l’art de raconter et d’écouter la vieille conteuse kabyle raconte, les enfants écoutent...

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  • 7/29/2019 Lart de raconter et dcouter La vieille conteuse kabyle raconte, les enfants coutent Comment et pourquoi

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    Nom :TERAHAPrnom : ZahiaMatre de confrence classe ADpartement de Langue et Littrature Arabes

    Facult des Lettres et Sciences HumainesUniversit Mouloud MammeriTizi-Ouzou/ AlgrieTlphone: 0021326100059/00213771658663

    E-mail: [email protected]

    Lart de raconter et dcouter

    La vieille conteuse kabyle raconte, les enfants coutent

    Comment et pourquoi ?

    Je pense que le happy-end des contes de fes donne lenfant limage dpreuves qui, videmment, sontloin de sa ralit,mais qui lui permettent momentanment de sidentifier des hros qui traversent des passes

    difficiles et qui arriveront tout de mme triompher des obstacles.

    (Franoise DOLTO : La cause des enfants, Ed Robert Laffont, Paris, 1985, p 59.)

    *******

    Tout conte de fes est miroir magique qui reflte certains aspects de notre univers intrieur et desdmarches quexige notre passage de limmaturit la maturit. Pour ceux qui se plongent dans ce que le contede fes a communiquer, il devient un lac paisible qui semble dabord reflter notre image ; mais derrire cetteimage,nous dcouvrons bientt le tumulte intrieur de notre esprit,sa profondeur et la manire de nous mettre en

    paix avec lui et le monde extrieur, ce qui nous rcompense de nos efforts.

    Bruno BETTELHEIM : Psychanalyse des contes de fes, traduit de lamricain par Tho CARLIER, Ed,Robert Laffont, 1976.

    Introduction

    En Algrie, dans les montagnes kabyles, la vieille femme (grand-mre) narre jusqu' nosjours une belle forme littraire orale trs ancienne : Tamachahut qui veut dire le contemerveilleux . Avant dentamer ce genre du rcit, la conteuse se soumette plusieurs

    prcautions. Le conte ne doit avoir lieu que les nuits dhiver, au coin du feu et jamais enprsence dun homme. Il faut respecter la recommandation de la rcitation des formules dudbut et celle de la fin du conte. Ces recommandations qui donnent au conte une doublenature profane et sacr , lui offrent une mission si esthtique et si significative. Cettecommunication pose une double problmatique : raconter avec art est une affaire de vieillefemme et couter attentivement est celle des enfants, pourquoi et comment ? On va rpondreon sinspirant de nos recherches ethnographiques.

    mailto:[email protected]:[email protected]
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    Avant de rpondre la problmatique ci-dessus, nous rappelons quen Kabylie (etprobablement de mme en Algrie profonde), les genres littraires folkloriques pour enfants,sont trs rpondus. Ces genres, servent transmettrent la culture dune gnration une autre,

    et qui dit transmission de la culture , dit ducation . Ds sa naissance, lenfant est reuavec des youyous et des chants de clbration de sa naissance.(1) Concernant le folklore de la

    premire enfance (de la naissance lge de 2 ans), il existe encore, jusqu nos jours denombreux genres littraires oraux destins pour enfance, tels que : la berceuse, (azuzzen,asberber en kakylie), la sauteuse (aserqes, en kabyle)(2), et le chant de circoncision tiburarin et autres. Mais ce qui nous intresse dans cette intervention est le contemerveilleux (Tamachahut comme tant un genre littraire de tradition orale destin ladeuxime enfance (de 2 ans jusqu' ladolescence). Enfance parexcellence.

    1- Le conte merveilleux " Tamachahut " : Notion et structure" Tamachahut " , pluriel " Timuchuha ", les contes merveilleux " purs" de la tradition orale

    populaire, genre littraire narratif trs prcis. Il est dune catgorie particulire : le sommeil etle rveil dune anne, la baguette et la bague magiques, la pomme de rajeunissement, lesogres et ogresses dvorateurs, le moiti homme animaletc. Si on se rfre la classificationinternationale dAarne-Thompson (AT), " Tamacahut " : " contes merveilleux" ou " contes

    proprement dits" sont rpertoris parmi les quatre grandes catgories, des " contes ordinaires "(ordinary folk-tales), du numro 300 1199.(3)

    "Vladimir PROPP" (1895-1970) prcise, que par "contes proprement dits" ou "contesmerveilleux" nous entendons ceux qui sont classs dans lindex dAarne et Thompson sousles numros 300 749. (4)

    Daprs ce folkloriste russe " V. PROPP", le conte merveilleux est ce conte dont les

    constants, permanents, sont les fonctions des personnages. La liste des fonctions, qui sesuccde en un rcit unique et continu, reprsentent la base morphologique des contesmerveilleux en gnrale. Ces contes commencent habituellement par lexposition dunesituation initiale (), suivie des fonctions dont le nombre se limite 31 :

    loignement (), 2- interdiction (), 3- transgression (), 4- interrogation (), 5- information(), 6- tromperie (), 7- complicit (), 8- mfait (A) ou manque (a), 9- mdiation, moment detransition (B), 10- dbut de laction contraire (C), 11- dpart (), 12- premire fonction dudonateur (D), 13- raction du hros (E), 14- rception de lobjet (F), 15- dplacement danslespace entre deux royaumes, voyage avec un guide (G), 16- combat (H), 17- marque (I), 18-victoire (J), 19- rparation (K), 20- retour (), 21- poursuite (Pr), 22- secours (Rs), [mfaitrpt : recommencement des fonctions du 8 15], 23- arrive incognito (O), 24- prtentions

    1 - Les chants de la clbration de la naissance dans la socit traditionnelle kabyle concerne exclusivement legaron et non pas la fille .2 - Concernant ces genres ethnographique chants, voir dtail :

    - Mhenna MAHFOUFI : Chants de femmes en Kabylie, fte et rites au village, CNRPAH, Alger, 2006, p 163-184.3 - ANTI AARNE : The Types of the folktale a classification and bibliography, (FF communications N. 3),Translated and Enlarged by STITH THOMPSON, Indiana University, Seconde Revision, HELSINKI, 1973,

    SUOMALAINEM TIE DEAKATEMIA ACADEMIA SCIENTIARUM FENNICA, p 88- 373.4 - Vladimir PROPP : Morphologie du conte, suivi de les transformations des contes merveilleuxTraduction deMarguerite DERRIDA, Tzvetan TODOROV et Claude Kahn, Ed, Potique/Seuil, 1970,p 28.

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    mensongres (L), 25- tche difficile (M), 26- tche accomplie (N), 27- reconnaissance (Q),28- dcouverte (Ex), 29- transformation(T),30- punition (U), 31- mariage (W).(1)

    La premire impression est que ce genre de conte est trs structur sur le plan formel(morphologique), et ainsi sur le plan profond, il est dun caractre universel : contes de foyer,narrs par les vieilles femmes aux petits enfants les contes merveilleux, ce sont nos contesde nourrices ou de bonnes femmes, ceux que narrent surtout les aeux, et qui ont pourauditeurs des enfants ; ce sont nos contes de la veille(contes de la maison) ainsinomms parce quon les coutent au coin du feu, au cours des longues soires dhiver. Or, en

    Berbrie, il en est de mme. Pour ces sortes de rcits, il ny a gure de conteurs, il ny a quedes conteuses ; celles-ci sont presque toujours de vieilles femmes. (2)

    Je remarque empiriquement, depuis les dbuts de mes recherches et collectesethnographiques, (depuis 1988 nos jours), que les hommes de chez nous mprisentnormment ce genre de conte "Tamachahut", ils n y assistent jamais. Pour eux, ce sont deshistoires mensongres, fabriques par des vieilles femmes illettres. Ce fameux mpris enversle conte (de fes), existe encore dans dautres cultures, y compris celles de la mditerrane, au

    point de lui tiqueter diverses expressions : en dialecte arabe algrien "Khourrayfa"(3)

    enkabyle " Tamachahut", " Tihkayin n temrarin" et " Tihkayin n zik zik".(4) Ailleurs onrencontre presque les mmes expressions courantes : "conte de bonne femme", "conte dormir debout", etc, soulignent bien llment mensonger, fictif, qui entre dans lacception dumot lpoque moderne. (5)

    En Kabylie, le conte merveilleux ne se distingue pas seulement par son nom (Tamachahut),sa narratrice (vieille femme) et son auditoire (enfants), mais aussi par ses formulesdouverture et de clture, et encore par le temps (les nuits dhiver) et le lieu de narration (au

    coin du feu) dont on parlera ci-dessous.

    1- La vieille raconte : Comment et pourquoi ?Dans plusieurs pays du monde, ainsi dans la Russie paysanne de la moiti du sicle

    dernier, existait un engouement gnral pour lart de conter, et les meilleurs conteurs (souvent

    des hommes)(6), mais dans la mditerrane ainsi que chez nous dans le Nord africain etspcifiquement en Kabylie (Algrie), les meilleurs conteurs sont des vieilles femmesillettres, qui narrent avec esthtique, art, magie et dtail. Elles respectent le temps, le lieu, legenre et lge dauditeurs et les obligations lies la narration de ce genre du conte"Tamachahut". Elles narrent ces contes dans une maison traditionnelle au coin du feu, en

    plein hiver ; et elles tiennent vraiment respecter les tabous, les formules magiques, les riteslis ce genre littraire, et elles font participer les enfants au dbut et la fin du conte.

    Avant de commencer son rcit, la vieille villageoise kabyle ouvre la porte du conte avec laformule clef magique : Machaho ! Tellem chaho ! Rebbi at-yesselhu at-yedba amzun d

    1 - Voir : Vladimir PROPP : Morphologie du conte, suivi de les transformations des contes merveilleux pp 28 -79.2 - Henri Basset : Essai sur la littrature des berbres, p 101.3 - "Khourrayfa" : veut dire histoire mensongre.4 - " Tamachahut" : veut dire le conte merveilleux. " Tihkayin n temrarin" veut dire les contes de vieillesfemmes. " Tihkayin n zik zik" veut dire les contes dautrefois dautrefois.5

    - Michle SIMONSEN : Le conte populaire franais, Ed, PUF, Paris, France, 1984, Introduction, p 9.6 - Voir : A.V. AFANASSIEV : Nouveaux contes populaires russes, Traduction de Lise GRUEL-APERT,Maisonneuve & Larose, Paris, France, 2003, Introduction de Lise GRUEL-APERT , p7.

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    asaru , qui veut dire : Machaho ! Tellem chaho ! Mon Dieu faites que mon contemerveilleux soit aussi plaisant et agrable quune norme clef parfaitement superbe.(1)

    Selon "Mouloud MAMMERI" le dbut de cette formule "Machaho ! Tellem chaho !" estincompris mais toujours vocateur, par lequel souvrent tous les contes depuis des temps

    mmoriaux : cest la marque de lanciennet.(2) Et selon "Lo Frobenius" la formule"Amachaho" signifie "coutez !"(3), et selon "J.M. DALLET" , "Amachaho" veut dire "Monconte"(4)

    A mon avis "Machaho ! Tellem chaho !", est un langage incomprhensible archaque, quiveut dire selon mon interprtation- : "cest un conte de nuit que je vais racont", car"Tamachahut", est "un conte des soires longues et sombres dhiver", cest un rcit simple et

    profane, mais encore nigmatique et sacr. Le mot "Asaru" de la formule initiale quon atraduit par "une norme clef" a un autre sens qui est "une longue ceinture". Cette longue et

    belle ceinture asaru (5) est tisse avec art par les jeunes villageoises kabyles (filles et bellesfilles) en mme temps que la narration de ce long conte merveilleux par la vieille (grand-mreou belle mre) pendant les longues nuits dhiver. Donc raconter un long conte et tisser une

    longue ceinture, peuvent avoir le mme sens que cette norme clef dinitiation, cite danscette mme formule initiale du conte merveilleux.

    La vieille villageoise clture le conte merveilleux avec une formule magique courante : Tamachahut-iw loued loued, chnirt-id i warraw nledjwad. Uchanen aten yakhda rebbi,nekni ad agh yafu rebbi , qui veut dire : Mon conte merveilleux court de rivire en rivire,

    je lai chant aux enfants des braves. Que Dieu maudisse les chacals et nous bnisse. (6)

    1 - Nous avons collect beaucoup de formules initiales de conte merveilleux, qui se diffrent dune tribut uneautre et dun narrateur un autre en Kabylie. Et voici quelques unes traduites en franais:- Machaho !

    - Machaho ! Tellem chaho !- Machaho ! Tellem chaho ! que mon conte merveilleux soit beau, et narr comme une longue ceinture trs bientiss.- Machaho ! Tellem chaho ! Mon Dieu faites que mon conte merveilleux soit aussi plaisant quune longueceinture ts bien faite.- Machaho ! Tellem chaho ! Mon Dieu faites que mon conte merveilleux soit aussi beau et ts structur que la

    poutre centrale dune grande maison.- Machaho ! Tellem chaho ! que mon conte merveilleux soit plaisant, long comme une longue ceinture trs bientisse.2 - Voir : Mouloud MAMMERI : Contes berbres de Kabylie, Ed, Pocket Jeunesse, Paris,France, 1996,p 6.3 - Lo Frobenius : Contes kabyles, recueillis par Lo FROBENIUS, Tome I : Sagesse, traduction des textesallemands par Mokran FETTA, prface de Camille LACOSTE-DUJARDIN, Ed, EDISUD, 1999,p 20.4 - J.M. DALLET : Dictionnaire kabyle-franais, parler des At Mangellat, Algrie, SELAF, Paris,10eme Ed, 1982,

    p, 790.5 - Voir image N ..p ceinture que vous avons achet dans le village At-Aggad/ le Djurdjurz en 1993,tisse par une villageoise.6 -Nous avons collect beaucoup de formules de clture de conte merveilleux, qui se diffrent dune tribut uneautre et dun narrateur un autre en Kabylie. Et voici quelques unes traduites en franais:- Mon conte merveilleux va du seuil en seuil, une grappe de datte va mrir, nous la mangerons tous ensemble.- Mon conte merveilleux court de rivire en rivire, je lai racont aux honors. Le sage le comprend et y tire deleon, lidiot le met de ct. Les auditeurs (enfants) : que Dieu te bnisse. La narratrice : que Dieu nous bnissetous.- Mon conte merveilleux court de rivire en rivire, je lai racont aux enfants des nobles. Si je lai russi, jeremerci Dieu, mais si je ne lai pas russi, Dieu me pardonne. Les auditeurs : que Dieu te donne une bonne sant.La narratrice : quil la donne nous tous.- Mon conte merveilleux court de rivire en rivire, je lai racont aux enfants des matres, les chacals vont de

    fort en fort, nous nous allons de chemin en chemin.- Mon conte merveilleux est arriv sa fin, que le bl et lorge ne finissent pas.- Mon conte merveilleux prend fin, que la misricorde de Dieu ne finisse pas.

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    Ces deux formules dinitiation et de clture1 sont obligatoires, et ont un aspect magique etsacr. Elles sont respectes et prononces avec motion par les vieilles villageoises,exactement comme les prires des livres sacrs. Elles indiquent le grand pouvoir de la magiefminine pratique dans cet art de parole quest le conte merveilleux.

    La vieille conteuse, respecte normment les tabous lis au conte, elle ne raconte jamais enun autre temps que la nuit, ni dans une autre saison que lhiver. Linterdiction de raconter le

    jour est li la crainte de la narratrice de devenirelle-mme, ses enfants ou ses petits fils-aveugle, chauve, ou folle. Le respect du tabou de la narration des contes merveilleux, en plein

    jour, ma oblig de se dplacer dans les villages, pour les couter et collecter la nuit. Et parfois je recevais les conteuses chez moi en hiver, elles racontaient de longs contes dogres etdes sultans, partir du couch du soleil jusqu' une heure ou deux heures du matin.

    La vieille narratrice ninterrompe jamais le fait de narration, et si quelquun lui pose desquestions, elle ne rpond jamais avant davoir fini et clturer son conte. Et si les enfantsdorment avant que le conte soit achev, la conteuse rcite on sadressant au conte inachev :je tai trangl avant que tu metrangle, et je tai jet au feu , puis elle coupe un cheveu sur

    la tte de chaque enfant, et le jette dans de leau courante.Les contes merveilleux kabyles narrs par les vieilles villageoises ont un aspect sacr, par

    rapport leur respect du : temps, saison, auditeur, et narrateur. Alors que les mythes chez leskabyles ont une nature profane, et ils sont raconts nimporte o et quand, par nimporte le

    qui. Cest la raison pour laquelle Claude Lvi-Strauss ne trouvait aucun motif srieuxpour isoler les contes des mythes. Bien au contraire, on constate que des rcits, qui ont lecaractre de contes dans une socit, sont des mythes pour une autre et inversement : premireraison pour se dfier des classifications arbitraires.(2)

    Donc, notre conte merveilleux est plus sacr quun mythe , dans lesprit et lme desvillageoises kabyles. Il est un vrai rite, qui ne se confine nullement la sphre du religieux ;

    cest plutt celle-ci qui ne peut sen passer, car elle se manifeste travers lui et revendiquelexclusivit de sa mise en uvre. (3) Et comme la religion populaire est exclusivementfminine en Kabylie(4), cest une affaire des vieilles femmes exprimentes. A travers larcitation du conte merveilleux en plein hiver, et juste aprs la semence du bl et de lorge, lavieille femme pratique le rite de base de la fertilit vgtale. Les formules de clture du contesont les meilleures dmonstrations : Tamachahut iw lekder lekder, ad yemri w arjun ntmar, at nec hakka nahder , qui veut dire mon conte merveilleux court de seuil en seuil, unegrappe de datte pousse, nous la mangeons, nous les prsent (auditeurs et narratrice). Et tamachahut iw tenneqda, awer nneqdan yirden ttemzin , qui veut dire mon conte esttermin, que le bl et lorge ne finissent jamais.

    2- Lenfant coute : comment et pourquoi ?Jai remarqu pendant ma collecte du conte merveilleux en Kabylie (depuis 1988 nos jours),que la narration de ce genre littraire est une affaire de vieilles femmes, et que son coute est

    - Mon conte merveilleux est arriv sa fin, que les ressources de Dieu ne finissent pas.- Mon conte merveilleux est achev, que le bl et lorge ne spuisent jamais. 1 - Voir autres formules dans le conte berbre en gnrale :- Henri Basset : Essai sur la littrature des berbres, p 107-110.2 - Claude Lvi-Strauss : Anthropologie structurale deux, Ed, PLON, 1973, Paris, France, p 153.3 - Pierre BONTE et Michel IZARD (Sous la direction de) : Dictionnaire de lethnologie et de lanthropologie,

    Ed, QUADRIGE/PUF, Paris, France, 3

    dition, 2004, p 630.4 - Ethnographiquement, la religion populaire est une affaire de vieille femme. Cette religion est un mlangedanimisme, et de lislam. On peut mme dire que cette religion est plus animiste de musulmane.

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    une affaire denfants en premier degr. Car les vieilles conteuses, tmoignent quellescoutaient ces contes pendants leur enfance, auprs des vieilles femmes, et cest pour cela qu

    elles sont trs motives les raconter aux enfants. a mest arriv de demander des vieillesfemmes de me raconter les timuchuha (contes merveilleux), pendants les nuits dhiver. La

    plupart dentre elles refusaient de raconterpar motif doublie, de fatigue, et de non vouloir

    faire, dautres narraient avec un peu dhsitation. Mais chaque fois que les enfants de 3 12ans sont prsents comme auditeurs, la conteuse avait le pouvoir, le savoir, et surtout le vouloirde raconter et de raconter sans cesse, jusqua minuit ou deux heures du matin. De temps autre la conteuse demande aux enfants les titres des contes dont ils veulent couter. Ils citentquelques titres(1) , et elle les leur raconte avec admiration.

    La conteuse demande aux enfants auditeurdtre trs sages lcoute, puis elle commence,on chantant la formule initiale : Machahu ! Tellem chahu ! Dieu fasse que mon contemerveilleux, soit plaisant, et se dveloppe autant que la poutre centrale, qui dit : "Ahu", sa viesera heureuse.

    Et pour prouver la sagesse et la meilleure obissance lcoute du conte, les enfants

    (auditeurs) rpondent en une seule voix : Ahu , qui veut dire : vous pouvez commencer,nous somme lcoute .

    La conteuse commence : Il tait une fois un sultan, -lunique sultan est Dieu- , ce dbutdu conte est universel, il renvoie un monde imaginaire de la conteuse et de son auditoire. Ou Il tait une fois, dans le pass trs lointain quand les animaux parlaient . Par ce dbut duconte merveilleux, les enfants prennent conscience du ct imaginaire et symbolique de cetart de parole. Un enfant de 8 ans(2) ma raconter les conte de sa grand-mre, un enfant parmiles auditeurs lui dit : mais tous a cest des mensonge. Deux autres enfants lui adressant la

    paroles : mais ces conte sont trs beaux, ils sont mieux que les histoires de livres scolaires.Lenfant narrateur ma confirm: je sais que ce nest pas du tout vrai ce que les contes

    racontent, mais je les adore et joblige ma grand-mre me les raconter chaque jour avant dedormir.

    Jai toujours constat que les enfants qui coutent les contes de leurs grand-mre ont un siriche vocabulaire, et il expriment trs bien leur messages avec beaucoup de mtaphore ; etcest bien pour a que celui qui coute ou lit des conte, se trouve dans une situation de

    1 - Les titres des contes trop demands par la plupart des enfants sont :- "Celui des pines et celui de la fortune" : deux orphelins, une fille et un garon abandonns dans la fort.- "La vache des orphelins" : deux orphelins, attachs la vache de leurs maman dcde.- "Le grain qui appelle" : une petite fille qui va la recherche de ses sept frres exils.

    - "La fille qui voulais un caillou en or" : une fille exigeante, qui fini par pouser un ogre, celui de caillou dor. - La lampe magique : le pre qui voulait pouser sa propre fille.- La belle fille et pre Ali le serpent : la belle abandonne, et adopte par le pre Ali le serpent.- Zelguma : le frre qui voulait pouser sa sur Zelguma, celle des longs cheveux dors.- Le riche et le pauvre : deux frres, un riche et un pauvre et les quarante ogres.- La cendreuse : celle de la cendre (version de cendrillon).- La fille qui rit du soleil, pleure de la pluie, et peigne de lor: lorpheline et la martre jalouse.- Les deux frres et logresse: Mhend qui sauve son demi frre dvor par logresse.- Mahduq, et Marzouq :Les deux frres, le sage, lidiot et logresse (enfants de deux copouses dvores parlogresse.).- La benjamine et logre dguis: enleve par logre, la benjamine russit senfuir par laide dune ngresse etdes animaux.- Le pre Inova, sa fille Aghriva, et logre : (version du petit chaperon rouge).

    - Mqidesh : le benjamin maigrichon, mais vainqueur de logresse.- Le benjamin aventurier et la sirne : (vertion de lOdysse et de Sindbad le Marin).2 - BOUDALI Hassan, enfants en 3me anne primaire

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    crativit facilite par le travail du dj-l apport par les gnrations passes. (1) Quand leconte est orale, il offre lenfant des moment de loisirs et de rencontre et dialogue vifs avec

    lancienne gnration. Ecouter est la meilleure faon de dapprendre une langue et la bienprononcer; ainsi que louverture de lesprit et de lme de lenfants sur des horizons infinis,vcus par son propre imaginaire. En un sens, couter un conte merveilleux, cest

    sabandonner la fantaisie imaginatrice de la personne qui parle, qui offre le conte ; cest luidire : "parle-moi, raconte-moi une histoire, pourvu que tu me parles je serai content, pourvuque nous jouions, toi inventer, et moi croire." (2)"""

    Les moments dassister lcoute des contes merveilleux, nous ont prouv la

    bonheur et la joie des enfants la fin heureuse des hros de ce genre du conte. Je penceque le happy-end des contes de fes donne lenfant limage dpreuves qui,videmment, sont loin de sa ralit, mais qui lui permettent momentanment desidentifier des hros qui traversent des passes difficiles et qui arriveront tout de

    mme triompher des obstacles.(3)Le conte merveilleux kabyle ne se termine pas ce point, mais sa fin, la

    conteuse clture son rcit : Mon conte merveilleux court de rivire en rivire, je lai racontaux enfants des nobles. Si je lai russi, je remerci Dieu, mais si je ne lai pas russi, Dieu me

    pardonne.Les enfants (auditeurs) : que Dieu te donne une bonne sant.La narratrice : quil la donne nous tous.La participation des enfants aux formules initiale et finale est obligatoire. Pourquoi ? Avantde rpondre, nous rappelons de ces quelque formules de clture des contes :La vieille conteuse : Mon conte merveilleux prend fin, que la misricorde de Dieu ne finisse pas./ Mon contemerveilleux est arriv sa fin, que les ressources de Dieu ne finissent pas./ Mon conte merveilleux est achev,que le bl et lorge ne spuisent jamais./Les enfants auditeurs : que Dieu te bnisse

    La vieille conteuse : que Dieu nous bnisse tous./ que Dieu bnisse vous parentsDans la pense et la croyance villageoises, les enfants sont des anges gardiens, et les rituels defertilit ne se font pas, sont eux. Les enfants participent aux crmonies de naissance,mariage, rencontre du printempsetc. A notre avis raconter ce genre de conte li des tabouset obligations, est un vrai rite de passage du manque labondance, comme ces messages duconte qui passent de la vieillesse (la vieille conteuse) lenfance (enfants auditeurs). Commetous les rite de passage, le conte lui faut une vieille femme porteuse de vieux savoir et sagesseMagique.

    Le discours et les mots du conte merveilleux ont multiples niveaux de signification. Dansla langue connue chez les enfants, ils ont un sens et une interprtation littrale et

    pdagogique : logre veut dire ogre (personnage mi-animale mi-humain, ou un personnagequi se mtamorphose en plusieurs formes animales, vgtales et autres. Mais dans la langueconnue par les sages adultes (vieilles femmes), ils ont un autre sens spirituel, profond etcach : logre veut dire force surnaturelle, visible et invisible, ses multiformes sontsymboles de force positives et ngatives du cosmos et des tres invisibles, tels que les mesdes anctres, des divinitsetc.

    1 - Perrault : Histoires ou Contes du temps pass, Edition prsente par Frdric de SCITIVAUX, EdLarousse/HER, Paris, France, 1999, p 122.2

    - Perrault : Histoires ou Contes du temps pass, Edition prsente par Frdric de SCITIVAUX, EdLarousse/HER, Paris, France, 1999, p 123.3 - Franoise DOLTO : La cause des enfants, Ed Robert Laffont, Paris , 1985, p 59.

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    Le conte son poids sur la socit traditionnelle par le billet de sa face mythologique, maisses grands vertus sont fleurissantes sur la psychique et ducatif de lenfant. Raconter unconte de fes, exprimer toutes les images quil contient, cest un peu semer des graines

    dont quelques-unes germerons dans lesprit de lenfant. Certaines commenceront toutde suite faire leur travail dans le conscient ; dautres stimuleront des processus danslinconscient. Dautre encore devront rester longtemps en sommeil jusqu' ce quelesprit de lenfant ait atteint un stade favorable leur germination, et dautre ne

    prendront jamais racine. Mais les graines qui sont tombes sur le bon terrainproduiront de belles fleurs et des arbres vigoureux ; cest--dire qelles donneront de laforce des sentiments importants, ouvriront des perspectives nouvelles, nourriront desespoirs, rduiront des angoisses, et, ce faisant, enrichiront la vie de lenfant, sur lemoment et pour toujours. (1)

    Le conte est un message cod, mais facile dcoder pour un enfant intelligent. Notre

    conteuse dit on clturant son conte : Mon conte merveilleux court de rivire en rivire, je lai racont aux honors. Le sage lecomprend et y tire de leon, lidiot le met de ct . Exactement, le sage si connect auxreprsentations de sa culture peut dchiffrer lindchiffrables ; si il ne le fait pas tt, il le feratard. Dans un conte kabyle : le vieille roi malade demande ses enfants de lui ramener la

    pomme rajeunissante, qui se trouve au-del des sept mers, le benjamin la ramen alors queles cadets ont chous. Si on veut savoir le sens de cette pomme lointaine au-del des septmers, on qua se rfrer une devinette kabyle : cest quoi la pomme rajeunissante, qui setrouve au-del des sept mers ? Cest bien : le soleil , car la pomme et le soleil se ressemble

    par la forme et la couleur. Et comme le soleil est immortel (il fait le jour et la nuit), le roivoulais tre soleil.

    Il ne faut jamais expliquer lenfant les significations des contes de fes. Mais il estimportant que le conteur sache ce que reprsente le message du conte pour lesprit

    prconscient de lenfant ; celui-ci peut alors tirer plus facilement de lhistoire desindices qui lui permettront de se comprendre mieux et, de son ct, ladulte sera mieux

    mme de choisir les plus appropris au stade de dveloppement de lenfant et ses

    difficults psychologiques du moment. (2)

    1 - Bruno Bettelheim : Psychanalyse des contes de fes, traduit de lamricain par Tho Carlier, Ed,Robert

    Laffont, p236.2 - Bruno Bettelheim : Psychanalyse des contes de fes, traduit de lamricain par Tho Carlier, Ed, RobertLaffont, p237.

  • 7/29/2019 Lart de raconter et dcouter La vieille conteuse kabyle raconte, les enfants coutent Comment et pourquoi

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    Bibliographie

    1 - ANTI AARNES: The Types of the folktale a classification and bibliography, (FFcommunications N.3), Translated and Enlarged by STITH THOMPSON, Indiana University,

    Seconde Revision, HELSINKI 1973, SUOMALAINEM TIE DEAKATEMIA ACADEMIASCIENTIARUM FENNICA.2 - ACEVAL (Nora): LAlgrie des contes et lgendes, hauts plateaux de Tiaret, EdMaisonneuve & Larose, Paris, France, 2003.3 - Afanassiev (A.N): Nouveaux contes populaires russes, Traduction de Lise Gruel- Apert,Maisonneuve & Larose, Paris, France, 2003.4 - BASSET (Henri) : Essais sur la littrature des berbres.5 - BELAMRI (Rabah) : Contes de lest algrien, Les graines de la douleur, Ed Publisud,Paris, France, 1982.6 - Bettelheim (Bruno) : Psychanalyse des contes de fes, traduit deb lamricain par ThoCarlier, Ed, Robert Laffont.

    7- BOAS (Franz) : LArt primitif, Prsentation par Marie Mauz, Traduit de langlais parCatherine et Manuel Benguigui, Ed, Socit nouvelle Adam Biro, Paris, France, 2003.8 - Bonte (Pierre) et Michel Izard (Sous la direction de): Dictionnaire de lethnologie et delanthropologie, Ed QUADRIGE/PUF, Paris, France, 3 dition, 2004.9 - DOLTO (Franoise) : La cause des enfants, Ed Robert Laffont, Paris , 1985.10 - Frobenius (Lo) : Contes kabyles, recueillis par Lo Frobenius, Tome : Sagesse,traduction des textes allemands par Mokran Fetta, prface de Camille Lacoste- Dujardin, Ed,EDISUD, 1999.11 - KHATER (Djouher) : La rose de lumire, Contes de Kabylie, Ed CASBAH, Alger,Algrie, 2007.12 - MAHFOUFI (Mehenna) : Chants de femmes en Kabylie, fte et rites au village,CNRPAH, Alger, 2006..13 - MALINOWSKI (Bronislaw) : Les argonautes du pacifique occidental, Traduit delanglais et prsent par Andr et Simonne DEVYVER, Introduction de Michel PANOFF, Ed,Gallimard, Paris, France, 1989.14 - Mille et une nuits (Les), Contes arabes TOME I , Traduction dAntoine Galland, Ed,TALANTIKIT, Bjaa, 2003.15 - Perrault : Histoires ou Contes du temps pass, dition prsente, annote et commente

    par Frdric de SCITIVAUX , Ed Larousse/HER, Paris, France, 1999.16 - Propp (Vladimir) : Morphologie du conte, suivi de Les transformations des contesmerveilleux Traduction de Marguerite Derrida, Tzvetan Todorov et Claude Kahn, Ed,

    Potique/Seuil, 1970.17 - SIMONSEN (Michle) : Le conte populaire,Ed, PUF, Paris, France, 1984, Introduction.18 - VALIRE (Michel): Le conte populaire, Approche socio-anthropologique, EdARMAND COLIN, Paris, France, 2006.19 - WEBSTER (H): Le Tabou, Etude sociologique, Traduction de Jacques MARTY, Ed,PAYOT, Paris, France.