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  • 1. Dfinition de lautonomieretenue par le CECRL ( 6.3.5.,p. 110), issue entre autresdes travaux de Holec, 1981 ;Dickinson, 1987 ou Little, 1991.2. Sur ces questions, on peutse reporter lensemblede ce numro de juillet 2009du Franais dans le monde /Recherches et applications.

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    LE FRANAIS DANS LE MONDE / JUILLET 2011

    L AUTONOMIE :UN OBJECTIFDE FORMATION

    FRANCIS CARTONCRAPEL/ATILF, CNRS/UNIVERSIT NANCY 2

    En didactique des langues, lautonomie de lapprenant de langue faitpartie des concepts qui circulent lchelle mondiale depuis quelquesdcennies. Issu du mouvement des ides visant la promotion de lindi-vidu dans les annes 1960 (approche centre sur la personne chez CarlRogers, ducation conue comme conscientisation et libration de lin-dividu chez Paulo Freire), il sintgre ensuite en Europe dans unedidactique des langues qui vise mettre au premier plan la centrationsur lapprenant. Les experts pour les langues du Conseil de lEuropelont constamment incorpor dans leurs propositions, jusquau CadreEuropen Commun de Rfrence pour les langues, publi en 2001, dontle succs auprs des dcideurs, des chercheurs en didactique et desenseignants de langue en Europe et dans le monde est remarquable.Il nen reste pas moins que les dispositifs dapprentissage qui visentlautonomisation des apprenants ( savoir le transfert vers lapprenantdes dcisions relatives son apprentissage1), mme sils se rpandentde plus en plus, restent le plus souvent perus comme des innovations,en Europe comme ailleurs. Ainsi, la recherche Culture denseignementculture dapprentissage (http://ceca.auf.org/) montre assez largementlomniprsence de la figure de lenseignant comme acteur qui dirigelapprentissage.La circulation interculturelle des ides implique quune ide dvelop-pe dans un contexte culturel donn et exprime dans une langue se dif-fuse dans un autre contexte et dans une autre langue : ces ides sontacceptes, dbattues, transformes, reconstruites, en fonction des rac-tions et rsistances quelles suscitent dans des contextes diffrents (Liddicoat A.J., Zarate G., 2009, p. 122). Pour problmatiser la faon dontlide dautonomie sincarne ou peut sincarner dans tel ou tel environ-nement, il est utile de la cerner thoriquement de manire prcise, et derappeler les raisons qui la justifient tout en en questionnant la porte universelle. La prsentation rapide dun outil dapprentissage (EPCO)permettra de montrer comment il est possible dassocier formation

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  • 3. Il existe une troisimeacception du terme autonomieau sein des expressions autonomie langagire , autonomie communicative ,o lautonomie se dfinitcomme une comptenceefficace en langueou en communication.

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    apprendre et apprentissage dirig par lapprenant, et de montrer com-ment son application sur le terrain fait apparatre la complexit, la multi-plicit des paramtres institutionnels, culturels et didactiques, imbriqusles uns aux autres et mis en jeu autour du concept dautonomie.

    A utonomie, apprentissage auto-dirig,apprentissage htro-dirig

    Ce qui complique les choses, cest que le terme autonomie continuedans les usages ntre pas toujours bien clarifi. Il reoit en effet deuxacceptions diffrentes3 : 1. la capacit prendre en charge son apprentissage (dfinition duCECR): il sagit dune comptence de lapprenant ; 2. un apprentissage ralis en dehors de la prsence dun enseignant : ilsagit dune caractristique du dispositif denseignement/apprentissage. Lambigut est ici : une mthode, un CDRom, un site Internet, qui per-mettent un apprenant dapprendre une langue sans enseignant, maisqui sont prescriptifs, ne visent pas dvelopper lautonomie de lappre -nant au sens 1. Le choix des objectifs, des ressources, des processus estdtermin lavance par lenseignant, le concepteur de la mthode oudu logiciel dapprentissage. Certains outils dapprentissage relevantdes TIC se trouvent aux antipodes de la notion de lautonomie (en tantque capacit de lapprenant) : la technologie de lordinateur ne gnrepas ncessairement des apprentissages autonomes (Villanueva M., 2006).Il est donc plus clair, si lon souhaite qualifier un dispositif dapprentis-sage sous langle de lautonomie, de recourir aux expressions appren-tissage htro-dirig (le choix des objectifs et des ressources dpendde linstance de formation) et apprentissage auto-dirig (cest lappre-nant qui prend ces dcisions). Relvent ainsi de lhtro-direction des exercices faits par llve lademande de lenseignant, la maison ou dans un centre de ressources,ou encore lapprentissage partir dune mthode qui ne laisse pas delibert de choix lapprenant. De la mme manire, un cours indivi-duel, en face face ou distance, est htro-dirig si cest lenseignantqui dcide, mme sil prend ces dcisions en prenant en compte lesspcificits de son lve apprenant. Relvent de lauto-direction des dispositifs qui conduisent lapprenant organiser son activit dapprentissage. Celui-ci nest pas organis lavance, lapprenant dveloppe son apprentissage en le dirigeant lui-mme : dfinir ses objectifs ; grer lapprentissage (rythme, dure,lieu) ; choisir des supports et des tches dapprentissage ; valuer lesacquisitions (modalits et critres) et la manire dont lapprentissagesest droul.

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    Dans la ralit, naturellement, la distinction entre htro-direction etauto-direction nest pas aussi binaire : les dispositifs dapprentissagesont plus ou moins htro-dirigs, plus ou moins auto-dirigs, et cepour chaque type de dcision prendre. Par exemple : dans un enseignement distance, lapprenant a la possibilit de dci-der quand et o il travaille. Il est autonome quant la gestion du lieu,du moment et du rythme de son apprentissage, mais il na pas dautrechoix de dcision si les objectifs, les supports, les activits, les modesdvaluation lui sont fixs : sur ces derniers aspects, son apprentissageest htro-dirig. dans les formations en entreprise, les apprenants sont seuls ou engroupes. Il arrive souvent quils dfinissent en coopration, ou en col-laboration avec lenseignant ou avec linstitution leurs objectifs dacqui-sition, les contenus, lorganisation du travail, les formes et les critresdvaluation. Dans ce cas, les dcisions sont prises en commun. lutilisation des grilles dauto-valuation labores partir du CadreEuropen Commun de Rfrence pour les langues conduit llve valuer ses savoirs et ses savoir-faire, mme sil reoit par ailleurs unenseignement prescriptif. On voit que les choix relatifs lapprentissage peuvent tre faits par lapprenant seul, par un groupe dapprenants, en collaboration/ ngociation/concertation avec lenseignant ou linstitution. De plus,pour chaque type de dcision prendre (objectifs, supports, tches,valuation), le degr dauto-direction peut voluer dans le temps, enpassant progressivement de choix effectus par lenseignant deschoix effectus par les apprenants. Toutes les variations sont possibles. Tout dispositif denseignement/apprentissage peut donc tre plus oumoins htro-dirig, plus ou moins auto-dirig, en fonction de la partde libert donne celui qui apprend (ou que celui-ci soctroie). Plus ledispositif est htro-dirig, moins lapprenant dcide des conditions deson apprentissage. Plus il est autodirig, plus lapprenant partage etassume les dcisions relatives son apprentissage.

    A pprendre apprendreLa capacit prendre en charge son apprentissage de langue nest pasinne, elle doit sapprendre : lautonomie est un objectif de formation,quil faut prendre en charge pdagogiquement si on dcide de la pro-mouvoir (apprendre apprendre).Prenons lexemple des centres de ressources en langues, qui se prsen-tent comme des mdiathques, et o il est possible de regarder un film,lire une revue, couter une chanson, participer un blog, prendre desnotes sur un cours universitaire enregistr, chercher de la documentation

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  • sur Internet, etc., autant de contacts utiles avec des langues trangres.Mais si telle personne souhaite utiliser le centre de ressources demanire pouvoir couter ou lire avec plus defficacit, crire ou parlerde manire plus satisfaisante, il faut quelle soit capable de choisir desactivits adaptes et des supports de travail adquats. Cest pourquoiles responsables de centres de ressources qui souhaitent que les usagersy apprennent mieux par eux-mmes mettent en place divers moyens deformation lautonomie : stages, livret, entretiens de conseil, accompa-gnement des apprenants (en prsentiel ou distance), documents desoutien, fiches pdagogiques, catalogage pdagogique des supportset matriaux, De la mme manire, face aux ressources offertes par les technologiesde linformation et de la communication, il savre que laide lappren -tissage est indispensable (mme si lon constate que, de plus en plus,certains utilisateurs de technologies comme lordinateur ou le contextemultimdia dveloppent des capacits dapprentissage : Loiseau Y.,Roch-Veiras S., 2006). Le plus souvent, les apprenants ignorent lexis-tence des possibilits et des outils, ou ne savent pas sen servir (Kilgariff A., Grefenstette G., 2003). Mme sils se dterminent desobjectifs dappren tissage conscients, ils manquent des comptencesqui leur permettent didentifier les documents ncessaires (ceux-ci nesont dailleurs pas toujours adaptables ce quils veulent en faire). Laide lapprentissage en autonomie ne consiste pas prendre lesdcisions la place de lapprenant, puisque lon souhaite quil en soitresponsable : elle lui suggre les moyens par lesquels il pourra enprendre le contrle, cest--dire quil sache faire des choix prpars etpertinents quant ses objectifs dapprentissage et lorganisation decelui-ci.Voici, titre dexemple, une activit utilise par les formateurs du CRAPEL/ATILF pour aider des enseignants effectuer une transition de leurfonction traditionnelle de transmetteurs de savoirs vers un rle nou-veau, celui de promoteur de lautonomie des apprenants. Il sagit, aprsrflexion individuelle ou collective, de discuter sur les alternatives sui-vantes du comportement de lenseignant en salle de classe :

    Fixer les objectifs v Solliciter des informations sur les besoins, les envies

    Dterminer le contenu du cours v Donner des informations, clarifier

    Choisir les matriaux v Suggrer des matriaux

    Choisir le moment, lendroit, le rythme v Aider la gestion de lapprentissage

    Choisir les activits dapprentissage v Suggrer et analyser des tchesdapprentissage

    Grer les interactions dans la classe v couter, ragir

    Commencer, dmarrer v Interprter des informations

    Grer la situation dapprentissage v Fournir du feed-back, reformuler

    Donner des devoirs v Prsenter des matriaux, des activits dapprentissage

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  • 4. C. Puren (2004, p. 244)propose un modlede ce genre pour rflchiraux relationsentre les mthodologiesdenseignementet les mthodologiesdapprentissage.

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    Expliquer v Proposer des procdures diffrentes

    Corriger, noter v Proposer des outils etdes moyens dvaluation

    Tester v tre positif

    Rcompenser, sanctionner v Encourager

    v

    Un enseignant qui adopte les comportements de la partie droite de cetableau forme ses lves devenir autonomes : il transmet moins sonsavoir que son expertise didactique, pour les rendre capables deprendre les dcisions constitutives de leur apprentissage4. De la mme manire, les Portfolios Europens des Langues (PEL) visentla formation lautonomie dans leurs trois volets (la partie auto-valua-tion ; la rflexion sur lapprentissage suscite par la rdaction de la bio-graphie langagire ; la slection des matriaux qui servent illustreracquis et expriences pour le dossier). La formation lautonomie doit permettre lapprenant de passerdune culture dans laquelle il se fait enseigner une culture danslaquelle il prend en charge les dcisions relatives son apprentissage.Apprendre apprendre met laccent sur la rflexivit, la mise dis-tance, le retour sur les stratgies mises en place ( quoi sert cet appren-tissage ? Quest ce que jai appris ? quoi sert ce que je fais quand jepratique tel exercice ? Est-ce que je my prends bien pour apprendre ?).Elle conduit lapprenant prendre davantage conscience du processusdapprentissage dans lequel il se trouve, identifier son propre stylecognitif, prendre conscience de ses manires dapprendre et deschoix qui lui conviennent le mieux, et dvelopper ses propres strat-gies dapprentissage. Apprendre apprendre suppose aussi le perfec-tionnement de la culture langagire (par exemple ce quest parler, lire,couter ; ce quest le lexique, la grammaire, loral, lcrit), de la culturedapprentissage (par exemple les diffrences entre acquisition etapprentissage, ce quest lvaluation), et de la culture mthodologique(par exemple comment dfinir un objectif dapprentissage, commentslectionner un support, une tche dapprentissage) (Holec H., 1998,p. 225 et suivantes). Pour dfinir une formation lautonomie, il faut rpondre aux questionssuivantes : quels sont les savoirs et savoir-faire constitutifs de la capa-cit apprendre ? Quelle est la liste des dcisions qui incombent lappre nant au moment de son apprentissage ? Comment faire acqu-rir cette comptence ? Lapprentissage de cette capacit apprendredoit-elle prcder lapprentissage lui-mme ou peut-elle tre acquisependant lapprentissage lui-mme ? Suivant le type de dispositif quelon souhaite mettre en place ( distance ou en prsentiel ; en groupeou en individuel ; autosuffisant ou destin sintgrer dans unensemble plus vaste), comment alterner les temps dapprentissage etles temps de rflexion sur lapprentissage ? Quelles formes peut

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  • prendre cette aide ? Suffit-elle quelle soit matrielle (documents ditsde soutien, conseil lectronique) ? Faut-il quelle soit humaine, en face face, distance (tlphone), mdiatise (Internet) ?

    L autonomie : pourquoi ?Voici prsent quelques raisons voques habituellement pour justifierle principe de lautonomie dapprentissage : 1. Lapprenant doit tre plac au centre de la construction de savoirs(ide issue des thories constructivistes) : ce nest pas lenseignementqui produit lacquisition, mais lapprentissage. Il en ressort que pluslapprenant est actif dans le processus, plus il prend en charge la res-ponsabilit de celui-ci, plus il y a de chances pour que lapprentissagese droule positivement. 2. Les apprenants sont tous diffrents, en raison de leur culture dap-prentissage, de leur pass ducatif, de leurs niveaux darrive et dedpart, de leurs besoins et de leurs objectifs personnels, de leur styledapprentissage et de leurs processus dacquisition, de leurs disponibi-lits mentales. Comme le dit L. Porcher, commentant Bachelard : onne saurait traiter pareillement chaque individu et une quelconque uni-formit serait simplement, sur le plan pdagogique, dpourvue desens (Porcher L., 2001, p. 29). Lenseignement de langues par sallesde classe, qui obit un cheminement identique pour tout le groupe,nest pas susceptible de rpondre cette htrognit. 3. Apprendre une langue, apprendre plusieurs langues, dvelopperune comptence plurilingue, cest laffaire de toute une vie. Un desrles de lcole et de luniversit consiste prparer les lves et lestudiants apprendre par eux-mmes, de manire viter quils soienttoujours tributaires des structures denseignement. Apprendre apprendre doit faire partie de lapprentissage des langues. 4. Savoir apprendre est une comptence transversale, un savoir agir.Dans la mesure o apprendre apprendre met au jour et perfectionneles stratgies et les procdures dapprentissage, il est probable quequelquun qui sait mieux apprendre une langue saura aussi mieux enapprendre dautres. 5. De nos jours, dans les pays dvelopps, les ressources et les sup-ports pour apprendre des langues sont disponibles partout. La tlvi-sion, les DVD, les logiciels dapprentissage, et par-dessus tout Internet,transforment et multiplient laccs des ressources en langue tran-gre. Des outils gratuits et en ligne sont crs des fins dapprentis-sage de langues. Laccs au cinma, la chanson, toutes sortes dedocuments crits, oraux, souvent plurilingues, ou des changes(forums, blogs), multiplie la possibilit daccs dautres langues.

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  • 5. Rsum dune descriptionfournie par Debaisieux J.M.dans son mmoiredHabilitation Dirigerdes Recherches (2008) :Linguistique descriptiveet didactique des langues.Dune cohabitation heureuse une collaboration effective.Voir aussi Debaisieux J.M.et Rgent O., 1999.

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    Chacun peut y accder tout moment, en tout lieu, dans des espacespublics ou privs ( la maison, en bibliothque, dans le train, sur ordi-nateurs et sur tlphones portables). Grce laccs souple et diversi-fi ces ressources multiplies et multiformes, une transition peutseffectuer entre des apprentissages en salle de classe et des appren-tissages en dehors de la salle de classe, la condition que les appre-nants sachent se servir de ces ressources. Ces constats et thories justifient le bien-fond de lide dautonomiedans le contexte culturel dont elle est issue, savoir les milieux socio-culturellement favoriss, et les pays europens et dAmrique du Nord.Si lon souhaite en interroger la pertinence dans dautres cultures etenvironnements, et si lon veut la rendre raliste et oprationnelle dansces contextes, il faudrait pouvoir mesurer comment ces diffrents argu-ments sont susceptibles dy tre reus et interprts, et comment ilspeuvent y prendre sens.

    couter pour comprendre (EPCO)5Comme on la vu, si lon souhaite mettre en place un apprentissage quivise lautonomie de lapprenant, il faut associer deux lments(Holec H., 1998, pp. 218-223) : dune part, le dveloppement de la capacit apprendre par soi-mme (objectif vis : lautonomie de lapprenant au sens 1) ; dautre part, la mise en place des moyens qui permettent celui quiapprend deffectuer son apprentissage en le dirigeant (un dispositifdapprentissage auto-dirig).La prsentation rapide dun outil multimdia dapprentissage, couterpour comprendre, va permettre dexemplifier ce que peut tre la combi -naison de ces deux caractristiques. Conu au CRAPEL/ATILF, il viselapprentissage de la comprhension orale de lallemand par des fran-cophones. Sur le mme modle ont t conus quatre autres CDRomsdestins aux francophones qui souhaitent amliorer leur comprhen-sion orale du polonais, du tchque, du hongrois, et aux locuteurs de cestrois langues qui souhaitent amliorer leur comprhension du franais. Le CDRom comporte deux parties : Les documents , La mthode .La partie Documents est constitue dune banque de donnesaudio et vido denviron 40 minutes consultables suivant diversesentres (thme, dure, genre, accent, registre, dbit). Durant le vision-nement, lutilisateur peut afficher tout moment un sous-titrage, le sup-primer, revenir sur un passage mal compris. Il a accs la solution desactivits, la transcription et la traduction du document, quil peutimprimer. Il ny a aucun valuateur : lapprenant compare ses rsultats la solution fournie, consultable tout moment, mme si lactivit na

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  • pas t acheve. Il peut prendre des notes sur les contenus et sur lafaon dont se passe lapprentissage sur un bloc-notes personnel, qui seprsente ainsi comme une sorte de portfolio, sur lequel il peut revenir tout moment. Un navigateur Internet permet en outre davoir accs des sites susceptibles de fournir dautres documents de travail. Les boutons de navigation, qui permettent de passer dune partie uneautre, sont trs importants. Ils doivent viter deux cueils : ne pascontraindre les parcours, de faon ce que ce soit lapprenant quidcide de ses choix, et en mme temps ne pas laisser lutilisateur sedcourager par une consultation de toutes les rubriques. La solutionpasse par un choix de liens hypertextes assez nombreux, qui permet-tent une navigation, mais qui vitent une errance trop importante. La partie Mthode prsente une srie de six modules qui procurentdes informations sur les paramtres en jeu dans le processus de compr-hension, et dans son apprentissage. Ils sont prsents en cercle sur lcrande faon ne pas imposer de parcours : Comprendre cest quoi (Comprendre tous les mots, Utiliser tous les indices, Traduire, Anticiper,Utiliser ce que vous savez dj) ; Choisir un document (O trouver desdocuments, Genre, Thme, Caractristiques des documents, Caractris-tiques de la langue) ; Connaissez-vous vous-mme (Visuels ou auditifs,Comprendre pour quoi faire, Vos mthodes, Votre propre diagnostic) ;valuer vos progrs (Pourquoi valuer vos progrs, Comment valuer vosprogrs, Choisissez vos outils dvaluation, Que faire quand vous ntespas satisfait ?) ; Comment travailler vos problmes (Moments de travail,Faire des exercices, Rpter des activits, Utiliser des activits, Prendredes notes, Que faire avec des documents, Utilisez ce que vous savez dj,Apprendre du vocabulaire) ; Vos problmes (Reconnaissance de mots, dephrases, Connaissance du vocabulaire, Interprtation, mmorisation, Pas-sages mal compris, Voix, accents, bruits. Concentration, fatigue).Lutilisateur a ainsi accs des apports conceptuels (qui visent laider modifier ou conforter ses reprsentations sur le processus de com-prhension et ses modalits dapprentissage) et des apports mtho-dologiques (qui visent la connaissance de techniques de travailnouvelles, la diversit des ressources possibles, quil apprend utili-ser par lui-mme). Quelques lments dvaluation, rapports par J.M. Debaisieux, per-mettent de mettre le doigt sur quelques-uns des enjeux apparus autourde cette innovation :Video im Deutschunterrich, conu suivant les mmes principes didac-tiques, et prdcesseur dEPCO, avait t financ par le Conseil rgio-nal de Lorraine. Celui-ci, finalement, et sans explications, a renonc distribuer loutil dans les tablissements scolaires. Lhypothse est quiltait trop diffrent des pratiques de linstitution. J.M. Debaisieux rap-porte ainsi une conversation informelle avec une Inspectrice rgionaledallemand, o il apparat que les explications donnes sur loutilallaient lencontre des convictions pdagogiques de celle-ci

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    (documents sous-exploits, activits grammaticales absentes, activitsde traduction ignores).Les utilisateurs dEPCO disent, entre autres points positifs, quils appr-cient la facilit de navigation, la prsence de documents authentiques,la pertinence des conseils pour apprendre, etc., mais rapportent deslments ngatifs qui semblent les dsaronner parce que nonconformes leurs reprsentations de ce quest un apprentissage delangues : labsence de travail spcifique sur le vocabulaire, le manquede points de grammaire, ou labsence dexercices tout faits. Un des utilisateurs ajoute que cet outil dapprentissage implique un effortimportant, quil exige beaucoup de la part de lapprenant : la situationdenseignement est beaucoup plus simple, mme si elle peut tre moinsefficace, puisquelle consiste faire ce que lon nous demande , dit-il.Ces lments confirment dautres analyses de dispositifs dapprentis-sage autonomisants (par exemple Berdal-Masuy F., Briet G., Pairon J.,2004 ; Bailly S. et al., 2007 ; Carton F., Ismail N., 2007). Il en ressort que ceux-ci apportent un gain : des apprenants plus res-ponsables, plus autonomes, plus chercheurs, plus indpendants, pluscritiques, plus engags, plus conscients, dous de capacits plusdurables ; des quipes de formateurs plus dynamiques ; la dcouvertede solutions didactiques originales. Ils ont aussi un cot : le cot de matriels dapprentissage diffrents des supports habituelsdapprentissage htro-dirigs, de la modification ventuelle de lastructure dapprentissage existante, et de la mise en place de laide lapprentissage vers les apprenants (formation lautonomie) ; le cot de formation pour les formateurs/conseillers ; le cot psychologique et social pour les institutions et les acteurs,puisque les changements de pratiques quinduit la vise autonomisantetransforment les rles des apprenants et des intervenants/enseignants. des difficults pour des dcideurs institutionnels, des formateurs et desapprenants, qui ne sont pas prts demble accepter et mettre enapplication cette innovation quest lauto-direction (changements de cul-ture, volutions de reprsentations, attitudes rflexives qui se trouventen contradiction avec lidologie ambiante de la rapidit et de leffica-cit, de la fascination pour le profit rapide et de limmdiatet digitale).Cependant, tout cadre denseignement/apprentissage peut tre plusou moins autonomisant, en fonction du degr de participation desapprenants aux dcisions relatives leur apprentissage. Lauto-directionpeut tre partielle ou totale, voluer dans le temps, ou en fonction desobjectifs dapprentissage. Elle peut aussi tre collective ou individuelle,pour certains lves et pas pour dautres, suivant leur choix. Elle peutprendre des formes trs diverses, mais tous, de la salle de classe auxcentres de ressources, des plates-formes collaboratives aux outils mul-timdias, en fonction de leur contexte, sont susceptibles dintgrer uneformation lautonomie.

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    F avoriser une conscienceet une comptenceplurilingue au Japon grce une dmarcheportfolio

    VRONIQUE CASTELLOTTIUNIVERSIT FRANOIS RABELAIS, TOURS E.A. 4246 DYNADIV

    Les socits contemporaines sont caractrises par laccroissement dela pluralit et de la diversit linguistique et culturelle, dans diffrentssecteurs dactivits et selon des degrs variables. Le Japon nchappepas cette tendance, mme si le phnomne y est sans doute moinsdvelopp que dans dautres lieux, et si les enjeux y apparaissent trsdiffrents de ceux quon peut identifier en Europe, notamment enmatire de politique linguistique. Dans cette configuration, on ne peut rflchir aux apprentissages lan-gagiers sans prendre en compte les dimensions politiques, idolo-giques, sociales, affectives, etc., qui les accompagnent, moins de neconsidrer les langues que comme de purs outils techniques.Apprendre des langues, ou plutt dvelopper et diversifier ses res-sources linguistiques, cest donc appartenir potentiellement desrseaux dchanges varis dans de multiples domaines, construire dulien social, saffirmer diffrent, vis--vis des autres et de soi-mme. Lla-boration, en Europe, dun cadre commun repose avant tout sur des pr-supposs de ce type : il nest pas seulement un outil technique ,mais il vient en appui au projet politique de construire une Europe lafois une et diverse, en proposant des orientations linguistiques et culturelles cohrentes avec ce projet.Il nest videmment pas question dadapter, ni mme de transposer cequi a t conu en Europe en fonction dune histoire et de finalitscomme celles-ci, un environnement comme celui du Japon, ou mmede lAsie de lEst, dont les caractristiques historiques, les enjeux go-politiques, les choix socio-conomiques, les traditions ducatives et lesrelations entre les tats sont dun tout autre ordre.

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  • 1. Plusieurs travaux ont abord diffrentes reprisesla question des difficultsdes apprenants japonais vis--vis de lapprentissagedes langues, et notammentdu franais (voir notammentChevalier, 2008a et b ; Pungier, 2006a).2. De nombreux Japonais sesont en effet installs au Brsil(en particulier Sao Paulo,voir http://www.ibge.gov.br/brasil500/japoneses/destinoimig.html) et au Prouet ce sont leurs descendantsque les autorits japonaisesincitent principalement revenir pour occuperles emplois non pourvus.

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    En revanche, on peut sans doute sinspirer de certaines formes derflexions ou de dmarches qua permis de susciter llaboration duCECR pour sinterroger, en fonction de caractristiques contextuellesdiverses, sur lenseignement des langues au Japon, qui fait lobjet dinsa -tisfactions rcurrentes1.Cest dans cette perspective que jexaminerai lintrt ventuel dedmarches de type portfolio pour lenseignement des langues auJapon, en particulier dans la perspective de construction dune comp-tence plurilingue.

    L e Japon, un espace plurilingue ?Il peut sembler paradoxal, a priori, daccoler les deux termes Japon et plurilingue . Pourtant, de nombreuses tudes ont soulign plu-sieurs reprises diffrentes formes de pluralit constitutives des dimen-sions linguistiques et culturelles mises en uvre au Japon (voir parexemple Denoon et al., 1996). Mais si Kat Shuichi a t ressenti, dansles annes 1950, comme un provocateur en mettant en lumire lhybri dit de la culture japonaise (Brock, 2003), cest sans douteparce que le Japon est peru (y compris par les Japonais eux-mmes)comme formant une socit profondment unifie et homogne, reje-tant hors du groupe le clou qui dpasse (LHnoret, 1997). Malgr ces rsistances, les effets de la globalisation y sont aussi pr-sents quailleurs et le fait de prendre conscience de la diversit de lasocit japonaise, en particulier sur le plan linguistique et culturel,apparat comme un enjeu important, notamment dans la perspectiveprvisible dun accroissement de limmigration dans les annes venir.Si jessaie de procder un tour dhorizon rapide des formes de plurilin-guisme quon peut y discerner, il semble que, comme dans dautres envi-ronnements, il soit possible de les regrouper en trois grandes catgories : des formes de plurilinguisme avec les langues trangres ensei-gnes : langlais, langue enseigne de manire obligatoire dans lesecondaire et dont il est envisag quelle puisse tre introduite dslcole primaire ; les autres langues enseignes (options dans lensei-gnement suprieur et dans quelques rares lyces privs) ; les languesdes pays voisins, en particulier le chinois, langue la plus enseigneaprs langlais, et le coren ; des formes de plurilinguisme lies aux migrations : avec les languesdAsie du Nord-Est, voire du Sud-Est (le coren, le chinois et, dans unemoindre mesure, le tagalog) ; avec le portugais et lespagnol (descen-dants de Japonais revenus du Brsil et du Prou, notamment du fait debesoin de main-duvre2) ;

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  • 3. Le japonais scriten associant principalementtrois types de graphies :les kanji (caractres hritsdu chinois), les hiragana(syllabaire transcrivantessentiellementles morphmes grammaticaux)et les katakana (autre syllabairetranscrivant les motsemprunts dautres langues).

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    des formes de plurilinguisme interne : avec des langues patri-moniales considres comme diffrentes (ainu, ryukyu) ; entre lesvarits (notamment rgionales) de japonais oral, qui sont souventreconnues et commentes de manire non pjorative; du fait du fonc-tionnement polygraphique du japonais3. Cette diversit habituelle pourrait contribuer dveloppper unecertaine aisance dans lapprentissage des langues, ce qui nest pasmajoritairement constat : lidologie homognisante occulte proba-blement cette capacit potentielle et empche les apprenants de sappuyer sur elle, de la mobiliser pour aborder de nouveaux appren-tissages linguistiques et sy projeter. On constate ici comme dansdautres environnements, en France notamment o lidologie mono-lingue est particulirement prgnante : ce nest pas tant la compositiondu rpertoire qui importe que la conscience quon en a et les projetsque cela permet de dvelopper. En outre, les traditions ducatives for-tement lies cette idologie renforcent linscurit des apprenants etleur incapacit prouver leurs possibilits et en tirer parti. Les dmarches de type portfolio pourraient prsenter lavantage derendre visibles leurs propres rpertoires aux yeux des apprenants, deleur faire prendre conscience, prcisment, des ressources dont ils dis-posent dj et de les motiver pour les activer et sinscrire ainsi dans unparcours dappropriation pluriel et diversifi. Lappui sur ces exp-riences varies de la diversit/pluralit permettrait ainsi denvisager ledveloppement dune dimension plurilingue dans lenseignementjaponais, si on se fonde sur le point de vue selon lequel le plurilin-guisme ne se dcline pas en lapprentissage complet, additionnel et(quasi) parfait de plusieurs langues, mais se dfinit comme une comp-tence intgre mobilisant diversement des ressources plurielles (voirCoste, Moore, Zarate, 1997 et Castellotti & Moore, par.). Avant defaire quelques propositions en la matire, je rappellerai les principauxaspects caractrisant ces dmarches.

    L es portfolios des langues : quelques rappelsLe principe mme des portfolios nest ni une nouveaut, ni une tech-nique spcifique lapprentissage des langues. Cest principalementdans le domaine du travail et de la formation professionnelle que sestdveloppe la notion de portefeuille de comptence ou de portfolio,aprs avoir fait lobjet dutilisations quelque peu diffrentes dans ledomaine artistique o, depuis longtemps, les professionnels rassem-blent des lments significatifs de leur parcours et de leurs uvres pourse prsenter aux autres (voir notamment Coste, 2003). Dans tous lescas, le principe de base est le mme : runir, pour mieux dabord en

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  • prendre conscience puis ensuite visibiliser et faire reconnatre, par dif-frentes instances et diffrents niveaux, les caractristiques dun par-cours formatif ou professionnel et/ou ses rsultats.Dans le domaine des langues et de leur apprentissage, il semble,daprs Simon et Thamin (2009), que les premires mentions aux bio-graphies langagires remontent la fin des annes 1970, en Europe,dans le cadre des travaux sur lidentification des besoins des appre-nants, notamment adultes :

    Le futur apprenant fera dabord tat dinformations sur sa biographielangagire et il tentera destimer ses connaissances pralables de lalangue quil se propose dapprendre. Mme si cette estimation estvague et subjective, elle nen est pas moins importante, car elle traduitlimage quil se fait de son acquis, image quil est ncessaire deconnatre parce quelle sera prsente tout au long de lapprentissage. (Richterich & Chancerel, 1977 : 27)

    Ces rflexions sinscrivent dans les orientations dveloppes au coursdes annes 1970 par le Conseil de lEurope, destines tudier lespossibilits dorganiser lenseignement et lapprentissage des languesen Europe sous la forme dun systme dunits capitalisables in orderto allow an approach based on the individual motivations and capacityof the adult learner (Trim, 1973 : 1). Elles ont t renforces au coursdes annes 1980 par les travaux sur lautonomie dans lapprentissage(Holec, 1985, Little, 1991). Cest dans la perspective de llaboration duCadre europen commun de rfrence pour les langues (2001) et duGuide pour llaboration des politiques linguistiques ducatives enEurope (2003-2007) que les portfolios se sont imposs comme unemodalit particulirement mme de matrialiser les principales orien-tations sous-tendant ces travaux, savoir lautonomie dans lapprentis-sage, la perspective plurilingue, laffirmation de la dimension sociale etidentitaire et les aspects interculturels.

    L es portfolios europens des langues (PEL) :principales caractristiques

    Pour tre accrdits par le Conseil de lEurope, les PEL rpondent desprincipes et lignes directrices communs, tout en tant largementcontextualiss selon les pays, les ges, les types de publics concerns,etc. Ils sont tous organiss selon une structure identique : une biogra-phie langagire, destine favoriser limplication de lapprenant dansla planification de son apprentissage, dans la rflexion sur cet appren-tissage et dans lvaluation de ses progrs ; un passeport mentionnantles certifications officielles et faisant tat des comptences langagireset des expriences dapprentissages linguistiques et interculturellessignificatives ; un dossier permettant de rassembler des matriaux

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    divers servant documenter et illustrer les expriences et les acquis.On peut identifier trois fonctions principales pour les portfolios, unefonction dinformation, une fonction pdagogique et une fonctionducative qui ont t rappeles plusieurs reprises (voir notammentCastellotti & Moore, 2006). On sintressera ici la faon dont un portfolio, plus particulirement,dcline la perspective plurilingue pour donner du sens aux orientationsaffirmes. On analysera en particulier les moyens par lesquels un telportfolio remplit plusieurs fonctions susceptibles de contribuer laconstruction dune comptence plurilingue, en favorisant une prise deconscience et une valorisation des rpertoires pluriels des apprenants,en articulant les connaissances, capacits et attitudes construites danset hors de lcole, en encourageant et en explicitant les circulationsinterlinguistiques. Il sagit alors non seulement dvaluer ces ressources,mais aussi (et peut-tre surtout) de reconnatre et de valider des strat-gies permettant de les construire, et dinciter apprenants et ensei-gnants dvelopper/enseigner ces stratgies.

    P lurilinguisme et portfolio : un exemple travers lexemple du PEL Collge, destin aux lves du secondaire1er degr (Castellotti, Coste, Moore & Tagliante, 2004), on peut voircomment certaines activits proposes, incitations la rflexion et pro-jets effectuer, permettent de rendre conscient, plus particulirement,la dimension plurilingue des apprentissages et de lui donner consis-tance. Il sagit donc de favoriser la reconnaissance et le dveloppementdes plurilinguismes scolaires et non scolaires : en reconnaissant leur existence travers les langues apprises, maisaussi celles parles dans lenvironnement proche ou rencontres diverses occasions. Le mode demploi prcise : Tu pourras indiquerles langues que tu parles dans diffrents lieux, y compris ta languematernelle : la maison, lcole, avec dautres membres de ta famille,avec tes copains, etc., mme si tu penses que tu ne les parles pas trsbien. (PEL Collge, p. 5) ; en explicitant leur mise en uvre dans la vie de tous les jours, dansdes activits diverses qui visibilisent des circulations interlinguistiques.On propose ainsi aux lves de rflchir ce quils ont dj fait en seservant de plusieurs langues, dans diffrentes situations (PEL Collge,p. 11) ; en formulant et en caractrisant des manires dapprendre dans uneperpective plurilingue, cest--dire en sappuyant sur les connaissancesantrieures pour favoriser les comparaisons, les transferts et les misesen relation : il sagit alors de prendre conscience quon apprend avec et

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  • entre les langues, en jouant sur les circulations et les appuis mutuels(PEL Collge, p. 14) ; en inscrivant la pluralit comme constitutive des ressources langa-gires : le PEL Collge prsente des descripteurs communs dans unemme grille qui permettent de situer ses comptences dans les diff-rentes langues considres, y compris la langue de lcole et leslangues de la famille ; enfin, en proposant des pistes de projets pdagogiques et dactivitsindividuelles et collectives invitant notamment les lves peu familiari-ss avec la pluralit enrichir leurs connaissances et en dvelopperune conscience plus aige. Le livret 2 du PEL donne ainsi des exemplesdactivits adaptes lge des apprenants permettant de documenterla diversit/pluralit linguistique et culturelle dans leur environnement(cole, milieu urbain, productions culturelles, etc.). partir de cet exemple, on peut sinterroger sur les faons possibles desinspirer de cette dmarche pour ancrer les enseignements de langueau Japon dans une perspective plurilingue.

    L intrt ventuel de dmarches portfolioau Japon

    Malgr des traditions ducatives a priori peu favorables au dveloppe-ment dune conscience rflexive du processus dapprentissage (Cheva-lier, 2008b), plusieurs tudes rcentes tmoignent dun intrt pour unerflexion sur lautonomie dans lapprentissage (voir notamment Ohki etal., 2007, et dans ce volume).Dans un article rcent, J.N. Nishiyama insiste sur le fait quun des int-rts du CECR est de constituer une source dinspiration pour rflchir surlenseignement des langues, son organisation et dventuelles formesdharmonisation ainsi que sur la question du plurilinguisme au Japon(Nishiyama, 2009 ; voir aussi Ohki, 2010). La dmarche sous-tendue parles portfolios peut contribuer de manire utile cette rflexion, non pasen les adoptant tels quels, cest--dire comme des bras arms duCECR , mais en sen inspirant comme des moyens de construire et deconscientiser des parcours dappropriation contextualiss : dun point de vue ducatif large , savoir sur le plan du dvelop-pement de lautonomie, en mobilisant les portfolios comme facteurs demotivation pour lapprentissage des langues et pour le suivi et la coh-rence de cet apprentissage ; dun point de vue mtalinguistique et mtacognitif, en les utilisantcomme supports dune activit rflexive sur les langues apprises et lesmoyens de les apprendre ; du point de vue, enfin, de la dimension plurilingue de ces parcours.

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    Cest sur ce dernier point que jinsisterai en essayant de rflchir plusconcrtement sur les faons dont des portfolios contextualiss (ou dtourns , voir Pungier, 2006b) pourraient favoriser la constructiondune comptence plurilingue et rendre les apprenants japonais plusconscients de cette construction. Je repartirai pour cela dune citationde D. Coste :

    [] on peut retenir diffrentes versions de ce quon entendra par plu-rilinguisme, mais celle qui prvaut est que toute ducation aux langues(et par les langues) suppose une approche globale qui tienne en consi-dration les langues premires, dinstruction, trangres, rgionales,de minorits, dimmigration et qui inclue dans les finalits ducativesle dveloppement du plurilinguisme individuel. (Coste, 2007 : 10).

    Dans la continuit de cette orientation, on pourrait imaginer quelquesdirections privilgies pour engager ce travail, notamment en incitantles apprenants prendre conscience de la pluralit linguistique et cultu-relle (mme tnue) de leurs parcours, en partant de questionnementsgnraux sur leur biographie langagire, incluant les diffrentes exp-riences de rencontres linguistico-culturelles vcues depuis leur enfance,dans des situations et par des activits diverses, notamment par le biaisde la tlvision, de la radio, du cinma, de lart, de la musique, de la lit-trature, de la presse, de lInternet, etc. Ce type de recensementdevrait saccompagner de questionnements sur ce quils ont tir de cesexpriences, ce quelles ont provoqu en eux, sur la manire dont ellesont t perues, plus ou moins enrichissantes, dcourageantes, dran-geantes, motivantesCes premires rflexions pourraient saccompagner ensuite dun travailplus systmatique dobservation de la pluralit luvre au sein mmedu japonais, de son histoire et de son volution. On peut aussi imagi-ner, le cas chant, de provoquer si ncessaire une prise de conscience(Awareness) de ces expriences de la pluralit partir dactivits et deprojets mettant en vidence leur existence (voir par exemple les projetsdu livret 2 du PEL collge adapter en fonction des ges et intrts destudiants (environnements urbains francophones, mais aussi films, artset littrature, publicit, etc.).Enfin, il apparat ncessaire de rflchir plus concrtement avec lesapprenants, du point de vue de leur apprentissage, aux moyens detransformer ces expriences en comptence : par la valorisation des aspects de la comptence plurilingue enconstruction chez les apprenants : ce que je sais dj faire (mme defaon trs simple : connatre la disposition matrielle dun texte, dchif-frer la graphie latine, identifier des mots ), ce pour quoi je peux avoirrecours une autre langue/ du parler bilingue, selon les personnes etles situations, etc. en travaillant sur les stratgies dvelopper pour apprendre deslangues en gnral mais aussi pour tirer parti des capacits djconstruites et de leur transfrabilit : ce qui peut tre transfr, compar,en sappuyant notamment sur lapprentissage antrieur de langlais,

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  • sur les emprunts du japonais des mots dorigine latine , sur dulexique international, etc. On rejoint ici les expriences et dmarchesdintercomprhension, largies des langues considres comme non voisines .

    * * *

    Commencer lapprentissage dune nouvelle langue cest toujours, demanire plus ou moins consciente, aller la dcouverte dun univers quelon se reprsente comme autre, diffrent, trange(r), inscurisant, voiredangereux. Il importe donc, pour oser franchir ces entraves instabilisanteset paralysantes et construire une rencontre, de parvenir baucher latrame (plutt que le cadre) partir de laquelle peuvent se construire desrelations permettant un engagement conscient et motiv dans cette ren-contre. Une dmarche biographique telle que celle dveloppe dans lesportfolios apparat alors approprie pour tisser ces relations, dans lamesure o elle associe troitement la mobilisation dune consciencerflexive des apprenants et leur devenir, en les incitant construire desprojets dapprentissage ralistes en fonction de leur parcours et de leurenvironnement et (auto)valuer tant le processus que les rsultats.La dmarche ainsi construite, en visibilisant des parcours dj (partiel-lement) plurilingues et pluriculturels, explicite des moyens de continuer dvelopper et enrichir cette comptence, tout en visant conqu-rir une certaine autonomie, les deux aspects se renforant mutuelle-ment : le dveloppement de la comptence plurilingue permet dtreplus autonome dans lusage et lapprentissage des langues, tandis quele renforcement de lautonomie scurise et encourage aller plus loindans lapprentissage.

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    V ers un apprentissageautonome destudiants de franaislangue trangreUne exprience vietnamienne

    L THI PHUONG UYEN ET SON QUIPE(PHAM DUY THIEN, TRAN LE BAO CHAN,

    HUA TRAN NGUYEN KHOI, LUU MINH TUANLE PHAM MINH TUAN)

    UNIVERSIT DE PDAGOGIE DE HOCHIMINH-VILLE (VIETNAM)

    DPARTEMENT DE FRANAIS

    Actuellement lautonomie occupe une place primordiale dans toutesles formations, notamment dans lenseignement des langues. Vu lesattentes dune socit en mutations rapides, notre Dpartement defranais est appel diversifier ses formations : ainsi il ne se limite plus la formation universitaire et post-universitaire des enseignants defranais mais prpare galement les jeunes Vietnamiens diversmtiers utilisant la langue franaise, savoir la formation des traduc-teurs-interprtes et la prparation aux mtiers du tourisme.Face ces nouvelles missions, nous avons recours lapproche action-nelle selon laquelle apprendre une langue, cest communiquer et rali-ser des tches ensemble. Cette approche met laccent sur lautonomiede lapprenant en passant par la pdagogie de projet.Dans le cadre de cet article, nous aimerions prsenter une expriencede lquipe des formateurs du Dpartement qui a men un projet col-lectif destin aux tudiants en deuxime anne. Nous dcrironsdabord la ralisation du projet, les outils utiliss, les difficults rencon-tres, lvolution des attitudes observes chez les tudiants, les moda-lits dvaluation ainsi que les mesures de rgulation. Nous analyseronsensuite les modifications des rles et des activits denseignement-apprentissage que gnre lobjectif dautonomisation chez les tu-diants ainsi que les conditions de russite de lentreprise.

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  • Lors de la prparation du projet, lquipe denseignants a t amene se poser des questions comme suit :Quel dispositif monter pour dvelopper lautonomie chez les tudiants,pour les prparer lexercice de diffrents mtiers utilisant le franais ?Quentendons-nous par autonomie de lapprenant ?Quels en sont les rsultats observables ? Comment valuer ?

    C ontexte de travailLquipe denseignants est compose de six formateurs chargs densei -gner la langue franaise aux tudiants ( savoir lexpression orale, lacomprhension orale, lexpression crite, la comprhension crite). Les 36 tudiants dont le niveau est htrogne viennent de plusieursrgions du pays (Nam Dinh, Phu Yen, Nha Trang, Dalat, Buon Me Thuot,CanTho, Tien Giang, Ben Tre, Dong Thap, Ho Chi Minh). Les conditionsde travail sont modestes : en classe, nous disposons de manuels deFLE, dun tableau noir, de la craie, dun matriel audio-visuel lmen-taire et hors de la classe, les tudiants ont accs linternet et la sallede documentation du dpartement. Nous navons pas de logicielsdauto-apprentissage. Le problme qui se pose lquipe densei-gnants est le suivant : comment dvelopper lautonomie des tudiantsdans ce contexte ?Cest dans ces conditions denseignement-apprentissage que le projetintitul Dans la peau dun journaliste (propos par le manuel Tout vabien ! 3) a t introduit au cours du premier semestre de lanne aca-dmique 2008-2009. Voici le dispositif que nous avons mont pour laralisation du projet.

    D escription du dispositif Les objectifs du projet sont formuls comme suit : objectif global : allier lautonomie et lapprentissage. objectifs spcifiques : le projet vise acqurir des comptences lan-gagires (rdiger un article de presse; discuter et dfendre son point devue); des comptences transversales (sensibiliser travailler en groupe; rechercher, slectionner et analyser des informations); des comp-tences culturelles (dcouvrir la presse francophone, la composition dunjournal franais).Au terme du projet, les tudiants doivent produire un recueil darticlesde presse.Les modalits de travail sont les suivantes : les deux acteurs que sont lquipe denseignants et les tudiants sontinvits respecter le cahier des charges qui dtermine les responsabilits

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  • des groupes et celles des accompagnateurs et qui indique aussi les dif-frentes tapes du projet ; les 36 tudiants sont diviss en huit groupes de travail. Chaquegroupe est reprsent par un coordinateur charg de faire un rapporttoutes les deux semaines son enseignant-accompagnateur ; lquipe denseignants est responsable dorganiser des ateliers envue de fournir des outils indispensables au travail demand aux diff-rentes tapes : atelier de prparation la ralisation du projet (explica-tion des objectifs, constitution des groupes, rpartition des tches) ;atelier dinitiation la recherche documentaire et au traitement desinformations ; atelier dcriture.Au cours du projet, les enseignants-accompagnateurs suivent de prsles ractions des tudiants en vue de rgulations immdiates. Quant aux tudiants, ils sont encourags tenir un journal de bord danslequel ils peuvent noter leurs remarques, leurs ractions sur le travaildemand. Cet exercice vise entraner chez les tudiants un retourrflexif sur la tche effectue, et verbaliser leur pense (Vygotski, 1997).Les modalits dvaluation de la ralisation dun projet sont redfinir :en effet, ct des critres dvaluation traditionnels (qualit du pro-duit), les enseignants doivent prendre en compte les spcificits ducontexte : contraintes institutionnelles (il faut des notes en fin desemestre), caractristiques du public (qui ne travaille pas sil ny a pasde notes), et rpondre aux questions suivantes : comment valuer letravail personnel des tudiants dans un projet collectif ? commentmesurer lefficacit du travail de groupe ? Nous allons dans la partie qui suit faire tat de la ralisation du projetet des difficults que nous avons rencontres.

    D ifficults rencontres pendant la ralisationDurant la ralisation du projet ont surgi des imprvus qui nous ont per-mis de rflchir sur notre rle denseignants-accompagnateurs. Eneffet, quelle attitude adopter par lenseignant dans une perspectivedautonomisation des apprenants ? Les suivre de prs chaque tapedu travail ou prendre en compte seulement le produit final ? Au sein denotre quipe, les avis divergent l-dessus et nous ne sommes pas arri-vs un consensus sur lattitude prendre envers les tudiants.Nous nous sommes aussi heurts la rsistance de certains tudiants.Ils ne trouvent aucune motivation sengager dans le projet : quoibon la rdaction dun article de presse alors quils sont forms pourdevenir professeur, traducteur et interprte ? Certains apprenants dotsdun bon niveau de langue ont souhait abandonner ds la premiretape. Dautres, en gnral les moins bons, craignaient de ne pas

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  • pouvoir accomplir le travail confi qui leur demandait un investissementen temps, en nergie, en initiative et en responsabilit. Dautres avaientdes problmes de communication avec leur accompagnateur.Face ces difficults, lquipe denseignants a pris des mesures dergulation en modifiant certaines modalits de travail.

    R gulations de lquipeNous avons mis plus de souplesse dans le suivi et favoris plus dinitiativeet de marge de manuvre aux tudiants. En outre, nous les avons encou-rags tenir un journal de bord en langue maternelle : ils y noteraientleur plan de travail chaque tape, la ralisation des tches, tout commeleur volution psychologique. Cet exercice demandait limplication per-sonnelle de chaque tudiant car il lui servirait le jour de lexpos oral.Les modalits dvaluation ont t aussi modifies. Au dbut, lquipedenseignants avait pens donner seulement un bonus aux rsultatssemestriels, mais devant le dsintrt de certains tudiants qui avaitpour origine labsence de notes, nous avons dcid de rintroduire unevaluation plus traditionnelle.En groupe, les tudiants devraient prsenter oralement le chemine-ment de la ralisation du projet devant un jury compos de 3 forma-teurs (ceux qui ntaient pas chargs du groupe en question afin degarder toute la neutralit). Ils avaient pour tche de faire part au jury deleurs impressions et rflexions sur le travail effectu (difficults rencon-tres, et rsolution des problmes ; remarques sur le rle de laccom-pagnateur). Ce travail not permettrait aux tudiants de relater et derflchir sur le travail ralis ; dargumenter leur choix ; par consquentde dvelopper leurs comptences langagires.

    O utils danalyse du dispositifLvaluation de lvolution chez les tudiants, la suite de la ralisationdu projet, sest faite partir des rponses un questionnaire qui leurest adress ; des entretiens (enregistrs) avec les jurys au cours de lex-pos oral (8 enregistrements).Parmi les 36 exemplaires du questionnaire distribus aux tudiants,nous avons obtenu seulement 24 retours, en raison des vacances du Tet(nouvel an traditionnel).Le dpouillement des rponses a donn les rsultats suivants :15/24 tudiants veulent bien faire un autre projet ; 22/24 tudiants sesentent satisfaits de leur production car le produit final montre desefforts de tout le groupe ; 23/24 tudiants constatent lutilit du projet ;23/24 tudiants affirment le rle indispensable des accompagnateurs.

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  • Face ces rsultats, nous pouvons constater une volution trs nettechez les tudiants qui ont pris conscience des effets formateurs du pro-jet men, alors quauparavant ils avaient eu des ractions de rejet.Les changes entre les enseignants et les tudiants, trs riches, ont per-mis de complter les informations obtenues par le questionnaire :dune part, nous y avons trouv des lments de rponse nos ques-tions de recherche : Quentendons-nous par autonomie de lappre-nant ? Quel serait le dispositif afin de dvelopper lautonomie chez lestudiants ? ; dautre part, nous avons pu connatre en dtail les rac-tions positives et ngatives des forms.Holec (1973) dfinit lautonomie dans le contexte de lapprentissagecomme la capacit de prendre en charge son propre apprentissage,et lassumer, de toutes les dcisions concernant tous les aspects de cetapprentissage . Cette dfinition rejoint dans une certaine mesure lesrsultats recueillis qui sont les suivants :1. Lautonomie des tudiants se manifeste par : une capacit de rali-sation dun projet commun. Comme la prcis E4 : cest utile, nces-saire donc je pense quil faut encore des projets pour que nouspuissions travailler ; une capacit de prise dinitiatives. coutons larflexion de E7 : on est capable de travailler tout seuls, on peut fairedes recherches tout seuls ; une capacit de gestion dun travaildquipe. Voyons la remarque de E19 : pour bien travailler avec lesautres on a un principe de base pareil au slogan de la rpublique fran-aise cest libert, fraternit, galit par exemple on est libre de releverlide mais il faut quon parle fraternellement et quon coute lesautres ; une capacit de retour rflexif sur le travail effectu. coutonsles enseignements de E10 : je naimais pas travailler en groupe mais,grce des amis, je peux trouver des expriences ou des qualits demes amis pour amliorer moi-mme ; et celle de lanalyse du chemi-nement vers le savoir laide du journal de bord et des entretiens avecle jury. Voici le recul de E20 : malgr les obstacles, nous avons apprisdes comptences transversales surtout cest les bons souvenirs entreles trois membres et les leons prcieuses .2. Nous comprenons, galement, que pour favoriser lauto-apprentis-sage, lauto-valuation dans le contexte de travail qui est le ntre, ledispositif de formation doit sappuyer sur la pdagogie de projet quimet laccent sur le dveloppement des comptences chez lapprenanten le plaant devant une srie de dcisions prendre pour atteindre unobjectif quil a choisi ou quon lui a propos (P. Perrenoud, 1995) ; undispositif daccompagnement des tudiants qui sinscrit dans unelogique de temps (le projet en cours dlaboration), de relation (unerelation dchanges qui passe par des entretiens o laccompagn peutsexprimer librement, partir des problmes quil rencontre rellementet tels quil les apprhende), et despace (le dispositif mis en place parlinstitution) (J-Y. Bodergat, 2006) ; des modalits dvaluation qui

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  • visent faire verbaliser lexprience vcue et qui permettent un retourrflexif de ltudiant sur le travail ralis.3. Quant aux tudiants, ils ont soulign les apports positifs du projeten tant quactivit dapprentissage. Il sagit de la dcouverte des sp-cificits dun article de presse ; du dveloppement des capacits dediscussion et de dfense dun point de vue ; des intrts personnels aucours de la ralisation de projet ; des utilits du travail de groupe.4. Cependant, malgr les apprciations positives concernant la ralisa-tion du projet, les tudiants ont fait aussi tat des difficults rencontres : au cours du travail dquipe : difficult dobtenir un consensus au seindu groupe :Ei : Trop de fatigue, trop de pression Em : Mon groupe ne pouvait pas travailler ensemble le plan changeaittout le temps Eo : Difficult dobtenir un consensus au cours de la gestion du projet : activit chronophage, problmesdcritureEa : On a chang plusieurs fois de sujet les informations taient tropnombreuses Et : Jai des difficults dcriture dans les relations avec les accompagnateurs :Ef : Informations trop gnrales, peu claires Em : Diffrents points de vue entre les accompagnateurs La pdagogie de projet a t galement une occasion pour lquipedenseignants de prendre conscience des changements quelle apporteaux rles traditionnels que sont celui du matre et celui de llve.

    M odification des rlesAu terme de notre travail, nous avons appris que la pgagogie de projettransforme considrablement le mtier denseignant et le mtier dap-prenant. Elle entrane une modification des rles de ces deux acteurs parrapport lenseignement magistral. Lenseignant nest plus un dispensa-teur de savoirs mais il joue le rle daccompagnateur, de conseiller et defacilitateur. Le rle de lapprenant ne se limite pas celui de consomma-teur passif de cours ; il doit simpliquer davantage dans les activits, par-ticiper activement au travail collectif pour accomplir des tches et raliserson propre projet dans le but de se construire des savoirs et de nouvellescomptences. Il devient donc acteur de son apprentissage, de son pro-jet. Cette modification des rles est difficile (do divergence de vuesdans laccompagnement, rsistances) puisquil sagit de changementsidentitaires et de la prise de nouvelles responsabilits. Les personnes enquestion sont obliges de sinvestir plus en temps, en nergie, en initia-tive, et davoir plus de souplesse dans la gestion des imprvus. Ils se trou-vent donc, souvent, dans une situation inscurisante.

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  • Le changement du rapport aux savoirs conduit galement la modifi-cation des activits denseignement-apprentissage. Il est indispensablede rduire la place des cours magistraux prdtermins pour disposerde plus de temps pour des apports dinformations et doutils desmoments adquats.

    C onditions de russite dune pdagogiede projet

    Les premires expriences nous ont permis de formuler des conditionsde russite dune pdagogie de projet qui sont les suivantes : une prparation thorique concernant la pdagogie de projet, lapproche actionnelle a t dispense aux formateurs qui avaient djparticip la ralisation de projet lanne prcdente ; une capacit dadaptation des principes de lapproche actionnelle aucontexte socio-conomique et aux contraintes institutionnelles ; une bonne coordination de lquipe de formateurs puisque le travailexige une capacit dcoute et de rgulation ; une reconnaissance du travail par les pairs, la hirarchie et les acteursavec qui lon travaille (soutien psychologique).En guide de conclusion, le projet que nous avons fait raliser aux tu-diants vietnamiens nous a permis de conclure sur les points suivants : la pdagogie de projet permet aux tudiants de dvelopper diff-rentes capacits dans le travail de groupe, dans le dveloppement deleur capacit rflexive et de leur autonomie de pense et dactions ; elle entrane non seulement un changement dans les activits den-seignement-apprentissage et dvaluation mais aussi une modificationdes rles traditionnels de lenseignant et de lapprenant ; en labsence de conditions daccs aux TICE, donc aux possibilitsdauto-apprentissage par linformatique, nous avons essay pardautres moyens de dvelopper chez nos tudiants des comptencesqui leur seront indispensables.Prparer les jeunes aux mtiers du XXIe sicle, cest les prparer lau-tonomie, la capacit dadaptation aux diffrentes mutations. Puisquelautonomie rsulte dune construction sociale complexe entre appre-nants et formateurs, former lautonomie est donc une tche dlicatequi demanderait chez le formateur un engagement personnel dans lesdispositifs qui accompagnent le dveloppement des capacits derflexivit, danalyse et de prise de responsabilit. Lautonomisationexige aussi chez ltudiant un effort spcial face des situations ins-curisantes o il doit prendre des dcisions et agir seul.

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    BibliographieBODERGAT J.-Y. (2006), Dilemmes et ressources de laccompagnement en for-

    mation initiale : savoirs et dmarches stratgiques en analyse des pra-tiques. Recherche et formation, n 51, pp. 27-42.

    DEMAIZIRE F. (2003), Autonomie : objectif ou prrequis ?, intervention lIUFMde Versailles.

    HOLEC H. (1973), Autonomie et autoformation. Mlanges Pdagogiques,Nancy, CRAPEL.

    PERRENOUD P. (1995), Des savoirs aux comptences : les incidences sur le mtierdenseignant et sur le mtier dlve. Pdagogie collgiale, vol. 9.

    PIERRON J-P. (2003), Autonomie et ducation.VYGOTSKI L. (1997), Pense et langage. Paris : La Dispute. 3e dition.

    www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/autonomie.htm.

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    Q uelle placepour lautonomiede lapprentissagedans les culturesdenseignement-apprentissage en Asie ?Du rle incontournable donner un portfolio dauto-valuationadapt aux cultures ducativeslocales.

    NADINE NORMAND-MARCONNETMONASH UNIVERSITY, MELBOURNE (AUSTRALIE)

    Dans le prolongement direct des thories socio-constructivistes etinteractionnistes, le Cadre (CECR) et ses outils conceptuels comme lePortfolio Europen des Langues (PEL) placent lacte dapprentissage aucur de la problmatique de lacquisition et contribuent mettre envidence le lien fort qui se cre entre motivation de lapprenant et auto-nomie de lapprentissage, notamment par le biais de lauto-valuation.Or la tendance actuelle qui leur confre peu peu le statut de nou-velles normes internationales en matire dchelle de comptences etde conception de lvaluation ne va pas sans poser la question dunencessaire transposition dans des cultures ducatives spcifiques. Ceconstat simpose avec une acuit particulire en Asie, o les modlesde transmission du savoir sont plutt centrs sur lacte denseignementet sur une relation pdagogique hirarchise de type vertical. Dans cecontexte, lauto-valuation, en ce quelle tend crer une nouvelle rela-tion enseignant-apprenant peut-elle se concevoir autrement quecomme une dmarche relevant du pari ? Le PEL peut-il tre considr

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  • comme un outil transposable avec succs dans tout autre contexte quecelui des pays dEurope occidentale ? Comment intgrer cette pratiqueinnovante lhabitus des enseignants locaux et la faire accepter parleurs apprenants ?En nous fondant sur diffrentes recherches et exprimentations menessur le terrain oriental et asiatique, nous posons que certains traitssaillants de la culture ducative locale peuvent se rvler tre des fac-teurs de blocage la mise en place dune dmarche dautonomisationde lapprentissage, et quen outre certaines caractristiques intrin-sques du PEL sont susceptibles de constituer des limites dans sa miseen pratique. partir de ce double constat, nous tenterons de montrerque tout processus de transposition peut valablement sappuyer sur laprise en compte des variables sociolinguistiques propres aux acteursconcerns combine un travail sur leurs reprsentations en matiredauto-valuation. Sans cela, faire accepter des pratiques novatrices enmatire de transmission du savoir et dacquisition de comptences plu-rilingues et multiculturelles dans le contexte asiatique risque de releverde la gageure.

    C ulture ducative asiatique et dmarchedauto-valuation prne par le CECR :une difficile compatibilit en ltat

    Dj complexe mettre en uvre dans des contextes ducatifs pr-nant ouvertement lautonomisation de lapprentissage, la dmarchedauto-valuation peut savrer un vritable pari dans des systmesducatifs plus traditionalistes quant leur conception de transmissiondu savoir.

    LES GRANDS TRAITS COMMUNS AUX CULTURES DUCATIVESDE LA ZONE ORIENT-ASIE

    La confrontation des rsultats dune premire tude sur lauto-valua-tion mene auprs de jeunes tudiants chinois en France avec ceuxobtenus auprs dapprenants iraniens nous a permis de dgager descaractristiques de la culture ducative propre ces deux zones qui lafont se dmarquer nettement de la culture ducative europenne.En adoptant une description schmatique qui na pas la prtention dvi-ter totalement la caricature, nous pouvons donc distinguer les lmentsconstitutifs suivants emprunts aux recherches menes respectivementpar Meirieu, Perrenoud, Kerbrat-Orrechionni, Cicurel, Rogers et Bourdieu.Tout dabord, il faut noter que les familles linguistiques en Asie sontvaries (altaque : japonais, coren ; austro-asiatique : khmer, vietnamien ;

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  • tai-kadai : thai, lao ; sino-tibtaine : chinois ; malayo-polynsienne :indonsien, malais, tagalog) alors que la famille indo-europenneenglobe les langues prsentes sur lensemble du continent europen.Les systmes dcriture sont galement diversifis en Asie (ido-pho-nographique, alphabtique, syllabique, combine) tandis quils sontessentiellement dordre alphabtique en Europe. En ce qui concerne lenvironnement socioculturel, on dira en Asie quilest bas sur le respect de la tradition et sur la recherche de lharmonie(cf. la notion de face ), tant en Europe marqu par la recherche du modernisme et le dveloppement de lesprit critique. Centrs surles notions de Tout/Un en Asie, les modes de pense se dploient enspirale ; en revanche, les notions de Moi/Dualit et les types de raison-nement linaires prdominent en Europe. Do une communicationplutt implicite (cf. le rle du silence) en Asie v/s une communicationexplicite et argumentative en Europe.Les politiques ducatives favorisent gnralement en Asie des formesde pdagogie exogne (i.e. marque par limposition dun savoir ext-rieur) caractrises par une prgnance de la norme, une transmissionmagistrale des savoirs et une nette centration sur lacte denseignement,plutt que sur lacte dapprentissage comme en Europe. L, la pdago-gie endogne sincarne dans les mthodes actives intgrant la varia-tion et lhtrognit et tendant une co-construction des savoirs.En Asie, lenseignement privilgie lcrit avec une prdominance despratiques dvaluation gnralement sommatives ; laccent est mis surloral en Europe, et lvaluation se veut galement formative. En classede langue, ce sont des interactions plutt verticales qui sont observesen Asie, o se cre une relation pdagogique gnralement duelle(enseignant-enseign) et frontale. En Europe, celle-ci sera plus faci -lement triangulaire (enseignant-enseign-enseign) et collaborative(travail entre pairs), car base sur des interactions plus horizontales.Souvent perue comme le lieu dapplication dune mthodologie idale , la classe de langue orientale consacre la figure de lensei-gnant en tant que matre dtenteur du savoir et du pouvoir par rapport un groupe classe peru comme synthtique. Pour sa part, lensei-gnant europen se voit attribuer le rle de facilitateur dapprentissage,uvrant tel un chef dorchestre au sein de la classe vue comme un lieusocialis bas sur linteraction, et dans laquelle lapprenant est vrita-blement acteur de son apprentissage.

    LE PEL, INCARNATION DE LA PERSPECTIVE ACTIONNELLE DU CECRAPPLIQUE LAUTO-VALUATION

    Dans la continuit de lapproche communicative, la perspective action-nelle qui sous-tend le CECR met linteraction et la mdiation au cur delacte denseignement-apprentissage, lui-mme centr sur lapprenant.Ces concepts-cls se traduisent par une pdagogie par tches et par pro-

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  • jet, et consacrent lutilisation doutils et denvironnements collaboratifs.En outre, la conception de lvaluation qui prvaut dans le CECR fait delauto-valuation lun des vecteurs majeurs de lautonomisation de lap-prentissage. Les rdacteurs du Cadre affirmaient ds lorigine que leplus grand intrt de lauto-valuation rside dans ce quelle est un fac-teur de motivation et de prise de conscience : elle aide les apprenants connatre leurs points forts et reconnatre leurs points faibles et mieuxgrer ainsi leur apprentissage (CECR, 2000 : 22). Presque dix ans aprs,des spcialistes de lvaluation comme Veltcheff (2009 : 140) ajoutent : le processus dacquisition de la langue dans la perspective actionnelleest indissociable dune auto-valuation constante. Tous ces types dauto-valuation et dvaluation formatives ne renvoient pas une note maisplutt une apprciation binaire (est capable de : oui/non) plus facile mettre en uvre par tous . Instrument pour la promotion de lautono-mie de lapprenant (CECR, 2000 : 28), le PEL incarne donc parfaitementle lien opr par ses concepteurs entre auto-valuation, motivation etautonomisation de lapprentissage. Pour preuve, quatre des onze objec-tifs gnraux du PEL dfinis par Trim (1997) et repris par Tagliante (2005)sont ainsi prsents : renforcer et soutenir la motivation ; permettre auxapprenants de rendre compte de leurs apprentissages dans diffrenteslangues ; amliorer, chez les apprenants et les enseignants, la prise deconscience des objectifs et des mthodes dapprentissage des langues ;crer, ou renforcer, chez lapprenant, une aptitude planifier, grer etvaluer son propre apprentissage .Toutefois, ne pas prendre en compte ses qualits intrinsques revien-drait occulter de prvisibles obstacles son application en ltat dansdes contextes trs diffrents de celui de lEurope occidentale. Rappe-lons que le PEL est construit autour de trois composantes. La premire,ou passeport des langues , se prsente sous la forme dun livret syn-thtisant les comptences de son utilisateur dans plusieurs langues. Ilpermet dtablir un profil linguistique en lien avec la grille pour lauto-valuation du CECR, de lister dans une grille prdfinie les expriencesdapprentissage linguistiques et interculturelles significatives, puis dercapituler les certificats et diplmes obtenus. Cest cette premire par-tie qui est gnralement adapte selon le niveau et le lieu dutilisation.Dans chaque pays, les concepteurs vont utiliser des termes diffrentspour les comptences cibles (couter, lire, prendre part une conver-sation, sexprimer oralement en continu et crire), ainsi quune chellede notation particulire (1 6 par ordre croissant du plus difficile au plusfacile, ou icnes telles que L, K, J, etc.) adapte aux niveaux dappren-tissage (primaire, secondaire, lyce, formation pour adultes). Ladeuxime composante, ou biographie langagire vise favoriserlimplication de lapprenant dans la planification de son apprentissageet dans lvaluation de ses progrs ; enfin, la troisime, ou dossier permet de slectionner des matriaux qui serviront documenter etillustrer les acquis de lapprenant (Little, 2001).

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  • Bien que conu pour favoriser le plurilinguisme et le multiculturalisme,le PEL nen reste pas moins limit, tant sur le plan des principes qui lesous-tendent que sur le plan de la forme quil revt. Porteur dun dis-cours politique europocentr, vecteur dune idologie trs marquepar le positivisme, il ne faut pas oublier que le PEL a pour mission deservir les buts fondamentaux que sont la consolidation de lunit euro-penne et la diffusion de valeurs lies la notion de citoyennet euro-penne, comme le plurilinguisme, le respect dautrui, lgalit(Schneider et Lenz, 2001). En outre, les descripteurs prcis organiss enune grille ditems combinant cinq comptences langagires sur sixniveaux de progression sont le reflet dune perspective fonctionnelle :base sur une catgorisation spcifique des types et genres de discourset sur une segmentation prcise des savoirs, elle vise systmatiser lesconnaissances dans une perspective combinant pragmatisme et renta-bilit. Trs concrtement, les apprenants et les enseignants plus habi-tus des pratiques dvaluation/sanction qu une dmarchedauto-valuation risquent de se sentir dsempars face ce genredoutils qui donne la primaut la subjectivit.

    R eprsentations sociales et habitus scolaire :des concepts-cls pour une contextualisationpertinente

    La transposition de dmarches et doutils pdagogiques marqus cultu -rellement passe par des actions visant faire voluer les pratiques.Dans cet objectif, il semble indispensable de procder une caractri-sation de lhabitus des acteurs sociaux concerns partir dune analyseet dun travail sur les reprsentations sociales.

    LAUTO-VALUATION EN CONTEXTE ASIATIQUE : DES TRACESDE DISCOURS RVLATRICES DES REPRSENTATIONS SOCIALES

    En nous rfrant nos propres recherches en la matire ainsi qu dif-frentes tudes conduites en Asie, nous pouvons dgager plusieurstraits saillants qui montrent que lauto-valuation nest jamais unedmarche qui va de soi. Nous les avons regroups en reprsentationsplutt ngatives ou plutt positives.Dans la premire catgorie, de nombreux apprenants partagent lopinionque lauto-valuation est une forme dvaluation dguise ; selon eux,elle servirait au professeur juger les tudiants diffremment que par unexamen normal mais dans le mme but, cest--dire estimer leur niveaulinguistique. Do le sentiment que le portfolio ne sert rien car seulesles notes obtenues lexamen comptent. Du ct des enseignants,

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  • certains affirment que permettre aux tudiants de sauto-valuer, cestleur donner trop de pouvoir dans la classe, car ils vont avoir tendance se substituer lenseignant, voire remettre en cause son enseigne-ment. Pour les deux catgories dacteurs, on trouve une position com-mune sur le fait que lauto-valuation constitue une charge de travailsupplmentaire, parfois difficile inclure dans des programmes djsurchargs. Cette ide est relaye par le constat que, dans les listes dereprage par niveau, certains descripteurs sont difficiles comprendre.Enfin et surtout, la reprsentation la mieux partage par les apprenantset les enseignants est celle qui consiste considrer que les lves, lestudiants et mme les adultes apprenants ne sont pas capables desauto-valuer correctement, et quils auront tendance soit se surva-luer, soit se sous-valuer. Ce qui quivaut reconnatre que seul len-seignant dispose des comptences adquates pour juger et noter leniveau de langue de ses lves.En parallle, les reprsentations positives viennent quilibrer cetableau. Pour certains apprenants (en particulier les adultes), se voirdlguer une partie du pouvoir des enseignants en matire dvalua-tion constitue un signe fort de leur reconnaissance en tant quacteursautonomes et responsables de leur apprentissage. Certains voient danslauto-valuation ralise en cours de franais un moyen de progressernon seulement dans cette matire, mais aussi dans dautres. Pour lesenseignants, lauto-valuation des lves permet au professeur dajus-ter son cours en provoquant une rflexion sur les contenus denseigne-ment. un niveau plus global, elle permet de mieux coordonnerlensemble des programmes et parat donc positive pour ltablisse-ment. Pour les enseignants comme pour les apprenants, le portfolioapparat comme un outil moderne dvaluation qui peut tre loriginedun type de dialogue diffrent entre eux. Ils sont galement daccordpour considrer que lauto-valuation aide se fixer des objectifs par-tir de ses points forts et faibles, de mieux prendre conscience de sa pro-gression, ce qui favorise lautonomie de lapprentissage. Cest aussi unfacteur de motivation, car lauto-valuation permet de dconnecterapprentissage et notation et de considrer lvaluation autrement quecomme une sanction.Cet tat des lieux, somme toute assez nuanc, vient contrebalancer letableau plus fig dress ci-dessus, qui laisse penser que la culture du-cative des pays asiatiques ne serait gure favorable une conception delapprentissage vu comme activit sociale, et de llve/apprenant entant quacteur agissant au sein dune communaut humaine. Do, noussemble-t-il, la ncessit de recourir aux concepts fondamentaux quesont lhabitus et les reprsentations sociales pour dpasser ce clivage.Selon Bourdieu (1972 : 178-179), le premier est dfini comme un sys-tme de dispositions durables et transposables, qui, en intgrant toutesles dispositions passes, fonctionne chaque moment comme unematrice de perceptions, dapprciations et dactions . Il est compos

    Quelle placepour lautonomie

    de lapprentissagedans les culturesdenseignement-

    apprentissage en Asie ?

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  • de toute une srie de schmes qui sont des lments cognitifs rebapti-ss connaissances-en-acte par de nombreux sociologues. Parallle-ment aux schmes, les reprsentations sociales (RS) sont desphnomnes cognitifs particuliers qui produisent une forme deconnaissance socialement labore et partage, ayant une vise pr