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Rapport de la commission présidée par RENÉ RÉMOND au Premier ministre

PLON

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© Plon, 1996. ISBN 2.259.18552.5.

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MEMBRES DE LA COMMISSION

Jean-Pierre AZÉMA Chantal BONAZZI

Jean KAHN André KASPI

René RÉMOND Paule RENÉ-BAZIN

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HISTORIQUE DE LA COMMISSION

Un rappel, même succinct, des circonstances qui sont à l'origine de notre commission ainsi que des principales péripéties qui ont affecté ses travaux et retardé le dépôt de ses recommandations n'est cer- tainement pas inutile en raison des conséquences que les unes et les autres ont eues sur l'orientation et les conclusions du présent rapport. Ne serait-ce que pour rendre compte du délai qui a pu paraître anormale- ment long entre la constitution de la commission et la remise de ses conclusions et qui trouve précisément son explication dans les infléchissements successifs de la mission impartie et l'élargissement progressif de son mandat.

L'origine de cette histoire remonte à ce jour de sep- tembre 1991 où Maître Serge Klarsfeld, dont on connaît les importants travaux historiques sur le sort des juifs en France sous l'occupation allemande et du fait de la législation du gouvernement de Vichy, pense avoir retrouvé à Val-de-Fontenay, où étaient entrepo- sées les archives du Secrétariat d'Etat aux Anciens Combattants, la trace du fichier dit de la Préfecture de Police : celui qui a dû être constitué à partir des déclarations des juifs français et étrangers domiciliés dans le département de la Seine auxquels une ordon- nance des autorités allemandes, en date du 27 sep-

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tembre 1940, avait fait obligation de se présenter dans les commissariats de police pour se faire recenser entre le 3 et le 19 octobre. On savait qu'ils avaient été au total 149 734 à se conformer à cette injonction, mais on ignorait ce qu'étaient devenus les documents relatifs à cette opération, dont le fichier de la Préfec- ture de Police. Dans la préface qu'il a accordée au livre qu'Annette Kahn a écrit sur le sujet, Le Fichier, paru chez Robert Laffont, aux derniers jours de 1992, Serge Klarsfeld a raconté comment « il n'eut besoin que d'une seule écaille, une seule fiche, pour identifier le serpent tout entier ».

La divulgation, par lui, quelques semaines plus tard, de sa découverte, assortie de l'affirmation que le fichier avait été dissimulé depuis près d'un demi- siècle, souleva naturellement une émotion dont les media se firent l'écho et qu'ils contribuèrent à ampli- fier. On s'étonna alors - et comment ne l'eût-on pas fait? - que pareil document ait pu si longtemps échapper aux recherches et être soustrait à une légi- time curiosité. On soupçonna des raisons inavouables, solidarité mal comprise entre administrations, souci peut-être d'occulter les crimes de l'Etat français; les soupçons visaient en priorité le département ministé- riel concerné, mais aussi l'administration des Archives nationales, dont les responsables, interrogés en 1980 sur l'existence de ce fichier, avaient répondu alors et pour cause qu'ils n'en savaient rien.

Informée de la découverte le 13 novembre 1991 par le Secrétariat d'Etat aux Anciens Combattants, la Commission nationale de l'informatique et des liber- tés, à laquelle le législateur a donné compétence pour tous les fichiers, charge le sénateur Henri Caillavet, qui avait déjà mené dix ans plus tôt une première enquête sur le sujet, d'étudier la question et de lui proposer des recommandations. Une sous-commis- sion procède alors avec diligence à une série d'audi- tions où elle entend les représentants de toutes les

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composantes et institutions de la communauté juive en France, et aussi de plusieurs historiens que dési- gnaient à son attention leur compétence reconnue et leurs travaux sur la seconde guerre. Au terme de ces investigations, la CNIL adoptait un texte en date du 25 février qui formulait un ensemble de recommanda- tions à l'adresse des pouvoirs publics. Elle demandait en particulier que « le fichier de recensement de la Pré- fecture de Police de la Seine, ainsi que les fichiers origi- naux alphabétiques des internés juifs des camps de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande, le fichier de recensement des Juifs par commissariat, les listes origi- nales des convois partis de Drancy, documents qui concernent exclusivement des personnes juives, soient immédiatement versés aux Archives nationales ».

La Commission recommandait en outre que : « par convention révocable entre le Directeur des Archïves Nationales et le Président du Comité exécutif du Mémorial du Martyr juif inconnu, les originaux du fichier de recensement de la Préfecture de Police de la Seine, des fichiers alphabétiques des internés juifs des camps de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande, du fichier de recensement des Juifs par commissariat, des listes des convois partis de Drancy, qui constituent un élément du patrimoine national, soient confiés au Mémorial du Martyr juif inconnu, dès lors qu'il s'agi- rait d'un dépôt révocable non contraire à la loi sur les archives ».

Déférant sur-le-champ à la première demande, les pouvoirs publics décident le transfert du fichier aux Archives Nationales. La deuxième recommandation paraît les avoir davantage embarrassés : pour la raison même que la CNIL a invoquée pour justifier le dépôt révocable au Mémorial juif : c'est un élément du patrimoine national. La Commission avait entrevu la difficulté : pour l'écarter elle assurait qu'il n'y aurait pas infraction à la loi sur les archives qui confie aux Archives Nationales la mission de conserver le patri-

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moine. Mais confier, fût-ce à titre précaire et par une convention révocable, à une institution privée un fragment de la mémoire nationale, n'est-ce pas porter atteinte au principe et aliéner ce qui appartient à la nation tout entière ? Le précédent ne risquerait-il pas d'amorcer le démantèlement du patrimoine? Telles sont les questions qu'on peut supposer que se sont posées les pouvoirs publics et qui les ont conduits à juger utile un complément d'information et à prendre l'avis d'experts avant d'arrêter leur décision.

C'est dans ces conditions que j'ai été approché, le 25 ou 26 février 1992, par le Ministre de la Culture, dont la tutelle s'exerce sur les Archives. A ce moment de la relation, on ne me tiendra pas rigueur de m'exprimer à la première personne : les circonstances m'y contraignent et m'en font même obligation. Si M.Jack Lang m'a alors pressenti, je présume que c'est d'abord en ma qualité de président du Conseil supérieur des Archives. Je n'exclus pas que son choix ait pu être aussi quelque peu guidé par le bruit qu'avait fait récemment la publication du rapport de la commission, dont j'avais moi-même présidé les tra- vaux, sur les relations entre Paul Touvier et l'Eglise : le jugement, généralement très favorable porté sur ce rapport, a pu inspirer l'idée de recourir à une procé- dure semblable et à suggérer ma désignation. Quoi qu'il en soit, M. Jack Lang m'a alors fait part par télé- phone de son souhait, qui avait l'accord du Premier Ministre, de me confier la présidence d'une commis- sion composée d'un nombre restreint de personnalités dont l'impartialité ne prêterait à aucun soupçon, pour définir dans quelles conditions à tous égards le dépôt recommandé par la CNIL pourrait être effectué.

Après m'être entretenu avec le Ministre d'Etat et avoir reçu toutes assurances, tant sur ma liberté de constituer la commission que sur l'indépendance de nos délibérations, j'ai cru pouvoir donner mon accep- tation.

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Après que les termes m'en eurent été soumis, une lettre de mission en date du 19 mars 1992 m'était adressée (dont on trouvera le texte en annexe 1), qui précisait notre tâche. Par une autre lettre, qui en accusait réception et qu'on trouvera également en annexe 2, en date du 7 avril suivant, je définissais suc- cinctement l'esprit dans lequel je prévoyais de m'acquitter de la tâche et j'énonçais la procédure que j'envisageais de suivre.

Dans les jours suivants, je m'employai à mettre sur pied une commission restreinte, qui comprendra cinq personnes, président compris. Je sollicitais en premier lieu deux universitaires reconnus par leurs pairs et par l'opinion comme particulièrement compétents sur l'histoire de la période : Jean-Pierre Azéma, profes- seur des Universités à l'Institut d'Etudes politiques, qui avait déjà fait partie de la Commission Touvier, et dont les travaux sur la Collaboration et la Milice sont bien connus, et qui avait de surcroît une grande fami- liarité avec les archives, et André Kaspi, professeur à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, dont le livre sur Vichy et les Juifs fait autorité. L'un et l'autre vou- lurent bien d'emblée accepter ma demande. La parti- cipation à nos travaux de Mme Chantal Bonazzi, Conservateur général chargé de la section contempo- raine aux Archives Nationales, dont tous les histo- riens qui ont travaillé sur la période connaissent la compétence et ont apprécié la courtoisie, nous parais- sait indispensable : son concours nous sera inappré- ciable quand viendra le moment d'étendre notre investigation en direction des dépôts d'archives départementaux. Je sollicitai enfin Jean Kahn, alors président du Conseil représentatif des institutions juives, qui consentit à nous apporter la caution de son autorité morale. Le temps de pressentir chacune de ces personnalités, de répondre à leurs questions sur ce

1. Madame Paule René-Bazin qui lui a succédé s'est jointe à la commission.

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qui était at tendu d'elles, e t d 'obtenir leur acceptation, la Commission était constituée aux derniers jours de mai 1992.

Le 2 juin, M m e Bonazzi m'informait que, le jour même, les Archives Nationales, conformément à la décision du gouvernement, avaient pris livraison de l 'ensemble des documents conservés au Ministère des Anciens Combattants et que celui-ci était désormais déposé rue des Francs-Bourgeois: nous pouvions nous mettre au travail.

U n e surprise nous y attendait. Jean-Pierre Azéma et André Kaspi, qui étaient retournés consulter le fichier après la première fois où il nous avait été pré- senté, ne tardèrent pas à s'aviser, après avoir compulsé quelques fiches, que le fichier ne pouvait pas être ce qu 'on croyait et que, depuis sa découverte, six mois plus tôt, tout le monde croyait être le fichier établi par la Préfecture de Police à l 'occasion du recensement d 'octobre 1940.

E t ce pour plusieurs raisons qu'il importe d 'énon- cer, compte tenu de l ' importance de cette deuxième découverte. J ' indique que, dès que nous eûmes la cer- titude que ce n 'étai t pas le fichier, je n 'eus rien de plus pressé que d 'entrer en communication télé- phonique avec Maître Klarsfeld pour lui faire part de notre surprise.

La première raison est purement arithmétique. O n se rappelle que le total des juifs qui s 'étaient fait recenser était de 149 734. O r il sautait aux yeux, en regardant les fichiers, qu 'on était loin de ce chiffre. Une estimation rapide conduisait pour le fichier indi- viduel à un chiffre entre 60 000 et 70 000, soit moins de la moitié. A vrai dire, la discordance n'avait pas échappé à la Commission Caillavet : elle-même n'avait-elle pas évalué, avec une précision surpre- nante, à 66 500 le total des fiches individuelles ? Mais, considérant que le fichier familial en comprenait par ailleurs 29 500 et, supputant que ces fiches devaient

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porter plusieurs noms de personnes accompagnant le chef de famille, elle avait, par un raisonnement hasar- deux, présumé que l 'addition des deux fichiers devait recomposer le total des quelque 150 000 recensés. Tou t historien ne peut qu 'ê t re réservé sur une démarche aussi aventureuse et une conjecture aussi fragile que ne venait étayer aucun commencement de vérification pour s 'assurer que les deux fichiers étaient bien complémentaires.

Surtout, un examen minutieux des fiches devait révéler des faits plus troublants encore : la quasi- totalité concerne des personnes ayant été poursuivies, arrêtées et pour la plupart déportées. Même en conti- nuant d 'admet t re que ces fiches sont bien celles qui furent établies à l 'occasion du recensement de l 'automne 1940, elles ne pourraient en être qu 'une fraction détachée puisque le total des juifs recensés pour le seul dépar tement de la Seine est approxima- tivement double du total des juifs de France qui furent déportés, qu 'on estime à 76 000, et qu'ils étaient nombreux parmi eux à ne pas résider dans la Seine, ne fût-ce que ceux qui ont été extraits à l 'été 1942 après la grande rafle des 16 et 17 juillet des camps d ' internement en zone Sud pour compléter le tribut exigé par les autorités d'occupation. O n est donc fort éloigné du fichier primitif. E n outre, nous avons retrouvé au hasard des investigations des fiches concernant des juifs provenant précisément de la zone Sud et même quelques non juifs.

La conclusion s'imposait donc : cet ensemble composite, dont le seul facteur d 'homogénéité était que tous avaient été inquiétés, avait probablement quelque rapport avec le recensement, à la limite était peut-être un fichier dérivé, mais nous n'étions pas en présence de ce fichier qu 'on recherchait depuis un demi-siècle, qu 'on avait cru retrouvé, et pour lequel mandat nous avait été donné.

Dès le 1 juillet 1992, je rendais compte à M. Jack

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Lang (annexe 3) de notre découverte, ou, pour être plus précis, de l 'absence de découverte, et je sollicitais des instructions : devions-nous considérer, puisque l 'objet de notre mission se dérobait, que celle-ci n 'avait plus de raison d 'ê t re ? Notre premier mouve- ment était de penser le contraire, car même si le fichier n 'étai t pas ce qu 'on croyait, la question demeu- rait pendante : que faire de ces documents ? Où les conserver ? E n un sens notre tâche apparaissait encore plus nécessaire car il devenait impérieux d'identifier ce fichier : qu'était-il ? De surcroît, il fal- lait tenter de retrouver le fichier perdu : on ne croirait pas à sa disparition si nous n'étions pas en mesure d ' indiquer ce qu'il avait pu devenir. Mais alors la nature de notre mission se modifiait, e t aussi son ampleur. D 'au tan t que nous pressentions, à la lumière de cette expérience, que ce fichier n'était sans doute pas seul de son espèce, qu'il en existait probablement d 'autres pour lesquels se posaient exactement les mêmes questions de conservation et de domiciliation. Aussi suggérai-je une redéfinition de notre mandat : il ne s'agissait plus seulement de répondre aux quelques questions énoncées par la lettre de mission de mars 1992 et de formuler des recommandations, mais bien d 'entreprendre une véritable recherche qui demande- rait du temps et pour laquelle nous était nécessaire le concours des administrations publiques.

Le Ministre d 'Etat , que je rencontrai au matin du 3 juillet, adhéra d 'emblée à notre analyse et même à nos propositions.

Pour retrouver le fichier perdu ou, à défaut, établir ce qu'il était devenu, le concours de la Préfecture de Police nous était indispensable : sans lui nous ne pourrions trouver la réponse aux questions que nous nous posions. Il fallut du temps pour vaincre la défiance naturelle de toute institution peu pressée d 'entrouvrir ses archives, et convaincre les respon- sables que la Préfecture avait elle-même intérêt à

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faire toute la lumière pour dissiper les rumeurs et les fantasmes. Aux tout derniers jours de décembre 1992, M. le Préfet Verbrugghe m'adressait une lettre qui est reproduite en annexe (annexe 4) et me remettait un lot de photocopies de documents administratifs rela- tifs à la destruction en deux temps de la quasi-totalité des documents connus sous l'appellation de fichier de la Préfecture de Police, par application d'une cir- culaire du Ministre de l'Intérieur, Edouard Depreux, en date du 6 décembre 1946, prescrivant la destruc- tion de toutes les pièces fondées sur une discrimina- tion de caractère racial.

Une première opération avait eu lieu les 15 et 16 novembre 1948 qui portait sur 158 sacs d'un poids total de 6 890 kilos. La seconde, le 14 décembre 1949, concernait les dossiers et fichiers de l'ancien Service spécial des affaires juives, dont la destruction avait été différée en raison de leur utilisation par la Cour de justice et les tribunaux militaires dans la poursuite de faits de collaboration : la disparition des juridictions exceptionnelles et l'extinction des poursuites reti- raient sa justification à leur conservation ; ils pesaient au total 8 305 kilos. Seuls avaient été exceptés de la destruction les documents qui permettraient ulté- rieurement de répondre aux demandes de renseigne- ments en provenance de proches sur le sort des dispa- rus, et aussi de reconnaître le droit à réparation des victimes : ce sont ceux qui furent transmis au Minis- tère des Anciens Combattants et victimes de la guerre. Du coup s'expliquait la présence dans les archives de cette administration de ce fonds et sa composition restreinte aux déportés.

Les pièces communiquées par M. le Préfet de Police apportaient donc la réponse à deux questions : sur ce qu'était devenu le fichier correspondant au recensement d'octobre 1940 et sur les raisons de la présence de ces pièces au Ministère des Anciens Combattants. Elles emportaient notre conviction ; les

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pièces formaient, en effet, un ensemble complet sur les deux opérations, depuis les arrêtés de destruction pris par le Préfet de Police jusqu'aux procès-verbaux dressés par les Commissaires de police préposés à l'enlèvement, à la pesée, au transport, à la réception et au pilonnage des vieux papiers. Tout ce qui se rap- portait de près ou de loin au fichier avait donc disparu et n'avait pas, comme en courait la rumeur, été dissi- mulé.

Je rendis compte sur-le-champ de l'aboutissement de cette deuxième phase de notre recherche, laissant le Ministre juge de l'opportunité d'en rendre publiques les conclusions. M. Jack Lang opta pour la transparence et diffusa dans la journée du 30 décembre 1992 un communiqué qu'on trouvera en annexe. Je fus interrogé dans les vingt-quatre heures qui suivirent par toutes les stations de radio et les chaînes de télévision française, et aussi quelques étrangères. Je présentai aux caméras les photocopies de quelques-unes des pièces qui attestaient la destruc- tion.

On aurait pu espérer que les précisions données dissiperaient tous les doutes. Ce ne fut pas le cas : on se résigne mal à la vérité toute simple et il en faut plus pour désarmer les esprits soupçonneux. En outre, par une concomitance fortuite, la révélation et la présen- tation des preuves qui, en d'autres circonstances, auraient peut-être mis un terme à la controverse, se trouvèrent coïncider avec la sortie du livre écrit par une journaliste, Annette Kahn, sous le titre Le Fichier, auquel une préface ambiguë de Serge Klars- feld apportait sa caution. Si elle laissait deviner au lecteur au courant que Serge Klarsfeld n'ignorait pas que le fichier n'était pas ce qu'on croyait, pour le public non prévenu elle entretenait la version du fichier délibérément occulté et miraculeusement retrouvé. La controverse devait rebondir à plusieurs reprises, toute occasion étant bonne pour mettre en

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doute l'authenticité des preuves et suspecter notre probité, au motif que nous étions censés faire partie du cercle des historiens réputés officiels, certains ne reculant pas devant le rapprochement avec les histo- riens aux ordres du KGB.

Ainsi avions-nous pu, en six ou sept mois, établir que les fichiers retrouvés n'étaient pas celui de la Pré- fecture de Police lié au recensement d'octobre 1940, celui-ci ayant été détruit dans sa quasi-totalité qua- rante-cinq ans plus tôt. Certitudes toutes négatives. Notre tâche telle qu'elle avait été redéfinie n'était pas achevée pour autant. L'essentiel même restait à faire puisqu'il nous incombait de faire la lumière sur l'ensemble des documents résultant des recensements opérés dans les années 1940-1944. La suite appelait plusieurs développements. Etablir une chronologie aussi détaillée que possible de toutes les opérations de recensement effectuées tant en zone occupée que dans la zone Sud, ordonnées les unes par les autorités allemandes comme le recensement d'octobre 1940, les autres prescrites par le gouvernement de Vichy dans le cadre de sa législation antisémite. Identifier les fichiers constitués à l'occasion de ces opérations et qui pouvaient subsister sur tout le territoire national. Alors seulement nous serions en mesure de formuler des réponses pertinentes aux questions qui nous étaient posées.

Le changement survenu dans la composition des pouvoirs publics à la suite du renouvellement de l'Assemblée nationale par les élections des 23 et 30 mars 1993 et le renversement de majorité n'entraî- nèrent pas de modification dans la définition de notre mission ; quelque retard seulement, le temps d'attendre la reprise du dialogue avec les nouveaux responsables. Je pus obtenir une audience du nou- veau Ministre de la Culture, Jacques Toubon, aux derniers jours de juillet 1993, mais dans l'intervalle la

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question passait du Ministère de le Culture au Pre- mier Ministre. Une lettre de mission de M. Balladur, en date du 15 septembre 1993, (annexe 5), m'appor- tait la confirmation de notre mandat, mais l'élargissait considérablement puisqu'il s'étendait désormais à l'ensemble des questions juridiques et techniques posées par l'existence de fichiers établis au cours des quatre années de l'Occupation.

Il ne fallut pas moins de deux années et demie de travail, de prospections, pour remplir à peu près le programme qui nous était ainsi tracé. Encore sub- siste-t-il beaucoup d'incertitudes et sur plus d'un point on verra que nous en restons à des conjectures. Notre rapport aussi s'est étoffé considérablement. A la suite de ce bref rappel des faits qui ont jalonné l'existence et le travail de notre commission, on trou- vera une argumentation minutieuse sur la nature du fonds qui est à l'origine de toute l'affaire et de notre recherche, puis un historique des opérations de recen- sement effectuées entre 1940 et 1944, et des indica- tions sur les dépôts principaux où demeurent des documents ayant quelque rapport avec lesdites opéra- tions. Enfin, en conclusion, le texte des recommanda- tions qui nous avaient été demandées par les pouvoirs publics. Ainsi conçu, nous avons l'espoir que le travail accompli et le présent rapport apportent une contri- bution qui n'est pas négligeable à une meilleure connaissance d'un chapitre douloureux et des plus controversés de notre histoire récente.

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LES JUIFS : FICHÉS ET ARRÊTÉS

(1940 - 1944)

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RECOMMANDATIONS AU SUJET DU « FICHIER JUIF »

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Que nos investigations aient apporté des preuves assez fortes que le fonds d'archives pour lequel notre commission avait été invitée à formuler des recom- mandations n'est pas exactement ce qu'on avait pu croire ne nous dispense pas de faire des propositions sur sa conservation comme sur les conditions d'accès pour les chercheurs et les règles de communication. La nécessité n'en est même que plus pressante puisque notre mandat a été élargi à l'initiative de Monsieur le Premier Ministre, à l'ensemble des docu- ments établis durant l'Occupation sur une base discri- minatoire, que ce fût à l'initiative des autorités d'occupation ou de l'âtat français.

S'il n'est plus aussi indispensable qu'au lendemain de la présumée découverte de combattre la sugges- tion, qui fut alors faite, de le détruire au motif que sa conservation perpétuerait la discrimination introduite dans la législation, il n'est peut-être pas tout à fait inu- tile d'énoncer les raisons qui militent pour sa conser- vation : elles commandent en partie la réponse aux autres questions. Ces documents font partie de la mémoire de la nation qui doit assumer la totalité de son passé : il serait contradictoire, on en conviendra, d'exiger d'une part, à juste titre, que soit fidèlement entretenu le souvenir de la persécution dont les Juifs

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furent victimes entre 1940 et 1944 et de réclamer d'autre part la destruction des documents qui en apportent une preuve tangible : procéder à leur des- truction ne serait-ce pas faire le jeu des négationnistes de demain qui ne manqueraient pas de prendre acte de leur disparition pour nier la réalité des recense- ments opérés ?

Quant à la crainte de certains que ces collections de fiches ne puissent à nouveau resservir et nuire une seconde fois aux personnes fichées, si elle est compré- hensible, c'est oublier la vitesse à laquelle tout fichier se périme, à plus forte raison si la grande majorité de ceux dont les noms y figurent ont péri. S'il n'est donc plus indispensable de justifier le principe de la conser- vation de tels documents, l'idée que certains pour- raient néanmoins nourrir l'intention de les détruire ne peut être entièrement écartée : elle doit inspirer le souci de les entourer de toutes les garanties de protec- tion et de sécurité.

Alors, où les conserver ? La question ne se pose plus tout à fait dans les mêmes termes que lors de la constitution de la commission ; ce n'est pas seulement, ni même principalement, du fait de l'identification que nous en avons faite, car, pour ne pas être ce qu'on croyait, cet ensemble de documents ne mérite pas moins de susciter émotion et intérêt. Mais un des résultats de notre longue investigation fut de révéler, ou de rappeler, que des documents de ce type, il y en avait, épars en toute sorte de dépôts et qu'il n'est guère concevable de les rassembler de partout en un lieu unique. Il ne nous semble donc pas qu'il y ait lieu de déroger à la législation sur les archives qui prévoit de conserver les documents là où les administrations publiques sont tenues de les verser.

Nous ne saurions pourtant oublier que, si les pou- voirs publics ont pris l'initiative de consulter une commission, c'est parce qu'ils étaient saisis alors d'une demande de certaines organisations juives, et

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reprise par la commission nationale Informatique et libertés sur proposition d'une sous-commission prési- dée par M. le sénateur Henri Caillavet, qui tendait à remettre le fonds en question au Centre de docu- mentation juive contemporaine ou à le déposer au Mémorial juif à titre symbolique. Nous n'entendons pas nous dérober à la question.

Au terme de notre enquête, et après en avoir long- temps délibéré, nous ne pensons pas qu'il faille faire droit à pareille demande : ces documents ont leur place comme tout autre aux Archives nationales. Notre position ne se fonde pas seulement sur l'absence de précédent ni sur le fait qu'un tel cas n'est pas prévu par le législateur qui a confié expressément aux Archives de France la collecte et la conservation de tous documents publics. Et pourtant la crainte n'est pas imaginaire qu'un tel transfert puisse susciter des revendications de même nature de la part d'autres composantes de la société française, partis, familles spirituelles, qui se jugeraient pareillement fondées à réclamer pour les conserver les documents attestant des persécutions subies du pouvoir politique (protes- tants après l'Edit de Fontainebleau, victimes de la guerre de Vendée, congrégations chassées de France, communistes pourchassés après la dissolution du parti et la déchéance des parlementaires, etc.). On objecte- rait certes à ces rapprochements que le sort infligé aux Juifs français ou étrangers, tant par application des statuts promulgués par le gouvernement de Vichy que dans le cadre de la politique d'extermination sys- tématique pratiquée par le I I I Reich, n'ayant pas d'équivalent dans l'histoire sa spécificité justifierait un traitement particulier pour les documents qui en portent la trace. Mais la reconnaissance solennelle par Monsieur le Président de la République de la part de responsabilité assumée par l'âtat dans l'exécution du plan d'extermination des Juifs n'est-elle pas une rai- son de plus d'en conserver les traces et les preuves

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dans les archives publiques ? Une considération qui a contribué à fonder notre conviction et dont nous avions déjà rencontré l'expression dans des corres- pondances de personnes ayant été elles-mêmes recen- sées alors ou de leurs enfants, était le refus de subir une seconde ségrégation après la discrimination phy- sique qui leur avait été imposée. On demande à juste titre qu'il soit rappelé que ce crime fait partie de notre histoire : pour cette raison les documents qui l'attestent et qui font partie de notre patrimoine national doivent demeurer aux lieux et dans les bâti- ments de l'institution dont c'est depuis des siècles la vocation de conserver tout ce qui est la mémoire de la nation.

Pour faire droit à la considération du caractère spé- cifique de ces documents la Commission recommande expressément que les fichiers soient conservés dans un local aménagé à cet effet au cœur du centre histo- rique des Archives nationales, à Paris.

Dans le même esprit, compte tenu de la nature par- ticulière de ces documents et pour répondre au désir légitime de détenir des signes tangibles du traitement inique infligé aux juifs, la Commission suggère à titre exceptionnel le dépôt d'un certain nombre de fiches au Mémorial juif.

Enfin en attendant que ces documents puissent être librement consultés dans les délais prévus par le légis- lateur, des microfilms pourraient être déjà réalisés pour être remis au Centre de documentation juive contemporaine.

D'ici là les personnes concernées ou leurs ayant droit continueraient d'obtenir la libre communication et la reproduction des fiches les concernant, comme au temps où ces archives étaient gérées par un service du Ministère des Anciens Combattants et, depuis juin 1992, par les Archives nationales, aux deux fins qui avaient justifié qu'ils fussent exceptés de la destruc- tion générale ordonnée en 1948 et 1949, à savoir ren-

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seigner les familles sur le sort des disparus et per- mettre de reconnaître les droits des victimes à réparation.. D'autre part l'autorisation pourrait être accordée par le Directeur des Archives de France à des chercheurs qualifiés de consulter ces documents dans le cadre des dérogations prévues aux fins de recherche en application du décret n° 79-1038 du 3 décembre 1979 relatif à la communication des archi- ves publiques.

Si l'ensemble de ces propositions qui ne contre- viennent pas à l'esprit de la législation sur les archives publiques et qu'inspire le désir de satisfaire à de légi- times exigences étaient retenues, les membres de la Commission ont quelque espoir que s'apaise l'émo- tion bien compréhensible qu'avait soulevée naguère la rumeur qu'on avait retrouvé un fichier qui aurait été sciemment dissimulé, puisqu'on aurait l'assurance que ces documents seront conservés dans les meil- leures conditions pour assurer la mémoire de crime abominables.

POSITION DE MONSIEUR JEAN KAHN

Si l'ensemble de ces recommandations a son assen- timent, sur un point Monsieur Jean Kahn exprime sa divergence : il demande expressément que le lieu spé- cifique prévu pour accueillir les documents précités soit une enclave des Archives Nationales dans les locaux du Centre de documentation juive contempo- raine.

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Cet ouvrage a été réalisé par la SOCIÉTÉ NOUVELLE FIRMIN-DIDOT (Mesnil-sur-l'Estrée)

pour le compte de LA LIBRAIRIE PLON

Achevé d'imprimer en juillet 1996

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Imprimé en France Dépôt légal : juillet 1996

N° d'édition : 12620 - N° d'impression : 35250

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"Rien ne manque à ce qu'on pourrait qualifier, si le sujet n'était pas si grave et si douloureux, de roman- feuilleton politico-administratif : à la tradition quasi séculaire du secret ont succédé des demi-vérités, aux- quelles se sont surajoutées des erreurs d'appréciation, relayées par une surmédiatisation, dans un climat deve- nu passionnel." Grâce à ce travail de recherche exemplaire, mené pen- dant quatre ans selon les méthodes éprouvées des his- toriens, la commission a pu à la fois établir l'historique de la persécution des juifs entre 1940 et 1944, celui des avatars administratifs des fichiers et des enjeux de mémoire qu'il implique encore aujourd'hui.

La commission, présidée par René Rémond, compre- nait Jean-Pierre Azéma, Chantal Bonazzi, Jean Kahn, André Kaspi, Paule René-Bazin.

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