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1/15 Le marché, la législation et les tendances en matière de médiation et de modes alternatifs de résolution des conflits en France et en Amérique latine Synthèse de la conférence du 6 décembre 2018 à la Maison du Barreau à Paris Organisée par la Commission Ouverte Amérique Latine de l’Ordre des Avocats de Paris et l’association AVOMARC, et avec le soutien de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) et le Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP) Synthèse rédigée par Adèle Geoffret, étudiante en 3 ème année de Licence en droit – parcours procédure civile et libertés fondamentales de l’Université Paris II Panthéon-Assas, et Camille Goutaland, étudiante en Master II Droit public économique de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (Sciences Po), sous la supervision de Maria Beatriz Burghetto, Avocat au Barreau de Paris et de Buenos Aires et Arbitre, et de David Lutran, Avocat au Barreau de Paris et Médiateur agréé CMAP.

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Page 1: Le marché, la législation et les tendances en matière de ......conciliation, l’arbitrage et le processus collaboratif. 2 Le processus de la médiation consiste, quelle que soit

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Le marché, la législation et les tendances en matière de médiation et de modes alternatifs de résolution des conflits en France et en Amérique latine

Synthèse de la conférence du 6 décembre 2018 à la Maison du Barreau à Paris

Organisée par la Commission Ouverte Amérique Latine de l’Ordre des Avocats de Paris et l’association AVOMARC, et avec le soutien de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) et le Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP)

Synthèse rédigée par Adèle Geoffret, étudiante en 3ème année de Licence en droit – parcours procédure civile et libertés fondamentales de l’Université Paris II Panthéon-Assas, et Camille Goutaland, étudiante en Master II Droit public économique de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (Sciences Po), sous la supervision de Maria Beatriz Burghetto, Avocat au Barreau de Paris et de Buenos Aires et Arbitre, et de David Lutran, Avocat au Barreau de Paris et Médiateur agréé CMAP.

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Propos introductifs Par Laurence Kiffer, Avocat au Barreau de Paris, Arbitre, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris

En France, la récente refonte du Code de procédure civile tente d’asseoir la position des Modes Alternatifs de Règlement des Conflits (MARC), notamment lorsqu’une procédure amiable a été envisagée par une clause contractuelle.

Cette réforme témoigne de l’essor récent de modes amiables tels que la médiation.

Mais il n’y a pas qu’en France que la médiation se développe et de nombreux acteurs travaillent sur la scène internationale à une mise en œuvre harmonisée des MARC.

La Chambre de Commerce Internationale (CCI) a, par exemple, révisé son règlement ADR (pour « Amicable Dispute Resolution ») afin de faciliter le recours aux modes amiables.

L’adoption prévue au mois d’août 2019 d’une convention sur la médiation par la Commission des Nations Unies pour le Droit du Commerce International (CNUDCI) témoigne aussi de l’intérêt de la communauté internationale pour ces nouvelles pratiques.

En Amérique Latine, le sujet de la médiation est d’une particulière actualité : médiations dans les favelas, entre mineurs et employeurs, et tant d’autres qui justifient que nous découvrions la pratique sud-américaine de la médiation, alors que cette dernière connaît désormais un essor marqué en France.

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Première Partie : Le marché, la législation et les tendances en matière de modes alternatifs

Modérateur :

Maria Beatriz Burghetto Avocat aux Barreaux de Paris et de Buenos Aires / Admise à l’inscription au Barreau d’Angleterre et Pays de Galles / Arbitre

Intervenants :

Marcela Caniffi

Avocat au Barreau de Buenos Aires, Argentine. Médiateur général (pour les affaires civiles et commerciales) et Médiateur aux affaires famiales, inscrite au Ministère de la Justice et des Droits Humains. Conciliateur du droit des consommateurs. Membre de la Asociation Union de Mediadores Prejudiciales (UMP) en Argentine

Michèle Guillaume-Hofnung Professeure émérite des facultés de droit ; Directrice de l'Institut de Médiation Guillaume-Hofnung (IMGH)

Gustavo Cuevas Avocat chilien - Président de la Chambre de Commerce franco-chilienne au Chili

Francisco Victoria-Andreu Avocat au Barreau de Mexico ; Vice-Président de l’Association des Juristes Franco-latino-Américains Andrés Bello et Coordinateur de sa Commission d’Arbitrage Internationale

Fernanda Louro Avocat au Barreau de Rio de Janeiro (Brésil) / Admise à l’inscription au Barreau de Paris / Juriste d’entreprise

Sophie Henry Déléguée Générale auprès du Centre de Médiation et d'Arbitrage de Paris (CMAP)

F.Louro, M.Guillaume-Hofnung, S.Henry, G.Cuevas, M. B. Burghetto

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Marcela Caniffi (Argentine)

La prégnance de la problématique de l’engorgement des tribunaux en Argentine a justifié la mise en place d’une législation très favorable aux MARC visant à inciter les justiciables d’avoir recours à ceux-ci.

En 1995, le législateur argentin a accentué cette politique en rendant le recours préalable à la médiation1 obligatoire dans les matières civile et commerciale (avec des exceptions) et en 1998, la médiation et la conciliation du travail ont été rendues obligatoires avant toute procédure judiciaire.

Dès lors, les justiciables furent de plus en plus nombreux à opter pour des procédures de médiation préalable ce, compte-tenu du caractère universel du processus2, de son application à tous les domaines du droit et de ce que celui-ci a pour mérite essentiel de préserver les relations entre les parties grâce à son approche exhaustive du conflit.

A la différence de la France, le Ministère de la Justice dispose, en Argentine, d’un pouvoir disciplinaire à l’égard des médiateurs. Ceux-ci constituent une profession à part entière, dont l’accès obéit à certaines conditions légales, et notamment :

• L’obligation d’avoir pratiqué le métier d’avocat pendant au moins trois ans ; • Être inscrit au registre des médiateurs et payer les cotisations ; • Avoir un bureau physique à Buenos Aires.

Le cadre institutionnel de la médiation en Argentine prend plusieurs formes : médiateurs indépendants ou centres de médiation, ces derniers se déclinant en centre publics (gratuits et gérés par le Ministère de la Justice) et privés (simplement habilités par le Ministère de la Justice).

Le Ministère de la Justice et des Droits de l'homme de la Nation, par l'intermédiaire de la Direction des méthodes alternatives de résolution des conflits, est celui qui examine et habilite les médiateurs. Le contenu des cours, qu'il s'agisse des cours de base, de la formation continue ou de la mise à jour de l'inscription, est également agréé par le Ministère.

Les règles d'éthique des médiateurs en Argentine sont assimilées à celles de l'avocat.

En Argentine, tous les médiateurs sont avocats et doivent être tout à la fois inscrits comme avocats et comme médiateurs. Ils n’ont aucune obligation d’être assurés, comme c’est par exemple le cas en Espagne. Ils n’ont pas non plus un Ordre qui les représente.

En cas de manquement à l'éthique, ils peuvent être sanctionnés par le Ministère de la Justice et des Droits de l'homme de la Nation. La violation de la confidentialité et de l'impartialité par le médiateur ou la fourniture d’un conseil juridique ou encore le fait qu’il représente l'une des parties sont considérés comme des fautes graves justifiant sa radiation en tant que médiateur.

1 Les principaux Modes Alternatifs de Règlement des Conflits sont : la négociation raisonnée, la médiation, la

conciliation, l’arbitrage et le processus collaboratif. 2 Le processus de la médiation consiste, quelle que soit la matière du litige, à :

• Etablir un climat de confiance entre les parties ; • Poser le cadre, c’est-à-dire les valeurs essentielles au bon déroulement d’une médiation (ouverture d’esprit,

respect de l’autre, confidentialité, neutralité du médiateur) ; • Déterminer les intérêts de chacune des parties ; • Elaborer plusieurs solutions possibles au litige ; • Rédiger un accord de médiation.

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Le médiateur en Argentine doit veiller à ce que l'accord conclu par les parties soit équitable et ne viole pas l'ordre public – ceci parce qu'il est avocat – alors que d’autres pays, c’est le juge qui remplit cette fonction. Le juge argentin se borne à homologuer les accords issus des médiations impliquant des mineurs ou des majeurs protégés.

Le Ministère est également responsable du registre des « professionnels assistants », qui ne sont pas des avocats mais qui ont suivi les cours de médiation et ont réussi l’examen d’habilitation. Ils ne peuvent pas agir sans médiateur agréé à leurs côtés et ils exercent normalement une autre profession de base (psychologues, psychologues de l'éducation, spécialistes de la communication, etc.). Ils sont très sollicités pour les affaires familiales ou de médiation scolaire.

Bien qu’accueilli d’abord timidement, le recours à la médiation et plus largement aux MARC est aujourd’hui en pleine expansion en Argentine.

Le système judiciaire s’est adapté à cette situation en prévoyant, par exemple, la suspension des délais de prescription d’action en justice et en conférant la force exécutoire aux accords issus de la médiation, l’objectif du législateur argentin n’étant plus seulement de faire une place aux MARC dans son système judiciaire mais de leur offrir une assise réelle.

Michèle Guillaume-Hofnung (France)

Les traits que je souhaite mettre en avant proviennent d’une intention pratique.

Il s’agit de comprendre pourquoi, selon les observateurs les plus autorisés, la médiation « ne connaitrait pas le développement espéré ». Le constat est récurrent depuis la Commission Magendie de 2009 en passant par le très officiel rapport de l’Inspection Générale des Services Judiciaires d’avril 2015 sur « Le développement des modes amiables de règlement des différends ». En cela la France n’est pas une exception. L’échec est encore plus général, il atteint toute l’Union européenne ainsi qu’en témoigne l’étude lancée par le Parlement européen pour évaluer l’impact de la Directive 2008/52/EC sur certains aspects de la médiation civile et commerciale3.

Cinq ans et demi après son adoption la médiation représente moins de 1% des affaires dans l’Union européenne !

Le rapport Magendie s’était rallié à l’explication que j’avais présentée selon laquelle les textes français sont minés par une confusion terminologique qui nuit à la visibilité de la médiation.

En matière de médiation il faut bien constater que le législateur français, comme le législateur européen est atteint de « DTLA ». J’ai recours à cette expression de mon invention pour caractériser une maladie, hélas bien réelle, la Dégénérescence Terminologique Liée à l’Anomie.

C’est d’autant plus regrettable que les médiateurs ont fait preuve d’une remarquable capacité d’autoréglementation à en juger par le Code National de déontologie du médiateur qui commence par une définition de la médiation. Cette définition repose sur des critères bien identifiés. Elle est précise tout en respectant les 4 fonctions de la médiation, telles que surgie de la société civile bien avant que le ministère de la justice ne s’en saisisse pour « désengorger » les tribunaux selon son expression consacrée.

3 STUDY 2014 www.europa.eu/RegData/etudes/join/2014/493042/IPOL_JURI_ET(20014)493042_EN.pdf

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En effet, les pouvoirs publics ont vu et continuent à voir dans la médiation un remède à l’engorgement des tribunaux. Ils se sont approprié cette pratique pour la réglementer, sans nécessairement en comprendre l’intérêt et la subtilité pour finalement la dénaturer en la corsetant dans un cadre juridique rigide.

Ainsi, le législateur français semble avoir raté le train de la médiation, se révélant en effet incapable de rigueur terminologique dans son appréhension du sujet tout en faisant preuve d’un juridisme excessif à l’endroit de la médiation – vite dénaturée puisque très rapidement assimilée à la conciliation.

On voit poindre un véritable « oxymore létal », la médiation obligatoire – prévue par un projet de loi récemment adopté par l’Assemblée Nationale. L’accumulation de juridisme achève de dénaturer la médiation, qui est d’abord et avant tout un processus de communication éthique fondé sur la volonté des parties au litige.

De sorte que ce zèle législatif nie la dimension psychologique fondamentale de la médiation tout comme sa dynamique particulière.

Vidée de sa substance, la médiation s’est progressivement desséchée et a perdu en efficacité, faute pour le législateur d’avoir su lui conférer une définition adéquate avec un régime précis.

Or, « ne pas définir c’est se condamner à ne pas savoir ce que l’on fait ».

Gustavo Cuevas (Chili)

Le cadre juridique de la médiation au Chili est marqué par une grande diversité des normes et des sujets qui peuvent en brouiller la lecture, phénomène qui découle de l’influence du droit américain sur le droit civil chilien.

Pour comprendre la médiation au Chili, il convient de s’intéresser aux différents domaines dans lesquels elle intervient :

• La médiation commerciale au Chili est un réel succès puisque dépassant l’arbitrage en volume d’affaires (en nombre et en termes d’enjeux financiers).

Cela s’explique probablement par la structure de la médiation : processus complètement libre, il n’est encadré par aucune norme légale. Les médiateurs peuvent être des avocats mais ne le sont pas nécessairement, tandis que le déroulement de la médiation est laissé entièrement à la discrétion des parties.

• La médiation de la santé varie selon le type d’organisme : hôpital public ou clinique privée.

Dans le cadre d’un litige avec un hôpital public, le recours à la médiation est obligatoire avec une procédure marquée par une forte ingérence de l’Etat4.

Lorsque le litige implique une clinique privée, la recours à la médiation est facultatif.

4 Comme en témoigne la procédure de nomination du médiateur : choisi parmi les médiateurs figurant dans un

registre tenu par le conseil des avocats chargés de défendre les intérêts de l’Etat. Par ailleurs, lorsque l’accord final prévoit une indemnisation supérieure à 30.000 USD, il doit être soumis à autorisation du même conseil. Pour les indemnisations supérieures à 100.000 USD, l’autorisation du ministre des finances est requise.

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• La médiation interculturelle, pour sa part, s’intéresse aux conflits impliquant des membres appartenant aux peuples aborigènes vivant au Chili, dont les responsables politiques se montrent désormais soucieux de la protection.

C’est dans ce contexte que la médiation a été perçue comme l’outil à privilégier en vue du règlement des conflits à dimension interculturelle, son recours ayant d’ailleurs été imposé en cas de litige portant « sur le droit à la terre ».

• La médiation familiale prend corps dans un cadre fortement institutionnalisé, puisqu’adossée au département médiation du Ministère de la Justice.

Ce département est ainsi chargé de tenir une liste de médiateurs recrutés par appel d’offres, pour un contrat de trois ans.

La médiation familiale préalable est obligatoire pour les questions de pension alimentaire et de droit de visite ; elle est toutefois interdite dans les dossiers d’état civil et de violences familiale, et facultative dans toutes les autres affaires.

Cette liste non exhaustive d’exemples illustre le phénomène de développement sectoriel et relativement hétérogène de la médiation au Chili, chaque domaine ayant sa pratique et son éthique particulières – en ce compris pour le choix des médiateurs et des qualités requises pour exercer cette activité.

Francisco Victoria (Mexique)

Le Mexique étant un Etat fédéral, la médiation ne bénéficie pas d’un cadre législatif homogène.

Selon les Etats mexicains, les médiateurs ne sont pas soumis aux mêmes exigences de formation, tandis que la notion même de médiation peut varier d’un Etat à l’autre. Certains Etats ne font en outre aucune différence entre médiation et conciliation, alors que d’autres distinguent les deux notions.

Ce n’est pas pour autant que la médiation bénéficie d’un cadre législatif moins fort.

Au contraire, au Mexique, le législateur est constitutionnellement obligé de prévoir des mécanismes alternatifs de règlement des différends, disposition ayant contribué à l’élaboration d’un cadre législatif développé en matière de MARC.

La médiation constitue le mode alternatif le plus utilisé au Mexique et ce, dans des domaines extrêmement variés : civil, familial, agraire, prud’homal et même pénal.

Elle peut être publique, auquel cas, le médiateur est un fonctionnaire public, salarié du pouvoir judiciaire.

Lorsque la médiation est privée, le médiateur est alors dénommé « médiateur professionnel » et doit être inscrit auprès du Tribunal de Justice Locale.

L’accord de médiation est revêtu de la force exécutoire ; le justiciable qui souhaiterait le contester dispose des deux moyens :

• Le dépôt d’une plainte administrative ; • Le recours d’Amparo.

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Ceux-ci ne peuvent être dirigés directement contre l’accord mais visent à contester la décision du juge de faire exécuter l’accord. Il est intéressant de noter que la médiation obligatoire n’est pas prévue par la loi.

Fort de ce cadre juridique développé, quoiqu’hétérogène, la médiation est un processus bien ancré et couramment utilisé au Mexique.

Fernanda Louro (Brésil)

A l’instar de la France et de l’Argentine, le Brésil a choisi de promouvoir le recours aux MARC dans le but de désengorger les tribunaux et permettre d’améliorer la célérité et la qualité de la justice judiciaire, mais également d’en faire baisser le coût5.

Le Brésil distingue entre médiation judiciaire et conventionnelle :

• En mars 2015, le Code de procédure civile brésilien a introduit la médiation préalable obligatoire en matière judiciaire.

Les parties sont ainsi convoquées par le juge à une première réunion de médiation à laquelle elles ont l’obligation de comparaître, sous peine de se voir infligées des pénalités dont le montant est susceptible de représenter jusqu’à 2% des frais du procès.

• En matière conventionnelle, la violation d’une clause de médiation préalable par l’une des parties dans l’hypothèse d’un litige peut être sanctionnée par une clause pénale dont les modalités sont librement fixées par les cocontractants. En l’absence d’une telle clause, la sanction appliquée est le paiement de 50% des frais d’avocats lors du procès ou de l’arbitrage. Le code de procédure civile brésilien prévoit par ailleurs que l’accord de médiation porte force exécutoire sans qu’il soit besoin de le faire homologuer.

Si elle a initialement reçu un accueil mitigé, l’élaboration d’un cadre juridique structuré autour de mesures tout à la fois incitatives et contraignantes a permis à la médiation de devenir une alternative crédible au procès.

Sophie Henry (France)

De nombreux efforts ont été menés aux niveaux européen et français pour asseoir la position de la médiation comme une alternative au contentieux judiciaire classique, tandis que les domaines concernés sont de plus en plus nombreux6.

Le législateur s’est montré soucieux d’assortir le développement de la médiation d’un cadre sécurisant et structurant, à savoir notamment :

• L’interruption de la prescription pendant la durée de la médiation ; • Le renforcement du principe de confidentialité ;

5 La question du coût de la justice touchait particulièrement les acteurs de la vie économique. Une étude révélait que

2% du chiffre d’affaire des entreprises était consacrée à la justice. 6 La loi Justice du 21ème siècle a ainsi étendu la médiation aux domaines hospitalier et administratif (sujet à une

évolution rapide), tandis que la loi de programmation de la Justice 2018-2022 a élargi les domaines du droit où la tentative de règlement amiable préalable à la saisine de la juridiction est obligatoire, sous peine d’irrecevabilité de l’action.

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• L’homologation des accords issus de la médiation par le juge ; • La création de listes de médiateurs auprès des Cours d’appel (comme elles existent déjà pour

les experts).

Malgré ces efforts, la pratique de la médiation se développe encore trop timidement en France pour les principales raisons suivantes :

• La confusion autour du terme « médiation », employé pour désigner des activités très variées et n’ayant pas nécessairement de rapport entre elles ;

• La médiation est définie de façon confuse par les textes, générant une incompréhension – voire une méfiance – de la part du justiciable ;

• La médiation doit aussi faire face, en France, à un problème culturel dans la mesure où la proposition d’entrer en médiation est souvent considérée comme un aveu de faiblesse de la part du client, de sorte que son avocat fera souvent preuve d’hésitation à la proposer pour la résolution du litige. Le « reflexe médiation » se fait donc attendre ;

• Enfin, la médiation souffre d’un manque de données chiffrées et de statistiques qui permettraient de la rendre plus attractive aux yeux du public pour être mieux connue de lui : coûts relativement modestes en comparaison d’une procédure judiciaire, durée moindre, taux de succès important...

De nombreuses pistes de réflexion ont été ouvertes pour favoriser le recours à la médiation, à l’instar de l’imposition d’un « devoir d’information » faisant peser sur les parties à un litige judiciaire l’obligation de se présenter à une réunion d’information préalable, sanctionnée par une pénalité en cas d’absence, les parties demeurant libres de leur choix.

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Seconde Partie : Appropriation des pratiques : exemples et retours d’expérience des acteurs

Modérateur :

David Lutran Avocat au Barreau de Paris et Médiateur (agréé CMAP)

Intervenants :

Alya Ladjimi Responsable adjointe du ICC International Centre for ADR (Centre International de la CCI pour l’ADR)

Alicia Domínguez Contreras Juriste d’entreprise – Médiateur agréé Electrabel (ENGIE)

Isabelle Vaugon Avocat associé chez FIDAL en charge du département Arbitrage, ADR et Contentieux International

Mercedes Tarrazón Arbitre et médiateur international

I. Vaugon, A. Dominguez Contreras, A. Ladjimi, D. Lutran

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Introduction – Alya Ladjimi

Si la pratique de la médiation au sein de la CCI demeure modeste par comparaison avec le nombre affaires d’arbitrage confiées à la Cour Internationale de la CCI, le recours aux procédures de médiation a toutefois eu tendance à s’accroître ces dernières années.

2018 fut à ce titre une année « record » tandis que les statistiques de la CCI témoignent de ce que la médiation ne connait désormais plus de frontière :

• 77% des litiges en médiation à la CCI sont des litiges internationaux ; • Sur les 3 dernières années, la CCI a eu à connaitre une moyenne annuelle de 7 procédures de

médiation présentant un lien avec l’Amérique latine ; • Sur ces 7 affaires, 3 impliquaient une entité publique ; • L’une d’entre elles impliquait un Etat latino-américain.

Les acteurs ayant recours à la médiation sont d’ailleurs issus des mêmes secteurs que ceux ayant traditionnellement recours à l’arbitrage : construction, télécommunications, énergie, finance et équipements industriels.

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle la médiation se limiterait aux affaires simples, les affaires dont la CCI est saisie se révèlent souvent complexes (installation de lignes électriques, lancement de satellites ou encore exploitation d’hydrocarbures) avec des montants par nature élevés.

Les témoignages d’Alicia Dominguez Contreras, d’Isabelle Vaugon et de Mercedes Tarrazon permettent d’illustrer cela.

La médiation : un processus universel

Isabelle Vaugon est médiateur auprès de la CCI, pour laquelle elle a mené une médiation entre deux banques africaines dont le conflit portait sur l’indemnisation d’un préjudice résultant de l’annulation fautive d’une acquisition d’actions.

Au terme de quelques réunions ayant permis de faire émerger les intérêts de chacune des parties, ces dernières sont parvenues à transiger en mettant en place un accord de médiation rédigé par leur avocat.

Alicia Dominguez Contreras est juriste en entreprise et médiateur. A l’occasion d’un litige portant sur l’édification d’un barrage hydroélectrique (chantier de plusieurs milliers de personnes) opposant une compagnie d’énergie à l’assureur de l’un de ses sous-traitants, elle a pu observer l’échec d’une procédure d’arbitrage qui s’est prolongée sur 2 ans.

Du fait de l’achoppement de la procédure d’arbitrage, de son coût (plusieurs millions de dollars) et de sa durée, les parties ont finalement opté pour une médiation.

A l’issue de quelques rendez-vous en aparté, le médiateur est parvenu à réinstaurer le dialogue entre les parties et à les orienter sur des concessions à même de solutionner leur litige.

Il aura fallu seulement deux mois aux parties pour parvenir à un accord sur le montant de l’indemnité due au titre de la rupture du contrat.

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Mercedes Tarrazon est avocat au barreau de Barcelone et médiateur. Elle a choisi de s’exprimer sur une médiation entre deux entreprises française et sud-américaine qui se sont opposées sur le partage de responsabilité du fait de la défectuosité d’un produit vendu à par la première à la seconde.

Après avoir identifié les intérêts de chacune des parties, le médiateur est parvenu à rétablir un dialogue entre celles-ci. Les parties ont pu parvenir à un accord au terme d’une négociation réussie puisque leur ayant permis de faire des concessions adaptées au regard des logiques de responsabilité en cause.

*

Ces trois témoignages illustrent l’universalité du processus de médiation dans la mesure où ils s’inscrivent dans des univers variés, tant au niveau des acteurs en cause (entités publiques et privées, personnes morales et physiques…) que des secteurs économiques considérés et des problématiques juridiques de chaque dossier, le tout dans des pays différents et parfois culturellement très éloignés.

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Conclusion : L’essor de la médiation comme instrument de régulation des relations commerciales internationales - Focus sur «la convention sur les accords internationaux de règlement des conflits issus de la médiation » préparée au sein de la CNUDCI.

Par Jean-Michel Jacquet, Professeur honoraire, droit international ; Institut de hautes études internationales et du développement ; Graduate Institute of International and Development Studies ; Représentant français au sein du Groupe de Travail II de la CNUDCI

D. Lutran, J-M Jacquet

Après l’adoption de la loi-type de la CNUDCI de 2002 sur la médiation internationale, la CNUDCI a entrepris de nouveaux travaux afin d’élaborer les règles permettant de faciliter la circulation et l’exécution internationale des accords issus d’une médiation (« Accords de règlement »).

A l’issue de ses travaux, la CNUDCI a pu présenter à la fois un complément à la loi-type de 2002 et une « convention internationale sur les accords de règlement internationaux issus de la médiation », qui sera ouverte à la signature à partir du mois d’août 2019. Elle portera le nom de Convention de Singapour.

Trois points sont à retenir :

1. Champ d’application

La convention s’applique à tous les accords issus d’une médiation internationale et fournit les éléments de l’internationalité. Sont retenus les accords qui interviennent dans le domaine économique sauf exclusion prononcée par la convention (consommateurs, famille, successions, travail).

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Les accords conclus avec une entité publique sont en principe inclus, mais les Etats qui le désireront pourront faire une réserve à cet égard. La convention exclut d’autre part – avec certaines exceptions – les accords de règlement intégrés dans une procédure judiciaire ou arbitrale pour lesquels devraient pouvoir s’appliquer les règles sur l’exécution des jugements ou des sentences arbitrales.

2. Conditions

La condition essentielle est la production d’un écrit attestant que l’accord est bien issu d’une médiation et permettant d’en connaître le contenu. Cet écrit doit être signé par les parties ainsi que par le médiateur. La signature du médiateur peut toutefois être remplacée par un document distinct signé du médiateur ou établi par l’institution dans le cadre de laquelle la médiation a eu lieu.

3. Moyens de défense

Ils sont relatifs soit à certaines conditions relatives à l’accord (largement inspirées de la Convention de New-York de 1958), soit à certaines conditions relatives au médiateur (son indépendance ou son impartialité, son respect de certaines normes).

*

L’intérêt porté par la communauté internationale à la médiation montre que la prise de conscience de l’intérêt de celle-ci ne cesse de croître.

Les nombreuses illustrations de la pratique de la médiation abordées lors de la conférence illustrent l’acceptation, tant par les pouvoirs publics que par les acteurs économiques, du fait que la médiation constitue un moyen approprié et efficace pour la résolution des litiges, posant désormais la question de son caractère alternatif.

* *

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