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Les Cahiers nouveaux N° 86 Septembre 2013 10 10-19 Marie-Hélène Corbiau 01 SPW | DGO 4 Département du patrimoine Direction de l’archéologie Attachée Le long des voies anciennes 01 Professeur à l’UNamur, Département d’archéologie. Les voyages et les moyens de déplacement À l’époque romaine les routes sont largement fréquentées. Les motifs de déplacement sont divers. Outre les nécessités de la vie quotidienne, on entrepend aussi des voyages plus lointains d’ordre politique, administratif, économique ou culturel. On se déplace à pied, à cheval (fig. 1) ou en voiture à traction animale. Il y a plusieurs modèles ; les plus courants sont le cisium, léger cabriolet à deux roues (fig. 2), la raeda, sorte de char à banc à quatre roues, ouvert ou protégé par une capote et la carruca, aussi à quatre roues, plus lourde, bâchée, adaptée au voyage plus long. Pour transporter des marchandises ou autres biens, on recourt à des véhicules légers à deux roues, la benna, et pour les chargements pondé- reux, à des sortes de chariot, le plaustrum et le carrus ou carrum. Les véhicules sont remorqués par des mulets, des chevaux ou des bœufs que l’on utilise plutôt pour tirer les lourds chariots. On dispose d’une belle documentation iconogra- phique sur ces convois grâce aux sculptures qui ornaient les monuments funéraires et qui sous le motif du voyage vers l’au-delà, ont croqué de superbes scènes de la vie de tous les jours. L’archéozoologie, la science qui étudie la faune ancienne à partir des restes osseux mis au jour par les archéologues, nous confirme le rôle de tractions de certains animaux comme le bœuf par la mise en évidence de pathologies osseuses spécifiques à ce genre d’activité. Fig. 1 – Cavalier. Le pilier au cavalier, Arlon. © Institut archéologique du Luxembourg, Arlon

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10Les Cahiers nouveaux N° 86 Septembre 2013

10

10-19Marie-Hélène Corbiau01

SPW | DGO 4Département du patrimoineDirection de l’archéologieAttachée

Le long des voies anciennes

01Professeur à l’UNamur, Département d’archéologie.

Les voyages et les moyens de déplacement

À l’époque romaine les routes sont largement fréquentées. Les motifs de déplacement sont divers. Outre les nécessités de la vie quotidienne, on entrepend aussi des voyages plus lointains d’ordre politique, administratif, économique ou culturel. On se déplace à pied, à cheval (fig. 1) ou en voiture à traction animale. Il y a plusieurs modèles ; les plus courants sont le cisium, léger cabriolet à deux roues (fig. 2), la raeda, sorte de char à banc à quatre roues, ouvert ou protégé par une capote et la carruca, aussi à quatre roues, plus lourde, bâchée, adaptée au voyage plus long. Pour transporter des marchandises ou autres biens, on recourt à des véhicules légers à deux roues, la benna, et pour les chargements pondé-reux, à des sortes de chariot, le plaustrum et le carrus ou carrum. Les véhicules sont remorqués par des mulets, des chevaux ou des bœufs que l’on utilise plutôt pour tirer les lourds chariots. On dispose d’une belle documentation iconogra-phique sur ces convois grâce aux sculptures qui ornaient les monuments funéraires et qui sous le motif du voyage vers l’au-delà, ont croqué de superbes scènes de la vie de tous les jours. L’archéozoologie, la science qui étudie la faune ancienne à partir des restes osseux mis au jour par les archéologues, nous confirme le rôle de tractions de certains animaux comme le bœuf par la mise en évidence de pathologies osseuses spécifiques à ce genre d’activité.

Fig. 1 – Cavalier. Le pilier au cavalier, Arlon.© Institut archéologique du Luxembourg, Arlon

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De haut en bas :Fig. 2 – Cisium. Monument funéraire, Virton.Photo Jacky Collot © Collection Musée gaumais, Virton

Fig. 3 – Borne milliaire représentée sur un monument funéraire, Arlon.© Institut archéologique du Luxembourg, Arlon

La signalisation et les sourcesd’information routières

Les voyageurs ont à leur disposition diverses sources d’informations routières.Le long des routes, des bornes milliaires jalonnent très régulièrement le parcours, en principe tous les milles. Ce sont des petits monuments cylindriques en pierre qui comportent différentes indications gravées. Outre des informations poli-tiques concernant l’empereur, elles renseignent sur le territoire traversé et sur la distance au chef-lieu de la cité concernée. Leur présence est familière dans le paysage comme tend à nous le montrer une sculpture conservée à Arlon (fig. 3).À Tongres, un petit monument en pierre octogonal proposait sur chacune de ses faces, des rensei-gnements pour se rendre dans différentes desti-nations au départ de la ville. Il est partiellement conservé ; on peut y suivre les trajets assortis aussi d’étapes et de distances, par exemple pour atteindre Worms par Bonn ou Amiens par Reims.Il existe aussi des documents qui concernent tout l’empire et qui renseignent également les grandes voies traversant nos régions. Ce sont les bien connus Itinéraire d’Antonin et Table de Peutinger ; tous deux sont des compilations qui remontent à la période romaine tardive. L’Itinéraire d’Antonin (Itinerarium Antonini Augusti) est un recueil de routes importantes de l’Empire, qui énumère le nom de localités antiques traversées et les dis-tances qui les séparent. La Table de Peutinger est une carte transmise grâce à une copie médiévale reproduisant un grand nombre de voies majeures sillonnant l’empire ; elles sont dessinées sché-matiquement d’un trait rouge, avec la mention de villes généralement illustrées, et d’autres étapes, ainsi que de la valeur de leur éloignement respec-tif. Le document se présente sous la formée étirée d’un long rouleau, divisé en douze sections.

Les étapes

La résistance que l’on s’accorde à attribuer aux moyens de transport terrestre de l’antiquité romaine nécessite des haltes environ tous les 10/15 km. Le parcours d’une journée correspon-drait à trois ou quatre, voire cinq étapes. On ne circule pas la nuit. Les routes devront donc être équipées de relais pouvant assurer l’accueil et la restauration des hommes, l’entretien des animaux et des véhicules, l’hébergement et la sécurité des attelages et des biens transportés. Les relais sont des infrastructures de services qui constituent une chaîne d’établissements logistiques assez régulièrement échelonnés. Ils devaient être nombreux, installés dans les villes et agglomérations, ainsi que isolés dans les zones rurales. En milieu urbain, ils sont généralement établis en périphérie immédiate de l’habitat, le long de l’artère routière desservie et la jouxtent. Un chemin assure la liaison jusqu’au bâtiment. La proximité d’un point d’eau détermine bien souvent le lieu précis de l’implantation.Les relais adoptent le plus souvent une architec-ture spécifique qui répond aux besoins de leur destination. Ils sont de tailles variées. Ce sont

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Fig. 4 – Plan du relais d’Anlier.© Marie-Hélène Corbiau

Fig. 5 – Relais avec voyageurs. Extrait de la mosaïque de la maison d’Orphée, Leptis Magna, conservée au musée de Tripoli.Photo G. Coulon

des bâtiments de plan ramassé, aligné sur l’axe routier. Ils comptent plusieurs pièces, centrées sur un espace intérieur souvent assez vaste pour accueillir les attelages. On y accède par une porte charretière ouvrant en façade. La présence de bains est fréquente, spécialement dans les bâtiments isolés. Les établissements routiers comportent des installations plus particulières comme des ateliers de forge. Ils doivent aussi comprendre une écurie.L’étude archéologique de l’organisation routière, conditionnée par la connaissance précise des itinéraires, a mis en évidence ces établissements jalonnant les voies antiques. Ils correspondent à des termes latins comme mansio ou mutatio ou encore stabulum et taberna suivant les époques et leurs fonctions logistiques plus précises. Ils participent entre autres au célébre service de la poste impériale, dénommé cursus publicus à la période tardive. Sur la voie qui reliait Metz à Tongres, on retrouve un petit bâtiment de service routier équipé d’un bain, à 13 km d’Arlon (fig. 4) ; c’était la première étape. Une mosaïque antique de Lybie nous montre une image d’un petit relais avec l’accueil du voyageur auquel il est offert un gobelet d’eau (fig. 5).

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De gauche à droite :Fig. 6 – Évocation de monuments funéraires. Dessin J. Depiesse, © Institut archéologique du Luxembourg, Arlon

Fig. 7 – Autel funéraire de Gaius Iulius Maximinus, se terminant par un salut au voyageur/VIATOR, Arlon.© Institut archéologique du Luxembourg, Arlon

mausolée, cippe) portant une épitaphe et une décoration qui peut parfois être très développée. (fig. 6). Les sculptures funéraires représentent les morts honorés et diverses scènes symboliques comme le banquet ou le voyage, mais elles sont devenues des images de la vie quotidienne. Elles sont peintes. Elles devaient interpeller le passant (fig. 7) et évoquer la réussite sociale des défunts. Particulièrement en Hesbaye belge, la voie antique a attiré l’édification de tumulus, tertres funéraires de riches terriens de la cité des Tongres qui tout en magnifiant la mémoire des proprié-taires contribuent à la monumentaliser dans le paysage (fig. 8). La plupart étaient dotés d’un luxueux mobilier funéraire, aujourd’hui réparti dans différents musées.Plus loin, dans les campagnes, à quelques dis-tances des grandes chaussées, sont dispersées des villas et des fermes auxquelles on accède par un réseau de voies secondaires.À partir du milieu du 3e siècle et durant le 4e siècle, certaines voies comme la Bavay-Cologne sont munies de fortifications qui accueillent des contingents militaires. Un premier programme comprend des fortins en bois, entourés de fossés, érigés contre ou à cheval sur la chaussée et des petits postes de contrôle que l’on rencontre dans certaines agglomérations. Une seconde cam-pagne privilégie la construction de forteresses et de tours en pierre.

L’environnement routier

Les voies romaines relient les villes, centres poli-tiques privilégiés de Rome. Elles ont suscité éga-lement l’éclosion de nombreuses agglomérations ; haltes routières assez régulièrement espacées entre les villes à l’origine, un grand nombre se sont développées en centres économiques actifs particulièrement dans l’artisanat et le commerce. Quelques-uns seulement sont devenus des villes modernes, d’autres sont tombés dans l’oubli. L’urbanisme y est élémentaire, mais il est carac-téristique de ce type d‘habitat groupé et présente un développement assez uniforme tout au long des axes routiers. La voie antique est l’épine dor-sale sur laquelle s’étire le centre bâti. Le long des voies antiques, aux extrémités des villes et des agglomérations, s’étendent les nécropoles d’abord à incinération puis à partir du 3e siècle à inhumation. Elles peuvent être importantes comme l’ont montré certaines découvertes. L’habitude est d’ensevelir le défunt avec ses parures et objets particuliers et de lui offrir de la vaisselle et des aliments nécessaires pour l’au-delà. Ces objets sont d’intéressants témoignages sur la vie quotidienne gallo-romaine, qui viennent éclairer le matériel souvent très fragmentaire mis au jour dans les sites d’habitat. Certaines sépultures du Haut-Empire sont sur-montées d’un monument funéraire (stèle, pilier,

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Les voies romaines, un programme politiqueet des performances techniques

Les voies romaines sont de remarquables réalisa-tions architecturales, planifiées, instaurées pour assurer les liaisons entre le pouvoir central de Rome et son vaste territoire. Dans nos régions, les provinces septentrionales de Gaule et de Germanie Inférieure, l’établisse-ment des premières artères routières est associé à l’organisation par Auguste durant les deux der-nières décennies avant Jésus-Christ, du territoire conquis par Jules César (fig. 9). L’initiative répond à un double objectif, stratégique et administra-tif. Les routes acquerreront rapidement un rôle économique et culturel.À partir de Lyon, le nord est articulé au sud par deux axes majeurs qui rallient les extrémités de l’État romain : à l’ouest, la Manche à Boulogne et à l’est, le Rhin, à Cologne. Un maillage de routes principales est mis en place pour relier les villes, chefs-lieux des cités, s’inscrivant ainsi dans le programme de l’administration du territoire. Il facilite aussi le déplacement rapide des troupes.Le canevas de la voirie initiale est étoffé ulté-rieurement et adapté aux besoins du trafic par la création d’autres voies.Les axes de communications terrestres sont complétés par les voies d’eau, fleuves et rivières navigables, importantes dès le début de la romanisation, mais aussi avant.

Un paysage hiérarchisé

Toutes les voies romaines n’ont pas la même importance. D’après les témoignages antiques, on distingue généralement trois catégories. Les voies principales aussi appelées viae publicae ou militares, correspondent aux liaisons politiques qui mettent en réseau les cités et leurs chefs-lieux, les villes, et établissent la communication avec Rome. Ces axes majeurs de l’Empire sont les mieux connus et les plus souvent représen-tés. Ils sont doublés par les voies secondaires ou vicinales. Ce sont des routes régionales ou locales qui relient les artères majeures, sil-lonnent les campagnes et peuvent conduire jusqu’aux voies d’eau ou aux propriétés privées. Elles devaient être très nombreuses et de divers intérêts. Enfin les chemins privés ou viae priva-tae sont utilisés pour la circulation intérieure des domaines ruraux.Cette hiérarchie n’est pas exclusive. Tout le monde emprunte ces routes en fonction de la destination du déplacement.

De haut en bas :Fig. 4Plan du relais d’Anlier.© M.-H. Corbiau

Fig. 5Relais avec voyageurs. Extrait de la mosaïque de la maison d’Orphée, LeptisMagna, conservée au musée de Tripoli.Photo G. Coulon

50 km © M.H. CorbiauGallia Belgica

GermaniaInferior

Mer du Nord

CasselCastellum Menapiorum

BoulogneGesoriacum

ThérouanneTarvenna

TongresAtuatuca

CambraiCamaracum

NemetacumArras

MetzDivodurum

ZülpichTolbiacum

ArlonOrolaunum

VermandViromandis

SenlisAugustomagus

Velzeke

ReimsDurocortorum

TurnacumTournai

CologneColoniaAgrippinensisAsse

AmiensSamarobriva

BeauvaisCaesaromagus

St QuentinAugusta V.

AugustaTrèves

BavayBagacum

SoissonsAugusta S.

De haut en bas :Fig. 8 – Tumulus en bordure de la voie Bavay-Tongres à Ambresin (Wasseiges).Photo Marie-Hélène Corbiau

Fig. 9 – Réseau des voies romaines principales du Nord de la Gaule.© Marie-Hélène CorbiauDAO Christian Swijssen, UNamur

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Les unités de mesures

L’unité de mesure utilisée est généralement le mille, soit environ 1.478,5 m ; mais dans le nord, on emploie aussi la lieue équivalant à environ 2.222 m, au moins à partir de Septime Sévère (193-211). Cette dernière est ainsi utilisée sur la colonne itinéraire de Tongres, et sans doute pour les indications de distances concernant les régions septentrionales figurant sur la Table de Peutinger ainsi que le plus souvent dans les listes de l’Itinéraire d’Antonin.

Organisation administrative

L’Empire romain est divisé en provinces, elles-mêmes subdivisées en « cités » ou civitates, c’est-à-dire un territoire avec à leur tête un chef-lieu qui est une ville. Celles-ci ont un rôle administratif primordial comme siège des institutions municipales, qui gère le territoire de la cité en relation étroite avec Rome.

Fig. 10 – Voie Boulogne-Cologne entre Bavay et Tongres à Gembloux.Photo Marie-Hélène Corbiau

Le parcours

Les voies romaines suivent un itinéraire le plus direct possible. Elles ont dû vraisemblablement utiliser des sections de chemins antérieurs fréquentés par les Gaulois. Elles sont plutôt des parcours de hauteurs et se maintiennent sur les plateaux et les crêtes naturelles, légèrement en contre-bas de celles-ci. En fonction de la desti-nation, du substrat naturel et du réseau hydrolo-gique, on observe que le tracé se décline souvent en une série de lignes droites et brisées, sur des distances très variables. La voie Boulogne-Cologne entre autres présente un parcours très direct avec de longs tronçons rectilignes ; entre Bavay et Tongres particuliè-rement elle s’appuie sur la ligne de partage des bassins de la Meuse et de l’Escaut (fig. 10).

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De haut en bas :Fig. 11 – Coupe à Wasseiges de la voie Boulogne-Cologne illustrant les diverses phases de construction de l’Antiquité à l’époque actuelle ; 1-6, 15, 16 phases modernes ; 7 couche compacte de petits galets liés au sable jaune ; 8 sable gris-blanc avec petits galets ; 9, 10 rognons de silex, moellons en grès, dans limons bruns jaunes formant l’assise empierrée antique ; 11 chemin en terre compacte et parfois indurée ; 12, 13 socle limono-argileux, brun.© M. Gustin & M.-H. CorbiauDAO H. Draux, © SPW

Fig. 12 – Traces d’ornières dans la surface empierrée de galets de la voie Metz-Tongres à Wyompont.Photo Marie-Hélène Corbiau, © SPW

Fig. 13 – Gué avec pavés en schiste à la traversée de l’Ourthe par la voie romaine Metz-Tongres à Wyompont.Photo Marie-Hélène Corbiau, © SPW

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0 25m

Meuse

Rorive

Ombret

Fig. 14 – Reconstitution du plan du pont romain sur la Meuse, au passage de la voie romaine Metz-Tongres à Amay-Ombret ; 1 pont actuel (1950) ; 2 emplacement du pont de 1872 ; 3 ancienne île ; 4 ancienne rive de la Meuse ; P0, P1, P2, vestiges du pont romain.Tiré de J. WITVROUW & G. GAVA, Le pont romain et le franchissement de la Meuse à Amay – Archéologie et Histoire, dans Bulletin du Cercle archéologique Hesbaye-Condroz, t. XXIX, 2005, p. 134.

L’architecture

Outil politique, les voies romaines doivent être ef-ficaces, c’est-à-dire praticables, rapides et sûres. Elles doivent donc être techniquement réussies. Leur construction tient compte du milieu à traver-ser, du relief, de la qualité du sol et du climat.Quelques principes architecturaux président à leur édification, tandis qu’une grande diversité carac-térise l’agencement des matériaux et les équipe-ments immédiats. Ainsi l’objectif est d’établir un ouvrage solide, résistant à l’humidité et à l’usure.Une voie romaine est construite sur un ter-rain nivelé, stable, généralement le sol vierge. Quelques fois, un ou plusieurs sillons sont tracés, au centre pour définir l’axe routier et sur les côtés pour déterminer l’emprise publique. L’assise de la voie comporte deux ou plusieurs couches de matériaux de diverses qualités, mais toujours de provenance locale (fig. 11). Les pro-duits fins à la base (argile, sable ou gravier) sont compactés et surmontés de pierres, posées à plat ou sur chant, ou de cailloux. Ces couches peuvent alterner. Le revêtement supérieur est fréquem-ment un empierrement ou un cailloutis fortement tassé plutôt qu’un beau dallage tel qu’on le voit si souvent aux environs de Rome. Enfin une couche de roulement en matériaux fins couronne l’ouvrage et adoucit les aspérités de la surface ; générale-ment, elle a disparu. Quelques fois les extrémités sont renforcées par des pierres mieux ajustées. Un profil bombé et si nécessaire, un ou deux fossés latéraux contribuent à l’écoulement des eaux. La largeur n’est ni uniforme, ni constante ; elle avoisine plutôt 6 m, mais elle peut être nettement supérieure ou inférieure. Des traces d’ornières peuvent parfois être observées et nous livrent des informations immédiates sur le trafic et sur les convois (fig. 12). La voie peut avoir été rechargée, parfois à plusieurs reprises ; à l’occasion de ces travaux d’entretien ou de rénovation, la largeur peut être rétrécie ou à l’inverse développée.

Des équipements spécifiques

Le franchissement des cours d’eau nécessite l’aménagement d’un gué et de mises à l’eau ou la construction d’un pont. Les gués correspondent aux lieux naturels favorables à la traversée. Ils utilisent les hauts-fonds, parfois améliorés par la mise en place d’un pavage (fig. 13). Les ponts ré-pondent à différents modèles architecturaux qui mettent en œuvre le bois et/ou la pierre. À Amay, deux ponts successifs ont assuré la traversée de la Meuse par la voie romaine Metz-Tongres. Ils ont été édifiés suivant deux techniques différentes. Le premier était entièrement construit en bois ; le second comportait des piles en pierre sur des fondations en bois (fig. 14).

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empierrement de blocs de quartzite ; dans les zones tourbeuses, il prend appui sur un solide radier en bois parfois très complexe (fig. 15). L’archéologie a mis en évidence plusieurs étapes dans la réalisation et l’utilisation de cet ouvrage, avec notamment la construction d’une canalisa-tion en bois, faite de longues poutres transver-sales en chêne, et rebouchée ensuite.La construction révèle l’excellente connaissance du terrain des constructeurs et la maîtrise des dif-ficultés techniques qu’il engendrait. L’architecture de qualité dénote un usage rationnel des matériaux locaux disponibles, méticuleusement adaptés au milieu à traverser et au charroi à supporter.De nombreuses ornières attestent la fréquen-tation soutenue de l’itinéraire par différents modèles de véhicule dont l‘un a été mis au jour. Il s’agit d’une charrette qui s’est écrasée sur le bord de la route et a été emprisonnée par la tourbe (fig. 16). Le véhicule en bois est bien conservé. Il reste principalement un essieu fracturé et deux roues constituées de rayons en chêne, de jantes en hêtre et de moyeux en bouleau. La datation se situe entre le 11e et le 13e siècle.

Au Moyen Âge

Au Moyen Âge, on se déplace, on voyage égale-ment beaucoup, mais aussi on continue d’utiliser certaines voies romaines, on les entretient et on en construit de nouvelles. La situation politique a changé ; de nouveaux itinéraires répondent à de nouvelles préoccupations politiques ou écono-miques. On possède un très bel exemple d’une nouvelle route créée au Haut Moyen et utilisée jusqu’aux 13e/14e siècles pour traverser le plateau des Hautes Fagnes belges. Cette région se singularise par un climat rude et un sous-sol fangeux qui a nécessité une technique de construction particulière. Les vestiges routiers mis au jour attirent l’attention sur leur remarquable architecture et son exception-nelle conservation favorisée par le milieu. Cette ancienne route a été identifiée à une voie citée dans une charte mérovingienne du 7e siècle, la Via Mansuerisca, et est généralement connue sous cette appellation, même si cette association doit conserver un caractère hypothétique.La route est constituée d’un puissant

Fig. 15 – Empierrement de la voie médiévale, la « Via Mansuerisca », avec la canalisation en bois. Photo Marie-Hélène Corbiau, © SPW

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Fig. 16 – Vue de la charrette en bois au bord de la voie médiévale, la « Via Mansuerisca ».Photo Marie-Hélène Corbiau, © SPW

Aujourd’hui

Aujourd’hui bon nombre de voies romaines restent fort présentes dans notre paysage. Elles peuvent encore être parcourues, soit qu’elles sont toujours utilisées par le trafic actuel ou comme chemin de terre, soit qu’elles sont devenues des limites administratives ou simplement se signalent par un relief appuyé, un parcellaire régulier ou une végétation linéaire.La toponymie ponctue également plusieurs tra-cés de diverses appellations bien significatives comme « chemin », « voie » ou « chaussée ro-maine »… Monument linéaire emblématique de la civilisation romaine, les voies antiques sont aussi associées à des personnages passés dans la légende comme Brunehaut, Charlemagne, les Sarazins ou le Diable. La signalisation actuelle y fait écho et contribue à baliser leur tracé millénaire.

Orientation bibliographique

R. BRULET (dir.), Les Romains en Wallonie, Bruxelles, 2008.

R. CHEVALLIER, Les voies romaines, Paris, 1998.

M.-H. CORBIAU (dir.), Le patrimoine archéologique de Wallonie, Namur, 1997 (Patrimoine de Wallonie).

M.-H. CORBIAU, La « Via Mansuerisca » : nouvelles recherches archéologiques pluridisplinaires et découverte d’une charrette dans la Fagne Rasquin à Waimes, dans Hautes Fagnes, 4, 2005, p. 27-29.

M.-H. CORBIAU, L’organisation routière du nord de la Gaule, dans La Belgique romaine, Dossiers. Archéologie et

Sciences des origines, 315, juillet-août 2006, p. 28-31.

M.-H. CORBIAU, La voie romaine Boulogne-Bavay-Tongres-Cologne, Namur, 2012 (Itinéraires du Patrimoine wallon).

G. COULON, Les voies romaines en Gaule, Paris, 2007 (Promenades archéologiques).

COLLECTIF, Il était une voie. Itinéraires antiques au nord de l’Empire romain, Bavay, 2011.

COLLECTIF, Voies et réseaux, dans Archéopages, octobre 2009. (spécialement J.-D. LAFITTE, Fr. GAMA, S. VILLER, M.-P. PETITDIDIER & M. GEORGES-LEROY, Hiérarchisation des réseaux de voies romaines. L’exemple lorrain, p. 16-23).