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Le huis clos au cinéma et en littérature: formes et figures de l’enfermement Analyse de séquence: Nói albínói (Dagur Kári, 2003) 01:16:24 - 01:24:50

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Le huis clos au cinéma et en littérature: formes et figures de l’enfermement

Analyse de séquence:

Nói albínói (Dagur Kári, 2003)

01:16:24 - 01:24:50

[ABSTRACT]

Vu que les premiers films islandais datent des années '70, l'industrie du cinéma islandais est

relativement jeune et pas très connue à l’étranger. Toute forme d'art d'origine islandaise

demeure difficile d'interpréter pour la critique internationale qui se laisse séduire par

l'exotisme de ce monde lointain. L'univers que Dagur Kári crée n'est pas tout à fait réaliste, il

déforme la réalité en faveur d'une atmosphère particulière à un rythme et tonalité assez

simples qui respectent sa formule cinématographique: les films qui suivent Nói albínói –

Dark Horse et The Good Heart - ont la même formule. «My basic storytelling formula:

eighty-nine minutes of laughing and then one minute of crying at the end.»

Soit c'est la formule du réalisateur, soit c'est l'influence de The Simpsons en ce qui concerne la

simplicité de la structure narrative - du point de vue stylistique, le film est assez

conventionnel, mais les épisodes courts et mouvants font un fort contraste et rendent le film

extrêmement expressif et complexe. Au niveau des thèmes, il y a plusieurs aspects

significatifs: la solitude et la marginalité, l’identité de l'individu dans une communauté

confinée, l'existence et la mort, la famille et les sentiments, la réalité et le rêve, la fatalité. Cet

essai cherche à analyser le huis clos (géographique, physique et psychologique) et les formes

et figures de l’enfermement à partir d'une séquence importante qui représente la fin du film et

également un moment crucial qui réunit plusieurs thèmes – l'avalanche – d’où l’intérêt pour le

décor, la mise-en-scène, la lumière, le son et la musique, la structure narrative et les éléments

visuels et thématiques clé qui tournent tout autour du huis clos. Bien qu'elle puisse être

interprétée comme une scène imprévisible, il y a plusieurs éléments esthétiques qui annoncent

d'une manière subtile l'avalanche, éléments que l'on essayera d'analyser.

Réalisé en 2003, Nói albínói est le premier long métrage de Dagur Kári, selon lequel:

«Tout est neuf, il n'y a pas de tradition, d'histoire. Ça peut être positif et négatif. La bonne

chose c'est que tout est très frais. Quand un film de SF est fait, c'est le premier film de SF

réalisé. Quand un film d'horreur est fait, c'est le premier film d'horreur réalisé. Quand un film

en cinémascope est tourné, il s'agit du premier etc…tout cela génère une certaine énergie.»

C'est cette énergie qui fait de Nói albínói un véritable succès dans les salles de cinéma non

seulement scandinaves, mais aussi internationales.

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Vu que les premiers films islandais datent des années '70, l'industrie du cinéma islandais est relativement jeune et pas très connue à l’étranger. Réalisé en 2003, Nói albínói est le premier long métrage de Dagur Kári, selon lequel

«Tout est neuf, il n'y a pas de tradition, d'histoire. Ça peut être positif et négatif. La bonne chose c'est que tout est très frais. Quand un film de SF est fait, c'est le premier film de SF réalisé. Quand un film d'horreur est fait, c'est le premier film d'horreur réalisé. Quand un film en cinémascope est tourné, il s'agit du premier etc…tout cela génère une certaine énergie.»1

C'est cette énergie qui fait de Nói albínói un véritable succès dans les salles de cinéma non seulement scandinaves, mais aussi internationales. Toute forme d'art d'origine islandaise demeure difficile d'interpréter pour la critique internationale qui se laisse séduire par l'exotisme de ce monde lointain. L'univers que Dagur Kári crée n'est pas tout à fait réaliste, il déforme la réalité en faveur d'une atmosphère particulière à un rythme et tonalité assez simples qui respectent sa formule cinématographique: les films qui suivent Nói albínói – Dark Horse et The Good Heart - ont la même formule. «My basic storytelling formula: eighty-nine minutes of laughing and then one minute of crying at the end.»2

Soit c'est la formule du réalisateur, soit c'est l'influence de The Simpsons3 en ce qui concerne la simplicité de la structure narrative - en quelques mots c'est vrai que, du point de vue stylistique, le film est assez conventionnel, mais les épisodes courts et mouvants font un fort contraste et rendent le film extrêmement expressif et complexe. L'un des épisodes qui résume en quelques mots l'histoire montre Kiddi (souvent comparé aux personnages du réalisateur finlandais Aki Kaurismäki), le père de Nói, en train de chanter la chanson d'Elvis Presley «In the Ghetto» dans un bar: «As the snow flies/ On a cold and grey Chicago mornin'/ A poor little baby child is born / In the ghetto / And his mama cries.../ Then one night in desperation / A young man breaks away / He buys a gun, steals a car, / Tries to run, but he don't get far.». Quelque part dans la péninsule de Vestfirðir, Nói, le personnage principal, est un adolescent de 17 ans qui habite dans un petit village avec sa grand-mère, Lina, et qui a une relation assez tendue avec son père, Kiddi; de sa mère on n'en sait rien. Coupé du monde extérieur, il n'a nulle part où aller, mais il rêve de s'évader de ce village parfaitement clos par la mer d'un côté, les montagnes de l'autre - un huis clos de la neige éternelle- avec Iris, une fille dont il tombe amoureux. Parfois, quand il a des problèmes, il se cache dans un refuge qui se trouve sous le plancher de la maison, c'est sa cachette à lui! Il est renvoyé du lycée, Iris refuse de partir avec lui, du coup, Nói «buys a gun, steals a car, tries to run, but he don't get far». Il se cache dans son refuge, réussissant à survivre à une avalanche qui engloutit le village entier. Du point de vue de la narration, il y a deux directions: le développement de la relation romantique entre Nói et Iris et les soucis éprouvés par Nói face à l'isolement, la claustrophobie, l'angoisse provoqués par la claustration / le huis clos. Au niveau des thèmes, il y a plusieurs aspects significatifs: la solitude et la marginalité, l’identité de l'individu dans une communauté confinée, l'existence et la mort, la famille et les sentiments, la réalité et le rêve, la fatalité.

La séquence analysée représente la fin du film et également un moment crucial qui réunit plusieurs thèmes – l'avalanche – d’où l’intérêt pour le décor, la mise-en-scène, le son et la musique, la structure narrative et les éléments visuels et thématiques clé qui tournent tout autour du huis clos. Bien qu'elle soit interprétée comme une scène imprévisible, il y a plusieurs éléments esthétiques qui annoncent d'une manière subtile l'avalanche: a) le premier cadre du fjord et de la montagne, qui devient une image récurrente au long du film, b) la route

1 Dagur Kári, entretien réalisé en juin 20032 Dagur Kári, Nói the Albino, p. 1363 Dagur Kári, Nói the Albino, p. 126 "The Simpsons influenced Noi a lot."

recouverte de la couche épaisse de neige, c) la scène du sang renversé, d) la scène du cimetière, e) la quantité de ketchup que Nói n'arrive pas à contrôler, f) la prophétie du voyant Gylfi, g) la référence à «Ou bien… ou bien» (Enten - eller) de Søren Kierkegaard, y compris la signification du nom (Kierkegaard = cimetière).

La scène de l'avalanche (01:16:24 - 01:24:50)

01:16:24 - 01:16:29La séquence commence avec un plan d’ensemble qui découvre la majeure partie du décor, la montagne menaçante annonçant l'avalanche d'une manière subtile, comme tout au long du film. La profondeur du champ met en évidence, en premier plan, la maison de Nói filmée en contre-plongée pour renforcer l'effet visuel de la montagne et, par conséquent, sa force destructive. En arrière plan, la montagne recouverte d'un linceul de neige domine le décor et devient un véritable indice de la catastrophe, de la mort et de l'isolement. L'arrêt sur image et la lumière naturelle soulignent l'aspect surréaliste du quotidien islandais: l’image presque sous-exposée reste assez sombre, au point que la terre ne se distingue plus du ciel, dans la lumière glaciale de l'hiver. Les lignes des éléments naturels convergent vers la cime de la

montagne, en accentuant sa fonction dramatique, tandis que les formes géométriques de la maison attirent l'attention du spectateur sur le lieu physique du huis clos, l'avalanche n’étant pas montrée de manière frontale, mais plutôt sous entendue. En créant une atmosphère surréelle, les sons non synchrones accompagnent le montage linéaire et, à l'aide des raccord cut, on passe à la partie de la scène qui se déroule dans la maison.

Vu que la quintessence du film est le désir de s’échapper du personnage principal, désir déclenché par une forte sensation de claustrophobie4, il y a plusieurs façons d’interpréter le huis clos: 1. géographique (Nói vit sur une île – peut-être Islande, dans un petit village plutôt surréel qu’irréel – peut-être Bolungarvík où Nói albínói a été filmé, dans une communauté vivant confinée et entourée par les montagnes, le fjord, la neige qui a plutôt une connotation négative etc.) 2. physique (les espaces clos tels: la maison de Nói, le taxi de Kiddi, le lycée, le musée, la librairie, la station-service, la cabine téléphonique, la voiture volée, la prison). Dagur Kari souligne la marginalité non seulement du personnage, mais aussi de l'Islande, dans la scène de la carte du monde. L’île où ils sont 'captifs' n'existe pas dans la liste des destinations, Nói exprimant d'une façon péjorative l'aspect de l'Islande sur la carte. C'est Iris qui sème l’idée du voyage, du coup elle symbolise le fait qu'il est possible de s'échapper, de rêver, de choisir une autre existence. Et c'est toujours grâce à elle que l’idée de Hawaï entre dans l'histoire. C'est le paradis rêvé que l'on retrouve tout au long du film: pour son anniversaire la grand-mère lui offre un View Master, l'une des diapositives montrant une plage aux palmiers; son gâteau d'anniversaire est orné aussi de palmiers; l'aspect tropical (exemple limite de froid extrême contre la chaleur tropicale; l’île recouverte de neige = l’île de la claustration contre l’île du soleil = l’île de la liberté) se retrouve aussi sur le papier peint et conduit à l'exotisme et manque de réalisme du rêve.

01:16:30 - 01:17:01Dans un plan moyen qui cadre le personnage principal, Nói ouvre le porte de la cave et descend dans son refuge situé sous le plancher de la maison, n'oubliant toujours pas de fermer la porte pour que personne ne s'en aperçoive. La lumière joue un rôle très important parce qu'elle accentue dans un contre-jour la silhouette de Nói et la nuance blanchâtre - bleuâtre qui se retrouve non seulement dans la couleur du tapis, des murs, l'apparence de Nói, mais aussi dans celle du ciel, de la neige, du fjord etc.

Le huis clos peut être interprété aussi du point du vue psychologique: 3. Nói se crée un espace personnel (dans le sens d'espace confiné et protecteur remplaçant l’élément maternel), voire psychologique, parce qu'il n'appartient ni à la communauté, ni au cadre géographique; il s'agit d'un enfermement auto-imposé à cause de sa nature intérieure solitaire. La cachette est son refuge qui le protège contre le monde, en mettant en relief la particularité de Nói par rapport aux autres, sa différence, son isolement, sa solitude.

4 "I realized that the more claustrophobic the surroundings the better, and it doesn't get much more claustrophobic than in that part of the Iceland, where you really have a clear sense of being at the end of the world." - Dagur Kári, Nói the Albino, p. 127

01:17:01 - 01:17:31Le cadrage est également important dans le traitement du huis clos, vu que dans cette première partie de séquence, Nói est filmé de profil sur un fond noir, un espace dépouillé, vidé de toute présence humaine. Le recadrage permet de le suivre en plan rapproché dans sa cachette, un espace clos dépourvu de lumière naturelle où seulement l’éclairage latéral souligne son corps (la lampe est visible à la fin du passage en revue de tous les personnages qui vont mourir dans l'avalanche), Nói allume une cigarette. Son calme précède la catastrophe. A part les sons in, synchrones diégétiques (les bruits du briquet, ceux que Lina, la grand-mère, fait en travaillant sur son jeu de puzzle – toujours un paysage islandais), le son primordial est celui des verres, des meubles qui tremblent etc., le seul élément précis d’ailleurs qui justifie l'avalanche, vu que la chute de neige n'est jamais montrée au spectateur. Un montage alterné crée le suspens grâce au rythme des plans: plan rapproché taille de Nói qui allume une cigarette, plan rapproché poitrine de Lina qui travaille sur son jeu de puzzle, plan rapproché Kiddi qui est en train de prendre son petit-déjeuner, surpris par les bruits, close-up moyen de Lina, en écoutant attentivement les bruits, plan americain de Þórarinn, le directeur du lycée, en train de démontrer le secret du cube Rubik que Nói avait fait, plan rapproché d'Íris, en train de feuilleter un journal derrière le comptoir. Filmés ¾ face, confus, surpris, tous les personnages ont la même réaction: ils lèvent la tête, comme si l'avalanche (un événement pas du tout rare en Islande), en fait le bruit étrange qu'ils entendent, viendrait du ciel et les arracherait à leurs activités quotidiennes. En plus, tout personnage en dehors de la cachette de Nói est filmé en plongée, la prise de vue revenant à sa position anaxe seulement dans le refuge. En plan rapproché, Noi écoute attentivement, l'instant suivant le sous-sol commence à trembler et tout s’écroule. Si le passage d'un plan à l'autre sans autre effet de liaison a été jusqu'à la minute 1:17:31 le cut directe, pour une vingtaine de secondes l’écran devient tout noir. Ce fondu au noir a un effet extrêmement dramatique et parlant pour l'histoire du film, contribuant non seulement à un huis clos physique, mais aussi métaphysique, dans une vision existentielle.

01:17:52 - 01:20:24Ouverture en fondu, le bruit et la lumière d'un briquet accompagnent l'image en gros plan, émergée du noir en contre plongée totale, d'un Nói isolé dans sa cachette, la caméra épousant son mouvement vers la sortie bloquée dans un travelling d’accompagnement. Nói, filmé en plan rapproché et ensuite gros plan moyen, essaye d'ouvrir la porte, frappe à la porte, en se révoltant en vain contre la Nature. Seulement la lumière vacillante du briquet assure l’éclairage et souligne les traits du visage de Nói, son crâne, son isolement dans le noir. Le noir est synonyme du néant: à l'abri de la catastrophe, il a perdu le contact avec tout le monde,

y compris sa famille. Insert du briquet, la lumière bleu-jaune est trop faible pour éclairer tout le cadre, raison pour laquelle en arrière plan il y a le très gros plan flou du visage de Nói.

En contre plongée totale, Nói désespéré, en gros plan, crie et frappe pour que quelqu'un l'entende et le sauve. Un très gros plan isole une partie du visage, l’œil en particulier, le reste du cadre semblant être une couverture.

Un deuxième fondu au noir, cette fois-ci avec un effet de flou avant – l’écran reste noir pour 12 secondes, mais sa fonction est liée à l’univers de la fiction, ce fondu enchaîné représentant le temps diégétique, c'est-à-dire le laps de temps entre le moment où le briquet de Nói ne fonctionne plus et le moment où Nói est sauvé par l’équipe de sauvetage: les sons off (les pas dans la neige, l'aboiement des chiens...) deviennent immédiatement repérables dans le champ. Un premier plan sur Nói, ensuite le contrechamp qui montre ce qu'il voit - ce raccordement de regard est assez rare quand il s'agit de lui, parce que le spectateur ne réussit jamais à entrer dans la conscience du personnage principal.

Si d'habitude les couleurs dominantes étaient le blanc, le bleu et les taches de couleurs vives (vêtements, décor de la maison etc.), les couleurs qui dominent ce long plan sont plutôt le noir, le blanc, le rouge et le bleu. L'angle dramatique et ensuite la plongée montrent l’équipe en plan de demi-ensemble en train de découvrir s'il y a d'autres survivants et les conséquences de l’avalanche. Si du point de vue cinématographique le film est quand même conventionnel, du point de vue stylistique la riche palette de couleurs transforme les décors ternes dans des éléments spectaculaires. La blancheur de Nói (albinos – plutôt métaphore de la particularité, selon Dagur Kari qui le conçoit comme un corbeau blanc5) qui se confonde avec le décor et devient un avec le décor, le bleu foncé du fjord, le bleu glacial de la neige, le vert, le jaune des intérieurs, le rouge du sang – toute cette palette de couleurs a le rôle de «create the sense of being in a cinematic bubble».6

5 Dagur Kári, Nói the Albino, p. 124 "someone who is different from everyone around him – like a white raven."

6 Dagur Kári, Nói the Albino, p. 128

01:20:24 – 01:21:49Dans une pièce dominée par le vert et les couleurs de terre, Nói en plan moyen, cadre fixe, statique, se trouve dans un refuge. Dans un champ-contrechamp le spectateur assiste à la discussion de Nói et du prêtre, la camera évitant les changements d’angle trop accentués. Pour une vingtaine de secondes, l'accent est mis sur le personnage principal qui, toujours statique, n'a aucune réaction quand il apprend les mauvaises nouvelles. Il reste inflexible même à la suggestion du prêtre de prier pour sa famille qui vient de périr dans l'avalanche. Malgré tout, Nói refuse l'aide du prêtre, disant qu'il ne connaît aucune prière, mais que de tout façon, cela ne fait rien, il n'est pas croyant.

Le huis clos peut être interprété aussi dans le sens existentialiste, mais dans Nói albínói l'existentialisme n'est exprimé que du point du vue visuel. Malgré la référence à Søren Kierkegaard («Pendez-vous, vous le regretterez. Ne vous pendez-pas, vous le regretterez aussi. Pendez-vous ou ne vous pendez pas, vous le regretterez de même. Que vous vous pendiez ou non, vous le regretterez. Telle est, Messieurs, l'essence de toute la sagesse humaine.»), le sens est dirigé vers la futilité des actions humaines qui deviennent inutiles à cause de l'avalanche; le sens est donc dirigé vers la fatalité, vu qu'Oskar considère que «Kierkegaard... ça veut dire cimetière. Un nom prédestiné.» et jette Enten - eller à la poubelle.

A l’étymologie du mot avalanche en islandais Snjóflóð (= snow + flood = neige + déluge) se rajoute le fait que le prénom Nói en islandais est l'équivalent de Noé en français, ce qui, finalement, conduit à une possible interprétation de l’intertexte biblique. Signifiant repos et consolation, Noé est étroitement lié au déluge biblique, à la suite duquel il est survivant. Mais Nói n'est pas croyant, il rejette le prêtre, il rejette la foi, il rejette Dieu, il s'oppose à la Nature (après le conflit avec le père - la scène dans laquelle il lance des coups de fusil vers les glaçons dominants du décor; après le refus d'Iris - la scène dans laquelle il lance des pierres vers l’océan, le fjord et l'arc-en-ciel - Iris en grec signifiant arc-en-ciel), met en question son existence, essaye de joindre les autres mais échoue et reste tout seul à la fin.

01:21:50 - 01:24:50Un deuxième raccordement de regard important donne l'impression de pouvoir regarder le monde, comme dans une salle de cinéma, dans la perspective de Nói. En premier plan, un personnage vu de dos, partiellement, en second plan encore deux autres personnages qui n'ont pas un rôle particulier pour l'histoire, et en arrière plan la télé où l'on annonce les ravages de l'avalanche. Le jeu avec le contrechamp met en évidence Nói en train de manger, gros plan sur son assiette et la quantité de ketchup qu'il n'est pas capable de contrôler. En plan incliné, les horizontales du cadre n’étant pas parallèles à l’horizon de la réalité cadrée, toujours dans la perspective de Nói, le spectateur apprend que parmi les victimes il y avait aussi Gylfi, le voyant, Þórarinn le directeur du lycée, Íris, la fille dont Nói était amoureux, Óskar, le père d'Iris, Kristmundur, son père et Lina, sa grand-mère. En plan rapproché et champ-contrechamp, Nói reste toujours impénétrable, comme s'il était en état de choc. Seule une larme semble apparaître, mais le spectateur ne saura jamais s'il pleure sa perte, sa solitude, son isolement. La musique over qui d'habitude créait un effet onirique accompagne cette séquence en créant une atmosphère solennelle, pleine d'amertume.7

7 Dagur Kári, Nói the Albino”, p. 129 "The challenge is to make music that supports a feeling rather than imposes it."

Dans un plan d'ensemble, cadre fixe et ensuite raccordement de direction et travelling vertical, le spectateur découvre Nói sur les lieux : il descend dans sa cachette. L'instant suivant il est déjà dehors, il a récupéré son View-Master et est en train de regarder les diapositives. Le dernier plan qui conclut le film se concentre sur l'image de la plage tropicale vue dans le diaporama, qui dans un thaw frame (une image mouvante) se met à bouger, le son in des vagues et du vent dans les branches des palmiers accompagnant le son over de la musique solennelle.

La fin est très ouverte, laissant au spectateur la possibilité de l'interpréter librement: tenant compte que l'on n'arrive jamais à entrer dans la conscience du personnage principal, même si la dernière image mouvante est vue dans la perspective de Nói, soit on l’interprète comme une fin pessimiste - le bonheur est juste un rêve et le thaw frame n'est qu'une illusion, soit optimiste, en adoptant la vision du réalisateur – Nói est vivant, son rêve est tout à fait possible grâce à la lueur d'espoir représentée par l’île du soleil et de la liberté.

C'est vrai que tout est plus ou moins neuf dans l'industrie cinématographique islandaise, il n'y a pas beaucoup de tradition, il n'y a pas beaucoup d'histoire. Cela peut être positif parce que tout est très frais. Quand un film comme Nói albínói est fait, c'est le premier film de ce genre réalisé qui renvoie à un huis clos nordique, et cet aspect original génère une certaine énergie que d'autres industries cinématographiques ont déjà perdue...

BIBLIOGRAPHIE

Kári, Dagur - entretien réalisé en juin 2003 (http://archive.filmdeculte.com/entretien/kari3.php)

Nestingen, Andrew, Crime and fantasy in Scandinavia : fiction, film, and social change, University of Washington Press; Copenhagen: Museum Tusculanum Press, University of Copenhagen, 2008

Nestingen, Andrew,Transnational Cinema in a Global North, Wayne State University Press, Detroit, 2005

Norðfjörð, Björn, Dagur Kári's Nói the Albino, Museum Tusculanum Press, University of Washington Press, 2010

Soila, Tytti (et Astrid Söderbergh Widding and Gunnar Iversen), Nordic national cinemas, London; New York : Routledge, 1998

Thomson, Claire, Northern Constellations – New Readings in Nordic Cinema, Norvik Press 2006