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Econférence L’actualité de la Politique européenne de sécurité et défense Le Fonds européen de la défense : un tournant pour l’Union européenne ? JANVIER 2018 - https://blogdroiteuropeen.com 1 Le Fonds européen de la défense : un tournant pour l’Union européenne ? Par Stéphane RODRIGUES Maître de conférences (HDR) à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1) Directeur du Master 2 Stratégies industrielles et politiques publiques de défense (Formation Continue Panthéon-Sorbonne) Le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a fait de la défense une priorité de son premier mandat au sein de la Commission européenne. Il a affiché cette ambition à plusieurs reprises, comme lors de son discours sur l’état de l’Union en septembre 2016. Il avait alors affirmé que : « L’Europe doit s'affirmer davantage. Cela est particulièrement vrai pour notre politique de défense. L’Europe ne peut plus se permettre de dépendre de la puissance militaire d’autres pays ou de laisser la France défendre seule son honneur au Mali. Nous devons prendre en charge la protection de nos intérêts et de notre mode de vie européen ». De la même manière, la Commission avait publié en juin 2017 un « Document de réflexion sur l’avenir de la défense européenne » faisant donc de cette dernière l’un des vecteurs communs à la plupart des États membres pour relancer le projet européen, au lendemain de la décision du Royaume-Uni de se retirer de l’Union européenne. La réalisation concrète de cette ambition est le lancement du Fonds européen de défense. L’objet de la contribution de Stéphane Rodrigues est de présenter ce fonds européen de défense tout en s’interrogeant sur les chances de succès d’un tel programme ambitieux. « Nous sommes devant un moment crucial de la défense européenne » 1 . Les propos tenus par le directeur exécutif de l’Agence européenne de défense (AED) en juin 2017 pourraient résumer l’état d’esprit dans lequel de nombreux observateurs perçoivent les dernières évolutions que connaît le projet d’une « Union européenne de la défense » 2 , ou, à tout le moins, d’une 1 Jorge Domecq, Entretien d’Europe n° 95, 19 juin 2017, Fondation Robert Schuman, p. 1. 2 Pour reprendre l’expression utilisée notamment par le Parlement européen dans sa résolution du 13 décembre 2017 sur le rapport annuel sur la mise en œuvre de la politique de sécurité et de défense commune (2017/2123/INI), spéc. paragraphe 16. défense européenne, dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) mise en œuvre sur le fondement du traité sur l’Union européenne (TUE) 3 . Le fait est que depuis le Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013, qui, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, était entièrement consacré à un débat thématique sur la défense, 3 Pour rappel, l’article 42 TUE indique que la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) fait partie intégrante de la PESC et inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union qui « conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi ».

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Le Fonds européen de la défense : un tournant pour l’Union européenne ?

Par Stéphane RODRIGUES Maître de conférences (HDR) à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1) Directeur du Master 2 Stratégies industrielles et politiques publiques de défense (Formation Continue Panthéon-Sorbonne)

Le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a fait de la défense une priorité de son premier mandat au sein de la Commission européenne. Il a affiché cette ambition à plusieurs reprises, comme lors de son discours sur l’état de l’Union en septembre 2016. Il avait alors affirmé que : « L’Europe doit s'affirmer davantage. Cela est particulièrement vrai pour notre politique de défense. L’Europe ne peut plus se permettre de dépendre de la puissance militaire d’autres pays ou de laisser la France défendre seule son honneur au Mali. Nous devons prendre en charge la protection de nos intérêts et de notre mode de vie européen ». De la même manière, la Commission avait publié en juin 2017 un « Document de réflexion sur l’avenir de la défense européenne » faisant donc de cette dernière l’un des vecteurs communs à la plupart des États membres pour relancer le projet européen, au lendemain de la décision du Royaume-Uni de se retirer de l’Union européenne. La réalisation concrète de cette ambition est le lancement du Fonds européen de défense.

L’objet de la contribution de Stéphane Rodrigues est de présenter ce fonds européen de défense tout en s’interrogeant sur les chances de succès d’un tel programme ambitieux.

« Nous sommes devant un moment crucial de la défense européenne »1. Les propos tenus par le directeur exécutif de l’Agence européenne de défense (AED) en juin 2017 pourraient résumer l’état d’esprit dans lequel de nombreux observateurs perçoivent les dernières évolutions que connaît le projet d’une « Union européenne de la défense »2, ou, à tout le moins, d’une

                                                                                                                         1 Jorge Domecq, Entretien d’Europe n° 95, 19 juin 2017, Fondation Robert Schuman, p. 1. 2 Pour reprendre l’expression utilisée notamment par le Parlement européen dans sa résolution du 13 décembre 2017 sur le rapport annuel sur la mise en œuvre de la politique de sécurité et de défense commune (2017/2123/INI), spéc. paragraphe 16.

défense européenne, dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) mise en œuvre sur le fondement du traité sur l’Union européenne (TUE)3. Le fait est que depuis le Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013, qui, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, était entièrement consacré à un débat thématique sur la défense,

                                                                                                                         3 Pour rappel, l’article 42 TUE indique que la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) fait partie intégrante de la PESC et inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union qui « conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi ».

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les initiatives et les prises de position se multiplient pour donner corps à une politique de défense commune de l’Union4. Il suffit de prendre connaissance du document de réflexion que la Commission a publié le 7 juin 2017 sur l’avenir de la défense européenne5 et des dernières conclusions du Conseil sur la sécurité et la défense du 13 novembre 2017 pour s’en convaincre6. L’objet de la présente contribution est de mettre l’accent sur l’une de ces évolutions, à savoir le lancement du Fonds européen de la défense (FED) annoncé par la Commission européenne en juin 20177 et de tenter d’en apprécier l’impact sur la construction progressive de la défense européenne. A cette fin, il nous semble utile de rappeler le contexte dans lequel le FED est mis en place (I.) avant d’en présenter le dispositif (II.) et de s’interroger sur les défis à relever pour en

                                                                                                                         4 Alors que certains experts se demandaient, il y a encore peu, s’il ne fallait pas « enterrer » la défense européenne : Nicole Gnesotto, Faut-il enterrer la défense européenne ?, La Documentation française, collection réflexe Europe, débats, 2014 ; mais l’auteur traçait également quelques pistes d’évolution pour apporter une réponse négative à cette question, parmi lesquelles celle de « mieux associer la Commission à la PSDC, notamment dans sa dimension industrielle » (v. spéc. pp. 131-132). 5 Voir COM(2017) 315 du 7 juin 2017. Sur ce document : Nicolas Clinchamps, « Trois scénarios pour l’avenir de l’Europe de la défense », Revue du Droit de l’Union européenne, 3/2017, pp. 163-175. 6 Conclusions du Conseil sur la sécurité et la défense dans le contexte de la Stratégie globale de l’Union européenne, document 14190/17 du 13.11.2017, version anglaise téléchargeable à l’adresse internet suivante (visitée le 18/11/2017) : http://www.consilium.europa.eu/media/31520/ccs-on-security-and-defence.pdf. 7 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Lancement du Fonds européen de défense, COM(2017) 295 final du 7 juin 2017, ci-après « la Communication FED ».

accompagner la mise en œuvre et présider à son succès (III.). I. Un contexte sensible : la fin du tabou de la souveraineté nationale ? Le contexte dans lequel le FED a vu le jour tient en premier lieu à la réalité économico-industrielle du secteur de la défense (A.). Mais il tient aussi à l’évolution de l’intégration politique de l’Union européenne (B.). A. Le FED, expression d’un enjeu de politique industrielle Comme le souligne la Commission dans son « Plan d’action européen de la défense » de novembre 20168, collectivement, l’UE est en deuxième position mondiale en matière de dépenses militaires avec un montant total de 227 milliards d’euros, soit 1,34% du PIB-UE289. De fait, le secteur de l’industrie de la défense apporte « une contribution majeure à l’économie européenne », avec un chiffre d’affaires total de 100 milliards d’euros par an et une main-d’œuvre hautement qualifiée de 1,4 million de personnes qu’il emploie directement ou indirectement10. Et pourtant, la Commission doit constater que l’Union « accuse toujours un retard par rapport aux États-Unis et pâtit d’une certaine inefficacité dans les dépenses, qui est imputable à des doubles emplois, à un manque d’interopérabilité et à des lacunes technologiques »11. De fait, elle dispose de 178 systèmes d’armes différents

                                                                                                                         8 COM(2016) 950 final du 30 novembre 2016. 9 À comparer au budget défense des États-Unis d’Amérique à hauteur de 545 milliards d’euros, soit 3,3% de leur PIB. 10 COM(2016) 650 précitée, p. 3. 11 Ibid., p. 3.

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contre 30 pour les États-Unis12. Le constat n’est pas nouveau : « L’industrie de défense reste trop morcelée en Europe »13. La réponse que l’on peut y apporter n’est pas nouvelle non plus : le défi majeur est celui de la mutualisation/rationalisation des équipements de défense à l’échelle de l’Union14 ; défi qui s’impose d’autant plus que les contraintes financières sont telles que la plupart des budgets des États membres consacrés à la défense ont été revus à la baisse ces dernières années, malgré l’engagement pris au sein de l’OTAN d’y consacrer 2% du PIB15. Or, la Commission évalue entre 25 et 100 milliards d’euros le coût du manque de coopération entre États membres16 et craint un

                                                                                                                         12 À titre d’exemple, 17 types de chars de combat lourds coexistent au sein de l’UE contre un seul modèle aux États-Unis ; de même, l’UE affiche 20 modèles d’avion de chasse pour 6 aux États-Unis. Voir le document de réflexion de la Commission du 7 juin 2017 « sur l’avenir de la défense européenne » (graphique 4, p. 9) et la fiche d’information qui l’accompagne, téléchargeable à l’adresse suivante, telle que consultée le 1er novembre 2017 : https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/defending-europe-factsheet_fr.pdf. 13 Maurice de Langlois, « L’autonomie stratégique de l’Union européenne - Synthèse », in Nicolas Clinchamps et Pierre-Yves Monjal (dir.), L’autonomie stratégique de l’Union européenne. Perspectives, responsabilité, ambitions et limites de la défense européenne, collection Europe(s), Larcier, 2015, spéc. p. 270. 14 Lire notamment : Guillaume de La Brosse, « Le partage et la mutualisation des capacités militaires en Europe », in Josiane Auvret-Finck (dir.) Vers une relance de la politique de sécurité et de défense commune ?, collection Europe(s), Larcier, 2014, pp. 197-207 et Stéphane Rodrigues, « Le marché européen de la défense : entre coopération et harmonisation », in Nicolas Clinchamps et Pierre-Yves Monjal (dir.),, op. cit. pp. 137-161. 15 Sommet de l’OTAN au Pays de Galles en 2014, dit Sommet de Newport : v. O.T.A.N., communiqué de presse (2014) 120, pp. 4-5. A propos de cet objectif qui aurait été atteint par la France en 2016, voir référé du Premier président de la Cour des comptes du 19 juillet 2017 relatif à la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire 2014 - 2019 et aux perspectives financières de la mission Défense : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-11/20171120-refere-S2017-2172-loi-programmation-militaire-2014-2019-mission-Defense.pdf 16 V. fiche d’information précitée.

véritable « décrochage » par rapport aux autres acteurs mondiaux de la défense que sont notamment, outre les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Arabie saoudite : « Sans investissements durables dans la défense, l’industrie européenne risque de ne pas avoir la capacité technologique de construire la prochaine génération de capacités critiques de défense. À terme, cette situation aura des répercussions sur l’autonomie stratégique de l’Union et sur son aptitude à agir en tant que garant de la sécurité »17. Le concept d’autonomie stratégique doit être en effet placé au cœur du débat et son « opérationnalité » doit être étroitement liée à la consolidation d’une base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) dont le Conseil européen a souligné qu’elle devait être « plus intégrée, plus durable, plus innovante et plus compétitive pour pouvoir assurer le développement et le soutien de ses capacités de défense »18. Ce constat pour les capacités vaut également dans le domaine des dépenses militaires de recherche. Comme le souligne une étude commanditée par le Parlement européen sur le futur de la recherche de défense européenne19, si plusieurs structures de coopération ont vu le jour avec notamment l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) en 1996 et, plus récemment avec la création de l’AED, précitée, les résultats obtenus sont décevants ou à tout le moins mitigés et n’ont pas permis en tout cas d’enrayer la chute des dépenses militaires en matière de recherche et de

                                                                                                                         17 COM(2016)950 final, p. 3. 18 Conseil européen, conclusions des 19-20 décembre 2018, point 16. 19 Frédéric Mauro et Klaus Thoma, The future of EU defence research, étude pour le Parlement européen, EP/EXPO/B/SEDE/2015-02, mars 2016.

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développement technologique (RD&T) dont le montant serait passé de 13,5 milliards d’euros en 2006 à 9,6 milliards d’euros en 201320. Quand on comparera par ailleurs à ce dernier montant, celui de la contribution des programmes européens de coopération, à savoir un modeste montant de 168 millions EUR pour 2013, on appréciera le chemin à parcourir. À cela s’ajoute enfin le problème d’une très forte concentration des moyens de la recherche au sein uniquement de trois États membres (Allemagne, France et Royaume-Uni) dont l’effort financier correspond à plus de 90% du total des dépenses R&D de défense de l’UE2821. Ce contexte permet donc d’éclairer le glissement progressif vers la thématique capacitaire et de recherche que la Commission a encouragé et fait avaliser par les acteurs principaux de la PESC que sont les États membres réunis au sein du Conseil européen et du Conseil de l’Union. Ce faisant, il s’agit bien de « renouer avec une logique de l’Europe des projets »22 ce qui pourrait révéler une nouvelle étape dans l’intégration européenne.

B. Le FED, expression d’une nouvelle étape de l’intégration européenne ?

Une telle question peut se poser tout d’abord au regard de l’évolution de la méthode et des bases juridiques mobilisées pour instituer le FED. Il n’est pas nécessaire de rappeler dans le détail que la PSDC reste dominée par les États membres à travers notamment les pouvoirs                                                                                                                          20 Ibid., section 2.1.3, page 21 et Federico Santopinto, « Le financement de la recherche de défense par l’UE », note d’analyse, Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), mars 2016, spéc. p. 4. 21 Ibid., section 4.2.1, p. 41. 22 De La Brosse, op. cit., p ; 204.

dévolus au Conseil de l’Union par le Traité UE et les missions confiées à l’AED dont la dénomination complète est d’ailleurs l’ « Agence dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement »23. La double dimension capacitaire et de recherche est donc bien intégrée au mandat de l’AED. Le texte qui en régit le statut24 précise notamment à cet égard que l’AED, d’une part, « contribue à identifier les objectifs des États membres en termes de capacités militaires et à évaluer le respect des engagements en matière de capacités contractés par les États membres »25 et, d’autre part, « soutient la recherche en matière de technologie de défense, coordonne et planifie des activités de recherche conjointes et des études de solutions techniques répondant aux besoins opérationnels futurs »26. Pour conduire à bien ces missions, l’AED dispose de la personnalité juridique27 et d’un budget propre mais alimenté par les contributions des États membres y participant (en fonction de la clé du revenu national brut)28. Il n’était donc pas prévu à l’origine de financement sur budget de l’Union. Toutefois, trois premiers projets pilotes de recherche de défense gérés par l’AED mais financés par le budget UE ont été lancés en octobre 201629. Ils préfigurent en quelque sorte

                                                                                                                         23 Article 42 § 3 TUE. 24 Décision (PESC) 2015/1835 du Conseil du 12 octobre 2015 définissant le statut, le siège et les modalités de fonctionnement de l’Agence européenne de défense (refonte), JOUE n° L 266 du 13.10.2015, p. 55. 25 Ibid., article 5.3 sous a). 26 Ibid., article 5.3 sous d). 27 Ibid., article 6. 28 Ibid., article 13. 29 Il s’agit des projets SPIDER (navigation et appréciation de situation à l’intérieur des immeubles), TRAWA (standardisation du système de détection et d’évitement des drones) et EuroSWARM (plateformes de senseurs hétérogènes sans pilote), avec un budget total encore modeste de 1,4 million EUR.

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le type d’actions qui pourrait être mené dans le cadre du FED30. De fait, avec le FED, la donne budgétaire va changer, tout comme le centre de gravité dans le processus décisionnel. Pourtant, comme le soulignent certains auteurs, « [l’]idée d’avoir un financement communautaire pour la recherche militaire ne va pas de soi, surtout dans une Union européenne dont l’objectif premier est d’abord de "promouvoir la paix" et dont l’action est davantage tournée vers le monde civil que le monde militaire »31. La Commission va néanmoins s’y aventurer à pas de loup en usant de deux voies d’accès : d’une part, les activités dites duales au motif de mieux concentrer les efforts « sur les interactions possibles entre la recherche civile et la recherche militaire et sur le potentiel de double usage de l’espace »32 et, d’autre part, les activités de sécurité avec pour objectif une approche globale des enjeux sécuritaires sur le plan à la fois interne et externe33.

                                                                                                                         30 Voir aussi le plan stratégique d’ensemble pour la recherche (Overarching Strategic Research Agenda – OSRA) élaboré par l’AED en 2015. 31 André Dumoulin et Nicolas Gros-Verheyde, La politique européenne de sécurité et de défense commune, préface de Federica Mogherini, éditions du Villard, 2017, p. 419. 32 Voir en ce sens : Communication de la Commission européenne, Défense européenne – Questions liées à l’industrie et au marché – Vers une politique de l’Union européenne en matière d’équipements de défense, document COM(2003) 113 final du 11 mars 2003, spéc. p. 5. 33 Voir Communication de la Commission européenne du 3 février 2004, Vers un programme de promotion de la sécurité européenne par la recherche et la technologie, document COM(2004) 72 final. Sur ce programme, lire notamment : Hélène Bauduin, Retour d’expérience : Le programme européen de recherche en matière de sécurité. Étude de la participation et des performances françaises, 2013, disponible à l’adresse internet suivante (consultée le 4.11.2017) : http://cache.media.education.gouv.fr/file/Securite/72/8/RAPPORT_-_Retex_PERS_-_mars_2014_307728.pdf.

Dans ce contexte, le premier outil mobilisé sera le programme-cadre pluriannuel de recherche et de développement (PCRD), dans lequel est repris l’ensemble des actions de l’Union au titre de sa politique de recherche, de développement technologique et d’espace, sur base du TFUE34. C’est ainsi que le septième PCRD, couvrant la période 2007-2013, intégrait pour la première fois un chapitre autonome sur la « sécurité »35, qui allait être confirmé dans le cadre du huitième PCRD, baptisé « Horizon 2020 » pour la période 2014-202036. Même s’il ne s’agit pas de cofinancer directement des projets de recherche militaire, l’approche duale précitée permet tout de même d’y contribuer indirectement, à l’instar des programmes AMASS (Autonomous Maritime Surveillance System), EULER (European software defined radio for wireless joint security operations) et OPTIX (Optical Technologies for Identification of Explosives). Un pas essentiel était ainsi franchi pour la Commission : lui permettre de mettre un pied dans la sphère « défense » à travers les

                                                                                                                         34 Voir titre XIX de la 3ème partie du TFUE, articles 179 à 190. Sur l’utilisation potentielle de ces bases juridiques dans le domaine de la défense : Axel Dyèvre et Olivia Cahuzac-Soave, « Le financement de la R&D de Défense par l’Union européenne », Notes stratégiques, CEIS, avril 2013. 35 Voir notamment la décision n° 1982/2006/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 relative au septième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013),JOUE n° L 412 du 30.12.2006, p. 1. 36 Voir l’Objectif « Sociétés sécurisées – Protection de la liberté et de la sécurité de l’Europe et de ses citoyens » du programme Horizon 2020 : cf. règlement (UE) n° 1290/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 définissant les règles de participation au programme-cadre pour la recherche et l’innovation «Horizon 2020» (2014-2020) et les règles de diffusion des résultats et règlement (UE) n° 1291/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l’innovation «Horizon 2020», JOUE n° L 347 du 20.12.2013, p. 81.

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compétences que le TFUE reconnaît à l’Union dans le domaine de la recherche et être dès lors en position rééquilibrée, voire renforcée, vis-à-vis du Conseil et des États membres qui y siègent. Retrouvant en quelque sorte la main, dans un cadre plus communautaire qu’intergouvernemental, la Commission va relancer la réflexion sur des possibilités de recherche supplémentaires liées à la PSDC en dehors du champ du programme « Horizon 2020 », avec l’idée notamment d’une « action préparatoire relative aux capacités de défense essentielles pour les opérations de la PSDC, qui rechercherait des synergies avec des programmes de recherche nationaux » (ci-après « PADR », pour l’acronyme anglais de « Preparatory Action in Research Defence »)37. La mise en place de ce projet pilote allait ensuite être validée par le Conseil européen de décembre 2013 qui se félicitait par ailleurs de ce que la Commission entendait « évaluer de quelle manière les résultats obtenus dans le cadre du programme "Horizon 2020" pourraient aussi bénéficier aux capacités industrielles de défense et de sécurité »38. Il restait à financer cette initiative dont la finalité est de préfigurer un futur programme européen de R&D en matière de défense. Mandatée à cette fin par le Conseil européen39 et conseillée par un groupe de seize personnalités40, la Commission va préciser les questions budgétaires dans le cadre de son « Plan d’action européen de la défense » présenté en novembre 201641 : elle propose, dans le cadre du budget de l’UE pour 2017, de doter la PADR de 25 millions d’euros                                                                                                                          37 Voir COM(2013) 113 précitée, p. 13. 38 Voir paragraphe 18 des conclusions à l’issue du Conseil européen des 19-20 décembre 2013. 39 Voir paragraphe 10, sous c), des conclusions à l’issue du Conseil européen des 25-26 juin 2015. 40 Avec l’appui de l’Institut pour les études de sécurité de l’Union européenne (IESUE). 41 COM(2016) 950 précité, spéc. p. 12.

pour la première année et d’un budget global prévisionnel de 90 millions d’euros sur trois ans. Et reprenant à son compte une des recommandations du groupe d’experts42, elle annonce pour l’après 2020 un programme spécifique de recherche en matière de défense doté d’un montant estimatif de 500 millions d’euros par an. Ce faisant, la voie était ouverte pour un changement significatif du logiciel de pensée en matière de coopération dans le domaine de la défense : la méthode dite communautaire refait surface. Le lancement du FED va venir confirmer cette évolution non seulement sur le plan de la R&D mais également sur un autre plan, celui des capacités, en faisant appel à une autre compétence de l’Union, celle d’appui en matière de politique industrielle. II. Un dispositif à double facette : recherche et capacités Le FED est composé de deux volets présentés comme « juridiquement distincts mais complémentaires » et « déployés de manière graduelle »43 : un volet « Recherche » (A.) et un volet « Capacités » (B.), qui seront toutefois coordonnés par un « conseil de coordination », composé de représentants de la Commission, des États membres, de la Haute Représentante, de l’AED et de l’industrie (« le cas échéant », est-il toutefois précisé).                                                                                                                          42 Voir le rapport publié le 23 février 2016, Report of the Group of Personalities on the Preparatory Action for CSDP-related research –The case for an EU-funded defence R&T programme, téléchargeable à l’adresse internet suivante (consultée le 4/11/2017) : https://www.iss.europa.eu/sites/default/files/EUISSFiles/GoP_report.pdf. 43 COM(2017) 295 précitée, p. 4.

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A. Le volet « Recherche » du FED

Le volet Recherche du FED est celui qui, à ce jour, est déjà dans une phase d’opérationnalité. Avant même le lancement officiel du FED, la Commission a adopté en avril 2017 une décision de mise en œuvre de la PADR44, autour de trois axes de recherche prioritaires : les drones, les systèmes individuels de protection et une méthodologie pour une vision stratégique de la technologie. Chacune de ces thématiques a fait l’objet d’un appel à projets publié le 7 juin 201745. La ligne budgétaire de 25 millions d’euros envisagée avait été entretemps validée par l’autorité budgétaire46, dont 500 000 d’euros dédiés, hors projets de recherche, au financement d’une étude sur la mise en œuvre de la PADR, aux opérations d’information et de publications et à la mise en place d’un groupe d’experts gouvernementaux pour assister la Commission47. Le budget devrait ensuite être doté de 40 millions d’euros en 2018 puis de 25 millions d’euros en 2019. Comme pour ne pas couper totalement le cordon ombilical avec la sphère intergouvernementale, la mise en œuvre de la PADR est confiée à l’AED, sur la base d’une convention de délégation qui a été signée avec la Commission                                                                                                                          44 Décision C(2017)2262 final du 11 avril 2017. Aucune base juridique précise du TFUE n’est visée, mais la référence au titre XIX de sa 3ème partie nous semble implicite. Voir à ce sujet : Mauro et Thoma, op. cit., pp. 48-49. 45 Les délais de réponse s’étalaient du 21 septembre 2017 au 5 octobre 2017. Pour plus de détails, voir la page « PADR » du site internet de l’AED : https://www.eda.europa.eu/what-we-do/activities/activities-search/preparatory-action-for-defence-research. 46 Ligne budgétaire 02 04 77 03 ; alimentée en partie par des récupérations du programme Copernicus (système européen de surveillance de la Terre, ex-GEMS) et du mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE). 47 Un groupe consultatif réunira également des experts de l’industrie et de la R&D, des universitaires et des représentants de l’AED et du SEAE.

le 31 mai 2017. Cette dernière prétend ainsi profiter « des compétences et d’une expérience précieuses » de l’AED dans les projets de recherche48. Il est à noter que la PADR est ouverte non seulement à tous les États membres de l’UE mais aussi potentiellement à ceux de l’Association européenne de libre-échange (AELE) 49. A cet égard, la Norvège a versé une contribution de 585 000 euros pour 2017. Les bénéficiaires potentiels sont ainsi a priori les mêmes que ceux du programme Horizon 202050. À cet égard, le rapport du groupe de personnalités, précité, recommandait une sorte de préférence européenne, à savoir que seules des entités des 28 États membres puissent être éligibles, avec une exception pour les pays tiers déjà engagés dans des programmes de coopération, à l’instar de la Norvège précitée51. Un comité de programme, réunissant les États membres, a été chargé d’identifier la valeur ajoutée pour l’UE des projets à sélectionner. La première convention de subvention a été signée le 21 décembre 2017. Elle octroie 1 million d’euros au projet de prospective technologique baptisé « PYTHIA » qui utilisera l’analyse de données pour examiner d’important volumes d’informations technologiques, afin d’identifier

                                                                                                                         48 COM(2017) 295 précitée, p. 7. 49 Voir décision (UE) 2017/1967 du Conseil du 23 octobre 2017 relative à la position à prendre au nom de l’Union européenne au sein du Comité mixte de l’EEE au sujet d’une modification du protocole 31 de l’accord EEE concernant la coopération dans des secteurs particuliers en dehors des quatre libertés (Action préparatoire de l’Union concernant la recherche en matière de défense), JOUE n° L 279 du 28.10.2017, p. 50. A noter aussi que dans sa résolution du 13 décembre 2017 précitée sur le rapport annuel PSDC, le Parlement européen « se félicite » de l’adhésion de l’AELE à la PADR (voir spéc. paragraphe 14). 50 Voir considérant (8) de la décision C(2017) 2262 précitée. 51 Voir Report of the Group of Personalities on the Preparatory Action for CDSP-related research, février 2016, spéc. p. 70.

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les futures technologies perturbatrices et de recommander de futurs thèmes de recherche en matière de défense52. B. Le volet « Capacités » du FED Le second volet du FED est capacitaire. Il s’agit de soutenir « le développement et l’acquisition conjoints de capacités de défense clés » et d’encourager « la coopération en matière de défense en réduisant les risques aux premiers stades du cycle de développement industriel »53. Pour ce faire, la Commission propose au Parlement européen et au Conseil d’adopter un règlement établissant « le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense visant à soutenir la compétitivité et la capacité d’innovation de l’industrie de la défense de l’UE » (ci-après sous l’acronyme anglais « EDIDP »)54. La première période de fonctionnement couvrirait les années 2019 et 2020, avec un budget envisagé de 500 millions d’euros sur cette période55. L’ambition affichée ensuite serait d’atteindre une enveloppe annuelle de 1 milliard d’euros de la part de l’UE mais avec un effet multiplicateur escompté de 5 sur les investissements des États membres, soit 5 milliards d’euros de plus par an en équipements collaboratifs56. On notera avec intérêt qu’aux visas de la proposition de règlement est notamment cité l’article 173 du TFUE, unique disposition composant le titre XVII de la 3ème partie du                                                                                                                          52 Le projet est porté par l’entreprise Ingegneria Informatica S.p.A. et regroupe des partenaires de six États membres (Bulgarie, France, Italie, Pologne, Roumanie et Royaume-Uni). Voir communiqué de presse de la Commission : http://europa.eu/rapid/press-release_MEX-17-5421_en.htm 53 Voir COM(2017) 295 précitée, p. 5. 54 Voir la proposition de règlement sous numéro COM(2017) 294 final du 7 juin 2017. 55 Article 3 de la proposition de règlement. 56 Voir COM(2017) 295 précitée, schéma de la page 5.

TFUE consacré à l’industrie. Dans ce domaine, l’Union ne peut exercer qu’une compétence d’appui, de coordination ou de complément à l’action des États membres57 : ensemble, ils « veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l’industrie de l’Union soient assurées », notamment en favorisant « une meilleure exploitation du potentiel industriel des politiques d’innovation, de recherche et de développement technologique »58. Avec l’EDIDP, l’intervention de l’UE vise donc à apporter une valeur ajoutée en faveur de la compétitivité de l’industrie de défense. Il n’empêche : c’est à notre connaissance encore l’une des rares utilisations de l’article 173 TFUE pour mettre en place un système de co-financement par l’Union en faveur d’acteurs ou de secteurs industriels déterminés59. Voilà une nouvelle illustration, après la mise en œuvre d’une compétence en matière de politique de recherche, de la pénétration de la méthode communautaire dans le secteur de la défense.

                                                                                                                         57 Voir en ce sens : article 6 sous b) du TFUE. Sur l’action de l’UE en ce domaine, lire notamment la communication de la Commission intitulée « Politique industrielle : renforcer la compétitivité » - COM(2011)642 du 14 .10. 2011, mise à jour par celle intitulée « Une industrie européenne plus forte au service de la croissance et de la relance économique » - COM(2012)582 du 10.10.2012 et actualisée par la communication intitulée « Pour une renaissance industrielle européenne » : COM(2014)14 final du 22.1.2014. 58 Article 173, paragraphe 2, TFUE. 59 Voir déjà , mais avec un champ d’action beaucoup plus large, le règlement (UE) n° 1287/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 établissant un programme pour la compétitivité des entreprises et des petites et moyennes entreprises (COSME) (2014 – 2020) (JOUE n° L 347 du 20.12.2013, p. 33) et, dans le cadre du Plan Juncker, le règlement (UE) 2015/1017 du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques, la plateforme européenne de conseil en investissement et le portail européen de projets d’investissement et modifiant les règlements (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013 (JOUE n° L 169, 1.7.2015, p. 1).

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Pour appuyer ainsi la politique industrielle de défense des États membres, l’EDIDP poursuivra notamment trois objectifs60 : d’une part, « renforcer la compétitivité et la capacité d’innovation de l’industrie de la défense de l’Union en soutenant des actions durant leur phase de développement » ; d’autre part, « soutenir et optimiser la coopération entre les entreprises, y compris les petites et moyennes entreprises, en ce qui concerne le développement de technologies ou de produits répondant aux priorités en matière de capacités de défense arrêtées d’un commun accord par les États membres au sein de l’Union » ; et enfin, « favoriser une meilleure exploitation des résultats des travaux de recherche en matière de défense et contribuer à faire la jonction entre la recherche et le développement ». Ces trois objectifs doivent contribuer à consolider la BITDE, même si, étrangement, il n’est pas fait explicitement référence à ce concept dans le corps de la proposition de règlement61. Il reviendra ensuite à la Commission de préciser dans un programme de travail, calé sur la durée du programme (2019-2020), les catégories de projets à financer en adéquation avec les trois objectifs précités62. S’agissant des modalités de ce financement, l’Union pourra avoir recours à l’ensemble des outils d’assistance financière autorisés par le

                                                                                                                         60 Article 2 de la proposition de règlement. 61 Voir toutefois l’exposé des motifs de la proposition de règlement qui fait le lien avec la BITDE et l’autonomie stratégique de l’UE. Pour autant, le Parlement européen semble souhaiter une référence plus explicite à l’objectif de consolidation de l’autonomie stratégique de l’Union : voir projet de rapport au nom de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie (ITRE) du 31.10.2017 (ci-après « Projet de rapport ITRE »), document PE608.022v01-00, spéc. amendements n° 6 et n° 13. 62 Article 13 de la proposition de règlement.

règlement financier général63 et en particulier la passation de marchés publics64, l’octroi de subventions65, ou encore l’utilisation d’instruments financiers appropriés tels que des prises de participations dans le capital d’entreprises, des prêts, des garanties ou des instruments de partage des risques66. Le Parlement européen semble toutefois exprimer des réserves sur l’utilisation de ces instruments financiers, en préférant donner priorité aux subventions67. Bien qu’elle ne soit pas citée en tant que telle, ces outils de financement sont ceux que la Banque européenne d’investissement (BEI)68 a également l’habitude d’utiliser. Il n’est pas anodin de noter que le Conseil européen a déjà exprimé par deux fois son souhait de voir la BEI jouer un rôle plus important dans le soutien des investissements et de la R&D des secteurs de la défense et de la sécurité69.

                                                                                                                         63 Voir article 4 de la proposition de règlement qui fait référence au règlement (UE, Euratom) n° 966/2012 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, JOUE n° L 298, 26.10.2012, p. 1, ci-après « le Règlement financier général ». 64 V. articles 101 à 120 du Règlement financier général. 65 V. articles 121 à 137 du Règlement financier général. 66 Voir article 5 de la proposition de règlement. Sur le recours de plus en plus fréquent aux instruments financiers dans le cadre du budget de l’Union : Parlement européen, Direction générale pour les politiques internes, Financial instruments: defining the rationale for trigerring their use, étude, PE 603.787, octobre 2017. 67 Voir amendement 15 dans le Projet de rapport ITRE, précité, du Parlement européen. 68 Institution financière de l’Union depuis 1957 et dont les membres sont les États membres : v. articles 308 et 309 du TFUE. 69 Voir point 7 des conclusions du Conseil européen du 22 juin 2017 et point 14 des conclusions du Conseil européen du 19 octobre 2017. V. aussi COM(2017) 295, précitée, pp. 18-19, qui annonce un renforcement du soutien de la BEI mais aux seules « technologies à double usage » et aux investissements « accessoires » aux activités de sécurité et de défense. Pour sa part, le Comité économique et social européen a exprimé à cet égard des réserves estimant que les investissements de la BEI ne pouvaient s’inscrire que « dans des perspectives non militaires » : v. avis CESE sur le « Plan d’action européen de la défense »

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La proposition de règlement précise ensuite, comme pour tout programme de financement mis en place par l’UE, les règles relatives à l’éligibilité des acteurs et des actions à un tel financement. S’agissant des entités éligibles70, trois conditions cumulatives sont requises : l’entreprise doit être établie dans l’Union, être détenue à plus de 50 % et être effectivement contrôlée71 par des États membres et/ou des ressortissants d’États membres soit de manière directe, soit de manière indirecte par le biais d’une ou de plusieurs entreprises intermédiaires. La Commission entend ainsi faire jouer une forme de préférence européenne, faisant écho à la recommandation précitée du Groupe des personnalités72. À cet égard, il est ajouté que « toutes les infrastructures, les installations, les biens et les ressources utilisés par les participants, y compris les sous-traitants et tout autre tiers, dans le contexte d’actions financées au titre du programme ne peuvent être situés sur le territoire de pays non membres de l’Union, et ce pendant toute la durée de l’action ». Il devrait s’agir-là d’un des éléments essentiels du débat entre les co-législateurs. Le projet de rapport de

                                                                                                                                                                                                       du 31 mai 2017, JOUE n° C 288 du 31.8.2017, p. 62, spéc. point 18. 70 Article 7, paragraphe 1, de la proposition de règlement. 71 L’article 6, paragraphe 3, de la proposition de règlement précise qu’on entend par « contrôle effectif » : « une relation constituée par des droits, des contrats ou tout autre moyen qui, soit séparément soit conjointement et compte tenu des circonstances de droit et de fait du cas d’espèce, confèrent la possibilité d’exercer directement ou indirectement une influence déterminante sur une entreprise, grâce notamment : a) à un droit de jouissance sur tout ou partie des actifs d’une entreprise ; b) à des droits ou à des contrats conférant une influence déterminante sur la composition, le vote ou les décisions des organes d’une entreprise ou conférant par ailleurs une influence déterminante sur la conduite des affaires de l’entreprise ». 72 L’étude du Parlement européen précitée recommandait d’aller plus loin avec la définition d’un concept autonome d’opérateur économique européen de défense : Mauro et Thoma, op. cit., section 5.8.2, pp. 66-67.

la commission Industrie et Recherche (ITRE) du Parlement européen propose à ce titre plusieurs amendements au dispositif proposé par la Commission : ainsi, notamment, « afin d’inciter à la coopération tout en évitant de pénaliser les entreprises déjà établies dans au moins deux États membres », un amendement demande à ce qu’ « au moins deux des entreprises bénéficiaires ne se contrôlent pas mutuellement. »73 ; de même, un autre amendement souhaite supprimer le critère de détention à plus de 50% précité pour ne conserver que celui du contrôle effectif, étant précisé que seraient également concernées les entreprises sous-traitantes74. Il convient également de souligner l’attention particulière accordée aux PME : le programme de travail de la Commission devra garantir qu’ « une proportion appropriée de l’enveloppe globale est affectée à des actions favorisant la participation transfrontière des PME »75. Le Parlement européen pourrait aller plus loin en exigeant qu’un pourcentage minimum d’affectation soit inscrit dans le règlement76. Il est vrai que la part des PME dans l’investissement des équipements de défense est évaluée entre 11 et 17% au sein de l’UE77.

                                                                                                                         73 Voir amendement n°22 du projet de rapport ITRE, précité. 74 Voir amendement n°23 du projet de rapport ITRE, précité. 75 Voir article 13, paragraphe 3, de la proposition de règlement. Voir aussi son article 17, paragraphe 2, qui prévoit que la Commission établira un rapport d’évaluation rétrospective à l’attention du Parlement européen et du Conseil pour analyser notamment « la participation transfrontière des PME aux projets réalisés au titre du programme ainsi que la participation des PME à la chaîne de valeur mondiale ». 76 Voir amendement n°31 du projet de rapport ITRE, précité, qui retient le montant de 10%. 77 Voir les chiffres cités par la Commission dans son document d’évaluation ex-ante qui accompagne sa proposition de règlement : SWD(2017), 228 final du 7 juin 2017, spéc. p. 16.

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L’approche de la Commission s’avère cohérente avec celle adoptée au titre d’autres instruments de droit dérivé en faveur des PME du secteur78. Pour ce qui est des actions éligibles79, sont visées six catégories d’actions réalisées durant la phase de développement (que ce soit pour de nouveaux produits ou technologies ou pour l’amélioration de produits ou technologies existants) et présentant un caractère transfrontière, exigence intrinsèque à la dimension européenne du financement, en ce sens qu’elles doivent être portées par au moins trois entreprises établies dans au moins deux États membres différents :

- la conception d’un produit, d’un composant matériel ou immatériel ou d’une technologie se rapportant à la défense, ainsi que les spécifications techniques à la base d’une telle conception ;

- le prototypage d’un produit, d’un composant matériel ou immatériel ou d’une technologie se rapportant à la défense. Un prototype est un modèle de produit ou de technologie propre à démontrer les performances de l’élément en environnement opérationnel ;

- les essais concernant un produit, un composant matériel ou immatériel ou une technologie se rapportant à la défense ;

- la qualification d’un produit, d’un composant matériel ou immatériel ou

                                                                                                                         78 On pense notamment aux dispositions encadrant la sous-traitance dans la directive 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, JOUE n° L 216 du 20.08.2009, p. 76. Sur ce texte : Stéphane Rodrigues, « La directive sur les marchés publics dans les domaines de la défense et de la sécurité. Ou de l’art difficile de rentrer dans le rang (du marché intérieur) », Europe, 2009, étude n°10, pp. 4-8. 79 Voir article 6 de la proposition de règlement.

d’une technologie se rapportant à la défense80 ;

- la certification d’un produit ou d’une technologie se rapportant à la défense81 ;

- des études, de faisabilité par exemple, et d’autres mesures d’accompagnement.

La proposition de texte ajoute qu’hormis l’action de conception d’un produit, les autres actions doivent reposer sur des spécifications techniques communes. À cet égard, la Commission a annoncé parallèlement qu’elle soutiendrait l’élaboration des normes que les États membres jugeront nécessaires pour leurs projets de coopération82. Une fois identifiés les projets éligibles, il conviendra de les évaluer selon des critères répertoriés de manière exhaustive et que les porteurs de projets devront satisfaire de manière cumulative pour obtenir un financement. Ces critères d’attribution sont les suivants83 : l’excellence84; la contribution à l’innovation et au développement technologique des industries de la défense et, partant, à l’encouragement de l’autonomie industrielle de l’Union dans le domaine des technologies de défense ; la

                                                                                                                         80 La qualification vise « l’ensemble des démarches visant à démontrer que la conception d’un produit, d’un composant ou d’une technologie répond aux exigences établies » et qui « produisent des éléments de preuve tangibles attestant que la conception est conforme aux exigences spécifiques ». 81 La certification est la procédure par laquelle une autorité nationale certifie que le produit, le composant ou la technologie est conforme aux réglementations applicables. 82 Voir en ce sens le programme de travail annuel de l’Union en matière de normalisation européenne pour 2018, COM(2017) 453 final du 25 août 2017, spéc. section 2.5. V. aussi amendement n° 14 du projet de rapport ITRE, précité, qui vise à ajouter parmi les objectifs du programme la promotion de « l’interopérabilité » et de la « standardisation ». 83 Article 10 de la proposition de règlement. 84 Le Parlement européen propose d’y adjoindre le critère de la « performance industrielle » : voir amendement n° 26 du projet de rapport ITRE, précité.

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contribution à la sauvegarde des intérêts de l’Union en matière de sécurité et de défense en améliorant les technologies de défense qui participent à la concrétisation des priorités en matière de capacités de défense arrêtées d’un commun accord par les États membres au sein de l’Union ; la viabilité, dont les bénéficiaires doivent faire notamment la preuve en démontrant que les coûts restants de l’action éligible sont couverts par d’autres sources de financement telles que des contributions d’États membres ; et, en ce qui concerne les actions éligibles autres que celles relatives à la conception, la contribution à la compétitivité de l’industrie européenne de la défense, dont les bénéficiaires doivent faire la preuve en démontrant que des États membres se sont engagés à produire et à acquérir le produit final ou la technologie finale conjointement et de manière coordonnée, notamment par des acquisitions conjointes le cas échéant. Les projets retenus pourront alors bénéficier d’un financement européen et, plus précisément, d’un co-financement car l’engagement de l’Union est généralement plafonné par des taux de financement. Toutefois, dans le cadre de l’EDIDP, il est remarquable de noter que le co-financement semble être l’exception : en effet, si l’assistance financière apportée par l’Union ne peut pas dépasser 20 % du coût total de l’action dans le cas du prototypage85, en revanche, dans tous les autres cas, l’assistance financière peut couvrir « jusqu’à l’intégralité des coûts de l’action »86. En outre, dans le cas d’une action mise en place par un bénéficiaire qui agit dans le cadre d’une coopération structurée permanente (CSP), le taux de financement peut être majoré                                                                                                                          85 A noter que le Parlement européen propose de viser 20% de « l’intégralité des coûts éligibles » et non du coût total de l’action : voir amendement n° 27 du projet de rapport ITRE, précité. 86 Article 11, paragraphe 1, de la proposition de règlement.

de 10%87. Il s’agit là clairement de « garantir des synergies » entre le FED et la CSP88 et d’inciter les États membres à développer ce mécanisme de collaboration capacitaire prévu par l’article 42, paragraphe 6, TUE89, longtemps considéré comme « la Belle au bois dormant de la défense européenne »90 mais qui vient d’être réveillée par vingt-cinq Etats membres91. Autre élément d’incitation au développement de la recherche de défense : le sort réservé aux droits de propriété intellectuelle. Il s’agit là d’un                                                                                                                          87 Article 11, paragraphe 2, de la proposition de règlement. 88 Voir COM(2017) 295, précitée, page 11. 89 Voir aussi article 46 TUE et protocole n° 10 annexé au TUE. 90 Frédéric Mauro, « La coopération structurée permanente :la Belle au bois dormant de la défense européenne », note d’analyse, Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), mai 2015. Lire aussi du même auteur : « Défense européenne. L’enjeu de la coopération structurée permanente », rapport du GRIP, n° 2017/1 et avec Federico Santopinto, l’étude pour le Parlement européen intitulée « La coopération structurée permanente : perspectives nationales et état d’avancement », document PE 603.842, juillet 2017. Voir également : André Dumoulin et Nicolas Gros-Verheyde, op. cit. pp. 306-313 et, dans une perspective clairement fédéraliste : Francesco Guerzoni, « A European Integrated Force for an Ambitious Permanent Structured Cooperation », Reflection Paper, UEF, novembre 2017. 91 Voir Décision (PESC) 2017/2315 du 11 décembre 2017 établissant une coopération structurée permanente (CSP) et fixant la liste des États membres participants, JOUE n° L 331 du 14 décembre 2017, p. 57 et Rectificatif à la décision (PESC) 2017/2315 du Conseil du 11 décembre 2017 établissant une coopération structurée permanente (CSP) et fixant la liste des États membres participants (JO L 331 du 14.12.2017), JOUE n° L 12 du 17 janvier 2018, p. 63. À la suite du Conseil européen de décembre 2016, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas et la République tchèque ont annoncé un engagement commun pour lancer une CSP avant d’être finalement rejoints par dix-huit autres États membres (bien que la Pologne ait assorti son engagement de certaines réserves, ce qui pourrait faire douter de son adhésion pleine et entière au mécanisme) : voir conclusions du Conseil Défense du 13 novembre 2017, précitées. À ce jour, 17 projets ont été retenus, sur les 36 présentés par les différents États membres participant. La gestion de ces projets reviendra dans un premier temps à l’AED et à l’OCCAR.

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enjeu important pour les opérateurs industriels qui sont prêts à investir dans la recherche à condition d’avoir droit au chapitre au moment de récolter les fruits de cette recherche. La Commission semble avoir intégrer ce paramètre dans la mesure où sa proposition de règlement prévoit qu’elle ne sera pas « propriétaire des produits ou des technologies résultant de l’action » ni « titulaire d’aucun droit de propriété intellectuelle en rapport avec l’action »92. On notera que les dernières négociations à l’ échelon des Amis de la Présidence ont fait apparaître qu’il était juridiquement plus approprié de préciser d’une manière générale que c’est l’Union (et non la Commission en tant que telle) qui ne pourra revendiquer aucun droit de propriété sur les résultats de l’action financée par le programme européen93. Pour finir, la procédure d’attribution qui sera suivie relève du mécanisme standard prévue par le règlement financier général de l’Union94 : lancement d’un appel à proposition concurrentiel95, évaluation par la Commission assistée d’experts indépendants et attribution des fonds aux heureux élus par voie d’acte d’exécution selon la procédure classique dite de comitologie dans le cadre de laquelle on notera,

                                                                                                                         92 Article 12 de la proposition de règlement. 93 Le Parlement européen propose ainsi de viser l’Union en lieu et place de la Commission dans l’article 12, alinéa 1er, de la proposition de règlement et d’ajouter que ces résultats « ne sont soumis à aucun contrôle ni à aucune restriction de la part d’un État tiers ou d’une entité non-UE » : v. amendements n° 28 et n° 29 du projet de rapport ITRE, précité. 94 Article 14 de la proposition de règlement. 95 On notera que le Parlement européen pourrait s’opposer à une référence aux appels à proposition concurrentiels, afin de laisser place également aux « exemptions possibles » prévues par le Règlement financier général: v. amendement n° 32 du projet de rapport ITRE, précité.

signe de particularité tout de même, la présence de l’AED comme observateur96. L’ensemble du dispositif doit désormais être adopté par le Parlement européen et le Conseil. En ce qui concerne ce dernier, il a arrêté sa position (orientation générale), en formation Affaires générales , le 12 décembre 201797 et a été invité par le Conseil européen à conclure les négociations avec le Parlement européen « dès que possible de manière à ce que les premiers projets capacitaires définis par les États membres soient financés en 2019 »98. Le calendrier peut paraître quelque peu serré. Il ne faudrait pas toutefois que, sous couvert de vouloir faire vite, certaines questions liées à la mise en œuvre de l’EDIDP en particulier et du FED en général soient escamotées, au risque d’en compromettre l’efficacité sur le long terme. III. Les défis à relever pour le FED Outre le défi général de la nécessaire cohérence qui s’imposera entre le FED et les autres

                                                                                                                         96 Article 16 de la proposition de règlement qui renvoie au règlement (UE) n° 182/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission, JOUE n° L 55 du 28.2.2011, p. 13. 97 Voir le communiqué de presse du Conseil n°784/17 du 12 décembre 2017 : http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/12/12/european-defence-council-agrees-its-position-on-the-proposed-regulation-establishing-the-european-defence-industrial-development-programme-edidp/ 98 Point 13 des conclusions du Conseil européen du 19 octobre 2017. Le Conseil a pris acte de ce calendrier dans ses conclusions précitées du 13 novembre 2017, point 3. Voir aussi dans le même sens les conclusions du Conseil européen du 14 décembre 2017, sous la partie I. « Sécurité et défense » (document EUCO 19/17, spéc. p. 1).

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initiatives en cours (CSP, EACD99, etc.)100, de nombreux obstacles doivent encore être franchis pour que le plan d’action européen pour la défense porte ses fruits et que le FED ne soit pas un coup d’épée dans l’eau. La Commission en est consciente et a d’ores et déjà identifié les principales difficultés auxquelles il convient de faire face (A.). À ces difficultés d’ordre opérationnel, s’ajoutent deux défis d’ordre plus politique et financier (B.). A. Les difficultés opérationnelles à surmonter La Commission a parfaitement compris que ses propositions ne vont pas du jour au lendemain mettre fin aux obstacles rencontrés jusqu’à présent par la coopération européenne en matière de recherche et de capacités militaires. Elle a notamment identifié quatre difficultés majeures à surmonter tout en proposant quelques pistes pour les contourner ou les neutraliser101. En premier lieu, il conviendrait de remédier à l’absence de synergies et de synchronisation des dépenses budgétaires ; aussi, une « mise en commun de ressources nationales » pour financer des projets collaboratifs spécifiques pourrait être envisagée. En deuxième lieu, il conviendrait de rendre plus équitable la part des risques et des coûts entre, d’une part, les États, souvent peu nombreux, qui participent aux coûts de développement et, d’autre part, ceux, souvent plus nombreux, qui sont disposés à acheter « sur étagère » des capacités « prêtes à l’emploi » ; ce dilemme classique pourrait trouver un début de solution

                                                                                                                         99 Examen annuel coordonné de défense ou « CARD » (acronyme anglais, pour Coordinated Annual Review on Defence) : voir infra. 100 Voir en ce sens le point 5 des conclusions précitées du Conseil du 13 novembre 2017. 101 Voir COM(2017) 295, précitée, pp. 13-14.

avec un mécanisme de compensation des États développeurs par les États acheteurs pour permettre une forme de récupération des coûts de développement en ayant recours à des instruments financiers mobilisant des fonds propres. Une troisième difficulté majeure réside dans les contraintes de la chaîne d’approvisionnement, avec souvent un déséquilibre entre grands fournisseurs et sous-traitants, notamment en termes de facilité d’accès aux financements. La Commission envisagerait d’avoir recours plus systématiquement à un système de garanties financières couvrant les prêts aux sous-traitants102. Enfin, la Commission insiste sur la nécessité de diversifier les formes de structure de propriété des capacités, en ayant recours, par exemple, à la propriété conjointe ou aux mécanismes de crédit-bail. Mais les défis ne sont pas seulement d’ordre technique et financier. Ils relèvent aussi, et peut-être surtout, de l’équilibre à trouver entre l’expression des souverainetés nationales et le rôle qu’il revient aux institutions de l’Union de jouer, ce qui pose également la question de la gouvernance du FED et des instruments qui en découlent. B. Une gouvernance et un budget à consolider sur le long terme Pour ce qui est de l’équilibre subtil à trouver entre États membres et institutions de l’UE, le directeur exécutif de l’AED met en exergue quatre conditions de succès103 : laisser aux États

                                                                                                                         102 Voir déjà en ce sens le projet de mécanisme financier coopératif présenté en mai 2017 par l’AED. 103 Jorge Domecq, op. cit., p. 1.

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membres la définition des priorités et choix capacitaires (dans le cadre notamment du Plan de développement des capacités)104 ; faire en sorte que les nouveaux instruments proposés par la Commission bénéficient à tous les États membres105 ; se concentrer sur les capacités présentant une « vraie valeur ajoutée au niveau européen », à l’instar du domaine de la cyberdéfense ; et, enfin, généraliser le mécanisme de délégation de la Commission à l’AED utilisé pour l’ADPR. Sur ce dernier point, encore faudra-t-il que ce mécanisme fasse ses preuves. Du point de vue de la gouvernance, aussi bien l’AED que les institutions de l’UE vont devoir s’adapter. L’AED pourrait en effet évoluer vers une nature plus hybride, entre agence des États membres et agence exécutive des programmes capacitaires et R&D de défense pilotés par la Commission. Cette dernière va devoir néanmoins davantage se structurer. La perspective de la création d’une Direction générale « Défense » ou « Sécurité et Défense » devient réaliste et pourrait se concrétiser lors de la prochaine Commission qui sera désignée d’ici novembre 2019106. Le Parlement européen a en tout cas pris

                                                                                                                         104 V. aussi l’examen annuel coordonné de défense (EACD) précité, dont la mise en œuvre complète est programmée pour 2019 : voir point 4 des conclusions précitées du Conseil du 13 novembre 2017. 105 Voir toutefois, pour une approche différente : Frédéric Mauro, « Où en est la recherche européenne de défense ? », note d’analyse, Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), mars 2017, spéc. p. 13 pour qui « une réelle politique de l’armement ne doit pas avoir pour objectif de complaire à l’ensemble des États membres. Elle suppose de faire des choix et impose des renoncements ». Nous ne sommes pas loin de partager cet avis et ce d’autant plus que les ressources budgétaires limitées mises à disposition de l’ADPR et de l’EDIDP conduiront nécessairement à faire de tels choix dans la sélection des projets à financer… 106 A ce jour, c’est l’unité 14 (Industries de la défense, de l’aéronautique et du maritime) de la Direction générale Marché intérieur, Industrie, Entreprenariat et PME (dite DG GROW) qui pilote les dossiers avec un groupe

clairement parti en faveur de cette option107. Pour l’heure, une task-force d’ingénierie financière devrait voir le jour pour fournir une expertise spécifique à la Commission et aux États membres dans le montage de projets d’acquisition collaboratifs108. Quant au Parlement européen, la question va se poser dans des termes similaires avec l’actuelle sous-commission « sécurité et défense » (SEDE) logée au sein de la commission permanente des affaires étrangères et qui pourrait revendiquer l’autonomie pour acquérir le statut de commission permanente à part entière109. À ce jour, la proposition de règlement sur l’EDIDP a été confiée au fond à la commission ITRE110 et seulement pour avis à la sous-commission SEDE111. Reste une dernière question en suspens qui constitue souvent, et sans prétendre faire un jeu de mots facile, le nerf de la guerre : quel budget pérenne pour le FED ? Les chiffres annoncés pour l’après 2019 par la Commission sont ambitieux : pour rappel, 500 millions d’euros par an, soit à peu près l’équivalent du budget recherche défense annuel de l’Allemagne ou du Royaume-Uni. D’où proviendra ce montant ? La tentation pourrait être de financer cette nouvelle

                                                                                                                                                                                                       interservices impliquant plusieurs autres directions générales. 107 Voir résolution précitée du 13 décembre 2017 sur le rapport annuel PSDC, spéc. paragraphes 37-39. 108 Nicolas Gros-Verheyde, « La fenêtre acquisitions du Fonds européen de défense : la boîte à outils financiers de la Commission », article posté le 23 juin 2017 sur le blog www.bruxelles2.eu (version abonnés, consultée le 26 juin 2017). 109 La résolution précitée du Parlement européen du 13 décembre 2017 sur le rapport annuel PSDC se prononce en faveur d’une telle évolution : voir spéc. paragraphe 29. 110 La rapporteure désignée est Madame Françoise Grossetête (PPE, France). 111 Le rapporteur désigné est Monsieur Ioan Mircea Paşcu (S&D, Roumanie).

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ligne budgétaire au détriment de la recherche dans d’autres secteurs112. De plus, d’autres sous-questions se posent : cet engagement pris par l’actuelle Commission Juncker sera-t-il tenu par celle qui lui succédera ? Et l’effet multiplicateur escompté de l’effort européen se produira-t-il du côté des budgets des États membres ? Comme le souligne le député Arnaud Danjean, membre de la sous-commission SEDE du Parlement européen, il pourrait y avoir un risque de substitution en ce sens que les États membres pourraient considérer que « si l’Union européenne va investir dans la défense, nous n’avons plus à le faire »113. Les premiers débats tenus au sein du Conseil sur la proposition de règlement EDIDP sont à cet égard assez révélateurs : deux thèses semblent s’affronter selon que l’orientation que les États membres entendent donner à ce nouvel instrument, à savoir un simple guichet à subventions pour certains, sur le modèle d’un fonds structurel de cohésion économique, sociale et territoriale (a priori majoritaires à l’Est de l’UE) ou un véritable programme capacitaire structurant pour les autres (conception défendue semble-t-il par l’Allemagne, l’Espagne, la France et le Royaume-Uni)114.

                                                                                                                         112 Voir en ce sens la crainte exprimée par le CESE dans son avis précité de mai 2017, spéc., point 1.10. 113 Voir interview de M. Danjean par Leonor Hubaut pour le blog www.bruxelles2.eu parue le 20 juin 2017 et consultée à la même date (accès abonnés). Lire aussi le document intitulé « Revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017 »,publié en octobre 2017 et dont M. Danjean a présidé le comité de rédaction, spéc. paragraphe 188, page 60 : « La réussite du FED dépendra de deux conditions : savoir intégrer les spécificités de la défense et garantir les moyens budgétaires de nos ambitions, tout en évitant la duplication des compétences industrielles et les effets d’éviction sur nos investissements nationaux de défense ». 114 Nicolas Gros-Verheyde, « Le Fonds défense : premières discussions, première dissensions », article paru

Last but not least, l’impact du Brexit ne saurait être totalement ignoré sur l’avenir à court et moyen terme de cette nouvelle Union européenne de la défense qui se dessine : le Royaume-Uni est aujourd’hui non seulement une des deux seules puissances nucléaires de l’Union, mais le poids de son industrie de défense et de ses investissements en R&D en fait un acteur incontournable du jeu européen dans ce domaine115.

*** Quoiqu’il en soit, comme le résume un expert, on assiste bel et bien à un « changement fondamental », dans la mesure où l’intervention de l’Union évolue « d’une politique de l’offre, caractérisée par une action normative visant à établir un marché de la défense au niveau de l’UE, vers une politique de la demande, marquée par l’apport de financements publics dans le cadre d’une politique industrielle »116. Et cette mini-révolution se fait pour le moment avec doigté pour ne pas froisser les sensibilités des États membres traditionnellement maîtres du jeu                                                                                                                                                                                                        le 27 août 2017 sur le blog www.bruxelles2.eu et consulté le 28.8.2017 (accès abonnés). 115 Sur cette thématique : Olivier de France, Bastian Hiegerich, Alessandro Marrone, Jean-Pierre Maulny et Trevor Taylor, The Impact of Brexit on the European Armament Industry, rapport n°19 du groupe ARES (Armament Industry European Research), août 2017. Lire aussi le discours de Monsieur Michel Barnier du 29 novembre 2017 à la Conférence de sécurité de Berlin : http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-17-5021_fr.pdf 116 Mauro, op. cit., 2017, p. 2. Pour une approche plus générale sur l’évolution du droit de l’Union dans le domaine de l’armement d’une fonction répressive (normes et marchés de défense) à une fonction « promotionnelle » (mécanismes coopératifs de développement capacitaire, R&D) : Edouard Simon, Rôles et fonctions du droit de l’Union européenne dans l’intégration des politiques d’acquisition d’armement, thèse de doctorat en droit soutenue à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne le 13 juillet 2017, sous la direction de Viviane de Beaufort et Stéphane Rodrigues, document reprographié de 666 pages.

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en ce domaine : « c’est une démarche habile que de passer par l’investissement sans empiéter sur les souverainetés nationales »117. Ce faisant, c’est aussi un véritable tabou qui est en train d’être progressivement levé. Après la monnaie, après l’espace judiciaire ou encore le défi migratoire, vient le tour de la défense de s’ouvrir à la méthode communautaire. Signe des temps, la Commission semble vouloir déjà tirer avantage de ce nouveau contexte : elle vient d’annoncer, conjointement avec la Haute Représentante, une initiative sur la mobilité militaire en Europe118. C’est bien connu, le droit de l’Union a horreur du vide…

Bruxelles, le 8 janvier 2018.

                                                                                                                         117 Olivier Marty, « La défense européenne a peut-être trouvé son embryon », Les Echos, Le point de vue, 15 décembre 2016, p. 12. 118 Communication conjointe de la Commission et de la Haute Représentante, JOIN(2017) 41 final du 10.11.2017, « Improving Military Mobility in the European Union ». Voir aussi point 9 des conclusions précitées du Conseil du 13 novembre 2017 et partie I des conclusions précitées du Conseil européen du 14 décembre 2017. Lire à ce sujet : Nicolas Gros-Verheyde, « La mobilité militaire devient un sujet communautaire. Un autre tabou est levé », article paru sur le blog www.bruxelles2.eu le 10/11/2017 et consulté à la même date (accès abonnés).

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