le chèvrefeuille

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(LE) CHÈVREFEUILLE (la coldre, en ancien français, de genre féminin) MARIE DE FRANCE Matière de Bretagne Cycle arthurien dans la légende de Tristan et Iseut. Ce lais est une mise en abîme, c'est-à-dire, un récit dans un autre récit. Marie nous dit qu'il a été composé par Tristan, "qui était bon joueur de harpe" "à la demande de la reine". Contenu: Tristan, chassé de la cour du roi Marc, apprend que Guenièvre, la reine, ira avec celui-ci à Tintagel. Il connaît le chemin du cortège royal. Il décide donc de profiter de l'opportunité pour graver un message sur une baguette de noisetier. Guenièvre l'aperçoit, et les deux amants passent un moment ensemble. V. 11-25: Tristan expulsé parce qu'il a tombé amoureux de la reine. V. 29-45: Tristan est informé pour les paysans que la reine ira à Tintagel pour la fête de Pentecôte. Elle doit passer par la forêt où se trouve Tristan. V. 47-59: Tristan prépare un message pour la reine dans une baguette de noisetier. V. 59-78: Contenu de message. Métaphore du chèvrefeuille. V. 79-104: Rencontre des deux amants. V. 105-118: Tristan peut retourner à la cour grâce à la reine. Marie nous raconte qui a composé le lais. Les symboles et les références de l'amour courtois. Amour, souffrance, séparation, besoin de se revoir, opportunité d'une rencontre. Style. Marie va à l'essentiel. Les événements s'enchaînent les uns après les autres. il n'y a pas de péripétie. Tristan tient son information des paysans. Verbes. La reine s'avance (79) aperçoit, reconnaît, donne l'ordre, (81-82-83). Action qui va à l'essentiel. S'écartant, découvre (91-92). Les deux amants se retrouvent sans difficultés.

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Littérature française du Moyen Âge

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Page 1: Le Chèvrefeuille

(LE) CHÈVREFEUILLE (la coldre, en ancien français, de genre féminin)

MARIE DE FRANCE

Matière de Bretagne

Cycle arthurien dans la légende de Tristan et Iseut.

Ce lais est une mise en abîme, c'est-à-dire, un récit dans un autre récit. Marie nous dit qu'il a été composé par Tristan, "qui était bon joueur de harpe" "à la demande de la reine".

Contenu: Tristan, chassé de la cour du roi Marc, apprend que Guenièvre, la reine, ira avec celui-ci à Tintagel. Il connaît le chemin du cortège royal. Il décide donc de profiter de l'opportunité pour graver un message sur une baguette de noisetier. Guenièvre l'aperçoit, et les deux amants passent un moment ensemble.

V. 11-25: Tristan expulsé parce qu'il a tombé amoureux de la reine.

V. 29-45: Tristan est informé pour les paysans que la reine ira à Tintagel pour la fête de Pentecôte. Elle doit passer par la forêt où se trouve Tristan.

V. 47-59: Tristan prépare un message pour la reine dans une baguette de noisetier.

V. 59-78: Contenu de message. Métaphore du chèvrefeuille.

V. 79-104: Rencontre des deux amants.

V. 105-118: Tristan peut retourner à la cour grâce à la reine. Marie nous raconte qui a composé le lais.

Les symboles et les références de l'amour courtois.

Amour, souffrance, séparation, besoin de se revoir, opportunité d'une rencontre.

Style.

Marie va à l'essentiel. Les événements s'enchaînent les uns après les autres. il n'y a pas de péripétie. Tristan tient son information des paysans.

Verbes.

La reine s'avance (79) aperçoit, reconnaît, donne l'ordre, (81-82-83). Action qui va à l'essentiel.

S'écartant, découvre (91-92). Les deux amants se retrouvent sans difficultés.

Métaphore du noisetier et du chèvrefeuille. Marie compare les deux amants au noisetier et au chèvrefeuille, mais on ne sait pas qui est qui. C'est une métaphore de l'amour, un amour qui ne supporte pas la séparation.

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Les Lais ont été écrits par Marie de France entre 1160 et 1180. Le texte est écrit en anglo-normand, un dialecte de la Normandie, parlé aussi en Grande Bretagne (car en 1066, Guillaume le Conquérant - parti à la conquête de l'Angle - est victorieux à la bataille de Hastings.) On a peu de renseignements à propos de Marie de France. On suppose qu'elle était peut-être issue d'une grande famille d'Ile de France liée au pouvoir royal et qu'elle était ainsi au service du roi Henri II de Plantagenêt, en tant qu'artiste à la cour.

La Révolution poétique du XIIème siècle.

Les Trois révolutions poétiques

Marie de France se situe dans le sillage de la Révolution poétique inaugurée par les troubadours, au XIIème siècle. On peut dès à présent rappeler qu'il y a eu trois Renaissances au Moyen Age : la première Renaissance se situe au IXème siècle, sous Charlemagne. Celui-ci normalise l'écriture, en établissant l'écriture dite « caroline. » La troisième Renaissance est celle qui a lieu aux XV-XVIème siècles et sur laquelle nous ne reviendrons pas ici.

Notion de création et d'adaptation

Quant à la deuxième Renaissance, c'est celle qui se déroule au XIIème siècle, à l'époque de Marie de France. Elle correspond au grand départ de la littérature. En effet, c'est à cette époque que commence à naître un esprit de création. Attention, il faut bien insister sur le fait qu'au XIIème siècle, la notion d'« écrivains créateurs » ne fait pas encore partie des schémas intellectuels. Jusqu'au XIIème siècle, on se contentait de « recopier » les grands textes de l'Antiquité latine, sans vouloir créer quelque chose de nouveau. Mais au XIIème, et c'est le sens et l'importance de cette deuxième Renaissance, commence à naître la notion d'adaptation des œuvres antiques. On reprend des grands textes latins que l'on traduit-adapte. Par exemple, L'Énéide de Virgile n'est pas seulement traduit, mais adapté aux valeurs morales et intellectuelles de l'époque. Il en ressort un texte nouveau, L'Énéas. Il n'y a donc pas encore d'écrivains au sens où on l'entend aujourd'hui, mais il commence à y avoir des adaptateurs de la tradition antique écrite. On adapte aussi la tradition orale. En effet, lors de cette deuxième Renaissance, on s'intéresse également beaucoup au folklore celte, et cet intérêt va aussi transparaître dans cette littérature qui commence à naître au XIIème siècle.

On peut trouver tous ces principes que nous venons d'expliquer dans le prologue des Lais de Marie de France : le poète n'est pas un créateur, il se situe dans une tradition. Marie de France nous dit :

Custume fu as ancïens, / Ceo tes[ti]moine Precïens, / Es livres ke jadis feseient / Assez oscurement diseient / Pur ceus ki a venir esteient / E ki apprendre les deveient, / K'i peüssent gloser la lettre / E de lur sen le surplus mettre.

Traduction de Philippe Walter : Il était de coutume chez les anciens, Prisciens en témoigne, que, dans les livres qu'ils faisaient jadis, ils s'exprimaient assez obscurément en vue de ceux qui devaient leur succéder et qui devaient apprendre leurs écrits, afin qu'ils puissent ajouter des gloses au texte.

Ce que l'on peut comprendre ici, c'est que d'une part Marie de France se situe bien dans un héritage (« les anciens »). D'autre part, cet héritage littéraire est souvent obscur, d'où la nécessité à présent (au XIIème siècle) de faire preuve d'intelligence. Cette intelligence passe par l'ajout de « gloses à la lettre, » c'est-à-dire qu'il faut ajouter du sens dans les écrits anciens, il faut les adapter.

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Héritages : Antiquité latine et Folklore breton.

Ainsi, les origines de l'œuvre de Marie de France se situent dans deux pôles. D'une part dans l'Antiquité latine (à laquelle elle fait référence : Ovide pour les théories érotiques, Priscien pour la rhétorique). D'autre part dans le folklore breton.

Nous pouvons nous attarder sur cette influence de la culture bretonne et celtique. Les Celtes sont à l'origine un peuple venant d'Asie, et qui s'est ensuite diversifié en différentes branches dont une celtique, qui est venue, par migration, s'installer en Gaule, en Irlande, en Bretagne, en Espagne, et au Portugal. Ce peuple installé en Europe occidentale a une puissance militaire importante (notamment contre les Romains, jusqu'à la guerre des Gaules). Ensuite, les celtes sont romanisés, c'est-à-dire qu’ils sont intégrés aux romains qui ont vaincus. Au Vème siècle, les peuplades romanisées subissent une nouvelle invasion : c'est l'arrivée des tribus saxonnes à partir de l'actuelle Allemagne. Face à cette invasion, les populations celtes migrent en Irlande, au Pays de Galles, en Cornouailles, et en Bretagne. C'est pour cela que l'on retrouve aujourd'hui les langues celtes au Pays de Galles, en Écosse et en Bretagne. Le peuple celte est finalement vaincu et se marginalise petit à petit. Au XIIème siècle, le roi d'Angleterre Henri II possède l'Angleterre et également tout l'ouest de la France (car il est marié à Aliénor d'Aquitaine, qui possède la partie ouest de la France). Par cette situation d'intermédiaire entre Angleterre et France, les échanges culturels sont facilités. Et c'est ainsi qu'au XIIème siècle l'influence du monde celtique se fait : les conteurs mettent à l'écrit certains points de la mythologie celtique.

Les Lais de Marie de France sont inspirés de vieux contes celtiques. La donnée folklorique celte est adaptée, transposée à l'écrit, et transcrite en langue romane.

Actualization des idéaux et des thématiques.

On puise dans les récits celtes des idéaux qui sont réactualisés au XIIème : notamment ce qui concerne le rôle de la femme (voir la fine amor). Les récits celtes décrivent en effet abondamment les pouvoirs magiques de la femme (alors que les mythologies romaine ou grecque sont trop misogynes). La culture orale du folklore breton se trouve donc une nouvelle source de thèmes qui vont se développer au XIIème siècle et qui fondent la naissance de la littérature française, et notamment les Lais.

L'Autre Monde

A partir des Lais, ainsi que des romans de l'époque va se fonder une culture dite courtoise, indépendante de la culture officielle ecclésiastique et religieuse. Cette culture courtoise est basée sur plusieurs thèmes fondamentaux (qui trouvent eux-mêmes leur origine dans le folklore breton) dont le thème de l'Autre Monde : cet Autre-Monde, les personnages des Lais y pénètrent souvent, il s'agit d'un « ailleurs si proche du monde humain qu'on y pénètre parfois sans le savoir » (Philippe Walter, préface aux Lais édition Folio Classique bilingue, p22). Il est une sorte de prolongation sur un mode idéal du monde humain. C'est avant tout le monde des fées (femme-fée aussi bien que homme-fée) et la frontière entre l'Autre-Monde et le monde des humains est si ténue que la rencontre entre un mortel et une fée est très possible, et fonde la matière narrative de plusieurs des lais.

Le lai : brièveté

Comme nous l'indiquions plus haut, la travail de Marie de France est un travail d'adaptation du matériau antique ainsi que du folklore breton. Cette adaptation va d'abord dans le sens de la concision de la forme. En effet, elle fait le choix de la forme du lai, qui exige concision et densité du texte. Les lais sont en effet assez court - jamais plus de six cents vers. Il n'y a ainsi pas de description détaillée des personnages, les lieux sont à peine évoqués. C'est un art de la suggestion qui régit ainsi le lai, voire une esthétique du silence. C'est le non-dit qui prime, et ainsi, on se trouve face à un texte qui évoque et qui suscite de la part du lecteur un pouvoir d'interprétation du lai . En effet, en apparence, le lai est assez innocent, il conte des histoires d'amour qui parfois finissent bien, parfois sont tragiques, mais tout est raconté d'une façon assez brève, et linéaire. Pourtant, c'est tout un art du symbole qui régit les Lais de

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Marie de France. Elle élabore une écriture basée sur les images qui enrichissent la valeur poétique des textes.

Symbolisme dans le Lai du Chèvrefeuille.

On peut prendre pour exemple l'emblème végétal et notamment l'image du chèvrefeuille dans le « lai du Chèvrefeuille. » Pour communiquer avec sa bien aimée Yseult, Tristan est obligé de graver des inscriptions sur une branche de noisetier autour de laquelle est enroulé un chèvrefeuille. Selon Philippe Walter, Tristan n'utilise pas notre alphabet pour écrire sur le coudrier, car l'inscription est beaucoup trop longue pour tenir sur une branche. Il utiliserait un système d'écriture très en vigueur chez les Celtes, qu'est l'alphabet ogamique. Cette écriture n'est utilisée que pour la magie, et non pour communiquer.

On se trouve donc face à deux formes de symbole :

Le symbole induit par l'écriture en un alphabet différent du nôtre (si l'on admet cette thèse avec P. Walter). L'écriture doit être déchiffrée par Yseult, on peut l'imaginer, et on est donc face à une première sorte d'hermétisme. L'utilisation d'un autre alphabet introduit une réflexion sur le cryptage métaphorique, sur la manière de signifier les idées.

Le symbole du chèvrefeuille : la plante qui s'enroule autour de la branche permet se signifier l'inséparabilité des deux amants. Il permet de suggérer l'amour des amants sans l'exprimer par le langage habituel. Marie de France préfère le sémantisme floral, le langage secret. La devise retirée de cet emblème est aussi à interpréter : « Ni vous sans moi, ni moi sans vous » : on a ici une construction en chiasme (vous - moi ; moi - vous), qui répète encore sous une autre forme l'enlacement des amants. Ces symboles sont un moyen de réflexion sur l'acte d'écrire lui-même, une sorte de langage métapoétique et réflexif. Tristan écrit sur le coudrier et Marie de France se met à son école. Marie de France nous livre une véritable réflexion sur l'art littéraire, par l'utilisation du symbole.

Cet hermétisme permet de susciter l'imagination du lecteur car l'écriture par l'image et le symbole contient en elle une puissance évocatrice insatiable. Philippe Walter conclue sa préface en parlant de « clair-obscur de l'image » et c'est bien cela qui fonde les Lais : ils sont une forme d'œuvre ouverte dans laquelle le lecteur est invité à se projeter. Cette écriture n'impose pas un sens et nous renvoie en définitive à notre propre miroir.

La naissance du lyrisme : troubadours et trouvères

Les troubadours sont des chanteurs. Le terme troubadour est utilisé pour désigner les artistes utilisant la langue d'oc, c'est-à-dire ceux originaire du Sud de la Loire. Mais la poésie en langue d'oc voyagent très vite vers le nord et les trouvères copient les troubadours et reprennent l'ensemble des formes littéraires par eux. (Notamment à la cour de Champagne, vers la fin XIIème : la cour favorise la diffusion de cette poésie venue du midi). C'est au XIIème siècle qu'apparaît la fine amor, idéal amoureux inventé par les troubadours et qui a permis l'éclosion de la poésie lyrique française et de la littérature. La poésie des troubadours dans laquelle est mis en place l'amour courtois est très innovant car cette époque était plutôt misogyne. Ils utilisent plusieurs genres lyriques : le planh (plainte), le salut d'amour, les sirventes (poème satirique), la tenson (sorte de débat entre deux poètes), la pastourelle et surtout la canso (chanson d'amour). (NB : dans les cansos des troubadours, il y a très souvent la présence d'un poète amant qui implore la dame). Le premier troubadour fut Guillaume IX, duc d'Aquitaine (1071-1127).

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La fine amor

dame : inspiratrice de l'amant et maîtresse absolue du jeu amoureux => souveraineté de la dame et épreuves à l'amant

reputación lointaine des futurs amants amour secret, clandestinité désir amoureux ravages de l'amour passion dénoncés dans les lais : M. de France prône un amour raisonné,

mesuré et célèbre le bonheur des couples unis par la seule nécessité de l'amour.

Le lai comme forme médiévale et transitoire du conte

forme de narration très proche. Les lais de Marie de France sont des fables amoureuses d'où le lecteur est invité à tirer une leçon, un avertissement. (Rejoint l'idée d'une écriture par symbole).

L'ombre de Tristan et Yseult

L'amour

le désir féminin, la condition féminine : lai de Yonec (dame enfermée) /VS/ monde de violence masculine.

Amour des amants est un amour du cœur, qui s'oppose à la société, et c'est pour cela qu'il doit être clandestin. Marie de France légitime la morale du cœur, elle est du côté des amants, même s'il s'agit d'un amour interdit, et qui plus est parfois d'un amour adultère.

Marie de France crée une sorte de nouvelle religion : la religion de l'amour : exemple dans le lai de Yonec : l'oiseau sacrifié devient un martyr, mais un martyr particulier, un martyr d'amour.

Motif de la métamorphose

Depuis St Augustin, la métamorphose est associée à une œuvre démoniaque. Mais dans la tradition païenne, en revanche, il existe des êtres non maléfiques de l'Autre-Monde : exemple du lai de Yonec : l'oiseau en beau chevalier. Marie de France rattrape le motif négatif pour le ramener à une norme bienfaisante.

La versification

Les Lais sont écrits en octosyllabes. Ce type de vers est accentué de façon systématique sur la dernière syllabe de chaque hémistiche et il y a aussi des accents mobiles que l'on détermine à l'oreille.

Exemples :Li / reis / a/veit / un / sun / ba/ron. : Les accents sur « veit » et « ron » sont systématiques car ils frappent la fin des hémistiches. L'accent sur « reis » s'entend.

Vit / u/ne / bise / od / un / fo/ün. : Les accents sur « bise » et « ün » sont systématiques car ils frappent la fin des hémistiches. L'accent sur « vit » s'entend.

Deux innovations fondent la littérature au XIIème siècle : il s'agit d'abord de la forme métrique à rythme syllabique ; ensuite, de la rime. La recherche de la rime témoigne d'un art d'assembler les mots particulier qui va faire sens. Le travail du poète est alors de fonder l'écriture sur des jeux de rimes pour imposer un sens, et c'est le même travail que celui des troubadours. La rime est en effet une invention de l'occident médiéval pour permettre d'équilibrer le son et le sens. Avant de comprendre le poème, la rime nous permet de l'entendre, et en cela, on rejoint l'activité des troubadours. La rime donne du sens au poème et n'est pas qu'un usage ornemental.

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