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L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013 Page 1 J oyeux drille, ainsi l’avons-nous laissé dans le dernier N° de l’Eutrapélique, mais aussi, rappelez vous, ô combien fier de sa Province ! De ses avatars parisiens, il va se laisser aller, lui, le fort facétieux écrivain, à nous relater un épi- sode où l’honneur breton va être mis en jeu, en le situant par rapport à un événement historique de tous connu. Ouf…Pour une fois, il va nous permettre de jalonner ce parcours tortueux si insaisis- sable dans lequel il se complait à entraîner son lecteur, et qui a désespéré ses plus opiniâtres bio- graphes. Il fait de Lupolde le narrateur, mais nous sommes maintenant coutumier de ses petits mensonges entre amis… Ainsi, nous conte t-il l’épisode de « la pierre de faix »… Un beau jour, sortant d’une taverne de la rive droite de la Seine, la maison du Croissant, dans le quartier de la rue Saint Honoré, où du Fail, Lupolde et quelques compatriotes étaient allés boire une bolée, -en compagnie d’un certain Cornillet de Pleumeleuc qui amenait à tous des nouvelles du pays-, la Providence allait leur donner l’occasion de prouver la vaillance de leur nature… De cet estaminet qui selon la topographie historique du Vieux Paris se situait derrière le Louvre, du côté Sud de la rue, entre la rue des Poulies et la seconde porte Saint Honoré, ils devaient pour rentrer rive Gauche dans le quartier de l’Université, longer les quais de Seine. Ce faisant, ils arrivèrent à un attroupement, où un certain nombre d’individus, plusieurs de natio- nalités étrangères, dont des Allemands et des Suisses, ivres nous dit il, se défiaient à qui lancerait le plus loin un certain bloc de pierre trouvé là, par hasard, à cet endroit. Jouant des coudes, ils se frayent un chemin jusqu’aux premières places, et constatent dépités, que l’honneur national est mis à mal. C’est alors qu’un Allemand prend à parti l’un d’eux, un cer- tain Tharngen : « Range toi, lui dit il en se moquant, ou prend ta part du jeu ! » Piqué au vif, car écrit il « le sang de ceste nation meurt plus- tost que fleschir et ploier sous une audacieuse et superbe ri- sée », Tharngen saisit le bloc de tuffeau, le « tourne sur les quar- rez pour mieux assurer sa prise », et le projette de « vive roideur » dépassant d’un grand demi pied la plus grande dis- tance jusque là atteinte. Stupeur parmi les étrangers, d’autant que nous relate-t-il, un autre breton dénommé Victor Callo, fait encore mieux, confirmant ainsi sans contestation possible la supériorité physique des Bretons, qui se font ainsi « restaurateur de l’honneur parisien ». Au XVIème siècle, il était bien connu que c’était parmi les Bas Bretons que se recrutaient les hommes les plus vigoureux et les plus forts lutteurs. La restauration du Louvre ordonnée par François Ier et qui ne fut pas terminée avant 1539, avait amené l’entassement de matériaux sur les quais de Seine, et cet événement qui l’a marqué car flat- tant sa fierté de Breton, dut se dérouler au moment des fêtes que François Ier organisait pour ac- cueillir et si possible éblouir son rival Charles Quint, lequel traversait alors la France en 1539 pour aller réprimer une révolte chez les Flamands. L’Eutrapélique L’Eutrapélique LES AMIS DE NOËL DU FAIL 4ème trimestre 2013 n°5 L es Contes et Discours d’Eutrapel présentent un intérêt tout particulier, outre celui de folâtrer en compagnie de notre garnement breton, et d’en découvrir sa nature si « facétieuse ». A travers les multiples allusions qu’il fait de ses escapades, il nous permet de voyager dans le Paris du XVIème siècle, de croiser le chemin de personnages originaux et célèbres du temps, de recueillir des légendes ou des détails curieux. Il nous inspire une atmosphère, et fait surgir des images qui forment un tableau de fond, à ce qu’il nous raconte. Il nous plonge dans ce monde encore moyenâgeux, où l’on s’at- tend à croiser Esmeralda ou Quasimodo au détour d’une ruelle. Comme le souligne son maître biographe Philipot, et cette remarque nous parait aussi fondée qu’importante, cette peinture dans laquelle il excelle, est en cela bien supérieure à celle qu’en fait Rabelais dans l’énorme et caricatural cha- pitre où il relate les farces de Panurge. Preuve que du Fail n’est pas, comme trop le pensent, qu’une pâle copie du maître chinonnais, et que son talent de conteur lui fait en certains domaines, prendre le premier rang

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Page 1: L’Eutrapélique - Les amis de Noel du Fail · L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013 Page 1 J oyeux drille, ainsi l’avons-nous laissé dans le dernier N° de l’Eutrapélique,

L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013

Page 1

J oyeux drille, ainsi l’avons-nous laissé dans le dernier N° de l’Eutrapélique, mais aussi, rappelez

vous, ô combien fier de sa Province !

De ses avatars parisiens, il va se laisser aller, lui, le fort facétieux écrivain, à nous relater un épi-

sode où l’honneur breton va être mis en jeu, en le situant par rapport à un événement historique de

tous connu. Ouf…Pour une fois, il va nous permettre de jalonner ce parcours tortueux si insaisis-

sable dans lequel il se complait à entraîner son lecteur, et qui a désespéré ses plus opiniâtres bio-

graphes.

Il fait de Lupolde le narrateur, mais nous sommes maintenant coutumier de ses petits mensonges

entre amis… Ainsi, nous conte t-il l’épisode de « la pierre de faix »…

Un beau jour, sortant d’une taverne de la rive droite de la Seine, la maison du Croissant, dans le

quartier de la rue Saint Honoré, où du Fail, Lupolde et quelques compatriotes étaient allés boire

une bolée, -en compagnie d’un certain Cornillet de Pleumeleuc qui amenait à tous des nouvelles du

pays-, la Providence allait leur donner l’occasion de prouver la vaillance de leur nature…

De cet estaminet qui selon la topographie historique du Vieux Paris se situait derrière le Louvre,

du côté Sud de la rue, entre la rue des Poulies et la seconde porte Saint Honoré, ils devaient pour

rentrer rive Gauche dans le quartier de l’Université, longer les quais de Seine.

Ce faisant, ils arrivèrent à un attroupement, où un certain nombre d’individus, plusieurs de natio-

nalités étrangères, dont des Allemands et des Suisses, ivres nous dit il, se défiaient à qui lancerait

le plus loin un certain bloc de

pierre trouvé là, par hasard, à cet

endroit.

Jouant des coudes, ils se frayent

un chemin jusqu’aux premières

places, et constatent dépités, que

l’honneur national est mis à mal.

C’est alors qu’un Allemand

prend à parti l’un d’eux, un cer-

tain Tharngen : « Range toi, lui

dit il en se moquant, ou prend ta

part du jeu ! »

Piqué au vif, car écrit il « le

sang de ceste nation meurt plus-

tost que fleschir et ploier sous

une audacieuse et superbe ri-

sée », Tharngen saisit le bloc de

tuffeau, le « tourne sur les quar-

rez pour mieux assurer sa

prise », et le projette de « vive

roideur » dépassant d’un grand

demi pied la plus grande dis-

tance jusque là atteinte.

Stupeur parmi les étrangers,

d’autant que nous relate-t-il, un

autre breton dénommé Victor

Callo, fait encore mieux, confirmant ainsi sans contestation possible la supériorité physique des

Bretons, qui se font ainsi « restaurateur de l’honneur parisien ».

Au XVIème siècle, il était bien connu que c’était parmi les Bas Bretons que se recrutaient les

hommes les plus vigoureux et les plus forts lutteurs.

La restauration du Louvre ordonnée par François Ier et qui ne fut pas terminée avant 1539, avait

amené l’entassement de matériaux sur les quais de Seine, et cet événement qui l’a marqué car flat-

tant sa fierté de Breton, dut se dérouler au moment des fêtes que François Ier organisait pour ac-

cueillir et si possible éblouir son rival Charles Quint, lequel traversait alors la France en 1539 pour

aller réprimer une révolte chez les Flamands.

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IL

4ème trimestre 2013

n°5

L es Contes et Discours d’Eutrapel présentent un intérêt

tout particulier, outre celui de folâtrer en compagnie

de notre garnement breton, et d’en découvrir sa nature si

« facétieuse ».

A travers les multiples allusions qu’il fait de ses escapades,

il nous permet de voyager dans le Paris du XVIème siècle,

de croiser le chemin de personnages originaux et célèbres

du temps, de recueillir des légendes ou des détails curieux.

Il nous inspire une atmosphère, et fait surgir des images qui

forment un tableau de fond, à ce qu’il nous raconte. Il nous

plonge dans ce monde encore moyenâgeux, où l’on s’at-

tend à croiser Esmeralda ou Quasimodo au détour d’une

ruelle.

Comme le souligne son maître biographe Philipot, et cette

remarque nous parait aussi fondée qu’importante, cette

peinture dans laquelle il excelle, est en cela bien supérieure

à celle qu’en fait Rabelais dans l’énorme et caricatural cha-

pitre où il relate les farces de Panurge.

Preuve que du Fail n’est pas, comme trop le pensent,

qu’une pâle copie du maître chinonnais, et que son talent

de conteur lui fait en certains domaines, prendre le premier

rang

Page 2: L’Eutrapélique - Les amis de Noel du Fail · L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013 Page 1 J oyeux drille, ainsi l’avons-nous laissé dans le dernier N° de l’Eutrapélique,

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Or, on le sait de façon précise, Charles Quint entra dans Paris le 1er Janvier 1540 et y resta jusqu’au milieu du mois. On sait donc par

déduction que du Fail / Lupolde était présent à Paris à cette date.

Le « Cornillet » en compagnie duquel ils avaient bu chopines dans l’estaminet sus cité, était un de ces personnages qui faisaient des

va et vient réguliers entre la capitale et la Bretagne, conservant ainsi le lien avec la terre natale, les amis et la famille. Messager, il

amenait des lettres, des colis, et des nouvelles. Comme l’a trouvé par ses minutieuses investigations la Borderie, ce « Cornillet » était

le surnom d’un certain Guillaumel originaire de Pleumeleuc, qui en cinq à six jours reliait la Province à Paris, et qui devait, à l’instar

d’un alter ego du Maine, surnommé Mériane dont il parle dans le chapitre XXX (II, 245), distribuer « à travers une fenêtre à demy

treillisée », « à cestui son sac, à l’autre son pacquet, et à plusieurs separez par rangs et ordre, du beurre, chappons, langues fu-

mées ».

Mais ce personnage était aussi porteur de nouvelles… et l’une de celles-ci allait bientôt perturber l’insouciant jeune homme. Là bas,

en Bretagne on songeait à … le marier ! (Eutrapel, XXVI, II, 195).

Il en rira bien fort (XXX) déclarant avec ironie « Je brusle et suis amoureux, sans savoir de qui », car l’idée de mariage à cette

époque de sa vie était fort éloignée de ses préoccupations.

Il demandait en plaisantant si « on lui gardait en mue quelque fiancée bretonne », et se gaussait à l’évocation de ces « bastons coiffez

et embrassant les nues », images de ces hautes coiffes de mariage typiques de la Bretagne.

Un beau jour n’y tenant plus, la nostalgie le taraudant, il prend sans crier gare le chemin de Château Letard. Il ne prévient même pas

Lupolde qui va se faire un sang d’encre, et rentre au bercail… Pas directement nous dit il. Sans doute craignant d’être vertement répri-

mandé, il tourne en rond trois jours durant !... avant de se décider à pousser la porte du manoir. Mais la joie de son retour l’emporte

sur le reste et on est tellement heureux de le revoir qu’on organise un festin, conviant famille, voisins et amis, pour célébrer cet événe-

ment imprévu. Et puis on est tellement fier de pouvoir montrer et parler de ses progrès… La vie parisienne, cela a dû le policer, lui

faire acquérir des manières dignes d’un vrai gentilhomme. Chacun est impatient de découvrir le nouveau Noël.

Mais, confesse-t-il sans paraître dépité, il n’a su garder tout au long du repas le maintien et la tenue qu’on espérait de lui. Il avoue

qu’il se montra niais, emprunté, et finalement bien peu dégrossi de ses mœurs rustres. C’est un sentiment de déception qu’il fait ainsi

naître, et qu’il décrit sans paraître en être affecté. La joie de tous en est un peu ternie, chacun s’étant imaginé que les fréquentations

parisiennes lui avait assoupli le cuir…

Bien sûr il ne fournit aucune indication de date quant à cette escapade. Les patientes recherches de la Borderie ont permis de retrouver

une trace qui permet de dater cet épisode.

On retrouve le 14 Octobre 1543, sur un acte de baptême de Saint Erblon, un « Natalis du Fail » en qualité de témoin. En dépit d’inter-

prétations différentes et de savantes investigations entre les érudits biographes de notre ami, Philipot, Courbet, Félix Franck et la Bor-

derie, il semble que ce « Natalis » soit à différencier des « Notallia, Natalia, Noela », transcriptions de Noëlle du Fail, que l’on re-

trouve sur d’autres actes, prénom d’une des filles de François du Fail, le frère aîné. Sans épiloguer; il semble donc que l’on puisse

situer ce retour inopiné en Bretagne en Octobre 1543, et que ce soit là, la dernière incartade de du Fail en Bretagne avant son départ

Outre Monts.

Quant aux velléités matrimoniales qu’on avait manifestées pour lui, elles furent sans suite, bien qu’après avoir festoyé, nous raconte-t

-il, une fine mouche « rebrassée galoise » se mit à l’entreprendre et à lui parler de filles à marier.

Combien de temps resta-t-il à Château Letard ? Il ne nous en dit rien. Quand reprit il le chemin de Paris et des supposées études ?

Mystère.

Toujours est il que, loin de l’assagir, cette parenthèse n’ait fait qu’exacerber les goûts de dissipation et de dévoiement qui sommeil-

laient en lui.

Déjà dans ce qui correspond à la première partie de son séjour parisien, il peint un brave homme s’adressant à son neveu, lequel pour-

rait bien se prénommer Noël, et qui se pose des questions : « Dites nous vérité…ne mentez point, avez-vous tousjours estudié, c'est-à-

dire aucunesfois au moins deux ou trois heures le jour ? »

Puis dans le chapitre XXVI (II, 198), il met en scène sans le situer, mais sans doute en Bretagne, un certain Petrutius des Martingales,

qui le questionne sur ses études, et qui inquiet de ses réponses lui conseille de rentrer à Paris, soulignant que de manière générale

« nous autres Bretons, qui commencions assez bien nos estudes, mais que nous n’avions qu’une pointe, sans aucune persévérance et

continuation ».

Faiblesse relevée également par Rabelais qui met dans la bouche de Gymnaste le propos suivant : « Seigneur, telle est la nature com-

plexion des François qu’ilz ne valent qu’à la première poincte. Lors ilz sont pires que diables. Mais, s’ilz sejournent, ilz sont moins

que femmes ».

Alcofribas Nasier ne faisait là que confirmer ce qu’en avait dit Jules César dans sa Guerre des Gaules, exprimant l’étourderie de la

race et l’impulsivité des Celtes qui se précipitent dans l’action tête baissée et qui se découragent au premier revers.

Du Fail constate ces traits qui ont valu aux Celtes d’Armorique d’être traités de « fols » par tout le Moyen Age et les déplore citant

dans le chapitre II ce vieux dicton de l’Ancienne France :

« Fol ne croit tant qu’il reçoit,

Après le fait, sage Breton ».

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Et cette nature inconstante, volage, versatile, dont est pétrie l’âme celte, du Fail ne va pas

s’en affranchir. Au contraire. Repris par le démon de la facilité et de l’aventure, il va se

laisser aller à céder sans retenue à toutes les tentations qui s’offrent à lui.

Non content de s’y vautrer, il va sans pudeur à travers ses écrits, s’y attarder, s’en vanter.

Car manifestement relater ces confessions fanfaronnes et pourtant peu flatteuses ne lui dé-

plait pas du tout. Se montrer sous les traits d’un triste sire, ne fait naître en lui aucune mau-

vaise conscience.

Il devient un mauvais écolier « ribleur et batteur de pavés » comme François Villon en son

temps, il hante les « lieux d’honneur », c'est-à-dire ces maisons où l’honneur féminin s’est

dépouillé de toute exigence, il fréquente le quartier des Halles, la place Maubert où pullu-

lent les malandrins et filous en tous genres, et prend des leçons à l’ « Eschole de Grève »,

auprès des compères de Tailleboudin, ce « bon et sçavant gueux ». (Chapitre VIII des Pro-

pos Rustiques).

Là sur la place de Grève, aujourd’hui place de l’Hôtel de Ville, se bousculaient les « Anges

de Grève », ces porteurs qui déchargeaient les gabarres sur les quais de la Seine. Sur leur

dos se voyaient des armatures à crochets qui leur permettaient d’arrimer leurs charges et qui

évoquaient par leur forme des ailes. Rien à voir donc avec leurs vertueuses mœurs suppo-

sées…

Et puis il se

laisse entrevoir

traînant dans

les ruelles

étroites et sales

autour de Saint

Jacques la Boucherie, passant devant la « Pierre au

Lait », connue de longue date pour être le quartier des

écrivains publics, qu’il qualifie de « docteurs complanta-

tifs », que Philipot subodore renfermer une abominable

contrepèterie… de contemplatif ?

Plus loin il parle des « eschevins » qui gravitent autour

de ce repère minéral, métaphore ironique appliquée à

l’aristocratie de ces filous patentés. De son propre aveu,

il « courut tous les basteleurs de la ville et assemblées

des enfants perdus et matois », pérégrinations où il croi-

sa un jour le chemin de Tailleboudin, le fils indigne ce

bon Thénot du Coing qui est un des personnages mar-

quants des Propos Rustiques, au chapitre VII.

Fainéant, le larron aura fini, après avoir dilapidé en peu

de temps tout le petit pécule amassé par son pauvre père,

à se faire faux mendiant vivant de l’aumône, et de la charité d’autrui… Digne membre de la Cour des Miracles, dont du Fail rappelle

qu’elle fut gouvernée au XVème siècle par l’illustre Ragot, surnommé le Capitaine des gueux…

Il était donc, on le voit, fort aisé pour un écolier de se laisser glisser sur une mauvaise pente

et de terminer comme un belître… raison de plus pour laquelle l’œil bienveillant de Lu-

polde s’avérait capital.

Mais rusé comme un singe, l’imagination de Noël était sans limites… Lupolde allait en être

l’involontaire et naïve victime. Du Fail se délecte de nous en conter encore de bonnes…

Depuis longtemps déjà, il préparait le terrain… Il expose un beau jour à son précepteur

qu’il avait fait la connaissance dans le faubourg Saint Germain d’un jeune homme bien né,

instruit et de belles manières, un certain Gonin Turin. Comme Lupolde l’enjoignait à fré-

quenter du beau monde pour apprendre les bonnes manières; cela tombait fort bien et il n’y

vit de prime abord aucune objection. Bien au contraire. Que le jeune Noël se frotte enfin

aux raffinements du beau monde, ce n’était pas trop tôt. Mais le jeune homme de bonne

famille vivait sur un grand pied, et bien sûr pour le suivre dans ses réceptions mondaines il

fallait de l’argent. Aussi Lupolde desserra-t-il à la demande les cordons de la bourse, sur les

injonctions réitérées de son protégé.

Au fil du temps, ses façons restaient toujours aussi rêches, ce qui lui mit la puce à l’oreille.

D’autant qu’à cette époque le quartier Saint Germain, si élégamment fréquenté de nos jours,

était un quartier mal famé peuplé de filles de joie, de tripots en tous genre et d’ « académies » qui n’avaient rien de littéraire…

tour St Jacques la Boucherie,

vue des tours de Notre Dame

Tailleboudin, fils de Thenot du Coin

représentation de Jacques Callot

La Cour des Miracles illustration Gustave Doré

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L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013

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A la Saint Yves, intrigué,

Lupolde suit discrètement

son écolier, le voit entrer en

se faufilant dans une ta-

verne et s’asseoir à une

table. Il se glisse discrète-

ment derrière lui, le voit se

mettre à jouer aux cartes, et

quelle n’est pas sa surprise

lorsqu’il découvre sur un

valet de trèfle, une inscrip-

tion au nom de… Gonin

Turin !!! Voila donc le

ruineux gentilhomme dé-

masqué !

Tombé dans l’enfer du jeu,

malgré les édits du Parle-

ment de Paris qui interdi-

saient de jouer aux cartes et

aux dés sous peine de pu-

nitions corporelles, amende

et prison, Noël conservera

longtemps ces habitudes

perverses, ce qui le mènera

… où nous verrons.

Ce n’était malheureusement

qu’un début. La bourse déjà

fort amputée, le garnement

allait s’évertuer à la vider

complètement…

L’esprit toujours en éveil, il

monte un plan. Dans une

assemblée cosmopolite,

regroupant de joyeux

drilles, des Hauts Bretons

parmi lesquels il cite

Maistre Jean Mery de Piré,

(Piré sur Seiche), des

« supposts de l’Université,

et des premiers Eschevins

de la Pierre au Lait », où

tous fort entraînés excel-

laient au jeu de la carte

Virade, germe une machi-

nation qui leur fait miroiter

un gain facile.

Ayant attiré dans une ta-

verne sous le prétexte d’un

dîner de bienvenue plu-

sieurs de leurs pédagogues,

ils leur racontent comment

ils viennent de « plumer un

pigeon », un jeune mar-

chand très naïf et tout cousu

d’or. Ils simulent même des

remords d’avoir empoché si

facilement de l’argent, mais

se consolent bien vite en

exposant que si ce n’était

eux, d’autres n’auraient pas

eu plus de scrupules à pur-

ger les poches de ce fils de

famille sans cervelle.

Balade dans le vieux Paris

A u gré de son humeur il nous emmène en balade. Suivons le… Non loin des Innocents, était le quartier des

Halles, peuplé de marchands « aux promesses et adjurations » dont ils assaillent les passants, et notamment de

fripiers qui, nous dit il, les « tirassent par la manche de leur manteau ». Comme il le souligne ces fripiers sont « la

plus part Juifs », ironisant sur un rapprochement troublant «onc fripon fripier ne fut si topic… »

On le retrouve fasciné par un maître parisien, Professeur de médecine très moderne d’esprit et qui déjà, pratiquait la médecine expérimentale. Il se rend au collège de Tréguier où ce Picard, natif d’Amiens enseignait, admire sa grande

facilité d’élocution, nous le présente commentant une œuvre de Galien, et nous fait assister devant « un merveilleux

auditoire d’escholiers de toutes nations », à une magistrale leçon d’anatomie, où il dissèque des membres d’animaux

ou de pendus. Ce qui le marque, preuve qu’il a lui-même assisté à cette scène, c’est que ces pièces « puoient si fort,

que plusieurs de ses auditeurs eussent rendus leur gorge s’ils eussent osé ; mais le paillard avec sa teste de Picard

se courrouçoit si asprement, menaçant ne retourner de huit jours, que tous se remettoient en leur premier silence ».

Mais aussi, il nous confie certaines allusions qui le montre fréquenter la Cour. Pour un jeune gentilhomme comme

lui, cela était tout naturel. Aussi croise-t-il le chemin de puissants personnages comme le seigneur du Lattay « brave et vaillant capitaine » qu’il semble avoir beaucoup aimé et qu’il nous dépeint à la table du bon roi François. Y était il

aussi convié ? Toujours est il que Philipot s’appuyant sur les propos du chapitre XXVII, pense que du Fail approcha

la personne du Roi : « J’ai dit il, traité reverrement la grandeur du Roy et des Princes, ausquels, s’ils le m’ont de-

mandé, je n’ay rien dissimulé ».

Félix Franck un des biographes de notre ami, pense lui, que du Fail a subi l’influence de la Reine de Navarre, la sœur du Roi, et même qu’il aurait été admis à la Cour de cette Reine lettrée. Malheureusement il n’en apporte aucune

preuve.

Il accède jusqu’au Garde des Sceaux, M. de Montholon, entrant à la suite d’ « un président de Bretagne », qui de

passage à Paris venait saluer son ancien camarade d’étude et assistant dans un premier temps à un échange familier

entre les deux hommes qui se remémorent leurs fredaines et aventures du temps où ils étaient étudiants à Toulouse,

puis qui passent ensuite aux affaires sérieuses, s’entretenant des affaires publiques de la Bretagne.

Philipot identifia en ce personnage, François Crespin, qui a été un des quatre commissaires du Roi désignés pour

publier le texte de la Coutume de Bretagne. Comme M. de Montholon reçut ses Lettres de provision de Garde des

Sceaux le 9 Août 1542, et qu’il mourut le 12 Juin 1543, on situe pour une fois assez précisément cet épisode.

A côté de ses frasques estudiantines, il a, on le voit, aussi côtoyé des hommes influents et certainement approché du pouvoir, ce qu’il traduit sobrement mais aussi fièrement par ce commentaire sans équivoque, comme quoi il a été «

nourri à la cour des grands » !

Certes, assurément il ne fut pas un protégé ni de Marguerite d’Angoulême, ni de François Ier directement comme

Rabelais, mais il eut des protecteurs comme le Prince de Guéméné, auquel, on le voit à plusieurs époques de sa vie, il

aura recours pour débloquer des situations qui localement étaient verrouillées. Louis de Rohan, à qui il dédiera son recueil d’Arrests, en le faisant précéder d’une lettre-préface débordante de reconnaissance, fut certainement d’une

influence déterminante à la Cour.

Indépendamment de son génie, Rabelais a bénéficié des plus hautes protections durant sa vie, ce qui évidemment n’a pas nui à sa gloire. Du Fail, lui, n’a pu compter que sur son talent d’écrivain pour diffuser ses écrits. Les armes

n’étant pas égales dès le départ, comment eût il pu accéder à une renommée autre que régionale ?

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Mais ô surprise, qui, comme par hasard entre dans la taverne ? Le nigaud qu’ils viennent de plumer ! Il à l’air vraiment bête. L’oc-

casion est trop belle. On lui propose de nouveau une partie de carte virade. Il accepte. De clins d’œil en coups de coude on se met

d’accord et Lupolde ainsi que ses collègues cèdent à la tentation. Ils décousent le petit pécule précautionneusement cousu dans la

doublure de leur manteau, « argent mignon » qu’ils avaient accumulé patiemment à force de leçons et destiné à passer leurs exa-

mens, et le pose sur la table en face du magot du nigaud. Ils attendent les yeux brillants d’impatience. Ils jouent. L’imbécile, in-

croyable… ? découvre la bonne carte! Un as de cœur! longtemps il s’en souviendra… Celui-ci ramasse bien vite tout l’argent et

Nicolas Flamel

P ersonnage légendaire, ayant vécu au XIVème siècle, né vers 1330 à Pontoise,

il se fit écrivain public dans ce quartier dont du Fail nous a parlé, à côté de

l’église Saint Jacques la Boucherie. Sa réputation au XVIème siècle était encore

grande, ce qui a impressionné notre curieux jeune homme, puisque dans un pas-

sage où il évoque le cimetière Saint Innocent, il parle des chercheurs de pierre

philosophale et disciples de Nicolas Flamel se promenant « par bandes et regi-

mens comme estourneaux »… « aux Cloîtres Sainct Innocent à Paris avec les

trepassez et secretaires des chambrieres visitant la dance Marcade ».

Cet étrange quidam exerçait la profession de libraire, fut titré de la fonction de

juré à l’Université, et bien que né sans fortune, mourut riche comme Crésus. Il

avait fait dans sa jeunesse un rêve étrange au cours duquel un ange lui montrait un

livre extraordinaire… Il finira par entrer en possession de ce livre hors du com-

mun, contenant des gravures et des textes alchimiques et signé « Abraham le

Juif ». Avec Dame Pernelle sa com-

pagne, ils essaient pendant des années

de percer les mystères de l’ouvrage. N’y

arrivant pas, ils font un pèlerinage à

Saint Jacques de Compostelle où ils

croisent le chemin d’un certain maître

Canches, savant juif converti qui leur

donne les clés de l’interprétation.

Ayant découvert le secret de la Pierre

Philosophale, celle qui permet de changer le plomb en or, mûs moins par la cupidité

que par un élan spirituel, devenus riches, ils firent des dons considérables à l’église et

aux œuvres de charité. La légende était en marche.

Du Fail rappelle qu’il avait fait peindre dans les charniers «des deux costez du cime-

tiere deux pourtraicts, d’un Lion rouge et d’un serpent vert, illec fait mettre par iceluy

Flamel, avec bonne dotation, pour l’entretenement d’iceux ».

Du Fail avait donc regardé d’un œil

amusé les pauvres chercheurs de

pierre philosophale occupés à dé-

couvrir la signification des images

et symboles laissés par Nicolas Flamel dans les signes cabalistiques de ses

représentations sur les murs des charniers.

Frappé par l’aura du personnage, dont d’autres souvenirs se trouvaient à la

chapelle Sainte Geneviève des Ardents et à Saint Jacques la Boucherie, où

indique le Démosterion de Roch le Baillif, il figure « en demy relief, avec son

escritoire au costé, et le chaperon sur l’épaule, estimé riche luy est sa Per-

ronnelle (c’estoit sa femme) de quinze cens mille escus », Noël du Fail par le

nombre de ses allusions à ce personnage, est manifestement troublé par la

symbolique de cet alchimiste. D’autant que pendant quelques temps au moins,

il semblera adhérer à ces vues ésotériques, ce qui se traduira par son engage-

ment à défendre son ami l’alchimiste Roch le Baillif, fervent partisan de la

médecine spagirique, lors de son procès à Paris en 1578-1579. Du Fail avec

son « ami » Etienne Pasquier seront ses avocats. (Chapitre X).

De source sûre, on sait que Flamel mourut le 22 Mars 1418. Sa pierre tombale

est au Musée de Cluny et sa maison qui est la plus vieille de Paris est située

rue de Montmorency.

Nicolas Flamel pierre tombale

Musée de Cluny

Maison de l’alchimiste Nicolas

Flamel, la plus vieille de Paris

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L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013

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déguerpit en un instant. La dupe présumée était un complice d’une machination bien rôdée.

Du Fail rapporte sans remords aucun, que cette aventure rapporta à chacun des membres du complot environ cinquante écus ! Une

somme. En conclusion de cette affaire, non seulement il ne se remet pas en cause, mais de plus il accuse Lupolde et les autres de ne

pas les avoir mis en garde, et d’avoir été punis par où ils avaient péché : l’appât du gain! Plus d’aplomb, on peut difficilement ima-

giner!!!

Le coup de grâce allait venir. Inévitablement.

L’hallali allait être donné chez un Provencal, sis rue Saint Antoine qui tenait un brelan sous couvert de dire la bonne aventure et de

lire dans les astres, façon sournoise de tourner les règlements en vigueur.

Toujours aux cartes, il raconte de quelle nature était la supercherie. Ils se sont fait extirper leurs derniers écus à une table où leurs

partenaires étaient informés de leurs cartes en main via un système ingénieux de pédales activées par des complices qui regardaient

par-dessus leurs épaules à travers une tapisserie astucieusement percée…

Gros Jean comme devant, les poches vides, il ne s’imaginait pas revenir en si fâcheuse posture à Château Letard… Alors ? Il ne lui

restait plus qu’à s’engager, à partir pour l’armée. C’était un temps où le Roi recrutait pour aller guerroyer en Italie.

« De ce pas m’en allay aux bandes de gens de pied en Piedmond, où j’eus du mal comme un jeune Diable bachelier et botté ».

Là commence une autre page de sa vie…

Notre association a pour buts

D’entretenir la mémoire du « Rabelais Breton » et contribuer par tous moyens à faire connaître et apprécier

l’œuvre littéraire de Noël du Fail.

De permettre qu’à travers des manifestations évoquant sa vie et ses écrits, il prenne la place qui lui revient dans

la littérature du XVIème siècle.

De faire vivre sur le plan culturel son manoir natal, en lui donnant les moyens de rayonner « noblement », en préservant l’esprit tant des lieux, que de celui qui y vit le jour.

Pour nous joindre :

Association « Les Amis de Noël du FAIL »

Siège social : Manoir de Château Letard

Route de Saint Armel

35230 Saint Erblon

Adresse e-mail : [email protected] Président fondateur : Pierre MAILLARD

Site internet : http://www.lesamisdenoeldufail.fr

L’association « Les Amis de Noël du Fail »

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L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013

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ASSOCIATION DES AMIS DE NOËL DU FAIL ET D’EUTRAPEL

Manoir de Château Letard

Route de Saint Armel

35230 SAINT ERBLON

BULLETIN D’ADHESION

Je soussigné : …………………………………………………………………………..

Demeurant à : …………………………………………………………………………….

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Adhère en qualité de :

Membre actif (cotisation annuelle de 20 euros)

Membre donateur (cotisation ad libitum)

Membre bienfaiteur (cotisation unique de 100 euros)

Libellé à l’ « Association des amis de Noël du FAIL »

Et fais parvenir le présent bulletin accompagné d’un chèque d’un montant de : ………………

Fait à , le

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Un reçu vous sera adressé par courriel ou par poste en retour.

Bulletin d’adhésion « Les Amis de Noël du Fail »