le deuil : comment le penser
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JOURNÉE 3 : SAMEDI 27 FÉVRIER 2016
« ACCOMPAGNEMENT ET SOUTIEN DES PROCHES »
Coordination : Dominique Jacquemin
Formation Continue
En
Soins Palliatifs
Et
Qualité de Vie
Année Académique 2015-2016
Université Catholique de Louvain
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Le deuil : Comment le penser ?
Présentation par :
Sara Roby, PhD, CT
Psychanalyste et Thanatologue
(Conseillère en Deuil)
Aumônière Soins Palliatifs
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C’est mon espoir que cette présentation, son traitement et les ressources ici exposés à
l’adresse de mes collègues en soins palliatifs, puisse les aider à ciseler les barrières, les
obstacles, les opportunités qui se présentent lors de notre service d’accompagnement des
patients et leurs familles, aussi bien pour tous ceux nouveaux dans ce domaine, que pour
ceux avec pratique, pour qui cette information est un gentil rappel du besoin de faire
usage de sagesse avec notre expérience et connaissance pour offrir un soin en fin de vie,
authentique et empreint de compassion.
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De toutes les traces de pas celle de l’éléphant est suprême.
De toutes les méditations de pleine conscience,
Celle sur la mort est suprême
Buddha
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Objectifs de cette présentation :
Familiariser les participants avec le concept de deuil dans le contexte
des soins palliatifs et fin de vie
Présenter des éléments permettant aux participants au terme de cette
présentation, de faire un premier niveau de réflexion, évaluation,
compréhension et action au sein des situations de deuil dans le
contexte des soins palliatifs et fin de vie
Encourager les participants à faire une réflexion-connexion des
éléments présentés associés au deuil avec une expérience et
compréhension personnelle de perte dans leur vie
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Structure de présentation :
A. Exposition du thème 45’
B. Questions / Réponses 30’
C. Réflexion / Conclusions 30’
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Le deuil : comment le penser ?
Programme
A. Eléments pour un concept du deuil. Commentaires
B. Qui peut éprouver un deuil ?
C. Quand commence le deuil ? Peut-on parler d’une fin du deuil ?
D. Quels sont quelques-unes des manifestations communes dans
le deuil? (niveau physique, psychique, spirituel, social)
E. Quels facteurs ont une influence décisive sur l’expression du
deuil ?
F. Pour comprendre le deuil. Kubler-Ross et son modèle de phases.
Mythes autour du deuil. Les nouvelles approches au processus du
deuil
G. A quoi sert le deuil. L’aspect transformationnel du chagrin
H. Soins palliatifs : Comment aider des personnes en deuil
I. Réflexion / Conclusion
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La mort n’est pas notre ombre, elle est notre guide
Gurumuyi Chiduilasanda
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A. Eléments pour un concept du deuil. Commentaires
Larousse :
Perte, décès d'un parent, d'un ami : Avoir un deuil dans sa famille.
Douleur, affliction éprouvée à la suite du décès de quelqu'un, état de celui qui
l'éprouve : Le pays est en deuil, il pleure ses morts.
Signes extérieurs liés à la mort d'un proche et consacrés par l'usage : Porter le deuil.
Temps pendant lequel on porte ces signes extérieurs : Son deuil dura six mois.
Cortège funèbre : C'est le veuf qui conduira le deuil.
Processus psychique mis en œuvre par le sujet à la perte d'un objet d'amour externe.
Des mots clés : perte, décès, douleur, affliction éprouvée, signes extérieurs,
temps, processus psychique mis en œuvre par la perte
Ajoutons : renversement du monde psychique, et cognitif, spirituel, physique,
social, du à un changement radical dans la vie d’un sujet
Le deuil au sens :
o Etroit : comme dans le cas qui nous occupe, le deuil dans le contexte des soins
palliatifs (mort d’une personne à cause d’une maladie)
o Large : une perte significative : mort/perte d’un animal compagnon, un
divorce, amputation d’une jambe, annonce d’une maladie chronique,
émigration forcée, perte de travail, et autres séparations.
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B. Qui peut éprouver un deuil ?
o Le patient : parce qu’il/elle
perd sa vie (le présent tel qu’il/elle l’a connu)
perd son futur (deuil de plans, projets)
o La famille et les proches
Perdent un être aimé et proche (présent)
Perdent le futur conçu avec cet être aimé/proche
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o Des amis / collègues
Perdent une relation et ce que celle-ci était pour lui/elle
o Des individus dans l’équipe des soins :
Médecin
Infirmières et aides soignantes
Travailleur social
Psychologues, thérapeutes
Aumôniers
Bénévoles
Personnel administratif
autres
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Deuil parmi les membres de l’équipe soignante :
La conscience de la mort est la vraie fondation de la voie.
Jusqu’au moment où vous aurez développé cette conscience,
Toutes les autres pratiques ne trouveront pas leur réalisation
Dalai Lama
Il est indispensable que tous ceux qui travaillent dans le domaine de
fin de vie (soins palliatifs) puissent reconnaitre où ils se trouvent par
rapport à la mort. Ce travail profond n’a pas lieu de façon naturelle,
mais peut avoir eu lieu à travers nos propres expériences de vie avec
des pertes significatives. L’idéal serait de pouvoir élaborer guidé par
des facilitateurs, pour explorer, apprendre et comprendre ce que’est
pour nous la mort, la notre et celle des autres.
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Apprendre à sentir, à reconnaitre, à nommer et si possible exprimer
ce qu’on ressent face à la maladie terminale, le processus de mort et
la mort de quelqu’un à qui on donne des soins, permet de libérer une
énergie qui autrement se retourne contre nous ou dans le pire des cas
contre le patient, sa famille ou notre équipe.
Cette énergie mal exprimée peut prendre la forme de : irritabilité,
intolérance, comportement inapproprié, fatigue, apparente
insouciance ou détachement par rapport à la situation / aux autres
Si on reconnait ses propres peurs, embarras, inquiétude, angoisse, et
autres sentiments ou émotions, et si on peut les nommer, on pourra
plus facilement aller de l’avant et offrir un meilleur service à ceux
pour qui et avec qui on travaille.
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C. Quand commence le deuil ? Peut-on parler d’une
fin du deuil ?
Le deuil étant un processus, celui-ci commence dès que l’on perçoit la
possibilité de la perte (diagnostic terminal, entrée en soins palliatifs) ou la
perte même (le décès)
Le deuil anticipé : considéré comme une réaction produite par la
conscience des pertes à venir. Ce concept a été élargi pour inclure le deuil
en réponse à toutes les pertes rencontrées –passée, présente et future- au
cours de la maladie terminale
Le processus du deuil peut parfois ne pas être ‘clair’ pour celui /celle qui le
subit ou traverse. C’est parfois plus clair pour ceux qui le regardent de
l’extérieur. C’est le cas parfois avec des membres de l’équipe soignante ou
des personnes n’appartenant pas au cercle proche du malade/défunt
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Le deuil étant un processus, il va se dérouler (pour le meilleur ou le pire):
dans le temps (plutôt long : mois, années, décennies, toute la vie)
dans un contexte social (famille, groupe d’amis, groupe religieux, autres)
dans une dimension spatiale (endroits familiers ou non)
avec une diversité inhabituelle de sentiments et d’émotions
parfois avec des apparences d’incohérence et paradoxe
sans direction apparente
avec des moments d’intensité et de calme
des moments de confusion et de clarté
changements de besoins (solitude/compagnie, immobilité/mobilité)
Autres…
Peut-on parler d’une fin de deuil ?
Le deuil était pensé (il y a 30 ans approximativement) comme un processus à
étapes plus ou moins linéaires et plus ou moins prédictibles, par lesquels il
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fallait passer. Si on n’accomplissait pas ce travail ou on sautait des étapes, le
deuil pouvait ne pas être considéré ‘normal’. (on y reviendra)
Dans les trente dernières années, la compréhension de ce qu’est le deuil a
changé de plusieurs façons et significativement :
D’un processus universel à étapes on est passé à le reconnaitre
comme un chemin personnel
Du besoin de détachement des liens avec le défunt on est passé au
besoin de revoir la relation
De percevoir le deuil comme un affect on est passé à reconnaitre
la multiplicité des réactions/réponses et les multiples façons
de s’exprimer qu’a chaque personne par rapport à leur perte ainsi
que la manière dont ces réponses sont influencées par la culture, le
genre et la spiritualité.
De faire face à la perte et l’assouvir passivement on est passé à
voir les possibilités de transformation et développement
personnel qu’elle peut offrir
De voir le deuil comme un problème personnel on est passé à le
voir comme une question relationnelle
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Retisser notre vie après une perte
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D. Quelles sont quelques unes des manifestations
communes dans le deuil ?
o Tristesse
o Dépression
o Angoisse
o Isolement (silence, déconnexion des autres)
o Hyperactivité (physique, mentale, orale)
o Fatigue (physique et mentale)
o Manque d’appétit
o Maux de tête
o Sensation d’oppression et manque d’air
o Changements significatifs de la tension artérielle
o Insomnie et l’opposé : trop de sommeil
o Irritabilité et intolérance
o Nervosité (avec toutes ses manifestations possibles)
o Négation de la réalité (dans une certaine mesure)
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o Comportement imprévisible
o Alternance des états d’humeur
o Sensation de détachement entre corps/esprit
o Perte de sensibilité des membres du corps ou du corps entier. Paralysie
o Hallucinations (voir, entendre la présence, la voix de la personne aimée)
o Idées fixes qui peuvent paraitre irrationnelles aux autres
o Se sentir comme un zombie
o Perte d’orientation spatiale/temporelle
o Vomissements
o Crises de pleurs/rires
o Évanouissements
o Tremblements, sueurs froides
o Désorientation
o Confusion
o Autres…
On ne tient à presque rien…
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E. Quels facteurs ont une influence décisive sur
l’expression du deuil ?
La mort nait de la vie même Lao Tzu
o L’aspect culturel et social. La mort/deuil est un fait social
Quels sont les signes extérieurs traditionnels et acceptés par la
société d’où provient le défunt/la famille et la société où il/elle est
décédé?
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Peut-on afficher ses sentiments, les partager? (genre)
Comment ? (mots, expressions corporelles, couleurs,
habits, rituels culturels)
o La culture du groupe familial. La mort et le deuil sont enracinés
dans la vie
Comment cette famille particulière vit, exprime, partage, s’épaule pour traverser le deuil
Traditions familiales
Familles nombreuses ou réduites
Groupes recomposés
Ressources de soutien : religion, spiritualité, identité
familiale et culturelle
Facteurs de complications : morts traumatiques,
famille dysfonctionnelle, désarticulée, mort d’enfants
o L’aspect individuel. La mort/le deuil est avant tout personnel
Qui est cette personne?
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Âge et genre
Groupe/identité sociale (Holocauste, Vietnam, Irak)
Appartenance religieuse/spirituelle
Expériences du passé avec la mort et/ou pertes
significatives
Relation avec le défunt
Attentes par rapport à sa propre vie
Le moment de vie où la perte a eu lieu
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F. Pour comprendre le deuil. E. Kubler-Ross et son modèle de phases.
Mythes autour du deuil. Les nouvelles approches au processus du deuil.
o Phases, étapes ?
Le docteur Elizabeth Kübler-Ross (1926-2004). Psychologue, spécialiste du
comportement. Après des années de travail en solitaire et basé sur ses
observations de malades terminaux, elle propose un modèle pour comprendre
le deuil. Il comporte 5 étapes ou phases : Déni, Colère, Marchandage,
Dépression, Acceptation. Ces étapes devinrent par la suite le paradigme du
deuil. Elle a marqué d’une profonde différence la compréhension et l’éthique
du domaine de l’accompagnement des personnes en fin de vie.
Voyons ces étapes ou phases d’un peu plus de près :
Déni : « Ce n’est pas possible ! » « Pas moi ! »
Colère : « Pourquoi moi ? » « Qu’est-ce-que j’ai fait pour mériter ca ? »
Marchandage : « Je changerai » « Je suis désolé de ne pas avoir fait
attention à moi – aux autres » « Si je vis je donnerai tout »
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Dépression : « La vie ne vaut rien… » « Je veux que tout finisse maintenant »
« Je ne veux plus lutter… »
Acceptation : « Je suis fatigué et mourir ne me fait plus peur… » « C’est la
volonté de Dieu… »
Ces étapes étaient perçues comme linéaires ou non. Quelques étapes
pouvaient avoir lieu simultanément et d’autres ne pas se présenter.
D’autres auteurs on ajouté des étapes au modèle de EKR et enrichi celles qui
existaient :
Exemple : Pasteur Christophe Deville :
Etape 1 – Le Choc : phase courte.
Etape 2 – Le Déni : C’est le refus de croire l'information. Arguments et
la contestation. Le rejet de l'information fait place à une discussion
intérieure ou/et extérieure.
Etape 3 – La colère et le marchandage : Confrontation avec les faits.
Attitude de révolte, tournée vers soi et vers les autres. Marchandage qui
peut prendre une tournure "magico-religieuse". Fortes contradictions.
Etape 4 – La tristesse : État de désespérance.
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Etape 5 – La résignation : C’est l'abandon de la lutte. La personne agit
au gré des circonstances. Acceptation de la perte de contrôle.
Etape 6 – L'acceptation : La personne accepte la perte (de l'être, de la
vie telle qu’elle était). Il pourrait y trouver un sens (« C’est la volonté de
Dieu »)
Etape 7 – La reconstruction : progressive. La personne prend
conscience qu'elle se réorganise pour répondre aux obligations liées à
toute vie en société. Découvrir ses ressources personnelles et prendre
conscience de son existence. Cette démarche développe la confiance en
soi. Le sentiment de vulnérabilité fait place à une nouvelle énergie.
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Mythes autour du deuil
Voici quelques mythes importants autour du concept/pratique de deuil :
La dépression et la détresse sont inévitables
La détresse est nécessaire et son absence est problématique
Le survivants ‘doivent travailler’ à travers leur perte
Les survivants peuvent s’attendre à une récupération de leur perte
Les survivants peuvent atteindre un stade de résolution
(Wortman & Silver, 1989)
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Les nouvelles approches au processus du deuil.
Cinq nouvelles compréhensions dans le domaine du deuil
Ces approches sont le fruit de recherches et observations pratiques dans le domaine
des soins en fin de vie
Elargir la définition de deuil : Le concept de deuil est-t-il confiné à la
réaction/réponse due à la mort d’une personne significative dans notre
vie ? Ou, pourrait-on élargir le concept pour intégrer aussi les pertes
significatives en général ? (santé, animaux, couple, travail, autres)
On perd une personne qu’on aime, mais on perd aussi son monde
duquel nous faisions partie et qui faisait partie du notre univers
(passé, présent, futur)
Quand on perd des choses tangibles et significatives: sa maison ,
ses enfants dans un divorce, son pays, le deuil peut avoir la même
dimension que celle de la mort de quelqu’un aimé.
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Des deuils non-reconnus : la mort d’une ex-femme, d’un amant
non reconnu socialement, d’un animal-compagnon, un diagnostic
d’infertilité, un avortement, une incarcération
L’application des nouveaux modèles dans l’approche au deuil :
Même si le modèle de phases d’EKR est resté populaire, d’autres modèles
plus récents ont évité le langage et les idées assumées de ce modèle.
En 1982, Worden conceptualise le deuil à partir de quatre (4)
travaux à faire (ces travaux n’étaient pas conçus comme
linéaires):
Accepter la réalité de la perte
Travailler avec la douleur de la perte
Faire un ajustement dans un environnement où le défunt
est absent
Relocalisation émotionnelle du défunt et mouvement vers
l’avant
Doka (1993) ajoute un cinquième travail à faire :
reconstruction des systèmes spirituels contesté par la perte
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Rando (1993) proposa un modèle de deuil basé sur des processus
« R » :
Reconnaissance de la perte
Réaction à la séparation
Ré-expérience et évocation du défunt et la relation
Renoncer aux attachements anciens et aux idées établies qui
soutenaient notre monde individuel
Réajustement permettant de s’adapter vers un monde
nouveau sans oublier celui d’avant
Réinvestissement
Stroebe & Shutt (1999) offrent un modèle appelé processus-dual :
Ce modèle suggère qu’un processus réussi de deuil veut dire
osciller entre perte-de-orientation et restauration du processus
d’orientation
Tous ces modèles sur les travaux et processus de deuil ont eu l’avantage de nous
ouvrir à la perspective du deuil comme plus qu’une succession de réponses affectives
linéaires (ou pas) à la perte. Ils affirmaient aussi, que le deuil intégrait non seulement
une réponse à la perte mais aussi un effort pour gérer la vie dans un monde altéré
par une perte significative
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Au-delà des affects
Des recherches ont montré qu’il y a eu une tendance à trop placer
l’accent sur les affects, sentiments et émotions. Il y a d’autres approches
complémentaires, et parfois plus importantes pour comprendre la
diversité de manières comment le deuil est vécu.
Niemeyer (2001) souligne la dimension –parfois la plus critique de
tâche -de reconstruction du sens, qui ajoute de fortes composantes
cognitives et spirituelles. Son approche, la thérapie narrative, permet
à la personne de « retisser » son histoire, histoire déchirée par la
perte
Martin & Doka (2000) parlent des styles de vivre le deuil qui
peuvent aller du style intuitif (fort expression par les affects) au
style instrumental (montre pas trop d’affects mais vit le deuil
plus au niveau du cognitif et du comportement –faire des choses).
Cette recherche explore des patrons de deuil des hommes. Ils ont
découvert que si bien des hommes peuvent avoir pour exprimer
leur deuil un style instrumental, le genre ne détermine pas le
style
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Bonanno (2004) suggère que pour certains, trop d’accent sur le
coté négatif de l’expérience de deuil difficulte la réadaptation.
Nolen-Hoeksema, McBride, Larson (1997) on trouvé que trop de
‘rumination’ pourrait être associé à des pauvres résultats dans la
résolution du deuil.
Aucune de ces recherches et les modèles qui en résultent ne peuvent à elles seules tout
couvrir pour comprendre le deuil, mais elles nous aident, entre autres, à :
Valider pour chacun les diverses formes de vivre le deuil
Accepter la complexité présente dans n’importe quel deuil
A élargir l’horizon de notre compréhension cognitive et
affective par rapport au deuil
A intégrer dans la considération du deuil d’un sujet son passé,
son présent et son futur
À discerner au-delà des apparences et surtout au-delà de nos
préjugés personnels, culturels, religieux et autres
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Au-delà du faire-face :
Dans la pratique (de thérapeutes, aumôniers, groupes de support et
autres) et les recherches, l’accent était parfois mis trop sur la difficulté
du deuil et le besoin de restaurer un sens d’équilibre perdu. Le
survivant était conçu comme passif pendant le processus de deuil.
C. Sanders (1989) a fortement critiqué cette idée acceptée. Elle a
créé un modèle à phases linéaire ( !) - pas trop loin mais plus
dynamique que celui de EKR :
1. Choc : ressenti du début de l’impact de la mort (à tous
niveaux : physique, psychologique, cognitif)
2. Conscience de la perte : les funérailles et le support visible
ne sont plus là. Le deuil est éprouvé de pleine force
(physique, psychologique, cognitive), crument et
douloureusement
3. Conservation-Isolement : perte d’énergie, sensation
d’inertie. Selon cette chercheuse, la personne se trouve face
à trois choix :
a) continuer à vivre sans l’être perdu c’est trop
et ces personnes cherchent à mourir
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b) se réinvestir pour s’ajuster à la nouvelle
situation c’est trop d’énergie : on s’installe
dans un deuil chronique à vie
c) Aller de l’avant et investir dans un
ajustement aux nouvelles circonstances
4. Guérison/ Point tournant : ceux qui vont de l’avant –
propose cette chercheuse- ont conscience du
moment/circonstances où ils ont décidé d’aller de
l’avant et faire un changement de vie
5. Rénovation : la personne a intégré la perte sans oubli.
Sens de vivre une nouvelle vie. Le deuil continue à un autre
niveau mais il n’y a pas un effet minimisant dans la vie.
6. Plénitude : la personne a complètement intégré la perte
dans la nouvelle fabrique de sa vie. Elle ne peut plus
concevoir la vie sans cette perte.
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Continuation des relations au-delà de la mort
En 1987 Attig a comparé la notion de « laisser aller » dans le deuil
(laisser aller le défunt, les souvenirs, les affects) au laisser aller d’un
fils/fille adulte qui n’est plus à la maison
Si bien la présence physique n’est plus, les attaches peuvent rester
très fortes. Lutter contre cette force peut aller en détriment d’une
résolution positive du deuil
Plutôt, au bon moment, il faut aider la personne à chercher des
manières créatives de rétablir l’attache mais d’une autre façon
(rituels, continuation ou création de certaines routines)
Ce procédé peut néanmoins ne pas être profitable à tout le monde.
Il faut donc expérience, formation et tact
Expériences extraordinaires : plus communes que ce qu’on croit.
Expériences sensorielles, voix, vision, rêves et autres, pas
nécessairement des phénomènes pathologiques, qui peuvent avoir
un effet très thérapeutique. Encourager la personne à partager
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G. A quoi sert le deuil. L’aspect transformationnel du chagrin
Toute perte significative est cause de douleur et difficultés dans la vie. Mais la perte est
ressentie encore plus cruellement s’il n’y a aucun sens à cette perte.
Une expérience possible après la lutte livrée dans le deuil est une transformation positive
(la rédemption). Donner du sens à notre perte
Voici quelques domaines où cette transformation peut se manifester :
Changement positif dans les relations avec les autres (renforcement
de relations, ouverture vers de relations avec d’autres)
Une nouvelle compréhension/reconnaissance de soi-même (de ses
forces, ses capacités, ses désirs)
Une capacité augmentée de reconnaitre la valeur de la vie
Un élan retrouvé pour prendre des risques et investir dans des nouveaux
aspects de son existence
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Un enrichissement de la vie dans les aspects spirituels, religieux ou
existentiels
Les pertes significatives, surtout inespérées, sont un défi qui nous contraignent à
questionner le monde tel qu’on l’assumait jusque là (l’ordre ‘naturel’ des choses, le
prévisible). Dès lors, une porte s’ouvre à d’autres possibilités ignorées et invisibles
pour nous jusque là. C’est le paradoxe qui nous montre comment
La perte peut produire un gain
Le deuil est un mouvement de la vie autour de la mort
Sara Roby
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H. Soins palliatifs : Comment aider des personnes en deuil
Le patient et la famille au centre. L’équipe en contact-communication
Ces réflexions sont le résultat de mes études et de 12 + années de travail en une unité
de soins palliatifs aux USA dans une région (Miami/Ft. Lauderdale)
exceptionnellement diversifiée culturellement.
Ces quelques outils veulent être un moyen de vous permettre de réfléchir et agir avec
le meilleur de vous-même : votre cœur.
Dans le contexte des soins palliatifs l’accompagnement émotionnel aux mourants et
leurs familles, met toute l’équipe à un moment ou un autre, face à la détresse, la
douleur, le désarroi de l’autre et parfois de soi-même. Chacun se doit d’y répondre
selon sa capacité, style de relation et compétences professionnelles et personnelles.
Celui qui prête son temps, énergie, savoir, expérience et désir pour aider un autre dans son deuil, doit
savoir qu’il/elle aussi est aidé par cet autre
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Par où commencer ?
Le besoin de communication
Celui qui ne comprend pas votre silence ne comprendra pas vos paroles….
Une communication effective est 45% d’écoute et 30% de parole
a) Avant la mort :
Qui, dans l’équipe des soins palliatifs, assume le rôle d’écouter avec
temps et entrainement devant soi? En principe tous. Mais le travailleur
social, l’aumônier, le psychologue, le thérapeute, sont des professionnels
qualifiés pour écouter et ensuite communiquer. Communiquer - avec
patient/famille et collègues est fondamental au processus de mort et
deuil
Les autres membres de l’équipe : médecins, infirmières, aides
d’infirmerie, secrétaires, bénévoles, doivent aussi être sensibilisés
professionnellement (formations). Ils devront faire face et savoir à quoi
s’attendre dans un contexte si spécifique et difficile comme celui des
soins palliatifs. Mais parfois ils disposent de moins de temps et
entrainement pour une écoute et intervention psycho-sociale adéquate.
L’équipe psycho-social-spirituel doit faire part toujours de ses
évaluations/observations au reste de l’équipe. Communiquer est un
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besoin et une obligation au sein d’une équipe de soins palliatifs. Seule
garantie qu’à partir d’angles divers on est tous dans la même page
Le patient et la famille –de manière différente- ont besoin d’une
communication directe, claire, compassionnée et vraie. C’est un art
savoir quoi dire, comment, quand, pourquoi et à qui.
En soins palliatifs la plus recherchée de toutes les qualités
professionnelles et personnelles est la capacité d’écoute. Savoir écouter
en silence après avoir posé la bonne question. Savoir entendre ce qu’il y a
derrière les mots. Savoir écouter le ton de la voix, le geste qui
accompagne et l’intuition pour comprendre sans trop rationaliser. C’est un
art et le résultat d’une longue pratique. Essayez-vous !
Chaque personne, situation et cas est unique. Il faut savoir quelle est la
bonne question, le bon moment et le propos de la conversation.
Une règle d’or : on peut avoir beaucoup d’expérience. C’est utile. Mais
la meilleure règle, de par mon expérience, c’est d’accueillir chaque cas
comme si c’était notre premier cas. Laissez le patient et la famille vous
guider, vous dire qui et comment ils sont, ses besoins. Soyez une page
blanche à écrire ou peindre ensemble avec ce groupe de personnes. Le
travail est donc plus agréable, naturel. Aller toujours avec le courant. Vous
n’êtes pas en contrôle. Eux non plus...
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Il faut s’assurer d’offrir aux membres de la famille la possibilité –
individuellement ou en groupe, s’ils éprouvent le besoin- de
communiquer avec le patient, même quand celui-ci ne peut plus parler.
Pouvoir dire des non-dits et des non-résolus: pardonnez-moi, je te pardonne,
merci, je t’aime, adieu
Education : confronter la mort d’un être cher, parfois pour la première
fois, peut être une grande épreuve. L’équipe de soins palliatifs
accompagne la famille. Eduquer –adapté à la situation et la personne -
sera nécessaire dès le début et continuera à l’être au long du processus
Poser des questions sur : traditions religieuses ou spirituelles, coutumes
familiales, désirs du patient/famille par rapport aux visites des aumôniers,
bénévoles, animaux et autres. La présence ou non d’objets rituels à coté
du lit (rosaire, crucifix, buddhas, photos, collages, dessins enfants, fleurs,
objets personnels (couvre lit, robe de chambre, radio)
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Que voudrait la famille faire immédiatement après la mort ? : y a-t-il des
rituels spécifiques avec le corps à tenir en compte par l’équipe de soins
palliatifs. Exemple : laisser le corps au lit pendant un certain temps,
tourner la tête vers la Mecque, ne pas toucher la dépouille, couvrir le
visage, ou autres coutumes culturelles ou religieuses.
Poser des questions/éduquer par rapport à la nécessité de penser aux
arrangements funéraires. Capitale et d’une énorme aide.
Poser des questions par rapport au système de support familial, social ou
autre, pendant ce temps de crise et après la mort.
Demander à la famille s’ils ont besoin d’aide pour communiquer avec les
enfants ou autres membres de la famille près ou loin en ces moments.
Parfois des membres de la famille qui sont loin ont des difficultés à
accepter ce qui se passe. Conflits
Besoin des services sociaux (mineurs après perte de parents, personnes
âgées seules)
Demander s’il y a quelque chose qu’ils voudraient voir fait différemment
et comment
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b) Pendant les derniers moments de vie
Veut la famille être présent ou non ?
Voudrait la famille être seule dans la chambre ?
Accompagnement de prières, musique, silence, aumônier ?
Offrir, si nécessaire, éducation sur ce qui arrive pendant ces dernières
moments (heure, minutes). Réassurer que le patient n’est pas en détresse
même si le bruit de sa respiration peut être troublant pour quelqu’un
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La routine qui peut-être s’était installé pendant ces dernières semaines est
maintenant sans sens ni effet. La famille confronte un territoire inconnu
et définitif : l’arrivée de la mort. Angoisse. Peurs. Parfois un étrange
calme s’installe.
C’est convenable de pouvoir offrir un espace aménagé où ceux qui ne
veulent pas être présents dans la chambre puissent se retirer
Déculpabiliser. Donner la permission à ceux qui ne veulent pas être la. Il
n’y a pas une façon de vivre cette expérience qui soit la correcte et la
bonne et d’autres qui ne le soient pas. Chacun devrait pouvoir trouver la
sienne. Nous validons
Être lumière qui éclaire dans la confusion. Beaucoup de fois les gens ont
besoin d’être guidés. Nos questions les aident à faire leurs choix.
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c) Après la mort :
Donner aux membres de la famille s’ils le souhaitent le temps nécessaire
pour être avec la dépouille. Chaque culture a des manières différentes
d’exprimer son deuil pendant ces premiers moments après la mort : cris,
prières, crises, chants, silence, communications téléphoniques avec ceux
qui sont loin, photos ; manifestations parfois inouïes pour nous. Tant
qu’ils ne sont pas un danger pour eux-mêmes et d’autres, il faut accepter
ces expressions et leur donner un espace/temps
Pendant ces moments, l’équipe peut trouver auprès de la famille
quelqu’un plus calme et lui demander de faire signe une fois que la
famille sera prête à accepter l’intervention de l’équipe pour faire ce qu’il y
a à faire après (nettoyer la dépouille pour départ à la maison funéraire,
arranger le corps pour la visite d’autres membres familiaux, signer des
papiers, retirer des dispositifs médicaux – masques d’oxygène, tubes,
autres- pour démédicaliser l’espace)
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Ce n’est pas parce que la personne est décédée que le travail de l’équipe
est fini. On est dans une autre étape. Cette fois-ci avec une exigence de
délicatesse et tact. La famille est fatiguée, parfois désorientée et a besoin,
comme au début, de notre soutien. On accompagne jusqu'à la sortie et le
suivi du deuil devra continuer dans les jours qui viennent par voie
téléphonique, visites, carte de condoléances. On se met à disposition en
cas de besoin. On l’explicite. Réassurer qu’on est là pour eux
L’expérience montre que si l’attention et le service prêtées par tous dans
l’équipe pendant le processus de prise en charge a atteint la qualité
désirée et accordée, le deuil aussi aura plus de chances de se passer sans
trop de complications. La raison étant que l’accompagnement prend
place dès le début avec l’écoute, éducation et évaluation constante de
tout ce qui se passe dans l’unité patient/ familiale et staff. On fait de la
prévention (de complications) pour n’avoir pas à faire des réparations…
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Questions / Réponses
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I. Réflexion / Conclusion
Un vieux maître bouddhiste Zen se préparait à mourir. Il demanda à ses
disciples : « Qu’est-ce qui survit après qu’une personne réalisée meurt ? » Un
étudiant répondit : « Après qu’une personne réalisée meurt rien ne survit ». Le vieux
maître sourit et ajouta à l’assemblée surprise : « Non, la vérité survit »
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Références bibliographiques sélective employées Attig, T. (1987). Grief, love and separation. IN C. Corr and R.Pacholski (Eds.), Death: Completion and discovery. Lakewood, OH: Association for Death Education and Counseling. Brokenleg, M. , & Middleton, D. (1993). Native Americans: Adapting yet retaining. In D. P. Irish, K.F. Lundquist, & V. J. Nelsen, (Eds.), Ethnic variations in dying, death, and grief: Diversity in universality. Washington, DC: Taylor & Francis. Callanan, M. , & Kelley, P. (1992). Final Gifts: Understanding the special awareness, needs, and communications of the dying. New York: Poseidon Press. Doka, K. J. (1993) Living with life-threatening illness: A guide for patients, their families, and caregivers. Lexington, MA: Lexington Books. Doka, K. J. (Ed.). (1989). Disenfranchised grief: Recognizing hidden sorrow. Lexington, MA: Lexington Books. Doka, K. J. (Ed). (2002). Disenfranchised grief: New directions, strategies, and challenges for practice. Champaign, IL: Research Press. Hospice Foundation of America (HFA): conferences, publications, research Kinsbrunner, Barry M. & Policzer, Joel S. (2011). End-of-Life Care. A Practical Guide. (Eds.). Second Ed. Mcgrawhill Medical Kubler-Ross, E. (1969). On death and dying. New York: Macmillan Neimeyer, R. A. (2001). Meaning reconstruction and the meaning of loss. Washington, DC: American Psychological Association Nolen-Hoeksema, S., McBride, A., & Larson, J. (1997). Rumination and psychological distress among bereaved partners. Journal of Personality and Social Psychology, 72, 855-862 Rando, T. A. (2000). Clinical dimensions of anticipatory mourning. Theory and practice in working with the dying, their loved ones, and their caregivers. Champaign, IL: Research Press. Rando, T. A. (Ed.).(1986). Loss and anticipatory grief. Lexington, MA: Lexington Books. Resources visuels: internet Google Images Sanders, C. (1989). Grief: The morning after –Dealing with adult bereavement. New Yorl: Wiley Stroebe, M., & Schut, H. (1999). The dual process model of coping with bereavement: Rationale and description. Death Studies, 23, 197-234. Wortman, C. , & Silver, R, C. (1989). The myths of coping with loss. Journal of Clinical Counseling, 57, 349-357
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Sara Roby, PhD, CT
Psychanalyste et Thanatologue
(Conseillère en Deuil)
Aumônière en soins palliatifs
Email : [email protected]
GSM : +32 Ø 488.380.111
Belgique
2016