le bourgeois de sÉville

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LE BOURGEOIS DE SÉVILLE

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C O L L E C T I O N « E T H N O L O G I E S »

D I R I G É E P A R J E A N CUISENIER

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LE BOURGEOIS

DE SÉVILLE TERRE ET PARENTÉ EN ANDALOUSIE

François Héran -

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

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ISBN 2 13 0 4 2 2 6 0 8

D é p ô t l é g a l — I é d i t i o n : 1 9 9 0 , s e p t e m b r e

© P r e s s e s U n i v e r s i t a i r e s d e F r a n c e , 1 9 9 0

108 , b o u l e v a r d S a i n t - G e r m a i n , 7 5 0 0 6 P a r i s

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Avertissement

Les recherches dont on livre ici les résultats ont été menées à Séville entre 1976 et 1978, à l'occasion d'un détachement à la Casa de Velazquez. Elles ont fait l'objet de deux articles et d'une thèse de troisième cycle soutenue en 1979 à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales dans le cadre de l'unité « anthropologie sociale et historique ». L'année suivante, la collection « Estudios », animée par Antonio Gamiz, en publiait une version adaptée au public espagnol, qui retint l'attention des anthropologues et des historiens du monde r u r a l Nous en présentons aujourd'hui une version française substan- tiellement remaniée. Les modifications ne portent ni sur la méthode ni sur les faits, suffisamment établis, mais sur l'interprétation, que nous avons tenté d'approfondir ou de nuancer. Il a été tenu compte notamment des appréciations ou des critiques formulées par les cher- cheurs français qui avaient pris connaissance de la version espagnole On trouvera également dans ces remaniements l'écho de recherches personnelles menées entre-temps dans des domaines connexes, où sont agitées les notions de « stratégie », de « hasard », d' « institution » ou d' « habitus »

Notre propos était de partir du cas andalou pour soulever des questions de fond et de méthode qui se posent de façon générale à

1. Héran, 1979 et 1980a (les références bibliographiques complètes sont données à la fin de l'ouvrage).

2. Héran, 1980b. Le chapitre central fut repris dans le deuxième tome de l'anthologie de l'histoire agraire de l'Espagne dirigé par R. Garrabou et J. Sanz (Héran, 1985).

3. Cf. les comptes rendus de M. Haubert, Tiers Monde, n° 88, 1981, p. 905-906; E. Témime, Annales ESC, 37 (2), 1982, p. 381 -382 ; J.-Cl. Combessie, Revue française de Sociologie, 24, avril- juin 1983, p. 346-349.

4. Voir la bibliographie en fin d'ouvrage.

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l'anthropologue dans nombre de sociétés rurales traditionnelles en mutation. Il ne s'agissait donc pas seulement de faire un ouvrage sur l'Andalousie. Aussi avons-nous donné, chaque fois que cela était néces- saire, les éléments susceptibles d'orienter les lecteurs non familiers de la langue, de l'histoire et de la culture locales Les citations qui figu- raient en espagnol dans les versions antérieures sont présentées ici en traduction.

Il faut dire un mot du système des noms propres en vigueur en Espagne. Dans les actes administratifs et les circonstances officielles, les Espagnols portent deux noms de famille (primer apellido et segundo apellido), juxtaposés sans trait d'union (la copule y n'étant employée que dans la langue honorifique). Ils correspondent dans l'ordre au patro- nyme et au matronyme : José Rodriguez Blanco est fils d'un Rodriguez et d'une Blanco. Contrairement à la pratique française, la femme ne prend pas le nom de son mari mais conserve ses deux noms de famille. A la génération suivante, les enfants de José Rodriguez Blanco et de Josefina Pineda Ruiz deviennent des Rodriguez Pineda. Mais dans l'usage courant, que nous suivrons le plus souvent, on les désigne simplement sous le nom de Rodriguez. Le système du double nom de famille n'est nullement « bilinéaire », car les lignes maternelle et paternelle ne sont pas traitées à l'identique : le matronyme n'est rien d'autre que le patronyme de la mère et il disparaît définitivement à la génération des petits-enfants.

Pour en rester aux noms propres, il nous faut citer ceux des personnes qui, à des titres divers, ont facilité notre séjour espagnol et encouragé notre travail : Antonio-Miguel Bernal, Jean-Claude Cham- boredon, François Chevalier, Isac Chiva, Jean Cuisenier, Bernard Roux et Ignacio Vazquez Parladé. Qu'ils trouvent ici l'expression de notre gratitude.

La référence aux principales sources documentaires se fera tout au long de l 'ouvrage selon les abréviations suivantes :

AFIV Archives privées de la famille Ignacio Vazquez AHN Archivo Histórico Nacional de Madrid

AHUS Archives historiques de l 'Université de Séville AMS Archives municipales de Séville APS Archives notariales (Archivo de Protocolos) de Séville doc. document ou acte notarié

E étude notariale (escribanía)

5. On ne peut que leur recommander les ouvrages d'initiation de P. Vilar, Histoire de l'Espagne, coll. « Que sais-je ? », Paris, PUF, 1947, régulièrement réédité et mis à jour, et de J.-P. Amalric, B. Bennassar, J. Pérez, E. Témime, Lexique historique de l'Espagne (XVI-XX siècle), Paris, Armand Colin, 1976.

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Introduction

On ne peut prononcer les mots Séville, Andalousie ou Guadal- quivir sans que vienne aussitôt à l'esprit un éventail de traditions festives mondialement connues, qui va du flamenco à la tauromachie, en passant par le cycle des fêtes de printemps (Semaine sainte, Feria d'avril, pèlerinage du Rocio...), à quoi s'ajoutent d'autres institutions moins réputées mais tout aussi vivaces, comme ces confréries qui scindent en moitiés antagonistes la plupart des bourgs de la campiña sévillane. Il semble que l'ethnologue ait là un terrain tout désigné, d 'autant que ces phénomènes sont encore loin d'avoir suscité les grandes investigations qu'ils méritent.

LA BOURGEOISIE AGRAIRE DE SÉVILLE : UN OBJET POUR ETHNOLOGUE ?

Dans ces conditions, pourquoi centrer notre recherche sur un objet aussi peu ethnologique en apparence que la bourgeoisie agraire de Séville ? D'abord parce que, sans occuper le devant de la scène andalouse, elle occupe le terrain au sens propre du terme. La plaine du Guadalquivir, en effet, n'est pas seulement un conservatoire de traditions populaires, c'est aussi la terre par excellence de la grande propriété. La bourgeoisie sévillane s'en est rendue maître il y a un siècle et demi, à la faveur des ventes de biens nationaux, sans que cette mainmise ait jamais fait l'objet d'une investigation particulière.

Si ce groupe social doit retenir l 'attention de l'anthropologue, c'est aussi en raison des controverses dont il est l'objet depuis son

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avènement et qui tournent toutes autour d'une question cruciale : quel rapport la bourgeoisie agraire de Séville entretient-elle exacte- ment avec la terre ? Y voit-elle un élément de prestige, un bien écono- mique, un placement financier, un patrimoine familial ? De proche en proche, la question a pour enjeu l'image légitime de la réalité andalouse, et ce débat retentit à son tour sur la conception que l'on peut avoir de l'anthropologie. L'opinion la plus courante voit, en effet, dans la bourgeoisie agraire une classe oisive qui se contente de vivre des rentes que lui procure à bon compte l'exploitation extensive des latifundia ; elle singerait avec ostentation les comporte- ments de l'ancienne aristocratie (ce qui vaut à ses représentants d'être qualifiés de señoritos) et se livrerait à des dépenses de prestige impro- ductives telles que l'élevage de taureaux ou les brillants équipages de la Feria. C'est à elle que l'on devrait la folklorisation de l'Andalousie. L'absence d'une bourgeoisie entreprenante expliquerait en dernier ressort les « archaïsmes » actuels de la société andalouse, et les anthro- pologues qui entreprennent d'étudier ces traditions ne feraient que conforter les intérêts du groupe dominant.

Lorsque nous avons entrepris nos recherches il y a une dizaine d'années, cette vision était largement répandue au sein de l' intelligentsia sévillane. Elle devait une part de son succès à l'équivoque de son fonde- ment idéologique; en elle pouvaient se rejoindre, diversement dosées au gré des sensibilités de chacun, la dénonciation d'un gaspillage écono- mique et la dénonciation d'une injustice sociale. La première avait déjà été formulée au XVIII siècle par les hommes des Lumières, les ilustradosla seconde s'est développée à la fin du siècle dernier et aboutissait à réclamer le partage des latifundia. Mais, qu'elle parût injuste ou irrationnelle, la grande propriété était toujours jugée rétro- grade et contraire au bien commun. Les transformations juridiques du XIX n'avaient pas ébranlé, disait-on, cette « permanence structurale » du régime foncier : en se substituant aux dominants de l'Ancien Régime, Eglise ou noblesse, la bourgeoisie agraire restait justiciable du même procès.

Plusieurs signes, pourtant, suggèrent qu'elle n'a pas toujours eu cette réputation d'immobilisme et qu'elle-même était loin de se reconnaître dans l'image festive de l'Andalousie. C'est ainsi que des voix s'élevaient en son sein pour condamner l'évolution de la Feria d'avril vers la fête ostentatoire qu'elle est devenue aujourd'hui. Témoin

I. « Il est rare qu'un grand propriétaire se révèle être un grand novateur », disait Adam Smith dans La richesse des nations (cité par P. K. O'Brien, Quelle a été la contribution de l'aristocratie britannique au progrès de l'agriculture entre 1688 et 1789?, Annales ESC, 42 (6), novembre- décembre 1987, p. 191). Sur la vision du latifundium andalou par les Illustrados, voir Defour- neaux, 1957. Cf. aussi nos remarques dans Héran, 1979a.

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cette chronique de 1862 dans La Agricultura española, organe local proche de la Chambre d'Agriculture de Séville, qui déplore que « la foire-fête absorbe plus qu'elle ne devrait la foire-marché » (souligné dans l'original). L'auteur de l'article estime que « l'excès d'agitation et de distractions parrainées par les autorités est une imperfection de la Feria de Séville » Significatif aussi est le témoignage des voyageurs romantiques qui parcouraient l'Andalousie en quête d'images antiques ou o r ien ta les Ils déploraient tout à la fois la mécanisation de l'agri- culture, l ' implantation du chemin de fer et la déchristianisation de la société locale, qu'ils imputaient à la révolution libérale de 1836. Le modernisme des grands propriétaires mettait en péril l'organisation traditionnelle de la société rurale. Déjà, l'Anglais Richard Ford, qui avait séjourné à Séville de 1830 à 1833 avant de rédiger le premier guide touristique de l'Andalousie, raillait ces propriétaires incapables d'apprécier le pittoresque des scènes de battage : devant le travail d 'une abondante main-d'œuvre écrasée de soleil, ils « restaient de glace, ne voyant que l'aspect barbare, dépassé et imparfait du procédé, rêvant de quelque machine fabriquée à Birmingham, qu'ils installe- raient dans une grange conforme aux normes de la Société royale de Cavendish Square » Immobile, la bourgeoisie agraire ? Au plus fort de son essor, vers le milieu du XIX siècle, on l'accusait plutôt du péché inverse.

Il est vrai que la révolution libérale déclenchée dans les années 1830 et développée dans les années 1850 malgré plusieurs interruptions avait représenté un événement considérable. Les historiens espagnols y voient la fin définitive de l'Ancien Régime. Les terres de l'Eglise d'abord, les terres communales ensuite, jusque-là inaliénables, avaient été confisquées par l 'Etat et mises en vente comme biens nationaux, et c'est à la faveur de cet épisode (connu en Espagne sous le nom de « Désamortissements ») qu'avait surgi en Andalousie une bourgeoisie agraire apparemment dépourvue de traditions, soucieuse d'intensifier la production et d'écouler ses produits sur le marché mondial. Les voyageurs étrangers ne furent pas les seuls à déplorer l 'avènement de cette nouvelle mentalité; ils furent relayés sur place par les écrivains et les essayistes qui s'attachaient à décrire les mœurs locales (les costum- bristas) et qui, tels Fernan Caballero et son ami Antoine de Latour, préconisaient avant la lettre une ethnologie de sauvetage destinée à préserver les traditions populaires menacées par les bouleversements sociaux (Héran, 1979a, 36).

2. La Agricultura espanola, Séville, 1862, t. V, p. 291. Cf. également Héran, 1980a, in fine. 3. Analysé dans Héran, 1979a. 4. Ford, 1846, trad. esp., 1974, 130.

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Bien entendu, de tels indices sont trop légers pour que l'on puisse en tirer un portrait définitif de la bourgeoisie agraire. Ils suggèrent simplement que son comportement était loin d'être uni- voque et qu'il était susceptible d'évoluer au cours de l'histoire. Dans les périodes de crise économique, notamment, il semble que son esprit d'entreprise ait décliné au profit des investissements festifs de prestige. Est-ce à dire que, selon la conjoncture, le grand propriétaire andalou est tantôt un objet pour sociologue ou économiste, tantôt un objet pour ethnologue ? Récusant une telle scission, on voudrait éprouver ici une autre hypothèse et suggérer que la double image de la bour- geoisie agraire, son double registre, constitue en réalité un de ses traits permanents. Traditionaliste ou moderniste, son comportement reste justiciable d'une même approche anthropologique, pour peu que celle-ci s'arme d'une méthode d'observation appropriée.

L'anthropologie n'est pas vouée à la seule étude des perma- nences et des survivances. On fera ici une place importante à la grande rupture historique que constituent pour l'Andalousie les Désamortissements du siècle dernier. Jusqu'alors, la plupart des terres étaient soustraites aux lois du marché : l'Eglise détenait de longue date les plus riches sous le régime de la mainmorte, la noblesse et certains roturiers en bloquaient d'autres sous forme de majorats, c'est-à-dire de patrimoines indivisibles, automatiquement dévolus à l'aîné et inaliénables, tandis que les communautés rurales possédaient d'immenses terres vaines (baldíos) ou municipales (propios) réservées aux habitants du lieu. Ce système rigide vole en éclats à partir de 1836. Les ordres religieux sont supprimés, le droit d'aînesse aboli. Confisquées par l'Etat, les terres sont progressivement vendues à titre de biens nationaux.

Comme toutes les révolutions, cette rupture retient l'attention par sa valeur expérimentale. Le brusque passage d'un système auto- matique d'assignation des biens à un système régi par les lois du marché met à l'épreuve les normes implicites de comportement et les porte au jour. Avec le déblocage du système foncier, on pouvait s'attendre à ce que les liens religieux et familiaux fissent place à une logique purement individualiste. Selon ce modèle, la brusque application des lois du marché aurait contribué à atomiser la société rurale andalouse. Or, à observer attentivement sur plusieurs géné- rations le comportement des familles qui ont été les principales bénéfi- ciaires de cet épisode, on découvre qu'il n'en est rien. L'ouverture du marché foncier par les ventes de biens nationaux a provoqué chez elles une intense mobilisation de la parenté, qu'il s'agisse des liens de filiation ou des liens d'alliance. Cette mobilisation durable explique que les dizaines et parfois les centaines de parcelles achetées çà et là

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aient fini par constituer des patrimoines fonciers cohérents qui ont pu fournir une base solide à la formation de véritables lignées, toujours actives aujourd'hui et étrangement proches à certains égards des lignages nobiliaires.

L'ouvrage est centré sur cette démonstration. Il montre dans le détail que les familles qui ont mis à profit les ventes aux enchères pour constituer de vastes patrimoines fonciers étaient celles qui avaient su forger, dès l'Ancien Régime, des réseaux d'alliance particulièrement efficaces. Ces réseaux mettaient en communication les capitaux et les savoir-faire les plus diversifiés : on pouvait y trouver des grands fermiers de l'Eglise, de gros commerçants, des courtiers, des percep- teurs, des avocats, des conseillers municipaux. La mobilisation de tels réseaux permit aux intéressés de participer activement à la révolution libérale et de maîtriser par la suite le jeu complexe des enchères en tournant les interdictions de cumul. Tous les membres de la parenté conjuguent ainsi leurs efforts pour acheter les terres mises en vente, se servent réciproquement de prête-noms ou de garants, se revendent fictivement leurs parts et préviennent par diverses pratiques testa- mentaires les aléas démographiques qui risquent toujours de disperser le patrimoine fraîchement acquis.

Ce faisant, l 'approche anthropologique contribue à résoudre une énigme qui ne laissait pas d'intriguer les historiens. Ces derniers s'interrogeaient depuis longtemps sur l'origine des acheteurs de biens nationaux. Les listes nominatives figurant dans le Bulletin officiel des ventes attiraient l 'attention sur un petit nombre d'individus qui se portaient acquéreurs de terres situées aux quatre coins de la p r o v i n c e N'était-ce pas la preuve qu'il s'agissait de spéculateurs peu préoc- cupés d'agriculture ? Les historiens progressistes, tout comme les défen- seurs de la petite propriété familiale, voyaient là l'origine de l' « absen- téisme », terme réprobateur par lequel on a coutume de désigner le fait que les grands propriétaires ne résident pas à proximité de leurs domaines. Il n'en fallait pas plus pour consolider l'image classique du grand propriétaire oisif. Or l'étude attentive des achats vient ruiner ces hypothèses. En ayant recours, pour la première fois, aux archives privées, notre étude révèle que les acheteurs officiellement enregistrés étaient en réalité les commanditaires de plusieurs familles — d'où le caractère disparate de leurs acquisitions. Il suffit de rapporter les achats de biens nationaux à leurs véritables auteurs pour comprendre que, loin d'être des achats de spéculation, ils correspondaient bel et bien à la constitution de patrimoines familiaux cohérents. Si la terre

5. L'Espagne est divisée depuis 1833 en une cinquantaine de provinces. Celle de Séville s'étend sur 14000 k m soit à peu près l'équivalent de trois départements français.

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devient pour la première fois une marchandise, elle n'est pas pour autant un bien spéculatif, mais la base d 'un véritable patrimoine. A en croire les dénonciateurs du régime « latifundiaire », les grands propriétaires ne faisaient qu'accumuler les terres pour jouer sur la quantité au détriment de la qualité. C'est réduire à un calcul bien sommaire la logique de leur comportement. L'histoire et la structure de leur patrimoine traduisent des stratégies autrement plus complexes.

Il est vrai que la notion de stratégie soulève maintes difficultés que l'on ne manquera pas d 'aborder le moment venu (elle risque notamment d'introduire dans la pratique plus de conscience et plus de rationalité qu'il n'y en a), mais au moins a-t-elle le mérite de mettre l 'accent sur la cohérence des comportements. De fait, on ne se bornera pas à décrire les coups par lesquels les grandes familles de la bourgeoisie andalouse ont accumulé leurs domaines. On suivra également en aval la gestion et la consolidation du patrimoine, en dégageant la profonde cohérence des pratiques familiales dans des domaines aussi divers que l'exploitation des terres, la mécanisation des grands travaux, la formation de la main-d'œuvre, l 'éducation des enfants, les convictions religieuses, la mobilisation politique, les alliances matrimoniales, la transmission des prénoms ou les pratiques succes- sorales. Si l'on s 'attarde çà et là sur quelques descriptions minutieuses (comme la révolution de l'outillage ou le déclin de la part dévolue à l'Eglise dans les testaments successifs de la lignée), c'est toujours avec le souci de mettre en avant la cohérence du comportement décrit avec l'ensemble des pratiques centrées sur le patrimoine. Cela implique évidemment que l'on donne du patrimoine une définition élargie : ensemble d'avoirs et de savoir-faire dont le capital strictement écono- mique n'est qu 'une matérialisation et ne constitue nullement une fin en s o i

La fin de l 'ouvrage aborde plus longuement la question des pratiques successorales. On s'est employé à mettre en évidence tout ce qui relie les procédures formelles de succession, telles qu 'on les voit à l 'œuvre dans les testaments, aux stratégies parfois « informelles » de présuccession. Les grands propriétaires ont trop le souci de pré- server la cohérence économique de leur exploitation pour ne pas privilégier tel ou tel de leurs nombreux enfants, mais ils le font en sauvant les apparences du partage égalitaire, qui a toujours été de rigueur en Andalousie. Ils y parviennent au prix de quelques artifices de procédure, dont on donne quelques exemples. Plus profondément,

6. Nos réflexions sur ce point doivent beaucoup à l' Esquisse d'une théorie de la pratique de Pierre Bourdieu et au séminaire qu'animait Isac Chiva à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales sur le thème du patrimoine foncier en 1975-1976.

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le partage inégal est admis parce qu'il a été préparé de longue date par diverses pratiques, comme la familiarisation précoce des aînés à la gestion du patrimoine, leur mariage dans des familles de propriétaires voisins, leur dotation en grains et en outils agricoles à cette occasion, ou encore l'établissement à leur profit de contrats fictifs de fermage sur une part du domaine familial. Ce processus complexe a ceci d'intéressant que certaines pratiques, vécues à l'origine sur le mode de l'évidence (quoi de plus normal que d'initier les garçons à l'agri- culture selon leur ordre d'arrivée ?), ne prennent un caractère stratégique qu'en se confrontant à des normes juridiques extérieures ou aux exi- gences des familles alliées.

Les développements récents de l'anthropologie attestent, s'il en était besoin, que l 'anthropologue ne peut se contenter de décrire des règles, des rites ou des institutions. Mais la critique du juridisme ne doit pas conduire à négliger l'usage intensif que les agents peuvent faire des formes officielles chaque fois que cela est nécessaire. On insistera sur le double jeu des agents avec les institutions. Tantôt ils cherchent à démanteler ces dernières (comme en témoignent la partici- pation des candidats à la terre à la révolution de 1835, leur désir d'abolir les majorats nobiliaires ou de supprimer les fondations reli- gieuses). Tantôt, au contraire, ils s'efforcent d' « instituer » leurs coups pour en garantir durablement les effets, ce qui les conduit parfois à se servir des institutions tout en les déjouant (ainsi quand les procédures égalitaires du code successoral viennent couvrir un partage inégal). Toutes sortes de moyens, juridiques ou symboliques, sont mobilisables pour consolider les positions acquises. Les grands propriétaires ne dédaignent pas les titres universitaires, voire les titres nobiliaires, et on les voit reprendre à leur compte des procédés onomastiques propres à la noblesse, lorsqu'ils fondent des lignées patrimoniales où le prénom du fondateur — c'est-à-dire du premier acheteur de biens nationaux — est aujourd'hui encore réservé au fils aîné de la branche aînée.

LA « REPRÉSENTATIVITÉ » D'UNE GRANDE FAMILLE

Pour cerner un sujet aussi vaste, il était nécessaire de fixer une méthode, tout en s'interdisant de dresser des barrières entre les disciplines. A l'évidence, l'histoire, l'anthropologie, la sociologie, la géographie humaine, l'économie offrent ici des perspectives complé- mentaires. C'est ainsi que sur certains points d'histoire (comme l'identification des acheteurs de biens nationaux ou l 'ampleur de la mécanisation agricole dans les années 1860), il nous est arrivé d'avoir à

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Fig. I. — Carte de situation

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contredire des travaux d'historiens, ce qui n'était possible qu'à condition de recourir à leurs instruments privilégiés, comme les archives notariales ou la presse agricole contemporaine des événements (deux sources largement sous-exploitées en Espagne). Nous avons dû pratiquer en quelque sorte l'interdisciplinarité en solitaire. Mais peut-on concevoir aujourd'hui une recherche en science sociale qui n'y recoure pas d'une manière ou d'une autre ?

Cependant, si notre objet relève de l'histoire sociale et culturelle, la méthode suivie se situe résolument dans la tradition anthropologique par son caractère monographique et intensif. Ce qui n'est pas sans soulever une difficulté. Comment étudier dans le cadre d'une mono- graphie un groupe social dont la surface, au propre comme au figuré, déborde à ce point les limites de la communauté villageoise ? La tradition anglo-saxonne des études de « communautés » peut s'enor- gueillir en Andalousie de grandes réussites, à commencer par l'étude pionnière de Julian Pitt-Rivers dans un village de la cordillère Bétique Mais les nécessités de l'observation directe conduisent spon- tanément les chercheurs de terrain à privilégier la petite ou la moyenne paysannerie et, par voie de conséquence, à préférer l'Andalousie orien- tale à la Basse-Andalousie8. Le fait de choisir une unité d'observation locale a, en effet, pour contrepartie qu'on ne peut évoquer les grands propriétaires que par prétérition, en les qualifiant seulement de quelques traits négatifs : ils ne résident pas sur place (thème de l' « absentéisme »), ils sont peu impliqués dans les fêtes locales, ils ne sont pas désignés dans le système local des surnoms, et ainsi de suite. Bref, ce sont davantage des citadins que des ruraux.

En réalité, l'étude intensive peut s'accomplir sur d'autres unités d'observation que la communauté de résidence. Si la monographie est la technique de base de l'ethnologie et, à notre sens, le trait majeur qui la distingue des sciences sociales voisines, il reste qu'elle n'est pas synonyme de monographie locale. Dans le cas présent, nous prendrons pour objet les activités d'un réseau de parenté, centré à l'origine sur des activités urbaines ou péri-urbaines, et nous nous efforcerons de décrire le mécanisme par lequel elles parviennent progressivement à s'inscrire dans l'espace rural pour y établir des totalités cohérentes. En l'occur- rence, la dimension spatiale est tout à fait présente, mais elle ne constitue

7. Pitt-Rivers, 1954. Le village de Grazalema étudié par l'auteur se situe dans une région acci- dentée où la grande propriété est marginale.

8. Dans sa thèse sur l'Andalousie méditerranéenne (1981), Christian Mignon a montré de façon convaincante que le latifundium décelé par certains géographes dans la chaîne Bétique et, de façon générale, sur le versant méditerranéen de l'Andalousie (provinces de Grenade, Malaga et Almeria) recouvre pour l'essentiel des terrains de montagne incultes et n'a nulle- ment la signification économique et sociale que prend la grande propriété dans l'Andalousie du Guadalquivir (provinces de Jaén, Cordoue, Séville et Cadix).

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pas une unité première qui définit a priori le cadre d'observation; c'est une unité progressivement construite par les acteurs, dont nous tenterons précisément d'élucider les principes de construction, ainsi que le mode de conservation à travers le temps.

Au centre de notre étude figure un vaste réseau familial que l'on suivra sur six générations. Le choix s'est porté, à l'intérieur du milieu des grands propriétaires, sur le pôle des « entrepreneurs » et non sur celui des rentiers. Le fondateur de la lignée de référence, Ignacio Vazquez Gutierrez (1807-1873), n'est pas un personnage ordinaire. Il prit une part active à la révolution libérale, fut maire de Séville en 1840, plusieurs fois réélu président de la Chambre d'Agriculture provinciale, cofondateur du Cercle des propriétaires terriens (le prestigieux Casino de Labradores de Séville) et sénateur sous le règne d'Isabelle II. Ses terres ne totalisaient que 6 200 ha, mais se situaient aux portes de Séville, sur les terrasses alluviales très fertiles du Guadalquivir, ce qui le plaçait au premier rang des contribuables fonciers de la province. La plupart furent acquises dans les ventes de biens nationaux, plus souvent de seconde main que de première main. Aujourd'hui encore, l'étude du cadastre révèle que les possessions des Vazquez et de leurs alliés occupent à elles seules la moitié de la feuille au 1/50 000 qui couvre le terroir s'étendant au nord de Séville. Par sa surface physique et sociale, ce réseau familial a donc un poids considé- rable dans la société sévillane.

Pour le statisticien soucieux de représentativité, le choix de cette famille fait problème : nous ne l'avons pas retenue au hasard, mais en raison de sa réussite sociale, ce qui introduit d'emblée un « biais de sélection ». Sans doute tenterons-nous de montrer à quoi tient cette réussite, quelle part y prennent les aléas démographiques ou le hasard des « effets de génération » (comme celui qui consiste à avoir le bon âge au bon moment) et quelle part est imputable aux stratégies des acteurs. Il nous arrivera de les comparer sous ce rapport à d'autres propriétaires moins heureux. Nous montrerons même que les Vazquez en tant que tels n'avaient rien de nécessaire et qu'il s'en est fallu de très peu que leur lignée ne disparût à peine formée. D'autres familles auraient alors occupé le terrain. Mais, objectera-t-on, n'aurait-il pas été plus significatif de choisir une famille bourgeoise ordinaire ? Le problème est qu'un grand propriétaire peut difficilement être un personnage « ordinaire », sans contradiction dans les termes. En admettant que puisse s'appliquer ici la logique du tirage au sort, garante de la représentativité, il faut rappeler qu'elle s'applique, par construction, à des unités clairement définies, ayant chacune une probabilité connue d'être tirée. Dans ces conditions, rien n'interdit d'imaginer un échantillon représentatif des fortunes plutôt que des

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propriétaires : cette décision relève des choix théoriques du chercheur, elle n'est pas inscrite dans la méthode s t a t i s t ique Dans cette hypothèse, le tirage pondéré donnerait à chaque propriétaire une chance d'être choisi proportionnelle à son poids dans la structure foncière, poids mesuré par la superficie des terres possédées ou, mieux, par leur valeur. La « surface » des Vazquez au sein de la bourgeoisie agraire est telle qu'ils auraient alors de grandes chances d'être élus.

Mais y aurait-il un sens à effectuer un tirage aléatoire au sein d'un univers aussi étroit ? On ne compte pas plus de cinquante per- sonnes dans la liste officielle des principaux contribuables qui compo- saient le corps électoral de la Chambre d'Agriculture de la province de Séville en 1860. document qui offre une bonne définition empirique du groupe des grands propriétaires de la r é g i o n Parmi elles, qua- rante et une sont dépourvues de titres nobiliaires et six seulement sont domiciliées à Séville. Ignacio Vazquez Gutierrez payait à lui seul 30 % de la cote foncière de ces six propriétaires. La famille Benjumea le suivait de près avec 29 % et présentait des caractéristiques très proches (elle figure également parmi les promoteurs de la mécanisation agri- cole et l 'une de ses branches s'alliera aux Vazquez à la génération suivante). En jetant notre dévolu sur le premier contribuable roturier de la province, nous ne sommes pas si éloignés de ce qu 'aurai t donné une sélection aléatoire des fortunes foncières de Séville. Il est clair

que le dualisme du général et du particulier perd ici beaucoup de sa signification, de même que le problème classique de la repré- sentativité. Nous reconnaissions plus haut avoir préféré dans le champ de la bourgeoisie agraire le pôle des entrepreneurs au pôle des rentiers, mais c'est un fait que la majorité de la grande propriété sévillane était alors aux mains d'entrepreneurs.

Si le cas Vazquez constitue assurément un cas limite, ce n'est pas un cas excentrique. Le fait que plusieurs de ses membres aient durablement présidé la Chambre d'Agriculture de Séville en est une illustration. Sans doute serait-il souhaitable que de nouvelles mono- graphies viennent s'ajouter à la nôtre pour compléter le tableau. A plusieurs reprises, nous mentionnerons nous-même d'autres grandes familles de la région, lorsqu'il sera question notamment des alliances matrimoniales, des ventes aux enchères de terres communales et du mouvement de mécanisation. Dans ces deux derniers cas, l 'information présentée sera même étendue à l'ensemble de la province. Mais, pour

9. Pour une réflexion d'ensemble sur le problème de la pondération dans l'objectivation statis- tique, nous renvoyons à Héran, 1984, et Héran, 1987a.

10. Circulaire du gouverneur civil de Séville en date du 20 janvier 1860, publiée dans La Agricultura espanola, t. II, p. 353.

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Malheureusement, la destruction actuelle d'une grande partie du domaine par des travaux visant à rectifier le cours du Guadalquivir empêche de pouvoir situer avec toute la précision souhaitable l'ensemble de ces parcelles les unes par rapport aux autres. On peut cependant montrer que la distribution des 25 parcelles entre les trois héritiers est loin d'être aléatoire : elle répond à une logique économique certaine. Si l'on classe en effet les lots selon leur prix à l'hectare, trois classes de terres se détachent immédiatement, ainsi que le révèle la figure 10 :

I / les terres d'oliveraie (lots 23 et 24 a), les plus chères, les moins parcellées. Elles portent 9 571 pieds sur 97,4 ha, ce qui dépasse de peu la norme des plantations sévillanes : 90 pieds à l'hectare, soit un olivier tous les 10 m environ (Drain, 1977, 119);

2 / les terres situées sur la commune de Séville, proches du Guadal- quivir, une fois et demie moins chères, terres très limoneuses, profitant des crues périodiques du fleuve, terres partiellement irri- guées puisque le cortijo possède un puits et une noria, décrits par l'inventaire ;

3 / les terres de la commune de Camas, deux fois meilleur marché que les précédentes, plus éloignées du Guadalquivir, plus rapprochées du village de Camas dont il contourne parfois les parcelles suivant un tracé plus irrégulier (cf. carte n° 2).

Fig. 10. — La logique économique d'un démembrement : le partage du domaine de Gambogaz

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Le rapport entre l'échelonnement des prix du terrain, la nature des terres et leur attribution aux trois héritiers saute aux yeux si l'on examine la figure 9 :

1 / La veuve reçoit simultanément les terres les plus chères et les terres les moins chères : oliveraie d'une part, terres de Camas, d'autre part. Le tout formera désormais une hacienda, dit l'écriture de partage, et non plus un cortijo ; le siège en sera la moitié de la ferme. Le nom du nouveau domaine : hacienda de la Candelaria, à la fois « oliveraie de la Chandeleur » et « oliveraie de Candelaria » puisque le toponyme reprend le nom de la propriétaire, comme si, sous des dehors religieux, il s'agissait de reconnaître l'existence d'un lien organique entre la veuve et l'oliveraie. De fait, l'olivier est traditionnellement considéré par les Andalous comme « une affaire de veuve ». une culture ne requérant aucun investissement particulier.

2 / Le benjamin recueille en revanche les meilleures terres céréa- lières du cortijo, celles qui nécessitent l'emploi du matériel agricole déposé à Gambogaz. La division du travail entre les sexes selon le type de culture (extensive/intensive) se dessine ici parfaitement. Il est significatif de voir que l'ensemble de ces parcelles gardent au sortir du partage le nom originel du domaine : Gambogaz. C'est bien le cortijo « par excellence », détaché de ses annexes non céréalières, qui reste préservé dans son unité.

3 / Enfin, la fille célibataire reçoit la Haza de la Cruz, le « champ de la Croix », parcelle encadrée par plusieurs chemins ruraux et située face à la croix du monastère de la Cartuja. Résiduelle par rapport au cortijo de Gambogaz, elle est désormais rattachée au petit cortijo del Alamo qui la limite à l'est (attribué lui aussi à Candelaria Vazquez).

Cet exemple de fragmentation successorale ne manque pas d'intérêt. Si le morcellement du domaine historique de Gambogaz apparaît aux héritiers comme un mal nécessaire, il faut aussi reconnaître que les détails de l'opération sont loin d'être irrationnels. Le rationa- lisme économique a une fois de plus joué, distinguant les cultures « faciles » (olivier) des cultures intensives et mécanisables (céréales), réservant les premières aux femmes, les secondes aux hommes. En même temps, l'indivision est maintenue pour toutes les installations hydrauliques : puits, noria et réservoir, ainsi que pour la parcelle où se situent les bâtiments d'exploitation. Pis-aller tout de même, car le problème de ces portions n'est-il pas condamné à s'aggraver dès la génération suivante ?

Le caractère divisible ou indivisible des divers types de biens apparaît dans le tableau 27, selon qu'il s'agit de numéraire, de mobilier, de bétail ou de récoltes, de terres ou d'outillage. Le même tableau

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nous révèle également, sous l'égalité formelle des parts, l'inégalité de structure qui les oppose.

Mais il est une chose qu'il ne saurait mettre en relief et qui, cependant, contribue puissamment à l'inégalité du partage; nous voulons parler de l'aptitude à exploiter le patrimoine alloué, c'est-à- dire de l'ensemble des savoir-faire, compétences, expériences, habitus, dont les héritiers ont été inégalement dotés par leur père et qu'ils portent en quelque sorte en eux-mêmes. C'est une fois le partage réalisé que ce capital cristallisé à travers les stratégies présuccessorales entrera enjeu. On peut d'ores et déjà signaler ici que la branche issue du benjamin de la famille Vazquez manifestera par la suite un comportement « non conformiste » (série de mésalliances, échecs dans la gestion du patrimoine, etc.) dérivé en grande partie de la faiblesse des dotations de départ, elle-même due à la position de dernier-né. De là un désintérêt relatif pour l'agriculture et une déviance systé- matique par rapport aux normes familiales.

Les variations interindividuelles ne sont donc pas au premier chef des variantes naturelles, inscrites de tout temps dans la psychologie de chaque héritier. Le privilège de fait dont jouissent les trois premiers fils et, plus particulièrement, l'aîné d'entre eux, ne relève pas plus du droit d'aînesse que du droit divin ou du droit naturel. La famille s'est simplement contentée de tirer parti des écarts de temps objectifs séparant les dates de naissance des successibles. L'initiation précoce au cycle de vie du grand agriculteur, l'inculcation de l'ethos producti- viste à travers une formation scolaire ainsi que sur le tas, la socialisation différentielle des hommes et des femmes, tout cela a permis de justifier par la suite les « droits de préemption » ou d'option du premier des successibles sur la succession.

Ainsi, même dans l'hypothèse où le patrimoine foncier, au sens restreint du terme, aurait fait l'objet d'une dévolution strictement égalitaire, l'usage qui en serait fait ne saurait être pour autant identique d'un héritier à l'autre : la socialisation subie par chacun d'entre eux est bien plus déterminante que l'apparente égalité du partage réalisé à une date déterminée. Le patrimoine familial est donc aussi cela : la mobilisation différentielle d'un capital économique par un capital « symbolique » sans lequel il ne peut être exploité.

D u T R I A U T O M A T I Q U E A LA S É L E C T I O N RAISONNÉE I UN N O U V E A U MODE DE R E P R O D U C T I O N

Le privilège de fait accordé à certains héritiers traduisait la néces- sité vitale pour les familles de grands propriétaires de maintenir un

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certain numerus clausus à l'entrée de leur classe, seul moyen de main- tenir leur emprise sur le marché foncier. D'où l'élimination en douceur d'une partie des candidats virtuels à la succession : les femmes, les célibataires, les benjamins... En somme, la sélection des descendants par les ascendants assurait le renouvellement des grands propriétaires sévillans par autosélection. Comme on ne pouvait raisonnablement envisager de poursuivre dans les générations à venir l 'accumulation des terres et l'intensification des cultures consécutives aux Désamor- tissements, la reproduction du groupe social exigeait que les héritiers les moins productifs fussent évincés de la succession. De là ces « ratés » apparents, assurément vécus comme tels par les intéressés, mais qui s'avèrent fonctionnels à l'échelle du groupe tout entier.

Il ne semble pas, de ce point de vue, que les intérêts de la bourgeoisie agraire diffèrent sensiblement de ceux de la noblesse d'Ancien Régime. L'une et l 'autre assurent leur reproduction au prix d'une rigoureuse sélection interne, que vient renforcer une forte endo- gamie; elles s'opposent toutes deux à l'égalitarisme populaire. Là où elles diffèrent, c'est sur les moyens de contrer ce dernier. Pour l'aristocratie titulaire de majorats, les choses sont simples : le droit d'aînesse est une stratégie sans stratège; il effectue le tri automatique de l'héritier. La bourgeoisie, pour sa part, doit composer avec l'égali- tarisme; elle est tenue de légitimer ses choix préférentiels en sauvegar- dant les apparences de l'égalité. Et lorsqu'elle menace d'avantager un héritier, ce ne peut être que sur la base d 'un long travail de présuccession.

Cette propriété entraîne plusieurs paradoxes. La succession telle que la pratique la bourgeoisie agraire n'est pas un système. Elle ne repose sur aucune solution automatique au problème de la dévolution, mais doit louvoyer entre deux exigences contraires, celle de l'exploi- tation optimale du bien et celle de l'égalité entre héritiers. Aussi ne peut-elle se prévaloir d'emblée d'une légitimité (une pratique tiraillée entre deux principes est toujours attaquable). On comprend que le maire de Séville se soit senti tenu, contrairement aux usages ordinaires, de justifier longuement ses choix dans son testament. Et pourtant, si mal assurée soit-elle, cette pratique de compromis s'avère à l 'examen plus solide que les procédures automatiques, en ce sens qu'elle garantit davantage l'avenir du patrimoine.

Dans le cas du majorat comme du partage égalitaire hors tes- tament, la légitimité de la dévolution est au contraire acquise d'em- blée, de toute éternité si l'on peut dire, puisqu'elle échappe au temps humain : chacun sait d'avance comment les parts seront attribuées et l'obligation du « rapport » abolit les intervalles entre enfants. Le détenteur du patrimoine n 'a pas à développer de stratégie propre;

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il hérite en quelque sorte d'une stratégie successorale toute faite, déjà incorporée au système juridique. De ce fait, il économise aussi bien les préalables laborieux et coûteux de la présuccession que l'embarras des justifications à apporter aux héritiers et aux alliés. Le paradoxe, là encore, est que cet allégement du coût juridique et moral de la dévo- lution s'avère coûteux à terme pour l'avenir du patrimoine, alors que le long travail préparatoire d'installation préférentielle de certains héritiers est une forme d'investissement propre à le consolider. En cette matière la bourgeoisie agraire ne fait pas de juridisme. C'est pourquoi elle s'accommode finalement assez bien du droit successoral castillan, qui n'impose la solution égalitaire qu'à défaut de testament et, pour le reste, autorise une grande flexibilité. La solution du majorat, à l'inverse, était tout empreinte de juridisme, d'où sa fragilité. Autant elle pouvait s'imposer comme instrument de stabilisation des patri- moines dans les périodes de stagnation économique, autant elle s'avérait économiquement inadaptée aux phases de croissance.

Il faut avoir ces considérations à l'esprit pour mesurer la portée et les limites du célèbre propos de Tocqueville sur les effets du droit successoral. « Je m'étonne, écrit-il dans De la démocratie en Amérique, que les publicistes anciens et modernes n'aient pas attribué aux lois sur les successions une plus grande influence dans la marche des affaires humaines. Ces lois appartiennent, il est vrai, à l'ordre civil; mais elles devraient être placées en tête de toutes les institutions politiques, car elles influent incroyablement sur l'état social des peuples, dont les lois politiques ne sont que l'expression. Elles ont de plus une manière sûre et uniforme d'opérer sur la société; elles saisissent en quelque sorte les générations avant leur naissance. Par elles, l'homme est armé d'un pouvoir presque divin sur l'avenir de ses semblables. Le législateur règle une fois la succession des successions, et il se repose pendant des siècles : le mouvement donné à son œuvre, il peut en retirer la main; la machine agit par ses propres forces et se dirige comme d'elle-même vers un but indiqué d'avance... »

Cette analyse ne laisse pas de surprendre chez un auteur que l'on a parfois enrôlé sous la bannière de l' « individualisme méthodo- logique », car elle porte à son comble l'illusion juridiste et mécaniste. L'institution est divinisée ou, si l'on préfère, faite « chose », comme jamais on ne le verra dans l'œuvre de Durkheim. Opérant une sorte de passage à la limite, Tocqueville imagine une stratégie successorale intégralement objectivée dans un mécanisme autonome qui ne fait plus aucune place aux stratégies des acteurs. Illusion explicable chez un jeune aristocrate dont la famille avait pu vivre comme une épreuve l'abolition des majorats et du droit d'aînesse. Mais c'était accorder au législateur le pouvoir divin du nomothète dont se targuaient les

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révolutionnaires. A quoi s'ajoutait, chez Tocqueville, la hantise du nivellement, qui portait à surestimer toute poussée d'égalitarisme.

En réalité, dans le cas français comme dans le cas espagnol, le droit commun des successions se contentait de prescrire le partage égalitaire par défaut, tout en laissant une grande latitude au testateur désireux de privilégier tel ou tel héritier. L'analyse de Tocqueville imputait aux nouvelles dispositions juridiques un automatisme qui était propre à l'ancien droit nobiliaire. Au même moment, la bourgeoisie sévillane entamait ses conquêtes territoriales, bien décidée à ne pas laisser à la divinité, eût-elle les apparences du législateur, le soin de les trans- mettre à la postérité.

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Aux portes de Séville et au pied de la Chartreuse (flèche 1), le domaine de Gambogar,

pièce centrale de la fortune des Vazquez (flèche 2). Le Nord est en haut

(Photographie aérienne de 1956, cliché X)

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Epilogue

La naissance d'un lignage

Aux faits de conclure ! Qu'en est-il aujourd'hui du patrimoine d'Ignacio Vazquez, plus d 'un siècle après son partage ? L'enquête généalogique, complétée par l 'étude des concessions perpétuelles du cimetière San Fernando de Séville, révèle qu'il existe aujourd'hui, à la quatrième génération, une centaine de descendants directs du maire de Séville. Cet effectif reste faible si l'on tient compte de la forte fécondité qui est de rigueur dans ces familles : il n'est pas rare qu'elles comptent plus de huit enfants. Il s'explique néanmoins par la fréquence du célibat, d 'une part, et celle des unions endogames, de l'autre, qui ne forment à vrai dire qu 'un seul phénomène : le marché matrimonial jugé convenable pour les alliances est trop étroit pour satisfaire toutes les demandes... La bourgeoisie agraire s'emploie donc à préserver sa rareté.

LE RÉSEAU DES ALLIANCES

Rien de plus éloquent à cet égard que le graphe des alliances nouées approximativement entre 1860 et 1950 (fig. 11). Sa densité est digne de celle qu'on observe dans les sociétés exotiques. A plu- sieurs reprises apparaissent entre les familles des échanges asymé- triques se refermant en cercle (A donne une femme à B, qui en donne à C, qui en donne à A). Il n'est pas rare que les mariages unissent des cousins germains ou des paires de frères et sœurs. C'est ainsi que la fille aînée d'Ignacio Vazquez junior épouse en 1889 l'aîné des Osborne, tandis que la fille du cadet épouse le cadet des Osborne en 1895. L'enfant du premier mariage (Ignacio Osborne Vazquez) épousera

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Fig. 11. — Graphe des principales alliances entre les Vazquez et treize autres familles (environ 1860-1950)

B = Benjumea G = Gamero Civico

Gt = Garcia Tejada M = Medina 0 = Osborne dP = de Pablo

P = Parladé Pi = Pickman S = Serra T = Ternero To = Torres

Ty = Terry V = Vazquez

en 1921 la fille de son oncle m a t e r n e l (Ana M a r i a V a z q u e z Torres ) . O n p e u t m ê m e citer en t re ces deux familles u n cas de « polygynie sororale » : l ' indus t r ie l R o b e r t o O s b o r n e G u e z a l a épouse successi- v e m e n t deux filles de J u a n V a z q u e z , l ' une en 1895, l ' au t r e dans les années vingt . Ma i s la p r a t i q u e la plus c o u r a n t e semble être le doub lé : deux petits-fils d ' I g n a c i o V a z q u e z épousen t en 1886 deux sœurs Torres , d ' u n e famille de g r a n d s p ropr i é t a i r e s de M a r c h e n a . De m ê m e , deux filles de M a n u e l V a z q u e z se m a r i e n t avec deux frères Ben jumea .

A l ' h e u r e actuel le , tous ces noms de famille sont i m m é d i a t e - m e n t évoca teurs p o u r un A n d a l o u . O r ces all iances spectacula i res on t souven t la cur ieuse p rop r i é t é d ' ê t r e h é t é r o g a m e s p a r excès d ' h o m o g a m i e , c o m m e c 'es t g é n é r a l e m e n t le cas des alliances « au s o m m e t ». En effet, la famille V a z q u e z se r a p p r o c h e de la sorte des

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grandes familles bourgeoises du sud de l'Andalousie, notamment de celles qui occupent les premières places dans la province de Cadix. Homogamie de rang, par conséquent. La contrepartie en est une notable diversification des capitaux, qui semble renouer avec la diver- sité originelle qui caractérisait les atouts de ses ancêtres à la veille du Désamortissement ecclésiastique. Une fraction des Vazquez glisse ainsi vers le grand négoce du vin de Xérès (Osborne, Terry, Torres) ou les prestigieux élevages de taureaux de combat (Pablo Romero, Osborne).

On n'entamera pas ici une analyse circonstanciée de ce réseau d'alliances, qui exigerait une longue et difficile approche, ne serait-ce qu'en raison du secret dont s'entourent traditionnement les grands négociants de Xérès et de la confidentialité des archives notariales (encore couvertes par la prescription). On ne s'engagera pas non plus dans une analyse des « renchaînements d'alliance » qui pourraient s'observer au sein de ce réseau : non seulement la population consi- dérée reste trop réduite, mais la durée d'observation est trop courte, l'essor de la bourgeoisie agraire trop récent et son engagement dans des mariages interprovinciaux un phénomène trop nouveau pour qu'il soit possible de détecter d'ores et déjà des régularités statistiques dans la suite des choix matrimoniaux. Dans ces conditions, il serait vain de chercher à mettre en évidence une éventuelle tendance de ces familles à renouer d'anciennes alliances à partir de la quatrième ou de la. cinquième génération, une fois écoulé le délai pendant lesquels les unions consanguines resteraient prohibées. L'essentiel est d'observer ici qu'en pratiquant les unions doubles ou les mariages entre cousins, on faisait se recouper les lignes de succession, ce qui limitait la descen- dance. Il n'empêche qu'en s'engageant aussi étroitement dans un réseau d'alliances, les Vazquez risquaient de se dissoudre dans les familles alliées. Comment parvenaient-ils à préserver malgré tout leur identité ?

L A TRANSMISSION S E G M E N T A I R E DU P R É N O M

La transmission du prénom constituait pour les familles de la bourgeoisie agraire un moyen symbolique de contrer ce risque d'absorp- tion. Le cas d'Ignacio Vazquez est exemplaire. Alors que son père s'appelait Juan et son grand-père Carlos, il fonda une lignée onomas- tique en donnant son propre prénom à son fils aîné. L'usage se répéta dans les générations suivantes (fig. 12). S'il n'y a pas de patronyme plus commun que Vazquez, il n'en va pas de même du binôme

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Fig. 12. — Le partage du cortijo del Caballero et des propriétés attenantes (1951)

o. Parcelles en indivision 1. Part de la veuve 2 à 6. Parts des cinq enfants 7 à 9. Parts dévolues au frère, à la sœur et

au cousin germain du défunt dans un par- tage antérieur

10. Limites du cortijo del Caballero 11. Limites de la dehesa de la Gallinera 12. Cession de parcelles entre héritiers 13. Bâtiments d'exploitation (B et C ayant

été créés à la suite du partage)

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Fig. 13. — La transmission du prénom dans la famille Vazquez, du XVIII siècle à nos jours

« Ignacio Vazquez », qui devint un véritable titre et reste encore perçu comme tel dans la bourgeoisie sévillane. Mais la transmission du prénom au premier des fils était générale : chacun des enfants du fonda- teur transmit le sien de cette façon, devenant ainsi, en bonne logique segmentaire, l 'éponyme d'une branche distincte. Parallèlement à la série des « Ignacio Vazquez », il existe donc une patrilignée de « juan Vazquez », une autre de « Manuel Vazquez », une autre de « José Vazquez ». Les puînés de chaque branche peuvent fonder à leur tour des sous-branches, comme c'est le cas de Joaquin, fils cadet d'Ignacio junior, qui ouvre une série de « Joaquin Vazquez ». Le prénom de l'ancêtre éponyme est donc systématiquement porté par

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l'aîné de la branche aînée. Lorsque le troisième du nom meurt en bas âge en 1865, le fils qui naît trois ans plus tard « relève » le prénom, avant d'engendrer à son tour un Ignacio.

Il ne faudrait pas s'imaginer cependant que le prénom du fondateur soit le monopole de la branche aînée. D'autres branches peuvent l'employer, mais à condition de ne pas l'attribuer à un aîné, position réservée au prénom du fondateur de branche. Le choix d'Ignacio serait d'ailleurs tenu pour une usurpation de branche par l'ensemble du superlignage. L'enjeu symbolique que représente le prénom du grand fondateur est tel qu'on le voit apparaître dans toutes les branches dès qu'il est légitime de le placer, c'est-à-dire sur le fils cadet. Il s'ensuit que les divers Ignacio Vazquez qui figurent sur l'arbre généalogique sont soit des aînés d'aîné, soit des cadets de cadet. Le problème se pose dans les mêmes termes pour les femmes : les descendantes du grand fondateur ne peuvent choisir le prénom de leur fils aîné, qui doit reprendre celui de leur mari, mais elles parviennent à appeler leur fils cadet Ignacio. Or, dans la forme onomas- tique développée qui est d'usage en Espagne, les enfants gardent le patronyme de leur mère à la suite de leur propre patronyme; le binôme « Ignacio Vazquez » reste donc présent à ceci près qu'il encadre le patronyme de la famille alliée (on a ainsi un « Ignacio Osborne Vazquez » ou un « Ignacio Ternero Vazquez »).

Autre signe du prestige qui s'attache au prénom de l'ancêtre fondateur : l'emploi de prénoms dérivés, que ce soit la dérivation féminine « Ignacia » (d'usage rarissime) ou l'intégration dans des prénoms composés (José Ignacio, Ignacio José, Ignacio Miguel), seuls moyens dont disposent les rameaux secondaires pour marquer leur appartenance au tronc commun. Ces formes détournées de préno- mination sont bien connues des anthropologues (Bourdieu, 1972, 133-137) . Enfin et surtout, ce qui vient d'être dit du fondateur vaut aussi pour la fondatrice, Candelaria Ruiz, dont le prénom fut transmis à la fille aînée. Comme le célibat de cette dernière interrompit la succession directe par primogéniture, « Candelaria » fut repris par deux nièces a la génération suivante. On compte dans l'ensemble de l'arbre généalogique cinq paires de frère et sœur s'appelant Ignacio et Candelaria! Tous ces phénomènes de propagation onomastique, transversale aux diverses ramifications de la famille Vazquez, contri- buent évidemment à en réactiver l'unité symbolique. Ils retardent le jour où les divisions segmentaires parviendront à effacer définitivement le souvenir de l'origine commune.

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LE RECENTRAGE ACTUEL DU PATRIMOINE

Qu'en est-il maintenant du patrimoine des Vazquez sur le ter- rain ? L'autosélection a fait son œuvre. On peut prendre la mesure de son efficacité en dépouillant le dernier cadastre disponible de la province, qui date pour l'essentiel des années cinquante, et en cernant sur une carte la surface recouverte par la somme des patrimoines détenus par les descendants (la carte 12 n'en donne que la partie centrale). Le résultat est saisissant, puisque les Vazquez et leurs alliés réunis ont opéré pour l'essentiel la jonction des blocs nord-est, nord et nord-ouest (étant entendu qu'il s'agit de propriétés juridiquement distinctes).

Il y a cependant dans la stratégie patrimoniale des Vazquez un énorme raté : la perte du bloc central. Elle date seulement de la guerre civile. Le cortijo de Gambogaz et ses dépendances furent confisqués à son usage personnel par le général Queipo de Llano, l'homme qui s'était emparé de Séville dès les débuts du soulèvement franquiste de 1936. Le lancement d'une « souscription populaire » en faveur du général donna un semblant de légitimité à l'opération. Queipo de Llano occupa le domaine jusqu'à sa mort en 1951. Dans les années soixante-dix, bravant la vive opposition de l'opinion publique, les autorités locales projetèrent de couper le méandre du Guadalquivir où sont installés le monastère de la Chartreuse et la propriété de Gambogaz. On décida de sacrifier cette dernière pour aligner le cours du fleuve et urbaniser les terrains ainsi libérés. Les héritiers du général furent expropriés dans le cadre de cette vaste opération immobilière. Le creusement du nouveau lit est achevé et l'on prévoit d'affecter les terrains alentour aux installations de l'Expo- sition universelle de 1992, qui doit se tenir à Séville à l'occasion du cinquième centenaire de la découverte de l'Amérique. C'en est fini désormais de la pièce maîtresse du patrimoine des Vazquez, victime de la trop grande proximité du fleuve et de la ville, qui en faisait pour- tant toute la richesse. Terre d'Eglise du Moyen Age jusqu'à la révo- lution libérale, le cortijo de Gambogaz n'a été privatisé que pour une durée d'un siècle et demi, avant de retomber dans le domaine public.

Les descendants actuels de la famille Vazquez ne semblent pas regretter cette perte outre mesure. A les en croire, la branche qui en avait la charge, héritière directe du benjamin des fils Vazquez, n'était guère en mesure de s'en occuper efficacement. Son représentant n'avait pu opposer qu'une maigre résistance aux convoitises du général Queipo, tourné qu'il était vers le mécénat artistique et les dépenses de prestige, comme les attelages de la Feria. A bien y réfléchir, cette dérive était déjà préfigurée dans le partage de 1875. Légataire de

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cette portion du patrimoine sous la tutelle de sa mère, José Vazquez était trop jeune pour avoir reçu à temps sa part du patrimoine symbo- lique, c'est-à-dire une solide formation pratique et théorique d'agri- culteur-fermier, avec l'ethos d'entrepreneur qui s'y attachait. Sans doute en serait-il advenu autrement si le père n'avait pas disparu prématurément à l'âge de soixante-six ans. A trois générations de distance, en tout cas, le partage inégal des biens symboliques ne laissait pas de produire ses effets sur le sort respectif des diverses branches de la famille.

Cet échec relatif a été plus que compensé par les autres branches, qui eurent la bonne fortune (à laquelle elles contribuèrent politiquement) de bénéficier dans les années soixante des travaux de mise en irrigation engagés par l'Etat dans la vallée du Guadalquivir. Une partie des domaines furent expropriés pour être intégrés dans des villages de « colonisation », mais la partie restante, gratuitement irriguée par l'Etat, reçut une telle plus-value que les pertes en surface furent surcompensées. C'est dans ce secteur que se concentre aujourd'hui la richesse foncière de la famille Vazquez et c'est là que sont produits les fruits de primeur expédiés par camions entiers vers le marché français. L'intensification des cultures réussie par les branches aînées s'accom- pagne à la même époque d'une transformation juridique du statut des propriétaires. Afin d'éviter la fragmentation des domaines, les fratries se constituent en sociétés anonymes : « Mudapelo SA », « Maja- loba SA », « Agropecuaria Vazquez SA ». Les ingénieurs agronomes, les juristes ou les financiers y jouent, on s'en doute, un rôle décisif. Mais la plupart des lointains héritiers du grand Ignacio Vazquez sont devenus aujourd'hui de simples actionnaires du patrimoine. L'agriculture n'est plus pour eux la source première de revenus; ils se sont reconvertis dans les professions libérales, scientifiques ou commer- ciales. On ne peut totalement exclure que la conjoncture économique pousse un jour les héritiers à se défaire définitivement du capital foncier acquis lors des Désamortissements, pour développer la part du capital commercial, financier ou juridique qui qualifiait la famille dès l'Ancien Régime. Un nouveau cycle s'ouvrirait devant la bour- geoisie agraire de Séville et ce ne serait pas là la première de ses reconversions.

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Bibliographie

AVANT 1910

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Page 42: LE BOURGEOIS DE SÉVILLE

Liste des tableaux

1. La fortune d'Ignacio Vazquez et de Candelaria Ruiz selon la liquidation des biens prononcée en 1875 29

2. Composition du patrimoine des Vazquez selon l'inventaire de 1875.. . . 32

3. La fortune des Vazquez en 1873 : un patrimoine réparti sur une quinzaine de communes 36

4. Les sept blocs du patrimoine Vazquez 42

5. Un ensemble cohérent : associations complémentaires entre domaines intensifs et domaines extensifs dans le patrimoine foncier des Vazquez.. 44

6. Part prise par les divers membres de la parenté dans l'accumulation du patrimoine des Vazquez 53

7. Les Vazquez fermiers sur le cortijo de Mudapelo à travers les change- ments de propriétaires (1843-1869) 95

8. Les ventes aux enchères des terres communales désamorties dans la pro- vince de Séville en 1859 : le poids des acheteurs professionnels 101

9. Un professionnel du Désamortissement : détail des achats d'Antonio- Maria Otal dans les ventes de terres communales de la province de Séville en 1860 102

10. Les ventes aux enchères des propriétés urbaines et rurales du clergé dans la province de Séville de 1866 à 1868 103

11. Concentration et dispersion dans le désarmortissement des terres commu- nales d'Aznalcollar (1861-1862) 104

12. L'affaire des pâturages collectifs de la Marisma Gallega à Aznalcazar : Désamortissement de 1860 et réadjudications de 1862 106

13. Part des terres d'origine ecclésiastique, nobiliaire, communale ou privée dans le patrimoine Vazquez 108

14. Les acquisitions de terres désamorties par les Vazquez de 1806 à 1872 : nombre d'achats de première, seconde et n-ième main 108

15. Les anciennes terres de majorat dans le patrimoine Vazquez : détails sur les conditions de leur liquidation (1822-1869) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

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16. Les« lots patriotiques» distribués en 1821 aux vétérans de la guerre d'Indé- pendance à Guillena : partages successoraux et rachat par les Vazquez (1851-1868) 122

17. Les lots distribués en emphytéose en 1839 sur les terres vaines de la Algaba : rachat par les Vazquez (1860-1869) 124

18. La laïcisation des dernières volontés à travers neuf testaments des familles Vazquez et alliées (1809-1873) : évolution et déclin de la « part de l'âme» 132

19. Le personnel fixe attaché au ménage Vazquez en 1873

20. L'outillage agricole traditionnel dans quatre inventaires après décès de la famille Vazquez (1830, 1840, 1851, 1873) 150

21. L'outillage moderne dans l'inventaire des biens d'Ignacio Vazquez (1875) 152

22. La mécanisation de la récolte du blé sur les terres d'I. Vazquez en juin 1864 : compte des dépenses et des économies de main-d'œuvre... 157

23. Le choix des alliances : origine sociale du conjoint dans le mariage des cinq enfants d'I. Vazquez (1861-1870) 177

24. Composition des avances d'hoirie attribuées par Ignacio Vazquez à ses trois fils aînés pour leur mariage (1862-1868) 180

25. Valeur relative de la réserve héréditaire (Legítima) des descendants directs selon les codes successivement en vigueur en Espagne ( V I I siècle) 190

26. Parts du patrimoine foncier rural adjugées à la veuve et aux sept enfants d'Ignacio Vazquez (1875) 198

27. Le partage des biens d'Ignacio Vazquez : composition des parts de chaque héritier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201

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Liste des figures

1. Carte de situation 18 2. La liquidation de la succession à la mort d'Ignacio Vazquez : patrimoine

de la communauté conjugale et patrimoine du défunt 30 3. Le patrimoine foncier des Vazquez en 1873 : essai de cartographie.... 40 4. L'accumulation des terres par la famille Vazquez de 1806 à 1873, selon

la position des acheteurs dans la parenté : progression des achats en surface 48 5. Idem : progression des achats en valeur 49 6. Généalogie des Vazquez Rodriguez (1750-1900) 52 7. Stratégies matrimoniales dans l'ascendance maternelle d'Ignacio Vazquez :

les remariages 57 8. Alliances et filiation : l'intégration d'un capital diversifié (1778-1836). 74 9. Le partage successoral de la fortune des Vazquez (1875) : carte-diagramme 199 10. La logique économique d'un démembrement : le partage du domaine

de Gambogaz 202 11. Graphe des principales alliances entre les Vazquez et treize autres familles

(environ 1860-1950) 210 12. Le partage du cortijo del Caballero et des propriétés attenantes (1951).. 212 13. La transmission du prénom dans la famille Vazquez, du XVIII siècle à

nos jours ....................................................... 213

Planche

Aux portes de Séville, le domaine de Gambogaz (photographie aérienne) . . . 208