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  • Le krach russe

  • DU MÊME AUTEUR

    Chez le m ê m e éditeur

    Travail et Travailleurs en URSS, coll. « Repères ", 1984, 1986. Le Système militaire soviétique, 1988. L'Économie mobilisée. Essai sur les économies de type sovié

    tique, 1990. Feu le système soviétique ?, 1992. Le Chaos russe, 1996.

    Chez d'autres éditeurs

    Pays de l'Est: vers la crise généralisée ?, Federop, Lyon, 1980. Les Fluctuations économiques en URSS, 1941-1985, Éditions

    de l'École des hautes études en sciences sociales, Paris, 1989.

    L'URSS au tournant : une économie en transition (direction du volume), L'Harmattan, Paris, 1990.

    L'Expérience soviétique et sa remise en cause (en collabora- tion avec A. BADOWER et M. CRESPEAU), Bréal, Paris, octobre 1994.

    Monnaie et f inance dans la transition en Russie (direction du volume, en collaboration avec V. V. IVANTER), Éditions de la Maison des sciences et de l'homme et L'Harmattan, Paris, 1995.

    La Mandchourie oubliée. Grandeur et limites de l'art de la guerre soviétique, Éditions du Rocher, Monaco, 1996.

    Retour sur l'URSS, Économie, Société, Histoire (direction du volume), L'Harmattan, Paris, 1997.

  • J a c q u e s S a p i r

    Le krach russe

    ÉDITIONS LA DÉCOUVERTE 9 bis, rue Abel-Hovelacque

    PARIS XIII 1998

  • Catalogage Électre-Bibliographie

    Sapir, Jacques Le krach russe. - Paris : La Découverte, 1998. ISBN 2-7071-2916-X RAMEAU : Russie : politique et gouvernement : 1991 -. . .

    Russie : conditions économiques : 1991 - ... DEWEY : 330.7 : Économie générale. Conjoncture et conditions

    économiques Public concerné : Tout public.

    Si vous désirez être tenu régulièrement au courant de nos parutions, il vous suffit d envoyer vos nom et adresse aux Éditions La Découverte, 9bis rue Abel- Hovelacque, 75013 Paris. Vous recevrez gratuitement notre bulletin trimestriel À La Découverte.

    © Éditions La Découverte et Syros, Paris, 1998.

  • Août 1998

    Le 17 août 1998 restera dans l'histoire, déjà mouvementée, de cette décennie. Le krach russe a balayé une partie des certi- tudes qui perduraient depuis 1991 et la fin de l'URSS. Venant s'ajouter à la crise asiatique, dont il démultiplie les effets, il semble avoir enclenché un processus de crise à l'échelle mon- diale. Les États sont confrontés à la force et à la violence de la

    spéculation sur ces marchés financiers qu'ils ont mis sur un pié- destal par leurs politiques antérieures de libéralisation. La spec- taculaire faillite de l'un des plus célèbres fonds d'investissement américains, Long Term Capital Management, venant après celle de fonds de moindre importance à Londres, constitue un évé- nement symptomatique. De même, les appels aujourd'hui répétés à la construction d'une nouvelle architecture financière internationale, ainsi que le retour en grâce de mesures telles que le contrôle des changes ou la limitation de la mobilité des capitaux à court terme témoignent de l'ampleur du traumatisme. Cela est vrai non seulement en Russie mais aussi de l'actuelle

    crise financière mondiale. Sous nos yeux, une rupture écono- mique, politique et idéologique est en train de s'accomplir.

    Un mois à peine après l'octroi sous l'égide du FMI d'un cré- dit de 22 milliards de dollars, le gouvernement russe dévaluait sa monnaie, instaurait un moratoire unilatéral sur ses dettes externes et faisait défaut sur sa dette interne. Cet effondrement financier, comparable à celui de l'Indonésie en 1997, ouvrait une crise politique majeure. Au bout de quatre semaines de vaines tentatives de replâtrage et de confusion, Evgenyi Primakov, un diplomate qui servit Eltsine après Gorbatchev, Andropov et Brejnev, devient Premier ministre. Recevant un soutien de l'en- semble de l'opposition, des communistes aux démocrates

  • pragmatiques du Yabloko, en passant par le général Lebed, il forme un cabinet où figurent de manière éminente des adver- saires résolus de la politique économique menée depuis 1992. Un Boris Eltsine visiblement à bout de forces annonce dans une

    allocution télévisée qu'il lui abandonne les pleins pouvoirs pour faire face à la crise. La Russie, au bord de l'éclatement, retient son souffle.

    C'est peu dire que la population est choquée. Après avoir espéré que les sacrifices, l'appauvrissement de ces dernières années allaient ouvrir la voie au renouveau, les Russes ont été replongés dans l'atmosphère de 1991. Les prix s'affolent et les produits disparaissent des magasins. Même à Moscou, la ville choyée, l'enfant gâté de la transition, il fallait, début septembre, près de deux heures de recherches et d'attente pour trouver du lait. Les économies accumulées par ceux-là mêmes qui avaient tiré leur épingle du jeu ces derniers temps ont disparu avec la faillite des banques. Déjà, cette économie de service moscovite, dont on nous annonçait qu'elle était l'avenir du pays, s'effondre tel un château de cartes. Les licenciements atteignent entre 40 % et 60 % des effectifs dans le secteur bancaire dès le début sep- tembre, pour se propager ensuite, telle une boule de neige, chez les sous-traitants et les contractants divers.

    La fin d ' u n e é p o q u e

    C'est au naufrage d'une époque que l'on a assisté. En Russie d'abord, bien entendu, mais aussi dans le monde en général où la crise russe a été ressentie avec une intensité sans commune

    mesure avec les pertes financières qu'elle pouvait entraîner. Venant accentuer les effets de la crise asiatique, le choc du 17 août s'est rapidement propagé vers l'Amérique latine. Cela, les bien-pensants du libéralisme, ceux qui croient que les mar- chés financiers sont rationnels, n'ont pas voulu le v o i r C'était

    1. En témoignent les réponses de C. Wyplosz et de G. Wild, dans Libération, 18 août 1998, p. 3.

  • pourtant oublier que les marchés financiers ne jugent pas des réalités, mais ce qu'ils perçoivent comme des opinions sur les réalités. Venant après la crise asiatique, la crise russe aura montré la fragilité de la finance internationale déréglementée. Et déjà, les grands hérauts de la mondialisation, comme Paul Krugman, en viennent à défendre l'idée du contrôle des changes et de la nécessité d'une restriction de la circulation des capitaux à court t e r m e Il est toujours plaisant de voir les adversaires d'hier brûler ce qu'ils ont adoré et adorer ce qu'ils ont brûlé 3. Il est vrai que le trop fameux consensus libéral que l'on invo- quait pour faire taire les opposants était déjà bien fissuré. L'éco- nomiste en chef de la Banque mondiale, Joseph Stiglitz, le montrait bien dans une publication qui est, hélas ! passée inaperçue Il n'est donc pas faux, comme l'écrit Laurent Joffrin, de parler d'un éclatement de la bulle l ibérale On ne doit pas s'en étonner. Dès 1992, à regarder se mettre en place la transi- tion en Russie et à dresser un premier bilan du processus dans l'ex-Europe de l'Est, on pouvait prédire que « la douloureuse expérience que représente pour les populations concernées le processus de transition aura probablement pour effet de fermer la période ultra-libérale qui s'était ouverte à la fin des années so ixante-dix

    Pour revenir à la Russie, qu'importe donc si Sergueï Kirienko, l'infortuné successeur de Victor Tchernomyrdine, a démissionné sur l'heure. Devant la faillite de sa politique économique, c'est l'ensemble du système eltsinien qui s'effondre plus ou moins vite. Que la crise soit survenue un mois jour pour jour après un nouvel et solennel engagement occidental à soutenir la poli- tique russe en aggrave la portée. L'annonce d'engagements financiers importants s'est révélée incapable de modifier la situation, et les 4,8 milliards de dollars décaissés fin juillet se

    2. Libération, 16 septembre 1998, p. 2-3. 3. Financial Times, 1 septembre 1998. 4. J. E. STIGUTZ, More Instruments and Broader Goals : Moving toward the Post-

    Washington Consensus», in Wider Annual Lactures n° 2, Wider, Helsinki, 1998, p. 9. 5. Libération, 16 septembre 1998, p. 3. 6. J. SAPIR, Feu le système soviétique ?, La Découverte, Paris, 1992, p. 188.

  • sont volatilisés sur les marchés en quelques jours. C'est à une défaite en rase campagne que l'on vient d'assister, dont la gra- vité est à la hauteur du soutien qui avait été prodigué aux gou- vernements russes successifs depuis plusieurs années.

    Pourtant, on ne peut s'empêcher de penser, à entendre cer- taines déclarations, qu'une forme particulièrement vivace de déni de la réalité prédomine dans certaines analyses. Si le choc est terrible en Russie, à l'étranger l'aveuglement est grand. Les partenaires occidentaux de la Russie ne semblent pas avoir à la bouche d'autre expression que la «poursuite des réformes». Appeler sans cesse à la «poursuite des réformes» sans plus de précision a pourtant témoigné d'un refus obstiné de prendre en compte la réalité de l'économie r u s s e Imagine-t-on seule- ment ce que cela peut signifier pour les Russes aujourd'hui ? Croire qu'après les échecs en Asie et en Russie le FMI puisse encore avoir une quelconque crédibilité, tant sur les marchés financiers qu'en Russie, revient à se voiler la face. Quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur ses méthodes et les orien- tations qu'il préconise, il faut avoir le courage de reconnaître que cette organisation va traîner dans les mois qui viennent l'image d'un perdant. C'est donc un dangereux déni de la réalité que de croire que la politique occidentale à l'égard de la transi- tion en Russie pourra se dérouler dans les même cadres, avec le même discours et sur les mêmes objectifs qu'avant le krach.

    Inversement, présenter le nouveau gouvernement russe comme une «restauration communiste» est un contresens complet. Il n'est nullement question de revenir à l'économie planifiée soviétique. Si la stratégie libérale a été discréditée, le krach n'a aucunement réhabilité l'URSS aux yeux des ex- Soviétiques. Même Victor Maslyukov, ex-président du Gosplan et devenu en septembre 1998 premier vice-Premier ministre dans le gouvernement Primakov, est fort clair sur ce point. Tous les interlocuteurs qui l'ont rencontré savent qu'il est parfaite- ment conscient de l'échec du système de planification. Il est

    7. Telle fut en particulier la position du président américain Bill Clinton lors de sa visite à Moscou ; voir Press Conférence by President Clinton and President Yeltsin, Office of the Press secretary, The White House, 2 septembre 1998, via Internet.

  • alors un comble que défendre les principes d'un interven- tionnisme limité, s'inspirant de ce qui fut fait en France ou en Italie après 1945 8 devienne sous la plume d'un des respon- sables du FMI la volonté de rétablir l'économie administrée9. L'amalgame est intolérable et le procédé typiquement stalinien. Il est aussi bien petit au regard des enjeux. Le lion monétaire de Washington se dévoile un roquet.

    Cassandre et les bons apô t res

    Tout cela n'était certes pas inévitable, mais à tout le moins largement prévisible. L'aveuglement semble néanmoins avoir été quasi général. Début août, les banquiers russes croyaient encore être sauvés par les Occidentaux, et le FMI lui-même n'a pris conscience de l'inéluctabilité de la crise que quelques jours avant son déclenchement. Ce double aveuglement, des respon- sables russes et des Occidentaux, explique la catastrophique gestion de la crise entre le 14 et le 17 août, qui devait aboutir à la dramatique décision d'ajouter le défaut de paiement à la dévaluation.

    Pourtant, dès le 24 juin, l'auteur de ces lignes annonçait la dévaluation du rouble et qualifiait la gravité de la situation financière de m a x i m a l e Bien avant cette date, on avait tenté de donner l ' a l e r t e Mais il est vrai que, lorsqu'on a écrit un ouvrage intitulé Le Chaos russe 12, on ne passe pas pour un optimiste.

    Ce livre fut qualifié de réquisitoire univoque, d'ouvrage de passion dont on stigmatise la verve de pamphlétaire de l'au- teur 13 Au-delà du règlement de comptes obscurcissant toute

    8. J. SAPIR, Il faut mettre le FMI hors jeu en Russie», Le Monde, 3 septembre 1998, p. 15.

    9. C. BRACHET, -Le FMI persiste et signe », Le Monde, 16 septembre 1998, p. 16. 10. Une situation financière gravissime», interview de J. SAPIR par D. VIGNERON,

    La Tribune, 24 juin 1998, p. 10. 11. Voir la conclusion du chapitre-Russie- inJ.-P. PAGÉ (éd.), Tableau de bord des

    Pays d'Europe centrale et orientale-1997, CERI, Étude n° 33, p. 90. 12. J. SAPIR, Le Chaos russe, La Découverte, Paris, 1996. 13. F. BARRY, in Le Courrier des Pays de l' Est, n° 415, décembre 1996, p. 72-75.

  • lucidité, ces critiques témoignaient d'un état d'esprit plus géné- ral. Les mises en garde, les évaluations négatives de la transi- tion, dont l'auteur n'eut certes pas le monopole 14 ont été systématiquement sous-estimées du printemps 1996 à l'été 1997. Une raison a sans doute été la légère amélioration que l'économie russe a connue entre la fin de 1996 et juin 1997. Plus importantes et plus décisives furent les raisons idéologiques. Critiquer ce qui se faisait en Russie, c'était critiquer le libéra- lisme, lorgner vers l'étatisme le plus extrême. À coup sûr, on était traité de cryptocommuniste ou de «mangeur d'acier», pour reprendre l'expression utilisée par Khrouchtchev pour dénon- cer en son temps le lobby de l'industrie lourde.

    En réalité, deux interprétations de la crise russe s'opposent. Les partisans de la stratégie libérale considèrent que le pays était sur la voie du rétablissement économique quand il fut tou- ché par les conséquences de la crise asiatique et la baisse du prix du pétrole. À cela on peut répondre deux choses. Tout d'abord, si la Russie était tellement dépendante pour ses équi- libres tant externes qu'internes du prix des matières premières, c'est bien parce que la politique menée depuis 1993 a laminé l'industrie russe et en particulier le secteur des industries de transformation. Si tel n'avait pas été le cas, si l'économie russe avait été assise sur un marché intérieur solide, jamais le choc n'aurait été aussi important. Ensuite, si l'on regarde le cas de la Chine, pourtant plongée au cœur même de la tourmente asia- tique, on constate qu'elle résiste, et ce en dépit de catastrophes naturelles (inondations à l'est, sécheresse à l'ouest) absolument dramatiques. Si la Chine résiste, c'est que sa monnaie n'est que partiellement convertible et qu'elle dispose d'un contrôle des changes efficace, d'ailleurs renforcé depuis l'aggravation de la crise financière. Ajoutons que, parmi les pays attaqués par la spéculation en 1997-1998, le Chili a mieux résisté que tous les autres. Il l'a dû à une réglementation bridant fortement les

    14. Voir A. BERELOWITCH e t M. WIEVIORKA, Les Russes d ' e n bas . E n q u ê t e s u r l a

    Russ ie p o s t c o m m u n i s t e , Le Seuil , Paris, 1996 ; o n lira auss i a v e c prof i t B. SIVERMAN e t

    M. YANOWITCH, N e w Rich, N e w Poor, N e w Russia , M. E. S h a r p e , N e w York, 1997.

  • mouvements des capitaux à court terme. Or, qui a voulu impo- ser à la Russie une convertibilité immédiate du rouble et le démantèlement des contrôles de capitaux, sinon le FMI et, avant lui, Jeffrey Sachs et son équipe ? Autant alors parler de pompiers pyromanes.

    Pour les analystes réalistes, la crise russe couvait en fait depuis un certain temps. La démonétarisation d'une large par- tie des échanges, la déconnexion entre une sphère financière devenue parfaitement spéculative et un secteur de la produc- tion en pleine dépression induisaient une fragilité systémique de cette économie. Si l'on y ajoute la collusion notoire entre un pouvoir sans légitimité et enfermé dans des pratiques minori- taires et les cercles bancaires, ainsi que la pratique de l'État de ne pas honorer ses paiements aux entreprises comme aux fonc- tionnaires, on voit que tous les éléments du chaos actuel étaient présents depuis au moins 1994. Ils n'attendaient qu'un choc pour se révéler. La politique dite de « rouble fort » menée depuis 1996 pour permettre l'ouverture du marché de la dette interne aux non-résidents a aggravé la fragilité financière de la Russie. Elle a privé le système bancaire de liquidités alors même que l'orage menaçait.

    C o m p r e n d r e p o u r agir

    Le but de cet ouvrage est double. En resituant la crise du 17 août dans son contexte, il entend montrer comment la Russie a pu en arriver là. Dire que la crise était prévisible ne suffit pas. Il faut montrer pourquoi une telle prévision était possible et pourquoi elle ne pouvait pas être entendue dans le contexte de 1997 et du début de 1998. Il faut donc aussi établir les respon- sabilités dans cette catastrophe.

    Lors du séminaire franco-russe sur les problèmes monétaires et financiers de la transition en Russie, séminaire de septembre 1998, un de nos collègues fit la remarque suivante : avant la crise, dit-il, nous avions deux types de crédits, les crédits à vue et les crédits à perte de vue. Depuis la crise, ajouta-t-il, il ne nous reste que deux types de comptes, les comptes en Suisse

  • la Russie lança un emprunt sur le marché européen (les euro- bonds) pour 2,5 milliards de dollars ; le 19, Tchoubaïs déclarait que la Russie aurait besoin au total d'environ 15 milliards de dollars. Les appels au G7 et au FMI se firent de plus en plus pressants, et Tchoubaïs fut nommé envoyé présidentiel auprès des organisations internationales, avec rang de ministre, et ce sans quitter ses fonctions à la tête de l'équivalent russe d'EDF. Voilà ce qui devrait achever de dissiper tout doute sur le poids réel du personnage.

    Le 26 juin, pour obtenir un appui du FMI, le gouvernement présenta un programme anticrise, contenant non seulement des mesures fiscales, mais aussi de nouvelles coupes dans les dépenses. D'emblée, ce programme fut jugé irréaliste ; les impayés salariaux de l'État s'accroissaient chaque semaine. Les gouverneurs de régions pourtant considérées comme réforma- trices, comme Samara, Saratov et Saint-Pétersbourg, déclarèrent publiquement leur opposition au nouveau programme. Dans une atmosphère politique de plus en plus tendue, les députés communistes préparèrent une procédure de destitution du président. Il ne s'agissait là nullement de préparer le renverse- ment d'Eltsine, mais de l'empêcher légalement de dissoudre la Douma pour gouverner par décrets.

    À croire le président, il n'y avait pas péril en la demeure. Le 29 juin, il déclara aux journalistes que le programme du gou- vernement était un simple programme de stabilisation et se féli- cita de l'octroi par le FMI d'une tranche de 670 millions de dollars. Les taux d'intérêt continuaient cependant de monter, atteignant 80 %, et le programme de gouvernement, en panne à la Douma, fut aussi attaqué par le président du Conseil de la fédération. Le 2 juillet, le gouvernement menaça de saisir les avoirs de Gazprom, au motif que la compagnie ne payait pas ses impôts. Il s'ensuivit un débat houleux où l'on apprit aussi ce que l'État devait à Gazprom. Après avoir exigé un versement mensuel de 4 milliards de roubles, le gouvernement acceptait le 7 juillet le compromis suivant : Gazprom paierait dorénavant 3,1 milliards de roubles, mais le gouvernement s'engageait à lui rembourser 0,6 milliard par mois. On revenait de fait aux 2,5 milliards mensuels négociés en début d'année. Beaucoup

  • de bruit pour rien, et la démonstration que l'acharnement sur Gazprom n'était qu'un prétexte.

    Le 8 juillet, tandis que des grèves s'étendaient en province, Boris Eltsine s'engagea à défendre le rouble. Pour mieux montrer sa détermination, le ministre des Finances, Mikhail Zadornov, déclara le 10 que l'État assurerait le service de sa dette même au détriment des salaires. Rarement aura-t-on vu un ministre dire aussi froidement qu'il préfère des spéculateurs qui prêtent au gouvernement à plus de 40 % à ses propres fonctionnaires.

    Qui a vécu par la finance périra par la finance

    L'accord avec le FMI fut signé le 13 juillet, pour un aval le 17. Le FMI promettait 12,5 milliards de dollars, dont 11,2 pour un fonds de stabilisation, avec une première tranche de 5,6 milliards au 20 juillet. La Banque mondiale annonçait, elle, 1,7 milliard (dont en réalité 800 millions avaient déjà été décidés) et la Banque du Japon 600 millions. Au total, la Russie devait rece- voir, d'ici la fin de 1998, 14,8 milliards, tandis que d'autres sommes étaient prévues pour 1999.

    Un tel accord aurait dû, de l'avis des responsables, calmer la spéculation. Il n'en fut rien. Il était en effet évident que la situation était critique. Les résultats économiques du premier semestre étaient mauvais, avec une chute de la production notable depuis avril. Les impayés salariaux s'accroissaient rapi- dement, atteignant plus de 70 milliards de roubles, avec une hausse particulièrement forte des arriérés dus par l'État. L'oppo- sition entre exportateurs de matières premières et banquiers devenait publique avec la circulation d'une lettre ouverte signée des responsables des grandes sociétés gazières et pétrolières accusant le gouvernement d'être lié aux banques.

    Pour tenter d'affirmer son indépendance, Kirienko invita au gouvernement le communiste Victor Maslyukov, au poste de ministre du Commerce et de l'Industrie. Ce dernier accepta, à la condition d'une définition précise de ses attributions. Il était cependant trop tard. En dépit de déclarations répétées de Zadornov et type="BWD" la situation financière empirait. En

  • fait, on sait aujourd'hui qu'une réunion du Conseil national de sécurité eut lieu en juillet sur ce thème. Les experts invités furent formels pour prédire la catastrophe financière à court terme. Ils se virent opposer une fin de non-recevoir du direc- teur de la banque centrale, Doubynine.

    Début août, il était évident que l'accord avec le FMI n'avait eu aucun effet sur la spéculation. Pour soutenir le rouble, la banque centrale devait dépenser entre 250 et 300 millions de dollars par jour. À ce rythme, la première tranche du FMI, certes réduite de 5,6 milliards à 4,8 milliards, petite mesquine- rie hypocrite, fut rapidement volatilisée. Le 12 août, la Bourse de Moscou s'effondrait de 25 % tandis que les rendements des GKO s'envolaient à 140 %. Le jeudi 13 circulaient les premières rumeurs d'une crise bancaire. Le vendredi 14, Onexim cessa d'honorer ses paiements.

    Tandis que, ce même jour, Boris Eltsine faisait une pathé- . tique déclaration télévisée annonçant qu'il n'y aurait jamais de dévaluation, une délégation du FMI quittait Washington pour Moscou. Il semble que l'imminence de la crise venait juste d'être acceptée par les experts de Washington. À Moscou, la confu- sion était encore plus grande. Aucun plan de secours n'était prêt pour faire face à la crise. La réunion qui eut lieu dans la nuit du 15 au 16 fut dramatique. Plusieurs membres de la délégation russe perdirent leur sang-froid. Tchoubaïs alla même jusqu'à accuser les membres du FMI de l'avoir «vendu aux commu-

    nistes». La réalité est plus simple, mais non moins dramatique. La réunion eut lieu dans un état d'impréparation totale, d'un côté comme de l'autre. Tant le FMI que le gouvernement russe payèrent au prix fort leur double refus des réalités.

    Le 17 août, une déclaration commune du gouvernement et de la banque centrale annonçait que le rouble pouvait se déva- luer de 60 %, ainsi qu'un moratoire unilatéral sur les dettes externes et une restructuration de la dette interne, qui était en fait un défaut. Les libéraux russes venaient de trébucher sur

    l'enfant dont ils étaient le plus fiers, le marché financier.

  • Paysage ap rès la batail le

    Pour prévisible qu'elle ait été, cette crise est néanmoins sus- ceptible de plusieurs lectures.

    Elle peut être lue tout d'abord comme la sanction ultime d'une politique économique et financière à la fois inadaptée et rigide. L'accent donné à la stabilisation monétaire ne corres- pondait pas aux besoins d'une économie en transition, dont les priorités étaient, et restent, la création des institutions néces- saires aux comportements de marché et la création de véritables entreprises. Ainsi, les non-paiements de la puissance publique, les «séquestrations budgétaires», impulsés par Boris Fyodorov à l'automne 1993 et régulièrement employés depuis, tout comme la politique d'ancrage nominal du rouble poursuivie de 1994 à 1997, et assouplie trop tardivement, ont eu un impact sur l'économie réelle hors de proportion avec leur efficacité dans la réduction de l'inflation.

    Une deuxième lecture possible et complémentaire est celle de la crise de l'État. La crise des finances publiques est avant tout due à l'effondrement des recettes. C'est bien le pacte fiscal qui est en cause, fruit amer justement de la politique des séquestrations budgétaires. Au-delà, la montée du troc (plus de 50 % des échanges interentreprises en juin 1998) alors que le taux d'inflation baissait, le développement de monnaies de substitution dans les régions traduisent une crise de la souve- raineté monétaire de l'État. La crise actuelle révèle alors une

    perte de légitimité, de crédibilité et d'efficacité de la puissance publique et l'émergence d'une compétition entre des institu- tions sur la capacité à édicter des normes couvrant un nombre croissant d'agents. Cette compétition est évidente entre les ins- titutions fédérales et régionales. La crise de l'État signifie aussi qu'il a perdu sa capacité à hégémoniser cette compétition, à s'affirmer comme l'ultime recours. Dans une telle lecture, c'est bien la reconstruction de l'État qui devient prioritaire. Elle passe politiquement par une nouvelle sanction démocratique, et donc des élections présidentielles et législatives anticipées. Elle passe techniquement par la mise en œuvre de mesures assurant que les erreurs antérieures ne seront pas répétées : interdiction à

  • l'État de faire défaut sur ses paiements courants (en particulier salariaux), instauration dans la Constitution d'un contrôle plus étroit de l'exécutif par le législatif.

    La crise actuelle peut aussi être lue comme le produit d'un affrontement sans merci au sein de la nouvelle élite russe, qui signifie cependant qu'une phase nouvelle du postsoviétisme s'est ouverte sans que l'on soit sorti de la période de transition politique postsoviétique. Un tel affrontement, schématiquement entre milieux financiers et producteurs, n'a été possible qu'en raison de la certitude pour l'ensemble des acteurs concernés de l'impossibilité d'un retour en arrière. Il a signé la fin de l'oppo- sition réformateurs contre conservateurs qui avait constitué le paradigme de la vie politique de la Perestroïka à l'élection pré- sidentielle de 1996. Les nouveaux paradigmes qui vont se consti- tuer permettront la réinsertion directe des néo-communistes du KPRF dans les structures de pouvoir. Cependant, le type même

    . de cet affrontement montre que l'on n'est pas sorti du post- soviétisme. Les différents mouvements sociaux, grèves des mineurs et manifestations des fonctionnaires, se sont superpo- sés au conflit au sein de l'élite sans en menacer la suprématie. Aucune des factions n'avait alors jugé utile ou nécessaire de ten- ter d'instrumentaliser un de ces mouvements. Les instruments utilisés dans cette lutte interne à l'élite, l'absence de relais sociaux et d'une mobilisation de fractions de la population est carac- téristique d'un espace politique qui fonctionne toujours sur le principe de la stricte séparation dominants/dominés. Cela témoigne d'un échec de la démocratisation.

    Les retombées de la crise vont se manifester dans plusieurs directions. L'unité monétaire de la Russie risque d'être remise en cause. Le blocage du système bancaire, et en particulier des grandes banques couvrant la totalité du territoire, consécutif à la crise a été un signal des plus inquiétants pour le futur. D'ores et déjà, en août et septembre, les gouverneurs de nombreuses régions ont choisi le chacun-pour-soi. Le vide politique, du moins jusqu'à la nomination de Primakov comme Premier ministre, les y a encouragés. La tendance à l'émergence de mon- naies régionales en est un symptôme. Or, pour combattre une telle tendance, il faudrait un système bancaire stable et efficient,

  • un État et une banque centrale garants des transactions, une péréquation des richesses interrégionales à travers une fiscalité redistributrice et un flux de dépenses publiques. Un indicateur clé sera le poids que prendront les veksel régionaux dans les transactions d'ici décembre. Vouloir encore durcir la poli- tique monétaire, par exemple sous la forme d'un Conseil moné- taire, constituerait une erreur tragique qui pourrait provoquer l'irrémédiable éclatement de l'unité monétaire et financière du

    pays, ouvrant la voie à sa fragmentation politique. La recons- truction d'un système des paiements à l'échelle nationale a clairement été une des priorités identifiées par le nouveau gouvernement. Qu'elle implique une réduction drastique du nombre des banques, la nationalisation de certaines d'entre elles, ne fait guère de doute.

    La crise a aussi changé la nature et les conditions des affron- tements au sein de la nouvelle élite russe. L'absence d'institu-

    tions arbitrales, la fragilité et le manque de légitimité du cadre institutionnel ne favorisent pas l'émergence de compromis stables. Ce sont la crédibilité et la légitimité d'un système, et non simplement des acteurs, qui sont en cause. En même temps, par sa nature financière, la crise a changé les rapports des forces. Les grandes banques sont à genoux. Même une puissance financière comme celle de la ville de Moscou a été fortement

    touchée par la dévaluation et l'effondrement du secteur des ser- vices financiers. De plus, et au-delà de la simple dimension financière, le choc psychologique créé par la crise a déconsi- déré de nombreux acteurs. Tel est le cas de Tchernomyrdine, qui ne peut prétendre être absous de toute responsabilité dans l'effondrement financier actuel.

    Dans ce contexte, les mouvements sociaux actuels et à venir peuvent prendre une importance nouvelle. La volonté de l'une ou l'autre partie de les instrumentaliser pourrait être une consé- quence directe d'une escalade des enjeux et des affrontements. Dès lors se reconstituerait brutalement un lien entre la sphère sociale et la sphère politique, mais dans une logique de conflit. La gestion tactique des conflits sociaux, tant par les commu- nistes et leurs alliés que par les autorités, sera ici le point essen- tiel. Si l'autorité de l'État est directement testée (par des grèves

  • dans des secteurs clés ou des occupations d'infrastructures essentielles), le pouvoir sera confronté au dilemme suivant. S'il ne réagit pas, il ouvrira le chemin à de nouvelles actions et se fera peu à peu dépouiller de la réalité de son pouvoir (ce qui était arrivé à Gorbatchev à l'automne 1991). S'il réagit, il prend le risque d'un affrontement faisant de nombreuses victimes. Personne ne peut aujourd'hui dire quel serait l'impact dans la population, mais aussi dans les forces armées, d'une inter- vention des troupes du ministère de l'Intérieur contre un mou- vement social, provoquant plusieurs morts dans une foule désarmée.

    Il est clair que la Russie est au bord du gouffre. En même temps, on assiste à un immense mouvement de redistribution des cartes. Le gouvernement Primakov n'est donc nullement la fin du processus de reclassement des différentes forces politiques. Compte tenu de l'impact de la crise sur le système eltsinien, ses pratiques comme ses hommes, d'autres change- ments sont à venir. On doit espérer qu'ils prendront la forme d'échéances électorales. À cet égard, la succession de Boris Eltsine est clairement ouverte. Elle pourrait se régler avant son terme naturel, l'an 2000. Au-delà, la Russie ne pourra pas faire l'économie de changements constitutionnels. Ici encore, il faut espérer que l'on ira dans le sens de plus de démocratie et de transparence.

    Qui est r e sponsab l e ?

    Cette question va dominer les débats, en Russie comme ailleurs. Déjà, aux États-Unis, une polémique violente se déve- loppe sur le thème: «Qui a perdu la Russie?» Cette question est fondamentalement légitime. Les stratégies de la transition en Russie avaient donné lieu à débat ; certaines conclusions avaient été tirées. Les participants à ce débat doivent aujour- d'hui assumer la responsabilité de leurs dires et pour certains de leurs actes.

    La responsabilité première incombe aux dirigeants russes, et en particulier à ceux qui exerçaient la réalité du pouvoir.

  • Compte tenu du système politique de fait en Russie 3, l'en- tourage d'Eltsine, et en premier lieu des personnes comme Tchoubaïs ou Livshits, est ici directement concerné. Au-delà donc de la composition des divers gouvernements depuis 1992, les « libéraux » russes portent une large part de responsabilité. Ils doivent cela moins à leurs conceptions économiques, sim- plistes au point d'être caricaturales, ou à leur inexpérience, réelle, qu'à l'absence de principes démocratiques. Ce que l'on doit reprocher en premier lieu à Gaïdar, Fyodorov, Tchoubaïs et consorts, c'est une profonde et radicale incompréhension du principe même de la légitimité démocratique. L'ensemble de leurs déclarations et de leurs actes montre qu'ils n'ont jamais imaginé la possibilité qu'une voie alternative fût légitime, et par là ils n'ont jamais accepté le principe de l'alternance. Ils étaient trop persuadés d'avoir raison envers et contre tous, de détenir une vérité scientifique pour ne pas diaboliser toute opposition. En cela, ils ont été les fidèles héritiers du système stalinien. Ils ont affaibli l'État par l'instrumentalisation qu'ils lui ont fait subir bien plus que par leur volonté obsessionnelle d'en réduire le budget et les moyens.

    Les organisations internationales, et en premier lieu le FMI, portent aussi une responsabilité non négligeable. Le premier point où la responsabilité du FMI est clairement engagée réside dans son erreur initiale d'avoir défendu une série de mesures macroéconomiques dont les fondements microéconomiques et institutionnels n'existaient pas en Russie. Cette erreur, il faut s'en souvenir, a été très répandue chez de nombreux experts américains ou influencés par ce que l'on peut appeler la macro- économie de Harvard et du MIT (Dornbusch, Fisher, Sachs) 4 Daniel Cohen relève aujourd'hui que le programme de stabili-

    3. Sur ce point, je renvoie à J. SAPIR, Le Chaos russe, op. cit., sur le détournement à des fins politiques personnelles de l'État par Eltsine, voir G. W. BRESLAUER et C. DALE, « Boris Yeltsin and the Invention of a Russian Nation-State », Post-Soviet Affairs, vol. 13, n° 4, 1997, p. 303-332.

    4. R. DORNBUSCH, Priorities of Economie Reform in Eastern Europe and the Soviet Union, MIT Working Paper, Cambridge, Mass., décembre 1990 ; O. BLANCHARD, R. DORNBUSCH, P. KRUGMAN, R. LAYARD et L. SUMMERS, Reform in Eastern Europe, MIT Press, Cambridge, Mass., 1991.

  • sation en Russie a été construit sur une erreur de diagnostic, l'oubli du problème de l 'É ta t Ce qui est plus gênant, c'est que cet économiste, intellectuellement fort proche de Jeffrey Sachs, n'ait pas mis cette question sur le devant de la scène plus tôt. On rappellera ici que l'auteur avait, lui, souligné dès 1992 la priorité de la reconstruction de l'État et des institutions de commercialisation d'une é c o n o m i e

    Le second point où la responsabilité du FMI est engagée est plus grave encore. En constatant en 1994-1995 que les objectifs n'étaient pas atteints, cet organisme a préféré affaiblir le prin- cipe de la conditionnalité plutôt que d'admettre l'erreur initiale et de remplacer des conditions macroéconomiques par des conditions portant sur les structures et les institutions. En ce sens, le FMI porte l'entière responsabilité de la situation d'aléa moral qui s'est développée en Russie à partir de 1996.

    Cependant, il ne sert à rien de faire du FMI un bouc émis- saire. Sa culture interne, l'absence de pluralisme en son sein, à l'opposé de la Banque mondiale, le conditionnaient à commettre ces erreurs. Les gouvernements occidentaux qui lui ont confié la gestion et le pilotage de l'aide à la Russie portent donc une responsabilité tout aussi lourde. Ce sont eux qui ont systémati- quement confondu les « libéraux » russes et la démocratie, et en tout premier lieu le gouvernement américain. On ne peut être qu'atterré quand on lit la déclaration faite le 16 juillet 1998 par Stephen Sestanovich, conseiller spécial du Département d'État pour la Russie et la CEI, devant un comité de la Chambre des représentants : « Ce gouvernement [le gouvernement Kirienko] est comme nous n'en avons jamais eu en Russie. Il est dirigé par de jeunes gouverneurs, d'anciens administrateurs régionaux et des dirigeants économiques qui ont laissé leur marque dans

    5. D. COHEN, « É c o n o m i q u e s » , Libéra t ion , 21 s e p t e m b r e 1998, p. 6.

    6. J. SAPIR, Feu le sys tème sovié t ique ?, La D é c o u v e r t e , Paris, 1992 ; voi r e n par t i -

    cu l ie r le c h a p i t r e 2 e t le c h a p i t r e 10, p. 126-128. Au m ê m e m o m e n t , d e u x a u t e u r s

    r u s s e s d é v e l o p p a i e n t u n e a n a l y s e c o n v e r g e n t e s u r la spéc i f i c i t é d e la d y n a m i q u e

    m a c r o é c o n o m i q u e e n Russ ie : S. V. ZHUKOV e t A. J. VOROBYOV, type="BWD" Reforming t h e Sovie t

    U n i o n : Les sons f r o m Structura l E x p é r i e n c e », Wide r Working Paper , WP.96, Hels inki ,

    j anvier 1992.

  • les provinces les plus politiquement progressistes. Ils n'empor- tent avec eux aucun bagage datant de la période sovié t ique »

    On a du mal à imaginer déclaration plus fausse et plus mal- venue. Outre les illusions, point innocentes, sur la composition du gouvernement, depuis quand un diplomate étranger prend- il officiellement parti dans les conflits politiques d'un autre pays ? Mais il y a pire. Il suffit de jeter un œil sur la déclaration faite par le secrétaire adjoint au Trésor américain, Lawrence Summers, devant le même comité, mais le 16 septembre 1998. Pour lui, l'effondrement de la finance russe a une cause fort simple : l'opposition communiste au gouvernement Kirienko. «C'est cette opposition qui a aidé au développement du scep- ticisme du marché et à l'effondrement de la confiance qui s'est ensu iv i » L'impudence d'une telle déclaration est tout bonne- ment inimaginable. On sait bien que M. Summers a été l'étu- diant de Stanley Fisher, aujourd'hui un des vice-directeurs du FMI. Mais il est du devoir d'un haut fonctionnaire de faire face

    aux réalités, fussent-elles pour lui déplaisantes. Il n'est alors rien de plus normal que les membres, républicains, du comité accablent l'administration. Pour le président du comité, le gou- vernement américain a ignoré des signaux importants ces der- nières années. Pour un autre membre, Mme Dana Rohrabacher, l'administration a fait preuve d'incompétence à un degré tel qu'elle a mis en danger la sécurité des États-Unis. Quant à l'ex- soviétologue Dimitri Simes, lui aussi entendu par le comité, il a pu désigner en Strobe Talbott, l'adjoint au secrétaire d'État, et en Lawrence Summers les principaux architectes d'une poli- tique qui a contribué à développer en Russie un syndrome anti- américain 9.

    7. U. S. Department of State, Stephen Sestanovich Ambassador-at-Large and Spe- cial Adviser for the New Independent States. Officiai statement before the House International Relations Committee Washington, DC, 16 juillet 1998, via Internet.

    8. Deputy Secretary of the Treasury, Lawrence H. Summers, Official statement before the House International Relations Committee Washington, DC, 16 septembre 1998, via Internet.

    9. M. SIEFF, « House Committee Slams U. S. Policy on Ailing Russia», Washington Times, 17 septembre 1998.

  • On voit alors se préciser, du côté occidental, un écheveau de responsables et de responsabilités. Autour d'une vision sim- plificatrice de l'économie, enracinée dans une tradition macro- économique extrêmement contestable, des personnes circulent entre le milieu universitaire, les organisations internationales, les administrations publiques et le monde des a f f a i r e s À partir d'un noyau initial, un groupe se constitue, cimenté par des appuis importants pour des carrières universitaires, administra- tives ou bancaires de ses membres, et en particulier des plus jeunes. Se parant d'une légitimité scientifique, ce groupe, pour lequel le pluralisme intellectuel n'a jamais été de mise 11 a fait des émules à l'étranger, et en particulier en Russie. Il fournit aux gouvernements un discours, à la fois prêt à l'emploi et stan- dardisé, pour justifier des politiques. Pourtant, il n'y a pas là complot. Pour la simple raison que ce groupe n'a pas et n'a jamais eu de projet stratégique. Le ressort essentiel a toujours été l'intérêt personnel combiné à la certitude d'avoir raison en toute circonstance; mais on peut être suffisant sans être nécessaire.

    À cette influence il faut ajouter le poids du conformisme. On doit à la vérité de dire que, dès 1991, le président du FMI, Michel Camdessus, avait les plus grands doutes quant à l'effica- cité de ce que son organisation pourrait faire en Russie. D'autres responsables, en France en particulier, ont compris que la poli- tique menée en Russie conduisait à une impasse. Mais bien des doutes n'ont été exprimés qu'en privé, et bien des notes sont restées dans les tiroirs. Il ne suffit donc pas de tirer le bilan d'une pensée dominante, de ses errements et des comporte- ments qu'elle a couverts. Il faut savoir qu'il est un mot qui manque au vocabulaire des hauts fonctionnaires dès qu'ils doi- vent prendre des décisions dans leur propre milieu, c'est « non ».

    10. Ainsi, le Secrétaire d'État au Trésor américain, M. Rubin, fut-il en 1992-1993 l'un des responsables de la banque Goldman-Sachs, fortement engagée dans le cour- tage en Russie.

    11. Voir B. GRANVILLE, The Suecess of Russian Economie Reform, RHA, Londres, 1995. On cherche toujours aujourd'hui où se trouve le succès dont parlait, de manière bien imprudente, Mme Granville.

  • CouvertureDU MÊME AUTEURPage de titreCopyright d'origineAoût 1998La fin d’une époqueCassandre et les bons apôtresComprendre pour agirQui a vécu par la finance périra par la financePaysage après la batailleQui est responsable ?