le nouvel apprenant, entre pédagogie et design didactique

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1 Le nouvel apprenant, entre pédagogie et design didactique ou le designer comme initiateur, une collaboration à l'enseignement. __ Écrit par Paul Buros. __ Janvier 2012.

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Mémoire Master Design - ESADSE - 2012

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Le nouvel apprenant, entre pédagogie et design didactique

ou

le designer comme initiateur, une collaboration à l'enseignement.

__

Écrit par Paul Buros.

__

Janvier 2012.

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Sommaire

P. 4 Introduction

P. 13Le premier chapitre replace le designer dans le contexte de ses origines, pour expliquer les éléments de son apparition, à cheval entre le champ de la création et celui de l’industrie. Au travers de l’affirmation de cette discipline il m’a semblé intéressant de montrer comment sont nées les formations spécifiques au design et ce qu’elles engagent comme aptitudes.

P. 13 Origines du designP. 17 Formation du designer

P. 23Le deuxième chapitre montre divers aspects du design. La pratique s’est diversifiée dans des spécialités particulières et je me base sur certaines d’entre elles pour préciser ce qu’apporte le designer dans la transmission des biens matériels et immatériels grâce à des capacités spécifiques.

P. 23 Le design graphiqueP. 24 Design d’informationP. 27 Un travail didactique : impliquer le public dans la découverte de nouvelles connaissancesP. 30 Responsabiliser s’impliquer face aux systèmes établisP. 32 Design d’interaction

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P. 39Le troisième chapitre aura pour volonté de montrer l’importance de ces pratiques non-expertes que le designer ne doit pas ignorer. Car parallèlement et grâce aux tech-nologies de réseaux, l’importance de participation des individus se développe. 

P.39 L’amateur connecté

P. 49Le quatrième chapitre est une parenthèse un peu plus technique pour expliquer les enjeux et les problèmes liés au média Internet d’un point de vue informationnel qui touchent toutes les générations.

P. 49 Classement des données internet ... P. 50... Un problème même pour les plus jeunesP. 53 Capacité de traduction du code

P.59Le cinquième chapitre pour finir, expose quelques réponses à l'ap-prentissage numérique. Les propo-sitions faites dans ce domaine puisent principalement dans le langage informatique comme le font les jeux éducatifs notamment.

P. 59 Des esquisses de solutions

P. 63 Conclusion

P. 68 Bibliographie

P. 72 Biographie

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Introduction

Depuis la révolution industrielle, l’implication de l’homme à faire évoluer les techniques et les machines n’a jamais cessé de s’accélérer. Des outils industriels aux médias ( comme la télévision ), les sociétés sont aujourd’hui régies par de nouveaux paramètres liés aux technologies de réseau. Ces intermédiaires entre nous et le monde évoluent et changent nos repères. L’importance de circulation de biens immaté-riels influe sur notre rapport à l’objet qui se confond dans l’interface. Mais aussi et surtout sur notre capacité à traiter la quantité d’informations 1 diffusées toujours plus rapide-ment. Ce progrès apparent est questionné par Paul Virilio 2 qui explique que si autrefois la vitesse des transports était une source de pouvoir 3, c’est aujourd’hui la vitesse de trans-mission qui domine. Les informations circulent en effet plus vite que les marchandises. Au travers du Web 4 l’action physique de l’utilisateur est infime, pourtant elle lui permet d’aller chercher loin des contenus variés dans un laps de temps quasi instantané. Il advient alors une réduction des distances, une « disparition de la géographie », comme le formule Paul Virilio, qui, au travers de « la propagande du progrès 5 » conditionne nos comportements.

Le livre en tant que support imprimé, a modifié la façon de transmettre des informations 6. En les diffusant et en multi-pliant les accès à la connaissance, il a permis une certaine démocratisation des savoirs. Aujourd’hui les technologies numériques s’imposent comme des diffuseurs multitâches d’informations qui rendent l’interaction possible entre l’homme et la machine. Les flux et le traitement des don-nées sont alors modifiés et influent sur les structures exis-tantes tant d’un point de vue social qu’économique.

1 Le terme information est compris au sens large. Plus qu’un renseignement il repré-sente toute donnée porteuse de sens mais aussi le signal qui la transporte. 2 Paul Virilio, en tant qu’urbaniste et philosophe est spécialiste des questions stratégiques concernant les nouvelles technologies. Cf. biographie. 3 Il fait ici référence aux conquêtes maritimes notam-ment ou encore au développe-ment des réseaux ferrés. 4 Si Internet représente le réseau global virtuel qui relie les ordinateurs entre eux à l’échelle mondiale, le Web est le système d’interface qui nous permet de matérialiser l’information et d’utiliser ce réseau. Nous voyons Internet par le filtre Web. 5 Ces deux citations sont issues d’une interview de Paul Virilio par Stéphane Paoli à la Fondation Cartier durant l’exposition Terre Natale avec Raymond Depardon en 2008. 6 Avant la création de la forme livre comme support d’écriture les savoirs se transmettaient exclusivement à l’oral. Dans l’antiquité les maîtres tenaient à conserver cette forme de transmission qui leur assurait le pouvoir de celui qui sait et un contrôle sur l’éducation.

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Dans ce contexte je m’interroge sur la nature de ces données, et sur le potentiel des récents supports cognitifs à être des vrais outils d’apprentissage. J’ai toujours cultivé un grand intérêt pour les mécanismes liés à la pédagogie, les façons d’enseigner. Il m’est apparu cohérent pour moi de réfléchir à ce que pourrait être une pratique du design, influencée par les théories de l’éducation qui cherchent à préparer l’enfant à être un acteur conscient de la société. Le desi-gner « contribue en effet à la mise en forme de contenus et à l’organisation des conditions de circulation des biens matériels et immatériels 1 ». Il est donc potentiellement capable de comprendre et de gérer ces données générées par les nouveaux médias pour les rendre lisibles. J’imagine qu’il serait alors un complément à l’école qui ne semble pas en mesure d’intégrer l’outil numérique dans un réel proces-sus pédagogique. Il faut redonner une perspective à ces in-novations en permettant aux utilisateurs de les comprendre afin de leur réatribuer leur rôle cognitif 2.

Annick Lantenois 3, fait une introduction à ces nouveau en-jeux à l’occasion du festival international de l’affiche de Chaumont Elle se sert de la sociologie pour illustrer les orientations du design dans des contextes économiques et technologiques. Le designer, parce qu’il est soumis à la commande, est en lien étroit avec les ressources humaines et matérielles qui l’entourent. Si dans un contexte de révolu-tion industrielle, où la machine est omniprésente, l’individu est conditionné par l’action de la société, il doit aujourd’hui agir. D’un système hiérarchique qui ne laisse pas la place à l’initiative, il faut désormais, grâce aux réseaux, arriver à une organisation linéaire qui permette aux idées même minimes d’avoir un impact sur l’évolution globale. Le desi-gner doit donc rester critique face au pouvoir économique et politique et trouver une autonomie 4 qui ne réduise pas sa création à un format standardisé.

De nouveaux modèles, comme l’économie cognitive ou le Libre, rendus possible par Internet et le Web 2.0 5 notam-ment mettent en avant le partage et la circulation des connaissances comme une nouvelle ressource. Les pratiques amateurs se voient donc mises en avant par l’ importance grandissante des rôles de chacun dans la contribution à l’innovation et au dessin d’une société en mouvement.

1 Annick Lantenois, Le vertige du funambule. Le design graphique, entre économie et morale, p. 11

2 La cognition représente la faculté de l’être humain à connaître. En psychologie, la cognition se rapporte aux processus par lesquels un être vivant acquiert des infor-mations sur son environnement. 3 Annick Lantenois enseigne l’histoire et la théorie du graphisme à l’école régionale des beaux-arts de Valence. Cf. biographie.

4 La notion d’autonomie sera principalement abordée sous l’angle de la production auto entreprise et auto-gérée d’un projet par un individu en marge d’un système économique classique. Cf. Hakim Bey, The Taz. 5 Le Web 2.0 est une évolution fonctionnelle et conceptuelle du Web qui se construit sur une participation des utilisateurs. Ils contribuent en apportant des contenus partagés.

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L’école est impliquée car elle reste indispensable dans l’accès à l’enseignement qu’elle offre à tout le monde. Ce socle commun est pourtant aujourd’hui en retard sur les mises à jour qu’offre le support numérique 1.

En quoi le designer, qui est souvent réduit à répondre à la commande au travers d’un marché établi et limité, est-il aujourd’hui, grâce à ses compétences et un nouveau contexte technologique, amené à avoir un rôle dans la transmission des connaissances par la création de supports adaptés en s’impliquant dans des processus didactiques voire pédagogiques ?

Plus qu’une étude, il s’agit pour moi d’expliquer mon statut de designer au travers d’exemples ouverts à différents champs de la recherche comme la sociologie, la pédagogie, la technique… Je ne suis ni sociologue ni expert en science de l’éducation mais j’affirme l’importance pour le designer de s’inscrire dans un ensemble pluridisciplinaire pour ques-tionner le territoire sur lequel il agit. L’évolution de notre métier dépend en partie du contexte, en ce sens qu’il existe au travers de nécessités objectives ( la commande en est une ), il est aussi cependant à construire, à envisager par une pensée plus abstraite et optimiste. L’apparente déma-térialisation des données et le nouveau langage « code », qui régit les systèmes informatiques, invite le designer à intervenir sur l’organisation des choses, en amont d’une quelconque réponse formelle, en s’impliquant dans des pro-cessus de travail.

C’est par cet engagement que je justifie l’emploi de la première personne. Ce texte sera pour moi l’occasion de m’exprimer au travers d’expériences concrètes, de réflexions soulevées par des intellectuels, des praticiens de divers domaines aus-si en lien avec le design. Ce mémoire est un lien entre mon passé d’étudiant qui m’interroge sur mes acquis, comment on me les a transmis, et une vision ouverte sur les possibi-lités de mon action à venir.

Dans un premier, chapitre je commencerai par replacer le designer dans le contexte de ses origines, pour expliquer les éléments de son apparition, à cheval entre le champ de la création et celui de l’industrie. Au travers de l’affirma-

1 Cf. Site Web du ministère de l’éducation nationale concernant le numérique et la Technologie de l’Information et de la Communication (TIC) plus particulièrement.

Cf. rapport eEurope, Une société de l’information pour tous, 2000. http://consilium.europa.eu/ueDocs/cms_Data/docs/pressData/fr/ec/00100-r1.f0.htm Il y a des initiatives pour faire rentrer le numérique à l'école, mais il y a encore très peu de résultats sur l'efficacité de ces tests.

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tion de cette discipline il m’a semblé intéressant de montrer comment sont nées les formations spécifiques au design et ce qu’elles engagent comme aptitudes.

Suite aux réflexions plus théoriques portées sur le design, diffusées par des écoles, la pratique s’est diversifiée dans des spécialités particulières. Dans le deuxième chapitre je me base sur certaines d’entre elles pour préciser ce qu’ap-porte le designer dans la transmission des biens matériels et immatériels grâce à des capacités spécifiques. Cette ana-lyse me conduit à des exemple de projets déviant en ce sens qu’ils proposent des critiques au rapport qu’entretient le designer à la commande et au système normé proposé par le capitalisme. Où trouve t-il sa singularité en parta-geant son statut d’auteur ? Il s’agira aussi de voir comment il intervient aujourd’hui au travers des nouvelles technolo-gies en s’adaptant aux supports.

Parallèlement et grâce à ces même outils de réseaux se développe l’importance de participation des individus. Le troisième chapitre aura donc pour volonté de montrer l’importance de ces pratiques non-expertes que le designer ne doit pas ignorer. Ainsi nommé amateur 1, cet acteur est à reconsidérer dans le système global des échanges de connaissances.

Quatrièmement, je ferai une parenthèse un peu plus tech-nique pour expliquer les enjeux et les problèmes liés au média Internet d’un point de vue informationnel. En effet la base de ces échanges entre le designer et ses contempo-rains et la captation des données, potentielles sources de savoir, sont régies par un système inadapté. Le classement Internet n’est pas optimisé à rendre l’information claire. Il requiert cependant des connaissances et des aptitudes spécifiques qui doivent être apprises même chez les plus jeunes. Les nouvelles générations ont un autre rapport à ces nouvelles technologies que leurs aînés et se les réappro-prient semble-t-il plus vite.

Pour finir, nous verrons que des solutions sont apportées qui puisent dans le langage informatique comme le font les jeux éducatifs notamment. Cependant, je m’attacherai à montrer que ces initiatives ne peuvent pas se faire hors d’un parallèle avec l’école, encore moins au détriment de celle-ci. Ce serait s’éloigner de repères indispensables et je propose que le designer trouve un rôle dans la mise en dialogue du monde numérique et du monde pédagogique.

1 Cf. L’amateur connecté, p. 39. Cette notion désigne celle d’une pratique non experte, non profes-sionnelle le plus souvent motivée par un simple intérêt que l’on porte à une chose et sur laquelle on devient connaisseur.

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Carte Française du web 2.0Représentation des éléments mis en jeu au travers du nouveau Web. L'original est réalisé par  Markus Angermeier en 2006.

Pivolo, 1925Affiche. Lithographie. 97 × 130 cmHachard & Cie, ParisCollection Susan J. pack, New York City.

Dessinée par Cassandre, cette affiche publicitaire suit une grille de construction stricte qui donne  un aspect très géométrique et figé aux formes qui composent  l'illustration.

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Origines du design

Au XIXe siècle, la révolution industrielle fait passer l’homme d’une activité artisanale, manuelle et restreinte, à une ac-tivité de production sérielle abondante grâce à des outils mécaniques. La machine remplace l’action humaine en lissant toute trace ou accident qui rendait l’objet, sinon imparfait, du moins unique. La mécanisation influe sur la forme même des objets mais aussi sur les comportements humains. Du point de vue du producteur, qui passe du statut d’artisan à celui d’ouvrier, il y a une modification du rapport qu’il entretient avec ce qu’il fabrique. Physiquement il n’agit plus avec la même posture, les mêmes gestes ; men-talement, il est dépossédé de son emprise sur l’objet. Son savoir-faire est déplacé vers une hyper-spécialisation et amoindri par une division des étapes de fabrication. Il ne porte plus un regard global sur le travail, de la conception à la réalisation.

Le Fordisme 1 en 1908, exemple plus tardif, illustre parfaite-ment ce système de fonctionnement basé sur la rationalisa-tion des tâches et une division du travail. L’industrie initie alors une fabrication importante d’objets similaires. Ces derniers sont pensés pour être idéals dans leur forme et leur fonction. Apparaissent alors des objets standardisés 2 conçus pour convenir à un grand nombre de personnes et durer dans le temps. Appuyé à grand renfort de publicité ce modèle, complice d’un capitalisme grandissant est rendu possible par un changement progressif mais profond des us et coutumes. Le marketing naît en effet dans ce be-soin de séduire le client pour vendre et le convaincre de la cohérence de ses achats avec ses besoins. L’image publi-citaire 3 prend une place de plus en plus importante dans le paysage urbain principalement. Pourtant, ce qui paraît

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Chaîne de production de la Ford T.

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Exemple d’objet standard, cette chaise Polyprop de Robin Day revêt des qualités de confort et de solidité qui en font l’assise classique des collectivités et des écoles notamment. Elle est robuste et de fabrication simple (tube d’acier plié et plastique moulé) qui en fait un produit conçu pour la production industrielle de grande série. ( De 1963 à aujourd'hui ) 3 Cf. image page précédente.

Le premier chapitre replace le designer dans le contexte de ses origines, pour expliquer les éléments de son apparition, à cheval entre le champ de la création et celui de l’industrie. Au travers de l’affirmation de cette discipline il m’a semblé intéressant de montrer comment sont nées les formations spécifiques au design et ce qu’elles engagent comme aptitudes.

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être un appauvrissement de la forme, du goût et même de la fonction constitue, comme le souligne Bernard Stiegler 1 « une période de fertilité particulièrement extraordinaire » et en cela « l’industrialisation n’est nullement la mort de la culture 2 ». En effet, cette ère industrielle aura été le théâ-tre de nombreuses innovations, rendues possibles par une grande vivacité de l’esprit humain.

C’est dans cette ambivalence, entre appauvrissement et richesse culturelle, qu’émerge le designer qui est le trait d’union entre une industrie florissante et une sphère artis-tique, mue par la créativité. Il fait, dans un premier temps, partie intégrante du système industriel et le sert en cap-tant les données de son époque pour apporter, au travers des objets notamment, une réponse formelle au confort et à l’esthétique. Il met donc en œuvre ses compétences en travaillant sur des notions de maniabilité, d’ergonomie, de sécurité, en dessinant, modelant et testant les matériaux. Sa démarche est directement liée aux contraintes du monde industriel et cependant, il détient des compétences inhéren-tes à l’artisan en ayant une vision globale du processus de production des objets. La démarche fondamentale du de-signer trouve alors un écho aux revendications du mouve-ment Art & Craft 3 qui, dès la fin du XIXe siècle, fait l’éloge de l’atelier comme lieu de production géré en ce sens que le producteur est maître de tous les facteurs de sa production. Pourtant ces idées portées notamment par William Morris et John Ruskin 4 se développent en réaction à cette même industrialisation. Pour eux, elle est synonyme d’une baisse de qualité de la production et nuit à l’homme.

Le designer reste, de manière générale, prisonnier de la célèbre formule « form ever follows function and this is the law 5 » et reste en lien étroit avec le milieu de l’industrie dans lequel il trouve sa renommée au travers de lignes sou-ples et de forme ergonomique, faisant oublier les procédés mécaniques qui les génèrent.

Dans les année 1930 des designers comme Raymond Lœwy 6 popularisent cette discipline. Il fait partie des autodidactes qui ont su répondre, grâce à une certaine intuition, aux besoins de leur temps. En effet l’enseignement du design n’en était encore qu’à ses débuts et il y avait une certaine instantanéité dans la pratique qui n’était pas autant intel-lectualisée qu’aujourd’hui.

1 Bernard Stiegler est un philoso-phe français qui axe sa réflexion sur les enjeux des mutations actuelles - sociales, politiques, économiques, psychologiques, portées par le développement technologique et notamment les technologies numériques. Cf. biographie. 2 Bernard Stiegler dans « L’adresse à tous. Pour les fonds régionaux de singularités inconsommables, non contemporaines et intempestives. »

3 Le mouvement artistique Art & Craft (Art et Artisanat) initié vers 1860 en Angleterre se développe parallèlement au style Art Nouveau au travers de formes inspirées de la nature et de dessins très organiques. C’est une réaction qui s’oppose au fonctionnement même de l’industrie mais aussi aux formes pauvres qu’elle produit. 4 Ils sont respectivement : designer textile, imprimeur, écrivain, poète, conférencier, peintre, dessinateur et architecte ; et écrivain, poète, peintre et critique d’art, tous les deux britanniques. 5 « La forme suit toujours la fonc-tion, c’est la règle. » Citation de l’architecte américain Louis-Henri Sullivan extraite de l’article « The Tall Office Building Artistically Considered » publié en 1896. 6 Raymond Lœwy était un designer industriel et graphiste autodidacte ayant surtout travaillé aux USA.

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Tracteur Farmall de l’International Harvester C°, avant et après le travail de Raymond Lœwy. →

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Ces schémas extraits de l'ouvrage Le Bauhaus de Chicago. L’œuvre pédagogique de László Moholy-Nagy illustrent l'importance théorique que les initiateurs du Bauhaus donnaient à leur vision d'un enseignement de cette discipline. Ils rendent visibles les étapes d'apprentissage au travers des différents cycles du programme.

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Formation du designer

Au début du XXe siècle le designer se forme en général seul. Ce métier naissant qui cherche encore son nom est mû par un idéal, une pensée plus que par une compétence spécifi-que ou un besoin précis. Il existe à cette époque, ou bien des formations très techniques, ou bien des formations ar-tistiques dispensées par les diverses écoles d’art, mais pas de formation au métier de designer comme on l’entend aujourd’hui.

Assez rapidement pourtant Walter Gropius 1 fonde le Bauhaus 2. Aidé d’autres artistes, cette école construite à Weimar en Allemagne en 1919, englobe une formation à l’architecture, aux arts plastiques et au design. Cette am-bition pédagogique innovante est rapidement compromise par les événements historiques et une nouvelle école ouvre en 1937 pour peu de temps à Chicago sous la direction de László Moholy-Nagy 3. Le New Bauhaus 4, comme le Bauhaus, aura une grande influence sur l’enseignement dans les nouvelles écoles d’art et sur la théorisation du design. Je m’intéresse plus particulièrement à la réflexion de ce photographe devenu enseignant qui a écrit sur sa méthode.

Ce qui se passe dans un premier temps au travers de cette école, c’est une tentative de réponse à une question gran-dissante qui porte sur l’enseignement de l’art : Comment l’enseigner ? Doit-on l’enseigner ? Ces interrogations encore actuelles 5 se posent dans toutes les écoles d’art et soulè-vent pourtant des réflexions que l’on retrouve dans d’autres types d’enseignement, au travers des recherches sur la pé-dagogie de l’enfant particulièrement. Mon propos n’est pas de rentrer dans le débat, il n’y a en effet pour moi que des possibles et c’est à l’apprenant de décider s’il a besoin ou non d’une structure pour se former. Mon propos porte sur un autre aspect qui est visible dans la création du Bauhaus et que Moholy-Nagy arrive à théoriser. La réflexion que l’artiste, le designer porte sur ses propres compétences le pousse à se questionner sur l’enseignement de ces dernières mais surtout sur leur transmission. Dans ces nouvelles éco-les ce sont ces mêmes designers et artistes qui remplacent le professeur en dispensant une matière pédagogique. Non pas comme le peintre de la Renaissance qui, en tant que maître montrait le bon geste à ses disciples, mais en défi-nissant les termes même de ce qui fait un artiste, un desi-

1 Walter Gropius est un architecte, designer et urbaniste allemand. Cf. biographie. 2 Le terme Bauhaus est aussi utilisé pour désigner un style, dans l’architecture, le design principale-ment et un mouvement artistique.

3 László Moholy-Nagy, hongrois est un peintre, un photographe et théoricien de la photographie. Cf. biographie. 4 Cf. image page précédente.

5 Cf. Artpress2 n°22 « Écoles d’art, nouveaux enjeux. » ( août, sept, oct 2011 )

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gner. Il y alors une théorisation proposée dans ce domaine spécifique qui met en avant des compétences particulières au design et aux pratiques artistiques en général. De ces théories naissent des programmes pédagogiques que l’on retrouve aujourd’hui dans la majorité des écoles d’art.

Pour László Moholy-Nagy « La forme ne procède pas seule-ment de la fonction, elle procède également des progrès de la science, de la technique et des arts ainsi que du contexte sociologique et économique d’une période donnée, ou en tout cas elle devrait le faire 1. » En affirmant un point de vue différent de celui Sullivan qu’il reformule, il montre l’importance de la prise en compte du contexte dans les aptitudes du designer et le besoin de contemporanéité de la discipline qui doit sans cesse s’adapter, se renouveler mais aussi innover. Au travers de cette conscience il ne s’agît plus de former simplement des experts de la tech-nique mais de prendre en compte l’apprenant comme un être doué de capacités singulières et capable d’initiatives individuelles. Je fais référence ici à l’école nouvelle et aux pédagogies actives 2 dont les origines sont bien plus ancien-nes mais qui partagent pourtant certaines convictions de Moholy-Nagy.

Il y a au travers de toutes ces méthodes la conviction que tout le monde est en mesure de devenir créateur au travers d’un enseignement qui le laisse s’épanouir en préservant son autonomie d’action et de décision. La nécessité de ne pas trop sectoriser les compétences trouve son explication, pour les métiers de la création, dans la première phrase du programme idéal du New Bauhaus : « Nous savons que l’art ne peut être enseigné, seul la voie vers l’art le peut 3. » Il n’y a pas de « recette » et chacun doit conserver la possi-bilité d’exprimer sa vision et son approche de la discipline au travers d’une action, d’un travail personnel.

Dans ce nouveau contexte où le design est enseigné comme une discipline à part entière, le designer se voit confronté à de nouveaux enjeux et à une diversification de ses champs d’action. Il devient designer produit, graphique, sonore, culinaire, management ...

C’est sans doute cela qui perturbe tant, et qui rend difficile la définition, la dénomination de ce métier qui existe au travers de compétences, de parcours et d’individus si sin-guliers. Le designer pratique une activité qui est, comme pour l’alpiniste 4, difficilement estimable, saisissable en ce

1 Alain Findeli, Le Bauhaus de Chicago. L’œuvre pédagogique de László Moholy-Nagy.

2 Ces recherches sur l’éduca-tion avaient pour but principal l’implication de l’enfant dans le processus de son apprentissage en le rendant responsable par une pratique autonome d’activités le plus souvent manuelles.

3 Alain Findeli, op. cit. p. 46

4 Cf. texte de couverture.

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sens qu’il n’est pas rattaché a des référents stables comme la vitesse (km/h) ou la hauteur (m) pour certains sportifs. Ses compétences reposent pourtant sur des choses simples, accessibles à tout le monde. « Nous sommes profondément convaincus que chacun a du talent ; que chaque personne saine peut devenir musicien, peintre, sculpteur, tout comme en parlant, on est parleur 1. » comme le précise Jean-Gabriel Tarde. On prend ici conscience que c’est simplement la pra-tique qui nous amène à la maîtrise, nous faisant oublier qu’un jour il y a eu une phase d’apprentissage. Si la pra-tique dans cette forme d’enseignement est libre, large et personnelle, elle transmet alors à l’étudiant une vision des possibles bien plus grande que ne lui offrirait une forma-tion trop spécialisée.

Les premières compétences enseignées en école d’art sont sim-plement liées à un développement des sens et répondent à des problématiques de langage qui permettent une ouver-ture sur notre environnement. Il y a un passage par la pra-tique et l’expérimentation qui ouvre ce champ linguistique. Si nos cultures ont privilégié la parole à d’autres formes de communication, ce n’est pourtant pas notre seul moyen d’interagir avec les autres et de leur faire comprendre nos idées. Le dessin est un exemple fascinant pour expliquer cela quand on le compare à l’écriture 3. Le dessin est bien souvent un de nos premiers moyens d’expression, il n’est pourtant pas rare de mettre un adulte en situation de gêne ou de honte en lui demandant de dessiner quelque chose. Ce moyen est considéré comme un don alors qu’il est une compétence qui s’acquiert en apprenant à regarder. C’est un travail d’analyse de son environnement avant d’être la maîtrise d’un outil, celui-là même qui sert à l’écriture. Le dessin comme image est pourtant un moyen indispensa-ble au designer pour communiquer sur son travail car il est facilement compris des autres, extérieurs à son domaine.

« Pour pouvoir parler, il faut parler la même langue, et cha-que locuteur tend à synchroniser sa manière de parler avec celle de son interlocuteur. Mais en même temps, pour que les locuteurs aient quelque chose à se dire, il faut qu’ils ne disent pas la même chose, qu’ils ne parlent pas de la même manière 4. »

1 Jean-Gabriel Tarde, Les lois de l’imitation. Cf. biographie.

3

« Well then, draw a big fat Y and then on the two raised arms conti-nue the drawing with two more smaller and so on ... you’ll draw yourself a tree. » ( Bien, ensuite dessinez un gros Y puis sur ses deux bras levés continuez le dessin avec deux autres plus petits et ainsi de suite ... Vous dessinez vous-même un arbre. ) Bruno Munari, Design a tree, p. 83

4 Bernard Stiegler, « L’adresse à tous. Pour les fonds régionaux de singularités inconsommables, non contemporaines et intempestives. »

Cette planche extraite de From hieroglyphics to Isotype, est un travail d'Otto Neurat qui illustre la répartition des ouvriers dans différents corps de métier et statuts. Chaque figure représente 250.000 employés : rouge en économie d'état ; rouge clair en coopérative ; bleu en économie privé.  Données économiques pour l'année 1928–9.L'information est ici expliquée par divers éléments. Le décor de fond, complété du texte indique  le secteur d'activité. Les silhouettes humaines représentent une quantité d'hommes. La couleur définit le statut des employés dans ces différents secteurs. Enfin les petits signes noirs précisent le corps de métier.

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Le design graphique

Nous l’avons vu, le designer se construit au travers de compé-tences variées qui font, dans un premier temps, partie d’une expérience plus ou moins commune et d’outils accessibles à tous. Cependant, si le dessin peut être un moyen d’ex-pression, l’image de manière plus générale ( photographie, schémas, illustration… ) est, pour le designer et principale-ment en design graphique, le résultat de production d’une commande. « Il est l’un des instruments de l’organisation des conditions du lisible et du visible, des flux des êtres, des biens matériels et immatériels 1. » Ce travail nécessite donc d’autres compétences plus techniques et spécifiques et a pour but principal la transmission de données par la mise en forme de contenus, leur organisation graphi-que et leur hiérarchie Ses compétences lui permettent de rendre accessible des informations, de la plus simple à la plus complexe, à un public non averti, par une « syntaxe scripto-visuelle 2 » adaptée qui guide le regard et la lecture. Le graphiste donne ainsi forme à des affiches, des livres ou des interfaces aujourd’hui numériques qui véhiculent de l’information afin, entre autre, d’avertir, de renseigner, d’indiquer ou de faire comprendre.

Les connaissances spécifiques à cette discipline 3 reposent principalement sur la connaissance de la typographie qui s’intéresse au dessin des lettres, à leur différenciation mais aussi à leur classement et signification dans une relation historique et formelle. La typographie, qui est une compé-tence à part entière, amène à la composition du texte qui va le mettre en valeur et le rendre lisible. S’ensuit un tra-vail sur les images, les couleurs, les formes et leur sens en tant qu’éléments abstraits ou figuratifs qui fonctionnent en autonomie ou complètent le texte. Les éléments sont ensui-

1 Annick Lantenois, Le vertige du funambule, p. 11

2 Idem. L’expression employée signifie l’écriture d’un langage tex-tuel et imagé, c’est la composition, l’agencement de contenus textes et de contenus images afin de rendre le support final ( livre, affiche, interface ... ) porteur de sens.

3 Cf. Anne Denastas & Camille Gallet, Une initiation à la typo-graphie. Cet ouvrage s’attache à expliquer le travail du graphiste lors de la conception d’un livre plus particulièrement. Le traitement aéré de la composition et la per-tinence du choix des explications en font un référent abordable à un public large pour comprendre ce travail. Je renvoie aussi à la collection Les essentiels graphisme, édité chez Pyramyd ntcv qui traitent de manière plus détaillée et spécialisée des étapes relatives à la conception graphique de manière assez didactique.

Le deuxième chapitre montre divers aspects du design. La pratique s’est diversifiée dans des spéciali-tés particulières et je me base sur certaines d’entre elles pour préciser ce qu’apporte le designer dans la transmission des biens matériels et immatériels grâce à des capacités spécifiques.

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te organisés par un travail d’agencement. Dans un souci de transmission d’une information c’est la lisibilité qui prime sur l’effet. Dans un travail où l’expression est privilégiée, la composition sera plus subjective. Il y a des normes, des règles qui régissent le travail mais qui sont cependant en lien direct avec notre perception du monde et de notre culture ( format, sens de lecture, capacités visuelles ... ). Elles visent donc simplement à nous rendre l’accès à l’infor-mation plus aisé en prenant en compte notre façon de voir, de percevoir et de lire notamment. Le designer est donc en mesure, au travers de ce langage, de conférer un certain pouvoir de communication au support qu’il traite. Il invente aussi parfois de nouveaux langages pour adapter au mieux son propos et ce qu’il doit transmettre aux lecteurs.

Design d’information

En 1920 le philosophe autrichien Otto Neurath 1 et l’artiste et graphiste allemand 2 créent l’Isotype 3 pour International System of TYpographic Picture Education. C’est l’ancêtre de ce que nous appelons aujourd’hui pictogramme, cette figure simplifiée visant à illustrer une information ( objet, lieu, danger, corps de métier, matériaux … ) de la manière la plus simple et compréhensible possible. Ce nouveau lan-gage a pour origine l’enseignement par l’image, sans utili-ser les mots qui, à cause des différentes langues, divisent d’une certaine façon les individus. Tout comme la méthode Bernadette 4 à cette même période, qui vise à enseigner le catéchisme par l’image illustrée, Otto Neurath se déta-che du texte. Il y a cependant une intention plus grande au travers des Isotypes, c’est le désir d’établir un langage visuel universel, compris par tous et outrepassant les cultu-res et les âges. Il permet ainsi de « parler » de choses très complexes en les rendant accessibles sans pour autant les appauvrir. Le travail d’Otto Neurath et Gerd Arnts s’est aujourd’hui élargi, au travers du pictogramme, à la signali-sation de manière plus générale et a ouvert la voie à ce que l’on nomme design ou graphisme d’information.

Le travail du designer s’axe principalement sur la lisibilité et l’accessibilité des données. Cependant transmettre de l’in-formation ne signifie pas apprendre et, nous l’avons vu, les domaines couverts par ce traitement sont variés. Pourtant,

1 Il est aussi sociologue et écono-miste. Cf. biographie. 2 Cf. biographie. 3

Exemple d’Isotypes. 4 La Méthode Bernadette est avant tout un procédé d’apprentissage aux valeurs religieuses.Cf. image page suivante.

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Planches encyclopédiques, From hieroglyphics to Isotype, p. 136

1

Planche issue de la méthode Bernadette illustrant des diversions pouvant nuire à la concentration spirituelle. →

certains projets se rapprochent fortement d’une démarche éducative, voire pédagogique, même si cette intention par-ticulière apportée aux contenus à transmettre n’est pas af-firmée. L’encyclopédie universelle de Diderot et d’Alembert par exemple et l’encyclopédie 1 en général est un travail du texte et de l’image qui vise à transmettre du savoir sans pour autant être une méthode et sert plutôt d’outil. J’utilise simplement cette image pour montrer qu’un support qui transmet des connaissances et un support d’apprentissage sont deux objets distincts. Un certain nombre de produc-tions graphiques interrogent cette frontière.

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Aperçus du guide pour l'abbaye de Fontevraud. En haut à droite un plan de type élévation archi-tecturale permet un repère spatial dans le lieu à visiter. Des pointillés rouges induisent un sens de visite pour diriger le public. Les chiffres localisent les détails à relever. Pour les éléments éloignés ou pour lesquels il faut du recul, une flèche précise la direction du regard. Le grand chiffre rouge ren-voie au plan général situé sur la première page du livret. L'utilisa-tion d'éléments photographiques détourés contraste avec le dessin au trait. Le jeu est ancré dans une réalité et permet d'emmener un vrai souvenir visuel des rencontres formelles faites lors du parcours.

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Un travail didactique : impliquer le public dans la découverte de nouvelles connaissances

Transmettre de l’information passe par un travail spécifique qui vise à la rendre lisible. La lisibilité 1 ne suffit pourtant pas toujours à sa compréhension et pose parfois des pro-blèmes d’accessibilité, dus à une incompatibilité de langage ( culturelle, générationnelle ... ) entre le transmetteur et le récepteur. Certains artistes ou designers s’amusent à adap-ter leur travail à des situations particulières pour valoriser l’information et enclencher les rouages de la découverte, de l’éveil. Paul Cox 2 en tant qu’autodidacte sait se mettre à la hauteur de ceux qui font l’expérience de ses projets. Rencontré à l’occasion d’un workshop, il nous fait part de son intérêt pour la manière dont nous apprenons à devenir designers, ce que nous sommes capables de produire. Il se questionne aussi sur les méthodes d’enseignement. Suite à une commande de l’abbaye de Fontevraud pour la réalisa-tion d’un guide 3, il invite les visiteurs, petits et grands, à porter un regard nouveau sur ce monument d’architecture en le transformant, en l’améliorant, en jeu de piste. À l’aide d’un atlas spécialement crée par l’artiste dans une simpli-cité graphique, la visite propose de porter son attention sur des détails surprenants. C’est ainsi une cartographie nou-velle que propose Paul Cox, qui remet en scène, à sa façon, cette abbaye et y réinvente une série d’histoires à vivre.

Il prend donc part au processus de transmission et fait le choix, par le jeu, de divulguer simplement des informa-tions visuelles, formelles : des morceaux d’architecture. Le livret devient un outil d’apport de connaissances, non pas historiques, mais révélatrices du réel et de l’actuel. En plus de recevoir une donnée géographique, le visiteur est amené à apprécier de manière plus précise ce qui l’entoure. Par ce travail, il laisse une place aux choix individuels et à l’imagination. L’absence de texte en fait un objet qui parle à toutes les générations.

Un autre exemple de son travail m’intéresse, un projet appelé « Exposition à faire soi-même 4 » présentée au Centquatre 5 en 2008. Paul Cox y met à disposition un modèle réduit des salles du musée dans lequel on peut fabriquer leurs propres œuvres, à leur échelle. Dans des petits casiers il y a un grand nombre d’éléments, de formes et de cou-leurs variées, que le public peut agencer à sa guise.

1 Sous entendue ici l’expression claire d’un message au travers d’un langage commun. Ce terme est mis en confrontation avec celui d’intelligibilité qui signifierait alors l’assimilation du message perçue.

2 Paul Cox « peintre du dimanche pour qui chaque jour serait un dimanche » ( Dubufet ), est un artiste dont de nombreux travaux se rapportent à une activité de graphisme. Il a entre autre réalisé plusieurs livres destinés aux enfants. Cf. biographie.

3 Cf. images page précédente.

4 « Pendant cet atelier, on construira dans la maquette l’installation la plus grande et la plus belle possible. On commencera par réfléchir ensemble et par faire un projet avant de se mettre à l’ouvrage. L’installation terminée, on réalisera des petits personnages à l’échelle à l’aide de photographies découpées, que l’on placera dans la maquette. On photographiera le tout en essayant que ça ait l’air le plus vrai possible. Puis on archivera fièrement le résultat sur le site du CENTQUATRE. » Paul Cox.http://www.104.fr/#/fr/Artistes/Blog/B90-Paul_Cox 5 Le CENTQUATRE,104 rue d’Aubervilliers / 5 rue Curial - Paris (19e arr.)

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Le designer propose ici une manière d’aborder l’art en milieu muséal au travers d’un projet élémentaire. Il met simple-ment en avant l’expérience de la forme par la manipulation d’objets. Les visiteurs ne sont pas limités au regard mais peuvent toucher. Paul Cox leur donne ainsi une certaine maîtrise du musée en leur proposant, non pas d’être des visiteurs, mais des commissaires d’exposition en herbe. Comme l’écrit Bruno Munari le designer a aussi vocation à établir un lien entre l’art et le public.

Là encore l’importance est pour moi de montrer que le designer est en mesure de proposer plus que ce qu’on lui demande. Il s’implique dans des projets, la création d’objets, qui ren-dent l’expérience de l’utilisateur unique et surprenante. Ces productions comporte une part indéfinie qui prend forme au travers de l’utilisation et des choix du public. Je considère ces projets comme des objets conviviaux au sens ou l’entend Ivan Illich 1. Il montre l’importance pour l’homme de conserver son intégrité et son autonomie face à ce qu’il produit. « L’outil est convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire, à des fins qu’il détermine lui-même 2. »

Cette part du design, qui se rapproche parfois de certaines pratiques de l’enseignement ( comme celle de Frœbel 3 que connaît bien Paul Cox ), cherche à développer des connais-sances par le « faire ». Mais cette pratique reste souvent marginale ou mal définie. L’important n’est pas à mon avis de sectoriser un peu plus la terminologie design qui l’est déjà bien assez mais de mettre en avant l’importance de la diversité des compétences dans l’acte de création. Même face à la commande, il est possible de donner plus qu’un simple intermédiaire matériel entre le concepteur et le lecteur de l’information.

1 Ivan Illich, autrichien, est un penseur de l’écologie politique et une figure importante de la critique de la société industrielle. Cf. biographie.

2 Ivan Illich, La convivialité, p. 45

3 Frédéric Frœbel est un pédagogue allemand, initiateur. Il a notamment écrit De l’éducation de l’homme en 1826 et le Manuel pratique des Jardins d’Enfants en 1859. Cf. biographie.

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Ces pages tirées du carnet Autoprogettazione ?, d'Enzo Mari mettent en relation le plan d'un lit avec la photographie de l'objet monté. Les indications données par le designer au travers de cette nomenclature technique restent pourtant approximatives. Elles donnent une image de ce que pourrait être le lit une fois monté. Il n'y a cependant que des indications de quantité de matériel et des suggestions de dimensions. Le peu de précision de l'agencement des éléments entre eux suggère donc l'adaptabilité de ce mobilier.

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Responsabiliser s’impliquer face aux systèmes établis.

L’italien Enzo Mari 1 va plus loin à un moment de sa pratique où il se questionne sur sa manière de produire des objets. Dans Autoprogettazione 2 il met en lumière les différentes étapes de la conception. Il ne s’arrête pas à l’édition d’un objet en réponse à un besoin, mais présente un projet que l’on pourrait voir comme initiateur de ce que l’on nom-me aujourd’hui le Do It Yourself 3. Enzo Mari propose un catalogue, du nom du projet, qui présente des plans de montages à réaliser à partir d’éléments en bois simples par l’intermédiaire de schémas et de photographies. Il pro-pose finalement du mobilier à inventer et attribue ainsi au consommateur un rôle actif dans la production. L’idée de personnaliser son objet passe par la possibilité de s’appro-prier les plans simples de montage pour adapter le mobilier à ses besoins, ses moyens, son espace.

En plus d’impliquer l’autre dans sa démarche, Enzo Mari pose véritablement les enjeux de l’action du designer dans la remise en question de la production industrielle et stan-dardisée des objets, de la commande. L’utilisateur n’est plus confondu dans la masse d’une esthétique commune4 presque imposée. Il est impliqué dans la création et une confiance lui est accordée quant à sa potentielle capacité à innover, à trouver des solutions propres à ses nécessités. A l’opposé de l’objet standardisé qui proposait une forme unique en réponse à un certain besoin, on peut désormais trouver une vraie alternative. En effet il ne s’agit pas d’une simple personnalisation comme on nous le propose souvent aujourd’hui. Ce n’est pas non plus un kit comme le mobilier IKEA par exemple.

En plus de singulariser son objet, l’utilisateur prend part au processus de fabrication qui l’inclut. L’échange économique est alors différencié et l’acte de consommation est régulé par un investissement qui n’est pas simplement monétaire. L’acheteur-utilisateur se doit de s’arrêter pour penser, an-ticiper son action. Mais aussi juger et mettre à profit ses aptitudes de bricoleur. Au-delà, ce que transmet finalement le designer comme objet, ce sont des possibles. En donnant seulement des indications techniques, il ouvre la voie à ce que pourrait être le mobilier. En ce sens, il initie l’utilisateur à la pratique en lui cédant une part de ses connaissances.

1 Enzo Mari est un architecte, designer, illustrateur italien. Cf. biographie. 2 Planches issues du livre d’Enzo Mari.

3 Littéralement « faites-le vous même » le DIY est un mouvement qui se retrouve dans divers domaines et qui consiste à créer, ou monter des chose par soi-même. 4 En référence à Annick Lantenois, Le vertige du funambule. Le design graphique, entre économie et morale.

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Il lui transmet aussi la part de risque conjoint de la créa-tion dont le standard le protège, le prive.

Ces pratiques déviantes qui se proposent de détourner les rouages d’un modèle économique établi se retrouvent aujourd’hui projetées dans l’ère numérique. Des outils et des logiques propres à cet univers en expansion sont désormais disponibles. Émergent alors des initiatives, qui elles aussi questionnent le système et les pratiques. La répartition des individus, leurs types d’interactions et le flux des échanges matériels et immatériels sont redéfinis par les technologies de réseaux. Les individus restent, malgré leur répartition, leur individualisme, au plus proche de l’information et en capacité d’interaction avec celle-ci.

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Design d’interaction

Le développement des supports numériques et l’utilisation tou-jours plus grande d’Internet comme vecteur d’informations posent la question du traitement de ces dernières. Il ne suf-fit pas de scanner des livres et de les mettre en ligne pour les rendre accessibles. Notre rapport à l’écran notamment et au déroulement des contenus est à modifier. Dans le projet else if 1, Stéphanie Vilayphiou et Alexandre Leray 2 mettent en place une « plateforme en ligne de réflexion cri-tique, consacrée au design graphique, avec un focus sur la culture numérique. » Je passerai sur le contenu qui se veut assez ouvert car c’est ici la démarche qui me semble plus intéressante. La réflexion dans l’élaboration de cette mise en ligne prend en effet en compte le support de diffusion. Bien que l’idée d’une édition en aval ne soit pas exclue, les deux protagonistes du projet ont vraiment conçu ce ma-gazine numérique pour le Web. Ce choix vient du désir d’impliquer le lecteur dans une réflexion partagée et aussi de l’amener à être actif.

Dans l’interview 3 que donne < stdin > à Annick Lantenois, on comprend bien tous les problèmes relatifs à la mise en ligne de contenus participatifs qui conduisent souvent à des ex-cès, freins à ce genre d’initiative. En effet, le fait que toutes sortes de personnes, de profils différents, puissent commen-ter sans contrôle en amont, peut limiter la participation intellectuelle à des extrémismes politiques ou à des règle-ments de comptes. Pour éviter cela certains sites préfèrent ne pas donner la parole aux internautes 4. Tous les avanta-ges de diffusion et d’accessibilité qu’offre ce support, grâce notamment à des coûts réduits et une interaction possible ( contrairement au livre ), sont donc souvent contraints par cette même accessibilité qui remet en cause la pertinence des interventions.

À ce moment-là, il est facile de contourner le problème que pose ce support en se plaçant en détracteur des nouvel-les technologies. Ou en incriminant le danger qu’elles font courir à la pérennité des savoirs, au lieu de les penser comme des technologies cognitives. Le livre a soulevé des inquiétudes similaires 5 car, pour les intellectuels, ceux qui détiennent la connaissance, la démocratisation du savoir et son libre accès soulèvent des questions sur la validité du savoir quand ses sources sont multipliées. Pour le Web c’est plus flagrant car il n’y a pas d’éditeurs, d’imprimeurs

1 Le site n’est pas encore actif. Cf. http://www.issue-magazine.net/ qui est à l’origine du projet esle if et fonctionne sur le même principe de commentaires. 2 Ils sont < stdin >, un studio de design graphique et de médias, mélangeant design visuel et programmation pour des supports imprimés ou écrans. http://www.stdin.fr/

3 Annick Lantenois, Lire à l’écran, pp.91 – 111

4 Les groupes de presse par exemple, qui passent d'un support papier à un support Web limitent souvent la participation ou font payer.

5 Cf. Note 6 p. Introduction. De plus l’invention, vers 1440, de l’imprimerie (en Europe) attribuée à Gutenberg et qui permet la diffusion des ouvrages tirés en de nombreux exemplaires remet en cause le contrôle de l’Église sur les écrits.

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qui représentent des étapes de validation d’un ouvrage. Les craintes sont légitimes mais ne doivent pas être un argument en faveur des monopoles culturels 1. Ces sup-ports appellent au contraire de nouvelles compétences et une vraie réflexion quant à leur organisation et aux processus de leur mise en place.

Le designer a pour moi un rôle important à jouer dans cette optimisation des données. La nécessité pour lui de s’in-téresser aux coulisses de ces nouveaux possibles, dont le code 2 fait partie, est primordial. Son activité le contraint à évoluer et à se réapproprier les innovations. Il y a ici de nouveaux enjeux, un territoire qui reste à explorer, il ne peut l’ignorer. Dans else if, pour poursuivre l’exemple, la problématique principale a été le traitement des com-mentaires ouverts où les utilisateurs peuvent s’exprimer gratuitement sans nécessité d’enregistrement préalable.

Au lieu de contourner la question par un verrouillage de la participation, c’est la conception même du site qui permet un contrôle des apports extérieurs. Les commentaires ne sont pas destinés au texte dans son intégralité mais à des parties ciblées par les administrateurs. La régulation se fait alors naturellement car elle ne retient que les utilisa-teurs qui lisent réellement le texte leur proposant de s’ex-primer sur une notion particulière. Cette solution pensée montre, comme pour toute conception, qu’il y a besoin en amont d’une réflexion sur les processus de mise en place. Pourtant le Web s’est développé si vite et de manière si fragmenté qu’il semble avoir dérogé à la règle.

Au travers de ce projet en cours, comme dans celui d’Issue Magazine3 dont il est une évolution, les designers proposent un point de vue critique en rupture avec une démarche économique établie 3. Ils suivent alors les pas d’Enzo Mari qui se questionne, avec ses références, sur son rôle de conception et de fabrication de l’objet. L’offre de réappropriation faite par l’italien se retrouve, au tra-vers du code, dans le projet numérique du studio < stdin > où le design sert une réflexion engagée plus qu’un sys-tème établi et normé. Le designer donne ici les clefs pour une responsabilisation et une prise de conscience qui a pour but de déconnecter l’individu de son aliénation in-consciente au rapport marchand qu’il entretient avec les biens de consommation 4. Cette démarche vise à rompre

1 Les grands groupes industriels qui font de la culture une valeur marchande.

2 Le code est à prendre ici au sens de langage informatique. Ce dernier suit une évolution qui le rend toujours plus accessible dans son écriture. On est en effet passé d’une écriture composée de 0 et de 1 ( qui correspondent à la présence ou non d’un signal électrique ) uniquement compréhen-sible par la machine à, aujourd’hui, des interfaces qui permettent de visualiser et transcrire un code complexe en un texte classique. Cf. Leray Alexandre, Vilayphiou Stéphanie, (< stdin >), « Écrire le design. Vers une culture du code » dans Back Cover, pp.37 – 43

3 Cette plateforme crée par < stdin > est comparable au projet else if bien qu’elle ne traite pas des même sujets. http://www.issue-magazine.net/ 4 Ce n’est pas seulement une remise en cause du capitalisme et de la consommation, mais aussi une réflexion sur la place du designer et de la diffusion de son travail notamment autour des questions de licences propriétaires ou Libres.

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avec l’idée d’un design au « service de », qui se limite au confort et rend l’être humain assisté, « incapable de ».

De plus ces projets, tout comme le guide de Paul Cox, ont en commun une simplicité de traitement d’un point de vue visuel. Pour obtenir cette clarté, ils limitent l’information à la simple indication. S’en dégage alors une certaine évi-dence qui place le designer dans un rapport direct avec l’utilisateur. Sa crédibilité n’est pas masquée par des artifi-ces visuels qui l’enferment dans un formatage esthétique.

« The designer is therefore the artist of today, not because he is a genius but because he works in such a way as to rees-tablish contact between art and the public, because he has the humility and ability to respond to whatever demand is made of him by the society in which he lives, because he knows his job, and the way and means of solving each problem of design. And finally because he respons to the human needs of his time, and helps people to solve certain problems without stylistic preconception or false notions of artistic dignity derived from the schism of arts. 1 »

Cette importance de la participation des autres à la créa-tion se retrouve dans les technologies de réseaux comme Internet qui mettent à profit l’utilisateur comme contribu-teur. Le Web 2.0, fonctionne sur ce modèle participatif de mise en commun des contenus individuels dont le designer doit faire partie. En effet ce modèle va de pair avec une nouvelle économie appelée économie des connaissances ou économie cognitive 2 qui influe sur les modes de consomma-tion. Le designer doit s’intéresser à ces systèmes au fonc-tionnement linéaire ( par opposition au modèle ascendant et hiérarchique du capitalisme ) qui influent sur son mode de production et se basent sur la circulation des richesses. Le designer trouve ici une nouvelle légitimité mais ne doit pas oublier l’importance que donnent ces systèmes par-tagés aux autres individus. C’est le cas tout particulière-ment des «non-experts», que l’on appelle amateurs. Il sont en passe de devenir les principaux acteurs de nos sociétés futures par la mise en réseau de leur intelligence et de leur potentiel d’innovation.

1 « Le designer est donc l’artiste d’aujourd’hui, non pas parce qu’il est un génie, mais parce qu’il travaille de manière à rétablir le contact entre l’art et le public, parce qu’il a l’humilité et la capa-cité de répondre à toute demande formelle qui lui est faite par la société dans laquelle il vit, parce qu’il connaît son métier, la manière et les moyens de résoudre chaque problème de conception. Et enfin parce qu’il répond aux besoins humains de son époque, et aide les gens à résoudre certains problèmes sans apriori stylistique ou de fausses notions de dignité artistique dérivée de la scission des arts. » Bruno Munari, Design as Art, p. 32 2 « Le mode de production du capitalisme cognitif [...] repose sur le travail de coopération des cerveaux réunis en réseau au moyen d’ordinateurs [...] Il en résulte que le capital humain et la qualité de la population sont devenus d’ores et déjà le facteur crucial de la nouvelle richesse des nations. » Yann Moulier-Boutang, Le Capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation, p. 87

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Captures d'écran présentant les projets else if et Issue Magazine développés par le studio < stdin >.  La hiérarchisation des éléments est relativement similaire et est basée sur des colonnes fines contenant seulement les titres pour else if et un aperçu du texte pour IM. En cliquant sur l'une d'elles, sa largeur augmente et permet la consultation  de l'intégralité du contenu.

« Il est en effet troublant de devoir répondre à la question :  qu'est-ce qui différencie le  « bon graphisme » du « mauvais », une affiche « qui marche » d'une « qui ne marche pas », lorsqu'elle est posée par un non-initié à cette pratique. Outre les préoccupations uniquement partagées par  les spécialistes ( règles typographiques, composition, circulation du blanc, dynamique, impact, hiérarchisation, harmonie, etc. ), quel argument de poids peut-on avancer ? Parler de beauté semble tout à fait dépassé – chacun peut défendre ses « propres » goûts. Si nous parlons en termes de fonctionnalité, il y a effectivement des critères perfectibles, comme  la lisibilité ou l'efficacité.  Je crois cependant pouvoir dire que, sans qu'il ne sache comment ni pourquoi, le graphisme amateur remplit parfaitement sa fonction. »

Tout le monde est graphiste (2008) accompagne le mémoire de Yoann Bertrandy, étudiant à l'École Supérieure des Arts Décoratifs. Il a interviewé des “graphistes amateurs” afin de se détacher de la vision de graphisme d'auteur induite par l'enseignement de cette discipline pourtant minoritaire dans un contexte professionnel.http://toutlemondeestgraphiste.wordpress.com/Cf. étapes n°170, pp.  66 – 69

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L’amateur connecté

« À la différence du connaisseur qui exerce son jugement en fonction d’une qualification que sanctionnent expressé-ment des connaissances, notamment à l’instar de l’expert, l’amateur cultive son dilettantisme. Il ne s’autorise qu’en vertu de lui-même, au fil d’une construction du savoir qui échapperait aux itinéraires scolaires et académiques.1 » La définition de l’amateur est ici formulée par Olivier Assouly 2 dans un ouvrage consacré à cette figure. Il est intéressant de voir le passé de cette figure discrète pour comprendre ce qu’elle est devenue ces dernières années et ainsi de projeter son avenir.

C’est au XVIIe siècle que la notion d’amateur voit le jour dans la littérature artistique. L’amateur prend de l’importance en devenant le critique privilégié des artistes qui le considè-rent. Il fait aussi partie de la minorité raisonnable que la monarchie accepte comme public averti lors du développe-ment des Salons.

Ce qui me semble le plus remarquable dans ce contexte c’est que l’amateur n’est pas un simple conseiller. Pour atteindre ce statut il doit avant tout être praticien 3 de l’art qu’il juge. Il est donc aussi artiste amateur et son jugement passe par la pratique, « il sait de quoi il parle ». Son regard est légitimé par l’expérience qu’il a fait du mouvement, de l’observation, il a acquis un répertoire de sensations qui lui donne une échelle de valeurs tant d’un point de vue technique que sensible. Si l’amateur n’a jamais disparu, sa définition semble pourtant modifiée, ne serait-ce que parce qu’il dépend des activités qu’il pratique et que ces dernières ont évolué.

Les nouveaux médias sont en partie à l’origine de ces muta-tions en ce sens qu’ils proposent d’autres supports intermé-

1 Olivier Assouly, Juger, participer et consommer, p.9 2 Olivier Assouly est un philosophe français. Cf. biographie.

3 L’amateur de peinture peint, l’amateur de musique joue d’un ins-trument ... il ne se contente pas de regarder des tableaux ou d’écouter de la musique. On voit ici que le terme s’est aujourd’hui élargi et englobe les individus qui regardent ou écoutent. Roland Barthes parle d’écrivant, celui qui sait écrire sans être pour autant écrivain.

Le troisième chapitre aura pour volonté de montrer l’importance de ces pratiques non-expertes que le designer ne doit pas ignorer. Car parallèlement et grâce aux tech-nologies de réseaux, l’importance de participation des individus se développe. 

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diaires qui limitent la pratique de l’utilisateur. Agissant comme des émetteurs/récepteurs, la radio et la télévision imposent la passivité à celui qui regarde, qui écoute. Bernard Stiegler prend l’exemple du phonographe qui remplace le piano pour illustrer cette disparition de la « chaîne corporelle motrice 1 » dans la pratique de l’ama-teur de musique qui écoute sans jouer. À partir de ce mo-ment il y a deux possibilités : l’amateur devient consom-mateur de musique et reste passif, ou bien il s’approprie le nouvel objet pour créer, s’entraîner comme l’a fait Charlie Parker 2 en utilisant le phonographe comme émetteur ou pour répertorier, conserver des sons comme Bartók 3 en s’en servant de récepteur ; l’objet devient outil. La peintu-re et la musique font partie des arts qui apparaissent par la suite comme élitistes d’un point de vue de la pratique. L’évolution technologique a pourtant créé de nouveaux outils qui font redécouvrir à l’amateur, l’expérience de la manipulation, de l’expérimentation. Le microphone, l’ap-pareil photo, puis la caméra notamment, au travers d’une approche ludique, désacralisent peu à peu les aptitudes de l’artiste, en ce sens qu’ils rendent accessibles des com-pétences qui nécessitaient autrefois un savoir particulier. Le Web permet de surcroît la publication, la diffusion de ces contenus créés, capturés, et rend à l’amateur son potentiel d’action, parce qu’il produit des images, du son, du texte qu’il est en mesure de partager. Pourtant ces pratiques, comme le dit Bernard Stiegler, sont plus des « usages » de consommateur que des utilisations et de-viennent « jetables 4 ».

C’est parce qu’il ne maîtrise pas tous les aspects de l’outil numérique, ou parce que ces derniers ne lui sont pas complètement accessibles, que l’amateur reste souvent consommateur et c’est là qu’il est critiqué dans sa futi-lité. Pourtant l’amateur se définit avant tout comme un passionné et en ces termes, il se détache d’un rapport économique et n’attribue pas nécessairement une valeur marchande à ce qu’il fait. Il cherchera plus à s’intégrer à un réseau de partage et à échanger ses idées, ses opi-nions. Cette pratique passe par une autonomisation de ses activités, il n’est plus lié à un système, une instance ou une norme. L’amateur n’est pas soumis à la comman-de et la prise de risque, au travers de ce qu’il entreprend, n’est pas réprimée par la peur d’enjeux financiers.

1 Bernard Stiegler, L’adresse à tous. Pour les fonds régionaux de singularités inconsommables, non contemporaines et intempestives, p. 260 2 Charlie Parker alias Bird est un saxophoniste alto américain. Parker, considéré comme l’un des créateurs et interprètes exception-nels du style be-bop. Il se servait du phonographe comme d’un instrument de répéti-tion en rediffusant ses sons. 3 Béla Bartók est un compositeur et pianiste, hongrois. Pionnier en ethnomusicologie, il a enregistré sur le vif, nombre de morceaux de musique folklorique d’Europe de l’Est afin de les répertorier et de les conserver.

4 Bernard Stiegler, L’adresse à tous. Pour les fonds régionaux de singularités inconsommables, non contemporaines et intempestives. p. 262

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« J’appelle société conviviale, une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. »

Ivan Illich, La convivialité., p. 13

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La création des différents types de licences Libres 1 provient d’ailleurs de ces préoccupations qui veulent mettre l’utilisa-teur non pas dans la seule position de consommateur mais avant tout de contributeur. Échanger les connaissances, les expériences et les usages pour améliorer les objets, les logiciels…

Un agriculteur américain dont je viens récemment de décou-vrir le travail illustre de manière très complète ces nou-velles pratiques de l’amateur. Présenté au TED 2 le projet Open Source Ecology 3 est né de l’initiative de Marcin Jakubowski 4. Il met dans un premier temps en œuvre la conception de machines agricoles à faible coût et de fa-brication simple. Aujourd’hui au nombre de cinquante, ces engins industriels fonctionnent sous licence Libre et peu-vent être construits sur le principe du Do It Yourself. Les plans de fabrication détaillant le montage et le matériel nécessaire sont accessibles via le site Web, ainsi que des vidéos didactiques sur le principe du tutoriel explicatif « pas à pas ».

« It’s not reinventing the wheel; it’s open-sourcing the wheel. 5 »

Bien qu’il ait des compétences d’ingénieur, Marcin Jakubowski agit au travers de ce projet comme un amateur proposant une innovation en marge des pratiques courantes dans son métier. Il développe en effet son idée dans un cadre auto-nome en mettant à profit ses connaissances. Ce type de projet met en avant la disparition de la frontière entre l’ex-pert et l’amateur qui, dans cet exemple, travaille sans com-mande et arrive ainsi à proposer une alternative à divers niveaux. Ce n’est pas simplement la production d’un objet mais une réflexion sur le processus, de la conception à la diffusion, en passant par la fabrication. Pour arriver à ce résultat et à son fonctionnement, il s’appuie sur plusieurs éléments qui font partie de ce que je nomme les nouveaux paramètres :

•Internetcommeoutildecommunicationetdediffu-sion grâce au Web 2.0 ; •lapossibilitéd’uneéconomiecognitivequiprofiteàtous les acteurs du réseau ; •lalicenceLibrequi,toutenpréservantl’auctoralité,permet la réappropriation et l’amélioration du projet ;

1 Les licences Libres, comme les licences Open Source, permettent la modification et la diffusion gra-tuite de produits. Cependant elles obligent à conserver les termes de la licence initiale lors d’une réappropriation du contenu et ne peuvent donc pas être privatisées. L’auctoralité est conservée et reste visible malgré les modifications. 2 Le TED, pour Technology Entertainment Design, est une importante rencontre annuelle qui se tient à Monterey en Californie. Il agit comme un propagateur d’idées, et met gratuitement à disposition, sur le site, les meilleu-res conférences sur des sujets contemporains aussi divers que variés ( science, art, technologie, écologie, humanitaire ... ) http://www.ted.com/ 3 http://opensourceecology.org/ 4 Marcin Jakubowski estime que « c’est seulement par l’ouverture des moyens de production que nous pourrons atteindre l’abondance pour tous. ». Bien qu’il possède un doctorat en physique de la fusion, il est revenu à la terre, insatisfait de sa situation, et travaille comme agriculteur et innovateur social. Cf. http://www.ted.com/speakers/marcin_jakubowski.html 5 « Il ne s’agit pas de réinventer la roue, mais de la rendre Open Source. », Julia Valentine, agricultrice, in The Atlantic Cf. http://www.ted.com/speakers/marcin_jakubowski.html

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•uneconceptionqui,siellen’estpasécologique,s’axe au moins sur une modestie des matériaux utilisés et une simplification de la fabrication qui prend en compte l’environnement ; •unfaiblecoût.

Le designer doit se situer au travers de ces nouveaux usages qui donnent tant d’importance aux capacités d’innovations des autres individus de la société. Il doit aussi être en me-sure de conserver son autonomie 1 face au marché et s’in-téresser à de nouveaux modèles, être surprenant. Car s’il est facile de faire la critique des initiatives participatives, comme le Libre par exemple, il est plus intéressant de voir comment ces initiatives peuvent s’épanouir conjointement et s’enrichir de la participation des dits experts. Le pouvoir du designer entre alors en dialogue avec des compétences de chacun mises en réseaux. Ce ne doit pas être une mise en concurrence.

Si Internet prend une part de plus en plus importante dans l’extension des pratiques amateurs, il ne permet pas une autonomie complète. Ne serait-ce que par la nature de son organisation qui rend difficile la conversion des infor-mations en connaissance exploitable. Nous sommes donc bien souvent démunis face à cette infinie capacité de l’outil phare de l’ère numérique. Il est alors difficile de le maî-triser et de ne pas l’utiliser seulement comme un média. C’est-à-dire de manière passive.

1 Cf. Rollo Press TM. Ce petit studio d’impression créé par Urs Lehni en 2008 à Zürich édite des ouvrages marginaux. Hors de la commande et sur un choix personnel, une envie, il est là pour faire émerger des projets de faible diffusion. Dans la lignée de William Morris il y a le désir d’avoir le contrôle de sa production, et pour le designer de pouvoir porter son jugement, en dialogue avec celui qui se fait éditer, tout au long de la chaîne de production. Les ouvrages sont donc choisis pour leur qualité in-trinsèque et non pour leur potentiel économique.

Typogramme de Rollo Press visible sur le site http://rollo-press.com/

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Présentation des cinquante machines Open-source conçues par Marcin Jakubowski.  Ce projet très poussé jouit d'une communication travaillée qui permet de montrer clairement  le résultat de la production.  Sur le site et le wiki on peut aussi retrouver tous les éléments textes et images concernant  la fabrication de ces outils. 

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« Nous pouvons mener des vies autonomes sans pour autant sacrifier notre niveau de vie. »

Marcin Jakubowski, http://opensourceecology.org/

A l'opposé de l'image simple et  épurée que nous en donne la Blank Page du moteur de recherche Google, Internet est un gigantesque réseau de connections. Elles relie les ordinateurs entre eux en formant des nœuds qui transportent et dispatchent une information électrique que nous recevons sous forme d'image, de son, de texte, grâce aux interfaces du Web.  Cette carte a été conçu à partir d'une base de données utilisant deux moteurs graphiques :le Large Graph Layout (LGL) par Alex Adai et le Graphviz par Peter North au AT&T Labs Research.

Le digital native.Le premier décalage est lié au temps, il y a une accoutu-

mance à la rapidité des actions et des résultats lors de la navigation Web qui contraste avec le rythme des ac-tions réels. Les contenus sont accessibles instantanément et Google n’oublie pas de nous le rappeler : « Environ 4 670 000 000 résultats (0,17 secondes) ».

Le deuxième décalage vient de la différence qu’il y a entre les contenus que nous recevons à l’école, la manière dont on les reçoit et le temps qu’il nous est donné pour les assimiler et le flux d’information que le Web qui se met à jours instantanément et est en perpétuel mouvement de données qui s’accumulent.

Le troisème décalage est spatial, le rapport à la réalité est plus difficilement considérable face à un écran que face au professeur. L’ordinateur reste un dispositif virtuel qui nous isole de l’action autant qu’il nous relis aux autres. La prise de risque est effacé par ce filtre lumineux qui nous protège. La responsabilité que l’on peut avoir dans certaines interactions est fortement amoindrie (serious game).

Le quatrième décalage est l’autonomie que l’outil numérique engendre, due aussi à sa grande polyvalence d’utilisa-tion, qui est en rupture avec l’enseignement encadré, par l’enseignant et par un système de jugement spécifique: la note.

Sur ce point Marc Prensky, qui s’attache à l’importance d’un remaniement de l’éducation, apporte des solutions sur lesquelles il est intéressant de s’attarder.

J’aime assez l’analyse suivante : « Au lieu d’interdire Wikipédia, pourquoi ne pas adopter une nouvelle appro-che face à cette encyclopédie en ligne? Leur démontrer que Wikipédia n’est pas une finalité en soi, mais un point de départ. Mais surtout, pourquoi ne pas les inciter à de-venir eux-mêmes des contributeurs. Ainsi, on développe leurs habiletés à la recherche et à l’écriture. Et c’est par la suite que les enseignants peuvent servir de guide afin de vérifier si le texte est bien écrit et que la recherche couvre bien le sujet. Communiquent-ils efficacement? On constate ici que pour la rédaction de ce qui semble être une simple entrée dans Wikipédia, les jeunes peuvent dé-velopper des réflexes qui s’apparentent à ceux des jour-nalistes. » Le site web devient ici une vraie plate-forme d’apprentissage, même si ce n’est pas le but premier du wiki, et la réappropriation de ce support en fait un élé-

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Classement des données internet ...

« Internet est un système mondial d’interconnexion de réseaux informatiques, utilisant un ensemble standardisé de pro-tocoles de transfert de données. C’est donc un réseau de réseaux, sans centre névralgique, composé de millions de réseaux aussi bien publics, privés, universitaires, commer-ciaux et gouvernementaux. Internet transporte un large spectre d’information et permet l’élaboration d’applications et de services variés comme le courrier électronique, la messagerie instantanée et le World Wide Web 1 », selon la définition qu’en donne Wikipédia Internet apparaît avant tout comme une chose impalpable, un gigantesque puits contenant une infinité d’informations brutes. L’outil Web nous permet de le parcourir grâce à une matérialisation du réseau par des interfaces interactives. Sans faire l’histoire détaillée de ce média hors norme, il est intéressant d’en voir quelques aspects pour compléter mon propos.

Je souhaiterai montrer en quoi, d’un point de vue information-nel, Internet nous limite encore à une utilisation qui n’est que partiellement maîtrisée. Dans ce but je me baserai, entre autres, sur les recherches du groupe italien Ippolita 2 qui s’est attaché à faire l’analyse critique de Google 3

Internet met à notre disposition des contenus immatériels, à l’échelle de la planète, ordonnés par des formules mathé-matiques. Ce type de classement autorégulé des contenus, au travers des liens, ne répond donc pas à un vote qualitatif mais quantitatif. Il n’y a, à l’origine, pas un vote démocra-tique des utilisateurs par jugement de valeur sur la qualité et la pertinence des sites mais une simple hiérarchisation algorithmique. Pour équilibrer ce manque, Google permet aujourd’hui de noter, par jugement de valeur, une page

1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Internet/

2 Ippolita, La face cachée de Google. http://www.ippolita.net/ 3 Google est le moteur de recherche le plus utilisé au monde. C’est aussi une entreprise cotée en bourse, le Googleplex, basé à Mountain View en Californie qui à des antennes indépendantes dans plusieurs pays du monde . Son slogan: « Don’t be evil » (Ne soyez pas malveillant).

Le quatrième chapitre est une parenthèse un peu plus technique pour expliquer les enjeux et les problèmes liés au média Internet d’un point de vue informationnel qui touchent toutes les générations.

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Web, ce qui permet d’augmenter sa visibilité. Cependant il est actuellement difficile de considérer la masse des don-nées traitées par internet comme autre chose que de l’infor-mation au sens brut du terme ( data ). La perte des sources et la difficulté à juger de la qualité d’une requête ne permet donc pas toujours l’utilisation du résultats de cette recher-che comme une connaissance théorique exploitable. Cette confusion pousse d’ailleurs souvent les enseignants à limiter l’utilisation d’Internet pour la recherche.

Le Web 2.0 pourtant, apparaît comme une évolution du Web initial dans un souci de démocratiser ce service et d’amé-liorer l’accès aux contenus disponibles en ligne. L’utilisateur est mis au cœur du système car il devient contributeur, c’est lui qui « fait » le nouveau Web. Pourtant cette auto-nomie d’action n’est pas acquise, car elle reste, à mon avis, à optimiser dans la forme et dans l’amélioration des proces-sus de partage. Je reste pourtant convaincu que cette prise d’indépendance passe par une mise en commun des savoirs et un apprentissage adapté.

Le design trouve ici son rôle de guide car il est un lien entre le vocabulaire informatique et celui du novice. Il n’est plus nécessaire aujourd’hui de maîtriser ni même de connaître le code, issus du binaire, pour agir et fabriquer via les nouvelles technologies qui dépendent pourtant largement de ce langage. L’innovation est alors moins freinée grâce à ces nouveaux possibles qui permettent l’utilisation du Web comme un vrai outil et non pas comme un simple média de consommation.

... Un problème même pour les plus jeunes

Bien qu’on ai tendance à leur attribuer des qualités de « surfers » invétérés les nouvelles générations, si elles mani-pulent avec plus d’aisance, n’échappent pas à la confusion. En étudiant le comportement de ces jeunes utilisateurs que l’on appelle le désormais les digital natives 1, amateurs à leur façon, la sociologue Périne Brotcorne 2, a ciblé trois types de « compétences numériques » relatives à la maîtrise de l’outil informatique, à sa compréhension et met en avant les lacunes des étudiants plus particulièrement.

1 Dans un article paru en 2011, Marc Prensky introduisait la notion de Digital natives pour parler des nouveaux étudiants. Une géné-ration que l’on baptise ainsi car elle n’a pas connu le monde sans Internet. Ce qui fait la particularité de cette génération c’est qu’elle se développe avec un nouveau modèle de référence, une nouvelle logique en parallèle de l’enseignement qu’elle reçoit à l’école. 2 Périne Brotcorne est chargée de recherche au Centre Travail et Technologie de la Fondation Travail-Université-Bruxelles/Namur (Belgique), http://www.educavox.fr/ETUDIANTS-DIGITAL-NATIVES-OU

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Premièrement « les compétences instrumentales ou opératoi-res sont acquises mais elles sont de moins en moins néces-saires compte tenu du caractère très intuitif des environ-nements numériques ». Il est vrai que c’est sans doute ce qui est le plus impressionnant pour les « digital migrant 1 », cette rapidité dans l’exécution de plusieurs actions quasi simultanées. L’ordinateur est multitâches et propose un mode d’organisation sur un seul et unique plan ( l’écran ) dans lequel il faut jongler d’une fenêtre à l’autre. Cette logique que les enfants s’accaparent rapidement, donne l’impression d’une fluidité d’exécution, ce qui ne rend en rien l’action plus efficiente ou plus qualitative quant au résultat produit, ou à ce qu’il pourrait en apprendre.

Ensuite il y a « les compétences de type informationnelles qui sont peu développées : les digital natives savent mal gérer et exploiter la multitude d’informations dont ils dis-posent sur le net. » C’est à mon avis le problème principal de l’organisation des données internet dont nous avons parlé. La quantité des informations, la variété des types de contenus, la non transparence des sources en plus des modes de recherche et d’accès à celle-ci sont un obstacle à la sélection d’informations pertinentes. Dans cette jungle il est difficile de se déplacer sans repères, il est donc presque inconcevable de se « balader » sans but. De nouvelles ma-nières de chercher 2 sont possibles grâce au Web, au travers de requêtes complexes. D’autres sont cependant à envisa-ger. Il est donc nécessaire de comprendre les rouages pour pouvoir les utiliser. Ce qui permet de trouver un livre à la bibliothèque c’est une normalisation du système de clas-sement mais aussi une certaine homogénéité des supports ( livres, périodiques, CDs et DVDs ). L’ancienneté de ce clas-sement en fait aussi un repère commun, dont la logique est plus ou moins admise depuis l’enfance. L’expansion fulgu-rante du réseau Internet n’a pas permis ce référencement.

Cela nous amène enfin à la dernière notion : « les compéten-ces de type stratégique comme savoir se réapproprier les contenus pour les remobiliser dans d’autres contextes, sont là aussi très peu partagées. ». Après la maîtrise de l’outil et de la sélection des informations la question est « qu’est-ce qu’on en fait ? » Ces informations sont-elles transposables en connaissances ? Leur légitimité est-elle suffisante pour compléter l’enseignement scolaire ? Les compétences mises

1 Employé par Jean-Noël Lafargue et par opposition au digital native, le digital migrant représente des génération antérieures qui ont vu arriver l’ère numérique. Cf. biographie.

2 Le moteur de recherche en est une et il permet, avec quasiment n’importe qu’elle requête de trouver n’importe quoi. Les diverses réponses peuvent cependant être filtrées en différents types (images, vidéo, son, texte ...). Ce moyen est pourtant plus efficace dans la découverte de contenus que dans des réponses précises.

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1 Un décalage temporel dû à la vitesse de mise à jour du flux in-ternet. Une différence des types de contenus, de leur diffusion et une absence d’autorité (pas de maître). Un décalage spatial et mental dû à la virtualité qui isole autant qu’elle réunit. Le rapport au risque est absent et les actes banalisés. Une diversité foisonnante qui s’oppose au programme scolaire en enga-geant l’autonomie de l’apprenant.

2 Cf. biographie.

Otto Neurath, extrait de Form hieroglyphics to Isotype, p. 108

en jeu font pourtant partie de celles enseignées à l’école, hors du monde numérique. Des différences de contexte 1 que je ne développerai pas expliquent cependant cette frac-ture numérique. Je pense en tout les cas qu’il est primor-dial d’apprendre à manier ces nouveaux outils. Il y a en tout cas matière à créer et il faut que l’étape précédente ( trier, montrer l’information ) soit optimisée pour amener à une réelle utilisation, du Web qui ne reste pas simplement consumériste.

Jean-Noël Lafargue 2 explique ce risque en pointant les failles qui distancient encore le monde scolaire du monde numé-rique. C’est là où le mythe du digital native trouve ses limites. Les jeunes sont rapides mais pas très performants car perdus dans la quantité. Ils se limitent souvent à la pratique du numérique au travers des moyens de com-munication, de partage, de consommation ou de jeu. « Pour les étudiants d’aujourd’hui, ça existe depuis toujours. Ils baignent dedans, c’est leur univers et ils ne le remettent pas en question. La plupart ne sont pas intéressés par le fait d’utiliser l’ordinateur comme outil. » C’est ce qui amène Jean-Noël Lafargue à les appeler « digital naïves ».

L’apprentissage qu’ils reçoivent à l’école ne leur laisse alors que le souvenir d’une connaissance vague mise au même plan qu’une autre ( un auteur de la littérature classique par exemple ) à laquelle ils n’attribuent pas de perspective. L’expert en technologie va plus loin en mettant en lumière que, par ces pratiques pauvres, l’ordinateur bascule d’un statut d’« outil universel permettant de faire à peu près tout ce qu’on veut » à « un média interactif où on peut agir dans les limites imposées. » Tout comme la télévision, il se res-treint alors à un rôle de diffusion devant lequel on aurait pourtant la possibilité d’agir.

Je pense qu’une meilleure connaissance des possibilités d’ac-tion et de manipulation de la machine, transmise par un système adapté, est le seul moyen de faire changer cette tendance à l’économie d’action. Il faut redonner une pers-pective à l’outil technologique. Cet éveil, cet accompagne-ment, si ce n’est pas un réel enseignement, passe par une traduction du langage informatique qui le rende accessible. L’école ne permet pas nécessairement d’acquérir cette com-pétence. Elle doit pourtant être en mesure de transmettre la capacité a exploiter plus profondément l’outil numérique et être complété d’acteurs extérieurs.

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Capacité de traduction du code

Le designer joue alors un rôle important dans la mise à dis-position d’applications didactiques qui traduisent le code en interface, donc en image, comme Otto Neurat trans-forme une complexité démographique en dessin. Le design a toutefois des vertus plus larges à exploiter notamment au travers de la prise en compte des processus créatifs. L’instantanéité des nouvelles technologies lui font découvrir ces innovations en même temps que ses contemporains et il est lui même amené à les utiliser comme WordPress 1 par exemple qui permet la création de sites Web de manière très simplifiée.

Si les graphistes, surtout au travers du design d’information, s’attachent souvent à représenter la complexité du réseau Internet c’est qu’ils sont aptes à manipuler et traiter ces données. Ils s’aident d’ailleurs de ces mêmes outils de la programmation comme Processing 2 qui permettent de générer des graphiques et représentations poussés 3. Cela montre qu’ils ont su les appréhender, les apprendre mais aussi les expliquer. En effet le designer ne doit pas se contenter de représenter les choses. Il doit, et c’est de plus en plus vrai à cause du rythme d’évolution, être en avance sur la compréhension pour en tirer partie, l’exploiter et la transmettre. Au-delà de ça, il doit se positionner et s’enga-ger pour garder le contrôle sur la technologie afin qu’elle n’altère pas l’intégrité de l’être humain. Il a une responsa-bilité dans la proposition de modes d’interactions qui font prendre conscience à l’utilisateur qu’il est en mesure de contrôler sa machine et non de se faire contrôler.

Représenter la complexité n’est pas la rendre plus claire. John Maeda 4, fait partie des graphistes de formation qui se sont intéressés à cet outil et se sont appropriés la pro-grammation pour créer. Il considère l’ordinateur comme un médium à part entière, adapté à son expression plastique. Non content de maîtriser cette compétence qu’il réutilise dans sa pratique de design il décide par la suite de l’ensei-gner. D’abord comme professeur au MIT puis de manière plus large au travers du livre Design by Numbers 5. Un designer au service des designers, ce livre s’adresse en effet aux gens qui ne sont pas issus du monde informatique, de la programmation, comme les graphistes de manière géné-rale. Bien qu’il ne soit pas une méthode d’apprentissage à la programmation complexe, il ouvre un champ entre les

1 Word press est un éditeur de sites Web simplifié qui permet de créer des plateformes très person-nalisables et donc très identifiables. Contrairement à un Blog classique qui garde souvent une identité marquée, le designer, par cet outil, peut vraiment affirmer un style sans avoir de grandes connaissan-ces en programmation. De plus, il permet l’ajout d’une partie d’admi-nistration qui permet au client de gérer par la suite le site lui même. http://www.wordpress-fr.net/ 2 Processing est un langage de programmation open source et un environnement pour les personnes qui veulent créer des images, des animations et des interactions. Il a été développé pour rendre accessible ce médium aux artistes et designers notamment. On peut le télécharger librement. http://processing.org/ 3 http://www.visualcomplexity.com/vc/

4 John Maeda est un artiste, graphiste, enseignant et chercheur américain. Cf. biographie.

5 John Maeda, Design By Numbers, The MIT Press, Cambridge, 2001.

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pratiques de la science et de l’art. C’est ce chemin que suivent deux de ses anciens élèves, Benjamin Fry et Casey Reas, pour mettre au point le logiciel Libre Processing qui permet une approche plus didactique du code. Ce pro-longement multimédia du livre de Maeda fait exploser les possibles en rendant accessibles les facultés du numé-rique à la « Creative class 1 ».

En mettant le pied dans la technologie, le designer lui donne un nouveau visage. Il change le rapport distant que nous entretenons souvent avec le coté technique des interfaces numériques. Ce changement de statut parait minime mais il est radical dans la vision que nous portons à ces inno-vations. Elle ne doivent pas rester de l’ordre du magique, cette image que véhicule le système capitaliste, mais être prises pour ce qu’elles sont vraiment : des composants électroniques offrant de grandes capacités que l’on peut modifier. La vraie innovation ne doit plus être cantonnée au registre militaire, comme c’est le cas, mais s’ouvrir à la compréhension et à la création. Au travers de cette connaissance l’individu est alors en mesure de retrouver sa singularité et donc sa liberté face au conditionnement mondialisé d’une esthétique commune.

Cette transition passe par la traduction du code. Le designer doit-être le traducteur qui redonne un aspect familier à la technique au travers d’interfaces qui interprètent la complexité du support numérique et le rende accessible.Non pas dans une autonomie désengagé de l’utilisateur mais par un accompagnement didactique. Le tutoriel fait partie de ces modes d’apprentissages qui existe par in-ternet et explique de manière hiérarchique les étapes de manipulation d’un logiciel, d’une application ou de tout autre chose.

L’individu doit renouer avec « une expérience du sensible » qui permet d’« intensifier la singularité 2 ». Cette expérien-ce passe par ce changement de statut de la technologie qui n’est plus inaccessible, opaque mais devient convi-viale au sens ou l’entend Ivan Illich. En ne se laissant plus contrôler, l’utilisateur acquiert un pouvoir de créa-tion important qui passe par la découverte des possibles technologiques ne se limitant plus à la catégorie experte de la population.

Processing est un exemple de ce changement de statut qui s’adresse dans un premier temps aux designers et aux

1 J’emprunte cette expression à Yann Moulier-Boutang. La classe créative représente pour moi les individus qui utilisent leur capacité à innover de manière réfléchie, dont le designer doit faire partie. C’est sur des modèles déviant de la norme actuelle, consumériste, passive et capitaliste que doit s’appuyer l’avenir de notre monde. Le capitalisme cognitif considérant les savoirs partagés au travers des technologies de réseau est une alternative.

2 Bernard Stiegler, L’adresse à tous. Pour les fonds régionaux de singularités inconsommables, non contemporaines et intempestives, p. 258

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artistes. Ils doivent alors s’approprier ce nouveau rôle et s’affirmer comme passeur en rendant intelligible leur tra-vail. Rendre accessibles ces nouveaux langages fait par-tie de cet engagement. Il semble alors possible d’intégrer l’amateur dans les processus créatifs qui visent à améliorer la vie en société.

Il y a des parallèles entre la révolution industrielle et la révolution hyperindustrielle 1 et technologique que nous vivons. Un désir de se poser des questions, de théoriser et d’expliquer le design et une nécessité de se détacher des modèles dont il naît pour les remettre en question, les améliorer. Cela passe, comme au temps du Bauhaus, par un engagement et une ouverture pédagogique. Les écoles d’arts sont en mesure, grâce à l’autonomie de leur statut, de susciter l’intérêt et de guider les futurs créateurs vers ces pratiques. Elle vont même jusqu’à créer des laboratoires de recherches expérimentales sur le numérique. L’école et plus précisément le système de l’éducation nationale trouve lui ses limites, dans l’état actuel des choses, à innover et inté-grer ces nouvelles pratiques. Il ne s’agit en effet pas d’un simple problème d’équipement en ordinateur ou d’accès au réseau.

1 Bernard Stiegler emploie le terme d’« hyperindustrie » pour rendre visible l’illusion d’une société contemporaine « postindustrielle ».

Affiche générée par Processing  à l'occasion de l'exposition  Ars Longa, Paris, presentant des projets de recherche numérique  développés à l'ESAD de Saint Étienne. Le pôle numérique et le laboratoire Random y ont participé  en partenariat avec des étudiants  de l'école Boule.Damien Baïs ( .CORP ), 2011.

Processing, au travers d'une interface simple, offre  un accès facilité à l'utilisation du code. D'une part le langage n'est pas brut, mais permet d'appeler des fonctions déjà référencées. Par ailleurs, le site Processing propose de nombreuses librairies qui permettent d'importer des « morceaux » de code. C'est aussi  une plateforme participative où les utilisateurs postent leurs projets en laissant accès au code source que les autres peuvent  à leur tour utiliser. Ce logiciel Libre permet entre autre de générer des tâches aléatoires qui peuvent servir de matériel graphique. Comme ces affiches réalisées par Damien Baïs ( .CORP ) en 2010.

PROCESSING

Master Class

Semestre 2

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Master Class

Semestre 2

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Des esquisses de solutions

Lors de la démocratisation des ordinateurs domestiques c’est l’aspect utile, pratique mais aussi pédagogique qui était mis en avant. L’amélioration des supports de donnée comme le CD-rom apparaissait bienveillants en proposant des logiciel éducatifs. Le jeu vidéo a gagné le combat et pris les parts de marché. Le support numérique et surtout la console sont alors passés d’outils éducatifs à objets de loisir. On assiste pourtant à un retour des logiciels et des applications à but pédagogique pour la formation, qui émergent de la prati-que même du numérique en se basant sur les référentiels du jeu vidéo et de la mise en réseau.

À la suite de son engagement en faveur de la nouvelle génération, Marc Prensky 1 s’est investi dans la conception de serious games ( jeux sérieux ) qu’il défend comme nou-veaux moyens d’apprentissage. Le serious game englobe aujourd’hui une grande variété de types de jeux de la si-mulation militaire à la stratégie d’entreprise en passant par l’apprentissage des mathématiques. Ce moyen d’appren-dre est pourtant rapidement tombé dans une application commerciale liée au marketing. Des grandes entreprises s’en servent de coach numérique ou comme méthode de management en simulant l’environnement et les actions de l’employé. Malgré l’intérêt que l’on peut porter à ce moyen d’apprentissage qui fait passer l’apprenant par une expérience virtuelle, il faut prendre garde à ses limites. La principale est, qu’en tant que simulateur du réel, le jeu est exempt de toute prise de risque de la part de celui qui apprend. Ce mode d’apprentissage ne peut donc être suffi-sant et de manière générale le passage à la virtualisation des usages entraîne une déresponsabilisation due à l’invisi-bilité des processus, à leur méconnaissance.

1 Marc Prensky est auteur, chercheur, consultant et concepteur de jeux vidéo. Cf.http://www.ledevoir.com/socie-te/science-et-technologie/225781/l-entrevue-une-ecole-pour-les-natifs-de-l-univers-numerique Cf.http://youthandmedia.org/projects/digital-natives/

Le cinquième chapitre pour finir, ex-pose quelques réponses à l'appren-tissage numérique. Les propositions faites dans ce domaine puisent principalement dans le langage informatique comme le font les jeux éducatifs notamment.

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Je n’oppose pas un regard conservateur ou réfractaire au point de vue de Marc Prensky, enthousiaste sur le pouvoir du serious game. Mais en tant que designer, il me semble que ce support d’apprentissage ne peut pas se substituer aux autres, et encore moins faire disparaître l’école. Il est indispensable d’apprendre à s’en servir et les étapes de ma-nipulations sont primordiales. Pourtant cette formation ne peut se suffire à elle même et doit être mise en perspective au travers de projets réels et concrets qui ne se limitent pas au numérique. L’importance est dans le choix d’un support d’apprentissage qui doit être établi par l’usage en fonction du contexte et du type de savoir, des compétences qu’il faut transmettre et transformer en connaissances. La diver-sification des outils doit être prise comme une accumulation de possibles et non comme une succession. Ces nouveautés brèves nous poussent toujours à apprendre pour s’aperce-voir que l’on est déjà dépassé.

C’est un autre problème de ces nouvelles technologies en per-pétuelles mouvement et dont le cycle de vie est de plus en plus court. Cette débandade est entretenu par les systèmes propriétaires qui réduisent la capacité d’innovation à leur seul experts. Il obligent non seulement à un renouvellement perpétuel des outils mais aussi à une formation continue pour acquérir des compétences trop vite obsolètes. En effet les différentes versions des logiciels, et les problèmes de compatibilité entre les différents encodages ou langage in-formatique les rendent obsolètes en très peu de temps. Ce qui passe pour un enrichissement personnel se traduit par une perte de temps sur la création.

Ces problèmes trouvent des réponses dans l’essor des dynami-ques communautaires qui poussent les individus en société à se détacher des modèles dominants. Le Libre, porté par ce mouvement, est une solution à la propriété intellectuel qui s’applique aux produits, aux objets ou aux logiciels. Pourtant aujourd’hui, se tourner vers le Libre et y partici-per réellement signifie encore être un « geek », cet amateur informatique pour qui le code n’a plus de mystères. Cela re-présente aussi un basculement dans les habitudes presque mécaniques que nous avons lorsque l’on travail sur un lo-giciel connue. Il est pourtant important de faire le pas vers ces initiative novatrices qui ouvre la porte à un « nouveau monde ». En tout point elles permettent d’échapper à la

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domination capitaliste industriel. Le Libre revisite les systè-mes marchands et l’économie cognitive propose les qualités humaines comme richesse en se basant sur la circulation de biens immatériels ( contrairement au capitalisme qui se base sur l’accumulation de biens matériels ).

Pour réussir à faire le pas il faut réapprendre à apprendre. Certain y arrivent tout seul mais nous ne sommes pas tous égaux face à la fracture numérique. Nous n’avons pas tous les mêmes capacités d’adaptation, ni les mêmes ressources. Il y a alors nécessité d’une aide à porter à cette partie de la population qui à besoin d’apprendre. Le designer doit, me semble t-il, jouer un rôle d’initiateur, de guide qui mon-tre la vois mais donne aussi les outils pour avancer. Il les donnent mais pour que l’autre apprenne à se passer de lui pour accéder à l’autonomie et être à son tour capable de transmettre. Ce passage de connaissance et de compétence s’accompagne d’une attitude, d’une vision du monde et des liens entre les individus qu’il est vitale de préserver. La conscience du potentiel d’action du chacun sur une organi-sation mondiale des connaissances. Il faut nous donner le temps d’évoluer à nos propres changements.

« Mettre le web et ses services à la disposition de tous les individus, quel que soit leur matériel ou logiciel, leur infrastructure réseau, leur langue maternelle, leur culture, leur localisation géographique, ou leurs aptitudes physiques et mentales. »

Tim Berners-Lee, http://www.w3.org/WAI/

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European City-to-City Connections.

Le projet Dimes fournit plusieurs ensembles de données excellen-tes qui décrivent la structure de l'Internet. En utilisant les données les plus récentes (février 2007) des bords de villes, Chris Harrison  a créé un ensemble de visuali-sations qui montrent comment les villes à travers le monde sont interconnectées (par la configu-ration du routeur et non d'une ossature physique).  Au total, il y a 89 344 connexions.

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Conclusion

De mon point de vue les nouvelles générations sont en attente de changement et il ne suffit pas de grand chose pour les rendre actives. Il faut donc compter avec ces « individus que la culture regroupait sous la figure du non-expert 1 ». Le designer doit prendre en compte mais aussi s’intéresser aux pratiques des amateurs, ce qu’il fait de plus en plus. Mais il doit pour cela accepter d’être en marge d’une cultu-re dite « savante » et revoir son statut d’auteur exclusif. « On peut imaginer une culture où les discours circuleraient et seraient reçus sans que la fonction-auteur apparaisse jamais 2. »

Le designer doit-être à l’origine d’une dynamique qui vise à mettre en avant les nouveaux possibles et à donner d’autres outils d’intelligibilité dans l’utilisation des supports numé-riques notamment. Il faut comprendre la machine pour reprendre confiance dans le potentiel innovant de chacun. Une étape d’apprentissage est nécessaire et elle doit se faire en parallèle d’une instruction scolaire classique en ce sens que l’école reste un repère physique commun, acces-sible à tous.

Comme le fait Annick Lantenois, je citerai László Moholy-Nagy pour le caractère actuel de son propos. « Il faut rééduquer une nouvelle génération de producteurs, de consomma-teurs et de designers en revenant aux bases mêmes du de-sign pour retrouver un nouveau savoir fondé sur des bases sociobiologiques. Les nouvelles générations qui auront reçu cette éducation seront invulnérables aux tentations des modes, prétexte à fuir toutes responsabilités économiques et sociales. Les principes de cette éducation ne pourront être établis qu’en conjuguant résolument les disciplines et

1 Annick Lantenois, Le vertige du funambule, p. 76

2 Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » dans Dits et écrits. 1954-1988, t.1, Gallimard, « NRF », Paris, 1994, p. 811

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les techniques les plus efficaces que la recherche aura aupa-ravant scrupuleusement élaborées et testées 3. »

Pour cela il est à mon avis nécessaire de s’intéresser à ce qu’on appelle les sciences de l’éducation. C’est en regardant dans cette vaste discipline que j’ai découvert, au travers des objets dans un premier temps, différentes méthodes pé-dagogiques, des recherches sur la construction de l’enfant, l’autonomie, le rapport au monde et à l’autre, la prise de risque, le contrôle et la conscience du corps, la manipu-lation d’objets. Et il m’a semblé voir dans ces recherches, souvent oubliées par l’éducation nationale après la mater-nelle, des solutions, des idées à même d’aider le designer à concevoir son métier, sa mission autrement. L’éducation nouvelle, l’éducation active et bien d’autres proposent des types d’apprentissages variés. Les méthodes par résolu-tion de problème par exemple proposent de résoudre une problématique quelconque, donnée par l’enseignant, sans aucun autre renseignement. Les élèves doivent alors élabo-rer un travail de recherche et d’organisation qui est souvent plus important que le résultat lui même. Le maître joue ici un rôle de « facilitateur », de médiateur en transmettant une méthode de recherche, de traitement et d’assimilation des informations pour les transformer en connaissances.

Je n’ai pu m’empêcher de mettre ces recherches et ces réflexions en regard de ma propre formation qui a transformé ma vi-sion du design. Ma formation ne m’a finalement pas donné un idée arrêtée du design mais la conviction qu’il était à construire et qu’il devrait s’appliquer à considérer l’amateur comme un potentiel collaborateur et non comme un simple consommateur, dans une relation de confiance construc-tive. Il est nécessaire qu’au lieu d’essayer de définir précisé-ment ce qu’est le design, le designer le fasse comprendre, le rende évident. Il doit pour toutes ces choses, utiliser les capacités qu’il a développées pour aider les acteurs de l’en-seignement à mettre en place des moyens d’apprendre, de comprendre ces nouveaux outils et les systèmes qui gèrent notre monde. Car ceux-ci annihilent parfois les instincts de curiosité de l’homme et l’isolent dans une carapace hermé-tique à la compréhension de son environnement. Une auto-nomie est a recouvrer dans l’utilisation de ces technologies mais c’est pour être plus apte à vivre de manière ouverte, et non individuelle, au travers d’une société cognitive.

3 László Moholy-Nagy, (s.l.d), Peinture Photographie, Film et autres écrits sur la photographie. p. 306. dans Le vertige du funam-bule, p. 84

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1 Gille Deleuze, l’abécédaire, R comme résistance.

2 Jacques Rancière, Le maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle.

« Le livre raconte l’histoire d’un professeur, Joseph Jacotot, qui fit scandale dans la Hollande et la France des années 1830 en proclamant que les ignorants pouvaient apprendre seuls sans maître pour leur expliquer, et que les maîtres, de leur côté, pouvaient enseigner ce qu’ils ignoraient eux-mêmes. » ( Jacotot apprend le français à des flamands sans connaître leur langue et que eux ne comprennent le français.) Jacques Rancière sur http://multitudes.samizdat.net/article1714.html, 2004.

« la fonction du réseau c’est de créer et de résister », « Créer c’est résister. 1 »

Dans un monde où, les connaissances deviennent une mon-naie d’échange, dont la valeur augmente grâce aux tech-nologies de réseau comme le Web 2.0, il faut diversifier les types d’enseignements, de formations. Je pense que le designer peut devenir une sorte de « maître ignorant »2 qui viendrait compléter ce manque de supports éducatifs. Il n’a pas vocation à devenir enseignant cependant il maîtrise les outils du langage et de la communication, et est en mesure de donner à l’information un sens, un visage intelligible. Par un traitement didactique des données et une traduction du code en interface par exemple il doit être en mesure d’apporter de nouveaux outils d’apprentissage sans néces-sairement être expert dans tout les domaines.

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NB.

Un serious game a quand même retenu mon attention. Il a permis à des chercheurs de modéliser le virus du sida, par la mise en réseaux de joueurs dans le monde. La capacité de ces joueurs réunis était en effet plus puis-sante et apte a résoudre ce problème que n’importe quel ordinateur, même le plus fort aux échecs soit-il. L’homme en maîtrisant la machine au lieu de la mépriser ou de la vénérer peut faire de grandes choses, c’est la revanche du joueur d’échec battu par les 0 et les 1.

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Vidéos

Sites Web

Périodiques

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Biographie

Olivier Assouly, chargé des enseignements de sciences humaines est titulaire d'un DEA d’Histoire de l'EHESS ( sous la direction de Jacques Derrida ), et titulaire du CAPES de philosophie. Il a conduit pour la Caisse des Dépôts et des Consignations un programme de recherches sur la place de l'argent dans l'histoire de la philosophie. Il rejoint l'IFM en 2003, où il est aujourd'hui professeur, et en charge des activités de recherche, de l’édition et du centre de documentation.

Hakim Bey ( Peter Lamborn Wilson dit ) ( 1945 à New York ), est un écrivain politique et poète américain se qualifiant d'« anarchiste ontologiste » et soufi. Il est connu pour ses théories sur les zones d'autonomie temporaires et ses écrit sur la culture pirate, ainsi que pour ses incitations au terrorisme poétique.

Paul Cox ( 1959 à Paris ) est un artiste français contemporain. Autodidacte en art, il fait des études d’histoire de l’art et de littérature anglaise mais se tourne rapidement vers la conception de livres pour enfants, d'affiches, d'illustrations de presse, des logos, etc.

Émile Durkheim ( 1858 à Épinal – 1917 à Paris ) est l'un des fondateurs de la sociologie moderne. C'est grâce à sa revue L'Année sociologique1 ( 1898 ) notamment que la sociologie française a connu une forte impulsion à la fin du XIXe siècle.

Gilles Deleuze ( 1925 – 1995 à Paris ), est un philosophe français. Il à écrit de nombreuses œuvres philosophiques très influentes, sur la philosophie, la littérature, le cinéma et la peinture notamment. Il développe une métaphysique et une philosophie de l'art originales. Avec Félix Guattari, il crée le concept de déterritorialisation, menant une critique conjointe de la psychanalyse et du capitalisme.

Gerd Arntz (1900 à Remscheid – 1988 à La Haye), était un dessinateur et graphiste allemand. Il dirigea la section graphique du Musée autrichien d'économie sociopolitique, où il élabora la Méthode viennoise de statistique picturale sous la direction de Neurath.

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Ivan Illich ( 1926 à Vienne en Autriche – 2002 à Brême en Allemagne ) est un penseur de l'écologie politique et une figure importante de la critique de la société industrielle.

John Maeda ( 1966 à Seattle, Washington ) est un artiste, graphiste, enseignant et chercheur. Il est diplômé du MIT où il dirige le département Aesthetics and Computing Group. Il est également titulaire d’une thèse doctorale en design de la Tsukuba University Institute of Art and Design au Japon.

Enzo Mari ( 1932 à Novare en Italie ) est à la fois un artiste, un théoricien et un designer engagé, diplômé de l’académie des arts de Milan. Inspiré à la fois par les idées de la Révolution française et par l’idéologie marxiste,

Annick Lantenois est historienne de l'art et enseignante à l'école régionale des Beaux-Arts de Valence. Elle s'interesse plus particulièrement à l'histoire et à la théorie de design graphique.

Raymond Lœwy ( 1893 à Paris – 1986 à Monaco ), était un designer industriel et un graphiste français naturalisé américain. Autodidacte et auto entrepreneur il réussi rapidement en créant sa propore agence « Raymond Loewy ».

Frédéric Frœbel ( 1782 à Oberweißbach – 1852 à Marienthal ) était un pédagogue allemand. Dans son œuvre maîtresse De l’éducation de l’homme ( 1826 ), il définit ses principes pédagogiques, qui doivent beaucoup aux théories néohumanistes.

Walter Gropius ( 1883 à Berlin – 1969 Boston ), est un architecte, designer et urbaniste allemand, plus tard naturalisé américain. Il est l'un des fondateurs du Bauhaus, mouvement clé de l'art européen de l'entre-deux-guerres et porteur des bases du style international.

Jean-Noël Lafargue, est enseignant en art & nouveaux médias à l'Université Paris 8, à l'école d'art du Havre, à l'école d'art de Rennes et à e-artsup institut. Il est aussi collaborateur d'artistes tels que Claude Closky et Jean-Louis Boissier, auteur de Scientists of America et du dernier blog.

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Jean-Gabriel Tarde ( 1843 à Sarlat – 1904 à Paris) était un juriste, sociologue et philosophe français et l'un des premiers penseurs de la criminologie moderne.

Otto Neurath ( 1882 – 1945 ) est un philosophe, sociologue et économiste autrichien.Il fut co-rédacteur en 1929 de La Conception scientifique du monde plus connu sous le nom de Manifeste du cercle de Vienne.

Bernard Stiegler ( 1952 ), est un philosophe français qui axe sa réflexion sur les enjeux des mutations actuelles, sociales, politiques, économiques, psychologiques, portées par le développement technologique et notamment les technologies numériques.En 2006 il crée l'Institut de recherche et d'innovation ( IRI ) qu'il dirige au sein du Centre Georges-Pompidou. Il est l'initiateur du groupe de réflexion philosophique Ars Industrialis (« Association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit »), dont il est le président.Bruno Munari ( 1907–

1998 à Milan ) est un artiste plasticien italien contemporain. Partant de la question de la nature et de l'utilité du livre, il entame une réflexion d'ensemble sur la forme et le contenu de celui-ci et consacre une partie de son œuvre à la création de livres pour enfants qui sont de véritables livres-objets, pleins de surprises et d'humour.

Yann Moulier-Boutang, ( 1949 ) est un économiste et essayiste français. Il enseigne l'économie politique à l'Université de Technologie de Compiègne. Il codirige la revue Multitudes et développe ses écrits autour de la notion de capitalisme cognitif.

László Moholy-Nagy ( 1895 à Bácsborsód – 1946 à Chicago ), est un peintre, un photographe et théoricien de la photographie hongrois, naturalisé américain. Il sera un professeur important du Bauhaus et directeur du New Bauhaus de Chicago.

il a une conception politique du design. Pour lui, le design doit être abordable par tous et l’utilité de l’objet doit être le critère premier.

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Paul Virilio ( 1932 à Paris ), est un urbaniste, professeur d'architecture et essayiste français. Il est principalement connu pour ses écrits sur la technologie et la vitesse dont l'alliance constitue à ses yeux une « dromosphère ».

Mémoire écrit par Paul Buros.

Achevé d'imprimer à l'École Supérieure d'Art & Design de Saint-Étienne en janvier 2012.

Sous la direction de Samuel Vermeil.

Typographie Sassoon Infant, Sassoon Sans et Sasson Sans Slope. Dessinée en 1995 par Rosemary Sassoon designer et scribe. Après des recherches sur l’apprentissage des lettres et de l’écriture avec des enfants, elle crée cette fonte pour les manuels scolaires.

Papier Cyclus 90gr et 120gr.

Remerciements à:

Sarah ArnalDavid-Olivier LartigaudJuliette FontaineJean-Paul MaugierMarie-Hélène DesestréJean-Claude CastagninoAude LevequeDamien BaïsMa mamanAnna, Marie-K, Jess et Guillaume.

200920775083