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Le défi énergétique et climatique de la croissance chinoise Perspectives à l’horizon 2030 Le développement de la Chine est-il durable ? Mastère Spécialisé – CERAM Business School Management Stratégique du Développement Durable Carine HAZEBROUCQ août 2008

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Le défi énergétique et climatique de la croissance chinoise

Perspectives à l’horizon 2030

Le développement de la Chine est-il durable ?

Mastère Spécialisé – CERAM Business School

Management Stratégique du Développement Durable

Carine HAZEBROUCQ

août 2008

- 2 -

« L’aptitude à contrôler l'énergie, que ce soit brûler du bois ou

construire des centrales électriques, est une condition

préalable à la civilisation. »

Isaac ASIMOV

- 3 -

Résumé

La Chine est devenue la troisième puissance économique du monde1. Mais la montée en

puissance du géant asiatique (1,3 milliard d’habitants) inquiète sérieusement. Jamais auparavant,

l’appétit d’énergie d’un pays en développement n’a autant pesé sur les marchés. L’industrialisation et

l’urbanisation à outrance du pays ainsi que l’élévation du niveau de vie moyen des Chinois entraînent

une surconsommation d’énergie « à l’occidentale », néfaste pour la planète. A cause de la

combustion du charbon qui représente 64 % de son énergie primaire, la Chine est désormais le

premier émetteur de gaz à effet de serre 2 au monde. Son décollage économique aggrave le

changement climatique en cours, et en revanche la facture des conséquences du réchauffement de

la Terre pourrait s’élever à 20 % de son Produit Intérieur Brut (PIB) ou plus, si la Chine ne réagit pas.

Les autorités chinoises en ont bien conscience, mais réussiront-elles pour autant à tout mettre en

œuvre pour construire une Chine durable ? A cet égard, la Chine constitue un cas d’école et anticipe

sur la question qui se posera demain à propos de l’Inde, du Brésil, de la Russie ou de l’Afrique :

comment sortir du sous-développement des milliards de personnes sans rendre la planète

inhabitable ?

Abstract

China became the third world economical power. But the potential rising of the Asiatic giant

(1,3 billion inhabitants) seriously worries. The energy appetite of a developing country has never

weighed so much in the markets before. The extreme industrialization and urbanization of China as

well as the increasing of the Chinese average standard of living lead to a “western” overconsumption,

ill-fated for the planet. Owing to the combustion of coal that represents 64 % of its primary energy,

China is from now on the first emitter of greenhouse gases in the world. Its economical takeoff

worsens the climate change in progress, and on the other hand the bill of the global warming

consequences could amount to 20 % of its GDP or more, if China does not react. The Chinese

authorities are fully aware about it, but will they succeed in building a sustainable China for all that? In

this respect, China constitutes a school case and anticipates on the question that will be raised

tomorrow about India, Brazil, Russia or Africa: how to take billions of people out of underdeveloping

without making the planet uninhabitable?

1 Source : PHILIP B., 19.07.07, La Chine devient la troisième puissance économique mondiale, Le Monde 2 phénomène physique naturel et vital ; la terre reçoit chaque jour une quantité considérable de rayons solaires, les

gaz à effet de serre bloquent et renvoient une partie de ce rayonnement vers le sol, sans quoi la température moyenne à la

surface de la terre serait de -18°C

- 4 -

« UN DÉVELOPPEMENT DURABLE répond aux besoins du

présent sans compromettre la capacité des générations

futures à répondre aux leurs.»

Notre avenir à tous (Rapport Bruntland), 1987

Introduction

En octobre 2007, un écologiste anglais a mis des masques anti-pollution

sur le visage de statues de l'armée de terre cuite du premier empereur de

Chine, exposées au British Museum à Londres. Ces masques portaient la

mention « Pollueur émission de CO2 », pour montrer du doigt la Chine devenue

le premier émetteur de gaz à effet de serre au monde, devant les États-Unis.

L’empire du Milieu, le pays le plus peuplé du globe, est le théâtre d’un développement

économique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. L’ouverture de la Chine de Mao à

l’international, dans les années 90, a décuplé la croissance du pays. Durant la dernière décennie, la

Chine s’est hissée au troisième rang mondial des puissances économiques, depuis que les

multinationales américaines et européennes y ont délocalisé la fabrication de leurs biens de

consommation. L’exode rural vers les pôles industrialisés de centaines de millions d’ouvriers-paysans

génère l’urbanisation galopante et anarchique du pays. A l’instar des Américains de l’entre-deux-

guerres et des Européens des années 50, les Chinois de la classe moyenne émergente, de plus en

plus nombreux, aspirent à plus de confort et adoptent le style de vie gourmand en énergie des pays

industrialisés. En conséquence, les besoins énergétiques de la Chine s’envolent, et pèsent

lourdement sur le marché mondial de l’énergie (épuisement des ressources pétrolières, tensions

géopolitiques).

Dans sa course contre la montre, la Chine construit près d’une nouvelle centrale à charbon

tous les deux jours pour alimenter son appétit d’énergie. 84 % de l’énergie primaire chinoise est

d’origine fossile3 , et la combustion du charbon est responsable des trois quarts des émissions

chinoises de gaz carbonique (dioxyde de carbone), l’ennemi public numéro 1 de la planète. Tout en

fournissant des produits bon marché au monde entier, le pays exerce une forte pression sur le climat

et subit les coûts environnementaux connexes (pollutions, avancée du désert, perte de biodiversité…)

Malgré tout, un foyer chinois consomme encore en moyenne 13 fois moins d’énergie qu’un

foyer américain. Que se passera-t-il si, demain, plus d’un milliard de Chinois consommaient autant

d’énergie par habitant que les Américains ? Une seule planète ne suffirait pas.

3 produite à partir de roches issues de la fossilisation des êtres vivants : pétrole, gaz naturel et charbon

- 5 -

Comment concilier développement économique

et lutte contre le changement climatique ?

Montrée du doigt par les pays industrialisés, la Chine a tendance à se réfugier derrière son

statut de pays « ayant le droit de se développer ». En effet, l’appétit d’énergie très polluant du géant

asiatique ne présage rien de bon. La Chine, suivie de près par l’Inde, est en passe de devenir le

principal maître à bord de notre avenir climatique. Mais les pays développés sont-ils pour autant en

droit de se porter en donneurs de leçons vis-à-vis de la Chine émergente ? Alors que leurs

révolutions industrielles passées sont à l’origine du mode de développement actuel, dépendant du

dioxyde de carbone (CO2) et insoutenable pour la planète si reproduit à l’échelle de 6,5 milliards

d’habitants. Peut-on légitimement empêcher les Chinois de reproduire notre mode de développement,

au nom du développement durable planétaire ? Il est pourtant crucial que la Chine adopte un modèle

de développement durable pour les vingt prochaines années, avant que le cercle vicieux du

réchauffement climatique ne s’enclenche de manière irréversible…

Dilemme, comment gérer la boulimie en charbon du pays de Mao à l’horizon 2030 tout en

préservant l’environnement et en luttant contre le changement climatique ?

Les autorités chinoises parviendront-elles à couvrir les besoins énergétiques des Chinois d’ici

à 2030, sans mettre en péril l'avenir de la planète ? Et les pays développés, qui lui font fabriquer les

produits qu'ils consomment, partageront-ils cette responsabilité ? La Chine peut-elle y parvenir

seule ? Par quels processus internationaux peut-elle collaborer avec la communauté internationale

afin d’assurer son développement, ses besoins énergétiques et la lutte contre le changement

climatique ?

- 6 -

Sommaire

1. L’énergie en Chine, l’appétit d’un ogre 8

1.1. Un géant démographique en pleine croissance 8

� Le poids démographique de l’empire du Milieu 8

� De la Chine de Mao à l’économie socialiste de marché 9

� Une croissance à deux chiffres 10

1.2. Panorama énergétique de la Chine 11

� Evolution de la demande (1971 – 2005) 11

� Analyse sectorielle 12

� Les sources d’énergie 17

� Une faible efficacité énergétique 22

1.3. Perspectives énergétiques à l’horizon 2030 24

� Projection de la consommation d’énergie mondiale 24

� Projection de la consommation d’énergie chinoise 25

2. Pressions sur le climat 27

2.1. Énergie et changement climatique 27

� Les conclusions du GIEC 27

� Perspectives climatiques 27

2.2. Chine : l’empire pollueur 28

2.3. Le coût écologique de la croissance chinoise 30

� Les pluies acides 30

� Le sprint du désert 31

� Changement climatique et forêts 31

� L’eau 32

3. Plan d’actions sur le changement climatique, l’éner gie propre et le

développement durable 36

3.1. Construire une Chine durable 36

� Réduire l’empreinte carbone 36

� Sécuriser l’approvisionnement énergétique 38

� Les objectifs affichés 40

3.2. Objectifs vs. Moyens 43

- 7 -

� Transferts de technologies 43

� Réorganisation ministérielle 44

� La R&D garante du développement économique 46

3.3. Forces, faiblesses, opportunités, menaces 48

� Analyse “SWOT” (strengths, weaknesses, opportunities, threats) 48

� Les techniques disponibles actuellement et à un coût acceptable 49

� Deux scénarios d’évolution d’ici à 2050 : Greenpeace vs. « business as usual » 51

4. Conclusion 53

5. Bibliographie 55

- 8 -

1. L’énergie en Chine, l’appétit d’un ogre

1.1. Un géant démographique en pleine croissance

� Le poids démographique de l’empire du Milieu

En 1982, la Chine est le premier pays à atteindre 1 milliard d'habitants. Avec 21 % de la

population mondiale (1 321 290 000 d'habitants fin 2007, selon le bureau national de la statistique),

c'est aujourd'hui le pays le plus peuplé du globe. Mais depuis la mise en place de la politique de

l'enfant unique qui date de la fin des années 70, la croissance démographique chinoise s'est

considérablement ralentie. Selon une étude de projection démographique de l'Université de Genève4,

la population chinoise atteindra, en moyenne (car différents scénarios de basse et de haute fécondité

ont été projetés), 1,26 milliard en 2050 avec un pic de 1,38 milliard entre 2023-2024.

L'Organisation des nations unies (ONU) prédit que la population chinoise atteindra près d'1

milliard 409 millions d'habitants en 2050 (+ 7,3 % de 2005 à 2050), et qu'en parallèle la population

indienne comptera plus d'1 milliard 658 millions d'habitants (+ 46 % de 2005 à 2050)5. Quoiqu'il en

soit, la population chinoise n'atteindra jamais 1,5 milliard d'habitants, elle commencera à plafonner

dès 2030, où elle sera dépassée par l'autre grande puissance démographique du monde, l'Inde. La

politique de l'enfant unique aura certes permis à la Chine de freiner sa croissance démographique,

l'un des facteurs majeurs de la consommation d'énergie, mais elle laisse présager une profonde crise

démographique. Selon l'Institut national français des études démographiques (INED) : « d'ici à 2050,

la Chine va perdre 70 millions d'actifs, et un déficit de main-d'œuvre se profile d'ores et déjà dans

certains secteurs. Surtout, la part des plus de 65 ans va bondir de 7 % en 2000, à 24 % en 2050. ».6

Mais l'évolution de la demande énergétique n'est pas uniquement fonction du nombre de

personnes consommant de l'énergie. Elle dépend aussi du développement économique du pays,

pour lequel le PIB est généralement l'indicateur utilisé, et de l'intensité énergétique, c'est-à-dire la

quantité d'énergie nécessaire pour produire un point de PIB. C'est ce que nous détaillerons tout au

long de ce premier chapitre sur l'énergie en Chine.

4 MELO X., ROCHA DA SILVA P., 2007, Projection de la population chinoise 2000-2050 5 ONU, World Population Project, The 2006 Revision, http://www.un.org/esa 6 MONTALBA O., 16.08.08, La Chine compte 1,3 milliard d'habitants. Vraiment ?, Le Monde

- 9 -

� De la Chine de Mao à l’économie socialiste de march é

A la mort de Mao Zedong en 1976, Deng Xiaoping surnommé le « Petit Timonier » reprend les

rênes du pays. L’empire du Milieu sort alors de plusieurs dizaines d’années d’un régime totalitaire

replié sur lui-même et d’un système totalement planifié par le Parti communiste chinois. A la fin des

années 70, le coût humain de la stratégie économique de la Chine est élevé et la pauvreté est la

caractéristique générale du pays. Malgré tout, entre 1952 et 1976, la croissance chinoise dépasse

celle de nombreux pays en développement d’Asie du Sud : Inde et Pakistan notamment. Mais

l’économie du pays peine à décoller en comparaison avec ses voisins, les Quatre Dragons : la Corée

du Sud, Taiwan, Singapour et Hong-Kong.

En 1978, Deng Xiaoping lance des réformes dans le but initial de stimuler la production et la

productivité : décollectivisation agricole, retour à l’exploitation familiale des terres, rétablissement du

profit comme critère de gestion dans les entreprises. En 1984, le Parti prône un système mixte où

plan et marché coexistent. C’est le stade initial de l’ouverture au socialisme en Chine : un système

dualiste qui permet de limiter les dommages collatéraux d’une libéralisation trop brutale, comme ce

fût le cas pour l’ex-URSS. Cette première phase de réformes entraine la décentralisation économique

et financière du pays. Et tout en desserrant l’étau sur le monde rural, Deng Xiaoping exhorte le

peuple chinois à s’enrichir.

Dans les années 90, il entame la seconde phase de réformes dans le but d’ouvrir le pays vers

une « économie socialiste de marché ». Ces réformes boostent la croissance économique intérieure

en ouvrant la porte aux capitaux étrangers et en introduisant le libre-échange. En peu de temps,

grâce à l’abondance de sa main d’œuvre peu payée et à la création de « zones économiques

spéciales », la Chine devient une puissance exportatrice phénoménale. Elle entre par ailleurs à

l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, ce qui marquera la fin de la stratégie

d'ouverture sélective suivie depuis vingt ans. L'entrée dans l'OMC est un moyen de relancer les

réformes qui sont nécessaires à la modernisation de l'économie chinoise. En conséquence, depuis

1978, le PIB chinois a été multiplié par deux en l’espace de neuf ans (1978-1987), puis par deux

encore une fois au cours des neuf années suivantes (1987-1996). Jamais auparavant, si l’on se

réfère à l’histoire des révolutions industrielles passées, la croissance d’un pays n’a été aussi forte.

Les États-Unis ont eu besoin de quarante sept ans pour doubler le revenu par tête entre 1839 et

1886. D'après le Bureau d'État des Statistiques, en 2000, le PIB de la Chine avait atteint 8 940,4

milliards de yuan (1 300 milliards de dollars), soit 6,4 fois plus que celui de 1978 compte tenu de la

variation des prix.

- 10 -

� Une croissance à deux chiffres

Le géant asiatique n'est plus un pays sous-développé. Il fait désormais partie des pays à

revenu moyen et bas. On estime à 300 millions le nombre de Chinois sortis du seuil de pauvreté

durant le quart de siècle passé, soit près du quart de la population chinoise. L’empire du Milieu est

aujourd’hui un pays en voie de développement, sur une trajectoire de rattrapage à long terme qui

justifie une croissance élevée. Selon les standards internationaux, le PIB chinois par habitant était, en

2006, de 7 500 dollars (soit 10 fois plus en réel qu'en 1980), c'est-à-dire le niveau de la France à la

fin des années 1950, mais il ne représente encore qu’environ 20 % de celui des pays riches. On

prévoit qu’au rythme actuel de croissance, les Chinois auront rattrapé notre niveau de vie avant 2030.

En 2007, leur pays a déjà ravi la troisième place dans le classement des puissances économiques

mondiales, derrière le Japon et les États-Unis, après avoir détrôné l'Allemagne.

Une étude de la Banque mondiale, en 2007, classe l'économie chinoise au deuxième rang

mondial derrière les États-Unis, d’après le calcul du PIB en parité de pouvoir d'achat (PPA) qui

ramène le salaire moyen d'un employé à la valeur locale des produits. Néanmoins, cette croissance

se fait à deux vitesses puisque l’écart dans l’échelle des niveaux de vie se creuse inexorablement au

sein du pays : selon l'ONU, 20 % de Chinois les plus riches accaparent 55 % des revenus du pays,

quand 20 % des plus pauvres se partagent 4,7 % de la richesse nationale. Le développement rapide

de la Chine profite surtout aux zones peuplées du littoral qui, avec 14 % de l'espace, concentrent 43

% de la population, 62 % du PIB, 76 % des investissements étrangers et 93 % des exportations. La

Chine de l'intérieur et celle de l'ouest sont moins bien loties.

- 11 -

1.2. Panorama énergétique de la Chine

� Evolution de la demande (1971 – 2005)

Du temps de Mao, la République populaire ne voulait pas dépendre de l’étranger pour son

approvisionnement en énergie. L’autosuffisance énergétique était le mot d’ordre du Parti communiste

chinois. La Chine était alors très peu présente sur les marchés mondiaux de l’énergie. Elle puisait

dans le sol et le sous-sol chinois bien pourvus en ressources fossiles ce qui suffisait amplement à

répondre à la demande intérieure. Seulement, depuis la fin du règne maoïste, le changement de

politique radical et l’ouverture du pays initiés par Deng Xiaoping ont modifié en profondeur la donne

de la demande énergétique chinoise et par conséquent du marché mondial de l’énergie. L’industrie et

la population chinoises ont depuis ces vingt-cinq dernières années un appétit énergivore insatiable, et

qui ne cesse de croître.

* toe : tonnes équivalent pétrole

(Source : AIE)

Entre 1978 et 2000, la Chine a connu une hausse de sa consommation énergétique située

entre 3 et 4 % par an. Après 2001, la demande a augmenté de 13 % par an. De 1990 à 2005, la

croissance économique chinoise s’est révélée beaucoup plus consommatrice d’énergie qu’on ne le

prévoyait. Les prévisions faites à la fin des années 90 de la consommation d’énergie chinoise en

2020 ont été atteintes dès 2005, en partie à cause du manque d’information fiable de la part des

autorités chinoises qui ont tendance à sous-estimer la situation. La part chinoise de la consommation

mondiale s’est alors élevée de 7 à 15 %. Le pays est aujourd’hui le deuxième consommateur

d’énergie au monde après les États-Unis.

- 12 -

Néanmoins, un foyer chinois consomme encore en moyenne 13 fois moins d’énergie qu’un

foyer américain. Que se passera-t-il si, en 2030, plus d’1 milliard 350 millions de Chinois

consommaient autant d’énergie par habitant qu’un Américain ? La Chine pourra-t-elle subvenir à ses

besoins énergétiques d’ici à 2030 ? Alors que le pays peine déjà à alimenter sa croissance… Sa

production actuelle d’électricité (440 000 mégawatts par an, soit 4 fois la production française) est en

effet insuffisante face à l’augmentation continue de la demande intérieure. Et ce n’est pas faute de

mettre de nouvelles centrales en service puisqu’en 2006, la puissance installée supplémentaire

équivalait au réseau d’EDF en France, idem en 2007.

Afin de comprendre les tenants et aboutissants de l’énergie en Chine, nous nous intéresserons

dans les parties suivantes aux composantes du panel énergétique chinois. Quels sont les secteurs

les plus gourmands en énergie, et les énergies primaires utilisées ?

� Analyse sectorielle

Remarque : les données sectorielles statistiques chinoises sont construites en fonction de la

classification de l’unité de travail dans un secteur. Par exemple, la consommation d’énergie de la

flotte de camions d’une unité de travail industrielle sera comptabilisée comme consommation de

l’industrie et non des transports7.

(Source : Enerdata database)

7 Source : PUN-LEE L., 2005, Faiblesses et perspectives du secteur énergétique chinois, Perspectives chinoises, n°88

- 13 -

- L’habitat (résidentiel tertiaire)

Une urbanisation galopante et anarchique

L'urbanisation galopante est l'un des nombreux défis que doit relever la Chine. La population

urbaine, marginale sous le règne de Mao, représentait moins de 20 % de la population totale au

début des années 80. Vingt-cinq ans plus tard, la proportion a doublé. Le pays reste encore

majoritairement paysan, avec 737 millions de ruraux fin 2006, soit 56 % de l'ensemble de la

population. Mais c'est une question d'années et les Chinois vont accomplir en une ou deux

générations ce que les Européens et les Américains ont mis un siècle à réussir. La Chine étend ses

agglomérations. En 2007, le territoire comptait 170 villes de plus d'un million d'habitants. La surface

urbaine bâtie a été multipliée par cinq en un quart de siècle. Les urbanistes annoncent un taux

d’urbanisation supérieur à 60 % à l’horizon 2025 et à 75 % en 2050. L’urbanisation empiètent chaque

année un demi-million d’hectares de terres arables, soit cinq fois la superficie de l’île de Hong Kong.

Les villes sont envahies par la population rurale, venue travailler dans les usines. Ces quinze

dernières années, 120 millions de Chinois des régions rurales ont rejoint les banlieues de la côte Est

pour travailler dans les usines privées ou les chantiers. La croissance entretient un flux migratoire

permanent de centaines de millions d’ouvriers-paysans, les « mingong », vers les bassins d’emplois,

et qui se poursuivra au moins jusqu’au milieu du siècle. Chaque année, environ 10 à 20 millions de

Chinois des champs quittent la campagne vers la ville. Submergée par cet exode rural de masse, la

Chine construit rapidement et à bon marché pour loger la main d’œuvre de ses pôles industriels. Elle

est le premier constructeur mondial de logements. On sait d’expérience que la consommation

énergétique décroît normalement avec la densité ; les villes étalées sont plus gourmandes en énergie.

Or les mégalopoles chinoises sont parmi les moins denses au monde et s’étalent au contraire sur des

dizaines de kilomètres. Les agglomérations chinoises continueront-elles de s’étendre jusqu’à la

démesure, à l’image de Los Angeles aux États-Unis ? Les habitants de Los Angeles (dont la densité

urbaine est de 25 personnes par hectare) consomment 1 700 litres de carburant par an, contre 100

litres à Hong-Kong (densité urbaine de plus de 300 personnes par hectare). Les municipalités

chinoises avaient prévu des centres urbains très denses mais ils se sont révélés totalement saturés.

Les nouvelles populations migrant vers les villes n’ont donc d’autre choix que de s’installer dans des

banlieues construites à la hâte. Compte tenu de la croissance rapide, le concept d’urbanisation

durable est largement négligé au profit d’une construction de logements à moindre prix qui sont de

véritables « passoires » au regard des déperditions d’énergie.

L’émergence d’une classe moyenne gourmande en énergie

Par classe moyenne, on entend des personnes disposant d'un revenu stable qui leur assure,

en plus des dépenses du tourisme, de l'éducation et d'autres frais de consommation, les moyens de

faire l'acquisition d'un logement (et d'une voiture – Cf. § Le transport, une faible part en croissance

forte). Bien qu’ils n’occupent encore qu’une part minoritaire de la population chinoise, la nouvelle

- 14 -

classe moyenne chinoise représente tout de même près de 100 à 200 millions de consommateurs qui

vivent plus confortablement dans des logements plus vastes, mieux chauffés en hiver et climatisés en

été. Cette aspiration à plus de confort entraîne une augmentation des consommations énergétiques

dans le secteur du bâtiment, d’autant que le développement économique s’accompagne d’une

demande plus importante d’équipement des ménages urbains en biens de consommations (appareils

électroménagers, hi-fi, automobiles, climatiseurs, ordinateurs, …). En outre, une grande partie de

l’énergie rendue nécessaire à ces besoins domestiques est gaspillée du fait de la mauvaise isolation

d’une majorité des bâtiments, du mauvais réglage des installations et des comportements de

gaspillage dus à un manque de sensibilisation sur les gestes économes. En 2005, l’énergie

nécessaire pour le chauffage, la climatisation, la ventilation et l’éclairage des 40 milliards de mètres

carrés de surface construite en Chine a représenté près du tiers de la consommation énergétique

totale du pays, contre 10 % dans les années 70. Le chauffage et la climatisation comptent pour 55 %

de cette consommation8.

La Chine va devoir loger près de 400 millions d'urbains supplémentaires en une quinzaine

d’années. L’enjeu de l’efficacité énergétique dans la construction en Chine est donc de taille.

- L’industrie

L’industrie lourde

La croissance fulgurante de la Chine se traduit par une industrialisation et une urbanisation

intenses depuis le début des années 2000. L’accélération du développement urbain a provoqué un

boom des investissements dans l’industrie lourde. Les chantiers ne s’arrêtent jamais. 50 % des grues

dressées dans le monde sont en activité en Chine. Le béton grignote du terrain. La production de

ciment a doublé depuis 2000 et le pays consomme la moitié de la production mondiale. Or l’industrie

lourde associée aux activités chinoises de construction de routes et d’immeubles – fabrication

d’aluminium, de ciment, d’acier… – est un secteur extrêmement consommateur d’énergie et polluant.

Son développement entraîne ainsi une surcroissance de la demande énergétique chinoise ;

l’industrie lourde absorbe à elle seule plus de 60 % de la consommation énergétique chinoise. Elle

est aussi responsable de 10 % des émissions de CO2 du pays.

L’atelier du monde

« Mao revendiquait que la production industrielle de la Chine

pourrait dépasser celle des États-Unis et de la Grande-

Bretagne d’ici quinze ans. »

Jung CHANG, 1991

8 Source : POMONTI V., 30.07.07, Efficacité énergétique des bâtiments en Chine : un enjeu de taille, Novethic

- 15 -

* La taille du territoire est proportionnelle aux conteneurs maritimes chargés et déchargés sur le territoire.

(Source: WORLDMAPPER)

C’est en Chine que plus des trois quarts des mouvements mondiaux de conteneurs ont lieu.

Depuis son adhésion à l’OMC, l’empire du Milieu s’est imposé dans l’économie mondiale comme

« l’atelier du monde ». La Chine s'est hissée l'an dernier au quatrième rang des exportateurs

mondiaux. Les multinationales des pays occidentaux ont délocalisé à tour de bras leurs usines de

fabrication durant les dix dernières années, attirées par le faible coût de la main d’œuvre chinoise. Et

elles ont externalisé par la même occasion leurs responsabilités en termes de prise en compte des

enjeux énergétique et climatique dans leurs activités industrielles. Dans les pays riches, le principe

de pollueur-payeur est de mise, ainsi que les obligations envers le personnel en vertu de la législation

et des règlements en vigueur en matière de travail et de sécurité sociale. Mais l’OMC peine à trouver

une voie qui permette à la fois de libéraliser les échanges commerciaux et de respecter l’équité

sociale et l’environnement au niveau mondial. Et ces négociations sans fin conduisent à un dumping

social et environnemental au bénéfice de la Chine, d’où un exode industriel de masse vers le pays.

En 2007, une journaliste américaine a tenté, avec sa famille, de ne plus acheter d’article

« Made in China »9. Mais après un an d’expérience, la journaliste a réalisé à quel point sa vie

quotidienne dépendait de produits fabriqués en Chine. Soit il n'existait tout bonnement aucune

alternative non fabriquée en Chine (équipements électriques et électroniques), soit il fallait y mettre le

prix (elle donne l'exemple de chaussures pour son fils qui ne coûtent que 15 dollars dans leur version

chinoise, mais dont la seule alternative italienne qu'elle ait trouvée après quinze jours de recherches,

lui est revenue à 68 dollars). Dans l’économie de marché mondialisée qui prédomine, l’enjeu

énergétique et climatique de la Chine n’est donc plus du seul ressort chinois. Cet enjeu majeur du

9 BONGIORNI S., 2007, A Year Without “Made in China"

- 16 -

développement durable relève aussi de la responsabilité des pays occidentaux qui lui font fabriquer

leurs produits bon marché.

La Chine doit également fournir de plus en plus de produits manufacturés à sa population, dont

le revenu par habitant a été multiplié par dix en un quart de siècle. Par conséquent, le marché

domestique chinois représente une marge de progression importante de la production future de biens

de consommation, ce qui industrialisera d’autant plus le territoire, dans les provinces chinoises les

plus pauvres notamment.

C’est la première fois au monde qu’un pays de cette envergure démographique émerge sur le

plan économique. Ce qui implique que, contrairement à ses prédécesseurs japonais, coréens et

taïwanais, la Chine devrait conserver durablement sa place de leader industriel mondial. En effet, en

raison de sa main d’œuvre abondante, le géant asiatique a encore quelques années devant lui pour

exploiter le filon.

- Le transport, une faible part en croissance forte

La Chine compte 25 automobiles pour 1 000 habitants, un montant très faible par rapport à la

moyenne des pays européens (entre 650 et 700) et des États-Unis (800). En 2002, le parc

automobile chinois comptait quelque 20 millions d'automobiles. Selon les données du groupe

Michelin, en 2010, on en comptera 50 millions et plus de 100 millions en 2020. D’après les experts de

l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le parc automobile chinois devrait être multiplié par sept,

pour atteindre 270 millions de véhicules en 2015, et les ventes de véhicules neufs en Chine devraient

alors dépasser celles des États-Unis. Malgré une politique de prix dissuasifs sur les immatriculations

(une plaque shanghaienne vaut environ la moitié du prix du véhicule), les Chinois s'équipent de plus

en plus : en 2007, 4,5 millions de voitures particulières neuves ont été vendues, soit une croissance

de plus de 20 % par rapport à 2006. Il s’en vendait quelques milliers par an à peine à la fin des

années 90…

Quand dans un pays le revenu annuel par habitant atteint les 3 000 à 4 000 dollars, les ventes

de voitures individuelles explosent. A l’instar des États-Unis de l’entre-deux-guerres et de l’Europe

des années 50, la Chine rejoint à son tour la civilisation de l’automobile. Mais tous les Chinois ne

pourront posséder une voiture comme dans les pays occidentaux. Si la Chine avait le même nombre

de véhicules pour 1 000 habitants qu’en Europe, le parc automobile mondial serait multiplié par deux

soit près de 1,8 milliard de véhicules, dont 900 millions en circulation sur le territoire chinois ! Or la

Banque mondiale estimait, en 2007, que 400 000 personnes décédaient prématurément en Chine à

cause de la pollution atmosphérique10. Peut-on envisager l'air des agglomérations chinoises encore

moins respirable ? Last but not least, la Chine prévoit de construire 97 nouveaux aéroports d’ici à

2020. Le trafic aérien augmente de 12 % chaque année depuis 1990…

10 Source : Rapport de la Banque mondiale, 2007, China Cost of Pollution

- 17 -

Pour l’instant, la demande énergétique chinoise est donc principalement tirée par l’industrie

lourde et l’habitat qui nécessitent à eux seuls près de 90 % des besoins. La part du transport dans la

consommation d’énergie chinoise demeure relativement faible pour le moment. Mais si l’on considère

sa marge de progression possible, ce secteur pourrait bien alourdir la facture énergétique de la Chine

dans un avenir proche.

� Les sources d’énergie

85 % de l’énergie primaire chinoise provient de ressources fossiles : le charbon, le pétrole et le

gaz naturel.

Chine - Consommation d'énergie primaire, 2005

Pétrole19%Charbon

63%

Renouvelables et déchets

15% Nucléaire1%

Gaz naturel2%

(Source: AIE, 2007)

- Le nouvel âge d’or du charbon

L’image du charbon est associée à une pratique primitive d’une industrie d’un autre âge.

Longtemps relégué aux oubliettes depuis les révolutions industrielles passées des pays occidentaux,

le charbon revient pourtant en force, propulsé par la Chine dont les centrales électriques sont

alimentées à près de 85 % avec ce combustible. La houille est à ce jour la « clef de voûte » de la

sécurité énergétique du géant asiatique. Déjà premier producteur mondial de charbon avec 2,3

milliards de tonnes en 2006, la Chine détient 13 % des réserves mondiales et consomme 39 % du

charbon mondial. Mais la Chine a beau disposer des plus grosses réserves de charbon de la planète,

- 18 -

celles-ci ne suffiront pas à assurer ses besoins futurs. Le pays n’aurait plus que pour un demi-siècle

de réserves au rythme actuel d'extraction d'environ 2 milliards de tonnes par an, selon les prévisions

du groupe pétrolier BP. Beijing ne peut donc plus miser sur le tout-charbon.

Lorsque la demande intérieure a bondi à partir de 2002, le pays a connu des pénuries de

charbon et des coupures de courant. Ce qui a créé un sentiment d’insécurité énergétique. La sûreté

énergétique chinoise a de nouveau été mise à mal cet hiver, à cause de violentes intempéries. Les

trains acheminant le charbon se sont trouvés bloqués par la neige et n’ont pu livrer qu'un quart de la

houille nécessaire à l'alimentation des centrales électriques du pays. 17 des 31 provinces chinoises

ont souffert de coupures de courant, et la désorganisation des livraisons a contraint de nombreuses

entreprises à stopper ou freiner leurs productions. L’économie chinoise est en effet dangereusement

tributaire des livraisons de charbon alimentant ses centrales, puisque les mines de charbon sont

principalement situées au Nord du pays alors que les pôles énergivores sont au Sud et à l’Est dans

les régions côtières, développées. Et face à sa croissance débridée, le pays peine à mettre à niveau

ses réseaux électriques et ferroviaires ce qui le rend d’autant plus vulnérable aux aléas climatiques.

En dépit de l’augmentation escomptée de sa production de quelque 400 millions de tonnes d'ici

à 2010, cette année, et pour la première fois de son histoire, le pays est en passe de devenir

importateur net de charbon. Les effets sur le marché mondial de l’énergie s’en ressentent déjà : les

besoins gargantuesques de l’ogre chinois sont en train d’infléchir le cours du charbon en créant des

tensions fortes sur les prix. Février 2008 : le prix de la tonne de charbon s'est envolé au-dessus du

seuil symbolique des 100 dollars alors qu’elle ne valait que 20 dollars en 2002 et un peu plus de 45

dollars il y a seulement un an.

- 19 -

A cause du charbon, la question énergétique chinoise est par ailleurs devenue un problème

environnemental mondial. La Chine a ravi, l’année dernière, aux États-Unis le premier rang peu

enviable d’émetteur de gaz à effet de serre. Et le charbon en est le premier responsable, puisqu’il

représente à lui seul les trois quarts de ces émissions. En 2006 et 2007, il s'est construit en Chine

près d'une centrale de 500 mégawatts tous les deux jours. Et bien que le gouvernement central

planifie la disparition dans les dix prochaines années des centrales très polluantes et peu efficaces,

les autorités locales continuent de construire à la hâte des centrales utilisant de vieilles techniques de

pulvérisation du charbon dont l’exploitation leur rapporte plus, mais qui en revanche polluent

extrêmement (émissions atmosphériques – CO2 et dioxyde de soufre, SO2). En fait, la corruption et

les collusions d’intérêts qui font place au niveau des autorités locales sapent l’application des

mesures entreprises par le gouvernement central. Les prises de décisions locales sont plus dictées

par des raisons d'approvisionnement urgent en énergie plutôt que par un souci d'écologie.

D’autre part, échappant au contrôle des autorités locales, les mines de charbon sont trop

nombreuses, petites, dispersées et souvent illégales. En resserrant l’étau sur les patrons et

responsables locaux véreux et en lançant des mesures incitatives pour faire fusionner des mines, le

gouvernement central a fait réduire le nombre des mines de charbon de 87 000 en 1995 à 26 000 en

2005. Et durant les deux dernières années, 11 200 autres mines de petite taille, hautement

polluantes et comportant des dangers pour la sécurité du travail, ont été fermées.

Le charbon est donc un enjeu essentiel à prendre en compte pour relever le défi énergétique et

climatique lié à la croissance chinoise, d’autant qu’il est la seule énergie fossile dont l’épuisement

n’est pas prévu pour les prochaines décennies, contrairement au pétrole. On estime à 470,6 milliards

de tonnes équivalent pétrole les réserves mondiales de charbon, soit plus de 150 ans de réserve au

rythme actuel de consommation11. Les gisements sont par ailleurs bien répartis sur la surface du

globe, son utilisation ne s’accompagne donc pas de tensions géopolitiques. Quand on sait que la

sécurité d'approvisionnement en énergie pilote le choix pour un pays de son secteur énergétique, on

comprend à quel point l'utilisation du charbon est un enjeu majeur pour la Chine.

- A la conquête du pétrole

« Le temps du monde fini commence. »

Paul VALERY, 1945

Cinquième producteur de pétrole, mais avec seulement 2 % des réserves mondiales, la Chine

n’est plus autosuffisante depuis 1993. Pour l’instant, sa production se concentre dans les provinces

du Nord-est, mais l’augmentation des besoins chinois en hydrocarbures commence à épuiser les

11 Sources : BP STATISTICAL REVIEW OF WORLD ENERGY 2007 et AIE

- 20 -

puits. Les réserves prouvées de la Chine ne sont pas à la hauteur de ses besoins : 18,5 milliards de

barils, soit moins de sept ans de consommation au rythme actuel de consommation.

Le pétrole faisant défaut sur son territoire, l’empire du Milieu doit se fournir sur les marchés

internationaux pour étancher sa soif. Consommant aujourd’hui 8 % du brut mondial (deuxième

derrière les États-Unis), le pays doit chaque année importer un tiers de ses besoins. En 2007, les

importations chinoises de pétrole brut ont grimpé de 12,4 %, selon les chiffres de l'Administration

générale des Douanes. La Chine est passée en 3 ans d'exportatrice à deuxième importatrice de

pétrole.

Cette ressource représente 90 % de la consommation énergétique des transports. Pour faire

rouler son parc automobile de quelques centaines de millions de véhicules à venir, la Chine va donc

amplement contribuer à la décroissance inéluctable des réserves d’or noir du globe. L’estimation des

réserves mondiales de pétrole s’élève à 164,4 milliards de tonnes 12 . Selon les chercheurs qui

soutiennent la théorie d'un « pic de production de pétrole », à partir duquel on consommera plus de

pétrole qu’on en découvrira, la baisse de l'offre de brut est déjà amorcée. Les réserves prouvées se

réduisent comme peau de chagrin, et les nouveaux gisements se font de plus en plus rares, au

moment où la demande, poussée par la Chine et l’Inde, ne cesse d’augmenter. Les estimations

publiées par les pétroliers vont de 2010 à 2030. Shell situe le déclin de la production pétrolière vers

2025, Total vers 2020. Certes, il y aura encore du pétrole en 2030-2050, mais la demande devenant

plus importante que l’offre au fur-et-à-mesure du déclin des réserves mondiales, le prix du baril de

pétrole deviendra tout simplement inabordable pour que près d’un milliard de véhicules puissent

rouler au carburant comme aujourd’hui. Le temps du pétrole bon marché est terminé. La banque

américaine Goldman Sachs émettait même, mardi 6 mai, l’hypothèse d’un baril à… 200 dollars d’ici à

deux ans.

(Source : INSEE 2008)

12 Sources : BP STATISTICAL REVIEW OF WORLD ENERGY 2007 et AIE

- 21 -

- Frénésie de l’hydraulique

Assaillie par ses problèmes de pollution dus à son développement ultra-rapide, la Chine s’est

dotée pour objectif de doubler d’ici 2020 la provenance de sa consommation d’énergie de sources

renouvelables, soit 15 % de sa consommation d'énergie. Le pays s’est donc lancé dans une frénésie

de construction de barrages hydroélectriques. Aujourd’hui, 16 % de l’électricité chinoise est de source

hydraulique.

La Chine a lancé il y a 14 ans la construction pharaonique du barrage des Trois Gorges sur le

fleuve du Yangzi. C’est le plus grand barrage du monde : 200 mètres de hauteur et 2 kilomètres de

large, d'une capacité prévue de 22 500 mégawatts en 2009 (soit l'équivalent de 20 tranches de

centrales nucléaires). Il devrait fournir environ 10 % de la consommation d’électricité du pays.

D’après Wang Xiaofeng, l'un des responsables de la construction, le barrage permet d'économiser

l'équivalent de 50 millions de tonnes de charbon et d'éviter l'émission de 100 millions de tonnes de

CO2, en produisant une électricité propre, pour le Sud, l'Est et le centre du pays. « Globalement, en

ce qui concerne l'impact sur l'environnement du projet des Trois Gorges, les bénéfices dépassent les

conséquences négatives », a affirmé Wang Xiaofeng. Toutefois, malgré son bilan « globalement

bénéfique », la face cachée de l'électricité produite dans les Trois Gorges n'est pas si socialement

correcte. La construction de ce méga-barrage a suscité une immense polémique, avec l’opposition de

nombreux scientifiques chinois et d’associations écologistes, ainsi que de la Banque mondiale qui a

refusé d'y participer doutant de la viabilité du barrage. Déjà en 1994, un rapport officiel d’experts

chinois avait montré que « les aspects négatifs de la réalisation outrepassaient les aspects positifs »

sur le plan écologique. Et en effet, les coûts externes du barrage se révèlent à la hauteur de leurs

craintes. Bien qu'il fasse la fierté de beaucoup de Chinois, le barrage construit sur une zone

géologique à risques ne provoque pas le même enthousiasme pour les habitants du site, qui vivent

dans la peur des risques de glissements de terrain. 1,4 million de personnes ont également été

déplacées pour lui laisser place, et 116 villages engloutis, parfois avec des chefs-d’œuvre culturels

de l'histoire de la Chine. De plus, on estime que 4 millions de personnes supplémentaires devront

être relogées par mesure de « sécurité écologique » au cours des dix ou quinze ans à venir. Outre

les problèmes sociaux, les dommages collatéraux du barrage pèsent très lourd sur l’environnement :

sédimentation, érosion des sols, multiplication des mauvaises herbes aquatiques et des algues,

importants changements dans la faune et la flore, etc.

Les nouveaux projets hydroélectriques rencontrent à la fois des résistances politiques sur le

déplacement de population (plus de 23 millions de personnes déplacées déjà), et écologiques sur le

déclin des ressources en eau notamment. Mais ces contestations sociales n’empêchent pas le pays

de persévérer dans cette voie hydraulique. La Chine a ainsi commencé à construire le barrage de

Xiluodu, le deuxième plus grand barrage du monde après celui des Trois Gorges, sur le fleuve Jinsha,

le plus grand affluent du Yangzi. Sa construction devrait être achevée en 2015, pour une capacité de

12 600 mégawatts.

- 22 -

La réputation de ces barrages a de nouveau été entachée récemment, depuis que des

barrages risquent de céder suite au tremblement de terre qui a eu lieu dans la province du Sichuan

en mai dernier, le plus grave en trente ans. Ainsi, bien qu’ils soient considérés comme une source

pratique d’énergie renouvelable par les autorités chinoises, les barrages hydrauliques sont très

controversés d’un point de vue sociétal et font peser de graves menaces écologiques, menaces

reconnues officiellement il y a quelques mois. Même si, globalement, ils répondent à un besoin réel,

localement ils sont une plaie pour les habitants et l’environnement. Faut-il pour autant abandonner

l'idée de grands barrages ? Une énergie propre et renouvelable défendront certains, certes, mais qui

est loin de faire l’unanimité au sein même du gouvernement. Et connaissant les pénuries

d’approvisionnement énergétique auxquelles la Chine doit déjà faire face, la construction de ces

grands barrages n’est-elle finalement pas un mal pour un bien ? Car pour remplacer le charbon

ennemi public n°1 de la planète, en dehors de l'hyd roélectricité, que reste-t-il comme énergie

propre et capable de fournir des dizaines de milliers de mégawatts, si ce n'est de développer les

centrales nucléaires ?

- Pour remplacer les barrages ?

Pour le moment, la production électrique n’est assurée qu’à 2 % par des centrales nucléaires.

Deux centrales sont actuellement en service et 5 en cours de construction. Le gouvernement projette

de construire 15 nouvelles centrales dans les 15 prochaines années. La Chine pourrait ainsi disposer,

à l'horizon 2020, d'une capacité de production d'électricité d'origine nucléaire de 60 gigawatts. Les

stocks d’uranium étant assez bien répartis à la surface du globe (Océanie 33 %, Afrique Moyen-

Orient 25 %, Amérique du Nord 21 %, Europe Eurasie 9 %, Amérique du Sud 7 %, Asie 5 %),

l’approvisionnement en uranium ne présente pas de risque de fortes tensions géopolitiques. En

revanche c’est une ressource finie dont on estime de trente-deux à cinquante ans les réserves au

rythme actuel de consommation. Et la Chine est une fois de plus désavantagée au niveau de ses

réserves, puisqu’elle ne détient que 5 % des réserves mondiales pour 21 % de la population

mondiale.

Quant aux énergies renouvelables (solaire et éolienne), elles demeurent encore relativement

faibles, 1 % de la production électrique chinoise. En dépit des efforts accomplis, elles ne pourront que

très partiellement satisfaire la demande à venir.

� Une faible efficacité énergétique

L’intensité énergétique est la quantité d’énergie nécessaire pour produire un point de PIB. Une

intensité énergétique élevée correspond ainsi à une économie très énergivore pour un niveau de PIB

donné.

- 23 -

Intensité énergétique mondialeConsommation totale d'énergie primaire par unité de PIB (en U.S. Dollars)

( Bri tish Thermal Uni ts pour 2000 U.S. Dol lars)

0

20 000

40 000

60 000

80 000

100 000

120 000

140 000

1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Etats-Unis Canada Brésil France Royaume UniChine Japon Russie Inde

(Source : AIE)

La Chine fait partie du peloton de queue en matière d’efficacité énergétique, mais il faut au

moins reconnaître ses efforts en la matière puisqu’elle revient de loin. Alors qu’en 1980, la Chine

avait besoin de près de vingt fois plus d’énergie que son voisin nippon pour produire une unité de PIB,

son intensité énergétique a nettement baissé ces vingt dernières années grâce à des programmes

d’efficacité énergétique et à une réforme du système des prix de l’énergie. Pourtant, la Chine

consomme encore trois fois plus d’énergie qu’en moyenne dans le monde et, malheureusement, elle

connaît depuis peu une nouvelle tendance à la hausse. C’est l’industrie lourde qui explique la

majeure partie de cette inversion de tendance13. La période de croissance rapide en cours depuis

2002, accompagnée d’une urbanisation et industrialisation intenses, est en effet responsable de ce

revirement de situation.

L'électricité est par ailleurs fortement subventionnée par l’État, et ainsi facturée en dessous de

sa valeur marchande, ce qui a découragé les investissements et les économies d’énergie. Le tarif de

l’électricité extrêmement bas empêche les énergies renouvelables de pénétrer sur le marché

(distorsion de concurrence). Il suffirait donc tout bonnement de réformer la tarification de l’électricité

pour encourager l’amélioration de l’efficacité énergétique, mais le gouvernement peine à augmenter

le prix de l’électricité à sa juste valeur par crainte de soulèvements sociaux. 13 Source : ALLAIRE J., 2005, L’intensité énergétique de la croissance chinoise

- 24 -

1.3. Perspectives énergétiques à l’horizon 2030

� Projection de la consommation d’énergie mondiale

Le paysage énergétique mondial est en train de changer. Le monde d’aujourd’hui consomme

70 % d’énergie de plus que celui d’il y a 30 ans. 50 % de cette énergie est absorbée par 15 % de la

population mondiale, essentiellement dans les pays de l’Organisation de coopération et de

développement économiques (OCDE). Mais la répartition géographique de la consommation

mondiale d’énergie devrait se modifier dans les prochaines décennies, la zone de l’OCDE passant au

second plan par rapport aux pays émergents.

(Source : OCDE/AIE, 2007)

D’après le rapport Énergie : Les cinquante prochaines années de l’OCDE, entre 1995 et 2020,

68 % de l’augmentation de la consommation énergétique proviendra des pays émergents. Les

experts de l’AIE prévoient un bond de 55 % de la demande énergétique mondiale d'ici à 2030, tiré par

la Chine et l'Inde14, et les énergies fossiles représenteraient toujours plus de 80 % de cette demande. 14 Source : AIE, World Energy Outlook 2007

- 25 -

� Projection de la consommation d’énergie chinoise

Les Chinois absorberont plus du cinquième de la demande mondiale, d’ici à 2030, pour

approcher la barre des 4 000 millions de tonnes d’équivalent pétrole, soit les besoins combinés de

l’Europe et du Japon. La consommation d’énergie chinoise va en effet doubler dans les vingt-cinq

prochaines années. Et le géant asiatique ravira ainsi aux États-Unis le premier rang dans le

classement mondial des pays consommateurs d’énergie. Les besoins énergétiques futurs des

Chinois donne le tournis, d’autant que l’AIE prévoit que le recours aux trois énergies fossiles – le

charbon, le pétrole et le gaz naturel – restera majoritaire à près de 90 %.

* Mtoe : millions de tonnes équivalent pétrole

(Source : AIE, 2007)

Comme vu précédemment, la demande croissante en charbon ne représente pas une menace

directe sur l’avenir énergétique de la Chine puisque les ressources mondiales suffiront pour au moins

un siècle de consommation. En revanche elle l’est pour l’avenir climatique de la planète (émissions

de gaz à effet de serre). Mais nous traiterons ce problème dans le chapitre suivant.

Quant au pétrole, il présente à la fois une menace sur le climat mais aussi sur la sûreté

énergétique du pays, puisqu’il est une énergie fossile, non renouvelable, très peu présente sur le

territoire chinois et dont les réserves mondiales s’épuisent inexorablement. En dépit de ce contexte,

la Chine devrait doubler sa consommation de pétrole d’ici à 2030… L’augmentation rapide de sa

consommation est liée à la demande croissante en produits pétroliers raffinés (essence et kérosène)

due à l’essor du trafic automobile et aérien, et en produits pétrochimiques liés au développement de

la production de certains produits de consommation (plastique…).

- 26 -

Production et consommation de pétrole de la Chine (mbj : millions de barils par jour)

(Source: AIE, 2007)

L’évolution climatique de la planète d’ici à 2030 semble donc en grande partie liée à la capacité

de la Chine à freiner sa consommation d’énergie et à restreindre son recours massif au charbon. Les

énergies renouvelables, combinées à un usage intelligent de l’énergie, pourraient probablement

remédier à ce problème. D’abord la bonne nouvelle, compte tenu de l’énorme potentiel d’efficacité

énergétique à exploiter, l’augmentation de l’activité économique de la Chine ne doit pas

nécessairement entraîner une augmentation équivalente de la demande énergétique. La mauvaise

nouvelle, c’est que le temps commence à manquer pour « verdir » la consommation d’énergie

chinoise d’ici les vingt prochaines années, sauf si les autorités chinoises apportent le soutien

règlementaire adéquat pour amorcer une migration à marche forcée vers des technologies propres et

durables. Mais qu’auraient-elles à y gagner ? Pourquoi la Chine devrait-elle se préoccuper de l’avenir

climatique de la planète et des besoins des générations futures alors qu’elle a déjà bien du mal à

répondre aux besoins énergétiques de ses générations présentes ? La sécurité énergétique du pays

repose sûrement sur le charbon encore disponible pour un siècle et demi, alors pourquoi agir

maintenant au nom du développement planétaire ? C’est ce que nous allons développer dans le

chapitre suivant. Car tout compte fait, nous verrons que non seulement la croissance débridée de la

Chine pèse sur le climat, mais qu’elle nuit aussi en retour à la croissance chinoise.