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Portfolio : La cérémonie du Puja en Inde Organisateur de soirée : l’envers du décor Al-Qaïda, moteur de la construction européenne Darrell Castle Candidat à la vice présidence des Etats-Unis

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Le numero 3

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• Portfolio : La cérémonie du Puja en Inde

• Organisateur de soirée : l’envers du décor

• Al-Qaïda, moteur de la construction européenne

Darrell Castle Candidat à la vice présidence des Etats-Unis

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Vendredi, 3h00. Les yeux sont rougis par la lumière de l'ordinateur. Une petite lampe éclaire le clavier. Deux personnes sont assises autour de la table de bridge installée pour l'occasion. Chacun a son ordinateur, chacun a sa tâche. Relecture, mise en page, réglages de mise en ligne. Le plat de pâtes froides, rempli de pots de yaourts et de couverts, a laissé place aux bières. Avec l'habitude, on arrive même à parler en « travaillant ». L'ambiance est sérieuse, quelques blagues détendent l'atmosphère. Cette nuit de jeudi a été consacrée à la longue de liste de points à régler sur la

fond et la forme. Vendredi 8h00. Un petit sourire nerveux commence à naître sur mon visage: il nous manque un sujet. « Tu as 12 h pour trouver une idée, trouver un mec à interviewer, prendre contact avec lui, le rencontrer, l'interviewer, recopier l'interview, la retravailler et la mettre en page ». « Ah, oui, j'oubliais, il faut remplir 8 pages. ». La journée commence bien. Vendredi, 8h00-23h00. Les dernières petites fautes se corrigent au fur et à mesure. Les derniers articles sont mis en page. Le journal prend forme. Vendredi, 23h00. Le moment de la mise en ligne est un peu plus mouvementé. Scientifiquement, un bouclage ne peut avoir lieu sans bugs informatiques. L'ordinateur prend alors un rôle à part entière. Lui qui nous a permis de réaliser un beau journal devient instantanément notre pire ennemi. Quand à 23h il n'a pas encore décidé de nous embêter, nous devenons de plus en plus inquiets. Sur quoi nous plantera-t-il ? Et en général, il sait nous surprendre. L'ordinateur de LINTERVIEW.fr est espiègle. Il préfère les énigmes au plantage général. Il décide, par exemple, de remplir le journal de petits « T », de nous bloquer l'accès au serveur au mauvais moment ou encore d'actualiser le site à l'exception de la première page. Il n'est jamais loin de se prendre un coup de poing en plein écran. Samedi, 02h32. En train d'écrire mon édito, je me demande encore quel sera le bug… Samedi, 04h54. Le journal est en ligne. A vous de le découvrir.

De la science des bouclages Par Louis Villers, directeur de la rédaction

Edito

rial

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Sommaire La Une

Interview de Darell Castel, Candidat à la vice

présidence des Etats-Unis

Portfolio La cérémonie du Puja

p12

Culture est société Al-Qaida, moteur de la construction européenne

Sport 3 mois seul en mer, interview

de Yann Elies

Etudiant du monde Ethan Palmer

p37

Etats généraux de la presse jeune In vodka veritas

Portrait Organisateur de soirée, l’envers du décor 8

Journal LINTERVIEW.fr / 32 rue de Montholon 75009 Paris / [email protected] / 06-65-35-56-99

Fondateur, directeur de la rédaction : Louis Villers / Directeur de publication : Jean Massiet / Rédacteur en chef : Alexandre Marchand. Rédactrice en chef de « Culture Est Société » Alice Beauquesne Journalistes : Nadège Abadie

(Photographies)/Nicolas Combalbert/William Buzzy/Baptiste Gapenne/Alan Kaval/Timour Adgioury/Vanessa Ferrere/Margaux Bergey/Maria Martin Guitierez/Raphael Miossec/

Association LINTERVIEW.fr : Siège social : 32 rue de Montholon, 75009 Paris. Président : Louis Villers / Vice Président : Jean Massiet / Responsable financier : Alexandre Chavotier

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Les oubliés de l’élection

Ils ne sont pas 2 mais 12 dans la course à la Maison Blanche. Nous avons rencontré l’un

d’eux : Darrell Castel, candidat du parti de la Constitution à la vice présidence.

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Darrell Castle Candidat à la

vice présidence

des Etats-Unis. LINTERVIEW.fr : Pouvez vous vous présenter brièvement ? Darell Castel : Je m’appelle Darrell Castle, je suis le candidat du parti de la Constitution à la vice-présidence des États-Unis. Le candidat Chuck Baldwin m’a choisi comme colisitier. LITW : Qu’est-ce que cela représente pour vous ? D. C. : C’est un honneur pour moi d’occuper un tel poste, de pouvoir me battre pour la Constitution des Etats-Unis. Ce texte de Thomas Jefferson et John Adams, écrit il y a tellement d’années, a toujours beaucoup de valeur et nous nous devons de le défendre et de le faire connaître. LITW : En France, nous ne connaissons que le parti démocrate et le parti républicain. Qu’est ce que le parti de la Constitution ? D. C. : C’est un parti qui offre aux électeurs américains une alternative aux partis démocrates et républicains. Nous avons des idées, nos propres idées, des idées auxquelles nous croyons. Nous croyons à la Constitution des Etats-Unis. Nous souhaitons offrir de nouvelles idées, tant sur le plan de la politique étrangère que de l’économie ou au niveau social.

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Darrell Castle,

candidat à la vice

présidence des Etats-

Unis

«

Le système américain n’est pas démocratique

»

LITW : Pourquoi vous porter candidat alors que vous êtes sûr de perdre ? D. C. : C’est une question de principes. Tout d’abord, nous ne savons jamais à l’avance qui gagnera les élections, nous ne nous considérons jamais perdant avant le verdict des urnes. Tout est possible dans la course à la Maison Blanche. Ensuite, nous nous devons de proposer un « gouvernement de Constitution ». Nous pensons que le gouvernement actuel fait fausse route, et nous souhaitons offrir au peuple américain l’opportunité de réparer les erreurs et de repartir sur le droit chemin. LITW : Avez-vous une idée du score que vous pourriez obtenir ? D. C. : Franchement, je ne m’intéresse pas à ce genre de pronostics.

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LITW : Vos valeurs ne seraient-elles pas plus défendues en vous ralliant au parti républicain ? D. C. : Non, je ne le pense pas. Tout simplement parce que nous ne partageons pas les mêmes principes qu’eux. C’est une question d’honneur, je ne pourrai jamais me battre pour le parti républicain. LITW : La Maison Blanche n’est accessible que par deux candidats. Est-ce démocratique ? D. C. : Non. Je pense sincèrement que le système américain n’est pas démocratique. Je déplore que seuls les candidats républicains et démocrates soient visibles. Les candidats indépendants n’ont pas leur place dans le débat. LITW : Voyez-vous une réelle différence entre les démocrates et les républicains ? D. C. : Il n’y a de différence que dans la forme. Même si les deux candidats sont différents : l’un est plus foncé, l’autre est plus vieux, leurs programmes sont quasiment identiques. Il n’y a que très peu de différence, et par conséquent, très peu de choix. LITW : Pensez-vous que les jeunes soient intéressés par les partis indépendants? D. C. : Je ne pense que les jeunes, et plus généralement les Américains sont –ou seraient– intéressés par mon parti. Il nous est en revanche très difficile de toucher de nombreuses personnes car nous n’avons quasiment pas accès aux médias. De plus, nous avons beaucoup moins de soutiens financiers que les démocrates et les républicains, ce qui nous empêche d’acheter, entres autres, des espaces publicitaires. Je reste cependant persuadé qu’avec plus d’argent et de visibilité dans les médias, beaucoup d’Américains rejoindraient nos supporters. Propos recueillis par Louis Villers

« Les candidats démocrates et républicains sont différents : l’un est plus foncé, l’autre est plus vieux. Mais c’est tout. »

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Organisateur de soirée

Nightbox : les jeunes face au monde de l’évènementiel

LINTERVIEW.fr : Bonjour Nicolas, pourrais-tu te présenter ? Nicolas Pauliac : Je m’appelle Nicolas Pauliac, je suis un étudiant de 18 ans et accessoirement responsable sponsor et logistique de Nightbox. LITW : Qu’est-ce que Nightbox ? N.P. : Nightbox est une association festive étudiante créée en septembre 2008. Composée de 22 membres de différents campus parisiens (Sciences Po, Dauphine, Nanterre, La Sorbonne,…) elle a pour but principal de dynamiser la vie étudiante à Paris par l’organisation de plusieurs évènements à Paris : soirées, concerts, voyages…30% de nos bénéfices sont reversés à l’association des étudiants contre le Sida (ECLS). LITW : Pourquoi Nightbox a-t-elle été créée ? N.P. : Nous nous sommes rendus compte que les soirées étudiantes n’étaient pas toujours très convaincantes. Soit ce sont des soirées énormes sur les campus avec telle foule que c’est impossible d’avoir un semblant d’ambiance chaleureuse soit ce sont des soirées BDE avec toujours les mêmes têtes. Côté mixité on aura vu mieux ! Le but de Nightbox est de dynamiser la vie étudiante et de faciliter la rencontre d’étudiants d’horizons différents. Nous nous voulons le plus ouvert possible et ratisser la population la plus large possible.

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LITW : Comment cela est-il né ? N.P. : J’ai organisé, avec sept autres amis, une soirée en juin dernier au Saint: God Save The Happy Hour. C’était notre façon de râler contre les mesures de Roselyne Bachelot. Ca a aussi été l’occasion d’inaugurer un des concepts de Nightbox qui est cher à notre cœur : les consommations à prix réduits. Dans nos soirées nous nous efforçons de proposer les prix les plus bas possibles pour les boissons, c’est même un des principes de base de notre association ! LITW : God Save The Happy Hour??!! N.P. : Ou notre manière à nous de faire du militantisme pro-alcoolisme! Non plus sérieusement c’est une soirée que nous avons organisé à l’arrache à la boîte « Le Saint » à Paris. Normalement quand tu fais une soirée tu mises sur la présence de tes amis, des habitués des soirées mais il faut aussi trouver un truc supplémentaire pour mobiliser, surtout fin juin qui est une période où il y a beaucoup de concurrence au niveau événementiel. Nous avions misé sur deux choses : un thème, la défense de l’happy hour, et des prix les plus attractifs possibles. Nous avions réussi à négocier des prix en-dessous de ce qui se fait normalement en boîte…du coup ça a été un peu la déchéance pendant toute la soirée ! Au Saint, ils ont été vraiment sympas, c’est nous qui avions achetés l’alcool et le vendions pendant la soirée. Nous gérions

également les tarifs. On ne peut pas en dire autant de la boîte où nous avons organisé notre soirée de lancement récemment : impossible de négocier avec eux sur les consommations, ils ont tout géré. Nous touchions seulement un pourcentage sur les entrées. LITW : Concrètement, qu’est-ce qui différencie les grosses boîtes des plus petites ? N.P. : Un aspect totalement pratique est que c’est extrêmement dur d’avoir une licence pour l’alcool. Autant un bar a déjà énormément de mal alors je ne te raconte même pas pour une association étudiante ! En fait ce n’est pas le lieu qui doit avoir la licence d’alcool mais les organisateurs. Ce que nous avons fait lors de notre première soirée était complètement illégal. Quand tu organises une soirée tu as besoin d’avoir la licence d’alcool sinon c’est mort. Toutes les soirées sur les campus c’est en fait complètement illégal, s’il y a un contrôle ils sont très mal barrés !

« La boîte a fait faire par ses graphistes une affiche avec une sorte de poupée à poil, c'était racoleur et ne collait pas à notre image! »

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LITW : Est-ce difficile d’organiser des soirées dans des boîtes ? N.P. : Pas tellement en fait. Le plus dur est de convaincre la boîte en réalité. Normalement cela se règle directement avec le gérant de la boîte mais pour les ¾ des soirées en boîtes à Paris il faut passer par deux jeunes de 25 ans qui jouent les intermédiaires. Le deal est que nous faisons la promo, vendons des préventes et ramenons les gens. Par contre, pendant la soirée, nous ne sommes censés nous occuper de rien. Les vigiles, le vestiaire, tout ça c’est géré par les boîtes. La seule vraie difficulté est qu'il faut fournir un chèque de caution de 3 000 euros. Etant donné que l'association n'a pas encore de compte en banque, il a fallu rassembler l'argent entre les membres de l'équipe.

« C'est extrêmement dur pour une association étudiante d'avoir la licence d'alcool »

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LITW : Comment se monte une soirée en boîte ? N.P. : La première chose à faire est de définir une date, un thème et de prendre contact avec la boîte. Il vaut mieux avoir un thème, c’est en général assez mobilisateur. Le thème de notre première soirée était « Open The Box », pour signifier cette idée de lancement. A ce propos nous avons eu quelques problèmes avec la boîte qui nous hébergeait. Comme je te l’ai dit, il y a toute une partie promo dans l’élaboration d’une soirée. Nous voulons le faire nous-mêmes pour avoir la plus grande liberté possible. L’affiche que nous avons montrée à la boîte pour cette soirée a été recalée car ils la jugeaient trop amatrice. En fait quand tu loues une boîte, ils te mettent également à disposition des graphistes, une imprimerie, des flyers…La boîte nous a donc mis face à une affiche qu’elle avait fait faire par ses graphistes. Elle représentait une sorte de poupée à poil, c’était complètement racoleur et ne collait absolument avec l’image que nous voulions donner ! Comme on refusait de distribuer ça, on a dû mettre des centaines d’affiches et de flyers au fond des cartons et nous avons concentré notre promotion sur Facebook.

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LITW : Avez-vous déjà eu des problèmes ? N.P. : Oui et toujours avec cette fameuse boîte de la soirée de lancement ! Le contact avec le personnel de certaines boîtes est très problématique et là c’était notamment le cas. Alors que notre but est d’accueillir tout le monde, nous n’avions aucun droit de regard sur les entrées dans cette boîte. Tu vois des gens se faire refouler parce qu’ils ont oublié leur carte d’identité et tu ne peux pas les rembourser ! Pareil pour le vestiaire, c’était un bordel innommable. Face à ça nous étions complètement impuissants, c’est une situation assez inconfortable.

« Certaines boîtes comptent énormément sur leur image et ne sont donc pas très ouvertes aux soirées étudiantes »

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LITW : Les boîtes dictent donc leur loi ? N.P. : Cela dépend vraiment de la boîte. Tout d’abord c’est une question de contact avec elle. Certaines sont très ouvertes, laissent une grande marge de manœuvre. D’autres sont beaucoup plus rigides. En général je dirais que plus c’est gros, plus c’est compliqué. Certaines boîtes comptent énormément sur leur image, elles ne sont donc pas très ouvertes aux soirées étudiantes. Pour nous, il nous faut donc être crédibles. Nous devons montrer que nous sommes sérieux et organisés sinon ils n’attendent, venant des étudiants, qu’un bordel monstre. Normalement une soirée étudiante est très rentable, c’est l’assurance de ramener des gens et des

consommations ! Mais certaines boîtes sont beaucoup plus réticentes à ce genre de soirée et préfèrent garder une image plutôt « huppée ». LITW : Et pour la suite de Nightbox alors ? N.P. : D’autres soirées sont en préparation. Il devrait normalement y en avoir 4-5 dans l’année. La prochaine devrait être aux alentours de Noël avec toujours notre recette mêlant thème mobilisateur, consommations bon marché et ambiance sympathique ! L’ouverture a été un franc succès, les échos que nous avons eu sont très positifs, je suis donc très optimiste. Propos recueillis par Alexandre Marchand.

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En contemplation dans son coin de monde.

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La même heure. Tous les jours. Sur les bords du Gange, du Nord au Sud de l’Inde, c’est le grand rassemblement.

Le rendez-vous quotidien pour célébrer la vie.

Textes et photos : Leila Ghandi

La Cérémonie du Puja,

hommage au Soleil

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Sunita et sa petite sœur.

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Les musiciens du coucher du soleil.

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Calme et enthousiaste en même temps, la foule assiste à la cérémonie du Puja sur les Ghâts de Varanassi.

Chaque soir, le même rituel, les mêmes danses, la même lumière.

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La Pûjâ est aussi un lieu social, un rassemblement populaire, une fête.

Cérémonie du Puja à Rishikesh. Des enfants vêtus de jaune chantent en chœur devant la statue de Shiva.

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En communion avec l’eau sacrée du Gange.

Voyage intérieur.

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Nous aurons ensemble partagé une journée, plusieurs tchaïs, et ce regard.

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Les enfants ne prient pas : ils sont juste heureux et plein d’espoir.

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La même heure. Tous les jours. Sur les bords du Gange, du Nord au Sud de l’Inde, c’est le grand rassemblement. Rassemblement de foule, réunion humaine. A la même heure. Le rendez-vous quotidien. A l’heure du Soleil. On l’accompagne dans sa nuit pour nous son autre jour pour lui. On le remercie d’avoir été là, en le priant sans doute aussi de bien vouloir revenir le lendemain. Ce serait un cadeau. Un peu attendu mais un cadeau quand même. Le Gange les hommes et l’Inde toute entière célèbrent ce moment de communion. Cette magie astrale tragiquement devenue banale pour la plupart d’entre nous. Je suis à Varanassi, plus connue sous le nom de Bénares. C’est ma première Puja et je suis bouleversée lorsque je comprends que c’est avec le soleil que tous ces gens ont pris rendez-vous. Ils sont là, côte à côte, unis dans ce même recueillement joyeux et liés par cette même émotion simple et sincère, ce même ami commun. Sadous en tenue orange, couturière, commerçant, enfant, amis, inconnus. Ils sont tous là, debout, dans leur égalité face au Soleil. Nous sommes tous plus petits que lui, aussi grands que lui. La cérémonie du Puja, c’est une heure de tumulte serein. Les Ghâts s’animent et accueillent l’élan musical et lumineux qui célèbre, dans une douce euphorie, l’arrivée de la nuit. On chante, on tape des mains, on se tait on médite, on regarde le ciel on sourit, on allume une bougie on fait une prière, on porte ses pieds à l’eau on se purifie, on attend il est parti. Tous les jours à la même heure sur les bords du Gange, des millions de personnes chantent en même temps, et avec leur voix dans cette

mélodie s’élève un même appel. Je l’entends aussi. Je suis là, avec eux, assise sur les marches à contempler ce moment hors du commun. Transportée par l’enthousiasme collectif et les odeurs d’encens, et le cœur battant presque au rythme des tambours. Une parenthèse dans le temps maintenu en suspens pour mieux le célébrer. A ce moment là plus rien n’a finalement d’importance. On est témoin de ce soleil qui passe et on voit en lui le signe heureux du destin. C’est presque alchimique. Et si c’était ça, la sagesse : réussir à faire de l’ordinaire, un extraordinaire ? Des journées entières assise face au Gange à observer sa vie se dérouler sous mes yeux émerveillés. Alors que rien de spécial ne se passait j’avais ce sentiment pourtant que l’essentiel était là. Rire avec les enfants, partager les écouteurs de mon ipod avec les grands-mères qui viennent laver leur linge, me rendre compte de la beauté de la joie et de la richesse de cette terre et de ses gens, loin des images de misère trop facilement imprimées qui voltigent en nébuleuse incertaine autour de ce coin du monde. Pour gagner quelques roupies, Babou vend des cartes postales du Taj Mahal. Lui et moi discutons sous le soleil de plomb, il hèle un vendeur de tchaï qui passe par là, demande deux thés. Et des gâteaux. Il plonge sa main dans la poche de son pantalon et en ressort un billet fripé. Combien de temps avait-il passé dans cette poche ? Inutile d’essayer de le convaincre, Babou le petit garçon de dix ans m’offrait ce thé, et les heures de travail qu’il lui aura fallues pour pouvoir le faire. Alors oui, la misère matérielle est peut-être une réalité. Mais c’est surtout loin d’être la seule. Et remercier chaque jour le soleil d’exister donne une idée assez claire de ces autres réalités.

Le regard de Leïla Ghandi, tous les deux numéros

Leïla Ghandi est reporter photographe indépendante. Elle parcourt le monde et le raconte. www.leilaghandi.com

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3 mois seul en mer Yann Elies prendra le départ du Vendée Globe le 9 Novembre prochain. Le principe est simple : faire le tour du monde, en solitaire, sans escale et sans assistance. Il nous livre ses ultimes impressions.

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Yann Eliès

LINTERVIEW.fr : Yann, peux tu nous rappeler brièvement ta carrière ? Yann Eliès : J’ai démarré en optimiste (dériveurs, catamarans…), J’ai ensuite débuté la course au large en solitaire dans la classe « Figaro ». Les deux tours du monde que j’ai eu la chance d’effectuer avec Bruno Peyron m’ont naturellement amené à participer à ce Vendée Globe, qui part dans maintenant une semaine. LITW : Sais-tu d’où t’est venue la passion pour la mer ? Y. E. : De mon enfance, de mes parents, de ma famille. Ce ne sont pas eux qui m’ont donné envie de faire ce métier, mais ils m’ont appris une façon de vivre. Pour moi, la mer, ce n’est pas seulement faire le tour du monde ou naviguer sur des « machines de guerre ». La mer, c’est aussi la croisière, la pêche. C’est un tout, un style de vie.

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LITW : Comment se sent-on avant de partir seul, trois mois en mer ? Y. E. : On se sent bien sûr excité, motivé, on a vraiment envie d’y aller. Nous sommes aussi stressés de temps en temps, il y a de l’angoisse. En même temps, c’est quelque chose que je veux, sur laquelle je travaille depuis 3 ans maintenant, il faut y aller. LITW : Quels sont les risques d’une telle course ? Y. E. : Le risque majeur est de ne pas abandonner. Il y a tellement d’embûches, tellement de facteurs qui peuvent amener à l’abandon en raison de la durée de la course qu’il faut être en permanence vigilant. Concernant les risques humains, il n’y en a pas beaucoup plus que sur n’importe quelle autre course à partir du moment où tu en es conscient, où tu ne vas pas à la faute. LITW : Quel est ton quotidien ? Peux-tu nous décrire une journée-type ? Y. E. : La journée tourne autour des horaires auxquels tombent les fichiers météos : quatre par jour à 6h T.U., 12h T.U., 18h T.U. et 00h T.U. On passe du temps à les collecter, à les analyser afin de faire le meilleur choix de route. Ensuite, bien évidemment, il y a les horaires de repas (lever du soleil, coucher du soleil, milieu de journée, et éventuellement la nuit). Le reste du temps, nous le consacrons à la bonne marche du bateau et à son entretien. Le sommeil et la récupération viennent ensuite en fonction des différents facteurs (météo, intensité de la course…). La différence notable entre le terrien et le marin, c’est que 3 mois à terre correspondent à 6 mois en mer. LITW : Finalement, on ne s’ennuie pas un peu ? Y. E. : Il y a forcément des moments où nous nous faisons un peu « chier », parce qu’il n’y a pas tout le temps quelque chose à faire mais aussi parce qu’il est vrai que nous avons souvent les mêmes activités. Il faut emmener de quoi s’occuper type bouquins, musique, films. Il y a aussi moyen de passer du temps à communiquer, à faire des films, à envoyer des photos, faire partager ce que nous vivons à bord. Finalement, on s’ennuie que très rarement. LITW : Avec toutes les nouvelles technologies qui apparaissent sur les bateaux, êtes-vous finalement vraiment seuls ? Y. E. : On choisit si on veut être seul ou accompagné en mer, c’est notre luxe. On peut à la fois communiquer par mail, par téléphone, mais aussi tout couper pour ne pas être « emmerdé » durant les moments de réflexion ou de manœuvre.

« La mer, ce n’est pas seulement faire le tour du monde, ou naviguer sur des « machines de guerre ». La mer, c’est aussi la croisière, la pêche… C’est un style de vie. »

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LITW : Quel est ton meilleur souvenir en mer ? Y. E. : Ce sont les retours de tour du monde. Quand on est revenu au point de départ. Le fait de se dire qu’entre ces deux moments, on a fait un tour du monde est tout simplement magique, tout comme le fait de retrouver ses proches. LITW : Ton pire souvenir ? Y. E. : Lors d’une traversée de l’Atlantique, sur des « Figaros », je me souviens d’une tempête. Le bateau cognait dur et fort au près. C’était l’une de mes premières courses au large, et l’une des premières « bastons » [ndlr : tempête] et je me demandais vraiment ce que je foutais là, j’avais vraiment envie d’abandonner, de rentrer. Heureusement, nous étions deux, et nous avons décidé de continuer. LITW : Comment gères-tu l’absence de tes proches ? Comment les prépares-tu (notamment tes enfants) ? Y. E. : Je pars du principe que j’ai une chance unique de vivre ma passion. Les petites contraintes qui sont associées à ce tour du monde sont minimes. J’en ai déjà fait deux, avec les meilleurs marins du monde, je pars maintenant faire le Vendée Globe. Je fais ce qu’il y a de mieux dans mon sport et cela vaut bien quelques concessions, c’est pourquoi

j’accepte l’absence des autres. Pour les enfants, j’essaie de leur expliquer que ce sera comme la dernière fois (trophée Jules Verne), en un peu plus long. Je leur dis aussi qu’il sera sympa de suivre l’évolution de la course sur Internet, que le départ et l’arrivée seront une grande fête où les moments seront intenses. Il faut bien leur faire comprendre qu’il n’y a rien de dramatique, que papa est à chaque fois revenu de ses courses. Certes, ça met un peu de temps mais c’est tout. LITW : Le Vendée Globe essaie de toucher la jeunesse (Vendée Globe junior). Quel message souhaites-tu faire passer à la jeunesse aujourd’hui ? Y. E. : Mon message est plutôt simple : arrêtez d’admirer les gens qui font des choses hors du commun, qui ont un belle vie ! Il faut passer de l’autre coté de la barrière, il faut se lancer, y aller à fond ne jamais se décourager ! LITW : Que peut-on te souhaiter ? Y. E. : De terminer ce tour du monde. Le résultat passe après. Propos recueuillis par Louis Villers et Raphaël Miossec. Photos : Thierry Martinez et Gilles Martin-Raget

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« Finalement, pendant 3 mois,

on ne s’ennuie quasiment

jamais »

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LINTERVIEW.fr : Pouvez-vous nous présenter la course de l’EDHEC ? Guillaume de Genlis : La course de l’EDHEC est un rassemblement de trois mille étudiants qui viennent régater sur cinq jours avec deux cents bateaux, pour le Trophée de Mer. Le Trophée de Terre est plutôt une épreuve sportive, genre raid, à laquelle participent beaucoup d’étudiants dynamiques de grandes écoles. Ce sont d’ailleurs un bon vivier pour les entreprises. LITW : Pourquoi est-il, selon vous, intéressant d’y participer ? G. de G. : D’une part, l’ICAM est une école d’ingénieurs qui a besoin d’être représentée car elle est très présente en France et a beaucoup d’intérêt. D’autre part, il s’agit d’un défi sportif et humain; nous sommes une équipe de onze personnes qui ont vraiment envie de se bouger pour réaliser quelque chose de bien qui représente notre école, qui nous pousse vers l’avant, qui nous donne des objectifs pour l’année. LITW : Combien êtes-vous dans l’équipe ? Combien de personnes naviguent, combien restent à terre ? G. de G. : Nous sommes onze dans l’équipe. Six personnes naviguent, et cinq personnes restent à terre. Celles-ci participeront à priori au trophée de Terre. LITW : Avant la procédure de départ, avant le coup de canon, quelles sont toutes les étapes d’un tel projet? G. de G. : La recherche de sponsors est très importante. Les entraînements en régate ont lieu tous les jeudis après-midi, en plus d’un entraînement intensif en

février qui permet de

préparer la course dans l’objectif de faire une très bonne performance. LITW : Comment se passe la recherche de financement? G. de G. : Ce que nous proposons aux sponsors : une visibilité pendant l’année et pendant la course, sur des supports comme les bateaux, mais aussi sur les équipements, sur les vestes; à terre comme en mer. Nous leur proposons une publicité même à travers l’école qui regroupe plus de mille cinq cent personnes, et aussi dans les vidéos des ingénieurs qui sont commandées en ce moment. LITW : Quels types d’entreprises sollicitez vous? G. de G. : Des entreprises dynamiques qui doivent renouveler leurs équipes; qui cherchent donc de nouveaux étudiants et qui sont directement en contact avec le public. Plus globalement, nous cherchons à être sponsorisés par des entreprises qui cherchent à améliorer leur image auprès des étudiants. LITW : Quel est votre budget? G. de G. : Notre budget s’établit à 12000 euros pour les entraînements, les cautions, les vêtements… Propos recueillis par Louis Villers et Alice Beauquesne

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Al-Qaïda, le moteur (bien) caché

de la construction européenne

LINTERVIEW.fr : Bonjour Gérôme Truc, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre thèse ? Gérôme Truc : Il y a deux finalités. Une finalité très empirique et une autre qui vise à répondre à des questions théoriques. Empiriquement, je vise tout simplement à essayer de rendre compte de la manière dont les Européens ont réagi aux trois évènements que sont les attentats du 11 septembre à New York, du 11 mars à Madrid et du 7 juillet à Londres. Je pars du principe que ces trois évènements ont été assez importants, que ça a produit beaucoup de données : des messages de solidarité, de condoléances, des sites Internet, des forums…Tout un ensemble de données qui ont été accumulées en réaction à ces évènements-là et qui ne sont pas analysées. D’un point de vue strictement sociologique, nous avons affaire à des évènements qui sont quand même importants pour l’époque dans laquelle nous vivons. D’un point de vue théorique, je me suis intéressé à ce sujet-là car nous avons beaucoup de travaux qui portent sur la légitimité de l’Europe. La thèse classique est que généralement l’Europe est une Europe de la raison, une Europe institutionnelle. La construction européenne est un processus institutionnel porté par des élites. Eventuellement les citoyens peuvent être attachés à l’Europe mais uniquement d’un point de vue rationnel. Les gens continuent à être attachés émotionnellement à leur nation car c’est la nation qui est porteuse d’une vraie culture, d’une vraie histoire. L’idée est que des Français ou des Espagnols peuvent se sentir Européens mais pour autant ne se sentent pas aussi attachés à l’Europe qu’ils sont attachés à leur nation. Ma thèse a donc pour but de montrer dans quelle mesure ces réactions à l’échelle de l’Europe témoignent du fait que, malgré tout, les

Européens sont attachés quand même émotionnellement à l’Europe. LITW : Quelles formes prennent ces manifestations d’émotion ? G. T. : C’est une verbalisation par l’écrit. Dans les trois cas vous avez eu des forums. Par exemple Libération a, à chaque fois, ouvert un forum où les gens sont allés mettre à la fois des messages de condoléances adressés aux victimes et prendre part à des débats. Comme l’évènement n’est pas défini, il y a de nombreuses controverses sur la façon dont il faut le définir. Dans le cas du 11 mars à Madrid, vous avez eu à la gare d’Atocha des milliers de messages qui ont été apportés : de courriers, d’emails imprimés, de gens qui faisaient la démarche par eux-mêmes pour apporter le message…A partir du mois de juin, comme cela entravait la gare, tout a été enlevé, un site Internet a été créé et des bornes Internet ont été installées dans les gares. Cela a duré pendant trois ans et 100 000 messages ont été enregistrés sur ce site-là. Dans le cadre de Londres, des registres de condoléances ont été ouverts très classiquement dans les mairies, dans les lieux publics. LITW : Pourquoi avoir pris ces trois évènements-là ? G. T. : D’abord ce sont trois capitales occidentales. Ensuite dans la plupart des archives on se rend compte que les gens font eux-mêmes le lien entre ces trois-là. Après l’intérêt de la question est : quand les individus réagissent, comment est-ce qu’ils définissent ce qui leur est arrivé ? C’est tout l’enjeu. C’est la théorie sociologique de base : quand un groupe social est attaqué par un autre groupe social, il se rassemble et fait front face à l’assaillant.

Culture Est Société

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LITW : Quels sont les points communs entre ces trois attentats ? G. T. : Ces trois attentats sont avant tout liés à une séquence historique. Ils ont tous en commun d’avoir été commis par la nébuleuse Al-Qaïda, d’avoir frappé trois grandes capitales occidentales - ce qui du coup a permis à Madrid d’entrer dans ce club. Ces évènements partagent aussi le même mode opératoire : ils touchent des travailleurs, ils sont liés à des transports en commun. Par contre ils ont des échelles éminemment différentes : vous ne pouvez pas comparer en termes de nombre de victimes. C’est perçu par les Européens comme étant un ensemble. LITW : Les Européens réagissent-ils différemment selon les attentats ? G. T. : Evidemment, parce que d’abord les évènements s’enchaînent. Quand le 11 septembre se produit, nous sommes dans un vide total : la béatitude fin années 90, la fin de l’Histoire et la démocratie qui s’étend dans le monde après la chute du mur de Berlin... Grosso modo, le 11 septembre met fin à cette époque. Les Américains réagissent de manière très nationaliste, ce qui met les Européens en porte-à-faux. Le 11 mars 2004 permet une réappropriation de l’évènement par les Européens, c’est vu comme le « 11 septembre européen ». Il est dû au fait que les Espagnols se sont engagés dans la guerre en Irak. Un an pile avant cet évènement, en mars 2003, la guerre en Irak est déclarée. Vous avez en Europe des manifestations monstres contre cette guerre et qui ont marqué, selon de nombreux analystes, la naissance d’une opinion publique européenne. LITW : Ces manifestations sont donc le reflet de la construction d’une communauté ? G. T. : Ca a pu être interprété comme cela. Mars 2003, l’Europe se divise au niveau des élites, des gouvernants, par contre l’opinion publique européenne était largement unanime contre la guerre en Irak. Cela témoigne avant tout de l’attachement à une valeur principale qui est celle du maintien de la paix. Mars 2003 est une sorte d’acte fondateur mais là question de savoir si ce n’est pas un phénomène évanescent. Le 11 mars 2004 ravive la plaie. S’il y a une réaction à l’échelle européenne, c’est parce que la plupart y voient la conséquence de l’engagement de leurs gouvernements dans la guerre contre leur volonté. Ainsi, dès le 12 mars, une grande manifestation est organisée contre le terrorisme, des dizaines millions de gens sont dans les rues à Madrid et en Espagne avec en chorus des manifestations partout en Europe.

« La chance de l'Europe, en quelque sorte, après le 11 septembre est le fait qu'elle incarne la paix dans un monde qui ne veut pas la paix »

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LITW : Est-ce que cette opinion publique est achevée ou encore en construction ? G. T. : Ces manifestations en marquent un moment. En mars 2003 sort un livre de Dominique Régnier qui s’appelle La fracture occidentale et qui est sous-titré « naissance d’une opinion publique européenne ». L’idée c’est que l’opinion publique naît, unanime, par opposition à un autre Occident qui serait les Etats-Unis. Cela retombe mais réémerge au moment des attentats. A ce moment, nous réalisons que l’opinion publique européenne n’existe pas de manière unanime mais avec des voix plurielles et discordantes. C’est au final ce qui caractérise une opinion publique pourtant. Il y a au moins des sujets de discussion communs et le fait qu’il y ait des divergences n’aide pas non plus à stabiliser à long terme cet espace commun à l’échelle européenne. Par exemple autant au moment où il a lieu le 11 mars est un 11 septembre européen ce n’est pas pour autant qu’il en est un pour les Espagnols. Pour les Espagnols c’est un 11 septembre espagnol. Ils ne perçoivent pas non plus l’échelle européenne. Vous voyez bien là toutes les ambiguïtés et les difficultés qu’il y a à construire une opinion publique européenne qui soit unanime avec des dates communes. Par exemple peu de gens savent qu’il existe une fête nationale

européenne le 9 mai, c’est censé être une date unanime. En France il ne se passe quasiment rien le 9 mai. LITW : Cette opinion publique européenne est-elle appelée à se structurer ou, au contraire, est-elle condamnée à rester confinée dans cette latence ? G. T. : La réponse dépend éminemment du contexte géopolitique. Une communauté politique, pour se forger, a besoin de vivre une histoire commune, d’être soumise à l’adversité ensemble. Le grand problème de l’Europe est qu’elle se définit sur un projet pacifiste. Dans les années 90, quand on va vers la paix dans le monde entier, la fin de l’Histoire, la définition de l’identité de l’Europe ne se posait à personne. La chance de l’Europe, en quelque sorte, après le 11 septembre est le fait qu’elle incarne la paix dans un monde qui ne veut pas la paix. Cela réunit vraiment les Européens et cela se voit au moment de la réaction contre la guerre en Irak de 2003. De fait, cela a suscité une accélération de la prise de conscience que nous partageons des valeurs communes. Mais, à la même époque, le traité constitutionnel européen est rejeté par les Français alors que, dans son préambule, il écrivait noir sur blanc son attachement à des valeurs européennes : la tolérance, la volonté de vivre ensemble…Ponctuellement les Européens se rendent compte du fait qu’ils sont très attachés à cela et que ces valeurs les touchent, les émeuvent. Mais dans le même temps ils préfèrent rejeter le texte qui les pose par écrit. On ne peut donc pas dire : « Oui, on va aller vers une opinion publique européenne institutionnalisée ». La question serait plutôt : « Est-ce qu’il y a une société européenne ? ». Il est difficile d’imaginer que l’on revienne vers « moins d’Europe » mais cela dépendra fortement des ce que nous vivrons ensemble et des processus en amont qui seront déployés. Propos recueillis par Alexandre Marchand Dessins : Charles Garcin

« Le 11 mars 2004

est un "11 septembre" européen

»

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Etats généraux de la presse jeune

Leur ton féroce, leur humour acerbe et leur mauvais esprit font délicieusement tâche dans le conformisme ambiant qui règne à Sciences Po. Sorte de Canard Enchaîné de l'école, « In Vodka Veritas » est un magazine qui nous fait hurler de rire à chaque numéro et auquel il était légitime de rendre l'hommage qui lui est dû. Rendez-vous est donc pris derrière un buisson avec cette sympathique bande de potes pour évoquer avec eux cette aventure...et balancer bien évidemment!

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LINTERVIEW.fr : Comment est né In Vodka Veritas ? Naïké : Il y a deux ans j’étais à Jets d’Encre et en charge de l’organisation du festival Expresso. J’étais en train de recruter les équipes et j’avais envie qu’une équipe de Sciences Po y participe. J’ai donc proposé à plusieurs personnes qui ne se connaissaient pas forcément et que j’avais rencontrées en militant contre le CPE de créer un journal pour l’occasion. Ils en ont donc improvisé un et ont remporté le prix du festival ! LITW : Pourquoi ce nom « In Vodka Veritas » ? Denis : En fait c’est au moment de l’inscription à Expresso, nous étions inscrits sous le nom « Le journal des étudiants de Sciences Po ». Deux secondes avant la fermeture des inscriptions quelqu’un, je ne sais plus qui, a balancé ce nom et c’est resté. Plus le temps passe plus on aime. Louis : Moi je préfère dire que c’est en référence à notre principal outil de travail. Il faut bien soigner sa légende. Naïké : Remarque on carbure quand même plus à la bière ! LITW : Quelle est la ligne éditoriale de IVV ? Louis : C’est principalement de la satire et de l’enquête à Sciences Po mais pas uniquement. Nous n’avons pas vraiment de ligne politique mais ça transparaît un peu que nous ne sommes pas tout à fait à droite. Nous avons tous des engagements politiques par ailleurs mais nous essayons de mettre ça de côté. Par exemple pas mal de membres de la rédaction sont à SUD mais ça ne nous empêche pas de critiquer ce syndicat pour autant. Naïké : En fait nous essayons surtout de traiter des sujets qui nous tiennent à cœur. Denis : Une de nos particularités également est que nous ne signons pas nos articles. Un article est

assumé par l’ensemble de la rédaction. En fait nous ne savons même pas qui écrit les articles (quand ce n’est pas moi qui rédige les ¾ du numéro !) étant donné que nous travaillons sur un wiki et que tout le monde les modifie un peu comme il veut. LITW : Comment est-ce qu’on fait un IVV ? Louis : Comme nous venons de le dire nous travaillons sur un wiki puis nous nous réunissons pour la relecture finale. Naïké : Ensuite en général Louis se tape seul la mise en page le dimanche matin. Sinon la nouveauté de cette année c’est que nous avons décidé pour la première fois d’organiser des réunions pour préparer le magazine… Denis : En fait nous repoussons généralement la parution d’une semaine par rapport à ce que nous avions prévu parce que nous sommes trop à la bourre. LITW : IVV n’est-il pas le pendant politiquement incorrect au sein du temple du politiquement correct qu’est Sciences Po ? Denis : Le truc c’est que comme nous sommes publiés au sein de Sciences Po nous sommes intégrés au système malgré nous. Le système Sciences Po a cette particularité qu’il cherche sa propre contradiction. Nous avons une posture de « rebelles » mais nous en rigolons nous-mêmes car ça ne veut absolument rien dire. Nous faisons juste ce qui nous fait plaisir. Tout ce que nous attendons c’est qu’il y ait un peu de concurrence, les médias de Sciences Po sont si facilement critiquables. A chaque numéro on nous reproche d’être soit trop mous soit trop féroces.

« A chaque numéro on nous reproche d’être soit trop mous soit trop féroces. »

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LITW : Vous avez déjà eu des problèmes avec l’administration de Sciences Po ? Denis : Nous en avons eu quelques-uns mais assez peu au final. Il y a eu un moment cet incident avec Annick Stetta, l’assistante de Dominique Strauss-Kahn alors qu’il était encore professeur à Sciences Po. Alors que nos articles étaient bourrés de sous-entendus sur sa (quasi certaine) relation sexuelle avec DSK, elle nous a interpellé là où ne nous y attendions pas. Nous avions écrit, ce qui était vrai, que DSK ne connaissait pas ses cours et qu’il était payé une fortune pour lire des papiers préparés par son assistante. C’était en plein milieu des primaires socialistes et Stetta est venue nous voir en disant : « N’écrivez surtout pas qu’il ne connaît pas ses cours, vous imaginez ce qu’il se passerait si des journalistes venaient à l’apprendre ? ». Enfin bon ce n’était peut-être qu’un prétexte… LITW : Vous arrive-t-il de vous autocensurer ? Louis : Nous prenons généralement des pincettes. Nous mettons du conditionnel de prudence, des « peut-être »…IVV est un journal qui se lit entre les lignes. Nous faisons passer l’info à demi-mot. Plutôt que de nous censurer nous nous couvrons au maximum. Denis : Nous avons quand même un certain nombre de principes, notamment tous les noms cités sont uniquement des noms de personnes « publiques », des personnes qui l’ont donc quand même un peu cherché. LITW : Pour vous le journalisme jeune c’est quoi ? Louis : C’est nous ! Non plus sérieusement ça permet de bénéficier de structures qu’il n’y a pas forcément dans la presse professionnelle, de se faire imprimer pour pas trop cher et surtout d’avoir une certaine liberté éditoriale. Par contre l’audience est bien plus réduite. Naïké : Le journalisme jeune ne doit surtout pas être une copie du journalisme professionnel même si c’est vrai que c’est souvent une plate-forme pour ceux qui veulent faire du journalisme professionnel. Cela nous permet de traiter les sujets qui nous tiennent à cœur, d’être créatifs dans le style et dans l’écriture. Propos recueillis par Alexandre Marchand

« Le seul problème que nous avons eu avec Sciences po, c’est quand nous avons écrit sur la « quasi certaine » relation sexuelle de notre professeur Dominique Strauss-Kahn avec son assistante. »

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Ethan

Palmer

E t u d i a n t a m é r i c a i n

LINTERVIEW.fr : Bonjour Ethan, pourrais-tu te présenter? Ethan Palmer : Je suis un étudiant américain et je passe un an en France pour étudier à l’étranger. J’habite au Connecticut aux Etats-Unis et vais à l’université de Brandeis en troisième année, près de Boston. J’ai 21 ans, j’aime faire du sport, suivre la politique, voir des films et sortir avec mes amis. Je suis gros supporter de deux choses : les Red Sox (une équipe de base-ball à Boston) et Barack Obama. J’aimerais faire de la politique et peut-être être candidat au Congrès ou au Sénat américain un jour. LITW : Quel cursus suis-tu? E. P. : Mes deux spécialisations (majors) à l’université de Brandeis sont la science politique et le français. La plupart de mes cours sont des cours de science politique, de sociologie et de français. Cette année, je suis en France et je prends la moitié de mes cours à Sciences Po pour en apprendre plus sur la politique en Europe. Il est probable que j’écrive une thèse l’année prochaine, étant donné que c’est ma dernière année d’université, sur la science politique. LITW : Que penses-tu qu'il faudrait changer dans le système éducatif américain? E. P. : Il faut bien sûr changer le prix des universités. La plupart des universités privées aux Etats-Unis coûtent environ $45 000 (30 000 €) par an. Même les universités publiques ne sont pas bon marché. Il y a un peu d’aide sociale de la part du

gouvernement mais c’est toujours plus difficile pour quelqu’un qui est pauvre mais brillant d’aller dans une université prestigieuse que pour quelqu’un qui est d’intelligence moyenne mais très riche. J’ai eu de la chance d’obtenir une bourse de Brandeis, autrement ça serait trop difficile de payer. J’admire le fait que les universités soient beaucoup moins chères en France. LITW : Quel regard portes-tu sur le système éducatif français? E. P. : Je suis très impressionné par certaines choses du système éducatif français mais pas par d’autres. Je pense que c’est incroyable que les lycéens français apprennent deux ou trois langues étrangères. Aux Etats-Unis, on n’apprend qu’une autre langue, et ce n’est même pas obligatoire ! Je trouve un peu bizarre aussi que toutes les écoles de la France avant l’université doivent suivre le même programme d’études. Dans mon pays, les profs enseignent ce qu’ils veulent. Je ne suis pas sûr que cela existe dans les autres universités mais, à Sciences Po, je suis fasciné que tous les cours aient une durée de deux heures. A l’université de Brandeis, les cours sont de cinquante minutes trois fois par semaine ou une heure et demie deux fois par semaine. Peut-être que les Français peuvent concentrer mieux que les Américains ! Propos recueillis par Alexandre Marchand

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