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71 l'après-sida, nouveaux virus : la menace par Nathalie Levisalles (*) La plupart des spécialistes en sont maintenant convaincus : l'émergence de l'épidémie du sida n'a plus à voir avec le hasard qu'avec la nécessité. A l'échelon planétaire, l'évolution brutale et conflictuelle de nos rapports avec notre environnement naturel pourrait en être la cause principale. D'où la crainte de nouvelles épidémies virales. Pour certains, il faudrait même traiter ce problème sur le modèle des ca- tastrophes naturelles : imprévisibles, mais accessibles à la prévention. « Un phénomène comme le sida est naturel, presque prévisible. Il n'y a aucune raison pour qu'une autre grande épidémie de ce type ne puisse éclater à nouveau. » Délire de savant fou ou d'astrologue en mal de prédiction ? Non, il s'agit d'une déclaration récente de Josua Ledenberg, Prix Nobel de mé- decine et ancien président de l'université Rockfeller à New York. « Nous aurons à affronter d'autres catastrophes de ce type, a-t-il ajouté. Nous vivons en compétition avec les virus et les bactéries pour la domination de la Terre, et rien ne garantit que nous en serons les survivants. » Dix ans après l'irruption du sida, il faut bien admettre que les maladies infectieuses ne sont pas, loin s'en faut, un vestige du passé. D'autant plus que, si l'infection à VIH est la plus terribles des « nouvelles maladies », elle n'est pas la seule. Ces dernières années, les épidémiologistes on vu émer- ger la légionellose, la maladie de Lyme, de nouveaux types de virus herpès, le CMV (cytomégalovirus), mais aussi de redoutables fièvres hémorragiques virales (FHV), comme celles de Marburg, Ebola ou Lassa. On regroupe sous le terme FHV une douzaine de maladies qui ont en com- mun une fièvre élevée, un syndrome hémorragique, parfois une atteinte cardio-vasculaire et neurolo- gique et, surtout, un taux de létalité élevé et une contagiosité très importante. En 1989, le virus Ebola, agent d'une fièvre hémorragique très souvent mortelle, a été repéré aux Etats- Unis chez des singes provenant des Philippines. Les singes affectés sont morts mais heureusement, pas le personnel des laboratoires qui les avait manipulés. Une chance miraculeuse : en 1976, au Soudan, le virus avait tué 147 personnes sur 280 contaminées et au Zaïre, 280 sur 318. Cette chance, les victimes du virus de Marburg ne l'on pas eue non plus. En août 1967 à Marburg (Allemagne), vingt-cinq chercheurs et techniciens en contact avec des singes d'Ouganda ont contracté cette fièvre hémorragique et sept en sont morts. Après cet épisode, le virus a continué de tuer par flambées en Afrique entre 1975 et 1987. (*) Article paru dans le Journal International de Médecine, n°228, semaine du 18 au 24 mars 1992, reproduit avec l'aimable autorisation de la revue. Courrier de la Cellule Environnement de l'INRA n° 18

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l'après-sida, nouveaux virus :la menace

par Nathalie Levisalles (*)

La plupart des spécialistes en sont maintenant convaincus : l'émergence de l'épidémie du sida n'a plusà voir avec le hasard qu'avec la nécessité. A l'échelon planétaire, l'évolution brutale et conflictuelle denos rapports avec notre environnement naturel pourrait en être la cause principale. D'où la crainte denouvelles épidémies virales. Pour certains, il faudrait même traiter ce problème sur le modèle des ca-tastrophes naturelles : imprévisibles, mais accessibles à la prévention.« Un phénomène comme le sida est naturel, presque prévisible. Il n'y a aucune raison pour qu'uneautre grande épidémie de ce type ne puisse éclater à nouveau. » Délire de savant fou ou d'astrologueen mal de prédiction ? Non, il s'agit d'une déclaration récente de Josua Ledenberg, Prix Nobel de mé-decine et ancien président de l'université Rockfeller à New York. « Nous aurons à affronter d'autrescatastrophes de ce type, a-t-il ajouté. Nous vivons en compétition avec les virus et les bactéries pour ladomination de la Terre, et rien ne garantit que nous en serons les survivants. »Dix ans après l'irruption du sida, il faut bien admettre que les maladies infectieuses ne sont pas, loins'en faut, un vestige du passé. D'autant plus que, si l'infection à VIH est la plus terribles des« nouvelles maladies », elle n'est pas la seule. Ces dernières années, les épidémiologistes on vu émer-ger la légionellose, la maladie de Lyme, de nouveaux types de virus herpès, le CMV(cytomégalovirus), mais aussi de redoutables fièvres hémorragiques virales (FHV), comme celles deMarburg, Ebola ou Lassa. On regroupe sous le terme FHV une douzaine de maladies qui ont en com-mun une fièvre élevée, un syndrome hémorragique, parfois une atteinte cardio-vasculaire et neurolo-gique et, surtout, un taux de létalité élevé et une contagiosité très importante.En 1989, le virus Ebola, agent d'une fièvre hémorragique très souvent mortelle, a été repéré aux Etats-Unis chez des singes provenant des Philippines. Les singes affectés sont morts mais heureusement, pasle personnel des laboratoires qui les avait manipulés. Une chance miraculeuse : en 1976, au Soudan, levirus avait tué 147 personnes sur 280 contaminées et au Zaïre, 280 sur 318.Cette chance, les victimes du virus de Marburg ne l'on pas eue non plus. En août 1967 à Marburg(Allemagne), vingt-cinq chercheurs et techniciens en contact avec des singes d'Ouganda ont contractécette fièvre hémorragique et sept en sont morts. Après cet épisode, le virus a continué de tuer parflambées en Afrique entre 1975 et 1987.

(*) Article paru dans le Journal International de Médecine, n°228, semaine du 18 au 24 mars 1992, reproduit avec l'aimable autorisation dela revue.

Courrier de la Cellule Environnement de l'INRA n° 18

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La « nouveauté » du sida traduit notre méconnaissance du monde naturelII y a dix ans encore, on pouvait espérer que la plupart des maladies infectieuses, jugulées par les anti-biotiques et les vaccins, étaient sur le point de disparaître. Un optimisme tout à fait excessif, provoquépar le succès quasi miraculeux des antibiotiques à partir de 1940. En fait, non seulement les maladiesinfectieuses n'ont pas disparu mais elles pourraient devenir encore plus fréquentes, disent les spécia-listes. Pour Stephen S. Morse, maître de conférence en virologie à l'université Rockeffeler de NewYork et organisateur d'un congrès sur les virus « émergents » : « Les maladies infectieuses sont le prixque nous payons pour vivre dans un monde organique et nous devons nous attendre à de nouveaux"sida". La nouveauté du sida traduit sans doute plus notre méconnaissance du monde naturel qu'unnouveau développement diabolique de l'évolution ».Signe certain d'un intérêt nouveau, le congrès de New York a été suivi d'un cycle de conférences surce thème, organisé à Ischia (Italie) par Mirkz Grmek, historien de la médecine et professeur à l'écoledes Hautes Etudes. L'arrivée de ces nouvelles maladies, pour la plupart virales et pour certaines (sidaet FHV) extrêmement graves, a en effet obligé les épidémiologistes et les virologues à se poser denouvelles questions. Un recensement rapide a été fait : 20 à 30 maladies infectieuses nouvelles, essen-tiellement virales, sont apparues ces quarante dernières années. Première surprise : en les comparant,les spécialistes se sont aperçus que toutes avaient été précédées par un changement d'environnement,en particulier dans les régions tropicales. Le virus passe de l'animal à l'homme ou d'une populationhumaine réduite à une population étendue. Comme le résume Stephen Morse : « Le problème central,c'est le changement des relations entre les virus et la société humaine qui reflète l'évolution des rela-tions entre les humains et leur environnement ».

Deuxième constat : la quasi totalité de ces nouvelles maladies sont des zoonoses. Leurs hôtes naturelssont le plus souvent des animaux sauvages ; rongeurs, oiseaux ou arthropodes. Ainsi, fait remarquerStephen Morse, « le passage de la scrapie (tremblante du mouton) à la BSE (Bovine SpongiformEncephalopathy) qui touche la vache est un exemple flagrant du transfert inter-espèces d'un agentinfectieux vers une nouvelle espèce-hôte ».

Des canards grippés aux porcs mélangeurs

On oublie souvent que la grippe tue. Et qu'elle tue parfoisbeaucoup. Comme l'épidémie de « grippe espagnole » de1918 qui a fait 20 à 30 millions de morts dans le mondeentier. Une des raisons de cette létalité élevée, c'est la va-riabilité du virus qui fait que l'immunité, naturelle ou vac-cinale, n'est jamais définitive.A l'origine de la grippe humaine, on a découvert uneforme d'élevage pratiquée dans le sud de la Chine et del'Asie. Les canards et les porcs sont élevés conjointement,les excréments de l'un étant pour la nourriture de l'autre.Or, la grippe est un virus qui a pour hôtes les oiseaux etvolailles, en particulier les canards. Les canards ne peu-vent pas transmettre la grippe aux hommes, mais lesporcs peuvent jouer le rôle de « mélangeurs » dans les-quels de nouvelles souches de virus de porcs se croisent,créant un virus avec un nouvel antigène de surface qui estalors transmis à l'homme.

Plus cette forme d'élevage s'étend et plus le virus de lagrippe se développe, avec un réarrangement continuel deses gènes. Les virologues expliquent que la souche A dela grippe subit une dérive génétique, mais que, tous les20 ans, une mutation importante amène une nouvelleforme d'une protéine de surface, l'hémagglutinine. Celle-ci est un antigène majeur qui provoque une forte réponseimmunitaire. Comme le virus est « nouveau », personnen'est immunisé et une pandémie mondiale éclate. Mais leprocessus est plus compliqué qu'il n'y paraît. A plusieursreprises, des pandémies chez les porcs, survenues aprèsrecombinaison génétique du virus n'ont pas entraîné depandémie humaine, contrairement aux prévisions duCenter for Disease Control d'Atlanta.

N.L.

Les jet-virusII est clair pour tous maintenant que l'activité humaine est le principal responsable de l'émergence des« nouveaux virus ». En produisant des changements sociaux et environnementaux, les hommes favori-sent le transfert des virus vers de nouveaux hôtes. A l'origine de ces transferts, on retrouve le plus sou-vent un défrichement, une déforestation, de nouvelles cultures, une construction de barrages ou de ré-servoirs. Mais aussi les migrations humaines (de la forêt tropicale vers les grandes villes) ; la créationde bidonvilles autour des métropoles tropicales (promiscuité, manque d'hygiène, eau stagnante et cha-

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leur sont des conditions idéales pour lesrongeurs et les moustiques) ; et les voyages : lesavions transportent aussi bien les virus que lesvoyageurs. Aujourd'hui, en moins de vingt-quatre heures, n'importe quel virus peut seretrouver à l'autre bout du monde. Mais lesmigrations humaines (guerres et colonisations)ont toujours répandu les virus locaux. Ladengue et la fièvre jaune ont sans doute étédisséminées de l'Afrique vers l'Amérique par latraite des esclaves.

Des souris et des hommesCherchez la souris. C'est souvent elle la responsable.A vrai dire, avec les arthropodes, les rongeurs sont lesplus fréquents vecteurs des fièvres hémorragiques v i -rales.En Afrique, par exemple, c'est une souris qui transmetaux hommes le virus Lassa. La Mastomys natalensisleur est en effet très familière, partageant nourriture ethabitat.En Argentine, c'est la modification des techniquesagricoles qui a favorisé la rencontre des hommes avecle virus Junin, qui jusque-là n'infectait que les ron-geurs. Quand, au début des années 50, les fermiers ontcommencé à défricher la pampa pour planter du maïs,ils ont provoqué une explosion démographique dansune population de petites souris appelées Calomysmusculinus, porteuses du virus Junin. Cette maladie,dont la mortalité atteint 20%, touche maintenant 600personnes par an, sur un territoire de 100 000 km2.En Bolivie, l'histoire du virus Machupo, une FHVaussi, commence de la même manière. La maladies'est déclarée il y a 30 ans lorsque la souris Calomyscallosus s'est mise à pulluler, grâce aux changementsagricoles. Les contacts avec les humains ont augmentéet en 1960, on comptait 1 000 cas à Machupo, avec untaux de mortalité de 20%. Mais, dans ce pays, contrai-rement à l'Argentine, le programme d'élimination desrongeurs a été très efficace et aucun cas n'a été signalédepuis 1974.

L'hypothèse de mutations viralesnon retenue« Même la technologie est à double tranchant,fait remarquer Joshua Lederberg. L'améli-oration de l'hygiène et de la vaccination nousrend plus vulnérable parce qu'elle nous laissevierges de toute expérience microbienne. »Mais pourquoi les virus « émergent-ils » plusque les autres micro-organismes ? « Les êtresperfectionnés ont du mal à passer d'une espèceà l'autre, explique Mirko Grmek. C'est plus fa-cile pour les bactéries que pour les parasites, etplus encore pour les virus. Voilà pourquoi leschangements d'environnement favorisent sur-tout les maladies virales et, dans une moindremesure, les maladies bactériennes, mais aussi les maladies à mycoplasmes et à prions. »

Et les mutations ? En fait, la plupart des chercheurs qui se sont penchés sur le phénomène des « virusémergents » ont écarté cette hypothèse. « En dehors du virus de la grippe dont on connaît la variabilité,affirme Stephen Morse, la cause principale de ces émergences n'est pas la mutation. Les facteursécologiques et démographiques sont beaucoup plus importants. Bien que les virus soient capablesd'évoluer très rapidement, pratiquement aucun n'a montré de changement très net de pathogenèse, sil'on excepte l'encéphalite de Rocio et la WEE (Western Equine Encephalitis). »Si les virus émergents semblent préférer la proximité de l'équateur, ils n'épargnent aucun continent. EnCorée, l'extension des rizières a favorisé la souris locale, porteuse du virus Hantaan. C'est ce virus quia décimé les troupes de l'ONU pendant la guerre de Corée. En Afrique, la fièvre du Rift se réveille parflambées depuis la construction du barrage d'Assouan en Egypte et des barrages sur le fleuve Sénégalen Mauritanie.

La fièvre des pneusUn autre agent du FHV, le virus de Séoul, un virus de rongeurs, infecte maintenant les rats de la régionde Baltimore (Etats-Unis). Soixante-quatre pour cent d'entre eux sont porteurs d'anticorps contre le vi-rus de Séoul. Selon James Le Duc, de l'Institut de recherche de l'armée américaine sur les maladies in-fectieuses, aucun cas humain de la maladie n'a été signalé à Baltimore, mais, sur 1 148 habitants tes-tés, 15 portaient des anticorps contre ce virus, indiquant une exposition antérieure. Ce virus sembleraitpar ailleurs avoir un lien avec une pathologie chronique.Le moustique-tigre d'Asie (Aedes albopictus), un bon vecteur pour la dengue et la fièvre jaune, est en-tré aux Etats-Unis par Houston (Texas), en 1985, dans des pneus réchappes venus d'Asie. Maintenantinstallé dans dix-sept Etats américains, c'est une menace sérieuse qui pèse sur tout le pays.

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L'Amérique du Sud a été envahie par des virus de souris {cf. encadré), mais elle est surtout frappée parla dengue. Cette maladie tropicale qui avait naguère l'allure d'une grippe s'est fait remarquer en 1981par une épidémie qui a touché 300 000 personnes à Cuba. Mais l'infection a aujourd'hui pris un nou-veau cours. Un sujet infecté une première fois par une variété (sous-type du virus) peut faire une formesévère (fièvre hémorragique) de la maladie s'il est ensuite infecté par un autre sous-type du virus. Or,on voit la forme hémorragique de la dengue devenir de plus en plus fréquente au fur et à mesure que sedéveloppent différents sous-types du virus.

Virus non identifiés

Le tableau général est plutôt sombre. Il donne pourtant une raison d'être optimiste. Puisquel'émergence de nouveaux virus est essentiellement liée à l'activité humaine, on peut donc espérer lacontrôler, dans une certaine mesure. Les virologues savent maintenant qu'il existe un vaste réservoirde virus dont certains représentent une réelle menace. Mais, fait remarquer Mirko Grmek, « il existede nombreux virus et bactéries non encore identifiés. La Legionella était très répandue, mais on ne l'acaractérisée que lorsque, dans certaines conditions, elle est devenue pathogène ».

Mirko Grmek : on peut avoir demain une terrible épidémie de peste

Mirko Grmek est médecin, professeur d'histoire de la mé-decine à l'école des Hautes-Etudes en sciences sociales etauteur d'une Histoire du sida (Payot). Mais ses plus ré-cents travaux sont consacrés aux nouveaux virus.

Q : Peut-on parler de nouveaux virus au sens strict, oubien existent-ils déjà dans l'environnement ?M i r k o Gmerk : Les virus sont nécessairement préexis-tants. Ce sont des êtres très petits, mais pas très simples :ils ne peuvent pas naître de rien. On peut aussi penserqu'un virus est totalement nouveau si c'est un gèneéchappé d'un organisme. D'endoparasite, il devient exo-parasite. Mais cette théorie n'est qu'une hypothèse.Les virus nouveaux sont très rares. Il y a des virus qui nechangent en rien mais dont l'environnement change. Ilpeut aussi y avoir un virus relativement nouveau avec unepetite mutation. Dans les deux cas, une nouvelle maladiepeut apparaître.Prenons un rétrovirus, par exemple. S'il n'y a pasd'affinité pour le lymphocyte T4, il ne l'attaque pas. Maisil suffit d'un petit changement dans sa structure pour qu'ily ait accès.

Q : Y a-t-il plus de maladie nouvelles aujourd'huiqu'autrefois ?MG : Les maladies nouvelles vont être plus fréquentesmaintenant, parce que les changements de milieux sontplus radicaux qu'auparavant. En 50 ans, la France a pluschangé qu'en plusieurs siècles. Par ailleurs, l'éliminationdes maladies infectieuses classiques permet à d'autresd'apparaître.Le sida est un événement très rare qui s'inscrit à contre-courant du progrès médical. Les nouvelles maladies desociété, telles les maladies cardio-vasculaires ou les can-cers, touchaient jusqu'à présent plus tard dans la vie,puisque les maladies d'enfance et de jeunesse (diphtérie,tuberculose) ont été efficacement combattues. Or, le sidatue justement très tôt : il ne respecte pas les « règles dujeu » habituelles, d'où, en partie, le sentiment d'injusticeet d'impuissance qu'il inspire.

Q : Et les fièvres hémorragiques ?MG : Les fièvres hémorragiques sont des maladiesd'animaux sauvages.Ce sont des zoonoses qui changent d'hôte. Voyez lapeste : elle tue parce que ce n'est pas une maladie hu-maine. Pour le germe, peu importe si l'homme survit ounon, puisque c'est une maladie de rongeurs.

Q : Vous utilisez le concept de pathocénose. Quelles sontses lois ?MG : Comme la biocénose (l'équilibre de la répartitiondes animaux et des plantes dans un écosystème), la pa-thocénose est un système où le nombre de malades d'unemaladie dépend du germe, mais aussi du nombre de ma-lades d'autres maladies. C'est un système en équilibre.Une épidémie est un déséquilibre dans cette pathocénose,donc elle ne dure pas. Elle finit toujours par reculer et at-teindre un plateau : il y a une endémie à un certainniveau.C'est vrai aussi pour le sida. L'épidémie cessera, c'est sûr,mais à quel niveau ? On ne le sait pas On peut prévoir laforme de la courbe : en S avec un plateau. Mais ni le ni-veau, ni le moment.

Q : La France est-elle particulièrement menacée parcertaines maladies ?MG : Non. Personne n'aurait pu prédire le sida. Demême, pas une seule des prédictions du CDC (Center forDisease Control) d'Atlanta concernant les épidémies degrippe n'a été confirmée.Et regardez la peste chez les rats aux Etats-Unis : depuis20 ans, elle avance d'ouest en est. Elle est maintenant àmi-chemin des deux côtes, sans être passée à l'homme.Mais demain, on peut avoir une terrible épidémie de pestesi certaines conditions de vie sont remplies.Un retour de tous les germes existants est toujours pos-sible. Le choléra par exemple, ou le typhus. Celui-ci estendémique en France. Mais on sait que si certainesconditions de vie sont réunies (la guerre par exemple), legerme du typhus va ressurgir.

Propos recueillis par l'Auteur

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Comment envisager alors une prévention ? Le professeur Donald Henderson, longtemps chargé de lalutte contre la variole à l'OMS et maintenant en poste à Washington, a proposé la création de centresde surveillance des virus dans les banlieues des grandes villes proches de la forêt tropicale. Parce que,explique-t-il, « les nouveaux virus ont de grandes chances d'émerger des régions tropicales qui subis-sent des changements démographiques et agriculturaux ». Par ailleurs, insiste Stephen Morse, « il fautabsolument prendre l'habitude de faire une étude d'impact viral, comme on fait des études d'impact surl'environnement, pour chaque projet de déforestation ou de barrage, avec un échantillonnage de lafaune microbienne et virale des régions en changement écologique, et surtout, insiste-t-il, il ne faut pasméconnaître les problèmes sociaux ». Comme le sida l'a malheureusement montré, la prise en charged'une épidémie est avant tout un problème social et politique. Il faut savoir identifier une menace et semobiliser à temps.

D'autant plus, insiste le virologue, que les épidémies qui menacent l'Amérique du Nord - grippe,dengue, Séoul et Hantaan - représentent des dangers tout à fait réels. Il ne sera donc jamais trop tôtpour commencer une surveillance systématique des nouveaux virus avant qu'ils ne soient irréversible-ment installés.

Les maladies infectieuses restent, certes, des catastrophes naturelles qu'on ne pourra jamais éliminer.Mais en étant attentifs et prudents, on peut tenter de les contrôler et d'en limiter les dégâts, comme onle fait pour un tremblement de terre ou un cyclone •

Erratum : Par suite d'un enchaînement malencontreux de hasards adverses, la figure 3 de la page 15 du n°16 duCourrier de la Cellule Environnement, illustrant la Production et le lâcher des Trichogrammes (article de NicoleHawlitzky), comportait, en son coin supérieur gauche, un raccourci. Nous publions ci-dessous le schéma correct.