le jazz de france

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le jazz en france

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  • Jazz de France avec le soutien de :

    Ministre de la Culture et de la Communication (DMDTS - Direction de la musique, de la danse, du thtre et des spectacles),

    Adami(Socit civile pour ladministration des droits des artistes et musiciens-interprtes),

    FCM (Fonds pour la cration musicale),

    Sacem (Socit des auteurs, compositeurs et diteurs de musique),

    SPPF (Socit civile des producteurs de phonogrammes en France),

    CNV(Centre national de la chanson, des varits et du jazz).

  • VIVRE DU JAZZIntroduction ........................................................... 13

    Lenqute : 250 rponses ................................. 14

    Le panel ............................................................................ 15

    Les revenus ...................................................................... 17

    La scne ............................................................................ 19

    Lencadrement professionnel .................................. 20

    Le disque ........................................................................... 21

    Lenseignement .............................................................. 22

    Le studio ........................................................................... 23

    Lcriture .......................................................................... 23

    Les autres activits extramusicales ................... 23

    Conclusions ............................................................ 25

    Coda ........................................................................... 27

    Improvisations libres ......................................... 30

    Quelques rflexions personnelles dune chanteuse de jazz par Isabelle Carpentier .................................... 33

    Enqute

  • Jazz de France 13

    La musique, a dit un jour un jazzman, ce nest pas un mtier. Mais cela peut devenir une profession. Mais cest dabord un engagement de vie, une attitude potique et philosophique. Cela me permet dtre fidle une destination premire : la libert. Bien sr ! Choisir dtre musicien de jazz, cest dabord laffirmation dune vocation, une raison de vivre. Les nombreux tmoignages passionns runis en conclusion de cette enqute en font foi. Mais tre musicien, cest vivre des fruits de sa musique. Rester cratif travers son instrument et crever de faim nest pas, on le concdera, le but du jeu.

    Tout observateur du monde du jazz et des musiques improvises a pu vrifier que les musiciens, jeunes ou confirms, sont aujourdhui plus proccups par la ncessit de leur propre survie que par les doutes existentiels quils peuvent ruminer sur la ncessit intrieure dtre jazzman. Sils peuvent tre cratifs, tant mieux ! Mais ce nest plus la priorit. Du coup, beaucoup dentre eux sinquitent vivement sur leur avenir et sinterrogent sur leur devenir. Certains, dcourags, baissent les bras, abandonnent le combat ou trouvent refuge dans lenseignement. Pourquoi ?

    Devenir et rester musicien de jazz na jamais t une sincure. Cest toujours un exercice difficile, avec ses hauts et ses bas, ses priodes fastes et ses clipses temporaires. Laccs et le maintien lactivit professionnelle de jazzman savrent en 2008 de plus en plus compliqus, alatoires et risqus. En tant que musicien de jazz, dit un pianiste, la vie na jamais t trs rassurante, mais est aussi trs palpitante. Malheureusement le prix payer pour vivre sa passion saccrot de jour en jour ! Cest que, dans un monde de lemploi rgi par le statut de lintermittence, le mtier , comme la crit la sociologue Marie Buscatto, se caractrise la fois par une hyperflexibilit et une comptition incessante entre ses membres du fait de sureffectifs permanents .

    Y a-t-il trop de musiciens ? Jamais trop, aimerions-nous rpondre. Sans doute trop, en ralit, par rapport lconomie du secteur. Avec prs de 5 000 musiciens de jazz et de musiques improvises sur le march du travail, faut-il parler de surpopulation et de surchauffe conomique ? Ce qui est sr, cest que la loi de loffre et de la demande est cruelle, impitoyable. Dans un monde musical fortement hirarchis, satur et concurrentiel, lemploi ne peut tre que prcaire, dure trop dtermine ou imprvisible.

    Enqute : Vivre du jazz

    Vivre du jazzEnqute sur les conditions conomiques

    dexercice du mtier de musicien de jazz aujourdhui en France.

  • 14 Jazz de France

    Or le statut dintermittent du spectacle, qui est au cur du fonctionnement de ce march de lemploi, est devenu aujourdhui de plus en plus difficile obtenir ou sauvegarder. Du coup, pour continuer exister et persvrer dans leur art, de nombreux musiciens sont obligs de diversifier leurs sources de revenus en sorientant vers des secteurs priphriques du jazz : lenseignement, laccompagnement de musiciens de varit, le studio, lcriture, lorganisation de concerts et de festival, la production phonographique, seul ou au sein dune association ou dun collectif.

    Lenqute : 250 rponses

    Lobjectif premier de cette enqute indite est de mieux comprendre comment on peut vivre du jazz aujourdhui en France. Pour en savoir plus, le Cij/Irma a envoy par email un questionnaire dtaill 500 musiciens choisis avec soin parmi les 3 000 contacts recenss dans la base de donnes de lIrma.

    Deux cent cinquante musiciens, soit la moiti, ont accept et pris le temps de nous rpondre. Quils en soient ici tous et toutes vivement remercis ! Nous ne sommes ni sociologue ni statisticien. Cette enqute ne peut donc prtendre aucun label scientifique . Sa seule certification , sa seule lgitimit est dtre le fruit dun travail continu et passionn de plus de 20 ans partir dun poste dobservation privilgi quest celui du Centre dinformation du jazz.

    Pour des raisons videntes de confidentialit, nous ne mentionnerons pas le nom des musiciens interrogs. Cest la rgle du jeu dans ce type denqute.

    Sur les 250 rponses enregistres, nous navons essuy que deux refus motivs.

    Le premier vient dun pianiste de jazz classique qui a jug notre questionnaire trop indiscret .

    Lautre mane dun guitariste qui a eu la courtoisie et lintelligence de le justifier par les raisons suivantes :

    Pardon dtre toujours aussi stupidement obstin, mais personnellement jattribue une grande partie des problmes qui empchent la diffusion intelligente de la cration culturelle dans ce pays la vieille habitude tenace dtiqueter les styles pour pouvoir mieux ensuite les ranger dans des cases hermtiques, quitte gmir ensuite sur la difficult changer. Cest une des raisons qui me pousse quitter la France pour aller minstaller dfinitivement en Scandinavie. Je suis ou je crois tre un musicien, et pas un musicien de quelque chose, encore moins un musicien de jazz. Ce terme me parat vide et son utilisation rductrice finit par nuire srieusement aux seuls acteurs de ce jeu culturel qui il

    Vivre du jazz

  • Jazz de France 15

    Vivre du jazz

    ne faudrait pas tirer dans les pattes, mme avec les meilleures intentions : les musiciens prcisment ! Je ne citerai pas les avis sur ce sujet de gens que jadmire comme Duke Ellington, Herbie Hancock ou Miles Davis, exemples qui datent dj un peu pourtant ! Cest en me rfrant ces choix que je mabstiens de toute participation un questionnaire ou interview qui me font rentrer de fait dans cette catgorie. Dsol ! Ce qui ne mempche pas dapprcier la pertinence de cette enqute.

    Il est signaler que cette prise de position radicale, ce refus dtre catalogu exclusivement comme musicien de jazz se retrouve dans de nombreuses rponses. Ceci tmoigne de la volont farouche de certains improvisateurs de saffirmer dabord musiciens , en dehors de tout fichage stylistique et classification abusive dans un genre impos. Ainsi un musicien tient aussi nous prciser :

    Je ne me considre pas uniquement comme un musicien de jazz. Je suis un musicien de musique. Je joue avec ce que je suis et ce que jentends sans jamais me poser la question de style. Le domaine du jazz est devenu extrmement vaste et je nai nulle envie de cloisonner mes influences.

    Le panel

    Nous avons choisi dinterroger un panel de musiciens et musiciennes de tout ge, issus de tous les styles qui composent lventail du jazz et venus de toutes les rgions. Ce qui nous permet daffirmer que lchantillon qui nous a permis de faire cette enqute est globalement reprsentatif de la population des musiciens de jazz en France en 2008.

    Homme/Femme

    93 % dhommes ont rpondu au questionnaire.

    On ne compte donc que 7 % de femmes.

    Ceci est regrettable, mais correspond la place relle des femmes aujourdhui dans le monde du jazz. Le jazz se fminise, certes, mais petits pas. Nous avons privilgi volontairement les instrumentistes (des pianistes aux saxophonistes) au dtriment des chanteuses, globalement plus nombreuses dans notre base de donnes. Seulement cinq vocalistes ont particip lenqute.

    Tranchedge

    De 20 29 ans : 10 %.De 30 39 ans : 33 %.De 40 49 ans : 28 %.De 50 59 ans : 22 %.De 60 ans + : 7 % dont quelques retraits toujours actifs et un jeune musicien de 81 ans.

  • 16 Jazz de France

    Famillemusicale

    11 % des musiciens se revendiquent du jazz traditionnel, classique ou manouche ;

    64 % se situent dans le monde du jazz moderne et contemporain, pris dans son acception la plus large et la moins dogmatique possible ;

    25 % appartiennent la mouvance des musiques improvises et nouvelles.

    Vivre du jazz , cest aussi savoir sinsrer dans un rseau informel daffinits lectives qui assure la coopration rgulire entre musiciens, voire la cooptation clanique . ce jeu, certains musiciens sont plus habiles et performants que dautres, plus introvertis et timides. Ces rseaux sont avant tout construits autour dun clivage stylistique relativement prononc. On remarque que les musiciens issus du jazz traditionnel et classique comme ceux des musiques improvises europennes se montrent plus solidaires entre eux et moins individualistes dans leur aventure musicale.

    Intermittentsoupasintermittents?

    63 % des musiciens interrogs bnficient du statut dintermittent du spectacle. Ce pourcentage peut apparatre important, mais il faut le rectifier sensiblement la baisse par le seul fait que nombre de musiciens confessent vivre dans langoisse de la perte de leur statut et que certains ne sauvegardent actuellement leurs droits que grce au fonds transitoire . La peur du couperet est pour tous ceux-l toujours vive.

    33 % ne sont pas intermittents du spectacle.

    4 % sont retraits.

    Parmi tous ceux qui se dclarent non intermittents : 45 % ont perdu leurs droits, faute dun nombre de cachets suffisant.

    Les autres ny ont pas accs du seul fait de leur condition denseignant dans une cole de musique publique.

    6 % des musiciens interrogs se dclarent Rmistes . Parce quils nont pas ou plus accs au statut dintermittent. Parmi eux, beaucoup de jeunes musiciens, bien sr, mais aussi quelques artistes reconnus mdiatiquement dont la plupart viennent des musiques improvises ou nouvelles, secteur aujourdhui particulirement sinistr. On compte ainsi parmi les Rmistes un prix Django Reinhardt de lAcadmie du jazz.

    Vivre du jazz

  • Jazz de France 17

    Les revenus

    la question : Dans quelle tranche de revenus annuels provenant de

    votre activit de musicien en 2007 vous situez-vous ?

    Les revenus considrs englobent les rmunrations provenant des

    cachets et des indemnits dintermittent ainsi que celles perues des

    Congs spectacles, Adami, Spedidam ou Sacem.

    Jusqu 5 000 (cest le RMI) : 10 % des musiciens interrogs.

    Beaucoup de musiciens prcisent que, sans leurs revenus provenant

    de lenseignement, ils tomberaient trs vite dans cette tranche.

    Ce pourcentage de 10 % est rvlateur de la pauprisation de plus en

    plus importante dont souffre une partie de la population des musiciens

    de jazz (surtout jeunes) aujourdhui.

    De 5 000 15 000 : 28 %.

    De 15 000 24 000 : 27 %.

    De 24 000 45 000 : 28 %.

    De 45 000 60 000 : 5 %.

    Mais sans garantie dy rester longtemps ajoute un musicien.

    Plus de 60 000 : 2 %.

    Oui, je sais, jai de la chance commente un pianiste. Ce faible

    pourcentage devrait tre revu la hausse en raison du fait que les jazzmen

    qui gagnent trs bien leur vie, ceux quun musicien appelle drlement

    les lphants du jazz franais , soit ne font pas partie de notre panel,

    soit nont pas souhait rpondre notre questionnaire.

    Un tromboniste tient prciser : Jai gagn en 2007 environ 9 000 euros

    dont plus de la moiti de black pour la simple raison que je travaille pas mal

    ltranger. Consquence : je nai t que peu indemnis par les Assedic

    du fait de la perte de mon statut dintermittent en 2006. Mon revenu

    moyen ces dernires annes (1998-2005) tait de lordre de 2 400 euros

    par mois, mais en travaillant normment. Sans vouloir cder au pige du

    misrabilisme, force est de constater que, depuis deux ans, cest devenu

    nimporte quoi. Il mest donc trs difficile de mesurer mon revenu du seul

    fait que jinsuffle beaucoup dargent dans llaboration et la ralisation de

    mes projets personnels. Le bnvolat tend devenir de plus en plus la

    rgle. Si je tiens compte de mes frais dinstruments, dinformatique ou de

    transports, tous trs levs, jarrive cette conclusion : la musique est

    aujourdhui une passion trs onreuse ! .

    Vivre du jazz

  • 18 Jazz de France

    la question : Que reprsentent les rmunrations que vous pouvez percevoir de lAdami et de la Spedidam dans vos revenus annuels ?

    Adami

    57 % des musiciens interrogs dclarent ne rien percevoir de lAdami. Certains sinterrogent sur le manque de transparence des rgles de rpar-tition de la socit civile. Bmol : beaucoup avouent ne pas sy tre inscrits.

    43 % de musiciens reoivent un chque de lAdami.

    Pour 76 % dentre eux, la fourchette de revenus se situe entre presque rien et 500 par an.

    Pour 8 %, entre 500 et 1 000 .

    Pour 16 % plus de 1 000 .

    Spedidam

    28 % des musiciens interrogs dclarent ne rien percevoir de la Spedidam.

    72 % des musiciens interrogs reoivent un chque de la Spedidam.

    Pour 40 % dentre eux, la fourchette de revenus se situe entre presque rien et 500 par an.

    Pour 32 % entre 500 et 1 000 .

    Pour 24 % entre 1 000 et 2 000 .

    Pour 4 % plus de 2 000 (jusqu 10 000 pour un musicien qui travaille beaucoup).

    la question : Vos revenus annuels ont-ils augment ou diminu par rapport aux annes prcdentes ?

    20 % des musiciens interrogs rpondent que leurs revenus ont sensiblement augment. Il sagit principalement de jeunes musiciens qui partent de rien ou de musiciens qui ont dans lanne accompagn en tourne une vedette de la varit ou du rap.

    10 % ont eu des revenus stables.

    70 % affirment avoir constat une baisse plus ou moins notoire de leurs revenus.

    Parmi eux, le pourcentage de diminution de revenus stablit ainsi :

    16 % de 1 10 % ;

    35 % de 10 20 % ;

    24 % de 20 30 % ;

    16 % de 30 50 % ;

    8 % plus de 50 %.

    Parmi les musiciens qui ont vu leurs revenus baisser de plus de 50 %, on compte un ancien directeur de lONJ et des musiciens la surface mdiatique importante.

    Vivre du jazz

  • Jazz de France 19

    Pourquoi ? Un pianiste donne des prcisions sur le yoyo des revenus :

    Du fait de la diversit de mes sources de revenus, les annes se suivent et ne se ressemblent pas. Parfois dominent les concerts, comme cette anne o jen compte plus dune centaine, parfois les droits dauteur, parfois les musiques pour la tl Quand je fais beaucoup de scne comme cette anne o jai accompagn en tourne un rappeur en vogue, je nai plus le temps pour crire des musiques de film, etc. Nanmoins, je constate que le march sest resserr de faon spectaculaire et inquitante pour lavenir.

    La scne

    Mme si lon est depuis longtemps sorti de lconomie du musicien cachetonneur , la scne reste pour le jazzman son terrain de prdilection, lespace qui conditionne toute sa vie artistique. Quand on lui demande ce qui est pour lui le plus essentiel, il rpond toujours jouer . Jouer le plus souvent possible. Malheureusement les occasions de sexprimer sur scne se font de plus en plus rares et difficiles.

    la question : Avez-vous le sentiment quil est plus difficile quavant de trouver des opportunits de jouer sur scne ?

    Plus difficile : 78 %.

    Moins difficile : 10 %.

    Ni plus ni moins difficile : 12 %.

    la question : Le nombre de concerts a-t-il augment ?

    69 % rpondent ngativement.

    31 % rpondent positivement.

    la question : Combien de concerts avez-vous donns dans lanne ?

    17 % entre 0 et 20 concerts.

    36 % entre 20 et 50.

    36 % entre 50 et 75.

    13 % entre 75 et 100.

    12 % plus de 100.

    la question : Accompagniez-vous sur scne et en tourne des artistes de varit, rap ou slam ?

    38 % rpondent oui.

    62 % rpondent non.

    Sur la centaine de musiciens qui ont rpondu positivement :

    72 % affirment que ce travail est pour eux satisfaisant.

    20 % avouent le faire pour des raisons principalement conomiques.

    Vivre du jazz

  • 20 Jazz de France

    Sur le total de leurs revenus, cette activit reprsente pour tous ceux qui ont rpondu positivement les pourcentages suivants :

    39 % de 10 30 %.

    16 % de 30 50 %.

    34 % plus de 50 %.

    Lencadrement professionnel

    la question : tes-vous seul pour organiser votre vie professionnelle ?

    63 % rpondent oui.

    Pour eux, cest la dbrouille en solitaire pour trouver des dates et encadrer leur vie professionnelle.

    Tmoignage dune chanteuse :

    tant seule, je passe plus de temps organiser ma survie qu la cration. Les magouilles que nous sommes obligs de faire pour nous maintenir dans le statut dintermittent sont insupportables. Les conditions pour jouer dans les clubs sont pires quil y a 20 ans. Il faut pleurer pour tre dclars : on nous propose parfois de dclarer deux musiciens sur quatre. Il arrive quon nous tablisse des feuilles de paye suprieures ce qui nous est rgl en ralit, cest--dire que si nous voulons tre dclars, nous devons payer nos charges sociales plus celles de lemployeur.

    37 % rpondent ne pas tre seuls pour organiser leur vie de musicien.

    Parmi eux : 40 % dclarent avoir un agent ou un secrtariat artistique pour soccuper de lensemble de leur activit, monter un projet ou mettre en place une rsidence. Lagent ne fait pas le bonheur, cest bien connu, mais il peut contribuer lpanouissement dun musicien. Peu dlus et beaucoup de dus la recherche de celui ou celle qui acceptera de prendre en charge leurs destines artistiques.

    37 % des musiciens interrogs disent participer un collectif de musiciens.

    Ce pourcentage peut surprendre. Il sexplique. Quest-ce qui pousse un musicien de jazz, artiste par dfinition foncirement individualiste, se runir aujourdhui au sein dune famille librement choisie, autour dun projet artistique mutuellement consenti ? Dabord le dsir dunir sa force dautres forces. Lide de base du collectif est simple : fdrer les nergies, stimuler la crativit, imaginer des pratiques indites, promouvoir des formes dorganisations autogres, inventer un langage original commun sur la base de matriaux accumuls ensemble. Beaucoup de musiciens, afin de briser leur isolement, se reconnaissent de plus en plus, par ncessit ou par ralisme, dans ce type de fonctionnement communautaire. Cest lune des surprises rvles par cette enqute.

    40 % des musiciens interrogs ont cr une association, voire une socit (un seul exemple) pour organiser leur vie professionnelle.

    Vivre du jazz

  • Jazz de France 21

    Parmi eux, seulement 28 % (soit 38 musiciens) ont trouv des financements pour salarier une personne. Il sagit en grande majorit de collectifs de musiciens (comme lArfi ou Yolk) ou de musiciens qui multiplient les rsidences et bnficient rgulirement daides la cration.

    La part des subventions publiques participant aux revenus des artistes est moins importante quon aurait pu limaginer. Les aides proposes directement par les Drac (procdures daides des rsidences, soutien aux collectifs et aux ensembles, aides aux projets de cration, conventionnement densembles, compagnies et collectifs) ou par les collectivits territoriales nintressent quune poigne de musiciens. Une forme de caste qui a su jouer avec dynamisme et obstination la carte institutionnelle de laide la cration. Pour parvenir leurs fins, ces artistes ont d apprendre entretenir tout un rseau de relations et connatre tous les ddales des administrations culturelles. Dans le but de faire vivre leur collectif, de monter un projet de cration originale dans un festival innovant ou dobtenir une rsidence dans une scne nationale, un dpartement ou une rgion. ce jeu, on le comprend vite en dpouillant le questionnaire, il y a peu dlus et, coup sr, beaucoup daigris.

    37 musiciens, soit 15 % des musiciens qui ont rpondu notre enqute, dclarent recevoir travers leur association ou leur collectif des subventions.

    Cette manne publique reprsente pour le musicien concern une source de revenus trs variable selon les annes et les opportunits.

    Jusqu 20 % de leurs revenus annuels : 12 musiciens sur 250 (princi-palement grce des rsidences).

    De 20 40 % : 18 musiciens sur 250 (principalement travers des aides au fonctionnement dun collectif).

    Plus de 40 % : 7 musiciens sur 250 (principalement par des aides exceptionnelles pour tel ou tel projet dans lanne prcdente).

    Le disque

    58 % des musiciens interrogs ont publi rcemment (les deux dernires annes) un disque sur leur seul nom.

    Ce pourcentage lev prouve que les difficults que peut connatre le monde du disque ne sont pas un frein la production ou, le plus souvent, lautoproduction phonographique. Le disque sign sous son propre nom reste une carte de visite professionnelle indispensable.

    42 % nont commis aucun album personnel.

    78 % ont particip lenregistrement dun album sous un autre nom que le leur.

    Vivre du jazz

  • 22 Jazz de France

    22 % nont enregistr aucun disque sous le nom dun autre groupe ou musicien.

    LepoidsdelaSacemdanslesrevenusdesartistes

    27 % des musiciens interrogs constatent aujourdhui une hausse dans les rtributions verses par la Sacem.

    73 % affirment au contraire une baisse de revenus issus de la Sacem plus ou moins importante.

    Cette baisse est pour 71 % dentre eux value moins de 10 %.

    noter que pour 51 % de ces derniers musiciens (soit une petite centaine), les revenus Sacem sont nuls ou insignifiants. Une misre ! dplore lun deux.

    Cette baisse varie ensuite :

    pour 23 % de 10 30 % ;

    pour 4 % de 30 50 % ;

    pour 2 % plus de 50 %.

    Lenseignement

    55 % des musiciens interrogs nenseignent pas dans une cole, prive comme publique.

    Ce pourcentage tord le cou lopinion largement rpandue qui veut nous faire croire que les musiciens de jazz sont forcment, par contrainte ou par vocation, des enseignants. Cest une nouvelle surprise de cette enqute.

    45 % des musiciens interrogs ont une activit denseignant dans un conservatoire ou une cole prive.

    Parmi eux : 57 % dans un tablissement public.

    43 % dans une cole associative.

    Pour les 45 % de musiciens enseignants, 41 % ne pourraient pas vivre de leur musique sans cette activit qui reprsente pour la plupart dentre eux 90 % de leur source de revenus.

    59 % pourraient, sans cette activit, vivre ou survivre, avec plus ou moins de difficults. Plus chichement dit un musicien. Il me faudrait reprendre mon balluchon , commente un trompettiste qui vient dtre enfin titularis dans un CRR, aprs 20 ans de galres.

    la lecture du questionnaire, on constate que certains musiciens valorisent lemploi de professeur de jazz comme une bndiction . savoir, une activit ncessaire, rgulire, stable et scurisante, qui leur permet de rester dans le monde de la musique. Dautres, au contraire, dclarent, faute de mieux, se rsigner lenseignement.

    Vivre du jazz

  • Jazz de France 23

    Le studio

    Le temps des requins de studios est derrire nous.

    Seulement 18 % des musiciens interrogs dclarent avoir des revenus provenant de leur activit de studio. Cest dcidment une espce en voie dextinction. Instrumentiste de haut vol, crivait Patrice Caratini dans Jazz 2004, excellent lecteur, Stakhanov du compte en banque, il passait ses journes sauter dun studio un autre, enregistrant le meilleur comme le pire. Le plus souvent le pire dailleurs.

    Sur ces 18 % de requins encore survivants, le pourcentage de revenus quils peuvent aujourdhui en tirer est le suivant :

    pour 36 % de 1 10 % ;

    pour 35 % de 10 20 % ;

    pour 13 % de 20 40 % ;

    pour 16 % plus de 40 %.

    Lcriture

    48 % des musiciens des musiciens interrogs dclarent percevoir des revenus provenant de leurs travaux dcriture et de composition.

    En pourcentage, cela reprsente :

    pour 55 % moins de 10 % de leurs revenus ;

    pour 29 % de 10 20 % ;

    pour 9 % de 20 40 % ;

    pour 7 % plus de 40 %.

    Pour ces derniers, il sagit la plupart du temps de revenus exceptionnels provenant dune commande de musiques de film, de scne ou de publicit.

    Les autres activits extramusicales

    20 % des musiciens interrogs, soit 50 artistes, ont rpondu percevoir des revenus qui ne proviennent pas directement de leur activit de musicien.

    Cette source de revenus extra-musicaux est pour beaucoup dentre eux essentielle leur survie professionnelle.

    Pour 28 % de ces 50 musiciens, cette part de leurs revenus reprsente moins de 10 % de leurs revenus annuels.

    Les situations et les extras sont trs divers. Travaux de peinture et chantiers, interventions dans des hpitaux ou prisons et tout autre type daction musicale hors les murs, piges dans des revues spcialises,

    Vivre du jazz

  • 24 Jazz de France

    travaux de traduction, sminaires dentreprise, chef dharmonie municipale, consultants pour un fabricant dinstruments, vente dinstruments, voix off pour la pub, home studiste , dividendes perus pour la cration dun logiciel, etc. .

    Pour 16 % dentre eux, cette part de leurs revenus reprsente de 10 % 20 % de leurs revenus annuels.

    Parmi eux, un musicien connu qui ne survit que grce ses talents de menuisier et de caviste. Dautres mettent du beurre dans leurs pinards en exerant leurs talents de dbrouillardise . savoir : criture de musiques de pub ou de scne, extras dans des orchestres de musique classique, dividendes perus pour lcriture dun ouvrage pdagogique, location dun studio denregistrement, etc.

    Pour 28 % dentre eux, le pourcentage reprsente de 20 50 % de leurs revenus.

    L encore, les activits sont trs diverses et diversifies : criture pour rsidence, organisation dvnements, studio denregistrement, formation de formateurs, ingnieur du son, interventions dans des coles. Un musicien confesse : Ma femme est fonctionnaire et gagne bien sa vie. tre papa temps complet, pour moi cest aussi un mtier.

    Pour 28 % dentre eux, leurs revenus extrieurs reprsentent plus de 50 % de leurs revenus annuels.

    Pour un pianiste classique de renom, cela reprsente 99 % de ses revenus. Il prcise quil est radiologue. Un saxophoniste rhodanien subventionne 95 % sa passion pour les anches en exerant la profession de designer industriel .

    Dautres musiciens interrogs dclarent ne pouvoir vivre de leur musique que grce aux revenus que leur procure leur activit extrieure. Cela va de la construction des dcors, lanimation en entreprises, la location de studio denregistrement jusquau conseil auprs dun fabricant dinstruments dans le vent et au travail doprateur de synthtiseurs pour la tlvision. Un fltiste confesse que cest seulement grce son seul statut de conseilleur pdagogique : Cette profession me permet dentretenir cette danseuse de jazz quest ma vie de musicien grce la pension mensuelle que moffre lducation nationale. Un dernier avoue ne pouvoir continuer tre musicien que grce aux revenus quil peroit de la location dun studio.

    Vivre du jazz

  • Jazz de France 25

    Conclusions

    la question : tes-vous inquiet ou optimiste sur lavenir de mtier ?

    Inquitude gnrale

    93 % des musiciens interrogs affirment tre inquiets, voire trs inquiets (pour une majorit dentre eux), sur leur avenir professionnel.

    Voil un pourcentage qui ne trompe pas. Trs rvlateur de ltat desprit des jazzmen franais daujourdhui.

    Un musicien issu des musiques improvises prcise :

    Je suis surtout inquiet de voir la production prendre le pas sur linvention (comme si lon suivait le modle catastrophique du cinma) et les programmations devenir de plus en plus passistes, nostalgiques et branchouilles, faisant trop de cas des tiquettes et des genres qui par ailleurs se multiplient comme autant de signes de ralliement idiots.

    Un autre ajoute :

    Comment ne pas tre trs inquiet ? En quatre ans, tous les voyants ont vir au rouge. Le dsengagement est gnral, la baisse des cachets notable, les cots de gestion en constante augmentation. Mon sentiment est que la dgradation est totale et la politique culturelle ngative. Le tout est accentu par une baisse du pouvoir dachat sur les petits et moyens salaires.

    Un dernier prcise :

    Les problmes soulevs lors de la crise de 2003 autour de la question de lintermittence ne sont toujours rsolus. La prcarit sest accrue. Les vrais intermittents sont victimes du systme qui devait les protger. En plus dtre alatoire, la course aux cachets est encore plus folle quavant. Des salaires qui diminuent, des fonds publics en voie de disparition, le rseau des disquaires dcim par les supermarchs culturels (Fnac), des socits civiles qui mettent du temps comprendre les enjeux et optimiser leurs fonctionnements, de moins en moins de producteurs srieux. Le label vitrine dun jazz franais (Label Bleu) vid de sa substance, effac dun revers de manche, jet la poubelle. Un niveau technique des musiciens, certes de plus en plus lev, mais peu dactes forts, peu dexpriences innovantes Pour moi le jazz perd petit petit de son essence. Sil fallait garder, tout de mme, un point de vue optimiste : il faut tout rinventer, optimiser lexistant, tre cratif, analyser nos erreurs, imaginer dautres systmes Inventer, imaginer, crer cest aussi notre comptence !

    Optimisme modr

    Seulement 7 % des musiciens interrogs affichent, au contraire, un optimisme plus ou moins raisonn ou raisonnable.

    Il sagit pour la plupart de jeunes musiciens qui dcouvrent le monde du jazz et qui, partant de rien, trouvent toujours des raisons desprer un

    Vivre du jazz

  • 26 Jazz de France

    avenir meilleur dans lexercice de leur vocation. Un musicien affirme son optimisme parce que cela pourrait tre pire . Dautres parce que de plus en plus de jeunes musiciens talentueux arrivent et enrichissent de leur talent et nergie cratrice le paysage ou parce que ce nest pas un mtier . Un dernier : Jai trop de plaisir jouer de la musique pour envisager une telle solution. Cest vital pour moi, mme si cela doit tre dans ladversit et la prcarit.

    la question : Avez-vous envisag dabandonner votre mtier de musicien ?

    67 % des musiciens interrogs rpondent : Non, jamais de la vie.

    33 % des musiciens interrogs confessent y avoir song.

    Les raisons et les motivations que donnent les musiciens qui ont un jour envisag darrter leur mtier de jazzman sont multiples.

    Voici quelques morceaux choisis parmi toutes les rponses reues :

    Par lassitude Parce que cest la merde totale ! Cest une option qui simpose moi de plus en plus comme inluctable Je lai envisag quand ma femme ma jet dehors pour manque dargent chronique Jai pens arrter souvent, mais pour des raisons exclusivement artistiques, jamais professionnelles Jy pense une fois par an depuis 30 ans Jy pense une semaine sur deux Parfois lide meffleure, mais je la repousse trs vite Parfois, parce que je suis souvent dcourag par le temps que je passe et perds aux tches annexes (grer une association, remplir des dossiers, etc.) Arrter le mtier, souvent, abandonner la musique, jamais ! Cest le mtier qui mabandonne ou, plus prcisment, qui me fera labandonner par la force des choses Jy pense, surtout depuis que je me suis lanc dans la vie de famille Parce que jen ai marre de passer mes journes au tlphone au dtriment de mon instrument 40 ans, cest dcid, jarrte Jy ai pens un petit peu et puis joublie Jy ai song, mais jai t sauv par une titularisation inespre dans un conservatoire Temporairement, pour faire le tour du monde la voile Quand je serai seulement dans lobligation de changer de vie Le jour o je naurai plus rien dire, cest promis, jarrte .

    Labandon : un pianiste rput dans sa rgion, g de 46 ans, vient de dcider de franchir le pas et nous annonce quil jette lponge.

    Voici son tmoignage :

    Jai bien peur de ne pas tre un cas isol en affirmant que ma vie de musicien professionnel est dsormais termine. Je continuerai, quoi quil arrive, jouer chez moi. Cela fait trop partie intgrante de mon existence. Jai entam ma reconversion dans le cadre dun cong individuel de formation financ par lAssurance chmage et lAfdas. Jai pris cette dcision suite une anne 2005 catastrophique sur le plan du travail (annulations rptition, perspectives quasiment nulles pour lanne suivante) et surtout une profonde lassitude. Mais aussi avec lenvie

    Vivre du jazz

  • Jazz de France 27

    cheville au cur de minvestir dans le domaine de lducation populaire,

    autre secteur en crise o je milite depuis de nombreuses annes.

    Aujourdhui je sors quelque peu la tte de leau. Je pense avoir trouv un

    travail dans le domaine de lEP. Lanne passe a t difficile, mais jai la

    chance davoir une compagne qui gagne sa vie correctement. Je quitte

    la vie de musicien sans amertume. Celle-ci ma apport beaucoup de

    bonheur et provoqu de nombreuses rencontres merveilleuses. Jespre

    seulement que les jeunes musiciens qui saventurent dans cette vie

    pourront exercer leur talent et connatre la chance qui a t la mienne de

    jouer cette musique avec dautres musiciens et musiciennes et ce devant

    du public. Jespre enfin que mon tmoignage sera utile.

    Coda

    Persvrance, plaisir et passion

    La question qui tue : Pourquoi, malgr toutes les difficults que vous affrontez dans lexercice quotidien de votre mtier, persvrez-vous tre musicien de jazz aujourdhui ?

    Les trois rponses qui reviennent le plus souvent :

    parce que jaime a ;

    parce que je ne sais faire que a ;

    parce que cest vital .

    lire toutes les rponses reues, il y a trois mots qui simposent : passion, plaisir et ncessit. Musique dexigence et de libert , espace de partage et dchange, le jazz saffirme comme un truc organique , un

    moteur de vie ou un virus immortel . Et la vocation de musicien

    comme le plus beau mtier du monde .

    Une pianiste nous propose cette rponse qui rsume bien la situation :

    Selon les jours de la semaine :

    1- Je me le demande bien !

    2- Par nvrose obsessionnelle.

    3- Dfinition de la persvrance : parce quil est malgr tout plus

    simple de continuer que darrter.

    4- Parce que jaime a.

    5- Parce que je viens davoir une ide de morceau ou dorchestre et

    que je vais dlirer sur cette ide au moins pendant deux jours.

    6- Gnial : un concert !

    7- Par masochisme : combien de temps attendre avant le prochain ?

    Quel beau mtier !

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  • 28 Jazz de France

    Florilge des rponses les plus significatives

    Drogue ou thrapie ? Je ne sais pas. Ce dont je suis sr cest que cest une ncessit intrieure Je persvre parce que je persiste donner un sens ma vie La musique me tient en vie Jai laudace et linsouciance de croire que a marchera un jour La beaut de ce mtier inclut depuis que je le pratique des difficults et des risques que je suis dtermin affronter. Le jazz est pour moi une musique de prise de risque o la plupart des rencontres sont gagnantes Seule la mort et la maladie pourront marrter Cest dans cet univers que je me sens le plus libre pour mexprimer Cette musique suscite en moi un panouissement sans limites et me donne limpression daller un plus haut chaque jour Vivre, mme mal, de sa passion, cest extraordinaire ! Je crois avoir encore une fonction dans cette socit Je crois lutilit de ma dmarche artistique, mme sil marrive de la trouver drisoire dans mes moments de doute Je crois en ma capacit toucher les gens en racontant mes histoires. Jen ai la confirmation chacun de mes concerts. Donc, je continue Cest tellement bon de consacrer 100 % sa vie sa passion Je continue sans doute parce que je conserve quelques rves enfouis que je narrive toujours pas librer Je vais trouver la chose, je sens que jen suis tout proche. Je lai mme trouve certains soirs Jai connu et je connais toujours grce la musique de tels instants de bonheur extrme que je ne pourrais plus men passer Cette musique quand on la partage sur scne avec dautres musiciens et un public rceptif offre des sensations magiques Il nest sans doute pas raisonnable dtre musicien de jazz, mais je le suis et le serai toujours On na quune vie. Autant la vivre avec swing et motion. Au diable les profits ! Les personnes les plus gnreuses que jai rencontres dans la vie sont pour la plupart des musiciens de jazz Je suis condamn persvrer et chercher les plans B pour survivre. Mais cest la seule musique qui me permet de rester toujours debout face la tourmente La passion de la musique me tient veill

    Enqute ralise et rdige par Pascal Anquetil(mars/avril 2008)

    En dehors de lamour que jai pour cette musique sous presque toutes ces formes, je crois encore aux valeurs quelle est cense reprsenter. Je dois galement reconnatre que trs gostement jaime profondment tre sur scne ou en studio et tout simplement : jouer. Je dois quand mme reconnatre que je me pose rgulirement la question de lutilit de continuer jouer le type de musique que je dfends. Frquemment, jai la chance de pouvoir constater que la grandeur dme et les sentiments nobles se retrouvent dans des cadres de vie totalement anonymes ; ce qui malheureusement me fait comprendre quel point cette vie autour du jazz (essentiellement parisienne) perd souvent le sens de valeurs qui en faisaient un modle musical, mais galement un modle philosophique et spirituel.

    Un batteur de 47 ans

    Vivre du jazz

  • Jazz de France 29

    Je ne persvre pas. Ce nest pas le terme appropri : tout dabord car jai la chance de faire partie dun petit nombre de musiciens qui gagnent leur vie de leur art sans avoir faire de trop grands compromis, mais aussi de manire plus intime, je dirais que je nai pas le choix. Cest ma libert, ma non-implication dans la machine du travail, ma thrapie, mon quilibre, mon cole de vie. Si je fais dautres choses de ma vie (car je ne suis pas uniquement impliqu dans une dmarche musicale), je les fais avec autant dengagement personnel sans pour autant tre rmunr pour cela. Si pour des raisons de socit, je devais revoir drastiquement mon niveau de vie et madapter une situation plus difficile, je le ferais de manire toujours prserver ma libert de crer, de penser et de donner quelque chose ceux qui en ont envie. Pour moi, les professions artistiques sont par nature du domaine du combat : jentends par l un combat personnel pour apporter quelque chose que lon a besoin de donner et que dautres ont besoin de recevoir.

    Un saxophoniste de 31 ans

    Avant dtre un mtier, il sagit dun art de vivre, dune faon danalyser linstant et dy ragir. Ce que japprends de cet art, je tente de lappliquer dans mon approche de la vie et de la socit. Ce que jaime dans le jazz, cest limprovisation, cette possibilit infinie de choisir, cette difficult de faire les choix au bon moment aussi. Reconnatre les monuments du pass, mais ne pas chercher les reproduire, rester dans le prsent, rester en alerte. Explorer dautres chemins chaque jour, se remettre en question. Poser des questions, surtout poser des questions ! Surprendre, cest--dire rester imprvisible. Pour ne pas se faire endormir, par linertie de la socit, par de pseudo industries, se surprendre pour garder les yeux ouverts. Jaime dcidment cette phrase de Reverdy : On ne peut plus jamais dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux. Le jazz est une musique sociale, ne de la rvolte et nourrie par lutopie. Sans ces deux notions, le jazz est mort ! Je continue tre musicien de jazz car jai besoin de crier et de rver, cest le sens de ma vie.

    Un contrebassiste de 33 ans

    Je persvre tre musicien de jazz et musiques improvises parce que je pense toujours que cette forme dexpression musicale, si elle reste innovante et sincre, est une des plus ouvertes et des plus subversives. Cest aussi celle qui permet le plus de rencontres et dchanges avec dautres disciplines artistiques, dautres esthtiques musicales et ce dans nimporte quel pays dans le monde et devant des publics de tous horizons, de tout ge, sexe, origine et condition !

    Un batteur de 53 ans

    Vivre du jazz

  • 30 Jazz de France

    Improvisations libres

    Oui, a se durcit. Parce que la crise de lindustrie phonographique ne dbouche pas encore sur un modle alternatif clair. Parce que les lieux de diffusion ont de moins en moins dargent, voire ferment, parce que ltat ne cache pas sa volont de se dsengager dune politique de soutien plurielle. Parce quil persiste englober le jazz dans les musiques dites actuelles. Parce que le statut dintermittent du spectacle sert de moins en moins les artistes du spectacle, parce que les droits de la proprit intellectuelle sont menacs par les attaques rcurrentes contre le primtre des licences lgales. Parce quil y a de plus en plus de remarquables musiciens, et donc mcaniquement moins de contextes o ils peuvent sexprimer. Parce que le foss culturel grandit entre la communaut des musiciens et ceux qui en parlent voire les jugent. Parce que lobsession de lactualit, et son cortge dhommages, danniversaires ou de jeunisme, laisse peu de place la ncessaire dure des histoires, etc.

    Un pianiste de 42 ans

    Le statut dintermittent du spectacle reste le seul moyen de continuer (sur)vivre en exerant ce beau mtier alors quil devrait permettre uniquement de faire le joint entre deux priodes difficiles. Encore trop de gens sont rmunrs en tant quintermittents alors quils ne se produisent jamais sur scne.Les charges que les employeurs doivent payer pour nous engager sont devenues dmesures. Elles empchent en grande partie lpanouissement de notre profession (sauf pour quelques stars un peu trop gtes). Par ailleurs, laspect rsolument politique dans la musique apparat de plus en plus au grand jour. Certains musiciens (de talent ou pas) sont ultra-mdiatiss et dautres totalement ignors (presse, programmation, agents). Enfin, certains dinosaures (franais notamment) saccrochent aux branches, raflent toutes les subventions et autres programmations de festivals, avec des cachets dmesurs, laissant la majorit des musiciens ramasser les miettes. Tout cela avec la complicit de la presse qui ne cherche qu vendre du papier et de la publicit. Certains programmateurs de salles profitent du fait que les musiciens sont aux abois pour les exploiter en leur proposant des conditions de travail minables (de 60 80 euros pays au noir, sans repas fourni). Enfin, ce nest pas nouveau, la concrtisation de la musique reste de plus en plus laffaire des producteurs. Trop peu de musiciens ont accs une signature de contrat.Je prcise que ces affirmations sont le fruit de rflexions qui manent de la majeure partie des musiciens qui mentourent.

    Un batteur de 43 ans, toujours battant et pas encore abattu

    Langoisse du lendemain, particulirement en hausse ces temps-ci (a ne fait que commencer) mapparat comme une ranon quon mimpose en paiement dune qualit de vie et de libert, honte au regard des modles en vigueur. Je travaille beaucoup, je cours partout, entre rendez-vous, rptitions, montage de projets, composition, arrangements, concerts et voyages correspondants ( se taper le cul dans des camions !) Je nai

    Vivre du jazz

  • Jazz de France 31

    quasiment pas de loisirs, peine de vie de famille Cest trpidant et harassant. Cest passionnant et trs ingrat la fois. Souvent, cela parat trs vain, et linstant daprs, extrmement exaltant. Il me semble que le statut dintermittent est inadapt et btard. Demandeur demploi, moi ? Au niveau du rapport gain / temps de travail, cest une occupation des moins lucratives qui puisse tre. Ce nest pas ce qui me faisait souci jusqu il y a quelques annes. Mais, le sentiment de prcarit augmentant, lge avanant (et je viens de prendre 18 ans de crdit pour enfin acheter ma maison), je me prends soupirer aprs une prennit de ma situation qui ne viendra sans doute jamais.

    Un saxophoniste de 52 ans

    Le systme ne permet plus de petites structures parfois parallles de continuer organiser tant bien que mal une vie musicale rgulire. Trop de charges y compris leffet pervers du on veut que les musiciens de jazz soient traits comme tout le monde , trop de contrles, etc. Rsultat : impossible dorganiser un concert sans que la salle soit potentiellement pleine, donc pas de concert en dehors des fins de semaine, donc pas de possibilit de partage des frais de route, jalousies entre les scnes de jazz et les festivals Il devient donc impossible dorganiser une tourne en dehors de celles hold-up finances coup de subventions trouves par des professionnels du financement. Il est aussi important de prendre conscience que le public de jazz se laisse malheureusement duquer aussi facilement que le public sportif. Il va l o on lui dit daller, aux mmes concerts, le mme jour, de prfrence un festival trs mdiatis. On trouve de moins en moins dauditeurs militants (pour ce qui est du jazz, en tout cas) mais aussi dauditeurs de tous les jours. Il est vrai que sortir couter une musique faite dun tant soit peu de rvolte en nayant que le droit de boire un verre deau et de se taire, a de quoi vous faire oublier les soires enfumes pendant lesquelles on avait limpression de vivre un peu diffremment.

    Un batteur de 47 ans

    Je pense que tout a revient souvent un problme de courage personnel et collectif. Je regrette souvent que lnergie soit trop souvent dpense dfendre nos soi-disant droits qu chercher linnovation musicale. Il suffirait dun peu daudace de la part de tous les programmateurs. Il faudrait aussi que les musiciens se refusent cachetonner dans des projets quils ne feraient jamais sans la carotte.

    Un saxophoniste de musique nouvelle

    tre bon musicien ne suffit plus. Il faut savoir se vendre, mais il faut aussi savoir composer ; avoir une vision globale de son image, des moyens pour sautoproduire ; avoir de la patience et lenvie de dcouvrir de nouveaux lieux pour jouer, voire de les crer. Bref, une sacre dose de dtermination et denttement est ncessaire pour survivre en faisant du jazz. La politique de ltat ou des Assedic nincite pas lemploi en raison dun trop plein de charges patronales. Des allgements pourraient sans doute permettre de crer plus demplois et donc moins de jours chms et moins de travail au noir !

    Vivre du jazz

  • 32 Jazz de France

    cause de toutes ces contraintes, la musique vivante devient une culture de la proximit en voie de disparition. Malgr tout cela, je continue, parce que jaime le jazz. Jaime les musiciens de jazz, leur dtermination, leur immense culture et le dsintressement dont ils font preuve quand il sagit de vivre une aventure musicale aussi belle que risque. Je voudrais tre la hauteur de ce choix dexistence.

    Un pianiste de 49 ans

    Le grave problme du jazz, particulirement en France, vient du fait que les musiciens (bien sr pas tous mais une grande majorit) se sont ghettoss dans des secteurs musicaux bien spcifiques (bop, free, contemporain). Du coup, ils se dsolidarisent compltement du monde musical en cultivant un intgrisme qui a pour effet de provoquer encore plus de cloisonnements. Il faut arrter de faire de la musique pour musiciens de la mme chapelle ou du mme clan. Et dire que jai t deux doigts de tomber l-dedans, il y a une bonne vingtaine danne !

    Un saxophoniste de 51 ans

    Jai tout sacrifi pour faire ce mtier. Mais je souffre du manque de solidarit des musiciens entre eux. Dois-je regretter aussi un manque ou non-respect de rglementations ? Si lon refuse de jouer pour moins ou au black, un autre groupe acceptera. Jai le sentiment que les mdias ne nous aident pas, voire nous plombent (critiques, radios, etc.). Je condamne enfin la frilosit des programmateurs envers les fabuleux artistes franais. part a, tout va trs bien, merci !

    Un saxophoniste de 33 ans

    Vivre du jazz

  • Jazz de France 33

    Vivre du jazz

    Quelques rflexions personnelles dune chanteuse de jazz

    La concurrence des musiciens : le dumping est un problme classique quand loffre de musiciens excde la demande et lorsquil ny a pas dorganisation solidaire entre les musiciens pour dcider de minima de salaires et de conditions demploi quitables. De plus en plus de musiciens acceptent des conditions de rmunration de plus en plus basses : cachets faibles ou paiements la recette non dclars, non-remboursement des frais de dplacements. Les organisateurs prennent lhabitude de ces tarifs. Ils ne respectent plus lexprience, le cursus et le parcours des musiciens quils embauchent, sauf pour les ttes daffiche.

    Ex. : certains festivals osent proposer un cachet de 110 euros net et sans frais de dplacement pour les musiciens hors Paris. Si la rponse est non, il y en a dix derrire qui sont partants. Le plus souvent, les responsables de clubs ne dclarent quune partie des musiciens, paient la recette ou rglent en liquide pour ne pas que cela leur cote trop cher. Prcision : les cachets (dclars ou non) sont soit les mmes quil y a 10 ans, soit infrieurs.

    Que faire donc si lon a envie de jouer ? Le musicien se trouve condamn prendre la casquette de commercial ou de spcialiste en rdaction de dossiers de subventions. On nous demande de remplir une salle grce notre carnet dadresses. Or nous navons pas de mailing list extensible. lexception de la vedette , le musicien qui sen sort le mieux est, soit un bon sideman, soit quelquun qui a beaucoup de contacts, damis ou dlves qui viennent ses concerts. cette condition, il a quelque chance dintresser un programmateur et dtre (re)programm.

    Les jeunes musiciens sortant des coles sont de plus en plus nombreux. Il est lvidence formidable quil y ait aujourdhui une telle ppinire de jeunes talents dont le niveau musical ne cesse de monter. Mais le nombre de lieux o ils pourraient sexprimer naugmente pas au mme rythme. Loin de l !

    La concurrence des amateurs : de plus en plus de clubs programment des amateurs qui cotent peu cher et remplissent bien les salles, car ils sont peu souvent invits sy produire. Ils viennent pour la plupart des professions librales et bnficient de tout un rseau damis avec de bons revenus. Certaines agences dvnementiel embauchent de plus en plus des groupes composs damateurs, soit en totalit, soit pour partie. Cela leur permet de vendre les orchestres moins chers puisquils ne dclarent que les intermittents. Ce panachage est, pour une minorit dagences, le seul moyen de faire travailler de vrais intermittents, mais, pour dautres, ce nest que du dumping triomphant.

    La diminution du nombre des scnes de jazz Paris : ces carrs du jazz qutaient Saint-Germain, Montparnasse et Saint-Michel

  • 34 Jazz de France

    Vivre du jazz

    sont sinistrs. Autre signe attristant : la disparition Paris de clubs comme la Fontaine, le Franc-Pinot ou les 7 Lzards qui pouvaient tre des laboratoires de cration.

    La diminution des programmateurs amoureux du jazz : lobjectif de rentabilit passe trop souvent bien avant la qualit de la musique, le respect du musicien ou lenvie de faire dcouvrir des talents inconnus. Il est vident quil faut quune scne de jazz puisse gagner de largent. Mais cela peut se faire avec respect. Nous offrons nos tripes , pas un produit de consommation courante. Je prfre aujourdhui chanter pour moins cher, mais chez un patron qui va maccueillir correctement et dont je sais quil apprcie ma musique. Heureusement il en reste encore !

    La mainmise des grosses maisons de disques : les labels importants ne prennent plus de risques. Comme les agents, ils cherchent rcuprer des artistes dj dvelopps. Il est donc difficile pour un musicien sans soutien de pouvoir merger et se faire reprer par les mdias. Beaucoup dartistes se sont vu rcemment remercis par leur maison de disques. Celles-ci sont la recherche du bon coup marketing en lanant des artistes trs jeunes et oubliant, du coup, tous ceux qui se sont construits sur la dure une vraie identit musicale.

    Lattribution et la diminution des subventions : pour obtenir des subventions pour un CD, il faut tre distribu. Cest impratif. Or, la plupart du temps, on ne peut tre distribu ou trouver une maison de disques qu la condition davoir dj enregistr le projet (donc pay le studio et les musiciens). Car, quand il sagit dun contrat de licence, on nous demande toujours le projet fini. Mais une fois quil est enregistr et que lon a pu dcrocher un distributeur (souvent un ou deux ans plus tard), il est trop tard pour des subventions. Il faudrait pour cela antidater le studio et le paiement des musiciens.

    Beaucoup de choses sont plus difficiles et plus chres pour un intermittent. Comme trouver un logement avec notre statut incertain, une assurance-crdit immobilire ou une nounou pour la garde de son enfant.

    Consquences : pour maintenir leur niveau de vie, les musiciens sont obligs de travailler dans des domaines de plus en plus divers : vnementiels, cours, dmarchages, sminaires, etc. Nous devons souvent tout grer par nous-mmes : le dmarchage pour trouver des dates et toutes les formalits que cela implique. Du coup, nous avons moins de temps pour nous consacrer nos projets personnels, rpter, rencontrer dautres musiciens. Mon emploi du temps est aujourdhui tel quil ne me reste que 15 % de ce temps si prcieux pour faire vraiment de la musique. Jaime le jazz et les valeurs quil vhicule. Jespre que cela pourra continuer encore longtemps.

    Isabelle Carpentier