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1 LE MONOLITHE NOIR DU MATERIALISME RAMPANT « "L'auto-suffisance bienheureuse”, le divin en somme, tend à sa réfugier dans les formes d'existence les plus éloignées de la nôtre, finalement dans l'inorganique lui-même, dans la substance impénétrable des matière les plus résistantes, comme la pierre ou le métal. Le désir débouche enfin sur la froideur vide des espaces de la science-fiction, sur ces trous noirs (…) d'une densité si effroyable qu'elle attire à elle toute matière dans un rayon de plus en plus vaste, et de ce fait même, sa puissance d'attraction ne cesse d'augmenter. » (René Girard, “ Des choses cachées depuis la fondation du monde ”) « Notre monde est scindé en deux : le bien et le mal, la spiritualité et le pragmatisme. Notre univers humain est construit et modelé selon les lois matérielles, car l’homme a forgé sa société à l’image de la matière inerte. Il s’est appliqué toutes les lois de la nature inanimée, et c’est pour cela qu’il ne croit pas à l’Esprit, qu’il refuse Dieu, et qu’il ne se nourrit que de pain. » (Andreï Tarkovski, « Le Temps scellé », 1989) Le Serpent-désir érigé dans son solipsisme hermétique « L’homme est lui-même le créateur de son ciel et de son enfer, et il n’y a pas d’autres démons que nos folies. » (Eliphas Levi, « Dogme et rituel de la haute magie », XIXè siècle) Le désir d’être est inhérent à l’homme, que notre société matérialiste le veuille ou non. L’homme en quête métaphysique subit une tentation classique : la tentation babélienne, la tentation de bâtir une vérité unique. La tour de Babel est frappée par la foudre, comme le sait Nietzsche, qui semble s’en réjouir : « ainsi seulement peut croître l’homme jusqu’à cette hauteur où le frappe l’éclair et le brise, assez haut pour l’éclair. » 1 Gurdjeff était un gourou originaire de l’Arménie russe. Il est mort en 1949. Il cherchait une alternative à la mécanisation de l'homme : « “L'homme-machine”, pour qui tout dépend des influences extérieures, pour qui tout arrive, qui est maintenant tel homme et le moment suivant tel autre et plus tard encore un troisième 2 , n'a aucun avenir d'aucune sorte : il est enterré et c'est tout. Il n'est que poussière et il retourne en poussière (...). Pour qu'il y ait une vie future de quelque ordre qu'elle soit, il faut une certaine cristallisation. » Cette cristallisation est une"fusion des qualités intérieures de l'homme (…) l'unité intérieure est obtenue, par friction, par la lutte du "oui" et du "non" dans l'homme. Si un homme vit sans qu'il s'y oppose, s'il va toujours avec le courant, comme le vent le pousse, alors il restera tel qu'il est". Pour échapper à l'homme-machine, Gurdjeff retrouve l'idéal et la méthode de la construction de la Tour de Babel : on part du corps physique et par l’énergie produite dans l’effort, la lutte, on l’élève au psychisme et au spirituel afin qu’il devienne immortel. La Bible connaît ce dessein de se faire"un nom afin qu'on ne soit pas dispersé sur la surface de la terre". Son moteur est l'ambition qui entoure, regroupe. Son énergie est le feu obtenu par la friction électrique du oui/non : "Allons faisons des briques et cuisons-les au four. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment » 3 C’est une voie matérialiste. 1 « Ainsi parlait Zarathoustra » 2 Cf l’errance du désir métaphysique. 3 Genèse, 11, 3

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LE MONOLITHE NOIR DU MATERIALISME RAMPANT « "L'auto-suffisance bienheureuse”, le divin en somme, tend à sa réfugier dans les formes d'existence les plus éloignées de la nôtre, finalement dans l'inorganique lui-même, dans la substance impénétrable des matière les plus résistantes, comme la pierre ou le métal. Le désir débouche enfin sur la froideur vide des espaces de la science-fiction, sur ces trous noirs (…) d'une densité si effroyable qu'elle attire à elle toute matière dans un rayon de plus en plus vaste, et de ce fait même, sa puissance d'attraction ne cesse d'augmenter. »

(René Girard, “ Des choses cachées depuis la fondation du monde ”) « Notre monde est scindé en deux : le bien et le mal, la spiritualité et le pragmatisme. Notre univers humain est construit et modelé selon les lois matérielles, car l’homme a forgé sa société à l’image de la matière inerte. Il s’est appliqué toutes les lois de la nature inanimée, et c’est pour cela qu’il ne croit pas à l’Esprit, qu’il refuse Dieu, et qu’il ne se nourrit que de pain. »

(Andreï Tarkovski, « Le Temps scellé », 1989) • Le Serpent-désir érigé dans son solipsisme hermétique « L’homme est lui-même le créateur de son ciel et de son enfer, et il n’y a pas d’autres démons que nos folies. » (Eliphas Levi, « Dogme et rituel de la haute magie », XIXè siècle) Le désir d’être est inhérent à l’homme, que notre société matérialiste le veuille ou non. L’homme en quête métaphysique subit une tentation classique : la tentation babélienne, la tentation de bâtir une vérité unique. La tour de Babel est frappée par la foudre, comme le sait Nietzsche, qui semble s’en réjouir : « ainsi seulement peut croître l’homme jusqu’à cette hauteur où le frappe l’éclair et le brise, assez haut pour l’éclair. »1 Gurdjeff était un gourou originaire de l’Arménie russe. Il est mort en 1949. Il cherchait une alternative à la mécanisation de l'homme : « “L'homme-machine”, pour qui tout dépend des influences extérieures, pour qui tout arrive, qui est maintenant tel homme et le moment suivant tel autre et plus tard encore un troisième2, n'a aucun avenir d'aucune sorte : il est enterré et c'est tout. Il n'est que poussière et il retourne en poussière (...). Pour qu'il y ait une vie future de quelque ordre qu'elle soit, il faut une certaine cristallisation. » Cette cristallisation est une"fusion des qualités intérieures de l'homme (…) l'unité intérieure est obtenue, par friction, par la lutte du "oui" et du "non" dans l'homme. Si un homme vit sans qu'il s'y oppose, s'il va toujours avec le courant, comme le vent le pousse, alors il restera tel qu'il est". Pour échapper à l'homme-machine, Gurdjeff retrouve l'idéal et la méthode de la construction de la Tour de Babel : on part du corps physique et par l’énergie produite dans l’effort, la lutte, on l’élève au psychisme et au spirituel afin qu’il devienne immortel. La Bible connaît ce dessein de se faire"un nom afin qu'on ne soit pas dispersé sur la surface de la terre". Son moteur est l'ambition qui entoure, regroupe. Son énergie est le feu obtenu par la friction électrique du oui/non : "Allons faisons des briques et cuisons-les au four. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment »3 C’est une voie matérialiste.

1 « Ainsi parlait Zarathoustra » 2 Cf l’errance du désir métaphysique. 3 Genèse, 11, 3

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Celle du pélagianisme également, cette hérésie rattachée à Pélage4, selon laquelle l’homme peut atteindre la perfection par les seules forces de la nature. Or je pense avec Froger que la nature propre du corps humain « est de manifester dans le monde visible le critère d'interprétation de ce monde (…) Les anges l'approchent avec respect et vénération, les démons voudraient s'en emparer (…) D'où la suggestion pseudo-spirituelle faite à l'homme de se désincarner, de mépriser son propre corps ou de l'instrumentaliser complètement…" Massimo Introvigne, directeur du Centre d’études sur les nouvelles religions à Turin : « Le New age proposait à toute la société d’entrer dans une ère nouvelle. Dans le Next Age, au contraire, c’est le perfectionnement du seul individu qui compte. L’individu doit se concentrer sur son développement personnel (…) L’idée centrale est la possibilité d’accéder à un état supérieur de la conscience. Cette possibilité doit être cultivée par un long travail sur soi, qui promet des résultats spirituels, mais aussi matériels, notamment une vie plus longue. » Le fruit de l'Arbre de la connaissance du Bien et du Mal (proposé par le Serpent-désir) produit la friction intérieure dans l'homme de la lutte entre le "oui" et le "non", et cette friction à son tour, produit le feu électrique qui effectuera la cristallisation dont le produit résistera à la mort : un complexe d'énergie (du latin "complecti" : contenir), un double psycho-électrique qui pourra résister à la mort5. Ainsi les revenants sont des entités constituées d'énergie électrique psycho-physiologique et d'une conscience limitée, spécialisée, "maniaque", cristallisation d'une seule passion, d’une habitude, d’une idée fixe (cf. Gesualdo). Cette énergie s'épuise avec le temps, si elle n'est pas alimentée par l'entourage humain. On peut la faire disparaître par l'exorcisme, la prière individuelle, l'étreinte et l'inspiration du revenant (choc électrique). Le défunt remercie celui qui l'a délivré de ce fardeau. Le Dalaï-Lama parle de “phénomènes d'émanation" : "dans l'optique du "tantra", l'aspect ésotérique du bouddhisme tibétain, il est possible d'en donner une explication à partir de la dynamique des énergies subtiles, appelées les "prana". Grâce à diverses techniques méditatives, un pratiquant peut parvenir à un haut degré de maîtrise de ces énergies psychophysiques.(...) A un degré inférieur, une émanation créée par un individu est dans une large mesure contrôlée et dirigée par l'émanateur, presque comme le ferait un ordinateur. Rappelons que le hatha-yoga est une branche du yoga (école tantrique) qui vise à « obtenir la maîtrise en un an », et que le « hatha » est un effort violent qui entraîne un surcroît de force énergétique. « Georges Gurdjeff, vrai démon des domaines interdits qui mourut en 1949, écrivit de curieux petits essais que l’on publiera en 1959, sous le titre « Récits de Belzébuth à son petit-fils » (…) Précisons que Gurdjeff, c’est Belzébuth comme il le dit lui-même. Les enseignements, en effet, dénotent un complet nihilisme destructeur. Citons : « Le surnaturel c’est l’existence… Être, c’est être différent… Plus il active son vouloir, plus il est, et dès lors plus puissamment il convoque les êtres et les choses de l’existence… » On pose à Belzébuth la question : qu’est-ce que le bien ? qu’est-ce que le mal ? Et il répond : « Toute action est bonne objectivement si l’homme l’accomplit selon sa conscience. Elle est mauvaise si elle lui donne du remords. » Quant à la moralité ? Elle est « celle même appartenant en propre à l’être qu’on appelle caméléon. » Et il sourit. Jamais Hitler ne connut les remords. »6

4 Sorte de maître spirituel du IV-Vè siècle 5 in « Le Temps », 09/00 6 François Ribadeau-Dumas, « Hitler et la sorcellerie », 1975

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Suivre la voie de Gurdjieff, c’est se préparer à une vie terrestre future (réincarnation par la voie du revenant) au lieu de se préparer à la confrontation avec l'éternité (purification du purgatoire7, illumination et union céleste). Plus « communément », par l’union d’une volonté perverse et d’une imagination contraire à la nature, nous engendrons nos démons8 qui deviennent des forces indépendantes. Ce sont des créations magiques. « La passion est d’abord un étranger puis un hôte, et devient enfin le maître de maison. »9 « A la base de la maladie psychique on remarque souvent l’hypertrophie d’un péché (amour de soi, orgueil, repliement sur soi) »10

Le « complexe » psychopathologique (C.-G. Jung) est un démon en état de gestation. Il « paraît être un processus autonome qui s’impose à la conscience. C’est comme si le complexe était un être autonome capable d’intervenir dans les intentions de l’ego. En effet, les complexes se comportent comme des personnalités secondaires ou partielles qui possèdent une vie mentale propre. »11 Et dans « Le magique et le spirituel », Huxley écrit : « Entre la Réalité et l’Eternité d’une part, et, de l’autre, le monde limité et imparfaitement réel des créatures et du temps, il existe une sorte de

7 Adjectif qui n'a été substantivé qu'au XIIème siècle. On EST « purgés » ; on est déjà DANS le Purgatoire. 8 Et ce, « parallèlement » aux entités hiérarchiques célestes déchues, qui agissent dans le cadre de la Loi divine. 9 Le Talmud, Soukkah, 52 10 Alexandre Men, « Jésus, le Maître de Nazareth », 1999 11 « Psychology and Religion », 1950

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« no man’s land » - le monde de ce qui, à défaut d’un nom meilleur, a été appelé le monde des phénomènes psychiques. Ce domaine psychique est une extension du monde des créatures -son prolongement, en quelque sorte, dans l’infrarouge ou l’ultraviolet ordinairement invisibles. » C’est ce « no man’s land » que créent les bâtisseurs de Tours de Babel Et ils n’ont pas que la responsabilité de leur destin. Tout démon engendré par un individu peut devenir égrégor (du verbe grec « egregorein » : veiller), idéologie dominante. Ce mot se réfère aux anges qui, dans « Le Livre d’Hénoch », avaient décidé de veiller sur le mont Hermon. Par extension, l’égrégor est l’entité, l’être collectif issu de la relation de qualité qui unit une assemblée. Cette notion procède de l’idée que toute collectivité possède sa correspondance dans le monde invisible. 12 La conception de Gurdjeff repose sur la division interne de chacun, le conflit interne. Et son résultat est un double, cristallisation d'un désir (d'une passion) dominant. C'est le secret caché de toute science matérialiste, sans Dieu, sans mystique. Le double « électrique » n'est-il pas un modèle « immortel » (mortifère), « divin » (dia-bolique) pour le désir mimétique de l'homme ? « Hitler a su créer un second Hitler. Au repos, celui-ci demeure en quelque sorte tapi à l’intérieur du Hitler normal. Dans les mouvements d’exaltation, il se dégage et couvre l’autre de son masque aux proportions surhumaines. C’est ce dédoublement de la personnalité qui rend le jugement que l’on porte sur Hitler si difficile, aussi bien en ce qui concerne son aspect extérieur que son caractère. On peut distinguer entre deux personnalités, celle d’Hitler et celle du Führer (…) Ce dédoublement de la personnalité donne à la figure d’Hitler ce pouvoir de fascination qui paraît à juste titre si incompréhensible au premier abord. On assiste à la métamorphose d’un homme insignifiant en un homme important. »13 Trevor Ravenscroft rapporte, dans « La lance du Destin » qu’Hitler, face à la lance qui était supposée avoir transpercé le flanc de Jésus en croix, était dans un état second. A côté de Walter Stein « Hitler était comme un homme en transe, le visage empourpré, les yeux brillants d’un éclat étrange. Il se balançait ses sur ses jambes, en proie à une inexplicable euphorie ; l’espace même autour de lui semblait imprégné d’une subtile irradiation. Toute sa physionomie était transformée. On eût dit que quelque Esprit tout puissant habitait tout à coup son âme, créant en lui et autour de lui une sorte de transfiguration malfaisante de sa nature propre. » En 1905, von Lebenfeln publie un traité : « Théozoologie ou Connaissance des Singes de Sodome et de l’Electron des Dieux. Introduction à la philosophie la plus ancienne et la plus récente et justification de la Principauté et de la Noblesse. » Cet abbé défroqué devenu Grand Maître des néo-Templiers influencera Hitler ainsi que Lénine. Sa doctrine établit l’opposition des races inférieures à cheveux noirs aux héros aryens blonds « chefs d’œuvre à l’image des dieux, dotés d’organes électriques, de stations de force et d’émissions. » (…) Paul Le Cour a entendu Hitler discourir et il a rapporté dans son ouvrage « Le Drame de l’Europe : l’Ordre du Temple et l’Ordre Teutonique », que lorsque le Führer parle, c’est comme s’il reçoit « un courant magnétique qui l’enflamme. » Une pile électrique, une décharge d’éclairs. 14 « Les discours publics du Führer provoquaient à Nuremberg et ailleurs un véritable orgasme collectif », écrit René Alleau. « Sa parole violait littéralement les foules, les hypnotisait. Ses ondes

12 Le terme est employé par exemple dans la tradition franc-maçonne, où chaque loge a son Egrégore dont la présence et la force sont réactualisées lorsque les « frères » forment rituellement une « chaîne d’union ». 13 Otto Strasser, « Hitler et moi » 14 François Ribadeau-Dumas , « Hitler et la sorcellerie », 1975

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vibratoires semblaient porter un fluide vivant, un « ectoplasme », libérer par le dédoublement de sa personnalité. »15 François Ribadeau-Dumas rapporte qu’un soir il assista à une représentation au théâtre de Linz de l’opéra de Richard Wagner « Rienzi » et cela le bouleversa. Son ami Gusti le décrit ainsi : « ses yeux brillaient fiévreusement. Il ne parlait plus d’une façon égale comme à son habitude, mais les mots jaillissaient de sa bouche, âpres et rauques. Je n’avais jamais entendu parler Hitler de cette façon (…) C’était comme si quelqu’un s’exprimait à sa place, et lui-même écoutait, avec étonnement et émotion, les mots qui s’échappaient de ses lèvres, telles des eaux furieuses brisant les digues. » Or, « Au Parti Ouvrier, Hitler fit la connaissance de Dietrich Eckart. Connu comme poète, se disant historien, Eckart était membre de plusieurs sociétés d’initiation traditionnelles (…) Avec lui, il se rendit à Bayreuth visiter la maison de Richard Wagner (…) Fils de magistrat, bon buveur, on disait Dietrich Eckart morphinomane (…) Pendant quatre années, il sera son mentor. En réalité, Hitler découvrait un maître en magie noire. En 1923, il dira : « Suivez Hitler ! Il dansera, mais c’est moi qui ai écrit la musique. Nous lui avons donné les moyens de communiquer avec eux » (…) Parmi les enseignements que recevait Hitler ceux d’Aleister Crowley venaient a premier rang. Le cérémonial magique de sa loge en Angleterre, l’Astrum Argentinum, était imbu des sortilèges de la Rose-Croix d’où se forma la Golden Dawn (…) La légendaire contrée de Thulé chantée et immortalisée par Richard Wagner, était un Eden Nordique comparable à l’Atlantide (…) Les théosophes du général Haushofer avaient décidé de passer de la méditation à l’action (…) Les Vénérables de la Thulé craignaient les juifs, car ceux-ci, disaient-ils, disposaient d’une magie traditionnelle consignée dans la Bible, contenant la force magique de formules rituelles, des mots, des lettres, des chiffres de la Kabbale, de l’étoile de David et du sceau de Salomon. On y détestait aussi les Gitans (…) La manipulation des tarots était aussi perfide que celle de la Kabbale (…) Le rituel d’initiation à la Thulé comportait, comme dans les rituels maçonniques de l’époque, une petite blessure au bras pour que coule une goutte de sang (…) Saint Augustin écrit que celui qui effectue la signature avec son sang d’un pacte plutôt diabolique est un apostat qui perd son salut éternel. Par contre, selon Faust, il y acquiert un pouvoir surhumain. Il gagne la puissance, avec la splendeur, la beauté, la jeunesse, et il va conquérir le monde. » « La société Thulé, association secrète allemande, émanant de la Golden Dawn, a été le levain de l’hitlérisme. »16 « Autre influence majeure : le baron von Sebottendorff, ancien chercheur d’or, citoyen turc, Grand Maître de l’ordre des Rose-Croix, imprégné d’ésotérisme kabbalistique. Il y avait aussi Karl Haushofer, Grand Maître de l’Ordre Nouveau du Temple (…) il jouera le rôle de Méphistophélès, initiant Hitler à la signification occulte du Sang et lui montrant l’importance des rituels magiques dans la mutation de la race aryenne »17 Je ne sais pas si la folie meurtrière du nazisme trouve sa source dans les agissements de sectes sataniques, mais j’écoute avec intérêt Primo Levi, qui en a directement pâti : « Mais dans la haine nazie, il n’y a rien de rationnel : c‘est une haine qui n’est pas en nous, qui est étrangère à l’homme, c’est un fruit vénéneux issu de la funeste souche du fascisme, et qui est en même temps au-dehors et au-delà du fascisme même. Nous ne pouvons pas la comprendre ; mais nous pouvons et nous devons comprendre d’où elle est issue, et nous tenir sur nos gardes. Si la comprendre est impossible, la connaître est nécessaire, parce que ce qui est arrivé peut recommencer, les consciences peuvent à nouveau être déviées et obscurcies : les nôtres aussi. »18

15« Hitler et les sociétés secrètes » 16 Jean-Pierre Bayard, « Les Francs-Juges de la Sainte Vehme » 17 Trevor Ravenscroft, « La lance du destin » 18 Primo Levi, « Si c’est un homme » 1958

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Selon l’auteur anonyme des « Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot », “la raison grave qui pousse l’Eglise à prendre une attitude négative envers les fraternités, etc… initiatiques, est le danger de substituer le bâtiment à la croissance, le “ faire ” à la grâce, les chemins de la spécialisation à la voie du salut. Je ne sais pas si cela explique le procès fait à l’Ordre des Templiers, mais cela explique certainement l’opposition de l’Eglise à la Franc-Maçonnerie.” Le Royaume de Dieu est le Royaume intemporel d’un Dieu éternel… Il faut le chercher d’abord, et le reste suivra… Or comme le rappelle Aldous Huxley, « Parmi les gens religieux, la recherche primordiale des valeurs temporelles est toujours associée à l’idée d’un Dieu qui, étant dans le temps plutôt que dans l’éternité, n’est pas spirituel, mais « psychique ». Ceux qui croient à un Dieu temporel font usage de la prière en pétition, passionnément voulue et intensément sentie, pour obtenir des bienfaits concrets, tels que la santé et la prospérité avant la mort, et, après, une place dans quelque paradis éternel. »19 Pour guider notre cheminement vers la Terre Promise, écoutons la voix des prophètes (du grec « prophêtês » : qui dit d’avance) du Livre. Dans l’Exode, c’est au moment où le peuple juif adore le Veau d’or qu’il a créé, que Moïse reçoit la révélation du Verbe. Le Verbe est l’antidote contre le poison idolâtrique. Pour Le recevoir (pour écouter), nous devons faire taire notre volonté et notre imagination arbitraires et leur imposer la discipline du silence. Et, dans l’Evangile selon Saint Matthieu, ce sont les Béatitudes qui forme le premier discours évangélique du Verbe fait chair. Jésus gravit la montagne pour s’adresser aux foules. Il EST la Voie, la Vérité et la Vie. Comme le fait remarquer Desjardins, "Chaque Béatitude décrit un état d'être. "Heureux celui qui est…" Comment passer de faire, qui est notre point de départ, à être ?" Pour ne pas récolter la foudre, arrêtons de construire, et taisons-nous un peu… Mettons nous en état d’écoute spirituelle… Les rumeurs, les bruits furieux, les cris de frayeur, le désordre des pensées, la crainte de la mort, et le chagrin feront place à la joie, à l’allégresse, au courage, à la confiance, et aux pensées sans trouble, sans agitation. Pour Saint Jean de la Croix, « l’inquiétude est toujours de la vanité, parce qu’elle ne sert à rien de bon. Voire, même si le monde entier était jeté dans la confusion, avec toutes les choses qui s’y trouvent, l’inquiétude à ce sujet serait encore de la vanité » 20 C’est l’enseignement inspiré par l’Ange gardien de « La Tempérance », XIVè arcane qui précède « Le Diable » (XV).

19 « La religion et le temps » 20XVIè siècle

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« Mais nous ne devons pas toujours nous attendre à ce que les anges combattent pour nous ; ils ne nous aident qu’au commencement, lorsque nous débutons nous-mêmes. Avec les progrès du temps, il faut que nous-mêmes sortions armés pour le combat (…) Revêtez la cuirasse de la charité ; recevez le casque du salut ; prenez le glaive de l’Esprit et surtout le bouclier de la foi, afin de pouvoir éteindre les traits enflammés de l’esprit du mal. »21 (Origène). Origène nous propose une voie pour protéger, dans l’épreuve de la vie, un état intérieur propre à l’expérience spirituelle authentique. Et cette protection est consécutive à une ouverture à l’« au-delà ». Il s’agit de mettre l’énergie psychique et mentale de l’amour entièrement à la disposition des hiérarchies célestes, des saints, de Dieu. Se mettre en état de prière22. « Ayez courage et priez… » dit Saint Athanase23. « Quand nous nous levons pour l’oraison, frères bien–aimés, nous devons veiller et nous appliquer de tout cœur à la prière. Que soit écartée toute pensée charnelle et mondaine, que l’âme ne pense à rien d’autre qu’à prier. Et c’est bien pour cela que le prêtre, avant l’oraison, prépare l’esprit des frères en disant dans la Préface : « Levons les cœurs ! » Le peuple répond : « Nous les tournons vers le Seigneur. » » « Que Ton Règne vienne »… Comme l’écrit Huxley, ce Règne « ne peut absolument pas advenir à quelqu’un qui habite un « univers-maison », créé par lui pour sa propre peur, sa cupidité, sa méchanceté et son inquiétude personnelle. »24

21 « In Judic… », IIIè siècle 22 Saint Cyprien, « De Dominica Oratione, IIIè siècle 23 « Vie de saint Antoine le Grand », IVè siècle 24 « Des distractions »

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« Je reconnais que je me suis longtemps servi du mot Dieu comme d’une sorte de dépotoir où verser mes concepts les plus imprécis », écrit André Gide ; « mon Dieu perdit en vieillissant (ce n’est pas lui qui vieillissait, c’est moi) tous les attributs dont je l’avais revêtu naguère ; à commencer (ou à finir) par l’existence, ou, si l’on veut, par la réalité. Cessé-je de penser, il cessait d’être »25 Non, notre royaume doit s’effacer. Alors, au lieu de produire, par coagulation et enroulement (COAGULA), des serpents maléfiques, nous nous dissoudrons (SOLVE) dans le Bien et rayonneront par Lui, avec Lui et en Lui. Et nous combattrons le mal par la seule présence du Bien. Car les ténèbres reculent devant la lumière. Un démon perçu est un démon rendu impuissant. Mis au jour, les démons artificiels se dissipent26. Sainte Thérèse d’Avila nous donne un moyen de démasquer le tentateur : « Le démon (…) produit une inquiétude dont on ne peut découvrir la cause. Il semble que l’âme résiste, se trouble et s’agite sans savoir de quoi, car ce que le démon lui fait entendre n’est pas mauvais mais plutôt bon (…) Quand le démon nous parle, il ne procure à l’âme aucun calme intérieur. Il la laisse plutôt comme saisie de frayeur et en proie à un grand dégoût. »27 La révélation de Saint Jean dans son Apocalypse (de « apocalypsis » = révélation) est un appel à une véritable prise de conscience hic et nunc. « Lorsque nous croyons présomptueusement que nous sommes, ou deviendrons dans quelque état utopique futur, « des hommes pareils à des dieux », nous sommes, en fait, en danger mortel de devenir des diables, capables seulement (quelque élevés que puissent être nos « idéals », quelque splendidement élaborés que soient nos plans et schémas d’exécution) de ruiner notre monde et de nous détruire nous-mêmes. Le triomphe de l’humanisme est la défaite de l’humanité. » 28 Ora et Labora.

25 « Les nouvelles nourritures », 1935 26 Cf la psychanalyse qui cherche à faire remonter les complexes de l’inconscient à la lumière de la conscience. 27 « Le livre de la vie », XVIè siècle 28 Aldous Huxley, « L’homme et la réalité »

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ANNEXE • De l’exorcisme En France, en 1997, on compte 70 prêtres exorcistes nommés par l’épiscopat catholique, entourés d’une trentaine de psychiatres, religieuses et prêtres. A la fin des années 70, l’effectif officiel atteignait à peine la douzaine… Les rituels ont été codifiés en 1614… Quatre symptômes sont retenus par l’Eglise comme caractéristique de la possession : la soudaine capacité à s’exprimer dans une langue jamais apprise, le décuplement brutal de la force physique, la connaissance subite de choses ignorées ou de sentiments éprouvés par d’autres personnes et, enfin, le fait le vomir des corps étrangers avalés sous la férule du démon. Les orthodoxes pratiquent des rituels très anciens hérités de saint Cyprien, saint Jean Chrysostome ou saint Basile…

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• L’homme et le vivant : « Apocalypse now » ”La vie, c’est d’abord le désir, la violence du désir (…) Certains pensent que le progrès des connaissances pourra un jour assurer à l’homme une vie pleine et heureuse, délivrée de tous les maux et -pourquoi pas ?- de la mort elle-même ! (…) ils sont en train de mourir, faute d’être nés véritablement” (Eloï Leclerc, “Le Maître du Désir”) Nous n’avons plus les mêmes illusions qu’il y a un siècle vis à vis de la science et de la notion de progrès. Quel écart entre les satisfactions techniques et scientifiques et les frustrations de l'homme ! C’est la grande blessure narcissique de l'humanité. Il faut en finir avec la volonté de puissance mortifère. L'homme a une tendance à saturer l'écosystème. En augmentant sa population29 : chaque seconde, naissent 2,7 personnes… En épuisant le milieu : en trente ans, l'homme a détruit plus de 30% du monde naturel ; en cent ans, il a consommé la majeure partie de ce qui a été métabolisé en des millions d'années. "Les forêts précèdent les hommes. Les déserts les suivent."30 N’oublions pas qu’il existe des exemples d’évolution suicidaire comme le tigre à dents de sabre tellement grandes qu'il ne pouvait plus se nourrir (?!)… Qu'est-ce qui, tôt ou tard, va nous freiner ? De nouvelles formes d'épidémies ? Des guerres pour le contrôle des biens rares ? Entamons-nous un régression vers un long Moyen âge ? Un proverbe africain dit : "Quand tu ne sais plus où tu vas, arrête-toi, et regarde d'où tu viens". Le meurtre fondateur… Sa méconnaissance et son emprise sur l'humanité caractérisent la communauté humaine décrite dans l’Apocalypse de saint Jean. Le souci quotidien, l'apathie et l'indifférence dominent (“on mangeait, on buvait, on achetait, on vendait, on plantait, on bâtissait.”) La négation d'autrui ("l'amour du grand nombre se refroidira") entraîne une logique d’expulsion, du meurtre. Le conflit des doubles devient planétaire. Le Royaume de Satan est plus divisé contre lui-même que jamais (vengeance, représailles). On retourne à l’indifférencié. (“Toutes les vallées seront comblées, toutes les montagnes abaissées”). C’est un grand nivellement tragique. Que faire avec notre désir ? Comment envisager notre relation au monde pour ne pas vivre l’apocalypse ? L'écosystème, ce sont les interactions entre toutes les espèces, les relations de transfert d'énergie et de matière entre les espèces animales et végétales :

29 Derrière les angoisses du surpeuplement, les statistiques, derrière la volonté Levi-Straussienne de diminuer l'encombrement, se dissimule la question du bouc-émissaire. Le structuralisme est la pensée de la différence : il voit les choses en terme d'espacement. "La structure telle que définie par Levi-Strauss est plutôt (…) un modèle théorique que construit le chercheur et qui, à la limite, devrait être réductible à une formule mathématique. La fonction de la structure n'est pas de décrire (…) ; sa fonction est de rendre intelligibles les faits observés, à un niveau de connaissance autre que celui dont dispose le participant lui-même, c'est-à-dire au plan de l'intelligibilité théorique…"(Guy Rocher, "Introduction à la sociologie générale") Ce modèle appelé "statistique" par Levi-Strauss permettrait la prédiction. 30 Chateaubriand

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producteurs de bio-matière --> consommateurs primaires --> consommateurs secondaires. Relations de mangeurs à mangés. Or les insectes sont plus résistants que les hommes. Leur organisation est parfaite. Ils vont nous survivre si nous ne comprenons pas que nous devons privilégier la vie… « Mais ce que les hommes ont fait de la terre promise – de la terre accordée… il y a de quoi faire rougir les dieux. L’enfant qui brise un jouet n’est pas plus bête, ni l’animal qui saccage le pâtis où il doit trouver nourriture, trouble la source où il va boire, ou l’oiseau qui souille son nid. »31 Plus un écosystème est simple, moins il comporte de partenaires, plus il est susceptible d'être balayé par des changements imprévisibles et brutaux de son environnement physico-chimique ou climatique. La diversité est une garantie de pérennité. L'homme a besoin de la diversité. Le progrès des sciences va consister à décentrer l'homme de l'univers. Nous sommes des nains sur des épaules de géants. Mieux vaudrait obéir au principe de précaution : ne pas tout consommer. Cette survie implique la prise de conscience immédiate que la vie est en nécessaire association. C’est le principe de coopération symbolisé par les enfants jumeaux de l’arcane XIX : le Soleil, arcane de l’intuition.

Or nous avons toujours trouvé la paix à l'ombre de nos idoles, c'est-à-dire de notre propre violence sacralisée. Et c'est aujourd'hui encore à l'abri de la violence la plus extrême que nous cherchons cette paix. Le Moloch moderne est technologique. Nos armes s'appellent Titan, Poseidon… C'est le vrai Dieu de l'humanité que nous fabriquons de nos propres mains pour bien le contempler, celui qu'aucune religion désormais ne réussira plus à maquiller (...) Nous sacrifions des ressources fabuleuses pour engraisser la plus inhumaine des violences, pour qu'elle continue à nous protéger,

31 André Gide, « Les nouvelles nourritures », 1935

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(...) demain certainement le milieu naturel ne sera plus capable, sans devenir inhabitable, d'absorber la violence que l'homme peut déchaîner"32. Pour survivre, l'espèce humaine doit apprendre à mieux vivre avec… elle-même. C'est le prochain défi adaptatif, étant donné que nos sociétés maîtrisent bien leur environnement naturel et vivent principalement dans un environnement artificiel. C’est un défi que chacun doit relever, à son niveau. En reconnaissant la parenté de la violence de sa société et celle de la violence engendrée par son désir mimétique personnel. Jacques Sémelin écrit : "Les relations extérieures de tout groupe humain sont paranoïdes tandis que ses relations intérieures sont dépressives. Or, la position dépressive rend possible la vie en société par l'acceptation de la loi, ce qui suppose le renoncement à la violence individuelle (…) C'est donc reconnaître à l'Etat le monopole de la violence légale. Mais l'Etat, lui, n'est pas du tout dépressif, mais paranoïde ! (…) l'Etat n'a pas de "conscience" (…) L'Etat est ce monstre froid, ce monstre paranoïde qui s'est édifié au cours des siècles (…) C'est une attitude littéralement psychotique que de nier notre responsabilité personnelle face au risque nucléaire : nous refusons de voir notre faute, nous la dénions, alors même que la situation présente a été engendrée par notre démission à tous (…) Vous, lecteur, en toute sincérité, acceptez-vous que votre sécurité personnelle repose sur la menace de mort de soixante millions d'hommes et de femmes ? Moi, franchement, je ne peux m'y résoudre. je me sens coupable de soutenir la préparation d'un crime contre l'humanité."33 L’attitude technicienne elle-même, dualiste en soi, doit immanquablement évoluer. Il faut cesser de fonctionner, d’agir en vue d’un profit immédiat (ou même futur). C’est simplement aller dans le sens de l’évolution historique de l’humanité. Alors que nous devrions avoir une conscience de la durée temporelle bien plus étendue que l’homme préhistorique, plus que jamais, le front saillant et la vue courte, nous agissons comme lui. Quand les premiers hominidés ont eu l’étrange idée de taper sur les cailloux pour changer leurs formes (au lieu de les utiliser tels quels), c’était pour une utilisation immédiate. Puis quand les premiers hommes (-500 000 ans) ont sculpté des objets symétriques, doublement (latérales et faciales) de plus en plus fins, l’efficacité couvrait les mois à venir. Il semble que l’esprit des peintres d'il y a 30 000 ans travaillait pour un temps encore plus long. Ils fixaient la peinture pour plusieurs générations. Pour les constructeurs de cathédrales, la réalisation même du projet dépassait une vie humaine (trois générations). De nos jours, la science voit à 15 milliards d'années en arrière et à 40 millions d'années en avant… Avec cette perspective temporelle, le principe d’utilité qui régit les actions de “l’homo faber” devrait dépasser l’égoïsme d’une individualité. La conscience libérée par la science devrait être planétaire. Mais chacun est soumis à la tentation babélienne… Après moi, le déluge… Je suis libre et responsable. Ceci dit, sur quoi ai-je prise ? Sur l’instant présent34. Il faut travailler sur l'instant présent. Et plutôt que de bâtir (toute construction humaine est périssable), il vaudrait mieux croître, entretenir et cultiver la Vie. « En le mécanisant, l'homme ne s'est pas rendu maître du temps, mais son esclave et plus il essaie d'en "gagner" moins il en possède. Il ne serait pas plus fou de vouloir capter une rivière dans un

32 René Girard 33 « Pour sortir de la violence »,1983 34 Pour les bouddhistes, celui-ci est le résultat, la conséquence de nos vies antérieures et la cause de nos vies futures.

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seau puisque ce qui fait la rivière, c'est le courant, la continuité de son mouvement ; il en va de même pour le temps (...) si l'on ne résiste pas à son courant, le temps perd son pouvoir sur nous, et nous sommes portés par lui comme sur une vague, sans être submergés et sans perdre de vue notre éternité essentielle. »35

35 Lama Anagarika Govinda, "Le chemin des nuages blancs", 1949

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ANNEXE • De Tchernobyl Dans « La supplication » (1997), Svetlana Alexievitch a recueilli la parole de ceux qui étaient dans la région de Tchernobyl : « Pourquoi Tchernobyl a sauté ? Certains disent que c’est la faute des scientifiques. Ils attrapent Dieu par la barbe et, Lui, Il se moque de nous. Et c’est à nous de souffrir ! (…) Il n’y a rien de plus horrible que l’homme. (…) A la naissance, ce n’était pas un bébé, mais un sac fermé de tous les côtés, sans aucune fente ; les yeux seuls étaient ouverts. Sur sa carte médicale, on a noté : « Née avec une pathologie multiple complexe : aplasie de l’anus, aplasie du vagin, aplasie du rein gauche… » (…) Un professeur nous a donné un discret conseil : « Avec une telle pathologie, votre enfant représente un grand intérêt pour la science. Ecrivez à des cliniques étrangères. Cela doit les intéresser. » Et depuis je n’arrête pas d’écrire… (Elle tente de retenir ses larmes). J’écris que l’on presse l’urine toutes les demi-heures, avec les mains, que l’urine passe à travers des trous minuscules dans la région du vagin. Si on ne le fait pas, son rein unique cessera de fonctionner. Est-ce qu’il y a un enfant dans le monde à qui l’on doit presser les urines toutes les demi-heures ? (…) Un jour, j’ai pris un taxi et le conducteur s’étonnait de la manière dont les oiseaux se cognaient contre le pare-brise, comme des aveugles. Comme des fous… Comme s’ils se suicidaient… »

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• Ouragans et typhons : des signes de la foudre divine ? « L’homme est devenu maître du monde ; il le juge et l’améliore. Il ne peut plus croire en Dieu au niveau de la « nature », c’est-à-dire de la puissance, de la peur et de l’intérêt. Il est mûr pour la révélation du Christ ; il peut croire en Dieu au niveau de l’amour (…) Evidemment, nous ne nions pas l’intervention de Dieu dans le monde ; nous mettons seulement en doute que ces interventions soient violentes. »

(Louis Evely, « La prière d’un homme moderne », 1969) Drôle comme le vent reste imprévisible et semble parfois rappeler l’homme à l’humilité… Drôle comme les typhons semblent attaquer les communautés les plus opulentes…et avec une certaine ironie… C’est le jour de la fête du travail que le "Labour Day Hurricane" -un « ouragan tueur » de niveau 5 (maximum)- frappe des îles américaines octroyées par l'Etat à de fortunés colons. Le raz de marée de douze mètres dévaste tout. Un rescapé raconte qu'en une nuit, il a perdu 50 personnes de sa famille (ils vivaient tous ensemble). Il y a aussi le typhon sur Galveston, la ville la plus riche des Etats-Unis (coton) : 8 000 victimes et 2600 maisons détruites. Et ces derniers temps les derniers ouragans semblent se focaliser sur Miami, repaire d’une certaine mafia… Drôle comme les autorités américaines jouent à la roulette russe avec le vent, cet imprévisible : en dépit de la fréquence trentenaire des cyclones dévastateurs, elles laissent les compagnies rentabiliser les énormes raffineries off-shore qui puisent l’or noir dans l’océan. Que leurs enfants risquent de vivre des catastrophes écologiques sans précédent est une perspective trop éloignée du bout du nez de ces misérables augures… Drôle de choix pour le premier film (documentaire) de Thomas Edison : un ouragan. Par la suite, tout le cinéma américain basé sur la puissance logistique n’en a produit que de traîtres « remakes » glorifiant le mythe de l'homme victorieux sur les éléments naturels maléfiques et destructeurs… Leur modèle initial filmait la chute de Babel, avec, à la fin, plus rien sauf une "chambre avec salle de bain et vue sur le ciel"…

« Louez sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent, pour l’air et les nuages,

et le ciel pur, et tous les temps par lesquels à tes créatures

tu donnes soutien. »36

36 Saint François d’Assise, « Cantique de Frère Soleil », 1224

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• La génétique prépare un monde grouillant de jumeaux "Le savant néfaste n'existe probablement jamais isolément : il n'existe que si la société, à un certain moment, a intérêt à son existence. Il ne ressemble pas au créateur de Frankenstein, mais plutôt aux médecins nazis ou staliniens, qui dérivent d'un certain type de société" (Axel Kahn37) "Il y a quelque chose de faustien dans le pacte grandiose que nous propose le siècle des biotechnologies" (Jeremy Rifkin, "Le siècle biotech", 1998) Le savoir scientifique augmente, et le clonage n’est qu’une étape impressionnante d’un processus matérialiste mortifère. Les manipulations génétiques38 concernent l’ensemble des êtres vivants : végétaux, animaux, humains… On connaît la polémique que soulève la tentative de banalisation des organismes génétiquement modifiés (OGM). Début 2000, à Montréal, 130 pays ont pour la première fois affirmé leur droit de refuser l’importation d’OGM en vertu du principe de précaution. L’ennui, c’est qu’il n’y a pas unanimité sur la portée de ce principe. Les grands exportateurs (Etats-Unis, Argentine, Canada) n’ont accepté de signer ce « Protocole sur la biodiversité » qu’à la condition qu’il reste vague sur la question. Depuis le 10 avril 2000, la législation européenne impose aux fabricants de mentionner la présence d’OGM dans leurs produits s’ils en contiennent plus de 1%. Mais en Chine la double hélice symbolisant l’ADN est devenu l’emblème national du progrès, exhibé sur les chars pendant la parade de la fête nationale en 1999, transformé en sculptures géantes dans les parcs publics… « Pékin affiche un tel enthousiasme qu’il a même remisé sa traditionnelle méfiance vis-à-vis des capitaux étrangers et accordé une parcelle de terre chinoise -la plus grande jamais cédée depuis 1949- à une société cotée en Bourse aux Etats-Unis, la China Continental, en échange de la promesse de construire une laboratoire de recherche génétique ultra-moderne en Mongolie-Intérieure (…) Pékin a consacré des milliards de dollars à la recherche sur la modification des gènes végétaux, animaux et humains »39 Cela fait déjà un moment que les généticiens modifient les animaux d'élevage en insérant des gènes dans des œufs fécondés, puis en implantant ces œufs « améliorés » dans des utérus. Ils produisent des générations de souris-mutantes, qui possèdent dans leurs gamètes des gènes modifiés. Ils fabriquent aussi des chimères, à partir de deux cellules d'êtres vivants différents. Des cailles-poules, par exemple. Ici les modifications ne portent pas sur les cellules qui donneront les gamètes : leurs descendants ne seront pas chimériques. Chez les humains, la procréation médicalement assistée offre chaque jour de nouvelles promotions. Par la méthode Ericson (tri des spermatozoïdes XY ou XX), on peut choisir le sexe de son enfant pour 1800 F. Chaque jeune Américaine peut congeler un de ses ovules (ovocyte), et le garder pour le moment jugé opportun pour sa carrière !

37 Membre du Comité national d'éthique, directeur de recherche à l'Inserm 38 Un gène est une portion d'ADN, molécule particulière formée de 4 bases ACTG. 39 In « The Wall Street Journal », 04/00

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On congèle même des fœtus (ovule fécondé)… A Rome, les naissance gémellaires ont augmenté de 20% depuis 1980 ; à Toronto de 25% ; en Angleterre, de 25% depuis 1985 ; et aux Etats-Unis… de 62% ! Or il faut savoir que 20% des grossesses gémellaires sont dues à la fécondation in vitro. En effet à chaque intervention, on fabrique une dizaine d’embryons, dont environ trois vont être implantés dans l’utérus de la future mère. La réussite d’une FIV dépend du nombre d’embryons transférés. Et plus il est grand, plus le pourcentage des naissances multiples augmente (2 embryons, 4 % de naissance gémellaire ; 4 embryons, 10% de jumeaux et 5% de triplés). La logique de l’efficacité conduit donc à accroître le nombre d’embryons transférés… et banaliser la « réduction embryonnaire », expression savante pour dire le massacre des vies indésirables. Les « dommages collatéraux » de la science en somme… Combien d’embryons sacrifiés pour obtenir 80% de grossesses multiples ? Il faudrait le demander à cette recruteuse américaine de mères-porteuses qui, en sept ans, a fait naître cinquante-et-un enfants, dont dix-huit paires de jumeaux et deux fois des triplés ! Un argument américain pour ce type d’entreprise : il n’y a pas de mère-porteuse au chômage. Elles vivent à l’heure de la mondialisation. Comme cette Californienne qui le « produit » commandé pour 300 000 F par un couple vivant au Japon… Certains enfants ont donc trois mères : la donneuse d’ovule, la mère-porteuse, et la femme du père. Il est assez intéressant de noter à quel point les consommateurs (américains) de ce nouveau service, pour le justifier, mettent en avant l’avis des enfants de leur entourage. “Adultifier” les enfants au nom de je ne sais quel prétexte égalitaire permet de baisser leur niveau d’engagement. Ces parents biotech, dont la procréation est médicalement assistée, restent infantiles, irresponsables. Ou alors, pour pallier leur manque fondamental d’autorité, ils font appel à la notion de « grande famille »… La mère-porteuse devient marraine. Les seules limites à leur désir d’enfant seraient d’ordre technique. S’ils ont envie d’enfant, ils ont le droit d’en faire… faire. Quant aux devoirs, ça ne concerne pas ces produits du père Ronald Mac Donald, du fils Walt Disney et de l’esprit Coca-Cola… Trinité emblématique du nouvel égrégor qui veut créer « sa » mondialisation. « Nous comptons devenir le Mc Donald’s du sperme », déclare fièrement Ole Shou40, de Cryos international Sperm Bank, le géant danois de la procréation assistée. Le Danemark est le numéro un de l’exportation de sperme en Europe. C’est le principal fournisseur de la Grand-Bretagne, caniche de l’Oncle Sam… En 72 heures chrono, Cryos livre la précieuse semence pratiquement partout dans le monde. Dans de l’azote liquide, le sperme se conserve une semaine… Janvier 2001. Deux jumelles américaines de six mois ont été vendues pour 42000F par leur mère, via une agence spécialisée et Internet. Puis la mère a reçu une nouvelle offre d’un montant plus élevé. Elle a retiré ses filles au couple qui les avait adoptées pour la revendre à meilleur prix à une famille anglaise. Les deux couples se bagarrent par avocats interposés. En France, la loi de 1994 de bioéthique stipule que les manipulations ne sont autorisées que pour traiter les déficiences d’un couple. Pas de mère-porteuse41. Et pas de marché : les dons de sperme, d’ovocytes, d’embryons, sont anonymes et gratuits. La recherche doit respecter l’embryon : elle est dirigée vers ce qui peut améliorer sa viabilité. L’Etat joue encore son rôle… 40 Selon le « Wall Street Journal », début janvier 2000. 41 Et la France est les pays au monde où il y a le plus d’enfants adoptés proportionnellement à la population.

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Par ailleurs, les médecins ne font pas qu’appliquer la loi ; ils considèrent les demandes en commissions pluri-disciplinaires. Le Comité consultatif national d’éthique, l’Académie de médecine et les magistrats du Conseil d’Etat ont donné leur feu vert : le gouvernement devrait déposer un projet de loi avant la fin 2000 autorisant que soient menées des recherches sur les embryons congelés qui ne font plus l’objet d’un projet parental (avec l’accord du couple). Pour l’instant, il n’est pas question de créer des embryons pour la recherche, pas de clonage thérapeutique en France. A Créteil, l’équipe du Professeur Perchanski prélève des tissus nerveux sur des embryons issus d’IVG pour les greffer dans le cerveau de personnes atteintes de la maladie de Parkinson. Il (Perchanski) parle de leur « difficultés actuelles d’approvisionnement. » A Montpellier, le professeur Alain Privat travaille lui aussi sur les greffes de cellules nerveuses dans la moelle épinière. « Pour moi, il n’y a aucun rapport entre un embryon mort après une IVG et un embryon congelé après une fécondation in vitro, et donc viable. » 42 « Pour contourner la difficulté, certains manipulent le langage. On entend dire, par exemple, que seuls les embryons qui font l’objet d’un projet parental méritent d’être protégés. Mais la toute puissance de la volonté ou de la parole ne peut pas définir la réalité extérieure ! »43

Aux Etats-Unis en 1997, les entreprises ont dépensé plus de 10 milliards de FF dans la recherche scientifique et technique effectuée à l’université (soit 5 fois plus que vingt ans auparavant). Selon « The Nation » (janvier 2000), plus de 90% des entreprises du secteur des sciences de la vie entretiennent une relation officielle avec des scientifiques universitaires. Or une étude publiée dans le « Journal of the American Medical Association » montre que les tests de médicaments sponsorisés par l’industrie pharmaceutique ont moins de chance d’être qualifiés de négatifs que ceux ne bénéficiant pas de soutien financier privé (5% contre 38%). Lorgnant sur l’exemple donné par l’Oncle Sam, des voix françaises perfides citent certaines découvertes “positives” (concernant la stérilité masculine par exemple) faites par des savants fous à l’étranger à quelques kilomètres de chez eux… Il n’existe pas en effet de législation européenne en la matière et l’on constate une grande disparité, d’une Allemagne sur ses gardes, à une Italie laxiste, en passant par une Belgique qui, à défaut de lois, développe une éthique proche des positions françaises44… A partir du moment où l’homme se croit tout puissant par rapport à la vie, il cherche, avec une logique mortifère, à maîtriser des organismes de plus en plus complexes. Le mot clone vient du grec « klôn » qui signifie « brindille, bouture ». Une bouture est un élément végétal qui permet de reproduire spontanément une plante à partir du prélèvement d’une de ses parties. En novembre 1998, le bimestriel américain « Science » publie un article annonçant qu'une équipe de l'université de Wisconsin a réussi à isoler des cellules embryonnaires de souche. Ces cellules-souches (« embryonic stem » ES) ne se trouvent que dans les embryons. Elles constituent le point de départ du développement du fœtus. Une fois implantées dans l'utérus, elles se divisent en cellules de plus en plus spécialisées qui forment peu à peu le cœur, le sang, les os, les cheveux, les nerfs etc… Au départ, chacune d’elle a la capacité de devenir n'importe quelle partie du corps.

42 In « La Vie », 21/09/00 43 Monette Vacquin, psychanalyste, in « La Vie », 21/09/00 44 En Espagne, la recherche sur les « préembryons » de moins de 14 jours est autorisée depuis 1988.

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Quelles applications nous fait-on miroiter ? Des usines cellulaires spécialisées : l’une produira du muscle cardiaque pour réparer nos cœurs après nos infarctus ; l’autre produira des neurones pour guérir des paralysies, etc… Bon. Mais sur quoi travaille-t-on exactement ? Sur des embryons humains, "frais" ou congelés… Un "matériel rare", comme le déplore Mark Perloe, le directeur du département d'endocrinologie reproductive et des études sur la fertilité du Centre médical baptiste de Georgie. Prohibition ou pas, rien n'arrête les scientifiques. John Gearhart, de la John Hopkins University, utilise des fœtus avortés de 5 à 9 semaines. Quel est donc l’exploit qui justifie ce sacrifice humain ? Les équipes rivales de ces chercheurs ont toutes deux provoqué la transformation de ces cellules, indifférenciées au départ, en cellules cartilagineuses, osseuses, musculaires, etc… Leurs techniques font l'objet de brevets mondiaux45, déposés par la firme californienne Geron… cotée en bourse… Comme le dit Axel Kahn, généticien et membre du Comité d’éthique français, "La notion d'un patrimoine génétique à "gérer" sans s'occuper de la manière dont le voisin gère le sien est en totale adéquation avec l'idéal profond du libéralisme."46 La Grande-Bretagne, qui n’a de cesse d’imiter le grand frère américain, est sur le point d’autoriser le clonage d’embryons pour la recherche médicale, après qu’une enquête réalisée par un « comité d’experts » ait « conclut que les avantages potentiels l’emportent sur les problème éthiques ».47 En mars 2000, Bill Clinton et Tony Blair ont finalement publié un communiqué commun mettant en garde contre toute velléité d’appropriation du génome, l’information génétique devant être librement disponible pour tous. Leur déclaration commune a fait aussitôt chuter de plusieurs milliards de dollars les actions des entreprises de biotechnologie… Ce n’est que si les gênes peuvent être directement liés à certaines maladies, utilisés pour découvrir des « cibles » biologiques utiles ou pour mettre au point des médicaments ou des tests de diagnostic que la demande de brevet sera éventuellement recevable.48 Des tests de diagnostic ?… "Welcome to Gattaca", United States of America. Selon une étude de l'American Management Association (syndicat patronal), en 1997, une entreprise américaine sur vingt avait fait subir à ses salariés des tests en vue de détecter d'éventuelles maladies génétiques. Tout ce qui peut être contrôlé doit être contrôlé. Des spécialistes américains du droit vont jusqu'à avancer que le fait de mettre au monde un enfant handicapé équivaut à des sévices sur enfant. Il s'est même trouvé un tribunal pour envisager la possibilité qu'auraient ces enfants de poursuivre leurs parents en justice pour les avoir mis au monde ! United States of America, « Apocalypse now »…

45 La directive européenne 98/44/CE (du 6/7/98, applicable au 30/07/00) autorise la prise de brevets sur le génome humain, alignant la législation européenne sur le droit américain, et contredisant, de fait, les lois françaises de bioéthique votées en 1994. En France, le Comité national d’éthique préconise de ne pas signer le texte européen. La Commission européenne prévient qu’elle ouvrira « une procédure d’infraction contre Paris » si la directive n’est pas ratifiée. « Pour moi, il ne faut breveter aucun gène, même ceux dont on a compris le rôle car cette fonction préexiste à la découverte du chercheur. »

(J. F. Mattei, député et généticien, in « La Vie », 22/06/00) 46 « Télérama », 12/98 47 In « The Daily Telegraph », 04/2000 48 Financial Times, 04/2000

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Francis Collins, le directeur du projet américain "Génome humain"49, avance un argument fort logique :"Dès lors que rien ne s'oppose au choix du sexe de son enfant -ce qui n'a rien d'une maladie-, pourquoi s'élever contre la sélection pour prélever d'éventuelles anomalies ?"50 Et Leroy Hood, pionnier du projet en question, titulaire d'une chaire fondée par Bill Gates, avec qui il collabore également au sein d'une entreprise de biotechnologie, déclare qu'il "n'a aucun scrupule face à tout ce qui peut améliorer le patrimoine génétique humain et l'hérédité." Selon lui, dans quelque temps, "nous connaîtrons 15 ou 20 gènes permettant aux être humains d'améliorer leur intelligence et nous pourrons les donner à nos enfants." Intelligence ?… Repoussant ses limites, un nombre croissant de scientifiques font valoir que, pour mieux répondre à la demande d'organes, il serait parfaitement justifiable de fabriquer des êtres humains sans cerveaux ! En 1995, des chercheurs ont déjà produit des souris sans tête. La revue "Nature" a publié une inquiétante photo de l'animal… Aux Etats-Unis, le docteur Richard Seed annonce sans ambage : "I'd like to make a formal statement with regard to the first human clone. If not me, than someone else. If not now, than later. If not here, than elsewhere. Anything that can be done will be done. It is quite impossible to stop science". Autrement dit, si il y a des sous à se faire, autant que ce soit lui, le savant bouffon… Car il y a un marché potentiel. Une demande (une « niche » !) : en septembre 1998, un couple de millionnaires américains déclarent qu'ils vont financer le clonage de leur chienne Missy. Une offre concurrentielle : en octobre 1998, l'embryologiste italien Severino Antinori (célèbre pour avoir permis à une femme de 62 ans d'enfanter51) annonce son intention de cloner des humains. Mais les techniques ne sont pas encore au point. Il a fallu presque 300 tentatives d’implants avant que le premier agneau cloné ne parvienne à terme et en bonne santé. Même après la création d’embryons clonés et leur implantation dans l’utérus de la mère porteuse, seuls 2% d’entre eux voient le jour en bonne santé. Un nombre très important d’animaux meurent peu de temps après la naissance, et ceux qui survivent ont de sérieuses anomalies de développement. Plus d’un quart du bétail cloné affiche un surpoids préoccupant, tandis que de nombreuses bêtes meurent subitement et mystérieusement. Parmi celles qui ont un poids moyen, beaucoup possèdent un appareil respiratoire atrophié et certaines ont un taux dangereusement élevé de potassium dans le sang. D'après certains signes observés sur ses chromosomes, Dolly aurait déjà l'âge de sa mère… Glups… Imaginer ça pour des êtres humains… D’autant que la méthode en question a de quoi donner quelques cheveux blancs : par électrochocs, on a activé la fusion entre une cellule adulte et un ovocyte énucléé… Un chercheur japonais de l'Université de Hawaii a obtenu des dizaines de clones d'une souris. Ces clones ont été eux-mêmes clonés et ainsi de suite sur trois générations. Une famille monstrueuse de 50 clones !… Edifiantes perspectives que celles ouvertes par le clonage : le "pharmage" transforme les vaches et les moutons en "usines" de production de protéines ou de médicaments !

49 Projet qui représente un investissement de 250 millions de dollars et implique 1100 chercheurs, informaticiens et techniciens dans 16 laboratoires (essentiellement universitaires) de 6 pays différents : Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Chine, France, Japon. 50 In « New Scientist", automne 98 51 L’augmentation de la limite d’âge des femmes enceintes va de pair (si l’on peut dire) avec une recrudescence de grossesses multiples. En effet la relation entre l’augmentation (avec l’âge) du taux d’une hormone appelée FSH et la conception de dizygotes (les « faux jumeaux ») a été mise en évidence.

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Le clonage révèle l’aspect révolutionnaire, au sens propre, du progrès scientifique strictement « horizontal ». Processus artificiel, le clonage aboutit à une régression par rapport à l'évolution naturelle : il renoue avec le mode de reproduction des bactéries, par scissiparité (division en deux individus rigoureusement identiques). Pour devenir plus complexe, pour muter, les organismes sont devenus diploïdes (deux exemplaires pour chaque gène). Si ces exemplaires sont différents, l'organisme est hétérozygote. Le gène qui s'exprime est dit dominant, l'autre récessif. Les mutations défavorables étant souvent récessives, elles restent occultes et ne mettent pas en danger l'espèce. Mais de toute façon, dans le cadre de la reproduction par "copie", pour s’exprimer, les mutations génétiques doivent toucher les deux parties du gène. Dès lors, pour que les mutations favorables puissent s'exprimer, un nouveau mode de divison cellulaire est apparu : la division cellulaire (méiose). La problématique soulevée par les manipulations génétiques relève de la problématique de l’autorité. Comme le dit Arnold Munnich, de l’hôpital Necker, "Le généticien s'intéresse aux caractères que nous avons reçus des générations précédentes, à ceux qui nous constituent aujourd'hui et à ceux que nous transmettrons aux générations suivantes : il dévoile le passé, analyse le présent et prédit le futur. Reproduisant le "mythe de l'oracle", il éveille dans le public des fantasmes de toute-puissance".52 Tant que l’idéologie dominante restera coupée de l’Origine, l’autorité des citoyens en matière de génétique sera sollicitée dans la confusion, à l’instar de cet appel lancé en 1998 par une animatrice d’une chaîne télévisuelle française : « Devenez auteurs, actifs et même actionnaires du Téléthon ! »… A la fin du Moyen Age, la corporation des médecins53, chirurgiens et pharmaciens, a pris pour saints patrons les jumeaux Côme et Damien. Ces médecins syriens du IIIè siècle exerçaient leur métier sans rien recevoir en échange des soins prodigués. Ils furent martyrisés pour leur foi.

52 « Télérama », 12/98 53 Jusqu’en 1452, le médecin, considéré comme clerc (du latin « clericus » : qui a une fonction ecclesiastique), le médecin est astreint au célibat. C’est la tonsure qui fait le clerc. Celui-ci peut se marier, mais il perd ses privilèges, notamment les bénéfices. On distingue les bénéfices avec charge d’âme (« cum cura ») comme les évêchés ou les paroisses, et les bénéfices sans charges d’âme (« sine cura » ; d’où sinécure).