le bois, état des connaissances, diagnostic, traitements et...

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Le bois connaît un renouveau dans le domaine de la construction neuve en France, selon l’interprofession nationale de la filière forêt-bois 1 , mais la « culture » et la connaissance liées à ce matériau restent encore très pauvres. Ce dossier se propose de traiter trois thématiques récurrentes en conservation du patrimoine : la connaissance du matériau bois, le diagnostic des structures en bois et les méthodes de traitement en conservation. A priori, si tout le monde sait ce qu’est un morceau de bois, plus rares sont les personnes qui pourraient en donner une définition juste. Dans le même ordre d’idée, il est bien connu que le bois « gonfle » et se « rétracte » en fonction de l’humidité de l’air, mais il est difficile d’expliquer les fentes de séchage ou de déformation d’un matériau en bois. Sur le comportement thermo-mécano-sorptif du matériau, des avancées déterminantes ont été réalisées ces dernières années au sein du Laboratoire de mécanique et génie civil (LMGC), de Montpellier, où, il y a plus d’une dizaine d’années, à la suite de l’installation de La Joconde dans sa nouvelle vitrine, plusieurs projets de thèse ont été menés sur les panneaux en bois peints. Ces études ont permis de mettre à jour certaines questions ou d’avancer sur ces problématiques – les débits du bois, la perméabilité de la couche picturale, l’instrumentation d’un panneau en bois – et les critères déterminants à leur résolution. L’article de Delphine Jullien, qui a suivi ces différents travaux menés au LMGC, explique les paramètres de déformation d’un panneau en bois peint et les enjeux en conservation-restauration qui en découlent. Au-delà de la préservation de la prestigieuse Mona Lisa, la connaissance apportée pour la conservation de planches en bois peintes (ou vernies) est très riche d’enseignements. Toujours sur le thème de la connaissance du matériau, des données déterminantes pour la connaissance du patrimoine « bois » sont apportées par la dendrochronologie. On lira, dans l’article de Patrick Hoffsummer, qu’au-delà de la datation, l’observation du bois et de ses cernes d’accroissement permet de localiser les éléments (dendroprovenance) et de renseigner encore plus les archéologues (dendroarchéologie). Dans le domaine du diagnostic de structures historiques – bâties en bois –, une norme européenne est aujourd’hui en cours d’élaboration. Dans les monuments historiques, en effet, il peut être nécessaire de garantir la tenue et la solidité d’une structure, notamment en cas de changement d’utilisation. Le diagnostic qui est effectué alors s’appuie en général sur des hypothèses dramatiquement contraignantes pour le bâtiment. Or, dans les années 2000, nous avons montré qu’il serait possible de poser un diagnostic « fin », offrant une meilleure conservation des structures en bois dans les monuments. Si, en l’état, le projet de norme est critiquable et sa correction indispensable – il n’existe pas de solution pour les bois non accessibles et il ne prend quasiment pas en compte la modélisation –, cette norme pourrait devenir un outil intéressant pour la validation du diagnostic. Toujours dans le domaine de l’ingénierie, l’article d’Ario Ceccotti, ingénieur en génie civil à Florence (Italie), fait un point sur la problématique sismique pour les bâtiments en bois du patrimoine. Il fait part ici de sa longue expérience dans un pays régulièrement frappé par des séismes. Dans la suite du dossier, trois articles concernent les traitements possibles des bois dans des chantiers de restauration : l’ignifugation, le traitement antifongique et les renforcements par goujons collés. Le traitement du bois contre le feu est un sujet qui, à tort ou à raison, est peu développé dans les monuments historiques. L’avis d’un entrepreneur permet une approche très pratique. Jean-Baptiste Aurel donne son point de vue d’applicateur de produits ignifuges ou intumescents et explique clairement les paramètres qui conduisent à la nécessité de l’ignifugation. De la même manière, Patrick Laurent, expert privé, partage son expérience sur la question du traitement des champignons et notamment de la mérule. Il détaille tout d’abord les pathologies, parfois impressionnantes, causées par les champignons. Il propose ensuite une classification de ces derniers, préconise des traitements pour chaque groupe de champignons et fait part des recommandations de traitements par le Centre technique Forêt-cellulose-bois-et-ameublement (FCBA). Il s’agit d’avis généraux qui doivent être précisés et adaptés, voire pondérés dans le cas de monuments historiques. Emmanuel Maurin Ingénieur Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) Le bois, état des connaissances, diagnostic, traitements et conservation Introduction 1. http://franceboisforet.com/ france-bois-foret/ Ci-dessus Figure 1 La partie centrale du parquet de la salle de la Rotonde du château de Condé-sur-L’Escaut (Nord), construit entre 1786 et 1789. Figure 2 Détail du parquet de la salle à manger du château de Condé-sur-L’Escaut. Page de droite Figure 3 Détail de la charpente du beffroi de la tour Pey-Berland, cathédrale Saint-André, Bordeaux. Photographies Emmanuel Maurin. 1. 2. 3. Laboratoire / Recherches 92 monumental 2017 Laboratoire / Recherches

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Le bois connaît un renouveau dans le domaine de la construction neuve en France, selon l’interprofession nationalede la filière forêt-bois1, mais la « culture » et la connaissance liées à ce matériaurestent encore très pauvres. Ce dossier se propose de traiter troisthématiques récurrentes en conservationdu patrimoine : la connaissance dumatériau bois, le diagnostic des structuresen bois et les méthodes de traitement en conservation.

A priori, si tout le monde sait ce qu’est un morceau de bois, plus rares sont les personnes qui pourraient en donner une définition juste. Dans le même ordre d’idée, il est bien connu que le bois «gonfle» et se «rétracte» en fonctionde l’humidité de l’air, mais il est difficiled’expliquer les fentes de séchage ou dedéformation d’un matériau en bois. Sur lecomportement thermo-mécano-sorptif du matériau, des avancées déterminantes ont été réalisées ces dernières années au sein duLaboratoire de mécanique et génie civil (LMGC),de Montpellier, où, il y a plus d’une dizained’années, à la suite de l’installation de La Jocondedans sa nouvelle vitrine, plusieurs projets de thèseont été menés sur les panneaux en bois peints. Ces études ont permis de mettre à jour certainesquestions ou d’avancer sur ces problématiques –les débits du bois, la perméabilité de la couchepicturale, l’instrumentation d’un panneau en bois – et les critères déterminants à leurrésolution. L’article de Delphine Jullien, qui a suivi ces différents travaux menés au LMGC, explique les paramètres de déformation d’un panneau en bois peint et les enjeux en conservation-restauration qui en découlent. Au-delà de la préservation de la prestigieuse Mona Lisa, la connaissance apportée pour la conservation de planches en bois peintes (ou vernies) est très riche d’enseignements.

Toujours sur le thème de la connaissance du matériau, des données déterminantes pour la connaissance du patrimoine « bois » sontapportées par la dendrochronologie. On lira, dans l’article de Patrick Hoffsummer, qu’au-delàde la datation, l’observation du bois et de sescernes d’accroissement permet de localiser leséléments (dendroprovenance) et de renseignerencore plus les archéologues (dendroarchéologie).

Dans le domaine du diagnostic de structureshistoriques – bâties en bois –, une normeeuropéenne est aujourd’hui en coursd’élaboration. Dans les monuments historiques, en effet, il peut être nécessaire de garantir la tenueet la solidité d’une structure, notamment en cas de changement d’utilisation. Le diagnostic qui est effectué alors s’appuie en général sur deshypothèses dramatiquement contraignantes pourle bâtiment. Or, dans les années 2000, nous avonsmontré qu’il serait possible de poser un diagnostic«fin», offrant une meilleure conservation desstructures en bois dans les monuments. Si, enl’état, le projet de norme est critiquable et sacorrection indispensable – il n’existe pas desolution pour les bois non accessibles et il neprend quasiment pas en compte la modélisation –,

cette norme pourrait devenir un outil intéressantpour la validation du diagnostic.

Toujours dans le domaine de l’ingénierie, l’article d’Ario Ceccotti, ingénieur en génie civil à Florence (Italie), fait un point sur la problématiquesismiquepour les bâtiments en bois du patrimoine.Il fait part ici de sa longue expérience dans un pays régulièrement frappé par des séismes.

Dans la suite du dossier, trois articles concernentles traitements possibles des bois dans des chantiersde restauration: l’ignifugation, le traitementantifongique et les renforcements par goujons collés.Le traitement du bois contre le feu est un sujet qui,à tort ou à raison, est peu développé dans lesmonuments historiques. L’avis d’un entrepreneurpermet une approche très pratique. Jean-BaptisteAurel donne son point de vue d’applicateur deproduits ignifuges ou intumescents et expliqueclairement les paramètres qui conduisent à la nécessité de l’ignifugation.

De la même manière, Patrick Laurent, expertprivé, partage son expérience sur la question du traitement des champignons et notamment de la mérule. Il détaille tout d’abord les pathologies,parfois impressionnantes, causées par leschampignons. Il propose ensuite une classificationde ces derniers, préconise des traitements pourchaque groupe de champignons et fait part desrecommandations de traitements par le Centretechnique Forêt-cellulose-bois-et-ameublement(FCBA). Il s’agit d’avis généraux qui doivent êtreprécisés et adaptés, voire pondérés dans le cas demonuments historiques.Emmanuel MaurinIngénieurLaboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH)

Le bois, état des connaissances, diagnostic, traitements et conservation

Introduction

1. http://franceboisforet.com/france-bois-foret/

Ci-dessusFigure 1

La partie centrale du parquet de la salle de la Rotonde duchâteau de Condé-sur-L’Escaut(Nord), construit entre 1786 et 1789.

Figure 2Détail du parquet de la salle à manger du château de Condé-sur-L’Escaut.

Page de droiteFigure 3

Détail de la charpente du beffroi de la tour Pey-Berland,cathédrale Saint-André,Bordeaux.

Photographies Emmanuel Maurin.

1.

2.

3.

Laboratoire / Recherches

92 monumental 2017 Laboratoire / Recherches

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Les flèches rouges schématisent le parcours suivipar un échantillon de bois dans un environnementà 65% HR passant à 50% HR en désorption, puisà 75% HR en adsorption: le taux d’humiditéd’équilibre à 65% HR est plus élevé lorsqu’il esten phase de désorption que lorsqu’il est en phased’adsorption. Le taux d’humidité d’équilibred’un échantillon de bois dépend donc de sonhistoire hygrothermique. Dans des environnementsfluctuants, les taux d’humidité d’équilibre du bois sont situés quelque part entre les courbesde sorption et désorption.

Un matériau plus humide est également moins rigide

Ces variations de teneur en eau impactent aussi les propriétés mécaniques du matériau. Un même bois aura tendance à être moins rigidelorsque son taux d’humidité est plus élevé, c’est-à-dire qu’il se déforme davantage sous une même charge. Les lois empiriques établiespar Daniel Guitard[2] prévoient, par exemple, une diminution de 11% du module de rigiditélongitudinal et de 30% des modules de rigiditéradial et tangentiel pour un feuillu standard dedensité 0,65 ayant un taux d’humidité passantde 6% à 18% (correspondant à un passage de 30% à 85% HR à 20°C). La figure 6 illustre les variations de modules de rigidité radial,tangentiel et longitudinal d’un feuillu standardde densité 0,65, en fonction de son tauxd’humidité.

95Le bois, état des connaissances, diagnostic, traitements et conservation94 monumental 2017 Laboratoire / Recherches

Le bois est un matériau hygroscopique : sa teneur en eau dépend de l’humiditérelative du milieu dans lequel il baigne. On appelle taux d’humidité du bois la masse d’eau de l’échantillon rapportée à sa masse anhydre, exprimée enpourcentage. Ce taux d’humidité peutdépasser 100 % : un échantillon de boispesant 25 g humide, qui ne pèse plus que 10 g anhydre, présente un taux d’humiditéde 1,5, soit 150 % [(25-10)/10]. Dans l’arbre,le bois est gorgé de liquide, son tauxd’humidité est élevé. À la suite de l’abattagede l’arbre, le bois va s’équilibrer avec le milieu environnant, notamment parl’intermédiaire de la nouvelle surfacecréée : on parle de séchage. Une partie de l’eau contenue dans le matériau est dite« libre », elle disparaît lors du séchage, sansmodification dimensionnelle. En dessousd’un certain taux d’humidité – appelé pointde saturation des fibres (PSF), qui dépendde l’essence de bois concernée et qui estnotamment lié à sa composition chimique –, l’eau éliminée par évacuations’accompagnera d’un retrait dimensionnel.Ce retrait est très fortement anisotrope, il dépend de la direction du matériauconsidérée. Les trois directions principalessont illustrées dans la figure 1.

Un retrait au séchage fortement anisotrope

Il est seulement de l’ordre de 0,1% entre le PSF et l’état anhydre dans la direction longitudinale(L, direction des fibres, axe de l’arbre), alors qu’ilpeut atteindre 10% dans la direction tangentielle(T, direction tangente aux cernes de croissance)et 5% dans la direction radiale (R). Cela signifiequ’une poutre de 5m de longueur et de sectionde 0,1m (largeur) × 0,2m (hauteur) débitée dans un état saturé pourrait voir lors de son passage à l’état anhydre ses dimensions diminuer de 5mm (5 × 0,1/100 = 0,005m) en longueur, de 10mm (0,1 × 10/100 = 0,01m) en largeur et de 10mm (0,2 × 5/100 = 0,01m) en hauteur. Le très faible coefficient de retrait dans ladirection longitudinale ne doit pas être négligécar il concerne le plus souvent de grandesdimensions d’utilisation.

L’anisotropie de ces retraits est l’une des causesdes distorsions des pièces de bois lors du séchage.Elle permet notamment d’expliquer pourquoiune rondelle de bois se fissure radialement lors du séchage si elle est épaisse (fig.3) ou peutprendre une forme de chapeau chinois si elle est fine (fig.4). En effet, les retraits radial et tangentiel étant différents l’un de l’autre, la relation entre le rayon et la périphérie du disque n’est pas conservée. Les déformationsissues du séchage ne sont pas compatibles avec la géométrie. Par exemple, une rondelle de 0,2mde rayon présente une circonférence de 1,25m(2 × π × 0,2). Lors de son passage à l’état anhydre,le rayon (retrait radial) pourrait diminuer de 0,01m (0,2 × 5/100) et la circonférence (retrait tangentiel) de 0,125m (1,25 × 10/100). Si le retrait radial s’exprime complètement, la nouvelle rondelle anhydre aura unecirconférence de 1,19m [2 × π × (0,2-0,01)], à comparer avec 1,125m (1,25-0,125), qui serait la circonférence de la rondelle anhydre si le retrait tangentiel s’exprimait totalement. La différence entre ces deux longueurs expliquela déformation hors plan de la rondelle fine et la fissuration radiale de la rondelle épaisse, qui n’a pas pu mettre en place une telledéformation.

Une influence de l’histoire hygrothermique

On peut estimer l’ordre de grandeur théoriquedes déformations dues aux variations d’humidité,comme nous venons de le faire, entre l’état saturéet l’état anhydre. Ces déformations, dues auxvariations d’humidité, sont appelées déformationshygro-élastiques. Elles sont généralementestimées en prenant comme référence les dimensions à l’état d’équilibre standard, bois équilibré dans un environnement à 65%d’humidité relative (HR) et à 20°C. GuglielmoGiordano[1] a établi des abaques qui relientl’humidité relative et la température du milieuambiant au taux d’humidité d’équilibre du bois.On peut y lire, par exemple, qu’un bois dans un environnement à 65% HR et 20°C s’équilibreà un taux d’humidité d’environ 12% (fig.5).

Cependant, un autre facteur à prendre en compteest l’hystérésis de la courbe sorption-désorption:pour une même humidité relative du milieuambiant, le bois ne va pas tendre vers le mêmetaux d’humidité d’équilibre, selon qu’il est enphase d’adsorption ou de désorption (fig.6).

Le bois, un matériau hygroscopique Delphine JullienMaître de conférences

Laboratoire de mécanique et Génie civil Université de Montpellier / CNRS

Ci-dessousFigure 5

Mise en évidence de l’hystérésis de la courbe sorption-désorption du bois. Par exemple, un bois immergé dans un environnement à 65 % d’humidité relative peut s’équilibrer à un taux d’humidité supérieur à 12 % lorsqu’il est en phase de désorption et à un taux inférieur à 12 % lorsqu’il est en phase d’adsorption.

Figure 6

Influence du taux d’humidité sur les modules de rigidité radial (ER), tangentiel (ET) et longitudinal (EL) d’un feuillu standard de densité 0,65 d’après les lois empiriques établies par Guitard (1987).

Taux d’hum

idité du bois (%)

Modules de rigidité (Mpa)

Taux d’humidité du bois (%)

Humidité relative de l’air (%)

Radial (ER) Tangentiel (ET) Longitudinal (EL)

1.

3.

4.

Connaissance du matériauChapitre 1

Ci-contreFigure 1

Directions radiale (R),tangentielle (T) et longitudinale (L) du matériau.

Figure 2

Abaque reliant humidité relative de l’air, température sèche, température humide et taux d’humidité d’équilibre du bois (d’après Giordano, 1971). Un bois immergé dans un environnement à 65 % d’humidité relative et à 20 °C s’équilibre à un taux d’humidité de 12 %.Doc. Guglielmo Giordano. © Unione Tipografico – Editrice Torinese, 1971.

Température ambiante (thermom

ètre sec)

Humidité relative de l’air (%)

Ci-dessusFigure 3

Rondelle épaisse fissuréeradialement à la suite du séchage.

Figure 4

Rondelle fine prenant la forme d’un chapeau chinois à la suite du séchage.

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97Le bois, un matériau hygroscopique96 monumental 2017 Laboratoire / Recherches

Chapitre 1 Connaissance du matériau

Couplage mécano-sorptif

Mais pour «compliquer» l’affaire, il existeégalement un couplage entre le chargementmécanique et les variations d’humidité (fig.7).Prenons une poutre en bois (feuillu standard de densité 0,65) positionnée sur deux appuis qui fléchirait d’une flèche f sous une chargeplacée en son milieu. Un bois à un tauxd’humidité de 18% présentera une flèche de 11% plus forte qu’un bois équilibré à 6%, soit une flèche de 1,11 × f.

Si cette poutre sous charge voit son tauxd’humidité varier à plusieurs reprises entre 6 et 18%, on pourrait s’attendre à une flèchecomprise entre ces deux valeurs (f et 1,11 × f ).Toutefois, on observe que la flèche est largementplus élevée. Cette flèche augmente à chaquevariation du taux d’humidité, que cette variationsoit positive ou négative. Ce phénomène estappelé couplage mécano-sorptif.

Conséquences du couplage mécano-sorptifsur les panneaux de bois peints

Ce phénomène de couplage mécano-sorptifexplique une partie des problèmes rencontrésdans la conservation des panneaux peints du patrimoine. R. Bruce Hoadley [3] a illustré les conséquences typiques de ce couplage, de façon schématique (fig.8). Il a considéré troisplanches débitées sur dosse A, B et C,équilibrées à un faible taux d’humidité de 6%.Le schéma représente les sections transverses de ces planches. Tandis que les retraits et le gonflement de la planche C peuvent se fairelibrement, ceux de la planche A sont totalementempêchés, quant à la planche B, le retrait est libre mais le gonflement empêché. Ces différentes situations visent à représenterles conditions limites en déplacement que l’on peutrencontrer dans les panneaux peints dupatrimoine – actions exercées par le cadre ou par les renforts de type parquetage (fig.8).

Ces trois planches sont alors équilibrées à untaux d’humidité plus élevé, de 18%. La planche Cprésente un gonflement libre, tandis que lesgonflements des planches A et B sont empêchés.Ces gonflements empêchés entraînent unchargement mécanique de ces planches; elles sont en compression. Ce chargement peut aisément dépasser la limite élastique en compression transverse du matériau, qui est typiquement de l’ordre de 0,5 à 1%. Lors du retour au faible taux d’humiditéd’origine, de 6%, la planche C retrouve sadimension de départ. Cette planche n’a pas subide chargement mécanique car les déformations se sont exprimées librement. La planche Bprésente un retrait plus important que celui de la planche C, illustrant le phénomène de couplage mécano-sorptif : la variation à la baisse de son taux d’humidité a entraîné une plus grande déformation, car elle a eu lieusous chargement mécanique.

La rupture tangentielle de la planche As’explique de la manière suivante: un retraitsimilaire à celui de la planche B est souhaité,mais empêché par les conditions de blocage de la planche A, cette dernière se retrouve doncen situation de traction transverse, qui peutmener à la rupture du matériau si la déformationexcède 1,5%.

La situation de la planche A pourraitcorrespondre à l’effet d’un renfort longitudinalau dos d’un panneau: d’une part, les coefficientsde retrait et de gonflement dans la directionlongitudinale étant 100 fois plus faibles que dans la direction tangentielle, les variationsdimensionnelles du renfort sont négligeables ;d’autre part, le module longitudinal du matériauétant environ 10 fois plus élevé que le moduletangentiel, ce renfort empêche les retraits etgonflements tangentiels. Les figures 9, 10 et 11illustrent des exemples de renforts et de cadrepouvant contraindre les planches constitutivesdes panneaux de bois peints.

Conséquences d’un chargement hydrique asymétrique

De plus, le chargement hydrique asymétriqued’une structure en bois, situation typique des panneaux peints sur une seule face, mène à des courbures non souhaitées. En effet, la face peinte a tendance à diminuer la vitesse des transferts d’eau. Lors d’une baissed’humidité relative du milieu ambiant, le reversdu panneau va sécher plus rapidement que la face peinte, entraînant un gradient du tauxd’humidité dans l’épaisseur du panneau, et doncun gradient de déformation, qui provoque la courbure du panneau. À mesure que le tauxd’humidité se stabilisera dans le panneau, lacourbure diminuera. Néanmoins, le phénomènede couplage mécano-sorptif décrit auparavantrésulte en une courbure permanente trèsfréquemment observée dans les panneaux peints.

Les propriétés de la couche picturale peuventégalement évoluer au cours du temps.Notamment, l’apparition de fissures dans cettecouche augmente sa perméabilité et facilitegrandement l’accès à l’humidité, dans les zonesproches de ces fissures. La couche picturale,généralement constituée de différentes couchesde composants, participe aussi au renfortmécanique de la structure, comme elle contribueaux effets mécano-sorptifs constatés sur le boisdu panneau. La courbure permanente despanneaux peints du patrimoine est une questiond’actualité, qui a fait l’objet d’une récentecommunication à un colloque international [4].Restaurateurs, conservateurs et scientifiquess’unissent pour mieux appréhender cette problématique complexe.

D. J.

Bibliographie

[1] Guglielmo Giordano,Tecnologia del legno. 1. La materia prima, Turin, Unione Tipografico – Editrice Torinese, 1971.

[2] Daniel Guitard, Mécanique du matériau bois et composites,Toulouse, Cépaduès Éditions,«Nabla», 1987.

[3] R. Bruce Hoadley,«Chemical and physicalproperties of wood», dansKathleen Dardes et AndreaRothe (dir.), The StructuralConservation of Panel Paintings,actes de colloque, Los Angeles,J. Paul Getty Museum, 24-28 avril 1995, The GettyConservation Institute, Los Angeles, 1998, p.2-20.

[4] Joseph Gril, DelphineJullien et David Hunt,«Compression set and cuppingof painted wooden panels»,Analysis and Characterisation of Wooden Cultural Heritage by Scientific Engineering Methods,avril 2016, Halle (Saale),Allemagne, actes de colloque,2016.

Figure 7

Illustration du couplage mécano-sorptif : les variations hygrothermiques, appliquées à une structure sollicitée mécaniquement, mènent à une flèche nettement plus forte que la flèche observée dans le cas d’une structure sollicitée à un taux d’humidité constant.

Figure 8

Mise en évidence schématique des effets du gonflement empêché et du retrait sous compression, rencontrés dans les panneaux de bois peints soumis à des variations de teneur en eau, d’après Hoadley (1995). Planche A : retraits et gonflements empêchés. Planche B : gonflements empêchés. Planche C : retraits et gonflements libres.Doc. Delphine Jullien. © K. Dardes and A. Rothe Editors, 1995.

Flèche

Temps

observée

effet mécano-sorptif

attendue

Figure 9Exemple de renfortscontraignants les panneaux de bois peints : les 3 montantshorizontaux (orientationlongitudinale) limitent les gonflements transverses des planches verticales.

Figure 10Exemple de cadre pouvantcontraindre le panneau de boispeint : un cadre trop ajusté en bas et en haut limiterait les gonflements transverses des planches horizontales.

Figure 11Exemple de renfortscontraignants les panneaux de bois peints : les 7 montantshorizontaux (orientationlongitudinale) limitent les gonflements transverses des planches verticales.

Photographies et documents Delphine Jullien, sauf mentions contraires.

9. 10.

11.

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9998 monumental 2017 Laboratoire / Recherches

Chapitre 1 Connaissance du matériau

Armelle Weitz, PauloCharruadas, Sarah Crémer, Pascale Fraiture, Philippe Gerrienne, Patrick Hoffsummer,Sylvianne Modrie et Philippe Sosnowska,«Réalisation d’un inventairetypologique etdendrochronologique des charpentes anciennes en région Bruxelles�Capitale»,Chronique Archæologia Mediævalis,Bruxelles, no37, 2014, p.123-125.

J.Van den Bulcke,E.L.G.Wernersson,M.Dierick, D.Van Loo,B.Masschaele, L.Brabant,M.Boone, L.Van Hoorebeke,K.Haneca, A.Brun,C.L.Luengo Hendriks, J.Van Acker, «3D Tree-RingAnalysis Using Helical X-ray Tomography »,Dendrochronologia,no32, 2014, p.39-46.

Pascale Fraiture (dir.), Tree Rings, Art, Archaeology, actesde conférence internationale,Bruxelles, Institut royal du patrimoine artistique, 10-12 février 2010, Bruxelles,vol.7, 2011.

Patrick Hoffsummer (dir.), Les Charpentes du xie au xixe siècle.Grand Ouest de la France. Typologie et évolution, analyse de la documentation de la Médiathèque de l’architectureet du patrimoine, Turnhout,Brepols, «ArchitecturaMediiaevi», no5, 2011.

Pascale Fraiture,«Contribution ofdendrochronology to understanding of woodprocurement sources for panel paintings in the former SouthernNetherlands from 1450 AD to 1650 AD», Dendrochronologia,no27, 2009, p.95-111.

Frédéric Épaud et Vincent Bernard,«L’évolution des charpentesd’églises du Val d’Oise, du xie au xxe siècle», Revue archéologique du Centre de la France, t.47, 2008, p.1-34,mis en ligne le 14 mars 2014,consulté le 17 octobre 2017,http://racf.revues.org/1205

Bibliographie

Jean-Louis Édouard et Lisa Shindo, ARCADE.Approche diachronique et regards croisés : archéologie,dendrochronologie et environnement,Éditions Errance et CentreCamille-Jullian, à paraître.

Sarah Crémer, Pascale Fraiture, Patrick Hoffsummer,Sylvianne Modrie,Christophe Maggi, Philippe Sosnowska et Armelle Weitz, «Bois,brique et fer : Approche multi-disciplinaire de la charpente de l’église Notre-Dame du Sablon, Bruxelles»,Chronique Archæologia Mediævalis,Bruxelles, no39, 2016, p.151-153.

Vincent Labbas, Archéologie et dendrochronologie du bâtisubalpin dans le massif du Mercantour durant le deuxièmemillénaire de notre ère, thèsedoctorale,Centre Camille-Jullian,UMR 7299, Laboratoired’archéologie médiévale et moderne en Méditerranée,UMR 7298, 2016.

Lisa Shindo, Bois de constructionet ressources forestières dans les Alpes du sud au iie millénaire :dendrochrono-écologie et archéologie, thèse présentée au Centre Camille-Jullian,UMR 7299, Institutméditerranéen de biodiversitéet d’écologie marine etcontinentale, UMR 7263, 2016.

Frédéric Épaud, «La charpente de la nef de la cathédrale de Bourges»,Revue archéologique du Centre de la France, t.50, 2011, p.501-554,mis en ligne le 24 avril 2014,consulté le 17 octobre 2017,http://racf.revues.org/1686

Notre-Dame du Sablon(Bruxelles)

Figure 2L’étude approfondie de grandsédifices, ici une église, passe parune campagne d’échantillonnage«massive» pour obtenir desrésultats sûrs, précis et quidonnent du sens à l’histoire de la construction. À Bruxelles,cette approche est d’autant plusindispensable que les croissancesdes chênes sont rapides et captentdonc mal le signal climatique.Seule la multiplication des carottages a permis de contourner cette difficulté. Par ailleurs, on a veillé à récolterdes échantillons d’aubier, enentaillant légèrement certainsbois, pour être le plus précis dansla datation des phases d’abattage,nombreuses sur ce chantier étalé sur plusieurs siècles.

L’épaisseur des cernes annuels du boisvarie en fonction de l’environnement. Le signal climatique est tel que la série de cernes est caractéristique de l’époquede la vie de l’arbre. Partant de cesobservations, les pionniers de ladendrochronologie ont construit de largesréférentiels calendaires pour une région et une essence données. Par comparaison,on date des bois isolés ou intégrés dans une moyenne de site.

Pas si simple que cela

Le principe est assez simple, l’application l’estmoins: le prélèvement d’échantillon n’est pas,pour différentes raisons, toujours possible(œuvres d’art) ; le signal climatique est parfois absent ou indétectable ; il n’existe pas de référentiels pour toutes les essences ;l’échantillonnage ne présente pas toujoursd’aubiers complets pour dater un abattage à l’année près.

En Europe tempérée, chêne, hêtre, frêne, pin,mélèze, sapin et épicéa se prêtent à la datation.Les références les plus nombreuses et les pluslongues concernent le chêne, le plus utilisédepuis l’Antiquité en Europe de l’ouest. Les chronologies du hêtre sont rares mais la comparaison avec celles du chêne parhétéroconnexion est pertinente. Le peuplier et le tilleul se prêtent mal à l’exercice car leurcroissance n’est pas toujours strictementannuelle. On remarque bien des exceptions à l’utilisation du chêne dans les régions de plaine, où il est censé abonder. À Bruxelles,par exemple, merisier, orme, frêne, peuplier sontdes essences de substitution dans l’architecturevernaculaire. Du xviie au xxe siècle, on importedes résineux de Scandinavie, face à la diminutiondes ressources en bois régionaux. Autant de faitsqui mobilisent les dendrochronologues pouraffiner leurs chronologies à l’échelle internationale.

La qualité d’une datation augmente avec le nombre d’échantillons manipulés. La gestiondes bases de données, les statistiques, et doncl’informatique, sont au cœur de l’évolution de la discipline. Ainsi, les chronologies de sitebien étayées deviennent à leur tour des référentiels,plus représentatifs d’un faciès régional ou local.

Au-delà de la date

Non seulement la qualité d’une analyseaugmente avec le nombre de bonnes corrélations,mais une cartographie hiérarchisée des résultatsdonne une idée de l’origine géographique du bois. On parle alors de dendroprovenance,discipline développée en parallèle avec la découverte de l’utilisation du chêne balte pour les supports de peinture dans les anciensPays-Bas, en Allemagne, en Angleterre, etc., du xive au xviie siècle.

De son côté, la dendroarchéologie s’intéresse à l’analyse des traces d’outils combinée à ladendrochronologie. Elle décrit des pratiquesforestières, l’évolution du paysage, les modesd’exploitation du bois d’œuvre.

Enfin, l’analyse multisite est un réservoir de données pour l’étude du climat. Les dendroclimatologues ne travaillaient qu’à partir de modèles issus d’arbres vivantsdont le milieu naturel est connu. Grâce auxprogrès récents en matière de dendroprovenance,la masse des bois issus de contextes archéologiquesou architecturaux est un nouvel apport, commecela a pu être démontré pour la reconstitutiondes températures du dernier millénaire à partirdu mélèze.

Des apports à l’histoire de la construction

De tous ces progrès, l’historien de la constructionretiendra la nouvelle manière de procéder lors de l’étude d’édifices complexes. La dendrochronologie n’est pertinente qu’enassociant un vaste échantillonnage à une étudearchéologique pointue de la charpente. On l’a vu à Beauvais1 ou à Bourges. Les études en cours à Bruxelles le confirment à propos de l’architecture vernaculaire comme des grandsmonuments. Dans le même temps, de largessynthèses sur l’histoire de la charpenterie, en relation avec l’économie forestière, voientprogressivement le jour: en France, dans le nord,l’ouest, la Normandie, le Val-d’Oise et, plusrécemment, les Alpes du sud.

P. H.

Les recherches récentes en dendrochronologie

Pascale FraitureResponsable du Laboratoire de

dendrochronologie de l’Institut royal dupatrimoine artistique à Bruxelles

Sophie BlainDocteur en archéologie,

spécialiste en chronométrie et étude des archéomatériaux

Patrick HoffsummerProfesseur à l’université de Liège

Unité de recherche « Art, Archéologie et Patrimoine »

Laboratoire d’archéologie médiévale et de dendrochronologie

Figure 1Scan par tomographie aux rayons X: vue en 2D de la sectiontransversale de lambris en hêtre (précision 40 microns).Dans la très grande majorité des cas, le prélèvement d’unéchantillon demeure la méthodela plus simple pour mesurer les cernes. Pour les œuvres d’art, le challenge est de travailler avec des méthodes totalementnon invasives. La tomographieaux rayons X est une techniqueprometteuse, comme l’illustrel’étude de planchettes de lambrisen hêtre, datant du xve siècle,mises au jour dans une ancienneabbaye de Liège.Scan. UGCT – Ghent University,Department of Forest and WaterManagement, Laboratory of WoodTechnology. © UGent – IRPA.

1.

Figure 3La datation des courbes moyennesobtenues pour chaque phase n’aété possible qu’en les comparantà de nombreuses autreschronologies de site en plus des grands référentielstraditionnels. La datationobtenue pour la moyenne M2,qui se termine en 1533, se répèteainsi sur plusieurs références très locales, ce qui est un gage de sûreté du résultat, maisapporte aussi, potentiellement,des informations sur ladendroprovenance. C’est cequ’exprime ce diagramme, où les différents tests decomparaisons sont présentéssous la forme d’un éventail ; degauche à droite, on voit les scoressur différentes chronologies de site dans un ordre croissant(d’après le logiciel Dendron IV,de Georges-Noël Lambert).

Figure 4Cartographie des datationsdendrochronologiques au niveaudes combles. Avec plus de centéchantillons soigneusementrépartis, et grâce au travailexpliqué dans les figures quiprécèdent, l’histoire de laconstruction – phase par phase –se précise avec un niveau de détail jamais atteint dans les anciennes monographiesconsacrées à l’une des plus belleséglises gothiques de Belgique.

© Région Bruxelles Capitale, KIKIRPA et ULiège, sauf mentioncontraire.

2.

3.

4.

1. Voir Patrick Hoffsummer,«Histoire de la construction et datations grâce à l’archéologiedu bois », Monumental, semestriel 1, 2016, p. 40-43.

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101100 monumental 2017 Laboratoire / Recherches

Dans le cadre de la normalisationeuropéenne, une norme sur le diagnosticde structure du patrimoine en bois estactuellement en relecture1. Ce projet de norme fait suite à différentes normesnationales, notamment italiennes. Il estissu d’une discussion intra-européenne et renvoie à différents articles2qui présentaient déjà la problématique du diagnostic de structure bois (fig.1).L’objet de cet article est de faire un état des lieux des normes pour le diagnostic des structures en bois en France et en Italie, de présenter la prochainenorme sur les « Directives pour l’évaluation sur site des structureshistoriques en bois du patrimoine » et de discuter les apports de cette normedans la pratique de la conservation du patrimoine bois (fig.2a et 2b).

Le diagnostic de structure en France

Le diagnostic de structure en bois en Frances’appuie aujourd’hui principalement sur troisnormes: EN 3383, NF B 52-0014 et NF EN 19125.

Après avoir réalisé un relevé de la structure, le calcul de la tenue de l’édifice est effectué selon des normes élaborées pour les projetsneufs : la norme européenne de vérification des structures bois (NF EN 1995 – diteEurocode5) est de plus en plus préconisée. Cette dernière se fonde sur la norme EN 338, qui permet d’attribuer une caractéristiquemécanique à un élément de structure (fig.3). Elle ne prend pas en compte les conditionsd’usage de l’élément, ni les défauts (nœud, fente, pente de fil) de l’élément, car elle dépendde son classement: par un classement d’aspect, la norme NF B 52-001 permet de prendre en compte les défauts du bois. La norme EN 1912peut alors établir la correspondance entre lesnormes de classements visuels et mécaniques.

Ainsi, aujourd’hui, faute de règle adaptée, le calcul appliqué pour les structures en bois bâti est, directement calqué sur le calcul utilisépour la conception de structure en bois neuf. Par exemple, le fait que les caractéristiquesmécaniques des éléments ont déjà été éprouvéesn’est pas pris en compte.

Les normes italiennes pour le diagnostic de structures anciennes en bois

En 2004, deux normes italiennes6 s’intéressentau diagnostic d’ouvrages bâtis en bois. La normeUNI 1119, en particulier, propose une approche«matériau».

Cette norme établit : > les objectifs, procédures et exigences du diagnostic pour la conservation;> l’estimation de la résistance et la durabilitéd’éléments structuraux en bois du patrimoinepar le diagnostic mécanique in situ ;> l’utilisation de techniques et de méthodes non destructives.

L’objectif du diagnostic est de connaître pour chaque élément de structure: > l’essence du bois ;> la siccité et d’éventuels gradients ;> la classe de risque biologique (EN 335-1 et EN 335-2) ;> la géométrie de l’élément, en indiquant la position et la taille des principaux défauts,altérations ou endommagements éventuels ;> la position, la forme des zones et des sections critiques;> le classement mécanique de tous les éléments bois de structure.

La norme n’exige pas de prendre en compte les éléments cachés (par exemple: poutre noyéedans la maçonnerie). Par ailleurs, il n’existe pas de méthode non destructive sur site pour qualifier mécaniquement un élément de structure.

Le projet de norme européenne

Ce projet de norme intitulé «Directives pourl’évaluation sur site des structures historiques en bois du patrimoine» fait suite à un travailréunissant plusieurs experts européens. Il prendpour origine la norme UNI 1119 et des travauxinitiés lors du programme européen COST WoodScience for Conservation of Cultural Heritage(WoodCultHer)7.

Après avoir défini son domaine d’application, la norme propose une méthode d’évaluation en deux temps: une «évaluation préliminaire»et une «évaluation détaillée». Lors de l’évaluationpréliminaire, sont estimées la tenue de la structureet la pertinence d’un diagnostic plus poussé. Une étude documentaire et une analysehistorique, complétées par un examen visuelenrichi par des relevés de la structure, sont alors effectuées. Ce rapport préliminaire peutdonner lieu à des travaux supplémentaires. L’étude détaillée n’est donc pas entreprisesystématiquement. Dans le cas où l’on décide d’y avoir recours, d’autres mesures/observationssont préconisées : mesures d’hygrométrie,identification des bois, datation, évaluation des sections efficaces, des défauts. Ce travail doit notamment aboutir au classementmécanique des bois en leur attribuant une classede résistance. La norme évoque des essais non destructifs sans beaucoup plus de précision.Un travail particulier sur les assemblages(observation, caractérisation mécanique) estdemandé: outre leur accessibilité, cela impliquede bien comprendre les efforts qui sont transmispar ces assemblages (tension, compression,cisaillement, quantification). La norme n’expliquepas comment il est possible de mesurer sur siteles informations auxquelles elle fait référence.

Commentaires et conclusion

Le projet de norme propose une méthodologiede diagnostic. Il s’agit de répertorier l’ensembledes éléments de la structure. Cet inventaire sera d’autant plus approfondi que la structure (le chemin des charges) est complexe. La normeprésentée ne permet malheureusement pas de prendre en considération l’aspect historiquedes structures, en ce sens que les éléments sontqualifiés par des «normes de bois neuf» et que le calcul de la structure ne prend pas en comptele fait que la structure ait résisté mécaniquementjusqu’à présent.

Le traitement des bois cachés (peints ou pris dans la maçonnerie) n’est pas réellement examiné:les bois «doivent être rendus accessibles», sinon, l’expert «doit expliquer pourquoi» il ne demande pas l’accès. D’un autre côté, le projet de norme évoque une analyse structurelleà travers un modèle 3D, mais il reste très prudent sur l’utilisation de tels outils. En France,différents travaux ont montré la pertinence de l’utilisation de modèle mécanique pourévaluer la sensibilité de la structure à l’altérationdes différents éléments constitutifs8. Ainsi, du point de vue actuel des experts français, le traitement des bois masqués par l’utilisation de modèle numérique doit clairement êtreexprimé dans une norme sur le diagnostic. En complément, les outils non destructifsemployés pour un diagnostic pourraient être plus détaillés dans la norme.

Actuellement, la norme portant sur les directivespour le diagnostic de structures en bois du patrimoine est donc toujours en discussion:certains points ne pourront pas trouver deconsensus (le classement des bois, par exemple),mais ce texte sera un outil déterminant car il valide une méthodologie qui permettra de justifier des décisions d’interventionsstructurales (aujourd’hui souvent controversées).

E. M. et P. G.

Le diagnostic structure : présentation et discussion sur le projet de norme européenne

Emmanuel MaurinIngénieur, LRMH

Philippe GalimardMaître de conférencesInstitut de mécanique et d’ingénierie (I2M)

Université de Bordeaux

1. CEN/TC 346: «Lignesdirectrices pour l’évaluation sur site des structures historiquesen bois du patrimoine» (s.d.).

2. Nicola Macchioni, MicheleBrunetti, Benedetto Pizzo, Paolo Burato, Michela Nocetti et Sabrina Palanti, «The TimberStructures in the Church of the Nativity in Bethlehem:Typologies and Diagnosis»,Journal of Cultural Heritage, vol. 13,no4, supplément, 2012, p.42-53.

3. EN 338 (2009) : Bois de structure– Classes de résistance.

4. NF B 52-001 (2007) : Classementvisuel pour l’emploi en structuredes bois sciés français résineux et feuillus.

5. NF EN 1912 (2012) : Bois de structure – Classes de résistance – Affectation des classes visuelles et des essences.

6. UNI 1119 07/04: «Inspectionsin situ pour le diagnosticd’éléments structuraux en bois»,et UNI 11138 11/04: «Critèresd’évaluation structurelle et de restauration».

7. Helena Cruz, David Yeomans,Eleftheria Tsakanika, NicolaMacchioni, Andre Jorissen,Manuel Touza, MassimoMannucci et Paulo Lourenço,«Guidelines for On-SiteAssessment of Historic TimberStructures», International Journal of Cultural Heritage, vol. 9, no3,2015, p.277-289.

8. Structural diagnosis of the roofstructure of the Apollo gallery in the Louvre [texte imprimé et ressource électronique] /Philippe Galimard, Alain Cointeet Emmanuel Maurin, «Frommaterial to structure: mechanicalbehaviour and failures of thetimber structures», 16th IIWCInternational conference andsymposium, Florence – Venice –Vincenza, 11-16 novembre 2007.

Figure 3

Classement des bois d’après la norme EN 338; «C» pour Coniferous, «D» pour «Deciduous»; les valeurs expriment la contrainte de flexion en N/mm².

Essence de bois

Sapin, épicéa, douglas C18, C24, C30

Pins  : sylvestre, maritime, noir, laricio C14, C18, C24, C30

Mélèze C18, C24, C27

Sitka, peuplier C18, C24

Chêne D18, D24, D30

Gonfolo, goupi, alimiao D40

Angélique D50

Jaboty D35Figure 1Sous-face du plancher situé dans le vestibule de la chapelle de l’abbaye de Lagrasse (Aude) :quelle est sa capacité portanterésiduelle?

Figures 2 a et 2 bÀ travers la peinture, le LRMH a pronostiqué un défaut dans la poutre de 40 × 40 cm de section; rien n’ayant été fait à la suite de ce diagnostic, la poutre s’est cassée un an plus tard.

Photographies et document Emmanuel Maurin. © LRMH.

1. 2 a. 2b.

Diagnostic et conceptionChapitre 2

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102 monumental 2017 Laboratoire / Recherches 103

Les problématiques sismiques dans la construction (historique) en bois

Chapitre 2 Diagnostic et conception

Ario Ceccotti Ingénieur civil

Florence / Venise

Cette propriété, il faut le remarquer, est trèsprécieuse, car elle caractérise le comportementantisismique de la construction, mais elle demeure purement qualitative si elle ne s’accompagne pas des mesures expérimentales.Le lecteur trouvera plusieurs références fortutiles à ce sujet dans l’ouvrage de Helena Cruz et al. [2].

Ce type de tests permet de qualifier simplementd’importants paramètres tels que la résistancemaximale, la résistance et le déplacementultimes, la raideur3 initiale et la raideur réduite à la suite des divers cycles de charge/décharge,l’énergie dissipée et l’amortissement visqueuxéquivalent4 des murs de cette typologie ; le typede tests le plus souvent utilisé demeure celui oùune portion de mur – reproduite en laboratoireen dimensions réelles – est soumise à une série de cycles de charges alternées, de poussées et de tractions au sommet ainsi que dans le plandu mur (fig.2).

Les essais cycliques sont nécessaires maisinsuffisants pour caractériser le comportementsismique d’un édifice de la catégorie A. Ils sont toujours accompagnés d’une analysemathématique (modélisation) qui recueille, en fonction du temps et dans un champ non linéaire, la réponse de l’édifice soumis au signal sismique. On peut trouver un exemple d’une telle procédure dans Sandhaas [4], où, en aval de la série de testscycliques menés sur les trois différentestypologies (fig.2e), on a évalué sur un édifice à deux étages la réponse sismique face à une série de tremblements de terre connus (fig.3).

Mais que peut faire l’ingénieur qui ne dispose pas de moyens de calcul sophistiqués et qui est appelé à vérifier l’adéquation sismique d’une maison à colombage?

Afin de calculer l’action sismique, la version ENV de l’Eurocode 8 [5] suggère un facteur de réductionde l’action sismique q=2 pouvant être, à mon avis, porté à 2,5.

En conséquence, l’ingénieur peut évaluer la résistance au cisaillement à la base du murporteur et redistribuer les efforts entre leséléments en bois composant le mur et les organesde liaison. Le remplissage peut être pris en considération comme une bielle diagonalecomprimée. Si le calcul donne une réponserassurante, il est possible d’estimer que la tenue

de la structure est correcte. Dans un cas contraire,avant de prendre des décisions qui pourraientconduire à d’inutiles interventions de consolidation,je suggère d’effectuer des tests cycliques sur un mur à taille réelle – l’idéal serait de faire troistests mais un seul est toujours mieux que rien.

Ensuite, grâce à des modèles comme celui qui est décrit dans la méthodologie exposée par Sandhaas, il faut vérifier les accélérationsmaximales du sol (PGA) que le mur peutsupporter, en cas de tremblements de terreattendus, puis les comparer à celles du projetprévu pour le lieu de la construction.

Catégorie BDe tels exemples se rencontrent, en Europe, en Italie (fig.4a) et surtout en Grèce (fig.4b).Alors, c’est à la maçonnerie qu’il revient de supporter les charges verticales ainsi que les actions horizontales. Cependant la présence de l’ossature en bois contribue à augmenterconsidérablement la résistance de l’appareil de maçonnerie aux actionshorizontales comme au déplacement latéral.

L’ossature en bois contribue à limiter et à retarder l’apparition de fissures, à maintenir la maçonnerie, à assurer la dissipation durabled’énergie par friction entre les pierres et, en définitive, à augmenter la résistance maximale, le déplacement ultime5 interétages et l’amortissement visqueux équivalent. De plus, la compression perpendiculaire aux fibres du bois participe à la dissipationd’énergie.

Cette catégorie de construction présente souventdes problèmes de durabilité lorsque le bois choisin’est pas naturellement «durable» et lorsque les conditions climato-environnementalesfavorisent un taux d’humidité dans le bois,supérieur à 20%, plusieurs semaines par an (ce qui correspond à une exposition en «classe de service 3» d’après l’Eurocode 5 [8]).

Pour les constructions de catégorie B, on a suivila procédure utilisée (fig.5a et 5b) [4], et lesrésultats obtenus sont présentés en figure 6.

Au moment d’évaluer la résistance d’une structure– y compris les constructions historiques en boisen cas de séisme –, l’ingénieur doit effectuer un diagnostic de l’état de santé des élémentsstructuraux et des assemblages avec tous lesmatériels et méthodes dont il dispose. Je suggèrede ne pas procéder comme s’il s’agissait d’unenouvelle construction, c’est-à-dire de ne pas se limiter à un premier contrôle conformémentaux actions prévues par l’Eurocode 8 et auxrésistances pronostiquées par l’Eurocode 5. En effet, l’utilisation des Eurocodes est bienévidemment valable dans une première approche,mais si les examens ne se révèlent pas concluants,il faut approfondir le diagnostic. En effet, il est toujours possible que la résistance actuellede la structure soit bien plus importante quecelle,minimale, préconisée par les Eurocodes

Figure 2 e

Les cycles d’hystérésis obtenus pour les trois cas [3].

Figure 3

Réponse à des tremblements de terre d’édifices à deux étagesconstruits selon leur typologie (fig. 2 a), en termesd’accélération maximale du sol (PGA), entraînant un quasi-effondrement de la structure, sur la base du modèlemathématique d’analyse sismique non linéaire en fonctiondu temps [4].

Page de gaucheFigures 1 a à 1 cExemples d’édifice à ossature enbois, rigidifiée par un remplissageen maçonnerie : maisons à colombage (Rennes, fig. 1 a),

habitats turcs himis (Gölcük, fig. 1b), maisons de stylepombalin du xviiie siècle à Lisbonne (fig. 1c). Fig.1 b et 1 c. Ph. Randolph Langenbach.

Ci-dessousFigures 2 a à 2 eL’étude du comportementmécanique, sous chargescycliques, est d’une importancefondamentale pour prévenir etagir face à un séisme.Édifice à ossature en bois,

rigidifiée par un remplissage en maçonnerie de divers types,dans la région de Cadore en Italie (fig.2a). Le concept clé du test mécanique avec un mouvement cyclique de

va-et-vient imposé au sommetdu mur d’essai s’applique auxtrois typologies structurellestestées, remplissage en briques(fig.2b), en pierres (fig.2c), enclayonnage et mortier (fig.2d).

Charge [KN]

Déplacement [mm]

branches de noisetier et mortier [clayonnage]

pierres

briques

1a. 1b. 1c.

2 a.

2b.

2 c.

2d.

Accélération maximale du sol (PGA)

Déplacement [mm]

branches [clayonnage]pierresbriques

La présence d’éléments de structure en bois en zone sismique est courante dans les bâtiments d’importancehistorique en raison, principalement, du bon comportement de ce matériau faceaux séismes. Des pays comme le Japon, la Turquie ou les pays balkaniques sontdepuis toujours et fréquemment sujets àces cataclysmes. Pourtant, leurs ossaturestraditionnelles ont survécu aux secoussesles plus violentes. Cela est vrai pour les édifices monumentaux, qui ontprobablement bénéficié à l’époque de leur construction des meilleurs matériauxet technologies, mais également pour de simples habitations civiles, parfois à plusieurs étages.

Les ingénieurs, architectes, maîtres charpentiersd’autrefois connaissaient bien les règles de l’artde la construction et les techniques de préventionantisismique, fondées exclusivement sur la sensibilité et l’expérience. Il leur manquait les techniques modernes d’analyse structurale.Grâce à l’observation attentive du comportementdes édifices au cours des tremblements de terre, on est peu à peu parvenu à concevoir des systèmes constructifs efficaces. Désormais,le comportement mécanique d’ensemble de la structure bois est beaucoup mieux maîtrisé, ce qui permet une vision prédictive des phénomènes sismiques, même dans le détail.Nous allons examiner les typologies deconstruction en bois le plus souvent rencontréesen zone sismique, en nous focalisant sur les points vraiment critiques pour l’ingénieurappelé à juger de la fiabilité antisismique d’une construction historique en bois.

Typologies de la construction En excluant ici les structures aux murs porteursen maçonnerie avec simplement des planchers et des toits en bois, on peut distinguer deuxtypologies structurelles où le bois contribue à la résistance sismique de toute la construction:

> A: le mur est constitué d’une ossature en boisd’épaisseur modeste (en général inférieure à 20 cm), portant les charges verticales, et d’unremplissagede matériaux inertes (clayonnage avecmortier de diverses natures, maçonnerie de pierresou de briques, etc.), fournissant une stabilitélatérale et une résistance aux actions horizontales.Le clayonnage s’accompagne parfois d’un systèmed’entretoises en bois croisées à l’intérieur des différentes pièces de la charpente.

> B: le mur est constitué d’une maçonnerie de pierres et /ou de briques de grande épaisseur(30 cm ou plus), portant les charges verticales, et renforcée en traction par une armatured’éléments en bois, disposés verticalement et/ou horizontalement, capable de supporter les charges horizontales.

Catégorie ADes exemples de ce type de construction sont,pour ne citer que les plus connus, lesmaisons à colombage en France (fig.1a), les fachwerkhausen Allemagne, les habitats himis en Turquie(fig.1b), la construction pombaline au Portugal(fig.1c).

La structure se compose d’une véritable «cage»:des poteaux de la hauteur d’un étagesoutiennent les arêtes de l’édifice ainsi que les côtés des ouvertures (dont ils constituent les chambranles) ; des poutres sont encastréesdans les poteaux et forment la base sur laquellesont placées les structures secondaireshorizontales. Les planchers sont généralementpositionnés parallèlement au fronton principal,les solives étant visibles. Dans ces constructions,tous les éléments structurels en bois présentent,en règle générale, un surdimensionnementnotable dû à la nécessité d’assembler ces dernierssans affecter la section résistante minimale.

Les murs comportent des éléments verticaux et horizontaux («cage»), un remplissage en matériaux inertes avec mortier de chaux ou d’argile, enduits divers et/ou éléments de contreventement diagonaux, ces derniersajoutés habituellement uniquement pouraméliorer la stabilité de l’assise verticale du murlors du chantier.

Ces édifices présentent un excellent comportementvis-à-vis des séismes grâce à l’interaction continuedes éléments en bois du mur et des éléments de maçonnerie. Cet effet continu de déformationet de déplacement relatif entre ces différentséléments permet la dissipation par friction del’énergie que reçoit l’édifice dans le mouvementde va-et-vient du séisme en pied de structure.

Il est très intéressant de noter qu’une structurecomposée exclusivement de matériaux au comportement fragile1 (bois, maçonnerie et mortier) fonctionne dans son ensemblecomme un système à ductilité2 élevée [1].

1. Comportement qui désigne la capacité d’un matériau à se rompre sans déformationplastique.

2. La ductilité désigne la capacitéd’un matériau à se déformerplastiquement sans se rompre.

3. Dans ce cas, il s’agit de la capacité du mur à s’opposeraux déplacement horizontaux.Ici, l’endommagement du murentraîne une perte de sa raideur.

4. Amortissement visqueuxéquivalent : valeur de référenceutilisée en ingénierie du bâtiment pour caractériser la capacité de la paroi à dissiperl’énergie reçue.

5. Déplacement ultime :déplacement maximal à la rupture qui, dans ce cas,conduit à l’effondrement du bâtiment.

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105104 monumental 2017 Laboratoire / Recherches

et leurs systèmes de calcul. Ainsi, les essais en laboratoire qui permettent d’évaluer aumieux les ressources réelles de la structure – comme on l’a montré dans ce chapitre – sont pertinents et peuvent permettre, grâce à des systèmes de calcul spécifiques, de validerla performance plausible de la construction en évitant des interventions inutiles, coûteuses et invasives.

Grâce aux technologies du bois, les ingénieurs en structure apportent des connaissances,fondées sur des évaluations perfectionnées et des modèles analytiques, en vue d’aider les professionnels de la conservation à prendre la meilleure décision possible, et ce, en toutecirconstance, en particulier dans les zonessismiques. L’objectif de la démarche del’ingénieur est d’apporter une aide pour que soitrespectée de la valeur historique de l’ouvrage.

Cet acharnement à tenter de limiter au minimumles interventions de consolidation – n’effectuerque celles qui sont indispensables – est obligatoirelorsqu’il s’agit de structures historiques. Il n’estpas forcément nécessaire ni économiquementrentable pour une maison de campagne, maisc’est un devoir envers la communauté dans le casde biens culturels insignes.

A. C.

Chapitre 2 Diagnostic et conception

Figures 5 a et 5 b

Test mécanique avec un mouvement cyclique de va-et-vientimposé au sommet du mur, reproduisant celui du palais de Mileto (fig.4a) et les cycles d’hystérésis en résultant [7].

Charge horizontale [KN]

Déplacement [mm]Courbe charge-déplacement

??????????????????

Traduit de l’italien par Catherine Sobecki.

5b.

4b.

4a.

Figure 6

La réponse prévue à des tremblements de terre d’édifices à deux étages (fig. 4 et 5), en termes d’accélération maximale du sol (PGA) entraînant un quasi-effondrement de la structure [7].

Accélération maximale du sol (PG)

Figures 4 a et 4 bExemples d’édifices à structureportante en maçonnerie de grosse épaisseur renforcée par un châssis en bois.

4 a. Édifice du xviiie siècle à Mileto, Calabre, Italie.

4 b. Habitat du xve siècle avantnotre ère, à Akrotiri, Théra,Grèce [6].

Photographies et documents Ario Ceccotti,sauf mentions contraires.

Bibliographie

[1] Randolph Langenbach,«Resisting Earth’s Forces:Typologies of Timber Buildingsin History», StructuralEngineering International, vol.18,no2, 2008, p.137-140.

[2] Helena Cruz et al.,HistoricalEarthquake-Resistant TimberFraming in the MediterraneanArea, Bâle, SpringerInternational Publishing, 2016.

[3] Ario Ceccotti, Paolo Faccio,Monica Nart, CarmenSandhaas et Paolo Simeone,Seismic Behaviour of HistoricTimber-Frame Buildings in theItalian Dolomites, 15thInternational Symposium,Icomos International WoodCommittee, Istanbul, 2006.

[4] Ario Ceccotti et CarmenSandhaas, «A Proposal for a Procedure to Evaluate the Seismic Vulnerability of Historic Timber FrameBuildings», dans NicolaRuggieri et al., HistoricalEarthquake-Resistant TimberFrames in the Mediterranean Area,Bâle, Springer InternationalPublishing, 2015, p.105-118.

[5] ENV 1998-1-1, Eurocode 8,Conception et dimensionnement des structures pour leur résistanceaux séismes et documentd’application nationale, «Règlesgénérales - Actions sismiques et prescriptions générales pourles structures», Paris, Afnor,décembre 2000.

[6] Eleftheria Tsakanika-Theohari, «TheConstructional Analysis ofTimber Load Bearing Systemsas a Tool for InterpretingAegeanBronze AgeArchitecture», dans Bronze AgeArchitectural Traditions in theEastern Mediterranean: Diffusionand Diversity, actes de colloque,Munich, 7-8 mai 2008,Weilheim, Verein zurFörderung der Aufarbeitungder Hellenischen Geschichte,2009, p.127-139.

[7] Nicola Ruggieri, CarmenSandhaas et Ario Ceccotti,«Seismic Vulnerability ofBorbone Masonry Reinforcedwith Timber Frames», dansHelena Cruz et al., HistoricalEarthquake-Resistant TimberFraming in the Mediterranean Area,Bâle, Springer InternationalPublishing, 2016, p.193-204.

[8] NF EN 1995-1-1, Eurocode 5, Conception et calcul des structures en bois,«Généralités - Règles communeset règles pour les bâtiments»,Paris, Afnor, novembre 2005.

La mérule et la problématique des champignons lignivores dans le bâti

Patrick LaurentMycologue

Expert en pathologie du bâtiment, expert judiciaire

Membre de la Compagnie des experts boisLaboratoire mycologique et cabinet d’expertise SEMHV

Nommée lèpre des maisons dans la Bible, la mérule est un fléau très ancien qui a prisune ampleur exponentielle ces dernièresannées. La faute à notre mode de vie, à nos méthodes d’isolation augmentant le confinement de nos habitats, à la mise en œuvre de matériaux modernesinadaptés aux constructions anciennes, à la méconnaissance de la biologie des champignons et, dans une moindremesure, au réchauffement climatique.L’entretien des bâtiments joue égalementun rôle primordial ; ceux qui ne sont pasentretenus sont les plus touchés par les champignons lignivores, se nourrissantde bois humide.

Quelques mises au pointLa mérule, communément appelée mérulepleureuse ou mérule des maisons, est bien dugenre féminin. Elle est décrite pour la premièrefois au xixe siècle. Son nom scientifique est Serpula lacrymans, parfois écrit S. lacrimans,mais la publication officielle1, datant de 1885,prouve la nécessité du y. Elle ne forme pas de rhizomorphes, comme les coniophores ou les fibropores, mais des syrrotes. Ce sont descordons mycéliens spécifiques, qui alimentent le champignon en eau.

Les Leucogyrophana sont régulièrement citéescomme étant des mérules mais ces champignonsn’en sont pas et n’ont pas les mêmes exigencesdu point de vue physiologique. Il existeplusieurs variétés de mérules, dont deux en Europe: Serpula lacrymans et S.himantioides(dite mérule sauvage). Et aussi S. incrassataen Amérique, S. tignicola en Russie et S. similisen Asie, pour ne mentionner que celles-ci.

Par ailleurs, des textes évoquent un «constatparasitaire» ou un «état parasitaire». Le termeparasitaire est mal choisi, car les parasites nes’attaquent qu’aux êtres vivants. Le bâtiment et le bois mis en œuvre dans le bâti ne le sont pas.Les champignons sont des espèces saprotrophes(décomposeurs) et non parasites.

Le développement de la méruleAu cours de son développement, la mérule prend différents aspects (formes, couleurs). Les phases du développement peuvent se décomposer de la façon suivante:

> Phase 1: une spore germe pour former un mycélium primaire. Ce mycélium se lie à un autre mycélium primaire pour former un mycélium secondaire sexué, qui pourra se reproduire par l’intermédiaire des sporesproduites par une «fructification», nommée sporophore.

> Phase 2: la partie végétative de la mérule est un mycélium composé de filaments très fins ou hyphes (de 3 à 10µm de diamètre, sauf les hyphes vasculaires, qui peuvent atteindrede 30 à 40µm), qui pénètrent le bois d’abord en surface puis en profondeur, en suivant les cavités, les fibres longitudinales (trachéide,éléments de vaisseau…) et radiales, perforant les parois pour passer d’une cellule à l’autre.

> Phase 3: en surface, les hyphes s’agglomèrent et forment un réseau constitué de cordonnetsblancs puis brunâtres (syrrotes), dont l’aspectrappelle celui d’une toile d’araignée.

> Phase 4: les enzymes, contenues dans ce mycélium,dégradent la cellulose et les hémicelluloses ; en conséquence, ellesdécomposent le bois en une pourriture cubique,brune, généralement à gros pas (section des cubes: 2,5 × 7cm).

> Phase 5: une fois la décomposition avancée, le champignon forme des sporophores(fructifications) d’aspect plissé, de couleurrouille, bordés d’une marge blanchâtre.

> Phase 6: ces sporophores émettent des spores(10cm² produisent entre 4 et 5 milliards de spores), qui se répandent par les courants d’air et assurent la dissémination de l’espèce. Les spores sont donc présentes dans l’atmosphèreet n’attendent plus qu’un environnementfavorable pour se développer.

Les différentes études scientifiques menées à ce jour montrent que la prolifération de la mérulepeut progresser de 2 à 8mm par jour en surface(après la germination) quand les conditionsenvironnementales sont réunies. Cependant, des observations récentes en laboratoire et sur le terrain montrent des sporophores d’environ 1m²,qui se sont développés en un mois (plusieurs cas).

Nos observations viennent parfois contredirecertaines certitudes trop bien ancrées, mais malheureusement non vérifiées. Pourtant,nous connaissons désormais parfaitement les environnements qui conditionnent le développement des champignons lignivores,dont la mérule et les moisissures.

1. Serpula lacrymans (Wulf.), dans J. Schröter, Meddn Soc. Fauna Florafenn., 1885, 11: 21.

3.

2.

1.

Figure 1Filaments très fins ou hyphesgénératrices de mérule, hyalines,septées, bouclées de 3-5 µm.

Figure 2Spores de mérule, cellulesreproductrices en attente de germination (produites par milliards).

Figure 3Mycélium, partie végétative de la mérule, très jeune,cotonneux, un peu comme de la «barbe à papa», avec au centre des sporophores(fructifications d’aspect plissé et de couleur rouille).

Chapitre 3 Traitements et méthodes en conservation  /  restauration

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Les conditions environnementales Le développement de la mérule est dû à quatre facteurs associés :

> La présence d’humidité (la présence d’eau conditionne la vie du champignon). Le bois doit avoir une humidité supérieure à 20% et ne doit pas être immergé.

> Le confinement de l’air, qui se traduit par un manque de ventilation.

> L’obscurité est propice au développement dumycélium, tandis que la lumière (même discrète)favorise le développement du sporophore.

> La présence de cellulose, trouvée dans le bois etses dérivés (carton, papier, matériaux biosourcés,coton…). Le bois n’est pas indispensable à lagermination de la spore, qui mesure 5 × 11µm,car quelques poussières cellulolytiques suffisent.C’est ainsi que l’on peut voir se développer une mérule sur plusieurs dizaines de m² de mursans un seul cm² de bois !

La température est souvent évoquée mais, dans les faits, elle n’est pas un facteur déterminantdu développement du champignon. Dans les référentiels FCBA, Qualibat2, et dans d’autresdocuments techniques, desquels découlent de nombreuses expertises, il est écrit que la mérule ne peut se développer qu’à partir d’unetempérature de 20°C, ce qui est absolument faux.Si effectivement, en laboratoire, il est constatéune croissance à des températures optimalescomprises entre 18 et 24°C, il en est toutautrement sur le terrain. En effet, la mérule sedéveloppe la plupart du temps dans des maisons– inhabitées, abandonnées temporairement oudéfinitivement –, qui ne sont alors plus chauffées.

D’autre part, la mérule se développe aussi trèssouvent, pour ne pas dire dans la majorité descas, dans les sous-sols ou les caves qui atteignentdifficilement de 12 à 15 °C. Des observationsmontrent que la mérule peut même commencerà se développer de 3 à 5°C. Des températuresdonc très inférieures à l’optimum thermiqueaffirmé dans certains textes techniques.

Inversement, la mérule cesse son développementde 26 à 28°C, les écarts observés étant liés àl’importance des autres facteurs conditionnantson développement. Une exposition de 15 minutesà des températures comprises entre 40 et 45°Ctue les filaments mycéliens (hyphes).

L’indispensable analyse du champignonLe champignon est «identifié» trop souvent de façon plus qu’aléatoire par des néophytes, ce qui n’est pas sans conséquence. Des rapportsd’analyses de laboratoires qui ont pignon sur rue mais non spécialisés en mycologieprésentent des erreurs grossières. Par exemple, on y trouve: «Espèces végétales concernées:mérule.» Or, les champignons ne sont en rien des végétaux, ils en sont même très éloignés par leur mode de vie hétérotrophe. Ils font partied’un règne à part, les Mycètes (ou Fungi) depuis 1969. La mérule produit une pourriture cubique, mais c’est également le cas de plus de 2000 espèces de champignons saprotrophes.Malheureusement, il est trop souvent conclu à la présence de mérule sur la seule existence de ce type de pourriture cubique.

De plus, l’amalgame est fait entre moisissure et champignon. Toutes les moisissures sont des champignons, mais la réciproque est fausse.La mérule n’est en aucun cas une moisissure. Les moisissures, des micromycètes, ont desmodes de vie bien différents.

Enfin, bien que le terme «infestation» ne soitpas adapté aux champignons (réservé aux insectes,rongeurs…), il est couramment utilisé dans le domaine patrimonial pour les champignons.Le terme correct est «contamination». En cas de contamination, le prélèvementd’échantillon est indispensable. Le morceauprélevé, de 5 à 10 cm² environ, est ensuiteadressé à un laboratoire mycologique pour êtreidentifié. À partir de l’identification, il est possible de classer le type de pourriture(cubique, fibreuse, alvéolaire ou molle), puis de donner des préconisations en matière de traitement. Il n’existe pas de normes ou de nomenclatures spécifiques pour l’évacuationou le traitement des déchets issus de matériauxcontaminés par des champignons.

Les traitements selon les types de contaminationQuatre types de contamination peuvent êtreclassés en ordre décroissant de dangerosité :

1. Les champignons développant des syrrotes: mérule(Serpula lacrymans)

Elle peut nécessiter un décrépissage et uneinjection de fongicide dans les maçonneries, le brûlage des surfaces contaminées et la dépose des bois cariés (pourris).

2. Les champignons développant des rhizomorphes: coniophores, fibropores et astérostroma

Elle peut nécessiter un décrépissage et une pulvérisation des maçonneries, le brûlage des surfaces contaminées et la dépose des bois cariés.

3. Les champignons ne développant pas de syrrotes ou de rhizomorphes:polypores, trechispora, grandinia, lenzites…

Elle ne nécessite pas de traitement des maçonneries mais la dépose des bois cariés.Une purge et un bûchage sont possibles, à condition de traiter les bois secs et sains en amont et en aval de la contamination.

4. Les champignons ne développant pas de syrrotes ou de rhizomorphes:pézize, coprin…

Elle ne nécessite pas de traitement, un simple assèchement du milieu suffit à tuer les champignons.

Dans tous les cas, il est nécessaire de résorber les causes d’humidité et d’assurer une parfaiteventilation. Un mycélium mort, mêmeréhumidifié ne peut plus se développer. Là encore, l’expertise effectuée par un spécialistepeut éviter un traitement lourd, long, onéreux et surtout inutile.

Selon les référentiels du FCBA, un traitementchimique nécessite les étapes suivantes :

1. La dépose des matériaux, cloisons, enduits.

2. La dépose des bois cariés par une pourriturecubique.

3. Le décrépissage, piquetage, brossage des murs.

4. Le brûlage des murs (voire du sol), d’une part,pour brûler les spores (quand elles sont présentes)et, d’autre part, brûler le mycélium, souventniché dans des endroits profonds et inaccessibles.Ce brûlage a aussi l’avantage de carboniser cemycélium et donc de bien voir la zone contaminée!

5.Le perçage de trou d’injection tous les 25 à 30cm,en quinconce, sur les ²/³de l’épaisseur du mur.

6. L’injection de fongicide dans les maçonneries.

Il est important de noter que, à ce jour, aucunproduit n’est homologué et/ou certifié pour êtreinjecté dans les maçonneries. Mais une dérogationest attestée par le document de la EuropeanChemicals Agency3 qui stipule que les produitsvisant à protéger les bois de structure contre la mérule et utilisés en barrière au niveau des maçonneries relèvent du groupe TP8. Les produits du groupe TP8 actuellement missur le marché français disposent d’une autorisationprovisoire jusqu’à la fin de l’année 2018.

Ainsi, les champignons rencontrés dans les bâtiments sont très variés et ont chacun une physiologie spécifique. Leurs dangerositéspour la conservation du bâtiment ne sont pasidentiques. En cela, l’identification par des entreprises compétentes est une démarcheindispensable. À partir de la reconnaissance

du champignon, il est possible de repérer à quel niveau l’intervention doit s’effectuer.Le cas le plus extrême demeurant la présence de la mérule (Serpula lacrymans).

En fonction de l’état physiologique deschampignons, on peut conseiller un traitement de surface4. D’ailleurs, il n’est pas toujourspossible de faire autrement lorsque les maçonneries historiques comportent des enduits et/ou des peintures.

P. L.

2. FCBA: centre technique Forêtcellulose bois ameublement, dont l’un des rôles est d’assurer la certification des produits et de l’agrément d’entreprise.Qualibat : organisme (associationloi 1901) de certification et de qualification d’entreprise.

3. «Guidance on the BPR», article 5.5.8 PT8 «Woodpreservatives», alinéa 5.5.8.2.2.5«Barrier treatment againstSerpula lacrymans», février 2017, p.147.

4. SEMHV: Station d’étudesmycologiques des Hautes-Vosges(www.merule-expert.com

Page de gaucheFigure 4Sporophore de mérule sortantdes murs, englobant toutesmatières (bois, plastique, plâtre).

Ci-contreFigure 5Primordiums de mérule, le mycélium se transformelentement pour développer des sporophores.

Figure 6Sporophore de mérule mature,développé sur du papier kraft de laine de verre

Figure 7Sporophore de mérule, étalé-réfléchi plus ou moins en forme de console. Vue de l’organe reproducteur,éphémère, produisant les spores.

Figure 8Hyménophore de mérule. Il s’agit de la partie fertile,productrice des spores, à la surface du sporophore.

Figure 9Infestation par la mérule,sporophores brun foncé avec une marge blancheémergeant des plâtres.

Figure 10Infestation par la mérule,sporophore de couleur rouilleinfestant solive et plancher.

Figure 11Infestation par la mérule,syrrotes spectaculaires d’un diamètre de 2,5 cm, sur un parquet en chêne.

Figure 12Sporée de mérule, dépôt de spores en masse (par milliards).

Figure 13Sporophore de mérule se développant strictement sur un ourdis de briques avec une poutrelle métallique et sur les murs en béton.

Figure 14Sporophore de mérule, en console, développée sur une plinthe, un chambranlepeints et un carrelage.

Photographies © SEMHV.

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Référentiels

1. FCBA DQ Cert. 16-310.2. Qualibat 1532.3. SEMHV R17-001.Norme EN 14128 (juillet 2004) :traitement par air chaud.

10.

Chapitre 3 Traitements et méthodes en conservation / restauration

La mérule et la problématique des champignons lignivores dans le bâti

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Le bois et le feu

Chapitre 3 Traitements et méthodes en conservation / restauration

Jean-Baptiste AurelWoodenha Industries

Le bois est l’un des premiers matériauxutilisés pour la construction, il est donclogique de le retrouver dans les bâtimentshistoriques pour des applicationsstructurelles, en aménagement et endécoration. Cependant, c’est un matériauinflammable présentant des atouts et des faiblesses en termes de résistance 1et de réaction2 au feu.

Caractéristiques générales de la combustion du boisLe bois s’enflamme sous l’effet de la chaleur à une température d’environ 275oC. Cettetempérature correspond à celle du fluage del’acier doux. Lors d’un incendie classique, lavitesse de combustion d’un matériau en boisoscille entre 0,5 et 1,2 millimètre par minute.

Les effets de la chaleur sur le boisLe bois est particulièrement stabledimensionnellement face aux changements de température, et sa conductivité thermique est faible. Lors d’un incendie, une structure enbois n’exerce donc pas de poussée sur les mursporteurs, et cela, jusqu’à des températuresatteignant 1000 oC. À ces températures, les autres matériaux, en particulier les métaux,se déforment et s’effondrent, tandis que le boisreste stable.

Pour tous les matériaux combustibles, le processus (déshydratation et oxydation) de combustion est similaire. On distingue trois étapes majeures de l’action de la chaleur sur le bois. Tout d’abord, entre 105 et 260 oC, une évaporation de l’eau, de composés volatils,puis une décomposition accompagnée del’inflammation des gaz combustibles, et enfinune carbonisation et une gazéification dumatériau. Cette première étape est dite sansflammes. La déshydratation du matériau libèredes liquides et des produits volatils. La deuxièmeétape constitue la principale. Entre 260 oC et365 oC, la réaction est fortement exothermique,et les gaz s’enflamment. Le bois a déjà perdu près de 39% de sa masse, et les caractéristiquesmécaniques chutent. La dernière étape est une décomposition lente des résidus et la transformation du matériau restant en cendre. Les températures augmententd’environ 500 oC, parfois jusqu’à 1500 oC.

Le schéma du triangle du feu (fig.1) explique les phénomènes de transmission de chaleur et l’emballement du processus.

Les systèmes d’ignifugation du boisIl est possible de modifier de manière radicale le comportement du bois au feu. Pour les élémentsneufs, les possibilités sont nombreuses. Troistechniques principales permettent d’améliorerson comportement: imprégnation de produitsdans la masse, recouvrement de surface, additifdans les colles pour les produits dérivés du bois.Ces techniques varient donc selon le type de matériau et aussi en fonction du classementdésiré, du type de mise en œuvre, etc.

Les produits imprégnés dans la masse par autoclave vide et pressionDans un autoclave, les bois sont imprégnés de solutions retardant la flamme (fig.2). Les produits à base de phosphate – largementemployés – offrent une protection lors d’unincendie pour la durée de service du matériau. Il est indispensable de bien (re)sécher lesmatériaux afin que les produits de constructionsoient en conformité avec l’usage qui en est fait.Les classements de réaction au feu des produitsde construction ont évolué depuis quelquesannées: le classement M (NF P92-5013) a été abandonné au bénéfice des Euroclasses(EN 13501-14). Ce dernier classement prend en compte le comportement au feu du produitlui-même et de son système constructif. On peut ainsi atteindre les Euroclasses C-s1,d0(assimilable à M2) ou bien B-s1,d0 (assimilable à M1) pour du bois ignifugé.

Les revêtements intumescentsLes revêtements intumescents (produits de recouvrement de surface dont l’objectif est de retarder la progression du feu) sont des vernis ou des peintures. Ces produits ont évolué très largement ces dernières années:plus efficaces, plus esthétiques, ils sontdésormais translucides avec de plus faiblesquantités et peuvent convenir, quand ils sontopaques, pour l’extérieur. C’est le seul moyen de modifier la résistance au feu du matériau, en plus de sa réaction. Ces produits permettentde modifier les temps de tenue des éléments en bois lors d’un incendie, jusqu’à une heure(fig.3).

Les additifs aux mélanges collantsDes additifs ignifuges sont incorporés lors de lafabrication des panneaux de type OSB, de fibreset de particules. Ces additifs sont généralementinclus dans les mélanges collants.

Réaction au feu / résistance au feu /réglementation

Le bois jouit d’une bonne tenue au feu par rapport aux autres matériaux. En effet, il transmet moins vite la chaleur que le béton,l’acier ou l’aluminium. En outre, lors de sa combustion, ce matériau lignocellulosique met en place une sorte de système d’autodéfense – le charbonnage –, qui repousse les limites de la combustion. Le charbon constitué en surface protège le cœur; il ralentit sa dégradation et donc son effondrement.

Cependant, quand les structures des monumentssont restaurées, et qu’il peut être nécessaire desatisfaire à de nouvelles contraintes de protectioncontre le feu, des questions de performance se posent: soit la structure est capable par sonseul dimensionnement d’origine de satisfaire à la contrainte, soit il est nécessaire d’appliquerun vernis intumescent. L’application d’un systèmeintumescent en phase aqueuse qui protège le bois en gonflant avec l’élévation de températureaugmente la résistance au feu. C’est un bouclierthermique.

Par exemple, lors d’un chantier de réhabilitationd’un immeuble parisien, afin de répondre à des exigences réglementaires5 très restrictives,il a été proposé l’application d’un produitignifuge6 sur l’ensemble des poutres et solives en plancher haut, permettant de conserver la structure apparente des planchers en bois. Des essais sur des poutres et des poteaux (avec des critères spécifiques: section / massevolumique / charge / nombre de faces vues) ontété conduits et donnent lieu à un procès-verbaldu Centre scientifique et technique du bâtiment(CSTB) de résistance au feu (essai réalisé selon la norme EN 13501-2 +A17). La quantité de vernisintumescent – translucide et mat – permetd’accroître les temps de résistance au feu. Des résultats ont été obtenus jusqu’à 45 minutespour des planchers et des murs, jusqu’à60 minutes pour des poutres et des poteaux.Concrètement, cela traduit le fait que lors de l’incendie, les surfaces et les structures ont conservé leur propriété durant 45 minutes (ou 60 minutes).

À la suite de ces essais, un système de revêtementde protection ignifuge PV 33 intumescent, utilisé avec la couche de finitions F3 Top coat(Woodenha Industries), a été appliqué sur les structures bois parallèlement à unremplissage entre les solives avec un plâtreignifugé projeté des établissements Placo, le Lutèce® Feu 400 (fig.3).

De plus, l’application de ces vernis améliore la réaction au feu, et le support peut alors êtreclassé Euroclasse B. Dans bien des cas, le contextenormatif – en particulier la logique de la sécuritépassive contre l’incendie qui se concentre sur les personnes plus que sur les biens – et le coûtfinancier d’une telle application n’imposent pasune utilisation systématique de ces techniques.En revanche, l’intérêt de la conservation du patrimoine, et l’enjeu qu’il suggère, peutdans certains cas changer la vision de la pertinencede ces produits.

Il faut cependant garder à l’esprit que l’applicationde produits «modernes» sur du bâti ancien resteune question déontologique, la justification de l’emploi de produit sur ce type de bâtimentdoit nécessairement être apportée.

Ces produits chimiques sont autorisés sur le marché en Europe, ce qui est gage de leurprofil environnemental. Aucun des produits les composant ne font partie de l’annexe XIV de la directive REACH8. Par ailleurs, il fautégalement faire la distinction entre une substancechimique concentrée et son application sur un autre produit ou matériau. Le matériau traité,en l’occurrence le bois, présente encore moins de risques que la substance elle-même.

J.-B. A.

1. La résistance au feu estl’aptitude à la conservation des propriétés du produit durantun incendie.

2. La réaction au feu définit la contribution et la propagationà l’incendie du produit.

3. NF P92-501: Sécurité contrel’incendie – Bâtiment – Essais de réaction au feu des matériaux –Essai par rayonnement applicableaux matériaux rigides ou rendustels (matériaux de revêtementcollés) de toute épaisseur et auxmatériaux souples d’épaisseursupérieure à 5 mm.

4. EN 13501-1: Classement au feu des produits et éléments de construction – Partie 1 :classement à partir des donnéesd’essais de réaction au feu.

Figure 4

Fonctionnement d’une finition intumescente.© Woodenha Industries.

Figure 1

Le schéma du triangle du feu.© Woodenha Industries.

5. www.sitsecurite.com

6. L’ignifugation (protection du bois permettant de diminuersa capacité à s’enflammer et àpropager l’incendie) ne modifiepour ainsi dire pas la résistance.

7. EN 13501-2 +A1: Classement au feu des produits et éléments de construction – Partie 1 :classement à partir des donnéesd’essais de résistance au feu. Cette norme comporte un amendement (A1).

8. Directive REACH (Registration,Evaluation, Authorization and Restriction of Chemicals) :règlement de l’Union européenne adopté pour mieux protéger la santé humaineet l’environnement contre les risques liés aux substanceschimiques et son annexe XIV sur les substances préoccupantes.

2.

3.

Ci-contreFigure 2Traitement ignifuge du bois dans un autoclave.Ph. Jean-Jacques Bernier. © Woodenha Industries.

Figure 3Poutres du plafond du showroomEmpreintes (Paris IIIe), protégéesavec le système de résistance au feu intumescent PV33.Ph. Cyrus Cornut. © Nabil HamouniArchitecture et César Vabre Architecture.

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111Le bois, état des connaissances, diagnostic, traitements et conservation110 monumental 2017 Laboratoire / Recherches

Lors de la conception et de la réalisationdes structures, l’assemblage descomposants joue un rôle essentiel entermes de durabilité et de fiabilité des ouvrages d’art. Les avancées quant à l’étude et à l’analyse de la fissuration au sein des matériaux ont mis en évidence des inconvénients à l’utilisation destechniques traditionnelles (clouage,boulonnage), car elles sont aussi à l’originede la rupture de structures du fait deconcentrations de contraintes localisées.Ainsi, de nouvelles techniques, telles que le collage structural, ont pu voir le jour etpermettre de réduire l’impact de ces effetspénalisants, pour peu que le processus soit maîtrisé (mélange collant, bullage,dégraissage…).

Parmi les avantages les plus reconnus, le collage structural offre, d’une part, une meilleure transmission et répartition des efforts à l’interface, et, d’autre part, de conserver l’intégrité des pièces assemblées.

La mise en œuvre des goujons collés repose sur cette technologie. Utilisée à des fins de renforcement ou d’assemblage, elle consiste à transférer les efforts entre les différentes pièces.Après perçage des éléments en bois, des tiges en acier ou en composites renforcés sont inséréesdans les pièces de bois et collées à l’aide derésines structurales de type époxy, polyuréthaneou phénol-résorcinol-formaldéhyde (PRF). La qualité mécanique de l’assemblage dépend alors des matériaux employés, de leurcompatibilité, mais aussi de leur mise en œuvre.Si ces conditions sont réunies, le joint de colle ne devient plus une faiblesse et la rupture estlocalisée soit dans le bois, soit dans la tige d’acier.

Le développement des recherches portant sur les goujons collés a commencé dans les années 1980. Cependant, l’absence de réglementation commune est aujourd’hui un frein à son utilisation. L’enquête menéeauprès des professionnels et experts en vue de l’introduction de cette technologie dansl’Eurocode5 (règlementation bois européenne) a néanmoins révélé des attentes et des lacunesparticulières vis-à-vis des connaissances sur le comportement des assemblages multitiges, le choix des adhésifs, le comportement à longterme du collage lié aux conditions ambiantes de température et d’humidité (fluage et durée de vie), la tenue au feu, le comportement en zonesismique et les méthodes de contrôle de qualité.

Principe et domaines d’utilisationApparus en 1973, puis mis en œuvre en 1979,dans le cadre du projet de rénovation dumonastère de la Grande Chartreuse (Isère), les assemblages par goujons collés ont vu le jourdans le domaine de la restauration. Cetteméthode d’assemblage repose sur la technologiedu collage structural ; le principe consiste à fairetransiter les efforts entre deux éléments destructure via des tiges collées (perçages + collagesau sein des deux éléments ; fig.3a et 3b).

Ils peuvent servir à réaliser des assemblages de continuité (poutre-poutre), transférer des moments d’encastrement (poteau-poutre),réaliser des jonctions de fermes (arbalétrier/entrait) ou encore assurer des ancrages en pied de poteau, par exemple. Particulièrementappréciés originellement pour rénover les monuments historiques, ils gagnentaujourd’hui le marché de la construction neuve et séduisent tant par leurs qualitésmécaniques qu’esthétiques:

> remplacement a minima d’éléments dégradés (préservation de l’existant) ;> grande rigidité et résistance;> résistance au feu (protection de l’assemblage par les pièces de bois) ;> taux de travail élevé des sections de bois sollicitées ;> mise en œuvre possible parallèlement au fil du bois (aboutage) ;> atout esthétique (dissimulation destransmetteurs d’efforts au cœur du bois) ;> préfabrication en atelier (standardisation des liaisons).

Les matériauxDans la conception, il faut porter une attentionparticulière aux trois matériaux principalementutilisés que sont le bois, l’acier et l’adhésif. Les éléments de bois peuvent être massifs ou reconstitués (bois lamellé-collé, LaminatedVeneer Lumber, Cross Laminated Timber), à partir de différentes essences. Les études scientifiquessont axées majoritairement sur l’usaged’essences résineuses alors qu’en restauration ce sont principalement des bois feuillus de hautedensité, tels que le chêne ou le châtaignier, qui sont retenus, pour des raisons historiques.

Les goujons au sein de ces assemblages sont le plus souvent des éléments en acier, pour leurrésistance et leur capacité de comportementductile. Afin d’ajouter un ancrage mécanique et de diminuer les problèmes d’adhésion, lesgoujons sont fréquemment constitués de tigesfiletées, la surface de contact entre les deuxmatériaux en étant augmentée. Une autresolution consiste à recourir à des tiges en polymèrerenforcées par des fibres de verre ou de carbone.Les principaux avantages qui en résultent sontun meilleur ratio poids/résistance par rapport à celui de l’acier et une bonne résistance auxphénomènes de corrosion. Mais le coût élevé et le mode de rupture «fragile» (c’est-à-dire une rupture en phase élastique [relation linéaireet réversible entre force et déformation] sanssignes annonciateurs de cette rupture, paropposition à un mode de rupture ductile, où uneplus grande capacité de déformations, au-delà de la limite élastique [limite à partir de laquelle il n’y a plus de relation linéaire entre force et déformation], est observée), inhérent à ce typede matériau, sont des freins à leur utilisation.Employés principalement au Japon, les goujonspeuvent enfin être réalisés à partir de bois durs.Plus économique que les goujons en acier, cette solution a pour avantage de minimiser la différence de rigidité et de comportemententre les différents matériaux de l’assemblage. La résistance des goujons est néanmoins plusfaible et le mode de rupture «quasi fragile».

L’adhésif assurant la transmission des effortsentre les bois de structure et les goujons, le collage doit être efficace aussi bien avec le boisqu’avec les tiges et le joint doit tolérer lesdifférences de rigidité des différents matériaux.Trois types d’adhésif existent pour réaliser cesassemblages: les colles phénol-résorcinol-formaldéhyde (PRF), les résines époxy (EPX) et lescolles polyuréthanes (PUR). La rupture est ainsigénéralement localisée dans le bois, à l’interfacebois/adhésif, ou encore dans l’acier.Comparativement aux adhésifs de type PRF etPUR, les adhésifs de type EPX créent des jointssouvent plus résistants. Ces joints sont peu sensibles à l’humidité, ont une bonne affinité avec de nombreuxmatériaux et n’émettent aucun composé lors de la polymérisation, ce qui limite l’apparitionde bulles.

La mise en œuvre Le processus de fabrication des assemblagesnécessite une attention particulière ainsi qu’un plan de suivi de contrôle de qualité afin de garantir la performance attendue1. Il n’existeà ce jour aucune méthode de contrôle reconnue. La première méthode de mise en œuvre consisteà remplir le perçage avec un adhésif puis à insérerle goujon avec un mouvement de rotation afind’obtenir un joint le plus homogène possible. La seconde consiste à injecter l’adhésif directementen fond de perçage du goujon par une petitecheminée perpendiculaire à la pièce de bois à assembler. Le centrage du goujon sur son axe de percement est assuré par des bagues de centrage et /ou un perçage de faibleprofondeur au fond du trou et au diamètre de la tige (recours à un foret étagé).

Les modes de ruptureLa figure 4 illustre les différents modes de rupture qui se rencontrent dans unassemblage par goujons collés. Deux types de rupture2 peuvent se produire, celle de typecohésive, interne aux matériaux (colle, bois ou acier), et celle de type adhésive (localisée auniveau des interfaces bois/colle ou colle/acier).

Selon le mode de rupture et la nature desmatériaux, le comportement de l’assemblagepeut alors être considéré comme fragile ou ductile.

Les paramètres influentsDifférents paramètres tels que la géométrie(diamètre du goujon, longueur d’ancrage, règles de pinces, épaisseur du joint de colle…), les matériaux constitutifs (résistance, rigidité, fluage, dépendance à la température et à l’humidité…) ainsi que le type de chargementet les conditions aux limites (traction,compression, flexion, durée de chargement…)entrent en jeu dans le comportement del’assemblage. Parmi les formulations théoriquestentant d’appréhender le comportement desgoujons collés, on distingue l’approche élastiquelinéaire développée par Olaf Volkersen,l’approche via la mécanique linéaire élastique de la rupture et l’approche via la mécaniquenon linéaire de la rupture (théorie de Volkersengénéralisée par Per Johan Gustafsson). Les nombreux projets nationaux et européens de ces trente dernières années ont conduit à diverses formulations tentant de prédire la résistance de ces assemblages mais aucunerègle de dimensionnement harmonisée n’existe, à ce jour, du fait du grand nombre de paramètresen présence.

Longueur d’ancrage / diamètre /épaisseur de joint / angle du filLa longueur d’ancrage et le diamètre sont deux paramètres déterminants qui influencentla conception même de l’assemblage (charges et modes de ruine, règles de pinces). Dans la littérature, leur prise en compte se fait de manière isolée ou alors couplée. La résistancede l’assemblage augmente avec la longueurd’ancrage et la surface de collage. L’ensemble desétudes tend à montrer une relation non linéairedue à un profil de contrainte en cisaillement nonuniforme, un pic de contraintes au début et enfond d’ancrage et un ratio contrainte de tractiontransverse/ contrainte de cisaillement variable lelong du collage. Vis-à-vis du diamètre du goujon,les formulations empiriques ou théoriques de dimensionnement divergent encore.L’augmentation du diamètre occasionnenéanmoins une réduction des contraintes de cisaillement dans le joint ainsi qu’aux interfaceset un accroissement de la force à rupture . Les résultats montrent que c’est moinsl’épaisseur du joint de colle que sa formulationqui influe sur la performance de l’assemblage3.Cependant, un joint trop épais ou à l’inverse un joint trop fin conduisent à une baisse desperformances de l’assemblage (on estime qu’il doit être de 0,5 à 3 mm). La résistance en portance locale du bois étant liée à l’angleformé par la direction de l’effort à transmettre et par celle du fil du bois, l’orientation du goujonpar rapport au sens du fil apparaît comme étantun paramètre déterminant (résistance maximalede l’assemblage pour un goujon dans l’axe du fil et minimale pour un goujonperpendiculaire au fil).

Goujons multiples et règles de pinces Les phénomènes et mécanismes régissant le comportement de ces assemblages ont pu être appréhendés grâce à des études sur desconfigurations «monotige», mais elles necorrespondent pas à la réalité de mise en œuvrede ces liaisons, qui comptent souvent plusieursgoujons. Il existe des «effets de groupe», quel’on traduit ainsi : la résistance d’un assemblage à plusieurs goujons n’est pas égale à celle dumême assemblage avec une seule tige multipliéepar le nombre de tiges. Afin de se prémunircontre les risques de rupture «fragile» (rupture de bloc, fendage), les guides de mise en œuvre et les formulations théoriques de dimensionnement préconisent donc des règles de pinces4 (recommandations sur les distances à respecter entre les différentsgoujons et par rapport aux arêtes des pièces de bois ; fig.5).

À ce jour, très peu d’études ont été menées pour caractériser et comprendre les mécanismes de ruine (c’est-à-dire, lesmodes de rupture) dans ces configurations. Macroscopiquement, un comportement semblable à celui des assemblages monotige est observé avec

Le renforcement par goujons collés

Chapitre 3 Traitements et méthodes en conservation / restauration

Alain CointeMaître de conférences

Institut de mécanique et d’ingénierie (I2M)Université de Bordeaux

1. «Réparation et renforcementde structures en bois par des techniques de résines:recommandations pour la conception, le calcul et la réalisation, fédération de l’industrie bois construction /rbr», commission professionnelle,note no13, 2015, 43 p.

2. Gabriela Tlustochowicz, Erik Serrano et René Steiger,«State-of-the-art Review on Timber Connections withGlued-in steel Rods», Materialsand Structures, vol. 44, no5, 2011,p.997-1020.

3. João Custódio, JamesBroughton et Helena Cruz, «A review of factors influencingthe durability of structuralbonded timber joints»,International Journal of Adhesion and Adhesives, vol. 29, no2, 2009,p.173-185.

4. Tlustochowicz, Serrano et Steiger, op. cit.

Figure 1Poutre peinte greffée.Ph. Christophe Gomas. © PrennDiagnostic.

Figure 2Poutre enture broches.Ph. Christophe Gomas. © PrennDiagnostic.

1. 2.

Page 11: Le bois, état des connaissances, diagnostic, traitements et ...gfol1.merule-expert.com/download/MONUMENTAL_17_S2...l eray o n( t id) p um de 0,01 m (0,2 × 5/100) et la circonférence

Le renforcement par goujons collés112 monumental 2017 Laboratoire / Recherches

un comportement élastique dans une premièrephase, suivi d’une rupture quasi fragile. Des différences de raideur (pouvant aller jusqu’à50%) de chacune des tiges collées au sein de l’assemblage engendrent une distributionhétérogène des efforts (écarts de force de 15 à 20%).Cette hétérogénéité des efforts supportésimplique des taux de charge différents de chacundes goujons. Un goujon moins chargé provoquedes taux de charge potentiellement excessifsdans les autres goujons restants, pouvant conduire à la ruine de l’assemblage. Ce phénomène sera amplifié avec les défauts de mise en œuvre (collage, centrage, alignement,pente de fil), les différences de propriétés desmatériaux ainsi que les variations de conditionsenvironnementales de service.

Humidité et températureCes assemblages sont mis en œuvre dans des conditions climatiques (humidité et température) variables qui influencent leur durée de vie. Le bois et l’adhésif, en effet,sont des matériaux soumis au phénomène de fluage (amplification des déformations au cours du temps en fonction de la duréed’application d’une charge constante). À long terme, les variations de température et d’humidité amplifieront ce phénomène de fluage, à l’origine de nombreux défauts(fissuration par exemple) et déformationssusceptibles de causer la ruine ou unedéformation excessive de ces assemblages. La technique des goujons collés est doncrecommandée pour des utilisations en classes de service 1 et 2 (définis par la norme EN335;intérieur ou sous abri). Contrairement auxadhésifs PUR et PRF, il est constaté une faibledépendance des résines EPX à l’humidité, à court terme comme à long terme, en dessous de 22% d’humidité dans le bois, toutefois. Pour des taux d’humidité d’équilibre supérieurs,la résistance diminue tout de même et lorsd’expositions à des variations de climat sur le long terme, on peut même constater des pertes de résistance s’élevant jusqu’à 50% de la résistance obtenue à court terme. Lors de la prise d’humidité, les déformationss’accentuent, tandis qu’elles diminuent auséchage. Les essais montrent qu’une phase de séchage suivie d’une reprise rapided’humidité affecte la durée de vie. De même,lors d’une forte phase de séchage, une amorce de fissure en début d’ancrage et un endommagement (perte de résistance) sont mis en évidence.

En revanche, quel que soit le type d’adhésif, une sensibilité à la température est clairementidentifiée. Ces colles (EPX et PUR) sont donccertifiées par les fabricants, sans réellejustification, jusqu’à une limite de températurede l’ordre de 50°C. Cette température est biensouvent en dessous de la température de«transition vitreuse Tg», au-delà de laquelle les adhésifs passent d’un état «solide» à un état

plus «visqueux», afin de se prémunir contre les pertes de résistance et de rigidité. Cette Tg ne semble pourtant pas être unindicateur pertinent et suffisant pour préconiserdes plages d’utilisation sécuritaires. Les assemblages par goujons collés exposés à la chaleur démontrent de fortes pertes deraideur et de résistance dès 40°C lors de tests à l’arrachement5, alors que la Tg est de 69°C pour l’EPX et de 86°C pour la PUR utilisées lors des essais (fig.6).

Le phénomène de glissement des assemblagespeut être à l’origine de problèmes de stabilité des ouvrages, s’il n’est pas pris en compte. On observe par exemple une prise de flècheexcessive des éléments structuraux. L’impact surla conception des assemblages est d’autant plusfort que le degré d’hyperstaticité de la structureest élevé à cause de la redistribution des effortsdans la structure en cas de glissement de certainsorganes, potentiellement dangereux vis-à-vis des états limites ultimes et de service (les vérifications définies réglementairementpour vérifier la résistance et la déformation). Les deux adhésifs EPX et PUR montrent unegrande différence de rigidité. Pour l’EPX, plusrigide, une chute brutale du module d’élasticitéest observée à partir de 50°C, tandis qu’elle estplus progressive pour l’adhésif PUR. Des essais de traction sur ces adhésifs ont mis en avant de fortes pertes de raideur et de résistanceconjointement à l’élévation de la température. À 50°C, les assemblages ont perdu plus de 40% de leur résistance6. Le mode de rupture est d’ailleurs modifié, passant d’une ruptureadhésive localisée à interface bois-colle à unerupture cohésive (dans l’adhésif) proche du goujon. La raideur, quant à elle, est aussifortement affectée, avec des chutes respectives de plus de 40% et de 85% pour les adhésifs PURet EPX entre 20°C et 70°C7 (fig.7a et 7b).

Utilisés aussi bien en restauration qu’enconstruction neuve, les assemblages par goujonscollés présentent de nombreux avantages. On retiendra notamment leurs grandes résistanceet rigidité, atouts majeurs en renforcement et pour la réalisation de constructions trèshautes, sans oublier leur indéniable qualitéesthétique (assemblages dissimulés). Pourtant,les divergences pour ce qui est des formulationsde dimensionnement, la diversité decomposition chimique des adhésifs employés, la sensibilité aux variations de température et d’humidité et ses conséquences sur la tenue à long terme (fluage, durée de vie) de cesassemblages nécessitent encore des travaux de recherche indispensables à leur bonne mise en œuvre, afin d’éviter de futures pathologies.

A. C.

Chapitre 3 Traitements et méthodes en conservation / restauration

Figure 5 b

Préconisations de règles de pinces.Doc. Alain Cointe

Goujons parallèles au fil du bois prEN 1995 : 2001 DIN 1052  : 2004 STEP 1 Guide professionnel français

a 1 4 d 5 d 2 d 3 d

a 2 2,5 d 2,5 d 1,5 d 2,5 d

(d) = diamètre du goujon

5. Mathieu Verdet, «Étude du comportement à long termede systèmes d’assemblages pargoujons collés en conditionsclimatiques variables», thèse de l’université de Bordeaux et l’université Laval (Québec),2016, 151 p.

6. Julie Lartigau, «Caractérisationdu comportement des assemblagespar goujons collés dans les structures bois», thèse de l’université de Bordeaux, 2013,180 p., et Verdet, op. cit.

7. Verdet, ibid.

Figure 6

Évolution du module de Young des adhésifs en fonction de la température.

Module de Young (MPa)

Température (°C)

EPX

PUR

Figures 7 a et 7 b

Courbes force-déplacement de deux adhésifs en fonction de la température5.Documents Mathieu Verdet.

Charge (N)

Glissement (mm)

Figure 4

Modes de ruine: a) rupture à l’interface bois/adhésif ; b) rupture cohésive dans le bois ; c) arrachement par bloc ; d) rupture par fissuration; e) rupture cohésive du goujon2.Doc. G. Tlustochowicz, E. Serrano et R. Steiger.

Figure 5 a

Schéma de définition des règles de pinces2.Doc. G. Tlustochowicz, E. Serrano et R. Steiger.

Figure 3 a

Schéma (3a)5 et exemple (3b) de réalisation de goujons collés.Documents Mathieu Verdet

Figure 3 b

a2

(a) (b) (c) (d)(e)

a1 a1 a1 a2

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a2

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