le courrier de la sielec—n° 10 sommaire

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1 Le COURRIER de la SIELECn° 10 Sommaire La Représentation des cultures populaires p. 2 Dans « La Colline oubliée » de Mouloud Mammeri p. 4 À propos de quelques éléments de la culture populaire béti p. 11 Culture populaire berbère en Kabylie p. 19 Traditions orales dans l’esthétique d’Ahmadou Kourouma p. 26 Editions p. 30 Agenda p. 34 Si vous souhaitez contribuer à un prochain numéro, prière d’envoyer les livres, articles, comptes rendus ou toutes informations à : [email protected] Adresse postale 19 rue Planet 30150 Roquemaure France L’association sur le net www.sielec.net

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Page 1: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

1

Le COURRIER de la SIELECmdashndeg 10

Sommaire

La Repreacutesentation des cultures populaires p 2

Dans laquo La Colline oublieacutee raquo de Mouloud Mammeri p 4

Agrave propos de quelques eacuteleacutements de la culture populaire beacuteti p 11

Culture populaire berbegravere en Kabylie p 19

Traditions orales dans lrsquoestheacutetique drsquoAhmadou Kourouma p 26

Editions p 30

Agenda p 34

Si vous souhaitez contribuer agrave un

prochain numeacutero priegravere drsquoenvoyer les livres articles comptes rendus

ou toutes informations agrave

Roqdurandwanadoofr

Adresse postale

19 rue Planet

30150 Roquemaure

France

Lrsquoassociation sur le net

wwwsielecnet

2

LA REPRESENTATION

DES CULTURES POPULAIRES

DANS LES LITTERATURES

DE LrsquoERE COLONIALE

Le mot de la SIELEC

lt Cultures populaires dans les litteacuteratures de lrsquoegravere

colonialelt le propos peut sembler de prime abord

insolite tant nous avons peu coutume de consideacute-

rer les unes sous lrsquoangle des autres Pourtant dans

la perspective ici esquisseacutee les quatre contribu-

tions de notre ensemble eacutetudient les repreacutesenta-

tions litteacuteraires sur cette assez longue peacuteriode

(1850-1950) qui voit les eacutecrits se multiplier (certes

de qualiteacute ineacutegale) autour drsquoune reacutealiteacute ressentie

comme pittoresque curieuse romanesque et par-

fois dangereuse inquieacutetante archaiumlque quand elle

alimente une puissante et diffuse reacutesistance cultu-

relle agrave la peacuteneacutetration eacutetrangegravere et aux perspectives

modernisatrices A lrsquoeacutevidence entre fascination

exotique et fantasmes et peurs coloniales les sensi-

biliteacutes les plus contrasteacutees srsquoexpriment dans ces

textes

Les lignes de force ici deacutegageacutees par les quatre

contributions envisagent la persistance dans ces

cultures drsquounivers magiques comme autant

drsquoautres mondes aux antipodes des cultures mo-

dernes rationalistes et utilitaristes Sy joignent les

formes populaires du Sacreacute avec leur syncreacutetisme

leur inventiviteacute mythique ainsi que lrsquoimportance

de lrsquooraliteacute tout comme les formes et lrsquoestheacutetique

drsquoun art collectif que lrsquoon qualifiera plus tard de

tribal primitif ou premier De grands mythes litteacute-

raires qui se construisent autour de ces mondes

lrsquoimmeacutemorial le sauvage le laquo naiumlf raquo quecircte aussi

de lrsquoorigine avec toutes ses variantes et ses meacuteta-

morphoses Les estheacutetiques exotiques fascineacutees

par le Divers (Segalen) prennent diffeacuterents che-

mins que prennent en mecircme temps qursquoelles cons-

tatent la lente eacuterosion de ce dernier Cest la ren-

contre entre le texte litteacuteraire et le reacutecit anthropolo-

gique et ethnographique agrave une eacutepoque qui vit se

construire le discours savant sur lrsquoautre

(orientaliste africaniste) en mecircme temps qursquoune

litteacuterature laquo grand public raquo se laissait aller agrave un

imaginaire parfois deacutebrideacute Les eacutecrivains utilisent

aussi le reportage de presse agrave theacutematique afri-

caine ou orientale entre recherche systeacutematique

du spectaculaire et preacutecision documentaire en

srsquoappuyant mecircme sur les courants litteacuteraires euro-

peacuteens (naturalisme symbolisme reacutealismelt) et

leur influence sur la repreacutesentation des cultures

vernaculaires sans ignorer lrsquoinstrumentalisation

politique de ces cultures dans le cadre de la gou-

vernance coloniale

En effet dans leur dimension colonisatrice les

litteacuteratures francophones rencontrent des peuples

quelles jugent agrave travers leurs conceptions de

leacutepoque le plus souvent attardeacutes Mais eacutetonnam-

ment ces peuples leur rappellent leur propre passeacute

qui en art et en litteacuterature peuvent se reacuteveacuteler un lt

preacutesent Romantisme symbolisme puis cubisme

nont-ils pas remis au goucirct du jour sculpture mu-

sique et religions africaines cest-agrave-dire des arts

populaires comme le romantisme avait tenteacute de le

faire pour les plus anciennes traditions euro-

peacuteennes En Europe tout au long du XIXegraveme

siegravecle la sensibiliteacute romantique entre autres avait

grandement contribueacute agrave jeter un regard nouveau

sur ces expressions consideacutereacutees parfois comme

marginales naiumlves superstitieuses et que lrsquoon per-

cevait deacutesormais comme des sources de laquo vivante

poeacutesie raquo (Michelet) Des mondes paysans de

George Sand avec leurs traditions musicales et

leurs rituels collectifs aux profondeurs animistes

magiques polytheacuteistes redeacutecouvertes par Miche-

let dans son chef drsquoœuvre La sorciegravere (1862) ou en-

core avec lrsquoaffirmation que toute langue est une

veacuteritable vision du monde que lrsquoon retrouve au

cœur de lrsquoœuvre de Mistral crsquoest un puissant mou-

vement culturel qui modifie la sensibiliteacute de toute

une eacutepoque

De plus avec lrsquoexpansion coloniale et le renfor-

cement des grands empires mondiaux eacutecrivains et

voyageurs vont aussi srsquointeacuteresser agrave des ailleurs cul-

turels ougrave ces cultures populaires se manifestent

avec encore plus de vivaciteacute et certainement avec

une plus grande charge drsquoinconnu et de mystegravere

Certains ne manqueront pas drsquoeacutetablir des compa-

raisons suggestives entre ces reacutealiteacutes profondes

drsquoOrient et drsquoOccident drsquoAfrique et drsquoEurope

Andreacute Chevrillon par exemple qui dans sa Bre-

tagne drsquohier (1925) rapproche les moussems maghreacute-

bins et les pardons bretons et constate en occident

mecircme la persistance drsquoun sacreacute bien proche de

3

celui qursquoil avait pu observer au Maroc ou en

Inde En effet tout lecteur de la riche litteacuterature

consacreacutee agrave la deacutecouverte des cultures drsquoAfrique

et du Maghreb durant lrsquoegravere des Empires mais

aussi bien des reacutecits postcoloniaux ne peut

qursquoecirctre frappeacute par lrsquoimportance drsquoun thegraveme

transversal celui de lrsquoexpression des cultures

vernaculaires autrement dit du vaste continent

de lrsquooraliteacute des contes et leacutegendes des pratiques

rituelles et magiques des religiositeacutes en dehors

mecircme des formes plus savantes de la culture

celles que leacutegitiment Ecoles institutions offi-

cielles orthodoxies religieuses universiteacutes pour

lrsquoessentiel dans le cadre drsquoune civilisation du

livre et de lrsquoeacutecrit

Pourtant Chevrillon nest peut-ecirctre que lan-

nonciateur de lrsquoentreacutee en scegravene des eacutecrivains

maghreacutebins et africains et la maniegravere nouvelle

dont ils voudront exprimer agrave partir drsquoune expeacute-

rience veacutecue et non plus exteacuterieure ces cultures

diverses La probleacutematique de lrsquoidentiteacute cultu-

relle drsquoautant plus centrale que lrsquoon se rapproche

de lrsquoegravere des Indeacutependances De Mohamed Dib agrave

Tahar Ben Jelloun ou Mohamed Choukri drsquoAma-

dou Hampateacute Bacirc agrave Leacuteopold Sedar Senghor et

Aminata Sow Fall la culture populaire occupe

une place essentielle dans la creacuteation franco-

phone Elle est bien sucircr au cœur du mouvement

de la neacutegritude et de son deacutesir de donner une

leacutegitimiteacute nouvelle agrave la poeacutesie orale aux mytho-

logies et cosmogonies traditionnelles Au

Maghreb comme en Afrique noire dans des con-

textes certes diffeacuterents on assiste agrave un mecircme

mouvement profond de releacutegitimation de relec-

ture et de litteacuterarisation des croyances anciennes

bien qursquoelles puissent nourrir des visions antago-

nistes drsquoune vision romantique relevant avant

la lettre du reacutealisme magique agrave la critique radi-

cale de la superstition et la remise en cause des

mondes illusoires dont griots et traditionnistes

tissent la leacutegende (Amadou Kourouma Yambo

Ouologuem)

lt Cultures populaires dans les litteacuteratures de legravere

coloniale nous demandions-nous agrave lorigine lt

Pour finalement nous apercevoir que ces litteacutera-

tures finissent par se meacutetamorphoser complegravete-

ment reacuteciproquement et agrave se transformer dans la

fameuse litteacuterature du Tout-Monde que procircnait

Eacutedouard Glissant laquo Les auteurs qui eacutecrivent en

franccedilais proviennent des cinq continents no-

tamment de lrsquoAfrique et mecircme des pays outre-

espace francophone Crsquoest drsquoailleurs pour cette

raison qursquoils pensent qursquoil nrsquoest plus pertinent de

parler de laquo litteacuterature francophone raquo Il faut plutocirct

parler de laquo Litteacuterature-monde raquo1 pour faire ressor-

tir lrsquoeacuteclatement des frontiegraveres de lrsquoespace fran-

cophone par cette litteacuterature raquo Dont acte

Notre Courrier de la SIELEC ndeg 10 preacutesente non

en double publication mais en avant-premiegravere

les quatre articles de cinq contributeurs du col-

loque La Repreacutesentation des cultures populaires dans

les litteacuteratures de lrsquoegravere coloniale (dont les actes vont

paraicirctre prochainement au Maroc) Aiumlni Be-

touche Fatima Bouhkelou Denise Brahimi Jean

-Bernard Evoung Fouda et Rachid Zaouri La

seacutelection de la SIELEC nrsquoest qursquoun panel forceacute-

ment limiteacute baseacute sur une recherche de diversiteacute

caracteacuteristique Les articles non retenus sont

drsquoaussi bonne qualiteacute Les auteurs le compren-

dront Mais il fallait faire un choix sachant que la

totaliteacute sera bientocirct disponible

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacutehension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc dof-frir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et multiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seulement en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des informations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire excep-tionnel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacute-cialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

4

de la confusion des corps le mystegravere dionysiaque

fonde peacuteriodiquement un ordre nouveau il souligne

aussi la preacuteeacuteminence du collectif sur lrsquoindividualisme

et son correacutelat rationnel qursquoest le social raquo3

La sehdja

La sehdja est lrsquoune des formes la moins orgias-

tique des deux Peacuteriodiquement ceacuteleacutebreacutee par les

jeunes gens exclusivement masculins avec toute-

fois la preacutesence feacutemininemasculine de Mou lrsquoAn-

drogyne la sehdja favorise la reacutegulation du trop

plein de lrsquoeacutenergie pulsionnelle qursquoelle exteacuteriorise

et canalise La ceacutereacutemonie que nous allons analyser

preacutesente un caractegravere particulier en ce sens ougrave elle

est exceptionnelle du fait qursquoelle est initieacutee agrave lrsquoins-

tigation du cheikh garant de la morale religieuse

et de la tradition Lrsquoeacuteveacutenement que srsquoapprecircte agrave

vivre la communauteacute est grave au point de requeacute-

rir la preacutesence de tous En effet la mobilisation de

tous les jeunes gens aux cocircteacutes des Forces Allieacutees

affecte la communauteacute au plus profond drsquoelle-

mecircme si bien qursquoelle reacuteagit en faisant appel agrave

toutes les forces qui lrsquoaniment et dans une

laquo totalisation rituelle raquo4 elle fait en sorte de reve-

nir agrave une laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo 5

pour reacuteactiver la cosmogonie Aussi peut-elle ecirctre

agrave mecircme de conjurer la mort et le malheur

laquo Que les femmes aillent ce soir agrave la fontaine comme

aux jours de fecircte Le cheikh pensait ainsi exorciser le

malheur (lt) Degraves le deacutebut de lrsquoapregraves-midi commenccedila

le deacutefileacute chatoyant des femmes jeunes et vieilles belles

ou laides vers la fontaine Il nrsquoy en avait jamais tant

eu parce qursquoil fallait tout ce nombre pour eacutecarter la me-

nace raquo6

Les frontiegraveres entre les interdits srsquoeffacent

Toutes les jeunes forces macircles du corps social sont

convoqueacutees pour se conjoindre par lrsquoesprit agrave leurs

homologues femelles qursquoils admirent sous le re-

gard jadis farouche des gardiens de la tradition

devenus complices7 le temps que srsquoaccomplisse la

cosmogonie Aussi la sehdja va-t-elle favoriser lrsquoac-

complissement de cette opeacuteration au cours de la-

quelle a lieu la transformation psychique en dyna-

mique sensuelle les jeunes gens qui se sont repu

rempli les yeux du spectacle des plus belles

femmes durant ces moments vespeacuteraux auront agrave

eacutevacuer cette eacutenergie psychique et agrave la transfor-

mer en dynamique sexuelle La sehdja avec son

La mise en repreacutesentation de la culture

populaire dans laquo La Colline oublieacutee raquo de Mouloud Mammeri

BETOUCHE Aiumlni et BOUKHELOU Fatima-Deacutepartement de Franccedilais Faculteacute des Lettres et

des Langues Universiteacute Mouloud Mammeri Tizi

Ouzou Algeacuterie

Publieacutee en 1952 aux eacuteditions Plon La Colline

oublieacutee de Mouloud Mammeri met en repreacutesenta-

tion un univers primordial que meuvent et pro-

meuvent des rituels et des traditions plusieurs fois

seacuteculaires Il srsquoagit dans la preacutesente communica-

tion de deacutemontrer en quoi les rituels festifs tels

que la sehdja et la hadra constituent des formes po-

pulaires fortement impreacutegneacutees de Sacreacute favorisant

la structuration de la communauteacute tout en lui eacutevi-

tant toute deacutesinteacutegration En effet toute commu-

nauteacute se reacutegeacutenegravere et perdure gracircce agrave la coexistence

des deux dimensions que sont la dimension apolli-

nienne repreacutesentant la structure drsquoen haut et la di-

mension dionysiaque ou champecirctre repreacutesentant

la structure drsquoen bas incarneacutee dans La Colline ou-

blieacutee par la figure androgyne de Mouh le berger

La combinaison des deux dimensions sus-citeacutees

garantit la coheacutesion de tous les eacuteleacutements laquo socieacutetaux

contradictoriels raquo1 en preacutesence La structure sur-

plombante supporte de se laisser porter par la

structure drsquoen bas Ainsi lorsque lrsquoapollinien en

vient agrave srsquoaffaiblir la reacuteactivation de la dialectique

des deux dimensions se sous-tendant rentre en

action pour redynamiser lrsquoeacutelan jubilatoire La

structure apollinienne en appelle agrave lrsquoirruption des

forces souterraines qui srsquooriginent au sein mecircme

de la laquo socialiteacute inteacuterieure raquo2 Une fois convoqueacutees

ces forces entrent en lice pour restaurer la cosmo-

gonie

Nous allons deacutemontrer que la sehdja et la hadra

qui constituent pour reprendre Michel Maffesoli

des formes eupheacutemiseacutees de lrsquoorgiasme sont omni-

preacutesentes dans La Colline oublieacutee et partant dans la

socieacuteteacute berbegravere traditionnelle qursquoelles sont convo-

queacutees et veacutecues chaque fois que le corps social res-

sent le besoin de se reacutegeacuteneacuterer En effet la reacutegeacuteneacute-

ration drsquoun ordre socieacutetal ainsi que la perdurance

de sa vitaliteacute reacutesultent de lrsquoinversion des

rocircles laquo En mimant le deacutesordre et le chaos au travers

5

substrat eacuterotique est une maniegravere de rappeler

lrsquointime liaison de la vie et de la mort de conjurer

celle-ci et drsquoexsuder lrsquoeacuteros La sehdja reacuteeacutequilibre

les deux dimensions ouvre les possibiliteacutes et al-

legravege les contraintes sociales crsquoest un vecteur de

puissance de dynamisme et drsquoeffervescence in-

dispensable agrave lrsquoeacutequilibre individuel et socieacutetal La

sehdja culbute lrsquoinstitueacute par trop mortifegravere

laquo Quelque chose vraiment eacutetait changeacute dans Tasga

Pour voir passer le long cortegravege nous eacutetions lagrave tous les

jeunes du village agrave la fois ceux de la bande et ceux de

Taasast assis en file sur les dalles de schiste de la place

des Ormes (lt) Les autres descendirent sur lrsquoaire

pour une sehdja qui devait ecirctre pour moi la derniegravere Je

ne crois pas que jrsquooublierai jamais cette nuit dont

notre longue attente sur les dalles froides de la place ne

fut que le silencieux preacutelude raquo8

La conjonction des deux univers a lieu agrave la fa-

veur de la nuit agrave mecircme lrsquoaire - laquelle constitue

lrsquoassise le nid et reacutefegravere aux profondeurs abys-

sales Ainsi crsquoest de ce creuset de la chaleur

qursquoest le centre du monde et partant de lrsquoeacutener-

gie9 que sourd la passion souterraine et profonde

qui vient irradier le monde de la surface laquo Comme

une preacutesence obscure mais qui nrsquoen est pas moins reacute-

elle elle sous-tend toutes les situations et les repreacutesen-

tations qui se donnent agrave voirraquo10 Cette force abyssale

vient alors ressourcer et renflouer le monde de la

surface Tel est le rocircle de la sehdja meneacutee par

Mouh le berger qui agit agrave lrsquoimage de son dieu

tuteacutelaire Dionysos laquo lrsquoindiviseacute raquo avec la participa-

tion de tous les jeunes bergers laquo venus nombreux se

joindre sur lrsquoaire raquo et conjoindre les forces diony-

siaques en preacutesence surdeacutetermineacutees eacutevoqueacutees par

laquo les champs de figuiers drsquoalentour raquo11

Le figuier eacutetant dans la mythologie grecque et

latine12 lrsquoarbre de DionysosPriape lrsquoon infegravere

qursquoil srsquoagit bien drsquoune opeacuteration de reacutegeacuteneacuteration

des forces apolliniennes deacutegeacuteneacuterescentes par

lrsquoimpulsion de forces contradictorielles et reacutegeacuteneacute-

ratrices Ainsi que le souligne Michel Maffesoli

laquo lrsquoorgiasme est bien une plurialiteacute conjointe raquo13 ce

sont donc les diverses composantes de lrsquoagreacutega-

tion humaine constituant la structure anthropolo-

gique qui sont solliciteacutees pour assurer dans la

laquo synarchie raquo - ce principe drsquoordre- la coheacuterence

et lrsquoeacutequilibre de cette agreacutegation La plurialiteacute

dans la confusion revigore un corps social qui en

perte de force risque de srsquoaneacutemier Pareille

aneacutemie est en lrsquooccurrence eacutevoqueacutee par les

laquo dalles froides de la place raquo lesquelles vont pouvoir

ecirctre reacutechauffeacutees gracircce au feu nouveau allumeacute par

les jeunes un feu sexualiseacute qui ne meurt pas se-

lon Bachelard en effet laquo Le feu reacutenoveacute retrouve sa

neacutecessiteacute geacuteneacutetique raquo14 Les meacutetaphores fileacutees de la

reacutegeacuteneacuteration de la terre feacutecondeacutee mettent lrsquoaccent

sur cette confusion eacutevocatrice de deacutebridement or-

giastique

Lrsquoensemble des jeunes du village aideacutes par les

bergers des alentours procegravedent agrave la co-re-creacuteation

du monde agrave lrsquoinstauration de la confusion pri-

mordiale Ils miment cette derniegravere en y apportant

leurs forces paroxystiques dans une alliance de

fougues toutes neuves Lrsquoaire qui reacutefegravere agrave la

Grande Megravere agrave la terre - geacutenitrix est violemment

caresseacutee doucement violenteacutee par ces jeunes

dieux pleins de vitaliteacute qui laquo deacutebordent les champs

de figuiers drsquoalentour raquo crsquoest de la sorte que srsquoins-

taurent la co-union et la comm-union des ecirctres et du

cosmos Le deacutebordement atteint son comble par la

danse qui deacuteroule ses eacutevolutions agrave proximiteacute des

flammes crsquoest une danse tour agrave tour lente et vio-

lente langoureuse voluptueuse et passionneacutee qui

srsquoengregravene dans un deacutechaicircnement extatique Ces

treacutepidations et treacutepignements collectifs agrave la lueur

du feu annoncent le renouvellement laquo Le feu

suggegravere le deacutesir de changer de brusquer le temps

de porter toute la vie agrave son terme agrave son au-

delagrave raquo15 Lrsquoeacuteleacutement igneacute fortement sexualiseacute sur-

deacutetermine le symbolisme de la scegravene et lui precircte

un caractegravere des plus orgiastiques

Les pieds treacutepidants et freacuteneacutetiques - analogons

phalliques- battant la terre-megravere confegraverent agrave la

scegravene un aspect drsquoautant plus surreacuteel et mystique

que lrsquoopeacuteration suggegravere une peacuteneacutetration dans

lrsquointeacuterioriteacute intime de la substance drsquoune subs-

tance saisie dans sa profondeur et dans sa puis-

sance geacuteneacutesique De telles images renforcent la

surreacutealiteacute et la cosmiciteacute de lrsquoopeacuteration cultuelle

Le monde ancien et moribond dont les forces deacute-

clinent et vont srsquoaffaissant se trouve ainsi suppleacuteeacute

par un autre juveacutenile plein de segraveve et de robus-

tesse Les puissances chtoniennes viennent res-

sourcer les forces apolliniennes Ce sont lagrave des

images de la reacuteinteacutegration de la totaliteacute primor-

diale

laquo Pour un soir cependant il redevint le Mouh

6

qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand

feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-

daient vaguement semblable au sorcier de quelque

peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour

agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait

ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La

flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-

sible raquo 16

Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos

doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-

jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-

sordre des passions provoque le resurgissement

drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les

laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au

sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere

cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort

drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses

forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-

veloppa dans les pans amples de son burnous et sans

rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans

un coin contre un frecircne comme pour attendre que le

dieu doucement le quittacirct raquo19

Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute

deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle

se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave

lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit

comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-

datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-

mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui

garantit la continuiteacute du monde en unissant les

puissances chtoniennes et le monde de la surface

Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous

comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun

animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea

Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni

le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est

consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant

de la condition profane Mouh est en mesure

drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme

par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la

naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-

sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres

ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere

chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces

images du berger avec ses eacutevolutions repti-

liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-

sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent

la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des

oppositions survenant au terme de toute

opeacuteration rituelle de ce genre23

Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie

alchimique le serpent est la base de toute Œuvre

selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-

rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner

naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au

terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son

burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole

celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte

cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25

srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans

la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-

tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-

gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus

bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-

logues rendent plus congruent se renforce le deacute-

chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-

deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil

deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation

Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-

cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En

deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non

de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son

acceptation et de son inteacutegration si dissemblable

et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-

elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son

harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit

drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-

culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-

veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-

tinuiteacute

Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-

faite de ce que peut apporter un comportement

aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi

puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest

lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la

flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-

pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave

lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-

nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-

neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-

jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-

tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en

lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-

liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-

sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de

la culture berbegravere elle incarne cette force pro-

fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps

social gracircce agrave un pluralisme passionnel

7

pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-

tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de

la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur

mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve

La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme

Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-

diennes sous des modulations diverses la hadra

est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de

lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de

cette immense reacuteserve de forces souterraines se-

cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-

ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-

giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-

existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28

constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la

socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux

eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo

tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses

puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi

le passage suivant vient-il mettre en exergue la

preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-

tique au sein de la culture populaire Cette dimen-

sion semblant constituer le substrat qui fonde

cette culture sous-tend de la sorte la structure so-

cieacutetale

Lrsquoactivation de cette dimension est mise en

branle aux moments les plus cruciaux auxquels

peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication

que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-

proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan

initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-

tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence

rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-

rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui

que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre

-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de

lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-

der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-

rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-

tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-

nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion

de vie de lrsquoensemble

laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit

geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)

une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de

la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-

bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse

vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes

parce que toutes baissaient la tecircte La musique

continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-

chaicircneacuteelt raquo30

La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans

la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration

drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-

vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-

compagnement agrave cette con-fusion des esprits et

des corps brouillant les limites et effaccedilant les

barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet

et favorise laquo le renversement des comportements

qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-

fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en

œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-

complisse et que les participants srsquoy adonnent

dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la

laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue

et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33

au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les

femmes reacuteunies agrave cet effet

laquo Dans chaque coin des hommes des femmes

eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-

vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un

second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave

la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de

becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se

tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes

des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-

lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces

sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras

formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes

steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34

Nous avons lagrave une union double un andro-

gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux

jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de

deux maniegraveres compleacutementaires et duelles

comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et

provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse

et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-

ciences et des inconscients est une comm-union

Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute

communion des consciences sous quelques espegraveces

qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le

travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie

symbolique -de ces femmes mimant les

hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-

tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36

8

Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-

geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes

aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect

orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se

trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore

fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes

fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-

bir la hadra raquo sont effectivement passives elles

sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-

vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave

nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient

laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se

faisant labourer par les analogons phalliques des

danseurs fougueux sautant de toutes leurs

forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-

sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes

steacuteriles raquo

Le redoublement de toutes les forces conju-

gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi

dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-

plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-

siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement

est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des

rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des

forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-

sement sans cesse renouveleacute

laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux

de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait

deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-

tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force

bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie

Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-

pue dans les cocirctes raquo37

La multiplication des forces est justement ren-

due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-

sances cosmiques animales instrumentales ani-

meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons

geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-

brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-

lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent

les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie

ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal

chaos La communion de tous advient par deacute-

chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-

jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere

alors pleinement pour impulser la flamme du

renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette

dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-

reacute par la culture drsquoen haut

lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-

feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi

lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente

drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes

deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun

pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans

son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux

normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement

que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait

pas seulement sur un moralisme rigide qui se

trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon

un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation

ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique

de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-

teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de

contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement

salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un

contrepoids aux forces surplombantes

eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-

clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee

dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-

teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient

Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme

cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-

duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant

un pronostic normal de survie et non condam-

neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee

drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42

La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute

sont neacutecessaires et requises au maintien de la

coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout

en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines

limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute

court le risque de voir ses composantes se deacuteliter

et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons

de le voir un social monolithique ougrave ne domine-

rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave

connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses

forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport

contradictoriel puissant la dimension diony-

siaque apporte la contradiction et constitue un

contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-

sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-

nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-

teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous

venons de voir constituent les deux pocircles de la

culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La

Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par

des principes de rigueur et de productivisme La

seconde est la dimension dionysiaque que avons

9

analyseacutee

Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-

taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et

laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-

teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se

poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-

teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la

forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-

teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se

trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue

Cette synergie se manifeste dans les rapports

mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux

aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la

mort au monde Nous venons de voir aussi que

les rapports sociaux sont des rapports animeacutes

par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-

fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien

Il y a en outre recentrement de ces rapports sur

ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-

ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de

lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune

maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-

vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute

avec les autres preacutedomine sur tout le reste et

lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-

tion

Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-

lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et

lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-

laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-

vante Ces deux dimensions essentielles bien

que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-

renniteacute de la vie et de la survie de cette culture

Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et

entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre

mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun

par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-

tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait

elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle

se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-

cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-

niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement

particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument

universelles

Bibliographie

Corpus

MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris

Plon 1952

Ouvrages theacuteoriques

- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu

Paris Librairie Gallimard 1949

- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll

Gautier 1980

- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques

de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-

rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969

- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes

reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug

coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996

- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la

vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-

ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo

2003

- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-

tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre

Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978

- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne

Paris Gallimard 1962

- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris

Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985

- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences

Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990

- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour

une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-

dition Descleacutee de Brouwer 1998

- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars

de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table

Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-

begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture

savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger

Tala 1989

1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in

LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck

et Cie 1985 p 126

2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-

ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-

cleacutee de Brouwer 1998 p 13

3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon

1990 p 19

10

x

4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris

Gallimard 1962 p 140

5 Ibidem

6 La Colline Oublieacutee op cit p 94

7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils

savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer

les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee

8 La Colline oublieacutee op cit p94

9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers

srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur

lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-

tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94

12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-

gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli

LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124

13 Ibid p 140

14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-

mard 1949 p 76

15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit

p 35

16 La Colline Oublieacutee op cit p 95

17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27

18 La Colline Oublieacutee op cit p 94

19 La Colline Oublieacutee op cit p 95

20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63

21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-

das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147

25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples

de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla

srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour

attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-

blieacutee p 95

26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes

gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers

et Jupiter Paris 1973 p 361

27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144

28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-

phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141

29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130

30 La Colline Oublieacutee op cit p 90

31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

32 Ibidem

33 Ibidem

34 La Colline Oublieacutee op cit p 90

35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie

religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses

universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575

36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

37 La Colline Oublieacutee op cit p 90

38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit

p 140

39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90

40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-

niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-

cue op cit p 209

41 Ibidem

42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis

par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157

11

Agrave propos de quelques eacuteleacutements

de la culture populaire beacuteti (Cameroun)

dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo

EVOUNG FOUDA Jean Bernard

Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de

franccedilais

Introduction

Dans la classification des diffeacuterents types

drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-

dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-

miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture

folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les

usages et les traditions populaires Richard Lau-

rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit

laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts

des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-

tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des

faits des comportements que lrsquoon juge amusants et

pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave

lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique

courante de la culture raquo1

Dans ce sens la culture populaire renverrait

donc agrave la pratique courante de la culture avec ce

que cela comporte comme habitudes croyances

comportements conceptions de la vie et des pheacute-

nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-

blic des pratiques des comportements ainsi que

certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans

le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin

drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre

reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave

la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-

tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et

continuiteacutes entre le monde des vivants et celui

des morts dans cet univers agrave la pratique de la

palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-

son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-

rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile

de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en

question

Le poseacute

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps

chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave

bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un

autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait

donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait

dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana

Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu

un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique

et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-

tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-

nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-

tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-

tions originales Il paraicirct mecircme donner forme

corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan

scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription

qui au regard du ton de la ponctuation de la

forme mecircme de ses vers respecte les aspects de

lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors

permis aux chercheurs et universitaires camerou-

nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu

agrave une publication scientifique2

Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere

de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant

sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee

peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les

litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc

Raison pour laquelle nous y revenons Sur le

fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono

Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et

Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un

homme qui aimait beaucoup les femmes au

point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui

eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et

va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre

pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par

conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il

continuera agrave aimer cette femme Son mari va

chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide

amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-

nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-

couvre la santeacute

Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert

Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee

font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-

mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-

zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel

1920

- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins

drsquoAfrique Paris Hatier 1984

- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes

Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-

tiation Paris Gallimard 1976

18

- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la

forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale

et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun

Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte

remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-

ti Paris Khartala 1985

- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les

nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-

matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-

deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999

- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier

Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989

- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du

peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970

- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait

pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence

drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique

Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

111 p

- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 2: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

2

LA REPRESENTATION

DES CULTURES POPULAIRES

DANS LES LITTERATURES

DE LrsquoERE COLONIALE

Le mot de la SIELEC

lt Cultures populaires dans les litteacuteratures de lrsquoegravere

colonialelt le propos peut sembler de prime abord

insolite tant nous avons peu coutume de consideacute-

rer les unes sous lrsquoangle des autres Pourtant dans

la perspective ici esquisseacutee les quatre contribu-

tions de notre ensemble eacutetudient les repreacutesenta-

tions litteacuteraires sur cette assez longue peacuteriode

(1850-1950) qui voit les eacutecrits se multiplier (certes

de qualiteacute ineacutegale) autour drsquoune reacutealiteacute ressentie

comme pittoresque curieuse romanesque et par-

fois dangereuse inquieacutetante archaiumlque quand elle

alimente une puissante et diffuse reacutesistance cultu-

relle agrave la peacuteneacutetration eacutetrangegravere et aux perspectives

modernisatrices A lrsquoeacutevidence entre fascination

exotique et fantasmes et peurs coloniales les sensi-

biliteacutes les plus contrasteacutees srsquoexpriment dans ces

textes

Les lignes de force ici deacutegageacutees par les quatre

contributions envisagent la persistance dans ces

cultures drsquounivers magiques comme autant

drsquoautres mondes aux antipodes des cultures mo-

dernes rationalistes et utilitaristes Sy joignent les

formes populaires du Sacreacute avec leur syncreacutetisme

leur inventiviteacute mythique ainsi que lrsquoimportance

de lrsquooraliteacute tout comme les formes et lrsquoestheacutetique

drsquoun art collectif que lrsquoon qualifiera plus tard de

tribal primitif ou premier De grands mythes litteacute-

raires qui se construisent autour de ces mondes

lrsquoimmeacutemorial le sauvage le laquo naiumlf raquo quecircte aussi

de lrsquoorigine avec toutes ses variantes et ses meacuteta-

morphoses Les estheacutetiques exotiques fascineacutees

par le Divers (Segalen) prennent diffeacuterents che-

mins que prennent en mecircme temps qursquoelles cons-

tatent la lente eacuterosion de ce dernier Cest la ren-

contre entre le texte litteacuteraire et le reacutecit anthropolo-

gique et ethnographique agrave une eacutepoque qui vit se

construire le discours savant sur lrsquoautre

(orientaliste africaniste) en mecircme temps qursquoune

litteacuterature laquo grand public raquo se laissait aller agrave un

imaginaire parfois deacutebrideacute Les eacutecrivains utilisent

aussi le reportage de presse agrave theacutematique afri-

caine ou orientale entre recherche systeacutematique

du spectaculaire et preacutecision documentaire en

srsquoappuyant mecircme sur les courants litteacuteraires euro-

peacuteens (naturalisme symbolisme reacutealismelt) et

leur influence sur la repreacutesentation des cultures

vernaculaires sans ignorer lrsquoinstrumentalisation

politique de ces cultures dans le cadre de la gou-

vernance coloniale

En effet dans leur dimension colonisatrice les

litteacuteratures francophones rencontrent des peuples

quelles jugent agrave travers leurs conceptions de

leacutepoque le plus souvent attardeacutes Mais eacutetonnam-

ment ces peuples leur rappellent leur propre passeacute

qui en art et en litteacuterature peuvent se reacuteveacuteler un lt

preacutesent Romantisme symbolisme puis cubisme

nont-ils pas remis au goucirct du jour sculpture mu-

sique et religions africaines cest-agrave-dire des arts

populaires comme le romantisme avait tenteacute de le

faire pour les plus anciennes traditions euro-

peacuteennes En Europe tout au long du XIXegraveme

siegravecle la sensibiliteacute romantique entre autres avait

grandement contribueacute agrave jeter un regard nouveau

sur ces expressions consideacutereacutees parfois comme

marginales naiumlves superstitieuses et que lrsquoon per-

cevait deacutesormais comme des sources de laquo vivante

poeacutesie raquo (Michelet) Des mondes paysans de

George Sand avec leurs traditions musicales et

leurs rituels collectifs aux profondeurs animistes

magiques polytheacuteistes redeacutecouvertes par Miche-

let dans son chef drsquoœuvre La sorciegravere (1862) ou en-

core avec lrsquoaffirmation que toute langue est une

veacuteritable vision du monde que lrsquoon retrouve au

cœur de lrsquoœuvre de Mistral crsquoest un puissant mou-

vement culturel qui modifie la sensibiliteacute de toute

une eacutepoque

De plus avec lrsquoexpansion coloniale et le renfor-

cement des grands empires mondiaux eacutecrivains et

voyageurs vont aussi srsquointeacuteresser agrave des ailleurs cul-

turels ougrave ces cultures populaires se manifestent

avec encore plus de vivaciteacute et certainement avec

une plus grande charge drsquoinconnu et de mystegravere

Certains ne manqueront pas drsquoeacutetablir des compa-

raisons suggestives entre ces reacutealiteacutes profondes

drsquoOrient et drsquoOccident drsquoAfrique et drsquoEurope

Andreacute Chevrillon par exemple qui dans sa Bre-

tagne drsquohier (1925) rapproche les moussems maghreacute-

bins et les pardons bretons et constate en occident

mecircme la persistance drsquoun sacreacute bien proche de

3

celui qursquoil avait pu observer au Maroc ou en

Inde En effet tout lecteur de la riche litteacuterature

consacreacutee agrave la deacutecouverte des cultures drsquoAfrique

et du Maghreb durant lrsquoegravere des Empires mais

aussi bien des reacutecits postcoloniaux ne peut

qursquoecirctre frappeacute par lrsquoimportance drsquoun thegraveme

transversal celui de lrsquoexpression des cultures

vernaculaires autrement dit du vaste continent

de lrsquooraliteacute des contes et leacutegendes des pratiques

rituelles et magiques des religiositeacutes en dehors

mecircme des formes plus savantes de la culture

celles que leacutegitiment Ecoles institutions offi-

cielles orthodoxies religieuses universiteacutes pour

lrsquoessentiel dans le cadre drsquoune civilisation du

livre et de lrsquoeacutecrit

Pourtant Chevrillon nest peut-ecirctre que lan-

nonciateur de lrsquoentreacutee en scegravene des eacutecrivains

maghreacutebins et africains et la maniegravere nouvelle

dont ils voudront exprimer agrave partir drsquoune expeacute-

rience veacutecue et non plus exteacuterieure ces cultures

diverses La probleacutematique de lrsquoidentiteacute cultu-

relle drsquoautant plus centrale que lrsquoon se rapproche

de lrsquoegravere des Indeacutependances De Mohamed Dib agrave

Tahar Ben Jelloun ou Mohamed Choukri drsquoAma-

dou Hampateacute Bacirc agrave Leacuteopold Sedar Senghor et

Aminata Sow Fall la culture populaire occupe

une place essentielle dans la creacuteation franco-

phone Elle est bien sucircr au cœur du mouvement

de la neacutegritude et de son deacutesir de donner une

leacutegitimiteacute nouvelle agrave la poeacutesie orale aux mytho-

logies et cosmogonies traditionnelles Au

Maghreb comme en Afrique noire dans des con-

textes certes diffeacuterents on assiste agrave un mecircme

mouvement profond de releacutegitimation de relec-

ture et de litteacuterarisation des croyances anciennes

bien qursquoelles puissent nourrir des visions antago-

nistes drsquoune vision romantique relevant avant

la lettre du reacutealisme magique agrave la critique radi-

cale de la superstition et la remise en cause des

mondes illusoires dont griots et traditionnistes

tissent la leacutegende (Amadou Kourouma Yambo

Ouologuem)

lt Cultures populaires dans les litteacuteratures de legravere

coloniale nous demandions-nous agrave lorigine lt

Pour finalement nous apercevoir que ces litteacutera-

tures finissent par se meacutetamorphoser complegravete-

ment reacuteciproquement et agrave se transformer dans la

fameuse litteacuterature du Tout-Monde que procircnait

Eacutedouard Glissant laquo Les auteurs qui eacutecrivent en

franccedilais proviennent des cinq continents no-

tamment de lrsquoAfrique et mecircme des pays outre-

espace francophone Crsquoest drsquoailleurs pour cette

raison qursquoils pensent qursquoil nrsquoest plus pertinent de

parler de laquo litteacuterature francophone raquo Il faut plutocirct

parler de laquo Litteacuterature-monde raquo1 pour faire ressor-

tir lrsquoeacuteclatement des frontiegraveres de lrsquoespace fran-

cophone par cette litteacuterature raquo Dont acte

Notre Courrier de la SIELEC ndeg 10 preacutesente non

en double publication mais en avant-premiegravere

les quatre articles de cinq contributeurs du col-

loque La Repreacutesentation des cultures populaires dans

les litteacuteratures de lrsquoegravere coloniale (dont les actes vont

paraicirctre prochainement au Maroc) Aiumlni Be-

touche Fatima Bouhkelou Denise Brahimi Jean

-Bernard Evoung Fouda et Rachid Zaouri La

seacutelection de la SIELEC nrsquoest qursquoun panel forceacute-

ment limiteacute baseacute sur une recherche de diversiteacute

caracteacuteristique Les articles non retenus sont

drsquoaussi bonne qualiteacute Les auteurs le compren-

dront Mais il fallait faire un choix sachant que la

totaliteacute sera bientocirct disponible

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacutehension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc dof-frir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et multiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seulement en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des informations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire excep-tionnel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacute-cialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

4

de la confusion des corps le mystegravere dionysiaque

fonde peacuteriodiquement un ordre nouveau il souligne

aussi la preacuteeacuteminence du collectif sur lrsquoindividualisme

et son correacutelat rationnel qursquoest le social raquo3

La sehdja

La sehdja est lrsquoune des formes la moins orgias-

tique des deux Peacuteriodiquement ceacuteleacutebreacutee par les

jeunes gens exclusivement masculins avec toute-

fois la preacutesence feacutemininemasculine de Mou lrsquoAn-

drogyne la sehdja favorise la reacutegulation du trop

plein de lrsquoeacutenergie pulsionnelle qursquoelle exteacuteriorise

et canalise La ceacutereacutemonie que nous allons analyser

preacutesente un caractegravere particulier en ce sens ougrave elle

est exceptionnelle du fait qursquoelle est initieacutee agrave lrsquoins-

tigation du cheikh garant de la morale religieuse

et de la tradition Lrsquoeacuteveacutenement que srsquoapprecircte agrave

vivre la communauteacute est grave au point de requeacute-

rir la preacutesence de tous En effet la mobilisation de

tous les jeunes gens aux cocircteacutes des Forces Allieacutees

affecte la communauteacute au plus profond drsquoelle-

mecircme si bien qursquoelle reacuteagit en faisant appel agrave

toutes les forces qui lrsquoaniment et dans une

laquo totalisation rituelle raquo4 elle fait en sorte de reve-

nir agrave une laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo 5

pour reacuteactiver la cosmogonie Aussi peut-elle ecirctre

agrave mecircme de conjurer la mort et le malheur

laquo Que les femmes aillent ce soir agrave la fontaine comme

aux jours de fecircte Le cheikh pensait ainsi exorciser le

malheur (lt) Degraves le deacutebut de lrsquoapregraves-midi commenccedila

le deacutefileacute chatoyant des femmes jeunes et vieilles belles

ou laides vers la fontaine Il nrsquoy en avait jamais tant

eu parce qursquoil fallait tout ce nombre pour eacutecarter la me-

nace raquo6

Les frontiegraveres entre les interdits srsquoeffacent

Toutes les jeunes forces macircles du corps social sont

convoqueacutees pour se conjoindre par lrsquoesprit agrave leurs

homologues femelles qursquoils admirent sous le re-

gard jadis farouche des gardiens de la tradition

devenus complices7 le temps que srsquoaccomplisse la

cosmogonie Aussi la sehdja va-t-elle favoriser lrsquoac-

complissement de cette opeacuteration au cours de la-

quelle a lieu la transformation psychique en dyna-

mique sensuelle les jeunes gens qui se sont repu

rempli les yeux du spectacle des plus belles

femmes durant ces moments vespeacuteraux auront agrave

eacutevacuer cette eacutenergie psychique et agrave la transfor-

mer en dynamique sexuelle La sehdja avec son

La mise en repreacutesentation de la culture

populaire dans laquo La Colline oublieacutee raquo de Mouloud Mammeri

BETOUCHE Aiumlni et BOUKHELOU Fatima-Deacutepartement de Franccedilais Faculteacute des Lettres et

des Langues Universiteacute Mouloud Mammeri Tizi

Ouzou Algeacuterie

Publieacutee en 1952 aux eacuteditions Plon La Colline

oublieacutee de Mouloud Mammeri met en repreacutesenta-

tion un univers primordial que meuvent et pro-

meuvent des rituels et des traditions plusieurs fois

seacuteculaires Il srsquoagit dans la preacutesente communica-

tion de deacutemontrer en quoi les rituels festifs tels

que la sehdja et la hadra constituent des formes po-

pulaires fortement impreacutegneacutees de Sacreacute favorisant

la structuration de la communauteacute tout en lui eacutevi-

tant toute deacutesinteacutegration En effet toute commu-

nauteacute se reacutegeacutenegravere et perdure gracircce agrave la coexistence

des deux dimensions que sont la dimension apolli-

nienne repreacutesentant la structure drsquoen haut et la di-

mension dionysiaque ou champecirctre repreacutesentant

la structure drsquoen bas incarneacutee dans La Colline ou-

blieacutee par la figure androgyne de Mouh le berger

La combinaison des deux dimensions sus-citeacutees

garantit la coheacutesion de tous les eacuteleacutements laquo socieacutetaux

contradictoriels raquo1 en preacutesence La structure sur-

plombante supporte de se laisser porter par la

structure drsquoen bas Ainsi lorsque lrsquoapollinien en

vient agrave srsquoaffaiblir la reacuteactivation de la dialectique

des deux dimensions se sous-tendant rentre en

action pour redynamiser lrsquoeacutelan jubilatoire La

structure apollinienne en appelle agrave lrsquoirruption des

forces souterraines qui srsquooriginent au sein mecircme

de la laquo socialiteacute inteacuterieure raquo2 Une fois convoqueacutees

ces forces entrent en lice pour restaurer la cosmo-

gonie

Nous allons deacutemontrer que la sehdja et la hadra

qui constituent pour reprendre Michel Maffesoli

des formes eupheacutemiseacutees de lrsquoorgiasme sont omni-

preacutesentes dans La Colline oublieacutee et partant dans la

socieacuteteacute berbegravere traditionnelle qursquoelles sont convo-

queacutees et veacutecues chaque fois que le corps social res-

sent le besoin de se reacutegeacuteneacuterer En effet la reacutegeacuteneacute-

ration drsquoun ordre socieacutetal ainsi que la perdurance

de sa vitaliteacute reacutesultent de lrsquoinversion des

rocircles laquo En mimant le deacutesordre et le chaos au travers

5

substrat eacuterotique est une maniegravere de rappeler

lrsquointime liaison de la vie et de la mort de conjurer

celle-ci et drsquoexsuder lrsquoeacuteros La sehdja reacuteeacutequilibre

les deux dimensions ouvre les possibiliteacutes et al-

legravege les contraintes sociales crsquoest un vecteur de

puissance de dynamisme et drsquoeffervescence in-

dispensable agrave lrsquoeacutequilibre individuel et socieacutetal La

sehdja culbute lrsquoinstitueacute par trop mortifegravere

laquo Quelque chose vraiment eacutetait changeacute dans Tasga

Pour voir passer le long cortegravege nous eacutetions lagrave tous les

jeunes du village agrave la fois ceux de la bande et ceux de

Taasast assis en file sur les dalles de schiste de la place

des Ormes (lt) Les autres descendirent sur lrsquoaire

pour une sehdja qui devait ecirctre pour moi la derniegravere Je

ne crois pas que jrsquooublierai jamais cette nuit dont

notre longue attente sur les dalles froides de la place ne

fut que le silencieux preacutelude raquo8

La conjonction des deux univers a lieu agrave la fa-

veur de la nuit agrave mecircme lrsquoaire - laquelle constitue

lrsquoassise le nid et reacutefegravere aux profondeurs abys-

sales Ainsi crsquoest de ce creuset de la chaleur

qursquoest le centre du monde et partant de lrsquoeacutener-

gie9 que sourd la passion souterraine et profonde

qui vient irradier le monde de la surface laquo Comme

une preacutesence obscure mais qui nrsquoen est pas moins reacute-

elle elle sous-tend toutes les situations et les repreacutesen-

tations qui se donnent agrave voirraquo10 Cette force abyssale

vient alors ressourcer et renflouer le monde de la

surface Tel est le rocircle de la sehdja meneacutee par

Mouh le berger qui agit agrave lrsquoimage de son dieu

tuteacutelaire Dionysos laquo lrsquoindiviseacute raquo avec la participa-

tion de tous les jeunes bergers laquo venus nombreux se

joindre sur lrsquoaire raquo et conjoindre les forces diony-

siaques en preacutesence surdeacutetermineacutees eacutevoqueacutees par

laquo les champs de figuiers drsquoalentour raquo11

Le figuier eacutetant dans la mythologie grecque et

latine12 lrsquoarbre de DionysosPriape lrsquoon infegravere

qursquoil srsquoagit bien drsquoune opeacuteration de reacutegeacuteneacuteration

des forces apolliniennes deacutegeacuteneacuterescentes par

lrsquoimpulsion de forces contradictorielles et reacutegeacuteneacute-

ratrices Ainsi que le souligne Michel Maffesoli

laquo lrsquoorgiasme est bien une plurialiteacute conjointe raquo13 ce

sont donc les diverses composantes de lrsquoagreacutega-

tion humaine constituant la structure anthropolo-

gique qui sont solliciteacutees pour assurer dans la

laquo synarchie raquo - ce principe drsquoordre- la coheacuterence

et lrsquoeacutequilibre de cette agreacutegation La plurialiteacute

dans la confusion revigore un corps social qui en

perte de force risque de srsquoaneacutemier Pareille

aneacutemie est en lrsquooccurrence eacutevoqueacutee par les

laquo dalles froides de la place raquo lesquelles vont pouvoir

ecirctre reacutechauffeacutees gracircce au feu nouveau allumeacute par

les jeunes un feu sexualiseacute qui ne meurt pas se-

lon Bachelard en effet laquo Le feu reacutenoveacute retrouve sa

neacutecessiteacute geacuteneacutetique raquo14 Les meacutetaphores fileacutees de la

reacutegeacuteneacuteration de la terre feacutecondeacutee mettent lrsquoaccent

sur cette confusion eacutevocatrice de deacutebridement or-

giastique

Lrsquoensemble des jeunes du village aideacutes par les

bergers des alentours procegravedent agrave la co-re-creacuteation

du monde agrave lrsquoinstauration de la confusion pri-

mordiale Ils miment cette derniegravere en y apportant

leurs forces paroxystiques dans une alliance de

fougues toutes neuves Lrsquoaire qui reacutefegravere agrave la

Grande Megravere agrave la terre - geacutenitrix est violemment

caresseacutee doucement violenteacutee par ces jeunes

dieux pleins de vitaliteacute qui laquo deacutebordent les champs

de figuiers drsquoalentour raquo crsquoest de la sorte que srsquoins-

taurent la co-union et la comm-union des ecirctres et du

cosmos Le deacutebordement atteint son comble par la

danse qui deacuteroule ses eacutevolutions agrave proximiteacute des

flammes crsquoest une danse tour agrave tour lente et vio-

lente langoureuse voluptueuse et passionneacutee qui

srsquoengregravene dans un deacutechaicircnement extatique Ces

treacutepidations et treacutepignements collectifs agrave la lueur

du feu annoncent le renouvellement laquo Le feu

suggegravere le deacutesir de changer de brusquer le temps

de porter toute la vie agrave son terme agrave son au-

delagrave raquo15 Lrsquoeacuteleacutement igneacute fortement sexualiseacute sur-

deacutetermine le symbolisme de la scegravene et lui precircte

un caractegravere des plus orgiastiques

Les pieds treacutepidants et freacuteneacutetiques - analogons

phalliques- battant la terre-megravere confegraverent agrave la

scegravene un aspect drsquoautant plus surreacuteel et mystique

que lrsquoopeacuteration suggegravere une peacuteneacutetration dans

lrsquointeacuterioriteacute intime de la substance drsquoune subs-

tance saisie dans sa profondeur et dans sa puis-

sance geacuteneacutesique De telles images renforcent la

surreacutealiteacute et la cosmiciteacute de lrsquoopeacuteration cultuelle

Le monde ancien et moribond dont les forces deacute-

clinent et vont srsquoaffaissant se trouve ainsi suppleacuteeacute

par un autre juveacutenile plein de segraveve et de robus-

tesse Les puissances chtoniennes viennent res-

sourcer les forces apolliniennes Ce sont lagrave des

images de la reacuteinteacutegration de la totaliteacute primor-

diale

laquo Pour un soir cependant il redevint le Mouh

6

qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand

feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-

daient vaguement semblable au sorcier de quelque

peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour

agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait

ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La

flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-

sible raquo 16

Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos

doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-

jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-

sordre des passions provoque le resurgissement

drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les

laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au

sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere

cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort

drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses

forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-

veloppa dans les pans amples de son burnous et sans

rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans

un coin contre un frecircne comme pour attendre que le

dieu doucement le quittacirct raquo19

Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute

deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle

se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave

lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit

comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-

datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-

mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui

garantit la continuiteacute du monde en unissant les

puissances chtoniennes et le monde de la surface

Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous

comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun

animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea

Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni

le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est

consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant

de la condition profane Mouh est en mesure

drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme

par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la

naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-

sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres

ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere

chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces

images du berger avec ses eacutevolutions repti-

liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-

sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent

la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des

oppositions survenant au terme de toute

opeacuteration rituelle de ce genre23

Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie

alchimique le serpent est la base de toute Œuvre

selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-

rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner

naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au

terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son

burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole

celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte

cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25

srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans

la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-

tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-

gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus

bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-

logues rendent plus congruent se renforce le deacute-

chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-

deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil

deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation

Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-

cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En

deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non

de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son

acceptation et de son inteacutegration si dissemblable

et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-

elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son

harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit

drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-

culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-

veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-

tinuiteacute

Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-

faite de ce que peut apporter un comportement

aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi

puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest

lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la

flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-

pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave

lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-

nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-

neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-

jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-

tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en

lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-

liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-

sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de

la culture berbegravere elle incarne cette force pro-

fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps

social gracircce agrave un pluralisme passionnel

7

pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-

tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de

la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur

mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve

La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme

Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-

diennes sous des modulations diverses la hadra

est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de

lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de

cette immense reacuteserve de forces souterraines se-

cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-

ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-

giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-

existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28

constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la

socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux

eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo

tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses

puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi

le passage suivant vient-il mettre en exergue la

preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-

tique au sein de la culture populaire Cette dimen-

sion semblant constituer le substrat qui fonde

cette culture sous-tend de la sorte la structure so-

cieacutetale

Lrsquoactivation de cette dimension est mise en

branle aux moments les plus cruciaux auxquels

peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication

que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-

proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan

initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-

tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence

rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-

rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui

que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre

-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de

lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-

der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-

rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-

tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-

nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion

de vie de lrsquoensemble

laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit

geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)

une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de

la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-

bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse

vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes

parce que toutes baissaient la tecircte La musique

continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-

chaicircneacuteelt raquo30

La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans

la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration

drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-

vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-

compagnement agrave cette con-fusion des esprits et

des corps brouillant les limites et effaccedilant les

barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet

et favorise laquo le renversement des comportements

qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-

fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en

œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-

complisse et que les participants srsquoy adonnent

dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la

laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue

et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33

au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les

femmes reacuteunies agrave cet effet

laquo Dans chaque coin des hommes des femmes

eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-

vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un

second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave

la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de

becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se

tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes

des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-

lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces

sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras

formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes

steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34

Nous avons lagrave une union double un andro-

gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux

jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de

deux maniegraveres compleacutementaires et duelles

comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et

provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse

et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-

ciences et des inconscients est une comm-union

Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute

communion des consciences sous quelques espegraveces

qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le

travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie

symbolique -de ces femmes mimant les

hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-

tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36

8

Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-

geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes

aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect

orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se

trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore

fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes

fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-

bir la hadra raquo sont effectivement passives elles

sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-

vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave

nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient

laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se

faisant labourer par les analogons phalliques des

danseurs fougueux sautant de toutes leurs

forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-

sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes

steacuteriles raquo

Le redoublement de toutes les forces conju-

gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi

dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-

plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-

siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement

est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des

rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des

forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-

sement sans cesse renouveleacute

laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux

de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait

deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-

tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force

bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie

Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-

pue dans les cocirctes raquo37

La multiplication des forces est justement ren-

due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-

sances cosmiques animales instrumentales ani-

meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons

geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-

brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-

lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent

les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie

ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal

chaos La communion de tous advient par deacute-

chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-

jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere

alors pleinement pour impulser la flamme du

renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette

dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-

reacute par la culture drsquoen haut

lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-

feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi

lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente

drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes

deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun

pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans

son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux

normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement

que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait

pas seulement sur un moralisme rigide qui se

trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon

un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation

ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique

de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-

teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de

contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement

salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un

contrepoids aux forces surplombantes

eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-

clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee

dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-

teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient

Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme

cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-

duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant

un pronostic normal de survie et non condam-

neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee

drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42

La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute

sont neacutecessaires et requises au maintien de la

coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout

en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines

limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute

court le risque de voir ses composantes se deacuteliter

et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons

de le voir un social monolithique ougrave ne domine-

rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave

connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses

forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport

contradictoriel puissant la dimension diony-

siaque apporte la contradiction et constitue un

contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-

sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-

nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-

teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous

venons de voir constituent les deux pocircles de la

culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La

Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par

des principes de rigueur et de productivisme La

seconde est la dimension dionysiaque que avons

9

analyseacutee

Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-

taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et

laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-

teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se

poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-

teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la

forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-

teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se

trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue

Cette synergie se manifeste dans les rapports

mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux

aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la

mort au monde Nous venons de voir aussi que

les rapports sociaux sont des rapports animeacutes

par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-

fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien

Il y a en outre recentrement de ces rapports sur

ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-

ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de

lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune

maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-

vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute

avec les autres preacutedomine sur tout le reste et

lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-

tion

Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-

lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et

lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-

laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-

vante Ces deux dimensions essentielles bien

que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-

renniteacute de la vie et de la survie de cette culture

Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et

entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre

mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun

par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-

tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait

elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle

se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-

cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-

niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement

particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument

universelles

Bibliographie

Corpus

MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris

Plon 1952

Ouvrages theacuteoriques

- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu

Paris Librairie Gallimard 1949

- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll

Gautier 1980

- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques

de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-

rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969

- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes

reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug

coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996

- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la

vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-

ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo

2003

- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-

tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre

Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978

- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne

Paris Gallimard 1962

- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris

Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985

- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences

Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990

- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour

une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-

dition Descleacutee de Brouwer 1998

- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars

de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table

Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-

begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture

savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger

Tala 1989

1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in

LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck

et Cie 1985 p 126

2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-

ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-

cleacutee de Brouwer 1998 p 13

3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon

1990 p 19

10

x

4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris

Gallimard 1962 p 140

5 Ibidem

6 La Colline Oublieacutee op cit p 94

7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils

savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer

les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee

8 La Colline oublieacutee op cit p94

9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers

srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur

lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-

tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94

12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-

gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli

LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124

13 Ibid p 140

14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-

mard 1949 p 76

15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit

p 35

16 La Colline Oublieacutee op cit p 95

17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27

18 La Colline Oublieacutee op cit p 94

19 La Colline Oublieacutee op cit p 95

20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63

21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-

das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147

25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples

de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla

srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour

attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-

blieacutee p 95

26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes

gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers

et Jupiter Paris 1973 p 361

27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144

28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-

phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141

29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130

30 La Colline Oublieacutee op cit p 90

31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

32 Ibidem

33 Ibidem

34 La Colline Oublieacutee op cit p 90

35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie

religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses

universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575

36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

37 La Colline Oublieacutee op cit p 90

38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit

p 140

39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90

40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-

niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-

cue op cit p 209

41 Ibidem

42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis

par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157

11

Agrave propos de quelques eacuteleacutements

de la culture populaire beacuteti (Cameroun)

dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo

EVOUNG FOUDA Jean Bernard

Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de

franccedilais

Introduction

Dans la classification des diffeacuterents types

drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-

dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-

miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture

folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les

usages et les traditions populaires Richard Lau-

rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit

laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts

des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-

tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des

faits des comportements que lrsquoon juge amusants et

pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave

lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique

courante de la culture raquo1

Dans ce sens la culture populaire renverrait

donc agrave la pratique courante de la culture avec ce

que cela comporte comme habitudes croyances

comportements conceptions de la vie et des pheacute-

nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-

blic des pratiques des comportements ainsi que

certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans

le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin

drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre

reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave

la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-

tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et

continuiteacutes entre le monde des vivants et celui

des morts dans cet univers agrave la pratique de la

palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-

son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-

rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile

de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en

question

Le poseacute

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps

chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave

bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un

autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait

donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait

dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana

Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu

un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique

et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-

tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-

nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-

tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-

tions originales Il paraicirct mecircme donner forme

corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan

scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription

qui au regard du ton de la ponctuation de la

forme mecircme de ses vers respecte les aspects de

lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors

permis aux chercheurs et universitaires camerou-

nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu

agrave une publication scientifique2

Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere

de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant

sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee

peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les

litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc

Raison pour laquelle nous y revenons Sur le

fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono

Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et

Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un

homme qui aimait beaucoup les femmes au

point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui

eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et

va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre

pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par

conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il

continuera agrave aimer cette femme Son mari va

chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide

amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-

nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-

couvre la santeacute

Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert

Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee

font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-

mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-

zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

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deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 3: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

3

celui qursquoil avait pu observer au Maroc ou en

Inde En effet tout lecteur de la riche litteacuterature

consacreacutee agrave la deacutecouverte des cultures drsquoAfrique

et du Maghreb durant lrsquoegravere des Empires mais

aussi bien des reacutecits postcoloniaux ne peut

qursquoecirctre frappeacute par lrsquoimportance drsquoun thegraveme

transversal celui de lrsquoexpression des cultures

vernaculaires autrement dit du vaste continent

de lrsquooraliteacute des contes et leacutegendes des pratiques

rituelles et magiques des religiositeacutes en dehors

mecircme des formes plus savantes de la culture

celles que leacutegitiment Ecoles institutions offi-

cielles orthodoxies religieuses universiteacutes pour

lrsquoessentiel dans le cadre drsquoune civilisation du

livre et de lrsquoeacutecrit

Pourtant Chevrillon nest peut-ecirctre que lan-

nonciateur de lrsquoentreacutee en scegravene des eacutecrivains

maghreacutebins et africains et la maniegravere nouvelle

dont ils voudront exprimer agrave partir drsquoune expeacute-

rience veacutecue et non plus exteacuterieure ces cultures

diverses La probleacutematique de lrsquoidentiteacute cultu-

relle drsquoautant plus centrale que lrsquoon se rapproche

de lrsquoegravere des Indeacutependances De Mohamed Dib agrave

Tahar Ben Jelloun ou Mohamed Choukri drsquoAma-

dou Hampateacute Bacirc agrave Leacuteopold Sedar Senghor et

Aminata Sow Fall la culture populaire occupe

une place essentielle dans la creacuteation franco-

phone Elle est bien sucircr au cœur du mouvement

de la neacutegritude et de son deacutesir de donner une

leacutegitimiteacute nouvelle agrave la poeacutesie orale aux mytho-

logies et cosmogonies traditionnelles Au

Maghreb comme en Afrique noire dans des con-

textes certes diffeacuterents on assiste agrave un mecircme

mouvement profond de releacutegitimation de relec-

ture et de litteacuterarisation des croyances anciennes

bien qursquoelles puissent nourrir des visions antago-

nistes drsquoune vision romantique relevant avant

la lettre du reacutealisme magique agrave la critique radi-

cale de la superstition et la remise en cause des

mondes illusoires dont griots et traditionnistes

tissent la leacutegende (Amadou Kourouma Yambo

Ouologuem)

lt Cultures populaires dans les litteacuteratures de legravere

coloniale nous demandions-nous agrave lorigine lt

Pour finalement nous apercevoir que ces litteacutera-

tures finissent par se meacutetamorphoser complegravete-

ment reacuteciproquement et agrave se transformer dans la

fameuse litteacuterature du Tout-Monde que procircnait

Eacutedouard Glissant laquo Les auteurs qui eacutecrivent en

franccedilais proviennent des cinq continents no-

tamment de lrsquoAfrique et mecircme des pays outre-

espace francophone Crsquoest drsquoailleurs pour cette

raison qursquoils pensent qursquoil nrsquoest plus pertinent de

parler de laquo litteacuterature francophone raquo Il faut plutocirct

parler de laquo Litteacuterature-monde raquo1 pour faire ressor-

tir lrsquoeacuteclatement des frontiegraveres de lrsquoespace fran-

cophone par cette litteacuterature raquo Dont acte

Notre Courrier de la SIELEC ndeg 10 preacutesente non

en double publication mais en avant-premiegravere

les quatre articles de cinq contributeurs du col-

loque La Repreacutesentation des cultures populaires dans

les litteacuteratures de lrsquoegravere coloniale (dont les actes vont

paraicirctre prochainement au Maroc) Aiumlni Be-

touche Fatima Bouhkelou Denise Brahimi Jean

-Bernard Evoung Fouda et Rachid Zaouri La

seacutelection de la SIELEC nrsquoest qursquoun panel forceacute-

ment limiteacute baseacute sur une recherche de diversiteacute

caracteacuteristique Les articles non retenus sont

drsquoaussi bonne qualiteacute Les auteurs le compren-

dront Mais il fallait faire un choix sachant que la

totaliteacute sera bientocirct disponible

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacutehension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc dof-frir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et multiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seulement en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des informations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire excep-tionnel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacute-cialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

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de la confusion des corps le mystegravere dionysiaque

fonde peacuteriodiquement un ordre nouveau il souligne

aussi la preacuteeacuteminence du collectif sur lrsquoindividualisme

et son correacutelat rationnel qursquoest le social raquo3

La sehdja

La sehdja est lrsquoune des formes la moins orgias-

tique des deux Peacuteriodiquement ceacuteleacutebreacutee par les

jeunes gens exclusivement masculins avec toute-

fois la preacutesence feacutemininemasculine de Mou lrsquoAn-

drogyne la sehdja favorise la reacutegulation du trop

plein de lrsquoeacutenergie pulsionnelle qursquoelle exteacuteriorise

et canalise La ceacutereacutemonie que nous allons analyser

preacutesente un caractegravere particulier en ce sens ougrave elle

est exceptionnelle du fait qursquoelle est initieacutee agrave lrsquoins-

tigation du cheikh garant de la morale religieuse

et de la tradition Lrsquoeacuteveacutenement que srsquoapprecircte agrave

vivre la communauteacute est grave au point de requeacute-

rir la preacutesence de tous En effet la mobilisation de

tous les jeunes gens aux cocircteacutes des Forces Allieacutees

affecte la communauteacute au plus profond drsquoelle-

mecircme si bien qursquoelle reacuteagit en faisant appel agrave

toutes les forces qui lrsquoaniment et dans une

laquo totalisation rituelle raquo4 elle fait en sorte de reve-

nir agrave une laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo 5

pour reacuteactiver la cosmogonie Aussi peut-elle ecirctre

agrave mecircme de conjurer la mort et le malheur

laquo Que les femmes aillent ce soir agrave la fontaine comme

aux jours de fecircte Le cheikh pensait ainsi exorciser le

malheur (lt) Degraves le deacutebut de lrsquoapregraves-midi commenccedila

le deacutefileacute chatoyant des femmes jeunes et vieilles belles

ou laides vers la fontaine Il nrsquoy en avait jamais tant

eu parce qursquoil fallait tout ce nombre pour eacutecarter la me-

nace raquo6

Les frontiegraveres entre les interdits srsquoeffacent

Toutes les jeunes forces macircles du corps social sont

convoqueacutees pour se conjoindre par lrsquoesprit agrave leurs

homologues femelles qursquoils admirent sous le re-

gard jadis farouche des gardiens de la tradition

devenus complices7 le temps que srsquoaccomplisse la

cosmogonie Aussi la sehdja va-t-elle favoriser lrsquoac-

complissement de cette opeacuteration au cours de la-

quelle a lieu la transformation psychique en dyna-

mique sensuelle les jeunes gens qui se sont repu

rempli les yeux du spectacle des plus belles

femmes durant ces moments vespeacuteraux auront agrave

eacutevacuer cette eacutenergie psychique et agrave la transfor-

mer en dynamique sexuelle La sehdja avec son

La mise en repreacutesentation de la culture

populaire dans laquo La Colline oublieacutee raquo de Mouloud Mammeri

BETOUCHE Aiumlni et BOUKHELOU Fatima-Deacutepartement de Franccedilais Faculteacute des Lettres et

des Langues Universiteacute Mouloud Mammeri Tizi

Ouzou Algeacuterie

Publieacutee en 1952 aux eacuteditions Plon La Colline

oublieacutee de Mouloud Mammeri met en repreacutesenta-

tion un univers primordial que meuvent et pro-

meuvent des rituels et des traditions plusieurs fois

seacuteculaires Il srsquoagit dans la preacutesente communica-

tion de deacutemontrer en quoi les rituels festifs tels

que la sehdja et la hadra constituent des formes po-

pulaires fortement impreacutegneacutees de Sacreacute favorisant

la structuration de la communauteacute tout en lui eacutevi-

tant toute deacutesinteacutegration En effet toute commu-

nauteacute se reacutegeacutenegravere et perdure gracircce agrave la coexistence

des deux dimensions que sont la dimension apolli-

nienne repreacutesentant la structure drsquoen haut et la di-

mension dionysiaque ou champecirctre repreacutesentant

la structure drsquoen bas incarneacutee dans La Colline ou-

blieacutee par la figure androgyne de Mouh le berger

La combinaison des deux dimensions sus-citeacutees

garantit la coheacutesion de tous les eacuteleacutements laquo socieacutetaux

contradictoriels raquo1 en preacutesence La structure sur-

plombante supporte de se laisser porter par la

structure drsquoen bas Ainsi lorsque lrsquoapollinien en

vient agrave srsquoaffaiblir la reacuteactivation de la dialectique

des deux dimensions se sous-tendant rentre en

action pour redynamiser lrsquoeacutelan jubilatoire La

structure apollinienne en appelle agrave lrsquoirruption des

forces souterraines qui srsquooriginent au sein mecircme

de la laquo socialiteacute inteacuterieure raquo2 Une fois convoqueacutees

ces forces entrent en lice pour restaurer la cosmo-

gonie

Nous allons deacutemontrer que la sehdja et la hadra

qui constituent pour reprendre Michel Maffesoli

des formes eupheacutemiseacutees de lrsquoorgiasme sont omni-

preacutesentes dans La Colline oublieacutee et partant dans la

socieacuteteacute berbegravere traditionnelle qursquoelles sont convo-

queacutees et veacutecues chaque fois que le corps social res-

sent le besoin de se reacutegeacuteneacuterer En effet la reacutegeacuteneacute-

ration drsquoun ordre socieacutetal ainsi que la perdurance

de sa vitaliteacute reacutesultent de lrsquoinversion des

rocircles laquo En mimant le deacutesordre et le chaos au travers

5

substrat eacuterotique est une maniegravere de rappeler

lrsquointime liaison de la vie et de la mort de conjurer

celle-ci et drsquoexsuder lrsquoeacuteros La sehdja reacuteeacutequilibre

les deux dimensions ouvre les possibiliteacutes et al-

legravege les contraintes sociales crsquoest un vecteur de

puissance de dynamisme et drsquoeffervescence in-

dispensable agrave lrsquoeacutequilibre individuel et socieacutetal La

sehdja culbute lrsquoinstitueacute par trop mortifegravere

laquo Quelque chose vraiment eacutetait changeacute dans Tasga

Pour voir passer le long cortegravege nous eacutetions lagrave tous les

jeunes du village agrave la fois ceux de la bande et ceux de

Taasast assis en file sur les dalles de schiste de la place

des Ormes (lt) Les autres descendirent sur lrsquoaire

pour une sehdja qui devait ecirctre pour moi la derniegravere Je

ne crois pas que jrsquooublierai jamais cette nuit dont

notre longue attente sur les dalles froides de la place ne

fut que le silencieux preacutelude raquo8

La conjonction des deux univers a lieu agrave la fa-

veur de la nuit agrave mecircme lrsquoaire - laquelle constitue

lrsquoassise le nid et reacutefegravere aux profondeurs abys-

sales Ainsi crsquoest de ce creuset de la chaleur

qursquoest le centre du monde et partant de lrsquoeacutener-

gie9 que sourd la passion souterraine et profonde

qui vient irradier le monde de la surface laquo Comme

une preacutesence obscure mais qui nrsquoen est pas moins reacute-

elle elle sous-tend toutes les situations et les repreacutesen-

tations qui se donnent agrave voirraquo10 Cette force abyssale

vient alors ressourcer et renflouer le monde de la

surface Tel est le rocircle de la sehdja meneacutee par

Mouh le berger qui agit agrave lrsquoimage de son dieu

tuteacutelaire Dionysos laquo lrsquoindiviseacute raquo avec la participa-

tion de tous les jeunes bergers laquo venus nombreux se

joindre sur lrsquoaire raquo et conjoindre les forces diony-

siaques en preacutesence surdeacutetermineacutees eacutevoqueacutees par

laquo les champs de figuiers drsquoalentour raquo11

Le figuier eacutetant dans la mythologie grecque et

latine12 lrsquoarbre de DionysosPriape lrsquoon infegravere

qursquoil srsquoagit bien drsquoune opeacuteration de reacutegeacuteneacuteration

des forces apolliniennes deacutegeacuteneacuterescentes par

lrsquoimpulsion de forces contradictorielles et reacutegeacuteneacute-

ratrices Ainsi que le souligne Michel Maffesoli

laquo lrsquoorgiasme est bien une plurialiteacute conjointe raquo13 ce

sont donc les diverses composantes de lrsquoagreacutega-

tion humaine constituant la structure anthropolo-

gique qui sont solliciteacutees pour assurer dans la

laquo synarchie raquo - ce principe drsquoordre- la coheacuterence

et lrsquoeacutequilibre de cette agreacutegation La plurialiteacute

dans la confusion revigore un corps social qui en

perte de force risque de srsquoaneacutemier Pareille

aneacutemie est en lrsquooccurrence eacutevoqueacutee par les

laquo dalles froides de la place raquo lesquelles vont pouvoir

ecirctre reacutechauffeacutees gracircce au feu nouveau allumeacute par

les jeunes un feu sexualiseacute qui ne meurt pas se-

lon Bachelard en effet laquo Le feu reacutenoveacute retrouve sa

neacutecessiteacute geacuteneacutetique raquo14 Les meacutetaphores fileacutees de la

reacutegeacuteneacuteration de la terre feacutecondeacutee mettent lrsquoaccent

sur cette confusion eacutevocatrice de deacutebridement or-

giastique

Lrsquoensemble des jeunes du village aideacutes par les

bergers des alentours procegravedent agrave la co-re-creacuteation

du monde agrave lrsquoinstauration de la confusion pri-

mordiale Ils miment cette derniegravere en y apportant

leurs forces paroxystiques dans une alliance de

fougues toutes neuves Lrsquoaire qui reacutefegravere agrave la

Grande Megravere agrave la terre - geacutenitrix est violemment

caresseacutee doucement violenteacutee par ces jeunes

dieux pleins de vitaliteacute qui laquo deacutebordent les champs

de figuiers drsquoalentour raquo crsquoest de la sorte que srsquoins-

taurent la co-union et la comm-union des ecirctres et du

cosmos Le deacutebordement atteint son comble par la

danse qui deacuteroule ses eacutevolutions agrave proximiteacute des

flammes crsquoest une danse tour agrave tour lente et vio-

lente langoureuse voluptueuse et passionneacutee qui

srsquoengregravene dans un deacutechaicircnement extatique Ces

treacutepidations et treacutepignements collectifs agrave la lueur

du feu annoncent le renouvellement laquo Le feu

suggegravere le deacutesir de changer de brusquer le temps

de porter toute la vie agrave son terme agrave son au-

delagrave raquo15 Lrsquoeacuteleacutement igneacute fortement sexualiseacute sur-

deacutetermine le symbolisme de la scegravene et lui precircte

un caractegravere des plus orgiastiques

Les pieds treacutepidants et freacuteneacutetiques - analogons

phalliques- battant la terre-megravere confegraverent agrave la

scegravene un aspect drsquoautant plus surreacuteel et mystique

que lrsquoopeacuteration suggegravere une peacuteneacutetration dans

lrsquointeacuterioriteacute intime de la substance drsquoune subs-

tance saisie dans sa profondeur et dans sa puis-

sance geacuteneacutesique De telles images renforcent la

surreacutealiteacute et la cosmiciteacute de lrsquoopeacuteration cultuelle

Le monde ancien et moribond dont les forces deacute-

clinent et vont srsquoaffaissant se trouve ainsi suppleacuteeacute

par un autre juveacutenile plein de segraveve et de robus-

tesse Les puissances chtoniennes viennent res-

sourcer les forces apolliniennes Ce sont lagrave des

images de la reacuteinteacutegration de la totaliteacute primor-

diale

laquo Pour un soir cependant il redevint le Mouh

6

qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand

feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-

daient vaguement semblable au sorcier de quelque

peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour

agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait

ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La

flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-

sible raquo 16

Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos

doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-

jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-

sordre des passions provoque le resurgissement

drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les

laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au

sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere

cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort

drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses

forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-

veloppa dans les pans amples de son burnous et sans

rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans

un coin contre un frecircne comme pour attendre que le

dieu doucement le quittacirct raquo19

Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute

deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle

se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave

lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit

comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-

datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-

mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui

garantit la continuiteacute du monde en unissant les

puissances chtoniennes et le monde de la surface

Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous

comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun

animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea

Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni

le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est

consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant

de la condition profane Mouh est en mesure

drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme

par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la

naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-

sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres

ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere

chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces

images du berger avec ses eacutevolutions repti-

liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-

sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent

la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des

oppositions survenant au terme de toute

opeacuteration rituelle de ce genre23

Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie

alchimique le serpent est la base de toute Œuvre

selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-

rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner

naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au

terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son

burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole

celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte

cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25

srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans

la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-

tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-

gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus

bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-

logues rendent plus congruent se renforce le deacute-

chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-

deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil

deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation

Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-

cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En

deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non

de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son

acceptation et de son inteacutegration si dissemblable

et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-

elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son

harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit

drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-

culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-

veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-

tinuiteacute

Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-

faite de ce que peut apporter un comportement

aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi

puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest

lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la

flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-

pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave

lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-

nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-

neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-

jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-

tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en

lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-

liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-

sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de

la culture berbegravere elle incarne cette force pro-

fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps

social gracircce agrave un pluralisme passionnel

7

pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-

tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de

la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur

mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve

La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme

Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-

diennes sous des modulations diverses la hadra

est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de

lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de

cette immense reacuteserve de forces souterraines se-

cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-

ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-

giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-

existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28

constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la

socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux

eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo

tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses

puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi

le passage suivant vient-il mettre en exergue la

preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-

tique au sein de la culture populaire Cette dimen-

sion semblant constituer le substrat qui fonde

cette culture sous-tend de la sorte la structure so-

cieacutetale

Lrsquoactivation de cette dimension est mise en

branle aux moments les plus cruciaux auxquels

peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication

que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-

proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan

initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-

tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence

rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-

rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui

que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre

-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de

lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-

der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-

rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-

tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-

nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion

de vie de lrsquoensemble

laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit

geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)

une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de

la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-

bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse

vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes

parce que toutes baissaient la tecircte La musique

continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-

chaicircneacuteelt raquo30

La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans

la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration

drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-

vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-

compagnement agrave cette con-fusion des esprits et

des corps brouillant les limites et effaccedilant les

barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet

et favorise laquo le renversement des comportements

qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-

fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en

œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-

complisse et que les participants srsquoy adonnent

dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la

laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue

et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33

au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les

femmes reacuteunies agrave cet effet

laquo Dans chaque coin des hommes des femmes

eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-

vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un

second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave

la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de

becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se

tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes

des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-

lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces

sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras

formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes

steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34

Nous avons lagrave une union double un andro-

gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux

jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de

deux maniegraveres compleacutementaires et duelles

comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et

provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse

et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-

ciences et des inconscients est une comm-union

Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute

communion des consciences sous quelques espegraveces

qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le

travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie

symbolique -de ces femmes mimant les

hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-

tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36

8

Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-

geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes

aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect

orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se

trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore

fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes

fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-

bir la hadra raquo sont effectivement passives elles

sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-

vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave

nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient

laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se

faisant labourer par les analogons phalliques des

danseurs fougueux sautant de toutes leurs

forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-

sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes

steacuteriles raquo

Le redoublement de toutes les forces conju-

gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi

dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-

plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-

siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement

est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des

rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des

forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-

sement sans cesse renouveleacute

laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux

de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait

deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-

tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force

bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie

Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-

pue dans les cocirctes raquo37

La multiplication des forces est justement ren-

due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-

sances cosmiques animales instrumentales ani-

meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons

geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-

brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-

lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent

les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie

ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal

chaos La communion de tous advient par deacute-

chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-

jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere

alors pleinement pour impulser la flamme du

renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette

dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-

reacute par la culture drsquoen haut

lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-

feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi

lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente

drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes

deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun

pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans

son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux

normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement

que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait

pas seulement sur un moralisme rigide qui se

trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon

un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation

ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique

de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-

teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de

contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement

salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un

contrepoids aux forces surplombantes

eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-

clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee

dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-

teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient

Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme

cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-

duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant

un pronostic normal de survie et non condam-

neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee

drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42

La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute

sont neacutecessaires et requises au maintien de la

coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout

en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines

limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute

court le risque de voir ses composantes se deacuteliter

et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons

de le voir un social monolithique ougrave ne domine-

rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave

connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses

forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport

contradictoriel puissant la dimension diony-

siaque apporte la contradiction et constitue un

contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-

sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-

nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-

teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous

venons de voir constituent les deux pocircles de la

culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La

Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par

des principes de rigueur et de productivisme La

seconde est la dimension dionysiaque que avons

9

analyseacutee

Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-

taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et

laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-

teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se

poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-

teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la

forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-

teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se

trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue

Cette synergie se manifeste dans les rapports

mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux

aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la

mort au monde Nous venons de voir aussi que

les rapports sociaux sont des rapports animeacutes

par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-

fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien

Il y a en outre recentrement de ces rapports sur

ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-

ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de

lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune

maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-

vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute

avec les autres preacutedomine sur tout le reste et

lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-

tion

Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-

lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et

lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-

laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-

vante Ces deux dimensions essentielles bien

que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-

renniteacute de la vie et de la survie de cette culture

Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et

entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre

mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun

par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-

tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait

elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle

se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-

cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-

niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement

particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument

universelles

Bibliographie

Corpus

MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris

Plon 1952

Ouvrages theacuteoriques

- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu

Paris Librairie Gallimard 1949

- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll

Gautier 1980

- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques

de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-

rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969

- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes

reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug

coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996

- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la

vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-

ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo

2003

- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-

tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre

Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978

- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne

Paris Gallimard 1962

- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris

Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985

- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences

Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990

- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour

une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-

dition Descleacutee de Brouwer 1998

- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars

de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table

Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-

begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture

savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger

Tala 1989

1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in

LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck

et Cie 1985 p 126

2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-

ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-

cleacutee de Brouwer 1998 p 13

3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon

1990 p 19

10

x

4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris

Gallimard 1962 p 140

5 Ibidem

6 La Colline Oublieacutee op cit p 94

7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils

savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer

les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee

8 La Colline oublieacutee op cit p94

9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers

srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur

lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-

tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94

12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-

gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli

LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124

13 Ibid p 140

14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-

mard 1949 p 76

15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit

p 35

16 La Colline Oublieacutee op cit p 95

17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27

18 La Colline Oublieacutee op cit p 94

19 La Colline Oublieacutee op cit p 95

20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63

21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-

das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147

25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples

de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla

srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour

attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-

blieacutee p 95

26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes

gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers

et Jupiter Paris 1973 p 361

27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144

28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-

phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141

29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130

30 La Colline Oublieacutee op cit p 90

31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

32 Ibidem

33 Ibidem

34 La Colline Oublieacutee op cit p 90

35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie

religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses

universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575

36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

37 La Colline Oublieacutee op cit p 90

38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit

p 140

39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90

40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-

niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-

cue op cit p 209

41 Ibidem

42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis

par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157

11

Agrave propos de quelques eacuteleacutements

de la culture populaire beacuteti (Cameroun)

dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo

EVOUNG FOUDA Jean Bernard

Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de

franccedilais

Introduction

Dans la classification des diffeacuterents types

drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-

dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-

miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture

folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les

usages et les traditions populaires Richard Lau-

rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit

laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts

des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-

tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des

faits des comportements que lrsquoon juge amusants et

pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave

lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique

courante de la culture raquo1

Dans ce sens la culture populaire renverrait

donc agrave la pratique courante de la culture avec ce

que cela comporte comme habitudes croyances

comportements conceptions de la vie et des pheacute-

nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-

blic des pratiques des comportements ainsi que

certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans

le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin

drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre

reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave

la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-

tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et

continuiteacutes entre le monde des vivants et celui

des morts dans cet univers agrave la pratique de la

palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-

son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-

rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile

de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en

question

Le poseacute

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps

chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave

bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un

autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait

donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait

dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana

Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu

un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique

et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-

tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-

nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-

tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-

tions originales Il paraicirct mecircme donner forme

corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan

scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription

qui au regard du ton de la ponctuation de la

forme mecircme de ses vers respecte les aspects de

lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors

permis aux chercheurs et universitaires camerou-

nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu

agrave une publication scientifique2

Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere

de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant

sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee

peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les

litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc

Raison pour laquelle nous y revenons Sur le

fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono

Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et

Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un

homme qui aimait beaucoup les femmes au

point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui

eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et

va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre

pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par

conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il

continuera agrave aimer cette femme Son mari va

chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide

amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-

nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-

couvre la santeacute

Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert

Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee

font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-

mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-

zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel

1920

- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins

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- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes

Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-

tiation Paris Gallimard 1976

18

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forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale

et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun

Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte

remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

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ti Paris Khartala 1985

- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les

nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-

matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-

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- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier

Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989

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peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970

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pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

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drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique

Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

111 p

- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 4: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

4

de la confusion des corps le mystegravere dionysiaque

fonde peacuteriodiquement un ordre nouveau il souligne

aussi la preacuteeacuteminence du collectif sur lrsquoindividualisme

et son correacutelat rationnel qursquoest le social raquo3

La sehdja

La sehdja est lrsquoune des formes la moins orgias-

tique des deux Peacuteriodiquement ceacuteleacutebreacutee par les

jeunes gens exclusivement masculins avec toute-

fois la preacutesence feacutemininemasculine de Mou lrsquoAn-

drogyne la sehdja favorise la reacutegulation du trop

plein de lrsquoeacutenergie pulsionnelle qursquoelle exteacuteriorise

et canalise La ceacutereacutemonie que nous allons analyser

preacutesente un caractegravere particulier en ce sens ougrave elle

est exceptionnelle du fait qursquoelle est initieacutee agrave lrsquoins-

tigation du cheikh garant de la morale religieuse

et de la tradition Lrsquoeacuteveacutenement que srsquoapprecircte agrave

vivre la communauteacute est grave au point de requeacute-

rir la preacutesence de tous En effet la mobilisation de

tous les jeunes gens aux cocircteacutes des Forces Allieacutees

affecte la communauteacute au plus profond drsquoelle-

mecircme si bien qursquoelle reacuteagit en faisant appel agrave

toutes les forces qui lrsquoaniment et dans une

laquo totalisation rituelle raquo4 elle fait en sorte de reve-

nir agrave une laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo 5

pour reacuteactiver la cosmogonie Aussi peut-elle ecirctre

agrave mecircme de conjurer la mort et le malheur

laquo Que les femmes aillent ce soir agrave la fontaine comme

aux jours de fecircte Le cheikh pensait ainsi exorciser le

malheur (lt) Degraves le deacutebut de lrsquoapregraves-midi commenccedila

le deacutefileacute chatoyant des femmes jeunes et vieilles belles

ou laides vers la fontaine Il nrsquoy en avait jamais tant

eu parce qursquoil fallait tout ce nombre pour eacutecarter la me-

nace raquo6

Les frontiegraveres entre les interdits srsquoeffacent

Toutes les jeunes forces macircles du corps social sont

convoqueacutees pour se conjoindre par lrsquoesprit agrave leurs

homologues femelles qursquoils admirent sous le re-

gard jadis farouche des gardiens de la tradition

devenus complices7 le temps que srsquoaccomplisse la

cosmogonie Aussi la sehdja va-t-elle favoriser lrsquoac-

complissement de cette opeacuteration au cours de la-

quelle a lieu la transformation psychique en dyna-

mique sensuelle les jeunes gens qui se sont repu

rempli les yeux du spectacle des plus belles

femmes durant ces moments vespeacuteraux auront agrave

eacutevacuer cette eacutenergie psychique et agrave la transfor-

mer en dynamique sexuelle La sehdja avec son

La mise en repreacutesentation de la culture

populaire dans laquo La Colline oublieacutee raquo de Mouloud Mammeri

BETOUCHE Aiumlni et BOUKHELOU Fatima-Deacutepartement de Franccedilais Faculteacute des Lettres et

des Langues Universiteacute Mouloud Mammeri Tizi

Ouzou Algeacuterie

Publieacutee en 1952 aux eacuteditions Plon La Colline

oublieacutee de Mouloud Mammeri met en repreacutesenta-

tion un univers primordial que meuvent et pro-

meuvent des rituels et des traditions plusieurs fois

seacuteculaires Il srsquoagit dans la preacutesente communica-

tion de deacutemontrer en quoi les rituels festifs tels

que la sehdja et la hadra constituent des formes po-

pulaires fortement impreacutegneacutees de Sacreacute favorisant

la structuration de la communauteacute tout en lui eacutevi-

tant toute deacutesinteacutegration En effet toute commu-

nauteacute se reacutegeacutenegravere et perdure gracircce agrave la coexistence

des deux dimensions que sont la dimension apolli-

nienne repreacutesentant la structure drsquoen haut et la di-

mension dionysiaque ou champecirctre repreacutesentant

la structure drsquoen bas incarneacutee dans La Colline ou-

blieacutee par la figure androgyne de Mouh le berger

La combinaison des deux dimensions sus-citeacutees

garantit la coheacutesion de tous les eacuteleacutements laquo socieacutetaux

contradictoriels raquo1 en preacutesence La structure sur-

plombante supporte de se laisser porter par la

structure drsquoen bas Ainsi lorsque lrsquoapollinien en

vient agrave srsquoaffaiblir la reacuteactivation de la dialectique

des deux dimensions se sous-tendant rentre en

action pour redynamiser lrsquoeacutelan jubilatoire La

structure apollinienne en appelle agrave lrsquoirruption des

forces souterraines qui srsquooriginent au sein mecircme

de la laquo socialiteacute inteacuterieure raquo2 Une fois convoqueacutees

ces forces entrent en lice pour restaurer la cosmo-

gonie

Nous allons deacutemontrer que la sehdja et la hadra

qui constituent pour reprendre Michel Maffesoli

des formes eupheacutemiseacutees de lrsquoorgiasme sont omni-

preacutesentes dans La Colline oublieacutee et partant dans la

socieacuteteacute berbegravere traditionnelle qursquoelles sont convo-

queacutees et veacutecues chaque fois que le corps social res-

sent le besoin de se reacutegeacuteneacuterer En effet la reacutegeacuteneacute-

ration drsquoun ordre socieacutetal ainsi que la perdurance

de sa vitaliteacute reacutesultent de lrsquoinversion des

rocircles laquo En mimant le deacutesordre et le chaos au travers

5

substrat eacuterotique est une maniegravere de rappeler

lrsquointime liaison de la vie et de la mort de conjurer

celle-ci et drsquoexsuder lrsquoeacuteros La sehdja reacuteeacutequilibre

les deux dimensions ouvre les possibiliteacutes et al-

legravege les contraintes sociales crsquoest un vecteur de

puissance de dynamisme et drsquoeffervescence in-

dispensable agrave lrsquoeacutequilibre individuel et socieacutetal La

sehdja culbute lrsquoinstitueacute par trop mortifegravere

laquo Quelque chose vraiment eacutetait changeacute dans Tasga

Pour voir passer le long cortegravege nous eacutetions lagrave tous les

jeunes du village agrave la fois ceux de la bande et ceux de

Taasast assis en file sur les dalles de schiste de la place

des Ormes (lt) Les autres descendirent sur lrsquoaire

pour une sehdja qui devait ecirctre pour moi la derniegravere Je

ne crois pas que jrsquooublierai jamais cette nuit dont

notre longue attente sur les dalles froides de la place ne

fut que le silencieux preacutelude raquo8

La conjonction des deux univers a lieu agrave la fa-

veur de la nuit agrave mecircme lrsquoaire - laquelle constitue

lrsquoassise le nid et reacutefegravere aux profondeurs abys-

sales Ainsi crsquoest de ce creuset de la chaleur

qursquoest le centre du monde et partant de lrsquoeacutener-

gie9 que sourd la passion souterraine et profonde

qui vient irradier le monde de la surface laquo Comme

une preacutesence obscure mais qui nrsquoen est pas moins reacute-

elle elle sous-tend toutes les situations et les repreacutesen-

tations qui se donnent agrave voirraquo10 Cette force abyssale

vient alors ressourcer et renflouer le monde de la

surface Tel est le rocircle de la sehdja meneacutee par

Mouh le berger qui agit agrave lrsquoimage de son dieu

tuteacutelaire Dionysos laquo lrsquoindiviseacute raquo avec la participa-

tion de tous les jeunes bergers laquo venus nombreux se

joindre sur lrsquoaire raquo et conjoindre les forces diony-

siaques en preacutesence surdeacutetermineacutees eacutevoqueacutees par

laquo les champs de figuiers drsquoalentour raquo11

Le figuier eacutetant dans la mythologie grecque et

latine12 lrsquoarbre de DionysosPriape lrsquoon infegravere

qursquoil srsquoagit bien drsquoune opeacuteration de reacutegeacuteneacuteration

des forces apolliniennes deacutegeacuteneacuterescentes par

lrsquoimpulsion de forces contradictorielles et reacutegeacuteneacute-

ratrices Ainsi que le souligne Michel Maffesoli

laquo lrsquoorgiasme est bien une plurialiteacute conjointe raquo13 ce

sont donc les diverses composantes de lrsquoagreacutega-

tion humaine constituant la structure anthropolo-

gique qui sont solliciteacutees pour assurer dans la

laquo synarchie raquo - ce principe drsquoordre- la coheacuterence

et lrsquoeacutequilibre de cette agreacutegation La plurialiteacute

dans la confusion revigore un corps social qui en

perte de force risque de srsquoaneacutemier Pareille

aneacutemie est en lrsquooccurrence eacutevoqueacutee par les

laquo dalles froides de la place raquo lesquelles vont pouvoir

ecirctre reacutechauffeacutees gracircce au feu nouveau allumeacute par

les jeunes un feu sexualiseacute qui ne meurt pas se-

lon Bachelard en effet laquo Le feu reacutenoveacute retrouve sa

neacutecessiteacute geacuteneacutetique raquo14 Les meacutetaphores fileacutees de la

reacutegeacuteneacuteration de la terre feacutecondeacutee mettent lrsquoaccent

sur cette confusion eacutevocatrice de deacutebridement or-

giastique

Lrsquoensemble des jeunes du village aideacutes par les

bergers des alentours procegravedent agrave la co-re-creacuteation

du monde agrave lrsquoinstauration de la confusion pri-

mordiale Ils miment cette derniegravere en y apportant

leurs forces paroxystiques dans une alliance de

fougues toutes neuves Lrsquoaire qui reacutefegravere agrave la

Grande Megravere agrave la terre - geacutenitrix est violemment

caresseacutee doucement violenteacutee par ces jeunes

dieux pleins de vitaliteacute qui laquo deacutebordent les champs

de figuiers drsquoalentour raquo crsquoest de la sorte que srsquoins-

taurent la co-union et la comm-union des ecirctres et du

cosmos Le deacutebordement atteint son comble par la

danse qui deacuteroule ses eacutevolutions agrave proximiteacute des

flammes crsquoest une danse tour agrave tour lente et vio-

lente langoureuse voluptueuse et passionneacutee qui

srsquoengregravene dans un deacutechaicircnement extatique Ces

treacutepidations et treacutepignements collectifs agrave la lueur

du feu annoncent le renouvellement laquo Le feu

suggegravere le deacutesir de changer de brusquer le temps

de porter toute la vie agrave son terme agrave son au-

delagrave raquo15 Lrsquoeacuteleacutement igneacute fortement sexualiseacute sur-

deacutetermine le symbolisme de la scegravene et lui precircte

un caractegravere des plus orgiastiques

Les pieds treacutepidants et freacuteneacutetiques - analogons

phalliques- battant la terre-megravere confegraverent agrave la

scegravene un aspect drsquoautant plus surreacuteel et mystique

que lrsquoopeacuteration suggegravere une peacuteneacutetration dans

lrsquointeacuterioriteacute intime de la substance drsquoune subs-

tance saisie dans sa profondeur et dans sa puis-

sance geacuteneacutesique De telles images renforcent la

surreacutealiteacute et la cosmiciteacute de lrsquoopeacuteration cultuelle

Le monde ancien et moribond dont les forces deacute-

clinent et vont srsquoaffaissant se trouve ainsi suppleacuteeacute

par un autre juveacutenile plein de segraveve et de robus-

tesse Les puissances chtoniennes viennent res-

sourcer les forces apolliniennes Ce sont lagrave des

images de la reacuteinteacutegration de la totaliteacute primor-

diale

laquo Pour un soir cependant il redevint le Mouh

6

qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand

feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-

daient vaguement semblable au sorcier de quelque

peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour

agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait

ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La

flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-

sible raquo 16

Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos

doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-

jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-

sordre des passions provoque le resurgissement

drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les

laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au

sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere

cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort

drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses

forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-

veloppa dans les pans amples de son burnous et sans

rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans

un coin contre un frecircne comme pour attendre que le

dieu doucement le quittacirct raquo19

Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute

deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle

se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave

lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit

comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-

datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-

mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui

garantit la continuiteacute du monde en unissant les

puissances chtoniennes et le monde de la surface

Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous

comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun

animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea

Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni

le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est

consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant

de la condition profane Mouh est en mesure

drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme

par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la

naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-

sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres

ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere

chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces

images du berger avec ses eacutevolutions repti-

liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-

sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent

la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des

oppositions survenant au terme de toute

opeacuteration rituelle de ce genre23

Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie

alchimique le serpent est la base de toute Œuvre

selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-

rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner

naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au

terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son

burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole

celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte

cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25

srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans

la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-

tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-

gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus

bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-

logues rendent plus congruent se renforce le deacute-

chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-

deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil

deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation

Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-

cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En

deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non

de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son

acceptation et de son inteacutegration si dissemblable

et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-

elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son

harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit

drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-

culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-

veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-

tinuiteacute

Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-

faite de ce que peut apporter un comportement

aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi

puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest

lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la

flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-

pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave

lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-

nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-

neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-

jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-

tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en

lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-

liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-

sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de

la culture berbegravere elle incarne cette force pro-

fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps

social gracircce agrave un pluralisme passionnel

7

pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-

tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de

la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur

mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve

La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme

Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-

diennes sous des modulations diverses la hadra

est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de

lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de

cette immense reacuteserve de forces souterraines se-

cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-

ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-

giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-

existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28

constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la

socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux

eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo

tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses

puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi

le passage suivant vient-il mettre en exergue la

preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-

tique au sein de la culture populaire Cette dimen-

sion semblant constituer le substrat qui fonde

cette culture sous-tend de la sorte la structure so-

cieacutetale

Lrsquoactivation de cette dimension est mise en

branle aux moments les plus cruciaux auxquels

peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication

que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-

proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan

initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-

tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence

rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-

rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui

que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre

-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de

lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-

der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-

rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-

tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-

nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion

de vie de lrsquoensemble

laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit

geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)

une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de

la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-

bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse

vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes

parce que toutes baissaient la tecircte La musique

continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-

chaicircneacuteelt raquo30

La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans

la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration

drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-

vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-

compagnement agrave cette con-fusion des esprits et

des corps brouillant les limites et effaccedilant les

barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet

et favorise laquo le renversement des comportements

qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-

fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en

œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-

complisse et que les participants srsquoy adonnent

dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la

laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue

et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33

au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les

femmes reacuteunies agrave cet effet

laquo Dans chaque coin des hommes des femmes

eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-

vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un

second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave

la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de

becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se

tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes

des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-

lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces

sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras

formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes

steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34

Nous avons lagrave une union double un andro-

gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux

jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de

deux maniegraveres compleacutementaires et duelles

comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et

provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse

et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-

ciences et des inconscients est une comm-union

Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute

communion des consciences sous quelques espegraveces

qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le

travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie

symbolique -de ces femmes mimant les

hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-

tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36

8

Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-

geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes

aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect

orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se

trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore

fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes

fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-

bir la hadra raquo sont effectivement passives elles

sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-

vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave

nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient

laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se

faisant labourer par les analogons phalliques des

danseurs fougueux sautant de toutes leurs

forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-

sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes

steacuteriles raquo

Le redoublement de toutes les forces conju-

gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi

dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-

plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-

siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement

est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des

rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des

forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-

sement sans cesse renouveleacute

laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux

de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait

deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-

tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force

bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie

Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-

pue dans les cocirctes raquo37

La multiplication des forces est justement ren-

due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-

sances cosmiques animales instrumentales ani-

meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons

geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-

brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-

lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent

les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie

ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal

chaos La communion de tous advient par deacute-

chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-

jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere

alors pleinement pour impulser la flamme du

renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette

dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-

reacute par la culture drsquoen haut

lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-

feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi

lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente

drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes

deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun

pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans

son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux

normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement

que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait

pas seulement sur un moralisme rigide qui se

trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon

un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation

ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique

de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-

teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de

contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement

salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un

contrepoids aux forces surplombantes

eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-

clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee

dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-

teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient

Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme

cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-

duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant

un pronostic normal de survie et non condam-

neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee

drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42

La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute

sont neacutecessaires et requises au maintien de la

coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout

en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines

limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute

court le risque de voir ses composantes se deacuteliter

et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons

de le voir un social monolithique ougrave ne domine-

rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave

connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses

forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport

contradictoriel puissant la dimension diony-

siaque apporte la contradiction et constitue un

contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-

sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-

nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-

teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous

venons de voir constituent les deux pocircles de la

culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La

Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par

des principes de rigueur et de productivisme La

seconde est la dimension dionysiaque que avons

9

analyseacutee

Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-

taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et

laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-

teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se

poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-

teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la

forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-

teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se

trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue

Cette synergie se manifeste dans les rapports

mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux

aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la

mort au monde Nous venons de voir aussi que

les rapports sociaux sont des rapports animeacutes

par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-

fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien

Il y a en outre recentrement de ces rapports sur

ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-

ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de

lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune

maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-

vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute

avec les autres preacutedomine sur tout le reste et

lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-

tion

Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-

lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et

lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-

laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-

vante Ces deux dimensions essentielles bien

que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-

renniteacute de la vie et de la survie de cette culture

Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et

entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre

mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun

par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-

tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait

elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle

se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-

cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-

niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement

particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument

universelles

Bibliographie

Corpus

MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris

Plon 1952

Ouvrages theacuteoriques

- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu

Paris Librairie Gallimard 1949

- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll

Gautier 1980

- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques

de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-

rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969

- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes

reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug

coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996

- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la

vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-

ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo

2003

- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-

tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre

Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978

- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne

Paris Gallimard 1962

- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris

Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985

- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences

Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990

- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour

une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-

dition Descleacutee de Brouwer 1998

- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars

de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table

Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-

begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture

savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger

Tala 1989

1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in

LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck

et Cie 1985 p 126

2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-

ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-

cleacutee de Brouwer 1998 p 13

3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon

1990 p 19

10

x

4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris

Gallimard 1962 p 140

5 Ibidem

6 La Colline Oublieacutee op cit p 94

7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils

savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer

les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee

8 La Colline oublieacutee op cit p94

9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers

srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur

lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-

tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94

12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-

gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli

LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124

13 Ibid p 140

14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-

mard 1949 p 76

15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit

p 35

16 La Colline Oublieacutee op cit p 95

17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27

18 La Colline Oublieacutee op cit p 94

19 La Colline Oublieacutee op cit p 95

20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63

21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-

das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147

25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples

de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla

srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour

attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-

blieacutee p 95

26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes

gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers

et Jupiter Paris 1973 p 361

27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144

28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-

phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141

29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130

30 La Colline Oublieacutee op cit p 90

31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

32 Ibidem

33 Ibidem

34 La Colline Oublieacutee op cit p 90

35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie

religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses

universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575

36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

37 La Colline Oublieacutee op cit p 90

38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit

p 140

39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90

40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-

niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-

cue op cit p 209

41 Ibidem

42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis

par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157

11

Agrave propos de quelques eacuteleacutements

de la culture populaire beacuteti (Cameroun)

dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo

EVOUNG FOUDA Jean Bernard

Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de

franccedilais

Introduction

Dans la classification des diffeacuterents types

drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-

dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-

miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture

folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les

usages et les traditions populaires Richard Lau-

rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit

laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts

des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-

tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des

faits des comportements que lrsquoon juge amusants et

pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave

lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique

courante de la culture raquo1

Dans ce sens la culture populaire renverrait

donc agrave la pratique courante de la culture avec ce

que cela comporte comme habitudes croyances

comportements conceptions de la vie et des pheacute-

nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-

blic des pratiques des comportements ainsi que

certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans

le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin

drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre

reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave

la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-

tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et

continuiteacutes entre le monde des vivants et celui

des morts dans cet univers agrave la pratique de la

palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-

son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-

rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile

de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en

question

Le poseacute

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps

chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave

bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un

autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait

donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait

dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana

Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu

un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique

et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-

tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-

nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-

tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-

tions originales Il paraicirct mecircme donner forme

corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan

scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription

qui au regard du ton de la ponctuation de la

forme mecircme de ses vers respecte les aspects de

lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors

permis aux chercheurs et universitaires camerou-

nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu

agrave une publication scientifique2

Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere

de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant

sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee

peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les

litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc

Raison pour laquelle nous y revenons Sur le

fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono

Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et

Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un

homme qui aimait beaucoup les femmes au

point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui

eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et

va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre

pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par

conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il

continuera agrave aimer cette femme Son mari va

chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide

amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-

nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-

couvre la santeacute

Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert

Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee

font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-

mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-

zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel

1920

- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins

drsquoAfrique Paris Hatier 1984

- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes

Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-

tiation Paris Gallimard 1976

18

- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la

forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale

et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun

Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte

remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-

ti Paris Khartala 1985

- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les

nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-

matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-

deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999

- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier

Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989

- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du

peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970

- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait

pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence

drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique

Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

111 p

- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 5: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

5

substrat eacuterotique est une maniegravere de rappeler

lrsquointime liaison de la vie et de la mort de conjurer

celle-ci et drsquoexsuder lrsquoeacuteros La sehdja reacuteeacutequilibre

les deux dimensions ouvre les possibiliteacutes et al-

legravege les contraintes sociales crsquoest un vecteur de

puissance de dynamisme et drsquoeffervescence in-

dispensable agrave lrsquoeacutequilibre individuel et socieacutetal La

sehdja culbute lrsquoinstitueacute par trop mortifegravere

laquo Quelque chose vraiment eacutetait changeacute dans Tasga

Pour voir passer le long cortegravege nous eacutetions lagrave tous les

jeunes du village agrave la fois ceux de la bande et ceux de

Taasast assis en file sur les dalles de schiste de la place

des Ormes (lt) Les autres descendirent sur lrsquoaire

pour une sehdja qui devait ecirctre pour moi la derniegravere Je

ne crois pas que jrsquooublierai jamais cette nuit dont

notre longue attente sur les dalles froides de la place ne

fut que le silencieux preacutelude raquo8

La conjonction des deux univers a lieu agrave la fa-

veur de la nuit agrave mecircme lrsquoaire - laquelle constitue

lrsquoassise le nid et reacutefegravere aux profondeurs abys-

sales Ainsi crsquoest de ce creuset de la chaleur

qursquoest le centre du monde et partant de lrsquoeacutener-

gie9 que sourd la passion souterraine et profonde

qui vient irradier le monde de la surface laquo Comme

une preacutesence obscure mais qui nrsquoen est pas moins reacute-

elle elle sous-tend toutes les situations et les repreacutesen-

tations qui se donnent agrave voirraquo10 Cette force abyssale

vient alors ressourcer et renflouer le monde de la

surface Tel est le rocircle de la sehdja meneacutee par

Mouh le berger qui agit agrave lrsquoimage de son dieu

tuteacutelaire Dionysos laquo lrsquoindiviseacute raquo avec la participa-

tion de tous les jeunes bergers laquo venus nombreux se

joindre sur lrsquoaire raquo et conjoindre les forces diony-

siaques en preacutesence surdeacutetermineacutees eacutevoqueacutees par

laquo les champs de figuiers drsquoalentour raquo11

Le figuier eacutetant dans la mythologie grecque et

latine12 lrsquoarbre de DionysosPriape lrsquoon infegravere

qursquoil srsquoagit bien drsquoune opeacuteration de reacutegeacuteneacuteration

des forces apolliniennes deacutegeacuteneacuterescentes par

lrsquoimpulsion de forces contradictorielles et reacutegeacuteneacute-

ratrices Ainsi que le souligne Michel Maffesoli

laquo lrsquoorgiasme est bien une plurialiteacute conjointe raquo13 ce

sont donc les diverses composantes de lrsquoagreacutega-

tion humaine constituant la structure anthropolo-

gique qui sont solliciteacutees pour assurer dans la

laquo synarchie raquo - ce principe drsquoordre- la coheacuterence

et lrsquoeacutequilibre de cette agreacutegation La plurialiteacute

dans la confusion revigore un corps social qui en

perte de force risque de srsquoaneacutemier Pareille

aneacutemie est en lrsquooccurrence eacutevoqueacutee par les

laquo dalles froides de la place raquo lesquelles vont pouvoir

ecirctre reacutechauffeacutees gracircce au feu nouveau allumeacute par

les jeunes un feu sexualiseacute qui ne meurt pas se-

lon Bachelard en effet laquo Le feu reacutenoveacute retrouve sa

neacutecessiteacute geacuteneacutetique raquo14 Les meacutetaphores fileacutees de la

reacutegeacuteneacuteration de la terre feacutecondeacutee mettent lrsquoaccent

sur cette confusion eacutevocatrice de deacutebridement or-

giastique

Lrsquoensemble des jeunes du village aideacutes par les

bergers des alentours procegravedent agrave la co-re-creacuteation

du monde agrave lrsquoinstauration de la confusion pri-

mordiale Ils miment cette derniegravere en y apportant

leurs forces paroxystiques dans une alliance de

fougues toutes neuves Lrsquoaire qui reacutefegravere agrave la

Grande Megravere agrave la terre - geacutenitrix est violemment

caresseacutee doucement violenteacutee par ces jeunes

dieux pleins de vitaliteacute qui laquo deacutebordent les champs

de figuiers drsquoalentour raquo crsquoest de la sorte que srsquoins-

taurent la co-union et la comm-union des ecirctres et du

cosmos Le deacutebordement atteint son comble par la

danse qui deacuteroule ses eacutevolutions agrave proximiteacute des

flammes crsquoest une danse tour agrave tour lente et vio-

lente langoureuse voluptueuse et passionneacutee qui

srsquoengregravene dans un deacutechaicircnement extatique Ces

treacutepidations et treacutepignements collectifs agrave la lueur

du feu annoncent le renouvellement laquo Le feu

suggegravere le deacutesir de changer de brusquer le temps

de porter toute la vie agrave son terme agrave son au-

delagrave raquo15 Lrsquoeacuteleacutement igneacute fortement sexualiseacute sur-

deacutetermine le symbolisme de la scegravene et lui precircte

un caractegravere des plus orgiastiques

Les pieds treacutepidants et freacuteneacutetiques - analogons

phalliques- battant la terre-megravere confegraverent agrave la

scegravene un aspect drsquoautant plus surreacuteel et mystique

que lrsquoopeacuteration suggegravere une peacuteneacutetration dans

lrsquointeacuterioriteacute intime de la substance drsquoune subs-

tance saisie dans sa profondeur et dans sa puis-

sance geacuteneacutesique De telles images renforcent la

surreacutealiteacute et la cosmiciteacute de lrsquoopeacuteration cultuelle

Le monde ancien et moribond dont les forces deacute-

clinent et vont srsquoaffaissant se trouve ainsi suppleacuteeacute

par un autre juveacutenile plein de segraveve et de robus-

tesse Les puissances chtoniennes viennent res-

sourcer les forces apolliniennes Ce sont lagrave des

images de la reacuteinteacutegration de la totaliteacute primor-

diale

laquo Pour un soir cependant il redevint le Mouh

6

qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand

feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-

daient vaguement semblable au sorcier de quelque

peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour

agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait

ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La

flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-

sible raquo 16

Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos

doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-

jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-

sordre des passions provoque le resurgissement

drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les

laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au

sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere

cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort

drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses

forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-

veloppa dans les pans amples de son burnous et sans

rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans

un coin contre un frecircne comme pour attendre que le

dieu doucement le quittacirct raquo19

Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute

deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle

se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave

lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit

comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-

datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-

mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui

garantit la continuiteacute du monde en unissant les

puissances chtoniennes et le monde de la surface

Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous

comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun

animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea

Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni

le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est

consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant

de la condition profane Mouh est en mesure

drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme

par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la

naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-

sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres

ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere

chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces

images du berger avec ses eacutevolutions repti-

liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-

sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent

la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des

oppositions survenant au terme de toute

opeacuteration rituelle de ce genre23

Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie

alchimique le serpent est la base de toute Œuvre

selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-

rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner

naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au

terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son

burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole

celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte

cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25

srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans

la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-

tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-

gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus

bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-

logues rendent plus congruent se renforce le deacute-

chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-

deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil

deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation

Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-

cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En

deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non

de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son

acceptation et de son inteacutegration si dissemblable

et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-

elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son

harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit

drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-

culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-

veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-

tinuiteacute

Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-

faite de ce que peut apporter un comportement

aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi

puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest

lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la

flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-

pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave

lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-

nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-

neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-

jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-

tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en

lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-

liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-

sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de

la culture berbegravere elle incarne cette force pro-

fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps

social gracircce agrave un pluralisme passionnel

7

pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-

tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de

la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur

mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve

La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme

Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-

diennes sous des modulations diverses la hadra

est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de

lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de

cette immense reacuteserve de forces souterraines se-

cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-

ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-

giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-

existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28

constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la

socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux

eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo

tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses

puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi

le passage suivant vient-il mettre en exergue la

preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-

tique au sein de la culture populaire Cette dimen-

sion semblant constituer le substrat qui fonde

cette culture sous-tend de la sorte la structure so-

cieacutetale

Lrsquoactivation de cette dimension est mise en

branle aux moments les plus cruciaux auxquels

peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication

que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-

proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan

initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-

tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence

rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-

rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui

que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre

-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de

lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-

der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-

rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-

tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-

nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion

de vie de lrsquoensemble

laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit

geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)

une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de

la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-

bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse

vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes

parce que toutes baissaient la tecircte La musique

continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-

chaicircneacuteelt raquo30

La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans

la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration

drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-

vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-

compagnement agrave cette con-fusion des esprits et

des corps brouillant les limites et effaccedilant les

barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet

et favorise laquo le renversement des comportements

qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-

fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en

œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-

complisse et que les participants srsquoy adonnent

dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la

laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue

et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33

au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les

femmes reacuteunies agrave cet effet

laquo Dans chaque coin des hommes des femmes

eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-

vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un

second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave

la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de

becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se

tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes

des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-

lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces

sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras

formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes

steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34

Nous avons lagrave une union double un andro-

gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux

jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de

deux maniegraveres compleacutementaires et duelles

comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et

provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse

et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-

ciences et des inconscients est une comm-union

Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute

communion des consciences sous quelques espegraveces

qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le

travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie

symbolique -de ces femmes mimant les

hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-

tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36

8

Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-

geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes

aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect

orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se

trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore

fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes

fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-

bir la hadra raquo sont effectivement passives elles

sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-

vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave

nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient

laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se

faisant labourer par les analogons phalliques des

danseurs fougueux sautant de toutes leurs

forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-

sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes

steacuteriles raquo

Le redoublement de toutes les forces conju-

gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi

dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-

plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-

siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement

est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des

rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des

forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-

sement sans cesse renouveleacute

laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux

de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait

deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-

tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force

bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie

Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-

pue dans les cocirctes raquo37

La multiplication des forces est justement ren-

due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-

sances cosmiques animales instrumentales ani-

meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons

geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-

brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-

lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent

les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie

ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal

chaos La communion de tous advient par deacute-

chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-

jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere

alors pleinement pour impulser la flamme du

renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette

dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-

reacute par la culture drsquoen haut

lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-

feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi

lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente

drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes

deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun

pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans

son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux

normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement

que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait

pas seulement sur un moralisme rigide qui se

trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon

un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation

ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique

de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-

teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de

contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement

salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un

contrepoids aux forces surplombantes

eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-

clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee

dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-

teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient

Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme

cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-

duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant

un pronostic normal de survie et non condam-

neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee

drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42

La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute

sont neacutecessaires et requises au maintien de la

coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout

en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines

limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute

court le risque de voir ses composantes se deacuteliter

et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons

de le voir un social monolithique ougrave ne domine-

rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave

connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses

forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport

contradictoriel puissant la dimension diony-

siaque apporte la contradiction et constitue un

contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-

sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-

nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-

teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous

venons de voir constituent les deux pocircles de la

culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La

Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par

des principes de rigueur et de productivisme La

seconde est la dimension dionysiaque que avons

9

analyseacutee

Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-

taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et

laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-

teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se

poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-

teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la

forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-

teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se

trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue

Cette synergie se manifeste dans les rapports

mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux

aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la

mort au monde Nous venons de voir aussi que

les rapports sociaux sont des rapports animeacutes

par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-

fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien

Il y a en outre recentrement de ces rapports sur

ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-

ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de

lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune

maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-

vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute

avec les autres preacutedomine sur tout le reste et

lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-

tion

Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-

lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et

lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-

laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-

vante Ces deux dimensions essentielles bien

que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-

renniteacute de la vie et de la survie de cette culture

Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et

entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre

mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun

par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-

tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait

elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle

se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-

cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-

niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement

particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument

universelles

Bibliographie

Corpus

MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris

Plon 1952

Ouvrages theacuteoriques

- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu

Paris Librairie Gallimard 1949

- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll

Gautier 1980

- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques

de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-

rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969

- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes

reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug

coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996

- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la

vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-

ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo

2003

- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-

tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre

Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978

- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne

Paris Gallimard 1962

- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris

Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985

- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences

Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990

- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour

une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-

dition Descleacutee de Brouwer 1998

- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars

de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table

Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-

begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture

savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger

Tala 1989

1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in

LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck

et Cie 1985 p 126

2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-

ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-

cleacutee de Brouwer 1998 p 13

3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon

1990 p 19

10

x

4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris

Gallimard 1962 p 140

5 Ibidem

6 La Colline Oublieacutee op cit p 94

7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils

savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer

les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee

8 La Colline oublieacutee op cit p94

9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers

srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur

lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-

tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94

12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-

gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli

LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124

13 Ibid p 140

14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-

mard 1949 p 76

15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit

p 35

16 La Colline Oublieacutee op cit p 95

17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27

18 La Colline Oublieacutee op cit p 94

19 La Colline Oublieacutee op cit p 95

20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63

21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-

das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147

25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples

de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla

srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour

attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-

blieacutee p 95

26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes

gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers

et Jupiter Paris 1973 p 361

27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144

28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-

phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141

29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130

30 La Colline Oublieacutee op cit p 90

31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

32 Ibidem

33 Ibidem

34 La Colline Oublieacutee op cit p 90

35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie

religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses

universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575

36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

37 La Colline Oublieacutee op cit p 90

38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit

p 140

39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90

40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-

niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-

cue op cit p 209

41 Ibidem

42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis

par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157

11

Agrave propos de quelques eacuteleacutements

de la culture populaire beacuteti (Cameroun)

dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo

EVOUNG FOUDA Jean Bernard

Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de

franccedilais

Introduction

Dans la classification des diffeacuterents types

drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-

dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-

miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture

folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les

usages et les traditions populaires Richard Lau-

rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit

laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts

des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-

tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des

faits des comportements que lrsquoon juge amusants et

pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave

lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique

courante de la culture raquo1

Dans ce sens la culture populaire renverrait

donc agrave la pratique courante de la culture avec ce

que cela comporte comme habitudes croyances

comportements conceptions de la vie et des pheacute-

nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-

blic des pratiques des comportements ainsi que

certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans

le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin

drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre

reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave

la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-

tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et

continuiteacutes entre le monde des vivants et celui

des morts dans cet univers agrave la pratique de la

palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-

son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-

rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile

de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en

question

Le poseacute

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps

chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave

bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un

autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait

donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait

dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana

Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu

un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique

et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-

tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-

nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-

tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-

tions originales Il paraicirct mecircme donner forme

corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan

scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription

qui au regard du ton de la ponctuation de la

forme mecircme de ses vers respecte les aspects de

lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors

permis aux chercheurs et universitaires camerou-

nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu

agrave une publication scientifique2

Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere

de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant

sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee

peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les

litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc

Raison pour laquelle nous y revenons Sur le

fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono

Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et

Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un

homme qui aimait beaucoup les femmes au

point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui

eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et

va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre

pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par

conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il

continuera agrave aimer cette femme Son mari va

chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide

amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-

nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-

couvre la santeacute

Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert

Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee

font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-

mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-

zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel

1920

- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins

drsquoAfrique Paris Hatier 1984

- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes

Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-

tiation Paris Gallimard 1976

18

- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la

forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale

et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun

Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte

remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-

ti Paris Khartala 1985

- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les

nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-

matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-

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- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier

Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989

- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du

peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970

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pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence

drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique

Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

111 p

- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 6: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

6

qursquoil avait eacuteteacute Je le revois qui danse Loin du grand

feu que nous avions allumeacute et dont les lueurs le ren-

daient vaguement semblable au sorcier de quelque

peuplade feacutetichiste Mouh eacutevoluait comme irreacuteel tour

agrave tour freacuteneacutetique comme si quelque deacutemon lrsquohabitait

ou lent comme srsquoil proceacutedait agrave un envoucirctement La

flamme faisait se jouer des ombres sur sa figure impas-

sible raquo 16

Mouh effeacutemineacute est agrave lrsquoimage de Dionysos

doueacute agrave la fois laquo pour lrsquoamour et la mort raquo17 Il con-

jugue jouissance et volupteacute il multiplie le deacute-

sordre des passions provoque le resurgissement

drsquoune nature deacutebrideacutee Le grand feu dont les

laquo lueurs le Mouh+ rendaient vaguement semblable au

sorcier de quelque peuplade feacutetichiste raquo18 lui confegravere

cette stature de thaumaturge officiant agrave la mort

drsquoun monde et au renouveau de la vie avec ses

forces neuves et vives laquo Quand il eut fini il srsquoen-

veloppa dans les pans amples de son burnous et sans

rien dire comme jadis Mouh alla srsquoadosser seul dans

un coin contre un frecircne comme pour attendre que le

dieu doucement le quittacirct raquo19

Ces icocircnes preacutesentent un Mouh agrave lrsquoacircpre beauteacute

deacutemoniaque agrave la laquo figure impassible sur laquelle

se jouent les ombres de la flamme raquo proceacutedant agrave

lrsquohieacuterogamie que Michel Maffesoli deacutefinit

comme laquo un simulacre ritualisant lrsquounion feacutecon-

datrice de la nature et de lrsquohomme raquo20 Cette si-

mulation est celle drsquoun mariage geacuteneacuteraliseacute qui

garantit la continuiteacute du monde en unissant les

puissances chtoniennes et le monde de la surface

Il faut noter que Mouh avait ocircteacute son burnous

comme pour laquo se deacutepouiller ainsi de la peau drsquoun

animal raquo ndash ici laquo du serpent raquo qui selon Mircea

Eliade est une virtualiteacute du Feu de la Vie- Agni

le dieu du Feu et du foyer le dieu lumineux est

consubstantiel au serpent21 En se deacutebarrassant

de la condition profane Mouh est en mesure

drsquoeffectuer le ceacutereacutemonial Mircea Eliade affirme

par ailleurs que laquocrsquoest peut-ecirctre de lrsquoimage de la

naissance du feu que deacuterivent les speacuteculations de lrsquoes-

sence oephidienne drsquoAgni raquo22 Naissant des teacutenegravebres

ou de la matiegravere opaque comme drsquoune matiegravere

chtonienne le feu rampe comme un serpent Ces

images du berger avec ses eacutevolutions repti-

liennes srsquoenroulant dans son burnous et srsquoados-

sant agrave lrsquoarbre sacreacute sont des images qui montrent

la reacutesorption des contraires et lrsquoannulation des

oppositions survenant au terme de toute

opeacuteration rituelle de ce genre23

Si lrsquoon pense par ailleurs que dans lrsquoimagerie

alchimique le serpent est la base de toute Œuvre

selon Gilbert Durand24 lrsquoon peut facilement infeacute-

rer que le Feu et lrsquoEau se combinent pour donner

naissance agrave la Parole et agrave lrsquoEsprit agrave la tamusni Au

terme de lrsquoopeacuteration rituelle Mouh remet son

burnous lequel se trouve ecirctre un autre symbole

celui drsquoun corps de valeurs supeacuterieures Lrsquoacte

cultuel se parachegraveve au moment mecircme ougrave Mouh25

srsquoadosse contre le frecircne arbre symbolisant dans

la mythologie kabyle lrsquoarbre fondateur26 suppor-

tant la voucircte ceacuteleste et prenant racine dans la Sa-

gesse Ainsi les images srsquoenracinent-elles de plus

bel et le foyer drsquoambivalence que ces images ana-

logues rendent plus congruent se renforce le deacute-

chaicircnement dionysiaque plonge dans les profon-

deurs se repaicirct de la sagesse de lrsquoapollinien qursquoil

deacute-construit pour mieux proceacuteder agrave sa re-creacuteation

Les deux mondes co-habitent et co-opegraverent de con-

cert agrave la perdurance drsquoun socieacutetal eacutequilibreacute En

deacutefinitive la socialiteacute reacutesulte neacutecessairement non

de lrsquoexclusion totale de la diffeacuterence mais de son

acceptation et de son inteacutegration si dissemblable

et si singuliegravere soit-elle Toute communauteacute fucirct-

elle la plus rigoriste - deacutesireuse de preacuteserver son

harmonie et de se preacuteserver elle-mecircme- se doit

drsquoadmettre en son sein des valeurs diverses parti-

culiegraveres et contradictorielles lesquelles conser-

veacutees en tant que telles lui assurent vitaliteacute et con-

tinuiteacute

Lrsquoexemple de la sehdja est une illustration par-

faite de ce que peut apporter un comportement

aussi insolite dans une socieacuteteacute aussi rigide et aussi

puritaine que peut ecirctre la socieacuteteacute berbegravere Crsquoest

lrsquoeacuteleacutement dionysiaque festif par excellence avec la

flucircte et la danse qui constitue une sorte de sou-

pape de seacutecuriteacute Le sentiment vitaliste permet agrave

lrsquoagreacutegation sociale de se reacutegeacuteneacuterer de se mainte-

nir vivace en srsquoacceptant dans toute son heacuteteacuterogeacute-

neacuteiteacute laquo La fusion mystique orgiaque permet agrave la sub-

jectiviteacute de trouver sa pleacutenitude En acceptant la fini-

tude que repreacutesente le contradictoire et la mort en

lrsquoaffrontant tragiquement elle srsquoinscrit dans une globa-

liteacute cosmique raquo27 La figure du berger se travestis-

sant joue un rocircle capital dans la re-constitution de

la culture berbegravere elle incarne cette force pro-

fonde la plus inconsciente qui irrigue le corps

social gracircce agrave un pluralisme passionnel

7

pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-

tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de

la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur

mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve

La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme

Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-

diennes sous des modulations diverses la hadra

est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de

lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de

cette immense reacuteserve de forces souterraines se-

cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-

ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-

giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-

existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28

constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la

socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux

eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo

tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses

puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi

le passage suivant vient-il mettre en exergue la

preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-

tique au sein de la culture populaire Cette dimen-

sion semblant constituer le substrat qui fonde

cette culture sous-tend de la sorte la structure so-

cieacutetale

Lrsquoactivation de cette dimension est mise en

branle aux moments les plus cruciaux auxquels

peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication

que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-

proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan

initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-

tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence

rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-

rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui

que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre

-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de

lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-

der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-

rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-

tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-

nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion

de vie de lrsquoensemble

laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit

geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)

une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de

la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-

bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse

vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes

parce que toutes baissaient la tecircte La musique

continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-

chaicircneacuteelt raquo30

La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans

la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration

drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-

vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-

compagnement agrave cette con-fusion des esprits et

des corps brouillant les limites et effaccedilant les

barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet

et favorise laquo le renversement des comportements

qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-

fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en

œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-

complisse et que les participants srsquoy adonnent

dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la

laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue

et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33

au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les

femmes reacuteunies agrave cet effet

laquo Dans chaque coin des hommes des femmes

eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-

vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un

second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave

la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de

becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se

tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes

des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-

lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces

sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras

formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes

steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34

Nous avons lagrave une union double un andro-

gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux

jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de

deux maniegraveres compleacutementaires et duelles

comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et

provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse

et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-

ciences et des inconscients est une comm-union

Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute

communion des consciences sous quelques espegraveces

qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le

travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie

symbolique -de ces femmes mimant les

hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-

tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36

8

Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-

geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes

aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect

orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se

trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore

fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes

fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-

bir la hadra raquo sont effectivement passives elles

sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-

vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave

nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient

laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se

faisant labourer par les analogons phalliques des

danseurs fougueux sautant de toutes leurs

forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-

sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes

steacuteriles raquo

Le redoublement de toutes les forces conju-

gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi

dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-

plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-

siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement

est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des

rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des

forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-

sement sans cesse renouveleacute

laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux

de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait

deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-

tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force

bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie

Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-

pue dans les cocirctes raquo37

La multiplication des forces est justement ren-

due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-

sances cosmiques animales instrumentales ani-

meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons

geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-

brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-

lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent

les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie

ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal

chaos La communion de tous advient par deacute-

chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-

jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere

alors pleinement pour impulser la flamme du

renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette

dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-

reacute par la culture drsquoen haut

lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-

feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi

lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente

drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes

deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun

pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans

son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux

normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement

que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait

pas seulement sur un moralisme rigide qui se

trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon

un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation

ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique

de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-

teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de

contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement

salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un

contrepoids aux forces surplombantes

eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-

clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee

dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-

teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient

Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme

cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-

duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant

un pronostic normal de survie et non condam-

neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee

drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42

La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute

sont neacutecessaires et requises au maintien de la

coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout

en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines

limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute

court le risque de voir ses composantes se deacuteliter

et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons

de le voir un social monolithique ougrave ne domine-

rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave

connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses

forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport

contradictoriel puissant la dimension diony-

siaque apporte la contradiction et constitue un

contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-

sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-

nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-

teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous

venons de voir constituent les deux pocircles de la

culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La

Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par

des principes de rigueur et de productivisme La

seconde est la dimension dionysiaque que avons

9

analyseacutee

Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-

taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et

laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-

teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se

poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-

teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la

forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-

teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se

trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue

Cette synergie se manifeste dans les rapports

mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux

aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la

mort au monde Nous venons de voir aussi que

les rapports sociaux sont des rapports animeacutes

par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-

fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien

Il y a en outre recentrement de ces rapports sur

ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-

ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de

lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune

maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-

vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute

avec les autres preacutedomine sur tout le reste et

lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-

tion

Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-

lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et

lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-

laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-

vante Ces deux dimensions essentielles bien

que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-

renniteacute de la vie et de la survie de cette culture

Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et

entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre

mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun

par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-

tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait

elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle

se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-

cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-

niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement

particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument

universelles

Bibliographie

Corpus

MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris

Plon 1952

Ouvrages theacuteoriques

- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu

Paris Librairie Gallimard 1949

- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll

Gautier 1980

- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques

de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-

rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969

- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes

reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug

coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996

- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la

vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-

ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo

2003

- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-

tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre

Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978

- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne

Paris Gallimard 1962

- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris

Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985

- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences

Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990

- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour

une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-

dition Descleacutee de Brouwer 1998

- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars

de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table

Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-

begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture

savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger

Tala 1989

1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in

LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck

et Cie 1985 p 126

2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-

ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-

cleacutee de Brouwer 1998 p 13

3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon

1990 p 19

10

x

4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris

Gallimard 1962 p 140

5 Ibidem

6 La Colline Oublieacutee op cit p 94

7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils

savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer

les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee

8 La Colline oublieacutee op cit p94

9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers

srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur

lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-

tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94

12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-

gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli

LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124

13 Ibid p 140

14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-

mard 1949 p 76

15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit

p 35

16 La Colline Oublieacutee op cit p 95

17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27

18 La Colline Oublieacutee op cit p 94

19 La Colline Oublieacutee op cit p 95

20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63

21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-

das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147

25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples

de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla

srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour

attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-

blieacutee p 95

26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes

gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers

et Jupiter Paris 1973 p 361

27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144

28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-

phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141

29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130

30 La Colline Oublieacutee op cit p 90

31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

32 Ibidem

33 Ibidem

34 La Colline Oublieacutee op cit p 90

35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie

religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses

universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575

36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

37 La Colline Oublieacutee op cit p 90

38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit

p 140

39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90

40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-

niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-

cue op cit p 209

41 Ibidem

42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis

par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157

11

Agrave propos de quelques eacuteleacutements

de la culture populaire beacuteti (Cameroun)

dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo

EVOUNG FOUDA Jean Bernard

Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de

franccedilais

Introduction

Dans la classification des diffeacuterents types

drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-

dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-

miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture

folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les

usages et les traditions populaires Richard Lau-

rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit

laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts

des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-

tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des

faits des comportements que lrsquoon juge amusants et

pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave

lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique

courante de la culture raquo1

Dans ce sens la culture populaire renverrait

donc agrave la pratique courante de la culture avec ce

que cela comporte comme habitudes croyances

comportements conceptions de la vie et des pheacute-

nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-

blic des pratiques des comportements ainsi que

certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans

le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin

drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre

reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave

la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-

tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et

continuiteacutes entre le monde des vivants et celui

des morts dans cet univers agrave la pratique de la

palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-

son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-

rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile

de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en

question

Le poseacute

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps

chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave

bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un

autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait

donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait

dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana

Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu

un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique

et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-

tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-

nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-

tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-

tions originales Il paraicirct mecircme donner forme

corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan

scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription

qui au regard du ton de la ponctuation de la

forme mecircme de ses vers respecte les aspects de

lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors

permis aux chercheurs et universitaires camerou-

nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu

agrave une publication scientifique2

Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere

de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant

sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee

peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les

litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc

Raison pour laquelle nous y revenons Sur le

fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono

Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et

Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un

homme qui aimait beaucoup les femmes au

point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui

eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et

va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre

pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par

conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il

continuera agrave aimer cette femme Son mari va

chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide

amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-

nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-

couvre la santeacute

Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert

Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee

font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-

mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-

zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

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1920

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tiation Paris Gallimard 1976

18

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remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

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pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

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drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique

Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

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- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

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1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 7: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

7

pulsionnel et fusionnel en lui insufflant de con-

tinuelles bouffeacutees drsquooxygegravene Meneur mecircme de

la sehdja Mouh en est aussi la segraveve il est le cœur

mecircme de ce chœur le cœur de cette segraveve

La hadra forme eupheacutemiseacutee de lrsquoorgiasme

Fortement enracineacutee dans les pratiques quoti-

diennes sous des modulations diverses la hadra

est la plus significative des formes eupheacutemiseacutees de

lrsquoorgiasme Elle consiste dans la manipulation de

cette immense reacuteserve de forces souterraines se-

cregravetes et sacreacutees que recegravele toute socieacuteteacute et notam-

ment la socieacuteteacute populaire Les forces anthropolo-

giques qui renferment toutes les virtualiteacutes preacute-

existant agrave la fissure de la laquo totaliteacute compacte raquo28

constituent un formidable reacuteservoir dans lequel la

socieacuteteacute vient reacuteguliegraverement puiser de nouveaux

eacutelans et ce en reacuteinteacutegrant cet eacutetat originel in illo

tempore afin de re-susciter lrsquoaccroissement de ses

puissances et de renouveler ses virtualiteacutes Aussi

le passage suivant vient-il mettre en exergue la

preacutesence latente et occulte de la dimension orgias-

tique au sein de la culture populaire Cette dimen-

sion semblant constituer le substrat qui fonde

cette culture sous-tend de la sorte la structure so-

cieacutetale

Lrsquoactivation de cette dimension est mise en

branle aux moments les plus cruciaux auxquels

peut ecirctre confronteacutee la communauteacute Lrsquoexplication

que donne Michel Maffesoli semble des plus ap-

proprieacutees agrave la situation analyseacutee laquo Quand lrsquoeacutelan

initial est rouilleacute quand la scleacuterose guette la structura-

tion humaine le deacutesordre la deacutebauche lrsquoeffervescence

rappellent la neacutecessiteacute de lrsquoorganiciteacute drsquoun ordre diffeacute-

rencieacute raquo29 Ici srsquoeacutetablit un rapport autre que celui

que nous avons vu plus haut Crsquoest la femme-terre

-culture qui est feacutecondeacutee par lrsquoabsorption de

lrsquoeacutenergie masculine de la force virile qui doit ai-

der agrave sa reacutegeacuteneacuteration Dans une communion plu-

rielle qui mime la Confusion originelle et orgias-

tique hommes et femmes se retrouvent et srsquoadon-

nent agrave cette laquo grande mort raquo qui est une explosion

de vie de lrsquoensemble

laquo Soudain un grand coup drsquoarchet du turban vert fit

geacutemir le violon un tam-tam battit agrave se rompre ( lt)

une vieille femme vint conduire une agrave une au milieu de

la salle toutes les jeunes femmes qui eacutetaient venues su-

bir la hadra Elle les entassa toutes en une grosse masse

vivante ougrave lrsquoon ne distinguait rien que des eacutetoffes

parce que toutes baissaient la tecircte La musique

continuait (lt) sauvage monotone martelante deacute-

chaicircneacuteelt raquo30

La musique joue un rocircle preacutepondeacuterant dans

la mise en situation et participe agrave lrsquoinstauration

drsquoune atmosphegravere orgiastique Tour agrave tour pro-

vocatrice et suggestive elle est preacutelude et ac-

compagnement agrave cette con-fusion des esprits et

des corps brouillant les limites et effaccedilant les

barriegraveres Lrsquoaccompagnement musical permet

et favorise laquo le renversement des comportements

qui+ implique la confusion des valeurs note speacuteci-

fique de tout rituel orgiastique raquo31 Tout est mis en

œuvre pour que cette reacute-union orgiastique srsquoac-

complisse et que les participants srsquoy adonnent

dans la con-fusion la plus deacutebrideacutee De fait la

laquo reacutegression agrave lrsquoindistinct primordial raquo32 srsquoeffectue

et aide agrave laquo la restauration symbolique du Chaos raquo33

au travers de cette laquo masse vivante raquo que sont les

femmes reacuteunies agrave cet effet

laquo Dans chaque coin des hommes des femmes

eacutetaient secoueacutes de frissons ils (lt) remuaient con-

vulsivement les eacutepaules au rythme du violon Un

second coup drsquoarchet prolongeacute et plusieurs hommes agrave

la fois rejetant leurs burnous poussegraverent un cri de

becircte fauve et sautegraverent au milieu de la piegravece ils se

tenaient par les bras et dansaient(lt) Des femmes

des hommes des jeunes gens fougueux des vieil-

lards dont le deacutelire orgiaque deacutecuplait les forces

sautegraverent agrave leur tour et se tenant aussi par les bras

formegraverent autour du tas immobile des jeunes femmes

steacuteriles un cercle deacutelirant raquo34

Nous avons lagrave une union double un andro-

gynat feacuteminin feacuteminin figureacutees par les deux

jeunes femmes qui srsquoacharnent sur Aazi de

deux maniegraveres compleacutementaires et duelles

comme pour deacutecupler les forces geacuteneacutesiques et

provoquer la laquo peacuteneacutetration-feacutecondation raquo confuse

et con-fusionnelle Cette con-fusion des cons-

ciences et des inconscients est une comm-union

Emile Durkheim soutient en effet que laquo toute

communion des consciences sous quelques espegraveces

qursquoelle se fasse rehausse la vitaliteacute sociale raquo35 Le

travestissement intersexuel et lrsquoandrogynie

symbolique -de ces femmes mimant les

hommes - dans un laquo deacuteploiement de force bes-

tiale raquo sont laquo homologables agrave des orgies sexuelles raquo36

8

Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-

geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes

aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect

orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se

trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore

fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes

fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-

bir la hadra raquo sont effectivement passives elles

sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-

vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave

nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient

laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se

faisant labourer par les analogons phalliques des

danseurs fougueux sautant de toutes leurs

forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-

sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes

steacuteriles raquo

Le redoublement de toutes les forces conju-

gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi

dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-

plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-

siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement

est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des

rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des

forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-

sement sans cesse renouveleacute

laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux

de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait

deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-

tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force

bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie

Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-

pue dans les cocirctes raquo37

La multiplication des forces est justement ren-

due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-

sances cosmiques animales instrumentales ani-

meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons

geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-

brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-

lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent

les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie

ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal

chaos La communion de tous advient par deacute-

chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-

jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere

alors pleinement pour impulser la flamme du

renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette

dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-

reacute par la culture drsquoen haut

lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-

feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi

lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente

drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes

deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun

pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans

son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux

normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement

que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait

pas seulement sur un moralisme rigide qui se

trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon

un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation

ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique

de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-

teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de

contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement

salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un

contrepoids aux forces surplombantes

eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-

clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee

dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-

teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient

Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme

cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-

duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant

un pronostic normal de survie et non condam-

neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee

drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42

La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute

sont neacutecessaires et requises au maintien de la

coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout

en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines

limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute

court le risque de voir ses composantes se deacuteliter

et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons

de le voir un social monolithique ougrave ne domine-

rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave

connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses

forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport

contradictoriel puissant la dimension diony-

siaque apporte la contradiction et constitue un

contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-

sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-

nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-

teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous

venons de voir constituent les deux pocircles de la

culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La

Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par

des principes de rigueur et de productivisme La

seconde est la dimension dionysiaque que avons

9

analyseacutee

Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-

taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et

laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-

teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se

poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-

teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la

forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-

teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se

trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue

Cette synergie se manifeste dans les rapports

mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux

aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la

mort au monde Nous venons de voir aussi que

les rapports sociaux sont des rapports animeacutes

par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-

fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien

Il y a en outre recentrement de ces rapports sur

ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-

ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de

lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune

maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-

vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute

avec les autres preacutedomine sur tout le reste et

lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-

tion

Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-

lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et

lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-

laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-

vante Ces deux dimensions essentielles bien

que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-

renniteacute de la vie et de la survie de cette culture

Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et

entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre

mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun

par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-

tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait

elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle

se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-

cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-

niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement

particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument

universelles

Bibliographie

Corpus

MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris

Plon 1952

Ouvrages theacuteoriques

- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu

Paris Librairie Gallimard 1949

- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll

Gautier 1980

- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques

de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-

rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969

- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes

reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug

coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996

- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la

vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-

ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo

2003

- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-

tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre

Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978

- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne

Paris Gallimard 1962

- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris

Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985

- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences

Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990

- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour

une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-

dition Descleacutee de Brouwer 1998

- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars

de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table

Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-

begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture

savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger

Tala 1989

1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in

LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck

et Cie 1985 p 126

2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-

ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-

cleacutee de Brouwer 1998 p 13

3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon

1990 p 19

10

x

4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris

Gallimard 1962 p 140

5 Ibidem

6 La Colline Oublieacutee op cit p 94

7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils

savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer

les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee

8 La Colline oublieacutee op cit p94

9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers

srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur

lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-

tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94

12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-

gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli

LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124

13 Ibid p 140

14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-

mard 1949 p 76

15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit

p 35

16 La Colline Oublieacutee op cit p 95

17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27

18 La Colline Oublieacutee op cit p 94

19 La Colline Oublieacutee op cit p 95

20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63

21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-

das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147

25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples

de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla

srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour

attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-

blieacutee p 95

26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes

gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers

et Jupiter Paris 1973 p 361

27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144

28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-

phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141

29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130

30 La Colline Oublieacutee op cit p 90

31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

32 Ibidem

33 Ibidem

34 La Colline Oublieacutee op cit p 90

35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie

religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses

universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575

36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

37 La Colline Oublieacutee op cit p 90

38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit

p 140

39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90

40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-

niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-

cue op cit p 209

41 Ibidem

42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis

par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157

11

Agrave propos de quelques eacuteleacutements

de la culture populaire beacuteti (Cameroun)

dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo

EVOUNG FOUDA Jean Bernard

Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de

franccedilais

Introduction

Dans la classification des diffeacuterents types

drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-

dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-

miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture

folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les

usages et les traditions populaires Richard Lau-

rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit

laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts

des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-

tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des

faits des comportements que lrsquoon juge amusants et

pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave

lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique

courante de la culture raquo1

Dans ce sens la culture populaire renverrait

donc agrave la pratique courante de la culture avec ce

que cela comporte comme habitudes croyances

comportements conceptions de la vie et des pheacute-

nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-

blic des pratiques des comportements ainsi que

certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans

le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin

drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre

reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave

la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-

tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et

continuiteacutes entre le monde des vivants et celui

des morts dans cet univers agrave la pratique de la

palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-

son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-

rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile

de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en

question

Le poseacute

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps

chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave

bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un

autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait

donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait

dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana

Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu

un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique

et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-

tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-

nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-

tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-

tions originales Il paraicirct mecircme donner forme

corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan

scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription

qui au regard du ton de la ponctuation de la

forme mecircme de ses vers respecte les aspects de

lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors

permis aux chercheurs et universitaires camerou-

nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu

agrave une publication scientifique2

Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere

de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant

sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee

peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les

litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc

Raison pour laquelle nous y revenons Sur le

fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono

Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et

Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un

homme qui aimait beaucoup les femmes au

point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui

eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et

va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre

pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par

conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il

continuera agrave aimer cette femme Son mari va

chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide

amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-

nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-

couvre la santeacute

Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert

Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee

font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-

mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-

zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel

1920

- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins

drsquoAfrique Paris Hatier 1984

- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes

Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-

tiation Paris Gallimard 1976

18

- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la

forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale

et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun

Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte

remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-

ti Paris Khartala 1985

- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les

nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-

matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-

deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999

- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier

Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989

- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du

peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970

- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait

pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence

drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique

Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

111 p

- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 8: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

8

Un isomorphisme certain peut ecirctre deacutega-

geacute agrave travers lrsquoeacutevocation des deux jeunes femmes

aux cheveux creacutepus qui renforce ainsi lrsquoaspect

orgiastique de la scegravene Cet isomorphisme se

trouve alors surdeacutetermineacute par une meacutetaphore

fileacutee animaliegravere et sauvage laquo glousser becirctes

fauves force bestialelt raquo Les femmes laquo venues su-

bir la hadra raquo sont effectivement passives elles

sont laquo entasseacutees toutes en une grosse masse vi-

vante raquo Une telle communion de chair drsquoougrave

nrsquoeacutemerge aucune tecircte - parce qursquoelles eacutetaient

laquo toutes baisseacutees raquo - eacutevoque la megravere-geacutenitrix se

faisant labourer par les analogons phalliques des

danseurs fougueux sautant de toutes leurs

forces deacutecupleacutees autour du laquo tas immobile raquo con-

sentant et passif que forment les laquo jeunes femmes

steacuteriles raquo

Le redoublement de toutes les forces conju-

gueacutees et plurielles est un outrepassement de soi

dans tous les sens du terme geacuteneacutereacute par la multi-

plication des eacutenergies pulsionnelles et geacuteneacute-

siques des forces creacuteatrices Cet outrepassement

est par ailleurs renforceacute par le deacutedoublement des

rocircles masculinfeacuteminin et le deacutepassement des

forces deacuteclinantes se deacutecuplant dans un rejaillis-

sement sans cesse renouveleacute

laquo Pelotonneacutee sur elle-mecircme la tecircte sur les genoux

de Davda et couverte drsquoun foulard noir Aazi laissait

deacuteferler sur elle ce deacutechaicircnement ( lt) de racircles exta-

tiques dans lrsquoespoir qursquoun pareil deacuteploiement de force

bestiale allait eacuteveiller dans son sein un souffle de vie

Une toute jeune femme vint lui enfoncer sa tecircte creacute-

pue dans les cocirctes raquo37

La multiplication des forces est justement ren-

due possible par lrsquoeacutevocation de toutes les puis-

sances cosmiques animales instrumentales ani-

meacutees et non animeacutees puisque mecircme les violons

geacutemissent et que lrsquoarchet se met agrave vivre et agrave vi-

brer Lrsquoordre devient deacutesordre chaos ougrave se mecirc-

lent le feacuteminin et le masculin et ougrave srsquoabolissent

les frontiegraveres du mal et du bien La socieacuteteacute oublie

ses normes pour se repaicirctre agrave mecircme lrsquooriginal

chaos La communion de tous advient par deacute-

chaicircnement des passions dans une plurialiteacute con-

jointe38 Le contradictoriel est agrave lrsquoœuvre il opegravere

alors pleinement pour impulser la flamme du

renouveau agrave un social aneacutemieacute mais aussi agrave cette

dimension surplombante qursquoest lrsquoapollinien figu-

reacute par la culture drsquoen haut

lrsquooriginel Chaos qui a pour fonction la re-

feacutecondation de la tamusni Incarneacutee par Aazi

lrsquoeacutepouse steacuterile cette derniegravere est dans lrsquoattente

drsquoecirctre reacuteactiveacutee par ce laquo deacutechaicircnement de rythmes

deacutemoniaques et de racircles extatiques dans lrsquoespoir qursquoun

pareil deacuteploiement de force bestiale allait eacuteveiller dans

son sein un souffle de vie raquo39 Pareille deacuteviation aux

normes eacuterigeacutees en dogme montre manifestement

que la socialiteacute fonctionne et qursquoelle ne le fait

pas seulement sur un moralisme rigide qui se

trouve ecirctre laquo un devoir-vivre raquo un laquo vivre raquo selon

un code de bienseacuteance rigoriste Cette deacuteviation

ou deacuteviance est une maniegravere absolument eacutethique

de vivre le collectif de vivre une relation agrave lrsquoAl-

teacuteriteacute qui de la sorte intervient comme force de

contradiction et drsquoeacutequilibre force extrecircmement

salubre et salutaire du fait qursquoelle constitue un

contrepoids aux forces surplombantes

eacutetouffantes et mortifegraveres Nous pouvons con-

clure alors que la collectiviteacute est loin drsquoecirctre figeacutee

dans lrsquo laquo immobiliteacute enchanteacutee des socieacute-

teacutes laquo ethnologiques raquo raquo40 ainsi que le soutient

Mouloud Mammeri41 Gilbert Durand confirme

cette thegravese affirmant que laquo toute psycheacute indivi-

duelle ou collective raquo normale raquo (crsquoest-agrave-dire ayant

un pronostic normal de survie et non condam-

neacutee agrave un effondrement rapide) est eacutequilibreacutee

drsquoalteacuteriteacutes diverses elle est laquo tigreacutee raquo 42

La mobiliteacute la variabiliteacute et la discontinuiteacute

sont neacutecessaires et requises au maintien de la

coheacuterence de lrsquoensemble du corps socieacutetal tout

en lrsquoeacutetant neacuteanmoins dans le respect de certaines

limites car au delagrave drsquoun certain seuil la socieacuteteacute

court le risque de voir ses composantes se deacuteliter

et se deacutesagreacuteger En effet ainsi que nous venons

de le voir un social monolithique ougrave ne domine-

rait que le primat de lrsquoapollinien est condamneacute agrave

connaicirctre une ineacuteluctable deacutegeacuteneacuterescence de ses

forces Crsquoest pourquoi il a besoin drsquoun apport

contradictoriel puissant la dimension diony-

siaque apporte la contradiction et constitue un

contrepoids eacutenergique et eacutenergeacutetique agrave la puis-

sance apollinienne La fureur et la freacuteneacutesie dio-

nysiaques contrebalancent la frilositeacute et la rigidi-

teacute apolliniennes Les deux dimensions que nous

venons de voir constituent les deux pocircles de la

culture berbegravere mises en repreacutesentation dans La

Colline oublieacutee La premiegravere structure est reacutegie par

des principes de rigueur et de productivisme La

seconde est la dimension dionysiaque que avons

9

analyseacutee

Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-

taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et

laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-

teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se

poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-

teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la

forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-

teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se

trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue

Cette synergie se manifeste dans les rapports

mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux

aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la

mort au monde Nous venons de voir aussi que

les rapports sociaux sont des rapports animeacutes

par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-

fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien

Il y a en outre recentrement de ces rapports sur

ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-

ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de

lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune

maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-

vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute

avec les autres preacutedomine sur tout le reste et

lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-

tion

Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-

lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et

lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-

laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-

vante Ces deux dimensions essentielles bien

que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-

renniteacute de la vie et de la survie de cette culture

Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et

entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre

mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun

par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-

tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait

elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle

se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-

cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-

niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement

particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument

universelles

Bibliographie

Corpus

MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris

Plon 1952

Ouvrages theacuteoriques

- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu

Paris Librairie Gallimard 1949

- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll

Gautier 1980

- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques

de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-

rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969

- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes

reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug

coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996

- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la

vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-

ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo

2003

- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-

tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre

Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978

- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne

Paris Gallimard 1962

- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris

Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985

- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences

Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990

- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour

une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-

dition Descleacutee de Brouwer 1998

- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars

de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table

Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-

begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture

savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger

Tala 1989

1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in

LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck

et Cie 1985 p 126

2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-

ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-

cleacutee de Brouwer 1998 p 13

3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon

1990 p 19

10

x

4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris

Gallimard 1962 p 140

5 Ibidem

6 La Colline Oublieacutee op cit p 94

7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils

savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer

les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee

8 La Colline oublieacutee op cit p94

9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers

srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur

lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-

tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94

12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-

gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli

LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124

13 Ibid p 140

14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-

mard 1949 p 76

15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit

p 35

16 La Colline Oublieacutee op cit p 95

17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27

18 La Colline Oublieacutee op cit p 94

19 La Colline Oublieacutee op cit p 95

20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63

21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-

das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147

25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples

de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla

srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour

attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-

blieacutee p 95

26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes

gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers

et Jupiter Paris 1973 p 361

27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144

28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-

phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141

29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130

30 La Colline Oublieacutee op cit p 90

31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

32 Ibidem

33 Ibidem

34 La Colline Oublieacutee op cit p 90

35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie

religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses

universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575

36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

37 La Colline Oublieacutee op cit p 90

38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit

p 140

39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90

40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-

niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-

cue op cit p 209

41 Ibidem

42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis

par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157

11

Agrave propos de quelques eacuteleacutements

de la culture populaire beacuteti (Cameroun)

dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo

EVOUNG FOUDA Jean Bernard

Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de

franccedilais

Introduction

Dans la classification des diffeacuterents types

drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-

dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-

miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture

folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les

usages et les traditions populaires Richard Lau-

rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit

laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts

des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-

tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des

faits des comportements que lrsquoon juge amusants et

pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave

lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique

courante de la culture raquo1

Dans ce sens la culture populaire renverrait

donc agrave la pratique courante de la culture avec ce

que cela comporte comme habitudes croyances

comportements conceptions de la vie et des pheacute-

nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-

blic des pratiques des comportements ainsi que

certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans

le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin

drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre

reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave

la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-

tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et

continuiteacutes entre le monde des vivants et celui

des morts dans cet univers agrave la pratique de la

palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-

son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-

rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile

de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en

question

Le poseacute

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps

chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave

bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un

autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait

donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait

dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana

Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu

un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique

et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-

tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-

nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-

tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-

tions originales Il paraicirct mecircme donner forme

corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan

scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription

qui au regard du ton de la ponctuation de la

forme mecircme de ses vers respecte les aspects de

lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors

permis aux chercheurs et universitaires camerou-

nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu

agrave une publication scientifique2

Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere

de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant

sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee

peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les

litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc

Raison pour laquelle nous y revenons Sur le

fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono

Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et

Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un

homme qui aimait beaucoup les femmes au

point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui

eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et

va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre

pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par

conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il

continuera agrave aimer cette femme Son mari va

chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide

amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-

nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-

couvre la santeacute

Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert

Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee

font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-

mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-

zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel

1920

- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins

drsquoAfrique Paris Hatier 1984

- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes

Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-

tiation Paris Gallimard 1976

18

- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la

forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale

et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun

Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte

remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-

ti Paris Khartala 1985

- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les

nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-

matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-

deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999

- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier

Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989

- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du

peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970

- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait

pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence

drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique

Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

111 p

- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

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1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 9: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

9

analyseacutee

Cette double polariteacute recoupe sur le plan meacute-

taphysique une polariteacute entre laquo essence raquo et

laquo substance raquo La polariteacute terrestre est une polari-

teacute feacuteminine matricielle et mateacuterielle qui vient se

poser et srsquoopposer comme alternative agrave la polari-

teacute masculine active et spirituelle Il faut noter la

forte synergie entre la penseacutee qui est repreacutesen-

teacutee par la culture codeacutee et la sensibiliteacute qui se

trouve ecirctre symboliseacutee par la culture veacutecue

Cette synergie se manifeste dans les rapports

mecircme qursquoentretiennent les expressions des deux

aspects de la culture des deux maniegraveres de vivre et de se situer par rapport agrave la vie et agrave la

mort au monde Nous venons de voir aussi que

les rapports sociaux sont des rapports animeacutes

par et agrave partir de tout ce qui est intrinsegraveque pro-

fondeacutement et organiquement veacutecu au quotidien

Il y a en outre recentrement de ces rapports sur

ce qui est de lrsquoordre de la proximiteacute Ces rap-

ports forment une chaicircne qui relegraveve de lrsquoordre de

lrsquoeacutemotionnel ils participent agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune

maniegravere drsquoecirctre et drsquoun art de vivre drsquoun savoir-

vivre ougrave tout ce qui est ressenti veacutecu et partageacute

avec les autres preacutedomine sur tout le reste et

lrsquoemporte sur nrsquoimporte quelle autre consideacutera-

tion

Ces deux aspects qui srsquoopposent par leur po-

lariteacute nrsquoen constituent pas moins pour lrsquoun et

lrsquoautre lrsquoispe et lrsquoidem La tradition veacutecue popu-

laire est le versant de la tradition codeacutee et sa-

vante Ces deux dimensions essentielles bien

que contradictorielles sont neacutecessaires agrave la peacute-

renniteacute de la vie et de la survie de cette culture

Les deux ordres se soutiennent srsquoopposent et

entrent en conflit non pour srsquoeacuteliminer lrsquoun lrsquoautre

mais pour se reacuteactualiser lrsquoun dans lrsquoautre lrsquoun

par lrsquoautre Parce qursquoune tradition toute tradi-

tionnelle fucirct-elle est vivante vivace et de ce fait

elle seacutecregravete elle-mecircme sa propre moderniteacute Elle

se meut et dans cette labiliteacute incessante et se-

cregravete elle produit de la vie de lrsquoart et des ma-

niegraveres drsquoecirctre qui tout en eacutetant profondeacutement

particuliegraveres nrsquoen sont pas moins absolument

universelles

Bibliographie

Corpus

MOULOUD Mammeri La Colline oublieacutee Paris

Plon 1952

Ouvrages theacuteoriques

- BACHELARD Gaston La Psychanalyse du Feu

Paris Librairie Gallimard 1949

- DURAND Gilbert LrsquoAcircme tigreacutee Paris Denoeumll

Gautier 1980

- DURAND Gilbert Les Structures anthropologiques

de lrsquoimaginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacute-

rale Paris Bordas coll laquo Eacutetudesraquo 1969

- DURAND Gilbert Champs de lrsquoimaginaire Textes

reacuteunis par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug

coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996

- DURKHEIM Emile Les Formes eacuteleacutementaires de la

vie religieuses Le systegraveme toteacutemique en Australie Pa-

ris PUF 5degeacuted coll laquo Quadrige Grands textes raquo

2003

- ELIADE Mircea LrsquoEacutepreuve du labyrinthe Entre-

tiens avec Claude-Henri Rocquet Paris Pierre

Belfond coll laquo Entretiens raquo 1978

- ELIADE Mircea Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoAndrogyne

Paris Gallimard 1962

- MAFFESOLI Michel LrsquoOmbre de Dionysos Paris

Librairie des Meacuteridiens Klincksieck et Cie 1985

- MAFFESOLI Michel Au Creux des Apparences

Pour une eacutethique de lrsquoestheacutetique Paris Plon 1990

- MAFFESOLI Michel La Conquecircte du preacutesent Pour

une sociologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacute-

dition Descleacutee de Brouwer 1998

- MAMMERI Mouloud laquo laquo Aventures et avatars

de la moderniteacute en pays du tiers-monde raquo (Table

Ronde sur moderniteacute et traditions dans les socieacuteteacutes ber-

begraveres Ceram Mai 1986 Paris) repris in Culture

savante culture veacutecue (Eacutetudes 1938-1989) Alger

Tala 1989

1 Nous empruntons ces termes agrave Michel Maffesoli in

LrsquoOmbre de Dionysos Librairie des Meacuteridiens Klincksieck

et Cie 1985 p 126

2 Michel Maffesoli La Conquecircte du preacutesent Pour une so-

ciologie de la vie quotidienne Paris 1979 Reacuteeacutedition Des-

cleacutee de Brouwer 1998 p 13

3 Michel Maffesoli Au creux des apparences Paris Plon

1990 p 19

10

x

4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris

Gallimard 1962 p 140

5 Ibidem

6 La Colline Oublieacutee op cit p 94

7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils

savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer

les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee

8 La Colline oublieacutee op cit p94

9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers

srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur

lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-

tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94

12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-

gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli

LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124

13 Ibid p 140

14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-

mard 1949 p 76

15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit

p 35

16 La Colline Oublieacutee op cit p 95

17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27

18 La Colline Oublieacutee op cit p 94

19 La Colline Oublieacutee op cit p 95

20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63

21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-

das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147

25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples

de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla

srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour

attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-

blieacutee p 95

26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes

gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers

et Jupiter Paris 1973 p 361

27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144

28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-

phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141

29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130

30 La Colline Oublieacutee op cit p 90

31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

32 Ibidem

33 Ibidem

34 La Colline Oublieacutee op cit p 90

35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie

religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses

universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575

36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

37 La Colline Oublieacutee op cit p 90

38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit

p 140

39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90

40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-

niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-

cue op cit p 209

41 Ibidem

42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis

par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157

11

Agrave propos de quelques eacuteleacutements

de la culture populaire beacuteti (Cameroun)

dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo

EVOUNG FOUDA Jean Bernard

Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de

franccedilais

Introduction

Dans la classification des diffeacuterents types

drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-

dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-

miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture

folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les

usages et les traditions populaires Richard Lau-

rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit

laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts

des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-

tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des

faits des comportements que lrsquoon juge amusants et

pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave

lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique

courante de la culture raquo1

Dans ce sens la culture populaire renverrait

donc agrave la pratique courante de la culture avec ce

que cela comporte comme habitudes croyances

comportements conceptions de la vie et des pheacute-

nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-

blic des pratiques des comportements ainsi que

certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans

le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin

drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre

reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave

la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-

tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et

continuiteacutes entre le monde des vivants et celui

des morts dans cet univers agrave la pratique de la

palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-

son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-

rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile

de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en

question

Le poseacute

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps

chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave

bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un

autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait

donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait

dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana

Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu

un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique

et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-

tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-

nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-

tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-

tions originales Il paraicirct mecircme donner forme

corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan

scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription

qui au regard du ton de la ponctuation de la

forme mecircme de ses vers respecte les aspects de

lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors

permis aux chercheurs et universitaires camerou-

nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu

agrave une publication scientifique2

Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere

de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant

sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee

peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les

litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc

Raison pour laquelle nous y revenons Sur le

fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono

Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et

Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un

homme qui aimait beaucoup les femmes au

point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui

eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et

va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre

pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par

conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il

continuera agrave aimer cette femme Son mari va

chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide

amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-

nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-

couvre la santeacute

Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert

Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee

font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-

mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-

zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel

1920

- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins

drsquoAfrique Paris Hatier 1984

- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes

Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-

tiation Paris Gallimard 1976

18

- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la

forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale

et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun

Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte

remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-

ti Paris Khartala 1985

- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les

nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-

matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-

deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999

- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier

Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989

- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du

peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970

- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait

pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence

drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique

Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

111 p

- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 10: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

10

x

4 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne Paris

Gallimard 1962 p 140

5 Ibidem

6 La Colline Oublieacutee op cit p 94

7 laquo Plusieurs vieillards passegraverent qui ne nous dirent rien Ils

savaient que nous nrsquoeacutetions lagrave en silence que pour admirer

les jeunes femmes les plus belleshellip raquo La Colline oublieacutee

8 La Colline oublieacutee op cit p94

9 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

10 Michel Maffesolli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 184

11 laquo Des jeunes drsquoAourir avertis par Raveh des bergers

srsquoeacutetaient joints agrave nous nous eacutetions si nombreux que sur

lrsquoaire nous deacutebordions sur les champs de figuiers drsquoalen-

tour raquo La Colline Oublieacutee op cit p 94

12 laquo Dans des inscriptions funeacuteraires latines Priape est deacutesi-

gneacute comme mortis et vitea locus raquo Michel Maffesoli

LrsquoOmbre de Dionysos opcit p 124

13 Ibid p 140

14 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu Paris Galli-

mard 1949 p 76

15 Gaston Bachelard La Psychanalyse du feu op cit

p 35

16 La Colline Oublieacutee op cit p 95

17 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 27

18 La Colline Oublieacutee op cit p 94

19 La Colline Oublieacutee op cit p 95

20 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 63

21 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

22 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

23 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 110

24 Gilbert Durand Les Structures anthropologiques de lrsquoima-ginaire Introduction agrave lrsquoarcheacutetypologie geacuteneacuterale Paris Bor-

das coll laquo Eacutetudesraquo 1969 p 147

25 laquo Quand il eut fini il srsquoenveloppa dans les pans amples

de son burnous et sans rien dire comme jadis Mouh alla

srsquoadosser seul dans un coin contre un frecircne comme pour

attendre que le dieu doucement le quittacirct raquo La Colline ou-

blieacutee p 95

26 Dictionnaire des symboles Mythes recircves coutumes

gestes formes figures couleurs nombres Editions Seghers

et Jupiter Paris 1973 p 361

27 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 144

28 Nous empruntons cette expression agrave Mircea Eliade Meacute-

phistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit p 141

29 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit p 130

30 La Colline Oublieacutee op cit p 90

31 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

32 Ibidem

33 Ibidem

34 La Colline Oublieacutee op cit p 90

35 Emile Durkheim Les Formes eacuteleacutementaires de la vie

religieuse Le systegraveme toteacutemique en Australie Paris Presses

universitaires de France 1968 (5egraveme eacutedition) p 575

36 Mircea Eliade Meacutephistopheacutelegraves et lrsquoandrogyne op cit

p 143

37 La Colline Oublieacutee op cit p 90

38 Michel Maffesoli LrsquoOmbre de Dionysos op cit

p 140

39 La Colline Oublieacutee op cit p 89-90

40 Mouloud Mammeri laquo Aventures et avatars de la moder-

niteacute en pays de tiers-monde raquo Culture savante culture veacute-

cue op cit p 209

41 Ibidem

42 Gilbert Durand Champs de lrsquoimaginaire Textes reacuteunis

par Daniegravele Chauvin Grenoble Ellug coll laquo Ateliers de lrsquoimaginaire raquo 1996 p 157

11

Agrave propos de quelques eacuteleacutements

de la culture populaire beacuteti (Cameroun)

dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo

EVOUNG FOUDA Jean Bernard

Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de

franccedilais

Introduction

Dans la classification des diffeacuterents types

drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-

dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-

miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture

folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les

usages et les traditions populaires Richard Lau-

rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit

laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts

des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-

tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des

faits des comportements que lrsquoon juge amusants et

pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave

lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique

courante de la culture raquo1

Dans ce sens la culture populaire renverrait

donc agrave la pratique courante de la culture avec ce

que cela comporte comme habitudes croyances

comportements conceptions de la vie et des pheacute-

nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-

blic des pratiques des comportements ainsi que

certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans

le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin

drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre

reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave

la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-

tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et

continuiteacutes entre le monde des vivants et celui

des morts dans cet univers agrave la pratique de la

palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-

son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-

rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile

de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en

question

Le poseacute

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps

chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave

bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un

autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait

donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait

dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana

Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu

un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique

et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-

tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-

nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-

tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-

tions originales Il paraicirct mecircme donner forme

corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan

scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription

qui au regard du ton de la ponctuation de la

forme mecircme de ses vers respecte les aspects de

lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors

permis aux chercheurs et universitaires camerou-

nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu

agrave une publication scientifique2

Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere

de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant

sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee

peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les

litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc

Raison pour laquelle nous y revenons Sur le

fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono

Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et

Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un

homme qui aimait beaucoup les femmes au

point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui

eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et

va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre

pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par

conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il

continuera agrave aimer cette femme Son mari va

chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide

amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-

nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-

couvre la santeacute

Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert

Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee

font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-

mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-

zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel

1920

- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins

drsquoAfrique Paris Hatier 1984

- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes

Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-

tiation Paris Gallimard 1976

18

- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la

forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale

et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun

Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte

remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-

ti Paris Khartala 1985

- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les

nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-

matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-

deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999

- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier

Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989

- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du

peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970

- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait

pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence

drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique

Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

111 p

- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

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1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 11: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

11

Agrave propos de quelques eacuteleacutements

de la culture populaire beacuteti (Cameroun)

dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo

EVOUNG FOUDA Jean Bernard

Universiteacute de Yaoundeacute I Deacutepartement de

franccedilais

Introduction

Dans la classification des diffeacuterents types

drsquoexpressions culturelles il y a une forte ten-

dance agrave ranger la culture populaire dans la pre-

miegravere cateacutegorie celle qui fait allusion agrave la culture

folklorique qui a partie lieacutee avec les arts avec les

usages et les traditions populaires Richard Lau-

rent Omgba le perccediloit justement Il eacutecrit

laquo Le folklore est deacutefini comme lrsquoensemble des arts

des usages et des traditions populaires Dans lrsquoaccep-

tion la plus usuelle il est lrsquoensemble des choses des

faits des comportements que lrsquoon juge amusants et

pittoresques que lrsquoon ne saurait prendre au seacuterieux Agrave

lrsquoobservation il correspond le mieux agrave notre pratique

courante de la culture raquo1

Dans ce sens la culture populaire renverrait

donc agrave la pratique courante de la culture avec ce

que cela comporte comme habitudes croyances

comportements conceptions de la vie et des pheacute-

nomegravenes qui y surviennent etc Eacutevidemment

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo met au goucirct du pu-

blic des pratiques des comportements ainsi que

certaines habitudes des Beacutetis du Cameroun dans

le temps passeacute qursquoil convient de convoquer afin

drsquoen saisir la porteacutee geacuteneacuterale au cours de notre

reacuteflexion Nous pensons notamment au recours agrave

la magie par les Beacutetis pour des besoins de seacuteduc-

tion de gueacuterison de conquecircte aux ruptures et

continuiteacutes entre le monde des vivants et celui

des morts dans cet univers agrave la pratique de la

palabre publique (lrsquoessieacute) pour des cas de gueacuteri-

son speacuteciale Mais avant lrsquoanalyse de ces diffeacute-

rents eacuteleacutements dans cette eacutepopeacutee il semble utile

de rappeler ou de faire une synthegravese du chant en

question

Le poseacute

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo a eacuteteacute longtemps

chanteacutee par le Mvet et parfois de bouche agrave

bouche avec des variations drsquoun chanteur agrave un

autre drsquoun compositeur agrave un autre Elle nrsquoavait

donc pas de supports fixes quoiqursquoelle relatait

dans son ensemble les (meacutes)aventures de Ndzana

Ngazorsquoo Mais ces derniegraveres anneacutees elle a connu

un regain drsquointeacuterecirct sur un double plan artistique

et scientifique Sur le plan artistique lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo a connu une bonne interpreacuteta-

tionadaptation musicale par lrsquoartiste camerou-

nais Oncle Pathaleacuteon Ce musicien semble resti-

tuer agrave cette eacutepopeacutee son ton veacuteritable et ses sensa-

tions originales Il paraicirct mecircme donner forme

corps acircme et vie agrave ce chant populaire Sur le plan

scientifique lrsquoeacutepopeacutee a connu une transcription

qui au regard du ton de la ponctuation de la

forme mecircme de ses vers respecte les aspects de

lrsquoeacutecriture oragraphique ce qui par la suite a alors

permis aux chercheurs et universitaires camerou-

nais de tenir un grand colloque ayant donneacute lieu

agrave une publication scientifique2

Mais malgreacute cette reacutecente activiteacute la matiegravere

de Ndzana Ngazorsquoo est loin drsquoecirctre eacutepuiseacutee tant

sa richesse est pluridimensionnelle lrsquoeacutepopeacutee

peut en effet ecirctre lue par les anthropologues les

litteacuteraires les philosophes les ethnologues etc

Raison pour laquelle nous y revenons Sur le

fond le texte recueilli aupregraves du Barde Awono

Ekassi en langue Eton par Ernest Pierre Mani et

Marcien Towa raconte lrsquohistoire de Ndzana un

homme qui aimait beaucoup les femmes au

point de signer un pacte avec lrsquoune drsquoelles qui

eacutetait marieacutee Agnegraves Abomo Quand elle deacutecegravede et

va dans lrsquoau-delagrave Ndzana est obligeacute de la suivre

pour respecter le pacte qursquoils avaient signeacute Par

conseacutequent Ndzana meurt3 et dans lrsquoau-delagrave il

continuera agrave aimer cette femme Son mari va

chercher agrave eacuteliminer physiquement lrsquointreacutepide

amoureux Heureusement pour Ndzana les Be-

nyagda volent agrave son secours Ndzana agrave la fin re-

couvre la santeacute

Cependant comme lrsquoindique agrave raison Hubert

Mono Ndzana4 certaines variantes de lrsquoeacutepopeacutee

font de cette Minko (Dans le corpus Agnegraves Abo-

mo) une veuve drsquoOssongo pegravere de Ndzana Nga-

zorsquoo et coeacutepouse de Nga Zogo que le fils restera

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel

1920

- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins

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18

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remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

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ti Paris Khartala 1985

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nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-

matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-

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Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989

- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du

peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970

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pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

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drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

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Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

111 p

- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

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Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 12: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

12

aimer comme il est de coutume Drsquoautres en

font plutocirct la veuve drsquoun autre notable du village

(une banlieue drsquoObala) qui de son vivant sup-

portait mal ce cocuage qursquoil va seacutevegraverement punir

par la meacutemorable bastonnade servie au pays des

morts agrave ce rival teacutemeacuteraire Comme on peut le

constater lrsquoeacutepopeacutee Eton comporte plusieurs va-

riantes et connaicirct agrave coup sucircr des reacuteactualisations

neacutecessaires Mais dans lrsquoensemble sauf dans de

rares cas le fond de lrsquohistoire demeure identique

et intacte dans son organisation ainsi que sa rela-

tion des faits

De la magie dans lrsquounivers beacuteti

Lrsquoun des eacuteleacutements saillants de la culture popu-

laire des Beacutetis du Cameroun qui transparaicirct dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo est le constant re-

cours agrave la magie par le peuple en question Cer-

taines versions de ladite eacutepopeacutee montrent en effet

Ndzana en difficulteacute avec sa viriliteacute Ce qui vaut

des railleries agrave sa megravere elle-mecircme veuve qui deacute-

cide de soigner son fils gracircce agrave la pharmacopeacutee

traditionnelle et avec lrsquoaide de ses coeacutepouses Le

remegravede ainsi administreacute tient agrave plusieurs eacutecorces

drsquoarbres dont les vertus aphrodisiaques ne sont

aucunement contestables (certaines versions par-

lent plutocirct drsquoun philtre magique) Ce qui en fait

ipso facto un super heacuteros aux vastes capaciteacutes

sexuelles et qui dispose deacutesormais drsquoun caleccedilon

banlon ayant sept poches Dans chacune desdites

poches se trouve une eacutecorce qui soutient la virili-

teacute de Ndzana

Le rocircle ainsi assumeacute par la megravere et ses coeacute-

pouses lui convient parfaitement dans lrsquounivers

Beacuteti au Cameroun Pour des questions de gueacuteri-

son en effet crsquoest la femme qui srsquoen occupe le

plus souvent Crsquoest aussi elle qui est la garante de

la purification des hommes (la question des sexes

exclue) dans les faits au sein de cette socieacuteteacute5

Crsquoest dire alors qursquoelle maicirctrise parfaitement la

science des eacutecorces et des herbes au point de con-

duire heureusement un rituel pourtant enclencheacute

par les hommes Dans ce sens elle joue un rocircle

capital dans la socieacuteteacute beacuteti et justifie agrave partir de

lagrave le titre des travaux de Doctorat de Henri

Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas oppri-

meacutee6 Cependant les variantes de lrsquoeacutepopeacutee qui

considegraverent que Agnegraves Abomo eacutetait la femme du

pegravere de Ndzana ne seraient pas totalement deacute-

nueacutees de sens car elles srsquoappuient sur un

principe de la culture populaire beacuteti bien

connu et reacutepandu la tradipraticienne qui gueacuterit

lrsquoinfirmiteacute sexuelle subit elle-mecircme le premier test

de viriliteacute de son patient et il nrsquoest pas interdit

qursquoune relation amoureuse naisse entre les deux

Hubert Mono Ndzana consolide cette thegravese Il

eacutecrit

laquo Bien que certaines versions de lrsquoeacutepopeacutee deacutepei-

gnent le heacuteros comme un superman de lrsquoeacuterotisme inca-

pable de discipliner ses instincts (Nkeacute Abessolo)

drsquoautres le deacutecrivent au contraire sous les traits drsquoun

impotent sexuel qui deacutesespeacuterait sa megravere Nga Zorsquoo

mais que la coeacutepouse de cette derniegravere va soigner agrave

lrsquoaide drsquoun philtre magique avant de lrsquoexpeacuterimenter

elle-mecircme et drsquoen faire son amant pour toujours raquo7

De toutes les maniegraveres la scabreuse descrip-

tion des eacutebats amoureux des deux partenaires

dans lrsquoeacutepopeacutee est tout agrave fait hallucinante tant les

performances de Ndzana sortent de lrsquoordinaire

Tenez par exemple les quatre pieds de leur lit se

sont effondreacutes les sept couvertures que compor-

taient le lit furent deacutechiqueteacutees la femme elle-

mecircme fut complegravetement eacutepileacutee alors que ce

mecircme rapport sexuel ne touchait toujours pas agrave

son terme Il srsquoagit donc lagrave des performances qui

relegravevent de lrsquoextraordinaire du magique tout sim-

plement Sur un tout autre plan on note eacutegale-

ment le recours agrave la magie dans lrsquoeacutepopeacutee de

Ndzana Ngazorsquoo agrave travers le pacte que les deux

amants signent Celui-ci met en exergue des pra-

tiques et des objets que lrsquounivers Beacuteti nrsquoignore pas

dans sa reacutealiteacute ainsi que son quotidien Il srsquoagit

par exemple du sang veacutehicule de lrsquoacircme et gage

de lrsquoattachement indeacutefectible agrave lrsquoengagement pris

de la bague qui devient un liant spirituel (et non

simplement social comme le veut lrsquousage courant

et moderne de cet objet) entre les deux parties

Drsquoailleurs Mircea Eliade8 reconnaicirct une telle va-

leur agrave cet objet qui en reacutealiteacute marque et signifie

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un ordre mys-

tique agrave une loge preacutecise

Lrsquoalliance mystique entre Ndzana Ngazorsquoo et

Agnegraves Abomo tient donc sur deux paramegravetres

essentiels qui viennent drsquoailleurs drsquoecirctre eacutenumeacutereacutes

En ce qui est du premier le pacte de sang il parti-

cipe drsquoun principe bien connu dans lrsquounivers beacuteti

crsquoest la liaison de deux personnes lrsquounion indeacute-

fectible de deux vies en une seule de telle sorte

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

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2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 13: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

13

que ce qursquoil advient de lrsquoun la mort en lrsquooc-

currence advient aussi agrave lrsquoautre Selon les diffeacute-

rentes langues qui composent le grand groupe

Beacuteti au Cameroun ladite pratique prend son ap-

pellation La langue eacutewondo pour ne parler que

drsquoelle la deacutesigne par le terme mbourna Dans le

cadre du mbourna on note un vaste reacutepertoire de

chansons rappelant les termes du contrat initiale-

ment signeacute au parjure Ces chansons sont suppo-

seacutees ecirctres dites par le premier amant qui a quitteacute

le monde des vivants et qui revient gracircce agrave une

quelconque meacutetempsychose demander les

comptes agrave son compagnon resteacute en vie et qui a

transgresseacute lrsquointerdit ou commis un impair digne

de chacirctiment

Ledit pacte signeacute entre un homme et une

femme scellerait alors un amour eacuteternel entre les

deux amants ou mecircme les deux marieacutes Geacuteneacutera-

lement il est frappeacute drsquoun certain nombre drsquointer-

dits dont le moindre mais aussi le plus reacuteguliegravere-

ment transgresseacute est la fideacuteliteacute mutuelle libre-

ment consentie Cette clause est bien reprise dans

lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo laquo Si jamais je te

trompeJe rendrai compte agrave cette bagueDont je bois

lrsquoeau en ce jourPar contre si jamais tu me trompes

Tu rendras compte agrave cette bagueCar vous femmes

ecirctes infidegraveles de nature raquo9 Au regard de son fonc-

tionnement le pacte consacre une certaine deacute-

possession la vie et le sang de lrsquohomme appar-

tiennent agrave la femme et vice versa

Cette clause est eacutegalement explicite dans leur

pacte laquo Si je viens agrave mourir tu mourras aussiEt si

par contre crsquoest toi qui viens agrave mourirJe mourrai eacutega-

lement raquo10 La litteacuterature camerounaise semble

cependant indiquer que sur le plan culturel et

traditionnel le pacte de sang nrsquoest pas lrsquoapanage

du peuple beacuteti exclusivement Drsquoautres peuples

de la forecirct les Bassa en lrsquooccurrence en font eacutega-

lement usage Dans ce registre on a qursquoagrave lire

Quand saigne le palmier de Charlie Gabriel Mbock11

On y voit notamment du sang qui se verse se

partage entre Nyemb Bitchoka et Lieacuten lors de la

signature de leur alliance mystique le mecircme

sang qui sera revendiqueacute agrave Nyemb Bitchoka qui

a rompu le contrat Ndzana Ngazorsquoo et Agnegraves

Abomo le signent eacutegalement en se jurant fideacuteliteacute

et amour indeacutefectible Agrave part le pacte qui est si-

gneacute dans lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo on note

eacutegalement le recours agrave une autre forme drsquoalliance

mystique par lrsquousage de la bague Cet objet pris

dans ce contexte est un liant concret entre

lrsquohomme et la femme Il srsquoagit donc drsquoun sym-

bole mystique puisque dans ces sortes drsquoal-

liances sa provenance est souvent suspecte La

bague que lrsquoon voit en scegravene dans cette eacutepopeacutee

est la proprieacuteteacute de Agnegraves Abomo qui la met au

doigt de Ndzana au moment de la signature de

leur pacte Donc dans une certaine mesure on

retrouve une fois encore la femme au cœur du

pouvoir magique dans lrsquounivers Beacuteti du Came-

roun La litteacuterature coloniale franccedilaise fait cas de

lrsquousage de la bague (ou anneau) en Afrique par

la gent feacuteminine en qualiteacute drsquoobjet magique

Nous pensons dans cette perspective notamment

agrave Pierre Benoicirct et agrave son heacuteroiumlne Antineacutea qui dis-

pose des forces occultes lui permettant de seacute-

duire drsquoenvoucircter et de perdre ses amants

Crsquoest ainsi que dans son rituel Antineacutea noue

drsquoabord entre elle et son amant une alliance mys-

tique agrave travers la bague qursquoelle met sur le doigt

de celui-ci Le lieutenant de Saint-Avit srsquoen sou-

vient laquo Il y avait agrave son cocircteacute une grande coupe

drsquoonyx Elle y prit un anneau drsquoorichalque tregraves

simple Elle le passa agrave mon annuaire gauche Je vis

alors qursquoelle portait le mecircme raquo12 Lrsquoeacutecrivain franccedilais

fait ainsi du recours agrave la magie par la mante reli-

gieuse africaine un atout qui milite en faveur de

la cause africaine vis-agrave-vis drsquoune Europe enva-

hissante et oppressante Ce que ne fait pas un

Pichon dans son texte La Petite grammaire eacutewondo

Le missionnaire et homme drsquoEacuteglise reconnaicirct

pour le deacuteplorer et surtout preacutevenir tout Euro-

peacuteen qui deacutesire seacutejourner agrave Yaoundeacute ou en zone

beacuteti en geacuteneacuteral le statut de grand magicien agrave

lrsquoethnie beacuteti en geacuteneacuteral Il eacutecrit laquo Bebe migegan be

ne woeraquo Traduction laquo Ils sont tous de puissants

magiciens raquo13

Ce trait de culture fucirct-elle populaire trouve-

rait son explication et sa leacutegitimation dans lrsquohis-

toire originelle de ce peuple qui appeleacute agrave fuir

lrsquoadversiteacute des Foulbeacutes14 qui eacutetaient agrave leur pour-

suite devait traverser nuitamment la Sanaga

une eacutetendue drsquoeau pratiquement infranchissable

par la nage ou sans pirogue Face au peacuteril leur

ancecirctre Aso Abanda laquo frappant le fleuve de son

ngeacutekeacutembeacute (bacircton magique) en fait surgir un arc-en-

ciel crsquoest cet arc-en-ciel qui devient sur lrsquoeau le ser-

pent python qui sert de passage raquo15 Il est ici ques-

tion du recours aux Megan (la magie) au bord de

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel

1920

- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins

drsquoAfrique Paris Hatier 1984

- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes

Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-

tiation Paris Gallimard 1976

18

- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la

forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale

et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun

Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte

remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-

ti Paris Khartala 1985

- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les

nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-

matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-

deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999

- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier

Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989

- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du

peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970

- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait

pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence

drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique

Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

111 p

- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

Pour toute soumission darticles contact sre-dactionrevuegmailcom

1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

32

Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

33

2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

34

Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

Page 14: Le COURRIER de la SIELEC—n° 10 Sommaire

14

la Sanaga pour faire apparaicirctre un eacutenorme ser-

pent le Ngan medza sur le dos duquel lrsquoethnie est

parvenue agrave lrsquoautre rive de la riviegravere Aussi

laquo tout Beacuteti digne de ce nom eacutetait supposeacute jouir de

son propre ngan medza crsquoest-agrave-dire drsquoune ruine pour

(tout) charme adverse sous la forme drsquoun python

(Mvom) invisible qui le proteacutegeait en deacutepouillant les

autres raquo16 Dans ce sens Pinchenel et Ozouf ont

raison de dire que laquo LrsquoAfrique de race noire est feacuteti-

chiste Crsquoest le pays des sorciers et des gris-gris raquo17

Degraves lors lrsquousage de la magie le recours au ri-

tuel magique la croyance en lrsquoexistence des

mondes parallegraveles fait partie inteacutegrante de la cul-

ture populaire de cette ethnie Lrsquoeacutepopeacutee de Ndza-

na Ngazorsquoo ouvre un pan de voile sur les usages

possibles de la magie dans lrsquounivers beacuteti du Ca-

meroun en mecircme temps qursquoelle constitue une reacute-

manence de la penseacutee primaire de ladite ethnie

Tout ou presque dans la penseacutee populaire de ce

peuple fait alors appel agrave lrsquoinvisible aux forces sur-

naturelles la seacuteduction le veuvage certains rites

tels le so dans son parcours initiatique18 les funeacute-

railles lrsquointronisation agrave la chefferie le commande-

ment etc

De la cosmontologie chez les Beacutetis entre rup-

tures et continuiteacutes

Lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo traduit un autre

aspect de la penseacutee de la culture populaire chez

les Beacutetis du Cameroun il srsquoagit de leur croyance

en ce que Hubert Mono Ndzana19 appelle lrsquoomni-

dimensionnaliteacute de lrsquoecirctre humain ou encore la

cosmontologie Dans ce registre on assiste agrave

lrsquoabolition des logiques classiques donc tradition-

nelles qui subdivisent le monde en trois dimen-

sions en trois points distincts pour eacutetablir une

sorte de fluiditeacute entre les diffeacuterents espaces qui

composent lrsquounivers Agrave ce niveau justement on

semble quelque peu voir traceacute un possible paral-

legravele entre lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana Ngazorsquoo et le

mythe drsquoOrpheacutee du fait de la traverseacutee par les

deux heacuteros des frontiegraveres du monde sensible et

mecircme celles du monde invisible Cependant dans

lrsquoeacutepopeacutee Eton cette traverseacutee nrsquoest pas agrave sens

unique tant elle est faite par le heacuteros et sa dulci-

neacutee qui pourtant est deacuteceacutedeacutee En sus il y a claire-

ment interaction agrave plusieurs niveaux entre les vi-

vants et les fantocircmes

Commenccedilons par les traverseacutees Selon les va-

riantes de lrsquoeacutepopeacutee plusieurs traverseacutees des

mondes opposeacutes et croiseacutes sont effectueacutees Mais

la premiegravere est celle qui va de lrsquoinvisible vers le

visible du royaume des fantocircmes pour le monde

des vivants Lagrave commence la diffeacuterence entre

lrsquoeacutepopeacutee Eton et le mythe drsquoOrpheacutee Eurydice ne

revient pas dans le royaume des vivants crsquoest

plutocirct Orpheacutee deacuteboussoleacute qui se lance agrave sa

laquo reconquecircte raquo Or dans lrsquoeacutepopeacutee Eton Agnegraves

Abomo est la premiegravere agrave franchir le cap agrave partir

de lrsquoinvisible pour le visible agrave remonter la pente

pour atteindre Ndzana En effet apregraves la mort de

Agnegraves Abomo Ndzana ne respecte leur pacte que

le temps drsquoun souffle au regard mecircme de son in-

satiabiliteacute sexuelle

En un temps record il connaicirct plusieurs

femmes certains conteurs parlent de cinq

femmes avant mecircme lrsquoenterrement de Agnegraves

Abomo Un comportement qui contrevient aux

clauses du pacte de leur mbourna et qui appelle

une reacuteponse ferme de la part de la femme ainsi

bafoueacutee Voilagrave pourquoi de son nouveau monde

Agnegraves doit se reacuteveiller pour venir agrave la rencontre

du parjure Ndzana pour lui reacuteclamer sa bague

son alliance signe de fideacuteliteacute et drsquoamour eacuteternel

Les deacutetails de lrsquoincursion de cette femme dans le

royaume des vivants deacutependent eacutegalement des

conteurs Certains disent qursquoelle aurait trouveacute

Ndzana percheacute sur un palmier et qursquoelle se serait

mise agrave lui revendiquer sa bague en chantant

Cette version pourrait ecirctre de quelque creacutedit

dans la mesure ougrave la plupart des contes des eacutepo-

peacutees de lrsquoaire culturelle beacuteti figurant des fantocircmes

chez les vivants pour la reacutedition des comptes

suite agrave la violation drsquoun pacte mettent au-devant

de la scegravene un chant (Tcholi Tcholi Tcholi Tcho

Tcholiii ou agrave moeacute eacute eacute koum koum koum etc) un

fleuve ou une riviegravere ainsi qursquoun un gros animal

notamment lrsquoeacuteleacutephant Mais Agnegraves Abomo appa-

raicirct en personne sans deacuteguisement comme agrave lrsquoac-

coutumeacute Sans doute elle retourne aussitocirct dans

le royaume des fantocircmes Elle accomplit ainsi un

aller et retour Il srsquoagit agrave ce niveau drsquoun voyage

parfait drsquoun voyage agrave la Ulysse puisqursquoil est en-

cadreacute par une ouverture et une fermeture mecircme

si le sien est sans heurt

La seconde traverseacutee est celle de Ndzana lui-

mecircme Il accomplit eacutegalement un aller et retour

Raison pour laquelle Hubert Mono Ndzana a pu

15

dire qursquo laquo en dehors des reacuteveacutelations neacutecessairement

approximatives du sorcier-voyant du village seul

Ndzana Ngazorsquoo lui-mecircme de retour sur laquo la terre des

causeries raquo a pu raconter au point que lrsquoon puisse laquo en

parler raquo aujourdrsquohui son seacutejour dans lrsquoau-delagrave raquo20

Mais son voyage est des plus difficiles agrave cause des

impreacutevus Le voyage aller de Ndzana est rendu

presque dans les plus petits deacutetails dans lrsquoeacutepopeacutee

Il y est dit qursquoun matin avant le lever du soleil

Ndzana se deacutecida agrave retrouver lrsquoInoubliable Dans

sa marche Ndzana traversa maintes contreacutees ap-

paremment inhabiteacutees se deacutesalteacutera dans des ruis-

seaux (cinquiegraveme plus preacuteciseacutement) avec des es-

pegraveces de reacutecipients qui lrsquoeacutetonnaient vivants

quelques miracles au passage croisant des pas-

sants qui lui eacutetaient indiffeacuterents et agrave qui il rendait

leur indiffeacuterence jusqursquoau village des morts Cette

relation du voyage de lrsquointreacutepide Eton est lrsquoeacutema-

nation de monsieur Ongueacuteneacute dans sa version de

lrsquoeacutepopeacutee

Par contre la version de Monsieur Nke Assolo

laisse entendre qursquoau bout de sept pas sur le che-

min du marigot Ndzana avait aussitocirct atterri

dans un monde merveilleux Il ne lui a par la suite

fallu que quelques pas suppleacutementaires pour qursquoil

soit agrave destination Cette premiegravere traverseacutee de

Ndzana a des allures de voyage initiatique dans

lrsquoensemble il lrsquoaccomplit seul il va vers lrsquoincon-

nu vers lrsquoincertain voire lrsquoincertitude il semble

eacutegalement naiumlf Les diffeacuterentes traverseacutees des

deux mondes enregistreacutees dans cette eacutepopeacutee tra-

hissent voire traduisent la conception et la vision

de la vie de la mort et du monde en geacuteneacuteral des

Beacutetis Une certaine fluiditeacute entre les deux mondes

se conccediloit souvent dans la tradition populaire

dans la mesure ougrave le Beacuteti ne croit pas fondamenta-

lement agrave la mort mais plutocirct agrave un changement de

condition de dimension La mort sonne le deacutepart

du monde sensible et visible pour le monde intel-

ligible et invisible Les deux mondes nrsquoeacutetant pas

eacuteloigneacutes cependant La penseacutee populaire beacuteti

drsquoantan mettait au compte du rapt des fantocircmes

certaines disparitions mysteacuterieuses drsquoobjets de

personnes ou drsquoenfants que par la suite lrsquoon re-

trouvait Certains patriarches ou tradipraticiens

eacutetaient aussi soupccedilonneacutes de participer des deux

mondes quoi qursquoencore vivants etc

Cette fluiditeacute entre les deux univers expliquerait

peut-ecirctre certaines pratiques rituelles lors des fu-

neacuterailles chez les Beacutetis on deacutepose sur la tombe

du deacutefunt de la nourriture et de la boisson En

le faisant lrsquoideacutee drsquoensemble qui se deacutegage est que

les morts ont faim et soif comme le commun des

mortels La nourriture et le vin ainsi deacuteposeacutes sur

leur tombe constituent leur part qursquoils viendront

en leur temps consommer Mais lrsquoeacutepopeacutee preacutesente

eacutegalement un autre type de fluiditeacute entre les deux

mondes il srsquoagit des interactions entre les fan-

tocircmes et les vivants Ces interactions ont lieu agrave

plusieurs niveaux et endroits Il y a drsquoabord les

festiviteacutes lieacutees aux retrouvailles dans le monde des

fantocircmes entre Ndzana et Agnegraves Abomo Lrsquoeacutepo-

peacutee dit que la deacutefunte veuve accueillit Ndzana

avec un plat de couscous de manioc qui ne srsquoeacutepui-

sait jamais Ensuite elle lui servit un nectar de vin

de palme Enfin vint la scegravene drsquoamour dont

drsquoapregraves Mono Ndzana laquo les ardeurs eacuterotiques pulveacute-

risegraverent tous les records en la matiegravere Les draps eacutetaient

reacuteduits en lambeaux et les pieds du lit purement et

simplement casseacutes par le poids de lrsquoamour et la force des

eacutebats raquo21

Le second niveau de lrsquointeraction fantocircmes

vivants succegravede agrave ces festiviteacutes de retrouvailles le

mari de Agnegraves Abomo surgit et deacutecide de prendre

sa vengeance sur un Ndzana deacutejagrave eacutepuiseacute par un

coiumlt hors normes Lrsquoeacutepopeacutee preacutecise que laquo degraves qursquoil

(le mari) franchit le seuil de la porte Ndzana Nga-

zorsquoo se mit agrave trembler comme une feuille ballotteacutee

par une bourrasque Le mari cocu srsquoessuya sept

fois les yeux pour se rassurer qursquoil srsquoagissait effec-

tivement de son rival

laquo Quelle audace Ndzana Ngazorsquoo Quand jrsquoeacutetais

vivant tu avais une femme dont la beauteacute eacutetait feacutee-

rique et tu lrsquoas abandonneacutee pour venir arracher la

mienne apregraves la mort Et comme si les deacutelices que tu

avais eus avec elle ne suffisaient pas tu as de surcroicirct

preacutefeacutereacute la suivre jusque chez nous les fantocircmes en vue

de perpeacutetuer le concubinage Trop crsquoest troplt Ndzana

Ngazorsquoo ne savait quoi dire agrave son interlocuteur raquo22

Crsquoest ainsi que le mari courrouceacute administra

une fesseacutee agrave nulle autre pareille agrave Ndzana ce qui

le plongea dans lrsquoinconscience Le troisiegraveme et der-

nier niveau de lrsquointeraction fantocircmesvivants ar-

rive avec lrsquoeacutechappeacutee de Ndzana Agnegraves Abomo

ayant consideacutereacute la souffrance de son amant qui

agonisait pratiquement laquo reacutesolut de le faire rentrer

en lui indiquant le boulevard qui lrsquoavait conduit au

pays des fantocircmes Drsquoun pas mal assureacute le jeune

homme regagna le monde des humains raquo23 Avec ce

16

retour on pourrait dire que lrsquoeacutepopeacutee clocirct prati-

quement le cycle Ndzana NgazorsquooAgnegraves Abomo

Cependant selon les versions de ce chant popu-

laire un autre volet de la culture populaire beacuteti

srsquoouvre apregraves les misegraveres de Ndzana chez les fan-

tocircmes il srsquoagit de la palabre curative dont le but

est de rendre la santeacute agrave lrsquoinfortuneacute Ndzana

La palabre curative ou laquo lrsquoessieacute raquo

Un autre eacuteleacutement de la culture populaire beacuteti

figure dans la chanson populaire Eton qui tient

lieu de corpus dans cette eacutetude il srsquoagit pour la

langue franccedilaise de ce que lrsquoon pourrait deacutesigner

par la palabre curative et pour la langue eacutewondo

cela srsquoappelle lrsquoessieacute qui est une pratique populaire

et curative en vigueur dans toute lrsquoethnie Lrsquoessieacute

en question nrsquointervient qursquoen cas de peacuteril grave

maladie conduisant agrave lrsquoinfirmiteacute ou agrave la mort eacuteveacute-

nements inexplicables survenant dans une famille

ou une contreacutee problegravemes lieacutes agrave la difficulteacute de

procreacuteation et menace de disparition drsquoune ligneacutee

etc dans ces conditions le village le clan ou

mecircme la contreacutee se rassemble sous la convocation

des patriarches pour exorciser le mauvais sort et

ramener soit la seacutereacuteniteacute soit la santeacute lagrave ougrave elle

nrsquoexiste plus Dans son essence lrsquoessieacute est une

grande ceacutereacutemonie drsquoinvocation de purification et

de gueacuterison Ses accents incantatoires recourent

sans eacutequivoque agrave lrsquoinvisible agrave lrsquoincoercible voire agrave

la magie Le rituel de lrsquoessieacute varie cependant drsquoune

contreacutee agrave une autre drsquoune situation agrave une autre et

en fonction aussi de la graviteacute des cas Trois

eacutetapes capitales lui sont neacuteanmoins reconnues la

leveacuteela confirmation des doutes des diffeacuterents

participants agrave la palabre la confession du princi-

pal concerneacute et le rituel de la gueacuterisondeacutelivrance

proprement dit

La leveacuteela confirmation des doutes des diffeacute-

rents participants agrave la palabre curative a un but

preacutecis srsquoassurer que la cause de la maladie ou de

lrsquoinfirmiteacute dont souffre le principal protagoniste

ne provient pas drsquoun membre direct de sa famille

ou de son clan qui agrave tort ou agrave raison lui en veut

ou lui revendique un bien Il peut srsquoagir drsquoune

dette non payeacutee drsquoun adultegravere que lrsquoeacutepoux a de la

peine agrave digeacuterer ou de tout autre preacutetexte allant

dans le mecircme sens Des fois il peut aussi simple-

ment srsquoagir de la concupiscence de la jalousie ou

de lrsquoenvie Lrsquohomme malade pour qui siegravege lrsquoessieacute

peut posseacuteder des biens des plantations tout

comme il peut avoir des enfants intelligents

une belle eacutepouse un talent qursquoil utilise dextre-

ment Autant de choses qui peuvent lui valoir un

mauvais sort un empoisonnement ou des pra-

tiques de sorcellerie par ses fregraveres La premiegravere

eacutetape de lrsquoessieacute vise donc agrave eacutecarter ou agrave clarifier

cette situation

Mais si la leveacuteeconfirmation des doutes nrsquoac-

cable aucun participant agrave lrsquoessieacute (parfois mecircme si

un des membres est accableacute) le malade doit pro-

ceacuteder agrave la confession Il doit pouvoir dire agrave

lrsquoassembleacutee ce qui pour lui pourrait ecirctre agrave lrsquoori-

gine de son infirmiteacute ou de sa maladie Srsquoil est

incapable de le deacuteterminer lui-mecircme il se con-

tente alors de relater sa vie dans ses moindres deacute-

tails Les patriarches les initieacutes ainsi que les

autres membres preacutesents pourront alors le faire agrave

sa place en eacutevaluant en jugeant aussi La troi-

siegraveme et derniegravere phase de lrsquoessieacute est consacreacutee agrave

la ceacutereacutemonie de gueacuterisondeacutelivrance proprement

dite Agrave ce niveau des incantations des invoca-

tions et des rites sont faits Parfois on fait recours

agrave des sacrifices les animaux essentiellement se-

lon la graviteacute de la maladie ou de la faute com-

mise En cas de menace de mort le sang de lrsquoani-

mal sacrifieacute doit ecirctre verseacute en substitution du

sang du malade qui lui est purifieacute Mais lrsquoessieacute

procure toujours quelque remegravede des deacutecoctions

des ablutions etc senseacutes venir agrave bout du mauvais

sort que lrsquoon veut conjurer ou de la maladie que

lrsquoon veut gueacuterir

Lrsquoeacuteleacutement de la culture populaire beacuteti ainsi deacute-

crit est agrave la source de la gueacuterison de Ndzana Ses

eacutetapes semblent aussi respecteacutees dans la deacuteclinai-

son de la dite eacutepopeacutee Tout drsquoabord agrave lrsquoannonce

de la mort imminente de Ndzana lrsquoessieacute est aussi-

tocirct convoqueacutee laquo Je trsquoannonce que Ndzana Ngazorsquoo

est sur le point de mourir sans soins rituelslt+ Lors

Kogo Bikele se mit agrave frapper le tam-tamLe tam-tam

drsquoappel qui disait avec une voix macircle que Ndzana

Ngazorsquoo se mourait Tous les Benyagda arrivegraverent en

poussant des cris de colegravere raquo24 Lrsquoessieacute ainsi convo-

queacutee comment directement par la leveacutee

confirmation des doutes

laquo Ils interpellegraverent son fregravere Yana et dirent Crsquoest

bien toi qui veux tuer Ndzana Bien que tu sois encore

jeune homme tu as deacutejagrave le cheveu tout chenu Nrsquoest-

ce pas un fait de sorcellerie Yana Biloa haussa les

eacutepaules et ditJe ne suis pas cause de la mort de cet

17

hommeAdressez-vous plutocirct agrave Awono le neveu de

la fille Esele qui peut eacuteventuellement heacuteriter de sa ca-

caoyegravere raquo25

Cette seacutequence se poursuit avec la leveacutee de tout

soupccedilon dans lrsquoentourage de Ndzana Ngazorsquoo jus-

qursquoagrave la confession de ce dernier qui du reste est de

mauvaise foi dans la mesure ougrave la cause de sa ma-

ladie ayant eacuteteacute clairement identifieacutee il adopte une

attitude nihiliste laquo Que les malades eux-mecircmes par-

lent Ils interpellegraverent Ndzana Ngazorsquoo et lui dirent

Crsquoest une femme Mbele qui est cause de ta maladie

Quelle est elle Tu as mangeacute le couscous Ndzana

nia raquo26 Agrave lrsquoobservation Ndzana semble plus

apeureacute par les repreacutesailles des fantocircmes drsquoougrave le

mensonge qursquoil avance face aux Benyagda Il sait

que Agnegraves Abomo est agrave ses trousses Il sait eacutegale-

ment qursquoil doit retourner donner son ducirc au mari

de cette derniegravere qui nrsquoa accepteacute de le libeacuterer qursquoagrave

cette seule condition Mais il se montre intelligent

au moment de sa gueacuterison il renverse les termes

rituels en sa faveur Cette autre pratique est aussi

courante dans lrsquounivers Beacuteti Raison pour laquelle

le maicirctre de lrsquoessieacute doit veiller agrave ce que tout se

passe dans les bonnes conditions et qursquoil nrsquoy est

pas duperie La ceacutereacutemonie rituelle pour la gueacuteri-

son de Ndzana a neacuteanmoins lieu en deacutepit de son

attitude Ngandeme le maicirctre des ceacutereacutemonies prit

laquo le petit caillou le succedila neuf fois lt+Les Benyagda

eacutetaient au nombre de cent individus Ils touchegraverent

tous le caillou Avant de le passer en dernier lieu agrave

Ngandemequi dit Voilagrave Ndzana que je vous livre

Je le soigne pour sa gueacuterison raquo27

Agrave tout prendre les ceacutereacutemonies de gueacuterison et

mecircme de deacutelivrance au cours de lrsquoessieacute deacutepassent

lrsquoentendement humain car elles sortent de lrsquoordi-

naire et relegravevent de lrsquoirrationnel Celle ayant con-

duit agrave la gueacuterison de Ndzana est toute aussi irra-

tionnelle qursquoinexplicable par la logique carteacute-

sienne Il est difficile de justifier la transformation

en un puissant curatif du petit caillou suceacute toucheacute

par cent personnes puis tenu par le malade pour

une derniegravere incantation Drsquoapregraves lrsquoeacutepopeacutee aucun

autre traitement ne fut administreacute agrave Ndzana Tout

semble donc se jouer agrave lrsquoombre des regards naiumlfs et

non initieacutes Le jeu apparaicirct donc double puisque

visiblement il se deacuteroule sur deux terrains un vi-

sible qui serait en reacutealiteacute un trompe lrsquoœil et

lrsquoautre invisible le veacuteritable terrain drsquoopeacuteration

accessible seulement aux initieacutes Degraves lors com-

ment ne pas penser que de par ses faits ses rites

ses croyances et au regard mecircme de son histoire le

Beacuteti est profondeacutement ancreacute dans une cons-

cience magique

Conclusion

Lrsquoeacutepopeacutee Eton dans laquelle ont eacuteteacute capteacutes de

faccedilon inexhaustive les eacuteleacutements de la culture po-

pulaire Beacuteti montre agrave quel point le Beacuteti authen-

tique est attacheacute agrave lrsquoinvisible agrave la croyance aux

forces surnaturelles qui semblent le proteacuteger gui-

der ses pas et assurer sa vie Depuis la traverseacutee

de la Sanaga qui a consacreacute le recours initial aux

Megan par leur ancecirctre jusqursquoaux temps contem-

porains le Beacuteti nrsquoa cesseacute de concevoir deux vies

deux univers deux mondes intimement lieacutes un

monde invisible et un monde physique un uni-

vers intelligible et un univers sensible une vie

nocturne et une vie diurne qui en somme reacutesu-

ment sa condition drsquohomme Les eacuteleacutements analy-

seacutes dans cette eacutepopeacutee visent agrave montrer le Beacuteti an-

creacute dans une conception dualiste de lrsquoexistence agrave

laquelle lrsquoEacuteglise catholique va srsquoattaquer avec

toute la violence possible

Les premiers missionnaires les premiers

Pegraveres les premiers Eacutevecircques en service colonial au

Cameroun tels Franccedilois Pichon Reneacute Grafin etc

ont eu pour principal objectif de mettre un terme

aux diffeacuterents mystegraveres rites et croyances qui fai-

saient lrsquoexistence du Beacuteti Ils ont fini par imposer agrave

ce peuple les mystegraveres de la Triniteacute une repreacutesen-

tation et une cosmogonie tireacutees de la Bible Cepen-

dant la reacuteactualisation de lrsquoeacutepopeacutee de Ndzana

Ngazorsquoo notamment par son regain drsquo inteacuterecirct sur

les plans scientifique et artistique reacutecemment

pourrait ecirctre vu comme une reacutesistance culturelle

une tentative de reacuteminiscence du passeacute en vue

drsquoun eacuteventuel retour aux sources quoique les eacuteveacute-

nements semblent avoir pris des trajectoires diffi-

cilement reacuteversibles

Bibliographie

- BENOIT Pierre LrsquoAtlantide Paris Albin Michel

1920

- COMBELLES Henri GROISARD Louis Matins

drsquoAfrique Paris Hatier 1984

- ELIADE Mircea Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes

Naissances mystiques Essai sur quelques types drsquoini-

tiation Paris Gallimard 1976

18

- LABURTHE-TOLRA Philippe Les Seigneurs de la

forecirct essai sur le passeacute historique lorganisation sociale

et les normes eacutethiques des anciens Beacuteti du Cameroun

Paris LHarmattan 2009 nouvelle eacuted 487 p Texte

remanieacute dune thegravese Paris 5 1975- Initiations et

socieacuteteacutes secregravetes au Cameroun Essai sur la religion Beacute-

ti Paris Khartala 1985

- MATATEYOU Emmanuel Ndzana Nga Zogo Les

nouveaux deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacute-

matique drsquoune conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoun-

deacute Presses Universitaires de Yaoundeacute 1999

- MBOCK Charlie Gabriel Quand saigne le palmier

Yaoundeacute Eacuteditions Cleacute 1989

- MVIENA Pierre Univers culturel et religieux du

peuple Beacuteti Yaoundeacute 1970

- NGOA Henri Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait

pas opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

- OMGBA Richard Laurent Culture et eacutemergence

drsquoune nation Pour une approche humaniste du deacutevelop-

pement au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016

- OMBOLO Jean-Pierre Ecirctre Beacuteti un art africain

decirctre un homme et de vivre en socieacuteteacute Essai danalyse

de lesprit dune population une eacutetude ethno-historique

Yaoundeacute Presses universitaires de Yaoundeacute 2000

111 p

- PICHON Franccedilois La Petite grammaire eacutewondo

avec exercices approprieacutes Yaoundeacute Mission catho-

lique Yaoundeacute Cameroun 1934

- PINCHENEL Ph et Ozouf M Nouveau cours de

Geacuteographie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Na-

than 1957

1 Richard Laurent Omgba Culture et eacutemergence drsquoune

nation Pour une approche humaniste du deacuteveloppement

au Cameroun Paris LrsquoHarmattan 2016 p 18

2 Emmanuel Matateyou Ndzana Nga Zogo Les nouveaux

deacutefis de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune

conciliation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel Yaoundeacute Presses Univer-

sitaires de Yaoundeacute 1999

3 Cette variante fait beaucoup de deacutebats En fait des versions

contradictoires que nous convoquerons eacutegalement disent

que Ndzana est alleacute de son chef vivant et bien portant dans

le royaume des morts pour respecter le pacte signeacute avec

Agnegraves Abomo Il nrsquoest donc pas mort avant de la rejoindre

dans lrsquoau-delagrave Cette version semble drsquoailleurs plus creacutedible

et elle rend le chant plus passionnant et croustillant

4 Hubert Mono Ndzana laquoLa Convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 190

5 Philippe Laburthe Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion beti Paris Khartala1985

6 Henri Ngoa Non la femme camerounaise nrsquoeacutetait pas

opprimeacutee Yaoundeacute Cameroun Tribune 1974

7 Hubert Mono Ndzana opcit p 190

8 Mircea Eliade Initiation rites socieacuteteacutes secregravetes Nais-

sances mystiques Essai sur quelques types drsquoinitiation Pa-

ris Gallimard1976

9 V173 agrave V178

10 V169 agrave V171

11 Charlie Gabriel Mbock Quand saigne le palmier Yaoun-

deacute Eacuteditions Cleacute 1989

12 Pierre Benoicirct LrsquoAtlantide Paris Albin Michel 1902

p138

13 Franccedilois Pichon La Petite grammaire eacutewondo avec exer-

cices approprieacutes Yaoundeacute Mission catholique Yaoundeacute

Cameroun 1934 p 60

14 On peut notamment lire lrsquoeacutepopeacutee de la traverseacutee de la

Sanaga dans Matins drsquoAfrique Paris Hatier 1984

15 Philippe Laburthe-Tolra Initiations et socieacuteteacutes secregravetes au

Cameroun Essai sur la religion Beti opcit p41

16 Idem

17 Ph Pinchenel et M Ozouf Nouveau cours de Geacuteogra-

phie Classe de cinquiegraveme Paris Fernand Nathan 1957

18 Cf Mviena Univers culturel et religieux du peuple Beacuteti

Yaoundeacute 1970

19 Hubert Mono Ndzana laquoLa convivialiteacute des vivants et des

morts le cas de Ndzana Ngazorsquoo raquo in Les nouveaux deacutefis

de la litteacuterature orale africaine probleacutematique drsquoune conci-

liation du reacuteel et de lrsquoirreacuteel p 197

20 Mono Ndzana opcit pp192-193

21 Mono Ndzana opcit p193

22 Transcription Nke Assolo p08

23 Idem

24 Vers 610 agrave 618

25 Vers 620 agrave 627

26 Vers 680 agrave 685

27 Vers 704 agrave 721

19

Culture populaire berbegravere

en Kabylie rupture etou transmission

BRAHIMI Denise

Universiteacute Paris VII Denis Diderot France

Si la question des laquo cultures vernaculaires raquo se

pose de toute faccedilon srsquoagissant de la repreacutesenta-

tion qui en est donneacutee dans les œuvres litteacuteraires

il me semble qursquoelle se pose encore davantage

dans le cas de certains auteurs deacutefinis par des

donneacutees biographiques drsquoougrave deacutecoulent des rela-

tions tregraves personnelles agrave leur culture drsquoorigine

Pour le dire sommairement il srsquoagit drsquoeacutecrivains

et drsquoartistes qursquoon convoque geacuteneacuteralement dans

le cadre drsquoune reacuteflexion sur la double culture mdash

mais avant drsquoecirctre le sujet drsquoune reacuteflexion pour

leurs lecteurs et critiques ils lrsquoont eacuteteacute si lrsquoon peut

dire pour eux-mecircmes et il leur a fallu exprimer

quel que soit leur sentiment agrave cet eacutegard com-

ment ils ressentaient la preacutesence en eux pour

eux de leur appartenance premiegravere (au sens des

arts premiers )forceacutement recouverte ce qui ne

veut pas dire occulteacutee par leur culture acquise

devenue dominante la plus visible en tout cas et

mecircme lrsquounique selon certaines apparences

Lrsquoexemple auquel je pense et dont je vais par-

ler est celui des eacutecrivains de la famille Amrouche

originaire de la Kabylie agrave lrsquoeacutepoque coloniale reacute-

gion drsquoAlgeacuterie dont la culture et la langue eacutetaient

dites berbegraveres jusqursquoagrave ce qursquoon substitue agrave ce mot

celui drsquoamazigh deacuteclineacute sous plusieurs formes et

de tamazight (srsquoagissant de la langue) mdash mots

que les Amrouche ont toujours ignoreacutes (ce que je

ferai donc agrave leur suite)

Je parle de famille Amrouche bien que le plus

connu des eacutecrivains porteurs de ce nom soit Jean

Amrouche (1906-1962) parce que sa sœur Taos

Amrouche (1913-1976) romanciegravere et musicienne

-interpregravete srsquoest situeacutee toute sa vie au cœur des

problegravemes poseacutes par le rapport agrave sa culture drsquoori-

gine et justement parce qursquoelle a tenteacute de les reacute-

soudre ou de les exprimer autrement que ne lrsquoa

fait son fregravere aicircneacute Mais le mot famille implique

eacutegalement la volonteacute de remonter agrave la geacuteneacuteration

preacuteceacutedente celle de leur megravere commune Fadhma

Aiumlt Mansour Amrouche (1882-1967) auteur

drsquoune autobiographie et deacutejagrave incluse dans un

processus de repreacutesentation plutocirct que de vie

immeacutediate au sein de la culture populaire en cela

Fadhma se savait diffeacuterente de sa propre megravere

Aiumlni qui elle eacutetait une paysanne et une femme du

peuple sans intervention ni acquisition drsquoaucune

autre culture que celle dans laquelle elle eacutetait neacutee

Cette eacutevolution va eacutevidemment dans le sens drsquoun

eacuteloignement de lrsquoorigine (et pour commencer au

sens geacuteographique) mais pas neacutecessairement de la

culture originelle si lrsquoon veut bien jouer sur deux

sens du mot culture le premier anthropologique

deacutesignant lrsquoensemble des pratiques des faccedilons de

faire dans lesquelles on vit et le second deacutesignant

un patrimoine culturel et artistique de reacutefeacuterences agrave

lrsquoeacutegard duquel on se sent redevable en partie au

moins des fondements de sa personnaliteacute Avec la

famille Amrouche on passe de lrsquoun agrave lrsquoautre de ces

deux sens mais crsquoest surtout agrave la troisiegraveme geacuteneacutera-

tion celle de Jean et de Taos que se pose la ques-

tion de la repreacutesentation pour reprendre le mot

employeacute dans le sujet de ce colloque

La famille Amrouche (en suivant la chronologie)

Le plus clair est de preacutesenter drsquoabord un certain

nombre de faits dans lrsquoordre chronologique histo-

rique et biographique Le fragment de culture po-

pulaire dont il sera principalement question est un

recueil de poeacutesie kabyle1 publieacute par Jean

Amrouche en 1939 mais dont la genegravese remonte

bien avant

La premiegravere eacutetape

dure pendant des anneacutees degraves que la famille

Amrouche quitte la Kabylie drsquoIghil Ali pour venir

agrave Tunis Jean neacute quatre ans plus tocirct en 1906 fait

deacutejagrave partie de la famille tandis que Taos naicirct agrave Tu-

nis en 1913 En cette mecircme anneacutee 1913 toute la

famille est naturaliseacutee franccedilaise Mais deacutejagrave aupara-

vant les enfants portent un preacutenom kabyle et un

preacutenom franccedilais car les parents sont convertis au

christianisme et se sont marieacutes chreacutetiennement en

1899

Dans ce qursquoelle consideacuterera toute sa vie comme

un exil Fadhma ldquola Kabylerdquo comme lrsquoappellent

drsquoailleurs ses voisines de Tunis Radegraves etc (non

sans une nuance de meacutepris) berce son chagrin et

srsquoenchante elle-mecircme par des chants eacutevidemment

en langue berbegravere de maniegravere tout agrave fait intime au

sein du foyer familial pour elle-mecircme et pour

20

bercer ses enfants (les Chants comportent

beaucoup de berceuses )

A ce stade les Chants berbegraveres sont une poeacutesie

intime et purement orale car drsquoelle-mecircme

Fadhma nrsquoa pas lrsquoideacutee de les transcrire Elle les

chante tels qursquoelle les a entendus de la bouche

de sa megravere Aiumlni (agrave laquelle est deacutedieacutee Histoire de

ma vie lrsquoautobiographie de Fadhma2) pendant

son enfance et pendant son adolescence

(principalement en 1898) Fadhma a cette meacute-

moire inimitable incroyable que deacuteveloppent

les cultures purement orales ougrave toute transmis-

sion est meacutemoriellemdashdrsquoougrave lrsquoimportance de culti-

ver cette faculteacute pour un reacutesultat qui comporte

drsquoailleurs toutes les nuances et peut-ecirctre les par-

ticulariteacutes personnelles de la voix qursquoon a enten-

due

Cette poeacutesie chanteacutee est essentiellement tradi-

tionnelle crsquoest-agrave-dire telle que transmise par la

tradition (quoi que signifie ce mot qui nrsquoexclut

pas lrsquoexistence de poegravetes-chanteurs les aegravedes

comme diront Jean et Taos) Cependant elle

permet aussi agrave lrsquooccasion des modifications

dans un sens purement personnel ce dont

Fadhma elle-mecircme nous donne la preuve En

1939-1940 elle perd trois de ses fils en une seule

anneacutee veacuteritable carnage auquel la tuberculose

drsquoune part et les deacutesastres de la guerre drsquoautre

part ont contribueacute Fadhma a surveacutecu et il nrsquoest

pas absurde de croire que les chants lrsquoy ont ai-

deacutee Des chants devenus personnels du moins

dans leurs paroles car leur meacutelodie elle reste

traditionnelle Taos explique dans son recueil de

contes et de chants Le Grain magique3 comment

elle a recueilli ces poegravemes de sa megravere les a tra-

duits et eacutecrits

Mais ceci nrsquoa eacuteteacute pensable que gracircce agrave lrsquoentre-

prise beaucoup plus geacuteneacuterale de transcription et

de traduction qui bat son plein dans la famille

Amrouche depuis deux anneacutees deacutejagrave Et crsquoest la

deuxiegraveme eacutetape la plus connue peut-ecirctre gracircce

agrave Jean dont il faut parler maintenant

Cette deuxiegraveme eacutetape

est celle ougrave sont publieacutes sous le titre Chants ber-

begraveres de Kabylie et sous le preacutenom et le nom de

Jean Amrouche un certain nombre de Chants

recueillis par le fregravere et la sœur Jean et Taos de

la bouche de leur megravere Fadhma On a lagrave dessus

les teacutemoignages de trois membres de la famille qui

srsquoy trouvent impliqueacutes et qui expliquent tregraves clai-

rement comment les choses se sont passeacutees agrave par-

tir de 1937 et principalement en 1938

Fadhma situe ces eacutepisodes de maniegravere un peu

vague dans la peacuteriode qui preacutecegravede la deuxiegraveme

guerre mondiale Il se trouve que crsquoest un moment

ougrave Taos vit agrave proximiteacute de la maison familiale et

Jean eacutegalement Jean est deacutejagrave un poegravete assez connu

et admireacute (en 1938 il a 32 ans) qui a publieacute deux

recueils de vers en franccedilais (Cendres en 1934 et

Etoile secregravete en 1937) et qui est devenu un speacutecia-

liste de la poeacutesie franccedilaise et europeacuteenne contem-

poraine pour laquelle il a la plus grande admira-

tion Taos admire tout ce que son fregravere admire et

lui fait partager mais elle nrsquoen suit pas moins ses

propres voies puisque crsquoest le moment ougrave elle est

en train drsquoeacutecrire ce qui sera son premier roman

Jacinthe noire en franccedilais eacutevidemment

Les Chants sont publieacutes en traduction franccedilaise

Il faut pour le comprendre se reporter agrave la longue

et ceacutelegravebre Preacuteface eacutecrite par Jean pour ce recueil

publieacute en 1939 aux eacuteditions Monomotapa comme

le rappelle Fadhma alors que la Preacuteface est dateacutee

drsquooctobre-novembre 1938 Son ideacutee tregraves forte et

tout agrave fait importante voire deacutecisive pour le destin

des Chants est qursquoils appartiennent au patrimoine

de lrsquohumaniteacute et doivent ecirctre reconnus comme

tels et pour ce faire il faut eacutevidemment qursquoils

soient connus du monde litteacuteraire de lrsquoeacutepoque (en

tout cas celui que Jean lui-mecircme connaicirct et freacute-

quente)mdashce qui passe par le fait qursquoils soient pu-

blieacutes certes mais publieacutes en franccedilais la seule

langue qursquoil puisse imaginer en 1938 comme veacute-

hicule drsquoun treacutesor patrimonial qui sans cela reste-

rait lrsquoapanage de quelques speacutecialistes de la

langue berbegravere crsquoest-agrave-dire une poigneacutee drsquoeacuterudits

de lrsquoeacutepoque coloniale A condition de se replacer

dans le contexte historique et politique de

lrsquoeacutepoque on peut parfaitement comprendre la lo-

gique qui preacuteside au projet de Jean Amrouche

faire connaicirctre les Chants aussi largement que pos-

sible ne peut signifier qursquoune chose les faire con-

naicirctre en franccedilais

Cependant srsquoil y a bien une eacutevidence qui nous

apparaicirct en tout cas maintenant et sans doute tout

de mecircme depuis un certain nombre drsquoanneacutees

(avant mecircme le grand retour de la langue ama-

zighe) crsquoest la disproportion et la tregraves ineacutegale

21

valeur des deux parties qui composent le re-

cueil composeacute par Jean autant la Preacuteface est un

texte admirable de beauteacute et drsquoeacutemotion autant

les Chants eux-mecircmes dans leur traduction fran-

ccedilaise peuvent donner le sentiment non drsquoen

manquer mais plutocirct de ne pas parvenir agrave les

faire ressentir pleinement Une frustration qui

vient du fait qursquoon les ressent comme laquo en-deccedilagrave raquo

de ce qursquoils pourraient ecirctre mdash et ce pour une rai-

son bien simple agrave savoir qursquoils sont en franccedilais

On a lrsquoimpression drsquoavoir ainsi le texte des chants

-poegravemes agrave titre indicatif si on peut dire les

choses ainsi mais sans veacuteritable tentative pour

transmettre leurs qualiteacutes pourtant si vanteacutees

dans la Preacuteface du recueil Drsquoailleurs cette Preacuteface

parle admirablement de la voix de la megravere qui les

a chanteacutes crsquoest-agrave-dire de leur oraliteacute dont on

comprend bien qursquoil serait vain de tenter de la

restituer dans une traduction en franccedilais On ne

peut rien faire drsquoautre que de lrsquoeacutevoquer avec des

mots comme Jean lui-mecircme lrsquoa fait Et srsquoil est

vrai que cette traduction des Chants en franccedilais et

leur publication sous cette forme marquent une

date importante dans lrsquoappreacuteciation de la culture

ancestrale de lrsquoAlgeacuterie crsquoest tout de mecircme beau-

coup agrave cause de la Preacuteface dont de nombreux pas-

sages sont dans les meacutemoires de ceux qui aiment

la poeacutesie

Arrive alors la troisiegraveme eacutetape

que Fadhma aborde agrave la fin du passage drsquoHis-

toire de ma vie ougrave elle parle des Chants berbegraveres de

Kabylie Deacutesormais crsquoest de Taos qursquoil sera ques-

tion beaucoup plus que de Jean et cette nouvelle

eacutetape est caracteacuteriseacutee par plusieurs changements

celui de la langue puisqursquoil y a retour agrave la langue

berbegravere et aussi agrave la poeacutesie orale et chanteacutee Ces

deux changements comme lrsquoa fort bien vu

Fadhma sont la conseacutequence de la participation

de Taos au festival des musiques traditionnelles

de Fegraves en 1939 Elle y preacutesente 95 monodies qui

constituent le patrimoine poeacutetique et musical de

la Kabylie Pendant son seacutejour agrave la Casa Velas-

quez de Madrid destineacute agrave lrsquoeacutetude des survi-

vances berbegraveres dans le folklore ibeacuterique elle

prononce agrave Madrid le 15 novembre 1941 une

confeacuterence tout agrave fait inteacuteressante et peu connue

intituleacutee Le chant berbegravere en Kabylie tel que lrsquoont fait

les siegravecles Confeacuterence en franccedilais mais peu apregraves

son retour en France en 1945 avec son mari

Andreacute Bourdil et leur fille Taos commence agrave don-

ner des concerts de chants berbegraveres et aussi agrave par-

tir de 1952-1954 des confeacuterences-reacutecitals ougrave les

deux langues le franccedilais et le berbegravere se trouvent

mecircleacutees Ainsi srsquooriente-t-elle vers ce qui pendant

toutes les anneacutees 60 va faire son succegraves les reacuteci-

tals ou concerts de chants berbegraveresmdashet ce jusqursquoagrave

sa mort en 1976

1937-1938 signification drsquoun choix

Apregraves ce parcours sur plusieurs deacutecennies je

propose que nous revenions de faccedilon beaucoup

plus ponctuelle sur ce qui srsquoest passeacute vers 1937-

1938 lorsque la famille Amrouche srsquoest poseacute de

faccedilon tout agrave fait explicite consciente et formuleacutee

la question de la transmission de la culture popu-

laire dont elle (cette famille) se sentait deacutetentrice

Jean Il vaut la peine de voir de pregraves ce que dit

Jean Amrouche dans la Preacuteface aux Chants berbegraveres

de Kabylie car on deacutecouvrira tregraves vite que cette ad-

mirable Preacuteface nrsquoen est pas moins stupeacutefiante par

les affirmations qursquoelle contient Dans ce texte eacutecrit

en 1938 Jean Amrouche parle de la poeacutesie kabyle

comme drsquoune forme de creacuteation agrave peu pregraves dispa-

rue ou en voie de disparition et enfouie dans un

passeacute lointainmdashdont rien ne pourra sans doute la

tirer en deacutepit des efforts qursquoil fait lui mecircme par la

publication des Chants Pour lui lrsquoideacutee drsquoanony-

mat est une caracteacuteristique essentielle de la poeacutesie

populaire de Kabylie le point de deacutepart de la deacutefi-

nition qursquoil entend en donner Et certes cette deacutefi-

nition en elle-mecircme extrecircmement poeacutetique peut

passer pour un veacuteritable manifeste en faveur de la

poeacutesie populaire digne de ceux qursquoon appelait les

folkloristes dans le monde acadeacutemique europeacuteen

du 19e siegravecle

Cette poeacutesie anonyme serait selon lui transmise

par les megraveres agrave leurs enfants sans qursquoil soit jamais

question des auteurs qui lrsquoauraient produite et

dont le lecteur de bonne foi peut supposer qursquoils

sont et seront agrave jamais inconnus Autre maniegravere de

dire qursquoil est exclu drsquoy trouver des marques drsquoune

sensibiliteacute individuelle ou drsquoune histoire person-

nelle qui serait celle du poegravete Crsquoest une poeacutesie qui

deacuteveloppe des thegravemes tregraves geacuteneacuteraux seacuteculaires

voire milleacutenaires parfois universels comme celui

de lrsquoamour Dans cette perspective les textes ne

sont ni dateacutes ni datables ils ne portent aucune

marque eacuteveacutenementielle et eacutechappent agrave lrsquohistoire

Anonyme et intemporelle cette poeacutesie est

22

purement orale agrave lrsquoopposeacute de la poeacutesie mo-

derne agrave la fois savante et eacutecrite transmise par des

livres sur lesquelles figure le nom de lrsquoauteur Par

exemple celle que Jean Amrouche lui-mecircme a deacutejagrave

eacutecrite agrave cette mecircme eacutepoque de sa vie (Cendres en

1934 et Etoile secregravete en 1937) Cette opposition

fonctionne parfaitementltsi ce nrsquoest qursquoelle fonc-

tionne agrave partir de preacutesupposeacutes deacutementis par la

reacutealiteacute une reacutealiteacute que Jean Amrouche ne pouvait

pas ignorer en sorte que le statut de cette tregraves

belle Preacuteface est drsquoecirctre en partie au moins une

sorte de deacuteni de la reacutealiteacute au profit drsquoune inven-

tion tout agrave fait personnelle Ce qursquoelle exprime est

un fantasme nostalgique une merveilleuses deacutecla-

ration drsquoamour agrave la Megravere et sans aucun doute aus-

si lrsquoexpression drsquoune culpabiliteacute tragique celle qui

est si preacutesente chez Jean Amrouche et qui est tou-

jours lieacutee au constat drsquoune non-appartenance une

impossibiliteacute drsquoappartenir agrave lt au moment mecircme

ougrave on se met au service delt

Pour dire en quoi la thegravese de Jean Amrouche

est un deacuteni de reacutealiteacute on srsquoen tiendra agrave quelques

noms propres bien connus des speacutecialistes de la

question Et pour commencer celui de Si Mohand

grand poegravete kabyle du 19e siegravecle (1845-1906) dont

Jean Amrouche cite drsquoailleurs des poegravemes dans

cette petite anthologie que sont les Chants berbegraveres

de Kabylie Si Mohand dont on sait beaucoup de

choses preacutesente les traits exactement inverses de

ceux qursquoon vient de reacutesumer Il ne cesse de parler

de sa propre vie et de ses particulariteacutes tout au-

tant que des changements subis par son pays aux

prises avec les trageacutedies de lrsquohistoire contempo-

raine notamment lrsquoeacutecrasement par les troupes

coloniales de la derniegravere tentative de soulegravevement

en Kabylie celle drsquoEl Mokrani en 1871 En reacutealiteacute

Si Mohand a toutes les caracteacuteristiques drsquoun poegravete

moderne mecircme si ce mot est un peu vague eacutevo-

quant notamment une forme de solitude lieacutee agrave la

nostalgie et au recircve Un des grands commenta-

teurs de Si Mohand lrsquoeacutecrivain et berbeacuteriste Mou-

loud Mammeri4 rattache de faccedilon preacutecise et inteacute-

ressante ces caracteacuteristiques de la poeacutesie de Si Mo-

hand aux changements historiques qui se produi-

sent en Kabylie agrave partir de 1871 date par rapport

agrave laquelle il y aurait un avant et un apregraves y com-

pris en poeacutesie

Quoi qursquoil en soit entre 1871 et 1938 date des

Chants un grand travail de recherche sur la poeacutesie

kabyle a eacuteteacute accompli et crsquoest encore un autre

nom important dans ce cadre qursquoil faut citer

maintenant celui de Boulifa (1865-1931) eacuterudit

kabyle de formation franccedilaise enseignant de ber-

begravere et qui a publieacute en 1904 un recueil de poeacutesies

kabyles5 qui eacutevidemment fait date en ce deacutebut du

20e siegravecle Pour preacuteciser quelques repegraveres qui uti-

lisent les dates et tentent de leur donner sens on

pourrait dire que Jean Amrouche naicirct agrave peu pregraves

(en feacutevrier 1906) au moment ougrave meurt Si Mohand

(en deacutecembre 1905) et que la publication des

Chants en 1938 preacutecegravede de tregraves peu le moment ougrave

va commencer sa carriegravere un des grands chan-

teurs (agrave texte) drsquoorigine kabyle Slimane Azem

(1918-1983) chanteur en langue kabyle eacutevidem-

ment ce qui amegravene agrave revenir sur la question des

langues (dont on verra ensuite qursquoelle est traiteacutee

tout autrement par sa sœur Taos)

On se souvient des trois eacutetapes preacuteceacutedemment

eacutevoqueacutees dans lrsquohistoire de la famille Amrouche

Ces eacutetapes sont aussi celles drsquoune eacutevolution geacuteneacute-

rale sur la question des langues deacutebordant sans

doute le cadre de lrsquoAlgeacuterie coloniale mecircme si elle

y est particuliegraverement apparente Les langues

qursquoon disait alors dialectales comme le berbegravere

sont drsquoabord le fait de deux groupes bien dis-

tincts

mdash drsquoune part une partie du peuple parfois

(presque) illettreacute et qui les utilise pour son usage

intime familial ou villageois

mdash drsquoautre part quelques speacutecialistes qui font

un grand et magnifique travail drsquoeacuterudition

Une large transmission de quelque sbquotreacutesor

litteacuteraire‛ que ce soit autour des anneacutees 40 du

siegravecle dernier crsquoest-agrave-dire vingt ans avant lrsquoindeacute-

pendance ne peut se concevoir qursquoen franccedilais qui

est vu comme la seule langue de culture donnant

accegraves agrave lrsquouniversel eacutetant entendu qursquoil y a aussi

lrsquoarabe reacuteserveacute aux arabisants et qui a sur le ber-

begravere lrsquoimmense avantage drsquoecirctre une langue eacutecrite

Il est donc bien clair que le berbegravere se trouve tout

en bas de lrsquoeacutechelle linguistique algeacuterienne si lrsquoon

peut dire les choses ainsi

Srsquoil fallait retracer le parcours eacutevidemment consi-

deacuterable accompli par le berbegravere pour acceacuteder agrave

un eacutechelon linguistique supeacuterieur il faudrait eacutevi

demment souligner lrsquoimportance du travail

23

Fadhma

laquo Une femme srsquoest trouveacutee lagrave pour les recueillir

(=les chants) une femme entre toutes admirable ma

megravere Lrsquoinestimable treacutesor qui lui venait de ses aiumleux

elle me lrsquoa remis je lrsquoai reccedilu de ses mains dans les

miennes et crsquoest ainsi que je me trouve ecirctre heacuteritiegravere de

nos traditions musicales et poeacutetiques et que chantent

par ma voix tout un pays tout un peuple et tout un

passeacute raquo

Taos parle elle-mecircme agrave propos du sentiment

qursquoelle eacuteprouve agrave reprendre ce flambeau drsquoune

orgueilleuse fierteacute et elle srsquoen justifie aussi par des

caracteacuteristiques propres au peuple kabyle dont

elle fait partie Crsquoest dit-elle un pays farouche et

follement eacutepris drsquoindeacutependance ce qui pourrait faire

croire de sa part agrave une revendication anticolo-

niale mais il faudrait de toute faccedilon la tempeacuterer

du fait qursquoelle affirme en mecircme temps et dans ce

mecircme texte son admiration pour un certain

nombre de personnaliteacutes franccedilaises qui se sont

mises agrave lrsquoeacutecoute de la berbeacuteriteacute Reste qursquoelle est

sans ambiguiumlteacute dans son admiration pour la deacute-

fense heacuteroiumlque opposeacutee par la Kabylie agrave ses enva-

hisseurs

laquo Chacun sait que la conquecircte de la Kabylie mdash pour

ne parler que de mon pays drsquoorigine mdash a eacuteteacute lrsquoune des

plus difficiles que la France ait entreprises Chacun

sait mdash et je le rappelle ici avec une fierteacute que je crois

leacutegitime mdash que non seulement la Kabylie a eacuteteacute con-

quise village par village et rue par rue mais encore

maison par maison raquo

Crsquoest une des formes de lrsquoorgueil que lui ins-

pire son heacuteritage kabyle Et lrsquoune des raisons

pour lesquelles la transmission de lrsquoheacuteritage lui

paraicirct une sorte de devoir sacreacute Transmission est

le mot clef elle lrsquoemploie notamment de maniegravere

eacuteclatante dans la deacutedicace de son propre recueil

intituleacute Le Grain magique paru en 1966 Ce court

texte mis en exergue est poeacutetique et eacutemouvant

important aussi parce qursquoil eacutenonce de faccedilon tout

agrave fait claire le principe de la transmission (orale

mais aussi eacutecrite) et plus speacutecialement de la

transmission de megravere en fille

laquo A Marguerite Fadhma Aiumlt Mansour ma megravere der-

nier maillon drsquoune chaicircne drsquoaegravedes Pour toi qui mrsquoes

toujours apparue comme un arbre fruitier visiteacute par

une multitude drsquooiseaux chanteurs ces leacutegendes et ces

chants filtreacutes par les siegravecles qui sont arriveacutes de

bouche en bouche jusqursquoagrave toi et que tu mrsquoas leacutegueacutes

pour que je les fixe en cette langue franccedilaise presque

aussi chegravere et familiegravere que notre langue maternelle()

accompli par Mouloud Mammeri pour don-

ner donner au berbegravere cette qualiteacute de langue

eacutecrite pourvu drsquoun alphabet drsquoune grammaire

de regravegles Mais avant lui nous retrouvons la fa-

mille Amrouche en la personne de Taos qui a

pris appui sur sa connaissance des Chants ber-

begraveres de Kabylie pour revendiquer activement en

faveur de cette langue Clsquoest elle qui assure le

passage neacutecessaire pour que le tamazight

(qursquoelle nrsquoappelait pas ainsi) acquiegravere son droit

de citeacute

A partir de 1940 entreacutee en scegravene de Taos

Taos Amrouche a incontestablement eacuteteacute une

pionniegravere elle a contribueacute au fait qursquoagrave partir des

anneacutees 50 et a fortiori 60 du siegravecle dernier (alors

mecircme qursquoon est encore agrave lrsquoeacutepoque coloniale)

lrsquoattitude agrave lrsquoeacutegard des langues a consideacuterable-

ment changeacute Pour le dire vite lrsquoideacutee se reacutepand

qursquoune culture litteacuteraire nrsquoa de sens et de valeur

que si elle est exprimeacutee par sa langue drsquoorigine

la seule qui permette le contact avec sa qualiteacute

premiegravere et son essence mecircmemdasheacutetant entendu

que le travail de traduction nrsquoen est pas moins

leacutegitime et neacutecessaire

Pour ce qui est de Taos elle-mecircme ce qui la

diffeacuterencie principalement de son fregravere est

qursquoelle revendique la langue berbegravere et srsquoest em-

ployeacutee toute sa vie agrave la deacutefendre un combat

dont on ne peut nier qursquoil a eacuteteacute difficile particu-

liegraverement apregraves lrsquoindeacutependance de lrsquoAlgeacuterie en

1962 et pendant au moins deux deacutecennies

Taos commence agrave mener ce combat tregraves peu

apregraves la parution (en franccedilais) des Chants ber-

begraveres de Kabylie agrave lrsquooccasion de son seacutejour agrave la

Casa Velasquez de Madrid Elle se sent porteuse

de lrsquoheacuteritage kabyle parce qursquoelle a conscience

de lrsquoincarner mais elle se donne aussi la mission

drsquoen promouvoir la ldquodeacutefense et illustrationrdquo On a

drsquoelle le texte drsquoune confeacuterence qursquoelle fait agrave Ma-

drid en 1941 Il compte plus drsquoune vingtaine de

pages et deacuteveloppe lrsquoideacutee certainement exacte agrave

lrsquoeacutepoque que les chants berbegraveres de Kabylie

sont tout agrave fait meacuteconnus Taos y exprime fiegravere-

ment fermement lrsquoideacutee qursquoelle srsquoest donneacute pour

mission de les faire connaicirctre A lire lrsquoeacuteloge ad-

mirable qursquoelle en fait ce projet a en effet de

quoi la remplir drsquoorgueil et du sentiment de son

importance Une fois de plus dans la famille

Amrouche cela commence par un hommage agrave

24

Il srsquoagit drsquoune mise en forme theacuteacirctrale ou theacuteacirc-

tralisation qui indique bien qursquoon est dans la re-

preacutesentation et non dans la recherche ethnogra-

phique

Le travail artistique accompli par Taos bien

qursquoelle ait sur son fregravere Jean lrsquoeacutenorme avantage

de la langue peut pourtant ecirctre rapprocheacute de la

repreacutesentation de la culture populaire berbegravere

qursquoil a donneacute (par eacutecrit et en franccedilais) dans sa

Preacuteface aux Chants berbegraveres de Kabylie

Les contradictions ont abondeacute tout au long de

ce bref parcours concernant le rapport de la fa-

mille Amrouche agrave la culture populaire berbegravere

Epris lrsquoun et lrsquoautre drsquoauthenticiteacute ils doivent

leurs plus grands succegraves agrave une mise en forme ar-

tistique dont les qualities certaines sont pourtant

drsquoun autre ordre A la reacuteflexion on se dit que ces

attitudes qursquoils ont choisies ou du moins assu-

meacutees sont sans doute la cause de leur impact ou

de leur efficaciteacute aupregraves du public que nous

sommes encore aujourdrsquohui Nous sommes du

cocircteacute de lrsquoart qui nrsquoa pas neacutecessairement le souci

de lrsquoexactitude ethnographique ou ethno-

musicologique

Faut-il affirmer agrave partir de ces deux exemples

prestigieux que la culture populaire la plus vi-

vante et la plus active nrsquoexiste qursquoagrave travers ceux

et celles qui ont tenteacute de lui donner une expres-

sion originale et si lrsquoon peut dire personnaliseacutee

Ce qui ne peut manquer de paraicirctre au moins un

peu contradictoire

Une autre affirmation eacuteventuelle vient agrave lrsquoes-

prit qui nrsquoest pas sans comporter elle aussi une

certaine contradiction crsquoest lorsqursquoils ont expri-

meacute lrsquoideacutee que la culture populaire est morte que

ses plus fervents admirateurs tentent de lui re-

donner viemdashet dans certains cas y parviennent

Bibliographie

AMROUCHE Jean Chants berbegraveres de Kabylie Tu-

nis Monomotapa 1939 reacuteed Paris LrsquoHar-

mattan 1986

AMROUCHE Fadhma Histoire de ma vie Paris

Maspeacutero 1968

AMROUCHE Taos Jacinthe noire Paris Charlot

1947 reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Rue des tambourins Paris La Table Ronde 1960

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1996 (roman)

Et agrave travers toi agrave notre petite Laurence qui te res-

semble qui me relaiera un jour je lrsquoespegravere comme je

te relaie raquo(p7)

Ce sont donc uniquement les meacutelodies au sens

purement musical du mot qursquoon peut juger tregraves

anciennes et milleacutenaires en effet comme le dit le

titre drsquoun des albums de Taos enregistreacutes par

Arion Chants de lrsquoAtlas-Traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie (1971) Il est certain que le pheacute-

nomegravene de transmission a beaucoup joueacute dans

un monde agrave eacutevolution lente ou tregraves lente jus-

qursquoau siegravecle dernier et que les instruments eux-

mecircmes comme la flucircte et le tambourin appar-

tiennent agrave lrsquoAntiquiteacute meacutediterraneacuteenne comme

le montrent de nombreux documents iconogra-

phiques fresques vases grecs etc

Taos a beaucoup contribueacute agrave mettre au jour ce

fonds meacutediterraneacuteen de la musique berbegravere degraves

lors qursquoil lui a eacuteteacute donneacute de deacutecouvrir les affiniteacutes

entres les chants berbegraveres de Kabylie et les chants

espagnols archaiumlques de la Alberca transmis

cette fois non par sa megravere mais par une Espa-

gnole Tia Beatriz vieille brodeuse drsquoEstrama-

doure Lorsque le directeur de la Casa Velasquez

la fait venir agrave Madrid il la met sur la piste drsquoune

recherche passionnante qursquoelle poursuit pendant

les anneacutees 1941-1942 A lrsquoorigine il y a le fait

qursquohistoriquement lrsquoEspagne nrsquoa pas eacuteteacute con-

quise par les Arabes comme on dit souvent

mais en fait par les Berbegraveres qursquoils avaient recru-

teacutes dans leurs armeacutees agrave partir de cette conquecircte

la culture berbegravere nrsquoa pas cesseacute de se deacutevelopper

en Espagne sous les dynasties almoravide et al-

mohade au XIegraveme et au XIIegraveme siegravecles Ainsi

peut-on dire des tregraves nombreux concerts donneacutes

par Taos Amrouche qursquoils sont la reacuteincarnation

et la preacutesence rendue vivante drsquoun passeacute tregraves an-

cien Pour qui a vu Taos chantant sur scegravene ne

serait-ce qursquoen photo et pour qui en a entendu

des enregistrements il est clair que lrsquoimpression

produite est celle paradoxale drsquoun archaiumlsme

encore entiegraverement vivant

Repreacutesentation mise en forme conceptuelle

theacuteacirctrale et artistique (conclusion)

La grandeur et lrsquoeacuteclat de Taos sur scegravene con-

trastent eacutetonnamment avec la tregraves grande simpli-

citeacute des paroles de ses chants Elle ne pouvait pas

ne pas ecirctre consciente de cet eacutecart et srsquoil en est

ainsi crsquoest parce qursquoelle lrsquoa voulu

25

Le Grain magique Paris Maspeacutero 1966 (recueil)

LrsquoAmant imaginaire (sl) Robert Morel 1975

reacuteed Paris Joeumllle Losfeld 1997 (roman)

Solitude ma megravere Paris Joeumllle Losfeld 1995

(roman)

Sur Taos Amrouche

Denise Brahimi Taos Amrouche romanciegravere Paris

Editions Joeumllle Losfeld 1995

Grandeur de Taos Amrouche Alger Chihab 2012

Hommes et femmes de Kabylie Dictionnaire biogra-

phique de la Kabylie Aix-en-Provence Edisud

2001 sous la direction de Salem Chaker tome 1

pp44-63

Revue Awal Numeacutero 39 2009 Paris Maison des

sciences de lrsquohomme Taos Amrouche une feacuteministe

avant lrsquoheure

Sur la famille Amrouche

Etudes litteacuteraires maghreacutebines ndeg12 Sous la direc-

tion de Beiumlda ChikhirdquoJean Taos et Fadhma

Amroucherdquo Paris LrsquoHarmattan 1998

Revue Expressions maghreacutebines Vol9 ndeg1 eacuteteacute

2010ldquoLa famille Amroucherdquo Universiteacute de Barce-

lone Espagne

Enregistrements

Les chants de Taos Amrouche Chants berbegraveres de Ka-

bylie coffret 5 CD

mdash Marseille Lrsquoempreinte digitale 2002 (reacuteeacutedition

inteacutegrale des albums vinyle parus chez Arion

mdash Anthologie officielle en 5 CD accompagneacutee

drsquoun livret de 88 p Freacutemeaux et associeacutes eacutedi-

teurs la Librairie sonore 2009

Dans ces deux eacuteditions les 5 CD ont le mecircme

titre et le mecircme contenu

CD 1 Chants de lrsquoAtlas traditions milleacutenaires des

Berbegraveres drsquoAlgeacuterie

CD 2 Chants espagnols archaiumlques de la Alberca

chants populaires archaiumlques transmis par tradi-

tion orale recueillis en Espagne

CD 3 Incantations meacuteditations danses sacreacutees ber-

begraveres Monodies traditionnelles du pays kabyle

recueillies et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 4 Chants berbegraveres de la meule et du berceau Mo-

nodies traditionnelles du Pays kabyle recueillies

et chanteacutees par Taos Amrouche

CD 5 Taos Amrouche au Theacuteacirctre de la ville Disque

souvenir Publication posthume reacutealiseacutee gracircce agrave

Laurence Bourdil-Amrouche

Jean Giono Propos et Reacutecits 25 entretiens improvi-

seacutes avec Marguerite Taos Arles Phonurgia Nova

eacuteditions INA 5 CD et 1 livre de 120 p 1994 (Collection Les grandes heures de la radio) Seacuterie enre-

gistreacutee du 9 au 22 octobre 1954 et diffuseacutee du 6 janvier

au 30 juin 1955

Le livret comporte une reproduction du portrait de Gio-

no peint par Andreacute Bourdil en 1948 On y trouve aussi

une photo de Taos en 1955

Annonce pour la revue Le Saharien

Le Saharien est une revue culturelle sadressant agrave un public averti et exigeant qui souhaite enrichir sa compreacute-hension du monde saharo-saheacutelien A raison de quatre numeacuteros par an la revue se propose donc doffrir des clefs de compreacutehension de ce monde complexe et mul-tiple dont limportance ne peut ecirctre ignoreacutee non seule-ment en raison de lactualiteacute mais aussi parce que cet espace son histoire ses hommes ont encore beaucoup agrave nous apprendre

Seule revue geacuteneacuteraliste entiegraverement consacreacutee au Sahara elle publie des articles de recherche de bonne lisibiliteacute tout autant que des relations de voyage des documents et des analyses peu accessibles ou des in-formations dinteacuterecirct majeur

Sappuyant sur La Rahla-Amicale des Sahariens association forte de ses 80 anneacutees dexistence de ses 600 membres et de son fonds documentaire exception-nel (bibliothegraveque cartothegraveque ) Le Saharien est une quasi-exception dans le monde des meacutedias speacutecialiseacutes

Diffuseacutee par abonnement dans une douzaine de pays elle peut preacutetendre au statut de revue internatio-nale

Editeacutee par une association reconnue dutiliteacute pu-blique son indeacutependance est le gage de sa continuiteacute

Pour tout renseignement concernant la revue (abonnement achat de numeacuteros ) contact 01 44 92 05 03 ou redactionlesaharienfr

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1 Jean Amrouche Chants berbegraveres de Kabylie Tunis Mo-

nomotapa 1939

2 Fadhma Aiumlt Mansour Amrouche Histoire de ma vie Pa-

ris Maspero 1968

3 Taos Amrouche Le grain magique Paris Maspero

1966

4 Mammeri Mouloud Les Isefra poegravemes de Si-Mohand ou

Mohand Paris Maspero 1969

26

Traditions orales dans lestheacutetique

dAhmadou Kourouma

ZAOURI Rachid

Universiteacute dEl Jadida Maroc

En affirmant laquo coucher par eacutecrit le Grand parler

ce sera notre litteacuterature raquo1 Amadou Hampateacute Bacirc

semble drsquoun seul trait caracteacuteriser le mieux une

tendance essentielle dans la litteacuterature africaine

drsquoexpression franccedilaise Cette affirmation est tout

agrave fait pertinente quand on aborde lrsquounivers roma-

nesque drsquoAhmadou Kourouma Ecrivant dans un

contexte postcolonial le romancier ivoirien

pousse jusqursquoagrave ses ultimes conseacutequences cette

exigence agrave la fois estheacutetique et politique de faire

rejaillir dans leur vif eacuteclat lrsquoidentiteacute et la culture

africaines tregraves loin du discours de lrsquoheacutegeacutemonie

colonialiste Mais paradoxalement ce deacutesir de

reacuteappropriation et de releacutegitimation du discours

sur Soi ne se manifeste qursquoen empruntant la

langue de lrsquoAutre Ce qui drsquoembleacutee inscrit le

projet kouroumien dans le champ de la com-

plexiteacute et de lrsquohybriditeacute A cela srsquoajoute un autre

paradoxe en donnant toutes ses lettres de no-

blesse au patrimoine culturel malinkeacute Kourou-

ma ne saurait ecirctre confondu avec les chantres de

la neacutegritude et les nostalgiques de la Belle

Afrique car le regard qursquoil porte sur les reacutealiteacutes

sociales et politiques des indeacutependances est

drsquoabord et sans concession un regard distant

Pour ainsi dire la volonteacute de reacuteenchantement

estheacutetique du monde est contrebalanceacutee par un

regard ironique tregraves voltairien qui fait passer

lrsquoeacutepaisseur de la parole eacutepique agrave travers le prisme

de lrsquoillusion et du mensonge Cette tension est

particuliegraverement agrave lrsquoœuvre dans Monneacute outrages

et deacutefis De lagrave notre inteacuterecirct pour ce roman drsquoau-

tant plus qursquoil teacutemoigne de ce que Paul Gilroy

appelle la meacutelancolie du postcolonial

La probleacutematique que nous soulevons est la

suivante montrer comment la mimesis de lrsquoora-

liteacute chez Kourouma ne peut ecirctre formuleacutee uni-

quement en termes drsquoemprunt au patrimoine

oral africain (eacutepopeacutee mythes leacutegendes pro-

verbes) mais aussi en termes drsquoinvention et de

subversion entendons ici un effort soutenu de

feacutecondation de lrsquoeacutecrit par les cultures de lrsquooral qui

passe agrave travers une estheacutetique au sens premier de

aesthesis sentir Et drsquoentreacutee de jeu comment

ne pas voir que la maniegravere de sentir chez Kou-

rouma traduit une vision du monde angoisseacutee qui

veut conjurer la violence de lrsquoHistoire par les pou-

voirs de lrsquoironie

Rappelons ici que lrsquoHistoire fait une irruption

violente dans lrsquoimaginaire de Kourouma celle

des indeacutependances dans Soleil des indeacutependances

de lrsquoinstallation coloniale dans Monnegrave et des dicta-

tures africaines dans En attendant le vote des becirctes

sauvages Le texte kouroumien devient de ce fait

lrsquoespace drsquoHistoires mal accordeacutees et ougrave le temps

du Mythe et le temps de LrsquoHistoire se rencontrent

sur le mode drsquoune tonaliteacute grinccedilante Cette reacute-

flexion nrsquoest sans doute pas sans conseacutequence sur

le statut de lrsquooraliteacute subversive que nous abor-

dons dans ces quelques lignes

Pour tirer au clair les axes qui structurent notre

analyse nous nous permettons de suivre une

piste de lecture du roman suggeacutereacute par Kourouma

lui-mecircme qui deacutefinissant sa paratopie creacuteatrice

signale la dette que son texte contracte agrave lrsquoeacutegard

de ses sources orales et neacutegocie son statut drsquoeacutecri-

vain agrave la suite de la figure du maicirctre de la parole

laquo Mon objectif est drsquoecirctre authentiquement africain

Par exemple avec Les Soleils des Indeacutependances je

recherche le modegravele de la palabre africaine+ Cet objet

me permet de traduire la situation en cours Dans

Monnegrave outrage et deacutefi le sujet est une eacutepopeacutee Le pro-

tagoniste eacutetait un roi + le domaine appartient au

griot Jrsquoutilise par conseacutequent la meacutethode des griots raquo

En effet lrsquoestheacutetique narrative dans Monneacute

nrsquoeacutechappe pas agrave cette volonteacute de reseacutemantisation

et de resubstantialisation du grand parler africain

asphyxieacute comme il eacutetait sous la tutelle du logo-

centrisme du discours colonial qui selon les

termes de Louis Jean Calvet a pris les allures

drsquoune glottophagie2 Lrsquoeacutecriture prend la dimen-

sion drsquoun acte de reacutesistance qui fait de lrsquooraliteacute un

lieu meacutemoriel ougrave il est possible de reacuteactiver le

flux de la parole vive Sur le plan symbolique il

recreacutee cette ambiance de lrsquoarbre agrave palabres ougrave le

narrateur mime le geste ceacutereacutemonial du griot tradi-

tionnel dont la voix donne poids et graviteacute agrave la

parole qui en une seule eacutetreinte est agrave la fois

conte chant et rythme Comme le dit J Chevrier

le griot est laquo Celui qui fait revivre le passeacute il est le

narrateur de lrsquohistoire du monde le deacutetenteur de lrsquohis-

toire du monde le deacutetenteur des reacutecits relatifs aux fon-

dations des empires aux geacuteneacutealogies aux faits et aux

gestes des hommes illustresltraquo

27

Cette mecircme deacutefinition le narrateur de Monneacute

la reprend en substance du point de vue de

lrsquointerpregravete Soumareacute qui veut traduire au com-

mandant de la colonie franccedilaise la cardinaliteacute du

griot dans la culture mandingue En effet

laquo Les griots constituent une caste agrave la fois crainte

et meacutepriseacutee dans le Mandingue appeleacutee la caste des

dieacuteli dieacuteli signifie le sang lt+ les griots sont des

fregraveres de sang des nobles Ce sont drsquoauthentiques

nobles dont les aiumleux agrave lrsquoeacutepoque preacuteislamique du Man-

dingue ont accepteacute la deacutecheacuteance pour loanger lt+ les

griots nrsquoeacutetaient pas seulement des paneacutegyristes mais

aussi des entremetteurs des geacuteneacutealogistes et des histo-

riens raquo p41

Cette centraliteacute de la figure du griot est deacuteci-

sive dans les choix estheacutetiques de Kourouma

Dans la mesure ougrave il semble prendre ses dis-

tances avec ce modegravele occidental de la civilisation

du livre et de la raison discursive qui conccediloit le

texte comme espace scripturaire et deacutefinit sa reacute-

ception en termes de lectorat Kourouma ajuste sa

plume agrave la parole du griot il veut placer son texte

dans une affiniteacute amoureuse avec cet heacuteritage

drsquooreilles caracteacuteristique des peuples de la primi-

tiviteacute qui nouent un rapport au monde meacutediatiseacute

par lrsquointuition et de la sensorialiteacute

En lisant Monnegrave on pourrait lire les marqueurs

de lrsquooraliteacute agrave lrsquoœuvre dans le texte comme autant

drsquoaspects drsquoune certaine vernacularisation litteacute-

raire La palabre et son rituel de distribution de la

parole est perceptible au niveau de la polyphonie

des voix qui megravenent la narration Lrsquohistoire est

tour agrave tour raconteacutee agrave partir de diffeacuterents points

de vue celui drsquoun narrateur qui tantocirct est neutre

et anonyme tantocirct srsquoexprime agrave la premiegravere per-

sonne du pluriel mais aussi celui de Djigui et de

djeacuteliba Diabateacute Cette technique produit un

double effet de relativisation et de theacuteacirctralisation

de lrsquoeacutecriture narrative On pourrait eacutegalement

montrer la reacutecurrence des malinkismes les mul-

tiples cas de relexification du franccedilais agrave partir du

malinkeacute Par ailleurs les effets de lrsquooralisation du

texte sont puissamment amplifieacutes par les for-

mules pareacutemiologiques Loin drsquoecirctre laquo accuseacute de

mesquinerie plate et drsquoennui reacutepeacutetitif raquo3 comme le dit

avec regret Alain Rey agrave propos de la fatigue de la

parole proverbiale en contexte occidental lrsquoim-

portance du proverbe chez Kourouma en digne

heacuteritier de sa culture orale nrsquoest plus agrave deacutemon-

trer laquo Le proverbe dit-il Dans en attendant le vote

des becirctes sauvages est le cheval de la parole raquo Qursquoils

expriment une veacuteriteacute gnomique ou qursquoils

srsquoinsegraverent dans une eacutenonciation meacutetaphorique

les proverbes ouvrent les chapitres et les refer-

ment et eacutemaillent le discours du conteur Ils teacute-

moignent du deacutesir de dire vrai et solide Ils sont

les signes du trop-plein de vitaliteacute africaine que

Kourouma recegravele en lui et ougrave se mecirclent leacutegegravereteacute et

sagesse Sur un autre plan la contamination de

lrsquoeacutecrit par lrsquooral est manifeste dans la preacutesence

reacutepeacutetitive des chants qui srsquoinscrivent dans le texte

agrave travers une disposition typographique en ita-

lique Leur freacutequence se justifie par les perfor-

mances griotiques de Djeacuteliba Diabateacute paneacutegy-

riste et coraiumlste de Djigui roi de Soba Leur mo-

dulation permet de percevoir lrsquoentremecirclement de

lrsquoeacutepidictique et de lrsquoeacuteleacutegiaque qui composent

lrsquoeacutepopeacutee tragique des Keiumlta Dans ce sens il est

possible de livre la totaliteacute du roman comme un

chant des Monew Ainsi en est-il lorsqursquoau terme

de sa deacutecheacuteance le Centenaire se voit usurper

son pouvoir par son fils Beacutema pourtant

laquo sorti de sa ceinture de ses urines

Lrsquohippopotame srsquoenvase trop profondeacutement

Pour revenir sur ses pas

La parole du noble est une montagne

Elle ne se reprend pas

La mort est vertu quand la vie est monnegrave raquo

p269

Degraves lrsquoincipit en effet en usant du terme ma-

linkeacute monnegrave intraduisible en langue franccedilaise

kourouma donne agrave voir cette possibiliteacute ougrave la

langue bute sur lrsquoineacutenarrable

laquo Un jour le Centanaire demanda au Blanc

comment srsquoentendait en franccedilais le mot monnegrave

laquo outrage deacutefis meacutepris injures humiliations colegravere

rageuse tous ces mots agrave la fois sans qursquoaucun le tra-

duise veacuteritablement reacutepondit le Toubab qui ajouta

laquo En veacuteriteacute il nrsquoya pas chez nous Europeacuteens une pa-

role rendant totalement le monnegrave malinkeacute raquo p9

Ces quelques lignes suffisent agrave poser les limites

de toute interpreacutetation euphorisante de lrsquoeacutecriture

de lrsquoeacutepopeacutee chez Kourouma Certes chez ce der-

nier il y a un reacuteel souci de lrsquoauthenticiteacute qui se

traduit par lrsquourgence drsquoune deacutelimitation du

champ imaginaire de lrsquoidentification4qui le rap-

proche par exemple drsquoun eacutecrivain tel que djebril

Tamssir Diane qui dans Soundjata ou lrsquoeacutepopeacutee man-

dingue srsquoinscrit dans une apologie de lrsquoeacutepopeacutee

africaine et manifeste un reacuteel deacutesir drsquoanoblisse-

ment du griot en donnant donner vie et souffle agrave

28

la geste de Soundjata dans une absolue confiance

dans la pureteacute et la veacuteriteacute des mythes de la fonda-

tion de la dynastie mandingue Djeacutebril Tamssir

Diane fait encore sienne cette vision classique de

lrsquoeacutepopeacutee qui fait coiumlncider le substrat narratif et la

fonction ideacuteologique en preacutesentant le heacuteros fon-

dateur comme lrsquoincarnation heacuteroiumlque des valeurs

de la communauteacute Kouroma srsquoinscrit en faux

contre cette reacuteeacutecriture neacutegro-africaine de lrsquoeacutepopeacutee

Dans la mesure ougrave il est rattrapeacute par le poids de

lrsquoHistoire il nrsquoest plus possible drsquoentendre ce

chant harmonieux que composent la voix des an-

cecirctres fondateurs des totems tuteacutelaires et celles

des hommes Le monde que raconte lrsquoeacutepopeacutee est

un monde clos et hieacuterarchiseacute Or le monde que

veut dire Monneacute est entameacute par une deacutechirure

irreacuteparable une blessure incicatrisable un

monde acosmique en perte vertigineuse de ses

repegraveres celui drsquoune Afrique violemment expro-

prieacutee de son foyer de leacutegendes et de mythes Le

contact avec la colonisation se fait dans lrsquohumilia-

tion Le chant des monnew devient ainsi le chant

de cygne drsquoun monde agrave tout jamais deacuteserteacute par la

pureteacute et la verticaliteacute heacuteroiumlque La deacuteterritoriali-

sation impose degraves lors le choix drsquoune autre parole

pour dire lrsquoidentiteacute humilieacutee morceleacutee abacirctar-

die

laquo La voix qui a dit des heacuteros comme Samory et

ses sofas des heacuteros comme vous Keita ne srsquohonorera

pas et ne vous honorera pas agrave dire ceux qui viendront

apregraves vous ceux qui vivront sur une terre conquise

Avec la fin de Samory a fini la vaillance donc la grio-

terie La soumission lrsquoesclavage et la lacirccheteacute dont

viendra maintenant lrsquoegravere nrsquoont pas besoin de

louanges le silence le regret la nostalgie leur sieacuteront

mieux que la cora du griot raquo p15

Cette crise du modegravele de la leacutegitimiteacute heacuteroiumlque

impulseacutee par lrsquoeffritement du sol qui abritait lrsquoan-

cienne table des valeurs entraicircne lrsquourgence chez

Kourouma de reacuteeacutecrire lrsquoeacutepopeacutee en infleacutechissant

son style et ses motifs par le truchement de la pa-

rodie Lrsquoeacutepopeacutee ne tire plus sa substance du

monde de la leacutegende mais de celui de lrsquoHistoire

raconteacutee du point de vue des vaincus Selon D

Madeleacutenat laquo la parodie exhibe la tension entre une

forme archaiumlque et lrsquoeacutevolution drsquoune culture elle

tourne en deacuterision lrsquoancien agrave partir du moderne raquo5

Le griot confirme cette vision des choses quand il

dit laquo nous griots nous savons que l rsquohistoire ne se

reacutepegravete pas sous la mecircme forme raquo p186 Avec Dji-

gui prend fin en un ultime fracas la saga des

Keita qui laquo descendaient de soundiata lrsquoempereur

leacutegendaire unificateur du Mandingue raquop186 Lagrave ougrave

lrsquoAlmamy Samory choisit de reacutesister agrave lrsquoarmeacutee

coloniale jusqursquoagrave la deacutefaite finale Djigui lui

srsquoinscrit dans la logique de la survie laquo jrsquoeacutetais une

chegravevre attacheacutee agrave un pieu obligeacute de brouter dans le lieu

ougrave je broutais raquo p33 En acceptant les ambiguumliteacutes

du double langage tenu par lrsquointerpregravete Soumareacute

son fregravere agrave plaisanterie il entre en collusion avec

la nouvelle reacutealiteacute coloniale ougrave la preacuteservation de

son trocircne est tributaire de la perpeacutetuation du deacute-

gueacute rituel de la soumission qursquoil doit accomplir

au keacutebi chaque vendredi afin de precircter alleacutegeance

aux laquo nazaras raquo Sa trajectoire comme celle de Fa-

ma de Soleil des indeacutependances est celle drsquoune deacute-

cheacuteance sans appel jusqursquoagrave lrsquoeacutemasculation du

nom propre laquo djigui signifie en malinkeacute le macircle soli-

taire lrsquoancien chef de bande de fauves chasseacute de la

bande par un jeune rejeton devenu plus fort raquo p159

p159 paragraphe ajouteacute+Le sursaut drsquoorgueil ne

lui revient que de deux maniegraveres La premiegravere se

fait sur le registre heacuteroiuml-comique au sens ougrave la

parodie reprend des eacuteleacutements triviaux dans un

style sublime djigui apregraves quarante ans de colla-

boration tel Don Quichotte combattant les mou-

lins agrave vent reprend son surnom de guerre Keacuteleacute-

massa agrave la tecircte drsquoune petite armada de vieillards

et drsquoinvalides pour signifier la boribana ou fin de

reculades La seconde prend un aspect tragique agrave

travers la mort-suicide du dernier roi de Soba

Les atroces reacutefeacuterents de lrsquoHistoire appellent agrave

leur suite lrsquoaffolement le travestissement des

signes Dupliciteacute mensonge fausseteacute sont les

maicirctres mots drsquoun monde hybride ougrave la vieille

entente entre les mots et les choses en terre man-

dingue se deacutefait Face agrave cet ultime abacirctardisse-

ment de lrsquoeacutepopeacutee Kourouma pose agrave nouveaux

frais question du statut du griot Apregraves la deacutefaite

lorsque djigui demande agrave Diabateacute de rester agrave Soba

ce dernier prend acte de la fin de la grioterie suite

agrave la perte du foyer de sens qui alimente la parole

eacutepique laquo Je ne peux pas les cordes de ma cora ne

vibrent plus jrsquoai oublieacute la geacuteneacutealogie des grandes fa-

milles ma voix srsquoest eacuteteinte Seul me convient le la-

bourlt+nous retournons agrave la terre quand les horon

(les nobles) et les fama (les princes) cessent drsquoecirctre des

heacuteros raquo p43

Lrsquoon assiste degraves lors agrave ce qursquoon pourrait appeler

lrsquoexil du griot Exil au sens romantique de la

29

perte de la Heimat Si la grioterie peut avoir un

droit agrave lrsquoexistence crsquoest agrave travers le divorce drsquoavec

les univers de la qualiteacute et le basculement dans

les univers du trucage et de lrsquoaffabulation Diaba-

teacute ne consent agrave rester au service du roi de Soba

qursquoapregraves ecirctre gratifieacute drsquooffrandes En contrepartie

il doit recomposer le nouveau chant des Keita sur

fond de deacutefaitisme absolu Si La grioterie conti-

nue son bout de chemin crsquoest en se prostituant

Le griot srsquoinscrit degraves lors dans un rapport fraudu-

leux agrave la meacutemoire sa parole tombe ainsi dans la

facticiteacute du monde Drsquoougrave la neacutecessiteacute drsquoinventer

un langage qui dit agrave la fois la vacuiteacute du monde

et le deacutesir de le renommer Un langage qui privi-

leacutegie lrsquoenvoucirctement du verbe agrave la triste veacuteriteacute de

lrsquoHistoire

laquo Je rejoins mon Konia lt+ apprendre les nou-

velles veacuteriteacutes Lrsquoinfini qui est au ciel a changeacute de pa-

roles le Mandingue ne sera plus la terre des preux Je

suis un griot et donc homme de la parole Chaque fois

que les mots changent de sens et les choses de sym-

boles je retourne agrave la terre qui mrsquoa vu naicirctre pou tout

recommencer reacuteapprendre lrsquohistoire et les nouveaux

noms des hommes des animaux et des choses Dans

mon Konia natal jrsquoobserverai pour reconnaicirctre les

nouveaux symboles et recommencerai lrsquoexistence pour

retrouver les nouvelles appellations du soleil de la

lune du courage de la passion de la lacirccheteacute lt+ de

lrsquoheacuteroiumlsme et celles des grands clans du Mandingue raquo

p42

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du

deacutesir de lrsquoœuvre Contrairement au chant de la

neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du mythe drsquoacircge

drsquoor et qui veut tirer un trait allegravegre sur la vio-

lence de lrsquoHistoire Kourouma ne croit pas agrave cette

Afrique fantasmeacutee il cultive une surconscience agrave

la fois identitaire et linguistique Il est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Il y a urgence

donc agrave le transfigurer par le processus de la creacutea-

tion qui dirait les multiples et inquieacutetants visages

de lrsquoAfrique une Afrique du possible qui srsquoouvre

agrave lrsquoeacutenigme de son destin par delagrave les grands nau-

frages de lrsquoHistoire

Conclusion

Ce passage est agrave notre sens reacuteveacutelateur des en-

jeux de lrsquoeacutecriture chez Kourouma en contexte

postcolonial La conscience aigueuml de lrsquoexil et de la

seacuteparation avec lrsquoorigine remet lrsquoartiste sur le che-

min de la quecircte de sa propre authenticiteacute Le re-

tour au pays natal est ainsi une meacutetaphore du deacute-

sir de lrsquoœuvre Dans lrsquoimaginaire de Kourouma

lrsquoAfrique nrsquoest pas fantasmeacutee contrairement au

chant de la neacutegritude qui croit agrave la possibiliteacute du

mythe drsquoacircge drsquoor et veut tirer un trait allegravegre sur

lrsquohistoire coloniale Le romancier est conscient

qursquoil ne retrouvera jamais le visage pur de

lrsquoAfrique Ce visage a eacuteteacute deacutefigureacute Deacutefiguration

qui nrsquoest pas meacutetissage mais hybriditeacute au sens

latin de hibrida bacirctard et au sens grec de hybris

la deacutemesure De lagrave la neacutecessiteacute de reacuteinventer

lrsquoidentiteacute non en termes de nature et drsquoessence

mais en termes drsquoune poeacutetique de la relation

1 Amadou Hampateacute Bacirc citeacute par Anne Douaire laquo Intro-

duction raquo Oraliteacutes subversives (ouvrage collectif dirigeacute

par Anne Douaire) Rennes Presses Universitaires de

Rennes 2004 p 10

2 Voir Louis Jean Calvet Linguistique et colonialisme

petit traiteacute de glottophagie

Hachette laquo Pluriel raquo 1999

3 Alain Rey Preacuteface au dictionnaire de proverbes et de

dictons le Robert 1980

4 Pierre Halen dans son article laquo Le lsquosystegraveme litteacuteraire fran-

cophonersquo quelques reacuteflexions compleacutementaires raquo deacutefinit les

laquo zones imaginaires drsquoidentification raquo comme laquo des reacuteservoirs

seacutemiologiques alimentant les speacutecifications culturelles agrave lrsquoen-

trance du francophone dans le champ central raquo (in Lieven

drsquoHulst et Jean-Marc-Moura Les eacutetudes litteacuteraires franco-

phones p 28

5 p188

30

Editions

2019 ALLIOUI Youcef Idir ou Le Messager de Jugurtha Coll Preacutesence berbegravere Harmattan2019

BAIumlDA Jamaacirc Il eacutetait une fois Toumliline Archives du Maroc et CCME 2019

BENKLOUA Abderrahmane Mostaganem dure enfance en Algeacuterie LrsquoHarmattan 2019

BERTRAND Georges A Les Deacuteracineacutes de la grande Ile Le Lys bleu eacuteditions 2019

HALLIT-BALABANE Aiumlda Un parfum de Zaizafoun Paris LrsquoHarmattan 2019

LAZRAC Rachid Jeacutesus grande figure biblique du Coran La croiseacutee des chemins et lrsquoHarmattan 2019

MOURA Jean-Jacques (dir) Silvia Contarini et Claire Joubert Penser la diffeacuterence culturelle une anthologie

transculturelle Editions Mimeacutesis 2019

NABLI Mustapha Kamel Jrsquoy crois toujours Sud Editions 2019

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise III D-F Les Indes savantes 2019

SAYAGH Saiumld LrsquoAutre juive (reacuteeacuted) Jean-Claude Taiumleb eacutediteur 2019

TREFFEL Freacutedeacuteric La Tentation de lrsquoAfrique neacuteo-neacutegritude afropolis mondialiteacute Paris Honoreacute Cham-

pion 2019

YOUMNI Abdelghani Le Maroc et ses riverains meacutediterraneacuteens Histoire et perspectives meacutediterraneacuteennes

LrsquoHarmattan 2019

ZAMANE Quand le Portugal a coloniseacute le Maroc ndeg 101 avril 2019

2018 AHMAD Aeham Le Pianiste de Yarmouk La Deacutecouverte 2018

AMSELLE Jean-Loup et Souleymane Bachir Diagne En quecircte drsquoAfrique(s) universalisme et penseacutee deacutecolo-

niale Albin Michel 2018

ANDRE Sylvie Pour une lecture postcoloniale de la fiction reacutealiste Honoreacute Champion 2018

ASSOULINE Pierre Retour agrave Seacutefarad Gallimard 2018

BACHI Salim Un jeune homme en colegravere Gallimard 2018

BEAUD Steacutephane La France des Belhoumi La Deacutecouverte 2018

BEN JELLOUN Tahar La Punition Gallimard 2018

CUNARD Nancy Negro Anthology Nouvelles eacuteditions Place 2018

DE MONTAIGNE Tania LrsquoAssignation Les Noirs nrsquoexistent pas Grasset 2018

DJEMAI Abdelkader Le Jour ougrave Peleacute Ed Le Castor astral 2018

FANON Frantz Œuvres II La deacutecouverte 2018

JAY Salim Dictionnaire des romanciers algeacuteriens La Croiseacutee des chemins 2018

KEPEL Gilles Sortir du chaos Esprits du monde Gallimard 2018

LE CLEZIO JMG Bitna Sous le ciel de Seacuteoul Stock 2018

MANNING Patrick Histoire et culture de la diaspora africaine Preacutesence africaine 2018

MARYNOWER Claire LrsquoAlgeacuterie agrave gauche PUF 2018

MORRISON Toni LrsquoOrigine des autres Christian Bourgois 2018

NOUDELMANN Franccedilois Edouard Glissant lrsquoidentiteacute geacuteneacutereuse Flammarion 2018

RAHARIMANANA Revenir Rivages 2018

ROGERS Dominique et Boris Lesueur Sortir de lrsquoesclavage Karthala 2018

2017 ABDEL-SAMAD Hamed Le Fascisme islamique Grasset 2017

ADIMI Kaouther Nos richesses Seuil 2017

AUDOIN-ROUZEAU Steacutephane Une Initiation Rwanda 1994-2016 Seuil 2017

AUGIER Justine De lrsquoardeur histoire de Razan Zaitouneh Actes Sud 2017

BACHI Salim Dieu Allah moi et les autres Gallimard 2017

31

BALDWIN James et Raoul Peck I am not your negro Robert Laffont 2017

BARR James Une Ligne dans le sable le conflit franco-britannique qui faccedilonna le Moyen-Orient Ministegravere de la

deacutefense Domaine eacutetranger Perrin 2017

BELL Gertrude En Syrie Bartillat 2017

BICHET Yves Indocile Mercure de France 2017

BINEBINE Mahi Le Fou du roi Stock 2017

BLACHERE Emile Des fleurs sur des cadavres Plon 2017

BOUCHERON Patrick (dir) Histoire mondiale de la France Seuil 2017

BOUDJEDRA Rachid La deacutepossession Grasset

BOUMEDIENE Samir La Colonisation du savoir un histoire des plantes meacutedicinales du Nouveau Monde Des

mondes agrave faire 2017

CECCATY Reneacute de Enfance dernier chapitre Gallimard 2017

CHAMOISEAU Patrick Fregraveres migrants Seuil 2017

CONDE Maryse Le Fabuleux et triste destin drsquoIvan et Ivana JC Lattegraves 2017

COULIBALY Adama Le Postmodernisme litteacuteraire et sa pratique chez les romanciers francophones en Afrique

noire LrsquoHarmattan

DAOUD Kamel Mes Indeacutependances chroniques Actes sud 2017

DAOUD Kamel Zabor ou les psaumes Actes Sud 2017

FELLOUS Colette Piegraveces deacutetacheacutees Gallimard 2017

FREMEAUX Jacques La Question drsquoOrient (reacuteeacuted) CNRS eacuteditions 2017

GIRAUD Brigitte Un Loup pour lrsquohomme Flammarion 2017

GOEBEL Michael Paris capitale du tiers-monde Editions La Deacutecouverte 2017

GRUZINSKI Serge La machine agrave remonter le temps Fayard 2017

HANNE Olivier Les Seuils du Moyen-Orient Editions du Rocher 2017

JEANNENEY Jean-Noeumll et Jeanne Gueacuterout (dir) LrsquoHistoire de France vue drsquoailleurs Les Aregravenes 2017

JENNI Alexis La Conquecircte des icircles de la terre ferme Gallimard 2017

QUELLA-VILLEGER Alain Ailleurs et libre errant Le Carrelet Editions 2017

LAABI Abdelatif Petites lumiegraveres eacutecrits La Diffeacuterence 2017

LACHENAL Guillaume Le Meacutedecin qui voulut ecirctre roi sur les traces drsquoune utopie coloniale Seuil 2017

LAMOUREUX Geacuterard (eacuted) Cent ans de poeacutesie en Guadeloupe une anthologie 1911-2017 Editions Long

Cours 2017

LAROUI Fouad Lrsquoinsoumise de la Porte de Flandre Julliard 2017

LEBDAI Benaouda Afrique litteacuteraire entretiens reacuteflexions critiques ENAG 2017

LEBLANC Guillaume et Fabienne Brugegravere La Fin de lrsquohospitaliteacute Flammarion 2017

LE CLEZIO JMG Alma Gallimard 2017

LE DANTEC Jean-Pierre Le Disparu Gallimard 2017

LOVEJOY Paul Une Histoire de lrsquoesclavage en Afrique Karthala 2017

MABANCKOU Alain (dir) Penser et eacutecrire lrsquoAfrique aujourdrsquohui Seuil 2017

MAJDALANI Charif LrsquoEmpereur agrave pied Seuil 2017

MINOUI Delphine Les Passeurs de livres de Daraya Seuil 2017

NAJEEB Michaeel Sauver les livres et les hommes Grasset 2017

OWUOR Yvonne Adhiambo La Maison au bout des voyages Actes sud 2017

PAUTOT Serge France-Algeacuterie du cocircteacute des deux rives LrsquoHarmattan 2017

PHELINE Christian et Agnegraves Spiquel-Courdille Camus militant communiste Gallimard 2017

PRUDHOMME Florence (dir) Cahiers de meacutemoire Kigali Classiques Garnier 2017

ROGOZINSKI Jacob Djihadisme le retour du sacrifice Descleacutee de Brouwer 2017

RUSCIO Alain (dir) Encyclopeacutedie de la colonisation franccedilaise vol C Indes savantes 2017

SLIMANI Leila Sexe et mensonges la vie sexuelle au Maroc Aregravenes eacuteditions 2017

TAIA Abdellah Celui qui est digne drsquoecirctre aimeacute Seuil 2017

ZEGHIDOUR Slimane Sors la route trsquoattend Les Aregravenes 2017

ZENITER Alice LrsquoArt de perdre Flammarion 2017

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Autrement Mecircmes Paris LrsquoHarmattan

TITRES REacuteCENTS

2019 BERSOT Daniel Sous la chicote nouvelles congolaises preacutesentation de Patrice Yengo 2019 ISBN 978-2-343

-17232-3

BOURGEOIS Prosper et Anicet Les Massacres de Saint Domingue ou LrsquoExpeacutedition du geacuteneacuteral Leclerc preacute-

sentation de Barbara T Cooper 2019 ISBN 978-2-343-17562-1

DORVIGNY Louis-Franccedilois Archambaud dit Le Negravegre blanc preacutesentation de Sylvie Chalaye 2019 ISBN

978-2-343-16669-8

MILLE Pierre et Andreacute Demaison La femme et lrsquohomme nu preacutesentation de Roger Little 2019 ISBN 978-2-

343-16597-4

2018 BEYE Ben Diagaye et Boubacar Boris Diop Thiaroye 44 preacutesentation de Martin Mourre 2018 ISBN 978-

2-343-14708-6

BLOCH Jean-Richard Cacaouegravetes et bananes preacutesentation de Roland Roudil 2018 ISBN 978-2-343-14061-

2

DRUM Henri La fille de Kondeacute preacutesentation de Theacuteregravese de Raedt 2018 ISBN 978-2-343-16134-1

DURAND Oswald Terre noire preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14262-3

DURAND Oswald Vertiges Pellobelleacute gentilhomme soudanais preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN

978-2-343-14263-0

GRAND PRIX de litteacuterature coloniale I et II preacutesentation de Vladimir Kapor 2018 ISBN 978-2-343-13880

-0

MALOUET Pierre-Victor Meacutemoire sur lrsquoesclavage des Negravegres preacutesentation de Carminella Biondi 2018

ISBN 978-2-343-16123-5

MARAN Reneacute Nouvelles africaines et franccedilaises preacutesentation de Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14966-0

NOLLY Emile Gens de guerre au Maroc preacutesentation de Geacuterard Ghalaye avec la collaboration de Guy

Riegert et Roger Little 2018 ISBN 978-2-343-14999-8

SCRIBE Eugegravene Le Code noir preacutesentation drsquoOlivier Bara 2018 ISBN 978-2-343-15444-2

THEAULON Dartois et Brasier La Veacutenus hottentote ou Haine aux Franccedilaises preacutesentation de T Denean

Sharpley-Whiting 2018 ISBN 978-2-343-15439-8

VANDERBURCH Emile et Charles Sewrin Seacuteliko ou le petit negravegre preacutesentation de Barbara T Cooper

2018 ISBN 978-2-343-15007-9

2017 ANTHOLOGIE Nouvelles antillaises du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Barbara T Cooper avec la collabora-

tion de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-09575-2

AUDE Joseph et autres auteurs Gens de couleur dans trois vaudevilles du XIXegrave siegravecle preacutesentation de Lise

Schreier 2017 ISBN 978-2-343-11238-1

DELAVIGNETTE Robert Meacutemoires drsquoune Afrique franccedilaise I et II preacutesentation drsquoAnthony Mangeon avec

la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-343-11663-1

TRAVERSAY Auguste Preacutevost de Sansac de Les Amours de Zeacutemeacutedare et Carina et la description de lrsquoicircle de

la Martinique preacutesentation de Jacqueline Couti avec la collaboration de Roger Little 2017 ISBN 978-2-

343-1279-3

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2016 ANTIER Benjamin et Alexis de Comberousse Le Marcheacute de Saint-Pierre meacutelodrame en cinq actes suivi de

nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-09918-7 2016

AUTEURS VARIES Les colonies ont la parole une anthologie preacutesentation de Carminella Biondi avec la

collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-09854-8 et 978-2-343-09855-5 2016

AUTEURS VARIES Les tirailleurs seacuteneacutegalais vus par les Blancs anthologie drsquoeacutecrits de la premiegravere moitieacute

du XXegrave siegravecle choix et preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-09575-2 2016

BARTHE Franccedilois Oxiane ou La Reacutevolution de Saint-Domingue preacutesentation de Marshall C Olds et Sarah

V Meacutecheneau ISBN 978-2-343-09588-2 2016 BERTRAND Louis Le Sang des races preacutesentation de Peter Dunwoodie ISBN 978-2-343-08776-4 2016

CARIO Louis et Charles Reacutegismanset LrsquoExotisme la litteacuterature coloniale preacutesentation de Patrick Crowley

avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-08510-4 2016

ESME Jean drsquo LrsquoHomme des sables preacutesentation de Justin Izzo avec la collaboration de Roger Little ISBN

978-2-343-08917-1 2016

MARCELIN Freacutedeacuteric Marilise roman haiumltien preacutesentation de Michegravele U-Kenfack ISBN 978-2-343-09901-

9 2016

2015 BARATIER Colonel Albert A travers lrsquoAfrique preacutesentation drsquoAntoine Champeaux avec la collaboration

de Roger Little ISBN 978-2-343-05652-4 2015

BARATIER Colonel Albert Epopeacutees africaines preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-05651-7 2015

CARNOT Hippolyte Gunima nouvelle africaine du XVIIIegrave siegravecle preacutesentation de Sarah Davies Cordova et

Antoinette Sol ISBN 978-2-343-07089-6 2015

DUGOUJON Lrsquoabbeacute Casimir Lettres sur lrsquoesclavage et lrsquoabolition dans les colonies franccedilaises 1840-1850 preacute-

sentation de Nelly Schmidt avec la collaboration de Roger Little ISBN 978-2-343-07468-9 2015

SAINT-GEORGES Henry de et Hippolyte Monpou Le Planteur opeacutera-comique en 2 actes preacutesentation

de Barbara T Cooper ISBN 978-2-343-07120-4 2015

NOLLY Emile Le Conqueacuterant journal drsquoun indeacutesirable Au Maroc preacutesentation de Guy Rieacutegert avec la colla-

boration de Roger Little ISBN 978-2-343-07466-5 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie En Algeacuterie preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Roger

Little ISBN 978-2-343-06556-4 2015

PAUL-MARGUERITTE Lucie Tunisiennes preacutesentation de Denise Brahimi avec la collaboration de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-07843-4 2015

2014

CHARBONNEAU Louis Contes drsquoAEF 1880-1910 ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits preacute-

sentation de Roger Little ISBN 978-2-343-0246-6 2014

CHARBONNEAU Louis Mambu et son amour avec de nombreux documents ineacutedits preacutesentation de Ro-

ger Little ISBN 978-2-343-02463-9 2014

CHARBONNEAU Louis Fiegravevres drsquoAfrique suivi de reacutecits ineacutedits La Duchesse La Recluse et Minne Water

lac drsquoamour (extraits) preacutesentation de Roger Little avec la collaboration de Claude Achard ISBN 978-2-343

-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Marikiri au paradis des becirctes ouvrage ineacutedit accompagneacute de documents ineacutedits

preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02851-4 2014

CHARBONNEAU Louis Jean Rouquier la voix du sang preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-

02850-7 2014

CHARBONNEAU Louis Azizeacute amours tropicales I preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-343-02771-5

2014

CHARBONNEAU Louis LrsquoOrchideacutee noire amours tropicales II preacutesentation de Roger Little ISBN 978-2-

343-02772-2 2014

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Agenda

Colloques - Rencontres - Appels agrave communication Pour de plus amples informations se reporter au site httpwwwfabulaorg

Du 29 aoucirct au 5 septembre 2020 CERISY la salle (France) Chacircteau Colloque du centenaire de la

naissance de Mohammed Dib

13-14-15 novembre 2019 FEZ (Maroc) Faculteacute des Lettres Laboratoire Langues repreacutesentations

et estheacutetiques Colloque international La rencontre Europe-Afrique dans la litteacuterature romanesque

25-27 septembre 2019 AIX-en-PROVENCE (France) Aix-Marseille universiteacute Colloque 2015 de

lrsquoAPELA Archives mateacuterielles traces meacutemorielles amp litteacuteratures des Afriques

15 juillet 2019 TLEMCEN (Algeacuterie) faculteacute des lettres et des langues colloque Dynamique des

langues des discours et des cultures en contexte meacutediterraneacuteen

Juin 2019 Date exacte agrave deacuteterminer IFRANE (Maroc) Universiteacute Al Akhawayn Rencontres

litteacuteraires francophones Paysages litteacuteraires francophones de lrsquoAtlas marocain

Du 23 au 24 mai 2019 BREST (France) Sociability Colloque du GIS Sociabiliteacutes Les Espaces de

sociabiliteacute au cours du long XVIIIegrave siegravecle (1650-1850) en Europe et dans les empires coloniaux ap-

proches historiques et perspectives actuelles

21-23 mai 2019 PARIS (France) et Yaoudeacute (18-23 feacutevrier 2019) ENS Echanges Yaoundeacute-Paris

Travaux interdisciplinaires communs Langues textes œuvres culture et deacutecentrement

Du 15 mai au 18 mai 2019 GARGNANO (Italie) Global Congo Politiques et estheacutetiques drsquoune

litteacuterature mondiale 2000-2019

13 mai 2019 PARIS (France) INHA 2 rue Vivienne 2egrave Reacutevoltes reacutevolutions et performance au

Proche et Moyen Orient au 21egrave siegravecle

7 mai 2019 MACERATA (Italie) Universiteacute Fecircte de la lecture 2019 Lectures drsquohier et drsquoaujour-

drsquohui La Traite neacutegriegravere laquo On a cloueacute un peuple aux bateaux de haut bord raquo

6-7 mars 2019 BENI MELLAL (Maroc) Universiteacute Sultan Moulay Slimane Faculteacute des Lettres

et Sciences humaines Fouad Laroui eacutecrivain transculturel

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