laicite 21e siecle

7/24/2019 Laicite 21e Siecle

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Robert FOSSAERTconomiste[Macro-sociologie et macro-conomie]

(2009)

Une lacit exportableau 21e sicle.

Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

Courriel:[email protected] web pdagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/

Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales"Une bibliothque numrique fonde et dirige par Jean-Marie Tremblay,

professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiSite web: http://classiques.uqac.ca/

Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque

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Robert FOSSAERT, Une lacit exportable au 21esicle. (2009) 2

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Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Prsident-directeur gnral,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.


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Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole, profes-seur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de :

Robert Fossaert

Une lacit exportable au XXIe sicle.

Paris : 2009.

[Autorisation formelle accorde par lauteur le 16 octobre 2003 de diffuser sespublications dans Les Classiques des sciences sociales. Le 11 novembre 2009,Monsieur Fossaert nous reconfirmait sa permission de diffuser ce texte dans LesClassiques des sciences sociales.]

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Robert FOSSAERT

La lacit exportable au 21esicle.

Paris : 2009.

On a pu juger de la position centrale acquise en France, par la lacit, aprs les

spasmes des lois scolaires et de la Sparation de l'Eglise et de l'Etat. Les retours

de flamme du "rgime de Vichy" et les tincelles occasionnelles des IV et V

Rpubliques ont prouv a contrario qu'un quilibre tait dsormais tabli avec

l'glise catholique nagure prpondrante comme avec les autres cultes. La d-

monstration se poursuit prsentement avec la nouvelle religion (peut-tre) pr-

pondrante, celle de l'islam. Si l'acclimatation du culte musulman se poursuit heu-

reusement, on sera mme en droit de penser que la lacit--la-franaise demeure

autant ou plus que jamais un modle de coexistence pacifique des religions dans

un Etat lui-mme dsacralis. Mais, dans un pays o la subordination des glisesaux lois communes est bien entre dans les moeurs, on ne peut se satisfaire de ce

seul rsultat pour dcerner la lacit un brevet d'excellence, voire de modernit.

Nul n'ignore, en effet, que cette mme lacit s'attire une longue srie de reproches

dont il faut prendre l'exacte mesure : son discours est-il dsuet ? les organismes

qui promeuvent l'action laque agissent-ils de faon pertinente ? sont-ils fonds

se comporter parfois en quasi propritaires de la vraie lacit ? les alliances relles

ou supposes de celle-ci avec telles corporations ou organisations professionnelles

sont-elles louer ou blmer ? etc. La presse priodique ne se prive pas d'allon-

ger et d'actualiser cette liste.

Une discussion thme thme de ces reproches et des faits allgus pour les

justifier ne servirait de rien. Elle dclencherait d'inutiles plaidoyers, d'incessantes

rpliques, de vaines casuistiques, sans que le fond du problme soit jamais atteint,

car la lacit ne peut tre value par rfrence premire ou principielle aux pri-


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pties de l'actualit. Son examen doit certes s'exercer in concreto et porter sur ses

pratiques comme sur ses propos, mais il ne peut prendre une pleine signification

qu' son chelle propre, laquelle est globale et sculaire. Globale comme la soci-

t dont aucun aspect n'est totalement tranger l'action laque; sculaire - ou, entout cas, pluri-dcennale - comme le furent (et le demeurent) les rythmes de son

histoire propre.

Une discussion dominante philosophique ne serait pas d'un meilleur secours,

mme si elle usait des outils d'allure sociologique que les philosophies d'aujour-

d'hui ont parfois mis la mode. Quand on aura dconstruit la lacit la manire

de Derrida pour entendre ce qu'elle dit son insu; quand on l'aura livre une

exploration archologique la faon de Foucault pour reprer l'archive sociale

dont elle est prisonnire - c'est--dire les limites sociales du dicible de son temps ;quand on lui aura appliqu les mthodes critiques successivement labores par

Bourdieu et ses disciples dvots ou dviants, on saura qu'elle est traverse par la

plupart des contradictions majeures de la socit o elle s'exerce. Je ne dis pas que

de telles investigations seraient inutiles, mais je tiens qu'elles pourront seulement

tablir la filiation philosophique de la lacit, les accomodements qu'elle a suppor-

ts mesure que sa doctrine devenait une politique et les amodiations qu'elle a

consenties ses oprateurs et autres exploitants. Elles dcriront le passage de l'op-

timisme progressiste d'un Condorcet au positivisme no-kantien qui tait la mo-

de quand elle devint loi de la rpublique. Elles souligneront les limitations et les

dfaillances que son ignorance de Hegel et de Marx peut avoir entretenues. Peut-

tre mme montreront-elles les greffons parfois biscornus que diverses modes

philosophiques auront pu lui infliger au nom de l'engagement sartrien ou l'en-

seigne d'un no-individualisme, harmonique du no-libralisme marchand, sans

parler des contorsions auxquelles l'ont conduite ceux des marxismes qui ont t

instrumentaliss comme outils de progrs ou comme pouvantails.

La raison principale qui me fait carter un examen critique dominante philo-

sophique tient au fait que la lacit n'est pas un discours, ni une doctrine, ni une

morale publique, ni une pratique scolaire, ni un principe d'organisation et d'action

: elle est tout cela la fois et bien d'autres choses encore, mais selon des modalits

que les circonstances historiques ont souvent fait varier, cependant que les pro-

pensions latentes ou militantes de ses adeptes taient elles-mmes soumises des

fluctuations, replis et novations rpondant avec des retards variables la fluidit


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desdites circonstances. Pour tre plus prcis, je dirai que la lacit correspond ce

que Touraine - ou, mieux, Rodinson - appellent un mouvement social, c'est--dire

un complexe idologico-politique, un projet de transformation sociale, une action

totalisante. De tels mouvements s'touffent parfois, par suite d'un insuccs pro-long ou d'un succs par trop radical, mais l'inverse, leurs succs partiels et r-

pts, entrecoups d'checs, les entretiennent en tant que mouvement qui a pris

corps. La question est donc de recourir toutes les sciences sociales pour aborder

sous divers angles cet objet macrosociologique, afin d'en dceler les traits essen-

tiels et le dynamisme intime, sans leur prter a priori ni vices ni vertus. En effet,

il en va de la lacit comme de tout autre mouvement idologico-politique : elle ne

peut tre son propre juge, elle ne peut qu'affirmer ses fins propres et les servir - ou

les desservir - par ses actions particulires, sans que jamais son pass soit garant

de son avenir.

Un premier angle d'attaque tient au ctparoissial de la lacit--la-franaise.

Je dis paroissial, comme les Anglais disent parochial, pour exprimer non seule-

ment ce qui concerne une paroisse donne, mais aussi ce qui s'enferme dans un

horizon trop court. En effet, notre lacit dborde difficilement des affaires d'gli-

se ou d'cole dans leurs rapports entre elles et avec l'Etat. Quelques comparaisons

internationales 1aident briser ce cercle troit. Est-ce que la Sude "luthrienne"

ou les Pays-Bas "calvinistes" qui ont richement dvelopp leurs systmes d'assis-

tance ont recevoir de nous des leons de lacit, et en quoi exactement ? Autre-

ment dit, le remplacement de la charit chrtienne (et, bien entendu, de l'aumne

musulmane et d'autres bienfaisances fortes connotations religieuses) par une

scurit sociale marque-t-il un progrs de la lacit ? Est-ce que l'Italie, l'Espagne

et la Pologne qui ont inflig au Vatican de lourdes dfaites lectorales en matire

de divorce, de contraception et d'avortement font preuve d'un lan laque mdio-

cre ? Est-ce que l'arme turque est gardienne d'une lacit de bon aloi ? N'allon-

geons pas ce questionnement auquel une lacit rnove, tendance universaliste,

devra donner des rponses nullementparoissiales.

Un deuxime angle d'attaque peut nous y aider : c'est d'observer les adhren-

ces historiques de la lacit--la-franaise, pour juger, frais nouveaux, si leur

1 Que j'ai esquisses nagure dans un article sur la gopolitique de la lacit(Hrodote, n 56, Janvier-mars 1990)


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prennit est ou non souhaitable. En effet, la lacit qui s'est cristallise autour de

l'cole publique et qui s'est panouie en sparant les glises de l'tat a t porte

par des associations maonniques et autres et par des partis rpublicains ou radi-

caux (ensuite plus diversifis) dont les configurations n'ont cess de se modifierjusqu' notre fin de 20 sicle. Elle a mri en un temps o la rpublique s'est enra-

cine jusqu'au village, o le suffrage est devenu universel (pour les hommes, s'en-

tend), o l'administration s'est paissie de branches nouvelles, o l'industrie et

l'urbanisation ont transform le paysage social et mental d'une population dsor-

mais veille la citoyennet. Mais, dans ce monde en transformation incessante,

la lacit a-t-elle toujours opr comme une force libratrice, au-del de son effort

victorieux contre les rvlations religieuses ? A-t-elle partie lie avec le centra-

lisme "jacobin" dont l'Etat franais est le parangon, comme si l'Allemagne qui

laisse ses Lnder et ses Universits une trs large autonomie tait, de ce fait

mme, inapte la lacit ? A-t-elle exagrment aseptis les conflits politiques et

sociaux, en se rendant solidaire d'une neutralit politique de l'cole qui est une

impossibilit dans une socit ingalitaire ? Est-elle tombe dans le pige, bien

franais, d'une galit abstraite qui se confond avec l'in-diffrence, comme si un

traitement diffrenci des populations scolaires n'tait pas la condition premire

d'une relle galisation des chances ? S'est-elle, de ce fait, rendue aveugle aux

diffrences culturelles observables d'une rgion l'autre et, plus encore, d'une

source d'immigration l'autre ? A-t-elle pouss ce travers jusqu' rver aux bn-fices civilisateurs de la colonisation que Jules Ferry promut en mme temps que

les lois scolaires ?

Encore faut-il - selon un troisime et dernier angle d'attaque - se demander si

les champs o la lacit livre bataille sont bien cerns et si les conflits dfensifs et

offensifs y sont d'une gale pertinence. Certes, la vigilance laque envers les tenta-

tives renouveles d'hgmonie religieuse demeure solide, tout en vitant juste

titre les piges de l'irrligion d'Etat o le Mexique, la Russie et la Turquie sont

tombs de diverses faons, comme si la religiosit latente de populations faon-nes par des sicles - ou des millnaires - d'incubation religieuse pouvait tre ra-

dique par une simple limination des appareils cclsiaux. De mme, la tentation

de promouvoir une sorte de religion laque - ce cercle carr entourant une morale

sociale d'honnte facture - a t carte en France plus nettement qu'en Belgique.

Mais, en diverses occasions, des pripties mineures ont t gonfles, comme si,


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par exemple, l'enseignement des mythologies bibliques ou coraniques tait intrin-

squement plus nocif que le rcit des mythes antiques ou exotiques. Surtout, des

prils beaucoup plus immdiats et d'importance majeure ont t mal vus et mal

traits, si ce n'est ignors par une cole expose l'explosion du multimdia et l'invasion du tout-march, lesquelles menacent jusqu'aux fondements mmes de

l'cole publique, obligatoire et gratuite.

Au reste, le dficit essentiel des combats laques s'est manifest et continue

de se manifester scandaleusement dans des domaines sociaux apparemment loi-

gns de l'cole et des glises. Qu'il s'agisse de l'administration de la justice et de

ses prolongements prventifs ou pnitentiaires, des craintes cologiques et des

chances d'un dveloppement durable et universalisable, des risques et ncessits

de l'nergie nuclaire, des problmes de l'intgration europenne ou des migra-tions vers l'Europe densment peuple, mais pauvre en naissances, de la profes-

sionnalisation des armes et de la prennit de l'OTAN ou de vingt autres ques-

tions aussi diverses et prgnantes que celles-l, aucun discours laque n'est vrai-

ment perceptible. J'illustre ceci par un exemple unique, celui de la mdecine : la

contraception et l'avortement sont-ils des progrs laques, au regard de l'abandon

traditionnel des lois de la nature enrobes de prescriptions "divines" ? la diffu-

sion des soins palliatifs est-elle de meilleure qualit laque que la soumission aux

souffrances "envoyes par Dieu" ou tenues pour inluctablement "naturelles" ?

l'acceptation d'une euthanasie bien agence est-elle laquement prfrable l'on-

reuse survie d'incurables ou d'alits rduits un tat vgtal ? En ces diverses

matires, les comportements du corps mdical sont-ils indiffrents aux laques ?

Et ainsi de suite : franaise ou non, la lacit ne s'est-elle pas englue dans les Kul-

turkmpfe du 19 sicle, sans largir ses offensives dans un monde o l'histoire

s'acclrait ?

Je vais quitter le champ critique que je viens d'explorer fort sommairement,

pour entrer au coeur du projet de rnovation et de revitalisation de l'thique socia-

le, mais je m'y risquerai sans modifier l'chelle macrosociologique o s'inscrit

mon propos. Pour qui observe sous cet angle les socits modernes - c'est--dire

celles des 16-20 sicles europens impulses par la rvolution industrielle capi-

taliste, la rvolution dmocratique bourgeoise et les rvolutions culturelles qui se

sont enchanes, de l'cole pour tous la prolifration multimedias - il est clair


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que la lacit peut prtendre l'hgmonie idologique (ou culturelle : c'est la

mme chose 2.

Cette hgmonie est un concept d Gramsci 3. De mme que Marx et Weber

nous ont appris concevoir l'ensemble politique propre chaque socit comme

une population soumise la domination d'un Etat (Marx), c'est--dire comme un

espace o l'Etat exerce le monopole de la violence lgitime (Weber), de mme

Gramsci nous a permis de comprendre que la mme socit, considre cette fois

comme un ensemble culturel (ou idologique) est soumise un principe d'ordre

tout fait gnral qui est prcisment l'hgmonie. Naturellement cet ordre dans

les esprits se conjugue intimement avec l'ordre dans la cit qu'exprime la domina-

tion politique. Gramsci analyse de faon trs subtile la dialectique contrainte /

consentement qui assure la cohrence et la continuit d'une socit donne, la-quelle est contrainte par le pouvoir d'Etat, mais consent l'ordre tabli. Savoir qui

l'emporte, de la contrainte politique ou du consentement qui la lgitime, c'est s'in-

terroger sur l'organisation des rapports entre l'Etat et la socit civile : entre le

pouvoir d'Etat qui se fait sentir travers ses appareils propres (aux dysfonction-

nements prs) et la socit civile qui est le rseau complet des pouvoirs non-

tatiques qui s'exercent dans la socit, de la plus menue des familles la plus

puissante des entreprises, de la plus vaste des glises (spares de l'tat) la foule

htrogne des syndicats, partis et autres associations, etc.

Le chemin est court, de la lacit l'hgmonie ainsi conue. Toutes les soci-

ts en voie de modernisation ont hrit d'hgmonies religieuses diversement

2 Contrairement l'usage qui s'est tabli depuis quelques annes - et qui dsignepar "idologies" les doctrines juges dplaisantes ou nfastes - j'appelle ido-logie (ou culture) l'ensemble des pratiques et reprsentations par lesquelles leshommes-en-socit prennent conscience du monde o ils vivent. Cet ensem-ble, analytiquement discernable de l'ensemble conomique (la production etce qui s'ensuit) et de l'ensemble politique (le pouvoir et ce qui s'ensuit), estlui-mme compos de deux parts en intime interaction : d'un ct les dires etles actes des appareils idologiques de toute sorte (glises, cole, etc.); d'au-tre part les pratiques, savoirs et savoir-faire dont toute la population est por-teuse et qui constituent, en somme, le coutumier de sa vie quotidienne.

3 Le texte intgral de ses Cahiers de prison, tardivement traduits chez Galli-mard, a t peu et mal lu par les intellectuels franais dont le pariochalismsurclasse celui de la lacit. Ces Cahiersconstituent nanmoins l'une des oeu-vres matresses du 20 sicle.


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agences, mais partout fort enveloppantes. Pour bien percevoir ce qu'est une h-

gmonie religieuse encore proche de sa splendeur passe, il n'est que d'observer

les pays islamiques du Proche et Moyen Orient et du Maghreb o les Etats mme

les plus modernisateurs (Turquie, gypte, etc.) doivent se contorsionner pour res-pecter - et faire respecter - sinon la charia dicte par les clercs, du moins, la dose

d'orthodoxie musulmane sans laquelle ni les appareils d'Etat, ni la population elle-

mme n'obiraient aux tenants du pouvoir d'Etat. Mais peut tre vaut-il mieux

(re)lire l'admirable ouvrage consacr par Lucien Febvre au Problme de l'in-

croyance au XVI sicle4, c'est--dire l'hgmonie religieuse dont Rabelais ne

put alors s'manciper. Il faut de longs et puissants mouvements sociaux pour sou-

lever puis briser une telle chape, mais je ne ferai pas des lecteurs laques l'injure

de rappeler l'ensemble des combats mancipateurs dont la France a t, pour sa

part, le thatre, du modeste "libertinage" du 17 sicle la multiplication des

"Lumires" du 18 sicle et aux combats plus dtaills du 19 sicle, tant bien

entendu que cette immense transformation n'a pas t une pure rvolution cultu-

relle, tourne vers les seules choses de l'esprit, mais s'est intimement marie,

d'poque en poque, avec les combats pleinement politiques dont l'ensemble, di-

vers et diffus, constitue ce que l'historiographie marxiste appelle la rvolution

dmocratique-bourgeoise.

Par l'effet de ces transformations politiques et culturelles, l'hgmonie reli-

gieuse s'est effrite, puis effondre, cependant qu'un nouvel ordre s'imposait dans

les esprits, l'chelle de la socit tout entire. Les lois de Sparation n'ont pas

inaugur ni parachev ce mouvement, mais elles l'ont couronn, tout comme leur

contemporaine, la loi de 1901 sur la libert d'association, consacrait une transfor-

mation effectue, par saccades, au cours du sicle prcdent. glises expulses de

l'appareil d'Etat, Rpublique dsormais bien assise, citoyennet s'exerant tous

les niveaux de l'difice social, libre cration des socits de commerce (c'est--

dire des entreprises), libert d'association, tablissement (plus tardif) de contrats

collectifs entre associations patronales et syndicales, consolidation d'une magis-trature (d'ailleurs pure des nostalgiques de l'ancien rgime), tutelle et contrle

point trop distraits des forces policires, soumission des forces militaires au pou-

voir civil, tribunaux assez indpendants pour juger des affaires o les pouvoirs

4 [Note de lditeur : Livre disponible dans Les Classiques des sciences socia-les : http://dx.doi.org/doi:10.1522/24850006. JMT.]
http://dx.doi.org/doi:10.1522/24850006http://dx.doi.org/doi:10.1522/24850006


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publics sont impliqus, soumission des contrats la loi, naissance de premires

juridictions internationales et de traits internationaux dment mis en force (sur-

tout s'ils visent une bonne coopration postale, ferroviaire, etc. plus qu' une

pacification diplomatique). Arrtons-l cette trop longue numration, pour cons-tater qu'un tat de droit a remplac l'ancientat de droit divin, ce qui signifie que

dans l'ordre idologique (ou culturel), les liberts d'association, de pense, de

presse, de runion, etc. ont pu s'panouir et permettre tous les appareils idolo-

giques d'exercer et de diversifier leurs activits dans les limites fixes par des lois

de la rpublique, elles mmes soumises aux dbats publics et aux procdures lec-

torales et lgislatives. Ainsi s'est tablie une nouvelle hgmonie que l'on peut

dire juridique, parce que tel est son trait dominant, celui qu'il faut rtablir en tout

premier lieu quand un rgime de Vichy vient interrompre la lgalit rpublicaine.

La lacit a d'abord trouv son compte dans cette mutation hgmonique qui

s'est affermie en refoulant les vrits rvles (sauf pour qui veut bien y croire) et

en rendant la libre pense accessible tous, grce une cole libre des prtres.

L'espoir d'radiquer les croyances et superstitions, ainsi apparu, s'est alors appuy

sur les triomphes de sciences dj libres des contraintes que les religions leur

imposaient. Toutefois cette surestimation nave de recherches scientifiques qui

jamais ne peuvent, ni ne pourront puiser leurs objets respectifs, s'est rduite, en

fait, un scientisme expos aux contre-offensives mtaphysiques. La dfaite a t

longtemps masque par les immenses progrs que l'cole laque faisait accomplir,

en quelques dcennies, au peuple tout entier. Il a fallu les guerres, les crises et les

rvolutions du 20 sicle pour que le voile se dchire. Arms de la sagesse rtros-

pective que procure le fait accompli, on peut dsormais comprendre pourquoi

aucune hgmonie laque n'a succd l'hgmonie religieuse, pourquoi la valori-

sation du droit a remplac le message religieux aux prtentions universelles.

L'hgmonie religieuse tait un principe d'ordre surcharg de rponses toutes les

interrogations et angoisses des humains et lourd de prescriptions pour tous les

ges de la vie, pour toutes les conditions sociales, pour toutes les situations, etc.Elle tait forme et contenu de l'enveloppe impose toute la culture. L'hgmonie

juridique donne certes forme la culture sociale, autant qu'il plat aux lgislateurs,

aux juges et aux juristes, aux co-contractants et aux associs de toutes espces,

aux adhrents de toutes associations, etc. Mais cette formalisation partout dispo-

nible ne vhicule, d'elle-mme, que quelques lambeaux de contenu plus ou moins


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obligatoire; par exemple, elle rgit l'tat-civil, mais ne dit presque rien des rites de

passage ponctus par les vnements dont cet tat-civil tient registre. Et ainsi de

suite, pour tous les aspects de la vie individuelle ou collective, pour le travail,

hormis les brves presciptions lgales et contractuelles qui l'enserrent plus oumoins efficacement, pour l'activit scolaire ou militaire, pour la vie urbaine ou

rurale, etc. l'infini. La seule grande transformation subie par l'hgmonie juridi-

que date de peu de dcennies et n'est pas encore bien consolide : c'est l'tablis-

sement de tout un systme de droits prestations sociales, droits acquis lgale-

ment ou contractuellement par une multitude d'individus, en raison de critres

objectifs (ge, emploi, chmage, charges de famille, etc.). Autrement dit la scuri-

t sociale a donn une force particulire au lien social; elle a confort l'hgmonie

juridique en allgeant d'autant les formes de la domination politique.

Une hgmonie beaucoup plus laque aurait pu s'tablir en subvertissant le

formalisme juridique, si le mouvement social dont la lacit est le produit, avait su

gnraliser son refus du principe d'autorit, bien au del des rvlations religieu-

ses; si la lacit n'avait pas entour l'Etat d'un respect excessif, comme si la domi-

nation politique pouvait devenir pleinement mancipatrice; si la lacit ne s'tait

pas rjouie de voir l'cole se dvelopper comme un appareil idologique d'Etat,

fort peu ouvert sur les multiples pouvoirs qui composent la socit civile; si elle

avait pourchass progressivement, mais obstinment, toutes les institutions non ou

peu religieuses qui usent et abusent de leur autorit, non fonde en raison : autori-

ts militaires qui divinisent la discipline, autorits ordinales dj voques, autori-

ts mdiatiques de toute sorte, autorits scientifiques qui prolongent leurs savoirs

par divers big bangsmtaphysiques, etc.

A ces dficits dont la liste pourrait tre allonge jusqu' incorporer le magister

dixit dont l'cole laque ne s'est gure dpartie, se sont adjoints les prils cumula-

tifs qu'une hgmonie juridique, fragilement tempre par une scurit sociale,

mais nullement oriente vers un libre panouissement de l'esprit critique, fait fina-

lement courir la lacit elle-mme. En effet, l'hgmonie juridique, mme ados-

se une rpublique de bon aloi, est poreuse : elle n'oppose aucun barrage aux

transformations ravageuses que la mondialisation de l'conomie commence

promouvoir dans l'agencement culturel des socits. Elle ne peut restreindre le

commerce du savoir, des "petites coles" marchandes aux boites--bachot et aux

"instituts suprieurs privs" de toute farine, pas plus qu'elle ne peut canaliser les


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concentrations conomiques qui mettent en pril le cinma, la presse, l'dition et

les autres medias de nombreux pays. L'avenir est plus inquitant encore, car les

prolifrations sectaires et les reviviscences religieuses se nourriront aisment des

tlcommunications mondialises, tout comme les formes scolaires et universitai-res concurrentes de l'cole publique et laque.

La protection dcisive doit venir de l'idologie elle-mme, par l'effet d'une r-

volution culturelle visant subordonner l'conomie au libre panouissement de la

culture et faire de la domination politique le gardien de ce nouvel quilibre. Au-

tant dire que l'on est, ici, l'ore d'un ventuel mouvement social pluri-dcennal,

voire sculaire, mouvement dont une lacit en voie de rnovation radicale pour-

rait tre le principal moteur, jusqu' marquer de son empreinte le nouveau typed'hgmonie qui s'tablira. Pour explorer correctement cette perspective immense,

bien des questions peine effleures jusqu'ici devraient tre examines mthodi-

quement, notamment en ce qui concerne les transformations probables ou souhai-

tables des socits civiles, des types d'Etat ou des cooprations internationales,

sans oublier les autres mouvements sociaux qui ont chance de prendre de l'am-

pleur, au cours du prochain sicle, notamment au titre de l'cologie, du fminis-

me, des rvoltes du monde pauvre, des crispations du monde riche, etc. Car la

rnovation ventuelle de l'thique sociale s'inscrira ncessairement dans ce tour-billon mondial o la France et l'Europe deviendront de plus en plus petites. On me

permettra nanmoins de m'en tenir, ici, la seule problmatique ouverte par l'in-

troduction du prsent ouvrage.

Pour donner chance cette lacit dj vieille de plus d'un sicle - d'impri-

mer sa marque sur le prochain sicle europen, non sans dbordements mondiaux,

quatre axes stratgiques me paraissent privilgier : les femmes, l'cole, les pseu-

do-autorits et les medias.

Les femmes ? La transmission culturelle d'une gnration l'autre est d'abord

leur affaire. Bien avant l'cole, c'est au sein de la famille, essentiellement par les

soins des mres (ou de leurs ventuels substituts) que tous les enfants apprennent,

par et dans le langage maternel, ce qu'est le coutumier de la vie quotidienne, cette

norme assise de la culture commune sur laquelle les appareils idologiques sp-


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cialiss (dont l'cole) viennent ensuite greffer leurs apports. Les femmes jouent

ainsi un rle central dans l'ouverture ou la clture des esprits enfantins, par la

transmission des savoir-dire, savoir-faire, savoir-vivre en socit qu'elles initient.

Notamment par l'assignation des rles (traditionnels ou non) dvolus aux adulteset aux enfants des deux sexes, dans la famille et dans son entourage premier. On

ne le sait que trop, ce sont les femmes tenues en subordination et enfermes dans

la vie domestique qui apprennent leurs enfants se rsigner ce sort ou s'y

pavaner comme ces petits mles que l'on prpare leur future fonction de chef de

famille. Il s'agt d'aider les femmes briser ce cercle vicieux, en leur permettant

d'exercer la pleine matrise de leur procration, en pourchassant leur analphab-

tisme ou leur illettrisme, en leur ouvrant l'accs un maximum de rles profes-

sionnels, associatifs, syndicaux ou politiques, en usant cette fin d'autant de lois

contraignant aux rformes qu'il en faudra pour btir une galit sociale pleine et

entire entre les sexes. Sur une telle lance, obstinment entretenue pendant des

dcennies, les automatismes traditionnalistes, les rmanences religieuses, les hy-

postases divines et terrestres du Pre, etc. seront ncessairement mis rude preu-

ve, tandis que les nouvelles gnrations offriront peu peu un terrain fertilisable

par l'esprit critique.

L'cole ? Il s'agit essentiellement de reconqurir l'cole, en levant les voiles

pudiques dont ses partisans drapent ses dfauts, que ces voiles soient tisss par

des administrations bureaucratiques, par des syndicats corporatifs ou par d'ardents

dfenseurs de la lacit d'avant-hier. Reconqurir l'cole, c'est la rendre efficace au

point de dissuader les parents de placer leurs enfants dans des coles religieuses

ou commerciales (ou les deux) afin qu'ils y soient "mieux levs" et "mieux te-

nus". Ce regain d'efficacit suppose que la promotion de (presque) tous les enfants

soit la seule raison d'tre de l'cole et de chacun des enseignants. Que les ensei-

gnants pdagogiquement inaptes ou fonctionnellement rticents cette mission

soient conduits changer de mtier. Que l'allocation quantitative et qualitative des

enseignants soit ajuste la difficult de cette tche dont les rsultats doivent fairel'objet d'valuations contradictoires et publiques. Que l'agencement des units

scolaires (classe, tablissement, zone scolaire de dimensions grables, zones plus

vastes pour l'orientation et le contrle) concrtise cette responsabilisation indivi-

duelle et collective en donnant chaque unit le maximum d'autonomie, sous une


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autorit dmocratiquement dsigne son chelle et dote des capacits et pou-

voirs requis pour le bon fonctionnement de ladite unit. Etc.

D'excellentes propositions ont t formules tous ces titres, sauf en ce qui

concerne le verrou qui bloque toute rforme essentielle : l'existence mme d'un

ministre central et centralisateur cens grer l'instruction publique pour en faire

une ducation nationale. Une autorit d'o dcoule la majeure partie des dcisions

affectant l'activit collective et le sort individuel de 850.000 enseignants et du

tiers supplmentaire de personnels d'encadrement ou de service est ncessaire-

ment source de dsordres, de laxismes et de dysfonctions plus graves encore. Si

bien qu'il est grand temps que les laques se dprennent de l'illusion qu'une telle

institution jacobine serait le dfenseur ultime de la lacit, le seul barrage contre

les retours de flamme - d'abord rgionaux et locaux - de l'cole religieuse. En d-mocratie, il est de multiples mthodes pour agencer, orienter et contrler la fonc-

tion scolaire. Notre Vatican jacobin est l'une des plus mdiocres.

Au reste, la reconqute de l'cole n'est pas qu'une affaire d'enseignants et d'or-

ganisation pdagogico-administrative. Elle requiert, plus encore, une novation

radicale du statut offert aux enseigns. Parmi les excellentes propositions formu-

les ces dernires dcennies, il en est beaucoup qui privilgient l'individualisation

du soutien aux lves, la multiplication (progressive selon l'ge et le niveau) des

opportunits de travail en groupe, la rarfaction des mulations litistes, l'instau-ration en cascade de monitorats amenant beaucoup d'lves et d'tudiants entra-

ner, par petits groupes, leurs cadets de trois ou quatre ans, la prsence non dcora-

tive mais dlibrative d'lves lus dans un nombre d'institutions scolaires crois-

sant avec leur ge, etc. Toutes tendances qui doivent entraner les lves vers d'in-

cessants travaux pratiques de civilit et de civisme (y compris pour policer les

tablissements et procurer aux lves comme aux matres le respect qui leur est

d) jusqu' faire de l'cole un foyer vivant de citoyennet.

Les pseudo-autorits ? Au coeur de l'action laque, il y avait un refus radical

de l'autorit religieuse, un rejet des "rvlations" interprtes et inventes par un

clerg s'rigeant en autorit suprme. Dj plusieurs des exemples voqus ci-

avant ont montr que d'autres autorits, retranches dans diverses institutions,

exercent une autorit inde, invrifiable ou insuffisamment vrifie. La lacit se

revivifierait en largissant son champ d'action aux professions mdicales, truffes

de traditionalisme, aux professions juridiques et judiciaires o l'arbitraire se voile


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de non-dits (cots, dlais, etc.) et de non-lieux 5 (par quoi je rsume les aspects

non-publics du traitement des litiges). Elle devrait, de mme, perdre sa rvrence

l'gard des autorits tatiques (c'est--dire ministrielles, administratives, pr-

fectorales et autres) pour les traiter toujours avec l'irrespect dmocratique quiconvient leur vrification, laquelle ne peut s'accommoder des dires du ministre

des Finances en matire d'impts, de douanes ou de dpenses publiques, ni des

dires des ministres de la Dfense et de l'Industrie en matire de scurit nuclai-

re, etc. En ayant ainsi partie lie - comme ses origines - avec divers autres cou-

rants rpublicains ou dmocratiques, ells se rendrait apte cooprer au traitement

de problmes radicalement nouveaux, par exemple ceux que pose le contrle

d'une arme dsormaix professionnalise, ou celui d'une administration europen-

ne o les ministres nationaux dversent sans zle une part de leurs comptences.

Disons-le d'autre manire : partout o le contrle parlementaire doit s'exercer,

avec les moyens rduits qui sont les siens, des milliers de citoyens porteurs d'un

nouvel humanisme exigeant pourraient apporter le renfort de leur esprit critique

rvivifi, l'encontre des autorits non ou mal vrifies.

Les medias ? Dans leurs formes modernes, omniprsentes, entrelaces et sans

cesse multiplies, les medias figurent au premier rang des autorits peu, mal ou

non vrifiables. Par priorit, la nouvelle thique sociale devrait s'incarner dans

une ppinire d'esprits critiques, gnrateurs de contre-pouvoirs tourns vers cer-

tains domaines trs prcis : ceux de l'information et du dbat politique ( lato sen-

su), ceux aussi des normes de dontologie revendicables en diverses matires o

la formation des jeunes esprits est directement concerne, ceux enfin o doit

s'exercer une particulire vigilance contre le tout-march dnonc ci-avant. Pour

le reste, l'ambition d'une lacit, gnratrice permanente d'esprit critique, devrait

tre d'appliquer aux medias modernes la sagesse que ses prdcesseurs (fussent-

ils pr-laques) ont applique tous les medias successifs, depuis la conqute et la

gnralisation populaires de la lecture et de l'criture. Apprendre inlassablement

lire le livre, la presse, le film, la radio, la tl, l'internet, etc. est son devoir perma-nent, selon des mthodes sans cesse adaptes ce que signifie, cas par cas, la

"lecture" critique de ce qui est communiqu et, par consquent, l'accs "l'critu-

re" des nouveaux styles de message. Tant il est vrai que l'radication de l'analpha-

btisme et de l'illettrisme n'est que la premire tape d'un parcours illimit o la

5 Malgr les heureuses rformes esquisses par Elisabeth Guigou.


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matrise critique de toutes les productions de l'esprit humain doit tre la vise v-

ritable.

Au lecteur irrit ou intrigu par mon incessante rfrence l'esprit critique, je

recommande vivement une lecture attentive des crits de Gramsci 6que j'ai dj

signals. Mais pour qui veut couper au plus court, je note que, dans une socit

ncessairement drape dans une idologie omniprsente, il ne peut exister aucun

espace de croyance pure, de science jamais assure d'elle-mme, de raison plei-

nement confiante en la doctrine qui la porte, de vrit indpassable, etc. Vue sous

son clairage le plus positif, cette idologie aussi vaste que la socit est sa cultu-

re propre, c'est--dire le systme complet des savoirs et des illusions, des prati-

ques et des reprsentations dont ladite socit est porteuse - et dont les traits par-tags avec d'autres socits constituent leur commune civilisation. La lacit ne

peut travailler au progrs de l'esprit humain qu'en suscitant et en entretenant sans

cesse dans cette norme idologie = culture le ferment de l'esprit critique, qui est,

avec la recherche scientifique et l'invention artistique, le plus fcond des accom-

plissements humains. De mme que la rpublique dmocratique est, ce jour, la

meilleure concrtisation de la souverainet populaire dans l'ordre politique, de

mme que les checs majeurs et les timides accomplissements du socialisme sont

les cruels indices d'une souverainet populaire absente de l'ordre conomique, demme, la lacit qui a accompli jadis une perce remarque dans l'ordre idologi-

que, devrait tendre y mrir comme expression pleine et entire de la souveraine-

t populaire dans l'ordre idologique (ou culturel) en devenant la cl de vote de

l'difice culturel dans lequel les hommes grent du mieux qu'ils peuvent une

commune destine dont ils sont les seuls agents. Du mieux qu'ils peuvent, c'est--

dire en oprant et en cooprant au mieux de leurs capacits spirituelles : avec un

plein esprit critique.

Encore faut-il s'abstenir de plaquer sur l'immense mouvement librateur de

l'esprit qu'il convient de rendre aussi pleinement critique qu'il se peut, une spiri-

tualit prfabrique, c'est--dire une doctrine qui prtendrait envelopper par anti-

cipation les rsultats venir de dcennies et de sicles de travail laque (ou scien-

6 Note de lditeur : Voir les uvres dAntonio Gramsci disponibles dans Les

Classiques des sciences sociales. JMT.
http://classiques.uqac.ca/classiques/gramsci_antonio/gramsci.htmlhttp://classiques.uqac.ca/classiques/gramsci_antonio/gramsci.htmlhttp://classiques.uqac.ca/classiques/gramsci_antonio/gramsci.htmlhttp://classiques.uqac.ca/classiques/gramsci_antonio/gramsci.html


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tifique ou artistique) dans un monde o la marchandise aura ou non t matrise,

o le droit aura ou non t finalis, o l'ordre politique aura ou non t tir vers

moins de contrainte et plus de consentement, o l'ordre conomique, enfin, aura

ou non chapp la monomanie accumulatrice et ingalitaire du capitalisme. Larevitalisation de l'esprit laque se reconnatra ceci qu'il produira, chemin faisant,

tout un fourmillement d'ides, d'expriences et de projets qui lui donneront sa

pleine dimension spirituelle.

Notes

(1) Que j'ai esquisses nagure dans un article sur La gopolitique de la lacit(Hrodote, n56, Janvier-mars 1990).

(2) Contrairement l'usage qui s'est tabli depuis quelques annes - et qui d-

signe par "idologies" les doctrines juges dplaisantes ou nfastes - j'appelle

idologie (ou culture) l'ensemble des pratiques et des reprsentations par lesquel-

les les hommes-en-socit prennent conscience du monde o ils vivent. Cet en-

semble, analytiquement discernable de l'ensemble conomique (la production et

tout ce qui s'ensuit) et de l'ensemble politique (le pouvoir et ce qui s'ensuit), est

lui-mme compos de deux parts en intime interaction : d'un ct, les dires et lesactes des appareils idologiques de toute sorte (glises, coles, etc.); d'autre part

les pratiques, savoirs et savoir-faire dont toute la population est porteuse et qui

constituent, en somme, le coutumier de sa vie quotidienne.

(3) Le texte intgral de ses Cahiers de prison, tardivement traduits chez Gal-

limard, a t peu et mal lu par les intellectuels franais dont le pariochalism sur-

classe celui de la lacit. Ces Cahiers constituent nanmoins l'une des oeuvres

matresses du 20 sicle.

(4) Lequel est une mise en forme des relations sociales, qui facilite le traite-ment des ventuels litiges, mais non une thique ordonnant les multiples domaines

de la vie sociale.

Fin du texte

laicite 21e siecle

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