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LE CORPS À L’ÉCRAN

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Éditions de la Pleine Lune223, 34e AvenueLachine (Québec)h8t 1z4

www.pleinelune.qc.ca

Maquette de la couvertureNicole Lafond

Illustration de la couvertureAriane Thézé, extrait du vidéogramme Garde à vue, 1994

Photo de l’auteureRaphaël Thézé

Mise en pagesJean Yves Collette

Illustrations des pages intérieures Œuvres d’Ariane Thézé

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Ariane Thézé

Le Corps à l’écranLA MUTATION DE L’IMAGE DU CORPS

PAR L’ART ÉCRANIQUE

essai

Pleine lune

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Les Éditions de la Pleine Lune remercient le Conseil des arts du Canada ainsi que la Sodec, Société de développement

des entreprises culturelles, pour leur soutien financier.

ISBN 978-2-89024-165-3 (papier)ISBN 978-2-89024-266-1 (pdf)

© Les Éditions de la Pleine Lune 2005Dépôt légal – premier trimestre 2005Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

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Je dédie ce livre à Pierre Thézé, mon père. Il m’a appris à apprendre et a toujours suivi avec grand intérêt l’évolution de mon travail. Sa vie s’est arrêtée avant qu’il n’en devienne l’un des premiers lecteurs.

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Le Chant des sirènes, 2001*

Voir la table des illustrations en page 271.

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NOUS sommes entourés d’écrans ; viendra le temps où il y a aura autant d’écrans que d’images. Dans

une réalité dorénavant placée sous l’emprise du contrôle techno-économique, le corps sera notre dernier paysage naturel. Mais il y a une nouvelle expérience du corps : les stimuli ont été acheminés et transformés par des relais artificiels (à prédominance visuelle et sonore) et non plus par des organes sensoriels. Ainsi l’écran est devenu un organe sensoriel prosthétique : les expériences que nous construisons à partir de stimulations écraniques ont pour effet de modifier notre façon dite « naturelle » de construire nos expériences. Le corps à l’écran, dans la création photographique et vidéographique d’Ariane Thézé, ce n’est pas seulement l’aspect du corps humain à l’intérieur du cadre rectangulaire d’un écran cathodique, plasma ou cinématographique, c’est le corps à l’époque de l’écran. Pour paraphraser Walter Benjamin : c’est l’œuvre d’art à l’époque de la reproduction écranique.

Cet ouvrage, Le Corps à l’écran, traite des effets de la médiation de l’écran sur la perception de notre propre corps. Ariane Thézé nous propose une approche directe de la problématique de l’autoportrait par le biais de son œuvre personnelle, tout en évoquant au passage ses grandes admirations : Morimura, Orlan, Decouflé, Boltanski, Alain Pelletier, Ulrike Rosenbach, etc. Tout en se plaçant

Préface

LA DÉPRISE DU CORPS CHEZ ARIANE THÉZÉ

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10 le corps à l’écran

d’emblée dans cette filiation d’artistes contemporains, Ariane Thézé nous invite à prêter attention au déplacement iconique du corps dans l’art. Car, comme le dit Thézé, « ce n’est plus le même corps ». Approfondissant la réflexion sur le rôle de médiation que cette nouvelle image du corps joue dans le rapport à soi, elle s’appuie sur ses propres expérimentations plastiques pour explorer la dimension émotionnelle de notre rapport à l’image du corps.

Ce qui est en jeu, sans théâtralité, c’est la façon même de représenter le corps, la saisie et la définition du corps. Le postulat de l’artiste est le suivant : c’est l’émotion et non la technologie qui transforme le corps. Au gré de ses manipulations de l’image, elle fait état d’une émotivité du corps lui-même, de la puissance d’émotion qu’il contient, lorsque ce corps devient une membrane plastique, étirée par l’affect. Les effets d’étalement sur support-écran sont métaphoriques des mouvements pathémiques. Corps mouvant, déformé, aux frontières incertaines, qui redessine ses contours et perd sa netteté au gré des humeurs. Ce corps allotropique devient une métaphore des processus de contamination et réplication, de mimétisme et prolifération, où les images n’ont de cesse d’appeler d’autres images. La mise à plat du corps dans l’ostentation écranique fait de celui-ci un espace de circulation des images : le corps lui-même a la fluidité des images à l’écran, se prête aux acrobaties du montage et s’expose au clignotement des flux électroniques.

Ainsi, l’écran n’est pas seulement l’extension du psychisme, il prend corps – ce que Eisenstein avait jadis entrevu. Nous vérifions le postulat poststructural : nous sommes des êtres de surface. De quelle surface s’agit-il ? Nous le savons maintenant, c’est l’écran. Le corps n’est pas un sujet qui choisit d’émettre un message, il n’est pas davantage un auteur qui entreprend de produire un énoncé biographique ; c’est un élément constitutif de la communication, c’est un signifiant qui donne une valeur concrète à tout ce qu’il touche. Ainsi le corps à l’écran

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11préface

semble une stratégie d’incarnation de l’écran, lequel se donne comme une peau médiatique qui saurait envelopper tout le corps.

Ariane Thézé met en œuvre un corps bientôt déformé, fragmenté et laminé. Dans cette expérience-limite, pouvons-nous encore le désigner en tant que corps ? D’où les expérimentations de l’artiste sur les figures du retrait et de la dérobade. Est-ce une expérience de l’être ? Il s’agit plutôt d’une épreuve : le corps entre dans l’irreprésentable où il cesse d’être forme corporelle. Quelle est cette expérience moderne où le corps n’a plus la cohérence organique d’une forme ? Où la dimension corporelle échappe aux modes traditionnels de la représentation ? Car le corps, dorénavant, exige de renouveler les modes de représentation, il exige de superposer au fait brut de se montrer (qui appartient déjà à une stratégie culturelle d’élaboration du sujet) la contre-proposition d’un rien à montrer. L’exhibition du corps, qui appartenait depuis toujours à une visée humaniste de fondation de l’être humain, rencontre soudain un déni d’humanité. Ce corps anonyme et froid se trouve bientôt désincarné, morcelé, démembré, recadré, oblitéré, pixellisé, diaphanisé – toujours hors-champ et maintenu à l’écart. Il ne s’agit pas d’une sublimation dans la blancheur et le silence mais, bien plutôt, d’un désistement de soi dans une obscurité bourdonnante.

Ce qui, depuis toujours, donne sa profondeur au corps, c’est d’être surface d’inscription de la mémoire – de se constituer palimpseste des mémoires enregistrées et superposées. Ariane Thézé marque sa préférence pour les mémoires hantées par un imaginaire de la ruine – comme nous pouvons le voir de certaines évocations de Rennes, en Bretagne, et d’autres lieux. Elle ne cherche pas à reconstruire la mémoire intimiste d’une subjectivité blessée, elle cultive une mémoire anonyme des chambres d’hotel et aussi des lieux publics. Le vidéogramme Requiem évoque ces nouveaux (non-) lieux de la surveillance

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panoptique que sont les hopitaux, les halls des aérogares, etc. – un monde moderne où l’individu est abandonné à l’extériorité, où les corps abandonnés aux espaces du dehors n’apparaissent que de passer à l’écran. À peine voilés dans l’esquive vidéographique, ils ne sont plus que des corps spectraux, devenus une matière anonyme, un immatériel insensible.

Par sa déprise du lieu et de l’instant physique qu’impose la « prise » à l’écran, le corps est bientôt désincarné, il tend à devenir ces fantômes scintillants qui entretiennent dorénavant des relations fantômes avec autrui. Ariane Thézé explique dans les pages qui suivent pourquoi elle aura travaillé à mettre en scène l’absence d’identité, l’éloignement de la chair, la désubjectivation du corps – dans une dynamique de transformation discrètement suggérée.

L’âge classique, jusqu’à sa culmination romantique, a érigé le regard sur soi en geste ayant une valeur intrinsèquement théorique, lorsque la modulation du regard sur soi peut modifier notre expérience existentielle. Puis nous avons reconnu, pour la constitution de notre identité, l’importance du regard des autres : aujourd’hui, les enfants-spectateurs font l’expérience d’autrui autant à l’écran que dans la réalité physique. Une partie de ces autres qui bougent, parlent... ont des corps écraniques. Nous parlons ainsi de stade de l’écran, pour paraphraser Lacan, lorsque le sujet découvre avec jubilation qu’il est une image pour autrui, tout comme les autres sont des images pour lui-même – figures corporelles entrées dans notre vie d’apparaître et de s’agiter sur écran. Car ces figures sont le produit d’une corrélation entre l’(impossible) inscription vidéographique du « je », la formation de la relation spéculaire, et la constitution de l’objet de désir.

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L’expérimentation artistique avec l’image du corps produit un constat anthropologique : à notre époque de répétitions et polysémies, nous assistons à la disparition sensible de l’autre. D’un côté, nous nous percevons à travers l’autre. De l’autre côté, il y a disparition de l’expérience sensible de l’autre ! Situation qui n’est pas modifiée par le passage de l’écranique (vidéo, cinéma) à l’interactif hypermédia (Quick Time VR, jeux vidéo, etc.) où l’autre est représenté par des avatars – lesquels ne sont guères plus accessibles ! L’ère de l’individualité est aussi celle du vide, quand les autres disparaissent derrière des miroirs. Aujourd’hui, la multiplication des écrans renforce ce feed-back monstrueux, elle tolère un condensé des relations humaines dans les téléréalités et accuse plus fortement la disparition de l’autre.

Le travail de Thézé consiste à montrer que le moi vidéographique reste en suspens. Ainsi les corps à l’écran restent irrejoignables, ne sont que des anticipations du corps propre. Dans un entretien pour L’Infigurable, Ariane Thézé remarquait : « [...] on cherche désespérément un référent. Mais s’il y en a un, il est sans cesse repoussé. Une représentation ramenée à un simple fil [...]. C’est le fil d’Ariane. » Nous retrouvons ici l’ambivalence entre l’identité continue (le corps entier, porteur d’un sujet) que représente le fil d’Ariane et la danse dans le labyrinthe de Thésée, selon l’interprétation du mythe proposée par Michel Foucault. L’œuvre d’Ariane Thézé rejoue cette ambivalence, avec d’un côté notre retour au je unique, au moi cohérent ; et de l’autre notre déperdition dans une corporalité criblée d’absences, percluse de torsions, sillonnée d’intensités. Ambilavence entre Ariane et Thésée que Foucault décrivait en tant qu’« écart extrême, obscurité tendue ».

L’évocation du mythe par l’artiste nous donne la hardiesse de reconduire cette distinction entre le prénom et le nom de l’artiste. Car le point pivot du stade de l’écran serait assurément le père : comment ourdir le fil d’Ariane

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dans le regard dispersif et oublieux du père Thézé ? La blessure du sexuel renvoie l’objet de désir à ce regard qui peut le reconnaître comme objet. Alors que Ariane Thézé nous offre la représentation d’un corps dénué de (toutes fictions de la) subjectivité, elle retrouve son identité narcissique dans la non-identité d’une désubjectivation provocatrice. Contre l’identité nous préconisons la déprise, ou du moins l’alternance entre identité et déprise : ce que le philosophe italien Giorgio Agamben préconise quand il faudrait « vraiment identifier cette zone, ce no man’s land qui serait entre un processus de subjectivation et un processus contraire de désubjectivation, entre l’identité et une non-identité. Il faudrait identifier ce terrain, parce que c’est ce terrain qui serait celui d’une nouvelle biopolitique. »

La quête identitaire a été transformée par l’apparition de ce nouveau miroir que constitue l’écran pour l’artiste qui met en scène son propre corps. L’expérience de travestissement dans le travail photographique de Molinier le découvre lesbien, le travestissement de Morimura fait de celui-ci une Marylin-priapique, etc. Thézé joue l’ambiguïté sexuelle entre séduction et agression lorsque le corps-écran met en lumière des zones troubles et maintient tout le corps dans l’indétermination : la bouche-cri est érotique, la bouche-sphincter dans L’Archipel du désir propose une pulsation très étrange. Cette exploration de l’image du corps se double d’une autoscopie qui découvre une duplicité inhérente au moi, une blessure tant sexuelle qu’existentielle. Thézé remarque ainsi que : « L’ouverture par laquelle le monde a accès à l’intérieur de soi et à sa propre personne, peut ouvrir sur une autre blessure beaucoup plus profonde. »

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Cet ouvrage pose des questions importantes, interrogeant la perte de l’autre, interrogeant aussi la perte du sensible, double perte qui conduit à la nécessité de se fonder dans la déprise (et non dans un pseudo-ancrage identitaire dans le corps). Qu’est-ce que la perte du sensible : cela peut être le dégoût de la peau comme nous le voyons avec Aziza Brédier ; cela peut être aussi l’aversion pour les odeurs corporelles. Cela passe souvent par l’indifférence pour le visage. En effet, celui-ci, en perte de définition, bientôt remplaçable, n’est plus le lieu de la vérité de chacun. L’âme, qui jusqu’ici coïncidait avec cette visagéité sacrale, est bientôt dissipée. Jusqu’où n’être plus soi-même ? Thézé rejoue cette dé-figuration, plus médiatique qu’organique, dans un travail sur les limites. Elle instaure des épreuves de répétition (de copies, de clones...) qui tout à la fois contestent et perpétuent le fantasme d’immortalité profondément ancré dans notre culture. Nous nous croyons immortels parce que nous croyons pouvoir parler depuis la mort : si nous pouvons entendre, c’est que nous sommes des survivants. Notre culture est habitée par une structure temporelle que l’artiste déjoue intuitivement : l’écran qui inclut une image d’autres écrans propose une incrustation du passé, ou des passés emboîtés les uns dans les autres, qui se déroulent en parallèle et se donnent à voir aux yeux de l’avenir. D’où un sentiment de dédoublement dans l’instant, exil et retour dans le rapport au temps qui nous amène à considérer « celui » ou « celle » que nous aurions été. Thézé consteste et perpétue cette immortalité dans l’image par un jeu d’enchâssements et d’infinitisations spéculaires : les images de soi se contemplent dans des images de soi.

Ariane Thézé entreprend de déconstruire la circularité du je me vois, sur laquelle repose si lourdement notre expérience de la subjectivité. Par sa pratique vidéographique, elle dénonce le caractère auto-implicant de cet énoncé en le rejouant – et en le déjouant dans

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une déprise sans cesse à recommencer : je ne me vois pas parce que je me vois. Si le « je » se donnait comme ce qui se fait voir et l’existence se donnait comme ce qui va vers l’autre, ce qui va hors de soi, ce qui échappe toujours à lui-même, alors Thézé se détourne de la subjectivité et prend le parti de l’existence. Nous avons coutume de définir l’anthropocentrisme comme le fait de voir le monde à travers l’homme ; alors l’écranocentrisme serait le fait de voir le monde à travers l’image projetée de soi-même, projetée physiquement par écrans et psychologiquement dans le refus de sortir du cercle des miroirs. Le fantasme de projection totale présuppose que nous maîtrisions tout ce que nous projetons – ce que Freud tenait pour impossible. Le monde de nos projections se révèle finalement le monde le plus inquiétant, façonné par nos dénégations et la face sombre du Désir.

À l’heure de la culture écranique, faudrait-il se dissembler plutôt que se ressembler ? Se représenter est-ce s’exposer à l’inévitable jeu de redoublement de la représentation ? Pendant quelques instants la vidéo semble posséder la magie d’un miroir qui nous permettrait de nous reconnaître pour ce que nous sommes. Mais bientôt, le Narcisse vidéographique découvre qu’il s’apparente plutôt à Dorian Gray : par une désubjectivation, progressive et inexorable, il laisse s’échapper hors de lui le film de son existence. Nous reconnaissons les stratégies du flou, de la boucle et du ralenti, que Thézé expose brillamment, comme autant sorties de soi. Nous constatons tous les jours cette amplification des affects, ce redoublement de la subjectivité lorsque celle-ci est laissée à elle-même et ne rencontre plus la contre-épreuve de l’autre : c’est l’hypersubjectivité.

Le Corps à l’écran est un livre qui repose sur une œuvre, où l’auteur fait mine de se laisser prendre au jeu spéculaire, pour que l’artiste puisse mieux prendre le spectateur dans sa boucle. Dans ses œuvres comme dans son propos, Thézé stipule que, pour mieux se ressembler,

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17préface

il faut se déprendre de soi, mais dans une déprise qui aura su piéger le spectateur et faire de celui-ci un miroir dans lequel finalement se dissembler. Les pages qui suivent nous invitent comme lecteurs mais aussi comme complices fascinés.

Michaël La Chance

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Comme un grand cri emplissant ma nuit, vidéogramme, 1997

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NOUS vivons une période où nous pouvons pleine- ment apprécier l’ampleur des découvertes faites dans

le domaine des nouvelles technologies, nous pouvons mieux voir les différentes orientations, les questions à venir et comment elles peuvent exercer une influence sur notre perception de la vie, des hommes et des choses. Je me suis penchée sur la question de la modification que l’image du corps subit et qui nous est fournie par, ou à travers le support de l’écran.

Mon travail artistique porte sur le corps qui se transforme d’une image à l’autre. Ma réflexion examine des effets d’une fusion conceptuelle qui s’y opère et l’effet des autres médias qui interfèrent et construisent un ensemble qui s’apparenterait à une « chorégraphie ».

Le corps et le processus de mise en image du corps sont au cœur de la problématique. J’ai développé au fil des années un questionnement sur la fiction de l’image et son ambiguïté face au réel, une problématique autour de l’art écranique et de la mutation de l’image. C’est l’image photographique à partir de la vidéo et plus particulièrement l’image du corps autobiographique qui a été la pierre angulaire de mon questionnement. Je m’intéresse particulièrement aux nouvelles technologies parce qu’elles proposent d’autres rapports au corps : corps dématérialisé avec le virtuel, par sa dimension

Introduction

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20 le corps à l’écran

fantasmatique, par sa mise à distance ; corps prothèses, corps cybernétiques poussés par le désir de l’interaction.

Sous le terme « écranique », je réunis les œuvres qui sont destinées à êtres vues sur un écran (écran de projection cinématographique, écran vidéo, écran d’ordinateur), les œuvres sur papier ou sur toile réalisées au moyen de la projection d’images vidéographiques ou filmiques, et des œuvres perçues à travers un écran dans le cas par exemple d’un arrêt photo d’une image en mouvement. L’écran est le catalyseur. Tout en maintenant la référence au tableau, l’écran le transgresse en introduisant un schisme entre le support de la projection et le support de l’œuvre. Le schisme, c’est le moment ou l’image se trouve suspendue dans le temps, ce que je nomme l’arrêt sur image.

La « mutation de l’image », c’est la contamination. Mais le terme n’est pas à prendre au premier degré. Certes il indique une cohabitation en tant que complémentarité par rapport à la nature différente des images, mais aussi une propagation un peu comme une culture bactériologique. La rencontre et le croisement des technologies et des autres médiums n’ont pas forcément une notion négative ou destructive. Ma pratique n’entre dans aucune catégorie, elle est multiple. Amorcées dans les années quatre-vingt, mes recherches multidisciplinaires sont concomitantes à une pratique hétérogène de la représentation. Les différentes disciplines, au lieu de s’affirmer uniquement de manière autonome, le font en conjugaison entre elles : sculpture, peinture, gravure, et elles opèrent en conjonction avec deux médiums privilégiés : la photographie et la vidéographie. Plusieurs propositions formelles se retrouvent en leitmotiv dans mon œuvre et ces retours continuels, réguliers ou sporadiques s’enchaînent dans un dialogue, un processus à fondement intuitif, suivant les méandres de ma pensée et permettant l’incarnation de ces idées en de nouvelles formes qui en découlent directement. Je conserve néanmoins une logique personnelle, je reconnais mes propres contradictions, qui

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L’édition numérique de

Le Corps à l’écran

d’Ariane Thézé

composé en New Baskerville corps 11

a été complété en octobre 2011

Extrait de la publication

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