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Le développement durable Le développement durable Le développement durable Le développement durable : : : : un nouveau contrat social un nouveau contrat social un nouveau contrat social un nouveau contrat social ? A la veille de la Conférence de Rio+20, un arrêt prolongé sur le concept de développement durable nous a paru nécessaire. Concept économique, social et environnemental : tout un programme ! Mais vingt ans après la première Conférence de Rio, le temps presse et en même temps on ne sait pas toujours de quoi on parle, ni où en est-on exactement. Les responsabilités des pays industrialisés et des pays de l’hémisphère Sud liées aux impacts environnementaux des modes de production et de consommation ne sont pas les mêmes. Les moyens à disposition pour y remédier non plus. Une économie verte doit inclure une dimension sociale, démocratiser l’économie. Une régulation des marchés en fonction d’objectifs sociaux en est le corollaire. On peut aussi s’inspirer des pratiques développées par le secteur de l’économie sociale. Afin qu’un partage équitable se fasse, une solidarité entre les peuples est indispensable. Au sein des parties prenantes impliquées, des composantes de la société civile doivent être davantage prises en compte. Les ONG, les syndicats, les producteurs fermiers, les femmes, les jeunes, les populations indigènes en font partie. Une meilleure gouvernance du développement durable signifie aussi s’appuyer sur une démocratie plus participative. A côté d’un modèle de démocratie qui repose sur le vote, des forums participatifs se développent autour de la notion de bien commun, de justice sociale. La question de l’équité sociale est aussi essentielle pour que viabilité économique et respect de l’environnement portent la marque des populations impliquées. Quatre analyses thématiques offrent des outils de compréhension et formulent un défi pour l’avenir : « Le développement durable : un nouveau contrat social » ? Le développement durable : le concept d’un monde en mutation ? Le « développement durable » est un concept dont on parle sans toujours pouvoir le cerner. Ce qui fait à la fois son succès et son imprécision, pose la question de sa mise en œuvre. Concept complexe pour un monde qui ne l’est pas moins ? A la mode et donc récupéré ? Venu 15 ans trop tard ou 50 ans trop tôt ? Quelle est son évolution depuis la Conférence de Rio de 1992 ? Quels sont les enjeux environnementaux et sociaux à la veille de Rio+20 ? C’est à ces quelques questions que l’analyse « Le développement durable : le concept d’un monde en mutation » veut répondre. Développement durable : ne perdons pas le Sud ! Dans l’hémisphère Sud les effets de notre développement se font durement sentir. Une grande part de la responsabilité incombe aux pays développés. Comment remédier à cette injustice ? Si la Conférence de Rio veut allier durabilité et équité il faudra modifier les textes préparatoires qui sont sur la table. Quel rôle Oxfam peut-il jouer ? Point de mesures cosmétiques mais structurelles, fortes, à la mesure des enjeux. Quels sont les futurs Objectifs du développement durable promis pour l’après Rio ? Sans oublier les Objectifs du millénaire non encore accomplis ? Les exemples montrent que si nous n’opérons pas un virage à 180° nous risquons de perdre le Sud ! Questions traitées dans cette analyse pour plus de solidarité. Vers une économie « verte »… et sociale ? L’économie verte est l’un des deux thèmes majeurs à l’agenda de la Conférence de Rio+20. Développer des filières vertes n’est pas hors de portée ni même de prix. Quelles opportunités sont à saisir ? Comment découpler croissance économique et utilisation des ressources naturelles ? Créer de nouveaux indicateurs économiques ? Mais pour être plus juste, la transition vers une économie « verte » doit être aussi sociale. Emplois verts en accord avec les critères d’un travail décent ? Le secteur de l’économie sociale, une expérience éco-systémique de laquelle s’inspirer ? Grilles d’analyse et exemples concrets seront donnés.

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Le développement durableLe développement durableLe développement durableLe développement durable : : : :

un nouveau contrat socialun nouveau contrat socialun nouveau contrat socialun nouveau contrat social ???? A la veille de la Conférence de Rio+20, un arrêt prolongé sur le concept de développement durable nous a paru nécessaire. Concept économique, social et environnemental : tout un programme ! Mais vingt ans après la première Conférence de Rio, le temps presse et en même temps on ne sait pas toujours de quoi on parle, ni où en est-on exactement. Les responsabilités des pays industrialisés et des pays de l’hémisphère Sud liées aux impacts environnementaux des modes de production et de consommation ne sont pas les mêmes. Les moyens à disposition pour y remédier non plus. Une économie verte doit inclure une dimension sociale, démocratiser l’économie. Une régulation des marchés en fonction d’objectifs sociaux en est le corollaire. On peut aussi s’inspirer des pratiques développées par le secteur de l’économie sociale. Afin qu’un partage équitable se fasse, une solidarité entre les peuples est indispensable. Au sein des parties prenantes impliquées, des composantes de la société civile doivent être davantage prises en compte. Les ONG, les syndicats, les producteurs fermiers, les femmes, les jeunes, les populations indigènes en font partie. Une meilleure gouvernance du développement durable signifie aussi s’appuyer sur une démocratie plus participative. A côté d’un modèle de démocratie qui repose sur le vote, des forums participatifs se développent autour de la notion de bien commun, de justice sociale. La question de l’équité sociale est aussi essentielle pour que viabilité économique et respect de l’environnement portent la marque des populations impliquées. Quatre analyses thématiques offrent des outils de compréhension et formulent un défi pour l’avenir : « Le développement durable : un nouveau contrat social » ?

Le développement durable : le concept d’un monde en mutation ? Le « développement durable » est un concept dont on parle sans toujours pouvoir le cerner. Ce qui fait à la fois son succès et son imprécision, pose la question de sa mise en œuvre. Concept complexe pour un monde qui ne l’est pas moins ? A la mode et donc récupéré ? Venu 15 ans trop tard ou 50 ans trop tôt ? Quelle est son évolution depuis la Conférence de Rio de 1992 ? Quels sont les enjeux environnementaux et sociaux à la veille de Rio+20 ? C’est à ces quelques questions que l’analyse « Le développement durable : le concept d’un monde en mutation » veut répondre.

Développement durable : ne perdons pas le Sud ! Dans l’hémisphère Sud les effets de notre développement se font durement sentir. Une grande part de la responsabilité incombe aux pays développés. Comment remédier à cette injustice ? Si la Conférence de Rio veut allier durabilité et équité il faudra modifier les textes préparatoires qui sont sur la table. Quel rôle Oxfam peut-il jouer ? Point de mesures cosmétiques mais structurelles, fortes, à la mesure des enjeux. Quels sont les futurs Objectifs du développement durable promis pour l’après Rio ? Sans oublier les Objectifs du millénaire non encore accomplis ? Les exemples montrent que si nous n’opérons pas un virage à 180° nous risquons de perdre le Sud ! Questions traitées dans cette analyse pour plus de solidarité.

Vers une économie « verte »… et sociale ? L’économie verte est l’un des deux thèmes majeurs à l’agenda de la Conférence de Rio+20. Développer des filières vertes n’est pas hors de portée ni même de prix. Quelles opportunités sont à saisir ? Comment découpler croissance économique et utilisation des ressources naturelles ? Créer de nouveaux indicateurs économiques ? Mais pour être plus juste, la transition vers une économie « verte » doit être aussi sociale. Emplois verts en accord avec les critères d’un travail décent ? Le secteur de l’économie sociale, une expérience éco-systémique de laquelle s’inspirer ? Grilles d’analyse et exemples concrets seront donnés.

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Pour une meilleure gouvernance du développement durable ? Un échec du Sommet de la Terre Rio+20 remettrait en cause le travail entrepris depuis 1992 ainsi que les Nations unies. Or la gouvernance du développement durable est à l’agenda de la conférence. Mais comment s’y retrouver dans les institutions et programmes des Nations unies qui couvrent le développement durable ? Quelles réformes engager pour plus d’efficacité et de transversalité ? Au-delà des institutions se pose la question de la résilience des populations face aux chocs environnementaux. Mais aussi de la régulation des marchés que les ONG demandent. Une question de gouvernance au sens large. Plutôt mondiale ou polycentrique ? Comment mieux associer la société civile dans les débats ? Exemples de nouvelles formes d’expression démocratique à l’appui.

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Le développement durableLe développement durableLe développement durableLe développement durable : le concept d’un : le concept d’un : le concept d’un : le concept d’un

monde en mutationmonde en mutationmonde en mutationmonde en mutation ???? L’expression « développement durable » apparaît pour la première fois dans un document de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), au début des années 80. Le Rapport Brundtland, au nom plus évocateur de « Our common future » (Notre avenir à tous)1, publié en 1987, va populariser le concept. Il parle d’un « mode de développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », qui permet de « satisfaire les besoins humains fondamentaux et d’améliorer le niveau de vie pour tous, tout en protégeant et gérant mieux les écosystèmes et assurant un avenir plus sûr et plus prospère ». La notion a de quoi séduire car elle répond à une vision holistique qui réunit des critères à la fois environnementaux, économiques et sociaux. En outre, elle s’inscrit dans une vision pérenne, éco-systémique et inclut la notion de participation. C’est aussi un concept né internationalement. A sa suite, lors de la Conférence de Rio, de 1992, sous l’égide des Nations Unies, la Déclaration de Rio et Action 21 définit 27 principes de développement durable et un programme d’action participatif dans une quarantaine de domaines, mieux connu sous le nom d’Agenda 212. Par ailleurs, des liens se tissent entre la lutte contre les changements climatiques et l’objectif de développement durable, puisque la Convention-cadre sur le climat de 1992 a été élaborée en même temps que la préparation de Rio en 19923. Le Sommet de la terre de juin prochain, à Rio, portera à nouveau sur le développement durable. Mais qu’en est-il du concept 20 ans après ?

Un concept complexe Le développement durable est indissociable de la cause environnementale, mais pas uniquement. Les impacts sur l’environnement de nos modes de production et de consommation, la perte de la biodiversité, le renchérissement des matières premières, le changement climatique, ont contribué, dans la deuxième partie du 20ème siècle, à attirer l’attention sur un modèle de développement industriel dommageable pour l’environnement. Néanmoins, scientifiques, philosophes, sociologues, économistes et « créateurs culturels » ont apporté leur touche personnelle, transformant le concept en autant de savoirs et de courants de pensée, dépassant la question environnementale stricto sensu. Du point de vue philosophique, le concept a eu une évolution parallèle à celui de la modernité. Après une première modernité, issue de la philosophie de Descartes puis des Lumières, se fondant sur le rationalisme et le progrès scientifique puis technique, apparaît une seconde modernité. Celle-ci voit l’autoréflexion, la conscience de la « société du risque »4, d’un « progrès définalisé » 5 (les fins disparaissant au profit des moyens). Le découplage entre croyance dans le progrès et épanouissement de l’individu. L’autocritique, issue elle aussi de l’esprit des Lumières, touche ainsi le progrès, la maîtrise par les gouvernants des instruments de la démocratie : « plus personne ne sachant à vrai dire, si le développement en tant que tel, c’est-à-dire à l’accroissement de la puissance instrumentale, procure aux hommes davantage de bonheur et de liberté ».6 « Les enjeux du développement durable sont tout à la fois profondément personnels et amplement collectifs »7. Dans une société de réseaux, d’économie interconnectée, d’institutions reliées à différents niveaux de compétence et de dimension géographique, les données sont de plus en plus systémiques,

1 Rapport de la Commission mondiale sur le développement et l’environnement de l’ONU, présidée par Madame Gro Harlem Brundtland, Avril 1987. http://fr.wikisource.org/wiki/Rapport_Brundtland 2 Déclaration de l’environnement et du développement, Juin 1992. http://www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm 3 Le climat, un équilibre, Michel Mousel, in Les nouveaux utopistes du développement durable, Autrement, 2005, p. 190 4 Voir : La Société du risque, Ulrich Beck, 1986, version française 2001 5 Le progrès en est-il un ?, Luc Ferry, in Les nouveaux utopistes du développement durable, sous la direction d’Anne-Marie Ducroux, Autrement, 2005, p. 255 6 Le progrès en est-il un ?, ibid, p. 255 7 Rendre la vie possible, Anne-Marie Ducroux, in Les nouveaux utopistes du développement durable, Autrement, 2005, p. 191

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globalisantes ou éclatées et contradictoires. En même temps, l’épuisement des ressources mais aussi la recherche de nouveaux modèles de société concourent au sentiment de finitude et d’incertitude. Ce qui induit prise de responsabilité et principe de précaution mais pose aussi la question des priorités : « L’équivalence monétaire met sur le même plan l’essentiel et l’insignifiant 8». Dans ce contexte, le développement durable apparaît comme un concept qui incarne la complexité du monde. Ce qui fait à la fois son succès et son imprécision ; ce qui explique aussi les difficultés de mise œuvre. La transversalité de l’approche tranche avec la vision sectorielle dominante. De plus, se combinent une solidarité synchronique (sociale) et diachronique (avec les générations futures) qui jouent sur les repères spatio-temporels. Enfin, aux piliers traditionnels du développement durable (économique, social et environnemental), certains ajouteraient bien un pilier « culturel », dimension importante pour évaluer, par exemple, les projets d’autres cultures que la nôtre. Le développement durable, enjeu de communication ? « Il existe aussi de l’indifférence par méconnaissance de ses enjeux, ainsi que du scepticisme pour une notion perçue par certains comme un enjeu de communication »9. Le terme anglais « sustainable » (soutenable, viable) est de surcroît plus explicite que le terme français « durable ». En raison de sa complexité, certains lui préfèrent, le terme d’« environnement », plus délimité et accessible. Enfin, aux yeux de certains, le consensus qui prévaut aujourd’hui autour du développement durable nie les intérêts contradictoires entre travail et capital, l’aspect conflictuel entre dominés et dominants. Le développement durable serait un concept inventé dans les pays développés et assimilé à la croissance économique, accompagnée de certaines conditions sociales et environnementales, le moins en rupture avec les présupposés politiques et idéologiques dominants.

Un concept en évolution Le développement durable est issu de plusieurs initiatives internationales et de mouvements qui ont remis en cause les modèles de société. La deep ecology, par exemple, mettait en cause l’anthropocentrisme occidental et déboucha sur la revendication de droits de la nature. Le Sommet de Stockholm, de 1972, traitait de l’environnement et a changé l’organisation des grandes conférences internationales puisque des activités parallèles furent un lieu d’expression pour la société civile. Le Sommet de Rio en 1992 a associé environnement et développement. Grâce à l’existence d’un forum parallèle, la conférence a été très médiatisée. Les conventions signées et les institutions de l’environnement créées à la suite ont fourni un premier cadre international. En 2002, le Sommet de Johannesbourg a confirmé les objectifs de développement durable et a intégré davantage les entreprises dans la démarche. Le dernier quart du 20ème siècle a permis de mieux connaître le fonctionnement de la biosphère, les phénomènes liés au changement climatique, l’épuisement des ressources naturelles. Depuis le début du 21

ème siècle, se pose davantage la question de la mise en œuvre des principes et objectifs déterminés

lors des premiers Sommets de la Terre. D’ailleurs, au vu des enjeux planétaires cruciaux, il est plus que temps d’établir un plan chiffré, un agenda et un échéancier. Certains profitent du fait qu’on ne sache pas exactement de combien les températures et les océans monteront ni avec précision les effets différenciés selon les régions pour remettre à plus tard ce qu’on aurait déjà dû faire hier ! Or nous avons suffisamment de données pour avancer : orienter la recherche agricole vers les caractéristiques du futur climat, prévoir que le paludisme deviendra endémique dans certaines régions d’Afrique australe d’où il était auparavant absent.10 Depuis la crise financière puis économique de 2008, on observe une frilosité accrue vis-à-vis des changements structurels nécessaires. Les séances préparatoires au Sommet de Rio+20 ont même vu certains pays revenir sur certains droits humains comme le droit à l’alimentation, le droit à l’eau potable et

8 William Rees, cité par Anne-Marie Ducroux, ibid. p.11 9 Anne-Marie Ducroux, ibid. p. 17 10 Le développement durable, une nécessité pour les pays du Sud, P. Jacquet et J. Loup, Regards sur la Terre 2009, p. 188

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à l’assainissement et le droit au développement. Certains vont jusqu’à remettre en cause les principes de Rio de 1992 tels que le « principe pollueur-payeur », le « principe de précaution » et la « responsabilité commune mais différenciée » (RCMD) des pays les plus développés11. Du côté de la perte de la biodiversité, la cible que le monde s’était donné pour 2010 ne s’est pas concrétisée non plus. Or près de 17 000 espèces végétales et animales risquent l’extinction. On ne s’est pas attaqué suffisamment à ses causes (aménagement du territoire, agriculture industrialisée, standardisation de la consommation, perte d’habitat, espèces invasives, pollution et changement climatique), alors que des milliards de personnes dépendent directement de la biodiversité pour leur survie. Il est vrai que, parallèlement aux Sommets de la Terre, s’affirmait, dans les années 1990, une tendance peu encline au développement durable. « Historiquement nous sommes arrivés avec ce concept et cette conscience ou quinze ans trop tard, ou cinquante ans trop tôt, parce que cela coïncidait avec la contre-évolution néolibérale prônant la déréglementation des Etats. Enfin, la fin de la guerre froide a considérablement diminué l’intérêt des pays industrialisés pour le développement du tiers-monde, et la mondialisation a changé les règles du jeu 12». C’est cette tendance conservatrice qui se rappelle à nous, à la veille du Sommet de juin. Néanmoins, les partisans du développement durable préparent une société « en transition ». Des conditions préalables sont évoquées. « L’efficacité des stratégies de transition dépendra du degré d’audace dans les changements institutionnels, de l’habileté à définir des politiques multidimensionnelles et de la capacité à réorienter les progrès techniques13».

Dates clés du développement durable 1951 : L’Union internationale pour la conservation de la nature publie un rapport préoccupant des liens entre l’économie et l’écologie. 1960 : Les Nations Unies font de la décennie 1960 celle du « développement » et adoptent le principe d’une aide publique au développement égale à 1% des PIB. 1972 : Publication du premier rapport du Club de Rome, The Limits of Growth intitulé en français Halte à la croissance qui attire l’attention sur la pollution et l’épuisement des ressources en matières premières. 1972 : Première conférence des Nations Unies sur l’environnement et création du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement). 1980 : L’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) publie un document où apparaît pour la première fois la notion de développement durable : Stratégie mondiale de la conservation. 1987 : Rapport Brundtland : Notre avenir à tous. 1992 : Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (CNUED) et création de la Commission mondiale du développement durable 1997 : 19ème session spéciale / Nations Unies : Programme d’implémentation de l’Agenda 21 2002 : Sommet mondial du développement durable à Johannesbourg 2006 : Rapport Stern sur le coût financier du changement climatique et la nécessité de limiter les GES (gaz à effet de serre) 2009 : Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies (A/RES/64/236) d’organiser une conférence en 2012 autour de l’économie verte et de la gouvernance du développement durable

« Agir local, penser global » ? Dès 1972, la double proposition « agir local, penser global » établit un lien entre les initiatives à développer sur le terrain et une conception globale du développement. Il peut s’agir du développement d’un agenda 21 au niveau de la commune, de l’installation citoyenne d’une éolienne, d’un groupe d’achat commun de quartier pour la vente de légumes et de fruits ou d’un système de location de vélos ou de voitures à partager… Le lien entre projet et territorialité est important. Ce qui n’empêche une vision

11 Newsletter Switch 12, ANPED http://us2.campaignarchive2.com/?u=19d3da1852472c315fcece5dd&id=e08037f064&e=5e1afe99d7 12 Une civilisation de l’être, Entretien avec Ignacy Sachs, in Les nouveaux utopistes du développement durable, sous la direction d’Anne-Marie Ducroux, Autrement, 2005, p. 36 13 Une civilisation de l’être, Ignacy Sachs, in Les nouveaux utopistes du développement durable, Autrement, p.28

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globale d’un développement inclusif. Toute la question est l’articulation entre le niveau global et le niveau local, en raison des approches respectives différentes. D’autre part, selon qu’on se place dans une vision universelle du concept ou qu’on tienne compte des niveaux de développement, la dimension sera tantôt qualitative, tantôt quantitative. Même s’il n’y a pas d’exclusive, dans les pays industrialisés les préoccupations sont davantage liées au cadre de vie ou au coût des ressources, tandis que dans des pays moins développés la priorité est liée à l’accès même des ressources ou des services puis du coût et des modalités. Le développement durable est inscrit dans nombre de documents officiels, nationaux et internationaux, européens depuis 1997, dont le Traité de Maastricht, mais c’est un concept difficile à définir sur le plan juridique. Traduire ce concept complexe dans le corpus des textes, lui donner la plénitude de ses effets juridiques, dont une valeur contraignante, n’est pas chose aisée. C’est d’ailleurs l’une des difficultés que rencontrent ceux qui veulent appliquer les principes établis lors des grandes conférences internationales comme celle de Rio. « A défaut d’un contenu explicite, le développement durable apparaît plus comme un ensemble d’objectifs que comme un ensemble de normes créant des obligations et des droits14 ». Or, la règle de droit exige rigueur du champ d’application, précision des objectifs, définition des compétences et des moyens. Les différents niveaux de législation compliquent encore la donne. « La question est alors posée de la pertinence d’une codification unique qui rendrait plus effectifs les objectifs d’un développement durable qui sont eux-mêmes multiples, extensifs et relèvent d’approches globalisantes et transversales 15».

Un concept à la mode, donc récupéré ? Depuis son apparition, le développement durable a été de plus en plus utilisé dans les médias de masse, pour décrire des projets ou des objets en lien avec l’environnement, jusqu’à récupérer le concept à des fins mercantiles. Le marketing durable s’est développé en tirant profit de l’intérêt des consommateurs pour la nature, le bien être, la santé mais aussi des images d’Epinal fleurant « le bon vieux temps ». Un peu comme le fairwashing pour les produits qui surfent sur la vague équitable, le greenwashing est passé par là (publicités « durables » sur l’énergie, les voitures, les détergents, l’alimentation, le tourisme …). « Le développement durable ne fera pas long feu s’il est « récupéré » ; il risque de rejoindre la cohorte des désillusions si les investissements d’image sont plus substantiels que les renversements de comportement qu’il devrait inspirer16 ». Les dérives peuvent même aller jusqu’à la publicité mensongère comme ce fut le cas de Shell et de Monsanto, multinationales condamnées il y a quelques années par la justice pour avoir induit les consommateurs en erreur. Consommateurs sur lesquels on fait peser une responsabilité individuelle alors que la question est plus large : « cette approche présente la faiblesse de donner l’impression que, face à une problématique globale et complexe comme le changement climatique ou la volatilité des cours des matières premières agricoles, il suffit d’agir en tant que consommateur ou qu’il n’est pas possible d’agir autrement qu’en tant que consommateur ».17

La notion de participation Si on représentait le développement durable au moyen d’une construction sur plusieurs piliers, chacun représenterait un domaine d’application, en l’occurrence environnemental, social et économique. Si on devait ajouter un soubassement à la construction, ce serait la notion de participation. En effet, le concept

14 Le développement durable saisi par le droit, Jocelyne Dubois-Maury, in Le développement durable : approches plurielles, sous la direction d’Yvette Veyret, Hatier, 2005, p. 43 15 Le développement durable saisi par le droit, ibid. p. 53 16 Une aspiration de vérité, Patrick d’Humières, in Les nouveaux utopistes du développement durable, sous la direction d’Anne-Marie Ducroux, Autrement, 2005, p. 121 17 Des coopératives pour démocratiser l’économie, François Graas, Oxfam-Magasins du monde, Janvier 2012, p.16 : http://www.oxfammagasinsdumonde.be/wp-content/uploads/2012/03/2012-des-cooperatives-pour-democratiser-l-economie.pdf

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de développement durable n’est pas apparu à n’importe quel moment de l’Histoire, mais bien après la conquête de droits sociaux et humains, la liberté d’expression, la contre culture… L’idéal poursuivi est donc un développement qui soit porté par le plus grand nombre pour le plus grand nombre. « Le développement durable ne se décrète pas, il se construit en commun. Nul n’en est propriétaire ; ni les économistes, ni les écologistes, ni les ingénieurs, ni les sociologues ou les politiques. C’est grâce à une démarche de concertation que, véritablement, les projets d’infrastructure, de territoire se construisent sur des bases durables ».18 Les Agenda 21 offre un bon exemple d’exercice démocratique, pour une amélioration continue sur un territoire donné. Certains projets collectifs de développement d’énergies renouvelables, dans des villages de pays en développement, reposent sur le même principe. La participation de la société civile aux grandes conférences internationales sur l’environnement illustre la même tendance.

Indicateurs du développement durable La question des indicateurs, pour quantifier ou qualifier le développement durable, se pose aux politiques et experts mais concerne aussi la société civile. En effet, il s’agit d’objets scientifiques construits soumis à des exigences parfois difficilement compatibles : la rigueur scientifique, l’efficacité politique et la légitimité démocratique. De plus, en Belgique, « la nouvelle structure institutionnelle a pour effet que les trois piliers du développement durable (économique, social et environnemental) relèvent de la compétence de pouvoirs publics différents »19. Au niveau des futures négociations du Sommet de Rio, il sera important d’avoir une base commune pour évaluer enjeux et résultats. L’Union Européenne donne une base d’indicateurs clés par thème. Aux pays membres, s’ils le souhaitent, d’assortir cette base d’autres indicateurs. Indicateurs du développement durable pour l’Union Européenne (2011) http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/sdi/indicators

Thème Indicateurs clés

Développement socio-économique

PIB réel par tête, croissance et totaux

Consommation et production durable

Productivité des ressources

Inclusion sociale Population à risque de pauvreté ou d'exclusion

Changements démographiques

Taux d'emploi des personnes âgées

Santé publique Nombre d'années de vie en bonne santé et espérance de vie à la naissance, par sexe

Changement climatique et énergie

Émissions de gaz à effet de serre, Kyoto année base Part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie

Transport durable Consommation énergétique des transports par rapport au PIB

Ressources naturelles Indice des oiseaux communs Prises de poissons sur les stocks en dehors des limites biologiques sécurité: Etat des stocks de poissons gérés par l'UE dans le Nord-Est de l’Atlantique

18 Concertés parce que concernés…, J.-M. Simon, in Les nouveaux utopistes du développement durable, sous la direction d’Anne-Marie Ducroux, Autrement, 2005, p. 59 19 Avis sur les indicateurs de développement durable, approuvé par l’assemblée générale du 16 avril 2005, Conseil Fédéral du Développement Durable (CFDD) : http://www.frdo-cfdd.be/DOC/pub/ad_av/2002/2002a03f.pdf

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Thème Indicateurs clés

Partenariat global Aide publique au développement proportionnellement au revenu national brut

Bonne gouvernance pas d'indicateur clé

Ne pas oublier les droits humains ! Les critères environnementaux et économiques du développement durable ne doivent pas faire oublier « la réalisation de tous les droits de l’homme (civils, politiques, économiques, sociaux et culturels), la préservation de l’environnement n’en étant qu’une des conditions20 ». La primauté des Droits de l’Homme sur les conventions internationales, notamment marchandes n’est pas consacrée. La prééminence de la nature sur l’homme réapparaît non sans étonner certains. « C’est là la raison pour laquelle très logiquement, le terme de besoins a été préféré à celui de droits : les droits supposent de penser la prééminence de l’être humain sur le monde naturel ; le terme de besoins, à l’inverse, réinscrit l’homme dans la naturalité (…), et pourrait mettre en danger l’une des avancées essentielles de ces 50 dernières années : la reconnaissance de l’égalité en dignité de tous les êtres humains 21». Le principe 1 de la déclaration de Rio 1992 stipule que « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable ». Or quand on parle de développement durable, les changements climatiques ou l’économie « verte » sont plus souvent au devant de la scène que les droits humains. D’autre part, « on peut s’interroger sur le soudain engouement des entreprises pour le développement durable, alors qu’elles ont toujours refusé de se sentir liées par des normes internationales en matière de droits de l’homme 22». Les conséquences sociales des fléaux environnementaux (pollution, inondations, insécurité alimentaire, désertification, épuisement des stocks halieutiques…) sont très importantes. Déplacements massifs de populations, inégalité croissante en matière d’accès aux ressources naturelles et énergétiques, conséquences sur la santé du manque d’eau au niveau de la planète sont, parmi d’autres, les effets sur les populations de phénomènes « naturels ». Une bonne approche doit lier durabilité et équité tandis que les solutions pour être efficaces doivent être adaptées à chaque contexte. Le rapport sur le développement humain 2011 du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), part du constat que « l’équité, l’autonomisation et la durabilité favorisent la multiplication des choix accessibles aux personnes »23. Il s’agit d’abord de justice distributive. La privation d’eau, d’énergie ou de terres à cultiver sera plus marquée au sein des populations multi-dimensionnellement pauvres. La résilience des populations face aux catastrophes naturelles dépendra également du niveau de développement des pays où elles se produisent. Si la moyenne des niveaux de vie a augmenté « l’inégalité s’accroît en même temps que la richesse » 24. De plus, non seulement l’inégalité touche les revenus mais l’insécurité s’y ajoute, puisque 5,3 milliards de personnes n’ont accès à aucune couverture sociale25. Des synergies intéressantes entre durabilité et équité sont à développer. Il est possible de réaliser des systèmes décentralisés hors réseau pour fournir des services énergétiques aux ménages pauvres. Leur mise en place aurait un impact minimal sur le climat et les finances. On estime que la fourniture de services énergétiques de base à tout le monde n’augmenterait que de 0,8% les émissions de CO2 compte tenu des engagements politiques généraux adoptés26.

20 A la recherche des droits perdus, A.-C. Habard et M. Guiraud, in Les nouveaux utopistes du développement durable, sous la direction d’Anne-Marie Ducroux, Autrement, 2005, p. 239 21 Ibid. p.241 22 Ibid. p.240 23 Rapport sur le développement humain 2011 : Durabilité et équité : Un meilleur avenir pour tous, PNUD http:// hdr.undp.org/fr/rapports/mondial/rdh2011/resume/ 24 Métamorphose, René Passet, in Les nouveaux utopistes du développement durable, sous la direction d’Anne-Marie Ducroux, Autrement, 2005, p. 278 25 Emplois verts : Pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone, Messages politiques et principales conclusions à l’intention des décideurs, PNUE, 2008, p.9 : www.ilo.org 26 Rapport sur le développement humain 2011 : Durabilité et équité : Un meilleur avenir pour tous, PNUD http://hdr.undp.org/fr/rapports/mondial/rdh2011/resume/synergies/

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Les problèmes environnementaux ont plusieurs caractéristiques qui nous mettent dans une situation inconnue jusqu’à maintenant et que nous avons de la peine à cerner. L’imprévisibilité des phénomènes, leur invisibilité parfois, « les risques technologiques différés cumulatifs globaux »27, les incertitudes sur les causes ou les conséquences créent un contexte pour le moins incertain. L’interaction avec d’autres variables comme les facteurs sociaux, eux même en évolution, multiplie les inconnues. « C’est dans ce contexte que se situe le principe de précaution, cette nouvelle norme sociale.28». Inscrit dans le principe 15 de la déclaration de Rio de 1992, il est également l’un des principes reconnus par le Traité de Maastricht. Il serait intéressant que le principe de précaution lié aux risques naturels et technologiques s’étende aux « risques sociaux ». Là aussi les conséquences peuvent dépasser les prévisions ou les invalider. Des droits obtenus de longue lutte, les fruits de la cohésion sociale ou la représentation de la société civile sont des ressources humaines précieuses. L’universalité des Droits sociaux une condition aussi fondamentale que la dimension planétaire de l’action environnementale ? Oxfam défend une série de droits universels fondamentaux comme le droit aux moyens d’existence durables, aux services sociaux de base ainsi que le droit à la vie, à la paix et à la sécurité, sans oublier le droit d’expression et l’équité de genre. Le maintien de ces droits en temps de crise économique et écologique, partout dans le monde, est important à rappeler, d’autant plus à la veille du Sommet mondial de la Terre de Rio.

27 Les risques technologiques : un essai de typologie, D. Bourg et J.-L. Ermine, revue Quaderni, Sapientia, 2002 28 Durabilité du développement et principe de précaution, Olivier Godard, in Les nouveaux utopistes du développement durable, sous la direction d’Anne-Marie Ducroux, Autrement, 2005, p. 187

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ne perdons pas le Sud…ne perdons pas le Sud…ne perdons pas le Sud…ne perdons pas le Sud… Comment nourrir 9 milliards de personnes d’ici 2050 en émettant 90% d’émissions de C02 en moins ? Une autre question devrait suivre immédiatement. Comment le faire de manière juste ? En effet, 1,4 milliard de personnes vivent toujours dans des conditions d’extrême pauvreté et 1/6 de la population mondiale souffre de malnutrition1. La demande en eau devrait, elle, augmenter de 30% d’ici 2030 alors que l’eau potable manquait déjà à 884 millions d’êtres humains en 20102. Quant aux rendements agricoles, leur croissance n’atteint plus que 1% par an, bien en deçà de la croissance de la demande. Le changement climatique ne fait qu’aggraver la situation. En matière environnementale aussi, la situation n’est pas la même, selon qu’on vive au Nord ou Sud de la planète, qu’on ait ou non les moyens financiers et logistiques de réagir.

Les enjeux du Sommet de Rio dans l’hémisphère Sud La déclaration du Sommet de la Terre de Rio de 1992 stipule : « L’élimination de la pauvreté et la réduction des inégalités entre les peuples sont des conditions essentielles d’un développement qui satisfasse durablement les besoins de la majorité des habitants de la planète. » Si la pauvreté absolue a baissé, la pauvreté relative a augmenté, et pas seulement à cause de la crise actuelle qui s’est étendue à l’ensemble des pays. Le développement durable3 pourrait être une opportunité de développer la solidarité internationale au niveau social et environnemental. A long terme, la viabilité des économies en dépend, tandis qu’à court terme il s’agit d’une question de survie pour nombre de populations du Sud. Des précédents existent. « Ainsi les scientifiques attribuent aujourd’hui l’effondrement longtemps mystérieux de la société Maya, à une augmentation rapide de l’aridité du climat ».4 Même si dans certains pays comme la Chine la dégradation de l’environnement est perçue, lors de catastrophes naturelles, comme une menace immédiate et a donné lieu à des manifestations, la voix des peuples les plus touchés peine à se faire entendre. Le Sommet de Rio, en juin prochain, pourrait être une opportunité de changer dans la durée et partout à la fois un mode de fonctionnement dominé par le libéralisme. Ceci impliquerait de ne pas soutenir les fausses solutions et les solutions non durables pour les pays en voie de développement (agro-carburants – OGM – accaparement de terres, prêts…) décidées sans l’accord et la participation réelle des populations et de leurs représentants. L’accaparement des terres est un véritable enjeu stratégique pour des pays du Sud, notamment en Afrique et en Asie du sud-est mais ailleurs aussi. Qu’il s’agisse des approvisionnements alimentaires, des agro-carburants, de l’extraction minière, d’industrialisation, de tourisme de masse ou encore de la spéculation sur les excédents de quotas d’émissions de carbone, tout concourt à déposséder, ici et là, les communautés paysannes locales. Cette situation n’est pas due au hasard mais provient de choix discutables dans l’aménagement du territoire. Par ailleurs la prise en compte de crédits carbone issus de la biomasse pose la question de la marchandisation des biens communs. On déplace le problème de chez nous à d’autres latitudes. Oxfam est opposée à cette marchandisation des ressources et recommande de restaurer un équilibre entre pays à haute empreinte et pays à basse empreinte environnementale. L’usage disproportionné des ressources ne respecte pas le principe de l’équité. C’est raisonner en termes de « lois du marché » alors qu’il s’agit de question de « droits ». Droit à l’alimentation, à l’eau, à un environnement sain, entre autres. Valeur de « service éco-systèmique » aussi.

1 Rio+20 : vers une économie verte et une meilleure gouvernance, Communication de la Commission au parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions. 2 Progress on sanitation and drinking water : 2010 update, Programme OMS/UNICEF de surveillance de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement, 2010, pp. 6-7 3 « mode de développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », in Our common future, Rapport de Brundtland, 1987 4 Abrupt climat change, R. Alley, in American Scientific, novembre 2004

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« Dans le contexte des crises actuelles, l’acquisition de terres est devenue un enjeu stratégique à long terme pour des entreprises agroalimentaires ou du secteur financier et certains Etats. Et la tendance s’accentue ».5 Pour lutter contre le phénomène, de nouvelles alliances entre organisations paysannes du Sud et du Nord 6 se nouent et renforcent le plaidoyer auprès des autorités nationales, voire supranationales. La Fédération internationale des producteurs agricoles (Fipa) a longtemps détenu le monopole de la parole des agriculteurs du monde entier. Mais aujourd’hui elle n’existe plus. C’est Via Campesina qui occupe le devant de la scène internationale. « Cet acteur émergent se démarque plus nettement que la Fipa par sa militance en faveur d’une agriculture paysanne respectueuse de l’environnement, par opposition à l’agriculture industrielle et à l’agrobusiness».7 Via Campesina est très critique vis-à-vis de l’économie verte au programme du prochain Sommet de Rio, qui, selon l’ONG, est « promue comme une façon de mettre en place un développement durable pour les pays qui continuent à souffrir de la pauvreté, de la faim et de la misère. En fait les propositions s’apparentent à des « programmes d’ajustements structurels verts » dont le but est de réaligner les marchés nationaux et les règlements sur le nouveau « capitalisme vert »8. Pour les pays à faible revenu, la notion de « capital naturel » est essentielle. « La voie du développement devrait entretenir, améliorer et, si nécessaire, restaurer le capital naturel considéré comme un atout économique crucial et une source de bienfaits publics, surtout pour les populations pauvres dont les moyens d’existence et la sécurité dépendent de la nature»9. A l’exemple des pêcheurs qui dépendent des réserves halieutiques pour la survie de leur activité mais aussi pour l’approvisionnement de leurs familles en nourriture de base. Malheureusement seuls 20% des stocks de poissons commerciaux ne sont pas surexploités10 tandis que les déchets marins, la pollution et l’acidification des océans sont une menace pour la biodiversité marine. A noter que la réduction des stocks de poissons s’explique, entre autres, par les subventions octroyées dont 60% sont néfastes car elles induisent la pêche industrielle et la surpêche au détriment de la pêche vivrière. Dans d’autres cas, les ressources naturelles sont inconvénient pour les pays du Sud qui tirent exclusivement des revenus des cultures de rente ou des matières premières. Si les sommes récoltées ne sont pas investies dans le développement du pays (éducation, santé, infrastructures, développement durable), les ressources deviennent un handicap sur le long terme. A l’inverse, des ressources dormantes comme les déchets, quand ils sont réutilisés, fournissent à un pays comme le Brésil 170.000 emplois (recyclage des boîtes d’aluminium)11. De même, nombre de graines, fruits, feuilles d’arbres, bouteilles de verre ou feuilles d’aluminium récupérées servent à fabriquer des objets d’artisanat de commerce équitable, activité locale complémentaire à l’agriculture vivrière ou à l’activité domestique, pour les femmes.12 Vu les enjeux, la conférence de Rio+20 13

devrait donner un signal très clair à la communauté internationale. Il ne faudrait pas qu’à l’instar du Sommet de Johannesburg, le Sommet de Rio ne fasse que dresser un bilan et renouveler l’engagement en faveur du développement durable. Or, après le Sommet de Copenhague, ressenti comme un échec, les opinions publiques ne sont pas gagnées d’avance. De plus, la crise économique qui sévit dans de nombreux pays éloigne encore plus les citoyens des questions environnementales et des pays pauvres. Quant aux pays émergents, ils sont gagnés par la course à la croissance, parfois quel qu’en soit le prix. Or ces pays comptent près de 50% de la population mondiale14.

5 Stéphane Parmentier, in Main basse sur les terres, Dossier Terre : pas à vendre ni à louer, Globo, Oxfam Solidarité, Septembre 2011, p. 8 6 Via Campesina est un mouvement paysan international : www.viacampesina.org 7 Du plaidoyer national au plaidoyer international, in Dossier Les nouvelles alliances paysannes, Défis Sud, juin-juillet 2011, p. 11 8 Prenons en main notre futur : Rio + 20 et au-delà, Via Campesina : http://viacampesina.org/fr/index.php?option=com_content&view=article&id=656:prenons-en-main-notre-futur-rio20-et-au-dela&catid=46:changements-climatiques-et-agrocarburants&Itemid=71 9 Vers une économie verte : Pour un développement durable et une éradication de la pauvreté, PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement), 2011, p. 9 10 La situation mondiale de la pêche et de l’aquaculture, 2008, Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, 2009, p.30 11 Emplois verts : Pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone, PNUE, 2008, p. 28 : www.unep.org/french/ 12 Voir : objets d’artisanat à partir de produits réutilisés ou recyclés : www.oxfammagasinsdumonde.be 13 Sommet de la Terre 2012 : http://www.earthsummit2012.org/ 14 En 2009, l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique et la Russie comptaient 3,2 milliards d’habitants. Source : Banque mondiale, World Development Indicators, 2010.

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En outre les Nations unies estiment que les émissions de la Chine et de l’Inde réunies s’élèveront à 24% des émissions totales de CO2, en 2020.15 L’éradication de la pauvreté et la réalisation des Objectifs de développement du Millénaire (OMD) devraient être la priorité de Rio+20. Comme l’accès à la nourriture, à l’eau et à l’énergie dépend du bon fonctionnement des écosystèmes, la préservation des ressources naturelles est essentielle. Cependant, les pays en voie de développement (PED) payent un tribut si lourd aux pays riches et aux pays émergents qu’il faut d’urgence une feuille de route et des moyens pour honorer les engagements pris vis-à-vis d’eux par la communauté internationale. Respecter la contribution fixée à 0,7% du PIB, lors des Objectifs du Millénaire pour le développement est un objectif jamais atteint alors que, dès les années 1960, le principe de 1% d’aide publique avait été adopté par les Nations Unies dans le cadre de la Décennie du développement. Un peu comme si, face aux demandes des institutions supra nationales, nos pays n’honoraient pas leurs engagements pendant des dizaines d’années alors que les citoyens sont appelés chaque jour à le faire vis-à-vis de leurs instances. Plus encore, l’aide aux pays pauvres est même en baisse pour la première fois depuis 15 ans. Elle se monte à 0,31% des richesses nationales en 2011 alors qu’elles étaient de 0,32% en 2010. En ces temps d’austérité, l’objectif de 0,7% semble s’éloigner plus qu’il ne se rapproche.

Un document préparatoire qui laisse perplexe Malheureusement, le document préparatoire au Sommet de la Terre de juin, qu’on appelle le zéro draft n’est guère rassurant16. Vingt ans après Rio, les constats relatifs à la dégradation accrue de l’environnement, aux objectifs non atteints des conventions sur les changements climatiques, la biodiversité et la désertification ainsi que ceux relatifs à l’augmentation des inégalités et de la faim sont trop peu développés et analysés. Le fait que la richesse mondiale ait doublé depuis 1992 sans que ces gains économiques ne se soient traduits par une diminution des inégalités et une amélioration de notre environnement n’apparaît nulle part. C’est donc bien notre modèle de développement qui doit être mis en cause. Encore plus dans les pays du Nord, c'est-à-dire aussi ceux qui popularisent ce mode de vie : « Si les habitants des pays du Sud veulent imiter le mode de vie occidental, c’est aussi à cause des pressions des multinationales, qui voient dans ces pays un marché intéressant »17. Le zéro draft ne prévoit ni ne suggère aucun des changements de paradigme que nécessite l’état de la planète et la non atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement. A mettre au compte des opportunités manquées, 10 ans après leur adoption : « aucune avancée commerciale n’a été enregistrée en termes d’accès au marché et de traitement spécial et différencié pour les pays pauvres, du fait du blocage des négociations à l’OMC et de la prolifération d’accords bilatéraux Nord-Sud par lesquels les pays industrialisés tentent de libéraliser des secteurs que les pays en développement refusent »18. La récente crise économique, la hausse des prix alimentaires et énergétiques se sont traduites par l’augmentation des personnes vivant dans la pauvreté. Dans le document, il n’est pas fait non plus allusion aux principes fondateurs de Rio qui sont la responsabilité commune mais différenciée des pays en matière d’environnement, l’équité dans le droit au développement et le principe de précaution. Le dépassement de la bio-capacité terrestre n’est pas clairement exposé. Le texte pêche par un manque de recommandations de type opérationnel (implémentation et indicateurs) alors que c’est précisément ce qui explique la non-atteinte des objectifs émis lors de la Conférence de Rio de 1992. Et cela alors même que les études et propositions concrètes sont largement disponibles.

15 Rapport de la 3ème session du Conseil économique et social pour l’Asie et le Pacifique : www.unescap.org 16 The zero draft : The future we want : http://www.uncsd2012.org/rio20/index.php?page=view&type=12&nr=324&menu=20 17 Michel Genet, Greenpeace, in Quand social et environnemental se rencontrent, Déclics (& des claques), Oxfam-Magasins du monde, 2010, p.15 18 Les objectifs du millénaire : un bilan critique 10 ans après leur adoption, Arnaud Zacharie, CNCD, 2010 : www.cadtm.org/Les-objectifs-du-millenaire-un

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Des impacts environnementaux lourds de conséquences sur le plan social L’érosion des sols, la désertification, le réchauffement climatique, les pollutions industrielles touchent d’abord les plus pauvres et sont un facteur d’accroissement des inégalités. La désertification menace les régions arides, qui hébergent environ 1/3 de la population mondiale. Si rien n’est fait dans les décennies à venir, on estime de 30 à 50% le renchérissement des denrées alimentaires en raison de facteurs environnementaux défavorables. Les plus grands risques menacent 1,3 milliard de personnes vivant de l’agriculture, de la pêche, de la sylviculture, de la chasse et de la cueillette19. A titre d’exemple, même si la déforestation s’est ralentie, l’Amérique du sud et l’Afrique montrent toujours la plus grosse perte nette de forêts. « Le thème de la déforestation cristallise de façon exemplaire les débats qui traversent les relations entre développement durable et développement au Sud. Effectivement, la forêt apparaît simultanément comme étant un capital naturel en grand danger de déplétion accélérée (à la base des approches conservationnistes) et comme une source indispensable de revenu pour les pays du Sud (entre autre les populations les plus pauvres). »20 Même si les dégradations sont dues notamment aux modes de vie des pays développés et émergents, « si on parle changement climatique au Mali, les gens font le lien avec les problématiques locales, en l’occurrence la consommation de bois, la manière de couper les arbres… Dans les pays du Sud, on intériorise une réalité propre locale. Je pense que c’est d’ailleurs une leçon d’humilité par rapport à notre absence de responsabilité » remarque un observateur21. La mobilisation locale par et pour les populations concernées est importante à rappeler : « L’Afrique par exemple n’attend pas des réponses de la part du Nord pour évoluer. Il y a une richesse des sociétés africaines, des médias africains, qui constituent autant d’espaces d’expression politique et de force de proposition, conditions indispensables pour travailler sur un développement durable équilibré ».22 Le concept du « Donut » inventé par Oxfam à partir d’un article sur les 9 limites planétaires23 propose un cadre visuel sous la forme d’un donut. « Il rassemble les limites planétaires et les limites sociales, créant un espace sûr et juste entre les deux, dans lequel l’humanité peut se développer. Pour se placer dans cet espace, il est nécessaire d’assurer bien plus d’équité – au sein même des pays et entre eux – sur le plan de l’utilisation des ressources naturelles, et bien plus d’efficacité dans la transformation de ces ressources pour satisfaire les besoins humains ». 24 Un « seuil social » existe.

Des solutions structurelles existent La coopération Sud-Sud entre pays qui ont des préoccupations similaires est à encourager en matière environnementale. Ceci aussi pour améliorer la circulation de l’information, le savoir-faire et la technologie, à un coût réduit. Les projets de reforestation, de préservation de ressources naturelles, d’énergie renouvelable donnent lieux à des échanges quand le contexte est comparable. A l’inverse, les conflits qui tirent leur origine de la dispute autour des ressources naturelles comme l’eau, les matières premières ou les terres créent dans les régions du Sud les obstacles à la coopération entre régions ou pays voisins. Là aussi, les changements climatiques vont favoriser des déplacements de populations (inondations, montée des eaux, désertification) qui vont diluer les espoirs de coopération. Produites en grande partie dans l’hémisphère Nord, les ressources financières sont aussi concentrées dans une vingtaine de marchés émergents de l’hémisphère Sud. Par contre, les pays les plus pauvres sont exclus de la dynamique financière des pays leader du Nord et du Sud. Seule la mise en place d’une fiscalité internationale pourrait répondre à la loi du marché par une meilleure régulation. La TTF (Taxe sur

19 Durabilité et équité : Un meilleur avenir pour tous, Rapport sur le développement humain 2011 : http://hdr.undp.org/fr/rapports/mondial/rdh2011/ 20 Quel développement durable pour les pays en voie de développement ? Cahiers du GEMDEV no. 30 (Groupement d’Intérêt Scientifique pour l’Etude de la Mondialisation et du Développement), Novembre 2005, www.gemdev.org 21 Le développement durable : instrument de dialogue ou de domination Nord/Sud, Luc Lamprière, Oxfam France, 5 janvier 2011 : http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article4413 22 Le développement durable : instrument de dialogue ou de domination Nord/Sud, ibid. 23 A safe operating space for humanity : http://www.nature.com/nature/journal/v461/n7263/full/461472a.html 24 https://www.oxfam.org/en/grow/node/26073

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les Transactions Financières) serait une solution qu’Oxfam soutient. Des compensations pour la dette écologique induite par des modes de production et de consommation non soutenables pourraient se mettre en place. Même si l’objectif premier est de travailler sur la source de ces fléaux, dans l’immédiat, les sommes dégagées pourraient compenser les effets des inondations, de la sécheresse, la dégradation des ressources naturelles, l’augmentation des maladies parasitaires... Parmi les mesures structurelles à prendre, citons aussi celles liées aux Objectifs du m-Millénaire : « l’annulation de la dette du tiers-monde, la réforme du commerce international, l’augmentation de l’aide au développement ou la réforme des politiques menées par les institutions financières internationales 25». En aval, des solutions existent qui combinent environnement et développement humain. Le dernier Rapport sur le développement humain en évoque plusieurs26. L’extension des choix de reproduction s’intègre dans la prévention de la dégradation de l’environnement. Des méthodes d’intervention adaptatives, des modèles décentralisés de réduction des risques sont aussi à promouvoir. Pour cela une cartographie communautaire des risques pourrait aider à les cibler. La distribution plus progressive de biens reconstruits en cas de catastrophe naturelle et la promotion de la gestion communautaire des forêts élargiraient l’éventail des mesures. Du côté de l’agriculture, essentielle en matière d’approvisionnement local de nourriture donc de souveraineté alimentaire, les pratiques durables se traduisent par des gains de productivité importants. « L’étude de 286 projets portant sur les bonnes pratiques de 12,6 millions d’exploitations dans 57 pays en développement a révélé que l’adoption d’approches de protection des ressources (gestion intégrée des ennemis des cultures, des nutriments, travail minimal du sol, agroforesterie, aquaculture, récolte de l’eau et intégration de l’élevage, par exemple) entraînait une augmentation moyenne des rendements de 79% et améliorait l’offre de services environnementaux essentiels»27. Quand on sait que la dégradation des sols est directement liée à l’agriculture et a une incidence directe sur quelque 1,5 milliard de personnes, dont 42% des plus démunis de la planète, on mesure l’importance des bonnes pratiques en matière d’agriculture.

Si ce n’était le climat… En matière climatique, l’addition payée par les pays du Sud est aussi plus importante : « Les pays développés sont responsables de la plus grande partie du réchauffement global mais les pays en développement sont ceux qui en ressentent le plus fortement les effets et qui ont le moins de moyens pour s’y adapter. C’est l’injustice fondamentale des changements climatiques »28. C’est pourquoi les pays industrialisés devraient davantage contribuer au financement des politiques climatiques du Sud. Selon la plateforme Justice climatique, qui a émis 11 revendications en la matière, « l’Europe et la Belgique doivent mettre en œuvre des mécanismes de financement innovants et publics pour alimenter le nouveau fonds climat des Nations Unies. Ces nouveaux moyens doivent être additionnels à ceux qui ont été promis pour l’atteinte des Objectifs du Millénaire (0,7% du PIB). »29 D’ailleurs, « l’article 4 de la Convention Cadre des Nations Unies pour les Changements Climatiques (CCNUCC) mentionne très clairement le financement des efforts d’adaptation : Les pays développés (…) aident également les pays en développement parties particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques à faire face au coût de leur adaptation aux dits effets. Cependant, la question de la vulnérabilité et de la répartition des fonds n’est pas précisée. Doivent-ils être attribués aux pays, au prorata de leur vulnérabilité ? Ou doivent-ils être attribués à des projets établis sur base des besoins spécifiques ? »30. Dans tous les cas la recherche doit tout particulièrement être poursuivie à l’échelle

25 Objectifs du millénaire pour le développement, Oxfam Solidarité :http://www.oxfamsol.be/fr/-Objectifs-du-Millenaire-pour-le-.html 26 Durabilité et équité : Un meilleur avenir pour tous, Rapport sur le développement humain 2011 : http://hdr.undp.org/fr/rapports/mondial/rdh2011/ 27 Resource conserving agriculture increases yields in developing countries, J. Pretty, A.D. Nobel, D. Bossio, J. Dixon, R.E. Hine, F.W.T.Penning De Vries, J.I.L., Environmental science and technology, 40, 2006, p. 1114 28 Les changements climatiques et la politique belge de coopération au développement : défis et opportunités, Jean-Pascal Van Ypersele, juin 2008, p.9 : http://diplomatie.belgium.be/fr/binaries/Rapport Climat_vanYpersele_tcm313-67482.pdf 29 Extrait des 11 revendications – Plateforme Justice Climatique – CNCD : www.cncd.be 30 La Justice Climatique… à l’épreuve des négociations, Véronique Rigot et Nicolas Van Uffel, Points Sud : Les études du CNCD, Novembre 2011, p.14 : http://www.cncd.be/IMG/pdf/2011-11-pointsud04.pdf

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locale. Dans ce domaine, c’est en Afrique que les besoins les plus pressants et les défis sont les plus difficiles à relever, en raison du manque de scientifiques et d’équipements météorologiques. C’est le cas aussi de la recherche agricole négligée depuis la Révolution verte des années 1960 et 197031.

Durabilité et équité Une autre manière d’aborder la question est d’évoquer la nécessité de systèmes de protection sociale innovants permettant d’amortir l’injustice environnementale et climatique. En effets les politiques et les pratiques commerciales inéquitables, les pertes de revenus à cause du dumping social, l’absence de protection des plus défavorisés sont en amont d’une stratégie de l’exploitation, en contradiction avec la dimension sociale du développement durable. « Le centrage sur la pauvreté nous permet d’examiner les privations environnementales en termes d’accès aux combustibles de cuisson, à l’eau salubre et à l’assainissement de base. Ces privations absolues, importantes en soi, constituent aussi des violations majeures des droits humains» 32. L’exposition aux substances dangereuses (pesticides et déchets dangereux) se poursuit dans les pays en voie de développement et les économies émergentes, malgré les progrès réalisés dans le cadre des conventions internationales. Les politiques de conservation de la nature issues dans certains cas de politiques colonialistes ne sont pas la panacée. C’est le cas à Madagascar où les communautés paysannes n’ont pas été suffisamment impliquées dans la politique environnementale. La logique descendante de mesures qui n’intègrent pas assez les parties prenantes est à mettre au compte de problèmes de gouvernance non nécessairement relevés par les bailleurs de fond internationaux. Or le travail d’ONG sur le terrain montre qu’on peut associer développement et conservation de la nature, par la formation, l’accompagnement de micro-projets agricoles complémentaires à la préservation de la forêt. Mais il reste que des politiques uniquement conservationnistes, non conçues pour le profit des plus pauvres alimentent la bureaucratie locale et les expatriés. « Tout compte fait, il semble que les principaux bénéficiaires de cette politique soient les acteurs extérieurs ou l’élite citadine du pays, et non les paysans, soit la majeure partie de la population, et la première intéressée par la gestion des ressources naturelles ».33 Pour terminer rappelons que, historiquement, l’émergence du concept de développement durable est liée à l’inquiétude des pays du Nord face aux dommages environnementaux provoqués par leur croissance. Ce qui ne veut pas dire que la détermination des ces pays à agir rime avec la prise de conscience de départ. Plus encore, certaines politiques de développement (biocarburants) ou de captation de ressources (pêche par des flottes européennes au large de l’Afrique) atténuent ou annulent les effets de politiques en faveur du développement durable dans les pays du Sud. « Cette situation n’est bien sûr pas nouvelle : une contradiction semblable existait déjà dans le passé entre les objectifs d’aide de nombreux pays donateurs et les impacts négatifs de leurs politiques commerciales ou d’exportation d’armement. C’est cependant dans le domaine de l’environnement que cette contradiction est la plus flagrante ».34 Donc, chez nous, des changements de méthode sont à promouvoir. Parmi les recommandations d’associations belges réunies, en 2011, pour inventer une société durable en 2050, on peut lire : « Chaque décision prise en Belgique fera l’objet d’une évaluation de son impact sur le développement durable, notamment au plan international. Si un impact est avéré à l’étranger, la décision devra être validée en conseil des Ministres afin d’assurer la cohérence de la décision avec les politiques de coopération au développement»35. Comment mener idées et projets à bien ? Oxfam mène des actions d’éducation, de sensibilisation, de recherche, de plaidoyer et de mobilisation en faveur du développement durable, de l’alimentation durable et de la justice climatique. Elle assume le rôle de veille et interpelle régulièrement le pouvoir politique. Elle est membre du Conseil fédéral du développement durable (CFDD) et participe à nombre de groupes de travail, tables rondes, forums et séminaires en lien avec les pays en voie de développement : questions

31 Le développement durable, une nécessité pour les pays du Sud, P. Jacquet et J. Loup, in Regards sur la Terre, 2009, p.192 32 Durabilité et équité : Un meilleur avenir pour tous, ibid. 33 Ibid, p.274 34 Sustainable Development in European Cooperation Policy, in Europe and Sustainable Development, Paris, Cultures France, coll. Penser l’Europe, 2008 35 Télescope : quand la société civile imagine une société durable en 2050, Associations 21, VODO, 2012, p. 40

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liées à l’accès des droits essentiels, au droit en situation de crise, au travail décent, au genre, à la qualité de l’aide… Oxfam sera présente au Sommet de Rio et participera au Forum des Peuples organisé parallèlement à la conférence des Nations unies.

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Vers une économie «Vers une économie «Vers une économie «Vers une économie « verteverteverteverte »»»» et socialeet socialeet socialeet sociale ???? Le concept « d’économie verte » sera au centre de la prochaine Conférence de RIO+20, en juin prochain. En effet, « l’économie verte dans le contexte du développement durable et de l’éradication de la pauvreté » est l’un des deux thèmes majeurs de ce Sommet, l’autre étant la gouvernance du développement durable. Un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement, de 2011, définit l’économie verte en ces termes : une « économie qui entraîne une amélioration du bien être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie des ressources »1. Dans le cadre de sa stratégie Europe 2020, l’Union Européenne, parle d’une « économie plus efficace dans l’utilisation des ressources, plus verte et plus compétitive »2. Pour une transition vers une économie verte, elle préconise d’investir dans les principales ressources et le capital naturel, de combiner instruments de marché et instruments réglementaires, de renforcer la gouvernance et d’encourager la participation du secteur privé. Quant à l’OCDE, elle utilise les termes de « croissance verte », dans son rapport de 2010 sur une Stratégie pour une croissance verte3. En décembre 2011, elle signalait aussi que le fossé entre riches et pauvres n’a jamais été aussi grand. Comment aménager la transition vers une économie verte qui intègre la réduction des inégalités ? C’est une des tâches auxquelles vont s’atteler, à la Conférence de Rio, négociateurs institutionnels et parties prenantes dont les représentants de la société civile. La flambée des prix des matières premières, alimentaires et énergétiques, la pénurie d’eau douce et les changements climatiques seront à l’arrière plan des discussions. Le PNUE fait le constat que « de meilleures politiques publiques comportant entre autres des mesures réglementaires et d’établissement des prix s’imposent donc pour changer les mesures incitatives perverses responsables de cette mauvaise allocation des capitaux et aveugles aux externalités sociales et environnementales »4. Une opportunité aussi pour tout un chacun de s’intéresser à l’économie « verte » qui s’invite de plus en plus dans les débats sur les solutions à la crise écologique et économique que nous connaissons…

Filières vertes Par « économie verte » on entend entre autres le développement de secteurs qui touchent à l’environnement. Les Etats les encouragent par le biais de commandes publiques, ce qui contribue à réduire les prix des produits durables, bien que les plans d’austérité actuels ralentissent les investissements en la matière5. Quand ils sont rentables, les secteurs verts attirent des investisseurs privés et sont souvent liés aux nouvelles technologies. Ainsi « près de 627 milliards de dollars de capitaux privés ont déjà été investis entre 2007 et mi-2010 dans les énergies renouvelables »6. Les domaines de l’énergie, de l’industrie, du logement, des transports, de l’agriculture, de la pêche, de la foresterie, de l’eau sont concernés. Le développement des filières de l’efficacité énergétique, d’énergies renouvelables, des déchets, des écoproduits et de la chimie verte a permis de créer de nouveaux « métiers verts ». Ces secteurs comptent souvent des PME et offrent une proportion appréciable d’emplois de proximité, plus intéressants en valeur travail qu’en consommation de ressources7. La Commission européenne a calculé que l’Union européenne pourrait créer 600 000 emplois en tirant 20% de ses besoins en énergie renouvelable et 400 000 autres en améliorant son efficacité énergétique de 20%8. De plus, dans les pays qui développent ces activités, la balance commerciale devient excédentaire sur ce segment de marché.

1Vers une économie verte : pour un développement durable et une éradication de la pauvreté, synthèse à l’intention des décideurs, PNUE, 2011 http://www.unep.org/greeneconomy/Portals/88/documents/ger/GER_synthesis_fr.pdf 2Une croissance durable, pour une économie plus efficace dans l’utilisation des ressources, plus verte et plus compétitive, Commission Européenne Europe 2020 : http://ec.europa.eu/europe2020/targets/eu-targets/index_fr.htm 3Rapport intérimaire de la Stratégie pour une croissance verte : concrétiser notre engagement en faveur d’un avenir durable OCDE http://www.oecd.org/document/46/0,3746,fr_2649_37465_44076206_1_1_1_37465,00.html 4 PNUE , ibid. 5 La crise gagne l’industrie verte, M-B Baudet et B. D’Armagnac, in Le Monde Bilan Planète 2010 6 PNUE, ibid. 7Climat, emploi, même combat!, Alain Lipietz, in Alternative Economique, 26.02.10. 8 Commission européenne, ibid.

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Le développement des filières vertes n’est pas hors de portée ni hors de prix. Les connaissances sont bien suffisantes pour nourrir en expertise les mutations nécessaires. En outre, dans toute modélisation d’une économie plus verte, il faut compter avec les emplois indirects et induits, les ressources naturelles épargnées, les bénéfices indirects (santé, aménagement du territoire, prévention des risques climatiques…). Mais quel état des lieux peut-on dresser sur les opportunités économiques « vertes », à la veille de la Conférence de Rio+20 ?

Des opportunités à ne pas manquer On estime que l’eau douce va manquer, à l’horizon 2030, à 20% de la population mondiale si rien n’est fait. Pourtant 0,16% du PIB mondial serait suffisant pour atteindre les Objectifs du Millénaire en termes d’approvisionnement en eau. Si on considère les gains en santé des populations et les emplois générés par le secteur de l’eau (gestion des eaux et services d’assainissement), les gains l’emportent sur les dépenses. Dans le domaine agricole et alimentaire, une diminution de la consommation, donc de la production de viande, une agriculture paysanne biologique ou intégrée, une moindre transformation industrielle des produits, couplée à une réduction des emballages, le développement de circuits courts de distribution sont au compte des solutions pour une alimentation plus « durable ». La réduction du gaspillage alimentaire à tous les niveaux des filières alimentaires est aussi un préalable dans les pays développés ou émergents. Dans les pays à moindre revenu une meilleure gestion de l’alimentation, de sa préservation des prédateurs, de son stockage, de son transport rencontrerait un objectif de développement en même temps qu’un objectif environnemental. Le secteur de l’énergie est responsable de 2/3 des émissions de gaz à effet de serre mais représente aussi un enjeu économique important pour la réduction de la pauvreté. Dans le monde, 1,7 milliard de personnes sont actuellement privées d’électricité9 tandis que 2,7 milliards sont dépendantes de la biomasse pour la cuisson de leur nourriture10. Les solutions renouvelables et rentables sont celles hors réseau qui permettent ainsi d’assurer l’indépendance des communautés (biomasse propre, énergie solaire photovoltaïque...). Il en va aussi de la santé des utilisateurs puisque l’utilisation du charbon ou de la biomasse traditionnelle provoque nombre de décès dus à la pollution. Consacrer 1% du PIB mondial à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables trouverait son pendant en emplois créés, comme c’est le cas aujourd’hui dans des pays comme l’Allemagne, le Brésil, la Chine, les Etats-Unis et le Japon. Dans le tri des déchets et leur recyclage les emplois peuvent être multipliés de manière importante, surtout si on compare la situation au peu d’emplois générés par les décharges et l’incinération. Sans parler des bénéfices environnementaux et sociaux d’une meilleure gestion des déchets pour les populations. Mais le manque de volonté politique dans les questions liées aux déchets et le type d’emplois créés sont les problèmes récurrents. C’est l’occasion de rappeler que les métiers verts doivent intégrer les exigences du travail décent (salaire suffisant pour vivre, pas de travail forcé, pas de travail des enfants, non discrimination, santé et sécurité professionnelles, protection sociale et liberté d’association)11. Or dans le domaine du traitement des déchets les problèmes sont plus nombreux que dans d’autres filières vertes. Que faire de ces green jobs porteurs à la fois de promesses et de risques (contrats précaires, faibles rémunérations, exposition à des métaux dangereux…) ? Pour rencontrer les défis d’une transition vers une économie plus durable, il faut découpler la croissance économique de l’utilisation des ressources naturelles et de ses impacts environnementaux. Les gains en efficacité passent, par exemple, par l’allongement la durée de vie des produits industriels. Jeter les bases d’une fabrication en cercle fermé implique une amélioration du recyclage des produits et de la valorisation énergétique des déchets. En raison du développement économique de certains pays, et donc de

9 World Development Report 2010 : Development and Climate Change, Banque mondiale 2009, p. 192 10Energy Poverty : How to make modern energy access universal ?, OCDE/AIE sept. 2010, p.7 11 OIT : http://www.ilo.org/declaration/info/publications/WCMS_095896/lang--fr/index.htm

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l’augmentation des déchets que cela entraîne, ces progrès se révèleront indispensables. Pourtant, les taux de recyclage actuels peuvent être grandement améliorés. En outre, si on optimisait la filière, les déchets de biomasse pourraient être compostés et valorisés pour produire engrais naturels et énergie ou recyclés pour fabriquer de nouveaux produits. Plus de la moitié de la population mondiale vit en ville et cela devrait augmenter, surtout dans les pays émergents. Pour réduire ses impacts environnementaux, la ville gagnerait à être plus compacte et mieux organisée. Des logements plus durables, en matière de construction et d’efficacité énergétique, pour un prix supérieur de 10% à 15% maximum, sont indispensables. Pour réduire les coûts environnementaux et sociaux liés au transport, davantage de transports publics et une amélioration des technologies automobiles et des carburants sont incontournables. En effet, on a estimé que les polluants atmosphériques, les accidents de la circulation et la perte de productivité liée aux encombrements peuvent dépasser 10% du PIB d’une région ou d’un pays12, soit beaucoup plus que les sommes requises pour entamer la transition vers une économie verte. Or le bon respect des normes de construction, des réglementations en matière d’aménagement du territoire, d’une gestion transparente des réseaux énergétiques relève d’une meilleure gouvernance et donc de choix politiques. Réforme des impôts, des facturations et des subventions sont également le passage obligé vers une gestion plus intégrée de la ville.

Une économie plus équitable ? Développer des filières vertes semble une évidence mais faire des choix est pourtant nécessaire. En effet, des controverses surgissent comme celle autour des agrocarburants car les cultures qui les génèrent viennent remplacer des cultures vivrières et alimentent la spéculation sur les marchés des produits alimentaires. Opportunité de marché pour un pays émergent comme le Brésil, plutôt que source durable de développement pour les populations locales ? Selon l’ONG Via Campesina, le « verdissement » de l’économie cherche à incorporer certains aspects de la « révolution verte » qui ont échoué, dans le but de satisfaire les besoins du secteur industriel (promotion de l’uniformité des semences, semences brevetées par les grandes entreprises, les OGM, etc.)13. L’accaparement de terres dans les pays du Sud, pour ménager des puits de carbone dans le cadre du marché des crédits de carbone issus de la biomasse, montre une réalité moins lisse. Un rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) sur les emplois verts établit aussi que trop peu de ces emplois sont créés pour les plus vulnérables de ce monde. Ils ne constituent pas non plus nécessairement un travail décent comme souvent c’est le cas pour le recyclage de déchets14. De même, les nouvelles technologies de l’information et des télécommunications (NTIC), tout en contribuant à la dématérialisation de l’économie, ont un impact environnemental important15. L’OCDE préconise la mise en place d’instruments de marché et de nouveaux indicateurs pour faire payer la pollution16. Un autre moyen, proposé par la Commission européenne, est de découpler la croissance du PIB de l’utilisation des ressources naturelles.17 Cependant, il faudrait revoir les incitants fiscaux qui existent. En effet, les systèmes d’écotaxes et de permis de polluer mis en place depuis le début des années 90 ne font pas l’unanimité, soit parce que les taxes sont estimées trop marginales soit que le marché de droits à polluer ne rencontre pas l’objectif de départ. Alors qu’il s’agissait de réduire les émissions de gaz à effet de serre, surtout dans les pays développés, ceux-ci s’achètent une bonne conscience en troquant avec les pays en voie de développement des permis d’émettre. Qui trompe-t-on sinon nous-mêmes ? Sur le plan théorique les économistes ne sont pas toujours d’accord sur le mode de calcul qui intègre la valeur des ressources naturelles. « Ainsi par exemple, l’évaluation dite contingente (c'est-à-dire visant à quantifier directement les préférences des acteurs économiques) du prix d’une espèce vivante menacée donne des résultats très différents selon qu’on interroge les gens sur leur consentement à payer (combien seraient-ils prêts à payer pour préserver l’espèce ?), ce qui suppose qu’ils n’en sont pas propriétaires, ou

12 Climate change mitigation and co-benefits of feasible transport demand policies in Beijing. Transportation research part D : Transport and Environment, F. Creutzig et D. He Volume 14, Issue 2 (mars 2009) pp. 120-131. 13 Prenons en main notre futur : Rio+20 et au-delà, Via Campesina 16.02.2012 : www.viacampesina.org 14 Emplois verts : Pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone, PNUE, 2008 15 Greenpeace : http://www.greenpeace.org/belgium/fr/actualites-blogs/actualites/14-entreprises-de-lIT-passees-au-crible/ 16 OCDE, ibid. 17 Commission européenne, ibid.

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sur leur consentement à recevoir (combien faudrait-il leur donner pour qu’ils se résignent à sa disparition ?), ce qui suppose qu’ils le sont. Les consentements à recevoir sont systématiquement très supérieurs aux consentements à payer. »18. Une manière de sortir du dilemme est précisément de questionner les indicateurs. Le PIB (produit intérieur brut) est un indice des performances marchandes se basant sur des échanges monétaires. Il est quantitatif et n’inclut pas des aspects sociaux comme le bien être humain. Il ne se réfère pas à l’aspect qualitatif d’une croissance. C’est ainsi qu’une catastrophe naturelle liée au réchauffement climatique génère des activités économiques qui contribueront positivement au PIB (reconstruction) alors qu’elles sont issues d’une situation négative (intempéries). D’autres indicateurs comme l’indicateur de progrès réel (IPR), l’indicateur du développement humain (IDH), le coefficient de Gini pour mesurer le degré d’inégalité dans un pays, sont des indicateurs plus inclusifs que le PIB mais limités par le choix de leurs composantes et considérés par certains comme insuffisamment précis. L’empreinte écologique, la mesure en carbone et en consommation d’eau offrent des bases intéressantes pour de nouveaux indicateurs. C’est pourquoi un travail conceptuel sur les indicateurs est constamment en filigrane des propositions faites par les uns et les autres. Certains diront que, si on veut objectiver une situation dans le but de promouvoir le développement durable, autant rendre compte de la réalité complexe qui est derrière ce concept. Une autre raison de changer de paradigme de mesure est de reconnecter économie financière et économie réelle. De nouveaux systèmes comptables sont imaginés pour intégrer dans la mesure de calcul l’amputation du capital naturel lors d’activités de production et de consommation. Le SCEE (Système de comptabilité environnementale et économique intégrée) de la division de Statistique des Nations unies est un exemple. Mais la tâche est loin d’être simple. Les systèmes comptables pilotes doivent d’abord être mis au point puis acceptés par différents pays volontaires, développés, émergents et en développement, et enfin appliqués à titre d’essai, avant de tenter leur chance auprès d’un panel plus large de pays. Une des recommandations faîtes par la société civile réunie, en 2011, autour d’une vision à long terme du développement durable en Belgique, concernait précisément la réforme des indicateurs. « En s’inspirant de l’Index of Sustainable Economic Welfare et du Genuine Progress Indicator, un indicateur de bien être doit être développé pour remplacer le PIB comme norme de gouvernance et pour l’élaboration des budgets »19. Mais il ne suffit pas de savoir mesurer pour gérer, il faut également réglementer, prendre des options claires sur l’avenir. Pour faire évoluer une société en transition « verte », une gamme complète de mesures incitatives, de réglementations juridiques, d’accords de commerce, de politiques stratégiques est nécessaire, tant au niveau national qu’international. Or il ne faut pas seulement créer de nouveaux outils mais détricoter également les anciens. En 2008, les combustibles fossiles bénéficiaient de subventions d’environ 650 milliards de dollars, ce qui n’incitait pas à investir dans les énergies renouvelables.20 Pourtant, si ces subventions, correspondant à 1% du PIB mondial en 2008, étaient consacrées à l’énergie propre, elles épongeraient une partie appréciable de l’effort nécessaire pour faire basculer l’économie mondiale vers une croissance bas carbone (1 à 2% du PIB21). Un des enjeux est précisément de réformer et de réduire les subventions préjudiciables à l’environnement. Tel est le cas aussi pour les subventions qui déforment le coût d’intrants agricoles en termes d’impact sur l’environnement, avec les conséquences également sur les prix de l’alimentation. Enfin une des solutions pour mieux appréhender la réalité est de mettre en lien d’un côté les biens et services environnementaux offerts par les espèces vivantes et de l’autre leur valeur économique. Des espèces offrent des biens et des services comme la nourriture, la fibre, du combustible, assurent la pollinisation, mais aussi, dans un autre registre, servent de paysage, offrent l’inspiration pour les designers... Pour prendre un exemple, la valeur économique de la contribution des insectes pollinisateurs

18 Y a-t-il un ordre économique durable ?, Pierre-Noël Giraud, Communication 23 septembre, 2002 - Cerna 19 Télescope : quand la société civile imagine une société durable en 2050, Associations 21, VODO, 2012, p. 38 20 Analysis of the Scope of Energy Subsidies and Suggestions for the G20 Initiative. Rapport commun de l’AIE, l’OPEC, l’OCDE et la Banque Mondiale soumis au Sommet du G20 de Toronto (Canada) les 26-27 juin 2010. 21World energy outlook 2009 : Executive summary, AIE, p.5

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à la production agricole est d’environ 190 milliards de dollars par an22. Cependant, même un chiffre important comme celui-ci ne rend pas assez compte de l’importance cruciale des abeilles pour les écosystèmes. Oxfam milite contre une marchandisation des ressources naturelles, des services prestés par la nature pour lui préférer le principe de l’équité en matière de bien communs. Equité d’usage et de droit plutôt que mécanismes de marché.

Une transition plus juste A côté du développement de filières vertes, il existe chez certains la volonté de changer le fonctionnement même de l’économie en resituant les besoins sociaux et les droits humains au cœur de la démarche. Il s’agit de monter en puissance mais aussi de rejoindre une vision plus holistique, relevant précisément du développement durable. L’économie se définirait alors de manière plus conforme à la définition originale du mot « économie » en grec (οἰκονοµία / oikonomía) qui évoquait « l’administration du foyer ». Or, à l’image du rôle joué par la maison dans le foyer, l’économie n’est pas une fin en soi mais un moyen pour atteindre le bien être collectif, de préférence sans surplus ni déchets inutiles. Le concept de « croissance » est en question, du point de vue environnemental aussi. « Chez Greenpeace on a clairement identifié la croissance comme un facteur de nuisance important vis-à-vis de l’environnement, même si le mouvement ne se prononce pas sur des solutions telles que la décroissance. Mais il est clair qu’il faut remettre en cause le système actuel de la surconsommation »23. En effet, la consommation, dans les pays riches et émergents, est trop importante pour les capacités de notre planète. De plus, l’analyse du cycle de vie du produit (LCA) révèle que les produits ne sont pas égaux en termes d’impact environnemental. Outil de gestion, le LCA se révèle un bon outil de sensibilisation « à l’enchaînement de causes et d’effets et la nécessité d’une économie circulaire renvoyant producteurs et consommateurs à leurs responsabilités respectives et interdépendantes »24. La série des « story of stuff » en donne de bons exemples25. Par ailleurs des solutions nombreuses et économiquement intéressantes pour chacun existent en matière d’éco-consommation26. Des Objectifs de Consommation pour le Millénaire existent27. Mais il faut que, en amont, les décideurs politiques réglementent la production et l’importation de produits écologiquement et socialement responsables. Or les modes de consommation sont ceux sur lesquels il y a le plus de mal à avancer internationalement. D’ailleurs la phrase de la Déclaration de Rio de 1992 sur ce sujet sème le doute chez celui qui veut un véritable changement de paradigme économique. « Les Etats devraient coopérer en vue de promouvoir un système économique mondial favorisant la croissance et le développement durable dans tous les pays. Ils ne doivent pas se servir des politiques de l’environnement comme prétexte pour justifier des restrictions aux échanges commerciaux ». L’environnement, un prétexte ? L’économie de marché est donc en question, tout comme les indicateurs de mesure tel que le PIB non prévus pour quantifier biens communs et ressources naturelles, parties essentielles du « foyer planétaire ». Qu’en est-il des nuisances dues à la pollution ou à l’inverse les aménités liées à l’appréciation d’un environnement sain ? Dans les deux cas, il s’agit d’externalités qui ont une valeur mais ne font pas spontanément l’objet d’achats et de ventes. Certains peuvent se dire aussi : « Pourquoi économiser une ressource qui n’a pas de prix et dont l’utilisation n’aura pas d’impact immédiat sur mon pouvoir d’achat ? ». Pourtant une vision plus large est indispensable.

22 Economic Valuation of the Vulnerability of World Agriculture Confronted with Pollinator Decline, N. Gallai, J-M Salles, J. Settele et B.E. Viassière, Ecological Economics (2009), Vol. 68 (3): 810-21 23 Michel Genet, in Quand social et environnemental se rencontrent, in Déclics, Oxfam-magasins du monde, décembre 2010, p.14 24 La vie des produits devient circulaire, in Regards croisés sur le développement durable : Boîte à outils à l’usage de la société civile, Associations 21, 2011, p.22 25 Anne Leonard : www.storyofstuff.org/international 26 Voir les sites du Réseau Eco-consommation : www.ecoconso.be, de l’Observatoire bruxellois de la consommation durable www.observ.be, de citoyens réunis autour de Poseco : www.economie-positive.be 27 Objectifs de consommation pour le Millénaire : http://www.millenniumconsumptiongoals.org/, présentation de cette initiative en français par Inter-environnement Wallonie : http://www.iewonline.be/spip.php?article4620

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Comment garantir le travail décent et la lutte contre la pauvreté au Sud et au Nord ? Comment contrer les véritables politiques d’ajustement structurel, qui ne disent pas leur nom, à présent partout en vigueur ? Une révolution culturelle est-elle nécessaire ? « Ce qui importe fondamentalement c’est de savoir comment les droits d’usage sur l’environnement peuvent se distribuer, et comment les bénéfices que l’on tire de l’environnement (y compris ceux qui n’ont pas spontanément de valeur marchande) se répartissent entre individus. Ces questions ne sont pas seulement pertinentes pour les pays développés, mais aussi pour les pays en développement, dont les populations souhaitent légitimement s’affranchir d’une logique de survie au jour le jour »28. Une économie de la fonctionnalité plutôt que de la propriété : innovation de rupture ? Pour répondre aux critères du développement durable, le verdissement de l’économie ne sera donc pas suffisant. « Le calcul du PIB donne une idée du niveau de vie individuel relatif du pays en question. Il ne donne en revanche aucune indication sur la façon dont sont réparties les richesses, ou encore sur l’impact environnemental de l’activité économique nécessaire à la création de richesses, puisqu’il ne comptabilise que ce qui a un prix. »29. Pourtant, à l’image de ce qui se passe avec les ressources naturelles, des « ressources sociales » (santé, l’éducation, la cohésion sociale …) devraient être davantage prises en compte. Ce sont aussi des conditions nécessaires à un développement économique. De même, les dispositions politiques et institutionnelles devraient être reprises dans les indicateurs de mesure. Cela permettrait d’avoir une appréciation plus correcte des politiques plus progressistes. Or, aucun organisme ou institution n’est chargé aujourd’hui de coordonner une liste d’indicateurs de développement durable. Leur construction ne fait pas l’objet d’un débat public ni d’une participation organisée. C’est d’autant plus regrettable que les indicateurs pourraient aussi être des instruments de sensibilisation auprès du public et des décideurs. Au sens littéral du terme, cela permettrait de remettre l’économie au cœur de la société.

L’économie sociale : un bon exemple « durable » Le fonctionnement de l’entreprise conditionne la durabilité des activités économiques. C’est ainsi que l’économie sociale incarne une vision plus large de l’économie verte que le seul développement de filières vertes. Les plus connues sont les coopératives, les mutuelles et les associations. Leur éthique de primauté de l’être humain sur le capital correspondrait mieux à la composante sociale du développement durable que la « responsabilité sociétale des entreprises » (RSE), qui reste basée sur le profit. « En éclaircissant quelque peu les deux concepts, on prend rapidement conscience qu’une entreprise qui s’inscrit dans une stratégie de durabilité ne joue pas le même jeu qu’une entreprise d’économie sociale. La première vise essentiellement à maximiser son profit en s’assurant de minimiser son empreinte environnementale et en essayant de créer un bon climat social à travers une série de mécanismes de gestion. La seconde, l’entreprise d’économie sociale, si elle ne se soustrait pas à la concurrence du marché, travaille essentiellement sur la dynamique sociale, la rentabilité financière étant cette fois une condition de réalisation de l’objectif et non plus une fin en soi. Il y a là un monde de différence. »30. Même « verte », l’entreprise n’aura pas comme objectif le plein emploi ou l’intégration des plus défavorisés. En cas de problème, l’entreprise privée supprimera des emplois plutôt que de réduire les bénéfices des actionnaires. Dans le secteur de l’économie sociale, l’indivisibilité des réserves correspondent mieux au patrimoine collectif et impartageable de l’environnement. Même quand il ne s’agit pas à proprement parler d’entreprises d’économie sociale structurées, l’invention de solutions collectives est un signe parlant : le covoiturage organisé, les SEL, les monnaies locales complémentaires, les groupes d’achat communs, les éoliennes citoyennes… Ce sont aussi des initiatives qui ont aussi l’intérêt de dépasser l’individuation de la responsabilité du consommateur. C’est le cas également des travailleurs du secteur de l’économie sociale.

28 Développement durable et économie, Olivier Beaumais, in Le développement durable : approches plurielles, sous la direction d’Yvette Veyret, Hatier 2005 29 Développement durable et économie, ibid. 30Economie sociale et développement durable : des valeurs communes, deux démarches distinctes, S. Evrard et P. Biélande, SAWB, 2006 : http://www.saw-b.be/EP/2006/A14ESetDD.pdf

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La finalité explicite au service de la collectivité (intérêt général et utilité sociale) du secteur de l’économie sociale permet de rencontrer à la fois l’objectif et la méthode. En effet, rien ne vaut l’exercice pratique d’une gestion collective pour épouser le contenu éco-systémique de l’environnement. Dès lors, il n’est pas étonnant que des responsables d’économie sociale se soient réunis fin 2011 pour un forum où se sont dégagés 5 projets et 20 propositions pour un changement de modèle, en vue de Rio + 20. Ces recommandations figurent dans une lettre ouverte aux responsables des Nations unies31. Démocratiser l’économie et réguler la finance, promouvoir la gouvernance collective, des choix sociaux et humains et mieux nourrir la planète sont les priorités. Le processus de décision démocratique qui sous-tend l’organisation même des entreprises d’économie sociale intègre une des bases du développement durable qu’est la notion de participation. « Il en résulte que la participation ne saurait se résumer au droit de vote, mais implique que le citoyen ait le moyen de faire entendre sa voix dans toutes les décisions susceptibles de l’affecter, et cela à tous les niveaux et dans tous les domaines, y compris l’économique »32. En économie sociale, il y a un enjeu politique collectif qui sous-tend l’activité économique. Concevoir le travail en commun, exprimer son avis en assemblée, gérer l’information, pratiquer la consultation, la concertation et la co-décision, l’évaluation, dégager des mandats opérationnels clairs en groupe sont des pratiques qui forment à la complexité des approches. Le concept de développement durable vise aussi un objectif complexe et holistique auquel la pratique de l’économie sociale, en évolution constante, apporte donc des outils essentiels. L’autonomie de gestion garantit à l’entreprise d’économie sociale une plus grande indépendance vis-à-vis des marchés. Bien que, dans les faits, ces entreprises sont confrontées à l’existence d’un marché, un autre cadre de référence s’interpose entre le marché et elles, surtout si elles se multiplient et collaborent entre elles. La transparence dans les méthodes et les enjeux de l’entreprise servent aussi l’autonomie de gestion. C’est aussi un secteur qui a précisément vocation d’oeuvrer sur base de principes propres. On peut observer qu’en économie sociale, l’ancrage des entités est davantage sectoriel et territorial et tient donc mieux compte des spécificités locales, aussi importantes en matière de développement que d’environnement. Or, de plus en plus on désigne par « application concrète » de développement durable, les projets locaux ou sectoriels qui font exister le concept plus global auquel le terme fait aussi allusion. En pratique, il s’agit d’entreprises actives dans la gestion des déchets, les énergies renouvelables, la vente de consommables, le recyclage… L’économie sociale invite à dépasser le cadre strict des filières vertes pour emprunter le chemin d’une économie plus équitable. Nous avons montré que ses outils sont plus proches de la finalité du développement durable que les structures d’une entreprise classique. Or le commerce équitable d’économie sociale existe. Il se différencie des entreprises qui vendent des produits labellisés fairtrade par son mode de fonctionnement et ses missions. Oxfam-Magasins du monde est un mouvement de bénévoles qui pilote la vente de produits issus du commerce équitable et la vente de vêtements de seconde main. Dans ces deux activités, Oxfam-Magasins du monde s’inscrit dans des initiatives collectives. Dans le cas des vêtements de seconde main, la charte du label éthique Solid’R est partagée par une cinquantaine d’organisations actives dans ce secteur33. Pour l’activité de commerce équitable, certaines organisations du Sud sont des coopératives34. Les projets de développement et les missions d’éducation permanente d’Oxfam se rejoignent. « Dans l’économie mondiale du début du XXIème siècle, l’enseignement est peut-être la condition préalable la plus importante pour une bonne participation au commerce mondial »35.

31 www.rencontres-montblanc.coop/sites/default/files/mbm_-_letter_to_the_heads_of_state.pdf 32Les indicateurs de développement durable : un défi scientifique, un enjeu démocratique, P-M Boulanger (Institut pour un développement durable, Belgique), Les séminaires d’IDDRI no. 12, p. 20 : http://ide.consultant.free.fr/IMG/pdf/IDDRI_-_Indicateurs_DD_-_Juillet_2004.pdf 33Charte du label éthique Solid’R : http://www.res-sources.be/projets/solidr#charte 34 Des coopératives pour démocratiser l’économie, François Graas, Oxfam-Magasins du monde, Janvier 2012, p.16 : http://www.oxfammagasinsdumonde.be/wp-content/uploads/2012/03/2012-des-cooperatives-pour-democratiser-l-economie.pdf 35 Human resource development and globalisation : What should low income developing countries do ? P. Bennel, Background paper for UK white paper on globalisation and development , Brighton : University of Sussex, Institute for development studies, in Le

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On peut développer une économie locale et sociale au Nord comme au Sud, partager les fruits (les produits) et les enseignements (les projets) d’activités croisées. Puisque nombre d’observateurs s’accordent à dire que nous vivons à l’ère de la mondialisation des échanges mais que les limites à nos projets sont planétaires, pourquoi ne pas socialiser les outils de développement en accord avec une vision universelle des droits humains ? Démocratiser l’économie ? Prôner un modèle et des initiatives qui remettent l’économie au service du citoyen, du producteur et du consommateur ? Oxfam-Magasins du monde érige ce modèle en projet politique et souhaite porter cette parole à Rio.

commerce international en faveur des pays pauvres, in Deux poids deux mesures : commerce, globalisation, et lutte contre la pauvreté, Oxfam, 2002, p. 273

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Pour une meilleure gouvernance du Pour une meilleure gouvernance du Pour une meilleure gouvernance du Pour une meilleure gouvernance du

développement durable développement durable développement durable développement durable A côté de l’économie verte, la gouvernance du développement durable est l’un des deux thèmes au centre de la prochaine Conférence de Rio+20. A commencer par une réforme institutionnelle au sein des structures des Nations unies. Mais pas seulement. Dans un monde ou la loi du marché s’impose en maître une régulation s’avère nécessaire. La question est aussi comment allier meilleure gouvernance et démocratie participative. Or, dans le document préparatoire à la Conférence de Rio (zéro draft), l’équité et la participation comme telles n’apparaissent pas. « L’intensification de la production de nourriture » est préférée aux principes de souveraineté alimentaire (priorité donnée à une agriculture familiale soutenable). Pourtant, l’essentiel se joue autour de la distribution et la répartition des terres, la dégradation des sols, le lien entre production et consommation locale, l’organisation logistique, la lutte contre le dumping et les crédits à l’exportation jusqu’à la présence éventuelle de corruption ou de conflits dans une région. « Au total, les pays africains souffrent généralement plus de la mal gouvernance que de l’absence de ressources, y compris celles humaines »1. Le Prix Nobel de la Paix, Amartya Sen, avait démontré que la cause profonde de la faim dans le monde relève davantage d’un déficit démocratique que d’une insuffisance alimentaire2. On le voit, les questions de gouvernance sont fondamentales. A commencer, par les programmes des Nations unies.

Les Nations unies face à ses institutions Des réformes institutionnelles au sein des structures des Nations unies pour le développement durable sont à l’agenda. Une Commission du développement durable (CDD) assure, depuis 1992, le suivi des engagements pris à Rio lors des assemblées annuelles et des réunions à caractère régional (l’ONU partage le monde en 5 grandes régions). Pour plus d’efficacité et de visibilité il serait bon de faire remonter la CDD dans l’architecture des Nations unies. « Parmi les idées qui circulent il y a celle de créer un Conseil mondial du développement durable, à l’instar du Conseil des droits de l’Homme. Une autre idée est de transformer l’ECOSOC, le Conseil économique et social des Nations unies, pour en faire une grosse machinerie du développement durable »3. Le PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) a un statut de programme, ce qui est insuffisant pour l’implémentation des mesures qu’il recommande. Là aussi, il faudrait que le PNUE acquière le statut d’agence des Nations Unies comme c’est le cas pour d’autres matières (FMI, Banque Mondiale, UNESCO, OIT). On évoque aussi la nécessité d’une simplification et d’un renforcement du système des accords multilatéraux sur l’environnement (AME) pour en faire une seule plateforme, plus cohérente. De fait, on hésite entre regrouper les compétences et les rendre plus spécifiques. Mais dans tous les cas, dans les institutions internationales, le développement durable (environnemental, social et économique) n’est ni assez transversal, ni assez pourvu de poids, de visibilité et de légitimité aux yeux de la communauté internationale. Un autre problème est le manque de cohérence des positions des représentants des Etats dans les différentes instances de l’ONU, selon les ministères d’où ils sont issus dans leurs pays respectifs. Par exemple, sur les questions agricoles, les ministères de l’agriculture et ceux de l’environnement peuvent parler d’une voix discordante. Des réformes internes aux Nations unies ont déjà eu lieu. Au Sommet mondial de 2005, les pays Membres ont établi « la mise en œuvre des réformes actuelles tendant à assurer dans les pays une présence des Nations unies qui soit plus efficace, rationnelle, cohérente et concertée et qui donne de meilleurs

1 Participation citoyenne, bonne gouvernance et développement durable : les conditions de la durabilité sociale des actions de développement, Siaka Coulibaly : http://www.francophonie-durable.org/documents/colloque-ouaga-a5-coulibaly.pdf 2 Agir ici pour la souveraineté alimentaire : http://www.oxfammagasinsdumonde.be/2012/04/agir-ici-pour-la-souverainete-alimentaire/ 3 Esprit de Rio, es-tu là ? Quatre regards sur vingt ans de développement durable, interview de Nadine Gouzée, responsable de la task force Développement durable au Bureau du Plan, in Imagine, no. 91, mai-juin 2012

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résultats, et à renforcer le rôle du haut fonctionnaire présent dans un pays, avec un cadre commun de gestion, de programmation et de suivi »4. Le principe d'unité d'action des Nations unies a permis de petites avancées vers une meilleure cohérence des agences des Nations unies sur le terrain. « Mais le véritable problème persistant reste la cohérence de l'ensemble du système international, pas seulement des Nations unies : les institutions financières internationales telles que la Banque mondiale et le FMI, les banques régionales de développement et autres doivent également faire partie de la solution»5. Du côté du financement des politiques climatiques, un processus a été mis en place lors de la conférence de Cancun de 2010, pour mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 20206 d’aide des pays développés vis-à-vis des pays à faible revenu, pour soutenir une transition verte. Ce fonds est censé rassembler tous les fonds climat existants. Mais la Banque mondiale ne peut rester gestionnaire du Fonds au-delà de 3 ans. En outre, sa mise en œuvre doit se faire en concertation avec tous les acteurs, et particulièrement les populations locales (indigènes, paysans,…). Le FEM (Fonds pour l’environnement mondial) est l’instrument de financement le plus important pour l’économie verte. Cependant, en 2007, l’architecture du financement des actions mondiales pour l’environnement a connu de rapides changements. Le changement climatique occupe la place centrale tandis que 14 nouvelles initiatives de financement ont vu le jour. La multiplication des fonds « soulève de nombreuses questions sur la future architecture de la finance environnementale mondiale – en particulier, quel rôle et quelles fonctions le FEM devrait jouer dans cette structure »7. D’autres institutions des Nations unies couvrent des matières essentielles connexes au développement durable. « Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale des Nations unies (CSA) a démontré, au cours de sa réunion annuelle qui s’est conclue samedi 22 octobre à Rome, qu’il est à la hauteur de son rôle d’institution centrale de gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire, de l’agriculture et de la nutrition. Cependant, plusieurs gouvernements, notamment des pays exportateurs membres du G20, ne sont pas encore prêts à faire face aux causes profondes des défaillances du système alimentaire mondial ni à reconnaître les vérités qui dérangent sur les lacunes de leurs politiques »8. Comment avancer, faute de consensus ? D’autres négociations s’éternisent. « Les principaux processus intergouvernementaux tels que le Cycle de Doha et les pourparlers sur un successeur au Protocole de Kyoto sur le climat ne sont pas loin de ressembler à des « zombies multilatéraux » (titubant sans cesse, sans jamais expirer tout à fait) »9.

Le manque de représentativité des décideurs du monde est aussi un grief fait aux institutions, aux réunions internationales comme les G8, le G20 : « La gouvernance mondiale, au sein des grandes institutions a tout d’un régime censitaire »10. Or, il s’agit ici des groupes de pays les mieux pourvus en moyens pour un rééquilibrage Nord Sud, pour un développement durable.

Le principe des 3 F (first, further et faster) - à savoir les premiers à agir, pour aller le plus loin et le plus vite - rappelle en résumé les responsabilités des pays à l’empreinte environnementale la plus lourde. Il s’agit d’un préalable à toute reprise de confiance des pays du Sud envers les plus développés. Il faut se rappeler que la Conférence de Johannesburg, en 2002, avait vu une relative désaffection des pays du Sud qui ne croyaient plus à la prise en compte de leurs priorités, au vu du peu de résultats obtenus depuis la première conférence de Rio.

4 Résolution A/60/1 de l’Assemblée générale des Nations unies (2005) : http://www.un.org/fr/ga/deliveringasone/index.shtml 5 Gouvernance pour un système alimentaire résilient, Alex Evans, Center on International Cooperation, New York University, Documents de discussion d’Oxfam, 2011 : http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/dp-governance-resilient-food-system-270511-fr.pdf 6 Communiqué de presse de la CCNUCC (Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques), 12 décembre 2010 7 New finance for climate change and the environment, G. Porter, N. Bird, N. Kaur et L. Peskett, WWF, 2008 : http://www.worldwildlife.org/what/howwedoit/conservationfinance/WWFBinaryitem10912.pdf 8 Les progrès accomplis au Comité de Sécurité Alimentaire, Oxfam Solidarité, http://www.oxfamsol.be/fr/Les-progres-accomplis-au-Comite-de.html 9 Gouvernance pour un système alimentaire résilient, Alex Evans, Center on International Cooperation, New York University, Documents de discussion d’Oxfam, 2011 : http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/dp-governance-resilient-food-system-270511-fr.pdf 10 Inégalités Nord-Sud et développement durable, CGT, 2005 : http://www.cgt.fr/IMG/pdf_InegalitesNordSud.pdf

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Enfin le manque de moyens des institutions internationales, est récurrent et cela d’autant plus que certains pays et non des moindre, comme les Etats-Unis, ne payent pas toujours leurs cotisations.

La logique sectorielle des plans d’action Souvent la logique sectorielle domine la mise en œuvre des plans d’action. La multitude des plans d’action environnementaux (PNAE) qui ont fait suite à la conférence de Rio de 1992, n’était pas intégrée aux stratégies officielles du développement dans les pays en développement. « De ce fait, ils n’ont pas été considérés comme prioritaires et n’ont pas reçu le soutien des ministères clés (ministère des Finances, en particulier), des institutions de Bretton Woods et de l’ensemble des donateurs »11. Les plans d’action d’adaptation (PANA) en matière de changement climatique et destinés aux pays les moins avancés, sont élaborés par les ministères de l’Environnement, « d’où les difficultés liées à leurs ressources limitées et à leur faible poids politique, ainsi qu’au peu de soutien et d’implication des autres ministères»12. De plus, la nature systémique du développement durable demande qu’on traite conjointement les matières liées entre elles. Ainsi en va-t-il pour le changement climatique, la déforestation, l’agriculture, le transport, l’énergie … Certains efforts sont pourtant consentis : « récemment une tendance se développe pour une cohérence plus affirmée des actions réalisées en fonction de logiques thématiques (gouvernance de proximité, aménagement du territoire, services publics locaux, eau, développement durable) dans la continuité des engagements de Johannesburg et Kyoto, avec un développement des réflexions à l’échelle des régions en liaison avec l’ensemble des acteurs du territoire »13. Cependant, on peut regretter que les programmes environnementaux - de la conception à l’exécution - empruntent la logique top-down. Souvent experts et technocrates, auxquels succèdent des bureaucrates, ne tiennent pas assez compte du savoir des populations locales, notamment leur expérience d’adaptation face aux transformations. Même si certaines initiatives existent comme des projets d’écotourisme ou des Fonds multi-bailleurs pour les écosystèmes en danger critique (CEPF)14, soutenus par des ONG locales issues de la société civile, l’appropriation par les populations locales est la vraie difficulté de ces projets. De même, les politiques élaborées et exécutées sans concertation suffisante avec les organisations paysannes et la société civile sont un échec.

En résumé : « de manière générale, les efforts réalisés par le passé pour intégrer les questions environnementales dans les politiques de développement ont été caractérisés par trois principaux défauts. Ils n’ont pas été totalement intégrés dans la stratégie de développement des pays. Ils ont été poursuivis sous la forme d’approches technocratiques, du haut vers le bas. Enfin, ils n’ont pas été soutenus d’une façon systématique par les pays développés »15.

Des Objectifs du Millénaire aux Objectifs de développement durable Des Objectifs mondiaux de développement durable (Sustainable Development Goals ou SDGs) sont envisagés à l’issue de Rio+20. Ils pourraient intégrer tout ou partie des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Toutefois ces derniers s’adressaient davantage aux pays en développement et incluaient une majorité d’objectifs sociaux. Pour ne pas perdre au change, garder la priorité sociale et continuer le travail sur les Objectifs du Millénaire jusqu’en 2015, il faudra rester vigilant. D’autre part, la communication gagnerait à être meilleure que celle qui a prévalu pour les Objectifs du Millénaire. Ceci notamment vis-à-vis des pays les moins développés afin qu’ils connaissent mieux les opportunités concrètes offertes au niveau local.

11 Le développement durable, une nécessité pour les pays du Sud, P. Jacquet et J. Loup, in Regards sur la Terre 2009, p. 193 12 Le développement durable, une nécessité pour les pays du Sud, ibid. 13 Les coopérations au développement durable en question dans les pays du Sud, Géraldine Froger, in Développement durable et territoires, Vol. 1, no. 1, Mai 2010 : http://developpementdurable.revues.org/8364 14 Critical Ecosystem Partnership Fund 15 Le développement durable, une nécessité pour les pays du Sud, P. Jacquet et J. Loup, Regards sur la Terre, 2009, p. 183 : http://www.pierrejacquet.fr/IMG/pdf/Chap8.pdf

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Enfin, à l’époque, les Objectifs du Millénaire ont été plutôt lancés que négociés. On peut parier que ce ne sera plus le cas pour les Objectifs du Développement Durable. Les pays du Sud vont sans doute veiller aux engagements pris par les pays du Nord avant de s’impliquer. Il en va de la crédibilité des intentions affichées par les pays les plus riches. Ces objectifs de développement durable devraient intégrer les conventions sur le climat, la biodiversité et le développement durable. Ce dernier, à son tour, intègrerait des objectifs de consommation et de production car, surtout chez nous, l’impact environnemental en est très important. Si la pauvreté absolue a baissé, la pauvreté relative a augmenté, aussi, mais pas seulement, à cause de la crise économique actuelle. En effet, le manque de volonté politique a fait que, malgré les Objectifs du Millénaire, la surexploitation des populations défavorisées reste une constante. Il résulte aussi que « les solutions proposées se limitent à augmenter les ressources des pays en développement dans les secteurs sociaux visés, sans remettre en cause l’architecture financière internationale et les règles du commerce mondial »16. Le Secrétaire général des Nations unies résume ainsi la situation : « Si les progrès accomplis sont insuffisants, ce n’est pas parce qu’il est impossible d’atteindre les objectifs du millénaire, ou parce que les délais sont trop courts, mais parce que les engagements ne sont pas respectés, que les ressources ou la volonté mobilisées sont insuffisantes, que le principe de responsabilité n’est pas respecté et que le développement durable recueille un intérêt limité »17.

Et l’Europe ? Dans l’Union européenne, une partie importante des compétences en matière environnementale a été transférée aux institutions européennes. Ainsi, les Etats membres sont contraints à appliquer les directives et règlements de la Commission. En regard d’autres Etats, l’Union européenne fait figure d’exemple dans un certain nombre de règlementations environnementales. Mais il vaudrait mieux que les règles de libre-échange portent la marque du développement durable. Autrement dit, l’Europe ferait bien de calibrer les droits de douane sur le respect de principes sociaux et environnementaux, de manière évolutive, afin d’encourager les pays tiers à adopter les mêmes règles. Dans une communication de 2011, la Commission européenne suggère des instruments réglementaires traditionnels fondés sur les mécanismes de marché (taxes, permis négociables, subventions environnementales, incitations fiscales destinées aux PME, écotaxes et prix de rachat). Parmi les propositions, relevons une qui touche le travail : « Des réformes fiscales déplaçant le poids de la fiscalité du travail vers les activités ayant des impacts environnementaux et l’énergie peuvent être bénéfiques à la fois pour l’emploi et pour l’environnement »18. En outre, les politiques belges et européennes (commerciales, agricoles, climatiques, de santé, de coopération, etc…) devraient être cohérentes entre elles et contribuer à éliminer la faim, soutenir le développement, contenir le réchauffement climatique, préserver l’environnement, renforcer l’agriculture familiale et durable. Au niveau national toute mesure doit impliquer des institutions telles que les comités économiques et sociaux nationaux et les conseils nationaux pour le développement durable qui devraient être accrus et de manière transversale. Penser aux pays les moins avancés, c’est aussi tenir compte de ceux qui en viennent, en raison de problèmes économiques, de gouvernance ou d’environnement. « Ainsi, on parle toujours du fossé Nord-Sud, mais que dire du mur virtuel ou réel que dressent les pays industrialisés face à l’afflux des demandeurs d’asile ? (…) Si le pays riches restent un paradis désirable pour tant d’humains en déroute, 16 Les objectifs du millénaire : un bilan critique 10 ans après leur adoption, Arnaud Zacharie, CNCD-11.11.11, Septembre 2010, p. 16 : http://www.cncd.be/Les-objectifs-du-millenaire-un 17 Tenir les engagements pris : bilan prospectif visant à promouvoir un programme d’action concerté afin de réaliser les objectifs du millénaire pour le développement d’ici à 2015, Rapport du Secrétaire général, Assemblée générale des Nations unies, 12 février 2010, p. 18 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, 20.06.2011, p. 9

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c’est bien parce que trois principes de la déclaration de Rio ont failli : l’équité dans la satisfaction du droit au développement, l’élimination de la pauvreté et le principe de responsabilité commune mais différenciée »19.

Les enjeux géostratégiques 20 ans après Lors de la Conférence de Rio de 1992, on bénéficiait de l’euphorie lié à la fin de la guerre froide. Un monde multipolaire voyait le jour : « certes le monde bipolaire a bel et bien disparu, mais au profit de la consécration de la globalisation néolibérale qui a donné la priorité au pilier économique, par rapport au pilier social et environnemental »20. Par ailleurs, les attentats du 11 septembre ont joué sur les relations entre Etats. La crise financière de 2008 a confirmé le poids des marchés et affaibli les finances publiques. Les enjeux électoraux dans certains pays comme les Etats-Unis, l’Allemagne pourront aussi jouer, lors du prochain Sommet de juin. Quant aux opinions publiques, elles sont plus ou moins prises en compte par leurs dirigeants selon le type de régime, l’orientation politique, l’agenda interne. En Europe, l’austérité, le chômage et la crise de l’Euro occupent le devant de la scène, médias compris. Les pays émergents sont pris entre croissance et inégalités au sein de leurs populations. Enfin les pays les moins avancés sont ceux qui sont en droit d’attendre le plus d’une conférence mondiale mais qui sont aussi le moins représentés et le moins médiatisés. Tous ces facteurs peuvent aller à contresens de la Conférence de Rio, malgré son vaste programme. De plus, même si un consensus se dégageait de l’ensemble, est-ce que cela s’assortirait de politiques suffisamment contraignantes et d’une feuille de route concrète ? Un échec serait pourtant grave : « le fait d’avoir défini un programme aussi ambitieux fait courir le risque qu’un échec du sommet vienne marginaliser encore davantage le développement durable dans les priorités politiques internationales »21.

Le système économique à l’épreuve d’une meilleure gouvernance ? Comment une meilleure gouvernance pourrait-elle jouer sur l’économie ? Pour certaines parties prenantes s’attaquer aux vraies causes des inégalités comme de la dégradation de l’environnement signifie mettre en cause le système économique tout entier. Or les pays les plus pauvres de la planète n’ont souvent comme interlocuteurs que des acteurs économiques. Rio 2012 pourrait être une opportunité pour la société civile de prendre sa place dans le face à face entre Etats et Business. Des politiques commerciales plus régulées, subordonnées aux droits humains et à la préservation des biens communs ? Le droit d’usage soutenable remplacerait le droit d’échange (commerce) pour les ressources appartenant au patrimoine de l’humanité. En tous cas, soutenir des modes de production et de consommation plus durables fait partie de thématiques prévues à la Conférence de Rio. Parmi les solutions proposées par le PNUE : « les politiques destinées à assurer un soutien efficace et à impliquer le secteur privé prévoient notamment l’utilisation d’objectifs, de pénalités et d’incitations comme les « feed-in laws » (lois fixant des tarifs minimums garantis pour les énergies renouvelables) et les normes d’efficience pour les bâtiments et les appareils, ainsi que des activités dynamiques de recherche et développement. »22. Certains investisseurs institutionnels à long terme tels que les fonds de pension et les compagnies d’assurances envisagent la possibilité de réduire les risques ESG (environnemental, social et de gouvernance) par la constitution de portefeuilles « verts ». Un cadre réglementaire et un système intégré

19 Eponger ou fermer le robinet ?, in Regards croisés sur le développement durable : Boîte à outils à l’usage de la société civile, Associations 21, p. 18, 2011 20 Quitte ou double pour le développement durable, Arnaud Zacharie, CNCD-11 11 11, in Imagine demain le monde, no. 91, mai-juin 2012, p. 32 21 Quitte ou double pour le développement durable, ibid. 22 Emplois verts : Pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone, PNUE, 2008

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de reporting seraient des outils complémentaires à l’application des critères ESG. Les politiques de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) font partie des solutions avancées par le secteur privé en matière de développement durable. Mais pour beaucoup d’ONG et de courants politiques alternatifs, il faut passer à la vitesse supérieure et s’attaquer ni plus ni moins à la régulation des marchés.

Régulation des marchés

Depuis la Conférence de Rio de 1992, on a assisté à la montée en puissance de certains acteurs économiques, comme les entreprises multinationales, les marchés financiers, les agences de notation financière… Les contre pouvoir n’ont pas suivi. Les politiques de l’OMC, le FMI, la Banque mondiale, les Banques centrales sont soumises aux enjeux géostratégiques ou se révèlent inégalitaires. Ajoutons l’absence d’une vraie fiscalité internationale sur la spéculation. Or, pour Oxfam, développement durable et « laisser faire » sont incompatibles. « Le terme régulation est important pour les ONG. Il s’agit de se donner un cadre pour aller vers le respect de règles sociales et environnementales à l’échelle internationale. De s’imposer des règles de gestion de l’offre et de la demande afin de maintenir l’exploitation des ressources en dessous de la biocapacité terrestre et dans le respect des droits humains »23.

Les instruments devraient être incitatifs, mais, au besoin coercitifs. Or, dans la Déclaration de Rio de 1992, la régulation n’est pas à l’ordre du jour : « Les Etats devraient coopérer en vue de promouvoir un système économique mondial favorisant la croissance et le développement durable dans tous les pays. Ils ne doivent pas se servir des politiques de l’environnement comme prétexte pour justifier des restrictions aux échanges commerciaux ».

Cependant les marchés publics durables (green procurements) sont importants pour les marchés de biens et de services durables tandis que les subventions sont un puissant catalyseur pour une transition verte. A l’inverse, si elles transforment, des activités non durables en activités artificiellement bon marché ou à faible risque, elles faussent le marché par rapport à l’investissement dans des solutions vertes. C’est le cas des subventions baissant le coût d’utilisation des combustibles fossiles qui donnent un sursis, à court terme. Pourtant, même si moins rentable politiquement, les subventions pour l’isolation des bâtiments seraient bien plus utiles, à long terme. Investir dans les énergies renouvelables tombe sous le sens mais réguler les marchés des matières premières devrait aussi être une priorité des institutions internationales. Le pétrole représente 10 à 15% du total des importations des pays africains importateurs de pétrole et absorbe en moyenne plus de 30% du revenu de leurs exportations24, 45% pour l’Inde et plus de la moitié pour des pays comme le Kenya et le Sénégal. Un gouffre sans fin ?

La gouvernance au secours de la résilience des populations Par un effet d’une part de rétroaction et d’autre part d’inertie, certains phénomènes de pénurie de ressources naturelles et de changement climatique vont se produire, quoiqu’on fasse. D’autres pourraient être encore freinés ou évités. La question se pose donc, dès maintenant, des capacités de résilience des populations qui est la capacité à gérer collectivement toutes formes de risques, tant au niveau national qu’international. Dennis Meadows, co-auteur, du best seller prémonitoire, La limite de la croissance, invite scientifiques et politiques à penser en termes de chocs de rupture présents et à venir. Prévoir des sources alternatives (redundancy), des grands modules de stockage (buffering) et améliorer l’efficience des dispositifs (efficiency) sont ses maîtres mots25.

23 Brigitte Gloire, Oxfam Solidarité, Esprit de Rio, es-tu là ? Quatre regards sur vingt ans de développement durable, in Imagine demain le monde, no. 91, mai-juin 2012 24 Meeting trade and development challenges in an era of high and volatile energy prices : oil and gas in LDCs and African countries, CNUCED (2006), p. 4 25 « Il faut construire rapidement de la résilience », entretien avec Dennis Meadows, in Imagine, no. 91, mai-juin 2012, p. 20

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« Une chose est sûre : les chocs et les tensions vont changer la donne. À défaut d'une impulsion mondiale majeure en faveur de l'universalisation de la sécurité alimentaire et du développement durable, la volatilité (des prix des denrées alimentaires, du cours du pétrole, des impacts climatiques ou autres) va s'intensifier continuellement. À terme, cela devrait forcer les responsables de l'élaboration des politiques à s'engager plus sérieusement et à soutenir pour ce faire le leadership et l'espace politique qui font actuellement défaut »26. Selon les latitudes, le niveau économique du pays, le système politique et juridique, les infrastructures, la couverture sociale, les effets des chocs seront variables, donc la résilience exigée de la part des populations aussi. La gouvernance des Etats d’une part et leur représentativité sur le plan international d’autre part sont deux facteurs déterminants. Les îles du Pacifique qui risquent d’être submergées en raison de la montée des eaux seraient en droit d’attendre d’une conférence mondiale comme celle de Rio des mesures planétaires adéquates. Plus nombreuses, les populations des côtes, comme celle du Bengladesh, déplacée par millions, en 2007, espèrent un même sursaut démocratique après le silence assourdissant de la communauté internationale et des médias, à l’époque. Qu’en sera-t-il ?

La participation de la société civile Parmi les principes fondateurs du développement durable, « la participation » est la base de l’édifice. Le principe 1 de la déclaration de Rio 1992 stipule que « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable ». Le principe 10 prévoit le droit de chaque citoyen d’avoir accès aux informations relatives à l’environnement et d’avoir le droit de participer aux processus de prise de décision. Il établit explicitement que « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient (…) ». Que cela signifie-t-il en concret ? Les groupes reconnus lors de la Conférence de Rio 1992 comme composantes de la « société civile » sont les ONG, les syndicats, les producteurs fermiers, les femmes, les jeunes, les entreprises et l’industrie, les pouvoirs locaux, les populations indigènes et les scientifiques. L’UNESCO entend par société civile l’auto-organisation de la société en dehors du cadre étatique et commercial. L’Union européenne reprend sous ce terme les organisations syndicales et patronales, les ONG, les associations professionnelles, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, avec une contribution spécifique des Eglises et communautés religieuses.

Si les définitions diffèrent, le rôle des ONG dans les grandes conférences internationales est essentiel. Qu’il s’agisse de droits humains ou d’environnement, donc de développement durable, multiplier les parties prenantes est synonyme de démocratie. Sur le plan individuel les choix sont souvent faussés : « si la société civile met si souvent l’accent sur la dynamique collective, c’est bien parce que le marché renvoie constamment le consommateur à son individualité »27.

Parmi les initiatives de la société civile on peut évoquer celles du mouvement altermondialiste. Il peut être vu comme combinant plusieurs démarches : « la résistance aux logiques dominantes, la recherche des alternatives, la négociation en situation. Ce mouvement articule plusieurs formes d’expression : les luttes ; les pratiques solidaires ; les réflexions et l’élaboration. L’ensemble de ces dimensions alimente le débat démocratique et citoyen qui caractérise ce mouvement (…) nouvel espoir né du refus de la fatalité ; c’est le sens de l’affirmation un autre monde est possible. Nous ne vivons pas La fin de l’Histoire ni Le Choc des Civilisations ».28 Pourtant, il faudrait renforcer encore le rôle la société civile au niveau des Nations unies. Parmi les missions confiées au PNUE figure d’ailleurs l’objectif de « fournir les moyens de stimuler la participation

26 Gouvernance pour un système alimentaire résilient, Alex Evans, Center on International Cooperation, New York University, Documents de discussion d’Oxfam, 2011 : http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/dp-governance-resilient-food-system-270511-fr.pdf 27 Responsabilité individuelle ou collective ? in Regards croisés sur le développement durable : Boîte à outils à l’usage de la société civile, Associations 21, 2011, p.15 28 Développement durable et altermondialisme, Gustave Massiah : www.encyclopedie-dd.org

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active des citoyens et mettre en avant l’intérêt de la contribution des organisations non-gouvernementales pour la préservation et le développement de l’environnement ».

Une gouvernance globale ou polycentrique ?

En l’absence d’un parlement mondial et d’une définition commune du bien commun quelle gouvernance mondiale espérer ? Les rencontres mondiales autour des questions environnementales sont généralistes ou plus spécifiques, comme, par exemple, les Sommets sur l’eau. Reste que face à la complexité des enjeux et à l’interaction avec d’autres perspectives (économiques et sociales) ou géographiques, seule une gouvernance mondiale serait à même d’agir plus largement.

Mais les Etats restent sur une conception hierarchique, passéiste du monde alors que de nouveaux moyens de communication (internet), d’échange de biens ou de services et de mobilité internationale accrue s’imposent. De plus, la peur de perdre leur souveraineté reste un obstacle majeur. « La question de la gouvernance globale est souvent abordée dans un cadre statique. Elle recouvre pourtant essentiellement des processus, des arrangements et des compromis en évolution constante »29. Une plus grande souplesse dans le dialogue est-elle à inventer ?

A côté d’une gouvernance mondiale, on parle d’une gouvernance polycentrique 30. Cette dernière verrait chaque institution assumer des responsabilités propres à son niveau d’intervention afin de ne pas dépendre d’une hiérarchie et d’un pouvoir externe. Les expériences locales, citoyennes, les forums participatifs revendiquent des moyens plus importants pour s’institutionnaliser. Des centres de décision délocalisés sont préférés, au nom d’une représentativité bottom-up. Le fait que les fonctionnaires ne sont pas forcément formés à l’association des citoyens aux décisions publiques est parfois un frein.

La gouvernance au niveau local

Devant la taille des phénomènes, certains optent pour des approches à un niveau plus local que les niveaux internationaux ou même nationaux, pour faire face à des problèmes universels. Un exemple de meilleure gouvernance : l’Agenda 21 au niveau local qui est en avance sur la construction d’indicateurs, d’expériences d’évaluation, de reporting (rapport annuel par exemple), et de participation des citoyens, dont les élèves des écoles. En matière d’énergie, par exemple, les projets d’énergie renouvelable, développés au niveau des villes et des villages, rassemblent les citoyens et pouvoirs locaux autour de projets concrets. Les projets de Villes en transition 31 font de même. C’est le cas aussi pour d’initiatives telles que les Communes de commerce équitable32, Ca passe par ma commune33 qui voient le même principe s’appliquer au niveau de la consommation responsable. Même constat pour les Jeunes magasins du monde d’Oxfam-Magasins du monde34 qui invitent les jeunes des écoles secondaires à se former au commerce équitable (vente de produits) et à s’éduquer aux enjeux sociaux et mondiaux (éducation permanente).

Les nouvelles formes d’expression de la démocratie D’une autre nature, mais inspirées par le même principe de démocratie participative, les initiatives des derniers mois telles que le mouvement des Indignés et Occupy35, le manifeste du G1000 à Bruxelles36, les assemblées de citoyens islandais37 marquent la volonté de se faire entendre autrement que par le seul vote. Pierre Rabhi qui a lancé la campagne Soyons tous candidats lors des présidentielles françaises ne

29 Développement durable : quelles dynamiques ?, Cahier du GEMDEV no. 29 (Groupement d’intérêt scientifique pour l’étude de la mondialisation et du développement), 2003 : http://www.gemdev.org/publications/cahiers/cahiers29_res.htm 30 Polycentric systems for coping with collective action and global environmental change, no. 20, 2010, p.550-557 31 http://villesentransition.net/ 32 http://www.cdce.be/ 33 http://www.oxfammagasinsdumonde.be/campagnes/ca-passe-par-ma-commune/ 34 http://www.oxfammagasinsdumonde.be/s-engager/jm-oxfam/ 35 www.occupytogether.org 36 www.G1000.org 37 L’expérience islandaise, in Imagine demain le monde, no. 91, mai-juin 2012, p. 35

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dit pas autre chose. Un Audit citoyen sur la dette est aussi une idée française38 reprise en Belgique par le CADTM39. Ces initiatives désirent collectiviser la parole de chacun là où leur sont offertes privatisation des intérêts publics et parole top-down. Certains établissent que le vote est le principal instrument de démocratie, d’autres veulent étendre le concept à la participation des citoyens aux instances, au débat public de manière permanente. « Le modèle « agrégatif » de la démocratie libérale considère le processus politique comme un simple arbitrage par le vote entre les préférences données a priori et dont la formation est antérieure au processus électoral. Le modèle est le marché40, non le forum. (…) Cependant, il existe un autre modèle de démocratie, le modèle « délibératif » dans lequel le processus politique a précisément pour objet la création d’une vision commune du bien – ou du juste. Le vote proprement dit a moins d’importance que la délibération. C’est de celle-ci que vient la légitimité des décisions, davantage que du vote ou de la négociation entre des parties cherchant à défendre leurs intérêts privés »41. En matière de résilience, de politique Nord Sud et de développement, une ONG comme Oxfam met la gouvernance au centre de tous les débats. Garde fou ou force d’interpellation, sa mobilisation est permanente, partout où plus de justice et d’équité sont nécessaires. Encore davantage en présence d’urgences. Or la Conférence de Rio s’ouvrira sur un constat tel que toute opportunité devra être saisie, ensemble, comme on réagit face à un choc. « Une part du rôle politique des organisations telles qu'Oxfam consiste à anticiper et à se préparer à exploiter les ouvertures politiques qui se dessinent au lendemain d'un choc, lorsqu'évoluent les priorités politiques et que naît une volonté soudaine de penser à l'impensable aux yeux des responsables de l'élaboration des politiques et du grand public, même si cette transition ne dure pas. Cela requiert de s'investir dans la mise en place d'une planification anticipée, à la fois sur le type de politique à défendre lorsqu'une opportunité se présente et sur les modèles de coalitions requis pour les matérialiser »42.

38 www.audit-citoyen.org 39 www.cadtm.org 40 The market and the forum : Three varieties of political theory, J. Elster, in Deliberative democracy. Essays on Reason and Politics, J. Bohman and W. Rehg (eds), The MIT Press, Cambridge, Mass., 1999, p.3-33, 41 Les indicateurs de développement durable : un défi scientifique, un enjeu démocratique, Paul-Marie Boulanger Les séminaires de l’IDDRI no. 12, p. 13 : http://www.iddri.org/Publications/Collections/Idees-pour-le-debat/Les-indicateurs-de-developpement-durable-un-defi-scientifique,un-enjeu-democratique 42 Gouvernance pour un système alimentaire résilient, Alex Evans, Center on International Cooperation, New York University, Documents de discussion d’Oxfam, 2011 : http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/dp-governance-resilient-food-system-270511-fr.pdf