le courrier de la sielec—n° 10 sommaire
TRANSCRIPT
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Le COURRIER de la SIELECmdashndeg 10
Sommaire
La Repreacutesentation des cultures populaires p 2
Dans laquo La Colline oublieacutee raquo de Mouloud Mammeri p 4
Agrave propos de quelques eacuteleacutements de la culture populaire beacuteti p 11
Culture populaire berbegravere en Kabylie p 19
Traditions orales dans lrsquoestheacutetique drsquoAhmadou Kourouma p 26
Editions p 30
Agenda p 34
Si vous souhaitez contribuer agrave un
prochain numeacutero priegravere drsquoenvoyer les livres articles comptes rendus
ou toutes informations agrave
Roqdurandwanadoofr
Adresse postale
19 rue Planet
30150 Roquemaure
France
Lrsquoassociation sur le net
wwwsielecnet
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LA REPRESENTATION
DES CULTURES POPULAIRES
DANS LES LITTERATURES
DE LrsquoERE COLONIALE
Le mot de la SIELEC
lt Cultures populaires dans les litteacuteratures de lrsquoegravere
colonialelt le propos peut sembler de prime abord
insolite tant nous avons peu coutume de consideacute-
rer les unes sous lrsquoangle des autres Pourtant dans
la perspective ici esquisseacutee les quatre contribu-
tions de notre ensemble eacutetudient les repreacutesenta-
tions litteacuteraires sur cette assez longue peacuteriode
(1850-1950) qui voit les eacutecrits se multiplier (certes
de qualiteacute ineacutegale) autour drsquoune reacutealiteacute ressentie
comme pittoresque curieuse romanesque et par-
fois dangereuse inquieacutetante archaiumlque quand elle
alimente une puissante et diffuse reacutesistance cultu-
relle agrave la peacuteneacutetration eacutetrangegravere et aux perspectives
modernisatrices A lrsquoeacutevidence entre fascination
exotique et fantasmes et peurs coloniales les sensi-
biliteacutes les plus contrasteacutees srsquoexpriment dans ces
textes
Les lignes de force ici deacutegageacutees par les quatre
contributions envisagent la persistance dans ces
cultures drsquounivers magiques comme autant
drsquoautres mondes aux antipodes des cultures mo-
dernes rationalistes et utilitaristes Sy joignent les
formes populaires du Sacreacute avec leur syncreacutetisme
leur inventiviteacute mythique ainsi que lrsquoimportance
de lrsquooraliteacute tout comme les formes et lrsquoestheacutetique
drsquoun art collectif que lrsquoon qualifiera plus tard de
tribal primitif ou premier De grands mythes litteacute-
raires qui se construisent autour de ces mondes
lrsquoimmeacutemorial le sauvage le laquo naiumlf raquo quecircte aussi
de lrsquoorigine avec toutes ses variantes et ses meacuteta-
morphoses Les estheacutetiques exotiques fascineacutees
par le Divers (Segalen) prennent diffeacuterents che-
mins que prennent en mecircme temps qursquoelles cons-
tatent la lente eacuterosion de ce dernier Cest la ren-
contre entre le texte litteacuteraire et le reacutecit anthropolo-
gique et ethnographique agrave une eacutepoque qui vit se
construire le discours savant sur lrsquoautre
(orientaliste africaniste) en mecircme temps qursquoune
litteacuterature laquo grand public raquo se laissait aller agrave un
imaginaire parfois deacutebrideacute Les eacutecrivains utilisent
aussi le reportage de presse agrave theacutematique afri-
caine ou orientale entre recherche systeacutematique
du spectaculaire et preacutecision documentaire en
srsquoappuyant mecircme sur les courants litteacuteraires euro-
peacuteens (naturalisme symbolisme reacutealismelt) et
leur influence sur la repreacutesentation des cultures
vernaculaires sans ignorer lrsquoinstrumentalisation
politique de ces cultures dans le cadre de la gou-
vernance coloniale
En effet dans leur dimension colonisatrice les
litteacuteratures francophones rencontrent des peuples
quelles jugent agrave travers leurs conceptions de
leacutepoque le plus souvent attardeacutes Mais eacutetonnam-
ment ces peuples leur rappellent leur propre passeacute
qui en art et en litteacuterature peuvent se reacuteveacuteler un lt
preacutesent Romantisme symbolisme puis cubisme
nont-ils pas remis au goucirct du jour sculpture mu-
sique et religions africaines cest-agrave-dire des arts
populaires comme le romantisme avait tenteacute de le
faire pour les plus anciennes traditions euro-
peacuteennes En Europe tout au long du XIXegraveme
siegravecle la sensibiliteacute romantique entre autres avait
grandement contribueacute agrave jeter un regard nouveau
sur ces expressions consideacutereacutees parfois comme
marginales naiumlves superstitieuses et que lrsquoon per-
cevait deacutesormais comme des sources de laquo vivante
poeacutesie raquo (Michelet) Des mondes paysans de
George Sand avec leurs traditions musicales et
leurs rituels collectifs aux profondeurs animistes
magiques polytheacuteistes redeacutecouvertes par Miche-
let dans son chef drsquoœuvre La sorciegravere (1862) ou en-
core avec lrsquoaffirmation que toute langue est une
veacuteritable vision du monde que lrsquoon retrouve au
cœur de lrsquoœuvre de Mistral crsquoest un puissant mou-
vement culturel qui modifie la sensibiliteacute de toute
une eacutepoque
De plus avec lrsquoexpansion coloniale et le renfor-
cement des grands empires mondiaux eacutecrivains et
voyageurs vont aussi srsquointeacuteresser agrave des ailleurs cul-
turels ougrave ces cultures populaires se manifestent
avec encore plus de vivaciteacute et certainement avec
une plus grande charge drsquoinconnu et de mystegravere
Certains ne manqueront pas drsquoeacutetablir des compa-
raisons suggestives entre ces reacutealiteacutes profondes
drsquoOrient et drsquoOccident drsquoAfrique et drsquoEurope
Andreacute Chevrillon par exemple qui dans sa Bre-
tagne drsquohier (1925) rapproche les moussems maghreacute-
bins et les pardons bretons et constate en occident
mecircme la persistance drsquoun sacreacute bien proche de
3
celui qursquoil avait pu observer au Maroc ou en
Inde En effet tout lecteur de la riche litteacuterature
consacreacutee agrave la deacutecouverte des cultures drsquoAfrique
et du Maghreb durant lrsquoegravere des Empires mais
aussi bien des reacutecits postcoloniaux ne peut
qursquoecirctre frappeacute par lrsquoimportance drsquoun thegraveme
transversal celui de lrsquoexpression des cultures
vernaculaires autrement dit du vaste continent
de lrsquooraliteacute des contes et leacutegendes des pratiques
rituelles et magiques des religiositeacutes en dehors
mecircme des formes plus savantes de la culture
celles que leacutegitiment Ecoles institutions offi-
cielles orthodoxies religieuses universiteacutes pour
lrsquoessentiel dans le cadre drsquoune civilisation du
livre et de lrsquoeacutecrit
Pourtant Chevrillon nest peut-ecirctre que lan-
nonciateur de lrsquoentreacutee en scegravene des eacutecrivains
maghreacutebins et africains et la maniegravere nouvelle
dont ils voudront exprimer agrave partir drsquoune expeacute-
rience veacutecue et non plus exteacuterieure ces cultures
diverses La probleacutematique de lrsquoidentiteacute cultu-
relle drsquoautant plus centrale que lrsquoon se rapproche
de lrsquoegravere des Indeacutependances De Mohamed Dib agrave
Tahar Ben Jelloun ou Mohamed Choukri drsquoAma-
dou Hampateacute Bacirc agrave Leacuteopold Sedar Senghor et
Aminata Sow Fall la culture populaire occupe
une place essentielle dans la creacuteation franco-
phone Elle est bien sucircr au cœur du mouvement
de la neacutegritude et de son deacutesir de donner une
leacutegitimiteacute nouvelle agrave la poeacutesie orale aux mytho-
logies et cosmogonies traditionnelles Au
Maghreb comme en Afrique noire dans des con-
textes certes diffeacuterents on assiste agrave un mecircme
mouvement profond de releacutegitimation de relec-
ture et de litteacuterarisation des croyances anciennes
bien qursquoelles puissent nourrir des visions antago-
nistes drsquoune vision romantique relevant avant
la lettre du reacutealisme magique agrave la critique radi-
cale de la superstition et la remise en cause des
mondes illusoires dont griots et traditionnistes
tissent la leacutegende (Amadou Kourouma Yambo
Ouologuem)
lt Cultures populaires dans les litteacuteratures de legravere
coloniale nous demandions-nous agrave lorigine lt
Pour finalement nous apercevoir que ces litteacutera-
tures finissent par se meacutetamorphoser complegravete-
ment reacuteciproquement et agrave se transformer dans la
fameuse litteacuterature du Tout-Monde que procircnait
Eacutedouard Glissant laquo Les auteurs qui eacutecrivent en
franccedilais proviennent des cinq continents no-
tamment de lrsquoAfrique et mecircme des pays outre-
espace francophone Crsquoest drsquoailleurs pour cette
raison qursquoils pensent qursquoil nrsquoest plus pertinent de
parler de laquo litteacuterature francophone raquo Il faut plutocirct
parler de laquo Litteacuterature-monde raquo1 pour faire ressor-
tir lrsquoeacuteclatement des frontiegraveres de lrsquoespace fran-
cophone par cette litteacuterature raquo Dont acte
Notre Courrier de la SIELEC ndeg 10 preacutesente non
en double publication mais en avant-premiegravere
les quatre articles de cinq contributeurs du col-
loque La Repreacutesentation des cultures populaires dans
les litteacuteratures de lrsquoegravere coloniale (dont les actes vont
paraicirctre prochainement au Maroc) Aiumlni Be-
touche Fatima Bouhkelou Denise Brahimi Jean
-Bernard Evoung Fouda et Rachid Zaouri La
seacutelection de la SIELEC nrsquoest qursquoun panel forceacute-
ment limiteacute baseacute sur une recherche de diversiteacute
caracteacuteristique Les articles non retenus sont
drsquoaussi bonne qualiteacute Les auteurs le compren-
dront Mais il fallait faire un choix sachant que la
totaliteacute sera bientocirct disponible
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacutehension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc dof-frir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et multiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seulement en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
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de la confusion des corps le mystegravere dionysiaque
fonde peacuteriodiquement un ordre nouveau il souligne
aussi la preacuteeacuteminence du collectif sur lrsquoindividualisme
et son correacutelat rationnel qursquoest le social raquo3
La sehdja
La sehdja est lrsquoune des formes la moins orgias-
tique des deux Peacuteriodiquement ceacuteleacutebreacutee par les
jeunes gens exclusivement masculins avec toute-
fois la preacutesence feacutemininemasculine de Mou lrsquoAn-
drogyne la sehdja favorise la reacutegulation du trop
plein de lrsquoeacutenergie pulsionnelle qursquoelle exteacuteriorise
et canalise La ceacutereacutemonie que nous allons analyser
preacutesente un caractegravere particulier en ce sens ougrave elle
est exceptionnelle du fait qursquoelle est initieacutee agrave lrsquoins-
tigation du cheikh garant de la morale religieuse
et de la tradition Lrsquoeacuteveacutenement que srsquoapprecircte agrave
vivre la communauteacute est grave au point de requeacute-
rir la preacutesence de tous En effet la mobilisation de
tous les jeunes gens aux cocircteacutes des Forces Allieacutees
affecte la communauteacute au plus profond drsquoelle-
mecircme si bien qursquoelle reacuteagit en faisant appel agrave
toutes les forces qui lrsquoaniment et dans une
laquo totalisation rituelle raquo4 elle fait en sorte de reve-
nir agrave une laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo 5
pour reacuteactiver la cosmogonie Aussi peut-elle ecirctre
agrave mecircme de conjurer la mort et le malheur
laquo Que les femmes aillent ce soir agrave la fontaine comme
aux jours de fecircte Le cheikh pensait ainsi exorciser le
malheur (lt) Degraves le deacutebut de lrsquoapregraves-midi commenccedila
le deacutefileacute chatoyant des femmes jeunes et vieilles belles
ou laides vers la fontaine Il nrsquoy en avait jamais tant
eu parce qursquoil fallait tout ce nombre pour eacutecarter la me-
nace raquo6
Les frontiegraveres entre les interdits srsquoeffacent
Toutes les jeunes forces macircles du corps social sont
convoqueacutees pour se conjoindre par lrsquoesprit agrave leurs
homologues femelles qursquoils admirent sous le re-
gard jadis farouche des gardiens de la tradition
devenus complices7 le temps que srsquoaccomplisse la
cosmogonie Aussi la sehdja va-t-elle favoriser lrsquoac-
complissement de cette opeacuteration au cours de la-
quelle a lieu la transformation psychique en dyna-
mique sensuelle les jeunes gens qui se sont repu
rempli les yeux du spectacle des plus belles
femmes durant ces moments vespeacuteraux auront agrave
eacutevacuer cette eacutenergie psychique et agrave la transfor-
mer en dynamique sexuelle La sehdja avec son
La mise en repreacutesentation de la culture
populaire dans laquo La Colline oublieacutee raquo de Mouloud Mammeri
BETOUCHE Aiumlni et BOUKHELOU Fatima-Deacutepartement de Franccedilais Faculteacute des Lettres et
des Langues Universiteacute Mouloud Mammeri Tizi
Ouzou Algeacuterie
Publieacutee en 1952 aux eacuteditions Plon La Colline
oublieacutee de Mouloud Mammeri met en repreacutesenta-
tion un univers primordial que meuvent et pro-
meuvent des rituels et des traditions plusieurs fois
seacuteculaires Il srsquoagit dans la preacutesente communica-
tion de deacutemontrer en quoi les rituels festifs tels
que la sehdja et la hadra constituent des formes po-
pulaires fortement impreacutegneacutees de Sacreacute favorisant
la structuration de la communauteacute tout en lui eacutevi-
tant toute deacutesinteacutegration En effet toute commu-
nauteacute se reacutegeacutenegravere et perdure gracircce agrave la coexistence
des deux dimensions que sont la dimension apolli-
nienne repreacutesentant la structure drsquoen haut et la di-
mension dionysiaque ou champecirctre repreacutesentant
la structure drsquoen bas incarneacutee dans La Colline ou-
blieacutee par la figure androgyne de Mouh le berger
La combinaison des deux dimensions sus-citeacutees
garantit la coheacutesion de tous les eacuteleacutements laquo socieacutetaux
contradictoriels raquo1 en preacutesence La structure sur-
plombante supporte de se laisser porter par la
structure drsquoen bas Ainsi lorsque lrsquoapollinien en
vient agrave srsquoaffaiblir la reacuteactivation de la dialectique
des deux dimensions se sous-tendant rentre en
action pour redynamiser lrsquoeacutelan jubilatoire La
structure apollinienne en appelle agrave lrsquoirruption des
forces souterraines qui srsquooriginent au sein mecircme
de la laquo socialiteacute inteacuterieure raquo2 Une fois convoqueacutees
ces forces entrent en lice pour restaurer la cosmo-
gonie
Nous allons deacutemontrer que la sehdja et la hadra
qui constituent pour reprendre Michel Maffesoli
des formes eupheacutemiseacutees de lrsquoorgiasme sont omni-
preacutesentes dans La Colline oublieacutee et partant dans la
socieacuteteacute berbegravere traditionnelle qursquoelles sont convo-
queacutees et veacutecues chaque fois que le corps social res-
sent le besoin de se reacutegeacuteneacuterer En effet la reacutegeacuteneacute-
ration drsquoun ordre socieacutetal ainsi que la perdurance
de sa vitaliteacute reacutesultent de lrsquoinversion des
rocircles laquo En mimant le deacutesordre et le chaos au travers
5
substrat eacuterotique est une maniegravere de rappeler
lrsquointime liaison de la vie et de la mort de conjurer
celle-ci et drsquoexsuder lrsquoeacuteros La sehdja reacuteeacutequilibre
les deux dimensions ouvre les possibiliteacutes et al-
legravege les contraintes sociales crsquoest un vecteur de
puissance de dynamisme et drsquoeffervescence in-
dispensable agrave lrsquoeacutequilibre individuel et socieacutetal La
sehdja culbute lrsquoinstitueacute par trop mortifegravere
laquo Quelque chose vraiment eacutetait changeacute dans Tasga
Pour voir passer le long cortegravege nous eacutetions lagrave tous les
jeunes du village agrave la fois ceux de la bande et ceux de
Taasast assis en file sur les dalles de schiste de la place
des Ormes (lt) Les autres descendirent sur lrsquoaire
pour une sehdja qui devait ecirctre pour moi la derniegravere Je
ne crois pas que jrsquooublierai jamais cette nuit dont
notre longue attente sur les dalles froides de la place ne
fut que le silencieux preacutelude raquo8
La conjonction des deux univers a lieu agrave la fa-
veur de la nuit agrave mecircme lrsquoaire - laquelle constitue
lrsquoassise le nid et reacutefegravere aux profondeurs abys-
sales Ainsi crsquoest de ce creuset de la chaleur
qursquoest le centre du monde et partant de lrsquoeacutener-
gie9 que sourd la passion souterraine et profonde
qui vient irradier le monde de la surface laquo Comme
une preacutesence obscure mais qui nrsquoen est pas moins reacute-
elle elle sous-tend toutes les situations et les repreacutesen-
tations qui se donnent agrave voirraquo10 Cette force abyssale
vient alors ressourcer et renflouer le monde de la
surface Tel est le rocircle de la sehdja meneacutee par
Mouh le berger qui agit agrave lrsquoimage de son dieu
tuteacutelaire Dionysos laquo lrsquoindiviseacute raquo avec la participa-
tion de tous les jeunes bergers laquo venus nombreux se
joindre sur lrsquoaire raquo et conjoindre les forces diony-
siaques en preacutesence surdeacutetermineacutees eacutevoqueacutees par
laquo les champs de figuiers drsquoalentour raquo11
Le figuier eacutetant dans la mythologie grecque et
latine12 lrsquoarbre de DionysosPriape lrsquoon infegravere
qursquoil srsquoagit bien drsquoune opeacuteration de reacutegeacuteneacuteration
des forces apolliniennes deacutegeacuteneacuterescentes par
lrsquoimpulsion de forces contradictorielles et reacutegeacuteneacute-
ratrices Ainsi que le souligne Michel Maffesoli
laquo lrsquoorgiasme est bien une plurialiteacute conjointe raquo13 ce
sont donc les diverses composantes de lrsquoagreacutega-
tion humaine constituant la structure anthropolo-
gique qui sont solliciteacutees pour assurer dans la
laquo synarchie raquo - ce principe drsquoordre- la coheacuterence
et lrsquoeacutequilibre de cette agreacutegation La plurialiteacute
dans la confusion revigore un corps social qui en
perte de force risque de srsquoaneacutemier Pareille
aneacutemie est en lrsquooccurrence eacutevoqueacutee par les
laquo dalles froides de la place raquo lesquelles vont pouvoir
ecirctre reacutechauffeacutees gracircce au feu nouveau allumeacute par
les jeunes un feu sexualiseacute qui ne meurt pas se-
lon Bachelard en effet laquo Le feu reacutenoveacute retrouve sa
neacutecessiteacute geacuteneacutetique raquo14 Les meacutetaphores fileacutees de la
reacutegeacuteneacuteration de la terre feacutecondeacutee mettent lrsquoaccent
sur cette confusion eacutevocatrice de deacutebridement or-
giastique
Lrsquoensemble des jeunes du village aideacutes par les
bergers des alentours procegravedent agrave la co-re-creacuteation
du monde agrave lrsquoinstauration de la confusion pri-
mordiale Ils miment cette derniegravere en y apportant
leurs forces paroxystiques dans une alliance de
fougues toutes neuves Lrsquoaire qui reacutefegravere agrave la
Grande Megravere agrave la terre - geacutenitrix est violemment
caresseacutee doucement violenteacutee par ces jeunes
dieux pleins de vitaliteacute qui laquo deacutebordent les champs
de figuiers drsquoalentour raquo crsquoest de la sorte que srsquoins-
taurent la co-union et la comm-union des ecirctres et du
cosmos Le deacutebordement atteint son comble par la
danse qui deacuteroule ses eacutevolutions agrave proximiteacute des
flammes crsquoest une danse tour agrave tour lente et vio-
lente langoureuse voluptueuse et passionneacutee qui
srsquoengregravene dans un deacutechaicircnement extatique Ces
treacutepidations et treacutepignements collectifs agrave la lueur
du feu annoncent le renouvellement laquo Le feu
suggegravere le deacutesir de changer de brusquer le temps
de porter toute la vie agrave son terme agrave son au-
delagrave raquo15 Lrsquoeacuteleacutement igneacute fortement sexualiseacute sur-
deacutetermine le symbolisme de la scegravene et lui precircte
un caractegravere des plus orgiastiques
Les pieds treacutepidants et freacuteneacutetiques - analogons
phalliques- battant la terre-megravere confegraverent agrave la
scegravene un aspect drsquoautant plus surreacuteel et mystique
que lrsquoopeacuteration suggegravere une peacuteneacutetration dans
lrsquointeacuterioriteacute intime de la substance drsquoune subs-
tance saisie dans sa profondeur et dans sa puis-
sance geacuteneacutesique De telles images renforcent la
surreacutealiteacute et la cosmiciteacute de lrsquoopeacuteration cultuelle
Le monde ancien et moribond dont les forces deacute-
clinent et vont srsquoaffaissant se trouve ainsi suppleacuteeacute
par un autre juveacutenile plein de segraveve et de robus-
tesse Les puissances chtoniennes viennent res-
sourcer les forces apolliniennes Ce sont lagrave des
images de la reacuteinteacutegration de la totaliteacute primor-
diale
laquo Pour un soir cependant il redevint le Mouh
6
qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand
feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-
daient vaguement semblable au sorcier de quelque
peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour
agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait
ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La
flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-
sible raquo 16
Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos
doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-
jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-
sordre des passions provoque le resurgissement
drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les
laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au
sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere
cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort
drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses
forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-
veloppa dans les pans amples de son burnous et sans
rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans
un coin contre un frecircne comme pour attendre que le
dieu doucement le quittacirct raquo19
Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute
deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle
se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave
lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit
comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-
datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-
mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui
garantit la continuiteacute du monde en unissant les
puissances chtoniennes et le monde de la surface
Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous
comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun
animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea
Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni
le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est
consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant
de la condition profane Mouh est en mesure
drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme
par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la
naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-
sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres
ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere
chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces
images du berger avec ses eacutevolutions repti-
liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-
sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent
la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des
oppositions survenant au terme de toute
opeacuteration rituelle de ce genre23
Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie
alchimique le serpent est la base de toute Œuvre
selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-
rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner
naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au
terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son
burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole
celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte
cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25
srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans
la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-
tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-
gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus
bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-
logues rendent plus congruent se renforce le deacute-
chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-
deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil
deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation
Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-
cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En
deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non
de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son
acceptation et de son inteacutegration si dissemblable
et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-
elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son
harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit
drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-
culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-
veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-
tinuiteacute
Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-
faite de ce que peut apporter un comportement
aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi
puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest
lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la
flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-
pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave
lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-
nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-
neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-
jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-
tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en
lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-
liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-
sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de
la culture berbegravere elle incarne cette force pro-
fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps
social gracircce agrave un pluralisme passionnel
7
pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-
tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de
la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur
mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve
La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme
Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-
diennes sous des modulations diverses la hadra
est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de
lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de
cette immense reacuteserve de forces souterraines se-
cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-
ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-
giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-
existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28
constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la
socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux
eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo
tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses
puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi
le passage suivant vient-il mettre en exergue la
preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-
tique au sein de la culture populaire Cette dimen-
sion semblant constituer le substrat qui fonde
cette culture sous-tend de la sorte la structure so-
cieacutetale
Lrsquoactivation de cette dimension est mise en
branle aux moments les plus cruciaux auxquels
peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication
que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-
proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan
initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-
tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence
rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-
rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui
que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre
-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de
lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-
der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-
rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-
tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-
nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion
de vie de lrsquoensemble
laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit
geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)
une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de
la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-
bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse
vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes
parce que toutes baissaient la tecircte La musique
continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-
chaicircneacuteelt raquo30
La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans
la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration
drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-
vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-
compagnement agrave cette con-fusion des esprits et
des corps brouillant les limites et effaccedilant les
barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet
et favorise laquo le renversement des comportements
qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-
fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en
œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-
complisse et que les participants srsquoy adonnent
dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la
laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue
et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33
au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les
femmes reacuteunies agrave cet effet
laquo Dans chaque coin des hommes des femmes
eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-
vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un
second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave
la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de
becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se
tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes
des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-
lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces
sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras
formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes
steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34
Nous avons lagrave une union double un andro-
gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux
jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de
deux maniegraveres compleacutementaires et duelles
comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et
provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse
et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-
ciences et des inconscients est une comm-union
Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute
communion des consciences sous quelques espegraveces
qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le
travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie
symbolique -de ces femmes mimant les
hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-
tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36
8
Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-
geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes
aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect
orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se
trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore
fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes
fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-
bir la hadra raquo sont effectivement passives elles
sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-
vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave
nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient
laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se
faisant labourer par les analogons phalliques des
danseurs fougueux sautant de toutes leurs
forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-
sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes
steacuteriles raquo
Le redoublement de toutes les forces conju-
gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi
dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-
plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-
siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement
est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des
rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des
forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-
sement sans cesse renouveleacute
laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux
de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait
deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-
tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force
bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie
Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-
pue dans les cocirctes raquo37
La multiplication des forces est justement ren-
due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-
sances cosmiques animales instrumentales ani-
meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons
geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-
brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-
lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent
les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie
ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal
chaos La communion de tous advient par deacute-
chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-
jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere
alors pleinement pour impulser la flamme du
renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette
dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-
reacute par la culture drsquoen haut
lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-
feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi
lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente
drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes
deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun
pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans
son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux
normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement
que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait
pas seulement sur un moralisme rigide qui se
trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon
un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation
ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique
de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-
teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de
contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement
salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un
contrepoids aux forces surplombantes
eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-
clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee
dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-
teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient
Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme
cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-
duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant
un pronostic normal de survie et non condam-
neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee
drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42
La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute
sont neacutecessaires et requises au maintien de la
coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout
en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines
limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute
court le risque de voir ses composantes se deacuteliter
et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons
de le voir un social monolithique ougrave ne domine-
rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave
connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses
forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport
contradictoriel puissant la dimension diony-
siaque apporte la contradiction et constitue un
contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-
sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-
nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-
teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous
venons de voir constituent les deux pocircles de la
culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La
Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par
des principes de rigueur et de productivisme La
seconde est la dimension dionysiaque que avons
9
analyseacutee
Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-
taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et
laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-
teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se
poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-
teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la
forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-
teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se
trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue
Cette synergie se manifeste dans les rapports
mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux
aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la
mort au monde Nous venons de voir aussi que
les rapports sociaux sont des rapports animeacutes
par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-
fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien
Il y a en outre recentrement de ces rapports sur
ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-
ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de
lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune
maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-
vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute
avec les autres preacutedomine sur tout le reste et
lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-
tion
Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-
lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et
lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-
laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-
vante Ces deux dimensions essentielles bien
que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-
renniteacute de la vie et de la survie de cette culture
Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et
entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre
mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun
par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-
tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait
elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle
se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-
cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-
niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement
particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument
universelles
Bibliographie
Corpus
MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris
Plon 1952
Ouvrages theacuteoriques
- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu
Paris Librairie Gallimard 1949
- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll
Gautier 1980
- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques
de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-
rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969
- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes
reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug
coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996
- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la
vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-
ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo
2003
- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-
tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre
Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978
- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne
Paris Gallimard 1962
- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris
Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985
- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences
Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990
- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour
une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-
dition Descleacutee de Brouwer 1998
- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars
de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table
Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-
begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture
savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger
Tala 1989
1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in
LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck
et Cie 1985 p 126
2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-
ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-
cleacutee de Brouwer 1998 p 13
3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon
1990 p 19
10
x
4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris
Gallimard 1962 p 140
5 Ibidem
6 La Colline Oublieacutee op cit p 94
7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils
savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer
les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee
8 La Colline oublieacutee op cit p94
9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers
srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur
lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-
tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94
12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-
gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli
LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124
13 Ibid p 140
14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-
mard 1949 p 76
15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit
p 35
16 La Colline Oublieacutee op cit p 95
17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27
18 La Colline Oublieacutee op cit p 94
19 La Colline Oublieacutee op cit p 95
20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63
21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-
das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147
25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples
de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla
srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour
attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-
blieacutee p 95
26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes
gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers
et Jupiter Paris 1973 p 361
27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144
28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-
phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141
29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130
30 La Colline Oublieacutee op cit p 90
31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
32 Ibidem
33 Ibidem
34 La Colline Oublieacutee op cit p 90
35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie
religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses
universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575
36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
37 La Colline Oublieacutee op cit p 90
38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit
p 140
39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90
40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-
niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-
cue op cit p 209
41 Ibidem
42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis
par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157
11
Agrave propos de quelques eacuteleacutements
de la culture populaire beacuteti (Cameroun)
dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo
EVOUNG FOUDA Jean Bernard
Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de
franccedilais
Introduction
Dans la classification des diffeacuterents types
drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-
dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-
miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture
folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les
usages et les traditions populaires Richard Lau-
rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit
laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts
des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-
tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des
faits des comportements que lrsquoon juge amusants et
pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave
lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique
courante de la culture raquo1
Dans ce sens la culture populaire renverrait
donc agrave la pratique courante de la culture avec ce
que cela comporte comme habitudes croyances
comportements conceptions de la vie et des pheacute-
nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-
blic des pratiques des comportements ainsi que
certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans
le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin
drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre
reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave
la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-
tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et
continuiteacutes entre le monde des vivants et celui
des morts dans cet univers agrave la pratique de la
palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-
son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-
rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile
de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en
question
Le poseacute
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps
chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave
bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un
autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait
donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait
dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana
Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu
un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique
et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-
tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-
nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-
tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-
tions originales Il paraicirct mecircme donner forme
corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan
scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription
qui au regard du ton de la ponctuation de la
forme mecircme de ses vers respecte les aspects de
lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors
permis aux chercheurs et universitaires camerou-
nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu
agrave une publication scientifique2
Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere
de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant
sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee
peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les
litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc
Raison pour laquelle nous y revenons Sur le
fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono
Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et
Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un
homme qui aimait beaucoup les femmes au
point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui
eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et
va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre
pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par
conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il
continuera agrave aimer cette femme Son mari va
chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide
amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-
nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-
couvre la santeacute
Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert
Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee
font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-
mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-
zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
2
LA REPRESENTATION
DES CULTURES POPULAIRES
DANS LES LITTERATURES
DE LrsquoERE COLONIALE
Le mot de la SIELEC
lt Cultures populaires dans les litteacuteratures de lrsquoegravere
colonialelt le propos peut sembler de prime abord
insolite tant nous avons peu coutume de consideacute-
rer les unes sous lrsquoangle des autres Pourtant dans
la perspective ici esquisseacutee les quatre contribu-
tions de notre ensemble eacutetudient les repreacutesenta-
tions litteacuteraires sur cette assez longue peacuteriode
(1850-1950) qui voit les eacutecrits se multiplier (certes
de qualiteacute ineacutegale) autour drsquoune reacutealiteacute ressentie
comme pittoresque curieuse romanesque et par-
fois dangereuse inquieacutetante archaiumlque quand elle
alimente une puissante et diffuse reacutesistance cultu-
relle agrave la peacuteneacutetration eacutetrangegravere et aux perspectives
modernisatrices A lrsquoeacutevidence entre fascination
exotique et fantasmes et peurs coloniales les sensi-
biliteacutes les plus contrasteacutees srsquoexpriment dans ces
textes
Les lignes de force ici deacutegageacutees par les quatre
contributions envisagent la persistance dans ces
cultures drsquounivers magiques comme autant
drsquoautres mondes aux antipodes des cultures mo-
dernes rationalistes et utilitaristes Sy joignent les
formes populaires du Sacreacute avec leur syncreacutetisme
leur inventiviteacute mythique ainsi que lrsquoimportance
de lrsquooraliteacute tout comme les formes et lrsquoestheacutetique
drsquoun art collectif que lrsquoon qualifiera plus tard de
tribal primitif ou premier De grands mythes litteacute-
raires qui se construisent autour de ces mondes
lrsquoimmeacutemorial le sauvage le laquo naiumlf raquo quecircte aussi
de lrsquoorigine avec toutes ses variantes et ses meacuteta-
morphoses Les estheacutetiques exotiques fascineacutees
par le Divers (Segalen) prennent diffeacuterents che-
mins que prennent en mecircme temps qursquoelles cons-
tatent la lente eacuterosion de ce dernier Cest la ren-
contre entre le texte litteacuteraire et le reacutecit anthropolo-
gique et ethnographique agrave une eacutepoque qui vit se
construire le discours savant sur lrsquoautre
(orientaliste africaniste) en mecircme temps qursquoune
litteacuterature laquo grand public raquo se laissait aller agrave un
imaginaire parfois deacutebrideacute Les eacutecrivains utilisent
aussi le reportage de presse agrave theacutematique afri-
caine ou orientale entre recherche systeacutematique
du spectaculaire et preacutecision documentaire en
srsquoappuyant mecircme sur les courants litteacuteraires euro-
peacuteens (naturalisme symbolisme reacutealismelt) et
leur influence sur la repreacutesentation des cultures
vernaculaires sans ignorer lrsquoinstrumentalisation
politique de ces cultures dans le cadre de la gou-
vernance coloniale
En effet dans leur dimension colonisatrice les
litteacuteratures francophones rencontrent des peuples
quelles jugent agrave travers leurs conceptions de
leacutepoque le plus souvent attardeacutes Mais eacutetonnam-
ment ces peuples leur rappellent leur propre passeacute
qui en art et en litteacuterature peuvent se reacuteveacuteler un lt
preacutesent Romantisme symbolisme puis cubisme
nont-ils pas remis au goucirct du jour sculpture mu-
sique et religions africaines cest-agrave-dire des arts
populaires comme le romantisme avait tenteacute de le
faire pour les plus anciennes traditions euro-
peacuteennes En Europe tout au long du XIXegraveme
siegravecle la sensibiliteacute romantique entre autres avait
grandement contribueacute agrave jeter un regard nouveau
sur ces expressions consideacutereacutees parfois comme
marginales naiumlves superstitieuses et que lrsquoon per-
cevait deacutesormais comme des sources de laquo vivante
poeacutesie raquo (Michelet) Des mondes paysans de
George Sand avec leurs traditions musicales et
leurs rituels collectifs aux profondeurs animistes
magiques polytheacuteistes redeacutecouvertes par Miche-
let dans son chef drsquoœuvre La sorciegravere (1862) ou en-
core avec lrsquoaffirmation que toute langue est une
veacuteritable vision du monde que lrsquoon retrouve au
cœur de lrsquoœuvre de Mistral crsquoest un puissant mou-
vement culturel qui modifie la sensibiliteacute de toute
une eacutepoque
De plus avec lrsquoexpansion coloniale et le renfor-
cement des grands empires mondiaux eacutecrivains et
voyageurs vont aussi srsquointeacuteresser agrave des ailleurs cul-
turels ougrave ces cultures populaires se manifestent
avec encore plus de vivaciteacute et certainement avec
une plus grande charge drsquoinconnu et de mystegravere
Certains ne manqueront pas drsquoeacutetablir des compa-
raisons suggestives entre ces reacutealiteacutes profondes
drsquoOrient et drsquoOccident drsquoAfrique et drsquoEurope
Andreacute Chevrillon par exemple qui dans sa Bre-
tagne drsquohier (1925) rapproche les moussems maghreacute-
bins et les pardons bretons et constate en occident
mecircme la persistance drsquoun sacreacute bien proche de
3
celui qursquoil avait pu observer au Maroc ou en
Inde En effet tout lecteur de la riche litteacuterature
consacreacutee agrave la deacutecouverte des cultures drsquoAfrique
et du Maghreb durant lrsquoegravere des Empires mais
aussi bien des reacutecits postcoloniaux ne peut
qursquoecirctre frappeacute par lrsquoimportance drsquoun thegraveme
transversal celui de lrsquoexpression des cultures
vernaculaires autrement dit du vaste continent
de lrsquooraliteacute des contes et leacutegendes des pratiques
rituelles et magiques des religiositeacutes en dehors
mecircme des formes plus savantes de la culture
celles que leacutegitiment Ecoles institutions offi-
cielles orthodoxies religieuses universiteacutes pour
lrsquoessentiel dans le cadre drsquoune civilisation du
livre et de lrsquoeacutecrit
Pourtant Chevrillon nest peut-ecirctre que lan-
nonciateur de lrsquoentreacutee en scegravene des eacutecrivains
maghreacutebins et africains et la maniegravere nouvelle
dont ils voudront exprimer agrave partir drsquoune expeacute-
rience veacutecue et non plus exteacuterieure ces cultures
diverses La probleacutematique de lrsquoidentiteacute cultu-
relle drsquoautant plus centrale que lrsquoon se rapproche
de lrsquoegravere des Indeacutependances De Mohamed Dib agrave
Tahar Ben Jelloun ou Mohamed Choukri drsquoAma-
dou Hampateacute Bacirc agrave Leacuteopold Sedar Senghor et
Aminata Sow Fall la culture populaire occupe
une place essentielle dans la creacuteation franco-
phone Elle est bien sucircr au cœur du mouvement
de la neacutegritude et de son deacutesir de donner une
leacutegitimiteacute nouvelle agrave la poeacutesie orale aux mytho-
logies et cosmogonies traditionnelles Au
Maghreb comme en Afrique noire dans des con-
textes certes diffeacuterents on assiste agrave un mecircme
mouvement profond de releacutegitimation de relec-
ture et de litteacuterarisation des croyances anciennes
bien qursquoelles puissent nourrir des visions antago-
nistes drsquoune vision romantique relevant avant
la lettre du reacutealisme magique agrave la critique radi-
cale de la superstition et la remise en cause des
mondes illusoires dont griots et traditionnistes
tissent la leacutegende (Amadou Kourouma Yambo
Ouologuem)
lt Cultures populaires dans les litteacuteratures de legravere
coloniale nous demandions-nous agrave lorigine lt
Pour finalement nous apercevoir que ces litteacutera-
tures finissent par se meacutetamorphoser complegravete-
ment reacuteciproquement et agrave se transformer dans la
fameuse litteacuterature du Tout-Monde que procircnait
Eacutedouard Glissant laquo Les auteurs qui eacutecrivent en
franccedilais proviennent des cinq continents no-
tamment de lrsquoAfrique et mecircme des pays outre-
espace francophone Crsquoest drsquoailleurs pour cette
raison qursquoils pensent qursquoil nrsquoest plus pertinent de
parler de laquo litteacuterature francophone raquo Il faut plutocirct
parler de laquo Litteacuterature-monde raquo1 pour faire ressor-
tir lrsquoeacuteclatement des frontiegraveres de lrsquoespace fran-
cophone par cette litteacuterature raquo Dont acte
Notre Courrier de la SIELEC ndeg 10 preacutesente non
en double publication mais en avant-premiegravere
les quatre articles de cinq contributeurs du col-
loque La Repreacutesentation des cultures populaires dans
les litteacuteratures de lrsquoegravere coloniale (dont les actes vont
paraicirctre prochainement au Maroc) Aiumlni Be-
touche Fatima Bouhkelou Denise Brahimi Jean
-Bernard Evoung Fouda et Rachid Zaouri La
seacutelection de la SIELEC nrsquoest qursquoun panel forceacute-
ment limiteacute baseacute sur une recherche de diversiteacute
caracteacuteristique Les articles non retenus sont
drsquoaussi bonne qualiteacute Les auteurs le compren-
dront Mais il fallait faire un choix sachant que la
totaliteacute sera bientocirct disponible
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacutehension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc dof-frir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et multiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seulement en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des informations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire excep-tionnel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacute-cialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
4
de la confusion des corps le mystegravere dionysiaque
fonde peacuteriodiquement un ordre nouveau il souligne
aussi la preacuteeacuteminence du collectif sur lrsquoindividualisme
et son correacutelat rationnel qursquoest le social raquo3
La sehdja
La sehdja est lrsquoune des formes la moins orgias-
tique des deux Peacuteriodiquement ceacuteleacutebreacutee par les
jeunes gens exclusivement masculins avec toute-
fois la preacutesence feacutemininemasculine de Mou lrsquoAn-
drogyne la sehdja favorise la reacutegulation du trop
plein de lrsquoeacutenergie pulsionnelle qursquoelle exteacuteriorise
et canalise La ceacutereacutemonie que nous allons analyser
preacutesente un caractegravere particulier en ce sens ougrave elle
est exceptionnelle du fait qursquoelle est initieacutee agrave lrsquoins-
tigation du cheikh garant de la morale religieuse
et de la tradition Lrsquoeacuteveacutenement que srsquoapprecircte agrave
vivre la communauteacute est grave au point de requeacute-
rir la preacutesence de tous En effet la mobilisation de
tous les jeunes gens aux cocircteacutes des Forces Allieacutees
affecte la communauteacute au plus profond drsquoelle-
mecircme si bien qursquoelle reacuteagit en faisant appel agrave
toutes les forces qui lrsquoaniment et dans une
laquo totalisation rituelle raquo4 elle fait en sorte de reve-
nir agrave une laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo 5
pour reacuteactiver la cosmogonie Aussi peut-elle ecirctre
agrave mecircme de conjurer la mort et le malheur
laquo Que les femmes aillent ce soir agrave la fontaine comme
aux jours de fecircte Le cheikh pensait ainsi exorciser le
malheur (lt) Degraves le deacutebut de lrsquoapregraves-midi commenccedila
le deacutefileacute chatoyant des femmes jeunes et vieilles belles
ou laides vers la fontaine Il nrsquoy en avait jamais tant
eu parce qursquoil fallait tout ce nombre pour eacutecarter la me-
nace raquo6
Les frontiegraveres entre les interdits srsquoeffacent
Toutes les jeunes forces macircles du corps social sont
convoqueacutees pour se conjoindre par lrsquoesprit agrave leurs
homologues femelles qursquoils admirent sous le re-
gard jadis farouche des gardiens de la tradition
devenus complices7 le temps que srsquoaccomplisse la
cosmogonie Aussi la sehdja va-t-elle favoriser lrsquoac-
complissement de cette opeacuteration au cours de la-
quelle a lieu la transformation psychique en dyna-
mique sensuelle les jeunes gens qui se sont repu
rempli les yeux du spectacle des plus belles
femmes durant ces moments vespeacuteraux auront agrave
eacutevacuer cette eacutenergie psychique et agrave la transfor-
mer en dynamique sexuelle La sehdja avec son
La mise en repreacutesentation de la culture
populaire dans laquo La Colline oublieacutee raquo de Mouloud Mammeri
BETOUCHE Aiumlni et BOUKHELOU Fatima-Deacutepartement de Franccedilais Faculteacute des Lettres et
des Langues Universiteacute Mouloud Mammeri Tizi
Ouzou Algeacuterie
Publieacutee en 1952 aux eacuteditions Plon La Colline
oublieacutee de Mouloud Mammeri met en repreacutesenta-
tion un univers primordial que meuvent et pro-
meuvent des rituels et des traditions plusieurs fois
seacuteculaires Il srsquoagit dans la preacutesente communica-
tion de deacutemontrer en quoi les rituels festifs tels
que la sehdja et la hadra constituent des formes po-
pulaires fortement impreacutegneacutees de Sacreacute favorisant
la structuration de la communauteacute tout en lui eacutevi-
tant toute deacutesinteacutegration En effet toute commu-
nauteacute se reacutegeacutenegravere et perdure gracircce agrave la coexistence
des deux dimensions que sont la dimension apolli-
nienne repreacutesentant la structure drsquoen haut et la di-
mension dionysiaque ou champecirctre repreacutesentant
la structure drsquoen bas incarneacutee dans La Colline ou-
blieacutee par la figure androgyne de Mouh le berger
La combinaison des deux dimensions sus-citeacutees
garantit la coheacutesion de tous les eacuteleacutements laquo socieacutetaux
contradictoriels raquo1 en preacutesence La structure sur-
plombante supporte de se laisser porter par la
structure drsquoen bas Ainsi lorsque lrsquoapollinien en
vient agrave srsquoaffaiblir la reacuteactivation de la dialectique
des deux dimensions se sous-tendant rentre en
action pour redynamiser lrsquoeacutelan jubilatoire La
structure apollinienne en appelle agrave lrsquoirruption des
forces souterraines qui srsquooriginent au sein mecircme
de la laquo socialiteacute inteacuterieure raquo2 Une fois convoqueacutees
ces forces entrent en lice pour restaurer la cosmo-
gonie
Nous allons deacutemontrer que la sehdja et la hadra
qui constituent pour reprendre Michel Maffesoli
des formes eupheacutemiseacutees de lrsquoorgiasme sont omni-
preacutesentes dans La Colline oublieacutee et partant dans la
socieacuteteacute berbegravere traditionnelle qursquoelles sont convo-
queacutees et veacutecues chaque fois que le corps social res-
sent le besoin de se reacutegeacuteneacuterer En effet la reacutegeacuteneacute-
ration drsquoun ordre socieacutetal ainsi que la perdurance
de sa vitaliteacute reacutesultent de lrsquoinversion des
rocircles laquo En mimant le deacutesordre et le chaos au travers
5
substrat eacuterotique est une maniegravere de rappeler
lrsquointime liaison de la vie et de la mort de conjurer
celle-ci et drsquoexsuder lrsquoeacuteros La sehdja reacuteeacutequilibre
les deux dimensions ouvre les possibiliteacutes et al-
legravege les contraintes sociales crsquoest un vecteur de
puissance de dynamisme et drsquoeffervescence in-
dispensable agrave lrsquoeacutequilibre individuel et socieacutetal La
sehdja culbute lrsquoinstitueacute par trop mortifegravere
laquo Quelque chose vraiment eacutetait changeacute dans Tasga
Pour voir passer le long cortegravege nous eacutetions lagrave tous les
jeunes du village agrave la fois ceux de la bande et ceux de
Taasast assis en file sur les dalles de schiste de la place
des Ormes (lt) Les autres descendirent sur lrsquoaire
pour une sehdja qui devait ecirctre pour moi la derniegravere Je
ne crois pas que jrsquooublierai jamais cette nuit dont
notre longue attente sur les dalles froides de la place ne
fut que le silencieux preacutelude raquo8
La conjonction des deux univers a lieu agrave la fa-
veur de la nuit agrave mecircme lrsquoaire - laquelle constitue
lrsquoassise le nid et reacutefegravere aux profondeurs abys-
sales Ainsi crsquoest de ce creuset de la chaleur
qursquoest le centre du monde et partant de lrsquoeacutener-
gie9 que sourd la passion souterraine et profonde
qui vient irradier le monde de la surface laquo Comme
une preacutesence obscure mais qui nrsquoen est pas moins reacute-
elle elle sous-tend toutes les situations et les repreacutesen-
tations qui se donnent agrave voirraquo10 Cette force abyssale
vient alors ressourcer et renflouer le monde de la
surface Tel est le rocircle de la sehdja meneacutee par
Mouh le berger qui agit agrave lrsquoimage de son dieu
tuteacutelaire Dionysos laquo lrsquoindiviseacute raquo avec la participa-
tion de tous les jeunes bergers laquo venus nombreux se
joindre sur lrsquoaire raquo et conjoindre les forces diony-
siaques en preacutesence surdeacutetermineacutees eacutevoqueacutees par
laquo les champs de figuiers drsquoalentour raquo11
Le figuier eacutetant dans la mythologie grecque et
latine12 lrsquoarbre de DionysosPriape lrsquoon infegravere
qursquoil srsquoagit bien drsquoune opeacuteration de reacutegeacuteneacuteration
des forces apolliniennes deacutegeacuteneacuterescentes par
lrsquoimpulsion de forces contradictorielles et reacutegeacuteneacute-
ratrices Ainsi que le souligne Michel Maffesoli
laquo lrsquoorgiasme est bien une plurialiteacute conjointe raquo13 ce
sont donc les diverses composantes de lrsquoagreacutega-
tion humaine constituant la structure anthropolo-
gique qui sont solliciteacutees pour assurer dans la
laquo synarchie raquo - ce principe drsquoordre- la coheacuterence
et lrsquoeacutequilibre de cette agreacutegation La plurialiteacute
dans la confusion revigore un corps social qui en
perte de force risque de srsquoaneacutemier Pareille
aneacutemie est en lrsquooccurrence eacutevoqueacutee par les
laquo dalles froides de la place raquo lesquelles vont pouvoir
ecirctre reacutechauffeacutees gracircce au feu nouveau allumeacute par
les jeunes un feu sexualiseacute qui ne meurt pas se-
lon Bachelard en effet laquo Le feu reacutenoveacute retrouve sa
neacutecessiteacute geacuteneacutetique raquo14 Les meacutetaphores fileacutees de la
reacutegeacuteneacuteration de la terre feacutecondeacutee mettent lrsquoaccent
sur cette confusion eacutevocatrice de deacutebridement or-
giastique
Lrsquoensemble des jeunes du village aideacutes par les
bergers des alentours procegravedent agrave la co-re-creacuteation
du monde agrave lrsquoinstauration de la confusion pri-
mordiale Ils miment cette derniegravere en y apportant
leurs forces paroxystiques dans une alliance de
fougues toutes neuves Lrsquoaire qui reacutefegravere agrave la
Grande Megravere agrave la terre - geacutenitrix est violemment
caresseacutee doucement violenteacutee par ces jeunes
dieux pleins de vitaliteacute qui laquo deacutebordent les champs
de figuiers drsquoalentour raquo crsquoest de la sorte que srsquoins-
taurent la co-union et la comm-union des ecirctres et du
cosmos Le deacutebordement atteint son comble par la
danse qui deacuteroule ses eacutevolutions agrave proximiteacute des
flammes crsquoest une danse tour agrave tour lente et vio-
lente langoureuse voluptueuse et passionneacutee qui
srsquoengregravene dans un deacutechaicircnement extatique Ces
treacutepidations et treacutepignements collectifs agrave la lueur
du feu annoncent le renouvellement laquo Le feu
suggegravere le deacutesir de changer de brusquer le temps
de porter toute la vie agrave son terme agrave son au-
delagrave raquo15 Lrsquoeacuteleacutement igneacute fortement sexualiseacute sur-
deacutetermine le symbolisme de la scegravene et lui precircte
un caractegravere des plus orgiastiques
Les pieds treacutepidants et freacuteneacutetiques - analogons
phalliques- battant la terre-megravere confegraverent agrave la
scegravene un aspect drsquoautant plus surreacuteel et mystique
que lrsquoopeacuteration suggegravere une peacuteneacutetration dans
lrsquointeacuterioriteacute intime de la substance drsquoune subs-
tance saisie dans sa profondeur et dans sa puis-
sance geacuteneacutesique De telles images renforcent la
surreacutealiteacute et la cosmiciteacute de lrsquoopeacuteration cultuelle
Le monde ancien et moribond dont les forces deacute-
clinent et vont srsquoaffaissant se trouve ainsi suppleacuteeacute
par un autre juveacutenile plein de segraveve et de robus-
tesse Les puissances chtoniennes viennent res-
sourcer les forces apolliniennes Ce sont lagrave des
images de la reacuteinteacutegration de la totaliteacute primor-
diale
laquo Pour un soir cependant il redevint le Mouh
6
qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand
feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-
daient vaguement semblable au sorcier de quelque
peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour
agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait
ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La
flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-
sible raquo 16
Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos
doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-
jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-
sordre des passions provoque le resurgissement
drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les
laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au
sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere
cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort
drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses
forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-
veloppa dans les pans amples de son burnous et sans
rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans
un coin contre un frecircne comme pour attendre que le
dieu doucement le quittacirct raquo19
Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute
deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle
se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave
lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit
comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-
datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-
mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui
garantit la continuiteacute du monde en unissant les
puissances chtoniennes et le monde de la surface
Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous
comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun
animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea
Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni
le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est
consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant
de la condition profane Mouh est en mesure
drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme
par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la
naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-
sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres
ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere
chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces
images du berger avec ses eacutevolutions repti-
liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-
sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent
la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des
oppositions survenant au terme de toute
opeacuteration rituelle de ce genre23
Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie
alchimique le serpent est la base de toute Œuvre
selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-
rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner
naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au
terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son
burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole
celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte
cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25
srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans
la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-
tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-
gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus
bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-
logues rendent plus congruent se renforce le deacute-
chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-
deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil
deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation
Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-
cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En
deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non
de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son
acceptation et de son inteacutegration si dissemblable
et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-
elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son
harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit
drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-
culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-
veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-
tinuiteacute
Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-
faite de ce que peut apporter un comportement
aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi
puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest
lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la
flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-
pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave
lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-
nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-
neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-
jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-
tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en
lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-
liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-
sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de
la culture berbegravere elle incarne cette force pro-
fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps
social gracircce agrave un pluralisme passionnel
7
pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-
tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de
la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur
mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve
La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme
Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-
diennes sous des modulations diverses la hadra
est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de
lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de
cette immense reacuteserve de forces souterraines se-
cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-
ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-
giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-
existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28
constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la
socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux
eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo
tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses
puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi
le passage suivant vient-il mettre en exergue la
preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-
tique au sein de la culture populaire Cette dimen-
sion semblant constituer le substrat qui fonde
cette culture sous-tend de la sorte la structure so-
cieacutetale
Lrsquoactivation de cette dimension est mise en
branle aux moments les plus cruciaux auxquels
peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication
que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-
proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan
initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-
tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence
rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-
rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui
que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre
-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de
lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-
der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-
rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-
tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-
nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion
de vie de lrsquoensemble
laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit
geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)
une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de
la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-
bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse
vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes
parce que toutes baissaient la tecircte La musique
continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-
chaicircneacuteelt raquo30
La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans
la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration
drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-
vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-
compagnement agrave cette con-fusion des esprits et
des corps brouillant les limites et effaccedilant les
barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet
et favorise laquo le renversement des comportements
qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-
fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en
œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-
complisse et que les participants srsquoy adonnent
dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la
laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue
et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33
au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les
femmes reacuteunies agrave cet effet
laquo Dans chaque coin des hommes des femmes
eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-
vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un
second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave
la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de
becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se
tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes
des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-
lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces
sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras
formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes
steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34
Nous avons lagrave une union double un andro-
gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux
jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de
deux maniegraveres compleacutementaires et duelles
comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et
provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse
et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-
ciences et des inconscients est une comm-union
Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute
communion des consciences sous quelques espegraveces
qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le
travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie
symbolique -de ces femmes mimant les
hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-
tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36
8
Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-
geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes
aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect
orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se
trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore
fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes
fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-
bir la hadra raquo sont effectivement passives elles
sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-
vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave
nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient
laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se
faisant labourer par les analogons phalliques des
danseurs fougueux sautant de toutes leurs
forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-
sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes
steacuteriles raquo
Le redoublement de toutes les forces conju-
gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi
dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-
plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-
siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement
est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des
rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des
forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-
sement sans cesse renouveleacute
laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux
de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait
deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-
tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force
bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie
Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-
pue dans les cocirctes raquo37
La multiplication des forces est justement ren-
due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-
sances cosmiques animales instrumentales ani-
meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons
geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-
brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-
lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent
les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie
ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal
chaos La communion de tous advient par deacute-
chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-
jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere
alors pleinement pour impulser la flamme du
renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette
dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-
reacute par la culture drsquoen haut
lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-
feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi
lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente
drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes
deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun
pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans
son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux
normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement
que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait
pas seulement sur un moralisme rigide qui se
trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon
un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation
ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique
de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-
teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de
contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement
salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un
contrepoids aux forces surplombantes
eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-
clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee
dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-
teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient
Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme
cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-
duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant
un pronostic normal de survie et non condam-
neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee
drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42
La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute
sont neacutecessaires et requises au maintien de la
coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout
en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines
limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute
court le risque de voir ses composantes se deacuteliter
et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons
de le voir un social monolithique ougrave ne domine-
rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave
connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses
forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport
contradictoriel puissant la dimension diony-
siaque apporte la contradiction et constitue un
contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-
sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-
nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-
teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous
venons de voir constituent les deux pocircles de la
culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La
Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par
des principes de rigueur et de productivisme La
seconde est la dimension dionysiaque que avons
9
analyseacutee
Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-
taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et
laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-
teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se
poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-
teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la
forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-
teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se
trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue
Cette synergie se manifeste dans les rapports
mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux
aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la
mort au monde Nous venons de voir aussi que
les rapports sociaux sont des rapports animeacutes
par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-
fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien
Il y a en outre recentrement de ces rapports sur
ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-
ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de
lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune
maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-
vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute
avec les autres preacutedomine sur tout le reste et
lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-
tion
Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-
lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et
lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-
laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-
vante Ces deux dimensions essentielles bien
que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-
renniteacute de la vie et de la survie de cette culture
Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et
entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre
mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun
par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-
tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait
elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle
se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-
cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-
niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement
particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument
universelles
Bibliographie
Corpus
MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris
Plon 1952
Ouvrages theacuteoriques
- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu
Paris Librairie Gallimard 1949
- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll
Gautier 1980
- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques
de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-
rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969
- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes
reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug
coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996
- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la
vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-
ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo
2003
- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-
tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre
Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978
- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne
Paris Gallimard 1962
- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris
Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985
- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences
Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990
- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour
une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-
dition Descleacutee de Brouwer 1998
- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars
de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table
Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-
begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture
savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger
Tala 1989
1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in
LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck
et Cie 1985 p 126
2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-
ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-
cleacutee de Brouwer 1998 p 13
3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon
1990 p 19
10
x
4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris
Gallimard 1962 p 140
5 Ibidem
6 La Colline Oublieacutee op cit p 94
7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils
savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer
les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee
8 La Colline oublieacutee op cit p94
9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers
srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur
lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-
tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94
12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-
gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli
LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124
13 Ibid p 140
14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-
mard 1949 p 76
15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit
p 35
16 La Colline Oublieacutee op cit p 95
17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27
18 La Colline Oublieacutee op cit p 94
19 La Colline Oublieacutee op cit p 95
20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63
21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-
das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147
25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples
de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla
srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour
attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-
blieacutee p 95
26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes
gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers
et Jupiter Paris 1973 p 361
27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144
28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-
phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141
29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130
30 La Colline Oublieacutee op cit p 90
31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
32 Ibidem
33 Ibidem
34 La Colline Oublieacutee op cit p 90
35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie
religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses
universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575
36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
37 La Colline Oublieacutee op cit p 90
38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit
p 140
39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90
40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-
niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-
cue op cit p 209
41 Ibidem
42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis
par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157
11
Agrave propos de quelques eacuteleacutements
de la culture populaire beacuteti (Cameroun)
dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo
EVOUNG FOUDA Jean Bernard
Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de
franccedilais
Introduction
Dans la classification des diffeacuterents types
drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-
dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-
miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture
folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les
usages et les traditions populaires Richard Lau-
rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit
laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts
des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-
tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des
faits des comportements que lrsquoon juge amusants et
pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave
lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique
courante de la culture raquo1
Dans ce sens la culture populaire renverrait
donc agrave la pratique courante de la culture avec ce
que cela comporte comme habitudes croyances
comportements conceptions de la vie et des pheacute-
nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-
blic des pratiques des comportements ainsi que
certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans
le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin
drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre
reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave
la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-
tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et
continuiteacutes entre le monde des vivants et celui
des morts dans cet univers agrave la pratique de la
palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-
son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-
rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile
de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en
question
Le poseacute
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps
chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave
bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un
autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait
donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait
dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana
Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu
un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique
et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-
tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-
nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-
tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-
tions originales Il paraicirct mecircme donner forme
corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan
scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription
qui au regard du ton de la ponctuation de la
forme mecircme de ses vers respecte les aspects de
lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors
permis aux chercheurs et universitaires camerou-
nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu
agrave une publication scientifique2
Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere
de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant
sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee
peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les
litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc
Raison pour laquelle nous y revenons Sur le
fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono
Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et
Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un
homme qui aimait beaucoup les femmes au
point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui
eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et
va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre
pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par
conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il
continuera agrave aimer cette femme Son mari va
chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide
amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-
nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-
couvre la santeacute
Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert
Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee
font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-
mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-
zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
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- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
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et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
3
celui qursquoil avait pu observer au Maroc ou en
Inde En effet tout lecteur de la riche litteacuterature
consacreacutee agrave la deacutecouverte des cultures drsquoAfrique
et du Maghreb durant lrsquoegravere des Empires mais
aussi bien des reacutecits postcoloniaux ne peut
qursquoecirctre frappeacute par lrsquoimportance drsquoun thegraveme
transversal celui de lrsquoexpression des cultures
vernaculaires autrement dit du vaste continent
de lrsquooraliteacute des contes et leacutegendes des pratiques
rituelles et magiques des religiositeacutes en dehors
mecircme des formes plus savantes de la culture
celles que leacutegitiment Ecoles institutions offi-
cielles orthodoxies religieuses universiteacutes pour
lrsquoessentiel dans le cadre drsquoune civilisation du
livre et de lrsquoeacutecrit
Pourtant Chevrillon nest peut-ecirctre que lan-
nonciateur de lrsquoentreacutee en scegravene des eacutecrivains
maghreacutebins et africains et la maniegravere nouvelle
dont ils voudront exprimer agrave partir drsquoune expeacute-
rience veacutecue et non plus exteacuterieure ces cultures
diverses La probleacutematique de lrsquoidentiteacute cultu-
relle drsquoautant plus centrale que lrsquoon se rapproche
de lrsquoegravere des Indeacutependances De Mohamed Dib agrave
Tahar Ben Jelloun ou Mohamed Choukri drsquoAma-
dou Hampateacute Bacirc agrave Leacuteopold Sedar Senghor et
Aminata Sow Fall la culture populaire occupe
une place essentielle dans la creacuteation franco-
phone Elle est bien sucircr au cœur du mouvement
de la neacutegritude et de son deacutesir de donner une
leacutegitimiteacute nouvelle agrave la poeacutesie orale aux mytho-
logies et cosmogonies traditionnelles Au
Maghreb comme en Afrique noire dans des con-
textes certes diffeacuterents on assiste agrave un mecircme
mouvement profond de releacutegitimation de relec-
ture et de litteacuterarisation des croyances anciennes
bien qursquoelles puissent nourrir des visions antago-
nistes drsquoune vision romantique relevant avant
la lettre du reacutealisme magique agrave la critique radi-
cale de la superstition et la remise en cause des
mondes illusoires dont griots et traditionnistes
tissent la leacutegende (Amadou Kourouma Yambo
Ouologuem)
lt Cultures populaires dans les litteacuteratures de legravere
coloniale nous demandions-nous agrave lorigine lt
Pour finalement nous apercevoir que ces litteacutera-
tures finissent par se meacutetamorphoser complegravete-
ment reacuteciproquement et agrave se transformer dans la
fameuse litteacuterature du Tout-Monde que procircnait
Eacutedouard Glissant laquo Les auteurs qui eacutecrivent en
franccedilais proviennent des cinq continents no-
tamment de lrsquoAfrique et mecircme des pays outre-
espace francophone Crsquoest drsquoailleurs pour cette
raison qursquoils pensent qursquoil nrsquoest plus pertinent de
parler de laquo litteacuterature francophone raquo Il faut plutocirct
parler de laquo Litteacuterature-monde raquo1 pour faire ressor-
tir lrsquoeacuteclatement des frontiegraveres de lrsquoespace fran-
cophone par cette litteacuterature raquo Dont acte
Notre Courrier de la SIELEC ndeg 10 preacutesente non
en double publication mais en avant-premiegravere
les quatre articles de cinq contributeurs du col-
loque La Repreacutesentation des cultures populaires dans
les litteacuteratures de lrsquoegravere coloniale (dont les actes vont
paraicirctre prochainement au Maroc) Aiumlni Be-
touche Fatima Bouhkelou Denise Brahimi Jean
-Bernard Evoung Fouda et Rachid Zaouri La
seacutelection de la SIELEC nrsquoest qursquoun panel forceacute-
ment limiteacute baseacute sur une recherche de diversiteacute
caracteacuteristique Les articles non retenus sont
drsquoaussi bonne qualiteacute Les auteurs le compren-
dront Mais il fallait faire un choix sachant que la
totaliteacute sera bientocirct disponible
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacutehension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc dof-frir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et multiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seulement en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des informations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire excep-tionnel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacute-cialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
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de la confusion des corps le mystegravere dionysiaque
fonde peacuteriodiquement un ordre nouveau il souligne
aussi la preacuteeacuteminence du collectif sur lrsquoindividualisme
et son correacutelat rationnel qursquoest le social raquo3
La sehdja
La sehdja est lrsquoune des formes la moins orgias-
tique des deux Peacuteriodiquement ceacuteleacutebreacutee par les
jeunes gens exclusivement masculins avec toute-
fois la preacutesence feacutemininemasculine de Mou lrsquoAn-
drogyne la sehdja favorise la reacutegulation du trop
plein de lrsquoeacutenergie pulsionnelle qursquoelle exteacuteriorise
et canalise La ceacutereacutemonie que nous allons analyser
preacutesente un caractegravere particulier en ce sens ougrave elle
est exceptionnelle du fait qursquoelle est initieacutee agrave lrsquoins-
tigation du cheikh garant de la morale religieuse
et de la tradition Lrsquoeacuteveacutenement que srsquoapprecircte agrave
vivre la communauteacute est grave au point de requeacute-
rir la preacutesence de tous En effet la mobilisation de
tous les jeunes gens aux cocircteacutes des Forces Allieacutees
affecte la communauteacute au plus profond drsquoelle-
mecircme si bien qursquoelle reacuteagit en faisant appel agrave
toutes les forces qui lrsquoaniment et dans une
laquo totalisation rituelle raquo4 elle fait en sorte de reve-
nir agrave une laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo 5
pour reacuteactiver la cosmogonie Aussi peut-elle ecirctre
agrave mecircme de conjurer la mort et le malheur
laquo Que les femmes aillent ce soir agrave la fontaine comme
aux jours de fecircte Le cheikh pensait ainsi exorciser le
malheur (lt) Degraves le deacutebut de lrsquoapregraves-midi commenccedila
le deacutefileacute chatoyant des femmes jeunes et vieilles belles
ou laides vers la fontaine Il nrsquoy en avait jamais tant
eu parce qursquoil fallait tout ce nombre pour eacutecarter la me-
nace raquo6
Les frontiegraveres entre les interdits srsquoeffacent
Toutes les jeunes forces macircles du corps social sont
convoqueacutees pour se conjoindre par lrsquoesprit agrave leurs
homologues femelles qursquoils admirent sous le re-
gard jadis farouche des gardiens de la tradition
devenus complices7 le temps que srsquoaccomplisse la
cosmogonie Aussi la sehdja va-t-elle favoriser lrsquoac-
complissement de cette opeacuteration au cours de la-
quelle a lieu la transformation psychique en dyna-
mique sensuelle les jeunes gens qui se sont repu
rempli les yeux du spectacle des plus belles
femmes durant ces moments vespeacuteraux auront agrave
eacutevacuer cette eacutenergie psychique et agrave la transfor-
mer en dynamique sexuelle La sehdja avec son
La mise en repreacutesentation de la culture
populaire dans laquo La Colline oublieacutee raquo de Mouloud Mammeri
BETOUCHE Aiumlni et BOUKHELOU Fatima-Deacutepartement de Franccedilais Faculteacute des Lettres et
des Langues Universiteacute Mouloud Mammeri Tizi
Ouzou Algeacuterie
Publieacutee en 1952 aux eacuteditions Plon La Colline
oublieacutee de Mouloud Mammeri met en repreacutesenta-
tion un univers primordial que meuvent et pro-
meuvent des rituels et des traditions plusieurs fois
seacuteculaires Il srsquoagit dans la preacutesente communica-
tion de deacutemontrer en quoi les rituels festifs tels
que la sehdja et la hadra constituent des formes po-
pulaires fortement impreacutegneacutees de Sacreacute favorisant
la structuration de la communauteacute tout en lui eacutevi-
tant toute deacutesinteacutegration En effet toute commu-
nauteacute se reacutegeacutenegravere et perdure gracircce agrave la coexistence
des deux dimensions que sont la dimension apolli-
nienne repreacutesentant la structure drsquoen haut et la di-
mension dionysiaque ou champecirctre repreacutesentant
la structure drsquoen bas incarneacutee dans La Colline ou-
blieacutee par la figure androgyne de Mouh le berger
La combinaison des deux dimensions sus-citeacutees
garantit la coheacutesion de tous les eacuteleacutements laquo socieacutetaux
contradictoriels raquo1 en preacutesence La structure sur-
plombante supporte de se laisser porter par la
structure drsquoen bas Ainsi lorsque lrsquoapollinien en
vient agrave srsquoaffaiblir la reacuteactivation de la dialectique
des deux dimensions se sous-tendant rentre en
action pour redynamiser lrsquoeacutelan jubilatoire La
structure apollinienne en appelle agrave lrsquoirruption des
forces souterraines qui srsquooriginent au sein mecircme
de la laquo socialiteacute inteacuterieure raquo2 Une fois convoqueacutees
ces forces entrent en lice pour restaurer la cosmo-
gonie
Nous allons deacutemontrer que la sehdja et la hadra
qui constituent pour reprendre Michel Maffesoli
des formes eupheacutemiseacutees de lrsquoorgiasme sont omni-
preacutesentes dans La Colline oublieacutee et partant dans la
socieacuteteacute berbegravere traditionnelle qursquoelles sont convo-
queacutees et veacutecues chaque fois que le corps social res-
sent le besoin de se reacutegeacuteneacuterer En effet la reacutegeacuteneacute-
ration drsquoun ordre socieacutetal ainsi que la perdurance
de sa vitaliteacute reacutesultent de lrsquoinversion des
rocircles laquo En mimant le deacutesordre et le chaos au travers
5
substrat eacuterotique est une maniegravere de rappeler
lrsquointime liaison de la vie et de la mort de conjurer
celle-ci et drsquoexsuder lrsquoeacuteros La sehdja reacuteeacutequilibre
les deux dimensions ouvre les possibiliteacutes et al-
legravege les contraintes sociales crsquoest un vecteur de
puissance de dynamisme et drsquoeffervescence in-
dispensable agrave lrsquoeacutequilibre individuel et socieacutetal La
sehdja culbute lrsquoinstitueacute par trop mortifegravere
laquo Quelque chose vraiment eacutetait changeacute dans Tasga
Pour voir passer le long cortegravege nous eacutetions lagrave tous les
jeunes du village agrave la fois ceux de la bande et ceux de
Taasast assis en file sur les dalles de schiste de la place
des Ormes (lt) Les autres descendirent sur lrsquoaire
pour une sehdja qui devait ecirctre pour moi la derniegravere Je
ne crois pas que jrsquooublierai jamais cette nuit dont
notre longue attente sur les dalles froides de la place ne
fut que le silencieux preacutelude raquo8
La conjonction des deux univers a lieu agrave la fa-
veur de la nuit agrave mecircme lrsquoaire - laquelle constitue
lrsquoassise le nid et reacutefegravere aux profondeurs abys-
sales Ainsi crsquoest de ce creuset de la chaleur
qursquoest le centre du monde et partant de lrsquoeacutener-
gie9 que sourd la passion souterraine et profonde
qui vient irradier le monde de la surface laquo Comme
une preacutesence obscure mais qui nrsquoen est pas moins reacute-
elle elle sous-tend toutes les situations et les repreacutesen-
tations qui se donnent agrave voirraquo10 Cette force abyssale
vient alors ressourcer et renflouer le monde de la
surface Tel est le rocircle de la sehdja meneacutee par
Mouh le berger qui agit agrave lrsquoimage de son dieu
tuteacutelaire Dionysos laquo lrsquoindiviseacute raquo avec la participa-
tion de tous les jeunes bergers laquo venus nombreux se
joindre sur lrsquoaire raquo et conjoindre les forces diony-
siaques en preacutesence surdeacutetermineacutees eacutevoqueacutees par
laquo les champs de figuiers drsquoalentour raquo11
Le figuier eacutetant dans la mythologie grecque et
latine12 lrsquoarbre de DionysosPriape lrsquoon infegravere
qursquoil srsquoagit bien drsquoune opeacuteration de reacutegeacuteneacuteration
des forces apolliniennes deacutegeacuteneacuterescentes par
lrsquoimpulsion de forces contradictorielles et reacutegeacuteneacute-
ratrices Ainsi que le souligne Michel Maffesoli
laquo lrsquoorgiasme est bien une plurialiteacute conjointe raquo13 ce
sont donc les diverses composantes de lrsquoagreacutega-
tion humaine constituant la structure anthropolo-
gique qui sont solliciteacutees pour assurer dans la
laquo synarchie raquo - ce principe drsquoordre- la coheacuterence
et lrsquoeacutequilibre de cette agreacutegation La plurialiteacute
dans la confusion revigore un corps social qui en
perte de force risque de srsquoaneacutemier Pareille
aneacutemie est en lrsquooccurrence eacutevoqueacutee par les
laquo dalles froides de la place raquo lesquelles vont pouvoir
ecirctre reacutechauffeacutees gracircce au feu nouveau allumeacute par
les jeunes un feu sexualiseacute qui ne meurt pas se-
lon Bachelard en effet laquo Le feu reacutenoveacute retrouve sa
neacutecessiteacute geacuteneacutetique raquo14 Les meacutetaphores fileacutees de la
reacutegeacuteneacuteration de la terre feacutecondeacutee mettent lrsquoaccent
sur cette confusion eacutevocatrice de deacutebridement or-
giastique
Lrsquoensemble des jeunes du village aideacutes par les
bergers des alentours procegravedent agrave la co-re-creacuteation
du monde agrave lrsquoinstauration de la confusion pri-
mordiale Ils miment cette derniegravere en y apportant
leurs forces paroxystiques dans une alliance de
fougues toutes neuves Lrsquoaire qui reacutefegravere agrave la
Grande Megravere agrave la terre - geacutenitrix est violemment
caresseacutee doucement violenteacutee par ces jeunes
dieux pleins de vitaliteacute qui laquo deacutebordent les champs
de figuiers drsquoalentour raquo crsquoest de la sorte que srsquoins-
taurent la co-union et la comm-union des ecirctres et du
cosmos Le deacutebordement atteint son comble par la
danse qui deacuteroule ses eacutevolutions agrave proximiteacute des
flammes crsquoest une danse tour agrave tour lente et vio-
lente langoureuse voluptueuse et passionneacutee qui
srsquoengregravene dans un deacutechaicircnement extatique Ces
treacutepidations et treacutepignements collectifs agrave la lueur
du feu annoncent le renouvellement laquo Le feu
suggegravere le deacutesir de changer de brusquer le temps
de porter toute la vie agrave son terme agrave son au-
delagrave raquo15 Lrsquoeacuteleacutement igneacute fortement sexualiseacute sur-
deacutetermine le symbolisme de la scegravene et lui precircte
un caractegravere des plus orgiastiques
Les pieds treacutepidants et freacuteneacutetiques - analogons
phalliques- battant la terre-megravere confegraverent agrave la
scegravene un aspect drsquoautant plus surreacuteel et mystique
que lrsquoopeacuteration suggegravere une peacuteneacutetration dans
lrsquointeacuterioriteacute intime de la substance drsquoune subs-
tance saisie dans sa profondeur et dans sa puis-
sance geacuteneacutesique De telles images renforcent la
surreacutealiteacute et la cosmiciteacute de lrsquoopeacuteration cultuelle
Le monde ancien et moribond dont les forces deacute-
clinent et vont srsquoaffaissant se trouve ainsi suppleacuteeacute
par un autre juveacutenile plein de segraveve et de robus-
tesse Les puissances chtoniennes viennent res-
sourcer les forces apolliniennes Ce sont lagrave des
images de la reacuteinteacutegration de la totaliteacute primor-
diale
laquo Pour un soir cependant il redevint le Mouh
6
qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand
feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-
daient vaguement semblable au sorcier de quelque
peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour
agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait
ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La
flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-
sible raquo 16
Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos
doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-
jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-
sordre des passions provoque le resurgissement
drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les
laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au
sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere
cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort
drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses
forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-
veloppa dans les pans amples de son burnous et sans
rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans
un coin contre un frecircne comme pour attendre que le
dieu doucement le quittacirct raquo19
Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute
deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle
se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave
lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit
comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-
datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-
mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui
garantit la continuiteacute du monde en unissant les
puissances chtoniennes et le monde de la surface
Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous
comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun
animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea
Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni
le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est
consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant
de la condition profane Mouh est en mesure
drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme
par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la
naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-
sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres
ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere
chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces
images du berger avec ses eacutevolutions repti-
liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-
sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent
la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des
oppositions survenant au terme de toute
opeacuteration rituelle de ce genre23
Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie
alchimique le serpent est la base de toute Œuvre
selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-
rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner
naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au
terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son
burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole
celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte
cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25
srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans
la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-
tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-
gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus
bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-
logues rendent plus congruent se renforce le deacute-
chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-
deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil
deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation
Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-
cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En
deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non
de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son
acceptation et de son inteacutegration si dissemblable
et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-
elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son
harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit
drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-
culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-
veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-
tinuiteacute
Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-
faite de ce que peut apporter un comportement
aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi
puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest
lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la
flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-
pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave
lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-
nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-
neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-
jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-
tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en
lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-
liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-
sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de
la culture berbegravere elle incarne cette force pro-
fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps
social gracircce agrave un pluralisme passionnel
7
pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-
tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de
la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur
mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve
La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme
Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-
diennes sous des modulations diverses la hadra
est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de
lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de
cette immense reacuteserve de forces souterraines se-
cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-
ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-
giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-
existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28
constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la
socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux
eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo
tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses
puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi
le passage suivant vient-il mettre en exergue la
preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-
tique au sein de la culture populaire Cette dimen-
sion semblant constituer le substrat qui fonde
cette culture sous-tend de la sorte la structure so-
cieacutetale
Lrsquoactivation de cette dimension est mise en
branle aux moments les plus cruciaux auxquels
peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication
que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-
proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan
initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-
tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence
rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-
rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui
que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre
-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de
lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-
der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-
rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-
tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-
nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion
de vie de lrsquoensemble
laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit
geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)
une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de
la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-
bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse
vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes
parce que toutes baissaient la tecircte La musique
continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-
chaicircneacuteelt raquo30
La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans
la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration
drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-
vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-
compagnement agrave cette con-fusion des esprits et
des corps brouillant les limites et effaccedilant les
barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet
et favorise laquo le renversement des comportements
qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-
fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en
œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-
complisse et que les participants srsquoy adonnent
dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la
laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue
et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33
au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les
femmes reacuteunies agrave cet effet
laquo Dans chaque coin des hommes des femmes
eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-
vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un
second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave
la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de
becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se
tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes
des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-
lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces
sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras
formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes
steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34
Nous avons lagrave une union double un andro-
gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux
jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de
deux maniegraveres compleacutementaires et duelles
comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et
provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse
et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-
ciences et des inconscients est une comm-union
Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute
communion des consciences sous quelques espegraveces
qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le
travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie
symbolique -de ces femmes mimant les
hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-
tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36
8
Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-
geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes
aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect
orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se
trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore
fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes
fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-
bir la hadra raquo sont effectivement passives elles
sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-
vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave
nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient
laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se
faisant labourer par les analogons phalliques des
danseurs fougueux sautant de toutes leurs
forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-
sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes
steacuteriles raquo
Le redoublement de toutes les forces conju-
gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi
dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-
plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-
siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement
est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des
rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des
forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-
sement sans cesse renouveleacute
laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux
de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait
deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-
tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force
bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie
Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-
pue dans les cocirctes raquo37
La multiplication des forces est justement ren-
due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-
sances cosmiques animales instrumentales ani-
meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons
geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-
brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-
lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent
les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie
ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal
chaos La communion de tous advient par deacute-
chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-
jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere
alors pleinement pour impulser la flamme du
renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette
dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-
reacute par la culture drsquoen haut
lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-
feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi
lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente
drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes
deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun
pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans
son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux
normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement
que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait
pas seulement sur un moralisme rigide qui se
trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon
un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation
ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique
de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-
teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de
contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement
salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un
contrepoids aux forces surplombantes
eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-
clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee
dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-
teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient
Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme
cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-
duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant
un pronostic normal de survie et non condam-
neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee
drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42
La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute
sont neacutecessaires et requises au maintien de la
coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout
en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines
limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute
court le risque de voir ses composantes se deacuteliter
et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons
de le voir un social monolithique ougrave ne domine-
rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave
connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses
forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport
contradictoriel puissant la dimension diony-
siaque apporte la contradiction et constitue un
contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-
sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-
nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-
teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous
venons de voir constituent les deux pocircles de la
culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La
Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par
des principes de rigueur et de productivisme La
seconde est la dimension dionysiaque que avons
9
analyseacutee
Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-
taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et
laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-
teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se
poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-
teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la
forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-
teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se
trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue
Cette synergie se manifeste dans les rapports
mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux
aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la
mort au monde Nous venons de voir aussi que
les rapports sociaux sont des rapports animeacutes
par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-
fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien
Il y a en outre recentrement de ces rapports sur
ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-
ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de
lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune
maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-
vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute
avec les autres preacutedomine sur tout le reste et
lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-
tion
Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-
lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et
lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-
laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-
vante Ces deux dimensions essentielles bien
que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-
renniteacute de la vie et de la survie de cette culture
Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et
entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre
mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun
par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-
tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait
elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle
se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-
cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-
niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement
particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument
universelles
Bibliographie
Corpus
MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris
Plon 1952
Ouvrages theacuteoriques
- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu
Paris Librairie Gallimard 1949
- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll
Gautier 1980
- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques
de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-
rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969
- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes
reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug
coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996
- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la
vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-
ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo
2003
- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-
tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre
Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978
- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne
Paris Gallimard 1962
- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris
Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985
- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences
Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990
- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour
une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-
dition Descleacutee de Brouwer 1998
- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars
de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table
Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-
begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture
savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger
Tala 1989
1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in
LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck
et Cie 1985 p 126
2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-
ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-
cleacutee de Brouwer 1998 p 13
3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon
1990 p 19
10
x
4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris
Gallimard 1962 p 140
5 Ibidem
6 La Colline Oublieacutee op cit p 94
7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils
savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer
les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee
8 La Colline oublieacutee op cit p94
9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers
srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur
lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-
tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94
12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-
gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli
LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124
13 Ibid p 140
14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-
mard 1949 p 76
15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit
p 35
16 La Colline Oublieacutee op cit p 95
17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27
18 La Colline Oublieacutee op cit p 94
19 La Colline Oublieacutee op cit p 95
20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63
21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-
das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147
25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples
de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla
srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour
attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-
blieacutee p 95
26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes
gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers
et Jupiter Paris 1973 p 361
27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144
28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-
phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141
29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130
30 La Colline Oublieacutee op cit p 90
31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
32 Ibidem
33 Ibidem
34 La Colline Oublieacutee op cit p 90
35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie
religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses
universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575
36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
37 La Colline Oublieacutee op cit p 90
38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit
p 140
39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90
40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-
niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-
cue op cit p 209
41 Ibidem
42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis
par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157
11
Agrave propos de quelques eacuteleacutements
de la culture populaire beacuteti (Cameroun)
dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo
EVOUNG FOUDA Jean Bernard
Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de
franccedilais
Introduction
Dans la classification des diffeacuterents types
drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-
dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-
miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture
folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les
usages et les traditions populaires Richard Lau-
rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit
laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts
des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-
tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des
faits des comportements que lrsquoon juge amusants et
pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave
lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique
courante de la culture raquo1
Dans ce sens la culture populaire renverrait
donc agrave la pratique courante de la culture avec ce
que cela comporte comme habitudes croyances
comportements conceptions de la vie et des pheacute-
nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-
blic des pratiques des comportements ainsi que
certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans
le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin
drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre
reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave
la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-
tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et
continuiteacutes entre le monde des vivants et celui
des morts dans cet univers agrave la pratique de la
palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-
son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-
rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile
de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en
question
Le poseacute
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps
chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave
bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un
autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait
donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait
dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana
Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu
un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique
et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-
tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-
nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-
tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-
tions originales Il paraicirct mecircme donner forme
corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan
scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription
qui au regard du ton de la ponctuation de la
forme mecircme de ses vers respecte les aspects de
lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors
permis aux chercheurs et universitaires camerou-
nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu
agrave une publication scientifique2
Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere
de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant
sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee
peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les
litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc
Raison pour laquelle nous y revenons Sur le
fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono
Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et
Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un
homme qui aimait beaucoup les femmes au
point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui
eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et
va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre
pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par
conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il
continuera agrave aimer cette femme Son mari va
chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide
amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-
nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-
couvre la santeacute
Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert
Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee
font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-
mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-
zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
4
de la confusion des corps le mystegravere dionysiaque
fonde peacuteriodiquement un ordre nouveau il souligne
aussi la preacuteeacuteminence du collectif sur lrsquoindividualisme
et son correacutelat rationnel qursquoest le social raquo3
La sehdja
La sehdja est lrsquoune des formes la moins orgias-
tique des deux Peacuteriodiquement ceacuteleacutebreacutee par les
jeunes gens exclusivement masculins avec toute-
fois la preacutesence feacutemininemasculine de Mou lrsquoAn-
drogyne la sehdja favorise la reacutegulation du trop
plein de lrsquoeacutenergie pulsionnelle qursquoelle exteacuteriorise
et canalise La ceacutereacutemonie que nous allons analyser
preacutesente un caractegravere particulier en ce sens ougrave elle
est exceptionnelle du fait qursquoelle est initieacutee agrave lrsquoins-
tigation du cheikh garant de la morale religieuse
et de la tradition Lrsquoeacuteveacutenement que srsquoapprecircte agrave
vivre la communauteacute est grave au point de requeacute-
rir la preacutesence de tous En effet la mobilisation de
tous les jeunes gens aux cocircteacutes des Forces Allieacutees
affecte la communauteacute au plus profond drsquoelle-
mecircme si bien qursquoelle reacuteagit en faisant appel agrave
toutes les forces qui lrsquoaniment et dans une
laquo totalisation rituelle raquo4 elle fait en sorte de reve-
nir agrave une laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo 5
pour reacuteactiver la cosmogonie Aussi peut-elle ecirctre
agrave mecircme de conjurer la mort et le malheur
laquo Que les femmes aillent ce soir agrave la fontaine comme
aux jours de fecircte Le cheikh pensait ainsi exorciser le
malheur (lt) Degraves le deacutebut de lrsquoapregraves-midi commenccedila
le deacutefileacute chatoyant des femmes jeunes et vieilles belles
ou laides vers la fontaine Il nrsquoy en avait jamais tant
eu parce qursquoil fallait tout ce nombre pour eacutecarter la me-
nace raquo6
Les frontiegraveres entre les interdits srsquoeffacent
Toutes les jeunes forces macircles du corps social sont
convoqueacutees pour se conjoindre par lrsquoesprit agrave leurs
homologues femelles qursquoils admirent sous le re-
gard jadis farouche des gardiens de la tradition
devenus complices7 le temps que srsquoaccomplisse la
cosmogonie Aussi la sehdja va-t-elle favoriser lrsquoac-
complissement de cette opeacuteration au cours de la-
quelle a lieu la transformation psychique en dyna-
mique sensuelle les jeunes gens qui se sont repu
rempli les yeux du spectacle des plus belles
femmes durant ces moments vespeacuteraux auront agrave
eacutevacuer cette eacutenergie psychique et agrave la transfor-
mer en dynamique sexuelle La sehdja avec son
La mise en repreacutesentation de la culture
populaire dans laquo La Colline oublieacutee raquo de Mouloud Mammeri
BETOUCHE Aiumlni et BOUKHELOU Fatima-Deacutepartement de Franccedilais Faculteacute des Lettres et
des Langues Universiteacute Mouloud Mammeri Tizi
Ouzou Algeacuterie
Publieacutee en 1952 aux eacuteditions Plon La Colline
oublieacutee de Mouloud Mammeri met en repreacutesenta-
tion un univers primordial que meuvent et pro-
meuvent des rituels et des traditions plusieurs fois
seacuteculaires Il srsquoagit dans la preacutesente communica-
tion de deacutemontrer en quoi les rituels festifs tels
que la sehdja et la hadra constituent des formes po-
pulaires fortement impreacutegneacutees de Sacreacute favorisant
la structuration de la communauteacute tout en lui eacutevi-
tant toute deacutesinteacutegration En effet toute commu-
nauteacute se reacutegeacutenegravere et perdure gracircce agrave la coexistence
des deux dimensions que sont la dimension apolli-
nienne repreacutesentant la structure drsquoen haut et la di-
mension dionysiaque ou champecirctre repreacutesentant
la structure drsquoen bas incarneacutee dans La Colline ou-
blieacutee par la figure androgyne de Mouh le berger
La combinaison des deux dimensions sus-citeacutees
garantit la coheacutesion de tous les eacuteleacutements laquo socieacutetaux
contradictoriels raquo1 en preacutesence La structure sur-
plombante supporte de se laisser porter par la
structure drsquoen bas Ainsi lorsque lrsquoapollinien en
vient agrave srsquoaffaiblir la reacuteactivation de la dialectique
des deux dimensions se sous-tendant rentre en
action pour redynamiser lrsquoeacutelan jubilatoire La
structure apollinienne en appelle agrave lrsquoirruption des
forces souterraines qui srsquooriginent au sein mecircme
de la laquo socialiteacute inteacuterieure raquo2 Une fois convoqueacutees
ces forces entrent en lice pour restaurer la cosmo-
gonie
Nous allons deacutemontrer que la sehdja et la hadra
qui constituent pour reprendre Michel Maffesoli
des formes eupheacutemiseacutees de lrsquoorgiasme sont omni-
preacutesentes dans La Colline oublieacutee et partant dans la
socieacuteteacute berbegravere traditionnelle qursquoelles sont convo-
queacutees et veacutecues chaque fois que le corps social res-
sent le besoin de se reacutegeacuteneacuterer En effet la reacutegeacuteneacute-
ration drsquoun ordre socieacutetal ainsi que la perdurance
de sa vitaliteacute reacutesultent de lrsquoinversion des
rocircles laquo En mimant le deacutesordre et le chaos au travers
5
substrat eacuterotique est une maniegravere de rappeler
lrsquointime liaison de la vie et de la mort de conjurer
celle-ci et drsquoexsuder lrsquoeacuteros La sehdja reacuteeacutequilibre
les deux dimensions ouvre les possibiliteacutes et al-
legravege les contraintes sociales crsquoest un vecteur de
puissance de dynamisme et drsquoeffervescence in-
dispensable agrave lrsquoeacutequilibre individuel et socieacutetal La
sehdja culbute lrsquoinstitueacute par trop mortifegravere
laquo Quelque chose vraiment eacutetait changeacute dans Tasga
Pour voir passer le long cortegravege nous eacutetions lagrave tous les
jeunes du village agrave la fois ceux de la bande et ceux de
Taasast assis en file sur les dalles de schiste de la place
des Ormes (lt) Les autres descendirent sur lrsquoaire
pour une sehdja qui devait ecirctre pour moi la derniegravere Je
ne crois pas que jrsquooublierai jamais cette nuit dont
notre longue attente sur les dalles froides de la place ne
fut que le silencieux preacutelude raquo8
La conjonction des deux univers a lieu agrave la fa-
veur de la nuit agrave mecircme lrsquoaire - laquelle constitue
lrsquoassise le nid et reacutefegravere aux profondeurs abys-
sales Ainsi crsquoest de ce creuset de la chaleur
qursquoest le centre du monde et partant de lrsquoeacutener-
gie9 que sourd la passion souterraine et profonde
qui vient irradier le monde de la surface laquo Comme
une preacutesence obscure mais qui nrsquoen est pas moins reacute-
elle elle sous-tend toutes les situations et les repreacutesen-
tations qui se donnent agrave voirraquo10 Cette force abyssale
vient alors ressourcer et renflouer le monde de la
surface Tel est le rocircle de la sehdja meneacutee par
Mouh le berger qui agit agrave lrsquoimage de son dieu
tuteacutelaire Dionysos laquo lrsquoindiviseacute raquo avec la participa-
tion de tous les jeunes bergers laquo venus nombreux se
joindre sur lrsquoaire raquo et conjoindre les forces diony-
siaques en preacutesence surdeacutetermineacutees eacutevoqueacutees par
laquo les champs de figuiers drsquoalentour raquo11
Le figuier eacutetant dans la mythologie grecque et
latine12 lrsquoarbre de DionysosPriape lrsquoon infegravere
qursquoil srsquoagit bien drsquoune opeacuteration de reacutegeacuteneacuteration
des forces apolliniennes deacutegeacuteneacuterescentes par
lrsquoimpulsion de forces contradictorielles et reacutegeacuteneacute-
ratrices Ainsi que le souligne Michel Maffesoli
laquo lrsquoorgiasme est bien une plurialiteacute conjointe raquo13 ce
sont donc les diverses composantes de lrsquoagreacutega-
tion humaine constituant la structure anthropolo-
gique qui sont solliciteacutees pour assurer dans la
laquo synarchie raquo - ce principe drsquoordre- la coheacuterence
et lrsquoeacutequilibre de cette agreacutegation La plurialiteacute
dans la confusion revigore un corps social qui en
perte de force risque de srsquoaneacutemier Pareille
aneacutemie est en lrsquooccurrence eacutevoqueacutee par les
laquo dalles froides de la place raquo lesquelles vont pouvoir
ecirctre reacutechauffeacutees gracircce au feu nouveau allumeacute par
les jeunes un feu sexualiseacute qui ne meurt pas se-
lon Bachelard en effet laquo Le feu reacutenoveacute retrouve sa
neacutecessiteacute geacuteneacutetique raquo14 Les meacutetaphores fileacutees de la
reacutegeacuteneacuteration de la terre feacutecondeacutee mettent lrsquoaccent
sur cette confusion eacutevocatrice de deacutebridement or-
giastique
Lrsquoensemble des jeunes du village aideacutes par les
bergers des alentours procegravedent agrave la co-re-creacuteation
du monde agrave lrsquoinstauration de la confusion pri-
mordiale Ils miment cette derniegravere en y apportant
leurs forces paroxystiques dans une alliance de
fougues toutes neuves Lrsquoaire qui reacutefegravere agrave la
Grande Megravere agrave la terre - geacutenitrix est violemment
caresseacutee doucement violenteacutee par ces jeunes
dieux pleins de vitaliteacute qui laquo deacutebordent les champs
de figuiers drsquoalentour raquo crsquoest de la sorte que srsquoins-
taurent la co-union et la comm-union des ecirctres et du
cosmos Le deacutebordement atteint son comble par la
danse qui deacuteroule ses eacutevolutions agrave proximiteacute des
flammes crsquoest une danse tour agrave tour lente et vio-
lente langoureuse voluptueuse et passionneacutee qui
srsquoengregravene dans un deacutechaicircnement extatique Ces
treacutepidations et treacutepignements collectifs agrave la lueur
du feu annoncent le renouvellement laquo Le feu
suggegravere le deacutesir de changer de brusquer le temps
de porter toute la vie agrave son terme agrave son au-
delagrave raquo15 Lrsquoeacuteleacutement igneacute fortement sexualiseacute sur-
deacutetermine le symbolisme de la scegravene et lui precircte
un caractegravere des plus orgiastiques
Les pieds treacutepidants et freacuteneacutetiques - analogons
phalliques- battant la terre-megravere confegraverent agrave la
scegravene un aspect drsquoautant plus surreacuteel et mystique
que lrsquoopeacuteration suggegravere une peacuteneacutetration dans
lrsquointeacuterioriteacute intime de la substance drsquoune subs-
tance saisie dans sa profondeur et dans sa puis-
sance geacuteneacutesique De telles images renforcent la
surreacutealiteacute et la cosmiciteacute de lrsquoopeacuteration cultuelle
Le monde ancien et moribond dont les forces deacute-
clinent et vont srsquoaffaissant se trouve ainsi suppleacuteeacute
par un autre juveacutenile plein de segraveve et de robus-
tesse Les puissances chtoniennes viennent res-
sourcer les forces apolliniennes Ce sont lagrave des
images de la reacuteinteacutegration de la totaliteacute primor-
diale
laquo Pour un soir cependant il redevint le Mouh
6
qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand
feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-
daient vaguement semblable au sorcier de quelque
peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour
agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait
ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La
flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-
sible raquo 16
Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos
doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-
jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-
sordre des passions provoque le resurgissement
drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les
laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au
sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere
cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort
drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses
forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-
veloppa dans les pans amples de son burnous et sans
rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans
un coin contre un frecircne comme pour attendre que le
dieu doucement le quittacirct raquo19
Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute
deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle
se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave
lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit
comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-
datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-
mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui
garantit la continuiteacute du monde en unissant les
puissances chtoniennes et le monde de la surface
Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous
comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun
animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea
Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni
le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est
consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant
de la condition profane Mouh est en mesure
drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme
par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la
naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-
sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres
ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere
chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces
images du berger avec ses eacutevolutions repti-
liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-
sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent
la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des
oppositions survenant au terme de toute
opeacuteration rituelle de ce genre23
Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie
alchimique le serpent est la base de toute Œuvre
selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-
rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner
naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au
terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son
burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole
celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte
cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25
srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans
la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-
tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-
gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus
bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-
logues rendent plus congruent se renforce le deacute-
chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-
deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil
deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation
Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-
cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En
deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non
de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son
acceptation et de son inteacutegration si dissemblable
et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-
elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son
harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit
drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-
culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-
veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-
tinuiteacute
Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-
faite de ce que peut apporter un comportement
aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi
puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest
lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la
flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-
pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave
lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-
nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-
neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-
jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-
tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en
lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-
liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-
sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de
la culture berbegravere elle incarne cette force pro-
fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps
social gracircce agrave un pluralisme passionnel
7
pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-
tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de
la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur
mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve
La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme
Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-
diennes sous des modulations diverses la hadra
est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de
lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de
cette immense reacuteserve de forces souterraines se-
cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-
ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-
giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-
existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28
constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la
socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux
eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo
tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses
puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi
le passage suivant vient-il mettre en exergue la
preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-
tique au sein de la culture populaire Cette dimen-
sion semblant constituer le substrat qui fonde
cette culture sous-tend de la sorte la structure so-
cieacutetale
Lrsquoactivation de cette dimension est mise en
branle aux moments les plus cruciaux auxquels
peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication
que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-
proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan
initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-
tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence
rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-
rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui
que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre
-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de
lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-
der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-
rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-
tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-
nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion
de vie de lrsquoensemble
laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit
geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)
une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de
la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-
bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse
vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes
parce que toutes baissaient la tecircte La musique
continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-
chaicircneacuteelt raquo30
La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans
la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration
drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-
vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-
compagnement agrave cette con-fusion des esprits et
des corps brouillant les limites et effaccedilant les
barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet
et favorise laquo le renversement des comportements
qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-
fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en
œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-
complisse et que les participants srsquoy adonnent
dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la
laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue
et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33
au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les
femmes reacuteunies agrave cet effet
laquo Dans chaque coin des hommes des femmes
eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-
vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un
second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave
la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de
becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se
tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes
des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-
lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces
sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras
formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes
steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34
Nous avons lagrave une union double un andro-
gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux
jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de
deux maniegraveres compleacutementaires et duelles
comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et
provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse
et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-
ciences et des inconscients est une comm-union
Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute
communion des consciences sous quelques espegraveces
qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le
travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie
symbolique -de ces femmes mimant les
hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-
tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36
8
Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-
geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes
aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect
orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se
trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore
fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes
fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-
bir la hadra raquo sont effectivement passives elles
sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-
vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave
nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient
laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se
faisant labourer par les analogons phalliques des
danseurs fougueux sautant de toutes leurs
forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-
sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes
steacuteriles raquo
Le redoublement de toutes les forces conju-
gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi
dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-
plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-
siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement
est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des
rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des
forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-
sement sans cesse renouveleacute
laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux
de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait
deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-
tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force
bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie
Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-
pue dans les cocirctes raquo37
La multiplication des forces est justement ren-
due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-
sances cosmiques animales instrumentales ani-
meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons
geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-
brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-
lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent
les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie
ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal
chaos La communion de tous advient par deacute-
chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-
jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere
alors pleinement pour impulser la flamme du
renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette
dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-
reacute par la culture drsquoen haut
lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-
feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi
lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente
drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes
deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun
pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans
son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux
normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement
que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait
pas seulement sur un moralisme rigide qui se
trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon
un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation
ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique
de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-
teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de
contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement
salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un
contrepoids aux forces surplombantes
eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-
clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee
dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-
teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient
Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme
cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-
duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant
un pronostic normal de survie et non condam-
neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee
drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42
La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute
sont neacutecessaires et requises au maintien de la
coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout
en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines
limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute
court le risque de voir ses composantes se deacuteliter
et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons
de le voir un social monolithique ougrave ne domine-
rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave
connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses
forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport
contradictoriel puissant la dimension diony-
siaque apporte la contradiction et constitue un
contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-
sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-
nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-
teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous
venons de voir constituent les deux pocircles de la
culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La
Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par
des principes de rigueur et de productivisme La
seconde est la dimension dionysiaque que avons
9
analyseacutee
Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-
taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et
laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-
teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se
poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-
teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la
forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-
teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se
trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue
Cette synergie se manifeste dans les rapports
mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux
aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la
mort au monde Nous venons de voir aussi que
les rapports sociaux sont des rapports animeacutes
par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-
fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien
Il y a en outre recentrement de ces rapports sur
ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-
ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de
lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune
maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-
vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute
avec les autres preacutedomine sur tout le reste et
lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-
tion
Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-
lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et
lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-
laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-
vante Ces deux dimensions essentielles bien
que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-
renniteacute de la vie et de la survie de cette culture
Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et
entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre
mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun
par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-
tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait
elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle
se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-
cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-
niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement
particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument
universelles
Bibliographie
Corpus
MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris
Plon 1952
Ouvrages theacuteoriques
- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu
Paris Librairie Gallimard 1949
- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll
Gautier 1980
- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques
de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-
rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969
- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes
reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug
coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996
- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la
vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-
ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo
2003
- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-
tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre
Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978
- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne
Paris Gallimard 1962
- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris
Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985
- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences
Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990
- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour
une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-
dition Descleacutee de Brouwer 1998
- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars
de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table
Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-
begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture
savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger
Tala 1989
1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in
LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck
et Cie 1985 p 126
2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-
ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-
cleacutee de Brouwer 1998 p 13
3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon
1990 p 19
10
x
4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris
Gallimard 1962 p 140
5 Ibidem
6 La Colline Oublieacutee op cit p 94
7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils
savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer
les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee
8 La Colline oublieacutee op cit p94
9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers
srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur
lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-
tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94
12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-
gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli
LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124
13 Ibid p 140
14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-
mard 1949 p 76
15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit
p 35
16 La Colline Oublieacutee op cit p 95
17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27
18 La Colline Oublieacutee op cit p 94
19 La Colline Oublieacutee op cit p 95
20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63
21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-
das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147
25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples
de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla
srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour
attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-
blieacutee p 95
26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes
gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers
et Jupiter Paris 1973 p 361
27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144
28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-
phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141
29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130
30 La Colline Oublieacutee op cit p 90
31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
32 Ibidem
33 Ibidem
34 La Colline Oublieacutee op cit p 90
35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie
religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses
universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575
36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
37 La Colline Oublieacutee op cit p 90
38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit
p 140
39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90
40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-
niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-
cue op cit p 209
41 Ibidem
42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis
par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157
11
Agrave propos de quelques eacuteleacutements
de la culture populaire beacuteti (Cameroun)
dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo
EVOUNG FOUDA Jean Bernard
Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de
franccedilais
Introduction
Dans la classification des diffeacuterents types
drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-
dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-
miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture
folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les
usages et les traditions populaires Richard Lau-
rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit
laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts
des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-
tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des
faits des comportements que lrsquoon juge amusants et
pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave
lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique
courante de la culture raquo1
Dans ce sens la culture populaire renverrait
donc agrave la pratique courante de la culture avec ce
que cela comporte comme habitudes croyances
comportements conceptions de la vie et des pheacute-
nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-
blic des pratiques des comportements ainsi que
certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans
le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin
drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre
reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave
la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-
tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et
continuiteacutes entre le monde des vivants et celui
des morts dans cet univers agrave la pratique de la
palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-
son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-
rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile
de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en
question
Le poseacute
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps
chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave
bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un
autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait
donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait
dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana
Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu
un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique
et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-
tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-
nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-
tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-
tions originales Il paraicirct mecircme donner forme
corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan
scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription
qui au regard du ton de la ponctuation de la
forme mecircme de ses vers respecte les aspects de
lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors
permis aux chercheurs et universitaires camerou-
nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu
agrave une publication scientifique2
Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere
de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant
sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee
peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les
litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc
Raison pour laquelle nous y revenons Sur le
fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono
Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et
Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un
homme qui aimait beaucoup les femmes au
point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui
eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et
va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre
pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par
conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il
continuera agrave aimer cette femme Son mari va
chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide
amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-
nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-
couvre la santeacute
Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert
Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee
font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-
mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-
zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
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Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
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7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
5
substrat eacuterotique est une maniegravere de rappeler
lrsquointime liaison de la vie et de la mort de conjurer
celle-ci et drsquoexsuder lrsquoeacuteros La sehdja reacuteeacutequilibre
les deux dimensions ouvre les possibiliteacutes et al-
legravege les contraintes sociales crsquoest un vecteur de
puissance de dynamisme et drsquoeffervescence in-
dispensable agrave lrsquoeacutequilibre individuel et socieacutetal La
sehdja culbute lrsquoinstitueacute par trop mortifegravere
laquo Quelque chose vraiment eacutetait changeacute dans Tasga
Pour voir passer le long cortegravege nous eacutetions lagrave tous les
jeunes du village agrave la fois ceux de la bande et ceux de
Taasast assis en file sur les dalles de schiste de la place
des Ormes (lt) Les autres descendirent sur lrsquoaire
pour une sehdja qui devait ecirctre pour moi la derniegravere Je
ne crois pas que jrsquooublierai jamais cette nuit dont
notre longue attente sur les dalles froides de la place ne
fut que le silencieux preacutelude raquo8
La conjonction des deux univers a lieu agrave la fa-
veur de la nuit agrave mecircme lrsquoaire - laquelle constitue
lrsquoassise le nid et reacutefegravere aux profondeurs abys-
sales Ainsi crsquoest de ce creuset de la chaleur
qursquoest le centre du monde et partant de lrsquoeacutener-
gie9 que sourd la passion souterraine et profonde
qui vient irradier le monde de la surface laquo Comme
une preacutesence obscure mais qui nrsquoen est pas moins reacute-
elle elle sous-tend toutes les situations et les repreacutesen-
tations qui se donnent agrave voirraquo10 Cette force abyssale
vient alors ressourcer et renflouer le monde de la
surface Tel est le rocircle de la sehdja meneacutee par
Mouh le berger qui agit agrave lrsquoimage de son dieu
tuteacutelaire Dionysos laquo lrsquoindiviseacute raquo avec la participa-
tion de tous les jeunes bergers laquo venus nombreux se
joindre sur lrsquoaire raquo et conjoindre les forces diony-
siaques en preacutesence surdeacutetermineacutees eacutevoqueacutees par
laquo les champs de figuiers drsquoalentour raquo11
Le figuier eacutetant dans la mythologie grecque et
latine12 lrsquoarbre de DionysosPriape lrsquoon infegravere
qursquoil srsquoagit bien drsquoune opeacuteration de reacutegeacuteneacuteration
des forces apolliniennes deacutegeacuteneacuterescentes par
lrsquoimpulsion de forces contradictorielles et reacutegeacuteneacute-
ratrices Ainsi que le souligne Michel Maffesoli
laquo lrsquoorgiasme est bien une plurialiteacute conjointe raquo13 ce
sont donc les diverses composantes de lrsquoagreacutega-
tion humaine constituant la structure anthropolo-
gique qui sont solliciteacutees pour assurer dans la
laquo synarchie raquo - ce principe drsquoordre- la coheacuterence
et lrsquoeacutequilibre de cette agreacutegation La plurialiteacute
dans la confusion revigore un corps social qui en
perte de force risque de srsquoaneacutemier Pareille
aneacutemie est en lrsquooccurrence eacutevoqueacutee par les
laquo dalles froides de la place raquo lesquelles vont pouvoir
ecirctre reacutechauffeacutees gracircce au feu nouveau allumeacute par
les jeunes un feu sexualiseacute qui ne meurt pas se-
lon Bachelard en effet laquo Le feu reacutenoveacute retrouve sa
neacutecessiteacute geacuteneacutetique raquo14 Les meacutetaphores fileacutees de la
reacutegeacuteneacuteration de la terre feacutecondeacutee mettent lrsquoaccent
sur cette confusion eacutevocatrice de deacutebridement or-
giastique
Lrsquoensemble des jeunes du village aideacutes par les
bergers des alentours procegravedent agrave la co-re-creacuteation
du monde agrave lrsquoinstauration de la confusion pri-
mordiale Ils miment cette derniegravere en y apportant
leurs forces paroxystiques dans une alliance de
fougues toutes neuves Lrsquoaire qui reacutefegravere agrave la
Grande Megravere agrave la terre - geacutenitrix est violemment
caresseacutee doucement violenteacutee par ces jeunes
dieux pleins de vitaliteacute qui laquo deacutebordent les champs
de figuiers drsquoalentour raquo crsquoest de la sorte que srsquoins-
taurent la co-union et la comm-union des ecirctres et du
cosmos Le deacutebordement atteint son comble par la
danse qui deacuteroule ses eacutevolutions agrave proximiteacute des
flammes crsquoest une danse tour agrave tour lente et vio-
lente langoureuse voluptueuse et passionneacutee qui
srsquoengregravene dans un deacutechaicircnement extatique Ces
treacutepidations et treacutepignements collectifs agrave la lueur
du feu annoncent le renouvellement laquo Le feu
suggegravere le deacutesir de changer de brusquer le temps
de porter toute la vie agrave son terme agrave son au-
delagrave raquo15 Lrsquoeacuteleacutement igneacute fortement sexualiseacute sur-
deacutetermine le symbolisme de la scegravene et lui precircte
un caractegravere des plus orgiastiques
Les pieds treacutepidants et freacuteneacutetiques - analogons
phalliques- battant la terre-megravere confegraverent agrave la
scegravene un aspect drsquoautant plus surreacuteel et mystique
que lrsquoopeacuteration suggegravere une peacuteneacutetration dans
lrsquointeacuterioriteacute intime de la substance drsquoune subs-
tance saisie dans sa profondeur et dans sa puis-
sance geacuteneacutesique De telles images renforcent la
surreacutealiteacute et la cosmiciteacute de lrsquoopeacuteration cultuelle
Le monde ancien et moribond dont les forces deacute-
clinent et vont srsquoaffaissant se trouve ainsi suppleacuteeacute
par un autre juveacutenile plein de segraveve et de robus-
tesse Les puissances chtoniennes viennent res-
sourcer les forces apolliniennes Ce sont lagrave des
images de la reacuteinteacutegration de la totaliteacute primor-
diale
laquo Pour un soir cependant il redevint le Mouh
6
qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand
feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-
daient vaguement semblable au sorcier de quelque
peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour
agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait
ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La
flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-
sible raquo 16
Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos
doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-
jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-
sordre des passions provoque le resurgissement
drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les
laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au
sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere
cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort
drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses
forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-
veloppa dans les pans amples de son burnous et sans
rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans
un coin contre un frecircne comme pour attendre que le
dieu doucement le quittacirct raquo19
Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute
deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle
se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave
lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit
comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-
datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-
mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui
garantit la continuiteacute du monde en unissant les
puissances chtoniennes et le monde de la surface
Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous
comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun
animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea
Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni
le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est
consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant
de la condition profane Mouh est en mesure
drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme
par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la
naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-
sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres
ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere
chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces
images du berger avec ses eacutevolutions repti-
liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-
sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent
la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des
oppositions survenant au terme de toute
opeacuteration rituelle de ce genre23
Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie
alchimique le serpent est la base de toute Œuvre
selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-
rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner
naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au
terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son
burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole
celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte
cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25
srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans
la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-
tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-
gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus
bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-
logues rendent plus congruent se renforce le deacute-
chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-
deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil
deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation
Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-
cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En
deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non
de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son
acceptation et de son inteacutegration si dissemblable
et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-
elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son
harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit
drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-
culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-
veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-
tinuiteacute
Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-
faite de ce que peut apporter un comportement
aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi
puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest
lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la
flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-
pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave
lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-
nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-
neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-
jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-
tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en
lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-
liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-
sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de
la culture berbegravere elle incarne cette force pro-
fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps
social gracircce agrave un pluralisme passionnel
7
pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-
tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de
la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur
mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve
La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme
Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-
diennes sous des modulations diverses la hadra
est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de
lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de
cette immense reacuteserve de forces souterraines se-
cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-
ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-
giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-
existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28
constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la
socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux
eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo
tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses
puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi
le passage suivant vient-il mettre en exergue la
preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-
tique au sein de la culture populaire Cette dimen-
sion semblant constituer le substrat qui fonde
cette culture sous-tend de la sorte la structure so-
cieacutetale
Lrsquoactivation de cette dimension est mise en
branle aux moments les plus cruciaux auxquels
peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication
que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-
proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan
initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-
tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence
rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-
rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui
que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre
-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de
lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-
der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-
rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-
tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-
nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion
de vie de lrsquoensemble
laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit
geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)
une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de
la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-
bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse
vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes
parce que toutes baissaient la tecircte La musique
continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-
chaicircneacuteelt raquo30
La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans
la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration
drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-
vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-
compagnement agrave cette con-fusion des esprits et
des corps brouillant les limites et effaccedilant les
barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet
et favorise laquo le renversement des comportements
qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-
fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en
œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-
complisse et que les participants srsquoy adonnent
dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la
laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue
et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33
au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les
femmes reacuteunies agrave cet effet
laquo Dans chaque coin des hommes des femmes
eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-
vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un
second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave
la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de
becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se
tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes
des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-
lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces
sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras
formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes
steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34
Nous avons lagrave une union double un andro-
gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux
jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de
deux maniegraveres compleacutementaires et duelles
comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et
provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse
et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-
ciences et des inconscients est une comm-union
Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute
communion des consciences sous quelques espegraveces
qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le
travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie
symbolique -de ces femmes mimant les
hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-
tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36
8
Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-
geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes
aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect
orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se
trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore
fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes
fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-
bir la hadra raquo sont effectivement passives elles
sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-
vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave
nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient
laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se
faisant labourer par les analogons phalliques des
danseurs fougueux sautant de toutes leurs
forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-
sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes
steacuteriles raquo
Le redoublement de toutes les forces conju-
gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi
dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-
plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-
siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement
est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des
rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des
forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-
sement sans cesse renouveleacute
laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux
de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait
deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-
tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force
bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie
Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-
pue dans les cocirctes raquo37
La multiplication des forces est justement ren-
due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-
sances cosmiques animales instrumentales ani-
meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons
geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-
brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-
lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent
les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie
ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal
chaos La communion de tous advient par deacute-
chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-
jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere
alors pleinement pour impulser la flamme du
renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette
dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-
reacute par la culture drsquoen haut
lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-
feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi
lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente
drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes
deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun
pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans
son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux
normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement
que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait
pas seulement sur un moralisme rigide qui se
trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon
un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation
ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique
de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-
teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de
contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement
salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un
contrepoids aux forces surplombantes
eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-
clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee
dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-
teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient
Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme
cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-
duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant
un pronostic normal de survie et non condam-
neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee
drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42
La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute
sont neacutecessaires et requises au maintien de la
coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout
en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines
limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute
court le risque de voir ses composantes se deacuteliter
et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons
de le voir un social monolithique ougrave ne domine-
rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave
connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses
forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport
contradictoriel puissant la dimension diony-
siaque apporte la contradiction et constitue un
contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-
sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-
nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-
teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous
venons de voir constituent les deux pocircles de la
culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La
Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par
des principes de rigueur et de productivisme La
seconde est la dimension dionysiaque que avons
9
analyseacutee
Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-
taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et
laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-
teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se
poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-
teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la
forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-
teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se
trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue
Cette synergie se manifeste dans les rapports
mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux
aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la
mort au monde Nous venons de voir aussi que
les rapports sociaux sont des rapports animeacutes
par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-
fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien
Il y a en outre recentrement de ces rapports sur
ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-
ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de
lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune
maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-
vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute
avec les autres preacutedomine sur tout le reste et
lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-
tion
Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-
lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et
lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-
laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-
vante Ces deux dimensions essentielles bien
que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-
renniteacute de la vie et de la survie de cette culture
Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et
entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre
mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun
par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-
tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait
elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle
se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-
cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-
niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement
particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument
universelles
Bibliographie
Corpus
MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris
Plon 1952
Ouvrages theacuteoriques
- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu
Paris Librairie Gallimard 1949
- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll
Gautier 1980
- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques
de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-
rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969
- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes
reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug
coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996
- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la
vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-
ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo
2003
- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-
tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre
Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978
- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne
Paris Gallimard 1962
- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris
Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985
- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences
Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990
- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour
une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-
dition Descleacutee de Brouwer 1998
- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars
de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table
Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-
begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture
savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger
Tala 1989
1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in
LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck
et Cie 1985 p 126
2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-
ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-
cleacutee de Brouwer 1998 p 13
3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon
1990 p 19
10
x
4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris
Gallimard 1962 p 140
5 Ibidem
6 La Colline Oublieacutee op cit p 94
7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils
savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer
les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee
8 La Colline oublieacutee op cit p94
9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers
srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur
lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-
tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94
12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-
gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli
LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124
13 Ibid p 140
14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-
mard 1949 p 76
15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit
p 35
16 La Colline Oublieacutee op cit p 95
17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27
18 La Colline Oublieacutee op cit p 94
19 La Colline Oublieacutee op cit p 95
20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63
21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-
das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147
25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples
de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla
srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour
attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-
blieacutee p 95
26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes
gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers
et Jupiter Paris 1973 p 361
27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144
28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-
phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141
29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130
30 La Colline Oublieacutee op cit p 90
31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
32 Ibidem
33 Ibidem
34 La Colline Oublieacutee op cit p 90
35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie
religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses
universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575
36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
37 La Colline Oublieacutee op cit p 90
38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit
p 140
39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90
40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-
niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-
cue op cit p 209
41 Ibidem
42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis
par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157
11
Agrave propos de quelques eacuteleacutements
de la culture populaire beacuteti (Cameroun)
dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo
EVOUNG FOUDA Jean Bernard
Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de
franccedilais
Introduction
Dans la classification des diffeacuterents types
drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-
dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-
miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture
folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les
usages et les traditions populaires Richard Lau-
rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit
laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts
des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-
tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des
faits des comportements que lrsquoon juge amusants et
pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave
lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique
courante de la culture raquo1
Dans ce sens la culture populaire renverrait
donc agrave la pratique courante de la culture avec ce
que cela comporte comme habitudes croyances
comportements conceptions de la vie et des pheacute-
nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-
blic des pratiques des comportements ainsi que
certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans
le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin
drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre
reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave
la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-
tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et
continuiteacutes entre le monde des vivants et celui
des morts dans cet univers agrave la pratique de la
palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-
son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-
rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile
de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en
question
Le poseacute
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps
chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave
bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un
autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait
donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait
dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana
Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu
un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique
et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-
tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-
nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-
tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-
tions originales Il paraicirct mecircme donner forme
corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan
scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription
qui au regard du ton de la ponctuation de la
forme mecircme de ses vers respecte les aspects de
lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors
permis aux chercheurs et universitaires camerou-
nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu
agrave une publication scientifique2
Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere
de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant
sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee
peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les
litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc
Raison pour laquelle nous y revenons Sur le
fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono
Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et
Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un
homme qui aimait beaucoup les femmes au
point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui
eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et
va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre
pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par
conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il
continuera agrave aimer cette femme Son mari va
chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide
amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-
nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-
couvre la santeacute
Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert
Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee
font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-
mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-
zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
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1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
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2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
6
qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand
feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-
daient vaguement semblable au sorcier de quelque
peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour
agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait
ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La
flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-
sible raquo 16
Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos
doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-
jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-
sordre des passions provoque le resurgissement
drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les
laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au
sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere
cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort
drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses
forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-
veloppa dans les pans amples de son burnous et sans
rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans
un coin contre un frecircne comme pour attendre que le
dieu doucement le quittacirct raquo19
Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute
deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle
se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave
lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit
comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-
datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-
mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui
garantit la continuiteacute du monde en unissant les
puissances chtoniennes et le monde de la surface
Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous
comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun
animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea
Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni
le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est
consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant
de la condition profane Mouh est en mesure
drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme
par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la
naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-
sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres
ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere
chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces
images du berger avec ses eacutevolutions repti-
liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-
sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent
la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des
oppositions survenant au terme de toute
opeacuteration rituelle de ce genre23
Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie
alchimique le serpent est la base de toute Œuvre
selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-
rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner
naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au
terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son
burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole
celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte
cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25
srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans
la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-
tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-
gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus
bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-
logues rendent plus congruent se renforce le deacute-
chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-
deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil
deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation
Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-
cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En
deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non
de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son
acceptation et de son inteacutegration si dissemblable
et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-
elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son
harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit
drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-
culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-
veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-
tinuiteacute
Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-
faite de ce que peut apporter un comportement
aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi
puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest
lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la
flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-
pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave
lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-
nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-
neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-
jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-
tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en
lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-
liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-
sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de
la culture berbegravere elle incarne cette force pro-
fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps
social gracircce agrave un pluralisme passionnel
7
pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-
tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de
la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur
mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve
La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme
Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-
diennes sous des modulations diverses la hadra
est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de
lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de
cette immense reacuteserve de forces souterraines se-
cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-
ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-
giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-
existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28
constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la
socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux
eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo
tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses
puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi
le passage suivant vient-il mettre en exergue la
preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-
tique au sein de la culture populaire Cette dimen-
sion semblant constituer le substrat qui fonde
cette culture sous-tend de la sorte la structure so-
cieacutetale
Lrsquoactivation de cette dimension est mise en
branle aux moments les plus cruciaux auxquels
peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication
que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-
proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan
initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-
tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence
rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-
rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui
que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre
-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de
lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-
der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-
rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-
tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-
nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion
de vie de lrsquoensemble
laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit
geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)
une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de
la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-
bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse
vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes
parce que toutes baissaient la tecircte La musique
continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-
chaicircneacuteelt raquo30
La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans
la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration
drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-
vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-
compagnement agrave cette con-fusion des esprits et
des corps brouillant les limites et effaccedilant les
barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet
et favorise laquo le renversement des comportements
qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-
fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en
œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-
complisse et que les participants srsquoy adonnent
dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la
laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue
et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33
au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les
femmes reacuteunies agrave cet effet
laquo Dans chaque coin des hommes des femmes
eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-
vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un
second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave
la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de
becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se
tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes
des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-
lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces
sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras
formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes
steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34
Nous avons lagrave une union double un andro-
gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux
jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de
deux maniegraveres compleacutementaires et duelles
comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et
provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse
et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-
ciences et des inconscients est une comm-union
Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute
communion des consciences sous quelques espegraveces
qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le
travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie
symbolique -de ces femmes mimant les
hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-
tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36
8
Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-
geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes
aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect
orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se
trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore
fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes
fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-
bir la hadra raquo sont effectivement passives elles
sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-
vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave
nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient
laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se
faisant labourer par les analogons phalliques des
danseurs fougueux sautant de toutes leurs
forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-
sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes
steacuteriles raquo
Le redoublement de toutes les forces conju-
gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi
dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-
plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-
siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement
est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des
rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des
forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-
sement sans cesse renouveleacute
laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux
de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait
deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-
tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force
bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie
Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-
pue dans les cocirctes raquo37
La multiplication des forces est justement ren-
due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-
sances cosmiques animales instrumentales ani-
meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons
geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-
brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-
lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent
les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie
ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal
chaos La communion de tous advient par deacute-
chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-
jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere
alors pleinement pour impulser la flamme du
renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette
dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-
reacute par la culture drsquoen haut
lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-
feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi
lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente
drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes
deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun
pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans
son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux
normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement
que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait
pas seulement sur un moralisme rigide qui se
trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon
un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation
ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique
de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-
teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de
contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement
salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un
contrepoids aux forces surplombantes
eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-
clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee
dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-
teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient
Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme
cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-
duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant
un pronostic normal de survie et non condam-
neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee
drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42
La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute
sont neacutecessaires et requises au maintien de la
coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout
en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines
limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute
court le risque de voir ses composantes se deacuteliter
et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons
de le voir un social monolithique ougrave ne domine-
rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave
connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses
forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport
contradictoriel puissant la dimension diony-
siaque apporte la contradiction et constitue un
contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-
sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-
nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-
teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous
venons de voir constituent les deux pocircles de la
culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La
Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par
des principes de rigueur et de productivisme La
seconde est la dimension dionysiaque que avons
9
analyseacutee
Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-
taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et
laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-
teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se
poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-
teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la
forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-
teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se
trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue
Cette synergie se manifeste dans les rapports
mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux
aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la
mort au monde Nous venons de voir aussi que
les rapports sociaux sont des rapports animeacutes
par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-
fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien
Il y a en outre recentrement de ces rapports sur
ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-
ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de
lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune
maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-
vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute
avec les autres preacutedomine sur tout le reste et
lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-
tion
Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-
lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et
lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-
laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-
vante Ces deux dimensions essentielles bien
que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-
renniteacute de la vie et de la survie de cette culture
Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et
entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre
mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun
par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-
tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait
elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle
se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-
cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-
niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement
particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument
universelles
Bibliographie
Corpus
MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris
Plon 1952
Ouvrages theacuteoriques
- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu
Paris Librairie Gallimard 1949
- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll
Gautier 1980
- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques
de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-
rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969
- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes
reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug
coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996
- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la
vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-
ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo
2003
- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-
tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre
Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978
- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne
Paris Gallimard 1962
- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris
Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985
- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences
Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990
- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour
une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-
dition Descleacutee de Brouwer 1998
- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars
de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table
Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-
begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture
savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger
Tala 1989
1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in
LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck
et Cie 1985 p 126
2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-
ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-
cleacutee de Brouwer 1998 p 13
3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon
1990 p 19
10
x
4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris
Gallimard 1962 p 140
5 Ibidem
6 La Colline Oublieacutee op cit p 94
7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils
savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer
les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee
8 La Colline oublieacutee op cit p94
9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers
srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur
lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-
tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94
12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-
gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli
LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124
13 Ibid p 140
14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-
mard 1949 p 76
15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit
p 35
16 La Colline Oublieacutee op cit p 95
17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27
18 La Colline Oublieacutee op cit p 94
19 La Colline Oublieacutee op cit p 95
20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63
21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-
das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147
25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples
de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla
srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour
attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-
blieacutee p 95
26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes
gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers
et Jupiter Paris 1973 p 361
27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144
28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-
phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141
29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130
30 La Colline Oublieacutee op cit p 90
31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
32 Ibidem
33 Ibidem
34 La Colline Oublieacutee op cit p 90
35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie
religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses
universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575
36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
37 La Colline Oublieacutee op cit p 90
38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit
p 140
39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90
40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-
niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-
cue op cit p 209
41 Ibidem
42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis
par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157
11
Agrave propos de quelques eacuteleacutements
de la culture populaire beacuteti (Cameroun)
dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo
EVOUNG FOUDA Jean Bernard
Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de
franccedilais
Introduction
Dans la classification des diffeacuterents types
drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-
dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-
miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture
folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les
usages et les traditions populaires Richard Lau-
rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit
laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts
des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-
tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des
faits des comportements que lrsquoon juge amusants et
pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave
lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique
courante de la culture raquo1
Dans ce sens la culture populaire renverrait
donc agrave la pratique courante de la culture avec ce
que cela comporte comme habitudes croyances
comportements conceptions de la vie et des pheacute-
nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-
blic des pratiques des comportements ainsi que
certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans
le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin
drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre
reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave
la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-
tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et
continuiteacutes entre le monde des vivants et celui
des morts dans cet univers agrave la pratique de la
palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-
son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-
rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile
de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en
question
Le poseacute
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps
chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave
bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un
autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait
donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait
dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana
Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu
un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique
et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-
tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-
nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-
tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-
tions originales Il paraicirct mecircme donner forme
corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan
scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription
qui au regard du ton de la ponctuation de la
forme mecircme de ses vers respecte les aspects de
lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors
permis aux chercheurs et universitaires camerou-
nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu
agrave une publication scientifique2
Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere
de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant
sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee
peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les
litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc
Raison pour laquelle nous y revenons Sur le
fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono
Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et
Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un
homme qui aimait beaucoup les femmes au
point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui
eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et
va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre
pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par
conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il
continuera agrave aimer cette femme Son mari va
chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide
amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-
nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-
couvre la santeacute
Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert
Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee
font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-
mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-
zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
7
pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-
tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de
la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur
mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve
La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme
Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-
diennes sous des modulations diverses la hadra
est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de
lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de
cette immense reacuteserve de forces souterraines se-
cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-
ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-
giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-
existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28
constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la
socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux
eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo
tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses
puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi
le passage suivant vient-il mettre en exergue la
preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-
tique au sein de la culture populaire Cette dimen-
sion semblant constituer le substrat qui fonde
cette culture sous-tend de la sorte la structure so-
cieacutetale
Lrsquoactivation de cette dimension est mise en
branle aux moments les plus cruciaux auxquels
peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication
que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-
proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan
initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-
tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence
rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-
rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui
que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre
-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de
lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-
der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-
rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-
tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-
nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion
de vie de lrsquoensemble
laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit
geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)
une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de
la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-
bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse
vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes
parce que toutes baissaient la tecircte La musique
continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-
chaicircneacuteelt raquo30
La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans
la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration
drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-
vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-
compagnement agrave cette con-fusion des esprits et
des corps brouillant les limites et effaccedilant les
barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet
et favorise laquo le renversement des comportements
qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-
fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en
œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-
complisse et que les participants srsquoy adonnent
dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la
laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue
et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33
au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les
femmes reacuteunies agrave cet effet
laquo Dans chaque coin des hommes des femmes
eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-
vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un
second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave
la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de
becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se
tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes
des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-
lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces
sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras
formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes
steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34
Nous avons lagrave une union double un andro-
gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux
jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de
deux maniegraveres compleacutementaires et duelles
comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et
provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse
et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-
ciences et des inconscients est une comm-union
Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute
communion des consciences sous quelques espegraveces
qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le
travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie
symbolique -de ces femmes mimant les
hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-
tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36
8
Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-
geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes
aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect
orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se
trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore
fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes
fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-
bir la hadra raquo sont effectivement passives elles
sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-
vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave
nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient
laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se
faisant labourer par les analogons phalliques des
danseurs fougueux sautant de toutes leurs
forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-
sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes
steacuteriles raquo
Le redoublement de toutes les forces conju-
gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi
dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-
plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-
siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement
est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des
rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des
forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-
sement sans cesse renouveleacute
laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux
de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait
deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-
tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force
bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie
Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-
pue dans les cocirctes raquo37
La multiplication des forces est justement ren-
due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-
sances cosmiques animales instrumentales ani-
meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons
geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-
brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-
lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent
les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie
ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal
chaos La communion de tous advient par deacute-
chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-
jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere
alors pleinement pour impulser la flamme du
renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette
dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-
reacute par la culture drsquoen haut
lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-
feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi
lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente
drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes
deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun
pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans
son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux
normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement
que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait
pas seulement sur un moralisme rigide qui se
trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon
un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation
ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique
de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-
teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de
contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement
salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un
contrepoids aux forces surplombantes
eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-
clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee
dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-
teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient
Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme
cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-
duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant
un pronostic normal de survie et non condam-
neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee
drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42
La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute
sont neacutecessaires et requises au maintien de la
coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout
en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines
limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute
court le risque de voir ses composantes se deacuteliter
et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons
de le voir un social monolithique ougrave ne domine-
rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave
connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses
forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport
contradictoriel puissant la dimension diony-
siaque apporte la contradiction et constitue un
contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-
sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-
nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-
teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous
venons de voir constituent les deux pocircles de la
culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La
Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par
des principes de rigueur et de productivisme La
seconde est la dimension dionysiaque que avons
9
analyseacutee
Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-
taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et
laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-
teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se
poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-
teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la
forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-
teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se
trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue
Cette synergie se manifeste dans les rapports
mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux
aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la
mort au monde Nous venons de voir aussi que
les rapports sociaux sont des rapports animeacutes
par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-
fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien
Il y a en outre recentrement de ces rapports sur
ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-
ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de
lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune
maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-
vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute
avec les autres preacutedomine sur tout le reste et
lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-
tion
Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-
lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et
lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-
laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-
vante Ces deux dimensions essentielles bien
que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-
renniteacute de la vie et de la survie de cette culture
Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et
entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre
mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun
par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-
tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait
elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle
se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-
cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-
niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement
particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument
universelles
Bibliographie
Corpus
MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris
Plon 1952
Ouvrages theacuteoriques
- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu
Paris Librairie Gallimard 1949
- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll
Gautier 1980
- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques
de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-
rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969
- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes
reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug
coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996
- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la
vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-
ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo
2003
- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-
tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre
Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978
- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne
Paris Gallimard 1962
- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris
Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985
- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences
Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990
- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour
une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-
dition Descleacutee de Brouwer 1998
- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars
de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table
Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-
begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture
savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger
Tala 1989
1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in
LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck
et Cie 1985 p 126
2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-
ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-
cleacutee de Brouwer 1998 p 13
3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon
1990 p 19
10
x
4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris
Gallimard 1962 p 140
5 Ibidem
6 La Colline Oublieacutee op cit p 94
7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils
savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer
les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee
8 La Colline oublieacutee op cit p94
9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers
srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur
lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-
tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94
12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-
gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli
LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124
13 Ibid p 140
14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-
mard 1949 p 76
15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit
p 35
16 La Colline Oublieacutee op cit p 95
17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27
18 La Colline Oublieacutee op cit p 94
19 La Colline Oublieacutee op cit p 95
20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63
21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-
das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147
25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples
de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla
srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour
attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-
blieacutee p 95
26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes
gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers
et Jupiter Paris 1973 p 361
27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144
28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-
phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141
29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130
30 La Colline Oublieacutee op cit p 90
31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
32 Ibidem
33 Ibidem
34 La Colline Oublieacutee op cit p 90
35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie
religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses
universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575
36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
37 La Colline Oublieacutee op cit p 90
38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit
p 140
39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90
40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-
niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-
cue op cit p 209
41 Ibidem
42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis
par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157
11
Agrave propos de quelques eacuteleacutements
de la culture populaire beacuteti (Cameroun)
dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo
EVOUNG FOUDA Jean Bernard
Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de
franccedilais
Introduction
Dans la classification des diffeacuterents types
drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-
dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-
miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture
folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les
usages et les traditions populaires Richard Lau-
rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit
laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts
des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-
tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des
faits des comportements que lrsquoon juge amusants et
pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave
lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique
courante de la culture raquo1
Dans ce sens la culture populaire renverrait
donc agrave la pratique courante de la culture avec ce
que cela comporte comme habitudes croyances
comportements conceptions de la vie et des pheacute-
nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-
blic des pratiques des comportements ainsi que
certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans
le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin
drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre
reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave
la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-
tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et
continuiteacutes entre le monde des vivants et celui
des morts dans cet univers agrave la pratique de la
palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-
son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-
rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile
de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en
question
Le poseacute
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps
chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave
bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un
autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait
donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait
dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana
Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu
un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique
et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-
tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-
nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-
tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-
tions originales Il paraicirct mecircme donner forme
corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan
scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription
qui au regard du ton de la ponctuation de la
forme mecircme de ses vers respecte les aspects de
lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors
permis aux chercheurs et universitaires camerou-
nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu
agrave une publication scientifique2
Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere
de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant
sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee
peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les
litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc
Raison pour laquelle nous y revenons Sur le
fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono
Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et
Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un
homme qui aimait beaucoup les femmes au
point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui
eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et
va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre
pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par
conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il
continuera agrave aimer cette femme Son mari va
chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide
amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-
nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-
couvre la santeacute
Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert
Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee
font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-
mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-
zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
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BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
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MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
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2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
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BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
8
Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-
geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes
aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect
orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se
trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore
fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes
fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-
bir la hadra raquo sont effectivement passives elles
sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-
vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave
nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient
laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se
faisant labourer par les analogons phalliques des
danseurs fougueux sautant de toutes leurs
forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-
sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes
steacuteriles raquo
Le redoublement de toutes les forces conju-
gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi
dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-
plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-
siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement
est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des
rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des
forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-
sement sans cesse renouveleacute
laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux
de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait
deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-
tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force
bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie
Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-
pue dans les cocirctes raquo37
La multiplication des forces est justement ren-
due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-
sances cosmiques animales instrumentales ani-
meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons
geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-
brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-
lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent
les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie
ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal
chaos La communion de tous advient par deacute-
chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-
jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere
alors pleinement pour impulser la flamme du
renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette
dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-
reacute par la culture drsquoen haut
lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-
feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi
lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente
drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes
deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun
pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans
son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux
normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement
que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait
pas seulement sur un moralisme rigide qui se
trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon
un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation
ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique
de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-
teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de
contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement
salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un
contrepoids aux forces surplombantes
eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-
clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee
dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-
teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient
Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme
cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-
duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant
un pronostic normal de survie et non condam-
neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee
drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42
La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute
sont neacutecessaires et requises au maintien de la
coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout
en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines
limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute
court le risque de voir ses composantes se deacuteliter
et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons
de le voir un social monolithique ougrave ne domine-
rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave
connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses
forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport
contradictoriel puissant la dimension diony-
siaque apporte la contradiction et constitue un
contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-
sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-
nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-
teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous
venons de voir constituent les deux pocircles de la
culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La
Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par
des principes de rigueur et de productivisme La
seconde est la dimension dionysiaque que avons
9
analyseacutee
Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-
taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et
laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-
teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se
poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-
teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la
forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-
teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se
trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue
Cette synergie se manifeste dans les rapports
mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux
aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la
mort au monde Nous venons de voir aussi que
les rapports sociaux sont des rapports animeacutes
par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-
fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien
Il y a en outre recentrement de ces rapports sur
ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-
ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de
lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune
maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-
vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute
avec les autres preacutedomine sur tout le reste et
lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-
tion
Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-
lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et
lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-
laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-
vante Ces deux dimensions essentielles bien
que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-
renniteacute de la vie et de la survie de cette culture
Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et
entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre
mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun
par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-
tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait
elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle
se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-
cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-
niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement
particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument
universelles
Bibliographie
Corpus
MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris
Plon 1952
Ouvrages theacuteoriques
- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu
Paris Librairie Gallimard 1949
- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll
Gautier 1980
- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques
de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-
rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969
- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes
reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug
coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996
- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la
vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-
ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo
2003
- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-
tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre
Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978
- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne
Paris Gallimard 1962
- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris
Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985
- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences
Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990
- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour
une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-
dition Descleacutee de Brouwer 1998
- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars
de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table
Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-
begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture
savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger
Tala 1989
1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in
LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck
et Cie 1985 p 126
2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-
ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-
cleacutee de Brouwer 1998 p 13
3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon
1990 p 19
10
x
4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris
Gallimard 1962 p 140
5 Ibidem
6 La Colline Oublieacutee op cit p 94
7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils
savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer
les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee
8 La Colline oublieacutee op cit p94
9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers
srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur
lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-
tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94
12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-
gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli
LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124
13 Ibid p 140
14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-
mard 1949 p 76
15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit
p 35
16 La Colline Oublieacutee op cit p 95
17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27
18 La Colline Oublieacutee op cit p 94
19 La Colline Oublieacutee op cit p 95
20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63
21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-
das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147
25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples
de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla
srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour
attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-
blieacutee p 95
26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes
gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers
et Jupiter Paris 1973 p 361
27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144
28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-
phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141
29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130
30 La Colline Oublieacutee op cit p 90
31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
32 Ibidem
33 Ibidem
34 La Colline Oublieacutee op cit p 90
35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie
religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses
universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575
36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
37 La Colline Oublieacutee op cit p 90
38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit
p 140
39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90
40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-
niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-
cue op cit p 209
41 Ibidem
42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis
par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157
11
Agrave propos de quelques eacuteleacutements
de la culture populaire beacuteti (Cameroun)
dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo
EVOUNG FOUDA Jean Bernard
Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de
franccedilais
Introduction
Dans la classification des diffeacuterents types
drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-
dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-
miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture
folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les
usages et les traditions populaires Richard Lau-
rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit
laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts
des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-
tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des
faits des comportements que lrsquoon juge amusants et
pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave
lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique
courante de la culture raquo1
Dans ce sens la culture populaire renverrait
donc agrave la pratique courante de la culture avec ce
que cela comporte comme habitudes croyances
comportements conceptions de la vie et des pheacute-
nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-
blic des pratiques des comportements ainsi que
certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans
le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin
drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre
reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave
la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-
tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et
continuiteacutes entre le monde des vivants et celui
des morts dans cet univers agrave la pratique de la
palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-
son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-
rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile
de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en
question
Le poseacute
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps
chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave
bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un
autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait
donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait
dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana
Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu
un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique
et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-
tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-
nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-
tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-
tions originales Il paraicirct mecircme donner forme
corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan
scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription
qui au regard du ton de la ponctuation de la
forme mecircme de ses vers respecte les aspects de
lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors
permis aux chercheurs et universitaires camerou-
nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu
agrave une publication scientifique2
Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere
de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant
sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee
peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les
litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc
Raison pour laquelle nous y revenons Sur le
fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono
Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et
Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un
homme qui aimait beaucoup les femmes au
point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui
eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et
va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre
pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par
conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il
continuera agrave aimer cette femme Son mari va
chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide
amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-
nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-
couvre la santeacute
Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert
Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee
font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-
mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-
zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
9
analyseacutee
Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-
taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et
laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-
teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se
poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-
teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la
forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-
teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se
trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue
Cette synergie se manifeste dans les rapports
mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux
aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la
mort au monde Nous venons de voir aussi que
les rapports sociaux sont des rapports animeacutes
par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-
fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien
Il y a en outre recentrement de ces rapports sur
ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-
ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de
lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune
maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-
vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute
avec les autres preacutedomine sur tout le reste et
lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-
tion
Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-
lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et
lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-
laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-
vante Ces deux dimensions essentielles bien
que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-
renniteacute de la vie et de la survie de cette culture
Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et
entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre
mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun
par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-
tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait
elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle
se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-
cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-
niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement
particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument
universelles
Bibliographie
Corpus
MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris
Plon 1952
Ouvrages theacuteoriques
- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu
Paris Librairie Gallimard 1949
- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll
Gautier 1980
- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques
de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-
rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969
- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes
reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug
coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996
- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la
vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-
ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo
2003
- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-
tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre
Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978
- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne
Paris Gallimard 1962
- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris
Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985
- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences
Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990
- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour
une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-
dition Descleacutee de Brouwer 1998
- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars
de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table
Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-
begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture
savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger
Tala 1989
1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in
LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck
et Cie 1985 p 126
2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-
ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-
cleacutee de Brouwer 1998 p 13
3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon
1990 p 19
10
x
4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris
Gallimard 1962 p 140
5 Ibidem
6 La Colline Oublieacutee op cit p 94
7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils
savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer
les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee
8 La Colline oublieacutee op cit p94
9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers
srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur
lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-
tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94
12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-
gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli
LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124
13 Ibid p 140
14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-
mard 1949 p 76
15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit
p 35
16 La Colline Oublieacutee op cit p 95
17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27
18 La Colline Oublieacutee op cit p 94
19 La Colline Oublieacutee op cit p 95
20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63
21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-
das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147
25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples
de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla
srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour
attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-
blieacutee p 95
26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes
gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers
et Jupiter Paris 1973 p 361
27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144
28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-
phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141
29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130
30 La Colline Oublieacutee op cit p 90
31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
32 Ibidem
33 Ibidem
34 La Colline Oublieacutee op cit p 90
35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie
religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses
universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575
36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
37 La Colline Oublieacutee op cit p 90
38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit
p 140
39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90
40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-
niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-
cue op cit p 209
41 Ibidem
42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis
par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157
11
Agrave propos de quelques eacuteleacutements
de la culture populaire beacuteti (Cameroun)
dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo
EVOUNG FOUDA Jean Bernard
Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de
franccedilais
Introduction
Dans la classification des diffeacuterents types
drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-
dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-
miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture
folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les
usages et les traditions populaires Richard Lau-
rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit
laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts
des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-
tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des
faits des comportements que lrsquoon juge amusants et
pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave
lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique
courante de la culture raquo1
Dans ce sens la culture populaire renverrait
donc agrave la pratique courante de la culture avec ce
que cela comporte comme habitudes croyances
comportements conceptions de la vie et des pheacute-
nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-
blic des pratiques des comportements ainsi que
certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans
le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin
drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre
reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave
la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-
tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et
continuiteacutes entre le monde des vivants et celui
des morts dans cet univers agrave la pratique de la
palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-
son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-
rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile
de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en
question
Le poseacute
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps
chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave
bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un
autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait
donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait
dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana
Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu
un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique
et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-
tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-
nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-
tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-
tions originales Il paraicirct mecircme donner forme
corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan
scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription
qui au regard du ton de la ponctuation de la
forme mecircme de ses vers respecte les aspects de
lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors
permis aux chercheurs et universitaires camerou-
nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu
agrave une publication scientifique2
Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere
de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant
sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee
peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les
litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc
Raison pour laquelle nous y revenons Sur le
fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono
Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et
Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un
homme qui aimait beaucoup les femmes au
point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui
eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et
va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre
pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par
conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il
continuera agrave aimer cette femme Son mari va
chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide
amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-
nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-
couvre la santeacute
Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert
Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee
font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-
mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-
zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
10
x
4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris
Gallimard 1962 p 140
5 Ibidem
6 La Colline Oublieacutee op cit p 94
7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils
savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer
les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee
8 La Colline oublieacutee op cit p94
9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184
11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers
srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur
lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-
tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94
12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-
gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli
LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124
13 Ibid p 140
14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-
mard 1949 p 76
15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit
p 35
16 La Colline Oublieacutee op cit p 95
17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27
18 La Colline Oublieacutee op cit p 94
19 La Colline Oublieacutee op cit p 95
20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63
21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 110
24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-
das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147
25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples
de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla
srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour
attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-
blieacutee p 95
26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes
gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers
et Jupiter Paris 1973 p 361
27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144
28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-
phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141
29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130
30 La Colline Oublieacutee op cit p 90
31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
32 Ibidem
33 Ibidem
34 La Colline Oublieacutee op cit p 90
35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie
religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses
universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575
36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit
p 143
37 La Colline Oublieacutee op cit p 90
38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit
p 140
39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90
40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-
niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-
cue op cit p 209
41 Ibidem
42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis
par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157
11
Agrave propos de quelques eacuteleacutements
de la culture populaire beacuteti (Cameroun)
dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo
EVOUNG FOUDA Jean Bernard
Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de
franccedilais
Introduction
Dans la classification des diffeacuterents types
drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-
dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-
miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture
folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les
usages et les traditions populaires Richard Lau-
rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit
laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts
des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-
tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des
faits des comportements que lrsquoon juge amusants et
pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave
lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique
courante de la culture raquo1
Dans ce sens la culture populaire renverrait
donc agrave la pratique courante de la culture avec ce
que cela comporte comme habitudes croyances
comportements conceptions de la vie et des pheacute-
nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-
blic des pratiques des comportements ainsi que
certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans
le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin
drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre
reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave
la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-
tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et
continuiteacutes entre le monde des vivants et celui
des morts dans cet univers agrave la pratique de la
palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-
son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-
rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile
de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en
question
Le poseacute
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps
chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave
bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un
autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait
donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait
dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana
Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu
un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique
et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-
tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-
nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-
tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-
tions originales Il paraicirct mecircme donner forme
corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan
scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription
qui au regard du ton de la ponctuation de la
forme mecircme de ses vers respecte les aspects de
lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors
permis aux chercheurs et universitaires camerou-
nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu
agrave une publication scientifique2
Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere
de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant
sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee
peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les
litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc
Raison pour laquelle nous y revenons Sur le
fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono
Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et
Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un
homme qui aimait beaucoup les femmes au
point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui
eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et
va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre
pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par
conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il
continuera agrave aimer cette femme Son mari va
chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide
amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-
nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-
couvre la santeacute
Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert
Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee
font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-
mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-
zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
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NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
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TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
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YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
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Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
11
Agrave propos de quelques eacuteleacutements
de la culture populaire beacuteti (Cameroun)
dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo
EVOUNG FOUDA Jean Bernard
Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de
franccedilais
Introduction
Dans la classification des diffeacuterents types
drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-
dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-
miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture
folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les
usages et les traditions populaires Richard Lau-
rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit
laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts
des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-
tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des
faits des comportements que lrsquoon juge amusants et
pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave
lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique
courante de la culture raquo1
Dans ce sens la culture populaire renverrait
donc agrave la pratique courante de la culture avec ce
que cela comporte comme habitudes croyances
comportements conceptions de la vie et des pheacute-
nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-
blic des pratiques des comportements ainsi que
certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans
le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin
drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre
reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave
la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-
tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et
continuiteacutes entre le monde des vivants et celui
des morts dans cet univers agrave la pratique de la
palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-
son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-
rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile
de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en
question
Le poseacute
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps
chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave
bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un
autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait
donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait
dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana
Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu
un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique
et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-
tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-
nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-
tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-
tions originales Il paraicirct mecircme donner forme
corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan
scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription
qui au regard du ton de la ponctuation de la
forme mecircme de ses vers respecte les aspects de
lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors
permis aux chercheurs et universitaires camerou-
nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu
agrave une publication scientifique2
Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere
de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant
sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee
peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les
litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc
Raison pour laquelle nous y revenons Sur le
fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono
Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et
Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un
homme qui aimait beaucoup les femmes au
point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui
eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et
va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre
pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par
conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il
continuera agrave aimer cette femme Son mari va
chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide
amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-
nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-
couvre la santeacute
Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert
Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee
font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-
mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-
zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
12
aimer comme il est de coutume Drsquoautres en
font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village
(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-
portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir
par la meacutemorable bastonnade servie au pays des
morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le
constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-
riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations
neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de
rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique
et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-
tion des faits
De la magie dans lrsquounivers beacuteti
Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-
laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-
cours agrave la magie par le peuple en question Cer-
taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet
Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut
des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-
cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee
traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le
remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces
drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont
aucunement contestables (certaines versions par-
lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait
ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes
sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon
banlon ayant sept poches Dans chacune desdites
poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-
teacute de Ndzana
Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-
pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers
Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-
son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le
plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de
la purification des hommes (la question des sexes
exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5
Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la
science des eacutecorces et des herbes au point de con-
duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute
par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle
capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de
lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri
Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-
meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui
considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du
pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-
nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un
principe de la culture populaire beacuteti bien
connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit
lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test
de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit
qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux
Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il
eacutecrit
laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-
gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-
pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)
drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun
impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo
mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave
lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter
elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7
De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-
tion des eacutebats amoureux des deux partenaires
dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les
performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire
Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se
sont effondreacutes les sept couvertures que compor-
taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-
mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce
mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave
son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui
relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-
plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-
ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de
Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux
amants signent Celui-ci met en exergue des pra-
tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas
dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit
par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage
de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris
de la bague qui devient un liant spirituel (et non
simplement social comme le veut lrsquousage courant
et moderne de cet objet) entre les deux parties
Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-
leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie
lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-
tique agrave une loge preacutecise
Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et
Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres
essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes
En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-
cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti
crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-
fectible de deux vies en une seule de telle sorte
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
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Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
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2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
13
que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-
currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-
rentes langues qui composent le grand groupe
Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-
pellation La langue eacutewondo pour ne parler que
drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le
cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de
chansons rappelant les termes du contrat initiale-
ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-
seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute
le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une
quelconque meacutetempsychose demander les
comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a
transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne
de chacirctiment
Ledit pacte signeacute entre un homme et une
femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les
deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-
lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-
dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-
ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-
ment consentie Cette clause est bien reprise dans
lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te
trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois
lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes
Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes
ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-
tionnement le pacte consacre une certaine deacute-
possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-
tiennent agrave la femme et vice versa
Cette clause est eacutegalement explicite dans leur
pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si
par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-
lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble
cependant indiquer que sur le plan culturel et
traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage
du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples
de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-
lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire
Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11
On y voit notamment du sang qui se verse se
partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la
signature de leur alliance mystique le mecircme
sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui
a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves
Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute
et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-
gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note
eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance
mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris
dans ce contexte est un liant concret entre
lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-
bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-
liances sa provenance est souvent suspecte La
bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee
est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au
doigt de Ndzana au moment de la signature de
leur pacte Donc dans une certaine mesure on
retrouve une fois encore la femme au cœur du
pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-
roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de
lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par
la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique
Nous pensons dans cette perspective notamment
agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-
pose des forces occultes lui permettant de seacute-
duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants
Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue
drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-
tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt
de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-
vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe
drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves
simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis
alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais
fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-
gieuse africaine un atout qui milite en faveur de
la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-
hissante et oppressante Ce que ne fait pas un
Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo
Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct
pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-
peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone
beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave
lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be
ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants
magiciens raquo13
Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-
rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-
toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir
lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-
suite devait traverser nuitamment la Sanaga
une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable
par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur
ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son
ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-
ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-
pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-
tion du recours aux Megan (la magie) au bord de
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
22
purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
transculturelle Editions Mimeacutesis 2019
NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019
SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019
TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
pion 2019
YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
32
Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
34
Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel
14
la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-
pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est
parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi
laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de
son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour
(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python
(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les
autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont
raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-
chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17
Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-
tuel magique la croyance en lrsquoexistence des
mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-
ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-
na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages
possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-
meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-
manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie
Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce
peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-
naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites
tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-
railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-
ment etc
De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-
tures et continuiteacutes
Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre
aspect de la penseacutee de la culture populaire chez
les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance
en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-
dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la
cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave
lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-
nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-
sions en trois points distincts pour eacutetablir une
sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui
composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on
semble quelque peu voir traceacute un possible paral-
legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le
mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les
deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et
mecircme celles du monde invisible Cependant dans
lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens
unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-
neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-
ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-
vants et les fantocircmes
Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-
riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des
mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais
la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le
visible du royaume des fantocircmes pour le monde
des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre
lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne
revient pas dans le royaume des vivants crsquoest
plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa
laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves
Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir
de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente
pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de
Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que
le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-
satiabiliteacute sexuelle
En un temps record il connaicirct plusieurs
femmes certains conteurs parlent de cinq
femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves
Abomo Un comportement qui contrevient aux
clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle
une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi
bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde
Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre
du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague
son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel
Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le
royaume des vivants deacutependent eacutegalement des
conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute
Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait
mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant
Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit
dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-
peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes
chez les vivants pour la reacutedition des comptes
suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant
de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho
Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un
fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal
notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-
raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-
coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans
le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un
aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage
parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-
cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme
si le sien est sans heurt
La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-
mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour
Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu
15
dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement
approximatives du sorcier-voyant du village seul
Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des
causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en
parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20
Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des
impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu
presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee
Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil
Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans
sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-
paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-
seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-
pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants
quelques miracles au passage croisant des pas-
sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait
leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette
relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-
nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de
lrsquoeacutepopeacutee
Par contre la version de Monsieur Nke Assolo
laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-
min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri
dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite
fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil
soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de
Ndzana a des allures de voyage initiatique dans
lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-
nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble
eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des
deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-
hissent voire traduisent la conception et la vision
de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des
Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes
se conccediloit souvent dans la tradition populaire
dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-
lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de
condition de dimension La mort sonne le deacutepart
du monde sensible et visible pour le monde intel-
ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas
eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti
drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes
certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de
personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-
trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens
eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux
mondes quoi qursquoencore vivants etc
Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait
peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-
neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe
du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En
le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que
les morts ont faim et soif comme le commun des
mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur
leur tombe constituent leur part qursquoils viendront
en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente
eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux
mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-
tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave
plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les
festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des
fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-
peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana
avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-
sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin
de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont
drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-
risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient
reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et
simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des
eacutebats raquo21
Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes
vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le
mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre
sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un
coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil
(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-
zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee
par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept
fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-
tivement de son rival
laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais
vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-
rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la
mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu
avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct
preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue
de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana
Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22
Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra
une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui
le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-
nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-
rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo
ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui
agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer
en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au
pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune
homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce
16
retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-
quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo
Cependant selon les versions de ce chant popu-
laire un autre volet de la culture populaire beacuteti
srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-
tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but
est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana
La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo
Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti
figure dans la chanson populaire Eton qui tient
lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la
langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner
par la palabre curative et pour la langue eacutewondo
cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire
et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute
en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave
maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-
nements inexplicables survenant dans une famille
ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de
procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee
etc dans ces conditions le village le clan ou
mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation
des patriarches pour exorciser le mauvais sort et
ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle
nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une
grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et
de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent
sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave
la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune
contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et
en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois
eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la
leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents
participants agrave la palabre la confession du princi-
pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance
proprement dit
La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-
rents participants agrave la palabre curative a un but
preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de
lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste
ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille
ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut
ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune
dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la
peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant
dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-
ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou
de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute
peut posseacuteder des biens des plantations tout
comme il peut avoir des enfants intelligents
une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-
ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un
mauvais sort un empoisonnement ou des pra-
tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere
eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier
cette situation
Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-
cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si
un des membres est accableacute) le malade doit pro-
ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave
lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-
gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est
incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-
tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-
tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les
autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave
sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-
siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave
la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement
dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-
tions et des rites sont faits Parfois on fait recours
agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-
lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-
mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-
mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du
sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute
procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions
des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais
sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que
lrsquoon veut gueacuterir
Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-
crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses
eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-
son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce
de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-
tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo
est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors
Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam
drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana
Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en
poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-
queacutee comment directement par la leveacutee
confirmation des doutes
laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest
bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore
jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-
ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les
eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet
17
hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de
la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-
caoyegravere raquo25
Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout
soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-
qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de
mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-
ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une
attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-
lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent
Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie
Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana
nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus
apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le
mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait
que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-
ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari
de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave
cette seule condition Mais il se montre intelligent
au moment de sa gueacuterison il renverse les termes
rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi
courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle
le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se
passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est
pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-
son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son
attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit
laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda
eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent
tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave
Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre
Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27
Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et
mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent
lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-
naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-
duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-
tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-
sienne Il est difficile de justifier la transformation
en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute
par cent personnes puis tenu par le malade pour
une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun
autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout
semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et
non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque
visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-
sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et
lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration
accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-
ment ne pas penser que de par ses faits ses rites
ses croyances et au regard mecircme de son histoire le
Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-
cience magique
Conclusion
Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de
faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-
pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-
tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux
forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-
der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee
de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux
Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-
porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies
deux univers deux mondes intimement lieacutes un
monde invisible et un monde physique un uni-
vers intelligible et un univers sensible une vie
nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-
ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-
seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-
creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave
laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec
toute la violence possible
Les premiers missionnaires les premiers
Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au
Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc
ont eu pour principal objectif de mettre un terme
aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-
saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave
ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-
tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-
dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana
Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur
les plans scientifique et artistique reacutecemment
pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle
une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue
drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-
nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-
cilement reacuteversibles
Bibliographie
- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel
1920
- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins
drsquoAfrique Paris Hatier 1984
- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes
Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-
tiation Paris Gallimard 1976
18
- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la
forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale
et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun
Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte
remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et
socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-
ti Paris Khartala 1985
- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les
nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-
matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-
deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999
- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier
Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989
- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du
peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970
- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait
pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence
drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-
pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016
- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain
decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse
de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique
Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000
111 p
- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo
avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-
lique Yaoundeacute Cameroun 1934
- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de
Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-
than 1957
1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune
nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement
au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18
2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux
deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune
conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-
sitaires de Yaoundeacute 1999
3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions
contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent
que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans
le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec
Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre
dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible
et elle rend le chant plus passionnant et croustillant
4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190
5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985
6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas
opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974
7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190
8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-
sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-
ris Gallimard1976
9 V173 agrave V178
10 V169 agrave V171
11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-
deacute Eacuteditions Cleacute 1989
12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902
p138
13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-
cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute
Cameroun 1934 p 60
14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la
Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984
15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au
Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41
16 Idem
17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-
phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957
18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti
Yaoundeacute 1970
19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des
morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis
de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-
liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197
20 Mono Ndzana opcit pp192-193
21 Mono Ndzana opcit p193
22 Transcription Nke Assolo p08
23 Idem
24 Vers 610 agrave 618
25 Vers 620 agrave 627
26 Vers 680 agrave 685
27 Vers 704 agrave 721
19
Culture populaire berbegravere
en Kabylie rupture etou transmission
BRAHIMI Denise
Universiteacute Paris VII Denis Diderot France
Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se
pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-
tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires
il me semble qursquoelle se pose encore davantage
dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des
donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-
tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine
Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains
et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans
le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash
mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour
leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut
dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer
quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-
ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour
eux de leur appartenance premiegravere (au sens des
arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne
veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise
devenue dominante la plus visible en tout cas et
mecircme lrsquounique selon certaines apparences
Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-
ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche
originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-
gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient
dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot
celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et
de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots
que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je
ferai donc agrave leur suite)
Je parle de famille Amrouche bien que le plus
connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean
Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos
Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne
-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des
problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-
gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-
soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa
fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique
eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration
preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma
Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur
drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un
processus de repreacutesentation plutocirct que de vie
immeacutediate au sein de la culture populaire en cela
Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere
Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du
peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune
autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee
Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun
eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au
sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la
culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux
sens du mot culture le premier anthropologique
deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de
faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant
un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave
lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au
moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la
famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces
deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-
tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-
tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot
employeacute dans le sujet de ce colloque
La famille Amrouche (en suivant la chronologie)
Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain
nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-
rique et biographique Le fragment de culture po-
pulaire dont il sera principalement question est un
recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean
Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte
bien avant
La premiegravere eacutetape
dure pendant des anneacutees degraves que la famille
Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir
agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait
deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-
nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la
famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-
vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un
preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au
christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en
1899
Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme
un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent
drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non
sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et
srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment
en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au
sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour
20
bercer ses enfants (les Chants comportent
beaucoup de berceuses )
A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie
intime et purement orale car drsquoelle-mecircme
Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les
chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche
de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de
ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant
son enfance et pendant son adolescence
(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-
moire inimitable incroyable que deacuteveloppent
les cultures purement orales ougrave toute transmis-
sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-
ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte
drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-
ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-
due
Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-
tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la
tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut
pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes
comme diront Jean et Taos) Cependant elle
permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications
dans un sens purement personnel ce dont
Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En
1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule
anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose
drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre
part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest
pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-
deacutee Des chants devenus personnels du moins
dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste
traditionnelle Taos explique dans son recueil de
contes et de chants Le Grain magique3 comment
elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-
duits et eacutecrits
Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-
prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et
de traduction qui bat son plein dans la famille
Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la
deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce
agrave Jean dont il faut parler maintenant
Cette deuxiegraveme eacutetape
est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-
begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de
Jean Amrouche un certain nombre de Chants
recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de
la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus
les teacutemoignages de trois membres de la famille qui
srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-
rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-
tir de 1937 et principalement en 1938
Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu
vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme
guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment
ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et
Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu
et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux
recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et
Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-
liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-
poraine pour laquelle il a la plus grande admira-
tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et
lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses
propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est
en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman
Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment
Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise
Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue
et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil
publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme
le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee
drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et
tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin
des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine
de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme
tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils
soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en
tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-
quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-
blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule
langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-
hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-
rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la
langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits
de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer
dans le contexte historique et politique de
lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-
gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche
faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-
sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-
naicirctre en franccedilais
Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous
apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout
de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees
(avant mecircme le grand retour de la langue ama-
zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale
21
valeur des deux parties qui composent le re-
cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un
texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant
les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-
ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen
manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les
faire ressentir pleinement Une frustration qui
vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo
de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-
son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais
On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants
-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les
choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour
transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees
dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface
parle admirablement de la voix de la megravere qui les
a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on
comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la
restituer dans une traduction en franccedilais On ne
peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des
mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est
vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et
leur publication sous cette forme marquent une
date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture
ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-
coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-
sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment
la poeacutesie
Arrive alors la troisiegraveme eacutetape
que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-
toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de
Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-
tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle
eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements
celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue
berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces
deux changements comme lrsquoa fort bien vu
Fadhma sont la conseacutequence de la participation
de Taos au festival des musiques traditionnelles
de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui
constituent le patrimoine poeacutetique et musical de
la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-
quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-
vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle
prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une
confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue
intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait
les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves
son retour en France en 1945 avec son mari
Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-
ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-
tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les
deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent
mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant
toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-
tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave
sa mort en 1976
1937-1938 signification drsquoun choix
Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je
propose que nous revenions de faccedilon beaucoup
plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-
1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de
faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee
la question de la transmission de la culture popu-
laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice
Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit
Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres
de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-
mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par
les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit
en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle
comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-
rue ou en voie de disparition et enfouie dans un
passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la
tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la
publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-
mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie
populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-
nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-
nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut
passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la
poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les
folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen
du 19e siegravecle
Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise
par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais
question des auteurs qui lrsquoauraient produite et
dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils
sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de
dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune
sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-
nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui
deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires
voire milleacutenaires parfois universels comme celui
de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne
sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune
marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire
Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est
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purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-
derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des
livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par
exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave
eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en
1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition
fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-
tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la
reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait
pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves
belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une
sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-
tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est
un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-
ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-
si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui
est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-
jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une
impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme
ougrave on se met au service delt
Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche
est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques
noms propres bien connus des speacutecialistes de la
question Et pour commencer celui de Si Mohand
grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont
Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans
cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres
de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de
choses preacutesente les traits exactement inverses de
ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler
de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-
tant que des changements subis par son pays aux
prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-
raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes
coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement
en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute
Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete
moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-
quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la
nostalgie et au recircve Un des grands commenta-
teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-
loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-
ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-
hand aux changements historiques qui se produi-
sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport
agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-
pris en poeacutesie
Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des
Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie
kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre
nom important dans ce cadre qursquoil faut citer
maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit
kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-
begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies
kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du
20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-
lisent les dates et tentent de leur donner sens on
pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves
(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand
(en deacutecembre 1905) et que la publication des
Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave
va commencer sa carriegravere un des grands chan-
teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem
(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-
ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des
langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee
tout autrement par sa sœur Taos)
On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment
eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche
Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-
rale sur la question des langues deacutebordant sans
doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle
y est particuliegraverement apparente Les langues
qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere
sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-
tincts
mdash drsquoune part une partie du peuple parfois
(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage
intime familial ou villageois
mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font
un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition
Une large transmission de quelque sbquotreacutesor
litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du
siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-
pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui
est vu comme la seule langue de culture donnant
accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi
lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-
begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite
Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout
en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon
peut dire les choses ainsi
Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-
deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave
un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi
demment souligner lrsquoimportance du travail
23
Fadhma
laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir
(=les chants) une femme entre toutes admirable ma
megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux
elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les
miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de
nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent
par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un
passeacute raquo
Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment
qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune
orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des
caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont
elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et
follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire
croire de sa part agrave une revendication anticolo-
niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer
du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce
mecircme texte son admiration pour un certain
nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont
mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est
sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-
fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-
hisseurs
laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour
ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des
plus difficiles que la France ait entreprises Chacun
sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois
leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-
quise village par village et rue par rue mais encore
maison par maison raquo
Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-
pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons
pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui
paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est
le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere
eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil
intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court
texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant
important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout
agrave fait claire le principe de la transmission (orale
mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la
transmission de megravere en fille
laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-
nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes
toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par
une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces
chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de
bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes
pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque
aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()
accompli par Mouloud Mammeri pour don-
ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue
eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire
de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-
mille Amrouche en la personne de Taos qui a
pris appui sur sa connaissance des Chants ber-
begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en
faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le
passage neacutecessaire pour que le tamazight
(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit
de citeacute
A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos
Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une
pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des
anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors
mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)
lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-
ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand
qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur
que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine
la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute
premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu
que le travail de traduction nrsquoen est pas moins
leacutegitime et neacutecessaire
Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la
diffeacuterencie principalement de son fregravere est
qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-
ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat
dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-
liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en
1962 et pendant au moins deux deacutecennies
Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu
apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-
begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la
Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse
de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience
de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission
drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a
drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-
drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de
pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave
lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie
sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-
ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour
mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-
mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de
quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son
importance Une fois de plus dans la famille
Amrouche cela commence par un hommage agrave
24
Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-
tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-
preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-
phique
Le travail artistique accompli par Taos bien
qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage
de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la
repreacutesentation de la culture populaire berbegravere
qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa
Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie
Les contradictions ont abondeacute tout au long de
ce bref parcours concernant le rapport de la fa-
mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere
Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent
leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-
tistique dont les qualities certaines sont pourtant
drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces
attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-
meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou
de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous
sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du
cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci
de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-
musicologique
Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples
prestigieux que la culture populaire la plus vi-
vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux
et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-
sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee
Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un
peu contradictoire
Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-
prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une
certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-
meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que
ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-
donner viemdashet dans certains cas y parviennent
Bibliographie
AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-
nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-
mattan 1986
AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris
Maspeacutero 1968
AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot
1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)
Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-
semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je
te relaie raquo(p7)
Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens
purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves
anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le
titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par
Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-
nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans
un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-
qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-
mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-
tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme
le montrent de nombreux documents iconogra-
phiques fresques vases grecs etc
Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce
fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves
lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes
entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants
espagnols archaiumlques de la Alberca transmis
cette fois non par sa megravere mais par une Espa-
gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-
doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez
la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune
recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant
les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait
qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-
quise par les Arabes comme on dit souvent
mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-
teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte
la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper
en Espagne sous les dynasties almoravide et al-
mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi
peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes
par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation
et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-
cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne
serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu
des enregistrements il est clair que lrsquoimpression
produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme
encore entiegraverement vivant
Repreacutesentation mise en forme conceptuelle
theacuteacirctrale et artistique (conclusion)
La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-
trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-
citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas
ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est
ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu
25
Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)
LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975
reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)
Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995
(roman)
Sur Taos Amrouche
Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris
Editions Joeumllle Losfeld 1995
Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012
Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-
phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud
2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1
pp44-63
Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des
sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe
avant lrsquoheure
Sur la famille Amrouche
Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-
tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma
Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998
Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute
2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-
lone Espagne
Enregistrements
Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-
bylie coffret 5 CD
mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition
inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion
mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee
drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-
teurs la Librairie sonore 2009
Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme
titre et le mecircme contenu
CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des
Berbegraveres drsquoAlgeacuterie
CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca
chants populaires archaiumlques transmis par tradi-
tion orale recueillis en Espagne
CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-
begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle
recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-
nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies
et chanteacutees par Taos Amrouche
CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque
souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave
Laurence Bourdil-Amrouche
Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-
seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova
eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-
gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier
au 30 juin 1955
Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-
no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi
une photo de Taos en 1955
Annonce pour la revue Le Saharien
Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre
Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur
Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes
Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale
Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute
Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr
Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom
1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-
nomotapa 1939
2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-
ris Maspero 1968
3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero
1966
4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou
Mohand Paris Maspero 1969
26
Traditions orales dans lestheacutetique
dAhmadou Kourouma
ZAOURI Rachid
Universiteacute dEl Jadida Maroc
En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler
ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc
semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une
tendance essentielle dans la litteacuterature africaine
drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout
agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-
nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un
contexte postcolonial le romancier ivoirien
pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette
exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire
rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture
africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie
colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de
reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours
sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la
langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le
projet kouroumien dans le champ de la com-
plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre
paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-
blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-
ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de
la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle
Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes
sociales et politiques des indeacutependances est
drsquoabord et sans concession un regard distant
Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement
estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un
regard ironique tregraves voltairien qui fait passer
lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme
de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est
particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages
et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-
tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy
appelle la meacutelancolie du postcolonial
La probleacutematique que nous soulevons est la
suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-
liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-
quement en termes drsquoemprunt au patrimoine
oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-
verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de
subversion entendons ici un effort soutenu de
feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui
passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de
aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment
ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-
rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui
veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-
voirs de lrsquoironie
Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption
violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle
des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances
de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-
tures africaines dans En attendant le vote des becirctes
sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait
lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps
du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent
sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-
flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur
le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-
dons dans ces quelques lignes
Pour tirer au clair les axes qui structurent notre
analyse nous nous permettons de suivre une
piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma
lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice
signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard
de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-
vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole
laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain
Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je
recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet
me permet de traduire la situation en cours Dans
Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-
tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au
griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo
En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute
nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation
et de resubstantialisation du grand parler africain
asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-
centrisme du discours colonial qui selon les
termes de Louis Jean Calvet a pris les allures
drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-
sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un
lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le
flux de la parole vive Sur le plan symbolique il
recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le
narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-
tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la
parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois
conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier
le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le
narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-
toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-
dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux
gestes des hommes illustresltraquo
27
Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute
la reprend en substance du point de vue de
lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-
mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du
griot dans la culture mandingue En effet
laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte
et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des
dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des
fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques
nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-
dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les
griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais
aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-
riens raquo p41
Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-
sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma
Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-
tances avec ce modegravele occidental de la civilisation
du livre et de la raison discursive qui conccediloit le
texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-
ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa
plume agrave la parole du griot il veut placer son texte
dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage
drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-
tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute
par lrsquointuition et de la sensorialiteacute
En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs
de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant
drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-
raire La palabre et son rituel de distribution de la
parole est perceptible au niveau de la polyphonie
des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est
tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points
de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre
et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-
sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de
djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un
double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation
de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement
montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-
tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du
malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du
texte sont puissamment amplifieacutes par les for-
mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de
mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit
avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la
parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-
portance du proverbe chez Kourouma en digne
heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-
trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote
des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils
expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils
srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique
les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-
ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-
moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont
les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que
Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et
sagesse Sur un autre plan la contamination de
lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence
reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte
agrave travers une disposition typographique en ita-
lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-
mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-
riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-
dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de
lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent
lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est
possible de livre la totaliteacute du roman comme un
chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme
de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper
son pouvoir par son fils Beacutema pourtant
laquo sorti de sa ceinture de ses urines
Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement
Pour revenir sur ses pas
La parole du noble est une montagne
Elle ne se reprend pas
La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo
p269
Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-
linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise
kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la
langue bute sur lrsquoineacutenarrable
laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc
comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave
laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere
rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-
duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta
laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-
role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9
Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites
de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture
de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-
nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se
traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du
champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-
proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril
Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-
dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee
africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-
ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave
28
la geste de Soundjata dans une absolue confiance
dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-
tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir
Diane fait encore sienne cette vision classique de
lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la
fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-
dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs
de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux
contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee
Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de
lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce
chant harmonieux que composent la voix des an-
cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles
des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est
un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que
veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure
irreacuteparable une blessure incicatrisable un
monde acosmique en perte vertigineuse de ses
repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-
prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le
contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-
tion Le chant des monnew devient ainsi le chant
de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la
pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-
sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole
pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-
die
laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et
ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera
pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront
apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise
Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-
terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont
viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de
louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront
mieux que la cora du griot raquo p15
Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque
impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-
cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez
Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant
son style et ses motifs par le truchement de la pa-
rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du
monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire
raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D
Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une
forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle
tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5
Le griot confirme cette vision des choses quand il
dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se
reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-
gui prend fin en un ultime fracas la saga des
Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur
leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave
lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee
coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui
srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une
chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu
ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes
du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute
son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec
la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de
son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-
gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir
au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance
aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-
ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-
cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du
nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-
taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la
bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159
p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne
lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se
fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la
parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un
style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-
boration tel Don Quichotte combattant les mou-
lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-
massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards
et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de
reculades La seconde prend un aspect tragique agrave
travers la mort-suicide du dernier roi de Soba
Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave
leur suite lrsquoaffolement le travestissement des
signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les
maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille
entente entre les mots et les choses en terre man-
dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-
ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux
frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite
lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba
ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite
agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole
eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne
vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-
milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-
bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon
(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des
heacuteros raquo p43
Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler
lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la
29
perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un
droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec
les univers de la qualiteacute et le basculement dans
les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-
teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba
qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie
il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur
fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-
nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant
Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-
leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la
facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer
un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde
et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-
leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de
lrsquoHistoire
laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-
velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-
roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je
suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois
que les mots changent de sens et les choses de sym-
boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout
recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux
noms des hommes des animaux et des choses Dans
mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les
nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour
retrouver les nouvelles appellations du soleil de la
lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de
lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo
p42
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du
deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la
neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge
drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-
lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette
Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave
la fois identitaire et linguistique Il est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence
donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-
tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages
de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre
agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-
frages de lrsquoHistoire
Conclusion
Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-
jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte
postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la
seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-
min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-
tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-
sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma
lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au
chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du
mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur
lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient
qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de
lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration
qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens
latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris
la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer
lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence
mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation
1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-
duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute
par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de
Rennes 2004 p 10
2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme
petit traiteacute de glottophagie
Hachette laquo Pluriel raquo 1999
3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de
dictons le Robert 1980
4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-
cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les
laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs
seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-
trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven
drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-
phones p 28
5 p188
30
Editions
2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019
BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019
BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019
BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019
HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019
LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019
MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie
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TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-
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YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes
LrsquoHarmattan 2019
ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019
2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018
AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-
niale Albin Michel 2018
ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018
ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018
BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018
BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018
BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018
CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018
DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018
DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018
FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018
JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018
KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018
LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018
MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018
MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018
MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018
NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018
RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018
ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018
2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017
ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017
AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017
AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017
BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017
31
BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017
BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la
deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017
BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017
BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017
BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017
BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017
BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017
BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset
BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des
mondes agrave faire 2017
CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017
CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017
CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017
COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique
noire LrsquoHarmattan
DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017
DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017
FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017
FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017
GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017
GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017
GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017
HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017
JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017
JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017
QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017
LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017
LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017
LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long
Cours 2017
LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017
LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017
LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017
LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017
LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017
LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017
MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017
MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017
MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017
NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017
OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017
PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017
PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017
PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017
ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017
RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017
SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017
TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017
ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017
ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017
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Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan
TITRES REacuteCENTS
2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343
-17232-3
BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-
sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1
DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN
978-2-343-16669-8
MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-
343-16597-4
2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-
2-343-14708-6
BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-
2
DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1
DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3
DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN
978-2-343-14263-0
GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880
-0
MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018
ISBN 978-2-343-16123-5
MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0
NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy
Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8
SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2
THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean
Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8
VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper
2018 ISBN 978-2-343-15007-9
2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-
tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2
AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise
Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1
DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec
la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1
TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de
la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-
343-1279-3
33
2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de
nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016
AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la
collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016
AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute
du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016
BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah
V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016
CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley
avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016
ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN
978-2-343-08917-1 2016
MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-
9 2016
2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration
de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015
BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015
CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et
Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015
DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-
sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015
SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation
de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015
NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-
boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger
Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015
PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015
2014
CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-
sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014
CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-
ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014
CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water
lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343
-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits
preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014
CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-
02850-7 2014
CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5
2014
CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-
343-02772-2 2014
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Agenda
Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg
Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la
naissance de Mohammed Dib
13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations
et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque
25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de
lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques
15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des
langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen
Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres
litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain
Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de
sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-
proches historiques et perspectives actuelles
21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris
Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement
Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune
litteacuterature mondiale 2000-2019
13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au
Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle
7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-
drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo
6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres
et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel