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LOUBATIÈRES LE CANAL DU MIDI Regards sur un patrimoine Robert Marconis Jean-Loup Marfaing Jean-Christophe Sanchez Samuel Vannier photographies de Julien Gieules

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L'HISTOIRE DU CANAL DU MIDI par Jean-Christophe Sanchez ARCHITECTURE ET OUVRAGES D'ART par Jean-Loup Marfaing LE CANAL DU MIDI, UNE ŒUVRE DE GÉNIE CIVIL CONQUISE PAR LA NATURE par Robert Marconis LE CANAL, ENTRE ÉCONOMIE ET CULTURE par Samuel Vannier

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Page 1: Le canal du Midi

LOUBATIÈRES

LE CANAL DU MIDIRegards sur un patrimoine

Robert MarconisJean-Loup MarfaingJean-Christophe SanchezSamuel Vannier

photographies de

Julien Gieules

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e vous escrivis de Perpinian le XXVIII du mois dernier au subjectde la ferme des gabelles du Roussilhon et aujourd’huy je fais de mesmechose de ce village, mais sur un subject bien esloigné de cette matière là.C’est sur celle du dessein d’un canal qui pourroit se faire dans cette

province du Languedoc pour la communication des deux mers Occeane et Me-diterranée, vous vous estonnerés Monseigneur que j’entreprenne de vous parlerd’une chose qu’apparament je ne cognois pas et qu’un homme de gabelles se meslede nivellage. » Ainsi débute la lettre que Pierre Paul Riquet adresse, le 15 novembre1662, depuis le village de Bonrepos au nord-est de Toulouse, à Jean-BaptisteColbert. Le premier, issu d’une famille aisée biterroise, est alors fermier des gabelles :il avance sur sa fortune personnelle le montant du produit de la gabelle au Trésorroyal, à charge pour lui de recouvrer la somme due par les populations. Quant ausecond, recommandé à Louis XIV par Mazarin et à l’origine de la disgrâce deFouquet, il occupe la charge d’intendant des finances depuis 1661 et donc desimpôts et taxes comme la gabelle. Colbert, pour la gloire du roi, veut développerl’économie du royaume, convaincu qu’« il n’y a que l ’abondance d’argent dans unÉtat qui fasse la différence de sa grandeur et de sa puissance ».

Certes, des projets existent depuis le XVIe siècle pour rejoindre la Garonne etl’Aude, mais Riquet voit plus grand et envisage un canal qui rejoindrait les golfesdu Lion et de Gascogne, laissant même entrevoir à Colbert « que cette nouvellenavigation fera que le destroit de Gibraltar cessera d ’estre un passage absolument

Page de gauche.À proximité de l’écluse de Montgiscard (31).

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L’HISTOIRE DU CANAL DU MIDI

Lettre de Pierre Paul Riquet à Jean-Baptiste Colbert, 4 juillet 1665.

« J

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nécessaire, que les revenus du Roy d’Espaigne à Cadix en serontdiminués, et que ceulx de nostre Roy augmanteront d ’aul-tant… et que les subjects de sa Majesté en general proffiterontde mille nouveaux commerces et tireront de grands avantagesde cette navigation… »

Le 18 janvier 1666, Louis XIV ordonne l’examen duprojet de Riquet ! L’histoire du canal du Midi commence…

L’ingénieur, le ministre et le roiColbert est un ministre consciencieux et, bien que Riquetait joint à la missive de 1662 un mémoire où il détailleson projet, notamment l’alimentation en eau de l’ouvrageet le tracé, il confie à une commission l’examen de « la pos-sibilité du Canal proposé pour la jonction des mers Océanes etMéditerranée », qui rend un rapport favorable le 19 janvier1665, et demande au chevalier de Clerville d’établir un« devis exact de ce qui étoit à faire pour conduire [cette entre-prise] à une heureuse fin ». C’est chose faite le 5 octobre1666. Mais déjà, en avril 1664, Riquet a entrepris le pi-quetage de la rigole d’alimentation qui, de la MontagneNoire, doit conduire les eaux au seuil de Naurouze et dontles travaux sont exécutés par arrêt du Conseil d’État enjanvier 1665… Bref, il ne manque plus que la décision dé-finitive ! C’est finalement en octobre 1666 que Louis XIVordonne par un édit la construction « pour joindre la merOccéane et Méditerranée [d’un] canal de transnavigation etd’ouvrir un nouveau port en la Méditerranée sur les costes denostre province de Languedoc ».

Le projet de Riquet est un formidable défi car le canaldoit être construit de part et d’autre du seuil de Naurouze,sur deux bassins versants, ceux de la Garonne vers l’ouestet de l’Aude vers l’est. Jusqu’alors cela n’avait jamais été

La carte générale du Canal dressée par Jasserieu en 1825,avec ses écluses et le profil du dénivelé

ainsi que le réseau d'alimentation en eau, donne un aperçu très clair de l'ensemble de l'ouvrage.

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OUVRAGES D’ART ET ARCHITECTURE

L’ouverture d’un canal permettant de naviguer en pleine terre nécessite la réalisationde divers ouvrages d’art pour franchir les dénivelés de terrain. Les écluses, nombreuseset répétitives bornent chacun des biefs à niveau qui constituent la succession des plansd’eau suivant la topographie du territoire traversé. Le tracé d’un canal important, delong itinéraire comme le canal du Midi, impose inévitablement de franchir des obstaclesnaturels. Paradoxalement, l’obstacle le plus délicat, c’est celui de l’eau, autrement ditle franchissement des rivières et des fleuves par le Canal. C’était, avec l’alimentationen eau du Canal, une des principales difficultés à résoudre par Pierre Paul Riquet.

Le Canal du Midi ouvert par Pierre Paul Riquet en quatorze ans (1667-1681) relieToulouse à Sète par une voie navigable toute l’année. Au fil de trois siècles de naviga-tion, des améliorations lui ont été apportées, notamment avec l’embranchement versNarbonne à la fin du XVIIIe siècle et la modification de son tracé pour desservir Carcas-sonne.

Les ultimes évolutions des ouvrages d’art du canal du Midi, au cours du XXe siècledans les années 1970, concernent d’une part sa mise au gabarit Freycinet qui imposala modification des écluses de deux courts tronçons du canal de Riquet (de Toulouseà Ayguesvives et d’Agde à Béziers), et la réalisation de la pente d’eau de Fonserannes.

Le Canal n’est pas uniquement un ensemble d’ouvrages d’art, c’est aussi une ad-ministration, un personnel qu’il faut abriter. Le service du Canal compta jusqu’à 450personnes au XIXe siècle, aujourd’hui ce sont environ 300 personnes que VNF emploieà son fonctionnement. Les bâtiments de service sont donc nombreux et divers. Le bâ-timent emblématique du Canal, c’est évidemment la maison éclusière. Elle préfiguraitun autre archétype de la maison de service, celle du garde barrière des voies ferrées.Mais la longue histoire du Canal, les particularités de son administration, la singularitéde quelques sites sont aussi à l’origine de quelques réalisations architecturales excep-tionnelles.

Quand Riquet s’engage dans son entreprise, il a très peu de modèles à sa disposi-tion. Il y a le canal de Briare creusé trois décennies plus tôt, mais c’est un canal de petitgabarit, les ouvrages des ingénieurs des canaux du milanais, et ceux des Hollandais,aménageurs des polders et grands spécialistes de l’hydraulique, mais sans grands sou-cis des pertes d’eaux ! Trente ans plus tard, après les remarquables perfectionnementsque Vauban apporte à l’œuvre initiale de Riquet, les ouvrages d’art du Canal deviennentun modèle bientôt diffusé par les publications de Bernard Forest de Bélidor (1731) etde Joseph-Jérôme Lefrançais de Lalande (1778).

J.-L. M.

Page de gauche. Le déversoir de La Redorte sur l’Argent-Double permetde rejeter dans le lit de la rivière les eauxexcédentaires du Canal.

Maison éclusière de l’Aiguille, près de Puichéric, Aude (détail).

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tenté et pour cause : il faut alimenter en eau les deux biefs ! Comment faire quandde surcroît le sens commun irait chercher les ressources dans les cours d’eau desPyrénées ? L’idée de génie de Riquet fut de collecter les eaux de la MontagneNoire, qu’il connaît très bien, et de construire à Naurouze un bassin d’alimentation.Les projets antérieurs de canal cherchaient tous, à partir de Carcassonne, à rejoindrel’Aude et transformer le fleuve en voie de communication. Mais l’Aude n’a pasun débit suffisant et régulier, les périodes d’étiages alternent avec de violentescrues. Autre idée nouvelle de Riquet : ne pas emprunter l’Aude, au contraire l’éviteren suivant la rive gauche. C’est pourquoi le canal construit par Riquet ne débouchepas sur Narbonne mais se dirige vers Béziers, sa ville natale, et vers Sète que Riquetpropose de transformer « pour y faire un port capable d’y contenir les vaisseaux mar-chands, et même quelque escadre de galères ».

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Rigole à Saint-Ferréol (31).

LE CANAL DE LA ROBINE

Cet ancien passage du fleuve de l’Aude estune branche latérale au canal du Midi qui luiest rattaché administrativement. Il établit laconnexion entre l’Aude et la mer Méditerranéeen passant par Narbonne (11). Il commenceen son point le plus haut à Port-la-Robine, im-portante halte nautique du Minervois, et par-court 32 km, traversant treize écluses, jusqu’àPort-la-Nouvelle, où il se jette dans la mer.

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Il est dès lors nécessaire de recruter des ouvriers : des affiches ont été placardéesdans toute la province pour annoncer le début des travaux. Environ 2000 travailleurssont à l’ouvrage et peuvent compter sur des salaires plutôt élevés, entre 8 à 10 solspar jour, pour atteindre les 10 livres par mois. Au maximum de l’activité, l’effectifatteint environ les 12 000 « têtes », sachant que les ouvriers sont à la fois deshommes et des femmes, les premiers comptant pour une tête alors que ce sonttrois femmes qui font une tête. Globalement, l’organisation repose sur des brigadesconstituées de quarante à cinquante « têtes » et dirigées par un brigadier qui faitfonction de contremaître. Dans chaque brigade, une dizaine de « têtes » est chargéedu piochage des terres, c’est-à-dire du creusement, huit têtes travaillent au char-gement à la pelle, vingt transportent les déblais à l’aide de hottes ou de civières.Les brigades sont regroupées en ateliers dont l’encadrement est confié aux chefsou capitaines d’atelier, au-dessus desquels se trouvent les ingénieurs, les contrôleurs

Cette coupe de terrain en aval du barrage de Saint-Ferréol (31) donne une idée de l'ampleur de l'ouvrage et du volume de la retenue d'eau, plus de six millions de mètres cubes, la plus importante de l'époque. En haut, non loin d'un petit pont, un pilori est érigé, symbole de la justiceféodale du Canal.

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LES ÉCLUSESQuatre-vingt-dix-neuf écluses s’échelonnent de Toulouse à Agde (vingt-six entre le Seuilde Naurouze et Toulouse, soixante-treize entre le seuil de Naurouze et Agde). Riquetavait eu l’intuition géniale de l’alimentation de son canal au point de partage des eauxdu seuil de Naurouze à partir d’un réseau de petits cours d’eaux de la Montagne noire.Mais la faiblesse de leurs débits nécessitait la création d’un grand bassin de stockage,le bassin de Saint-Ferréol et une stricte économie de l’eau. La parfaite conception desécluses restait le principal garant de la fonctionnalité du Canal.

Pour prendre une image suggestive, l’écluse est une chambre d’eau close par deuxportes, l’une au seuil d’un bief amont (porte de tête, de garde ou de défense), l’autresur celui d’un bief aval (porte basse ou de mouille), la différence de hauteur (chute)entre les deux niveaux de biefs des écluses de Riquet est en moyenne de 245 cm. Lamanœuvre des portes en faisant varier le niveau de l’eau dans la chambre d’éclusepermet aux bateaux de passer d’un bief à l’autre. Toute la difficulté tient dans l’étanchéitédes portes et leur manœuvre. La poussée des eaux sur les portes, et notamment surla porte d’aval, la plus haute, limitait la hauteur de chute à moins de trois mètres pourconserver une maniabilité et une étanchéité satisfaisante. Cela imposa souvent la réa-lisation d’écluses doubles, triples, quadruples et, à Fonserannes le remarquable escalierd’eau à huit chambres d’écluse.

L’écluse double de Castanet (31) a une importance particulière. Après les désordres survenus auxpremières écluses à bajoyers droits (parois latérales de la chambre d’écluse)de Toulouse, ici P. Paul Riquetexpérimente les écluses à bajoyerselliptiques. Toutes les autres écluses du Canal, sauf celle d’Agde, serontréalisées sur ce modèle.

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Passage de l’écluse de Puichéric (11).

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frISBN 978-2-86266-662-4

29 € 9 782862 666624

LE CANAL DU MIDIRegards sur un patrimoine

l’histoire du canal du midi par Jean-Christophe Sanchezarchitecture et ouvrages d’art par Jean-Loup Marfaing

LE CANAL DU MIDI, une œuvre de génie civil conquise par la Nature par Samuel Vannier

le canal, entre économie et culture par Robert Marconis

Robert Marconis est professeur émérite de géographie à l’université Toulouse-II le Mirail, spécialiste des transports et des recompositions urbaines et territoriales.

Jean-Loup Marfaing est architecte et historien, auteur de nombreux ouvrages sur le canal du Midi.

Jean-Christophe Sanchez est enseignant, docteur en histoire et auteur d’une thèse sur l’astronomie et la physique à l’époque moderne.

Samuel Vannier est historien, archiviste aux Voies navigables de France.Julien Gieules exerce ses talents de photographe sur les paysages de Languedoc-Roussillon.

Le canal du Midi vu depuis le pont Matabiau à Toulouse (début XXe siècle).

Première de couverture : bateau de plaisance à proximité du Somail (Aude).

Le pont-canal de l’Orb à Béziers.