le dharma d'emanuel swedenborg

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1 Le Dharma d'Emanuel Swedenborg: Une Perspective Bouddhiste Par David Loy Arcana (Journal of the Swedenborg Association) Vol. 2, No. 1 (1995) pp. 5-31 Copyright 1995 by the Swedenborg Association __________________________________________________________________________________ Traduction française Les notes entre crochets [ ] et les astérisques sont du traducteur. La plupart des citations de Swedenborg ont été reprises des traductions françaises de LE BOYS DES GUAYS __________________________________________________________________________________ ... Cachées sous des noms, des phrases et des symboles judéo-chrétiens, et dispersées dans d'ennuyeux in-octavo dogmatiques et soporifiques, se trouvent les pures et précieuses vérités bénies du bouddhisme. Philangi Dasa, le bouddhiste Swedenborg (1887) Révolutionnaire en théologie, voyageur du Ciel et de l'Enfer, grand homme du monde spirituel, grand roi du royaume mystique, clairvoyant unique dans l'histoire, érudit d'une vigueur incomparable, scientifique à l'intelligence pénétrante, gentilhomme libre des vices mondains: tout cela combiné en une personne fait Swedenborg... Ceux qui souhaitent cultiver leur esprit, ceux qui déplorent la présente époque, doivent absolument connaître cette personne. DT Suzuki, Swedenborg (1913) En janvier 1887, un ancien pasteur Swedenborgien du nom de Carl Herman Vetterling, qui se faisait appeler Philangi Dasa, a commencé à publier aux États-Unis le premier journal bouddhiste. Le numéro inaugural de "The Buddhist Ray", qu'il a édité dans sa cabane, dans les montagnes au-dessus de Santa Cruz, proclamait se consacrer au bouddhisme en général, et au bouddhisme de Swedenborg en particulier. La première page du prospectus informe les lecteurs que seraient "publiés les enseignements conférés par les bouddhistes mongols à Emanuel Swedenborg, et qu'il diffusa dans ses écrits mystiques"."Comme cette déclaration le suggère, Philangi Dasa n'avait pas peur de la

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Traduction française de l'article de David Loy "The Dharma of Emanuel Swedenborg"

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Page 1: Le Dharma d'Emanuel Swedenborg

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Le Dharma d'Emanuel Swedenborg: Une Perspective Bouddhiste

Par David Loy

Arcana (Journal of the Swedenborg Association)

Vol. 2, No. 1 (1995)

pp. 5-31

Copyright 1995 by the Swedenborg Association

__________________________________________________________________________________

Traduction française

Les notes entre crochets [ ] et les astérisques sont du traducteur.

La plupart des citations de Swedenborg ont été reprises des traductions françaises

de LE BOYS DES GUAYS

__________________________________________________________________________________

... Cachées sous des noms, des phrases et des symboles judéo-chrétiens, et dispersées dans d'ennuyeux in-octavo dogmatiques et soporifiques, se trouvent les pures et précieuses vérités bénies du bouddhisme. Philangi Dasa, le bouddhiste Swedenborg (1887)

Révolutionnaire en théologie, voyageur du Ciel et de l'Enfer, grand homme du monde spirituel, grand roi du royaume mystique, clairvoyant unique dans l'histoire, érudit d'une vigueur incomparable, scientifique à l'intelligence pénétrante, gentilhomme libre des vices mondains: tout cela combiné en une personne fait Swedenborg... Ceux qui souhaitent cultiver leur esprit, ceux qui déplorent la présente époque, doivent absolument connaître cette personne. DT Suzuki, Swedenborg (1913)

En janvier 1887, un ancien pasteur Swedenborgien du nom de Carl Herman Vetterling, qui se faisait appeler Philangi Dasa, a commencé à publier aux États-Unis le premier journal bouddhiste. Le numéro inaugural de "The Buddhist Ray", qu'il a édité dans sa cabane, dans les montagnes au-dessus de Santa Cruz, proclamait se consacrer au bouddhisme en général, et au bouddhisme de Swedenborg en particulier. La première page du prospectus informe les lecteurs que seraient "publiés les enseignements conférés par les bouddhistes mongols à Emanuel Swedenborg, et qu'il diffusa dans ses écrits mystiques"."Comme cette déclaration le suggère, Philangi Dasa n'avait pas peur de la

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controverse, et quelles que soient les lacunes savantes de son journal ce n'était pas ennuyeux. "Livrant ses vues peu orthodoxes avec ses vertueuses convictions, il offensa régulièrement les lecteurs, mais son franc-parler marqué par la sincérité fait de "The Buddhist Ray", l'une des revues bouddhistes les plus animées." 1

Dans la même année, Philangi Dasa a également publié "Swedenborg the Buddhist, or The Higher Swedenborgianism, Its Secrets and Thibetan Origin". George Dole a décrit avec tact cela comme "

quelque peu étrange" 2 mais le livre n'est pas sans charme. Présenté comme un rêve de 322 pages, il prend la forme d'une conversation entre lui-même, Swedenborg, un moine bouddhiste, un brahmane, un Parsi, un Chinois, un Aztèque, un Islandais, et "une femme". Le résultat est une plaisante synthèse théosophique des croyances religieuses et des mythologies de nombreux pays. Comme on pouvait s'y attendre de par son arrière-plan et les textes disponibles de son temps, Philangi Dasa en savait plus sur Swedenborg que sur le bouddhisme, et son but déclaré, montrer que Swedenborg était vraiment un bouddhiste, cache une autre motivation, utiliser le bouddhisme pour révéler les lacunes du swedenborgisme. Le ton est celui d'un amoureux déçu:

"Même si je suis bien préparé par Swedenborg, c'est mettre un rasoir dans les mains d'un enfant que de mettre ses écrits théologiques entre les mains d'un homme qui n'est pas versé dans les enseignements spirituels de l'Asie en général, et dans les enseignements du bouddhisme en particulier, car il peut les adopter et, avec un grand nombre de membres de la "Nouvelle-Église", mourir dans le doute et le désespoir." 3

La revue et le livre de Philangi Dasa sont oubliés depuis longtemps, mais il ne fut pas le seul à remarquer les similitudes entre Swedenborg et le bouddhisme. Quelques années plus tard, DT Suzuki, l'érudit japonais, qui deviendra plus tard célèbre pour ses nombreux livres sur le Zen, fut, autrefois, durant ses années de collaboration avec Paul Carus dans l'Illinois (1897-1908) introduit à l'œuvre de Swedenborg. 4

Une correspondance avec des swedenborgiens de la région de Philadelphie aboutit à une invitation à traduire en japonais "Le Ciel et l'Enfer", et qui s'accomplit lors d'une visite durant les fêtes de Noël à Londres. De retour dans son pays d'origine Suzuki introduit Swedenborg au Japon, en publiant la traduction en 1910 "Le Ciel et l'Enfer", suivie par "l'Amour Divin et la Sagesse" et "la Nouvelle Jérusalem et sa Doctrine Céleste" (les deux en 1914), puis la Divine Providence (1915). En outre, il a publié sa propre étude en japonais intitulée, tout simplement, Swedenborg (1915). Une grande partie a été compilée à partir de sources en anglais, mais l'introduction au premier chapitre est originale, il y note que:

"Les doctrines théologiques présentées par Swedenborg ont une certaine ressemblance avec ceux du bouddhisme ... Le véritable salut repose sur une unité harmonieuse de ce que l'on croit avec que l'on fait. La Sagesse et l'Amour sont la manifestation du Divin, et l'Amour a plus de profondeur et d'ampleur que la Sagesse. La Providence divine atteint les moindres choses dans l'univers. Il n'y a aucun événement qui se produit par accident, tout est réglé par la Providence divine et par la Sagesse et l'Amour. Ce qui précède sont les choses mêmes qui évoquent l'intérêt des savants de la religion et nos Bouddhistes." 5

En 1927, Suzuki a publié un article de neuf pages suggérant que la doctrine des correspondances de Swedenborg peut être comparée avec la doctrine Shingon qui déclare que les phénomènes sont les

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aspects de l'enseignement incessant du Bouddha Mahavairocana. Le dernier paragraphe conclut: "Il reste encore beaucoup de choses que je voudrais écrire sur Swedenborg, mais cela sera pour un autre jour." Malheureusement, ce jour-là n'est jamais venu: à l'exception de ce bref article, les écrits de Suzuki sur Swedenborg ont cessé après 1915, quand il avait 45 ans, tout en continuant à écrire durant les cinquante années qui s'ensuivirent, la majorité de ses livres (totalisant peut-être 20.000 pages) fut écrite après le milieu de la cinquantaine. Curieusement, après cette époque, ses écrits contiennent très peu d'allusions à Swedenborg, malgré le fait qu'il y a des références et des discussions parfois détaillées sur de nombreux autres écrivains occidentaux, y compris les mystiques chrétiens tels Eckhart. Swedenborg figure très peu dans ses nombreuses œuvres, aucune indication ne nous en donne la raison; bien évidemment ce n'était pas dû à une désaffection: toutes les références publiées par Suzuki sur Swedenborg sont positives, et il aimait citer Swedenborg dans les conversations. Selon son secrétaire privé Bekku Mihoko, aussi tard que les années 1950, il lui arrivait de remarquer, en réponse à une question: "Eh bien, Swedenborg dirait ..." 6 Et si l'on considère la direction que la vie de Suzuki a prise après sa rencontre avec Swedenborg, ne suggère-t-elle pas que l'exemple personnel de ce dernier – la constante et l'humble dévotion de Swedenborg ayant la tâche de consigner ses visions spirituelles – lui a peut-être servi de modèle?

Cependant, l'autorité des traductions de Suzuki a peut-être aidé le développement du swedenborgisme japonais, mais sa contribution au dialogue entre le bouddhisme et Swedenborg semble, comme pour Dasa, avoir été oubliée, bien que je ne connaisse pas l'état des plus récents travaux sur ce sujet. Néanmoins, je pense que leur pertinence n'a pas été inopportune, et j'espère montrer qu'il y a en effet des similitudes profondes entre ce que Swedenborg écrit et ce qu'enseigne le bouddhisme et aujourd'hui, nous avons atteint un point où nous pouvons mieux les apprécier. Ces dernières années, le dialogue entre le bouddhisme et le christianisme est devenu une étape importante dans la pensée religieuse contemporaine, mais pour autant que je sache ce dialogue a négligé Swedenborg. Si ce qui suit est correct, les bouddhistes et des swedenborgiens peuvent partager et apprendre les uns des autres.

Les eschatologies ont tellement tendance à être un produit de leur époque et de leur culture, que beaucoup sont aujourd'hui peu crédibles. Swedenborg est l'exception: à bien des égards, ce qu'il décrit est plus significatif pour nous aujourd'hui qu'il aurait pu être pour ses contemporains. Une raison à cela est que, en dépit de son point de vue ouvertement chrétien, sa compréhension religieuse est en grande partie non sectaire et donc attrayante pour les personnes de conviction différente spirituellement disposées. Cela concorde avec l'œcuménisme incontournable de la pensée religieuse moderne, et je crois que cela est particulièrement compatible avec une perspective bouddhiste. Le but de cet article est de mettre en évidence quelques-uns des plus importants parallèles entre Swedenborg et le bouddhisme, et à réfléchir sur leur signification qu'elles ont pour nous. Ces similitudes sont d'autant plus intéressantes lorsque l'on sait qu'à son époque, en Europe, les enseignements et textes bouddhistes fiables n'étaient pas disponibles. 7

Les vues de Swedenborg seront présentées en mettant l'accent principalement sur son œuvre la plus connue "Le Ciel et l'Enfer"*. Tandis que mes citations bouddhistes seront plus éclectiques, parce que je me reporterais à plusieurs traditions bouddhistes.

* [ DE COELO ET EJUS MIRABILIBUS ET DE INFERNO EX AUDITIS ET VISIS]

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Le concept du Soi

Le Ciel et l'Enfer présentent une vision de l'existence humaine et postmortem qui contraste fortement avec notre méfiance postmoderniste à l'égard des grands récits qui proposent de tout expliquer. Aucun récit n’est ou ne pourrait être plus grandiose que celui de Swedenborg. Pourtant, comme le bouddhisme avec sa doctrine de l'anatman (en sanskrit, "non soi"), sa vision est postmoderne dans la mesure où il refuse un soi ontologique. Swedenborg admet le soi (son terme latin est proprium, littéralement "ce qui appartient à soi-même", qu'il comprend comme penser et vouloir par soi-même) est une illusion. Dans notre siècle, les modes de penser psychanalytiques et déconstructivistes nous ont fourni quelques éléments pour traiter un concept très contre-intuitif, l'idée que notre sens de soi n'est pas évident ou présent par lui-même, mais est une construction mentale. Pour Swedenborg aussi le soi est compris comme un système de forces, même si, pour lui, ces forces sont spirituelles, c'est-à-dire des esprits. Les bons esprits (anges) et les mauvais esprits (démons) sont toujours avec nous, et leurs influences comptent pour beaucoup dans ce que nous entendons par notre vie mentale et émotionnelle. Les mauvais esprits s'établissent dans nos mauvaises affections et s'y attachent, tout comme le font les bons esprits dans nos bonnes affections. Ces esprits sont du même type que les affections ou les amours de la personne à laquelle ils sont reliés (CE 295).8 C'est parce que leur influence s'harmonise avec nos propres affections et nos propres tendances qu'elle entre dans notre façon de penser et qu'elle est acceptée. De cette façon, les mauvais esprits renforcent nos mauvais traits de caractère, et les bons esprits, nos traits de caractère les meilleurs. Certains esprits sont la cause de notre anxiété et de notre dépression (CE 299). De même pour les maladies (y compris le mal de dents qui gênait Swedenborg!) La mort aussi peut être causée par des esprits infernaux. Chacun de nous a le libre arbitre - notre capacité à choisir est préservée - parce que nous sommes en équilibre entre ces deux forces spirituelles, positives et négatives.

Selon les soutras palis, le parallèle le plus proche que l'on peut établir avec le bouddhisme, est la notion des cinq skandha "tas" ou agrégats, dont l'interaction crée l'illusion du soi. Toutefois, cette similitude ne semble pas être très profonde, car dans la tradition bouddhiste (qui, rappelons-le, a commencé, il y a plus de 2400 ans, par des enseignements oraux, créant des bourbiers textuels dont les swedenborgiens n'ont pas besoin de s'inquiéter), il n'est pas tout à fait clair à quoi se réfère chacun des skandha (rupa, vedana, samjna, sankhara et Vijnana peuvent être traduits de diverses façons) ou comment leur interaction doit être comprise (ils sont généralement pris ontologiquement, mais ils peuvent se référer à cinq étapes différentes dans la connaissance de quelque chose). Par conséquent, il est difficile de savoir comment chaque skandha est "spirituel", bien que les premiers commentaires palis semblent les comprendre de manière plus impersonnelle et mécanique, comme des processus qui n'ont pas de soi inhérent.

L'important, est de savoir de quelle façon les deux déconstructions du soi, en réfutant l'existence d'une âme de type cartésien définie par sa conscience de soi, représentent les conditions religieuses et philosophiques de leur temps. À la critique bouddhiste des dualismes, mental-physique et sujet-objet, Swedenborg ajoute une dimension nouvelle et très importante: chaque individu est son affection intime ou son amour dominant (CE 58). Tout comme le bouddhisme est en contradiction avec la notion védantique d'une âme, pure conscience ou recouverte d'impuretés karmiques, Swedenborg est en contradiction avec la longue tradition de l'Occident (qui remonte au moins aussi loin que Platon) d'un péché ou d'un psychisme confus, qui a besoin d'être nettoyé et ainsi briller dans

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sa gloire incorruptible. À la place d'une telle conscience de soi vierge, Swedenborg affirme que ce que j'aime, c'est ce que je suis. Ce que nous faisons, motivé par un tel amour, semble indépendant de nous. La recherche religieuse n'est pas de découvrir ce qui se trouve derrière cet amour - une conscience pure qui est censée aimer - mais de me transformer en changeant mon amour dominant (l'amour de soi en amour de Dieu et du prochain).

Peut-être cette compréhension de notre vie mentale devient plus compréhensible dans le contexte du bouddhisme mahayana de la réfutation du dualisme entre le sujet et l'objet, le moi et le monde. Comme l'a dit le maître zen japonais Dogen, "J'en suis venu à réaliser que l'esprit n'est rien d'autre que les montagnes et les rivières et la grande terre large, le soleil et la lune et les étoiles."9 S'il n'y a pas de soi à l'intérieur, il est également absurde de parler du monde comme étant "à l'extérieur" d'un esprit. Les conséquences de cette situation sont bien sûr immenses. Dans la mesure où cette compréhension transforme les objets observés en manifestations de l'esprit, elle "anime " non seulement le soi-disant monde matériel, mais les événements de "mon" activité mentale, lesquels acquièrent plus de vie de leur propre indépendance que de celle qu'ils ont d'être pensés par moi. Et c'est précisément ce que Swedenborg dit:

"…personne ne peut nier que les choses de l'amour et de la sagesse qui sont nommées pensées, perceptions et affections, soient des substances et des formes, et non des entités subtiles qui sortent du néant, ou qui proviennent de substances et de formes réelles et actuelles qui sont des sujets ... Les affections, les perceptions et les pensées n'y sont pas [dans le cerveau] nées des exhalaisons de ces substances et de ces formes, mais qu'elles sont en réalité et en actualité des sujets qui n'émettent rien d'eux-mêmes, mais qui seulement subissent des changements selon ce qu'il leur parvient et les affecte." (DAS 42)

Ces phénomènes mentaux ne sont pas ce que "je" fais, il est plus juste d'inverser les choses et dire que mon sens du "je" est une fonction de ce qu'ils font. De cette manière la compréhension qu'a Swedenborg de notre la vie mentale s'accorde avec sa compréhension de la manière dont opère l'influx, tant de la part du Seigneur (généralement par l'intermédiaire des anges) et que des mauvais esprits.

Cela devrait être relié à une autre affirmation curieuse qui est également contraire à nos attentes cartésiennes (désormais "sens commun"), mais tout à fait compatible avec la négation bouddhique de la dualité sujet-objet: Swedenborg écrit que l'influx divin n'est pas vécu comme venant de nos internes, mais à travers le front dans nos internes: "L'influx du Seigneur Lui-Même chez l'homme est dans son front, et de là dans l'ensemble du visage" (CE 251).10 La forte implication n'est pas (comme il l'est, dans un plus grand degré, dans le mysticisme chrétien) de prendre conscience de Dieu en nous-mêmes, mais plutôt que le sens d'un intérieur séparé du monde est l'auto illusion qui doit être surmontée.

Une grande partie de la philosophie du XXe siècle s'est intéressée à la déconstruction des dualismes tels ceux corps-esprit et esprit-matière, qui sont aujourd'hui considérés comme problématiques et aliénants. Il faut se rappeler ce que Swedenborg a écrit au XVIIIe siècle, quand cette problématique n'était pas évidente ou que des alternatives pouvaient exister. La vision de Swedenborg sur leurs relations est donc d'autant plus frappante. Dans l'au-delà le corps de chaque esprit est la forme extérieure de l'amour de cet esprit, il correspond exactement à la forme intérieure de son âme ou de son mental (par exemple, 363). Du visage d'un individu, en particulier, toutes les affections les plus

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intérieures sont visibles et rayonnent, parce que les visages sont la forme extérieure même de ces affections (47). D'après la conversation les anges les plus sages reconnaissent l'état entier d'une personne (236). Après la mort, les anges examinent attentivement un corps, en commençant par le visage, puis les doigts, et ainsi de suite, parce que les détails de la pensée et de l'intention sont écrits sur le corps tout entier (463). Le nouvel esprit est plus tard "dévasté" parce que les éléments extérieurs et intérieurs doivent correspondre et agir comme un seul (498, 503). Le résultat est que le mental et le corps d'un esprit viennent à correspondre si complètement que l'on ne peut plus faire la distinction entre les deux. Cela est la base de cette union complète, union conjugale vécue plus pleinement dans l'au-delà et parfois même en cette vie, à la fois pour l'âme et le mental, même s'ils semblent être dans la tête, ils sont "en réalité dans tout le corps". (CL 178)

Le fait que cette sorte d'union peut se produire dans ce monde et nous rappelle de ne pas tirer une ligne trop tranchée entre le monde à venir et celui-ci. Les thérapies bioénergétiques comme le Rolfing confirment que le corps n'est pas seulement un véhicule pour l'esprit, car il conserve des souvenirs traumatiques du passé qui peuvent être stimulés par le massage.

L'amour de soi

L'amour de soi, qui ferme les intérieurs à l'influx divin (CE 272), est le problème à résoudre. À l'aide de sa rationalité, l'homme a perverti en lui-même la faculté de penser d'après le monde spirituel "par une vie contre l'ordre, favorisé par le rationnel, il ne peut par conséquent naître autrement que dans la pure ignorance. Par des moyens divins, il peut ensuite être ramené dans l'ordre du Ciel."(CE 108)

Cet état d'ignorance rappelle une critique bouddhiste comparable faite à la conceptualisation, ce que Swedenborg fait également: les connaissances, étant de vrais externes, ne peuvent pas, par elles-mêmes, nous sauver, mais c'est l'usage que nous en faisons qui nous change (CE 517). L'innocence est l'esse de tout bien, et tout est bien dans la mesure où il contient l'innocence (CE 281). Pour un bouddhiste cela ressemble à tathata, "ainsité" qui décrit la spontanéité d'une personne éveillée. Ayant renoncé à l'amour de soi, et libéré de la conscience de soi, nous n'avons pas à atteindre une autre réalité, mais à réaliser la véritable nature de celle-ci, qui est tout ce qu'il nous faut. C'est pourquoi l'essence du Zen peut être simplement et totalement "couper du bois et transporter de l'eau."

L'importance de cela doit être bien soulignée, car c'est ainsi que les deux traditions résolvent le problème de la vie. Être spirituel n'est rien de plus qu'être ouvert au Tout, et ainsi unis à lui: c'est d'accepter la situation qui est une manifestation du Tout, à la différence de l'amour-propre (Swedenborg) et de l'illusion d'un soi séparé (Bouddhisme). Le point essentiel est que ce n'est pas quelque chose qui peut se produire seulement après notre mort. Selon Swedenborg, nous sommes dans le Ciel au moment même où nos internes sont ouverts, et selon Bouddha Sakyamuni, le nirvana s'atteint ici et maintenant. En fait, selon la tradition Mahayana, le nirvana n'est rien d'autre que la vraie nature du samsara. Une version de cela est que les passions sont la sagesse et l'illumination. Ce qui contredit le point de vue plus orthodoxe du bouddhisme primitif pali, qui appréhende le désir comme la source de dukkha (la souffrance, l'insatisfaction), mais le point de vue Mahayana enseigne que nos désirs égoïstes peuvent être transmutés en joies altruistes. La critique de Swedenborg envers les plaisirs de la vie est la même, et pointe la vie de renoncement dans le christianisme:

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"Il n'est nullement interdit à personne de profiter des plaisirs du corps et des choses sensuelles; ... car ce sont des affections extrêmes ou corporelles qui doivent tirer leur origine de l'affection intérieure. Les affections intérieures, qui sont vivantes, tirent tout leur plaisir du bien et du vrai, et le bien et le vrai tirent le leur de la charité et de la foi, alors du Seigneur, donc de la vie elle-même, et, par conséquent, les affections et les plaisirs qui en résultent sont vivants." (AC 995)

Cela ne signifie pas que la vie spirituelle est comme une dévotion épicurienne envers des plaisirs "supérieurs", car il y a un autre aspect de l'activité tathata que Swedenborg et le bouddhisme exposent: que, comme Swedenborg le dit, le royaume du Seigneur est un royaume des "usages qui sont des fins", des fins qui sont des fonctions; le culte divin n'est pas de fréquenter l'église, mais de vivre une vie d'amour, de charité et de la foi (CE 112, 221). "Les personnes qui aiment faire du bien aux autres, pas pour eux-mêmes, mais pour l'amour du bien, sont ceux qui aiment le prochain, car le bien est le prochain" (CE 64). Comparer à ce proverbe bouddhiste (je ne connais pas son origine) qu'au début on fait de bonnes actions pour l'amour du prochain; plus tard (quand on s'est rendu compte que le prochain n'a pas également de soi), on fait le bien pour le Dharma (la "Loi supérieure" à la nature des choses telle qu'elle est enseignée par le bouddhisme), puis, finalement, on fait le bien pour aucune raison du tout, ce qui, dans la terminologie de Swedenborg, est l'accomplissement du plus haut degré d'innocence. Pour le bouddhisme une telle vie est bien illustrée par le bodhisattva, qui n'est pas égocentré, et dont la vie est consacrée à œuvrer sans fin pour le salut universel. Un bodhisattva est si libre de la saisie d'un soi, que quand il donne quelque chose à quelqu'un, c'est sans la prise de conscience qu'il donne et qu'il y a quelqu'un d'autre qui reçoit, ou même qu'il y ait un don. Cette sorte de générosité est déclarée comme la première et la plus importante (car elle inclut toutes les autres) des Prajnâpâramitâ, les " perfections de la sagesse transcendante" développées par ceux qui suivent la voie du bodhisattva. Cela corrige le "matérialisme spirituel" inhérent à l'attitude plus populaire du bouddhisme envers les bonnes actions, qui est concernée par l'accumulation du bon karma. Pour Swedenborg aussi, ceux qui sont conduits par le Seigneur ne pensent pas au mérite de leurs bonnes œuvres (AC 6392). Son explication pourrait aisément se retrouver dans un écrit du Mahayana:

"Quand un ange [ou bodhisattva] fait du bien à quelqu'un, il lui communique aussi son bien, son bonheur et sa béatitude, et il fait cela avec l'intention de tout donner à l'autre et de ne rien retenir; quand il est dans une telle communication, il influe alors vers lui du bien avec du bonheur et de la béatitude beaucoup plus qu'il n'en donne, et cela continuellement avec des accroissements. Mais dès qu'il lui vient la pensée de vouloir communiquer du sien, afin d'obtenir en soi cet influx de bonheur et de béatitude, l'influx est dissipé; et plus encore, s'il tombe en lui la moindre pensée d'être récompensé par celui à qui il communique son bien." (AC 6478)

Contrairement à ceux qui ont quitté le monde pour vivre une vie solitaire et pieuse, "la vie des anges est heureuse par béatitude, et consiste à faire de bonnes actions qui sont les œuvres de la charité" (CE 535). Les deux traditions réfutent que le salut s'accomplisse par l'exécution des rituels, ou la foi seule, ou les actes seuls, ou même en ayant des expériences mystiques. Être spirituel, c'est vivre une certaine forme de vie, où l'amour de soi est remplacé par l'amour altruiste.

Cependant, afin d'être capable de vivre de cette façon, nous devons être régénérés, ce qui implique pour Swedenborg une ouverture de nos internes et qui semble très similaire à l'illumination ou pravritti "retournement" de l'éveil bouddhiste. L'origine du mal est que "l'homme lui-même s'est

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détourné du Seigneur, pour se tourner vers soi" (CL 444), nous avons besoin de "nous détourner" loin de soi-même et de nous tourner vers le Seigneur. Ce retournement libère l'influx du Seigneur qui s'infuse en nous. Cet influx est la vie elle-même. Étant le réceptacle de cette vie divine, nous n'avons pas d'autre vie en propre. La question est de savoir à quel point nous sommes ouverts à cet influx. Selon mon amour dominant, cet influx est étouffé et rétréci (par l'amour-propre) ou s'écoule comme une fontaine (par l'amour de Dieu et du prochain).

Je pense que cela apporte la solution à un problème religieux récurrent: la relation entre l'effort personnel et la grâce transcendante. Cette divergence se retrouve dans la controverse entre Augustin et Pélage, dans le débat hindou Visistadvaita à propos du " salut chat" (une chatte mère porte ses chatons) par rapport au "salut singe" (un bébé singe doit s'accrocher à la poitrine de sa mère), et dans le problème bouddhiste japonais, de la relation entre tariki, " une force extérieure " (s'en remettre à la miséricorde du Bouddha) et Jiriki, " notre propre force " (ce qui nécessite ses propres efforts pour se libérer).

Tout ce que "je" peux faire, c'est m'ouvrir à l'influx spirituel en séparant mon ego de la voie, c'est renoncer à moi-même, après quoi cet influx me remplit nécessairement, juste comme le soleil brille quand les nuages se dissipent. Mais ce lâcher-prise est rarement facile: dans la mesure où le moi est l'obstacle, ce n'est pas quelque chose que le soi peut faire. Dans le Zen, par exemple, le lâcher-prise ne pas dépend pas de ma volonté; pendant zazen j'apprends à "m'oublier" indirectement, en me concentrant sur ma pratique de la méditation et devenir un avec elle. 11

Identification au Divin

Bien que la question soit compliquée, je pense que la conception du Divin de Swedenborg évite les extrêmes d'un Absolu personnel et d'un Absolu impersonnel de la même façon que le fait le bouddhisme Mahayana. Le dilemme est qu'un Absolu complètement impersonnel, comme on le trouve dans certaines formes du Vedanta, paraît indifférent à notre situation, tandis qu'un Dieu plus personnel, conçu comme ayant une volonté et des désirs analogues aux nôtres, pouvant choisir des personnes (ou des peuples) pour un destin particulier - peut-être sans qu'ils ne fassent rien pour le mériter (par exemple, la prédestination). Toutefois, il y a une alternative, si Dieu n'est pas autre que nous, s'Il est en fait la force vivifiante de tout: de notre être, comme Swedenborg pourrait l'exprimer, ou notre manque d'être, comme pourrait l'exprimer le Mahayana - ou les deux à la fois, comme l'exprime le mystique chrétien du XIIIe siècle, Eckhart; car les deux descriptions sont des moyens de communiquer la même idée, qu'il n'y a pas de dualisme entre Dieu et nous. Donc Eckhart pouvait jouer avec les termes duels Être et Non-Etre en inversant indifféremment le sens. Parfois, il se réfère à l'être des créatures, et décrit Dieu comme un néant, sans la moindre existence. À d'autres moments, il oppose le "néant" de toutes les créatures à l'être de Dieu, dans ce cas, ce n'est pas que Dieu à l'être, ou même que Dieu est l'être, mais c'est l'être qui est Dieu (Deus esse). Si Dieu est la vie ou l'être dans toutes choses, alors il est tout aussi vrai de dire que rien n'a de l'être en propre. Est-ce aussi une explication adéquate de Sunyata (vide) des êtres, selon le Mahayana, et de la nature du Seigneur pour Swedenborg ?

La nature de Dieu et le rôle du Christ sont pour Swedenborg deux questions difficiles qui ne sont pas pleinement traitées dans le Ciel et l'Enfer, et même si l'on examine d'autres écrits qui traitent de ces

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questions plus en détail – en particulier l'Amour Divin et la Sagesse et les Arcana Cælestia - je ne trouve pas que ce qu'il écrit soit tout à fait clair ou satisfaisant*. Curieusement, cependant, il y a dans une certaine mesure, la même ambiguïté dans la tradition bouddhiste. Considérons les deux questions séparément.

Pour Swedenborg, Dieu est la vie elle-même, les anges, les esprits et les humains en sont les réceptacles. Cette essence divine se manifeste comme amour et sagesse, qui sont inséparables de la même manière que la chaleur et la lumière le sont du soleil - une analogie inspirée ou plutôt une correspondance dont Swedenborg fait grand cas, car dans le Ciel Dieu apparaît comme (mais n'est pas lui-même) un soleil (CE 116-140). Cependant, lorsque nous nous interrogeons sur la nature de Dieu en Lui-même, en dehors de toutes les choses qui reçoivent son influx et comment celui-ci opère, ce qu'écrit Swedenborg nous aide moins. Il souligne à maintes reprises que Dieu est un Homme, ou l'Humain. Trois raisons principales sont données pour cela: l'homme, comme les anges et les esprits, tire sa forme de Dieu, "qu'il y a aucune différence quant à la forme, mais quant à l'essence" (AE 1124, DAS 11); le Ciel est sous la forme d'un l'homme, à la fois en tout et en partie (CE VIII-IX); et l'homme doit concevoir Dieu comme un homme, car il n'est pas possible de penser, d'aimer et d'être conjoint avec quelque chose d'indéfini et donc d'incompréhensible (par exemple, CE 3, VRC 787; AC 7211, 8705, 9354).

Il semble significatif qu'aucune de ces raisons implique sans ambiguïté le théisme, tel que ce terme est généralement compris. Les deux premières ne nécessitent pas que Dieu ait une existence en soi en dehors de son univers (en général) et de ces êtres qui reçoivent son influx (en particulier), elles impliquent quelque chose d'important à propos de la forme que nous et l'univers incarnons nécessairement en tant que destinataires de l'influx, mais ne dit rien à propos de la forme en elle-même de la source de cet influx. La troisième raison, la seule qui offre un argument plutôt qu'une assertion, est plus difficile à évaluer, car elle se décline selon plusieurs versions différentes; son sens général, cependant, porte sur ce que nous devrions penser de Dieu plutôt qu'interroger sa nature.[11b]

* [Une plus longue fréquentation de l'auteur de l'article avec la pensée de Swedenborg, et s'il avait lu plus attentivement la "Vera Christiana Religio" aurait levé ses doutes et la suite de l'article serait différente. Du point de vue de l'orthodoxie, la conception christique de Swedenborg est évidemment perçue comme ambiguë si ce n'est hétérodoxe. Comme cela a été soutenu par des auteurs ayant étudié la théologie de Swedenborg, les traits personnels de la figure du Christ se trouvent complètement effacés et sa mission rédemptrice perd toute la signification qu'elle possède dans la conception chrétienne traditionnelle. Jésus-Christ n'est pas venu sur cette terre pour apaiser par un sacrifice expiatoire le courroux divin et pour racheter l'humanité, et nul ne saurait pouvoir compter sur son salut en invoquant l'intervention du Christ. Il est descendu sur la terre sous une forme humaine pour combattre la puissance de l'Enfer, qui avait atteint, par suite des péchés accumulés des générations humaines, un effroyable pouvoir, et pour renouer les liens entre l'homme et Dieu. L'homme n'obtient son rachat qu'après l'Ascension, tout comme il l'obtenait précédemment par une œuvre propre de purification. Mais la route est aplanie, du fait que l'emprise des démons sur l'homme a faibli, l'équilibre est rétabli entre le Ciel et l'Enfer. L'humanité est cependant appelée, par de nouvelles apostasies, à repeupler d'esprits mauvais le monde des esprits, et un nouveau jugement dernier deviendra ainsi nécessaire dans les royaumes du monde spirituel.]

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Swedenborg est clairement préoccupé par les dangers d'une conception erronée de Dieu, dans la mesure où cela peut nous entraîner dans une mauvaise voie. Ceux qui croient en un être divin invisible appelé la Réalité de l'Univers, la source de tout ce qui existe, finissent par ne croire en aucune divinité du tout, car un tel Divin "n'est pas un sujet propre à la pensée" (CE 3); ceux qui reconnaissent ce qui est incompréhensible "déplacent la pensée dans la nature, et ainsi ne croient pas en Dieu" (AC 9354). Pourtant, personne dans le Ciel "ne peut avoir une conception du Divin en-soi ... Pour les anges qui sont finis et ce qui est fini ne peut avoir aucune idée de l'infini. Dans le Ciel, par conséquent, s'ils n'avaient pas une idée de Dieu dans la forme humaine, ils n'auraient aucune idée, ou ils en auraient une inconvenante"(AC 7211).

En résumé: dans la mesure où Dieu est infini, toutes nos conceptions de Dieu sont inadéquates, mais dans la mesure où nous avons besoin de Le concevoir, la meilleure image est celle d'un homme. Pour un bouddhiste, cela évoque le vieil argument du XIXe siècle, puisque la religion doit avoir un Dieu, le bouddhisme ne peut pas être une religion. La question est la suivante: est-il possible d'avoir une religion (comme le bouddhisme) qui critique toutes conceptions du Divin, y compris l'image de Dieu comme humain, mais fonctionne, malgré cela, comme une religion parce que ses pratiques spirituelles favorisent néanmoins l'influx divin?

Pour autant que la quintessence de l'enseignement de Swedenborg est que l'amour et la sagesse du Seigneur influent dans toutes choses, il est clair qu'aucun être n'existe hors de Dieu, et le fait que Dieu est humain, n'implique pas nécessairement l'existence de Dieu comme Homme indépendamment des êtres. Mais cela peut être développé. Si l'on extrapole à partir d'une analogie favorite de Swedenborg - Dieu comme sans forme, Soleil rayonnant - le Seigneur peut être compris comme une potentialité qui actualise la forme uniquement dans sa création. De ce point de vue, Dieu a besoin de nous pour devenir pleinement réel, à la fois individuellement (comme nous ouvrir à Son influx) et collectivement (comme l'accroissement et la ramification de Son Ciel).

Si cette interprétation est correcte, je pense qu'elle est cohérente avec une grande partie du bouddhisme et qu'elle puisse même aider à clarifier certains aspects de l'enseignement bouddhiste. Le concept central du Mahayana est celui de sunyata, habituellement traduit par «vide». Pour Nagarjuna, le philosophe le plus important du Mahayana, dire que les choses sont sunya est un raccourci pour exprimer que rien n'a d'être en-soi ou de présence en-soi. Dans le bref Soutra du Cœur, un résumé célèbre des Écritures de la Prajnaparamita, le bodhisattva Avalokitesvara réalise que «la forme est sunyata et sunyata est la forme, la forme n'est autre que sunyata et sunyata n'est autre que la forme." Malheureusement, la traduction usuelle "vide" ne rend pas exactement les connotations de l'original, de la racine sanscrite su signifiant littéralement «gonflée», non seulement comme un ballon gonflé, mais aussi comme une femme enceinte gonflée de possibilité. Selon Nagarjuna, c'est seulement parce que les choses sont sunya que tout changement, y compris le développement spirituel, est possible.

Sunyata, donc, peut s'interpréter comme un potentiel spirituel sans forme, qui est littéralement non-chose [no-thing] en soi, mais fonctionne comme l'"essence vide" qui donne la vie à toutes choses et leur permet d'être ce qu'elles sont. Un tel influx est vécu comme "vide" pour deux raisons: il n'a pas de forme particulière qui lui soit propre / en soi-même, et pour autant que je le suis, je ne peux le connaître. Cela est cohérent avec la compréhension du Seigneur de Swedenborg comme constituant la vie en chacun de nous, la chaleur et la lumière qui influent en nous dans la mesure où nous

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sommes réceptifs. Du côté bouddhiste, ceci qui contribue également à éviter l'interprétation nihiliste de sunyata que le terme plutôt trop négatif suggère parfois.

Bouddha Sakyamuni, le fondateur historique du bouddhisme, qui vécut environ cinq cents ans avant Jésus-Christ, n'incitait pas ses disciples à s'unir à Dieu ou éprouver son influx. Au lieu de cela, il leur enseignait à suivre ses propres traces en poursuivant les mêmes sortes de pratiques spirituelles pour atteindre le même nirvana. Toutefois, cette différence semble moins problématique qu'elle ne paraît. D'une part, la nature du nirvana est notoirement obscure, puisque le Bouddha a refusé de le définir, sauf pour indiquer que c'est la fin de la souffrance et de l'avidité, ceux qui veulent savoir ce qu'est le nirvana doivent l'atteindre par eux-mêmes. En outre, l'étude comparée des religions nous a apporté une connaissance qu'il est difficile aujourd'hui de contester, mais aurait eu peu de sens à l'époque de Swedenborg: que des expériences très similaires peuvent être sujettes à des explications différentes et incompatibles, selon la tradition auxquelles elles se réfèrent. Au temps de Sakyamuni la religion populaire indienne était polythéiste, ce qui signifie qu'il n'a pas enseigné dans le contexte d'un Dieu absolu transcendant ou incorporant tous les autres dieux; ni qu'il semble avoir été familier avec la conception des Upanishad d'un Brahman impersonnel, une alternative développée par d'autres sages à la même époque. Il n'est donc pas surprenant que Sakyamuni n'ait pas communiqué sa propre intuition spirituelle - l'influx de l'amour et de la sagesse qui dissout son ego ? - dans l'une ou l'autre terminologie, mais plutôt en créant ses propres catégories religieuses (non-soi, nirvana, etc.), à la différence de Swedenborg, qui, naturellement, comprend sa propre expérience dans les termes développés par la tradition chrétienne au sein de laquelle il a grandi, centrés sur l'idée d'un Seigneur absolu.

Plus tard et dans différents contextes sociaux, les conceptions théistes deviennent importantes dans le bouddhisme populaire, tel le Bouddha Amida, adoré dans de nombreuses sectes dévotionnelles du bouddhisme. Ces écoles dévotionnelles - qui, comme Swedenborg l'a noté, exigent que nous pensions le Divin comme Humain - ont été indubitablement plus attrayantes pour beaucoup de bouddhistes que la dialectique bouddhique des philosophes tels que Nagarjuna.

Ainsi, le théisme chrétien tel qu'expliqué par Swedenborg - le Seigneur est notre vie, en raison de son influx d'amour et de sagesse - est plus compatible avec le sunyata de la nature de Bouddha comme de nombreux bouddhistes l'ont comprise.

Excepté le rôle unique du Christ pour Swedenborg. Ici aussi, il me semble que sa doctrine n'est pas sans soulever des questions. Pris dans leur ensemble, les écrits de Swedenborg contiennent une contradiction entre deux positions différentes qui n'ont jamais été formellement conciliables. D'un point de vue plus orthodoxe, il défend l'unicité du Christ comme Dieu-Homme et l'importance de L'accepter comme notre sauveur. Mais d'un autre point de vue, plus œcuménique, son insistance sur l'influx de l'amour et de la sagesse conduit à réduire le rôle salvifique du Christ à tel point qu'il peut être redéfini sans trop de difficulté comme un avatar parmi d'autres, une vue tout à fait compatible avec le bouddhisme.

Néanmoins, il ne fait aucun doute que Swedenborg comprend le Christ historique comme unique et l'Église chrétienne comme originale. Avant son avènement, l'influence du Seigneur a été transmise par les cieux angéliques, mais à partir du moment où Il est devenu humain, elle a été directe. Depuis lors, l'Église chrétienne a formé le cœur de l'espèce humaine sur la terre et dans le Ciel. Les chrétiens constituent le cœur du Grand Homme, le centre vers lequel tous les autres regardent. Il n'est pas

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nécessaire que tout ou la plupart des peuples acceptent le christianisme, mais "pourvu qu'il y ait des peuples chez qui il y a la Parole, car il en résulte une lumière pour ceux qui sont hors de l'Église et n'ont point la Parole" (DAS 233, AC 637, DP 256).

Mais qui est dans l'Église spirituelle du Seigneur?

"Elle est répandue sur toute la terre; en effet, elle n'est pas limitée à ceux qui ont la Parole et qui par suite connaissent le Seigneur et quelques vrais de la foi; mais elle est aussi chez ceux qui n'ont point la Parole, et qui par cette raison ne connaissent nullement le Seigneur et ne savent par conséquent aucun vrai de la foi (car tous les vrais de la foi concernent le Seigneur), c'est-à-dire qu'elle est chez les Nations éloignées de l'Église… et quoiqu'ils ne connaissent point le Seigneur quand ils sont dans le monde, toujours est-il qu'ils ont en eux le culte et la tacite reconnaissance du Seigneur quand ils sont dans le bien, car dans tout bien le Seigneur est présent." (AC 3263; c'est moi qui souligne).

Lors de ses visites en Enfer Swedenborg rencontrait des dignitaires ecclésiastiques versés dans l'Évangile, "mais dans le mal quant à leur vie" tandis que dans le Ciel, il rencontrait à la fois des Chrétiens et des Gentils "qui étaient dans les faux, mais dans le bien quant à leur vie" (AC 9192). Lorsque nous sommes régénérés, nous pouvons lutter contre les faux, " on peut même combattre d'après un vrai non-réel, pourvu qu'il soit tel, qu'il puisse en quelque manière être conjoint avec le bien, et il est conjoint avec le bien par l'innocence, car l'innocence est un moyen de conjonction." (AC 6765)

D'après cette sorte de passages - qui sont nombreux - il est difficile de conclure qu'il n’est nécessaire, ni même important d'être chrétien. La question n'est pas simplement que l'on est sauvé par une bonne vie, mais que l'on vit une bonne vie lorsque l'on est réceptif à l'influx de l'amour divin et de la sagesse. Et dans la mesure où cet influx est "innocent", on voit mal pourquoi il faudrait croire en une doctrine particulière. Si nous acceptons cet important élément œcuménique au sein des écrits de Swedenborg, un élément qui a été encore plus important dans le bouddhisme, il n'y a aucune nécessité pour quiconque d'être un chrétien, un swedenborgien ou un bouddhiste, sauf dans la mesure où ces enseignements et ces communautés nous aident à nous détourner de l'amour de soi pour nous ouvrir à l'influx du non-soi de l'amour et de la sagesse.

Pourquoi le Seigneur se manifeste sur la terre en tant qu'homme? Les internes de l'homme sont sous la domination des esprits de l'Enfer ou de celle des anges du Ciel. Quant au cours du temps l'influence infernale est devenue plus forte et "qu'il n'y eût plus ni foi ni charité", l'avènement du Seigneur fut nécessaire pour rétablir l'ordre et racheter l'homme (AC 152). C'est peut-être une bonne raison pour l'apparition d'un sauveur, mais c'est un pauvre argument en faveur de l'unicité du Christ comme sauveur. En fait, c'est la même raison qui est donnée pour l'apparition périodique d'avatars dans la Bhagavad-Gita,12 et dans le bouddhisme, pour l'apparition périodique des bouddhas (le précédent était Sakyamuni Dipamkara, le prochain sera Maitreya).

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Interdépendance Spirituelle

Dans la section précédente, sunyata (le vide) du bouddhisme mahayana a été interprété comme un potentiel spirituel sans forme qui donne la vie à toutes choses*, une conception que j'ai soutenue et qui est conforme à celle qu'a développée Swedenborg sur l'influx du Seigneur en chacun de nous. Cette approche de sunyata a été particulièrement importante en tant que moyen de comprendre le Dharmakaya ("Corps de Vérité "), la plus haute réalité selon les enseignements du Mahayana, comme nous allons le voir lorsque nous nous tournerons vers le Livre Tibétain des Morts. Toutefois, cela n'a pas été la seule compréhension de sunyata dans le bouddhisme et il est douteux qu'elle ait été acceptable pour Nagarjuna lui-même, qui a plaidé pour le sunyata de choses, non en se référant à l'influx, mais en démontrant l'interdépendance (les choses sont sunya parce qu'elles n'ont pas d'existence inhérente, et que leur existence dépend de nombreux autres phénomènes).

Cet accent mis sur l'interdépendance est devenu un enseignement essentiel du Mahayana et, en fait, l'enseignement fondamental de Hua-yen, une école chinoise du bouddhisme qui décrit cette relation en utilisant la métaphore du Filet d'Indra:

"Très loin dans la demeure céleste du Grand Dieu Indra, se trouve un filet merveilleux, accroché par des artisans ingénieux de telle sorte qu'il s'étend à l'infini dans toutes les directions. Conformément aux goûts prodigues des dieux, l'artisan a suspendu un joyau unique et étincelant à chaque nœud du filet et de même que le filet lui-même est infini en dimension, les joyaux sont infinis en nombre. Là, pendent les joyaux, étincelants comme des étoiles de première grandeur, une vision merveilleuse à percevoir. Si maintenant nous sélectionnons arbitrairement l'un de ces joyaux pour l'examiner et l'observer avec attention, nous découvrirons que sur sa surface brillante se reflètent tous les autres joyaux de la toile, infinis en nombre. Et non seulement cela, mais chacun des joyaux réfléchi dans ce joyau singulier reflète également tous les autres de telle sorte que le processus de réflexion est infini." 13

Le Filet d'Indra "symbolise donc un cosmos dans lequel il y a une corrélation répétée à l'infini entre toutes les composantes du cosmos."14 Chaque joyau n'est rien d'autre qu'une fonction interrelationnelle, et contient tous les autres à l'intérieur de lui-même. Tout est un et un est tout: le monde entier est contenu dans chaque chose et chaque chose n'est rien d'autre qu'une manifestation du monde entier.

Y a-t-il quelque chose de comparable chez Swedenborg ? Il est difficile d'ignorer l'analogie. Tous les royaumes des cieux constituent une totalité (CE VIII), en fait un Grand Homme, de même l'Enfer dans son ensemble représente un seul diable (CE 553) ; chez ce Grand Homme qui est le Ciel, par exemple, les enfants forment la région des yeux (CE 333). Chacune des sociétés du Ciel est également un seul ange (CE IX), et réciproquement chaque ange est un Ciel sous la plus petite forme (CE 53) ; le même rapport semble se répéter pour les enfers et les démons qui y habitent.15

Pour le bouddhisme, cependant, il y a un problème potentiel avec cette deuxième conception de l'interdépendance, qui comprend le monde comme un rapport mécanique entre des forces matérielles, quelque chose qui clairement, n'est pas ce que le Madhyamika et Hua-Yens veulent décrire. Comprendre sunyata comme influx évite cela.

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Nous terminons avec deux types de dépendance: la dépendance du non soi inhérents des choses sur l'influx de la potentialité spirituelle qui leur donne l'être / la vie, et l'interdépendance organique ou "écologique"de chacune de ces choses sur le fonctionnement de toutes les autres choses. Il semble que les deux types de dépendance sont importants à la fois pour le Mahayana et pour Swedenborg. L'interpénétration de l'un dans tout et de tout dans l'un dans l'après vie de la doctrine de Swedenborg présuppose l'influx divin qui imprègne tous les domaines, y compris l'Enfer où elle est pervertie dans l'amour-propre. Dans le bouddhisme, ces deux interprétations de sunyata ont souvent été antagonistes, mais la vision de Swedenborg nous rappelle qu'elles n'ont pas besoin de s'exclure mutuellement.

Cette dépendance / interdépendance doit être comprise de manière dynamique. Comme le bouddhisme depuis ses débuts, Swedenborg souligne les transformations (anitya dans le bouddhisme: l'impermanence) de la substance (svabhava, nature propre): la persistance est un phénomène continu (CE 106), la permanence est une apparition constante (CE 9). Cela est vrai même pour la régénération swedenborgienne et l'Éveil bouddhiste. Les régénérés sont régénérés continuellement dans la vie et dans l'au-delà, le Ciel en s'accroissant devient de plus en plus un Grand Homme. La plupart des écoles bouddhistes insistent sur la nécessité de la pratique continue, même pour les éveillés, et l'exigence qu'a quelqu'un d'approfondir sans cesse la pratique est un signe de véritable réalisation. Un dicton Zen dit que même le Bouddha Sakyamuni n'est qu'à mi-chemin.

Les Conséquences du Mal

Peut-être de tous les parallèles, le plus signifiant est l'explication de Swedenborg du mal et son châtiment, qui est tant dans l'esprit bouddhiste, qu'il pourrait être utilisé pour expliquer les doctrines bouddhiques du karma et des samskara. Encore une fois, l'explication de Swedenborg peut permettre de préciser le point de vue bouddhiste. Comme le Bouddha Sakyamuni et sur ce sujet le Christ lui-même, Swedenborg souligne comme fondamentale l'intention (par exemple, 508). Ainsi, le mal engendre sa propre punition:

" Tout mal porte avec soi sa peine, le mal et la peine sont conjoints, celui donc qui est dans le mal est aussi dans la peine du mal; toutefois, nul n'y est puni pour les maux qu'il a faits dans le monde, mais il l'est pour les maux qu'il fait alors; cela revient cependant au même, et c'est la même chose, ou de dire qu'ils sont punis pour les maux qu'ils ont faits dans le monde, ou de dire qu'ils sont punis pour les maux qu'ils font dans l'autre vie, puisque chacun après la mort revient dans sa vie, et par conséquent dans des maux semblables; car l'homme est tel qu'il avait été dans la vie de son corps… Les bons Esprits, au contraire, ne sont jamais punis, quoiqu'ils aient fait des maux dans le monde, car leurs maux ne reviennent point." (CE 509)

"Le Seigneur ne fait de mal à personne." (CE 550).

"Le mal a sa propre punition, donc, l'Enfer, la bonté sa propre récompense, donc, le Ciel." (AC 9033)

Il s'agit en effet d'une explication sophistiquée du karma qui évite à la fois l'erreur d'une compréhension trop mécanique de la morale de la cause et l'effet (propre au bouddhisme populaire)

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et celle d'une compréhension trop juridique de l'Enfer qui châtie pour avoir désobéi à l'autorité divine (propre au christianisme populaire). L'intuition centrale est que les personnes ne sont pas punies pour ce qu'elles ont fait, mais pour ce qu'elles sont devenues et ce que nous faisons intentionnellement faits de nous ce que nous sommes. C'est pourquoi dans la plupart des cas, il n'y a pas de différence entre les mauvaises choses faites dans le monde et les mauvaises choses que l'on est enclin à faire dans l'au-delà. Cette équivalence n'a pas de sens si le karma est compris de manière dualiste, comme une sorte de saleté morale salissant le soi pur tel un miroir. Si je suis mon intention mon amour dominant, cela fait beaucoup plus sens, car alors la question spirituelle importante est le développement de l'amour dominant. Dans ce cas, mes actions et mes intentions construisent mon caractère - qui est mon corps spirituel - tout aussi sûrement que la nourriture est assimilée pour devenir mon corps physique. Toutes les écoles du bouddhisme pareillement soulignent l'importance de nos samskara, qui sont des tendances mentales: ses formations habituelles d'intentionnalité et de réaction à des situations particulières.

Dans le bouddhisme, aussi, ces samskara sont les véhicules de karma. Ils survivent à la mort et déterminent la renaissance, en fait, ce sont eux qui renaissent, car il n'y a pas de soi pur qui se réincarne. Comment ces tendances mentales se forment-elles ?

"Qu'il ne soit pas si difficile qu'on le croit de mener la vie du Ciel, c'est ce qui devient maintenant évident, en ce qu'il suffit à l'homme, lorsque son esprit (animus) est porté sur quelque chose qui se présente à lui et qu'il sait être malhonnête et injuste, de penser que cela ne doit pas être fait, parce que cela est contre les préceptes divins; si l'homme s'accoutume à penser ainsi, et que, par suite, il en contracte l'habitude, alors peu à peu il est conjoint au Ciel; et autant il est conjoint au Ciel, autant les régions supérieures de son esprit (animus) s'ouvrent, et, autant elles s'ouvrent, autant il voit les choses qui sont malhonnêtes et injustes, et comme il les voit de tels maux, autant ils peuvent être dissipés ... Toutefois, il faut que l'on sache que la difficulté de penser ainsi, et de résister aux maux, s'accroît autant que l'homme d'après sa volonté fait les maux; en effet, il s'y habitue tellement, qu'enfin il ne les voit point, et qu'ensuite il les aime, et d'après le plaisir de son amour les excuse, et par des illusions de tout genre les confirme et dit qu'ils sont permis, et que ce sont des biens." (CE 533)

Une personne ne souffre pas à cause "du mal héréditaire qui ne lui appartient pas et dont il n'est pas coupable, mais par le mal actualisé qui lui appartient -qui est, la somme du mal héréditaire qu'il s'est approprié durant sa vie par ses activités" (342). De cette façon, Swedenborg et le bouddhisme présentent une version psychologique du karma qui nie toute distinction nette entre celui qui a l'intention et l'intention elle-même. Je suis mes intentions prédominantes, ce qui signifie que l'habitude agit d'une certaine manière et me construit. C'est pourquoi une personne avec de mauvais samskara - un "mauvais caractère" - ne peut pas être sauvée malgré lui: car il est ces samskara, lesquels ne peuvent demeurer dans les cieux, car ils n'y seraient pas à l'aise. Par conséquent, ils vont spontanément là où ils sont à l'aise, là où d'autres demeurent avec des samskara similaires. Une des raisons qui font que les mauvaises personnes souffrent dans l'au-delà est la même raison pour laquelle les bonnes personnes y sont bénies: ils finissent par vivre avec leurs semblables.

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Un Lieu dans le Monde Spirituel

Le récit que fait Swedenborg sur le monde des esprits (dans le livre II) présente de nombreuses similitudes avec la conception tibétaine de l'au-delà et avec le processus de la renaissance. La tradition tibétaine traite de ces questions de la manière la plus détaillée et la plus extensive parmi les différentes traditions bouddhistes. Cependant, se référer à cette tradition soulève certaines difficultés. Le Bardo Thödol Chenmo premier texte traduit par Evans-Wentz et publié sous le titre "Le Livre des morts tibétains"* est un texte du Bardo parmi plusieurs autres qu'a produits la tradition tibétaine, et ce texte particulier étant composé en référence à un mandala tantrique de 110 déités paisibles et courroucées, recèle un symbolisme obscur. 16

Pourtant, même si l'on écarte pour l'instant - j'y reviendrai plus tard - cette iconographie compliquée, il reste une description sophistiquée de la mort, de la vie intermédiaire et de la renaissance, qui résonne profondément avec le récit de Swedenborg. Tous deux soulignent l'importance de la dernière pensée au moment de la mort (CE 444) - en d'autres termes, le samskara particulier actif au moment de la mort - et des samskara de l'individu qui survivent à la mort, avec un corps psychique qui est comme un duplicata corps physique: "Après la mort, une personne emporte tous les sens, la mémoire, la pensée et l'affection qu'il a exercés dans le monde: il ne laisse rien derrière, sauf son corps terrestre "(CE LXVII, LXVIII). "Dieu ne détourne jamais sa face de l'homme, ne rejette personne et ne précipite jamais personne dans l'Enfer" (CE545), tout comme la luminosité du dharmakaya (vécue comme une claire lumière primordiale comparable au soleil divin dans les cieux de Swedenborg), qui est le sunyata de l'esprit, ne rejette personne. Dans les deux cas, nous trouvons un auto jugement qui se produit en la présence de Dieu / Dharmakaya, dans lequel la vraie nature de ses samskara / affections dominantes se révèlent à eux-mêmes. Dans la tradition du Bardo aussi, le bon et le sage sont attirés dans le pur dharmakaya informel et les textes les exhortent s'y unir. Par contre, ceux dont les actions réfléchies dans "le miroir du karma"[16b] sont moins bonnes sont repoussés et attirés vers le royaume du samsara qui correspond à leur karma dominant.

Swedenborg souligne les limites de la miséricorde du Seigneur: on n'entre pas dans le Ciel par la miséricorde immédiate (CE. LIV), car le Seigneur ne veut et ne peut évidemment transgresser l'ordre qu'il a Lui-même établi (CE 523). Cette miséricorde est constante avec chaque individu et ne se retire jamais, tous ceux qui peuvent être sauvés le sont, mais ceux dont l'affection dominante est mauvaise s'en sont détournés. Dans le domaine intermédiaire du Bardo aussi, même un bouddha ne peut pas empêcher quelqu'un qui veut aller quelque part, puisque (comme Swedenborg l'exprime), il est cette attirance / affection et ne peut pas être arrêté sans être anéanti ["attendu que chaque Esprit est, de la tête aux pieds, tel qu'est son amour, par conséquent tel qu'est sa vie, et que changer cette vie en une vie opposée, c'est détruire entièrement l'Esprit"]. (CE 527).

* Cette traduction pionnière en Occident est imparfaite et entachée des tendances théosophiques du traducteur Evans-Wentz. Pour ceux qui sont intéressés par les malentendus qui firent de ce texte la fortune en Occident lisent la critique de Donald S. Lopez "The Tibetan Book of the Dead": A Biography. Princeton University Press. En outre, on trouvera aussi dans le chapitre 2, un résumé très clair du Bardo du moment de la mort qui peut servir pour confronter les deux visions, celle de la tradition du bardo et celle de Swedenborg, qui se rejoignent sur de nombreux points.

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Il y a, cependant, quelques différences importantes. Pour Swedenborg le monde des esprits est un état intermédiaire entre le Ciel et l'Enfer, là où les hommes viennent dans le monde des esprits et sont ensuite "dévastés": c'est-à-dire que les éléments extérieurs doivent être changés jusqu'à ce qu'ils soient conformes aux éléments intérieurs (CE 426). Le niveau le plus profond du mental ne peut plus être réformé, mais les éléments externes de celui-ci doivent progressivement être mis en ordre jusqu'à ce que ses modes de pensée et de sentiment concordent avec ses intentions foncières.

Pourtant, comme le suggère le titre tibétain ("La Grande Libération par l'écoute dans le Bardo"), les textes du Bardo ("royaume intermédiaire"), présupposent que c'est encore possible d'exercer une certaine liberté dans le monde du Bardo, que, malgré la force karmique, il pourrait y avoir un certain choix en la matière - peut-être parce qu'il y a plus d'un amour "dominant". Je peux penser à deux manières de résoudre cette différence. La première consiste à comprendre le Bardo Thödol moins naïvement, comme un livre destiné à la vie plutôt qu'à la mort, comme un moyen d'encourager les survivants à réformer leur vie, leurs samskara - tant que c'est encore possible. Le lire oralement auprès du cadavre, entouré par les endeuillés contrits, sert certainement ce but, mais il y a une autre façon de voir les choses. Je me demande s'il n'y a pas une certaine incohérence dans la façon dont le traité " Le Ciel et l'Enfer" affirme que l'amour dominant ne peut pas être changé pour l'éternité (477 et suiv.), tout en décrivant les tentatives des anges pour influencer les esprits nouvellement trépassés (par exemple, 450), lesquels efforts seraient en grande partie gaspillés, s'ils ne pouvaient avoir aucun effet sur leur amour dominant (et donc sur leur place éventuelle dans le Ciel ou l'Enfer). Nous pouvons aussi demander si nous avons toujours un seul amour dominant, peut-être il y a des cas, peut-être nombreux, où affections concourent les unes avec les autres tout au long de la vie et même après celle-ci. Si oui, peut-être livre de Swedenborg est fallacieux.*

* [Ce genre de doute est la conséquence –presque la conclusion- d'essayer à tout prix de fairecoïncider des doctrines dont les fondements religieux et philosophiques sont antithétiques. Continuer une étude sans avoir préalablement résolu cette question, en pensant que peut-être toute notre réflexion est fondée sur une erreur, est inutile et c'est cela qui est fallacieux et non le livre de Swedenborg. L'eschatologie de Swedenborg est claire et en accord avec la vision chrétienne de l'éternité des châtiments et des récompenses. Par contre, analyser cette eschatologie chrétienne d'un point de vue métaphysique, situe la signification théologique de l'éternité sur un plan relatif. Le Ciel et l'Enfer de Swedenborg sont des états Humains. L'Humain est le fondement même de sa théologie : le Deus Revelatus à la forme d'un Grand Homme, les anges et les esprits sont spirituellement humains et les hommes sont naturellement humains. Mais si l'Infini se limitait à l'Humain, celui-ci ne serait pas infini mais fini. Ni l'Être même, qui est la première détermination du Deus Absconditus ne peut être réduit à l'état Humain, même si ces états sont extrêmement subtils et non individualisés (le Ciel ultime des anges célestes). Les plus profondes contemplations bouddhiques transcendent l'état humain dans sa totalité. Ce dernier pour le Bouddha est samsarique, soumis au devenir, et les êtres qui le peuplent qu'ils soient dieux ou anges, ou démons, sont soumis à l'impermanence et sujets à dukkha, le paradis et l'enfer ont une fin, même si la durée de vie y est incommensurable par rapport à la durée d'une vie humaine, qu'on puisse parler, du point de vue humain, d'éternité.]

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Une différence d'accent, ou plusieurs, résulte de la distinction entre la morale et la connaissance. Elles sont étroitement liées, mais dans la mesure où elles peuvent être distinguées, nous pouvons dire que le bouddhisme en tant que "tradition de sagesse», met plus l'accent sur la sagesse, tandis que Swedenborg met l'accent sur la morale. L'une des manières dont cette différence apparaît est dans la distinction que le bouddhisme fait entre le "Ciel" et la libération qui est le nirvana; le premier est l'un des six règnes du samsara - agréable, autosatisfaisant, mais soumis à l'impermanence et finalement à dukka . Du point de vue bouddhiste, même un bon karma est contraignant dans la mesure où il opère mécaniquement; mieux vaut Prajna (la Sagesse) qui libère de tout le karma et donc de tous les royaumes du samsara. Un bon exemple de ceci se trouve dans le Bardo Thödol, qui nous enseigne ce qui se passe après la mort, quand le trépassé rencontre la pure luminosité du dharmakaya. Il est encouragé à s'unir avec la lumière blanche en réalisant qu'ils sont un, par rapport à cette union, même la plus sublime des déités paisibles, qui représente un bon karma, n'est rien de plus qu'une forme supérieure de l'illusion. Je ne trouve pas cette distinction chez Swedenborg.

Cela nous amène à considérer la différence la plus importante entre Swedenborg et le bouddhisme, et ce qui est sans aucun doute un obstacle majeur à toute concordance. La conception chrétienne qu'a Swedenborg du drame de la vie posthume est orthodoxe et conçoit cette vie comme une préparation pour le Ciel ou l'Enfer, puisque l'amour dominant ne change jamais, même pour l'éternité (477, 480). En revanche, toutes les écoles traditionnelles du bouddhisme conçoivent que la non réalisation du nirvana conduit à une renaissance dans l'un des six royaumes du samsara (les mondes célestes des dieux, des titans, les mondes humains, des esprits affamés, des animaux et les enfers), ce qui inclut la possibilité de revenir en tant qu'être humain.17 Même cette différence se complique par le fait que certains passages du Bardo Thödol mettent en garde l'esprit du risque de ne jamais pouvoir se soustraire au "vent du karma": "... maintenant c'est le moment où en s'abandonnant à la paresse, même pour un instant, tu vas souffrir pour l'éternité". "Si tu vas là, tu entreras dans l'Enfer, tu éprouveras d'insupportables souffrances par la chaleur et le froid, où tu ne pourras jamais sortir."18 En théorie, cependant, la fuite est toujours possible, peu importe où vous êtes, si vous vous réalisez le sunyata [nature*] de votre propre esprit. L'expérience correspondante chez Swedenborg serait la régénération, même en Enfer, par l'ouverture de ses internes à l'afflux du Seigneur et la transformation de l'amour dominant de la personne; mais il ne propose pas cette possibilité, malgré le fait que l'amour divin ne se retire de jamais de personne (DP 330).

Correspondances Vivantes

Comme comparaison finale considérons brièvement la doctrine des correspondances ou des représentations de Swedenborg, qui constitue une interprétation l'idéaliste de l'au-delà: même si l'au-delà est à bien des égards similaire à ce monde-ci, les choses ne sont pas aussi fixes ou statiques, leurs conditions varient selon l'état* des anges qui les perçoivent, et elles disparaissent lorsque ceux-ci disparaissent (CE 173 et suiv.).

"Comme toutes les choses qui correspondent aux intérieurs les représentent aussi, c'est pour cela qu'elles sont appelées Représentatifs; et comme elles varient selon l'état des intérieurs chez les Anges, c'est pour cela qu'elles sont appelées Apparences, quoique les choses qui apparaissent devant les yeux des Anges dans les Cieux et sont perçues par leurs sens, apparaissent et soient perçues

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d'une apparence et d'une perception aussi vives que celles qui sur la Terre sont vues et perçues par l'homme, et même beaucoup plus clairement, plus distinctement et plus perceptiblement." (CE 175)

[Que l'univers du Monde spirituel représente en image l'homme, on peut le voir clairement en ce que toutes les choses dont il vient d'être parlé au n°321, apparaissent vivantes et existent autour de l'ange et autour des sociétés angéliques, comme produites ou créées par eux; elles restent autour d'eux, et ne s'en éloignent point: qu'elles soient comme produites ou créées par eux, on le voit en ce que, quand l'ange se retire, ou quand la société passe ailleurs, elles n'apparaissent plus; puis, en ce que, quand d'autres anges viennent à leur place, la face de toutes choses autour d'eux est changée. (SA.322)]

Pour tout philosophe bouddhiste, cela ressemble à l'école bouddhiste connue sous le nom Yogacara ou Vijñanavada (parfois traduit par "l'école de la représentation seule". Elle est avec le Madhyamika de Nagarjuna, l'autre école philosophique importante du Mahayana, avec laquelle elle a finalement fusionné. Contrairement aux correspondances détaillées exposées par Swedenborg, le Yogacara traite de la question sur un plan plus abstrait que, franchement, je n'ai pas trouvé très intéressant. Plus éclairant est le parallèle avec le Bardo Thödol, qui appréhende toutes les expériences postmortem comme des images mentales projetées**, faisant de l'outre-monde "une image karmiquement correspondante de la vie terrestre":

Les descriptions de ces visions qui, selon le Bardo Thödol, apparaissent dans l'état intermédiaire (bar-do) qui suit la mort ne sont ni un folklore primitif, ni des spéculations théologiques. Elles ne sont pas concernées par les apparences d'êtres surnaturels ... mais avec les projections visibles ou des mécanismes de processus internes, des expériences et des états d'esprit, produits dans la phase créative de la méditation. 19

Le défi du plan du Bardo est de reconnaître les déités paisibles et courroucées qui apparaissent comme les projections karmiques de son propre esprit. "Si toutes les tentations des visions d'images trompeuses, constamment mentionnées dans les textes comme des formes hostiles de l'intellect, peuvent être reconnues comme les créations vides de son propre esprit et peuvent être immédiatement comprises, on atteindra la libération." 20

* for their condition varies there according to the angels that perceive them, que j'ai traduit par 'leursconditions varient selon l'état…', car comme le répète Swedenborg tout ce qui apparaît dans l'esprit angélique sont des états :"Dans l'autre vie c'est l'état qui fait l'apparence" (AC 4655). "Dans le monde spirituel tout est perçu au moyen des états, et au moyen de leurs variations et de leurs changements" (CA 4043).

** [Ici revient le terme "projection" qui est utilisé dans la littérature spiritualiste influencée par le jargon psychologiste et qui montre par son usage une méconnaissance des états spirituels visionnaires. Ni un tantrika de haut niveau, ni Swedenborg, ne " projettent" des images mentales ou des processus internes. Il suffit de bien comprendre ce que signifie exactement la géographie spirituelle du mondus imaginalis que décrit Swedenborg avec les influx et les forces spirituelles qui la compénètrent et la modèlent, les êtres qui la peuplent, pour au moins avoir l'intuition qu'un esprit projetant des images (d'où à où?) est vraiment une pauvre conception de la raison empirique -naturelle comme dirait Swedenborg.]19b

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La différence, comme nous l'avons déjà remarqué, c'est que le Bardo Thödol exhorte le défunt de ne s'identifier à aucune de ces images, afin d'atteindre la luminosité libératrice du dharmakaya sans forme; tandis que les anges de Swedenborg habitent avec félicité dans un univers mental qui change constamment en fonction à leurs affections. Peut-être que le terrain d'entente entre les deux est que ni l'un ni l'autre n'est trompé par ces correspondances en croyant que les choses de son monde sont réelles, une illusion qui se produit lorsque les attachements et les illusions du samsara nous poussent à nous fixer sur elles. Celui qui doit jouer ne peut pas jouer, tandis que ceux qui connaissent les choses qui sont correspondantes ne sont pas piégés par, et dans, ces correspondances.

Qu'est-ce que "le Secret de la Grande Tartarie"?

Si les parallèles ci-dessus sont pertinents, ils soulèvent une question finale qu'il ne faut pas ignorer: pourquoi des enseignements si semblables entre le bouddhiste et Swedenborg? Il y a différentes possibilités, que les lecteurs peuvent étudier par eux-mêmes, mais une hypothèse, en particulier, mérite d'être abordée: Swedenborg ne s'est-il pas familiarisé avec le bouddhisme en voyageant dans l'au-delà? Une des références les plus intrigantes dans ses volumineux ouvrages est une allusion à "la Grande Tartarie» où les enseignements de l'Église antique ont été conservés:

"J'ai parlé avec les esprits et les anges qui sont venus de là-bas, et ils ont dit qu'ils possèdent une Parole qu'ils détiennent depuis les temps anciens, et que leur culte divin est accompli conformément à cette Parole, laquelle contient de pures correspondances ... Ils ont dit qu'ils adorent Jéhovah, parfois comme un Dieu invisible, ou d'autres fois comme visible. En outre, ils ont dit qu'ils ne permettent pas aux étrangers de venir parmi eux, à l'exception de la Chine, avec laquelle ils cultivent la paix, parce que l'empereur de la Chine est de leur pays ... Cherchez-la en Chine, et peut-être que vous l'y trouverez parmi les Tartares." (AR 11; c'est moi qui souligne) 21

Qu'est-ce que cette référence? Et où? Anders Hallengren traite de cette question dans son article "Le Secret de la Grande-Tartarie." 22 Après avoir examiné la preuve historique, il conclut que la référence la plus probable est le bouddhisme de la Mongolie et du Tibet (depuis que Kublai Khan, fondateur de la dynastie chinoise des Yuan, fut converti au treizième siècle par un Rinpoché tibétain, le bouddhisme mongol est une adaptation du bouddhisme tibétain). À cela, je peux ajouter un seul point, sur le fait curieux que leur culte "se compose de pures correspondances." Qu'est-ce que cela veut dire? Le bouddhisme Vajrayana du Tibet et de la Mongolie est une forme Mahayana du tantra qui utilise des pratiques méditatives comme les mandalas (images complexes, généralement des peintures), les mantras (la répétition de sons sacrés), les mudras (mouvements de la main), et ainsi de suite. Dans le cas d'un mandala, par exemple, un pratiquant médite sur sa forme jusqu'à ce qu'il soit capable de la visualiser complètement par les yeux de l'esprit; puis s'unit avec les divinités figurées dans le mandala, qui représentent les aspects de sa propre nature de Bouddha. Le symbolisme complexe de la plupart des mandalas n'est pas très approprié aux préoccupations théoriques de la plupart des philosophes du bouddhisme, alors que l'inverse est vrai pour les méditants. Le Tantra est par nature ésotérique parce que c'est un système symbolique non conceptuel: "Le mandala est une image microcosmique de l'univers; "23 il "est, avant tout une carte du cosmos. C'est tout l'univers dans son plan essentiel, dans son processus d'émanation et de réabsorption ".24 Cela suggère que les méditations qui utilisent ces images pourraient être la pure

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correspondance que Swedenborg mentionne. Je ne sais pas comment évaluer cette hypothèse *, mais à l'avenir, je vais être moins enclin d'écarter de telles images comme une "simple iconographie"!

Conclusion

Dans cet article, il n'a été possible de ne mentionner que les plus remarquables coïncidences entre la doctrine de Swedenborg et celles du bouddhisme. Ils suffisent pour justifier que dans le dialogue actuel entre christianisme et le bouddhisme, la théologie de Swedenborg pourrait être un pont important. La double insistance de Swedenborg sur l'amour et la sagesse divine, qui constitue le cœur de sa théologie, est reproduite dans la relation entre le christianisme et le bouddhisme, qui mettent respectivement l'accent sur la voie de l'amour et de la sagesse - et, comme Swedenborg et le bouddhisme ensemble le soulignent, chaque voie implique l'autre.

Malheureusement, nous ne pouvons pas nous attendre que ce pont génère beaucoup de trafic, pour la même raison que l'eschatologie de Swedenborg a été ignorée par la grande tradition chrétienne: sa conception grandiose de l'au-delà, et de ce monde, dépendant trop de ses extraordinaires expériences spirituelles, que peu, voire aucun d'entre nous, semblent en mesure de confirmer par nous-mêmes.

N'ayant pas visité le Ciel ou l'Enfer, je ne peux qu'espérer que, s'ils existent, ils soient tels que Swedenborg les décrit. Après avoir étudié en détail son eschatologie remarquablement bien structurée, d'autres commencent à perdre leur crédibilité. Cette réponse est elle-même un fait remarquable, soulignant la plausibilité totale de ces récits grandioses. Si l'univers ne fonctionne pas

de la manière décrite par Swedenborg, eh bien! Il le devrait. 25

* Pour évaluer cette hypothèse, les matériaux ne font pas défaut. En reconsidérant notre vision du monde etadmettre qu'il existe un plan subtil indéfini, qui en Occident fut longtemps négligé, sauf dans les théories fumeuses et réductrices des "ésotéristes" et des théosophistes, puis de nos jours par les gourous "new age". Les travaux d'Henry Corbin, pour un territoire bien défini d'un imaginal (terme qu'il a forgé pour éviter la confusion avec l'imaginaire tel qu'il est entendu de nos jours) propre à une tradition, le soufisme chiite et débordant sur les anciennes religions perses, ont ouvert la voie à une meilleure compréhension de cet état. Peut-être qu'un jour un chercheur, de l'envergure d'un Corbin25b, explorera le territoire imaginal des traditions tantriques. L'imaginal de Swedenborg, des théosophes ismaéliens, du vajrayana, et de bien d'autres n'épuisent pas et, n'épuiseront jamais cet entre-deux, a-spatial et a-temporel (monde de l'Âme Cosmique de Plotin) entre le monde matériel et naturel des corps et le monde de l'Intellect pur sans forme (pour reprendre une terminologie plotinienne). Et pour nous, les clés de cette compréhension intuitive, se trouvent dans la doctrine swedenborgienne exposée dans deux œuvres majeures : "Le Divin Amour et la Divine Sagesse des Anges" et La Sagesse Angélique sur la Divine Providence".

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Remarques

Cet article a été traduit pour servir de base d'étude, à la demande d’étudiants des œuvres de Swedenborg. Les commentaires sont des notes pour thématiser la discussion. Il s'est vite avéré, parce que le sujet de cet article n'est pas maîtrisé par l'auteur, tant dans son argumentation bouddhiste que swedenborgienne, qu'il fallait d'une certaine façon déconstruire la thèse qu'il proposait. Nous avons reconsidéré les points de convergence proposés par l'auteur, en développant celles qui semblaient pertinentes et réfutant celles qui le paraissaient moins. L'article nous a servi de point de départ, pour ensuite poursuivre une discussion qui le déborda complètement. Ce sont les divergences entre ces deux visions -Bouddhiste et particulièrement Vajrayana et Swedenborgienne qui entraînaient dans son sillage Plotin, Augustin, Malebranche et tant d'autres-- qui furent les plus fécondes pour comprendre la théologie de Swedenborg et la restituer dans sa perspective visionnaire. Car c'était cet univers visionnaire qu'il ne fallait jamais perdre de vue. Swedenborg n'élabore pas ses démonstrations sur la seule raison qui n'est là que pour servir la faculté visionnaire, faculté imaginative dans le sens spirituel du terme (imaginatio vera). Swedenborg écrit et conçoit "d'après ce qui a été entendu et vu ", comme il prend soin de le préciser sous le titre de ses ouvrages.

Il faut aller au-delà des formes, qui nécessairement se créent à partir du substrat mental d'une humanité vivant dans un temps et un lieu donnés, qui habillent de profondes vérités anthropologiques et spirituelles, les mêmes que l'on retrouve sous un autre habillage dans le tantrisme et le soufisme, pour ne citer que ceux-ci, sans oublier d'anciens peuples où l'organe qui permettait la perception du "Ciel" n'était pas encore voilé.

Aujourd'hui existe une Église (des) swedenborgienne, très active. Elle est le versant exotérique de l'Église interne et céleste à laquelle appartient Swedenborg, celle dont il fut inspiré lorsqu'il était dans son état corporel, qu'il s'appelait Swedenborg et qu'il appartenait à une société humaine particulière, et par cet état même il "l'exotérisa" et en tant que réceptacle singulier, l'informa à travers les modes de sa religion et de sa culture (qui sont des correspondances et des représentations). L'erreur qu'il nous faut éviter est de s'enfermer dans ces formes visionnaires et intellectuelles, qui sont relatives, et clore, pour reprendre le vocabulaire de Swedenborg, nos internes à l'influx divin.

En dépit des critiques que j'ai pu émettre, je reconnais à l'auteur le sérieux de son travail qui, outre le défi e tenter d'éclairer l'une par l'autre deux visions spirituelles que rien au premier abord ne rapproche, reprend le dialogue là où DT Suzuki, pour des raisons que je devine, le délaissa.

Mais gardons-nous des assimilations abusives, bien que des éléments épars concordent, ces deux visions ne se recouvrent pas, et si l'on veut qualifier de Dharma la doctrine de Swedenborg, alors c'est dans le sens général qu'a ce terme en sanskrit : Ordre, Loi, et qui peut très bien connoter la Providence Divine révélée par Swedenborg.

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Notes

1. Tricycle: The Buddhist Review, Fall 1991, pp. 6-7.

2. Chrysalis IX, No. 1 (Spring 1994), p. 75.

3. Philangi Dasa, Swedenborg the Buddhist, or, The Higher Swedenborgianism, Its Secrets andThibetan Origin (Los Angeles: The Buddhistic Swedenborgian Brotherhood, 1887), p. 14. I am grateful to Leonard Fox for providing me with a photocopy of this book. My Dasa epigraph ("... hidden under Judaic-Christian names, ...) is from p. 7.

4. Did Suzuki read The Buddhist Ray while he was working for the Open Court Publishing Company? Itis likely that Paul Carus was aware of it.

5. Traduction par Tatsuya Nagashima, dans "Daisetsu T. Suzuki, bouddhiste de renomméeinternationale: Crypto Swedenborgien ? " New Life Church, mai 1993, pp 202-217. Plus tard dans le premier chapitre, Suzuki fait une remarque en apparence ingénue qui mérite d'être citée, car elle touche à l'une des qualités les plus plaisantes des "in-octavo mornes, dogmatiques et soporifiques" de Swedenborg : " Les écrits de Swedenborg ont une forme de sincérité et d'honnêteté cohérente. Il n'est pas un homme porté à la fraude et enclin à la tromperie. Il écrit avec honnêteté ce qu'il voit et entend. Il n'y a aucune prétention en lui. Que nous le croyons ou pas, nous devons admettre qu'il y a une raison pour laquelle on sent sa sincérité à travers ce qu'il écrit »(ibid., p.214). L'ensemble du livre a récemment été traduit en anglais par Andrew Bernstein et sera publié par la Fondation Swedenborg en 1996; il inclut l'article de 1927 mentionné plus tard. Ma citation de Suzuki ("Révolutionnaire dans la théologie ...") est extraite de la préface. Je suis reconnaissant à M. et à Mme Nagashima Mihoko Bekku de m'avoir fourni des informations sur l'arrière-plan swedenborgien de Suzuki.

6. Mihoko Bekku, communication personnelle. Mme Yukie Dan, secrétaire de la Eastern BuddhistSociety (qui publie The Eastern Buddhist, un journal fondé par Suzuki), m'a fournie une liste de références de Swedenborg dans Collected Writings de Suzuki (en japonais): au total dix, en plus des études et des traductions déjà mentionnées. "En général, on ne pense pas que Swedenborg soit d'une grande importance pour Suzuki, qui ne le mentionne pas ouvertement. Mais ces listes assez explicites mentionnant des ES, suggèrent que Swedenborg n'a jamais quitté les réflexions de Suzuki. De ce fait, nous pensons maintenant qu'il a été important, mais de quelle manière, cela doit être encore élucidé. "(Yuki Dan, communication personnelle).

7. Les contacts entre l'Inde et l'Europe eurent lieu bien avant les conquêtes d'Alexandre (326-323avant J.-C.), et Marco Polo donne un récit de la légende du Bouddha. Au 13e siècle, des envoyés du pape visitèrent le Khan des Mongols, et leurs récits ont suscité beaucoup d'intérêt en Europe. Plus tard, les missionnaires envoyèrent de nombreux rapports, mais peu d'entre eux ont été publiées, il est difficile de déterminer combien d'informations correctes sur le bouddhisme sont parvenues en Europe avant le 19e siècle. L'exception importante, curieusement, fut le Tibet. A la fin du 16e siècle, des missionnaires jésuites croyaient que des chrétiens y vivaient, et une série de missionnaires catholiques l'ont visité à partir de 1624. L'un d'eux, Ippolito Desideri, est resté à Lhassa pendant cinq ans (1716-1721) et a acquis une excellente connaissance de la langue et la religion tibétaine, il a écrit une "Relazione" sur ses études lors de son retour, mais elle ne fut publiée qu'en 1904. C'est

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seulement au 19e siècle que des études systématiques du bouddhisme commencent et que des traductions fiables apparaissent. Voir JW De Jong, A Brief History of Buddhist Studies in Europe and America (Delhi: Sri Satguru Publications, 1987), pp. 5-15.

8. Numbers in the text refer to the numbered paragraphs (or, in roman numerals, chapter headings)in John C. Ager's trans. of Heaven and Hell (New York: The Swedenborg Foundation, 1988).

9. As quoted in Philip Kapleau, ed., The Three Pillars of Zen (Tokyo: Weatherhill, 1965), p. 205. Theoriginal reference is from the Sokushin-zebutsu fascicle of Dogen's Shobogenzo, but the same point is made by Dogen in other fascicles as well.

10. Voir aussi CE 145. Bien que l'importance spirituelle du front et du sommet de la tête (l'ouverturepariétale gauche de la fontanelle) a été largement ignorée dans la tradition chrétienne, mais bien connue dans le bouddhisme tantrique et les traditions yogiques indiennes, qui ont un système de sept chakras dont les plus importants sont le "troisième œil" au milieu du front et le chakra situé au sommet de la tête (selon la tradition tibétaine, ce chakra est la meilleure voie pour que le corps mental sorte après la mort du corps physique).

11. Swedenborg dit peu de choses sur les pratiques de méditation, bien que La Vraie ReligionChrétienne (767) mentionne que le Seigneur apparaît comme un soleil devant les anges lorsque ceux-ci pratiquent la méditation spirituelle. La propre pratique préférée de Swedenborg était de méditer sur le sens de la Bible et de permettre à son esprit de se laisser guider par le Seigneur dans une perception de sa signification spirituelle.

[Voir aussi sa pratique de la "respiration interne". Dans ses Adversaria, il raconte qu'il prit l'habitude de cette respiration " Lorsque je disais mes prières du matin et du soir, puis plus tard lorsque j'étudiais particulièrement le merveilleux ensemble que constitue le jeu des poumons et celui du cœur, et plus spécialement encore, lorsque je me trouvais profondément occupé à écrire les ouvrages que j'ai publiés, pendant des années, j'ai pu souvent observer qu'il y a une respiration tacite, à peine perceptible et au sujet de laquelle j'ai beaucoup réfléchi... Plus tard, lorsque les cieux me furent ouverts et que je fus à même de converser avec les esprits, je respirais à peine, parfois pendant une petite heure, n'inspirant guère qu'une quantité d'air suffisante au processus de la pensée." Aussi, par exemple, dans son Journal Spirituel (3317): "Par ailleurs, j'ai parlé avec eux (les anges, touchant l'état de leur langage. Comment cela pouvait être perçu m'a été montré par la nature de leur respiration, et j'ai été informé que la respiration des poumons varie en succession, selon l'état de leur foi, chose qui m'était inconnue auparavant. Mais je peux le percevoir et de le créditer, parce que ma respiration était ainsi formée par le Seigneur, que je ne pouvais respirer intérieurement pendant un temps considérable, sans l'aide de l'air extérieur, de sorte que ma respiration était ainsi dirigée vers l'intérieur, tandis que les sens extérieurs de même que l'acte restés encore dans leur vigueur.]

11b [J'ai traduit librement l'expression "should think rather than what is the case" qui semble un raccourci dont la syntaxe est difficile à rendre pour répondre clairement à la question soulevée par la troisième raison.]

12. Krishna: "Chaque fois que l'Ordre chancelle et que le désordre se répand, alors je me recrée moi-même, je renais d'âge en âge pour le protection des bons et la perte des méchants, pour la restauration de l'Ordre." Gita 4:7-8)

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13. Francis H. Cook, Hua-yen Buddhism: The Jewel Net of Indra (University Park, Penn.: PennsylvaniaState University Press, 1977), p. 2.

14. Ibid.

15.Une grande partie de la vision de Swedenborg de l'au-delà, et cet aspect en particulier, est compatible avec la théorie concluante de John Hick dans "La mort et la vie éternelle" (London: Collins, 1976), qui est une étude historique quasi exhaustive de l'eschatologie chrétienne qui, suivant le paradigme de la théologie moderne, ignore Swedenborg. "La distinction entre le soi comme ego et le soi comme personne suggère que l'individu humain devient parfait, il devient de plus en plus une personne et de moins en moins un ego. Puisque la personnalité est essentiellement tournée vers l'extérieur, comme une relation à d'autres personnes, tandis que l'ego forme une frontière limitant la véritable vie personnelle, l'individu perfectionné devient une personnalité sans égoïté, une conscience vivante qui est transparente pour les autres consciences à l'égard desquelles il vit dans une communauté pleine d'amour. Ainsi, nous avons l'image d'une pluralité de centres personnels sans périphéries distinctes. Ils ont cessé d'être mutuellement exclusifs et sont devenus mutuellement inclusifs et ouverts les uns aux autres dans une conscience complexe richement partagée. La barrière entre leur vie inconsciente commune et leur conscience individuelle aura disparu, de sorte qu'ils vivront une intimité personnelle commune que nous pouvons à peine imaginer à l'heure actuelle. "(459-460)

Ce n'est pas une mauvaise description des cieux de Swedenborg; comparez CA 2057: "L'amour mutuel dans le Ciel consiste en ce qu'on aime le prochain plus que soi-même; de là tout le Ciel représente comme un seul homme, car au moyen de l'amour mutuel tous sont ainsi associés par le Seigneur; c'est de là que les félicités de tous sont communiquées à chacun, et que celles de chacun le sont à tous; de là résulte que la forme céleste elle-même est telle, (que chacun est comme une sorte de centre, ainsi un centre de communications, par conséquent le centre des félicités qui procèdent de tous les autres; et cela, selon toutes les différences de l'amour mutuel, qui sont innombrables "

[Peut-être que sur la forme on peut trouver quelque ressemblance avec cette description, mais sur le fond, rien ne les rapproche. Je pense que l'auteur de cet article n'a pas très bien saisi les termes clés de la théologie de Swedenborg. L'amour, le proprium, la nature même du Ciel angélique, dont parle Swedenborg, tels qu'ils ressortent de cet extrait qui illustre la comparaison qu'il veut pertinente, ne peuvent pas se comparer avec le vocabulaire et d'autant plus avec l'idée que ce dernier exprime, de John Hick.]

16. On the Bardo Thodol, see Glenn H. Mullin, Death and Dying: The Tibetan Tradition (London:Arkana, 1986), pp. 21-22.

[16b] [Cette phrase pouvant être obscure -yet since it mirrors all one's karma those less good…- car cette image du miroir apparaît sans explication, j'ai traduit par -les actions réfléchies dans "le miroir du karma"- en me référant directement au texte "Tu essaieras de mentir en disant :"Je n'ai commis aucune mauvaise action". Alors le Seigneur de la Mort dira : "Je vais consulter le Miroir du Karma"" Bardo Thödol.]

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17. CE 256 donne une autre explication de la croyance que les gens «peuvent revenir à une vieantérieure": parfois une confusion de "souvenir" peut se produire en raison de l'expérience des souvenirs des esprits qui nous accompagnent toujours.

["Car les anges et les esprits ont, de même que les hommes, une mémoire; si l'esprit parlait avec l'homme d'après sa propre mémoire, l'homme ne pourrait considérer que comme lui appartenant les choses qu'il penserait alors, tandis que cependant elles appartiendraient à l'esprit; il y aurait comme réminiscence d'une chose que cependant l'homme n'aurait jamais entendue ou vue: c'est par expérience qu'il m'a été donné de savoir qu'il en est ainsi, quand cela a lieu; de là, chez quelques anciens, l'opinion qu'après des milliers d'années, ils reviendraient dans leur vie précédente et dans tous ses actes, et aussi l'opinion qu'ils y étaient revenus; ils avaient conclu cela, de ce que parfois il leur était survenu comme un souvenir de choses que cependant jamais ils n'avaient vues ou entendues; cela était arrivé, parce que des esprits avaient, d'après leur propre mémoire, influé dans les idées de la pensée de ces hommes." CE 256]

18. The Tibetan Book of the Dead, trans. with commentary by Francesca Fremantle and ChogyamTrungpa (Boston: Shambhala, 1992), pp. 199, 212-213.

19. Lama Anagarika Govinda, Foundations of Tibetan Mysticism (New York: Samuel Weiser, 1969), p.122.

19b. [ Comme une Société entière est le Ciel dans une forme plus petite, de même l'Ange est aussi le Ciel dans la forme la plus petite; car le Ciel n'est point hors de l'Ange, mais il est au dedans de lui; en effet, les intérieurs de l'Ange, qui appartiennent à son mental, ont été disposés dans la forme du Ciel, ainsi pour la réception de toutes les choses du Ciel qui sont hors de lui; il les reçoit même selon la qualité du bien qui est en lui d'après le Seigneur ; c'est de là que l'Ange est aussi le Ciel. CE 53

On ne peut nullement dire de quelqu'un que le Ciel soit hors de lui, mais on doit dire qu'il est en dedans de lui; car tout Ange, selon le Ciel qui est au dedans de lui, reçoit le Ciel qui est hors de lui. Combien se trompe celui qui croit que venir dans le ciel, c'est seulement être élevé parmi les Anges, quel qu'on soit dans la vie intérieure; qu'ainsi le Ciel est donné à chacun d'après une immédiate Miséricorde; si le Ciel n'est pas au dedans de quelqu'un, rien du Ciel qui est hors de lui n'influe ni n'est reçu. CE 54

Comme l'homme est le Ciel et aussi le Monde dans la forme la plus petite à l'image du Très Grand, il y a par conséquent chez lui le monde spirituel et le monde naturel. CE 90

Voir aussi la doctrine des degrés exposée dans "Le Divin Amour et la Divine Sagesse" pour comprendre les états multiples de l'Humain et l'actualisation de ses degrés ]

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20.Detlef Ingo Lauf, Secret Doctrines of the Tibetan Books of the Dead (Boston: Shambhala, 1989), p.69.

21. See also CL 77, The Coronis 39, SD 6077.

22. Arcana Vol. 1, No. 1, pp. 35-54.

23. Lauf, Secret Doctrines, p. 65.

24.Giuseppe Tucci, The theory and Practice of the Mandala (London: Rider and Co., 1969), p. 23.

25.I am grateful to Leonard Fox, Donald L. Rose, and especially Jane Williams-Hogan, for theircomments on an earlier draft of this paper.

25b. [Je ne peux que souligner la profonde, et en majeure partie incontestable, œuvre herméneutique que fit Henry Corbin, et qui va bien au-delà de la simple érudition savante. Mais peut-être que pour l'imaginal (pour reprendre son terme) tantrique, il faut plus qu'une exégèse fondée sur une vaste érudition, des intuitions et de l'imagination, il faut connaître ce territoire, non comme on peut le connaître à travers une cartographie, aussi sophistiquée soit-elle, mais parce que l'on y voyage. Tout comme Swedenborg voyageait dans les autres mondes. Mais il est fort possible qu'un tel voyageur, ne soit pas disposé à entreprendre des études phénoménologiques de ses expériences visionnaires.Les réserves que l'on peut émettre sur le biais ismaélien et gnostique de Corbin, doivent prévenir le chercheur qui étudierait les tantrismes de ne pas biaiser son explication par un parti pris conceptuel, religieux ou philosophique.Son étude "L'herméneutique spirituelle chez Swedenborg", à l'immense mérite d'aborder Swedenborg sur le plan visionnaire, et ainsi d'ouvrir des perspectives originales et inspirantes pour une exégèse transcendant la dogmatique et la théologie exotérique, qui enferme l'œuvre de Swedenborg dans les formes d'une religiosité sentimentale et utilitariste.]