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CHAPITRE II LE CODE JUDICIAIRE À L’ÉPREUVE DU CYBERESPACE : UNE RÉFORME RÉUSSIE ? Dominique Mougenot Maître de conférences aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix, Juge au tribunal de commerce de Mons

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CHAPITRE II

LE CODE JUDICIAIRE À L’ÉPREUVE DU CYBERESPACE : UNE RÉFORME RÉUSSIE ?

Dominique Mougenot Maître de conférences

aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix, Juge au tribunal de commerce de Mons

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INTRODUCTION

1. En février 1999 s’est tenu à Liège un colloque intitulé « Multimédia – le cyberavocat » (1). L’objectif de ce colloque était d’examiner les possibilités offertes aux avocats par l’informatique et l’internet. L’un des exposés, intitulé « le Code judiciaire à l’épreuve du cyberespace – la nécessaire réforme » (2), étudiait les modifications du Code judiciaire, nécessaires pour permettre l’utilisation de l’informatique et de la communication électronique en matière procé-durale. Les auteurs affirmaient notamment, dans l’introduction : « par contre, au niveau juridique, une sérieuse toilette du Code judiciaire s’impose. Même si celui-ci fait figure de galopin à côté du vénérable Code civil, il appartient tout autant que lui à la civilisation du papier. L’objet de la présente étude est précisément de mettre le doigt sur les limites de nos règles de procédure civile et de faire la part des choses entre réforme nécessaire et fantasmes … électroniques. »

Huit ans ont passé et la réforme annoncée paraît bien réalisée, après quelques hoquets. En effet, une première modification du Code judi-ciaire a eu lieu en 2000. Elle est restée sans lendemain, puisque ces dis-positions ne sont jamais entrées en vigueur. Le texte des lois des 10 juillet et 5 août 2006 est bien plus ambitieux. D’ores et déjà on peut affirmer que ces lois entreront certainement en vigueur, au plus tard le 1er janvier 2009, mais probablement avant, au fur et à mesure du dé-ploiement du projet Phenix.

Il n’y a plus lieu de s’interroger sur la nécessité d’une réforme du Code judiciaire. Cette modification législative s’imposait avec évi-dence et il ne s’est trouvé personne pour soutenir que le texte du Code judiciaire était compatible avec la communication électronique et le dossier électronique. La réforme est désormais accomplie. La question est maintenant de savoir si le travail du législateur est à la hauteur du défi représenté par l’informatique judiciaire. Il est évidemment trop tôt pour donner un avis définitif à ce sujet. Seule l’expérience pratique permettra de dire si les mesures adoptées étaient adéquates. L’infinie diversité des cas d’espèce dépasse toujours l’imagination du législa-teur. Inversement, des questions qui ont pu agiter les auteurs lors de

(1) Les actes ont été publiés dans la collection de la Formation permanente CUP, vol. XXIX,

et sont actuellement épuisés. Un nouveau bilan de la question a été effectué en 2004. Les actes de ce second colloque sont publiés dans la collection des Cahiers du CRID : Cabinets d’avocats et technologies de l’information – Balises et enjeux, sous la direction de J.-F. Henrotte et Y. Poullet, Bruxelles, Bruylant, 2005.

(2) G. de Leval, H.-P. Godin et D. Mougenot, « Le Code judiciaire à l’épreuve du cyberespace – la nécessaire réforme », op. cit., pp. 391 et s.

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l’adoption d’une nouvelle loi peuvent s’avérer, à l’usage, stériles et sans intérêt. Mais on peut déjà rechercher des premiers points de re-père, détecter de premières difficultés. 2. La présente étude, après avoir brossé un bref tableau de l’historique de la réforme, s’attachera à déterminer les grands chan-gements dans la communication judiciaire. Ils sont de taille, même si leur régime juridique reste encore à définir par arrêté royal sur plus d’un aspect. La signification électronique constitue un morceau de choix, suffisamment important pour mériter un exposé à lui seul. Les autres formes de communication (notification, dépôt…) seront abor-dées dans le présent exposé. On peut parier que la détermination du moment de prise d’effet des actes de procédure électroniques et des conséquences de leur éventuel échec pour raison technique constitue-ront des questions clefs de l’application des nouvelles règles. L’étude y consacrera deux sections. Enfin les réalités du dossier et de la procé-dure par voie électronique clôtureront le rapport.

Cet exposé se limite à l’impact des nouvelles dispositions sur la pro-cédure civile, puisque le volet pénal fait l’objet d’une étude distincte. Nous renvoyons à l’exposé de D. Vandermeersch sur ce point.

Section 1. – Historique de la réforme

§ 1. La loi du 20 octobre 2000

3. Il n’est pas inutile de rappeler qu’une première tentative de ré-forme a eu lieu en 2000. Elle est issue d’une proposition de loi déposée en 1998 par le député Geert Bourgeois (3). L’objectif premier de cette proposition était de légitimer l’usage du téléfax dans la procédure ju-diciaire, même si le courrier électronique était déjà timidement men-tionné. Tombée aux oubliettes avec la fin de la législature, la proposi-tion fut réintroduite par le même auteur lors de la législature suivante (4). Le texte était plus ambitieux, notamment du fait de l’utilisation plus systématique du courrier électronique. On sentait toutefois encore une retenue, une volonté de ne pas aller trop loin dans la réforme. Ainsi, lors des travaux parlementaires, M. Bourgeois annonça que son texte ne visait pas la notification par pli judiciaire, qui restait soumise au régime traditionnel de l’envoi papier (5).

(3) Doc. Parl. Chambre, 1501/1, session ord. 1997/1998. (4) Doc. Parl. Chambre, 38/1, session extraordinaire 1999. (5) Rapport de la Commission de la justice, Doc. parl. 38/8, session ord. 1999/2000 , p. 41.

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Cette proposition, entre-temps étoffée par des dispositions de droit civil concernant la signature électronique, est à l’origine de la loi du 20 octobre 2000. Les dispositions de cette loi modifiant le Code judiciaire devaient entrer en vigueur à une date déterminée par le Roi. Le prin-cipal écueil pratique était l’inadéquation du parc informatique des cours et tribunaux. Le Ministre de la justice de l’époque annonçait toutefois que tout serait mis en œuvre pour que l’entrée en vigueur soit réalisée pour le 1er septembre 2001 au plus tard (6). En fait, cette entrée en vigueur n’a pas eu lieu et ne se produira jamais. Les disposi-tions de cette loi qui apparaissaient toujours adaptées aujourd’hui ont été intégrées dans les lois des 10 juillet et 5 août 2006. Les autres dis-positions ont été abrogées (7). La loi du 20 octobre 2000 est donc mort-née (8).

Il est dès lors inutile de s’appesantir sur le contenu d’une modifica-tion législative qui n’a jamais vu le jour (9). Avec le recul, la réforme de 2000 peut apparaître bien modeste. Elle ne porte que sur les modes les plus simples de la communication judiciaire : le pli simple et le pli recommandé. En outre, on peut reprocher au législateur de l’époque un manque d’analyse des procédés qu’il organisait. Ainsi, aucune étude des fonctions du recommandé ne figure dans les travaux prépa-ratoires. Ce manque d’étude préalable a mené à des solutions que le législateur de 2006 lui-même a reconnu boiteuses (10). À la décharge des députés, on peut toutefois relever que légiférer sur le recommandé électronique en 1999 était une gageure, parce que le procédé était en-core largement inconnu. La tâche était plus simple en 2005, dès lors que plusieurs entreprises offraient des services de recommandé élec-tronique sur l’internet. Par certains aspects, le travail de 1999-2000 s’apparentait à de la science fiction. Le législateur de 2006 n’est pas tombé dans le même travers, en s’abstenant de légiférer sur des procé-dés techniques encore mal définis. Ainsi, il a laissé assez amplement au Roi le soin de préciser le régime juridique de la signification et de la notification électroniques, dont le processus, sur le plan technique, est

(6) Ibidem, p. 47. (7) Loi du 10 juillet 2006, art. 28. (8) Du moins, ses dispositions de droit judiciaire, parce que les dispositions traitant de la

signature électronique et de la notification en matière civile (art. 2281) sont effectivement en vigueur.

(9) Les lecteurs intéressés par un commentaire systématique des dispositions de droit judiciaire de cette loi peuvent consulter : L. Guinotte et D. Mougenot, « Quelles procédures pour le commerce électronique ? », in Le commerce électronique : un nouveau mode de contracter ?, Liège, Ed. Jeune Barreau, 2001, pp. 353 et s. et V. Lamberts, « Les relations Barreau-Palais : le rôle électronique et la diffusion des données jurisprudentielles », in Cabinets d’avocats et technologies de l’information – Balises et enjeux, op. cit., pp. 239 et s.

(10) Exposé des motifs, Doc. parl. Chambre, 1701/1, sess. ord. 2004/2005, p. 30.

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encore largement indéterminé. Sage prudence diront certains, solution de facilité diront d’autres. Même si le procédé peut paraître discutable sur un plan légistique, il est difficilement évitable. Il est particulière-ment hasardeux d’organiser le régime juridique d’un mécanisme dont les contours restent indistincts sur le plan technique. À cet égard, en essuyant les plâtres d’une première ébauche de la procédure par voie électronique, le législateur de 2000 a préparé la tâche du législateur de 2006 et lui a évité de reproduire les mêmes erreurs.

La loi du 20 octobre 2000 a également élargi les conditions de vali-dité des actes accomplis par voie électronique, en limitant les possibili-tés d’annuler un acte non revêtu d’une signature manuscrite et en permettant d’accomplir des actes par voie électronique même en de-hors des heures d’ouverture des greffes. À nouveau, si la manière est parfois discutable, les auteurs de la loi de 2000 ont ouvert la porte à la définition d’un statut global de l’acte de procédure électronique.

§ 2. Les lois des 10 juillet et 5 août 2006

4. Nous ne reviendrons pas sur l’historique du projet Phenix, sur lequel I. Verougstraete a donné des précisions dans son rapport (11). D’un projet, au départ essentiellement technique, est né une réforme ambitieuse du droit processuel. En 2004, un groupe de travail pluri-disciplinaire, composé de magistrats, d’un professeur d’université, de fonctionnaires et d’un informaticien, a élaboré le premier jet d’une modification du Code judiciaire. Ce texte fut soumis au Gouvernement et est à la base du projet de loi sur la procédure par voie électronique (12). Le groupe de travail est reparti du texte de la loi de 2000, en s’appuyant désormais sur l’important travail technique déjà accompli depuis 2001.

Comme certaines dispositions relevaient de l’article 77 de la Consti-tution et devaient dès lors nécessairement être examinées par le Sénat, la Commission parlementaire de concertation a demandé la scission du projet (13). Les dispositions modifiant les deux premiers titres du Code judiciaire en ont été extraites. C’est ainsi qu’un projet, unique au dé-part, a donné naissance à deux lois différentes à l’arrivée.

Dans l’ensemble, le projet n’a pas fondamentalement évolué durant les travaux parlementaires, qui furent assez brefs. Les principaux

(11) Voir aussi : J. Hubin, « La diffusion des données jurisprudentielles dans le cadre du pro-gramme ‘Phenix’ d’informatisation de l’ordre judiciaire », in Cabinets d’avocats et technologies de l’information – Balises et enjeux, op. cit., pp. 321 et s.

(12) Doc. Parl. Chambre 1701/1, sess. ord. 2004/2005. (13) Décisions de la Commission parlementaire de concertation, 19 mai 2005, Doc. Parl. 51 3-

82/25 (Sénat) et 82/25 (Chambre), p. 3.

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amendements sont l’œuvre du Gouvernement, qui, sur certains points, a revu spontanément sa copie (14). Quelques dispositions ont été réécrites plusieurs fois. C’est le cas notamment de l’article 9 de la loi du 10 juillet 2006, qui traite du moment de prise d’effet des actes accom-plis par voie électronique. Les premiers commentaires du projet ne sont donc plus toujours d’actualité (15).

§ 3. L’optique du législateur en matière de droit judiciaire privé

A. – L’approche par législations séparées et l’approche fonctionnelle

5. De manière générale, deux approches sont possibles quand on veut introduire un régime juridique nouveau en vue de réglementer des mécanismes électroniques, quels qu’ils soient. Soit on crée un ré-gime légal de toutes pièces, qui ne s’applique qu’aux mécanismes et documents électroniques et se juxtapose au régime existant, qui continue à s’appliquer aux mécanismes et documents traditionnels, soit on essaye de trouver un régime juridique technologiquement neu-tre, susceptible de s’adapter aussi bien à l’environnement traditionnel qu’à l’environnement électronique.

Les deux formules ont leurs avantages et leurs inconvénients. La première a le mérite de tailler une cote parfaitement adaptée à

l’électronique. Les spécificités de l’informatique sont prises en compte, ce qui évite les difficultés et hiatus qui peuvent apparaître quand on essaye d’appliquer des règles qui n’ont pas été conçues au départ pour fonctionner dans un environnement électronique. Il s’agit cependant d’une solution lourde, qui oblige le législateur à réécrire un corps com-plet de dispositions légales. Il appartient alors au praticien de déter-miner laquelle des deux législations, traditionnelle ou électronique, doit être appliquée et des difficultés d’appréciation de leur champ d’application respectif peuvent apparaître. Quoique cette méthode aie de fervents défenseurs (16), elle reste peu utilisée.

(14) Doc. Parl. Chambre 1701/2, sess. ord. 2004/2005. (15) Notamment l’excellent commentaire de J.-F. Henrotte et D. Fesler, « Phenix : du my-

the à la pratique. Questions sur la procédure électronique en matières civile et pénale », in Phenix et la procédure électronique, CUP, vol. 85, Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 183 et s.

(16) V. Gautrais, « Preuve et formalisme des contrats électroniques : l’exemple québécois », http://www.juriscom.net/universite/doctrine/article 3.htm, p. 3 ; V. Gautrais, « Les contrats en ligne dans la théorie générale du contrat : le contexte nord-américain », Cahiers du CRID, n° 17, 2000, Bruxelles, Bruylant, pp. 91 et s., n° 21 ; J. Huet, « Formalisme et preuve en télématique et informatique » J.C.P., 1990, p. 104, n° 2 ; J. Huet, « Aspects juridiques de l’EDI, Echange de Données Informatisées », Sirey-Dalloz, 1991, pp. 181 et s., spéc. 185. ; J. Huet « Vers une consécra-tion de la preuve et de la signature électroniques », Dall., 2000, Chron., p. 95 s. ; A. Raynouard, « Adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et à la signature électroni-que », Rép. Defrénois, 2000, pp. 593 et s., n° 12.

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La seconde a, au contraire, le mérite de la légèreté : il suffit de retra-vailler les dispositions incompatibles avec l’électronique pour leur donner une formulation plus neutre sur le plan technologique. La même loi peut alors s’appliquer indifféremment dans les deux envi-ronnements. On peut aussi utiliser des « dispositions transversales », qui définissent une règle unique, susceptible de s’appliquer de manière uniforme dans différentes législations. La difficulté de cette méthode réside dans le fait qu’il n’est pas toujours aisé de trouver une formula-tion des dispositions légales qui épouse aussi bien les caractéristiques de l’environnement traditionnel que celles de l’environnement élec-tronique. La règle nouvelle ne fonctionne pas toujours convenable-ment, parce qu’elle ne s’adapte pas complètement aux spécificités de l’informatique et de l’électronique. Ou alors, elle crée un sentiment de frustration parce qu’elle ne permet pas de tirer profit de toutes les fonctions de l’électronique, qui peuvent être plus nombreuses et plus variées que celles du support papier et de l’environnement traditionnel (17). Cette méthode est couramment désignée comme celle des « équivalents fonctionnels ». En effet, elle se fonde sur une analyse des fonctions remplies par les concepts ou mécanismes traditionnels (écrit, signature, copie, envoi recommandé…) puis opère une transposition des règles juridiques qui gouvernent ces concepts ou mécanismes à tous les concepts ou mécanismes électroniques qui remplissent les mêmes fonctions. Par exemple, le régime juridique de la signature est transposé à tous les mécanismes électroniques qui remplissent les mêmes fonctions que la signature manuscrite. C’est la méthode la plus utilisée. Elle a servi de modèle à beaucoup de législations ou projets de législation sur l’écrit et la signature électronique (18), ainsi que sur le commerce électronique (19).

B. – La procédure électronique en droit judiciaire privé : la méthode fonctionnelle et ses limites

6. Il fallait donc définir une méthode pour la réglementation de la procédure par voie électronique. En fait, le législateur a panaché les deux approches : équivalents fonctionnels pour le droit judiciaire privé, réglementation spécifique du dossier électronique pour la pro-

(17) Ainsi, la signature digitale permet de protéger efficacement le document qu’elle accompa-gne contre les modifications du texte, ce que la signature manuscrite ne peut faire que dans une mesure assez limitée.

(18) E. Caprioli, « Le juge et la preuve électronique », oct. 1999, p. 3, disponible à l’adresse sui-vante : http://www.juriscom.net/universite/doctrine/article7.htm ; E. Caprioli, « Écrit et preuve électroniques dans la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 », J.C.P., E, n° 30, 2000, suppl. n° 2, pp. 1 et s., n° 5. Voir, en droit belge, les lois du 20 octobre 2000 et 9 juillet 2001.

(19) Le principe de l’équivalence fonctionnelle figure de manière expresse à l’article 16 § 1er de la loi du 11 mars 2003 concernant des aspects juridiques de la société de l’information.

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cédure pénale. Il s’en explique longuement dans l’exposé des mo-tifs (20). Nous renvoyons au rapport de D. Vandermeersch, pour l’analyse de la démarche concernant la procédure pénale.

Pour ce qui est du droit judiciaire, la loi recherche explicitement un régime juridique le plus neutre possible sur le plan technologique. Cette démarche se traduit de plusieurs manières : par l’aménagement de certains actes de procédure (par exemple,

le procès-verbal de comparution volontaire, trop lié à l’environnement traditionnel, est transformé en « requête conjointe d’introduction »…), la réécriture de certaines règles (par exemple, les dispositions du

Code judiciaire qui faisaient trop ouvertement référence au dos-sier de procédure sur support papier ont été adaptées…), ou simplement la recherche d’une terminologie plus adéquate

(par exemple, la référence à « la poste » a été remplacée par celle aux « services postaux », plus ouverte et moins susceptible d’être interprétée de manière restrictive…).

Le principe des équivalents fonctionnels a toutefois ses limites et, dans certains cas, il peut s’avérer indispensable d’y déroger (21). Il n’est pas toujours opportun de soumettre les actes traditionnels et les actes électroniques au même statut juridique. C’est la solution adoptée par le législateur en ce qui concerne la date des actes de procédure po-sés par voie électronique et le traitement des dysfonctionnements élec-troniques ou informatiques. Sur ces deux points, la loi introduit un régime juridique propre aux actes accomplis par voie électronique.

Section 2. – La réforme de la communication judiciaire

7. L’un des axes les plus importants de la réforme est l’instauration de mécanismes techniques et de règles juridiques permettant la com-munication par voie électronique entre tous les acteurs de la procé-dure.

(20) Exposé des motifs, op. cit., p. 7. (21) La question de savoir s’il faut pousser le principe de équivalents fonctionnels jusqu’à son

terme ou s’il faut pouvoir y déroger dans certains cas est embarrassante. Pour plus de détails sur cette problématique, voir : E. Montero, « L’introduction de la signature électronique dans le Code civil : jusqu’au bout de la logique ‘fonctionnaliste’ ? », in Mélanges offerts à Marcel Fontaine, Bruxelles, Larcier, 2003, p. 183, n° 3 et p. 207, n° 17; D. Mougenot, « La preuve, évolution et ré-volution », in Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, Bruges, La Charte, 2004, nos 76 et s., p. 171.

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§ 1. Description de la communication judiciaire

A. – Description des flux d’information dans la communication judiciaire

8. Pour bien comprendre le problème, il faut d’abord visualiser clairement les flux d’information qui constituent la communication entre tous les acteurs d’une procédure judiciaire.

Communication externe

Flux sortant

Flux entrant

Acteurs externes

Acteurs externes

Ordre judiciaire Dans ce schéma, les éléments sont définis comme suit : l’Ordre judiciaire désigne les cours et tribunaux et, éventuelle-

ment, certains membres pris individuellement (magistrats, gref-fiers…), les acteurs externes désignent tous ceux qui communiquent habi-

tuellement ou occasionnellement avec l’Ordre judiciaire ou entre eux, dans le cadre d’une procédure : les avocats, les huissiers, les notaires, les experts et les justiciables eux-mêmes, le flux entrant désigne toute information qui est adressée à

l’Ordre judiciaire : il s’agit d’actes de procédure (citations mises au rôle par les huissiers, conclusions ou requêtes déposées par les avocats ou les justiciables, rapports d’expertise, actes accomplis par les notaires dans les procédures où ils interviennent…) et de simples communications (courrier adressé à un magistrat ou un greffier au sujet d’une procédure, …), le flux sortant désigne toute information adressée par les tribu-

naux aux justiciables ou aux auxiliaires de justice : notifications par pli judiciaire, envois par courrier simple (beaucoup d’envois adressés aux avocats se font par pli simple) …,

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la communication externe désigne les communications entre avo-cats, huissiers, justiciables… Cela vise notamment les significa-tions faites par huissier au justiciable.

Les dispositions de droit judiciaire de la loi du 20 octobre 2000 contenaient quelques règles relatives à la communication judiciaire, mais de manière très parcellaire : elles visaient essentiellement le flux entrant et partiellement le flux sortant, puisque les travaux parlemen-taires indiquaient que le pli judiciaire n’était pas concerné. Les deux lois de 2006 sont beaucoup plus complètes puisqu’elles régissent la to-talité de la communication judiciaire.

B. – Nouvelle définition légale des procédés de communication

9. La loi du 5 août 2006 ne se borne pas à introduire un régime juridique nouveau. Elle ajuste et, au besoin, complète la définition des différents mécanismes de communication déjà mis en place par le Code judiciaire.

1. La signification

10. La définition de la signification figure à l’article 32 du Code judi-ciaire. Elle s’énonce comme suit : « au sens du présent Code, il faut en-tendre par signification la remise d’une copie de l’acte ; elle a lieu par exploit d’huissier ».

Dans la loi du 5 août 2006 (art. 3), la définition devient : « pour l’application du présent Code, l’on entend par signification la remise d’un original ou d’une copie de l’acte; elle a lieu par exploit d’huissier de justice ou, dans les cas prévus par la loi, selon les formes que celle-ci prescrit ».

Dans le mécanisme traditionnel de signification, l’huissier de justice montre au destinataire l’original de l’acte, qu’il est invité à signer. En-suite l’huissier lui remet une copie de l’acte. Il conserve l’original, qui servira à la mise au rôle. Dans le cadre d’une signification par voie électronique, rien ne s’oppose à ce que les originaux de l’acte, porteurs de la signature électronique de l’huissier, soient multipliés. En effet, un fichier informatique peut être dupliqué, de telle sorte que la repro-duction soit parfaitement similaire à l’original. Cela va jusqu’à la re-production à l’identique de la signature électronique qui peut accom-pagner l’écrit. De ce fait, la copie informatique n’est plus la réplique imparfaite, telle qu’on l’imagine de manière classique, mais la repro-duction identique, chronologiquement postérieure, d’un document

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d’origine (22). Dans ce cas, ce n’est plus seulement une copie mais un véritable original qui est transmis par l’huissier au destinataire. Il était donc nécessaire de modifier la définition de la signification pour s’adapter à cette possibilité nouvelle.

La mention « selon les formes que prescrit la loi » laisse au législateur la possibilité de définir ultérieurement les modalités concrètes de la signification, qui ne sont pas encore spécifiées dans la loi du 5 août 2006. En particulier, l’exposé des motifs indique que, dans certaines hypothèses tout à fait spécifiques, en matière pénale, il pourrait s’avérer opportun de faire procéder à une signification par une per-sonne autre qu’un huissier de justice (23).

2. La notification

11. La notification est également définie à l’article 32 du Code judi-ciaire. Cette définition est la suivante : « il faut entendre par notifica-tion l’envoi d’un acte de procédure en original ou en copie ; elle a lieu par la poste, ou, dans les cas déterminés par la loi, suivant les formes que celle-ci prescrit ».

Dans la loi du 5 août 2006 (art. 3), la définition devient : « il faut en-tendre par notification l’envoi d’un acte de procédure en original ou en copie ; elle a lieu par les services postaux ou par courrier électronique à l’adresse judiciaire électronique, ou, dans les cas prévus par la loi, par télécopie ou selon les formes que la loi prescrit ».

Plusieurs modifications importantes sont introduites dans la défini-tion traditionnelle.

Tout d’abord, la référence aux « services postaux » plutôt qu’à la « poste » a simplement pour but de garantir la neutralité technologique du procédé. En vertu de l’article 144octies de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques (24), seuls les envois recommandés sous forme physique réalisés dans le ca-dre d’une procédure judiciaire font toujours l’objet d’un monopole de La Poste. La notification électronique n’est donc plus, par principe, confiée à l’entreprise publique La Poste. Il fallait dès lors éviter qu’une terminologie trop restrictive empêche de confier cette mission

(22) X. Linant de Bellefonds et A. Hollande, Droit de l’informatique, Paris, Delmas, 1990,

p. 18. (23) Exposé des motifs, op. cit., p. 27, qui cite l’exemple de la loi du 8 avril 2002 sur l’anonymat

des témoins. (24) Modifié par la loi du 2 août 2002, art. 172.

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à une autre entreprise. Le terme « services postaux » est plus neutre à cet égard (25).

L’innovation importante réside évidemment dans la possibilité de procéder à une notification par voie électronique à l’adresse judiciaire électronique. Le concept d’adresse judiciaire électronique a déjà été présenté par I. Verougstraete et sera approfondi plus loin.

La télécopie est également admise mais uniquement lorsque la loi le prévoit et non plus de manière générale. La télécopie est un moyen de communication techniquement moins parfait que la communication électronique. En particulier, les documents reçus par le destinataire ne portent qu’une copie de signature et ne sont donc pas des originaux, au sens juridique (26). L’usage du téléfax n’est dès lors pas encouragé par la loi, qui n’en fait quasiment pas mention. Il était toutefois im-possible de bannir totalement la télécopie de la communication judi-ciaire parce que ce procédé est expressément prévu par plusieurs lois spéciales, en matière pénale (27). Interdire l’usage du téléfax risquait donc de poser des problèmes d’application de ces différentes lois. La télécopie est dès lors tolérée, en sursis si on peut dire, là où des législa-tions plus anciennes en ont prévu l’usage (28).

3. Le dépôt

12. Le dépôt n’est pas défini par le Code judiciaire. La loi du 5 août 2006 ne le définit pas davantage. Selon l’exposé des motifs, il consiste à « faire parvenir un acte de procédure auprès d’un greffe ou d’un par-quet » (29). C’est exclusivement dans ce sens que ce terme est utilisé dans le Code judiciaire (30). Le Conseil d’État avait suggéré d’insérer la définition dans la loi elle-même (31). Dans l’absolu, il serait

(25) Exposé des motifs, op. cit., p. 28. (26) Un auteur a défendu l’idée que le document reçu par téléfax est un original : M.-E.

Storme, « Het verrichten van rechtshandelingen door middel van nieuwe telecommunicatiemiddelen – De nieuwe wetsbepalingen ingekaderd in de algemene leer van de kennisgeving », R.W., 2001-2002, pp. 433 et s., n° 29. Cette opinion reste toutefois isolée. Voir à ce sujet : D. Mougenot, « Le régime probatoire de la photocopie et du téléfax », in La preuve, CUP, mars 2002, vol. 54, p. 260, n° 31.

(27) Par exemple, les articles 21, 22 et 22bis de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive prévoient expressément la possibilité d’une notification par télécopieur.

(28) Exposé des motifs, op. cit., p. 28. (29) Exposé des motifs, op. cit., p. 27. (30) Voir l’utilisation du terme aux articles : 721, 737, 747 § 2, 755, 767 § 3, 769, 889, 901, 903,

908, 963, 976, 983, 984,1056, 1219 § 2, 1231.8-9-13-15-20-30 et 36, 1237, 1244, 1253quater, 1280 in fine, 1288bis et ter, 1289, 1290, 1293 al. 3, 1342, 1344septies, 1360, 1365, 1408 §3, 1418, 1555 al. 4, 1580, 1582 in fine, 1615, 1632, 1646, 1647, 1658, 1664, 1675/6, 1734 § 4 et 1735 § 5. Il est également question, dans le Code judiciaire, de dépôt de fonds à la Caisse des dépôts et consignations, mais il ne s’agit pas de communication judiciaire mais du contrat de dépôt du droit civil.

(31) Doc. parl. Chambre, 1701/1, p. 91.

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effectivement préférable que les quatre modes de communication judiciaire envisagés par le Code (signification, notification, dépôt et communication) soient tous définis dans la loi. Dans le texte actuel, le Code judiciaire n’en définit que deux. Les auteurs du projet n’ont pas suivi la demande du Conseil d’État, estimant que l’absence de défini-tion n’avait pas porté de préjudice jusqu’à présent et que l’objectif de la loi sur la procédure par voie électronique n’était pas de modifier cette notion mais de préciser les formes dans lesquelles elle peut être réalisée (32). On trouvera plus loin d’autres exemples de cette volonté du législateur de limiter la portée de la réforme à ce qui concernait strictement la procédure par voie électronique, sans vouloir profiter de l’occasion pour toiletter le Code judiciaire (33). La prudence s’imposait d’autant plus sur ce point que d’autres modifications de la procédure traditionnelle sont aussi envisagées, notamment dans la suite du rap-port « Dialogues justice », déposé par le professeur de Leval et le séna-teur Erdman.

En revanche, la loi du 5 août 2006 précise le régime du dépôt, même dans l’environnement papier. En effet, l’article 4 introduit un article 32bis qui dispose que : « tout dépôt ou communication peut avoir lieu valablement par pli simple ou, dans les cas prévus par la loi, par pli recommandé ». La règle était implicite dans le texte antérieur. La nouvelle loi a le mérite de le préciser, notamment pour éviter toute confusion : le terme « dépôt », interprété de manière restrictive, aurait pu donner à penser que seule la démarche physique au greffe était ad-mise.

4. La communication

13. La communication n’est pas davantage définie par la loi. Il faut dès lors s’en tenir au sens courant du terme : « action de communiquer quelque chose à quelqu’un » (34). Ce terme ne reçoit pas d’acception plus précise en droit judiciaire. Selon l’exposé des motifs, il faut en-tendre par là : « toutes formes de communication généralement quel-conques qui ne font pas l’objet d’une réglementation spécifique » (35).

La loi du 5 août 2006 n’introduit pas non plus de définition à ce su-jet mais précise, comme il a été dit au point précédent, que la commu-

(32) Exposé des motifs, ibidem. (33) Il y a quand même quelques exceptions, comme l’introduction de la règle de la

permanence du domicile judiciaire, qui ne concerne pas uniquement la procédure électronique ; voir infra, n° 59.

(34) Petit Robert. (35) Exposé des motifs, op. cit., page 27.

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nication peut avoir lieu, selon le cas, par pli simple ou par pli recom-mandé.

§ 2. Nouveaux concepts généraux

A. – Le prestataire de services de communication

14. Ce concept nouveau est présenté par I. Verougstraete. Le presta-taire de services de communication (PSC en agrégé) complète ou rem-place l’intervention de l’huissier de justice ou du préposé de la Poste dans bon nombre de communications électroniques.

Son intervention doit être considérée comme un mal nécessaire. Un mal parce que le prestataire de services de communication n’est

pas un officier ministériel. Ses actes ne sont pas revêtus de l’authenticité. Par rapport à l’intervention de l’huissier de justice ou du greffier, il y a donc une perte de force probante. Le problème est toutefois plus limité pour la notification par pli judiciaire, qui fait également intervenir le facteur, qui n’a pas non plus la qualité d’officier ministériel. Or, la pratique démontre que les mentions appo-sées sur l’accusé de réception par le facteur qui intervient pour la noti-fication d’un pli judiciaire sont rarement mises en doute (36). Le débat sur la force ou la valeur probante des informations attestées par le PSC sera dès lors peut-être plus théorique que réel.

Pour ce qui est de la signification électronique, cela entraîne une perte de maîtrise de l’huissier de justice sur le processus de communi-cation. Jusqu’à présent, l’huissier pouvait attester la remise de l’acte au destinataire. Désormais, il devra se fier à ce que lui dit le PSC. Nous renvoyons sur ce point à l’exposé de V. Lamberts.

Mal nécessaire parce que ni les huissiers ni les greffiers ne sont sup-posés être des spécialistes en matière d’informatique. Il était donc in-dispensable d’ajouter un maillon à la chaîne de communication, qui

(36) Dans l’avis qu’il a émis relativement au projet de loi 1309, à l’origine de la loi du 13 décem-

bre 2005, qui a généralisé l’usage de la requête contradictoire devant les juridictions du travail, le Conseil supérieur de la Justice épingle « de nombreux conflits (dans la distribution des plis judiciai-res) suite à un service postal peu fiable » (Doc. parl. Chambre, 51-1309/002, p. 13). Nous n’avons cependant pas trouvé de jurisprudence publiée, dans laquelle la force probante des mentions appo-sées par le facteur sur l’accusé de réception aurait été mise en doute. Cela étant, un examen systé-matique d’un certain nombre de plis judiciaires a mis en évidence un manque de rigueur du facteur ou des préposés de La Poste : cachets manquants, absence de mention de la qualité du signataire de l’accusé de réception, absence de signature de l’accusé de réception par l’agent de La Poste, voire, ce qui est plus grave, une erreur flagrante de date dans un cas !

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dispose des compétences nécessaires sur le plan technique pour mener la communication à terme et en attester la bonne fin (37).

B. – L’adresse judiciaire électronique

15. L’adresse judiciaire électronique est une innovation importante de la loi.

Qui dit communication électronique dit adresse électronique. À quelle adresse ces messages pourront-ils être envoyés ? Peut-on utiliser n’importe quelle adresse électronique ? C’était la solution adoptée par la loi du 20 octobre 2000, qui ajoutait à l’article 32 du Code le texte suivant : « une communication, une notification ou un dépôt qui peu-vent avoir lieu par lettre ordinaire, peuvent également avoir lieu vala-blement par télécopie ou par courrier électronique, pour autant que le destinataire indique un numéro de téléfax ou une adresse électronique ou les utilise régulièrement ». Cette règle offrait peu de sécurité : comment garantir qu’une adresse électronique est régulièrement consultée par le destinataire, voire qu’elle est encore utilisée ? Une mention isolée dans un acte de procédure déposé dans le cadre d’une autre procédure suf-fit-elle ? Lorsque l’intéressé utilise plusieurs adresses électroniques (professionnelle et privée par exemple), laquelle choisir ? Une adresse professionnelle est souvent plus utilisée, de telle sorte que la prise de connaissance du document sera plus rapide, mais les garanties de res-pect de la vie privée du destinataire sont moindres dans un environ-nement professionnel, où des collègues ou l’employeur pourraient éventuellement avoir connaissance du contenu du message.

Pour répondre à ces objections, la loi du 5 août 2006 (art. 5) intro-duit à l’article 36 du Code judiciaire un nouveau concept : l’adresse ju-diciaire électronique. Celle-ci est définie à l’article 5 de cette loi comme : « l’adresse de courrier électronique, attribuée par un greffe et à laquelle une personne a accepté ou est réputée avoir accepté, selon les modalités fixées par le Roi, que lui soient adressés les significations, notifications et les communications ». La solution au problème évoqué consiste donc à créer, de toutes pièces, une adresse spécifiquement dédiée aux com-munications judiciaires. L’écueil du choix entre différentes adresses est évité puisque c’est la seule qui pourra être utilisée à cette fin. En outre, tant qu’elle n’est pas révoquée, cette adressée est présumée tou-jours utilisable (art. 36 § 2 nouveau). Cela évite également la difficulté

(37) Lors de la discussion en Commission de la justice de la Chambre, certains intervenants se sont inquiétés de l’introduction d’un prestataire de services nouveau dans la communication judi-ciaire et ont marqué leur préférence pour la maîtrise du processus par les greffiers et les huissiers. Il a été répondu que chacun exerce son métier et qu’on ne pouvait exiger des huissiers et greffiers qu’ils dominent les aspects techniques d’une communication électronique. Voir Doc. parl. Cham-bre, 51-1701/004, pp. 37, 71 et 72.

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des adresses électroniques utilisées de manière temporaire (c’est le cas notamment de beaucoup d’adresses de type « webmail » : hotmail, yahoo ! mail, AOL webmail… qui sont désactivées en cas d’absence d’utilisation prolongée).

Pour les modalités pratiques d’attribution de cette adresse, nous renvoyons à l’exposé de I. Verougstraete. 16. L’adresse judiciaire électronique n’est pas une forme de domicile élu : elle ne change donc rien aux règles habituelles en matière de com-pétence territoriale. Les règles de l’article 624 restent dès lors inchan-gées, même si des modes électroniques de communication ont été utili-sés. C’était la seule solution qui s’imposait. En effet, l’internet n’est pas un « espace » particulier (38). Les localisations physiques qui appa-raissent à l’occasion de l’usage de l’internet (lieu à partir duquel une page web est chargée ou lieu d’envoi d’un message électronique…) peuvent être fortuites (ordinateur portable) ou sans pertinence (em-placement d’un serveur simplement chargé d’acheminer l’information) (39). Tenter de rechercher des localisations dans le cadre de l’utilisation d’un réseau de communication électronique risque dès lors de s’avérer une entreprise hasardeuse, voire même dangereuse pour la sécurité juridique, car elle pourrait faire apparaître des critères de rattachement territorial tout à fait inattendus et parfois très surprenants pour les parties elles-mêmes.

Certains conflits peuvent surgir entre les règles relatives au domicile judiciaire des parties et celles relatives à l’adresse judiciaire électroni-que. Que se passera-t-il lorsqu’une partie est domiciliée ou réside à l’étranger mais dispose d’une adresse judiciaire électronique délivrée en Belgique ? Peut-on utiliser cette adresse judiciaire électronique et faire l’économie des règles relatives à la signification ou la notification internationales ? La loi du 5 août 2006 ne subordonne pas explicite-ment l’utilisation de l’adresse judiciaire électronique à l’existence d’un domicile en Belgique. Toutefois, elle fournit indirectement un élément de solution. Les articles 6 et 8 de la loi, qui traitent de la signification et de la notification par voie électronique à l’adresse judiciaire électro-

(38) G. Kaufmann-Kohler, « Internet : mondialisation de la communication – mondialisation

de la résolution des litiges ? », in Internet – Which Court decides ? – Which law applies ?, The Ha-gue/London/Boston, Kluwer Law International, 1998, p. 89 s., spéc. p. 91., qui relève que le mot `cyberespace’ est à cet égard très mal choisi : Internet est un mode de communication et non un lieu. Voir aussi : F. L. Street & M. P. Grant, Law of the Internet, Charlottesville, Lexis Law Publi-shing, 2000, p. 279. Contra : Johnston & Post, cités par B. Depoorter, « Het internationaal pri-vaatrechtelijk probleem op Internet : bevoegde rechter », in Telecom & Internet, Gent, Mys & Breesch, 1999, pp. 391 et s., spéc. p. 407.

(39) G. Kaufmann-Kohler, op. cit., p. 112. Pour plus de développements (notamment techni-ques) voir : B. Depoorter, op. cit., pp. 401 et s.

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nique, précisent expressément que les règles nouvelles ne portent pas préjudice aux conventions internationales en la matière. La justifica-tion de l’amendement n° 7 (40) rappelle expressément la prééminence du règlement 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif à la signifi-cation et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale. De ce fait, lorsqu’un justiciable est domicilié ou réside à l’étranger, les règles rela-tives à la signification et la notification transfrontalières s’appliquent, même si l’intéressé dispose d’une adresse judiciaire électronique déli-vrée par un greffe belge (41).

Cependant, si un justiciable n’a plus ni domicile ni résidence connus en Belgique ou à l’étranger mais dispose encore d’une adresse judi-ciaire électronique, la signification doit-elle être effectuée au Procu-reur du Roi, conformément à l’article 40 du Code judiciaire ? Il nous semble que oui. En effet, dans la mesure où l’adresse judiciaire élec-tronique ne constitue pas une forme de domicile, une telle adresse ne peut être assimilée à un « domicile, une résidence ou un domicile élus connus en Belgique ». À défaut de modification de l’article 40, la signi-fication au Parquet s’impose dans ce cas. Rien n’empêche toutefois de doubler cette formalité par une signification à l’adresse judiciaire élec-tronique, par souci d’efficacité.

§ 3. Règles nouvelles en matière de communication électronique

A. – Le flux entrant

17. Pour rappel, cette expression désigne toute forme de communication provenant des justiciables ou des acteurs du monde judiciaire et adressée à un membre de l’Ordre judiciaire (magistrat, greffier, secrétaire de parquet…). L’acte le plus significatif est le dépôt d’un acte de procédure auprès d’un greffe ou d’un parquet (requête, conclusions… mais aussi la mise au rôle d’une nouvelle affaire par l’huissier de justice).

1. Le dépôt d’acte de procédure au greffe ou au parquet

18. Le flux entrant ne pourra s’effectuer que par l’intermédiaire du site web de Phenix. La messagerie électronique et la télécopie ne sont pas autorisés. La solution figure à l’article 32bis, introduit par la loi du 5 août 2006 (art. 4) : « les dépôts ou communications par pli simple ou

(40) Doc. parl. Chambre, 51 - 1701/002, p. 8. (41) Dans le même sens : les explications données par les huissiers entendus par la Commission

de la justice de la Chambre, Doc. parl. Chambre, 51-1701-004, pp. 53 et 72.

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recommandé adressés au greffe et au parquet peuvent avoir lieu vala-blement par voie électronique par introduction dans le système Phe-nix ».

Concrètement, les utilisateurs autorisés (avocats, huissiers, voire les justiciables eux-mêmes dans le dossier qui les concerne) passeront par un site web, le site web de Phenix, où ils seront invités à remplir un formulaire et y attacher l’acte qu’ils souhaitent introduire. Le mo-ment de l’introduction de l’acte dans le système sera automatique-ment horodaté par l’ordinateur, qui délivrera un accusé de réception.

S’agit-il d’une forme particulière de courrier électronique ? La loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information (art. 2) définit le courrier électronique comme « tout message sous forme de texte, de voix, de son ou d’image envoyé par un réseau public de communications qui peut être stocké dans le réseau ou dans l’équipement terminal du destinataire jusqu’à ce que ce der-nier le récupère ». Le dépôt d’un acte dans le système Phenix est donc un courrier électronique au sens de cette définition. Mais il ne s’agit pas d’un courrier électronique au sens courant du terme, dès lors qu’il ne fait pas appel à un logiciel de messagerie électronique (outlook, netscape messenger, mozilla (thunderbird), eudora…) (42). L’adresse judiciaire électronique n’est donc pas utilisée pour cette fonction (43).

Il n’y a pas d’intervention du prestataire de services de communica-tion. Le contact se réalise directement entre l’utilisateur et le système Phenix. La date de l’opération est attestée par le système lui-même.

Certaines dispositions du Code judiciaire imposaient l’envoi recom-mandé comme mode particulier de dépôt d’un acte de procédure (44). L’article 32bis englobe expressément cette hypothèse.

La mise au rôle d’une affaire par l’huissier de justice se réalise éga-lement par le même procédé.

(42) Justification de l’amendement n° 5, doc. parl. Chambre, 51-1701/002, p. 6. (43) On en trouve cependant des traces dans l’exposé des motifs. Celui-ci spécifie notamment

que les greffes ont une adresse judiciaire électronique. Cette mention, qui n’est plus d’actualité compte tenu du procédé retenu pour les dépôts d’actes de procédure, s’explique par le fait que, lorsque les travaux d’élaboration de l’avant-projet de loi ont débuté, les auteurs du texte avaient envisagé la possibilité d’envoi d’actes de procédure par courrier électronique à une adresse électro-nique du greffe ou du parquet. L’exposé des motifs a dû être corrigé sur ce point : voir justification de l’amendement n° 6, doc. parl. Chambre, 51-1701/002, p. 7.

(44) Il s’agit essentiellement de l’article 704 et 1034quinquies (dépôt de la requête contradictoire au greffe) et de l’article 1056 (appel par lettre recommandée), mais aussi des articles 1322ter, 1337bis et 1661.

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2. Autres formes de communication

19. Comme l’indique l’article 32bis nouveau, toutes les communica-tions par pli simple adressées à un membre de l’Ordre judiciaire seront réalisées par le même procédé.

Un avocat qui souhaiterait écrire à un juge d’instruction utilisera donc le site web de Phenix.

B. – Le flux sortant

20. Dans le schéma ci-dessus, cette expression désigne toutes les communications émanant d’un membre de l’Ordre judiciaire et adres-sées aux justiciables eux-mêmes, à leurs avocats ou à tout autre acteur du monde judiciaire (huissier, expert, notaire…).

1. La notification par pli judiciaire

21. C’est la forme la plus complexe de communication dans le flux sortant. Dans l’état actuel du texte, la notification par pli judiciaire est régie par l’article 46 du Code judiciaire. Le paragraphe premier de cette disposition réglemente la notification à la demande du parquet. Le deuxième paragraphe régit la notification à la demande du greffe. Dans les deux cas, la remise du courrier au destinataire est effectuée par la poste, moyennant signature d’un accusé de réception, qui est renvoyé à l’expéditeur.

Cet article 46 est modifié par l’article 8 de la loi du 5 août 2006. Quels sont les apports de la réforme ?

a) La notification par pli judiciaire traditionnel

22. Tout d’abord, la notification traditionnelle est maintenue. Les termes « la poste » sont simplement remplacés par « les services pos-taux », pour les raisons mentionnées plus haut, même si, pour l’instant, ce type d’envoi reste un monopole de La Poste.

b) La notification par pli judiciaire hybride

23. Un paragraphe trois nouveau introduit toutefois une forme nou-velle : le pli judiciaire hybride. « Le pli judiciaire peut être adressé par courrier électronique par le greffier ou le ministère public à un presta-taire de services de communication qui est visé à l’article 2, 4°, de la loi du 10 juillet 2006 relative à la procédure par voie électronique, chargé de l’imprimer et de le faire parvenir à son destinataire. L’envoi du pli imprimé est régi par les §§ 1er et 2 ».

L’idée est de décharger les greffes et les parquets des envois postaux traditionnels. En effet, l’envoi par courrier électronique engendre des

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le code judiciaire à l’épreuve du cyberespace 73

tâches beaucoup moins lourdes pour les greffiers et secrétaires de par-quet. Le pli ne doit plus être imprimé, timbré et déposé au bureau de poste. Toutefois, dans un premier temps en tout cas, la majorité des justiciables destinataires de tels plis ne disposeront pas d’une adresse judiciaire électronique. Les cas où l’envoi du pli par voie électronique peut être envisagé seront donc extrêmement limités. Ce texte permet toutefois de conserver l’avantage pour les greffes et parquets de l’envoi par voie électronique et reporte sur le PSC la charge de l’acheminement par voie postale traditionnelle.

L’opération est donc la suivante : le greffe ou le parquet adresse la notification, par courrier électronique, au PSC. Celui-ci l’imprime et envoie alors le pli au destinataire selon le procédé habituel de notifica-tion, c’est-à-dire intervention des « services postaux » (soit, le cas échéant un préposé du PSC lui-même, qui jouerait alors le rôle de « service postal » (45)), signature d’un accusé de réception par le destinataire et renvoi de l’accusé de réception à l’émetteur.

Ce procédé engendre toutefois une difficulté. Le pli judiciaire est si-gné par le greffier ou le secrétaire de parquet. Si le pli est électronique, cette signature sera électronique. Or, l’impression du pli sur papier par le PSC fait disparaître cette signature, qui ne peut matériellement exister que sous une forme électronique. Par ailleurs, le greffier ou le secrétaire de parquet pourra constater la date à laquelle le pli électro-nique a été envoyé au PSC mais ne connaîtra pas la date à laquelle le pli sur support papier a été adressé au destinataire. La loi résout le problème de cette manière (art. 46 § 3 al. 2) : « le prestataire de services de communication peut attester que le pli adressé au destinataire est conforme à celui envoyé par le greffier ou le ministère public ; il peut également attester la date à laquelle il a remis le pli aux services pos-taux ou l’a fait parvenir au destinataire ».

L’attestation de conformité permet donc de certifier la présence d’une signature électronique par le greffier ou le secrétaire de parquet sur l’envoi électronique initial. Elle permet aussi de certifier que le texte du pli judiciaire sur support papier est identique à celui du pli électronique initial. Enfin, le PSC peut certifier la date à laquelle il remet le pli papier à la poste ou au destinataire. Le PSC n’est pas un officier ministériel mais ces attestations auront la même valeur pro-bante que les mentions apposées par le facteur dans le système tradi-tionnel.

(45) Pour autant que le monopole de La Poste pour les envois recommandés physiques en ma-

tière judiciaire soit supprimé.

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c) La notification par pli judiciaire électronique

24. Le paragraphe 4 nouveau de l’article 46 légitime une forme d’envoi du pli judiciaire entièrement électronique : « sans préjudice de l’application des conventions internationales en la matière, le pli judi-ciaire peut être adressé par voie électronique ; il est délivré à l’adresse judiciaire électronique, par l’intermédiaire d’un prestataire de services de communication tel que visé à l’article 2, 4°, de la loi du 10 juillet 2006 relative à la procédure par voie électronique ».

Nous renvoyons sur ce point à l’exposé de E. Montero sur le recom-mandé électronique.

Le problème de la date du pli judiciaire sera examiné plus loin.

2. La notification par pli recommandé

25. La notification par pli recommandé est prévue par quelques dispositions du Code judiciaire (46). Toutefois, le mécanisme d’envoi lui-même n’est pas réglementé par le Code.

Ce point est également examiné par E. Montero.

3. La notification par pli simple

26. Ces notifications sont assez nombreuses dans le Code judi-ciaire (47), notamment dans la matière des mesures d’instruction (en-quête et expertise). Là encore, la loi du 5 août 2006 introduit un équi-valent électronique : « toute autre (que dirigée vers le greffe) commu-nication par pli simple peut avoir lieu valablement par courrier élec-tronique à l’adresse judiciaire électronique »

C. – Le flux externe

27. Il s’agit cette fois de communication entre émetteurs et destinataires extérieurs à l’Ordre judiciaire. Le mode le plus complexe et le plus réglementé est la signification par huissier de justice. On y retrouve également la communication de conclusions et de pièces entre avocats et, de manière plus générale, toute la correspondance entre avocats, les courriers entre avocats et experts, notaires…

1. La signification électronique (renvoi)

28. Sur ce point, nous renvoyons à l’exposé de V. Lamberts.

(46) Les articles 1275 § 2 et 1303 prévoient la notification par pli recommandé du jugement de

divorce à l’officier de l’état civil. (47) Voir articles 732, 751, 754, 792, 943, 951, 952, 973, 1002, 1030, 1231.10, 1342, 1344ter, 1734

§ 4 et 1735 § 5.

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le code judiciaire à l’épreuve du cyberespace 75

2. Les autres modes de communication

29. Dans l’état actuel de la loi, cette communication est totalement libre. L’article 745 indique que les conclusions sont adressées à la par-tie adverse en même temps qu’elles sont remises au greffe. Le mode de communication n’est pas précisé. L’article 737 dispose que la commu-nication des pièces peut se faire à l’amiable, sans formalités. Les autres formes de communication ne sont pas réglementées.

L’article 32bis nouveau, introduit par l’article 4 de la loi du 5 août 2006, dispose à cet égard que : « toute autre communication par pli simple peut avoir lieu valablement par courrier électronique à l’adresse judiciaire électronique. »

Cette disposition donne une légitimité au courrier électronique, no-tamment entre avocats. Il y a lieu de remarquer toutefois que, dans l’état antérieur du texte, la loi n’empêchait pas les avocats de corres-pondre par courrier électronique (48). Il n’y a donc pas de véritable modification légale, juste un entérinement de la situation existante. Cependant, le texte nouveau introduit une précision supplémentaire : l’envoi est réalisé à l’adresse judiciaire électronique.

Cela signifie-t-il que toute autre forme de communication serait condamnée : la télécopie, un courrier électronique adressé à une adresse autre que l’adresse judiciaire électronique… ? L’exposé des motifs est assez restrictif sur ce point. Il précise tout d’abord que la télécopie est supprimée (49) : « elle n’est donc pas admise pour les dé-pôts et les communications, pour lesquels seul le courrier électronique pourra être employé ». Si c’est bien le sens qu’il faut prêter aux termes de la loi, on peut se demander si le législateur n’a pas péché ici par ex-cès de rigueur. Une chose est d’interdire l’utilisation de la télécopie pour le dépôt d’actes de procédure. Autre chose est de l’interdire pour toute communication généralement quelconque, ce qui aboutirait, par exemple, à proscrire l’usage du fax entre avocats !

L’exposé des motifs ajoute que le courrier électronique doit être adressé à l’adresse judiciaire électronique. Si on suit donc les travaux préparatoires, hors le courrier électronique envoyé à l’adresse judi-ciaire électronique, point de salut. Il ne nous appartient pas de discu-ter ici le poids des travaux préparatoires dans l’interprétation d’un texte (50). Nous nous bornerons aux remarques suivantes.

(48) D. Fesler, « La correspondance et le recommandé électroniques dans les relations entre

avocats », in Cabinets d’avocats et technologies de l’information – Balises et enjeux, op. cit., pp. 223 et s.

(49) Exposé des motifs, op. cit., p. 30. (50) On peut simplement rappeler que, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, toute

forme d’interprétation du texte légal, notamment en utilisant les travaux préparatoires, est inter-

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D’une part, la mention du dépôt par courrier électronique dans le passage de l’exposé des motifs reproduit ci-dessus n’est plus exacte, étant donné que le dépôt ne se réalise pas par messagerie électronique mais par introduction directe dans le système Phenix (voir supra, n° 18). C’est un simple détail technique.

D’autre part, et c’est plus important, si on isole le texte de l’article 32bis du commentaire qui figure dans l’exposé des motifs, il faut bien constater que les termes « peut avoir lieu valablement… » autorisent l’utilisation du courrier électronique à l’adresse judiciaire électronique mais n’interdisent pas expressément l’utilisation d’autres procédés. En d’autres termes, la loi ajoute un mode de communication nouveau, qui reçoit ses lettres de noblesse, mais ne supprime pas expressément les autres procédés de communication utilisés antérieurement. On bute ici sur une première difficulté : les travaux préparatoires limitent assez clairement les modes de communication au seul courrier électronique à l’adresse judiciaire électronique mais une lecture littérale du texte ne commande pas nécessairement une telle interprétation.

Remarquons que la loi n’impose pas le recours au PSC mais celui-ci n’est nullement interdit. Nous verrons plus loin l’apport que le PSC peut réaliser au niveau de la datation de la communication.

§ 4. Le moment de la prise d’effet des actes de procédure électroniques

A. – Régime général

30. Ce point est probablement une des questions clefs de la nouvelle législation. Dans l’environnement traditionnel, la difficulté provient du décalage existant entre la date d’expédition et la date de réception d’un acte, dès que l’on a recours à l’envoi postal. En effet, contraire-ment à la démarche physique de dépôt, l’envoi postal nécessite au mieux un jour pour la remise du pli au destinataire. On peut dès lors se demander si l’acte produit ses effets lors de son expédition ou lors de sa réception. Cette question a donné lieu à une controverse importante entre la Cour de cassation, la Cour d’arbitrage et la doctrine.

dite lorsque le texte de la loi est précis et dépourvu d’ambiguïté (Cass., 20 février 1951, Pas., I, 410 ; Cass., 11 décembre 1962, Pas., 1963, I, 455 ; Cass., 21 février 1967, Pas., I, 775 ; Cass., 22 décembre 1994, Pas., I, 1139 ; Cass., 30 juin 2006, J.T., 2006, 566 – le principe est affirmé a contra-rio lorsque le texte légal est imprécis : Cass., 31 janvier 1961, Pas., I, 584 ; Cass., 18 septembre 1978, Pas., 1979, I, 6). Voir cependant les critiques formulées par la doctrine à ce sujet : M. van de Kerchove, « La doctrine du sens clair des textes et la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique », in L’interprétation en droit, Bruxelles, FUSL, 1978, pp. 13 s. ; F. Ost et M. van de Kerchove, « L’interprétation téléologique : un objectif clair et distinct ? », in Le recours aux objec-tifs de la loi dans son application, Bruxelles, Story, 1990, pp. 303 et s.

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Depuis 1996, par une jurisprudence constante, la Cour de cassation a considéré que les effets de la notification devaient être appréciés lors de l’expédition du pli judiciaire (théorie de l’expédition) (51). La date à laquelle le destinataire recevra cette notification importe donc peu. Cette théorie n’est pas sans inconvénients mais ceux-ci se marquent surtout pour certains types de notifications : celles qui font courir un délai pour le destinataire.

En effet, si l’effet de la notification est apprécié lors de l’expédition du pli judiciaire, cela signifie que, lorsque la notification fait courir un délai (de recours ou autre), celui-ci prend cours dès l’envoi du pli. Or, le destinataire ne recevra peut-être le pli que quelques jours plus tard et le délai dont il disposera en pratique sera dès lors amputé de plu-sieurs jours. Cette théorie pose donc un problème au niveau du respect des droits de la défense. Cela a amené certains auteurs à proposer d’attacher les effets de la notification à la date de réception par le des-tinataire (théorie de la réception) (52). Le moment clef est alors celui auquel le destinataire a la possibilité matérielle de prendre connais-sance du contenu du pli, même si en pratique, cette prise de connais-sance n’intervient que plus tard.

Dans un premier temps, la Cour d’arbitrage s’est alignée sur la ju-risprudence de la Cour de cassation. Pourtant, par un arrêt du 17 dé-cembre 2003 (53), la Cour d’arbitrage a effectué un spectaculaire revirement de jurisprudence. Elle a considéré que, lorsque la loi énonce qu’un délai prend cours à partir de la notification, elle peut s’interpréter comme faisant courir ce délai à la date à laquelle le desti-nataire a pu en prendre connaissance. C’était la consécration de la théorie de la réception.

(51) Cass., 20 mai 1996, Pas., 1996, I, 502 ; Cass., 9 décembre 1996, Pas., 1997, I, 1253 ;

R.D.J.P., 1997, p. 48, note Maes ; R. W., 1997-1998, col. 682, note Laenens ; J.T., 1997, 687 ; Cass., 17 mars 1997, J.L.M.B., 1997, p. 707, note de Leval ; R. W., 1998-1999, 117 ; Cass., 20 février 1998, R.D.J.P., 1998, 130 ; R.C.J.B., 1999, 191, note van Drooghenbroeck ; Cass., 10 décembre 2001, Pas., 2001, I, 2050 ; Cass., 26 novembre 2004, R.G. C030498N.

(52) J.-F. van Drooghenbroeck, « La notification en droit judiciaire privé à l’épreuve des théories de la réception et de l’expédition », R.C.J.B., 1999, pp. 193 et s. ; J. Du Jardin, « Audiences plénières et unité d’interprétation du droit », J. T., 2001, p. 656 ; H. Boularbah, « La Cour d’arbitrage et le droit judiciaire privé », Rev. dr. U LB, 2001-2, spéc., nos 21 à 23 et 41 à 45 ; G. de Leval , « La date de l’effet de la notification », J.L.M.B., 1997, pp. 709 à 711 : B. Maes, « Het begrip « kennisgeving » als vertrekpunt van de termijn van hoger beroep », R.D.J.P., 1997, pp. 48 et s. ; J. Laenens, « De kennisgeving van een beslissing als vertrekpunt van een vervaltermijn », R.W., 1997 – 1998, col. 682.

(53) C.A. nº 170/2003, 17 décembre 2003, Arr. C.A., 2003, 2021; A.P.M., 2004 (sommaire), 3 ; J.L.M.B., Pire ; J.T., 2004, 45, note van Drooghenbroeck ; J.T.T.; Juristenkrant, 2004 (reflet Brewaeys), 6; Juristenkrant, 2005 (reflet Brewaeys), 11; R.D.J.P., 2004, 49, note Brewaeys ; R.G.C.F., 2004, 35, note Litannie et Leurquin ; R.W., 2003-04, 1145, note Laenens ; en ce qui concerne les notifications transfrontalières, voir : C.A., 29 mars 2006, arrêt 48/2006.

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Comment allait réagir la Cour de cassation ? Elle a tout d’abord maintenu le cap, dans un arrêt du 26 novembre 2004 (54). Finalement, elle a viré de bord dans un arrêt du 23 juin 2006 (55), dans lequel elle a adopté à son tour la théorie de la réception. L’unité de jurisprudence entre les deux Cours suprêmes était donc faite.

Selon certains auteurs (56), la solution la plus adaptée est celle de la « double date » : les effets qui intéressent l’expéditeur (par exemple, l’interruption de la prescription) sont appréciés à la date d’expédition du pli et les effets qui intéressent le destinataire (par exemple, le délai qui court à compter de la notification) sont appréciés à la date de ré-ception du pli. Ce mécanisme est appliqué notamment dans certains règlements européens (57). 31. Une modification du Code judiciaire est intervenue pour résoudre le problème : la loi du 13 décembre 2005 a introduit un article 53bis nouveau, qui précise que, lorsque la notification est faite par voie traditionnelle (par opposition à la notification par voie électronique), elle sort ses effets à l’égard du destinataire : le lendemain du jour de la présentation du pli au domicile du

destinataire, s’il s’agit d’un pli judiciaire ou d’un recommandé avec accusé de réception, trois jours ouvrables après la remise du pli à la poste, s’il s’agit

d’un pli simple ou d’un envoi recommandé ordinaire, et sauf preuve contraire du destinataire.

La solution adoptée par le législateur se rapproche davantage de la théorie de la réception. En effet, l’acte ne sort jamais ses effets lors de son expédition. Mais il s’agit d’une réception présumée. Plutôt que de rechercher le moment exact de la réception, le texte légal opère par

(54) Cass., 26 novembre 2004, J.T., 2005, 554, note van Drooghenbroeck ; Juristenkrant, 2005

(reflet Brewaeys), 11; Pas., 2004, I, 1868; R.W., 2004-05 (abrégé), 1671 note Wagner ; R.G.D.C., 2006, 140.

(55) J.T., 2006, 675. (56) G. de Leval, Éléments de procédure civile, Bruxelles, Larcier, 2005, 2e éd., p. 90 ; J.

Laenens, « Over termijnen en verzoekschriften in het civiele geding », R.W., 2005-2006, pp.1402 et 1403, n° 8 ; J.-F. van Drooghenbroeck, « La notification en droit judiciaire privé … », op. cit., pp. 235 et s., nos 72 et s.

(57) L’article 9 du Règlement 1348/2000 du 29 mai 2000 relatif à la signification et à la notifica-tion dans les Etats membres des actes judiciaires et extra judiciaires en matière civile et commer-ciale (J.O.C.E. n° L 160, 30 juin 2000) en est un exemple. En principe, la date de la signification ou de la notification est fixée conformément à la législation de l’État du destinataire de l’acte. Toute-fois, lorsque l’acte doit être signifié ou notifié dans un certain délai, dans le cadre d’une procédure à introduire ou en cours dans l’État de l’expéditeur, la date à prendre en considération à l’égard de l’expéditeur est celle fixée par la loi de son propre État. On assiste donc à une dissociation du ré-gime de détermination de la date de l’acte, suivant que les effets de l’acte sont examinés du point de vue de l’expéditeur ou du destinataire.

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une présomption, qui est fonction du procédé utilisé pour l’envoi. Le législateur a recherché un point de repère qui peut être fixé aisément par des documents probants. Lors de la notification par pli judiciaire ou par recommandé avec accusé de réception (qui sont deux procédés presque similaires), on peut (en principe) déterminer avec précision la date de passage du facteur au domicile du destinataire. En cas d’envoi par pli simple ou par recommandé ordinaire, en revanche, il n’est pas possible de déterminer de manière précise la date de dépôt du courrier dans la boite du destinataire. Dans ce cas, la loi prend en considération la remise du pli à la poste, qui est attestée par le cachet sur l’enveloppe ou le récépissé d’envoi recommandé. À partir de ces points de réfé-rence, la loi ajoute un délai, à l’issue duquel le pli est présumé récep-tionné : un jour en cas de pli judiciaire ou de recommandé avec accusé de réception, trois jours, en cas de par pli simple ou par recommandé ordinaire.

La solution exposée ci-dessus ne vaut que pour le destinataire. À l’égard de l’expéditeur, la théorie de l’expédition reste applicable. En dissociant le sort de l’expéditeur de celui du destinataire, cette loi fait donc application du principe de la double date (58).

Plusieurs auteurs ont néanmoins fait observer que l’accusé de récep-tion qui doit accompagner le pli judiciaire ne comporte pas de mention de la date de présentation du pli au domicile du destinataire (59). Dans l’état actuel du texte, la date de réception n’est pas donc connue, sauf si le destinataire se trouve chez lui, auquel cas la date de présentation peut être déduite des cachets apposés par La Poste sur l’accusé de ré-ception (60). La modification apportée aux paragraphes 1 et 2 de l’article 46 par la loi du 5 août 2006 est de nature à préciser un peu les choses puisqu’il est dorénavant prévu que l’accusé de réception soit « daté et signé » par le destinataire (61). Cela ne résout toujours pas la question lorsque le destinataire n’est pas à son domicile lors du pas-sage du facteur : dans ce cas, il ne datera l’accusé de réception que s’il effectue une démarche à La Poste pour aller chercher le pli. La date

(58) E. Brewaeys, « Veranderingen in het gerechtelijk recht », NjW, 2006, n° 3, p. 5 ; A. Fry,

« Délais et requêtes contradictoires », J.T., 2006, n° 10, p. 671 ; J. Laenens, « Over termijnen … », op. cit., nos 7 et s., p.1402.

(59) H. Boularbah et J. Englebert, « Questions d’actualité en procédure civile », in Actualités en droit judiciaire, CUP, vol. 83, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 56, n° 15 ; A. Fry, op. cit., n° 11, p. 672 ; J. Laenens, op. cit., n° 16, p. 1404.

(60) Si le destinataire ne va pas chercher son pli à La Poste, celle-ci appose sur l’enveloppe une vignette autocollante, qui mentionne la date de dépôt de l’avis de passage. L’enveloppe est ensuite renvoyée à l’expéditeur. Dans ce cas, la date de délivrance est donc connue mais elle ne ressort pas de l’accusé de réception lui-même, qui reste vierge.

(61) Même si cette mention n’est pas obligatoire dans le régime actuel, certains facteurs font déjà dater l’accusé de réception par le destinataire.

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sera alors celle de de la remise effective du pli et non celle du passage du facteur à son domicile. La solution passera sans doute par une adaptation de l’arrêté ministériel du 30 janvier 1987 sur le condition-nement du pli judiciaire. 32. Dans l’environnement électronique, en principe, le problème ne devrait pas se poser, compte tenu de la quasi-instantanéité de la com-munication électronique. Mis à part le cas d’école de l’acte adressé à 23h59 et reçu à 00h01, les documents électroniques seront adressés et reçus le même jour (62). Et pourtant, tous les utilisateurs de l’internet savent bien que des problèmes de délivrance de messages peuvent se poser. Les causes peuvent en être diverses et tiennent fréquemment dans un problème de syntaxe de l’adresse, une surcharge du réseau… De ce fait, la délivrance du message peut être postposée de plusieurs heures, voire de plusieurs jours et l’émetteur n’en est pas toujours averti immédiatement. Dans cette hypothèse, le problème de la date d’effet de l’acte réapparaît, tout comme dans l’environnement tradi-tionnel.

La solution choisie par le législateur dans l’environnement électro-nique est diamétralement différente de celle qui figure à l’article 53bis. Le régime de la prise d’effet de l’acte de procédure électronique est étroitement calqué sur la réalité technique du procédé de communica-tion utilisé. L’article 9 de la loi du 10 juillet 2006 distingue donc le cas de l’acte déposé dans le système Phenix, le cas de la communication avec intervention d’un PSC et le cas de la communication électronique ordinaire. Il s’agit, comme nous l’avons dit plus haut, d’une entorse au principe des équivalents fonctionnels puisque les mécanismes tradi-tionnels et électroniques ne sont pas soumis au même régime.

B. – Le dépôt d’acte de procédure au greffe (flux entrant)

33. Pour les actes qui doivent être accomplis au greffe, l’article 9 de la loi précise que le moment à prendre en considération est celui de l’introduction dans le système Phenix. Dans la mesure où le logiciel qui gère le système possède un module d’horodatation, il est possible de déterminer, à la minute près, le moment de l’accomplissement de l’acte. Par ailleurs, le déposant est immédiatement averti des dysfonc-tionnements et peut donc recommencer sans délai le dépôt en cas de

(62) Cela étant, il arrive que, dans certains calendriers de mise en état, dans les cas où il y a ur-

gence (référé ou assimilé…), le dernier délai pour conclure expire la veille de l’audience à 16h00, de façon à laisser à l’avocat destinataire un peu de temps pour prendre connaissance des conclusions de son adversaire, même s’il ne peut plus y répondre. Dans ce cas de figure, il est nettement plus plausible que des problèmes de transmission puissent se produire et qu’un document expédié avant l’heure fatidique soit reçu après.

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défaillance. Dans ce cas de figure, la détermination de la date de prise d’effet de l’acte ne devrait pas occasionner beaucoup de difficultés.

On peut remarquer que, même si le mécanisme se déroule dans un délai extrêmement court, c’est néanmoins un régime juridique fondé sur la réception de l’acte. C’est en effet le système informatique du destinataire qui fournit la date clef.

C. – La notification du greffe vers les avocats et les parties (flux sortant)

34. Cette hypothèse concerne un cas de notification par le greffe ou le parquet. L’intervention du PSC est donc obligatoire. Selon l’article 9 de la loi, le moment important est celui où le PSC reçoit la demande de l’expéditeur de l’envoi. Ce moment peut être déterminé sans grande difficulté puisque le PSC dispose également des compétences techni-ques pour attester une date.

Ce n’est donc pas le moment de la réception par le destinataire mais par l’intermédiaire chargé de la notification. C’est l’équivalent de la remise du pli à la poste dans l’article 53bis, si ce n’est que, pour la noti-fication par voie électronique, la loi n’ajoute pas de délai de réception présumée par le destinataire. Si l’envoi du pli par le PSC au destina-taire est retardé pour une raison quelconque, il est tout à fait possible que le destinataire ne reçoive le pli qu’à une date postérieure à celle de l’envoi par le greffe au PSC. Le problème du décalage temporel entre expédition et réception est donc susceptible de réapparaître à ce ni-veau, sans qu’aucune solution ne soit prévue par la loi. J.-F. Henrotte et D. Fesler font observer à ce sujet : « il est cependant vraisemblable que la Cour d’arbitrage n’y voit pas malice dans la mesure où les in-convénients de la théorie de l’envoi par rapport à la théorie de la ré-ception sont considérablement réduits par le principe d’instantanéité des communications électroniques (63). » Il est exact que, contraire-ment à la notification par voie postale, pour laquelle il existe toujours un délai entre expédition et réception, dans le cas de la notification par voie électronique, ce délai devrait relever de l’anomalie. On peut considérer qu’il n’est pas raisonnable de bâtir un régime juridique complet sur un phénomène qui n’est pas susceptible de se produire couramment.

Cet article s’applique-t-il à la notification hybride ? Il nous semble que la réponse est négative, dès lors que celle-ci n’est pas intégrale-ment accomplie selon un processus électronique et que l’envoi du pli

(63) J.-F. Henrotte et D. Fesler, op. cit., p. 208, n° 18.

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par le PSC au destinataire pose les mêmes problèmes qu’une notifica-tion entièrement réalisée par voie postale traditionnelle.

D. – La communication entre acteurs judiciaires (flux externe)

35. Si un PSC intervient dans cette communication, la solution est identique à celle du point précédent.

Dans les autres hypothèses, c’est-à-dire lorsque le document n’est pas déposé dans le système ou adressé via un PSC, le moment clef est celui où « l’expéditeur donne l’ordre irrévocable d’envoyer le docu-ment » (64). En pratique, c’est le moment où l’expéditeur clique sur le bouton « envoyer » de son programme de messagerie.

Cette fois, c’est très clairement le moment de l’expédition qui est seul pris en considération, tout en gardant à l’esprit que le moment de la réception est, en principe, quasi-concomitant. Le problème résidera au niveau de la preuve de ce moment, qui ne peut, pour des raisons matérielles, que ressortir du logiciel de messagerie de l’expéditeur. Toutefois, l’exposé des motifs précise à ce sujet : « cette preuve ne sera cependant pas suffisante à elle seule, tout comme à l’heure actuelle, le rapport d’une transmission par fax n’est pas considéré comme une preuve suffisante si le destinataire le conteste » (65). Il est vrai qu’il est possible, avec de bonnes connaissances en informatique, de modifier les mentions relatives à la date de l’envoi conservées dans l’ordinateur de l’expéditeur. En cas de contestation, cette disposition risque donc d’être d’une application très délicate. La seule date qui ne pourra pas prêter à discussion sera la date à laquelle le destinataire reconnaîtra avoir reçu l’acte, mais l’objectif de la loi, qui est de clicher le moment de l’expédition, sera manqué.

Entre avocats, J.-F. Henrotte et D. Fesler font remarquer que le rè-glement déontologique de l’O.B.F.G. (art. 2.9), dans sa version future, obligera les avocats à configurer leur messagerie de manière à accuser réception automatiquement de tous les messages électroniques en-trants (66). Cette mesure ne rapporte toutefois pas la preuve du mo-ment de l’expédition du message, qui, selon la loi, est le moment à

(64) On peut comparer ce texte à l’article 31 de la loi québécoise concernant le cadre juridique

des technologies de l’information (L.Q. 2001, c32) : « un document technologique est présumé transmis, envoyé ou expédié lorsque le geste qui marque le début de son parcours vers l’adresse active du destinataire est accompli par l’expéditeur ou sur son ordre et que ce parcours ne peut être contremandé ou, s’il peut l’être, n’a pas été contremandé par lui ou sur son ordre. » Le commen-taire de ce texte précise : « par exemple, cliquer sur le bouton « envoyer» ou sur une icône. On appli-que ici l’analogie avec le fait de mettre une lettre à la poste : une fois la lettre déposée dans la boite aux lettres, on n’a pas le loisir de la retirer. »

(65) Exposé des motifs, p. 20. (66) J.-F. Henrotte et D. Fesler, op. cit., p. 211, n° 21.

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prendre en considération pour apprécier les effets de l’acte, sauf si l’accusé de réception permet de préciser le moment de l’envoi.

§ 5. Le traitement des dysfonctionnements du système informatique

36. À tort ou à raison, l’informatique fait peur, comme à ce juge américain, qui déclarait : « ayant, comme beaucoup d’autres citoyens, reçu des factures informatisées pour des montants que j’avais payés depuis longtemps, je ne suis pas prêt à accepter le produit d’un ordina-teur comme la sainte écriture. (67) » Même si des dysfonctionnements sont également susceptibles de se produire dans l’environnement tra-ditionnel, les problèmes liés à la communication électronique frappent les imaginations et sont susceptibles de prendre des dimensions redou-tables. Le législateur s’y est donc particulièrement attaché. Ce texte est celui qui a connu le plus de rédactions successives durant les tra-vaux préparatoires, signe sans doute du caractère délicat de cette question.

A. – Les dysfonctionnements informatiques en général

37. Le texte de base figure à l’article 9 § 2 de la loi du 10 juillet 2006 : « l’absence de délivrance d’un document, sa délivrance tardive ou son caractère illisible, dus à un dysfonctionnement informatique, sans faute ou négligence imputable à la partie qui s’en prévaut, sont assi-milés à des cas de force majeure lorsqu’ils l’empêchent d’exercer ses droits ».

1. Le projet d’origine

38. Le texte d’origine du projet de loi était complètement différent. Une procédure particulière était prévue pour sauvegarder les droits d’une partie qui rapporte la preuve qu’un document de procédure ne lui a pas été délivré dans un délai raisonnable ou que ce document était illisible ou affecté d’un virus. La partie préjudiciée pouvait alors introduire une demande d’aménagement du « délai qui lui est imposé » auprès du juge. Après que les parties aient pu formuler leurs observa-tions, le juge statuait sur l’incident. Les différents délais cumulés de cette procédure de règlement des incidents pouvaient atteindre jusque quatre semaines.

Le gouvernement a déposé d’initiative un amendement supprimant cette procédure simplifiée de règlement des incidents et la remplaçant par une simple assimilation des dysfonctionnements informatiques à

(67) Cité par B. Amory, « Le droit de la preuve face à l’informatique et la télématique », in Le

notariat et l’informatique, Féd. Royale des Notaires, 1985, pp. 247 et s., spéc. 258.

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des cas de force majeure (68). La justification de cette modification est assez laconique. Le législateur a simplement voulu se référer à une no-tion déjà connue dans la jurisprudence : celle de force majeure.

Était-ce une bonne idée ? La procédure initiale était lourde. Comme les délais prévus par le texte n’étaient pas suspensifs, la partie qui in-voquait l’atteinte à ses droits de la défense risquait de se retrouver dans une situation délicate si, au terme de l’examen de l’incident, le juge refusait de proroger le délai en question. Mais surtout, cette dis-position était susceptible d’engendrer des effets pervers ou des diffi-cultés d’appréciation. En effet, cette mesure était visiblement inspirée par l’hypothèse des délais impartis pour conclure, en application des articles 747 § 2 ou 751. Dans ce cas, la partie qui reçoit tardivement des conclusions, suite à un dysfonctionnement informatique, aurait pu saisir le juge de la difficulté et demander qu’un délai supplémentaire pour conclure lui soit accordé. Toutefois la rédaction fort large du texte autorisait une partie à soulever l’incident, chaque fois que ses droits de la défense étaient préjudiciés par la délivrance tardive d’un acte de procédure, et lui permettait de solliciter l’aménagement « des délais qui lui sont imposés ». En réalité, la généralité des termes utilisés aurait permis d’appliquer cette procédure à toute hypothèse d’impossibilité de respect d’un délai suite à un problème informatique et pas uniquement les délais pour conclure. On aurait pu viser égale-ment les délais de recours par exemple. Dans l’état actuel de notre droit, les délais de recours sont les délais prescrits à peine de déchéance les plus sévèrement sanctionnés et les causes habituelles de couverture des déchéances ne leur sont pas applicables (art. 864 C. jud.). Le non-respect de ces délais ne peut être couvert que par la survenance d’un cas de force majeure. La reconnaissance de cette procédure de règle-ment des incidents informatiques aurait donc permis indirectement d’introduire une possibilité de prorogation des délais de recours, en principe formellement interdite par l’article 50 du Code judiciaire. On peut se demander si les auteurs du texte avaient réalisé l’importance de la brèche dans le régime légal des voies de recours qui était intro-duite par ce biais. En outre, quel juge aurait dû être saisi de l’incident dans ce cas ? Celui qui a rendu la décision attaquée ou celui qui doit être saisi du recours ?

2. Le régime actuel

39. Quoiqu’il en soit, cette procédure simplifiée de règlement des incidents a été supprimée. À la place, le législateur indique que le dys-fonctionnement informatique peut être considéré comme un cas de

(68) Amendement n° 2, Doc. Parl. 1701/002.

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force majeure, pour autant qu’il ne soit pas dû à la négligence de celui qui l’invoque, ce qui est une tautologie. La force majeure suppose un fait résultant d’une circonstance indépendante de la volonté de celui qui l’invoque et que cette volonté n’a pu ni prévoir, ni conjurer (69). La question de savoir si un problème informatique peut constituer un cas de force majeure risquait fort de dégénérer en une « querelle entre les anciens et les modernes ». Suivant leur sensibilité ou leur expérience de l’informatique, les magistrats auraient pu se montrer très restrictifs ou au contraire très accueillants dans l’appréciation de l’existence d’un cas de force majeure. Le texte légal actuel a le mérite de cadenas-ser le pouvoir d’appréciation du juge : celui-ci sera tenu d’admettre la force majeure, dès lors que la partie démontre qu’elle n’a pas commis de faute et que la délivrance tardive ou l’impossibilité de prendre connaissance du message porte préjudice à ses droits. Tout risque de controverse n’est pas pour autant écarté. Comment apprécier l’absence de faute de cette partie ? Il y a là un code de bonne conduite à établir. On peut raisonnablement considérer que tout utilisateur du système Phenix devra utiliser un logiciel antivirus et un firewall (70) et qu’il les tiendra régulièrement à jour. Selon quelle fréquence ? À partir de quel âge un tel logiciel sera-t-il considéré comme obsolète et inefficace compte tenu de l’évolution des menaces ? Il appartiendra à la jurisprudence de le déterminer. Comment la partie préjudiciée rap-portera-t-elle la preuve du respect de ses obligations ? L’examen de son ordinateur permettra de déterminer à quelle fréquence les mises à jour ont eu lieu, pour autant évidemment que la présence d’un virus ne l’aie pas obligée à reformater son disque dur et donc à en supprimer toutes les données !

Cela étant, les virus et autres programmes malveillants ne consti-tuent pas les seules sources de dysfonctionnement informatiques. La justification de l’amendement n° 2 mentionne également, à juste titre, les pannes de courant ou les dysfonctionnements de logiciel (bugs). À ce niveau, la preuve de l’origine du dysfonctionnement et de l’absence de faute de l’utilisateur sera peut-être plus difficile à établir. En ma-tière de recours, la jurisprudence considère que la grève postale ne

(69 Cass., 30 septembre 2003, R.G. P.02.1415.N ; Cass., 21 mai 2003, R.G. P.03.0699.F ; Cass.,

30 avril 2002, R.G. P.00.1617.N ; Cass., 1er juin 1988, Pas., 1988, I, 1185. (70) Logiciel interdisant l’accès à l’ordinateur de l’extérieur, lorsqu’il est connecté à l’internet.

De plus en plus, les fournisseurs de logiciels de sécurité informatique (Symantec, Mc Afee…) four-nissent des programmes intégrés qui offrent une protection globale contre les virus, les chevaux de Troie, les intrusions, les logiciels espions (spywares)…

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constitue pas (nécessairement) un cas de force majeure (71). La panne de courant connaîtra-t-elle un sort meilleur ?

Lorsque le dysfonctionnement est établi, la communication des piè-ces peut se faire par toute voie (par porteur, par courrier, par téléco-pie…), quand bien même l’utilisation du courrier électronique serait obligatoire dans le cas d’espèce (art. 6 de la loi du 10 juillet 2006).

Le délai reprend vigueur dès que la cause de force majeure a cessé (72).

Puisque la procédure simplifiée de règlement des incidents informa-tiques a été supprimée par un amendement du Gouvernement, com-ment ces problèmes seront-ils traités désormais ? Comme tout incident de procédure, à savoir que les parties pourront conclure à son sujet et soit solliciter une fixation pour que l’incident soit tranché de manière isolée, soit joindre l’examen de l’incident au fond du litige. C’est, du reste, cette dernière solution qui est habituellement utilisée pour tran-cher les problèmes de non-respect de délais.

3. L’impossibilité d’ouvrir ou de lire des documents affectés d’un virus

40. Le § 4 de l’article 9 est consacré à un problème précis : les docu-ments qui ne peuvent être ouverts parce qu’ils sont corrompus ou at-teints d’un virus. La loi commence par instaurer une présomption de lisibilité, tant que le destinataire ne proteste pas. Si le destinataire formule une réclamation motivée, l’expéditeur doit lui adresser sans délai une nouvelle version du document électronique lisible et non af-fectée de virus. La loi ne crée donc ni délai particulier ni sanction, aussi bien pour le destinataire qui proteste que pour l’expéditeur qui doit adresser à nouveau le message (l’expression « sans délai » n’est qu’une invitation à la vigilance mais n’est assortie d’aucune sanction).

En principe, l’illisibilité du document n’affecte pas sa délivrance. Il s’agit de deux concepts différents : la délivrance a lieu lorsque le desti-nataire peut prendre connaissance du message (en langage technique on dira que le message se trouve sur son serveur mail – en langage cou-rant on dira que le message se trouve dans sa boite à messages). Peu importe que le message soit ou non lisible.

(71) Cass., 9 octobre 1980, Pas., 1981, I, 155 ; R.W., 1981-1982, col. 124 ; Cour trav. Mons, 15

avril 1983, J.T., 1983, 651. (72) A. Fettweis, Manuel de procédure civile, 2e éd., Liège, fac. Dr., 1987, n° 687, p. 467 ; J.

Laenens, K. Broeckx et D. Scheers, Handboek gerechtelijk recht, Antwerpen, Intersentia, 2004, n° 1128, p. 521.

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4. L’impossibilité d’introduire dans le système Phenix des documents affectés d’un virus

41. La menace des virus est telle que le législateur a introduit une règle supplémentaire, lorsque le document doit être introduit dans le système Phenix. Ce système est évidemment protégé par un antivirus, qui empêchera l’introduction de documents susceptibles de créer un danger pour les données qu’il contient. Dans l’hypothèse visée ici, la cause du problème est donc imputable à l’état du document adressé par l’expéditeur. Il ne s’agit pas d’une défaillance du système Phenix, hypothèse qui sera traitée au point suivant. Au contraire, le système a parfaitement fonctionné, puisque ses défenses ont éjecté le document suspect.

L’utilisateur peut ainsi se voir privé de la possibilité de déposer un acte de procédure dans le délai qui lui est imparti. Faut-il nécessaire-ment le sanctionner, dès lors que la contamination par un virus peut affecter même un utilisateur normalement prudent et diligent ? Nul n’est à l’abri d’un accident. On aurait pu s’en tenir à la règle formulée au § 2, dont la généralité autorise l’application dans ce cas de figure. En effet, si cette règle (le dysfonctionnement sans faute constitue un cas de force majeure) permet de protéger les droits du destinataire, elle peut aussi être utilisée pour protéger les droits de l’expéditeur, qui ne parvient pas à déposer l’acte suite à un dysfonctionnement informati-que.

Néanmoins, la loi établit une règle spécifique dans cette hypothèse, qui constitue la transposition de la règle générale du § 2. Lorsqu’un document ne peut être introduit dans le système Phenix à cause d’un virus ou tout autre programme malveillant, si l’utilisateur démontre qu’il a pris les mesures adéquates en

vue d’en assurer la sécurité et la lisibilité (on en revient à la preuve de l’absence de faute ou de négligence du § 2), et si il a adressé au greffe, même hors délai, un document lisible

et non affecté du même vice, alors l’acte est considéré comme accompli valablement.

B. – Le cas particulier de la défaillance du système Phenix

42. Les règles de l’article 9 que nous avons exposées au point précé-dent traitent des conséquences des dysfonctionnements informatiques en général. La loi envisage toutefois un cas particulier : la défaillance du système Phenix lui-même. Dans ce cas, il ne peut être question de faute de l’utilisateur, sauf si l’incident trouve sa cause à la fois dans une négligence de l’utilisateur et un dysfonctionnement de Phenix.

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Par ailleurs, il sera plus facile de trouver des informations sur l’origine du problème, dès lors que le système tient à jour des journaux (logfi-les) reprenant tous les événements qui se sont produits dans le cours du fonctionnement de l’application.

La procédure à suivre pour régler ces incidents figure à l’article 26 de la loi du 10 juillet, qui introduit un article 882bis dans le Code judi-ciaire. Lorsqu’un tel dysfonctionnement est soulevé dans le cadre d’une procédure, le juge saisi peut demander des informations au co-mité de gestion, sur la nature du problème, sa durée ou ses conséquen-ces. La réponse du comité de gestion doit intervenir dans les huit jours de la réception de la question du juge. Les éléments de réponse sont notifiés aux parties et celles-ci peuvent adresser leurs observations au juge dans les huit jours. Sauf s’il décide d’entendre les parties, le juge statue alors sur pièces, soit dans les huit jours suivant l’expiration du délai pour formuler des observations, soit par la décision qui statue sur le fond de l’affaire.

On peut constater que le législateur a maintenu ici la procédure simplifiée de règlement des incidents, qu’il a abandonnée à l’article 9 pour les dysfonctionnements autres que ceux du système Phenix. Le motif de cette différence de traitement n’est pas indiqué dans les tra-vaux préparatoires. Il n’est pas certain que ce soit intentionnel. Il est toutefois judicieux de prévoir expressément la possibilité d’interroger le comité de gestion et d’indiquer les délais endéans lesquels celui-ci doit fournir une réponse, pour éviter que le litige ne s’éternise. 45. L’article 882bis décrit les étapes à suivre pour trancher la ques-tion mais ne dit rien de la décision que pourra prendre le juge. La solu-tion, sur ce point, se trouve à l’article 9 de la seconde loi (celle du 5 août) : « Si un acte n’a pu être accompli au greffe dans les délais, même prescrits à peine de nullité ou de déchéance, en raison d’un dysfonctionnement du système Phenix, celui-ci est néanmoins valable s’il est accompli sous forme papier ou électronique le lendemain du dernier jour du délai. En cas de contestation de la réalité et de la durée du dysfonctionnement, il est procédé comme indiqué à l’article 882bis. La prolongation de délai visée à l’alinéa 3 s’applique en tout état de cause si le dysfonctionnement intervient le dernier jour du délai. »

En cas de dysfonctionnement du système Phenix , cette disposition autorise la partie concernée à déposer l’acte, par voie électronique ou traditionnelle, le lendemain du jour d’expiration du délai. Si le dys-fonctionnement en question se prolonge plusieurs jours au delà de la date d’expiration du délai, l’acte devra être impérativement accompli sur support papier, puisque la prorogation du délai n’est que d’un seul

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jour. Le dernier alinéa précise toutefois que, lorsque le dysfonction-nement survient le dernier jour du délai, la prorogation a lieu automa-tiquement (73). Dans ce cas, aucune discussion ne pourra s’instaurer concernant la durée et l’incidence du problème technique : les parties ont droit d’office à leur jour supplémentaire. En revanche, si le dys-fonctionnement est apparu plus tôt, le juge conserve son entier pou-voir d’appréciation sur l’incidence de ce désordre sur les possibilités d’accomplir l’acte dans les temps et la prorogation ne sera pas systé-matiquement accordée (74).

Section 3. – Modification du dossier de procédure et de la procédure judiciaire

44. La réforme ne s’achève pas avec la modification des règles de communication entre les acteurs du monde judiciaire. Elle débouche également sur une adaptation des règles de fonctionnement des tribu-naux. Sur ce plan, il s’agit davantage d’une modification interne, dans la mesure où elle ne concerne pas directement les acteurs externes aux cours et tribunaux, même si elle affecte indirectement leur situation.

§ 1. Le dossier électronique

A. – Le dossier de procédure

45. Tout d’abord, le dossier de procédure doit être dématérialisé. Actuellement, il est constitué de documents sur support papier, dépo-sés dans une chemise portant la date de mise au rôle et le numéro d’ordre de la cause (art. 720 C. jud.). Le dossier contient tous les actes de procédure. L’article 721 reprend une énumération exemplative.

Le dossier se déplace physiquement. Lorsqu’un juge se déclare in-compétent, le dossier est renvoyé au greffe de la juridiction compé-tente (art. 661). Lorsqu’un recours est introduit, le dossier est trans-mis à la juridiction qui doit connaître du recours (art. 723).

Désormais le dossier pourra être tenu sur support électronique. En fait, les modifications nécessaires pour atteindre cet objectif étaient assez légères. Il a suffi d’abroger l’article 720, alinéa 2 : cette disposi-tion prévoit que la date de mise au rôle et le numéro de rôle sont ins-crits sur la chemise. Elle s’avérait incompatible avec l’idée d’un dos-sier dématérialisé. Les autres dispositions du Code relatives au dossier

(73) Voir exposé des motifs, page 41. (74) Ibidem.

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de la procédure sont suffisamment neutres pour s’appliquer également à un dossier électronique.

Un dossier électronique ne se déplace pas : ce sont les accès au dos-sier qui changent. Lorsqu’un appel est introduit, les greffiers et magis-trats de la juridiction d’appel auront accès au dossier qui, jusqu’alors, n’était traité que par la juridiction de première instance. 46. Cela ne signifie pas pour autant que, du jour au lendemain, le dossier va intégralement se dématérialiser. Bon nombre de pièces (si pas la majorité) déposées au greffe seront encore constituées de docu-ments sur support papier. Un moyen efficace de réduire de manière drastique ce flux de papier est d’obliger tous les professionnels de la justice (huissiers, avocats…) à recourir à l’électronique. C’est prévu à l’article 4 de la loi du 10 juillet 2006 mais cette mesure ne pourra être adoptée que lorsque les différents intervenants auront tous l’infrastructure nécessaire et seront suffisamment familiarisés avec le système.

En attendant, que faire de tout ce papier ? Faut-il numériser tous les documents papiers pour ne conserver qu’un seul dossier sous forme électronique ? La résistance au changement est un facteur tenace et la tentation sera certainement forte de faire l’inverse : imprimer tout ce qui est électronique. Ou encore, va-t-on créer un dossier électronique et un dossier traditionnel ?

Contrairement au volet pénal de la loi, le volet civil ne contient pas de description de la procédure à suivre pour numériser un dossier. Il est clair que le dédoublement du dossier, en partie papier, en partie électronique, ne serait pas facile à gérer. Mais est-il contraire aux prin-cipes ? I. Verougstraete et V. Lamberts insistent sur l’unicité du dos-sier de procédure, qui exclut tout dossier hybride en matière ci-vile (75). Une telle solution ne ressort cependant pas du texte. Les greffiers interrogés par la Commission de la justice de la Chambre (76) estimaient d’ailleurs que projet de loi autorisait l’utilisation d’un dos-sier hybride en matière civile. Un dossier partiellement dématérialisé est-il véritablement dédoublé ou n’y a-t-il toujours qu’un seul dossier, sur deux supports différents ? Il n’y a qu’un seul numéro de rôle. En tout état de cause, quelle que soit la solution, elle ne sera pas aisée pour les greffes. Soit ils devront utiliser un dossier sur deux supports différents, soit ils devront numériser une grande quantité de pièces.

(75) I. Verougstraete et V. Lamberts, « Le système Phenix tel que conçu par le législateur »,

in Phenix et la procédure électronique, CUP, vol. 85, Larcier, 2006, p. 46, n° 31. (76) Audition de MM. Sluis et Demets, rapport de la Commission de la justice, doc. parl.

Chambre, 51 – 1701/004, p. 62.

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La numérisation des pièces de procédure ferait disparaître les signa-tures manuscrites en original. Toutefois l’article 173, alinéa 2, 4° dis-pose que le greffier donne acte des différentes formalités dont l’accomplissement doit être constaté et leur confère l’authenticité. Dans ce contexte, le greffier pourrait parfaitement constater que l’acte numérisé était porteur d’une signature manuscrite en original et cette déclaration aurait valeur authentique.

B. – Le dossier de pièces des parties

47. Actuellement, le dossier de pièces est déposé par les parties à l’audience et, si le Code judiciaire évolue en ce sens, il pourra (ou de-vra) également être déposé avant l’audience. Il ne fait pas à propre-ment parler du dossier de procédure et ne figure pas sur l’inventaire des pièces de procédure dressé par le greffier. Après le prononcé du ju-gement, le dossier de pièces est restitué aux parties (art. 739).

Deux modifications ont été nécessaires pour permettre le dépôt d’un dossier de pièces par voie électronique : l’article 737 a été adapté : on a supprimé la mention des pièces

« enliassées », ce qui faisait explicitement référence à un dossier physique où les pièces seraient réunies par une ficelle ; l’article 739 est également adapté pour indiquer que le dossier de

pièces des parties n’est pas restitué après le prononcé du juge-ment, si ce dossier a été communiqué par voie électronique.

C’étaient les seuls véritables obstacles à la dématérialisation. L’obligation de recourir à l’électronique impose-t-elle aux parties de

numériser leur dossier de pièces ? Non dans l’état actuel des textes, dès lors que la formulation du Code judiciaire est neutre quant au support utilisé. Oui, si un arrêté royal obligeait les avocats à ne poser des actes de procédure que par voie électronique. Seuls les justiciables se défen-dant sans assistance d’un avocat ne seraient pas visés par cette obliga-tion.

C. – Réflexions finales

48. Est-ce vraiment la fin de la « tyrannie du papier » (77) ? Le minis-tère de la justice autrichien a intégralement numérisé tous ses dossiers. Depuis lors, chaque service imprime les extraits du dossier qui l’intéressent et un dossier papier unique est remplacé par une multi-tude de morceaux de dossiers éparpillés dans les différents services. Des effets pervers sont prévisibles aussi en Belgique. L’avenir nous dira comment la transition du papier à l’électronique sera réalisée

(77) L’expression est du professeur français Vasseur.

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mais on peut parier que le papier ne disparaîtra pas de sitôt des tribu-naux. Ne fut-ce que parce qu’il est difficile et fatigant de lire des dizai-nes de pages de conclusions à l’écran ou de comparer deux pièces dont on ne dispose pas physiquement.

§ 2. Conséquences de la réforme sur l’introduction de la procédure

A. – La mise au rôle

1. Le rôle électronique

49. Même si, dans bon nombre de juridictions, le rôle est déjà tenu sur ordinateur, dans les textes, le rôle est toujours un registre tenu sur papier. Plusieurs dispositions du Code judiciaire font obstacle à sa dé-matérialisation. En particulier, l’article 713 dispose que le rôle est « coté et paraphé sur chaque feuille ». Cette expression est trop précise pour autoriser l’emploi d’un équivalent électronique : une base de données électronique n’a pas de « feuilles ».

Les modifications apportées au régime juridique du rôle vont dans deux sens : Les textes incompatibles avec un rôle électronique sont modi-

fiés. En particulier, l’article 713 précise désormais que « le rôle est créé et conservé d’une manière qui rende possible sa consultation et garantit sa lisibilité ». C’est important, sachant que le rôle est public (art. 719). La distinction entre rôle général et rôle particulier est suppri-

mée. Désormais, il n’y a plus qu’un rôle par juridiction. Le nu-méro d’identification de la cause sera unique et suivra le dossier jusqu’à son terme. Il comprendra tous les éléments permettant d’identifier la nature de la cause, de telle sorte que les rôles par-ticuliers perdront leur raison d’être78. Tous les textes qui font état de la distinction entre rôle général et rôle particulier ont été amendés.

La formalité de la cote et du paraphe pour les registres sur papier avait pour fonction de garantir l’intégrité du rôle : il n’est pas possible d’enlever ou d’ajouter des feuilles. Cette fonction est-elle parfaitement remplie dans l’environnement électronique par la double exigence lé-gale d’accessibilité (« qui rende possible sa consultation ») et de garantie de la lisibilité (« et garantit sa lisibilité ») ? Un registre qui est accessible n’est pas nécessairement protégé contre les altérations. La garantie de la lisibilité est un peu redondante : si le rôle peut être consulté, il est

(78) Exposé des motifs, p. 46.

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nécessairement lisible. Mais on ne retrouve pas de manière aussi expli-cite la fonction de protection contre les modifications. En outre, le paraphe par un magistrat confère l’authenticité au rôle (79). On ne retrouve plus cette exigence de signature dans l’article 713 actuel.

Cela étant, la loi autorise le Roi à fixer les modalités de tenue du rôle électronique et ces précisions peuvent encore être introduites par ar-rêté royal.

2. Modification des règles de mise au rôle

55. Dans une signification classique, l’huissier remet une copie de l’acte au défendeur et lui fait signer l’original (art. 43). Il conserve l’original, qui est présenté au greffe pour la mise au rôle de l’affaire. Toutefois la copie signifiée peut aussi servir pour la mise au rôle (art. 718).

Si la signification a lieu par voie électronique, l’huissier peut égale-ment présenter au greffe un exemplaire de l’acte de signification re-vêtu de sa signature électronique. Il s’agit d’un original. Le respect de l’article 718 ne pose donc pas de difficultés.

En revanche, si la signification a eu lieu de manière traditionnelle, l’huissier qui souhaite procéder à la mise au rôle par voie électronique pourrait éventuellement scanner l’acte de signification mais, dans cette hypothèse, les signatures manuscrites deviendraient des copies. Juridiquement, l’acte qui serait ainsi présenté au greffe ne serait plus un original. Il ne s’agit pas non plus de la copie signifiée, qui est entre les mains du défendeur. Le prescrit de l’article 718 ne pourrait donc être respecté. Il eût été dommage d’empêcher ainsi la mise au rôle élec-tronique de citations signifiées par voie traditionnelle, ce qui restera certainement encore le quod plerumque fit durant un certain temps. L’article 718 a donc été modifié par l’article 14 de la loi du 10 juillet 2006, de manière à permettre la mise au rôle sur présentation, soit de l’original, soit de la copie signifiée de l’acte (sur ce point, le texte est inchangé) soit d’une copie certifiée conforme par l’huissier (c’est la nouveauté). L’huissier qui dispose d’un original papier de la citation peut dès lors le numériser, attester la conformité de la copie puis dépo-ser le tout au greffe par voie électronique.

L’article 721 est également modifié pour se mettre en conformité avec l’article 718.

(79) A. Fettweis, op. cit., n° 256, p. 211

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La mise au rôle électronique supposera le paiement électronique des droits de mise au rôle. La procédure de paiement reste à déterminer.

B. – La requête conjointe

51. Le procès-verbal de comparution volontaire, tel que décrit dans le texte antérieur, imposait la comparution physique des parties de-vant le juge. Une telle procédure pouvait apparaître antinomique avec le souci de simplification et d’accélération lié à l’introduction de la procédure électronique. Permettre aux parties d’introduire une procé-dure par voie électronique, tout les obligeant à se présenter en per-sonne au tribunal, c’est retirer d’une main l’avantage accordé de l’autre.

C’est la raison pour laquelle l’article 706 a été modifié de manière à supprimer la formalité de la comparution, qui devient facultative. Dans un souci de neutralité technologique et de conformité au principe des équivalents fonctionnels, le législateur a étendu cette mesure au procès-verbal déposé par voie traditionnelle. Il n’y aura donc pas de régime juridique différent pour les comparutions volontaires tradi-tionnelle et électronique. Pour éviter les confusions avec l’ancienne terminologie, qui faisait trop explicitement référence à la comparution devant le juge, le procédé a été débaptisé et renommé « requête conjointe ».

Les règles nouvelles, introduites par l’article 11 de la loi du 10 juillet 2006, sont les suivantes : la requête conjointe peut être introduite devant les mêmes

juridictions que celles devant lesquelles la comparution volon-taire était antérieurement possible, elle doit être signée et datée par les parties, à peine de nullité, elle est déposée ou adressée au greffe par recommandé, le dépôt de la requête ou l’envoi valent signification, la mise au rôle se fait après paiement des droits de mise au rôle, si les parties le demandent ou si le juge l’estime nécessaire, une

audience est fixée dans les quinze jours du dépôt de la requête. 52. Était-il opportun de supprimer totalement la comparution physique devant le juge (80) ? Celle-ci remplit deux fonctions : la vérification de l’identité des parties et de leur volonté d’introduire effectivement une procédure (81).

(80) J.-F. Henrotte et D. Fesler, op. cit., p. 231, n° 44, estiment que la comparution aurait

dû être maintenue pour les requêtes non transmises électroniquement. (81) V. Lamberts, op. cit., p. 302, n° 91 ; voir aussi exposé des motifs, p. 44.

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L’obligation de signature de la requête, qu’elle soit manuscrite ou électronique, permet l’identification des parties (82). C’est une des fonctions de la signature (83). Il est donc inutile d’aller plus loin dans le formalisme et d’obliger les parties à comparaître (d’autant que, dans la quasi-totalité des cas, elles sont représentées par un avocat lors de cette comparution).

P. Rouard relève d’ailleurs que la signature manifeste également l’acceptation des parties de comparaître volontairement, de telle sorte que l’absence de signature invaliderait irrémédiablement le procès-verbal de comparution volontaire (84). On pourrait donc soutenir que la signature du procès-verbal ou de la requête conjointe remplit une double fonction : elle permet l’identification des parties et manifeste leur volonté de comparaître devant le juge (85). Vue sous cet angle, la nécessité d’une comparution physique devient douteuse. Quant au risque des faux procès, il est assez limité si on songe que, la plupart du temps, les procès-verbaux de comparution volontaire sont rédigés par des avocats. Les justiciables connaissent mal ce procédé, qui éveille leur méfiance, et n’y ont pas recours spontanément, bien qu’il n’entraîne aucune renonciation dans leur chef. Dans les quelques cas où le juge pourrait nourrir un doute quant à la volonté réelle des par-ties, rien ne l’empêche de les convoquer pour les entendre.

Le législateur n’a pas modifié les autres dispositions du Code judi-ciaire où les termes « procès-verbal de comparution volontaire » appa-raissent mais il laisse au Roi le soin de faire la toilette du Code à ce su-jet, sous réserve de confirmation ultérieure par une loi (loi du 5 août 2006, art. 15). 53. La requête conjointe peut-elle être signée par un avocat et non par une des parties ? La loi ne le prévoit pas, alors que, pour la requête contradictoire, la signature de l’avocat est expressément prévue dans le texte (art. 1034ter, 6°). Toutefois, le texte antérieur ne prévoyait pas non plus la possibilité de faire signer le procès-verbal de comparution volontaire par un avocat. Il était cependant admis que l’avocat puisse signer le procès-verbal en toutes matières, sans avoir à justifier d’un

(82) Ibidem. (83) D. et R. Mougenot, La preuve, Bruxelles, Larcier, 2002, 3e éd., n° 109 ; P. Van

Ommeslaghe, « Les obligations - Examen de jurisprudence (1974 - 1982) », R.C.J.B., 1988, p. 162, n° 243 ; M. Van Quickenborne, « Quelques réflexions sur la signature des actes sous seing privé », R.C.J.B., 1985, pp. 65 et s., nos 4 et 5.; N. Verheyden-Jeanmart, Droit de la preuve, Bruxelles, Larcier, 1991, n° 494.

(84) P. Rouard, Traité élémentaire de droit judiciaire privé, 1e partie, t. II, Bruxelles, Bruylant, 1975, p. 467, n° 588.

(85) Tout comme, en matière contractuelle, la signature manifeste également la volonté de celui qui signe d’adhérer à l’acte. Voir les références citées ci-dessus à la note n° 83.

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mandat quelconque (86). L’exposé des motifs envisage d’ailleurs la signature électronique de la requête par les parties ou leur conseil (87). Il ajoute également que, compte tenu du mandat ad litem de l’avocat, l’intervention de celui-ci dissipe tout doute quant à l’identité de son client (88). On peut ajouter que, si les parties ne peuvent signer digita-lement, parce qu’elles ne disposent pas encore d’une carte d’identité électronique par exemple, l’impossibilité de faire signer la requête par l’avocat constituerait un obstacle certain à l’utilisation d’une requête conjointe électronique. 54. Concrètement, la requête sous forme électronique doit être intro-duite sur le site web de Phenix, comme tout acte de procédure déposé au greffe. Elle doit être signée électroniquement à ce moment et le dé-pôt est réalisé dès qu’une signature est introduite, ce qui empêche les deux parties de signer la requête antérieurement. La seule manière de disposer d’un texte qui serait signé par les deux parties est de réaliser deux dépôts successifs. La requête complète est alors composée de deux actes déposés l’un après l’autre, un peu comme un contrat entre absents résulte de l’échange de deux instrumentum distincts, chacun revêtu de la signature d’un des cocontractants. Dans ce cas, la date à prendre en considération devrait logiquement être celle du second dé-pôt, puisque ce n’est qu’à ce moment que le conjonction des deux actes crée une requête conjointe valide.

§ 3. Autres modifications d’ordre procédural

A. – Les registres et répertoires tenus par les greffes

55. Outre le rôle, les greffes tiennent également différents registres : registre des actes du juge, des actes du greffier (art. 174), registre des oppositions aux décisions de mise à la retraite de magistrats (art. 388), registre des requêtes unilatérales (art. 1027), des oppositions (art. 1047), des renonciations à succession (art. 1185), des successions va-cantes (art. 1231), des demandes de séparation de biens, (art. 1311), des requêtes en procédure sommaire d’injonction de payer (art. 1341)…

Leur forme est régie par l’arrêté royal du 6 février 1970 qui dispose : « Article 1. Les greffiers tiennent en matière civile et commerciale, d’une part et en matière répressive, d’autre part un répertoire des actes du juge et un répertoire des actes du greffe. Les greffiers y inscrivent jour par

(86) P. Rouard, op. cit., p. 474, n° 593. (87) Exposé des motifs, p. 45. (88) Ibidem, p. 44.

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jour, sans blanc ni interligne, la date des actes et leur nature. Les répertoires sont paginés et accompagnés d’une table alphabétique établie au nom des parties. Article 2. Au 31 décembre de chaque année, les répertoires sont clos dans chaque juridiction, respectivement par le juge de paix, le président du tribunal et le premier président de la Cour. »

La pagination, l’inscription sans blanc ni interligne concernent évi-demment des registres tenus sur papier.

Par ailleurs, le greffe est tenu de respecter un certain nombre d’obligations d’ordre fiscal. De ce fait la tenue de différents registres est organisée par l’arrêté royal du 13 décembre 1968 relatif à l’exécution du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe et à la tenue des registres dans les greffes des cours et tribunaux. L’article 29 de cet arrêté royal autorisait déjà, avant l’introduction de la procédure par voie électronique, la tenue de ces registres « sur sup-port magnétique ». 56. Un article 174bis est introduit dans le Code judiciaire (loi du 5 août, art. 10) en vue de permettre la tenue de registres dématérialisés. Il est prévu que les registres et répertoires sont créés, conservés et communiqués d’une manière qui rend possible leur consultation et ga-rantit leur lisibilité.

Il s’agit à nouveau d’une règle technologiquement neutre. Le légi-slateur se fonde sur deux fonctions qu’il souhaite voir garanties, quels que soient la forme et le support de ces registres : l’accès et la lisibilité. On retrouve les mêmes fonctions que pour le rôle électronique et on peut émettre les mêmes réserves en ce qui concerne le respect de l’intégrité des registres (voir supra, n° 49).

B. – La disparition de la feuille d’audience

57. La loi du 10 juillet 2006 supprime la feuille d’audience (art. 22, modifiant l’art. 783 C. jud.).

Pour rappel, le Code judiciaire distingue le procès-verbal d’audience et la feuille d’audience (89).

La feuille d’audience, vérifiée par le président du siège et signée par lui ainsi que par le greffier, est le document qui contient la relation au-thentique de tous les actes de procédure accomplis au cours de

(89) J. Bourlet, « La feuille d’audience et le procès-verbal d’audience en matière civile », Le

Trait d’union, 2003, p. 10 ; P. Mathieu, « Feuille d’audience et procès-verbal d’audience », R.R.D., 2002, p. 111 ; Voy. aussi : Mons (bur. ass. jud.), 10 novembre 2000, J.T., 2001, 677 ; Mons (bur. ass. jud.), 12 février 2001, J.T., 2002, 156, R.R.D., 2002, 110.

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l’audience (90). Elle doit contenir la minute des jugements prononcés au cours de cette audience ainsi que les mentions indiquées à l’article 783, alinéa 2, 1° à 3°.

Le procès-verbal d’audience, dont il est question à l’article 721, 3°, du Code judiciaire, est, en revanche, une pièce qui se rapporte exclusi-vement à une cause et qui doit être classée dans le dossier de la procé-dure. Il n’a d’autre but que de fournir des renseignements sur le dé-roulement des débats, de relater, au fur et à mesure, les divers stades de la procédure relatifs à cette cause. Il ne constitue pas un acte au-thentique, à la différence de la feuille d’audience (91).

La procédure électronique a naturellement pour effet que les textes des jugements ne sont plus « portés à la feuille d’audience » et que la feuille d’audience ne contient plus la minute du jugement. En effet, les textes des jugements sont simplement enregistrés, en tant qu’originaux, dans le dossier électronique. La force probante authen-tique que possède actuellement la feuille d’audience est transférée au procès-verbal de l’audience, qui sera évidemment en soi un document électronique (92). Cette modification aura cependant pour consé-quence qu’il n’existera plus de journal du déroulement de l’audience et que, pour connaître les mesures prises lors d’une audience, il faudra consulter séparément chacun des dossiers qui y ont été évoqués. L’électronique simplifiera toutefois cette recherche.

Tous les textes qui faisaient mention de la feuille d’audience ont donc été abrogés ou adaptés (loi du 10 juillet, art. 24 et 25).

Les greffiers entendus par la Commission de la justice ont fait ob-server que la suppression de la feuille d’audience signifie un boulever-sement important, car elle entraînera la disparition de toute « l’histoire » du déroulement d’une audience. Cette disparition ne sem-ble pas poser de problème en soi, car le droit pénal ne fait pas de dis-tinction entre le procès-verbal de l’audience et la feuille d’audience, ce qui n’a jamais donné lieu à des difficultés (93). Ils ont toutefois insisté pour que tous les actes de procédure générés par le tribunal soient à tous le moins tenus sous forme électronique, à peine de créer de grosses difficultés de gestion du dossier.

(90) P. Mathieu, op. cit., p. 111. (91) Cass., 14 novembre 1979, Pas., 1980, I, 354, J.T., 1980, 726 ; Cass., 13 mai 1977, Pas.,

1977, I, 941. (92) Exposé des motifs, p. 49. (93) Audition de MM. Sluis et Demets, rapport de la Commission de la justice, doc. parl.

Chambre, 51 – 1701/004, p. 64.

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C. – Mentions de l’adresse judiciaire électronique

58. Plusieurs dispositions du Code judiciaire ont été modifiées, de manière à ce que l’indication de l’adresse judiciaire électronique soit ajoutée aux mentions légales figurant sur un acte de procédure.

Il s’agit des articles 743 (loi du 10 juillet, art. 21) et 43 (loi du 5 août, art. 7).

C’est une simple modification légistique : dès lors qu’un nouveau concept est introduit, tous les textes concernés doivent être adaptés.

D. – La permanence du domicile judiciaire

59. L’article 5 de la loi du 5 août ajoute un paragraphe 2 à l’article 36, qui dispose : « toute signification, notification ou communication faite au domicile ou à la résidence d’une partie indiquée dans son der-nier acte de la procédure en cours est réputée régulière tant que cette partie n’a pas fait connaître de manière expresse la modification de ce domicile ou de cette résidence, au greffe et aux autres parties ainsi qu’au ministère public. »

Il s’agit de la consécration légale du principe de la permanence du domicile judiciaire : il appartient au justiciable d’avertir le greffe des modifications du domicile ou de la résidence indiqués dans l’acte in-troductif d’instance ou dans le dernier acte de procédure. À défaut d’un tel avertissement, les actes signifiés ou notifiés à ce domicile sont valables, même si le justiciable a déménagé entre-temps. Ce principe était déjà admis par la Cour de cassation (94) et les juges du fond (95) mais ne figurait pas expressément dans la loi.

Le législateur aurait pu se borner à mentionner cette règle pour l’adresse judiciaire électronique. Il a été plus loin et a édicté une règle de portée générale. Il s’agit d’une entorse au principe qu’il s’était fixé, à savoir ne modifier que ce qui est strictement nécessaire à l’introduction de la procédure par voie électronique. En revanche, l’uniformisation de régime entre l’environnement traditionnel et l’environnement électronique est conforme au principe des équivalents

(94) Cass., 26 juin 2001, R.G. C.00.0037.F ; Cass., 9 juin 2000, Pas., 2000, I, 355 ; Cass., 4 mai

1998, Pas., 1998, I, 221 ; Cass., 23 octobre 1992, Pas., 1992, I, 1196 ; Cass., 3 juin 1988, Pas., 1988, I, 1189 ; Cass., 1er février 1982, Pas., 1982, I, 688 ; Cass., 9 mars 1977, Pas., 1977, I, 740.

(95) Cour Trav. Liège, 2 août 2004, R.R.D., 2005, 44 ; Pol. Bruxelles, 16 décembre 1998, Dr. circ., 1999, 171 ; Liège, 16 novembre 1998, R.G.D.C., 2000, 674; Cour Trav. Liège, 6 novembre 1996, BI-INAMI, 1997, 60. Voy. aussi : E. Brewaeys, « Veranderingen in het gerechtelijk recht », NjW, 2006, n° 6, p. 6; G. de Leval, op. cit., n° 69, p. 105; A. Fettweis, op. cit., n° 222, pp. 185 et s. ; J. Laenens, « Over termijnen en verzoekschriften in het civiele geding », R.W., 2005-2006, n° 11, p. 1403 ; D. Scheers, « Woonplaatswijziging tijdens de procedure », R.G.D.C., 2000, pp. 675 et s.

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fonctionnels. L’exposé des motifs précise d’ailleurs qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une règle nouvelle mais de la confirmation par la loi d’une règle admise de manière constante par la jurisprudence (96). Il précise que les mots « procédure en cours » ont pour but d’éviter que les notifications et communications ne soient effectuées à un autre domicile ou à une autre résidence connu (e) dans une autre procédure opposant les mêmes parties.

E. – Les heures d’accès des greffes

60. Comme indiqué dans l’introduction, les lois sur la procédure par voie électronique ont repris quelques dispositions de la loi du 20 octo-bre 2000, qui n’étaient pas encore entrées en vigueur mais qui étaient toujours adéquates.

Ainsi en va-t-il de l’article 9 de la loi du 5 août 2006, qui modifie l’article 52 du Code judiciaire, de façon à permettre le dépôt d’actes de procédure par voie électronique, même en dehors des heures d’ouverture des greffes. Il y a donc désormais deux régimes juridiques, suivant que l’acte est déposé par voie traditionnelle ou par voie élec-tronique. En cas de dépôt par voie traditionnelle, l’acte ne peut être accompli que durant les heures d’ouverture du greffe. En revanche, les actes accomplis par voie électronique peuvent être accomplis à toute heure du jour et de la nuit, ce qui ne pose pas de problème pratique, puisque la réception de ces actes se fait automatiquement, sans que la présence d’une personne physique soit nécessaire. Il eût d’ailleurs été dommage que cette modification ne soit pas introduite, parce que cela n’aurait pas permis d’exploiter toute la souplesse du dépôt par voie électronique.

L’exposé des motifs justifie la différence de traitement entre dépôt traditionnel et dépôt électronique par le fait que les mécanismes d’horodatation du système Phenix permettent de préciser la date du dépôt, même après la fermeture du greffe. En revanche, si un docu-ment papier est déposé dans la boite aux lettres du tribunal lorsque celui-ci n’est plus accessible au public, il est impossible de déterminer si le dépôt a eu lieu avant ou après minuit. Cette imprécision peut avoir des conséquences importantes si le dépôt a lieu le dernier jour d’un délai. Cette différence de traitement est admise par la doctrine, qui la juge justifiée par un critère objectif et donc non discriminatoire (97).

(96) Exposé des motifs, p. 35. (97) L. Guinotte et D. Mougenot, op. cit., p. 375, n° 50. Voy. aussi : V. Lamberts, op. cit., p.

287, n° 65 ; J.-F. Henrotte et D. Fesler, op. cit., p. 227, n° 39.

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Cette modification était en tout cas nécessaire, parce que la juris-prudence relative à l’utilisation de la télécopie était assez sévère pour les envois réalisés après les heures de fermeture des greffes (98).

F. – La validation des actes non signés

61. Il s’agit également d’une règle de la loi du 20 octobre 2000, sau-vée de l’oubli.

L’article 23 de la loi du 10 juillet introduit un nouvel article 863, ré-digé comme suit : « dans tous les cas où la signature est nécessaire pour qu’un acte de procédure soit valable, l’absence de signature peut être régularisée à l’audience ou dans un délai fixé par le juge. »

Il s’agit donc d’une procédure de régularisation des actes non signés ou non signés en original, ce qui, dans la loi du 20 octobre 2000, visait les actes de procédure déposés par télécopie.

Cette modification est fort utile, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui considère qu’il n’y a pas lieu de tenir compte d’un acte de procédure non signé, parce que la signature constitue un élément essentiel de cet acte. Cela concerne essentiellement des pour-vois ou mémoires en cassation en matière pénale (99). Toutefois, dans un arrêt du 6 octobre 2000, la Cour a laissé entendre que tout acte de procédure doit contenir les éléments faisant apparaître sa validité, qu’afin d’être valable, il doit être signé et que la signature constitue donc un élément essentiel d’un tel acte (100). Cette jurisprudence, ex-primée en des termes aussi généraux, est assez difficile à concilier avec les règles du Code judiciaire qui disposent qu’on ne peut prononcer de nullité pour omission de forme sans texte (art. 860) et que la nullité ne peut être prononcée lorsque l’acte a accompli le but que la loi lui assi-gne (art. 867). Quoiqu’il en soit, la régularisation est désormais autori-sée.

En revanche, l’absence de signature d’un greffier peut être réparée conformément à l’article 788 (101).

(98) Cour trav. Liège, 12 novembre 1997, J.L.M.B., 1998, 326, qui déclare irrecevable un acte

d’appel adressé par fax au greffe à 17 h 21, quand bien même un employé du greffe serait toujours présent à ce moment.

(99) Cass., 3 octobre 2000, Pas., 2000, I, 513 ; Cass., 19 février 1991, Pas., 1991, I, 595 ; Cass., 19 juin 1985, Pas., 1985, I, 1342 ; Cass., 16 janvier 1985, Pas., 1985, I, 564.

(100) Cass., 6 octobre 2000, Pas., 2000, I, 526. Il s’agissait en l’occurrence d’une réclamation fis-cale. Voir aussi, en ce qui concerne les réclamations contre les élections au conseil de l’ordre des médecins : Cass., 23 septembre 2004, R.G. D.03.0023.F.

(101) Cass., 8 février 2005, R.G. P.04.1606.N ; Cass., 16 octobre 2002, R.G. P.02.0683.F.

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G. – Le délai de communication des conclusions

62. L’article 745 alinéa 2, introduit par la loi du 3 août 1992, dispose que la communication des conclusions est réputée accomplie cinq jours après l’envoi. Cette règle, qui a fait couler beaucoup d’encre (102), est abrogée par l’article 27 de la loi du 10 juillet 2006.

Cette abrogation était logique dans le cadre de la procédure électro-nique. Alors que les transmissions de conclusions par voie électronique sont instantanées, il était absurde de maintenir une présomption de communication dans un délai de cinq jours.

En revanche, la suppression de cette disposition pour la procédure traditionnelle ne coulait pas de source, sauf à vouloir imposer un pa-rallélisme des formes complet entre environnement traditionnel et en-vironnement électronique. Toutefois, sur ce point, les auteurs du pro-jet ont peut-être, sans le vouloir, anticipé l’actualité judiciaire. En ef-fet, par arrêt rendu en audience plénière du 9 décembre 2005 (103), la Cour de cassation a décidé que, lorsque le juge a déterminé des délais pour conclure, la remise des conclusions au greffe et leur envoi simul-tané à la partie adverse doivent avoir lieu dans le délai fixé. Plusieurs auteurs (104) en ont déduit que, puisque la Cour a égard à l’envoi (l’expédition) et non à la communication (qui suppose la réception) des conclusions, la présomption de réception des conclusions endéans les cinq jours prévue à l’article 745, alinéa 2 n’a plus d’intérêt. De là à la supprimer, il n’y avait qu’un pas…

(102) Voir notamment : E. Brewaeys, « De valkuil van artikel 745 tweede lid

Ger.W », R.D.J.P., 1998, p. 179 et s. 182 ; E. Brewaeys, « De vijf dagen van artikel 745 Ger.W », R.D.J.P., 2002, p. 164 et s.; E. Brewaeys et B. Maes, « Over de gelijktijdige neerlegging ter griffie en toezending van conclusies aan de tegenpartij binnen de vastgestelde termijn (art. 745 eerste lid jo. 747 § 2 Ger. W.) », R.A.B.G., 2006, p. 344 ; H. Boularbah, «Vous communiquiez ? J’en suis fort aise. Eh bien ! Déposez et envoyez à présent », J.L.M.B., 2006, p. 7 ; H. Boularbah et J. Englebert, « Questions d’actualité en procédure civile », in Actualités en droit judiciaire, CUP, vol. 83, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 86, n° 56 ; J. Englebert, « Requiem pour l’article 745, alinéa 2, du Code judiciaire », J.T. 2006, p. 5-9 ; M. Regout, « La mise en état des causes », J.L.M.B. 2004, p. 505, n° 12 ; J. van Compernolle, G. Closset-Marchal, J.-Fr. van Drooghenbroeck, A. Decroës et O. Mignolet, « Examen de jurisprudence – Droit judiciaire privé », R.C.J.B., 2002, n° 518, p. 522.

(103) Cass., 9 décembre 2005, J.L.M.B., 2006, 4 ; J.T., 2006, 4 ; Juristenkrant, 2006, 6 ; R.D.J.P., 2005, 289 ; R.A.B.G., 2006, 341.

(104) H. Boularbah, « Vous communiquiez ? … », op. cit., p. 7 ; J. Englebert, « Requiem … », op. cit., p. 5-9.

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CONCLUSION

63. Rédiger une loi est un exercice difficile, surtout dans le contexte actuel, où le pouvoir politique impose souvent une obligation de dili-gence aux auteurs du texte, qui n’ont plus nécessairement le temps pour une salutaire réflexion. Rédiger une loi concernant un processus électronique est encore plus complexe, parce que les impératifs techni-ques sous-jacents ne sont pas nécessairement bien perçus ni par les ré-dacteurs du projet ni par les parlementaires. L’exercice est incontes-tablement mieux réussi qu’en 2000.

Les objectifs de la loi étaient un peu antinomiques. On ne peut pas vouloir limiter son intervention à la seule procédure par voie électro-nique et créer en même temps un régime qui s’applique aussi bien à la procédure traditionnelle qu’à la procédure électronique. D’où cette impression que le législateur court plusieurs lièvres à la fois : tantôt il se borne à réglementer la communication électronique, tantôt il abolit ou modifie certaines règles de la procédure traditionnelle pour les ali-gner sur celles de la procédure électronique.

Pour le surplus, l’application de ces lois dépendra beaucoup de la manière dont les mécanismes seront organisés sur le plan technique. A cet égard, la réalité des faits peut simplifier ou, au contraire, rendre beaucoup plus complexe la mise en œuvre du prescrit légal. Le princi-pal écueil se situe dans doute à ce niveau.

Compte tenu des larges délégations accordées au Roi, il faudra aussi attendre la promulgation des arrêtés royaux d’exécution pour se faire une idée complète de la réglementation nouvelle.

Enfin, l’application de ces lois sera aussi fort tributaire de la juris-prudence. Les lois sur la signature électronique ont jusqu’à présent engendré fort peu de décisions. D’une part, l’utilisation de ces méca-nismes reste encore limitée, d’autre part, les litiges sont peut-être ré-solus par d’autres voies. La situation sera probablement différente pour la procédure par voie électronique. Cette procédure fera une utili-sation massive de procédés électroniques. En outre, le procès étant déjà introduit, l’ajout d’un moyen tiré de la violation des règles de procédure ne coûte rien. On peut donc s’attendre à ce que les cours et tribunaux soient rapidement confrontés aux problèmes nés de la mise en pratique de ces lois.