des employés vers les
objectifs et les valeurs de l'organisation.
Cependant, face à ce fait social, l'individu se doit de se positionner, n'étant jamais
totalement ni soumis, ni contraint. Toute la problématique de ce travail de mémoire repose
ainsi sur un ensemble de questions liées à cette réception des technologies de l'implication par
l'individu : Comment celui-ci perçoit-il cette implication contrainte et comment y réagit-il ?
Quels en sont les enjeux et comment peut-il concevoir son espace de liberté, lorsque cette
liberté est au coeur même des mécanismes de contraintes en organisation ? Que veut dire
aujourd'hui s'impliquer dans l'organisation ?
Pour répondre à ce faisceau de questions, nous avons commencé par étudier le lien que
l'on pouvait observer entre autonomie et implication. L'implication de l'acteur met en effet les
ressources de celui-ci (et donc son autonomie) au service de la cause ou, ici, de l'organisation,
pour laquelle il s'engage. Dans ce cas, nous nous sommes demandé si l'individu pouvait
percevoir, capter l'enrôlement de sa subjectivité au travers de l'utilisation de son implication.
Ainsi, selon Dubet, l'autonomie s'inscrit directement dans le territoire de la subjectivité dans
les sentiments de justice au travail. Or, nous avons vu que la question de la subjectivité était
particulièrement cruciale aujourd'hui dans l'important appel qu'en fait la modernité dans sa
recherche de distanciation au monde. C'est en effet par un retour réflexif sur l'action qu'est
recherchée cette distance caractéristique de la modernité. Pour finir nous avons exploré
comment la réflexivité, par sa place centrale aujourd'hui, pouvait également nous permettre
d'appréhender la perception de l'acteur sur la question de son implication.
Nous voyons donc émerger une possibilité de distance critique face à monde, même
plus, ce regard critique sur l'action tend à se constituer comme une forme d'action à part
entière. Or, et ce sera notre hypothèse principale sur ce travail, cette distance critique,
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réflexive, ne peut-elle représenter aujourd'hui une forme de réappropriation subjective de
l'expérience implicationnelle au travail ? Face à l'appropriation de son engagement par
l'organisation dans les mécanismes de la sur-implication, l'acteur reprendrait ainsi possession
de son implication en se la réappropriant subjectivement.
Nous partons ainsi du même constat que Jean-Pierre Durand lorsqu'il nous parle de
l'idée de consentement paradoxal au travail « qui associe une satisfaction au travail née d'une
hétéro-suggestion :puisque l'implication est contrainte, la sortie du paradoxe réside dans la
construction volontaire de l'acceptabilité du travail »70. Il associe ainsi cette construction de
l'acceptabilité du travail à la transformation de la perception des exécutants sur leur activité de
travail au travers des effets de l'autonomie et des jeux sociaux. « Tel est le paradoxe de
l'autonomie conquise, dont le principal effet, en tant que réaction à la domination du
management et de l'employeur, est de rendre acceptables la situation et les conditions de
travail même les plus dégradées, participant par là à la reproduction sociale. »71.
Cependant, l'intérêt pour nous de réétudier cette question d'une reconstruction de
l'acceptabilité du travail par l'acteur, est surtout de revoir et de reposer ces conclusions. Il est
bien évident que cela participe d'une forme de reproduction sociale, mais nous posons
l'hypothèse que cela contribue également à une forme émergente de résistance au travail.
Ainsi, François Dubet nous explique que, dans certains cas, « la résistance des individus n'est
pas la résistance au travail, le freinage latent contre l'exploitation, elle est au contraire la
défense d'un engagement et d'une subjectivité contre une activité si étroitement contrôlée que
les sujets ont le sentiment de ne jamais pouvoir s'y reconnaître, de ne jamais pouvoir la faire
leur. Du point de vue des acteurs, c'est leur personnalité qui est en jeu. »72. Par la réflexivité,
entraînant une certaine lucidité des acteurs, ceux-ci peuvent se mettre à distance du monde,
comme nous l'avons vu précédemment, protégeant ainsi leur dignité, l'estime qu'ils ont d'eux-
même, leur intégrité. « Refusant d'être rongés par les injustices ou de vivre dans une
indignation permanente, ils se détachent du monde afin de maintenir leur individualité »73.
Pour mieux appréhender notre hypothèse, il nous faut bien comprendre à quel point celle-ci
s'enracine dans l'expérience individuelle, qu'elle est une disposition, un processus, mais aussi,
et profondément, un rapport de soi à soi.
Mais ce qui inscrit ce mécanisme dans le social, c'est que cette disposition subjective,
70 Durand Jean-Pierre, La chaîne invisible, Op. Cit., p. 373.71 Ibid, p. 300.72 Dubet François, Injustices, Op. Cit., p. 164.73 Ibid., p. 425.
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peut s'épanouir et s'offrir au regard des autres. Dubet exprime bien ce processus : « Contre un
monde injuste, les individus veulent construire un ordre moral pour eux-mêmes, une capacité
de se maîtriser et de ne pas se laisser envahir et corrompre. Ils refusent de se laisser aller,
cherchent à maîtriser leur vie, aiment les gens droits et responsables et défendent l'honnêteté
et le sérieux »74. Ainsi, l'individu, de ce point de vue, est capable de construire du sens, il est
une « production de soi », ce qui conditionne profondément son action et ses interactions.
« De ce point de vue, l'individu apparaît comme une sorte de « micro-mouvement social » , de
mouvement minuscule qui en appelle à son corps, à ses sentiments, à son individualité, à sa
dignité, à ses relations proches, afin de résister aux représentations de lui-même et aux divers
contrôles sociaux qui le réduisent soit à ses rôles, soit à ses intérêts »75.
Ce concept de réappropriation subjective se retrouve dans l'ouvrage de Anne Perraut
Soliveres sur les infirmières76. Elle-même praticienne-chercheuse, elle nous présente le
concept d'hyper-implication comme une voie de réappropriation de soi face à la sur-
implication. « Cette hyper-implication consiste en la prise de conscience et la capacité à
décider de l'engagement qui est nécessaire à une prise de responsabilité. »77. Pour elle, ce
positionnement hyper-impliqué se produit en deux temps : tout d'abord, par la prise de
conscience de la part inaliénable de liberté, puis dans l'affirmation de cette hyper-implication.
« La plus-value de la sur-implication se traduirait alors en estime de soi qui serait
proportionnelle à la conscience de travailler non seulement pour l'entreprise mais également
pour soi, en fidélité avec ses valeurs. »78. L'hyper-implication ne différerait ainsi que par la
conscience que l'on a de son propre engagement, de son implication.
Mais ce qui en fait une forme de résistance intéressante pour la sociologie, c'est la
jonction que nous pouvons faire entre ces différents auteurs. L'hyper-implication, par une
réappropriation subjective de l'implication de l'acteur, reconstruit ainsi l'acceptabilité du
travail et crée du consentement. Mais, à la différence de la sur-implication, elle crée aussi une
conscience forte de soi en accord avec des valeurs qu'il faut mettre en action si l'on veut
conserver cette estime de soi. C'est dans ce jeu entre conscience de soi et obligation de
s'accorder à la vision que l'on a de soi, que l'hyper-implication peut devenir ce micro-
mouvement social résistant à l'enrôlement des subjectivités.
74 Dubet, Injustices, Op. Cit., p. 437.75 Ibid., p. 466.76 Perraut Soliveres Anne, Infirmières, le savoir de la nuit, Paris, PUF, Coll. Partage du Savoir, 2001.77 Ibid., p. 246.78 Ibid., p. 246.
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CHAPITRE III :
L'IMPLICATION DANS LE MÉTIER INFIRMIER :
Pour étudier notre problématique précédemment exposée, nous avons choisi d'explorer
le métier d'infirmier et, plus particulièrement, l'implication dans le métier infirmier. Afin de
bien expliciter notre choix, nous essayerons ici de bien éclairer les particularités de ce métier
et de montrer pourquoi l'étude de l'implication y est particulièrement intéressante dans notre
point de vue. Comprendre pourquoi la gestion de l'implication par les infirmier(ère)s nous
semble cruciale, permettra de mieux embrasser l'étendue des enjeux de notre analyse.
Afin de pénétrer au mieux notre questionnement, nous procéderons dans cette partie en
trois temps successifs, en commençant par présenter le rôle infirmier et ses caractéristiques
dans le champs du travail médical et paramédical. Le second temps se consacrera à présenter
l'expérience du travail infirmier, notamment au travers de l'importance de la question de la
relation à autrui. Enfin, nous essayerons dans le troisième moment d'approcher plus
globalement la problématique de l'implication au vu des éléments précédemment exposés.
III.1/ LE RÔLE INFIRMIER : TROIS SECTEURS ET UNE IDENTITÉ ?
Le travail infirmier se trouve à la rencontre d'une double filiation issue de la
constitution des hôpitaux et de leur histoire. En effet, dans un premier temps, en France, les
prémices des hôpitaux sont apparus grâce aux ordres religieux et au principe de la charité à
travers les hospices et les hôtel-dieu. Les ordres religieux prenaient en charge les indigents et
les malades dans des institutions proches des institutions totales comme a pu les décrire
Foucault. Cette origine religieuse a longtemps été ancrée dans tout le secteur de la santé et de
la prise en charge de la maladie et a longtemps conditionné le fonctionnement de ce type
d'institutions. Dans un second temps, après la Révolution Française, la médecine scientifique
pénètre ce milieu pour y imposer les impératifs de la science la plus froide et la plus objective
possible. Cependant, ces deux milieux coexistent, et le rôle des infirmières, par la place
particulière de celles-ci, s'incarne à la rencontre de ces deux mondes. Comme le dit Dubet,
« l'institution charitable est suspendue à des valeurs religieuses, elle est mise en oeuvre par
des femmes de foi, « des anges admirables », elle s'adresse à des malades indigents qu'il faut
consoler dans la souffrance et dans la mort. A côté, et rapidement au-dessus, l'hôpital est une
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institution médicale commandée par l'universel scientifique mis en oeuvre par des hommes de
science et de vocation — car on ne s'enrichit pas à l'hôpital mais on y acquiert une réputation
—, et qui s'adressent à des maladies, à des « animaux-machines ». »79. Pour cet auteur,
l'intégration de ces deux univers normatifs ne s'est jamais réalisés autour d'une pratique
concertée et organisée mais ils ont toujours coexisté en nécessitant des aménagements
quotidiens et perpétuels. Cependant, depuis quelques décennies, un troisième « pouvoir » s'est
greffé à l'organisation hospitalière : le pouvoir administratif. Depuis la loi Debré de
rationalisation des dépenses de santé en 1970, les gestionnaires et les directeurs des hôpitaux
se sont petit à petit démarqués du pouvoir des médecins au nom du coût de la santé et des
efforts d'économies nécessaires au bon fonctionnement de l'institution de soin.
En 1922, la création du diplôme d'état d'infirmière marque le premier grand pas dans
la différenciation du métier par rapport à l'image de l'infirmière « bonne soeur » et de celle de
l'infirmière assistante du médecin. A partir de cette date s'organise tout un champs de la
recherche en soins infirmiers autour de figures emblématiques telle que Virginia Henderson,
par exemple, qui définira les besoins fondamentaux à prendre en charge. C'est dans cette
période également que se crée le rôle propre infirmier définissant les fonctions de l'infirmière
aux croisements des différentes influences déjà citées, s'exerçant à l'hôpital. Comme le dit
Dubet, « le rôle est une manière de sortir de la domination. »80. Ce rôle propre se définit en
complémentarité du médecin dans l'organisation du soin et sera par la suite officialisé par un
ensemble de décrets intégrés en 2004 dans le code de la santé publique (article L 4311-1).
Pour l'Organisation Mondiale de la santé81, « au sens large, les soins infirmiers sont la
fonction essentielle et originale de l'infirmière... assister l'individu, malade ou bien portant,
dans l'accompagnement des actes qui contribuent au maintien ou à la restauration de la santé
(ou à une mort paisible) et qu'il accomplirait par lui-même s'il avait assez de force, de volonté,
de savoir. Donner cette assistance de manière à permettre à celui qui la reçoit d'agir sans
concours extérieur aussi rapidement que possible. » En France, cela se traduit dans l'article 3
du décret du 11/02/2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession
d'infirmier82 : « Relèvent du rôle propre infirmier les soins liés aux fonctions d'entretien et de 79 Dubet François, Le déclin de l'institution, Paris, éd. Du Seuil, coll. « L'épreuve des faits », 2002, p. 197.80 Ibid., p. 201.81 Cité in Chater Shirley, Introduction à la recherche infirmière, Genève, OMS, 1975, p. 1.82 Depuis 2004 intégré au code de la santé publique comme dit plus haut. Pour des raisons de sources, nous
n'avons pas les références actuelles, mais le contenu des textes n'a pas changé. Ici, la citation est issue d'un ouvrage distribué à tous les étudiants en soins infirmiers : Profession infirmier, recueil des principaux textes relatifs à la formation et à l'exercice de la profession, éd. Berger-Levrault, Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées, pp. 77/78.
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continuité de la vie et visant à compenser partiellement ou totalement un manque ou une
diminution d'autonomie d'une personne ou d'un groupe de personnes. [...] Il identifie les
besoins de la personne, pose un diagnostic infirmier(ère), formule des objectifs de soins, met
en oeuvre les actions appropriées et les évalue. » Il est ainsi marqué clairement dans les textes
officiels que l'infirmier, en se tenant au courant des avancées scientifiques et techniques, se
doit de prendre en charge la totalité de la personne, en prenant compte de « ses composantes
physiologique, psychologique, économique, sociale et culturelle »83. Pour résumer, et à la
différence du médecin qui traite la maladie, l'infirmier(ère) se doit de prendre en charge le
malade.
Nous pouvons retrouver cette importance de la prise en charge globale de la personne
au travers des textes définissant le programme des formations en soins infirmiers dispensées
dans les IFSI (Institut de Formation en Soins Infirmiers). En effet, malgré une très forte
prédominance donnée aux soins infirmiers très « techniques », la formation se complète d'un
important volume de cours en sciences humaines, droit, éthique et déontologie. Ainsi,
l'annexe à l'arrêté du 23 mars 1992 modifié, modifiée par l'annexe à l'arrêté du 28 septembre
2001 relatif au programme des études insiste sur la volonté de favoriser « l'émergence d'un
nouveau profil infirmier dont les caractéristiques seront les suivantes :
✗ un infirmier apte à répondre aux besoins de santé d'un individu ou d'un groupe
dans le domaine préventif, curatif, de réadaptation et de réhabilitation;
✗ un infirmier polyvalent apte à dispenser des soins infirmiers prenant en compte
l'ensemble des problèmes posés par une atteinte fonctionnelle et une détresse physique
ou psychologique qui frappe une personne. L'infirmier doit faire participer l'individu
ou le groupe en prenant en considération leur dimension culturelle et leur personnalité;
✗ un infirmier bénéficiant d'une meilleure reconnaissance sociale grâce à un
savoir lui permettant d'affirmer une réelle professionnalisation. »84
Nous retrouvons ainsi les trois logiques du métier infirmier, issues de son histoire, et
que nous étudierons plus avant dans le second temps de cet exposé : la logique technique et
médicale, la logique des relations et la logique de l'organisation.
Afin de compléter notre tour d'horizon de la législation infirmière, nous voyons que la
loi précise trois principaux secteurs d'exercice de la fonction infirmière : « les différents
83 Op. Cit.; p. 77.84 Ibid., p. 28.
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secteurs d'activité de l'infirmière : hospitalisation publique et privée ; milieu extra-hospitalier :
centre de soins (à temps complet, partiel, ambulatoire), médecine du travail, santé scolaire,
administration pénitentiaire ; libéral. »85. Il existe de plus tout un échelonnage hiérarchique
entre les infirmier(ère)s, cadres infirmiers, ou directeur de soins, tous issus de la fonction
infirmière (cf. à titre d'exemple, encadré sur l'espace infirmier en milieu hospitalier).
Espace infirmier en milieu Hospitalier : 86
Il existe deux catégories de travailleurs infirmiers : les cadres et le personnel :
• Directrice de soins (anciennement infirmière générale de première classe) : Elle
est au sommet de la hiérarchie infirmière : responsable du service infirmier de
l'établissement, elle participe à l'équipe de direction. Son rôle est d'organiser
et de coordonner la mise en oeuvre des soins infirmiers ; elle assure l'animation,
l'encadrement et la gestion des services infirmiers. Dans la fonction publique,
elle est recrutée à l'issu d'un concours de cadre A et est formée à l'école
nationale de la santé publique (ENSP) à Rennes.
• Cadre supérieur (anciennement Surveillante-chef) : Elle aussi cadre A recrutée
sur concours, elle dirige l'équipe de cadres de santé.
• Cadre de santé ou de proximité (anciennement Surveillante) : Elle encadre les
infirmières et est souvent issue elle-même de la carrière infirmière par la voie
de la promotion professionnelle et sociale. Elle s'occupe principalement des
tâches administratives d'organisation du service. Elle est sous une double
autorité : médicale et administrative.
• Infirmières : Titulaire d'un diplôme d'état, elle a directement en charge le patient
et les soins nécessaires à son bien-être. Elle dirige une équipe d'aides-
soignantes et d'ASH (agents de services hospitaliers). Elle participe notamment
à la commission des soins infirmiers (seule commission paramédicale qui
intègre les cadres supérieurs, cadres, infirmières et aides-soignantes) qui est
consultée obligatoirement sur l'organisation générale des soins infirmiers, sur
l'accompagnement des malades dans le cadre d'un projet de soins infirmiers, sur
la recherche et l'évaluation des soins et des politiques de formation de
l'établissement.
85 Op. Cit., p. 38.86 Tiré de Autret Joël, le monde des personnels de l'hôpital, ce que soigner veut dire..., Paris, L'harmattan, coll.
« le travail social », 2002 puis actualisé par mes soins..
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L'étude de la DREES sur les professions de santé en 200687, nous montre l'importance
de l'emploi infirmier dans le secteur des professions de la santé avec 469 011 infirmier(ère)s,
ce qui représente le plus grand nombre d'emplois dans ce secteur (cependant, le document ne
recense pas les aides-soignantes ni les ASH). Il ressort également un très fort taux de
féminisation de la profession avec 87,15 % de femmes. Ce taux se retrouve à peu près quel
que soit le secteur d'activité, malgré un taux légèrement plus élevé chez les infirmières
travaillant en secteur extra-hospitalier (91,9 %), tandis qu'il semble y avoir un peu plus
d'hommes en libéral (85,1 % de femmes).
Au niveau du département du Nord, nous retrouvons ces équilibres avec un taux
global de féminisation de 84,9 %. Il y a ainsi 18 569 infirmier(ère)s dans le Nord, dont 76,54
% travaillent en hôpital, 10,43 % en libéral, et 13,03 % en extra-hospitalier. Nous voyons
ainsi la très forte prédominance du nombre d'infirmier(ère)s travaillant en milieu hospitalier.
Comme nous le verrons par la suite, cela se traduit également au travers des études réalisées,
cantonnant bien souvent leur échantillon aux infirmières hospitalières.
Cette études nous renseigne également un peu plus sur les frontières entre ces trois
secteurs en définissant clairement chaque catégorie statistique : les salariés hospitaliers
regroupent ainsi les infirmier(ère)s travaillant en établissement public et en établissement
privé PSPH (participant au service public hospitalier) et non PSPH ; les salariés extra-
hospitaliers comprenant les infirmier(ère)s travaillant en centre de santé, en société, en
intérim, dans la prévention et les soins en entreprise, en santé scolaire et universitaire, en
P.M.I. (protection maternelle et infantile) et à la planification familiale, ou encore dans les
établissements pour handicapés ou personnes âgées (quelques-uns sont également en cabinet
individuel et de groupe) ; enfin, les infirmier(ère)s en libéral interviennent partout mais sont
en grande majorité en cabinet individuel ou de groupe (respectivement 39 166 et 19 837 sur
65 222 infirmier(ère)s en libéral au niveau national).
A travers ces quelques chiffres de cadrages, nous pouvons voir à quel point la
profession infirmière représente une importante part des emplois de la santé et comment celle-
ci est fortement dominée par l'emploi féminin (explicable historiquement). Nous avons
également essayer de donner une vue d'ensemble de la profession, sans nous attarder sur des
propos historique qui ne sont pas nôtres ici, qui nous permettra ensuite de mieux comprendre
les enjeux et les implications de notre étude sur l'implication infirmière.
87 Sicart Daniel, les professions de santé au 1er Janvier 2006, Série statistique, DREES, Ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, Ministère des solidarités, de la santé et de la famille, n°97, Mai 2006.
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III.2/ LE MÉTIER INFIRMIER : ENTRE TECHNIQUE, RELATION ET ORGANISATION :
Au delà des distinctions de postes vu précédemment, Anne Véga, dans son étude
ethnologique des infirmières hospitalières françaises88, repère, notamment au travers de « la
prégnance d'imageries de la femme soignante et des représentations profanes du corps
malades »89 qu'elle se propose d'étudier, l'existence de trois groupes plus informels : les
« techniciennes », les « relationnelles » et les « bureaucratiques ». En effet, en mettant en
place une démarche d'observation ethnologique à l'hôpital, elle considère celui-ci comme « un
microcosme social et culturel particulièrement riche, bien qu'éphémère, basé sur un
regroupement singulier de populations d'origines assez hétérogènes, entretenant des rapports
particuliers à la pathologie et à l'espace »90. Elle se doit ainsi de reconstruire une image de ce
microcosme social et culturel par une structuration des discours, des pratiques et des
représentations professionnelles.
Elle montre ainsi que les soins techniques sont très valorisés à l'hôpital. « Ainsi, les
représentations professionnelles véhiculent toujours l'idée que l'infirmière ne se réalise
pleinement qu'à l'hôpital, dominé par le paradigme scientifique médical »91. L'infirmière se
voit ainsi octroyer le rôle de seconde du médecin, experte en pathologie. C'est le modèle de
l'infirmière technicienne hospitalière.
Le deuxième modèle se construit autour de l'aspect relationnel des soins, de la
dimension humaine des relations à l'hôpital. Ces infirmières relationnelles « acquièrent leurs
savoirs par expérience, intuition, et sont éloignées des savoirs écrits, théoriques, attribués aux
cadres infirmiers »92. Ces derniers incarnent en effet l'emblème du troisième modèle, celui des
infirmières bureaucratiques. Plus éloignées des patients, ce groupe d'infirmières semble
davantage s'épanouir dans (ou en tout cas, revendiquer) l'aspect organisationnel de la
profession. Elles souscrivent plus facilement aux impératifs rationalisateurs de l'organisation
hospitalière aujourd'hui, où l'écrit tend à remplacer de plus en plus l'oral.
Pour Anne Véga, « ces trois figures de la femme soignante sont le terreau de stratégies
de pouvoir informel dans de nombreuses unités de travail »93. En effet, elle observe tout un jeu
88 Véga Anne, « Les infirmières hospitalières françaises : l'ambiguïté et la prégnance des représentations professionnelles », in Sciences sociales et santé, vol. 15, n°3, Septembre 1997, pp. 103-130.
89 Ibid., p. 103.90 Ibid., p. 105.91 Ibid., p. 109.92 Ibid., p. 109.93 Op. Cit., p.109.
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de « commérages » entre ces trois groupes, chacun critiquant les autres au nom de sa
conception du soin et de l'importance du poids des différents aspects techniques, relationnels
ou bureaucratiques de l'exercice de la profession.
Cette distinction nous semble ainsi particulièrement intéressante en ce qu'elle rejoint
l'analyse de l'expérience du travail infirmier faite par Dubet dans son analyse du déclin de
l'institution94. En effet, celui-ci schématise la structure de l'expérience du travail infirmier
comme suit :
Monde Subjectif
Personne/Personne
Service Contrôle
Monde Social Coopération Monde technique
Organisation/Usagers Soins/Maladie
L'expérience infirmière paraît ainsi située à la rencontre de trois mondes : le monde
technique, le monde social et le monde subjectif. Le centre de l'expérience est souvent
l'activité qui tente de concilier les différentes tension issues de cette triple influence.
Le Monde des Techniques se constitue ainsi à la rencontre de la science et de la
maladie. Les médecins, en définissant les protocoles de soins, semblent être les principaux
protagonistes de cette rencontre et dans l'influence technique de l'expérience du travail
infirmier. Selon l'étude de Dubet, ce côté technique du métier semble diminuer, à l'exception
de certains services tels la réanimation, du fait d'une formation plus généraliste complétée par
une minorité de spécialistes « quasi-médecins ». Les stages sont ainsi plus variés et plus
courts, poussant ainsi les étudiants à ne pas se précipiter sur les soins techniques : « pour le
dire dans un vocabulaire devenu familier, les compétences auraient remplacé les
qualifications et les apprentissages professionnels traditionnels solides »95.
Le Monde Subjectif se cristallise autour de la relation entre les personnes, à la
rencontre du soignant et du soigné. On y valorise énormément les qualités humaines, l'écoute,
on y trouve un peu de reconnaissance. « Le corps de la relation n'est pas celui du soin ; dans
94 Dubet François, le déclin de l'institution, Op. Cit.95 Ibid., p. 219.
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l'un, on touche, dans l'autre on ne touche que par la médiation des appareils »96. C'est cette
influence qui a créé la distance principale avec les professionnels médicaux, lorsque les uns
s'occupent uniquement de la maladie, les autres prennent en charge la personne. On voit ainsi
apparaître une opposition au monde médical dans la prise en charge du malade au nom de
connaissances psychologiques. « C'est une sorte de retour moderne et professionnalisé au
programme institutionnel de la charité, la transformation d'une vocation en compétences
professionnelles formalisables »97. L'identification au patient et à sa souffrance semble ainsi
consolider la grandeur du métier. Dubet nous explique que « cette capacité relationnelle peut
s'apparenter à une forme de don : ''prendre la main des malades âgés, ça ne s'apprend pas.'' »98.
Nous verrons plus tard la centralité de cet aspect pour notre propos.
Le Monde Social représente celui de l'organisation et de l'administration. Il est « celui
de l'organisation, de la gestion du service avec les collègues et l'ensemble des autres services,
de la répartition des machines, de la programmation des entrées et des sorties, de la noria des
examens et des soins »99. C'est le monde de la rationalisation organisationnelle. Même si les
infirmières considèrent bien souvent ce monde comme faisant partie des corvées de leur
métier, la régulation du système les oblige à s'y plier (notamment si elles souhaitent
progresser dans la hiérarchie qui prend en charge une grande part de ce monde) et prend de
plus en plus de temps sur leurs autres activités, les contraignants notamment à déléguer le
« sale boulot » aux aides-soignantes.
En accord avec Anne Véga, Dubet constate un continuel jeu de critiques entre les
infirmières se revendiquant de chacun des trois mondes : « les relationnelles critiquent les
techniciennes et les bureaucrates, qui se critiquent entre elles et méprisent les
relationnelles »100. Cette critique réciproque s'auto-alimente principalement du fait que les
infirmières font intrinsèquement partie des trois mondes. Elles sont le point de jonction, les
acteurs de l'équilibre et de la régulation des tensions. Pour Dubet leur travail consiste en effet
à rendre compatibles ces trois sphères autonomes.
Pour notre travail présent, nous verrons dans la partie suivante que nous nous
proposons d'étudier des infirmières des trois secteurs susmentionnés : infirmières
hospitalières, infirmières libérales et infirmières extra-hospitalières. Si la comparaison nous
96 Op. Cit., p. 219.97 Ibid., p. 222.98 Ibid., p. 220.99 Ibid., p. 220.100Ibid., p. 221.
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paraît propice à l'étude de l'implication infirmière, elle repose sur le postulat que l'on retrouve
la pertinence de cette analyse tricéphale des influences sur l'expérience du travail infirmier. Le
travail libéral est peut-être celui qui semble le plus éloigné de ce modèle hospitalier, mais, de
notre point de vue, nous retrouvons le monde subjectif, dans la relation au patient, le monde
technique, et surtout le monde social au travers des relations (souvent problématiques) avec la
sécurité sociale.
III.3/ IMPLICATION, ORGANISATION ET TRAVAIL SUR AUTRUI :
Afin de clore notre présentation du monde infirmier, en accord avec les termes de cette
étude, il nous faut nous pencher maintenant sur la question de l'implication dans le travail
infirmier. En d'autres termes, nous essayerons de répondre à la question de savoir pourquoi ce
travail semble être un bon terrain pour l'étude de l'implication.
Au commencement de cette recherche plusieurs critères avaient décidé de cette option
de recherche. Nous cherchions en effet un emploi où cette question de l'implication et de
l'investissement personnel au travail nous paraissait particulièrement cruciale. Ainsi, nous
cherchions des métiers où l'investissement pouvait sembler naturel. Ces formes
d'investissement naturalisé (c'est-à-dire là où il paraît naturel de s'investir, et même plus, là où
il paraît anormal de ne pas s'investir!) semblent apparaître surtout dans les emplois à forte
valorisation identitaire, c'est-à-dire là où le fait de faire cet emploi fait de l'individu un être à
part, nourri d'une « vocation », lui donne un statut, bref, l'individu « devient » ainsi son
travail101. Face à ces contraintes de départ, le travail infirmier, nous a paru rapidement
correspondre à nos attentes : fortement valorisé dans « l'esprit de la population », nous
posions l'hypothèse que la perception de ce type d'emploi est rehaussé par son caractère
vocationnel, de don de soi, d'humanité. Cette valorisation de l'emploi se répercute sur
l'individu, en conséquence de quoi les valeurs associées à son travail semblent associées à sa
personne, le piégeant ainsi dans l'image de son propre métier.
Nous venons, dans les deux parties précédentes, d'approfondir notre connaissance de
ce métier. Au vu de ce que nous avons déjà dit, nous pouvons reprendre Dubet dans son
analyse des trois pôles de l'expérience du travail infirmier, en disant que « la plupart des
infirmières participent aux trois sphères largement autonomes et [...] l'essentiel de leur travail
101Sur ce sujet voir: Martuccelli Danilo, Les trois logiques des capacités au travail: notes sur l'exploitation, in Colloque interdisciplinaire: La représentation de l'acteur au travail, CLERSE, 20,21 novembre 2003.
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consiste à les rendre compatibles. »102. Les infirmier(ère)s se retrouvent ainsi continuellement
à tenter de conserver l'équilibre entre les trois pôles de leur expérience : le monde social, le
monde technique et le monde subjectif. L'enjeu est de taille dans leur pratique. On ne peut
mieux l'exprimer que cette longue citation de Dubet : « Sans faire dans le pathos, il est évident
que le métier d'infirmière impose une expérience directe de la déchéance, de la souffrance et
de la mort qui explique, à la fois, la valorisation de la relation au malade et les tentatives
continues et fébriles de s'en préserver dans la technique et la gestion. Pour tenir cette relation,
il faut pouvoir « poser la blouse », séparer le « moi professionnel » et le « moi personnel ». Il
faut donc prendre sur soi, ne cesser de s'engager et de se dégager, sans illusions d'ailleurs, car
une double réprobation pèse toujours sur celles qui s'engagent trop et sur celles qui ne
s'engagent pas assez. »103.
Pour cet auteur cet engagement est particulier de tout travail sur autrui. En effet, ce
type de travail peut se définir comme une expérience sociale où coexistent trois niveaux de
l'action : le contrôle social, basé sur un principe d'égalité, où l'acteur professionnel est un
agent, incarnation de l'institution, et prend en charge un citoyen auquel il confère un rôle que
celui-ci dit suivre ; le service, basé sur le principe du mérite, où le travailleur est considéré
comme un expert s'adressant à un usager ayant un droit et pouvant exiger une certaine qualité
de service ; enfin, la relation, basée sur un principe de reconnaissance d'autrui selon une
norme d'authenticité, où le travail sur autrui est considéré comme une rencontre engageant
deux personnes, deux sujets, avec des qualités personnelles, des convictions, en bref, tous les
éléments qui constituent le caractère humain du travail sur autrui. C'est cette dernière
dimension qui s'apparente le plus à la vocation « à condition de concevoir la vocation comme
une forme d'engagement profond de la subjectivité dans une activité, comme une forme
d'authenticité et de réalisation de soi. »104.
Ce thème de la vocation et du don de soi, dans une recherche de réalisation de soi, est
important dans l'évolution de notre propos. En effet, une forte caractéristique du travail sur
autrui semble bien être la nécessité de s'y impliquer subjectivement, de le vivre comme un
mode de réalisation de soi. « Les dimensions techniques et les dimensions sociales du travail,
qui restaient relativement dissociées dans le travail industriel, sont presque totalement
confondues puisque la technique, quand il peut y en avoir, porte directement sur un objet
102Dubet François, Le déclin de l'institution, Op. Cit., p.223.103Ibid., p. 225.104Ibid., p. 79.
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humain. »105. On observe donc un engagement important de la subjectivité des individus dans
un objectif de réalisation de soi. C'est en ce sens que Dubet dit que la disparition de la
vocation au sens religieux, sacré, a été remplacée par « une recherche parfois obsessionnelle
d'accomplissement et de réalisation de soi. [...] La formule la plus banale affirme que pour
faire ce type de travail il faut avoir un certain type de caractère ou de personnalité, il faut être
capable de ''s'investir''. »106.
La présentation de ces divers éléments de connaissances sur le travail infirmier a eu
pour objectif, outre de nous familiariser avec les problématiques inhérentes à ce type de
travail, de tenter une explicitation des hypothèses sur lesquelles reposent ce travail de
recherche. Nous pouvons ainsi les formaliser comme suit :
– L'implication dépend du statut d'emploi et de l'environnement de travail : Au vu de
l'importance de la composante subjective de la personne dans la constitution de son
implication, nous pouvons penser qu'à statuts d'emplois différents et/ou à environnements
de travails différents, correspondent différentes formes d'implication à mécanismes et
densités variées.
– L'implication est une carrière : Elle vient petit à petit, en parallèle des nécessités
pour faire un « bon » travail et augmente au cours du temps.
– L'implication se crée (ou s'exprime) autour d'un espace subjectif parfois appelé
« caractère », « feeling », « les tripes », qui semble nécessaire à la réalisation du travail :
la naturalisation de l'implication au travail, c'est-à-dire le fait de considérer que celle-ci est
normale dans ce type d'emploi, vient aussi d'une naturalisation des capacités ou des
compétences nécessaires à ce travail. Il est en effet souvent associé aux caractéristiques
réputées féminines.
– La construction subjective de l'implication permet une attitude ambivalente face à
l'organisation : face aux contraintes, l'implication peut être vecteur de liberté par la voie
d'une réappropriation subjective de son engagement dans la modernité. L'implication reste
contrainte et sert les intérêts de l'organisation, mais elle appartient en priorité à l'acteur.
105Op. Cit., p. 311.106Ibid., p. 312.
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CHAPITRE IV :
MÉTHODOLOGIE ET DÉROULEMENT DE L’ENQUÊTE :
Après avoir vu comment justifier théoriquement notre démarche de recherche, il
convient maintenant de s'arrêter quelques temps sur la méthode utilisée. En effet, avant de
présenter nos résultats, nous expliquerons comment nous les avons obtenus et pourquoi nous
avons utilisé cette méthode de recueil de données.
Ainsi, il s'agira dans un premier temps de comprendre pourquoi notre choix s'est porté
sur une démarche qualitative, pour ensuite en présenter les détails de mise en place et les
premiers éléments d'analyse que nous pouvons en faire. En effet, l'analyse de la démarche,
conditionnant les résultats d'enquête et son analyse, avec ses ouvertures et ses limites, nous
permettra ainsi de poser les premières pierres de notre échafaudage analytique.
IV.1/ UNE DÉMARCHE QUALITATIVE :
Compte tenu des spécificités de notre démarche et des objectifs fixés à l’élaboration de ce
mémoire, il nous faut nous arrêter quelques temps sur l’élaboration de l’enquête. Comme nous
venons de le voir l’enquête est investie d’une double contrainte : dans un premier temps,
l’enquête se doit de s’imprégner des objectifs décidés et des résultats attendus de la recherche.
C’est ainsi que nous avons pu voir qu’il s’agit, dans ce travail, d’essayer de comprendre et
d’appréhender, de recueillir un matériau constitué des perceptions et des constructions
subjectives des entretenus. La seconde contrainte repose sur le positionnement choisi pour
l’utilisation de ce mémoire, c’est-à-dire du fait d’avoir retenu l’option d’en faire un travail
préparatoire et exploratoire au travail de thèse.
De ces deux éléments, a découlé la majorité de nos choix méthodologiques (le reste
étant dicté par des nécessités de terrains, particulièrement, comme nous pourrons le voir
ensuite).
IV.1.1/ L’entretien semi-directif :
Pour prendre la « mesure » des subjectivités, nous avons ainsi choisi de mettre en
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place une démarche qualitative basée sur le recueil d’entretiens semi-directifs. La nécessité de
recueillir un matériau riche semblait ainsi dicter ce choix de laisser libre cours à une parole
« contrôlée », guidée par l’enquêteur. La rigidité du discours produit lors d’entretiens directifs
n’aurait ainsi pas permis l’expression personnelle des interviewées107, tandis que l’élasticité
des entretiens non-directifs aurait nécessité une étude beaucoup plus longue et un savoir faire
plus important de la part de l’enquêteur.
L’entretien semi-directif repose ainsi sur l’élaboration d’un guide d’entretien108 conçu
comme un enchaînement de questionnements générateurs des réponses attendues. A partir
d’une ouverture, telle qu’une question de départ, l’interviewer se doit de guider son
interlocuteur vers des sujets de discussions préalablement réfléchis et organisés. Il peut ainsi
exister différents niveaux de « semi-directivité » oscillant sans cesse entre l’entretien directif
et le non-directif. Il est, bien entendu évident que, quelle que soit la façon de rédiger et
d’anticiper son guide d’entretien, la situation déterminera le dosage exact de directivité selon
de nombreux critères, allant de la familiarité de l’enquêteur avec son sujet ou avec son guide
(marquant ainsi une forte différence dans l’utilisation de celui-ci entre le début et la fin de
l’entretien), à l’éloquence de la personne rencontrée. C’est ainsi qu’il nous fallût parfois
commencer des entretiens par une grande directivité, afin de « lancer » la parole de l’enquêté,
pour la laisser ensuite beaucoup plus libre de suivre le cheminement de ses propres idées ou
associations d’idées; tandis qu’il nous fallût d’autres fois laisser l’expression libre de toute
contrainte, au début, pour ensuite recadrer, par des questions de relance (du type : « vous
évoquiez tout à l’heure… »), ou encore par des demandes de précisions. Nous pouvons
cependant remarquer qu’au cours des divers entretiens, un rythme s’établissait (tenant
certainement davantage de l’enquêteur que de l’enquêté, du fait du changement d’enquêté à
chaque entretien), qui nous permet de dégager certaines constantes dans le déroulement de
ceux-ci : en premier lieu, les entretiens duraient en moyenne une heure et quart avec une
amplitude allant d’à peine une heure à deux heures complètes dans un cas unique. Chaque
entretien commençait par la question d’ouverture, expliquant mes attentes, après laquelle
s’ensuivait, en général, une période allant d’un quart d’heure à presque trois quart d’heure de
parole libre sans que n’apparaisse la nécessité de faire appel au guide d’entretien. Il ne
s’agissait ainsi pour l’enquêteur que de relancer par moments sur des évocations des sujets
intéressant la recherche ou montrant quelques signes d’intérêt dans le discours de la personne
107Nous verrons par la suite que l'échantillon était uniquement féminin.108Cf. Annexe 1 : le Guide d’entretien.
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(des éléments importants, et non anticipés par l’enquêteur, ont ainsi pu être abordés ou
dévoilés). Le temps suivant était davantage dirigé vers les points importants ou les aspects
non encore abordés pendant l’entretien. Enfin, les dernières minutes étaient réservées à un
questionnement plus direct de la part de l’enquêteur, sortant parfois du mode de discussion
établi lors du début de l’entretien (comme nous pourrons le voir par la suite lors de l’analyse
de la position du chercheur lors des entretiens), cherchant ainsi, délibérément, à créer des
réactions à des sujets « sensibles ».
IV.1.2/ Le guide d’entretien :
Nous ne nous arrêterons que quelques instants ici sur la question de l’utilisation du
guide d’entretien. Il nous paraît en effet intéressant de noter au lecteur que le guide présenté
en annexe fut le seul guide utilisé au cours de cette recherche, mais de manière très « légère »
et souple. Nous oscillions en effet entre les avantages et les inconvénients de ce type de
support car il présente un certain nombre de points importants dont l’analyse de la pratique
d’entretien ne peut faire l'économie.
Ce guide d'entretien peut être considéré comme un pense-bête, outil servant à ne pas
oublier, lors du questionnement, d'aborder les points cruciaux sans lesquels nous ne pourrions
obtenir un matériau solide, structuré et homogène. Cependant, l'inconvénient principal de ce
type d'outil, est la formalisation importante qu'il impose au temps d'entretien. Comme nous
l'avons dit plus haut, c'est ce qui détermina, entre autre, une utilisation plus souple de ce
guide. Enfin, son utilisation fut conditionnée par les réactions des différentes entretenues face
à la présence de cette « liste de questions ». Il est par exemple arrivé que l'enquêteur, posant le
guide sur la table en début d'entretien, soit obligé de le retourner face cachée car l'entretenue
portait régulièrement son attention sur celui-ci, perdant ainsi contact avec une certaine
« spontanéité » du discours. Il fallut ainsi ruser à plusieurs reprises avec l'attention de
l'interviewée afin d'éviter une gêne provoquée par la présence du guide, souvent accentuée,
déjà, par la présence de l'enregistreur.
IV.1.3/ É tude exploratoire et échantillonnage:
Enfin, nous nous devons de nous arrêter sur la question de l'échantillonnage des
personnes rencontrées lors de cette enquête109. Compte tenu de l'orientation claire de faire de
109Cf. Annexe 2: Tableau signalétique des entretiens réalisés.
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ce mémoire une étude exploratoire au travail de thèse, nous avons orienté cet échantillon avec
un souci de diversité. Ainsi, l'échantillon n'est pas homogène ni assez structuré pour obtenir
un matériau représentatif de quelque manière que ce soit. Les seules limites posées furent le
métier (infirmier dans trois secteurs différents) et le sexe (féminin). En effet, étant donné le
petit nombre d'entretiens réalisés, prendre en compte les infirmiers masculins aurait encore
rendu plus difficile ce travail de recueil de données. Il me semblait ainsi inutile de ne
rencontrer qu'un seul homme alors que la position de ceux-ci apparaissait très différente de
celle de leurs consoeurs, au travers des entretiens recueillis auprès de celles-ci. J'ai donc
choisi de laisser l'étude du discours des infirmiers pour le travail de thèse.
IV.2/ DE LA DIFFICULTÉ D'OUVERTURE D'UN TERRAIN À LA DÉCOUVERTE D'UN NOUVEAU MATÉRIAU :
Le bon déroulement de cette enquête dépend étroitement du positionnement des
personnes rencontrées. En d'autres termes, nous questionnerons ici l'accueil fait par les
personnes de notre échantillon à notre démarche de recherche et à notre volonté de leur faire
passer un entretien. Cette dimension de la relation entre enquêteur et enquêté nous paraît ainsi
importante dans l'analyse des résultats obtenus. Comprendre pourquoi les personnes
coopèrent et acceptent de donner de leur temps, semble crucial du fait des influences de ce
positionnement sur la construction du discours recueilli.
Au début de l'enquête, le contact s'est principalement fait par relations, par inter-
connaissances. Quatre des treize entretiens furent donc organisés par l'intermédiaire de
connaissances personnelles. A la base, ces premières rencontres devaient me permettre
d'entrer en contact avec la suite de notre échantillon, car il me paraissait vital d'éviter de
passer par la hiérarchie pour rencontrer ces personnes. En effet, cela reposait sur le postulat
d'une plus grande indépendance de la parole lors d'un contact non introduit par une voie
hiérarchique. Cependant, les débuts de l'enquête furent rapidement bloqués par l'absence de
réseaux de connaissances dans la région d'étude de la part des entretenues.
C'est alors qu'une deuxième voie s'est offerte à nous. Au hasard de recherches sur
l'Internet, la découverte de plusieurs forums de discussion infirmiers donna à dépasser ces
difficultés en me permettant de rencontrer une infirmière volontaire (qui est devenue par la
suite une personne ressource tant sa participation fut importante, et notamment dans
l'importance des recommandations et des contacts qu'elle me donna), mais aussi de « tester »
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certaines idées par le biais de discussions avec des infirmiers inscrits sur ces forums. Comme
nous le verrons par la suite, ces forums ne peuvent être comptés à part entière dans mon étude
du fait de la difficulté d'échantillonnage et de recueil des informations biographiques sur les
personnes présentes dans les salons. Cependant, la richesse des échanges m'oblige à prendre
en compte ces discussions, avec leurs avantages et leurs inconvénients.
La spécificité de ces échanges sur l'Internet repose ainsi sur deux points : tout d'abord,
il nous faut prendre en compte l'importance de l'anonymat des participants sur ces forums.
Cette exigence permet ainsi une « libération » de la parole, des échanges entre collègues bien
souvent (car les forums sont souvent spécialisés en fonction des besoins et des différents types
d'emplois comme par exemple le forum des infirmiers en libéral) sans que la visibilité totale
des propos ne puissent être répercutée sur la carrière d'un infirmier par exemple. En parallèle,
les échanges sont encadrés par un règlement assez strict sur le contenu des messages qui ne
doivent pas être injurieux,... Ces règles sont appliquées par des modérateurs, participants
ayant à charge la bonne tenue d'un salon de discussion.
Le deuxième élément fondant la spécificité de ces forums, tient au vecteur de
communication utilisé : l'écrit. La perte de l'oralité dans ces échanges prend ainsi une
importance cruciale dans notre analyse : écrire son propos permet une meilleure construction
du discours, un temps de réflexion. On échange ainsi la spontanéité contre des formes plus
structurées d'expression.
Comme nous l'introduisions en début de partie, une question traverse le recueil de
notre matériau, dans un cas comme dans l'autre : la question du volontariat. En effet, être
volontaire pour un entretien semble montrer une disposition face à la recherche menée, une
envie de coopération, un état d'esprit où il est possible de raconter son expérience. Cela
nécessite ainsi d'avoir déjà fait un retour réflexif sur sa pratique et surtout de se sentir capable
de ou motivé à en parler. Par conséquent, nous nous devons de nous questionner sur
l'implication requise à la participation à cette enquête. En effet, quelqu'un de moins impliqué
aurait-il accepté de témoigner de son expérience et de son implication dans son travail?
Comme nous le verrons, cette question semble cruciale tant les personnes rencontrées
paraissaient impliquées, chacune à leur manière, dans leur travail. Nous pouvons ainsi poser
l'hypothèse, qui modulera notre propos futur, que les personnes rencontrées ont en commun
cette disposition particulière à l'engagement et que les personnes les plus distanciées à leur
pratique du métier n'ont pas participées à cette étude.
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IV.3/ ANALYSE DES CONDITIONS D'ENQUÊTES :
IV.3.1/ Les entretiens :
Comme dit plus haut, les critères d'échantillonnage n'étaient pas très importants pour
cette étude, étant donnée la volonté affichée d'explorer un maximum de situations différentes
en préparation du travail de thèse.
L'échantillon se compose donc de 13 entretiens sur les trois secteurs différents110 :
quatre infirmières en milieu hospitalier (dont une directrice de soins et une ayant arrêté son
emploi afin de se réorienter), quatre infirmières libérales, et cinq infirmières en milieu extra-
hospitalier (dont quatre infirmières scolaires, parmi lesquelles deux en établissement
spécialisé, et une infirmière en médecine du travail).
Dans chaque cas, la pratique d'entretien se passait dans des lieux et dans des
ambiances différentes. Par exemple, la plupart des infirmières libérales et hospitalières ont été
interviewées chez elles, en dehors de leur temps de travail; tandis que les infirmières scolaires
et l'infirmière de médecine du travail ont choisi d'être interviewées sur leur lieu de travail
pendant leur temps de travail. A part cela, il paraît difficile de faire ressortir un schéma des
différents lieux et ambiances.
Nous pouvons tout de même remarquer que les entretiens se sont toujours déroulés
dans une ambiance cordiale et polie, l'interviewée tutoyant parfois l'interviewer (notamment
pour les infirmières les plus âgées), d'autres fois autour d'un café,... Cependant, nous pouvons
également noter quelques différences marquantes dans le cadre de vie de ces personnes: il est
ainsi intéressant de noter la grande variété de types de décoration d'intérieur. Nous avons ainsi
vu des intérieurs plus « aisés » chez deux des infirmières libérales (les deux seules encore
mariées), tandis que les infirmières hospitalières vivait dans des maisons plus petites et
« simples », c'est-à-dire présentant moins un décor chargé de bibelots de valeur111.
Les entretiens s'étant déroulés lors du temps de travail des infirmières marquent une
autre particularité de l'enquête : nous avons ainsi pu assister à quelques échanges entre les
infirmières et des élèves de l'établissement notamment, comprenant ainsi davantage les
110Pour une description plus approfondie, voire en annexe le tableau signalétique des entretiens et les différents portraits des personnes rencontrées.
111Il est particulièrement difficile de faire une description de ces ambiances d'intérieur sans, rapidement, tomber dans des idées reçues et des perceptions faussées. Il nous paraissait tout de même important de nous arrêter quelques temps tant les différences étaient visibles.
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situations d'interaction. Cependant, n'ayant pas mis en place de réelle période d'observation,
ces échanges ne participeront uniquement qu'à une meilleure perception de « l'atmosphère »
de travail de ces infirmières, la consistance de ces relations de travail112.
Enfin, pour terminer ce point sur les entretiens, l'analyse de la position du chercheur
semble cruciale. En premier lieu, nous pouvons remarquer une évolution de cette position au
cours de la pratique d'entretien, tenant certainement davantage du fait d'une meilleure
appréhension de cette technique et d'une meilleure connaissance du terrain et du sujet étudié
lui-même. En effet, approfondir sa recherche et commencer à élaborer les hypothèses et les
premières pistes d'analyse a permis de mieux cerner et centrer les discussions, limitant ainsi
les trop importantes digressions et recadrant davantage sur le sujet et les thèmes attendus.
Cependant, nous pouvons noter divers équilibres qu'il fallût trouver face à la pratique , mais
également face à un positionnement conscient et voulu d'une posture d'enquête:
Tout d'abord, comme nous l'avons déjà vu plus haut, il fallut au chercheur
continuellement osciller entre directivité et non-directivité des entretiens afin de stimuler la
parole des entretenues.
Ensuite, le deuxième équilibre à trouver se cristallisa entre l'écoute et la parole: « La
liberté de parole dans la situation sociale d’un entretien est celle de la description subjective
de l’interviewé, et l’exigence du respect des objectifs de la recherche souvent directive du
chercheur va en sens contraire. Ce dernier se trouve ainsi confronté dans sa propre action
d’enquête à deux obligations contradictoires : sa participation subjective pour une meilleure
fécondité de l’information offerte par l’entretien, et son objectivation construite à partir de
directives, de l’énoncé de la recherche à l’interprétation de la parole de terrain. »113.
Le troisième équilibre réside dans la question de l'expression de son avis personnel par
l'enquêteur. Il fallut ainsi osciller entre mettre en avant son avis sur des thèmes abordés et ne
pas le faire connaître afin de stimuler la parole. L'exigence ou non de l'expression de ces avis
reposait davantage sur la situation d'entretien, sur une interaction, que sur une volonté propre
à l'enquêteur.
Enfin, le quatrième équilibre important à trouver résidait dans la nécessité de « se
confier », de donner quelques éléments de sa vie personnelle afin, non pas de diriger le
discours, mais de prendre une position « humaine ». En effet, les exigences de la situation
112Sur ce point, voir Martuccelli D., la consistance du social, une sociologie pour la modernité, coll. Le sens social, Rennes, PUR, 2005.
113Le Huu Khoa, Liens méthodologiques et parenté épistémologique entre les sciences sociales, Villeneuve d'Ascq, Presse Universitaire du Septentrion, 2000, p.150.
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d'entretien et ses particularités méthodologiques semblaient parfois empêcher l'expression des
entretenues, tandis qu'en se plaçant volontairement dans une situation d'échange d'expérience,
le chercheur pouvait créer une situation propice au recueil de données.
IV.3.2/ Les forums :
L'enquête repose également sur la participation à trois forums internets spécialisés
pour les infirmier(ère)s (un généraliste pour tous les infirmier(ère)s114, un spécialisé pour les
infirmier(ère)s libérales, et un autre pour les infirmier(ère)s de santé scolaire et universitaire).
Les forums se composent d'une multitude de salons de discussions portant sur des sujets
divers. Chaque forum, voire chaque salon, a une ambiance différente, en fonction des
modérateurs et des participants. Certains sont très actifs tandis que d'autres sont rarement
consultés (notamment celui de santé scolaire). Cependant, en général, les participants ont été
ouverts aux questions et ont pris le temps de répondre aux questions posées, malgré, parfois
leur difficulté ou, en tout cas, les explications longues nécessaires115.
Une autre possibilité offerte par ces forums est l'utilisation de MP (messages
personnels) internes aux forums, mais permettant un échange non public d'informations.
Quelques participants m'ont ainsi contacté afin de me mettre en confidence sur certains sujets,
notamment vis-à-vis de la hiérarchie ou des relations avec les médecins par exemple.
Enfin, il faut encore une fois prendre le temps de décomposer la position du chercheur.
L'interaction ne se passant pas en face-à-face, la principale contrainte était de ne pas
compromettre notre participation à ces forums. Pour cela, il fallait faire attention de trouver
un équilibre entre audace des questions, afin de recueillir un matériau pertinent, et retenue
afin de ne pas être sanctionné par les modérateurs (au risque de se faire interdire l'accès au
forum) ou encore, et plus important peut être, au risque de ne pas récolter de réponse des
participants. Fermer l'accès à ce terrain aurait été des plus dommageable à cette recherche et à
la recherche de thèse qui s'en suivra peut-être.
IV.3.3/ Les discussions informelles :
Enfin, le dernier point important dans l'analyse de ces conditions d'enquête repose sur
114Cf. en annexe une discussion issue de ce forum. Le pseudonyme de l'enquêteur est « denscoed ».115En effet, bien souvent, les échanges se font à la base de questions/réponses assez courtes et rapides. Nous
retrouvons un peu ici l'évolution qu'on a pu voir entre le courrier et les e-mails. La rapidité de communication semble avoir allégé l'expression de beaucoup de formules de politesse et de contraintes stylistiques au point de nécessiter de nouveaux règlements, parfois, pour interdire le « langage SMS » peu compréhensible (mais peut-être est-ce là justement, la nouvelle contrainte stylistique, le nouveau langage de ce type d'échanges ?).
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Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
une particularité de ma vie personnelle. J'aurais pu passer sous silence cette partie ou encore
ne faire qu'une partie remerciements, mais, dans un souci d'honnêteté, je me dois de montrer
clairement la participation de ma compagne à cette recherche. En effet, elle-même en
deuxième année d'études en soins infirmiers, elle dût interrompre pour un an ces études en
raison d'une heureuse grossesse. Par cela, elle disposa d'assez de temps et de disponibilités
pour m'apporter deux soutiens importants : en premier lieu, un soutien logistique puisqu'elle
participa activement à la retranscription des entretiens réalisés; et, en second lieu, un soutien
conceptuel par l'intermédiaire de ce que nous pourrions appeler des discussions informelles.
Par son écoute attentive et disponible, par sa connaissance du terrain de mon étude et par son
fort intérêt pour cette question, elle représenta ainsi pour moi une partenaire privilégiée pour
discuter de mes pistes d'analyses, de mes constats. Ces discussions me permirent ainsi de
davantage comprendre mon sujet, mais également de ne pas me laisser emporter par un élan
conceptuel trop « déconnecté » d'une réalité de terrain beaucoup plus riche que certains
schémas beaucoup trop simples malgré leur « beauté » théorique. Elle me permit ainsi de
trouver ce qui me paraît être un juste milieu entre théorie et empirisme, entre proximité du
terrain et conceptualisation.
Nous venons ainsi de voir comment s'est organisée la partie empirique de cette
recherche et ce que nous pouvions en retenir afin de moduler notre propos, mais aussi afin de
mieux l'appréhender. Nous aurions pu également parler de certaines difficultés rencontrées au
cours de cette recherche, des évolutions des hypothèses, de certains blocages, ... Cependant, il
nous semble plus intéressant, tout en gardant en tête toutes les précautions apportées par les
limites de la méthode, d'exposer d'emblée la construction finale de notre analyse.
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Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
CHAPITRE V :
AUX ORIGINES DE L'IMPLICATION :
Pour commencer l'exposé de nos résultats de recherche, la présentation de l'implication
dans le métier infirmier nous semble le premier point important. Comprendre d'où vient et
comment s'expriment les motivations à l'implication infirmière nous permettra ainsi de
davantage approfondir les points suivants.
Cette reconstruction des origines de l'implication infirmière rencontrées au cours de
notre enquête se déroulera également en trois étapes successives et complémentaires. En
premier lieu, nous tenterons de comprendre les motivations des entretenues à devenir
infirmières et d'en établir un schéma en facilitant la compréhension. En second lieu, nous
tenterons d'analyser les liens profonds existant entre implication et subjectivité au travers des
notions de caractère et de vocation très souvent rencontrées. Enfin, il nous faudra confronter
les expériences rencontrées dans les trois secteurs d'activités afin d'arriver à la constitution de
trois « profils » d'infirmières bien distincts.
V.1/ UN MODÈLE OU UNE HISTOIRE COMME BASE MOTIVATIONNELLE :
Avant de voir comment les infirmières définissent leur implication au travail et ce que
l'on pourra analyser de ces formes d'implications, il nous semble judicieux de comprendre
l'origine de leur envie d'être infirmière, leurs motivations à se lancer dans cette carrière
professionnelle. En effet, l'approche motivationnelle peut nous permettre d'éclairer, sous un
autre jour, les supports que ces personnes ont été amenées à construire afin d'expliquer leur
parcours professionnel. Cette approche se base bien évidemment sur le discours recueilli et il
nous faudra donc garder à l'esprit le nécessaire travail de reconstruction effectué, pour la
narration notamment, par la personne dont ces souvenirs remontent bien souvent à plusieurs
dizaines d'années. Il s'agit ainsi souvent d'une version simplifiée, presque romancée de leur
biographie, où l'on peut supposer que les phénomènes postérieurs de reconstruction visent à
''harmoniser'' les diverses expériences, les rendre cohérentes dans un but de continuité des
trajectoires de vie.
Cependant, tout en gardant cet aspect en mémoire, nous pouvons clairement repérer
des récurrences dans les discours, des schémas communs de motivations, prenant racines dans
ISAS 51
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
des histoires diverses mais souvent présentées de manières quasi similaires. Ainsi, la majorité
des participantes à notre enquête revendiquent le caractère inné de leurs motivations.
Certaines parlent de vocation, tandis que d'autres parlent de l'avoir ''dans les tripes'', autant
d'aspects que nous explorerons plus tard, mais qui s'harmonisent dans la dimension
temporelle, voire, et peut-être plus précisément, atemporelle. Nous retrouvons en effet, dans
quasiment tous les entretiens des marques de cette atemporalité des motivations, de cette
envie qui semble ancrée dans leurs plus anciens souvenirs, depuis toujours.
C : « Je me dis qu'on peut faire autre chose, bon là il y a le côté humain, je dis souvent heu, si on l'a pas dedans, si on l'a pas dans les tripes, c'est pas la peine, c'est le calvaire sinon hein. »V : « J'ai toujours voulu être infirmière! »L : « Moi je pense que c'est inné parce que heu, aussi petite que j'ai été heu, c'était vraiment, enfin j'ai vraiment fait ça parce que heu, je veux dire, ça m'a toujours heu, toujours intéressée, je sais que maman disait toujours que quand j'étais toute petite, le premier jouet que j'ai eu c'était une panoplie d'infirmière... »X : « Et il y a pas eu, mes parents me disent il y a pas eu, hum, par exemple, on aurait eu à la maison quelqu'un qui venait de là-bas, qui nous en aurait parlé, non elle dit « tu t'es, tu t'es réveillée un jour en disant ça : je serai infirmière pour aller soigner en Afrique », et puis voilà. »
Néanmoins, malgré ces expressions communes à quasiment toutes les infirmières,
nous constatons que différents schémas de genèse de cette motivation peuvent ressortir. Deux
modèles ont ainsi émergé. Ces deux archétypes sont assez proches l'un de l'autre et trouvent
leur origine dans l'histoire familiale et enfantine des personnes entretenues.
En premier lieu, le premier type d'évènement générateur de cette motivation à devenir
infirmière se cristallise autour de la présence d'un modèle dans la sphère de relation proche,
ou plus éloignée, de la famille. L'expression de modèle est loin d'être anodine car, dans ces
cas-là, elle est utilisée dans ces mêmes termes par les interviewées. Il s'agit donc d'une
personne, soit connue dans la famille, soit rencontrée, souvent infirmière ou parfois médecin,
qui exerça une forte impression sur l'enfance de ces futures infirmières. La description de ces
personnes semble parfois encore baignée, pour quelques entretenues, dans une image
romancée et idéalisée de l'exemple, du modèle. Elles se sont ainsi décidées à suivre ceux-ci,
ces guides, ces références dans leurs choix de vie professionnelle. Ce modèle, bien que
souvent désacralisé par l'expérience qu'elles se sont constituées par la suite, reste cependant
important dans leur histoire car elles le présentent souvent comme un ''étalon'', un repère de
leurs choix et de leurs motivations. De même, l'influence de personnages fictifs, dont l'histoire
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Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
romancée est particulièrement propice à l'idéalisation, paraît importante chez ces infirmières.
Là aussi, nous retrouvons l'élan motivationnel créé par le modèle.
B : « Je pense que ça tient peut-être un p'tit peu du caractère, de toute façon de la personne, et puis aussi peut-être un peu de son enfance, enfin je pense, hein, heu, des gens qui, qui nous ont guidés et puis voilà quoi, hein, si ils nous ont donnés un certain esprit d'ouverture ou bien le fait de rester... »P : « J’ai fait des piqûres quand j’étais petite en fait, parce que j’ai fait de l’asthme, et puis j’avais une infirmière à domicile qui venait. Donc heu je voyais un p’tit peu, et puis bon on idéalise beaucoup quand on est enfant, on voit pas, l’arrière, hinhin, on voit, non, c’est comme heu bon, vous regardez la télé, vous voyez un p’tit peu beaucoup de choses et puis c’est vrai qu’on idéalise beaucoup. »V : « bin, heu, mon grand père me dit qu'c'est à cause de lui pac'que il m'avait acheté un livre à l'époque, j'm'en souviens toujours, j'crois même qu'j'lai encore à la cave ; c'était un p'tit livre d'enfant qui s'appelait Sylvie et l'infirmière.[...] C'était un petit livre d'enfant qui racontait l'histoire d'une petite fille, vous voyez heu, comme quand vous achetez une trousse d'infirmière à une petite fille.[...] Y a eu ça j'me souviens aussi deee, duu tss, feuilleton Jannick Aimé, alors là c'est... »
Le deuxième type de schémas de genèse motivationnelle se rencontre au sein même de
l'histoire familiale. Selon les infirmières interrogées, elles expriment les influences de leur
milieu familial dans leur choix de carrière selon deux grande modalités. Dans un premier
temps, certaines semblent revendiquer l'existence de normes familiales, d'une éducation
particulière orientée vers les valeurs associées au travail infirmier : aide, écoute,
compassion,... Cet espace normatif les aurait ainsi ''moulées'' vers des vocations de types
médicales ou infirmières.
« D116 : Qu'est-ce qui vous a attiré dans le médical au départ, ou para-médical maintenant, mais le fait de...L : Bah tout de suite hein, très, très vite, et bon c'est vrai que heu, j'ai, dans la famille on a des médecins. »B : « Bah je pense que il y a peut-être aussi heu une histoire d'éducation heu familiale, moi je pense, quelque part heu dès le départ si moi je, enfin j'ai des parents, j'ai une mère qui est très ouverte hein, à discuter et etc, heu, mon père c'est pareil, heu je pense que c'est peut-être que ça part déjà, enfin, je ne sais pas hein quelque part, psychologiquement heu que ça a dû marquer dans l'enfance heu, on a dû heu, percevoir certaines choses et puis peut-être que du coup on refait la même chose un p'tit peu, hein je pense heu, que ça a eu une influence quoi, l'enfance heu, dans ce sens là. »
Dans un second temps, d'autres entretenues nous parlaient davantage de schémas
116D. est l'enquêteur.
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héritées de la biographie de leur parents. Prenons par exemple Y. :
Y : « Je sais que ça doit être héréditaire, papa heu, qui est ouvrier aux chemins de fer, donc qui a jamais travaillé dans un milieu paramédical, mais aurait voulu être médecin. Et en fait sa maman voulait pas et elle voulait qu’il soit instituteur, comme il voulait pas être instituteur, il a plus rien fait jusqu’à ce qu’il rentre aux chemins de fer et voilà quoi. Mais papa voulait être médecin, toute petite dès que quelqu’un se faisait mal à la maison je poussais tout le monde, c‘était moi qui devais le soigner et, bon…D : Ouais, au départ c’était un p’tit peu un jeu du coup de soigner les gens…Y : voilà et puis après je me suis pris à ce jeu quoi et puis j’avais envie de faire ça. »
Dans ce cas, l'histoire du père semble s'être répercutée sur celle de la fille dans ses
choix professionnels. Bien évidemment, dans un cas comme dans l'autre, ces schémas ne se
répercutent pas d'emblée sur l'individu concerné mais semble davantage profondément
s'ancrer autour de valeurs cardinal comme celle, emblématique, de ''aider autrui''. On peut par
conséquent supposer que, lors de l'émergence de ce rôle ''altruiste'', l'individu acquiert une
gratification forte qui reste comme un schéma indélébile de sa ''façon d'être''. C'est
certainement pour cela que l'on retrouve comme principale motivation au travail d'infirmier le
fait d'être utile à quelqu'un, à l'autre.
M : « Non je sais pas, c'est, ça doit être dans la nature des gens, non, je crois que depuis toute petite j'ai été élevée heu, bon j'ai été élevée par mes grand-parents en fait, puisque heu, mes parents travaillaient tous les deux heu, toute la journée, et, et donc heu bin, ma mère avait eu l'occasion que ce soit ma grand-mère qui nous gardent mon frère et moi, on a été élevés par mes grand-parents, et il est vrai que on a été élevé par mes grand-parents et mes arrière-grand-parents qui habitaient l'un à côté de l'autre, donc heu dans une ambiance assez âgée, donc heu, on a été amené plus ou moins à les aider beaucoup heu, dès qu'on a été autonomes : donc heu allez faire des courses. Après bin c'est, comme c'est dans des immeubles on aide les papis et les mamies d'à côté, et puis bon au bout d'un moment on se dit tient bah c'est sympa en fait, on leur rend service et le fait de rendre service et de voir que ça fait plaisir, on se dit ouai c'est sympa quand même, et puis, c'est plus le service rendu, en fait.D : C'est le sentiment un peu d'être utile ?M : Voilà, c'est ça, d'être reconnu. C'est ça, c'est le sentiment d'être reconnu, en fait. »A : « Bah, je pense heu, bah m'occuper des gens, je pense, c'est ça, parce que je le faisais un peu trop quand j'étais en, à la fac en fait, je faisais beaucoup de relationnel etc, et c'est vrai, ça rentrait pas du tout dans mon métier, quelques fois même je rentrais trop dans, dans mon rôle de, depuis ce temps là j'ai pris beaucoup
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de distances, haha, je le faisais non professionnellement, et c'est ça le problème, et, et je m'impliquais tellement dans, dès qu'il y avait quelqu'un en souffrance etc, je m'impliquais tellement que je suis pas allée à mon concours de sage-femme, à une épreuve, alors que c'était la fois où il fallait que j'y aille. »
Pour bien appréhender ce mécanisme, nous pouvons le rapprocher de deux auteurs
nous donnant des visions intéressantes pour notre propos. Tout d'abord, la vision
anthropologique exposée par Alexandra Bidet117 nous montre comment ce phénomène peut
être la marque d'une forme de recherche de prise sur l'existence. « Si la mise en intrigue de ce
qui est d'ordinaire enfoui dans le ''ça va de soi'' du quotidien, les occupe et les préoccupe aussi
fortement au cours même de leur activité de travail, c'est bien que '' [l'activité de
connaissance] va au-delà de la formation d'une croyance ou de la recherche d'information car
elle exprime le besoin d'une prise effective sur le monde réel'' (Salais et al., 1998). »118.
Dans un raisonnement un peu similaire et que nous avons déjà évoqué plus haut,
Martuccelli nous parle des supports de l'individu qui fondent son existence. « La notion de
support vise donc à saisir cet ensemble hétérogène d'éléments, réels ou imaginaires, tissés au
travers des liens avec les autres ou avec soi-même, passant par un investissement différentiel
des situations et des pratiques, grâce auxquels l'individu se tient, parce qu'il est tenu, et est
tenu, parce qu'il se tient, au sein de la vie sociale. »119 Nous pouvons ainsi considérer que
l'intériorisation de ce rôle ''altruiste'' et des gratifications reçues en retour, forme pour
l'individu un important support pour sa vie professionnelle et personnelle. Les exemples
donnés ci-dessus en sont un exemple frappant.
Seulement, et c'est ce que nous allons voir ensuite, ce support, qui permet une prise sur
l'existence, paraît avoir subit, dans les discours des personnes de l'échantillon, une
reconstruction au cour du temps et des expériences. Cette reconstruction semble ainsi
s'apparenter à une naturalisation de celui-ci, à son intégration à la définition de lui-même, par
l'individu, comme possesseur d'un ''caractère'' préalable à l'entrée dans le métier.
V.2/ UN ESPACE SUBJECTIF AUX SOURCES DE L'IMPLICATION : CARACTÈRE ET VOCATION :
Nous venons donc de voir comment notre échantillon exprimait la constitution de ce
support de la motivation à s'impliquer dans le travail infirmier. De cette motivation première, 117Bidet Alexandra, "le travail et l'économique, pour un regard anthropologique", in. sociologie du travail, vol.
43, n°2, avril/juin 2001, pp.215-234. 118Ibid., p. 230.119Martuccelli Danilo, Grammaires de l'individu, Op. Cit., p. 78.
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nous avons également pu constater l'émergence d'un rôle infirmier, la reconstruction de leur
biographie en accord avec une certaine cohérence donnée à posteriori. Comme nous l'avons
déjà évoqué rapidement dans le premier temps de ce chapitre, les personnes interviewées nous
ont parlé de l'existence d'une vocation ou d'un caractère, selon les cas, existant préalablement
et étant nécessaire à la pratique de ce métier.
L'expression de cet aspect de leur expérience semble souvent difficile, confuse et floue
pour l'enquêteur tant ce point s'enracine dans la construction subjective de l'individu. Voyons
ici quelques extraits significatifs :
L : « Je sais, je pense que c'est dans ma nature, je crois que vraiment heu c'est inné, j'ai pas, parce que dans la famille je suis la seule à avoir heu, abordé cette partie de médecine, et c'est vrai que... »H : « Bah, c'était l'aide, je crois que j'étais faite pour heu, pour l'aide heu, à la personne en fait. »Y : « Et puis bon moi je dis que c'est le métier que j'ai toujours voulu faire j'en suis sûre maintenant, enfin surtout quand j'étais à l'E... j'ai découvert ça, j'ai dis c'est vraiment j'ai l'impression que c'est le métier que j'ai toujours voulu faire quoi, m'occuper de jeunes et en même temps heu, les soigner, les aider heu. »C : « Si, bah moi, si au début on me dit vocation, je dis non, faut pas exagérer, hein, vocation, moi je dis, moi c’était un peu, moi je disais non, parce que je suis pas une bonne-sœur. [...]Les gens ils ont pas envie d’être bonne-sœur. Bon. Donc c’est métier, le métier. Ah bah un métier c’est un métier comme un autre, on le fait. Moi aussi il y a eu un moment je disais si, si hein, et puis après heu… en même temps je disais bah oui, mais bon, quand je dis c’est dans les tripes, c’est parce que on a quelque chose en plus, quoi. Donc qu’on le veuille ou non, il y a quand même heu, le truc en plus. C’est pas qu’un simple métier. »
L'enchevêtrement des raisons apparaît ainsi clairement, et nous pouvons le retrouver
dans quasiment tous les entretiens. A chaque fois, les entretenues ont de profondes difficultés
à exprimer leurs ressentis sur des expressions comme ''vocations'', ''caractère'' ou encore ''les
tripes''. Cet élément, participant intrinsèquement à leur pratique et à leurs représentations du
métier, se confond ainsi dans une multitude d'expressions aussi différentes qu'il y a de
personnes. Sans basculer dans la psychologie, nous nous devons cependant de questionner cet
élément bien particulier.
Ainsi les expériences narrées dans la première partie nous semblent, entre autres, à
l'origine d'une construction très personnelle faite par les individus d'une représentation de leur
parcours autour de valeurs, mais aussi de la possession d'aptitudes particulières, innées. Ces
aptitudes constituent ainsi un espace subjectif résidant au centre de la représentation de la
ISAS 56
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
personne. Parfois appelé vocation, nous pouvons cependant remarquer que les entretenues
cherchent d'autres termes pouvant définir cet « espace subjectif » hors du champ sémantique
religieux. C'est ainsi qu'apparaissent les notions de caractère, de tripes. Le mot caractère est
récurrent de bien des discours. Il serait intéressant de se questionner sur son lien avec la
modernité, par opposition à l'expression vocationnelle plus religieuse, en ce qu'il cherche à
exprimer un coeur authentique de la personne, un appel irrépressible, presque un destin, si
l'expression n'était pas connoté comme celle de vocation. C'est donc la marque d'une
recherche de dispositions fondamentales de l'individu, de facultés innées, d'un coeur
élémentaire, originel et intrinsèque à la personne dans sa recherche de prise sur l'existence.
Cet élément que nous nommerons ici, de façon un peu arbitraire, « l'espace subjectif des
aptitudes authentiques », ou pour faire plus court « les aptitudes authentiques », ressort au
travers de tous nos entretiens comme un des supports principaux des individus pour se tenir au
coeur de la société et de leur milieu professionnel. Cette expression d'espace subjectif des
aptitudes authentiques cherche ainsi à montrer l'ancrage subjectif de cette reconstruction des
aptitudes dans le discours, et sa forte adéquation avec l'aspiration moderne à l'authenticité.
Si nous nous appesantissons longuement ici sur cet élément, c'est afin de bien mettre
en avant l'importance cruciale qu'il acquiert dans notre analyse de l'implication au travail
aujourd'hui. Ce discours des aptitudes authentiques est en effet récurrent et profondément
ancré dans les représentation de la profession :
R (extrait du journal du chercheur pour cause d'ennui technique lors de l'entretien): « Pour R., importance de la distanciation par rapport à la vocation mais discours proche d'un « naturel relationnel » (''Je suis fait pour ce métier'', ...) » F : « Mais au fond, la technique, c'est pas ça le plus gênant, ça s'apprend. Ce qui ne s'apprend pas par contre, à mon avis, c'est le... [silence] c'est tout ce qui n'est pas technique justement, heu, c'est la relation d'aide auprès des patients, heu, tout ce domaine relationnel, qui, à mon avis, fait parti du soin. »M : « C'est une vocation parce que si on n'a pas la vocation, on peut pas faire ce métier, parce qu'il y a tellement de choses négatives, en fait, que bin, on se dit pourquoi je fais ça, je vais faire un truc plus rigolo, parce que, c'est vrai que si on, on n'a pas la foi dans ce qu'on fait heu, on peut pas le faire. »
L'espace subjectif des aptitudes authentiques participe donc pleinement au travail et à
sa représentation et permet l'émergence du rôle infirmier, de ce positionnement professionnel
où les représentations sont intériorisées, voir naturalisées par les infirmières. Après les
motivations premières vu dans la première partie, cet espace subjectif construit semble bien
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être un deuxième élément de la genèse de l'implication au travail. Aux racines de celle-ci, il
s'organise également comme le noyau dur de cette implication autour duquel gravitent
plusieurs types d'intérêts justifiant, plus pragmatiquement, le choix de, et l'implication dans
cet emploi.
V.3/ LE DON DE SOI, LE STATUT ET LE RÔLE : TROIS PROFILS POUR TROIS SECTEURS?
La comparaison des trois secteurs d'emploi infirmier nous apporte un nouvel éclairage,
complémentaire, sur cette question. En effet, les personnes entretenues mettent en avant, de
façon très limpide, les raisons de leurs choix de secteur. Pratiquer son métier à l'hôpital, en
libéral ou en salarié hors hôpital ne revient effectivement pas du tout au même. Pour certaines,
cela représente même trois métiers différents tant ce qu'elles y cherchent, et ce qu'elles y
trouvent par conséquent, est parfois profondément différent.
En réalité, ces différences sont liées à l'importance que les infirmières donnent aux
différentes facettes du métier. Nous avons vu avec Dubet comment ce métier se trouvait
confronté à la rencontre de trois mondes distincts et comment la personne exerçant celui-ci se
devait, continuellement, de chercher un point d'équilibre, une mise en tension harmonieuse
dans la pratique. Le monde de la technique est ainsi davantage celui de la médecine et de la
science. Le monde social est celui de l'organisation. Le monde subjectif, enfin, représente la
relation entre les personnes. En fonction du secteur d'emploi, nous pouvons repérer que
l'influence de ces trois mondes est variable, que le point d'équilibre est plus ou moins centré
en fonction des pratiques, des relations de travail et des représentations.
Au vu de l'importance de ces facettes dans le choix du secteur d'emploi, trois
« profils » d'infirmières peuvent se dégager. Ces idéaux-types relèvent plus de l'idéal-type que
du modèle intransigeant à suivre pour exercer dans tel ou tel secteur. Ce sont trois catégories
se différenciant par quelques points : des intérêts, des motivations ou des choix conditionnant
la pratique et l'implication de l'infirmière dans celle-ci.
Le rôle des infirmières hospitalières : L'idéal-type de la figure de l'infirmière
hospitalière nous semble centré sur l'idée du rôle infirmier. Image traditionnelle de
l'infirmière, elle revendique leur professionnalité, le travail en équipe et leurs compétences.
Bien qu'au coeur des trois mondes, le monde technique reste prépondérant tant l'hôpital et son
personnel se doit d'être constamment à la pointe des évolutions techniques. Ces
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professionnelles apparaissent quasiment comme le fleuron de la pratique infirmière dans la
recherche d'efficience et d'efficacité. Au confluent des logiques infirmières, médicales et
organisationnelles, elles se doivent de toujours ''réinventer'' leur posture professionnelle en
fonction des évolutions techniques, des attentes organisationnelles (et notamment des efforts
de rationalisation budgétaire) et des évolutions sociales particulièrement visible, selon elles,
dans ce milieu où toutes les catégories sociales se mêlent.
F : « Et c'est trois logiques quand même différentes, à mon avis,... qui se confrontent. Le soignant, lui, il compte pas, il est dans le soin et dans le relationnel. Le médecin [...] qui est dans... t'anonymise hein, bien!... qui est dans le pouvoir, la réputation, dans le résultat, dans... dans la satisfaction personnelle, je dirais heu plus que professionnelle, enfin, de faire telle ou telle activité plus que le voisin. [...] Enfin, c'est un peu compliqué le corps médical. Et encore plus, aujourd'hui, tu as la logique administrative qui est, heu, faut faire du chiffre, faut faire de l'activité parce que l'hôpital va mal, parce que le malade doit pas coûter cher [...] »M : « Ah oui, oui, c'est vraiment, c'est vraiment excellent, quoi. D'ailleurs, moi quand j'ai appris les fistules, et tout, j'ai trouvé ça tellement impressionnant, que je me suis, j'ai été faire des recherches et tout, ça m'éclate, je veux dire, je trouve ça vachement bien, quoi. »
Le ''don de soi'' des infirmières libérales : De leur côté, les infirmières libérales
mettent davantage en avant le côté relationnel de leur profession. Assez autonomes dans leur
façon de faire, elles se doivent de prendre le temps avec leurs patients. Seules face à ceux-ci,
il faut souvent reexpliquer les prescriptions médicales, prendre le temps de discuter avec les
gens les plus solitaires, ... C'est le monde subjectif qui semble prédominer dans le discours des
infirmières libérales. C'est aussi celles qui revendiquent le plus l'aspect vocationnel de leur
métier. Souvent stigmatisées comme ''tiroir caisse'', les infirmières rencontrées cherchent à se
défaire de cette image en adoptant une démarche qualité centrée sur le contact et la relation.
V : « C’est lourd psychologiquement pac’qu’à domicile on est très impliquée, pac’que on y passe, en général on les connaît depuis longtemps, ou quand on les prend en charge, bah, on prend fait et cause pour la famille puisque on vient deux fois trois fois, on fait partie de la famille. [...] les peines, les communions, les baptêmes, les naissances, on fait partie de tout ça. »B : « Ah, oui, oui, moi je dirais, comme heu je disais au départ, il faut heu, aimer ce métier, je pense, je pense que c'est un métier qui est très humain heu, vraiment bah, il y a quasiment rien de plus près, parce que je dirais même par rapport à médecin, une infirmière va aller tous les jours chez, enfin, pas, pas pour certaines personnes, mais par exemple des gens qui ont de l'insuline, ou des pansements etc, on va aller tous les jours chez ces personnes-là, heu, il y a cette histoire de chaleur humaine, de
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rapports entre les personnes, qui font que, si, il faut l'aimer, il faut aimer ce rapport. Heu et je dirais comme je disais, parfois c'est les seules personnes, enfin des personnes qui ont vraiment personne et qui comptent sur nous et ça crée un lien [...] »
Le statut des infirmières salariées en milieu extra-hospitalier : Les infirmières
travaillant en milieu extra-hospitalier peuvent présenter un profil un peu plus varié étant
donné l'étendue de ce champ. Cependant, n'ayant étudié ici que les infirmières scolaires et une
infirmière de médecine du travail, certaines occurrences peuvent se retrouver. Étant salariées
de la fonction publique, l'attachement au statut paraît assez profond ainsi que les avantages
liées aux conditions de travail moins intenses qu'en hôpital ou en libéral. Généralement, la
raison principal de ce choix tient à la relation avec la famille. Pour pouvoir élever leurs
enfants, ces infirmières disent souvent avoir ''sacrifié'' leur vie professionnelle afin d'obtenir
davantage de disponibilités et une sûreté d'emploi. A la différence des infirmières
hospitalières également fonctionnaires pour la majorité de celles que nous avons rencontrées,
le statut pèse ainsi sur le choix de cet emploi et conditionne leur pratique. Bien évidemment
nous retrouvons également l'influence des trois mondes et un fort engagement dans le travail,
mais ceux-ci semblent revêtir une importance plus secondaire.
L : « Donc c'est vrai que heu, mon mari n'était plus très chaud pour que je poursuive dans le secteur hospitalier, bon moi j'ai, j'aimais énormément, et donc à cette époque là je m'étais posé la question de faire ou enseignante, donc faire l'école des cadres pour être monitrice puisque j'occupais déjà la formation des élèves aides-soignantes, ou alors faire heu, donc il y avait l'opportunité, quelqu'un m'a dit il bah il y a le concours d'entrée heu, à l'éducation nationale. [...] Bon, je veux dire moi je l'ai fait, c'est vrai que je suis, ça m'a pesé et ça me pèse encore mais je veux dire, quand je vois heu ma réussite familiale, je veux dire j'ai pas de regret.[...] Je le vis bien, hein et puis ça m'a permis d'élever ma fille, d'être pendant les vacances scolaires tout à fait disponible, mais c'est vrai que j'ai la nostalgie de l'hôpital, hein, ça c'est... »Y : « Moi je suis plus attachée à ma famille hein, je cache pas non plus que quand j’ai passé le concours de l’éducation nationale à l’oral je l’ai dit, ils ont dit « pourquoi vous voulez rentrer dans l’éducation nationale, vous avez du travail, vous êtes pas sans travail, vous n’aimez pas ce que vous faites », j’ai dit « si, j’aime beaucoup ce que je fais mais je pense que si on peut, si on peut heu, améliorer aussi sa vie de famille, on s’en sortira des mieux côtés, des deux côtés, c’est hein », si on peut harmoniser sa vie de famille et sa vie professionnelle, forcément on s’en sortira mieux des deux côtés donc heu voilà, quoi, moi je suis très attachée à la famille »
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Nous voyons donc que les trois secteurs de travail infirmier diffèrent par rapport au
profil des personnes occupant ces postes. Les trois idéaux-types des emplois sectoriels nous
montrent ainsi l'importance de la prépondérance donnée aux différentes facettes du métier.
Nous pouvons ainsi considérer ce choix de secteur comme un deuxième étage de motivations
au métier infirmier. Complétant la motivation première construite autour du noyau de l'espace
subjectif des aptitudes authentiques expliqué plus haut, les trois facettes du métier, le don de
soi, le rôle et le statut, viennent s'intégrer plus tard dans la consistance de la motivation à
l'implication au travail infirmier. La construction biographique de l'engagement infirmier
semble ainsi se construire en deux temps successifs, où le deuxième représente davantage une
adaptation pragmatique à la situation sociale de la personne, et le premier l'élan primordial qui
décida de la voie professionnelle à suivre.
Pour bien imager cette construction des motivations à l'implication dans le travail
infirmier, nous pouvons le visualiser au travers du schéma suivant nous présentant le noyau
dur de la motivation autour duquel gravitent des motivations secondaires qu'il s'agit, pour
l'individu, d'équilibrer en fonction de la situation sociale dans laquelle il vit notamment.
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CHAPITRE VI :
LA CARRIÈRE IMPLICATIONNELLE :
Pour continuer sur l'analyse de notre matériau, après avoir vu d'où pouvait venir
l'implication, quelles en étaient les motivations et comment celles-ci s'organisaient, nous
allons maintenant tenter d'étudier le phénomène de l'implication dans le travail infirmier. En
effet, celui-ci semble obéir à des mécanismes, des modes d'être que l'on retrouve
régulièrement au cours des entretiens.
Ainsi, dans un premier temps, nous nous questionnerons sur l'historicité des
phénomènes d'implication, c'est-à-dire leurs évolutions au cours du temps, en l'envisageant
sous l'optique d'une carrière implicationnelle. La seconde partie se consacrera à étudier
l'importance de la relation dans les phénomènes d'implication. Enfin, nous essayerons de voir
quelques limites à l'implication et les différentes solutions trouvées par les infirmières pour se
protéger.
VI.1/ L'IMPLICATION COMME UNE CARRIÈRE :
Si nous voulons considérer le phénomène implicationnel comme une carrière, c'est par
l'apport temporel contenu dans cette notion. En effet, parler d'une carrière revient à dire qu'il y
a une entrée dans celle-ci, puis une évolution cadencée par différents événements marquants,
troublant son déroulement et créant ainsi des périodes plus intenses où les choix sont
nécessaires, et pouvant déboucher soit sur un ralentissement soit sur une accélération de
carrière. Parler de carrière, c'est aussi envisager une fin, une retraite que l'on espère voir
arriver lors de l'apogée du parcours professionnel.
Par conséquent, si nous parlons de carrière implicationnelle, c'est bien pour faire
ressortir cette dimension temporelle du processus d'engagement. En d'autres termes, nous
voulons faire ressortir ce que nous avons entendu dans plusieurs entretiens et que nous
pouvons résumer ainsi : ''Dès qu'on a un pied dedans, le reste vient avec la nécessité de faire
du bon boulot''. En caricaturant, il s'agit de signifier que, quel que soient les motivations
préalables à l'entrée dans le métier (bien que celles-ci soient importantes comme nous l'avons
vu précédemment), l'implication devient nécessaire dans l'application du métier, voir, le
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métier créerait lui-même l'implication nécessaire à sa survie.
L'implication est ainsi issue d'une construction pragmatique se basant sur le socle des
motivations déjà citées. Elle naît des motivations mais s'épanouit dans la pratique.
M : « Je pense que pour bien travailler il faut être intéressé par ce qu'on fait. Parce que si on n'est pas intéressé, on n'a pas envie de s'impliquer, enfin moi, si ça m'intéresse pas, je vais pas faire beaucoup d'efforts, hein. »C : « On est impliquée, on peut pas rester comme ça insensible, sans, sans qu’on se pose des questions quand on voit des personnes heu, qui vont dire ''moi je sais que je vais mourir'' »Z : « Moi quand il y a du sept heures du matin ça me dérange pas je le fais, bon après vous savez c'est, pour que la roue tourne on fait tous un peu des efforts quoi. »H : « Non vraiment heu je l'ai trouvé par, je dirais pas par hasard, mais par les, les évènements de la vie je me suis installée dans ce métier sans heu l'avoir décidé volontairement, quoi, c'était pas un choix heu, un objectif au départ. D : Et vous avez quand même réussi à trouver votre compte heu dans ce métier là ?H : Voilà, tout à fait, tout à fait. [...] C'est pareil il faut être, il faut aimer ce métier quand même, heu, si non on le fait mal. »
Nous voyons donc l'importance donnée à la pratique dans la construction sociale de
l'implication au travail. Pour travailler, il faut s'impliquer, et pour s'impliquer il faut travailler.
Ce primordial ancrage de l'implication dans la pratique quotidienne semble ainsi se cristalliser
autour de la notion de ''bon boulot''. Les entretenues nous expliquent par conséquent que c'est
par une sorte de ''conscience professionnelle'', d'application nécessaire à la réalisation de leur
travail, et surtout d'un travail bien fait, qui génère encore plus d'implication après. Comme si
le travail bien fait n'était jamais suffisant et s'auto-alimentait dans son impérieuse demande de
perfection de l'acte.
Cependant, nous pouvons légitimement nous demander ce qu'elles appellent le ''bon
boulot. Ce bon boulot est-il un travail techniquement parfait comme l'exigerait la sphère
médicale du métier ? Est-il un acte peu onéreux comme le demanderait la logique de
rationalisation budgétaire ? Ou est-ce encore un travail à l'issue duquel le patient s'est senti
écouté, compris ?
Cette notion de ''bon boulot'' semble davantage apparaître en creux dans nos entretiens.
Le définir en tant que tel semble difficile, peut-être compte tenu de la différence entre les
différentes représentations de la profession, et au difficile arbitrage entre les trois influences
souvent contradictoire, à l'oeuvre dans le métier. Toujours est-il que, bien souvent, la
définition du bon boulot s'exprime davantage par opposition au mauvais boulot et se
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cristallise dans l'opposition entre les différents groupes coexistants ou encore dans
l'opposition avec les ''jeunes'' infirmières aussi appelées les ''filles''.
P : « Il y a très peu de clients, les piqûres ça fait mal, tout le monde fait mal en faisant une piqûre, qu’est-ce qui change ? C’est le, le contact, le, on a quand même un métier de contact hein, on n’attend pas d’une piqûre heu que ça fasse du bien. Moi il y en a une elle pique pouf, bonjour, en revoir, elle parle pas hop elle s’en va, bah elle court après le client. Pourquoi ? parce que les gens disent heu « bah elle est fière, elle est pressée, elle court de, de, de la porte de la maison à la voiture pour aller plus vite, être plus vite rentrée chez elle ». [...] Oui j’en connais, hahahaha. Ouais, ouais, non, non, c’est leur gagne pain et puis c’est tout. Ils font la piqûre mais en général on voit chez ces gens là les clientèles qui ne se développent pas beaucoup parce que les gens ressentent quand même heu, ce côté heu, un peu de non-engagement, de désintéressement par rapport à la profession, ça on peut pas le cacher, on peut pas le cacher. »C : « Parce que moi je me dis, à l’heure actuelle, je vois que ça évolue de plus en plus comme ça, on a de plus en plus des filles qui rentrent dans la profession, parce que en fait, une voulait être avocate, bon bah, elle a fait une année, deux années de droit, elle s’est plantée, bon là elle peut plus traîner, il faut qu’elle trouve quelque chose, bon elle se dit infirmière je suis sûre de trouver du boulot, heu bon, c’est des techniciennes, heu elles arrivent, mais on arrive à des trucs gros comme des maisons, hein. [...] Et maintenant les filles elles arrivent, elles veulent faire leurs heures, je dis mais bon sang, elles savent bien que bon, elles veulent finir à l’heure… heu, elles veulent pas faire plus de tant de fériés, enfin c’est fort heu. [...] Parce qu’au départ, elles ont pas choisi, elles ont fait une profession heu… pas purement le côté humanitaire hein… Plus pour trouver du travail et puis de se dire après tout bon bah j’y arriverai. C’est pas le tout de faire des actes, de faire heu, le côté technique, mais…non, ça suffit pas, hein, ça suffit pas et puis les patients ils le sentent bien, hein. Ils sentent bien la fille qui va arriver avec son aiguille, clac, clac, clac, mais ça suffit pas hein.
Ces exemples nous semblent assez démonstratifs sur la question, même si nous aurions
pu les multiplier. Certaines parlent ainsi de la différence avec l'exercice du métier par les
hommes. Compte tenu de notre échantillon limité, comme nous l'avons déjà dit, nous n'avons
pas pu cette année interroger des hommes mais il serait également intéressant de pouvoir
compléter notre recherche à ce niveau.
Nous rejoignons sur ce constat des oppositions entre groupes d'infirmières, le texte
d'Anne Véga déjà cité, où elle étudie, dans sa posture d'ethnologue à l'hôpital, les multiples
''commérages'' présents à l'hôpital entre les ''techniciennes'', les ''relationnelles'' et les cadres
''bureaucratiques''. Pour elle, « ces trois figures de la femme soignante sont le terreau de
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stratégies de pouvoir informel dans de nombreuses unités de travail »120. Cela passe ainsi par
la définition de savoirs profanes et sacrés, selon les postures et les conceptions, enjeu
caractéristique de la définition d'une profession121. Anne Véga nous confirme ainsi que « par
le biais de ces trois modèles d'identification, les différentes catégories d'infirmières semblent
se renvoyer, par jeux de miroir, les tensions qui hantent la profession »122.
Il serait intéressant également d'étudier plus en profondeur la question de l'opposition
par rapport aux jeunes infirmières. Ne pouvons-nous ainsi poser l'hypothèse que cette
différence, outre une évolution sociale et une différence générationnelle, soit issue d'un effet
secondaire de la carrière implicationnelle ? Si l'implication, du fait de ce phénomène de
carrière, n'arrive qu'au cours du temps, qu'au fur et à mesure des expériences et de la pratique,
ne peut-on supposer que les jeunes infirmières, perçues comme moins impliquées et plus
utilitaristes, ne deviennent, elles aussi, plus engagées dans leur métier tout au long de leur
carrière ? Nous n'avons pas, ici, eu le temps et les moyens matériels d'explorer cette question,
mais elle reste ouverte dans l'hypothèse de la réalisation d'une thèse sur le même sujet.
Nous venons donc de voir comment l'on pouvait envisager l'implication comme une
carrière, comme un processus issu de la pratique du métier. Cette dimension pragmatique de
l'implication dans le métier devra maintenant être explorée plus en profondeur. La partie
suivante se consacrera ainsi à pénétrer au coeur des phénomènes d'implication.
VI.2/ LE RELATIONNEL AU COEUR DE L'IMPLICATION :
Pour bien comprendre le phénomène d'implication, après avoir vu qu'il se nourrissait
de la pratique, nous allons maintenant tenter de comprendre ce qui génère ce comportement
impliqué. Quel est l'élément le plus souvent revendiqué dans la pratique comme étant le coeur
de l'implication ? Comment est-il envisagé par les infirmières ? Et pourquoi cet élément est-il
si central ?
Nous avons déjà compris, au cour de notre analyse, l'importance de l'espace subjectif
des aptitudes authentiques et comment celui-ci s'enracinait dans des motivations altruistes. Il
nous faut peut être préciser que la plupart des infirmières sont assez lucides lorsqu'elles
120Véga Anne, « les infirmières hospitalières françaises : l'ambiguïté et la prégnance des représentations professionnelles », Op. Cit., p. 109.
121Cf. sur ce point, Hughes Everett C., « Men and their work », 1958, traduit in Chapoulie J.M., le regard sociologique, Paris, EHESS, 1996.
122Véga Anne, Ibid., p. 113.
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parlent de cet altruisme : avoir la volonté d'aider les autres n'est pas simplement une
abnégation de leurs envies et de leur être, il s'agit davantage d'un échange entre personnes,
d'un aller-retour, où elles puisent la reconnaissance qui leur fait souvent défaut. Bien souvent
on entend ainsi la revendication d'une vocation à aider les autres, d'un caractère, d'une envie,
presque viscérale, d'être utile à autrui, qui se complète par l'envie d'être reconnue, de servir à
quelque chose, dans une recherche de prise sur le monde. Dans notre étude théorique, nous
avons vu que, dans la rencontre des trois mondes, cette motivation relevait davantage du
monde subjectif, le monde de la relation de personnes à personnes.
Cette facette relationnelle du métier semble constitutive du coeur de l'implication
pragmatique. Comme nous allons le voir dans les extraits d'entretiens suivants, la principale
motivation à s'impliquer réside dans cette rencontre entre individus autour de la relation de
soin. C'est souvent ce qui les fait tenir dans leur travail, le support qui leur permet de
continuer.
R (extrait du journal de l'enquêteur): « Elle insiste longuement sur la relation au patient comme coeur de tout l'intérêt du métier. C'est pour ça qu'elle a souvent travaillé en maison de retraite où on a plus le temps »X : « D : Et donc qu'est-ce qui vous plaît exactement ? C'est la relation ?X : Bah le contact avec les gens c'est sûr, en premier, bon, les soins heu, aussi, mais comme c'est beaucoup de petites piqûres, petits pansements, hein, on s'offre pas une vie avec ça, mais non, c'est plus la relation avec les patients et, tout le suivi. »F : « Moi, je crois que j'avais un peu besoin de çà, je me réalisais à travers les autres. Grâce aux autres, je me disais... mais j'ai... mon existence à un sens. »Y : « D : Hum, et qu’est-ce qui vous plaisait à chaque fois ?Y : Le relationnel je pense, le contact avec les gens. »M : « Mais, heu, j'ai besoin de ce contact, en fait, de connaître mes patients, j'en ai besoin, et que eux ils me connaissent. Je pense que c'est... c'est dans les deux sens. Et heu, non heu, non, j'ai besoin de ce contact là, de connaissance, de connaissance, reconnaissance, de tout ce qu'on veut mais, j'ai besoin de les connaître, c'est important les chroniques pour moi. C'est dur au début les chroniques. C'est très dur de se faire accepter par les chroniques, c'est ça en fait, je pense. C'est le, c'est tellement dur de se faire accepter par les chroniques qu'une fois qu'on est accepté, on n'a plus envie de les quitter. [...] Et je sais, c'est, ouais, c'est toute une question de relation, c'est du relationnel à cent pour cent, de toute façon c'est un métier qui demande que ça, hein. »
François Dubet insiste aussi sur ce côté relationnel comme coeur de l'implication. Face
au déclin de l'institution et de ses références normatives, le modèle vocationnel très dépendant
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des influences du catholicisme a subi un processus de déclin, amenant parfois un sentiment de
désenchantement. « Mais le désenchantement n'est pas total car ce qui apparaît dès lors
comme le coeur du métier est un accomplissement singulier à travers les relations que l'on
tisse avec les autres et qui mettent en jeu son empathie et son authenticité. »123. Nous pouvons
ainsi supposer que cette importance donnée à la relation est très caractéristique de la
modernité, en ce qu'elle incarne la recherche de l'authenticité, d'un mode d'être authentique.
Nous avons vu que les motivations à l'implication dans le métier infirmier se
cristallisaient autour de la construction d'un espace subjectif des aptitudes authentiques. Or la
relation semble bien incarner l'authenticité même, et devient donc l'emblème de l'expression
des aptitudes authentiques. Dubet nous dit ainsi que la vertu cardinale de la relation « est
d'être authentique »124.
Évidement, compte tenu de notre échantillon, il serait intéressant de poser la question
du genre dans cette genèse de l'implication dans la relation. En effet, Baudelot et Gollac125
montrent que les femmes semblent être plus attirées par des métiers où la sphère relationnelle
est plus présente et plus directement appréhendable. Elles valorisent davantage que les
hommes les valeurs d'écoute et d'échange.
Nous pouvons également remarquer l'importance cruciale de la relation comme l'enjeu
majeur pour les infirmières, de l'articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Les
trajectoires professionnelles, la mobilité entre postes et entre secteurs semblent ainsi
conditionnées par l'histoire familiale pour la plupart d'entre elles. Nous le voyons
particulièrement chez les infirmières travaillant en milieu extra-hospitalier, mais aussi dans le
choix que font certaines de travailler de nuit pour être disponibles la journée afin de disposer
de davantage de temps avec leurs enfants.
M : « Moi ce que j'aime bien dans le travail de nuit, c'est que ça me permet d'être là toutes les après-midi, disponible, parce que bon le matin je dors quand même, et ça me permet, moi j'adore accompagner les gamins de l'école, donc j'accompagne tous les mardi les CE1 en piscine, tous les vendredi les CE1 au sport. [...] C'est sympa, moi j'aime bien, les enfants ils sont ravis, et puis moi ça m'éclate. Ça m'a permis aussi de faire partie de l'association des parents d'élèves, ça me permet de faire plein de choses à côté. On se sent libre la journée, quoi. Et puis on se dit bon, « même si heu, aujourd'hui, si je dors pas beaucoup, c'est pas grave, tant pis heu, je dormirai demain ». Haha »
123Dubet F., Injustiuces, Op. Cit., p. 150.124Ibid., p. 153.125Baudelot C., Gollac M. et al., Travailler pour être heureux, Paris, Fayard, 2003.
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A : « Et comment je m'y retrouve ? Je m'y retrouve qu'en fait bah, comme mon mari est enseignant on est, on est ensemble toutes les vacances scolaires, et comme j'ai un fils heu, voilà, enfin moi c'était pour heu, parce que je pense que le travail on est bien dans son travail que si on est bien à la maison, si on est construit à côté, et heu j'adore ce que je fais tant que ma vie est préservée en fait, et, et, c'est un équilibre, et je vois à l'hôpital, enfin c'est, si vous en avez rencontré, moi je voyais en tant que heu étudiante heu, divorce machin, elles sont jamais à leur maison, enfin un week-end sur deux, mais pour un homme rester tout seul un week-end sur deux avec les enfants tout seul, enfin je veux dire, c'est quoi les vacances, heu, c'est jamais pour avoir les vacances scolaires faut, faut se battre avec ses collègues etc »
Cependant, les infirmières libérales se remarquent par leur position face à cette
question. Ayant des trajectoires familiales souvent marquées par des séparations ou étant
restées dans le célibat, elles semblent moins privilégier le côté familial de leur vie. Certaines
en milieu hospitalier ont également fait le choix de privilégier leur vie professionnelle, parfois
au détriment de leur vie familiale, voire pour fuir une vie privée difficile.
V : « Moi j’ai pas de vie privée, pour commencer, j’ai… c’est ça qui m’, quiii me fait stopper actuellement.D : D’accord. C’est pac’que vous avez pas le temps, ou… ?V : bah on n’a pas le temps. J’ai, c’est-à-dire que vous savez, au bout d’un moment quand les gens vous invitent et p’is vous dites : « bah non j’travaille sur là, bah non y a ça, bah non y a là », bon à force ça fait un peu l’vide. [...] Donc heu… moi il me reste mon fils, le mariage il a belle lurette que… c’est volé heu, à va l’eau, et puis heu… bon, jamais, j’ai plus ou moins refais ma vie, mais heu… pas, pas réellement, quoi.C : « Bah, moi j’ai connu quelqu’un avant mon mari, heu, je pense que si ça n’a pas marché c’est le fait que j’étais infirmière. Parce que bon lui il travaillait des horaires de normalement, des horaires de jour, jamais le week-end, moi je travaillais un week-end sur deux, jeune infirmière, heu, quand il manque quelqu’un bah on demande aux jeunes infirmières d’être un peu plus disponible, bon bah, il a pas supporté, hein. [...] Et puis je crois que ce qui est du mal, les gens quelques fois ils ont du mal à supporter c’est qu’on se porte volontaire ! Je dis pas qu’on est toujours on est content, mais, heu, on nous appelle, il y a un problème, et bin, on y va, c’est normal qu’on y aille. Mais notre entourage heu, bon, il comprend pas toujours heu. »F : « Avant, quand je te dis ''je préférais passer quinze heures au boulot, heu, plutôt que de rentrer chez moi'' c'est que quelque part, t'as pas une qualité de vie extraordinaire. Alors après, c'est une cercle sans fin aussi : plus tu passes du temps au boulot, plus ça se dégrade à l'extérieur, plus tu compenses, toi, parce que tu t'éclates dans ton travail, parce que c'est des choses que tu maîtrises bien.... »
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En outre, au coeur même du travail, l'importance du relationnel s'éclaire au travers de
la notion de médiation. Ainsi, nombreuses sont celles qui définissent leur travail comme un
travail de médiation : médiation entre les patients et les médecins pour les hospitalières et les
libérales, médiation entre les élèves, le personnel éducatif et les parents pour les infirmières
scolaires, et médiation entre les employés, leurs patrons et la loi pour l'infirmière de santé du
travail.
Ce travail de médiation semble ainsi se cristalliser dans une définition du travail
infirmier très proche de la sphère relationnelle. Pour autant, il apparaît également qu'il est
avant tout une affaire de médiation entre les trois mondes définis par Dubet. Pour les
hospitalières, il s'agit ainsi de rendre compatible le monde technique de la médecine et des
médecins avec le monde subjectif de la relation au patient, mais également avec le monde
social de l'organisation hospitalière. Pour les infirmières libérales, la problématique est à peu
près la même à l'exception que le monde technique n'est pas présent, puisque le médecin n'est
pas souvent là en même temps que l'infirmière, et est déjà médiatisé par la prescription et la
compréhension du discours médical souvent incomplète de la part des patients. Le monde
social est de plus incarné par la relation inévitable avec la sécurité sociale. Pour les
infirmières extra-hospitalières, le monde subjectif se distingue des deux cas précédents, étant
donné qu'il représente l'essentiel du travail quand le monde technique se limite à de la
prévention et à du dépistage.
Ainsi la médiation apparaît comme une image emblématique de l'importance du
relationnel dans l'exercice du travail infirmier et forme une particularité permettant aux
infirmières de se distinguer du pur travail médical ou d'organisation.
Y : « D : Donc du coup vous prenez le rôle de médiateur un p’tit peu, vous heu…Y : Voilà, c’est ça, on essaye, la maman était arrivée furieuse parce qu’en plus même si on travaille pas, le seul jour où on pouvait la voir c’était un samedi donc on était venu exprès un samedi matin, et elle nous disait que elle avait pas de temps à perdre, qu’elle avait autre chose à faire, que voilà, et puis un p’tit peu à la fois ça c’est radoucit et puis à la fin heu, bon elle est partie heu beaucoup plus conciliante et apparemment ça avait marché pas mal puisque la fille était revenue. »H : « Je me souviens d'un élève d'ailleurs il a répété presque ce que j'avais dit, il était en fuite, enfin il était parti de chez lui, il vivait chez une, une amie de sa mère heu, [...] et puis il y avait une sorte de rupture avec sa mère heu, alors moi j'ai quand même pour principe de dire « c'est quand même ta mère hein, et heu crois moi que ce qu'elle te, t'as fait, ou bien même si c'est pas bien d'après toi, heu, c'est quand même ta mère, et que elle t'aime, et que, je sais que tu l'aimes aussi etc »,
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« mais de toute façon je pourrai plus jamais lui parler », je dis « attends », heu, je, j'ai eu des mots qui lui ont permis de heu, de revenir en arrière en fait, mais bon il y a, « il faut pas qu'il y ait de rupture, il faut que tu relies un dialogue avec elle et que vous en parliez quoi de toute façon ». donc finalement petit à petit heu, il s'est calmé, hein, il a dit bon c'est pas tout de suite que je pourrai le faire, et il est retourné vers sa mère, et maintenant ça va impeccable quoi. Et finalement ça a même été mieux au lycée après. »V : « D : Ouais, c'est encore une fois en médiation entre le médecin, la médecine et les personnes, l'être qui est là ...V : Voilà, qui est là, qui est passif et qui te dis, comme là entre autre, c'est une madame qui a un petit cancer du sein, qui est peut être pas méchant et on vient seulement de faire la ponction, et déjà hier c'était la veillée funèbre... Pa'ce qu'elle a capté que le mot cancer. Elle a capté rien d'autre. [...] Elle a ses peurs, elle a sa famille qui a ses peurs, et puis tout le monde était là en veillée, moi j'appelle ça veillée funèbre, ils sont tous là aux enfants, attention pas de bruit, gningningnin, et c'est catastrophique ça. [...] Non et p'is ça va, ça se guérit, attendez, on fait des soins, surtout ça c'est pas vraiment dangereux, non ! Elle a capté que le mot cancer, y a que ça, y a que ça qui rentre dans son esprit, on a dit que ça pouvait être un cancer, que ça pouvait ! ça va être plus difficile à gérer l'entourage et le reste que à gérer la maladie par elle même. »
Nous venons donc de voir comment l'implication se cimentait autour des relations
entre personnes dans le cadre de l'exercice du métier infirmier. Après les motivations
premières et la carrière implicationnelle se nourrissant de la pratique au travers de la relation à
autrui, il nous faut maintenant envisager la possibilité d'une fin à cette carrière, d'un déclin de
l'engagement.
VI.3/ LA CARRIÈRE IMPLICATIONNELLE ET SES LIMITES :
Concevoir l'implication comme carrière, implique de la considérer comme un
processus, de la situer dans le temps et l'histoire de la personne, sa biographie. En envisageant
la naissance puis la croissance de ce phénomène d'implication, nous avons suggéré, en creux,
l'existence d'une fin, d'une décroissance de l'implication. Ainsi, existe-t-il des limites à
l'engagement individuel au travail ? A quels moments et comment celles-ci s'expriment-elles ?
Enfin, comment l'individu réagit-il à cette diminution de son implication ?
Bien que cette étude ne se soit pas centrée sur l'étude de l'épuisement professionnelle
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en milieu de travail infirmier, nous pouvons légitimement supposer que cette notion répond à
ce questionnement. Fatigue au travail, épuisement et Burn Out seront ainsi envisagés comme
l'expression de ce déclin de l'implication, comme les symptômes d'un ralentissement du
processus impliquant. En effet, Noëlle Girault-Lidvan126, traductrice du test MBI en France,
nous explique que le Burn Out « constitue un processus particulier de distanciation par
rapport au travail et aux personnes impliquées dans la relation professionnelle, en réaction à la
charge émotionnelle, à la responsabilité perçue et à l'incertitude de résultats caractéristiques
de certains contextes. »127. Le test MBI, ''Maslach Burn Out Inventory'', est ainsi le plus connu
et le plus utilisé des test de mesure de l'épuisement professionnel. Trois grandes dimensions le
structurent : « l'épuisement ou l'assèchement professionnel (la personne n'a plus ''l'énergie''
pour faire son travail) ; la dépersonnalisation de la relation (le professionnel ne se sent plus
concerné par sa mission et ses patients) et un sentiment de non accomplissement (impression
que le travail n'est pas efficace) »128.
N'ayant pas pu, pour ce travail de mémoire, approfondir les recherches sur cette
dimension de la carrière implicationnelle, nous poserons donc comme hypothèse, qui sera à
confirmer pendant le travail de thèse, que ces questions d'épuisement professionnel, de Burn
out, rejoignent bien ce déclin de l'implication susmentionné. Nous voyons en effet dans la
deuxième dimension de la mesure du Burn Out, la dépersonnalisation de la relation, une
marque de l'épuisement de l'implication du fait de l'importance du relationnel dans la
croissance et le maintien de l'implication au travail. L'épuisement viendrait ainsi d'une
lassitude à l'égard de la relation entre personnes, comme s'il existait un plafond, au-delà
duquel la relation ne serait plus moteur de l'implication, mais bien un frein à l'implication.
Face à cette hypothèse, nous pouvons cependant amener quelques réponses quant à
l'existence de stratégies d'évitement de ce déclin, de cet épuisement professionnel. La mobilité
nous semble ainsi le vecteur le plus important du renouvellement de l'implication au travail,
générateur de la ''bouffée d'oxygène'' permettant de construire sa pratique sur une implication
parfois mise en danger si la personne était restée au même poste ou dans le même secteur de
travail.
Plusieurs éléments apparaissent ainsi comme vecteurs de cette mobilité nécessaire à la
survie de l'implication au travail et, par conséquent, au travail lui-même. Pour ne pas perdre
126Cité in Loriol M., « La construction sociale de la fatigue au travail : l'exemple du Burn Out des infirmières », in Travail et emploi, N°94, Avril 2003, pp. 65-73.
127Ibid., p. 68.128Ibid., p. 67-68.
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ce support, les infirmières peuvent changer de poste, de secteur ou de rythme. Dans tous les
cas, il s'agit pour elles, de réussir à redonner un souffle à leur carrière, de changer d'horizon,
de retrouver leur implication dans la nouveauté. Sous-jacent, c'est la recherche de l'équilibre
qui est en jeux. Équilibre personnel, équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, qui est
à ce moment-là considérée comme un support à la vie professionnelle. En effet, si les
infirmières recherchent cet équilibre familial, c'est aussi pour pouvoir continuer à exercer leur
métier convenablement. Comme nous l'avons vu dans le témoignage de Y., équilibrer les deux
permet d'avoir un appui pour supporter les aléas du travail et ainsi pouvoir être disponible aux
patients, et ne pas leur faire sentir les problèmes personnels.
M : « Je crois pas que ce soit possible dans la mesure où on a choisi ça, mais, mais, non, le.. je pense qu'on essaie de trouver un équilibre, justement en changeant de service, c'est pour ça qu'il y a certaines personnes qui changent énormément de service. »C : « Bah c’est pour ça que je suis à 80 pour cent. Je suis à 80 pour cent parce que je me dit heu, heu, cent pour cent heu, c’est trop pesant, bon surtout que je travaille la nuit quoi, mais… je me dis avec mon âge et ce qu’on nous demande de plus en plus, pour dire qu’on n’en pas heu, parce que quand on est fatigué, on en a marre. Donc si on veut pas arriver à son travail, c’est un peu dommage d’aimer son travail et de dire j’en ai marre, et si on regarde pourquoi on en a marre c’est parce qu’on a trop de travail. Donc je me dis, la seule truc c’est de se dire « je vais travailler moins » quoi. »P : « Bah moi je trouve hein, quand on rentre chez soi on est un peu heu, on se dit qu’on a de la chance, qu’on est bien, parce qu’on a tellement vu de choses que je pense que ça… mais faut être équilibré hein. A un moment donné ma collègue a été dépressive parce que bin, elle s’est retrouvée toute seule dans sa vie, et elle se rendait compte que son métier elle arrivait plus à l’assumer. Elle avait plus le moral, elle pleurait tout le temps et heu, à domicile de toute façon elle supportait plus rien. Donc c’est là où elle me dit faut un sacré équilibre, là, elle a retrouvé l’équilibre, elle dit parce que quand on n’est pas bien dans sa peau, elle dit on fait pas bien. »A : « Mais je, je crois qu'il faut vraiment pour réussir, pour être bien dans son métier, bon c'est ça, surtout infirmière on donne beaucoup, beaucoup, faut que sa vie à soi ce soit, que ce soit équilibré aussi hein, je pense que si ça va pas à la maison on le reproduit forcément sur heu, sur le quotidien on va être moins à l'écoute, être moins agréable, moins, je veux dire faut venir avec le sourire au travail, faut être content de voir l'enfant arriver heu d'être content de le voir, pas dire « encore un con, qui va me prendre la tête, j'en n'ai rien à faire, c'est quoi ce con de prof qui l'a laissé sortir » haha. »
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Nous voyons donc que l'important pour les infirmières interviewées est de trouver un
équilibre, une sérénité dans leur vie afin de pouvoir s'investir dans la pratique de leur métier.
La mobilité semble ainsi être une des voies pour y arriver et méritera d'être étudiée dans notre
recherche de thèse.
Nous nous sommes limités ici à présenter quelques ouvertures pour la thèse compte
tenu des spécificités de notre étude et de la réalisation de ce mémoire de Master 2 recherche.
Pour finir, nous allons maintenant tenter de lier la notion d'hyper-implication, que nous avons
étudié dans la partie théorique, à ce que nous avons pu observer sur le terrain.
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CHAPITRE VII :
IMPLICATION ET RECHERCHE D'AUTHENTICITÉ :
Cette dernière partie sera dédiée à l'analyse de l'implication sous l'angle des débats
cités plus haut et notamment au travers des questions d'hyper-implication et de modernité.
Avant de commencer, il nous faut cependant préciser que cette partie se contentera bien
souvent d'ouvrir des pistes d'exploration de la question de l'implication au travail. Bien
évidement, comme nous l'avons dit plus haut, ce mémoire étant conçu comme une préparation
au travail de thèse, c'est au travers de ces hypothèses que se construira notre recherche future.
Nous avons vu, en accord avec la recherche de François Dubet sur le déclin de
l'institution, que le travail sur autrui, et pour ce qui nous intéresse ici, le travail infirmier,
nécessitait une forte implication de la part des individus. Si la personne ne s'implique pas dans
son travail, la réalisation de celui-ci semble impossible. Dubet nous dit, en parlant de son
échantillon, que « tous pensent que l'on travaille avec ce que l'on est et que l'authenticité et
l'engagement subjectif sont essentiels à l'accomplissement de leur activité »129.
Notre propre recherche nous montre ainsi que cet engagement nécessaire dépasse
souvent les demandes de l'organisation. L'individu semble ainsi s'impliquer davantage que
nécessaire à la bonne réalisation de son travail. Les infirmières interrogées semblent très
disponibles pour faire un geste en plus pour la satisfaction de leurs patients par exemple.
Évidement, il nous faut prendre en compte que cela vient peut-être de notre échantillon,
relativement limité et exclusivement féminin. Souvent, la description de leur propre
implication passe par la description de collègues moins impliqués, souvent les plus jeunes ou
les hommes. Nous pouvons nous demander si les hommes sont réellement si distanciés que
cette description le dit, ou si il n'existerait pas une autre forme d'implication, se basant sur
d'autres vecteurs d'expressions.
Toujours est-il que les discours de notre échantillon semblent assez unanimes quant à
leur implication, quelque soit le secteur d'emploi. Si certaines réduisent aujourd'hui leur
activité, il s'agit, comme nous l'avons dit, de réussir à préserver, justement, leur implication
afin de continuer à faire du ''bon boulot'' vis-à-vis de leurs patients.
129Dubet François, Injustices,Op. Cit., p. 312.
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B : « Nous de notre côté c'est vrai que quand on peut faire un p'tit plaisir heu, soit poster une lettre heu, pff, enfin moi je dis ça parce que ça me vient, hein heu, mais ou aller chercher un pain quand c'est une personne âgée qui est isolée, et qui n'a pas de moyen donc de locomotion, « ah bah si vous voulez, si vous avez personne », ou c'est au moment des vacances, ils peuvent heu, la boulangerie d'à côté est fermée, « ah bah si vous voulez je peux vous prendre un pain pendant que je prends le mien », bon heu, on essaie de, de faire plaisir. »C : « Moi et M. souvent on arrive un peu plus tôt, pour dire de commencer heu… pas stressées parce que bon, si on commence à l’heure fixe, bon on va mettre en route les machines, on voit que la machine elle va pas, il faut changer de machine, les patients ils vont être stressés, [...] donc ça met une certaine tension, donc on s’arrange pour que les gens ils arrivent, qu’ils arrangent leur petit truc et puis qu’on les branche dans le calme, tranquillement. Et ça on le prend sur notre temps personnel.D : Ouais, c’est une forme d’implication supplémentaire.C : Ouais, ouais, on est obligé hein. On peut pas dire, bon heu, on commence à telle heure et on arrive pile à l’heure… On peut hein, mais alors après heu…D : Ouais ça complique les choses….C : C’est… on le fait aussi pour les gens, on comprend les gens ils travaillent le lendemain matin, heu, la machine elle arrive, pof, elle se met en alarme, faut changer la machine, ils reperdent vingt minutes heu… C’est… et puis après il y a rien qui va. Donc si on veux pas après que ça fasse boule de neige, faut essayer que ça soit zen. Donc on prend sur son temps personnel, quoi. »Y : « Oui, moi je pense que oui, bon c'est peut-être parce que je le suis [engagée fortement], mais, on nous demande de faire des choses, et on nous donne pas toujours les moyens de les faire, donc si on n'est pas investi on fera que le minimum. Alors on nous demande par exemple de faire trois nuits par semaine quand il y a un internat, mais on ne nomme personne pour faire la quatrième. [...] Donc si on m'appelle la quatrième nuit, c'est vrai que officiellement je ne travaille pas la nuit du mercredi au jeudi, mais si on m'appelle cette nuit là forcément je viendrai, ou alors je change de métier. Ça c'est, moi je pense qu'il faut heu, bon quand on m'appelle sur mon temps de repos, je viens, et puis, moi je pense qu'il faut vraiment avoir envie de le faire ce métier là »
Comme nous l'avons vu, les infirmières de notre échantillon revendiquent plusieurs
raisons pour cet investissement allant du respect de la personne et de la relation, à la nécessité
de le faire pour que ''ça tourne''. Cependant, nous allons voir d'autres raisons plus profondes
telles que le besoin de reconnaissance, l'honnêteté et la réappropriation subjective des fruits de
son travail.
Pour les infirmières, il existe ainsi d'autres raisons à leur forte implication au travail.
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Nous allons voir ici que s'impliquer, c'est chercher à être reconnue et à être considérée mais
aussi à être en accord avec soi-même, à être authentique.
Nous avons vu qu'une des motivations premières était l'envie d'être utile aux autres. Or
cette motivation ne s'explique pas seulement par une envie altruiste mais s'épanouit
principalement dans l'échange, dans la reconnaissance dont les patients feront preuve en
retour. Dubet nous parle ainsi de la reconnaissance impossible du fait de manque de visibilité
de l'engagement des travailleurs sur autrui, tandis que « cet engagement est à la fois le ''coeur''
de l'expérience et ce qui est le moins reconnu, le moins transmissible »130.
M : « Et, et donc, en fait, même si on a vécu ça en étant heu, en étant arrivée dans un service, de se faire rejetée et tout, quand il y en a une nouvelle qui arrive et que ils disent « non, non, moi je préfère elle », et bin, malgré tout on se dit chouette. HahahaD : Une petite fierté.M : Voilà, on se dit : « ouais c'est moi qu'il préfère » C'est débile, mais c'est comme ça on se dit heu... [...] Voilà, c'est ça la reconnaissance. Il préfère moi parce qu'il me connaît mieux, mais, mais, il faut le temps qu'il s'habitue aux autres, mais on se dit « quand même ».V : « C'est, c'est très... C'est des choses comme ça on se dit bah tient on compte pour quelqu'un, ça... On n'est pas qu'un numéro ou que l'infirmière du coin qui passe que de temps en temps. [...] Un peu de reconnaissance et d'utilité. »Y : « Voilà, tout à fait, ils me mettent complètement à part, ils viennent me dire des choses qu’ils n’iront pas dire à leur prof ou à leur CPE, quoi c’est, et dans le petit questionnaire de départ, je leur pose des questions du genre heu, est-ce que tu as déjà fumé du cannabis, et ils me répondent il y en a plein qui me disent oui, et, parce qu’ils savent que j’irai pas le répéter. »
Axel Honneth nous explique dans son ouvrage sur la lutte pour la reconnaissance131,
que la notion de reconnaissance apparaît dans la lutte que l'on peut comprendre comme un
processus de formation d'un rapport pratique de soi à soi mais nécessitant sa validation par un
autrui approbateur. C'est à travers la perception d'autrui sur nous-même que nous validons
notre propre image de nous-même.
Une autre dimension de cette recherche de reconnaissance est la réponse faite aux
critiques, qui, cette fois, se trouve sectorisée. Chaque secteur d'emploi infirmier se doit en
effet de faire face à un ensemble de critiques de la part des autres secteurs et des patients.
Nous voyons ainsi émerger différentes formes d'attentes vis-à-vis de la reconnaissance,
130Dubet François, Le déclin de l'institution, Op. Cit., p.330.131Honneth Axel, La lutte pour la reconnaissance, Paris, éd. Du Cerf, 2000.
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comme si l'implication avait des buts différents. Ces nuances sectorielles n'enlèvent rien au
principe de la recherche de reconnaissance mais viennent compléter notre analyse, notre
schéma en l'affinant et en le contextualisant.
Ainsi, les infirmières hospitalières semblent davantage s'impliquer pour la
reconnaissance du groupe de travail, de leur service, au travers des notions de technicité, de
professionnalité. Elles font en effet face aux critiques vives existant entre les différents
services de l'hôpital. Ivan Sainsaulieu132 nous montre ainsi l'existence d'appartenances
collectives très fortes au sein de l'hôpital, dépassant souvent les sentiments d'appartenance
plus globaux tels que l'appartenance ethnique, de genre, de classe ou encore l'attachement au
service publique. Ces appartenances collectives sont souvent observées sur des collectifs très
réduits, assimilables davantage au « groupe productif de base » qu'au service en tant que tel.
« L'identification s'effectue dans l'interaction intersubjective dite ''à échelle humaine'',
autrement dit avec les gens que l'on peut voir tous les jours, variant du groupe productif aux
divers cercles des proches collaborateurs, le plus souvent donc, en-deçà du service et au-delà
de la répartition des tâches »133.
Pour les infirmières libérales, la critique principale est leur intéressement financier à
leur activité. Ainsi, C. nous dit qu'elle n'aurait jamais voulu être infirmière libérale :
C : « Et après heu, pour infirmière libérale c’est … moi j’aurais l’impression d’être un tiroir caisse, quoi. C’est… pi, piqûre, que l’acte, côté relationnel, quand on regarde bien les gens, les personnes libérales qui veulent faire du chiffre, bon elles rentrent, bonjour, au revoir, pas deux trois paroles, heu… si on veut établir des liens, bah elles gagnent pas beaucoup à la fin du mois. Donc heu moi je non je dis pas. »
Face à cette critique, les infirmières libérales, comme nous l'avons déjà vu au travers
des extraits déjà évoqués, s'impliquent afin d'être reconnues comme des personnes se donnant
à autrui. Même si elles reconnaissent mieux gagner leur vie que des infirmières hospitalières
ou extra-hospitalières, elles n'hésitent pas non plus à fortement insister sur les désagréments
de ce métier, sur les horaires ''à rallonge'', sur les charges trop élevées, et, pour finir, sur le fait
qu'il faille vraiment aimer ce métier pour le pratiquer, qu'il faille aimer profondément les
gens.
P : « Il y a très peu de clients, les piqûres ça fait mal, tout le monde fait mal en faisant une piqûre, qu’est-ce qui change ? C’est le, le contact, le, on a quand même
132Sainsaulieu Ivan, « les appartenances collectives à l'hôpital », in Sociologie du travail, vol. 48, n°1, Janvier/Mars 2006, pp. 72-87.
133Ibid., p. 75.
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un métier de contact hein, on n’attend pas d’une piqûre heu que ça fasse du bien. Moi il y en a une elle pique pouf, bonjour, en revoir, elle parle pas hop elle s’en va, bah elle court après le client. Pourquoi ? parce que les gens disent heu « bah elle est fière, elle est pressée, elle court de, de, de la porte de la maison à la voiture pour aller plus vite, être plus vite rentrée chez elle ». [...] Quand même. Maintenant heu mes collègues, heu… je sais qu’elles se mettent en grève pour la valorisation, qu’on n’est pas bien vu que, pff, c’est vrai que vis-à-vis de la population en général, oui, on n’est p’tre pas très bien vu, mais quand on rentre chez les patients heu, c’est là où on prend la valeur, quoi, bien-sûr on peut dire on n’est pas très valorisé, c’est sûr que les infirmières, mais pff, nous on est, on est satisfait par le travail, et puis bin, les gens nous rendent bien heu… »
La principale critique pour les infirmières extra-hospitalières est celle de la ''planque''.
L'image générale reste encore l'infirmière qui tricote toute la journée, en faisant des horaires
de bureaux, aspect du travail souvent mal accepté par les autres secteurs d'emploi. Pour les
autres, elles sont souvent peu investies, peu disponibles voire incompétentes.
Face à cette critique, les infirmières extra-hospitalières ont tendances à s'impliquer
dans le but de revaloriser l'image de leur métier. Ayant bien souvent choisi ce secteur afin
d'accorder leur vie professionnelle et leur vie familiale, elles disent que le travail hospitalier
leur manque mais que ça ne les empêche pas de s'investir et de donner d'elles-même dans leur
travail. Il faut aussi tenir compte du fait que leur charge de travail semble avoir profondément
évoluée ces dernières années : leur rôle préventif paraît s'être renforcé et la prise en charge
psychologique des élèves, par exemple, semble beaucoup plus à l'ordre du jour.
H : « Au départ j'avais une image négative de l'infirmière éducation nationale, parce que on a beaucoup évolué depuis, ça fait quand même 23 ans que j'ai passé le concours et, il y a 23 ans c'était l'infirmière heu qui soignait les bobos, mais qui pouvait pas faire d'écoute, c'était heu, beaucoup de passage, mais pas beaucoup de travail d'écoute heu, c'était pas reconnu ça en fait, c'était la bobologie heu, et puis c'est tout hein. »Y : « Je pense que c'est le métier où on peut ne rien faire, hein, moi quand je dis que je suis infirmière scolaire les gens me disent « ah bah tu as de la chance, c'est la planque heu » enfin voilà, c'est, mais les gens à l'extérieur ne se rendent pas compte de tout le travail qu'on peut faire, et qu'on, moi je pense que si on veut travailler beaucoup il y a tout le temps de quoi faire, il y a toujours quelque chose à faire. »
Enfin, nous poserons l'hypothèse d'un troisième type de raisons à l'implication au
travail rejoignant la remarque de Honneth précédemment citée. Il s'agit d'essayer de faire
correspondre ses actes à l'image que l'on a de soi. En d'autres termes et sous un autre point de
vue, il s'agit de montrer à autrui, et de solliciter la validation de son rapport à soi. Cet aspect
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relève donc d'une honnêteté vis-à-vis de soi-même, mais aussi d'une volonté de se différencier
de l'organisation, de se réapproprier les fruits de son travail. Il s'agit ainsi de réussir à se sentir
maître de son travail, à ne pas laisser à quelqu'un d'autre le bénéfice d'un travail bien fait, que
l'on sache que si le soin fût bon et agréable, c'était grâce à la personne qui l'a fait, non à la
formation qu'elle a suivi. Cette hypothèse de réappropriation subjective des résultats de
l'activité de travail par l'implication nous paraît cruciale aujourd'hui sur la scène des relations
professionnelles.
Au travers de notre raisonnement, nous avons essayé de progresser autour de l'idée que
l'individu conçoit son implication comme une manière de s'accorder à lui-même, de chercher
''l'harmonie'' entre l'image qu'il a de lui-même et l'image que les autres lui renvoient de lui-
même. Nous avons ainsi relaté quelques théories parlant de l'enrôlement des subjectivités ou
encore de servitude volontaire. Celles-ci cherchaient à nous montrer que les mécanismes
d'organisation du travail glissaient dans le sens d'une captation des actes de l'individu. Rien de
nouveau à tout cela depuis Marx, excepté l'évolution d'une volonté de contrôler le geste et le
travail ouvrier à l'apparition récente d'une recherche d'implication contrainte du travailleur
venant s'ajouter à la première.
Or les résultats de notre étude de terrain tendent à nous montrer, et c'est ce que nous
chercheront à approfondir pendant le travail de thèse, que l'individu cherche inexorablement à
résister à ce détournement de sa participation subjective à l'acte de travail. Par cette tentative,
l'individu se constitue en tant que sujet car, comme le dit Touraine, le sujet « pousse l'individu
ou le groupe à la recherche de leur liberté à travers des luttes sans fin contre l'ordre établi et
les déterminismes sociaux. Car l'individu n'est Sujet que par la maîtrise de ses oeuvres, qui lui
résistent. »134. C'est par une tentative de réappropriation subjective des résultats de son activité
de travail notamment, que l'individu peut devenir sujet. C'est l'essence même de la
subjectivation.
Or, nous voyons que l'implication au travail est une forme de recherche d'authenticité
dans l'acte de travail. Travailler, c'est produire, mais s'impliquer dans son travail, c'est
produire aussi pour soi. Pour les infirmières que nous avons rencontrées, l'implication dans
cette forme de travail sur autrui correspond ainsi à une forme de recherche d'épanouissement
personnel, de réalisation, presque une quête d'un soi authentique. Souvenons-nous en effet des
paroles de F. emblématiques de notre propos :
134Touraine Alain, Critique de la modernité, Fayard, coll. Le livre de poche, 1992, p.270.
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F : « Moi, je crois que j'avais un peu besoin de ça, je me réalisais à travers les autres. Grâce aux autres, je me disais... mais j'ai... mon existence à un sens. »
Malgré la vision anthropologique d'Alexandra Bidet qui considère le travail comme
une forme de prise sur l'existence, les phénomènes d'implication nous semblent profondément
modernes dans cette quête d'authenticité. Malheureusement, nous n'avons pas eu le temps ici
d'approfondir suffisamment notre connaissance des débats sociologiques sur la modernité
mais nous souhaitions tout de même faire part de ce lien que nous nous proposons d'étudier en
thèse : l'implication nous apparaît ainsi comme une question cruciale dans notre expérience de
la modernité comme une forme d'expression du sujet et de ses actions.
Effectivement, compte tenu de la théorie de la subjectivation de Touraine et de notre
hypothèse de la place particulière de l'implication dans la modernité, nous nous devrons
également de questionner les formes d'actions issues de l'implication. Rappelons-nous Dubet
lorsqu'il dit que « l'individu est conçu comme un sujet capable de produire du sens, de
construire son monde dans une distance et une tension continues avec la société »135. C'est
dans cette optique qu'il introduisait la notion de micro-mouvement social. L'individu résiste
ainsi aux divers contrôles et représentations de lui-même par sa posture, sa personnalité, bref,
tout son être inséré dans le social. « Dans cette perspective, l'individu est à la fois un acteur
social et un enjeu puisqu'il n'apparaît comme un sujet que dans la volonté ou le désir de se
construire comme un sujet. »136. En ce sens, le positionnement de l'acteur, et pour ce qui nous
concerne, le comportement impliqué de celui-ci, semble conditionner profondément son
action. Peut-on ainsi dire que l'individu, en s'impliquant, et par conséquent en reprenant
possession de son action, conditionne celle-ci ? Et par là, il ne manque qu'un pas pour dire
que le positionnement impliqué d'un individu conditionne son action et fait donc évoluer
l'organisation.
135Dubet François, Injustices, Op. Cit., p. 466.136Ibid., p. 466.
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CONCLUSION :
Au cour de ce mémoire, nous avons essayé d'approcher le coeur des enjeux des
questions autour de la notion d'implication. En commençant par expliquer pourquoi
l'organisation aujourd'hui cherchait à initier l'implication de ses employés, nous avons cherché
à montrer que celle-ci concourait à l'élaboration d'un système de domination en organisation
et à une forme de dépossession du travail pour le salarié. Face à ce constat, nous avons voulu
orienter notre travail de mémoire sur l'étude de la réception de ces technologies de
l'implication par l'acteur au travail.
En effet, nous avons essayé de voir ce qui se jouait pour l'individu lorsqu'il
s'impliquait dans son travail, et si cela correspondait aux attentes de l'organisation. Or dans le
contexte de la modernité, l'implication nous a paru beaucoup plus ambivalente qu'à première
vue. Ainsi, si l'organisation demande d'investir la subjectivité de l'acteur au travail, elle se
cantonne bien souvent à exiger l'engagement d'une subjectivité jugée positive. Or, lorsque
l'individu s'investit, il met en jeu toute sa subjectivité, même celle non désirée, telle que sa
recherche fondamentale de liberté par exemple. Nous avons ainsi posé l'hypothèse de
l'émergence d'une forme de résistance au travail liée aux caractéristiques de l'implication
subjective faisant de l'acteur une incarnation d'une sorte de ''micro-mouvement social''.
L'étude de Dubet sur le travail sur autrui, dans le déclin de l'institution, nous a ainsi
désigné les caractéristiques du métier infirmier, en faisant ainsi un terrain d'étude approprié à
notre problématique. En effet, le travail infirmier se trouve à la rencontre de trois logiques, de
trois mondes bien distincts : le monde technique, le monde social et le monde subjectif. En
outre, tout travail sur autrui se caractérise par une implication obligatoire afin de pouvoir
garantir la réalisation du travail. Au croisement de ces trois logiques, les infirmières se
doivent par conséquent de trouver l'équilibre au travers de leur implication et de leur
positionnement professionnel.
Les résultats de l'étude de terrain nous ont ainsi amenés à conceptualiser trois séries de
constats. Dans un premier temps, nous avons essayé de comprendre ce qui motivait les
infirmières de notre échantillon à s'impliquer dans leur travail. Nous avons ainsi pu dégager
l'existence d'un noyau dur de la motivation, que nous avons appelé l'espace subjectif des
aptitudes authentiques pour qu'il puisse regroupé les notions de vocation et de caractère, cette
dernière nous paraissant plus moderne dans le discours des entretenues. Autour de ce pivot
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motivationnel, semblent graviter trois motivations connexes qui, en fonction de l'arbitrage des
infirmières, conditionnent principalement le choix du secteur d'emploi.
Nous avons ensuite complété ce schéma des origines de l'implication en
conceptualisant celle-ci comme une carrière, c'est-à-dire un processus évoluant au cour de la
vie de l'individu, en se nourrissant de la pratique du métier. Cette carrière implicationnelle
semble ainsi croître sur le terreau des relations, dans l'importance donnée à ce face à face
inter-subjectif existant entre le praticien et son patient, mais aussi avec ses collègues et les
familles des patients. Concevoir l'implication comme une carrière, nous a enfin poussé à poser
l'hypothèse d'une fin, d'un déclin de celle-ci, que nous nous sommes proposés d'approfondir
durant le travail de thèse en réétudiant notamment les notions de Burn Out et d'épuisement
professionnel. Cependant, la mobilité professionnelle nous a déjà semblé être l'une des
réponse principale à l'évitement de ce déclin implicationnel.
Enfin, le denier temps de ce mémoire fût consacré à la structuration des hypothèses du
travail de thèse autour des questions de réappropriation subjective de l'activité de travail et de
résistances par un comportement impliqué. Pour résumer, nous avons posé l'hypothèse que
l'importance donnée aujourd'hui aux débats sur l'implication au travail révèle le caractère
intrinsèquement moderne de cette notion et que celle-ci peut nous amener à comprendre sous
un autre angle les profondes mutations sociales contemporaines.
Comme nous l'avons annoncé au début de ce mémoire, celui-ci est conçu comme un
travail préparatoire au travail de thèse dans le but avoué d'aboutir à une problématique
travaillée et à quelques hypothèses de travail solides. Ainsi nous pourrions formaliser notre
problématique comme suit : que veut dire, aujourd'hui, s'impliquer dans l'organisation ? En
effet, aujourd'hui, l'implication se retrouve au coeur de nombreux enjeux pour l'entreprise :
production, participation des employés, gestion de la main d'oeuvre, délégation du contrôle.
Par conséquent, émergent de nouvelles façons de faire appel à cette implication, puis de la
contrôler, notamment par le jeu des contraintes dans l'entreprise. Face à ce fait social,
l'individu se doit de se positionner, n'étant jamais totalement ni soumis ni contraint. Comment
reçoit-il ainsi cette implication contrainte ? Quels en sont les enjeux et comment peut-il
concevoir son espace de liberté lorsque cette liberté est au coeur même des mécanismes de
contraintes en entreprise ?
Afin de guider notre travail et notre réflexion, nous pouvons déjà bâtir quelques
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hypothèses de travail :
✗ L'implication se crée en lien avec la recherche d'authenticité et est une forme
de prise sur l'existence,
✗ L'implication est une carrière, un processus évoluant tout au long de la vie
professionnelle, mais également en lien avec la vie personnelle,
✗ L'importance de la question de l'implication est accentuée par la modernité,
✗ La construction subjective de l'implication permet une attitude ambivalente
face à l'organisation : face aux contraintes, l'implication peut être vecteur de liberté par
la voie d'une réappropriation subjective de son engagement.
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GLOSSAIRE :
Étant donné la multiplication et la grande diversité des significations des termes en
usage, nous avons choisi, ici, de commencer par définir les termes que nous utiliserons tout
au long de ce mémoire. Comme nous le verrons, il ne s'agit nullement d'adhérer à une
définition liée à une théorie ou à une autre, tant les limites semblent parfois floues, mais bien
plus ici d'essayer d'éclaircir l'usage que l'on en fera, au risque de mélanger plusieurs apports
théoriques différents.
Ces définitions nous semblent ainsi centrales dans la définition de notre
problématique, au point que ces termes en deviennent des mots clefs nécessaires à la bonne
compréhension de celle-ci.
Acteur / Individu : Ces deux termes sont associés ici par l'utilisation que l'on en fera
au cours de ce mémoire. Ainsi, nous utiliserons parfois l'un, parfois l'autre, dans un sens que
nous pourrions résumer « d'individu-acteur ». Compte tenu de la spécificité de notre regard
(comme nous l'explorerons dans les parties suivantes), il nous paraît en effet avantageux de
coupler ces deux termes afin de bien exprimer notre propos.
Il s'agit ainsi de considérer l'individu au centre de son espace social, à travers sa
position d'acteur. En d'autres termes, nous ne souhaitons pas nous inscrire dans une
sociologie de l'individu, tout en questionnant l'espace d'action et d'existence de celui-ci. Nous
souhaitons par conséquent continuer à utiliser ces termes indifféremment, en se posant ainsi
en porte-à-faux du débat, important aujourd'hui137, sur la place de l'individu en sociologie.
Consistances : En parlant de consistances, nous nous joignons à Danilo Martuccelli
et à sa définition des consistances du social. Pour lui, en effet, le social est dotée de
malléabilités différentes en fonction des textures et des coercitions, permettant ou
ralentissant ainsi l'action de l'acteur. Les textures sont ainsi l'accumulation de toutes les
significations entourant une action, tandis que les coercitions sont les résistances faites aux
actions de l'individu, variables selon les consistances du social.
137Voir par exemple le dossier sur l'individu dans les sciences sociales sur le site espacestemps.net: Tricoire Emmanuelle, Hamidi Camille, Ripert Blandine et Tank Sébastien, "L’individu comme ressort théorique dans les sciences sociales : Partager l’individu.", EspacesTemps.net, 10.02.2006, http://espacestemps.net/document1515.html
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Infirmier(ère)s : De même, nous nous devons de préciser ici que nous avons choisi
de parler de tous les infirmiers et infirmières, en général, en utilisant l'expression
infirmier(ère)s afin d'éviter le débat sur la faible représentation masculine de la profession.
Organisation / Institution : De même, nous couplerons ici les termes organisation et
institution pour désigner les groupes d'acteurs organisés, institués (au sens de groupes régis
par des règles implicites et/ou explicites communes à tous) avec lequel « l'individu-acteur »
interagira. Nous rejoignons ainsi Weber sur son idée d'institution comme un « groupement
comportant des règlements établis rationnellement »138. Bien évidemment, l'étude de ces
notions mériterait de plus amples développements, mais, n'étant pas le coeur de notre propos,
nous nous contenterons pour cette année de cette approche très succincte.
Programme institutionnel : Le programme institutionnel, tel que définit par Dubet,
« désigne un type particulier de socialisation, une forme spécifique de travail sur autrui »139.
L'action institutionnelle se reflète ainsi dans l'individu par l'intériorisation du social dont il
est le sujet. « le programme institutionnel peut être défini comme le processus social qui
transforme des valeurs et des principes en action et en subjectivité par le biais d'un travail
professionnel spécifique et organisé »140.
Sujet : Cette notion sera entendue au sens de Touraine qui définit le Sujet comme
« le contrôle exercé sur le vécu pour qu'il ait un sens personnel, pour que l'individu se
transforme en acteur qui s'insère dans des relations sociales en les transformant, mais sans
jamais s'identifier complètement à aucun groupe, à aucune collectivité »141.
138Weber M. Economie et société, Paris, Plon, 1971, p. 55, cité in Dubet F., Le déclin de l'institution, Op. Cit., p. 23.
139Dubet F., Ibid., p. 24.140Ibid., p.24.141Touraine Alain, Critique de la modernité, Op. Cit., p.268.
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ANNEXES :
=> ANNEXE 1 : GUIDE D'ENTRETIEN : 90
=> ANNEXE 2 : TABLEAU SIGNALÉTIQUE DES ENTRETIENS RÉALISÉS : 92
=> ANNEXE 3 : DESCRIPTION SYNTHÉTIQUE DES INFIRMIÈRES ENTRETENUES : 93
=> ANNEXE 4 : EXEMPLE DE DISCUSSIONS SUR LES FORUMS INFIRMIERS : 99
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ANNEXE 1 :
GUIDE D'ENTRETIEN :
Entrée: je cherche à comprendre la trajectoire de vie (surtout professionnelle) en me concentrant sur les motivations et les relations aux groupes et institutions rencontrés.
1. Profil de l'interviewé:
✗ Origines sociales (profession des parents, origine géographique, mobilité,...)✗ cadre de vie actuel (lieu, emploi, situation maritales, activités extra-professionnelles,...)
✗ Parcours d'études:– Choix de ces études,– Conditions d'études
✗ motivations et choix de cet emploi✗ projet professionnel (à l'époque)? Y avait il un choix de vie derrière ce choix de métier?
2. Trajectoire professionnelle:
a/✗ Parcours professionnel (différents postes occupés, période d'arrêt de travail,... et surtout
raisons et motivations de ces différentes réorientations.)
✗ Premier poste: conditions de recrutements et confrontation à la réalité du travail?
✗ Vie professionnelle quotidienne:– rapport au travail (journée type, organisation du travail, pauses et
transmissions)– rapport à l'emploi (statut, rémunérations, reconnaissance, heures
supplémentaires, complémentaires et type de contrat)– rapport aux collègues et à la hiérarchie (surveillance, contrôles, cadences,...)
✗ Y a t-il des travaux en commun? Si oui, pourquoi et comment s'organisent-ils? Est ce bénéfique? Facile? Si non, pourquoi?
✗ Existe des tâches imposées? Des tâches interdites? Y a t-il la place pour l'initiative personnelle (marge d'autonomie)?
✗ Comment se passe généralement la relation au patient?✗ Y a t-il eu une évolution des demandes faites aux infirmières? De leur travaux? De la
pression,...?
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b/✗ Y a t-il des différences entre les discours des collègues, de la hiérarchie et du public sur cet
emploi? Comment le ressentez vous?✗ Quelles sont les critiques faites aux infirmières et comment y réagissent elles en général?✗ Perception des responsabilités? Discours de la hiérarchie autour de celles ci? Des patients?
Des collègues?✗ Se sent-on utile dans ce métier? Si oui, en quoi et pourquoi? Est ce une vocation?✗ S'y sent-on valorisé?✗ Est ce un métier procurant beaucoup d'émotions?✗ Pouvez vous donner une évaluation de cet emploi?
c/✗ Pour vous, un(e) infirmier(e) doit-il s'engager dans la pratique de son métier? Comment et
pourquoi?✗ Vous demande-t-on un engagement professionnel fort? De la part de qui?✗ Pour vous, existe t-il des possibilités de se désengager? En d'autres termes, peut-on faire
ce métier sans se sentir engager?✗ Existe t-il des formes de « sanctions » pour les personnes paraissant démotivées, en
retrait? Comment et par qui? Quelles sont les réactions des collègues face à ces sanctions si elles existent?
3. Perspectives:
✗ Perspectives professionnelles?✗ Engagement syndical? Autres formes d'engagement?
✗ Que pensez vous des autres secteurs d'emplois (libéral, associatif)? Pourquoi ne pas le faire?
✗ Avez vous envie de changer d'emploi ou de rythme de travail? Pourquoi? (et si déjà fait quelles étaient les motivations à ces changements? Dans quel sens ont ils été faits? Dans quelles perspectives?)
✗ Cet emploi pose-t-il problème dans votre vie quotidienne? Votre vie privée? Avec des activités extra-professionnelles? Les relations à autrui?
✗ Y pensez-vous en dehors du temps de travail?
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ANNEXE 2 :
TABLEAU SIGNALÉTIQUE DES ENTRETIENS RÉALISÉS :
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ANNEXE 3 :
DESCRIPTION SYNTHÉTIQUE DES INFIRMIÈRES ENTRETENUES :
Personne entretenue Description synthétique:
Infirmières en secteur hospitalier
F.
Ayant commencé comme secrétaire médicale après de courtes études, F. rencontre un chef de service qui la motive à rentrer dans la fonction publique. Intéressée de connaître les patients « autrement que sur le papier », elle fait ses études d'infirmières pour ensuite travailler huit ans dans un service de médecine. Après avoir fait le point sur son parcours professionnel, elle décide de devenir cadre de santé puis directrice de soins après s'être spécialisée dans la qualité des soins.
Elle porte une forte importance au fait d'être impliquée, à la « vocation » infirmière, sans laquelle son travail serait impossible. Il lui a en effet fallu trouver la juste limite entre vie privée et vie professionnelle pour que l'un ne puisse contaminer l'autre et vice-versa.
R.
Fille d'infirmière, R. commence ses études d'infirmières après une année en faculté de médecine échouée. Puis, elle travaille pendant sept ans, principalement en maison de retraite, mais uniquement sur des petits contrats pour « rester libre ». Depuis deux ans, elle a repris ses études, en changeant radicalement de secteur (hors de la santé), afin de trouver un emploi où elle pourra plus se réaliser dans sa recherche de relations avec les gens. Elle semble également avoir arrêté à cause de sa réticence face à la hiérarchie qu'elle trouve souvent incompétente, et non parce que son métier ne lui plaisait pas. Il apparaît ainsi dans son discours qu'elle s'est réorientée pour ne pas perdre foi en elle et en son métier. C'est par conscience professionnelle qu'elle s'est retirée.
Elle note l'importance d'une distanciation par rapport à la vocation, mais met davantage en avant un naturel relationnel motivant. Chez elle aussi revient souvent le discours sur la disponibilité importante, ne pas compter, mais dans une relation d'échange, de prise en charge de A à Z de la personne, dans le respect, le traitement de la souffrance prioritairement. Souvent remerciée personnellement par ses patients, elle trouve une reconnaissance dans cet échange, dans cet impression de servir à quelque chose.
Sa liberté semble en outre une valeur cruciale dans son rapport au travail, mais qui se contrebalance par une très forte « conscience professionnelle ».
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Personne entretenue Description synthétique:
M.
Ayant tout de suite enchaîné ses études d'infirmières après son bac, M. a d'abord travaillé en hémodialyse puis en néphrologie. Depuis les quelques mois précédant l'entretien, elle a participé à l'ouverture et à la mise en place d'un service d'auto-dialyse de nuit. Suivant ainsi un groupe de « chroniques » trois nuits par semaine pour leur permettre de conserver une vie professionnelle malgré leurs problèmes rénaux, elle connaît très bien ses patients ainsi que son service.
Mère de trois enfants, elle a volontairement choisi un temps partiel à 80 % de nuit pour pouvoir s'en occuper et avoir davantage de temps à leur consacrer.
Pour elle, on ne peut être une bonne infirmière sans avoir la « foi » en ce que l'on fait, sans s'y intéresser, s'y impliquer. Cela se voit ainsi clairement dans la relation aux patients, qu'elle connaît très bien, dans la reconnaissance dont ils lui font preuve.
C.
C. a quasiment toujours été infirmière hospitalière, à l'exception de deux ans passés en entreprise au début de sa carrière, en attendant d'obtenir un poste dans l'hôpital de sa commune. Après avoir travaillé en médecine puis en réanimation, elle travaille en hémodialyse, puis en auto-dialyse de nuit, depuis seize ans au moment de l'entretien. Elle a longtemps choisi le travail de nuit afin de concilier famille et travail. Bien que se trouvant régulièrement considérée comme « la cinquième roue du carrosse », elle trouve son compte dans le travail de nuit grâce à la plus grande liberté d'organisation des tâches, la qualité des relations avec les patients (qui sont de plus des chroniques, donc bien connus), en plus des avantages pour s'occuper de ses enfants.
Pour elle, une bonne infirmière doit être investie dans son travail, qu'elle doit avoir « dans les tripes ». Elle déplore ainsi les évolutions de l'hôpital et du métier, et l'arrivée des nouvelles infirmières plus motivées par le statut d'emploi que par le côté « humanitaire » et humain de la profession.
Elle aime toujours son métier mais semble fatiguée par l'augmentation du rythme et la dégradation des conditions de travail. Elle a ainsi fortement conscience de l'usure professionnelle qui guette les infirmières, mais qu'elle pense éviter en conservant l'implication dans son métier, en l'ayant dans les tripes.
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Personne entretenue Description synthétique:
Infirmières en secteur libéral
V.
Après un an et demi d'études d'infirmières, V. commence par travailler en clinique puis en entreprise afin de concilier plus facilement sa vie familiale et sa vie professionnelle. Après son divorce et la fermeture de l'entreprise où elle travaillait, elle rachète une clientèle et se lance dans le libéral.
Très investie dans son travail, elle reconnaît elle-même avoir peu de temps à consacrer à sa vie privée et a donc décidé, au moment de l'entretien, de « lever le pied » et de ralentir son activité en s'associant. Cependant, elle remarque une forte évolution dans l'état d'esprit des jeunes infirmières : « un malade est un malade » alors que, pour elle, un malade est avant tout un être humain.
Elle a beaucoup de reconnaissance dans son travail, et se considère parfois comme un véritable membre de la famille de ses patients. Elle se sent très fortement utile, et c'est sûrement ça qui lui permet de continuer sa fonction.
P.
P. commence ses études par un BTS manipulateur radio puis enchaîne de suite sur les études d'infirmières afin d'avoir davantage de contacts avec les patients. En parallèle, elle travaille pendant cinq ans en tant qu'aide-soignante dans un hôpital qui l'embauche dans un « pool volant infirmier », sur des remplacements. L'instabilité des contrats de durée très courte l'incite à changer de voie et elle rachète une clientèle dans un cabinet infirmier trois mois après sa sortie de l'école. Depuis dix huit ans, elle travaille seul, avec quelques remplacements, mais s'est mise en association depuis janvier afin de ralentir un peu le rythme et pouvoir s'occuper de ses enfants.
Elle nous dit qu'elle pratique son métier par vocation et qu'elle s'investit énormément auprès de ses patients. Elle nous explique particulièrement longuement la difficulté à marquer les limites avec ceux-ci. Elle est contente d'avoir pu trouver une associée ayant la même optique de travail.
X.
X. fait ses études d'infirmières dans l'idée d'aller faire de l'humanitaire en Afrique. Puis, n'ayant jamais réellement pris le temps de monter ce projet, elle travaille 27 ans dans un hôpital de campagne (pendant onze ans en tant qu'infirmière puis elle est nommée surveillante par ancienneté). Lassée de son travail de cadre, qu'elle trouve trop lié au contrôle et à l'autorité hiérarchique, et trop éloigné des soins, elle décide de s'installer en libérale en tant que collaboratrice (c'est-à-dire à faire des remplacements auprès d'autres infirmières libérales).
Elle se plaît bien dans son travail car elle arrive à se dégager pas mal de temps de vacances et de repos, du fait de son statut de collaboratrice, et est beaucoup plus libre qu'à l'hôpital où elle a notamment dû supporter le « joug » d'une médecin chef de service très « lunatique ». Elle aime beaucoup la relation aux personnes et se retrouve mieux dans les soins que dans les fonctions d'encadrement qu'elle exerçait auparavant.
Son travail n'empiète pas trop sur sa vie privée étant donné qu'elle s'est trouvée en accord avec son ami travaillant à la SNCF avec des horaires compatibles. Pour elle, de toute façon, « tout est une question d'organisation ».
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Personne entretenue Description synthétique:
B.
B. a toujours été attirée par le médical mais a opté sur les études d'infirmières après avoir fait une année de pharmacie. Après avoir travaillé un peu en hôpital, elle a ouvert son cabinet et y travaille depuis plus de 20 ans. Après le départ en retraite de sa remplaçante, elle a passé un an et demi seule, sans vacances, pour ensuite trouver X. pour la remplacer plus régulièrement.
Deux points ressortent particulièrement de cet entretien : tout d'abord, B. nous dit qu'il faut aimer ce métier pour le faire étant donné son caractère très prenant et parfois déprimant, notamment face à la mort et aux relations parfois difficiles avec certaines personnes. Elle trouve cependant la principale raison d'aimer ce métier dans la relation avec les gens et dans l'impression de « voyage » créée par le fait de rencontrer énormément de gens différents. Le deuxième point est l'importance qu'elle donne à l'équilibre personnel pour pratiquer ce type de métiers relationnels. Elle se réserve ainsi chaque jour une heure à une heure trente pour des activités personnelles diverses comme la pratique d'un sport par exemple. Ensuite il faut également être soutenu par sa famille, et être bien organisé pour pouvoir concilier vie professionnelle et vie privée.
Infirmières en secteur extra-hospitalier
Y.
Après avoir commencé ses études d'infirmières, Y. les interrompt à cause d'un déménagement pour raisons familiales et pour la naissance de ses enfants. Pendant dix ans elle travaille sur divers travaux de secrétariat, caisse,... pour postuler à l'hôpital en tant qu'aide-soignante et finalement reprendre ses études d'infirmières en promotion professionnelle. Elle travaille pendant plus de dix ans en soins intensifs en cardiologie puis, suite à la naissance de jumeaux, postule à l'éducation nationale afin de pouvoir concilier vie professionnelle et vie familiale. Elle travaille tout d'abord quelques années dans un établissement spécialisé puis demande sa mutation au lycée technique où nous l'avons rencontrée.
Tout au long de sa carrière ses choix ont été guidés par l'importance de sa vie familiale. Elle est tout de même très investie dans son travail et n'hésite pas à être disponible même en dehors de ses heures de travail. Elle participe de plus, à titre personnel et sans obligation, à la plupart des instances de l'établissement et à la coordination du bassin, instance où les infirmières scolaires peuvent se rencontrer et discuter de leurs problèmes.
Pour elle, être impliquée dans son travail est important mais reste le résultat d'un choix personnel.
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Personne entretenue Description synthétique:
A.
Après des études de biologie qu'elle avait fait pour passer le concours de sage-femme, A. passe le concours infirmier dans le but de s'ouvrir davantage de débouchés et afin, également, d'apprendre à gérer, à fixer les limites de sa façon d'aider les gens. En effet, ce côté est très important pour elle, mais elle avait besoin d'en établir les frontières, ce qu'elle a trouvé en en faisant sa profession. Après ses études elle travaille quelques temps dans un foyer pour adolescents difficiles puis dans un foyer pour handicapés. Enfin, recrutée par l'éducation nationale, elle travaille dans un lycée technique, puis, depuis cinq ans, dans une école spécialisée pour les déficients visuels.
Elle a fait le choix de travailler en milieu scolaire afin de garantir un certain équilibre dans sa vie familiale grâce à une disponibilité accrue notamment. Cet équilibre est également indispensable dans la conception qu'elle a de son métier: pour bien travailler, il lui faut être bien dans sa vie privée.
Elle conçoit son emploi d'infirmière scolaire comme étant principalement un travail relationnel d'éducation, de prévention, d'écoute et de médiation. Elle souhaite ainsi être une personne de confiance pour les enfants afin de leur garantir un maximum de bien-être. Le travail de médiation est ainsi central dans la prise en charge de l'enfant et dans ses relations au grand nombre d'adultes l'encadrant.
H.
Après avoir travaillé deux ans en hôpital, H. arrête de travailler pour élever ses deux enfants. Sept mois plus tard, une connaissance lui propose d'être auxiliaire enseignante dans un BEP sanitaire, travail qu'elle effectue pendant trois ans. Puis, son poste n'étant pas reconduit, elle postule en tant qu'auxiliaire infirmière dans un établissement puis passe le concours d'infirmière scolaire. C'est donc du fait de son histoire familiale qu'elle est devenue infirmière en milieu scolaire.
Même si elle regrette un peu de ne plus avoir à faire de soins, elle est quand même contente car elle apprécie particulièrement la prise en charge psychologique des élèves. Elle se place ainsi facilement en médiatrice entre les élèves et les professeurs, entre les élèves et leurs parents,...
Elle est investie dans son travail qu'elle considère comme une vocation vu qu'elle aime son métier et prend donc à coeur d'accompagner au mieux l'adolescent dans la constitution de son bien-être en lui faisant profiter de ses connaissances professionnelles et de ses expériences personnelles en tant qu'ex-adolescente et mère.
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Personne entretenue Description synthétique:
L.
Issue d'une famille nombreuse, L. n'a pas pu entreprendre ses études de médecine comme elle le désirait. Elle fait donc ses études d'infirmières puis travaille pendant huit ans à l'hôpital, en neurochirurgie puis en cardiologie. Elle aime beaucoup cette expérience mais passe le concours de l'éducation nationale afin de rendre plus compatible sa vie professionnelle et sa vie familiale. Reçue major au concours, elle choisi l'établissement spécialisé pour déficients visuels où elle travaille toujours depuis 28 ans.
Bien qu'étant surtout intéressée par le côté soins de la profession, elle est restée du fait de la relation avec le centre de soins interne à l'établissement. Elle paraît ainsi être une des spécialiste infirmière régionale de ce type de déficience et participe ainsi à de nombreuses formations.
L'accompagnement des personnes est la valeur centrale qu'elle donne à son travail et qu'elle revendique comme étant innée chez elle, vu qu'elle est toujours disponible pour un ami, un parent, ou une personne ayant besoin d'aide. Cependant, peu intéressée par le côté prévention, elle dit qu'elle serait partie s'il n'y avait pas eu le centre de soins et attend la retraite car elle ne se sent plus toujours en accord avec les jeunes générations d'élèves mais aussi d'éducateurs, d'enseignants,...
Z.
Ayant toujours voulu être infirmière, Z. commence par travailler 12 ans en hôpital pour ensuite postuler « par hasard » à un poste d'infirmière en santé du travail qu'elle occupe depuis treize ans. Elle conçoit son travail comme un accompagnement des salariés et des entreprises dans le respect de la santé. Elle met ainsi en place des campagnes de prévention et de détection des problèmes de santé des salariés. Ce travail s'effectue en complémentarité forte avec les médecins du travail.
Pour elle aussi, être infirmière nécessite de vraiment aimer ce métier, dans le but de bien accueillir les gens. Du fait de la réputation des infirmières de santé du travail (« tricoteuses ») et du caractère obligatoire de ces visites pour les employés, elle insiste sur le côté éducatif, explicatif de son métier. Le secret professionnel et le respect du code déontologique ont ainsi une place prépondérante dans son discours.
Elle est également coordinatrice du service infirmier, c'est-à-dire qu'elle s'occupe des plannings et de l'organisation générale du service. Elle fait ça en plus de son poste et des charges normales d'infirmières de santé du travail mais ne se trouve pas surchargée ni ne regrette ses choix de postes et d'accepter ces responsabilités.
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ANNEXE 4 :
EXEMPLE DE DISCUSSIONS SUR LES FORUMS INFIRMIERS :
Pour une étude de sociologie. 142
Auteur Message
denscoed
Inscrit le: 01 Fév 2006Messages: 9Localisation: lille
Posté le: Mercredi 1 Fév 2006 15:57 Sujet du message: Pour une étude de sociologie.
Bonjour, je suis actuellement étudiant en sociologie et je réalise une recherche sur le métier d'infirmier et ses spécificités. Je m'interresse notamment à votre façon de vous "investir", de vous engager dans votre travail... J'aurais certainement quelques questions à poser sur ce forum, mais je tenais à me présenter d'abord. Je cherche également des infirmiers (travaillant en hôpital, en libéral ou autre) à interviewer dans la région Lilloise, pour un entretien d'une heure environ (pas compliqué rassurez vous!). Ca me permettrait de mieux comprendre votre métier et vos pratiques. Vous pouvez m'envoyer un message si vous le désirez et je vous recontacterais. Merci et n'hésitez pas à faire des remarques ou des suggestions... Denis
denscoed
Inscrit le: 01 Fév 2006Messages: 9Localisation: lille
Posté le: Vendredi 3 Fév 2006 11:44 Sujet du message:
bonjour, Pour commencer, pourriez-vous répondre rapidement à une question assez large: Que représente pour vous le fait d'être infirmier(e) aujourd'hui? merci d'avance pour vos réponses. denis
142Ce sujet fut ouvert par mes soins sur un forum de discussion spécialisé pour les infirmiers. La présentation n'est pas fidèle ici à celle que l'on peut trouver sur les sites pour des raisons de compatibilité informatique. De même, j'ai essayé de conserver les icônes d'émotions ( les smiley ou, en français, émoticones, frimousse ou encore binette au Québec)pour garder le « ton » du texte. Ceux-ci n'apparaissent pas directement mais sont dans un encadré avec le nom associé.
ISAS 99
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
Myrrha
Inscrit le: 13 Aoû 2005Messages: 12Localisation: Rhône Alpes
Posté le: Vendredi 3 Fév 2006 18:52 Sujet du message:
Vaste question.. ce que représente mon métier Tout dépend du contexte dans lequel on se place.. Je suis infirmière en cancérologie (de la première hospitalisation à la dernière) J'aime ce que je faits probablement parceque j'apporte quelque chose à mes patients à un moment où ils en ont besoin. Sentiment d'utilité... Richesse dans la relation humaine.. Ce sont probablement mes seules motivations pour aller au boulot chaque nuit (je suis une fixe de nuit!) En ce qui concerne mon ivestissement personnel il est essentiellement centré sur le patient, mais aussi sur la bonne marche du service et son amélioration éventuelle (gestion des stocks, participation à la comition qualité pour l'accréditation de mon établissement..) Maintennant mon métier m'apporte un lots de contraintes que je n'ai plus envie d'accepter et qui elles me motivent à aller explorer d'autres horizons professionnels... En gros j'adore ce que je faits mais ça me bouffe un peu la vie! Dommage je ne suis pas sur Lille il eut été interressant de participer à ton projet..
mimilAccro
Inscrit le: 24 Jan 2005Messages: 1676Localisation: probably from space
Posté le: Samedi 4 Fév 2006 16:57 Sujet du message:
denscoed a écrit:
Que représente pour vous le fait d'être infirmier(e) aujourd'hui? Question très vaste effectivement... pas facile d'y répondre ! Etre infirmière pour moi, cela représente beaucoup d'investissement personnel justement. Cela représente de devoir prendre beaucoup sur soi face à une personne en souffrance. C'est à dire, réagir en professionnel, par exemple, ne pas pleurer ou perdre ses moyens face à une personne qui a mal ou face à une personne desespérée qui vous racconte tout ses maleurs. En exercant cette profession, on est un peu obligé de mettre de côté sa propre vie (oublier ses problèmes pour ne pas que ça se répercute sur les patients), mais aussi de mettre de côté ses idées reçues pour pouvoir soigner tout le monde de la même façon. Je ne dis pas qu'on y arrive tout le temps ! J'ai souvent ressenti durant mes études l'idée qu'il fallait rentrer dans un moule. Je pense que c'est pareil pour la plupart des métiers finalement. On demande à un infirmier de réagir en infirmier, c'est à dire tout ce que je viens de dire avant : rester maitre de soi face aux situation de stress, ne pas juger l'autre... et si possible être doux, agréable et drôle... Il y a p'têtre des similitudes avec la religion là dedans quand on y pense : aime ton prochain et tout le tralala Malheureusement, je ne suis pas non plus sur Lille, ça m'aurait bien intéressé de pouvoir réaliser un entretien avec vous. Bon courage ! ps : juste pour savoir, vous en êtes où dans vos études ? ( licence ?maitrise ?...) merci !_________________"Le plus beau sentiment du monde, c’est le sens du mystère. Celui qui n’a jamais connu cette émotion, ses yeux sont fermés" [Albert Einstein]
ISAS 100
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
denscoed
Inscrit le: 01 Fév 2006Messages: 9Localisation: lille
Posté le: Samedi 4 Fév 2006 22:26 Sujet du message:
bonjour tout d'abord merci pour vos réponses... et moi aussi, je suis bien désolé de ne pouvoir venir vous faire des entretiens... merci quand même! Pour vous répondre, je suis actuellement en M2 recherche (l'ancien DEA) et je compte surement continuer sur une thèse l'an prochain (enfin, j'espère car c'est un peu le parcours du combattant )
Je trouve très intéressant tout ce que vous avez dit et cela illustre bien les premieres réponses que j'ai déjà obtenues de la part de quelques uns de vos collègues. Vous mettez souvent en avant la relation au patient (et lui être utile), mais aussi d'autres idées qui m'intéressent: la relation au service et à son organisation, parfois la technique, ... et cette réflexion de mimil sur la religion! Du coup, je ne peux m'empêcher de poser une question qui a surement souvent du être posée: est ce une vocation? un sacerdoce? N'hésitez pas à continuer à m'expliquer ce que tout cela représente pour vous car je tiens vraiment dans cette recherche à ne pas être trop "universitaire" et théorique... j'aimerais bien vous comprendre pour ne pas livrer une image complètement fausse de votre métier. merci encore Denis
mimilAccro
Inscrit le: 24 Jan 2005Messages: 1676Localisation: probably from space
Posté le: Dimanche 5 Fév 2006 12:41 Sujet du message:
Oui enfin, quand je parlais de la religion, sache que je suis des plus athée ! Pour ce qui est de la vocation, personnellement, il ne s'agit pas de ça pour moi, tout au moins un concourt de circonstance... un hasard ? Je ne sais pas. J'étais bonne en biologie, je me suis retrouvée en sms, de là, t'as trois choix : faire secretaire médicale, faire assistante sociale, faire infirmière. J'ai tenté les concours d'infirmiere et voilà comment on se retrouve dans cette branche ! Pas de vocation pour moi, et puis en général, ce terme est un peu dépassé dans l'esprit des nouveaux ide. Je me souviens lors d'une manif d'un slogan qui m'a marqué : "ni bonnes, ni nonnes, ni connes". Ca veut bien dire ce que ça veut dire ! J'espère que d'autres personnes répondront à ton message... ça demande un petit effort alors ça
en décourage certains je crois _________________"Le plus beau sentiment du monde, c’est le sens du mystère. Celui qui n’a jamais connu cette émotion, ses yeux sont fermés" [Albert Einstein]
ISAS 101
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
denscoed
Inscrit le: 01 Fév 2006Messages: 9Localisation: lille
Posté le: Lundi 6 Fév 2006 14:51 Sujet du message:
Bonjour, C'est vrai que ce terme de vocation semble un peu éculé, mais il me semble quand même intéressant car il paraît être remplacé au fur et à mesure de la professionnalisation de votre métier ( au sens de se reconnaissance en tant que profession à part entière et non comme "aide médecin"). Du coup, pour vous doit on parler aujourd'hui d'une "conscience professionnelle" particulière à l'infirmière? Un don de soi ( comme dans certains formes d'actions humanitaires)? Une vision plus utilitariste (du type: "je travaille pour manger")? Je lance ça un peu en vrac, mais j'aimerais tellement comprendre que je ne sais par où commencer... En tout cas merci de prendre un peu de temps pour répondre ( je sais que ce n'est pas forcément facile de répondre, mais pensez que vous faites un heureux et que vous me rendez un sacré service! lol) denis PS: j'essaierais de vous communiquer les résultats de mes recherches si ça vous intéresse...
Myrrha
Inscrit le: 13 Aoû 2005Messages: 12Localisation: Rhône Alpes
Posté le: Lundi 6 Fév 2006 16:14 Sujet du message:
Hello! Peut etre que pour avoir une "discussion" plus personnelle et répondre à des questions plus ciblées il pourrait etre plus pratique de communiquer par mail.. myrrhabelle@[...].com Je suis à ta disposition! Bonne journée
denscoed
Inscrit le: 01 Fév 2006Messages: 9Localisation: lille
Posté le: Mardi 7 Fév 2006 11:48 Sujet du message:
Merci myrrha pour ta disponibilité et ta proposition que j'honorerais surement bientot... Cependant, je souhaiterais continuer également à discuter sur ce forum pour peut être avoir l'avis d'autres personnes et avoir des réactions diverses... Je pense en effet que ça peut enrichir la discussion! a bientôt denis
zaza de nuit
Inscrit le: 04 Fév 2006Messages: 27
Posté le: Mardi 7 Fév 2006 11:57 Sujet du message:
j'habite près de lille , si ça t'intéresse envoie moi un mp
ISAS 102
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
Dop@mineModérateur
Inscrit le: 08 Juin 2004Messages: 3168Localisation: Strasbourg
Posté le: Mardi 7 Fév 2006 14:31 Sujet du message:
Citation:Que représente pour vous le fait d'être infirmier(e) aujourd'hui?
C'est un métier qui nécessite un certain investissement pour être réalisé correctement. C'est surtout un métier qui a besoin de compétences plus que de dévouement. L'image de la bonne samaritaine est à mettre au placard. Dans l'esprit du public, il y a certainement un grand décallage entre l'image du métier et sa réalité. Il s'agit aujourd'hui de professionnels de santé qui endossent des responsabilités à la hauteur de leur formation.
Citation:Du coup, pour vous doit on parler aujourd'hui d'une "conscience professionnelle" particulière à l'infirmière?
Chaque métier possède sa propre "conscience". La spécificité du métier d'IDE, c'est que la "matière première", c'est de l'humain. Une fuite sur une chasse d'eau ou une conduite ce n'est en général pas dramatique. Les erreurs dans le domaine infirmier peuvent avoir des conséquences dramatiques.
Citation:Un don de soi ( comme dans certains formes d'actions humanitaires)?
En ce qui me concerne, ce n'est absolument pas le cas. Le terme d'investissement serait probablement plus adapté. Mais dans ce cas, il faut une dynamique d'équipe et une ambiance de travail propice. Ce qui n'est pas si facile que cela à trouver aujourd'hui.
Citation:Une vision plus utilitariste (du type: "je travaille pour manger")?
On rencontre des gens qui font ce métier par vocation alimentaire. Ils sont peu nombreux, rarement heureux et généralement assez peu agréables à cotoyer. Je trouve que c'est un boulot à responsabilités comme il y en a d'autres, mais je ne vis pas pour. Je suis content de rentrer chez moi, de profiter de ma famille et de couper avec tout ça. Si je fais des heures sup c'est uniquement contraint et forcé. Personne ne va vous dire merci, surtout pas les premiers concernés.
denscoed
Inscrit le: 01 Fév 2006Messages: 9Localisation: lille
Posté le: Mercredi 8 Fév 2006 14:08 Sujet du message:
bonjour Citation:En ce qui me concerne, ce n'est absolument pas le cas. Le terme d'investissement serait probablement plus adapté. Mais dans ce cas, il faut une dynamique d'équipe et une ambiance de travail propice. Ce qui n'est pas si facile que cela à trouver aujourd'hui.
Je me permets une question pour me permettre de mieux comprendre: qu'appellez vous une ambiance de travail propice à s'investir? En quoi votre relation au groupe de travail vous pousse t-il à vous engager davantage? Et qu'en est il de la hiérarchie? merci
ISAS 103
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
Dop@mineModérateur
Inscrit le: 08 Juin 2004Messages: 3168Localisation: Strasbourg
Posté le: Mercredi 8 Fév 2006 15:41 Sujet du message:
Citation:e me permets une question pour me permettre de mieux comprendre: qu'appellez vous une ambiance de travail propice à s'investir?
Une équipe prêt à mettre de côté des rivalités faciles à développer (médecins/IDE/IADEs/IBODEs/Aides soignantes....)et des cadres qui offrent une certaine reconnaissance aux gens qui s'investissent. Par exemple ne pas venir mégoter sur le fait que l'élaboration d'un protocole par une équipe infirmière doit faire partie du temps de travail et non d'un investissement sur le temps personnel. Laisser à ceux qui dévleloppent les outils de travail la possibilité d'accéder à d'autres formations. Avoir un respect des documents développés par l'un ou l'autre groupe de travail. Pour vous donner un contre exemple, j'ai passé un temps non négligeable a réunir un ensemble de textes sur les risques, les procédures et les traitements NRBC. Nous étions trois avec pour mission de développer un plan d'organisation en cas de contamination chimique et d'afflux massif de victimes sur le service des urgences. Six mois après, un classeur de 500 pages à la poubelle. Des transformations de service sans aucune prise en compte de flexibilité (circuits de patients contaminés, non contaminés, urgences externes à l'événement). Pire, lorsqu'on refuse un remplacement en dernière minute, on se fait étiqueter comme peu coopérant et sans investissement dans la vie du service. Faudra peut être voir à arrêter de nous prendre pour des c... .
Citation:En quoi votre relation au groupe de travail vous pousse t-il à vous engager davantage? Et qu'en est il de la hiérarchie?
Rares sont les cadres qui ont encore un pied dans le côté actif des soins. Ces derniers ont la pression pour gérer l'énorme côté administratif de la gestion d'un service. Il faut que ça tourne et à n'importe quel prix. Sans compter que la pression médicale y est parfois pour beaucoup. Si le chef de service décide de fermer pendant les vacances, tout le monde en profite. S'il décide de rester ouvert et de pallier les carences de ceux qui ferment tant pis. Le cadre infirmier n'a pas grand chose à dire. Ce qui me pousse à m'engager d'avantage c'est quand on fait ce qu'on dit et qu'on dit ce que l'on fait. Pour prendre un exemple classique : Un patient arrive et correspond à un protocole de prise en charge de la douleur préétabli. L'IDE débute la gestion de la douleur en injectant le médicament et en respectant le protocole écrit. Si l'interne passe derrière et prescrit un traitement totalement différent suivi du PH qui va encore rechanger les paramètres on a l'impression de bosser pour rien. Du coup, ce qui a été définit de façon consensuelle peut être jeté à la poubelle. En voyant cela, je ne suis pas très motivé pour continuer à travailler à l'élaboration de protocoles. Encore moins lorsque le cadre ne pipe pas un mot alors qu'hors réunion on promet de mettre les choses au clair. Si quelqu'un s'amuse à ruer dans les brancards : "arrêtez je jouer au petit médecin, si vous voulez tout changer, vous n'aviez qu'à faire médecine..."
ISAS 104
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
denscoed
Inscrit le: 01 Fév 2006Messages: 9Localisation: lille
Posté le: Mercredi 8 Fév 2006 17:56 Sujet du message:
heu... n'étant pas dans le secteur médical (ni paramédical), j'ai du mal à comprendre les sigles et abréviations. Pourriez vous me les expliquer: je crois qu'IADE veut dire infirmière anésthésiste, IBODE de bloc opératoire, mais quant à NRBC??? et PH, est ce bien praticien hospitalier? et qui cela concerne t-il exactement? Et voici mes traditionnelles petites réactions et questions:
Citation:Par exemple ne pas venir mégoter sur le fait que l'élaboration d'un protocole par une équipe infirmière doit faire partie du temps de travail et non d'un investissement sur le temps personnel.
Vous demande t'on souvent de prendre sur votre temps personnel pour votre travail? dans quels cas le plus souvent?
Citation:Pire, lorsqu'on refuse un remplacement en dernière minute, on se fait étiqueter comme peu coopérant et sans investissement dans la vie du service. Faudra peut être voir à arrêter de nous prendre pour des c... .
Vous reproche t-on souvent un manque d'investissement pour un désaccord avec les demandes hiérarchiques? ou plus largement, avez vous la possibilité de faire entendre votre voix "plus haut"?
Citation:"arrêtez je jouer au petit médecin, si vous voulez tout changer, vous n'aviez qu'à faire médecine..."
Effectivement, c'est le genre de réflexion un peu hallucinantes . Comme quoi, on a vraiment l'impression que la reconnaissance du métier d'infirmier comme profession à part entière est loin d'être acquise... Si il faut être médecin pour pouvoir dire quelque chose, ça risque d'avancer très lentement!! lol merci Denis
ISAS 105
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
Dop@mineModérateur
Inscrit le: 08 Juin 2004Messages: 3168Localisation: Strasbourg
Posté le: Mercredi 8 Fév 2006 18:14 Sujet du message:
Citation:heu... n'étant pas dans le secteur médical (ni paramédical), j'ai du mal à comprendre les sigles et abréviations. Pourriez vous me les expliquer: je crois qu'IADE veut dire infirmière anésthésiste, IBODE de bloc opératoire, mais quant à NRBC??? et PH, est ce bien praticien hospitalier? et qui cela concerne t-il exactement?
Pardon, je vais essayer d'être plus clair. IBODE c'est Infirmier de Bloc Opératoire Diplômé d'Etat IADE, vous avez trouvé NRBC Nucléaire Radiologique Bactériologique Chimique
Citation:Vous demande t'on souvent de prendre sur votre temps personnel pour votre travail? dans quels cas le plus souvent?
Par exemple dans le cas que je vous ai cité, il m'était impossible d'accéder aux documents pour commencer à discuter autour du projet d'organisation NRBC. Il a fallu pour cela réaliser des recherches sur internet. Accès internet = médecin ou cadre. Donc, j'ai fait ça chez moi pour pouvoir discuter ensuite au boulot. Les discussions étaient informelles la plupart du temps pendant les nuits. Si nous voulions du temps pour nous réunir dans une salle, c'était possible, mais ce n'était pas compté comme temps de travail effectif...
Citation:Vous reproche t-on souvent un manque d'investissement pour un désaccord avec les demandes hiérarchiques? ou plus largement, avez vous la possibilité de faire entendre votre voix "plus haut"?
Cela m'est arrivé une fois. Le plus haut a très politiquement joué la chose. Il m'a répondu qu'il faisait confiance au cadre direct. Lequel bien entendu ne pouvait rien faire sans le feu vert d'en haut... Mais je ne pense pas que ce soit le fait d'un désaccord hiérarchique. C'est simplement le fait d'un système.
Citation:Comme quoi, on a vraiment l'impression que la reconnaissance du métier d'infirmier comme profession à part entière est loin d'être acquise... Si il faut être médecin pour pouvoir dire quelque chose, ça risque d'avancer très lentement!! lol
C'est exactement ce que j'essayais de faire passer sur les précédents posts. Bien entendu tous les médecins ne sont pas comme ça, mais le système des mandarins a tout de même la peau dure. Il est parfois difficile de savoir si ce sont les infirmiers qui font un complexe d'infériorité ou les médecins un complexe de supériorité (on peut remplacer "infirmiers" et "médecins" dans tous les sens avec AS, ASH, IADE, IBODE...).
Bon courage pour la suite .
denscoed
Inscrit le: 01 Fév 2006Messages: 9Localisation: lille
Posté le: Samedi 11 Fév 2006 12:16 Sujet du message:
Bonjour, J'ai une autre question pour ceux qui voudrait bien y répondre: Qu'est ce qui pourrait vous faire (ou vous a fait) changer d'emploi ou de milieu d'exercice? Par exemple, passer de l'exercice en hôpital à celui en libéral, aller travailler en entreprise ou en santé publique, ou revenir à l'hôpital pour ceux qui travaillent ailleurs, ... merci Denis
ISAS 106
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
NENETTE 03
Inscrit le: 28 Juin 2005Messages: 13Localisation: MONTLUCON
Posté le: Samedi 11 Fév 2006 15:43 Sujet du message:
En esperant pouvoir contribuer au mieux à ton travail: IDE et Vocation: Pour moi en tout cas ce n'est pas le cas au contraire! Je suis rentré à l'école d'inf car je voulais être puéricultrice en crèche. Quand j'ai eu les résultats de mon concours je pensais partir pour trois ans de galère car le coté soins, pansement, plaie... me faisait peur! Et puis miracle! Au bout d'un mois je ne voulais plus être puér car j'ai eu un vrai coup de coeur pour ce travail! Ce qui me plait dans ce travail? Principalement la relation au patient avec son coté unique à chaque fois! Le travail en équipe ( je bosse en service de chir en clinique). Le sentiment d'utilité est primordial, pour moi. Quand un patient arrive dans le service avec une maladie x, et qu'il repart sans cette maladie c'est super agréable de se dire que l'on a contribué à sa guérison, et même si tout le monde ne part pas guéri on a quand même contribué à son bien être durant son séjour.Et du coup ce qui va souvent avec le sentiment d'utilité c'est la reconnaissance. Le métier d'infirmière est facilement identifiable pour l'ensemble du public contrairement à beaucoup d'autre métier. Les gens connaissent les contraintes de notre travail et nous envoie donc des réactions positives sur le fait que l'on puisse le faire. Comment je m'y investi: En étant le plus disponible possible sur mon temps de travail. Je m'explique: j'essai de répondre au maximum aux attentes de chaque patient c'est à dire être souriante, penser aux habitudes de certaines personnes, être attentif aux détails... Et c'est souvent épuisant, d'où un investissement important! En dehors du temps de travail je participe aux réunions proposés et principalement les réunions qui ont une répercutionconcrète sur mon travail (ex:réunion proposé par les chirurgiens sur les pathologies qu'il traite). Et aussi je m'informe sur les pratiques dans les autres établissements en venant sur ce forum. Ce qui pourrait me faire changer d'établissement: Une mauvaise ambiance de travail, une surveillante incompétante (cest déja arrivé une fois) une futur vie familliale: on trouve du boulot facilement donc c'est facile pour nous de suivre un conjoint qui a une mutation, et puis si un jour j'ai des enfants je pense que le rythme que je tiens actuellement sera difficile à suivre, car la famille reste une prioroté. Ce qui pourrait me faire changer de secteur d'activité: L'envie de voir autre chose, car il ya toujours une certaine routine qui s'installe. Une dégradation des conditions de travail Ce qui pourrait me faire changer de métier: Travail incopatible avec le travail de mon conjoint (ma mère était infirmière, elle a arreté de travailler en tant qu'infirmière pour aider mon père à monter son entreprise et je me sens capable de faire le même choix). Bon courage dans ton travail! j'espère avoir été claire! Tiens nous au courrant de tes avancés!_________________NEIGE EN AOUT PATE EN CROUTE
ISAS 107
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
nozinan
Inscrit le: 08 Avr 2004Messages: 24Localisation: SUD
Posté le: Samedi 11 Fév 2006 16:08 Sujet du message:
MANQUE DE RECONNAISSANCE TOUT COURT MANQUE DE RECONNAISSANCE FINANCIERE AUX VUES DES RESPONSABILITES ACCRUES DE NOTRE FONCTION INFIRMIER=FUSIBLE LORSQU' IL Y A UN PROBLEME STRUCTUREL, UNE FAUTE COLLECTIVE... HIERARCHIE SECHE ET ARROGANTE VIS A VIS DE SES PERSONNELS ABUS D'AUTORITE DE L'ADMINISTRATION ET DU CORPS MEDICAL MISE EN JEU DE SON DIPLOME ET DE SA LIBERTE TOUS LES JOURS DANS DES SERVICES EN CARENCE VOILA CE QUI ME FAIT DIRE AUJOURD'HUI QU'IL EST PEUT ETRE TEMPS DE SE REORIENTER MALGRES TOUT J'AIME MON METIER
nozinan
Inscrit le: 08 Avr 2004Messages: 24Localisation: SUD
Posté le: Samedi 11 Fév 2006 16:12 Sujet du message:
PLUSIEURS ETUDES SONT DISPO SUR LE NET CONCERNANT LA SATISFACTION DES INFIRMIERES AU TRAVAIL (PRESS NEXT) BON GOOGLING SI TU NE L'AS PAS DEJA FAIT (CE DONT JE DOUTE) ++ BON COURAGE POUR TON ETUDE, ON A BESOIN DE GENS COMME TOI POUR PUBLIER AUSSI LE MECONTENTEMENT D'UNE PROFESSION DIFFICILEMENT MOBILISABLE QUI TIENT A BOUT DE BRAS LE SYSTEME DE SANTE ET QUI SOUFFRE DE CE MANQUE CRUEL DE RECONNAISSANCE.
ISAS 108
Coëdel Denis M2 PAI 2005/2006
denscoed
Inscrit le: 01 Fév 2006Messages: 9Localisation: lille
Posté le: Dimanche 12 Fév 2006 16:56
bonjour, Citation:j'essai de répondre au maximum aux attentes de chaque patient c'est à dire être souriante, penser aux habitudes de certaines personnes, être attentif aux détails... Et c'est souvent épuisant, d'où un investissement important!
Je comprends que ce soit épuisant surtout les jours de mauvaises humeurs,... (ce qui arrive à chacun!!). Du coup, votre investissement passe-t-il par le fait d'endoser ce sourire? De se forcer à être disponible, attentifs? Comment faites vous pour séparer les inquiétudes de votre vie privée et celles de votre vie professionnelle? Au cours d'une étude de maitrise, j'ai pu voir sur un tout autre métier (les téléopérateurs de centre d'appels), que certaines personnes utilisaient des "rites" pour bien couper ces deux moments de leur vie: aller courir après le travail, écouter de la musique pendant une demi heure,... C'est dans ces rites qu'ils réussissaient à se séparer de leurs inquiétudes de travail, ou inversement, en allant au boulot, de leurs inquiétudes privées. Et vous, à quel moment faites vous cette séparation? comment? et est ce des fois difficile voire impossible?
Citation:MANQUE DE RECONNAISSANCE TOUT COURT MANQUE DE RECONNAISSANCE FINANCIERE AUX VUES DES RESPONSABILITES ACCRUES DE NOTRE FONCTION INFIRMIER=FUSIBLE LORSQU' IL Y A UN PROBLEME STRUCTUREL, UNE FAUTE COLLECTIVE... HIERARCHIE SECHE ET ARROGANTE VIS A VIS DE SES PERSONNELS ABUS D'AUTORITE DE L'ADMINISTRATION ET DU CORPS MEDICAL MISE EN JEU DE SON DIPLOME ET DE SA LIBERTE TOUS LES JOURS DANS DES SERVICES EN CARENCE VOILA CE QUI ME FAIT DIRE AUJOURD'HUI QU'IL EST PEUT ETRE TEMPS DE SE REORIENTER MALGRES TOUT J'AIME MON METIER
Mais alors Nozinan, qu'est ce exactement qui te fait aimer ton métier?? Citation:BON COURAGE POUR TON ETUDE, ON A BESOIN DE GENS COMME TOI POUR PUBLIER AUSSI LE MECONTENTEMENT D'UNE PROFESSION DIFFICILEMENT MOBILISABLE QUI TIENT A BOUT DE BRAS LE SYSTEME DE SANTE ET QUI SOUFFRE DE CE MANQUE CRUEL DE RECONNAISSANCE.
Merci pour tes encouragements, mais j'ai encore une question: à quoi à votre avis tient le fait que la profession soit difficilement mobilisable?
Citation:Tiens nous au courrant de tes avancés!
Je dois rendre mon mémoire en juin... si ça vous intéresse, je pourrais vous le faire passer. merci à tous denis
ISAS 109