le messager du labyrinthe 4 -...

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1 Le messager du labyrinthe : Benjamin Abrahão et la parole énigmatique A propos de Baile Perfumado (Ferreira et Calda, 1997) Erika Thomas Nés dans un contexte de misère et d’absence de justice sociale et légale, les cangaceiros, de la fin du XIXème jusqu’en 1940, ont parcouru les terres du Nordeste brésilien, organisés en bandes. Lampiao 1 , fut le plus célèbre de ces cangaceiros, régnant pendant près de 20 ans en maître, dans le sertão. En 1926 lors d’une visite à Juazeiro, petit village du Nordeste, Lampiao, habité par une grande foi religieuse, rencontrera Padre 2 Cicero et croisera Benjamin Abrahão. Ce dernier est libanais et arrive au Brésil dans les années 10 pour y vivre de commerce. L’histoire retiendra son nom comme celui du réalisateur des seules images filmiques existantes sur le phénomène du cangaço 3 et sur le célèbre cangaceiro Virgulino Ferreira da Silva, alias, Lampião. C’est l’histoire de Benjamin Abrahão que raconte le film brésilien Baile Perfumado (1997) de Ferreira et Caldas dans lequel s’intercalent les images d’archives du documentaire réalisé en 1936 par Abrahão intitulé Lampião, rei do cangaço . Tel qu’il nous est présenté dans Baile Perfumado, Benjamin Abrahão est le porteur d’un double message. Un message verbal, parole énigmatique qu’il nous livre dans la séquence finale 4 ( « Les inquiets, les inquiets vont changer le monde... ») et d’un message iconique - le documentaire de 36 réalisé sur la bande de Lampião - ayant traversé l’espace et le temps 5 . C’est en tant que figure de messager dont le message prend tout son sens au cœur d’un labyrinthe, entre passages et impasses, que nous l’analyserons ici. Baile Perfumado, s’ouvre sur un long plan séquence 6 décrivant la mort de Padre Cicero et le départ de Benjamin Abrahão vers de nouveaux horizons. Un des intérêts majeurs de cette séquence est de nous permettre de visualiser, le parcours labyrinthique qu’entame Abrahão et qui sera le sien jusqu'à sa mort. Au niveau iconique, cette séquence met en relief, le labyrinthe spatial ou l’expérience du passage. Retraçons les déplacements d’Abrahão et de la caméra à travers les pièces montrées au cœur de lieu de mort ( voir figure A, page suivante). Ce lieu - la maison - est, au delà de ce qui s’y déroule, donné à voir à partir d’un ensemble de portes, dont certaines demeurent fermées, d’autres s’ouvrent ou encore se referment , formant cet enchevêtrement de possibles chemins constitutif de tout labyrinthe. Reprenons pas-à-pas cette figure: Le spectateur « entre » dans la chambre (1), par l’image en gros plan du visage du prêtre. Alors que la caméra effectue un travelling arrière, nous découvrons d’abord Abrahão assis entre une porte fermée et le lit du prêtre, puis la caméra qui est toujours en mouvement tout au long de la séquence, nous laisse apercevoir les deux portes du fond de la pièce. La caméra quitte la pièce en travelling arrière tandis qu’une femme referme sur elle, la porte d’entrée de cette pièce. 1 Le plus célèbre des cangaceiros, capturé et décapité en 1938. 2 Prêtre 3 Mode de vie des cangaceiros, ces bandits d’honneurs vivant dans le Nordeste brésilien de la fin du XIXème siècle à 1940 (date à laquelle, Corisco, le dernier cangaceiro fut tué). 4 Voir transcription de la séquence finale en annexe 2 5 Objet de censure au moment de sa sortie. 6 Voir transcription de la séquence initiale en annexe 1.

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Le messager du labyrinthe : Benjamin Abrahão et la parole énigmatique A propos de Baile Perfumado (Ferreira et Calda, 1997)

Erika Thomas

Nés dans un contexte de misère et d’absence de justice sociale et légale, les cangaceiros, de la fin du XIXème jusqu’en 1940, ont parcouru les terres du Nordeste brésilien, organisés en bandes. Lampiao1, fut le plus célèbre de ces cangaceiros, régnant pendant près de 20 ans en maître, dans le sertão. En 1926 lors d’une visite à Juazeiro, petit village du Nordeste, Lampiao, habité par une grande foi religieuse, rencontrera Padre2 Cicero et croisera Benjamin Abrahão. Ce dernier est libanais et arrive au Brésil dans les années 10 pour y vivre de commerce. L’histoire retiendra son nom comme celui du réalisateur des seules images filmiques existantes sur le phénomène du cangaço3 et sur le célèbre cangaceiro Virgulino Ferreira da Silva, alias, Lampião. C’est l’histoire de Benjamin Abrahão que raconte le film brésilien Baile Perfumado (1997) de Ferreira et Caldas dans lequel s’intercalent les images d’archives du documentaire réalisé en 1936 par Abrahão intitulé Lampião, rei do cangaço. Tel qu’il nous est présenté dans Baile Perfumado, Benjamin Abrahão est le porteur d’un double message. Un message verbal, parole énigmatique qu’il nous livre dans la séquence finale4 ( « Les inquiets, les inquiets vont changer le monde... ») et d’un message iconique - le documentaire de 36 réalisé sur la bande de Lampião - ayant traversé l’espace et le temps5. C’est en tant que figure de messager dont le message prend tout son sens au cœur d’un labyrinthe, entre passages et impasses, que nous l’analyserons ici.

Baile Perfumado, s’ouvre sur un long plan séquence6 décrivant la mort de Padre Cicero et le départ de Benjamin Abrahão vers de nouveaux horizons. Un des intérêts majeurs de cette séquence est de nous permettre de visualiser, le parcours labyrinthique qu’entame Abrahão et qui sera le sien jusqu'à sa mort. Au niveau iconique, cette séquence met en relief, le labyrinthe spatial ou l’expérience du passage. Retraçons les déplacements d’Abrahão et de la caméra à travers les pièces montrées au cœur de lieu de mort ( voir figure A, page suivante). Ce lieu - la maison - est, au delà de ce qui s’y déroule, donné à voir à partir d’un ensemble de portes, dont certaines demeurent fermées, d’autres s’ouvrent ou encore se referment , formant cet enchevêtrement de possibles chemins constitutif de tout labyrinthe. Reprenons pas-à-pas cette figure: • Le spectateur « entre » dans la chambre (1), par l’image en gros plan du visage du prêtre.

Alors que la caméra effectue un travelling arrière, nous découvrons d’abord Abrahão assis entre une porte fermée et le lit du prêtre, puis la caméra qui est toujours en mouvement tout au long de la séquence, nous laisse apercevoir les deux portes du fond de la pièce. La caméra quitte la pièce en travelling arrière tandis qu’une femme referme sur elle, la porte d’entrée de cette pièce.

1 Le plus célèbre des cangaceiros, capturé et décapité en 1938. 2 Prêtre 3 Mode de vie des cangaceiros, ces bandits d’honneurs vivant dans le Nordeste brésilien de la fin du XIXème siècle à 1940 (date à laquelle, Corisco, le dernier cangaceiro fut tué). 4 Voir transcription de la séquence finale en annexe 2 5 Objet de censure au moment de sa sortie. 6 Voir transcription de la séquence initiale en annexe 1.

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• Nous voyons le mur (2) avant d’entrevoir une porte ouverte sur une pièce (3) dans laquelle

s’engouffre la caméra pour ressortir presque aussitôt après avoir saisi dans son champ deux femmes, allumant des cierges entre deux portes fermées

• Une fois hors de la pièce, nous rasons les murs qui s’éclairent sous l’effet de la lumière du jour, découvrons un pan de porte puis entrons, grâce à une porte ouverte, dans une pièce (4) où Abrahão rédige sur son carnet de notes, les événements de la veille. La caméra, tout en avançant et se rapprochant d’Abrahão, pivote légèrement sur elle et accompagne en travelling arrière, le déplacement du personnage. Nous découvrons que la porte par laquelle est passée la caméra pour entrer dans la pièce, est maintenant fermée .La caméra, en travelling arrière et Abrahão de face en plan américain passent par une porte précédemment fermée qui donne sur la pièce où les femmes allumaient les cierges (3). Les cierges sont maintenant consumés. Abrahão quitte la pièce par sa porte d’entrée et gagne maintenant le couloir (2).

• Il traverse le couloir et passe par une autre porte ouverte. • Il descend les escaliers (5) où nous découvrons une grande fenêtre fermée. • Il accède au rez-de-chaussée, avance vers un miroir et emprunte une porte ouverte donnant

sur un couloir (6), dans lequel on aperçoit une porte fermée. C’est en travelling avant que la caméra accompagne maintenant Abrahão qui avance dans le couloir au bout duquel, il y a une deuxième porte fermée. Abrahão l’ouvre.

• Il entre dans la pièce où le prêtre est veillé (7). Dans le fond de la pièce, nous apercevons deux portes fermées. Abrahão va quitter le champ par la droite tandis que la caméra effectue un gros plan du visage de Padre Cicero.

Si l’espace de cette séquence est présenté comme un labyrinthe, il est intéressant de remarquer qu’Abrahão n’y fait que l’expérience des passages ; Il ne bute contre aucune porte fermée, il connaît le chemin qu’il emprunte et ouvre la porte qui se présentera comme étant celle de son départ. Une fois sortie de ce labyrinthe spatial, Abrahão va connaître le labyrinthe relationnel ou l’expérience des impasses. Représentons maintenant les rencontres d’Abrahão. (Voir figure B, page suivante), et reprenons les enjeux et résultats de chacune d’elles 1.Lorsqu’Abrahão quitte Juazeiro, à la séquence 1, la première personne qu’il rencontre est Adémar. Celui-ci accepte de lui prêter du matériel mais il faudra qu’il aille vers d’autres personnages et qu’il réussisse à les convaincre de l’intérêt de son projet. 2.C’est vers Nogueira, un colonel influent, que va tenter de se tourner Abrahão. Il le prend en photo avec sa famille et tente de le convaincre, en vain, de le mettre en relation le célèbre cangaceiro. Cette rencontre est une impasse. Abrahão revient à son point de départ. 3.Abrahão rencontre ensuite le lieutenant Rosas qui pourchasse le cangaceiro Lampião. Lors de

cette rencontre, la méfiance de Rosas sera exprimée à plusieurs reprises et c’est en vain

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qu’Abrahão tentera d’en savoir plus sur le lieu où se trouve Lampiao. Cette rencontre est une nouvelle impasse. Abrahão est de nouveau au point de départ.

4.La rencontre avec Zé de Zito, un autre colonel, va, par contre, constituer un passage. Il lui donne l’adresse d’une pension à Pau Ferro. 5. .La pension de Dona Arminda sera le point de chute d’Abrahão à Pau Ferro, village où il doit prendre contact avec João Liborio. 6 .Abrahão rencontre une première fois João Liborio, lui laisse sa carte et filme ses vachers. Liborio semble accepter de financer le projet de film. Cette rencontre prend figure de passage. Le projet de film semble prendre forme. 7. Abrahão, se retrouvera ensuite dans un bar à demander au serveur, qui dit ne pas savoir, s’il sait où se trouve Lampião. Cette rencontre sera une nouvelle impasse. Il revient à Liborio qui, grâce à la projection de son film, va le mener à Lampiao. Une analyse plus fine des personnages et de ce parcours de passages et d’impasses à travers les personnages présente un certain nombre de caractéristiques. En rassemblant d’un côté, les rencontres qui ont représenté une impasse et de l’autre, celles qui ont constitué un passage, nous obtenons deux regroupements de personnages dont l’un, représentant des impasses, est lié à la mort et l’autre, représentant des passages, est lié aux fonctions vitales7. Pour conclure sur ce labyrinthe relationnel, rappelons que Nogueira - première figure de l’impasse - est également, dans une séquence de fin où il est question de la censure du film, le nom d’un élixir dont la radio vante les mérites avant de condamner le film d’Abrahão.: «Du sang propre, du sang pur, du sang fort Elixir de Nogueira, énergie, santé, vigueur, élixir de Nogueira, grand dépuratif du sang, élixir de Nogueira… » Ainsi l’impasse première préfigure la plus importante du film et condamne Abrahão à revenir à nouveau à son point de départ identitaire. « Moi, Jamil Ibrahim, je jure de réussir... ». Si nous examinons maintenant, le temps dans le film Baile Perfumado, nous remarquons qu’il est également un labyrinthe temporel ou la tentation de l’éternel retour. La figure C (page suivante) retranscrit ce temps qui sans cesse revient sur lui-même. S’il a la forme d’une spirale, son éternel recommencement en fait un labyrinthe duquel il est difficile de s’échapper. Les différents chemins représentés dans le schéma retracent l’histoire d’Abrahão : 1. De l’arrivée d’Abrahão à la rencontre avec Lampião en 1926 2. De 1926 à la mort du prêtre en 1934 3. De 1934 à la rencontre avec Lampião en 1936 (Séquences 1 à la séquence 29) 4. Flash-back : retour à 1926 (séquences 9,11,14) 5. Fin du flash-back :retour à 1936 (Séquences 9,11,14) 6. De 1936 à la censure et la mort (Séquences 29 à 65) 7. De la mort au documentaire de 1936 (passage des séquences 65 à 67) 8. Du documentaire de 1936 à l’arrivée (passage de la séquence 67 à 68)

7 Voir mémoire de DEA. E.THOMAS, Baile Perfumado, un exemple du cinéma brésilien, Paris 1, 1999

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Au cœur de ces labyrinthes Abrahão - qui est la figure de l’égarement et la figure de la détermination - transporte aussi un autre message. Celui de sa conscience inquiète. La séquence finale de Baile Perfumado se termine par cette parole énigmatique d’Abrahão répondant à Said qui lui dit que seul Dieu peut changer le monde : « Les inquiets, les inquiets vont changer le monde ». Plus étonnant encore est le rire que provoque, chez Abrahão, cette parole qu’il nous livre. Qu’est-ce donc que ces inquiets, ces êtres sans paix - comme le Liban au dire d’Abrahão dans la même séquence - capables de changer le monde ? Le concept hégélien de Conscience Malheureuse8 va nous aider à comprendre le message. Commençons par rappeler brièvement ce que recouvre ce concept : La conscience malheureuse est la conscience qui vit la tension de se savoir scindée à l’intérieur d’elle-même. Après être passée par une première étape - le stoïcisme - au cours de laquelle, la conscience se détache du monde et ignore ses chaînes puis une deuxième étape - le scepticisme - où la conscience fait un pas de plus en prenant la mesure de sa confrontation au monde mais en choisissant de le nier et de se retirer dans son intérieur, lorsque cette confrontation la menace, la conscience malheureuse - troisième étape de la conscience qui vise dès le départ à s’affirmer comme conscience pensante - va accueillir le monde en elle, vivre la tension entre intérieur et extérieur, en sachant désormais qu’elle ne peut faire abstraction d’aucune de ces deux parts qui la composent. Pour Hegel, cette forme de subjectivisme insatisfait caractérisé par le sentiment de scission a pour origine l’éloignement du divin. Le christianisme ne viendra pas atténuer la conscience malheureuse qui l’appelle pour quelques apaisements, mais au contraire, mettra en relief l’infranchissable qui demeure entre l’humain et le divin, en laissant ainsi la conscience malheureuse pénétrée de son propre néant. Retournons maintenant aux séquences initiale et finale de Baile Perfumado : A la fin de la séquence 1, Abrahão entre dans la pièce où le corps du prêtre est veillé, et se trouve face-à-face avec une vieille femme qui lui jette un regard noir et Abrahão s’en va. Ce regard nous fait clairement comprendre qu’Abrahão n’est plus le bien venu chez ce prêtre considéré comme un saint, objet de pèlerinages, entouré de ces fidèles. Le regard noir que lui adresse la vieille femme à la fin de la séquence indique qu’Abrahão se trouve brutalement éloigné du divin que représente Padre Cicero, Abrahão est en somme expulsé du divin. La conscience malheureuse du héros est en œuvre, et Baile Perfumado nous racontera l’histoire d’un homme se débattant avec celle-ci. A la séparation de sa collectivité d’origine, s’ajoute maintenant celle d’avec ce représentant de Dieu. Abrahão a l’idée de faire un film sur Lampiao. Séparé d’un homme qui représente la foi et qui lui a servi de père, Abrahão va rechercher un homme qu’il associe à Padre Cicéro dans ses souvenirs, un homme qu’il est difficile d’atteindre, en un mot, un substitut du divin, qu’il s’agira de poursuivre pour que sa conscience s’apaise. Mais si la conscience malheureuse d’Abrahão s’efforce de tenir ensemble par l’intermédiaire de ce projet , elle n’est pas sans opérer par moment, des retours au scepticisme, illustrant par là, la frontière floue qui existe entre ces étapes de la conscience. Ainsi, lors des flashs-back, face à l’impossibilité ou la difficulté signifiée par le monde extérieur quant à la réalisation de son projet, Abrahão se réfugie dans son intérieur pour revivre le moment de rencontre avec

8 G.W.F.Hegel, Phénoménologie de l’Esprit Aubier Montaigne, Paris 1941. Trad. Jean Hypolite. Les notes du traducteur ainsi que la synthèse éclairante qu’en fait Chardin et l’ouvrage de P.J. Labarrière Introduction à la lecture de la Phénoménologie de l ‘esprit, Aubier Montaigne, Paris 1979

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Lampiao. De même, la vue de la tête coupé d’un cangaceiro occasionne un flash-back et une intériorisation inquiète. Une fois le film réalisé, Abrahão devra une nouvelle fois se heurter à la puissance de l’extérieur. Son film est censuré. Et une nouvelle fois, c’est à l’image de Dieu qu’il se raccroche ; Il a un Rosaire entre les mains et résume son parcours de pêcheur entre Padre Cicéro et Lampiao. Mais sa volonté de dépasser ce moment se manifeste encore lorsqu’il jure de nouveau, de réussir. Abrahão pense être un pêcheur pour avoir cru possible de remplacer Dieu par ses substituts, d’avoir surmonter l’éloignement du divin et d’avoir désirer pour lui - même . A ce moment du film, alors même qu’il tente une nouvelle fois de rassembler sa conscience déchirée, nous voyons un Abrahão empêtré dans les méandres d’une conscience malheureuse menacée par la mort et la folie, soutenue par un discours désespéré et incohérent se prenant, tout à la fois, pour un pêcheur et pour un homme plein de gloire. A la séquence suivante il demandera à Dieu de le pardonner. Est-ce à dire qu’Abrahão est l’homme de la conscience malheureuse, qu’il a tenté en vain de la dépasser ? Non. C’est la réponse que nous donne Baile Perfumado par le montage particulier du film, qui place une séquence racontant un fait s’étant déroulé « 25 ans auparavant » à la fin, pour conclure. Cette séquence finale (voir annexe2) est des plus intéressante. Nous y voyons Said, le cousin, qui fait référence à Dieu, mais Abrahão place à ce moment, Dieu en lui-même. Ce sont les inquiets qui changent le monde, ceux qui vivent la tension de la conscience malheureuse mais qui la dépassent en agissant pour le collectif, en se voulant dans le monde et acteurs de celui-ci. Comme Hegel le dit, la conscience devenue heureuse de s’être extraite de l’individualisme pour agir dans le collectif, rit d’elle-même de s’être prise au sérieux et d’avoir confondu étape et fatalité éternelle. C’est la conscience devenue heureuse qui fait rire Abrahão. Et ce message traverse, tout comme son documentaire, le temps qui nous sépare de lui.

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ANNEXE 1 : séquence initiale

SEQUENCE 1 :CHEZ PADRE CICERO intérieur nuit/intérieur jour 0 :00 - 0 :03 :38

0 :00 voix off sur générique : « Ah ma mère… Plan rapproché en plongée du prêtre couché sur son lit qui prie en faisant le signe de croix « ah, Sacré Coeur, de Jésus, Notre Dame des Douleurs .. Ma mère... « Pardonnez mes péchés. Que soit faite votre volonté sur terre comme au ciel Sur la droite de l'écran , une main tenant une piqûre. Travelling arrière, on découvre dans un premier temps, en arrière plan, Abrahão assis à côté du lit de mort de Padre Cicéro. Au 1er plan en plan taille ¾ dos, le médecin qui administre la piqûre et autres soins. Le travelling arrière continue. On peut entendre des pleurs. Une femme de dos , voilée de dentelle noire apparaît dans le champ. Panoramique sur la gauche, une autre femme entre dans le champ et embrasse la femme voilée. Le panoramique en légère plongée continue pour saisir l'ensemble de la scène: Abrahão assis à gauche de l'écran, le lit sur lequel se meurt Padre Cicéro au milieu, le médecin sur la droite, une 3ème femme qui passe dans le champ de la caméra et pose sur le lit, à côté du médecin un petit plateau de nécessaire de soins. Panoramique et travelling arrière en plongée Au 1er plan maintenant Abrahão assis sur la gauche, le lit au centre, le médecin qui administre des soins à droite et au 2nd plan les 3 femmes qui se tiennent ensemble en pleurant. Le travelling arrière continu, on quitte la chambre, en apercevant plus que les 3 femmes qui pleurent sur la droite, un mur blanc sur la gauche et enfin des mains qui referment la porte de la chambre. Panoramique sur la gauche : Contre le mur blanc, on aperçoit posée sur un meuble que l'on devine, une photo encadrée du prêtre plus jeune puis encore une autre photo du prêtre, un tableau sombre est accroché au mur On entend la voix off en libanais d'Abrahão. Le panoramique vers la gauche continue toujours, on voit une pièce avec un autel où une femme voilée se trouve à genoux sur la gauche de l'écran tandis qu'une autre debout allume un cierge. Un travelling avant, nous fait pénétrer dans la pièce. Un panoramique sur la gauche cadre un instant en plan serré la femme qui prie à genoux puis un panoramique en sens inverse, cadre un court instant en plan serré la femme qui se retourne vers la caméra (regard vers le bas à gauche de l'écran) après avoir allumé le cierge.( La pièce est très sombre). Un travelling arrière accompagne cette dernière qui avance jusqu’à l'entrée de la pièce Panoramique vers la gauche, la femme est sortie du champ, on quitte la pièce. Un mur blanc où on peut apercevoir l'angle bas d'un tableau, une autre femme en plan poitrine est face à une bougie. Le panoramique sur la gauche se poursuit, le mur blanc plein cadre, s'éclaircit de plus en plus ( c'est le jour qui s'est levé) . Une statuette de Padre Cicéro posée sur un meuble que l'on devine apparaît dans le champ. La voix off d’Abrahão se fait toujours entendre, et le panoramique sur la gauche se poursuit ,on découvre une porte ouverte sur une chambre où Abrahão se trouve de dos assis à une table de travail Travelling avant vers Abrahão de dos assis à une table de travail il rédige quelque chose, il porte sur le bras un brassard noir en signe de deuil. Le travelling avant sur Abrahão continue puis panoramique sur la gauche en légère plongée. Abrahão est ¾ face à la caméra, il referme le carnet dans lequel il prenait des notes, le tient précieusement entre ses mains . Il se lève et se tourne. Panoramique d'accompagnement sur la droite en plan taille d’Abrahão de profil. Un travelling arrière nous fait quitter la pièce et accompagne Abrahão qui avance maintenant en plan américain. . Il traverse la pièce de l'autel où les cierges sont maintenant presque entièrement consumés. Travelling arrière en contre plongée accompagne Abrahão qui descend les escaliers. On entend des chants traditionnels d'oraisons funestes, accroché au mur, un tableau représentant un bateau.

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Le travelling arrière fait place à un panoramique sur la droite qui accompagne Abrahão en plan poitrine de profil qui s'avance pour prendre son chapeau accroché à côté d'un miroir. En gros plan de dos face au miroir, Il se regarde dans le miroir, avant de repartir sur la gauche. Un travelling avant accompagne Abrahão de dos en plan taille . Il ouvre une porte. Les chants viennent de cette pièce. C'est la pièce où on veille le prêtre mort dans la nuit. Son cercueil est au centre, tout autour il y a des bougies au 2nd plan, des gens (surtout des femmes) qui pleurent et qui chantent. Abrahão avance. Un travelling avant l'accompagne , il retire son chapeau en s'approchant du cercueil. Le travelling fait place à un panoramique en légère plongée sur la droite. En plan moyen Abrahão est sur la gauche de l'écran de profil, il pose sa main sur celle du prêtre mort . à côté du cercueil des femmes pleurent et chantent. Une vieille femme fait face à Abrahão de l'autre côté du cercueil, elle semble le dévisager d'un air désapprobateur. Ils se fixent un court instant Abrahão avance vers la droite et quitte le champ. Panoramique sur la gauche puis en plongée cadrage du prêtre mort. Travelling avant cadre la vieille femme qui caresse le front du prêtre Gros plan sur le visage du Padre Cicéro mort. 0 :03 :38 GENERIOUE : BAILE PERFUMADO Bruits de tirs.

ANNEXE 2 : séquence finale

SEQUENCE 68 : PORT DE RECIFE extérieur jour 1 :27 :44 - 1 :28 :18

1 :27 :44 Plan large en en plongée d'un port (caméra sur grue) . Vue sur la mer. Sur

l’écran on peut lire « Récife 25 ans auparavant. » Panoramique vers la gauche. Un paquebot. Voix off de Said en libanais. Sous-titre en portugais « Jamil comment va le pays ? » Voix off d’Abrahão : « misère, guerre et faim » Travelling avant en plongée, des gens sur le quai et Said et Abrahão . Panoramique descendant jusqu’à ce que Said et Abrahão soient en plan moyen. Said : « Et toi qu’est-ce que tu es venu faire ici ? » Abrahão: « changer le monde » Travelling avant. Said : « Y a que Dieu qui puisse changer le monde » Abrahão : « Les inquiets, les inquiets vont changer le monde. » Il rit en tournant la tête.

1 :28 :18 Arrêt sur image, plan serré sur les visages d’Abrahão - qui sourit au 1er plan - et Said - qui le regarde au 2nd .