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2,00 € Première édition. N o 11335 VENDREDI 3 NOVEMBRE 2017 www.liberation.fr IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA. Dans la Ghouta assiégée et affamée PAGES 6-7 Le frère condamné à vingt ans PAGES 16 LAURENT BERGER «LES SYNDICATS SONT MORTELS, COMME LES PARTIS POLITIQUES» Dans une interview à «Libération», le leader de la CFDT critique les ordonnances, s’inquiète de la faible mobilisation des salariés et craint une disparition du syndicalisme face à un gouvernement qui cherche à contourner ses représentants. PAGES 2-5 REUTERS

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  • 2,00 € Première édition. No 11335 VENDREDI 3 NOVEMBRE 2017 www.liberation.fr

    IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £,Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA.

    Dans laGhouta assiégéeet affaméePAGES 6-7

    Le frère condamnéà vingt ansPAGES 16

    LAURENT BERGER

    «LES SYNDICATSSONT MORTELS,

    COMMELES PARTISPOLITIQUES»

    Dans une interview à «Libération»,le leader de la CFDT critique les ordonnances,s’inquiète de la faible mobilisation des salariéset craint une disparition du syndicalisme faceà un gouvernement qui cherche à contournerses représentants. PAGES 2-5

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  • D ésormais première organi-sation représentative dansle secteur privé, la CFDT asemblé prise de court par la ré-forme du code du travail d’Emma-nuel Macron. Son secrétaire géné-ral, Laurent Berger, s’en explique,en mettant en avant la légitimitéélectorale du nouveau président etl’absence de réaction des salariés.Mais aussi la faiblesse du syndica-lisme, qu’il juge aujourd’hui endanger.Des «lignes rouges CFDT» ont-el-les été franchies par les ordon-nances Pénicaud réformant lecode du travail ?Ce n’est un mystère pour personne:il y a des points importants dans lesordonnances avec lesquels la CFDTest clairement en désaccord. Et sinotre niveau de critique a augmentéavec le temps, c’est parce qu’entrele moment où elles ont été renduespubliques, le 31 août, et le momentoù on a pu les étudier en profon-deur, dans les jours qui ont suivi, on

    a découvert des choses que l’onn’avait pas vues…Quels sont les plus gros pointsde désaccord ?La possibilité de décision unilaté-rale de l’employeur dans les entre-prises de moins de 20 salariés, la fu-sion autoritaire des instancesreprésentatives du personnel, quine laisse aucune place à la négocia-tion, ou encore, concernant la gou-vernance d’entreprise, l’absenced’avancées sur la codécision ou laplace des salariés dans les conseilsd’administration.C’est donc un échec pourla CFDT ?Non, car sur d’autres sujets, heureu-sement, notre travail a porté sesfruits. Il faut se souvenir d’où l’onpart. Le projet initial, par exemple,prévoyait la possibilité de négociersans représentants syndicaux danstoutes les entreprises de moins de300 salariés. Une mesure dévasta-trice pour le syndicalisme, notam-ment pour la CFDT. On a réussi àfaire descendre le seuil à 50 salariés.On a aussi obtenu une hausse del’indemnité légale de licenciement.Et même si elle n’est que de 25 %,elle va tout de même concerner unmillion de salariés.

    Vous considérez donc que vousavez sauvé les meubles ?Notre position, c’est de dire que cesordonnances ne représentent ni unecasse sociale ni la fin du code du tra-vail, comme le dénoncent certains.Mais ce n’est pas non plus la «visionmoderne des relations sociales»,comme le revendique le gouverne-ment. Au final, cette réforme est uneoccasion ratée, qui aura des consé-quences dans les entreprises.Le sujet est donc derrière vous?Non, il est devant nous ! Et notreterrain d’action, désormais, ce sontles entreprises. Et ce, pour deux rai-sons. Il va bien sûr falloir se battresur l’emploi, la protection sociale,les salaires… Mais aussi retisser unlien avec les salariés. Car ce que l’ona constaté, c’est que si ces ordon-nances ont suscité du mécontente-ment chez les militants, les salariés,eux, ne se sont pas vraiment sentisconcernés… Nous continuons éga-lement, au plan national, à nousbattre sur les décrets d’application.C’est pour cela que vous n’avezpas appelé à la mobilisation,parce que vous ne sentiez pas lessalariés mobilisés ?Face à un gouvernement qui estdans une tentation d’affaiblisse-

    ment des corps intermédiaires, entout cas pour certains au sein del’exécutif, la CFDT, en effet, n’a pasvoulu offrir une démonstration defaiblesse. Car le problème enFrance, c’est que le désaccord syndi-cal n’est compris que sous la formede la manifestation, fût-elle faible.Tout de même, deux points es-sentiels pour la CFDT, et quevous aviez réussi à repousseren 2016 – le plafonnement desindemnités prud’homales et lepérimètre du licenciement–, seretrouvent dans les ordonnan-ces. Vous ne les acceptez pas unpeu facilement aujourd’hui ?C’est déjà bien de reconnaître quec’est la CFDT qui a permis de faireéchec au plafonnement des indem-nités prud’homales en 2016. Onavait même commencé dès 2015,puisque cette mesure figurait déjàdans la loi Macron, en dénonçantl’inégalité entre salariés des grandeset petites entreprises. Principe con-firmé par le Conseil constitutionnel,qui l’avait ensuite censurée. On con-tinue donc à être contre. Nous noussommes aussi battus pour obtenirun plancher, relever le plafond, etprévoir des cas dérogatoires au pla-fonnement, au-delà des cas de dis-crimination et de harcèlement.Sauf que le nouveau plafond estencore plus bas que celui de2015…Nous n’allons pas défendre la me-sure, puisque nous sommes contre!Mais la différence avec 2015 et 2016,c’est qu’entre-temps il y a eu uneélection présidentielle… Et que ce-lui qui a été élu l’avait annoncé dansson programme. Même chose sur lepérimètre du licenciement. Plus lar-gement, je veux quand même rap-peler que ces ordonnances ne sontpas le fruit d’une coproduction en-tre le gouvernement et la CFDT, nimême avec FO… C’est l’objet de con-certations avec les uns et les autres,où chacun a fait valoir ses proposi-tions, ses contre-propositions, sesdésaccords. Et, in fine, c’est le gou-vernement qui a décidé, en appli-quant ce que le Président avait an-noncé pendant la campagne…Certes, mais n’est-ce pas un aveude faiblesse que de dire «on ne vapas dans la rue car on ne va pasgagner…» ?Le vrai aveu de faiblesse, c’est allerdans la rue sans salariés, juste avecdes militants, et sans pouvoir pesersur le contenu. Moi, je considèreque la mobilisation syndicale, cen’est pas simplement la rue. Ce quine nous empêche pas de le faire.Parfois même en perdant, commeen 2010, contre la réforme des re-traites, avec pourtant des millionsde salariés derrière nous. Et le faitest qu’à l’époque, l’image du syndi-calisme a nettement baissé dans lesenquêtes d’opinion. Donc je l’as-sume, je ne voulais pas d’une dé-monstration de faiblesse sur les or-donnances. Je ne voulais pas fairece cadeau au gouvernement.Même s’il s’attaque directementaux capacités d’action syndicale,en généralisant par exemple lanégociation sans délégués syn-dicaux dans les entreprises demoins de 50 salariés ?Encore une fois,

    Recueilli parAMANDINE CAILHOLet LUC PEILLONPhoto BORIS ALLIN.HANS LUCAS

    ÉVÉNEMENT

    INTERVIEW

    Laurent Berger«Entre-temps,

    il y a eu laprésidentielle…»

    Ordonnances gouvernementales, divergences entredes syndicats affaiblis, indifférence des salariés…

    Le secrétaire général de la CFDT revient surl’actualité sociale des derniers mois, entre satisfactiond’avoir adouci certaines mesures et constat du recul

    d’influence des centrales au sein des entreprises.

    Suite page 4

    Laurent Bergerà Parisle 1er novembre.

    2 u Libération Vendredi 3 Novembre 2017

  • Pas de pause dans les ré-formes. Celle du codedu travail à peine ache-vée, c’est donc à trois autresdossiers sociaux, et non desmoindres, que le gouverne-ment s’attaque. Avec la for-mation, l’apprentissage etl’assurance chômage, l’exécu-tif aborde le pilier «sécurisa-tion» du marché du travail,qui succède à la «flexibilisa-tion» introduite par les ordon-nances Pénicaud. Un «pac-kage» qui aboutira à un projetde loi adopté au printemps.Premier servi, l’apprentis-sage fera l’objet de «groupesde travail multilatéraux» avecles syndicats et le patronat,sous l’égide de France Straté-gie, sorte de think tank dé-pendant de Matignon. Suivrala formation professionnelle,sujet sur lequel le gouverne-ment propose aux partenai-res sociaux d’ouvrir une né-gociation entre eux, commele prévoit la loi Larcherde 2007. A cet effet, il leur en-verra avant mi-novembre un«document d’orientation»pour cadrer les discussions.Objectifs communs aux deuxdossiers, selon la feuille deroute de Matignon: amélio-rer l’offre et renforcer latransparence des dispositifs.

    Pilotage. Mais le gouverne-ment, qui jure vouloir laisserla porte ouverte aux proposi-tions des syndicats et du pa-tronat, semble avoir déjà uneidée précise de la réforme.A savoir: faire du pilotage etde la clarification des res-ponsabilités les principauxenjeux du projet. Selon les

    Echos, l’objectif serait de dé-signer, pour chaque publiccible –les apprentis, les chô-meurs et les salariés– un res-ponsable principal disposantd’une ligne de financementpropre. Ainsi, l’apprentissagereviendrait aux branchesprofessionnelles qui gèrentdéjà les contrats de profes-sionnalisation, l’autre dispo-sitif de l’alternance. Au pas-sage, elles récupéreraientdonc une partie des créditsjusque-là perçus par les ré-gions. Mais ces dernières neseraient pas en reste, puis-qu’elles verraient leur rôledans la formation des chô-meurs renforcé. Non sanslaisser planer un risque surl’avenir de Pôle Emploi,même s’il conserverait–pour l’heure– sa mission deplacement des demandeursd’emploi.

    Ligne rouge. Enfin, la for-mation des salariés resteraitfinancée par les entreprises.En parallèle, l’exécutif sou-haite «doter tous les actifs dela capacité de se former, dansune logique qualifiante et defaçon autonome», en s’ap-puyant notamment sur lecompte personnel de forma-tion (CPF).Le dossier de l’assurance chô-mage, lui, s’ouvrira mi-no-vembre. Le processus de laréforme débuterait par uneconcertation multilatérale(gouvernement, syndicats etpatronat), «permettant de po-ser les sujets et de faire desconstats partagés», expliquel’entourage du Premier mi-nistre, Edouard Philippe.Pour la suite, «ce n’est pas to-talement arrêté : peut-êtreune autre multilatérale, desconcertations bilatérales,voire un peu de négociation».Mais sur le fond, on assureque l’on respectera la lignerouge des syndicats, à savoirle maintien des conditionsactuelles d’indemnisationdes chômeurs. Quitte à revoirà la baisse les ambitions ducandidat Macron sur l’élar-gissement de la couverturechômage aux démissionnai-res et aux indépendants. Surla gestion du système,aujourd’hui régi paritaire-ment par les syndicats et lepatronat, l’Etat aura en re-vanche, et sans surprise, «uneplace plus importance». Maissans évincer, assure Mati-gnon, les partenaires sociaux.

    A.Ca. et L.P.

    Trois ouvragessur le métierpour MatignonProchaines ciblesde l’exécutif:apprentissage,formation pro,assurance chômage.Avec l’objectif deredistribuer les rôles,tant pour la gestionque le financement.

    L’apprentissagefera l’objet de

    «groupesde travail

    multilatéraux»avec les

    syndicats etle patronat.

    Libération Vendredi 3 Novembre 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 3

  • «Ce sera à nous de démontrer quel’on est incontournables. […] Il faudra

    être capable d’être fins.»Laurent Berger secrétaire général de la CFDT

    Employés Professions intermédiaires CadresOuvriersToutes catégories

    Le taux de syndicalisation en FrancePart des salariés se déclarant syndiqués selon le secteuret la catégorie socioprofessionelle, en pourcentages, en 2013

    Privé

    Ensem

    ble

    Public

    9 ,28,7 7,4

    10,7

    7,210,1

    20,6

    11,2

    19,8

    10,5

    18,5

    12,9

    18,6

    11,8

    23,4

    20132006

    Le poids des syndicats dans le secteur privéRépartition des voix obtenues par les syndicats majoritaires*

    2017

    Pics de participation aux manifestationsLors des trois derniers grands mouvements sociaux

    * (ayant obtenu plus de 8% des su�rages exprimés)

    33,2 % 30,6 %

    29,7 %

    18,2 %

    10,6 %10,8 %

    1 230 000390 000

    223 000

    28,6 %29,3 %

    18,3 %

    9,6 %9,6 %CFE-CGC

    CFTC

    FO

    CFDT

    CGT30,3 %

    17,9 %

    10,9 %

    12,3 %

    Réformedes retraites

    12 octobre2010

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    Réformedu code du travail

    (ordonnances)12 septembre 2017

    Réformedu code du travail

    (loi El Khomri)31 mars 2016

    l’exécutif avaitprévu un seuil de 300 salariés. Etc’est parce que l’on s’est mobilisésqu’il est redescendu à 50. Mais cettemesure est aussi le symptôme de lafaiblesse des syndicats. On paie lànotre absence de proximité avec lessalariés des TPE et PME. Si nousavions été vraiment implantés dansces entreprises, cette dispositionn’aurait pas pu être adoptée. Preuveen est, au passage: l’une des mesu-res les plus plébiscitées, à 70%, parles salariés, c’est justement celle quileur permet de négocier directe-ment avec l’employeur. Autrementdit, sans les syndicats…Triste constat…Oui. Mais maintenant, et avec tousles désaccords qui sont les nôtres etque j’assume, à nous de transformerces ordonnances en opportunitépour se développer et faire vivre no-tre type de syndicalisme. C’est unvrai enjeu que l’on est en train de re-lever, notamment avec une grandeinitiative CFDT le 9 novembre, pourdire aux salariés: si vous ne voulezpas subir votre travail, agissez, et sivous voulez agir, rejoignez une or-ganisation syndicale, la CFDT. Sansquoi, on nourrit une forme d’amer-tume qui fera que dans les entrepri-ses, on laissera les choses se fairesans nous. Je ne vois pas d’autre op-tion. On ne fera pas revenir ce gou-vernement en arrière. Car nous,contrairement à vous, les journalis-tes, nous sommes dans les entrepri-ses. Et je vous le redis: les militantsétaient mobilisés et mobilisables,pas les salariés.La rue a pourtant payé pour lesroutiers…Ce qui a payé, c’est surtout la négo-ciation, dans laquelle je me suisbeaucoup investi. Là aussi, c’est laCFDT qui a été à la manœuvre. Et cequi a permis de bouger, ce n’est pastant la rue que le rapport de force.La question qu’un syndicaliste doitse poser c’est : «Quels sont les élé-ments de rapport de force, et est-cequ’ils sont en ma faveur?»Vous avez l’impression d’êtredans le viseur du gouvernement,comme les partis politiques ?Dans le viseur, je ne pense pas. Maison ne ressent pas de volonté parti-culière de faire avec les corps inter-médiaires. En gros, ce sera à nousde démontrer que l’on est incon-tournables. Si on veut continuer àtenir notre place, il faudra être ca-pable d’être fins et d’aller sur lesbons sujets. Je ne critique pas lesautres options syndicales, mais ona intérêt à garder notre capacité demobilisation pour d’autres mo-ments. Car je suis persuadé que lesyndicalisme est mortel. Ce qu’ils’est passé pour les partis politiquestraditionnels peut arriver aux syn-dicats. Le meilleur moyen de l’évi-ter, c’est de ne pas tomber dans uneespèce de rôle attendu.Ce que fait la CGT ?Je ne sais pas. Mais ce qui fait laforce d’une organisation syndicale,c’est sa présence sur le terrainauprès des salariés, et sa capacité àconstruire des propositions et descontre-propositions. Et toute autreforce qui serait seulement de témoi-gnage, sans pouvoir imposer uncertain nombre de choses, se re-

    trouvera reléguée. Car le «monded’après», à la CFDT, nous l’avonspensé, autant que ce pouvoir, qu’ils’agisse de l’évolution de l’entre-prise, des formes de travail, etc.Trois gros dossiers sociauxarrivent sur la table. La réformede l’assurance chômage, com-ment l’abordez-vous ?On ne sait pas trop où le gouverne-ment veut aller. Il n’a pas encore ditgrand-chose. Mais si l’assurancechômage doit indemniser plus depersonnes, notamment les indé-pendants et les démissionnaires, ceà quoi nous ne sommes pas oppo-sés, cela ne peut pas se faire en ré-duisant l’indemnisation des autrestravailleurs. Il ne peut pas y avoir debaisse des droits existants. Autre-ment dit, on ne partage pas la mi-sère. Par ailleurs, on veut maintenirun système contributif. C’est-à-direque l’on veut que le droit à indemni-sation soit construit –au-delà d’unsocle de solidarité– sur la durée detravail. On veut aussi maintenir unrôle des partenaires sociaux dans lafixation des règles d’indemnisation.Comment financer cette ré-forme, alors que le régime estdéjà déficitaire ?Ce n’est pas à moi de le dire, mais àceux qui ont fait des promesses !Mais pour les indépendants, il vafalloir mettre à contribution les pla-teformes qui les emploient.Sur la réforme de la formationprofessionnelle ?La formation bénéficie souvent auxplus qualifiés. Il est nécessaire dedévelopper son accès aux moinsqualifiés, avec une montée en com-pétences. Ce qui passe par des dis-positifs de certification. Nous de-

    vons aussi aller vers un servicepublic de l’accompagnement desparcours professionnels, car cer-tains salariés ont du mal à faire va-loir leurs droits.Sur l’apprentissage ?L’objectif est bien plus consensuel.On sait que l’apprentissage est unevoie à développer, notamment pourles jeunes sans qualification. Nousvoulons un statut de l’apprenti,avec, là aussi, un accompagnementplus fort, et pas seulement en ter-mes d’insertion dans l’entreprise,mais sur les questions de logement,de transport. Il faut aussi des aidesen direction des apprentis. Mainte-nant, la responsabilité est grande auniveau des branches et des entrepri-ses. Il faut des formules contrai-gnantes pour que les entreprises re-crutent davantage d’apprentis.Les organismes paritaires col-lecteurs agréés (OPCA) risquent-ils de disparaître ?Les OPCA, si c’est juste une banque,ça ne sert à rien. Par contre, ils ontdu sens en termes d’accompagne-ment des salariés et des entreprisessur un territoire. Certains, commeLaurent Wauquiez, croient quequand à un endroit il y a X emploisà pourvoir, il suffit de mettre en faceX chômeurs du même territoire. Orsi le chômage ne baisse pas plus for-tement alors que la reprise est là,c’est notamment parce que certaines

    entreprises ne trouvent pas de gensformés. C’est un problème d’adéqua-tion entre les besoins en emplois etla formation des chômeurs.Emmanuel Macron dit plus oumoins la même chose…C’est une méconnaissance de cequ’est la réalité de la mobilité géo-graphique. Ça ne marche pascomme cela dans la vie ! Il y a desbesoins d’adéquation. Et les OPCApeuvent jouer ce rôle, avec unmaillage fin des besoins en emploiset des formations correspondantes.Les relations intersyndicalesn’ont jamais été aussi disten-dues…On continue de se parler. On ne s’estjamais vus autant que cet été. Après,certains participants ne voulaientpas que ça se sache, parce qu’ils nevoulaient pas d’ennuis en interne…Mais personne n’a la mêmestratégie…Si, avec la CFTC et l’Unsa, nous par-tageons une certaine vision sur lastratégie syndicale. Et avec d’autres,selon les sujets, nous travaillons en-semble.Les autres ? Vous semblez irré-conciliables…On n’a pas la même stratégie, maison se parle. Et arrêtons avec ce my-the de l’unité syndicale coûte quecoûte! On peut reprocher beaucoupde choses à la CFDT, mais on nepeut pas nous attaquer sur notre co-

    hérence. On suit notre ligne. Pournous, le syndicalisme n’a de sensque s’il répond au quotidien des tra-vailleurs en essayant de construiredu «commun». Plutôt que dans larue, notre effort est mené dans lesentreprises. C’est beaucoup moinsspectaculaire, mais plus efficace.Car les salariés veulent avant toutqu’on change leur situation. Il suf-fira alors de tirer le bilan de ce quechaque syndicat a obtenu…Et avec le Medef ?Le Medef relève du syndicalismepatronal du XXe siècle, qui penseque le lobbying est le seul moyend’action. Aujourd’hui, certaines or-ganisations patronales ne sontclairement pas à la hauteur des en-jeux. Ce qui ne veut pas dire quec’est le cas dans les entreprises, oùl’on trouve des patrons qui ontcompris que le dialogue social lesfait avancer.En tout cas, le lobbying duMedef a l’air de fonctionner, il al’oreille du gouvernement…Pas si sûr. Ils ne sont pas ravis de lataxe censée compenser la censuredes 3% sur les dividendes. Ils sontaussi vent debout contre le bonus-malus sur les CDD. Et sur les ordon-nances, ils n’ont pas eu tout ce qu’ilsvoulaient. Pierre Gattaz avait ainsidemandé à ce que les entreprises demoins de 1000 salariés puissent né-gocier sans syndicat.Vous vous représentez enjuin 2018, lors du prochaincongrès de la CFDT ?La durée moyenne à la tête de laCFDT, c’est une dizaine d’années.J’en serai à cinq, donc oui, je me re-présente. Je crois pouvoir encoreapporter à nos combats. •

    Suite de la page 2

    ÉVÉNEMENT4 u Libération Vendredi 3 Novembre 2017

  • P artenaire ou fos-soyeur? Les syndicatshésitent face au nouvelexécutif, dont l’apparenteouverture s’accompagne designaux moins encoura-geants. «On ne ressent pas devolonté particulière de faireavec les corps intermédiaires,s’inquiète auprès de Libéra-tion le secrétaire général de laCFDT, Laurent Berger (lire ci-contre). Ce qui s’est passépour les partis politiques tra-ditionnels peut arriver auxorganisations syndicales.»Si la crise des grands partisn’est pas due seulement aunouveau chef de l’Etat, sa vic-toire a précipité le processus.Dans ces conditions, certainspropos de campagne pren-nent aujourd’hui l’allure d’in-quiétants présages pour lessyndicats : le candidat Ma-cron n’avait-il pas promis, enmars, de «remettre en ordre»un dialogue social dont lesacteurs font, selon lui, «tropde politique» et pas assez desyndicalisme ? «Ne deman-dons pas aux partenaires so-ciaux de prendre des décisionsd’intérêt général», avait-ilpoursuivi, jugeant leur légiti-mité en la matière «parfoisindue, en tout cas ne corres-pondant plus à la réalité».

    «Passage obligé». Depuis,c’est un ton plus mesuré qu’aadopté le nouveau pouvoir.Une intense concertation aprécédé la réforme du droitdu travail, les partenairessociaux étant reçus de nom-breuses fois à l’Elysée, àMatignon et au ministèredu Travail. Le gouvernementn’a jamais perdu une occa-sion de vanter cette méthode.Et opposée aux «grandesconférences sociales» organi-sées annuellement sousFrançois Hollande, événe-ments photogéniques maisjugés peu efficaces par lanouvelle équipe.«Les syndicats sont des parte-naires utiles et incontourna-bles, veut rassurer une sourceau sein du gouvernement.Les consulter était un passageobligé. Et quoi qu’on dise, lecontenu des ordonnances tra-vail n’aurait pas été le même

    sans cette consultation, parexemple sur les indemnités delicenciement.» L’exécutif sefélicite, en outre, d’avoir dé-samorcé le jeu des «postures»syndicales, en privilégiant lesentretiens bilatéraux. Pasconvaincus sur le fond dutexte, les syndicats, pour laplupart, avaient tout demême exprimé un certain sa-tisfecit sur la forme.

    Doutes. Ce quitus n’allaitpourtant pas sans réserves.Le mot «piège» a parfois surgipour qualifier ces discus-sions non-contraignantespour le gouvernement, pastoujours aussi précises quene l’auraient voulu les cen-trales, et finalement assezéloignées de la «coconstruc-tion» promise. «Il faut trou-ver le bon équilibre entre ladémocratie politique, issue dusuffrage universel, et la démo-cratie sociale», justifie notresource, alors que s’annoncela triple réforme de la forma-tion, de l’apprentissage et del’assurance chômage (lirepage 3). Cette dernière de-vrait voir le rôle des partenai-res sociaux diminuer dans lagestion de l’Unédic, au profitde l’Etat. Une promessed’Emmanuel Macron, tra-duction de ses doutes sur lacapacité des syndicats à in-carner l’«intérêt général».Ce scepticisme vise moins lesyndicalisme en général queles grandes centrales, jugéeséloignées de leur vocationinitiale. Et dont le candidatsouhaitait relativiser l’impor-tance au profit d’un «débatau plus près du terrain», con-dition, selon, lui de «bonscompromis». Plusieurs mesu-res des ordonnances travaildoivent favoriser cette évolu-tion, en renvoyant à la bran-che, et surtout à l’entreprise,certains sujets de négocia-tion, ou encore en permet-tant aux salariés de négocierdirectement avec les em-ployeurs en l’absence de dé-légués syndicaux, dans lesplus petits établissements.De quoi étendre aux organi-sations de salariés la «disrup-tion» macronienne? «Peut-être que les centrales syndica-les ont, elles aussi, besoin de seréinventer, juge-t-on du côtéde l’exécutif. Parmi les grandsaxes, il y a l’idée d’un syndica-lisme de services, la transpa-rence financière, le serpent demer des rapprochements en-tre syndicats… Le terrain estde plus en plus mûr pour cegenre d’évolutions.»DOMINIQUE ALBERTINI

    Avec l’exécutif,un dialogue entrompe-l’œilEn contraste avecles propos ducandidat Macron,Matignon jugeles syndicats «utileset incontournables».Sans renoncer auxréformes à venir.

    ÉDITORIALPar LAURENT JOFFRIN

    Crise d’identité sociale

    Comme les civilisationsdans l’aphorisme de PaulValéry, nous savons désor-mais que les syndicatssont mortels. C’est en toutcas un orfèvre qui le dit,Laurent Berger, leader dela première formationfrançaise, la CFDT. On adu mal à le croire: malgréleur faible nombre d’adhé-rents, traditionnel enFrance (moins de 10% desyndiqués en moyenne,soit 90% de non-syndi-qués), les syndicats gar-dent dans les électionsprofessionnelles une fortereprésentativité, supé-rieure, par exemple, à celledes partis politiques auxdernières législatives.Ils sont les interlocuteursobligés des pouvoirs pu-blics et, surtout, tout sala-

    rié en difficulté avec sonentreprise, même s’il les anégligés pendant toute sacarrière, se tourne verseux pour le défendre. Cesont les méthodes de lutte,la stratégie, qui créent unecrise d’identité. L’échec dela protestation contre leslois Pénicaud, qui succèdeaux déconvenues rencon-trées dans le combat con-

    tre le projet El Khomri et,surtout, à la défaite enrase campagne dans la ba-taille de la réforme des re-traites, malgré la mobilisa-tion de millions demanifestants, montre quela protestation à la fran-çaise, défilés de rue nom-breux assortis de débraya-ges plus ou moins massifs,a fait long feu. Elle n’a, en

    tout cas, donné aucun ré-sultat tangible depuis unedizaine d’années. Ce n’estd’ailleurs pas un hasard si,dans le secteur privé, c’estle syndicat le plus rétif auxgrandes démonstrations,la CFDT, qui arrive désor-mais en tête dans les scru-tins d’entreprises, devantla CGT, plus radicale. Ber-ger préconise de privilé-gier la discussion à la base,entreprise par entreprise,négligeant peut-être le faitque la manifestation, droitconstitutionnel, est unélément clé de l’identitésociale française. Mais ilest clair que les modes derecrutement, de forma-tion, d’action au jour lejour, doivent radicalementchanger. Sauf à laisser auMedef un boulevard. •

    Libération Vendredi 3 Novembre 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 5