l’eutrapélique - les amis de noel du fail · l’eutrapélique : n°5 - 4ème trimestre 2013...
TRANSCRIPT
L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013
Page 1
J oyeux drille, ainsi l’avons-nous laissé dans le dernier N° de l’Eutrapélique, mais aussi, rappelez
vous, ô combien fier de sa Province !
De ses avatars parisiens, il va se laisser aller, lui, le fort facétieux écrivain, à nous relater un épi-
sode où l’honneur breton va être mis en jeu, en le situant par rapport à un événement historique de
tous connu. Ouf…Pour une fois, il va nous permettre de jalonner ce parcours tortueux si insaisis-
sable dans lequel il se complait à entraîner son lecteur, et qui a désespéré ses plus opiniâtres bio-
graphes.
Il fait de Lupolde le narrateur, mais nous sommes maintenant coutumier de ses petits mensonges
entre amis… Ainsi, nous conte t-il l’épisode de « la pierre de faix »…
Un beau jour, sortant d’une taverne de la rive droite de la Seine, la maison du Croissant, dans le
quartier de la rue Saint Honoré, où du Fail, Lupolde et quelques compatriotes étaient allés boire
une bolée, -en compagnie d’un certain Cornillet de Pleumeleuc qui amenait à tous des nouvelles du
pays-, la Providence allait leur donner l’occasion de prouver la vaillance de leur nature…
De cet estaminet qui selon la topographie historique du Vieux Paris se situait derrière le Louvre,
du côté Sud de la rue, entre la rue des Poulies et la seconde porte Saint Honoré, ils devaient pour
rentrer rive Gauche dans le quartier de l’Université, longer les quais de Seine.
Ce faisant, ils arrivèrent à un attroupement, où un certain nombre d’individus, plusieurs de natio-
nalités étrangères, dont des Allemands et des Suisses, ivres nous dit il, se défiaient à qui lancerait
le plus loin un certain bloc de
pierre trouvé là, par hasard, à cet
endroit.
Jouant des coudes, ils se frayent
un chemin jusqu’aux premières
places, et constatent dépités, que
l’honneur national est mis à mal.
C’est alors qu’un Allemand
prend à parti l’un d’eux, un cer-
tain Tharngen : « Range toi, lui
dit il en se moquant, ou prend ta
part du jeu ! »
Piqué au vif, car écrit il « le
sang de ceste nation meurt plus-
tost que fleschir et ploier sous
une audacieuse et superbe ri-
sée », Tharngen saisit le bloc de
tuffeau, le « tourne sur les quar-
rez pour mieux assurer sa
prise », et le projette de « vive
roideur » dépassant d’un grand
demi pied la plus grande dis-
tance jusque là atteinte.
Stupeur parmi les étrangers,
d’autant que nous relate-t-il, un
autre breton dénommé Victor
Callo, fait encore mieux, confirmant ainsi sans contestation possible la supériorité physique des
Bretons, qui se font ainsi « restaurateur de l’honneur parisien ».
Au XVIème siècle, il était bien connu que c’était parmi les Bas Bretons que se recrutaient les
hommes les plus vigoureux et les plus forts lutteurs.
La restauration du Louvre ordonnée par François Ier et qui ne fut pas terminée avant 1539, avait
amené l’entassement de matériaux sur les quais de Seine, et cet événement qui l’a marqué car flat-
tant sa fierté de Breton, dut se dérouler au moment des fêtes que François Ier organisait pour ac-
cueillir et si possible éblouir son rival Charles Quint, lequel traversait alors la France en 1539 pour
aller réprimer une révolte chez les Flamands.
L’Eutrapélique L’Eutra
péliq
ue
LE
S
AM
IS
D
E
NO
ËL
D
U
FA
IL
4ème trimestre 2013
n°5
L es Contes et Discours d’Eutrapel présentent un intérêt
tout particulier, outre celui de folâtrer en compagnie
de notre garnement breton, et d’en découvrir sa nature si
« facétieuse ».
A travers les multiples allusions qu’il fait de ses escapades,
il nous permet de voyager dans le Paris du XVIème siècle,
de croiser le chemin de personnages originaux et célèbres
du temps, de recueillir des légendes ou des détails curieux.
Il nous inspire une atmosphère, et fait surgir des images qui
forment un tableau de fond, à ce qu’il nous raconte. Il nous
plonge dans ce monde encore moyenâgeux, où l’on s’at-
tend à croiser Esmeralda ou Quasimodo au détour d’une
ruelle.
Comme le souligne son maître biographe Philipot, et cette
remarque nous parait aussi fondée qu’importante, cette
peinture dans laquelle il excelle, est en cela bien supérieure
à celle qu’en fait Rabelais dans l’énorme et caricatural cha-
pitre où il relate les farces de Panurge.
Preuve que du Fail n’est pas, comme trop le pensent,
qu’une pâle copie du maître chinonnais, et que son talent
de conteur lui fait en certains domaines, prendre le premier
rang
L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013
Page 2
Or, on le sait de façon précise, Charles Quint entra dans Paris le 1er Janvier 1540 et y resta jusqu’au milieu du mois. On sait donc par
déduction que du Fail / Lupolde était présent à Paris à cette date.
Le « Cornillet » en compagnie duquel ils avaient bu chopines dans l’estaminet sus cité, était un de ces personnages qui faisaient des
va et vient réguliers entre la capitale et la Bretagne, conservant ainsi le lien avec la terre natale, les amis et la famille. Messager, il
amenait des lettres, des colis, et des nouvelles. Comme l’a trouvé par ses minutieuses investigations la Borderie, ce « Cornillet » était
le surnom d’un certain Guillaumel originaire de Pleumeleuc, qui en cinq à six jours reliait la Province à Paris, et qui devait, à l’instar
d’un alter ego du Maine, surnommé Mériane dont il parle dans le chapitre XXX (II, 245), distribuer « à travers une fenêtre à demy
treillisée », « à cestui son sac, à l’autre son pacquet, et à plusieurs separez par rangs et ordre, du beurre, chappons, langues fu-
mées ».
Mais ce personnage était aussi porteur de nouvelles… et l’une de celles-ci allait bientôt perturber l’insouciant jeune homme. Là bas,
en Bretagne on songeait à … le marier ! (Eutrapel, XXVI, II, 195).
Il en rira bien fort (XXX) déclarant avec ironie « Je brusle et suis amoureux, sans savoir de qui », car l’idée de mariage à cette
époque de sa vie était fort éloignée de ses préoccupations.
Il demandait en plaisantant si « on lui gardait en mue quelque fiancée bretonne », et se gaussait à l’évocation de ces « bastons coiffez
et embrassant les nues », images de ces hautes coiffes de mariage typiques de la Bretagne.
Un beau jour n’y tenant plus, la nostalgie le taraudant, il prend sans crier gare le chemin de Château Letard. Il ne prévient même pas
Lupolde qui va se faire un sang d’encre, et rentre au bercail… Pas directement nous dit il. Sans doute craignant d’être vertement répri-
mandé, il tourne en rond trois jours durant !... avant de se décider à pousser la porte du manoir. Mais la joie de son retour l’emporte
sur le reste et on est tellement heureux de le revoir qu’on organise un festin, conviant famille, voisins et amis, pour célébrer cet événe-
ment imprévu. Et puis on est tellement fier de pouvoir montrer et parler de ses progrès… La vie parisienne, cela a dû le policer, lui
faire acquérir des manières dignes d’un vrai gentilhomme. Chacun est impatient de découvrir le nouveau Noël.
Mais, confesse-t-il sans paraître dépité, il n’a su garder tout au long du repas le maintien et la tenue qu’on espérait de lui. Il avoue
qu’il se montra niais, emprunté, et finalement bien peu dégrossi de ses mœurs rustres. C’est un sentiment de déception qu’il fait ainsi
naître, et qu’il décrit sans paraître en être affecté. La joie de tous en est un peu ternie, chacun s’étant imaginé que les fréquentations
parisiennes lui avait assoupli le cuir…
Bien sûr il ne fournit aucune indication de date quant à cette escapade. Les patientes recherches de la Borderie ont permis de retrouver
une trace qui permet de dater cet épisode.
On retrouve le 14 Octobre 1543, sur un acte de baptême de Saint Erblon, un « Natalis du Fail » en qualité de témoin. En dépit d’inter-
prétations différentes et de savantes investigations entre les érudits biographes de notre ami, Philipot, Courbet, Félix Franck et la Bor-
derie, il semble que ce « Natalis » soit à différencier des « Notallia, Natalia, Noela », transcriptions de Noëlle du Fail, que l’on re-
trouve sur d’autres actes, prénom d’une des filles de François du Fail, le frère aîné. Sans épiloguer; il semble donc que l’on puisse
situer ce retour inopiné en Bretagne en Octobre 1543, et que ce soit là, la dernière incartade de du Fail en Bretagne avant son départ
Outre Monts.
Quant aux velléités matrimoniales qu’on avait manifestées pour lui, elles furent sans suite, bien qu’après avoir festoyé, nous raconte-t
-il, une fine mouche « rebrassée galoise » se mit à l’entreprendre et à lui parler de filles à marier.
Combien de temps resta-t-il à Château Letard ? Il ne nous en dit rien. Quand reprit il le chemin de Paris et des supposées études ?
Mystère.
Toujours est il que, loin de l’assagir, cette parenthèse n’ait fait qu’exacerber les goûts de dissipation et de dévoiement qui sommeil-
laient en lui.
Déjà dans ce qui correspond à la première partie de son séjour parisien, il peint un brave homme s’adressant à son neveu, lequel pour-
rait bien se prénommer Noël, et qui se pose des questions : « Dites nous vérité…ne mentez point, avez-vous tousjours estudié, c'est-à-
dire aucunesfois au moins deux ou trois heures le jour ? »
Puis dans le chapitre XXVI (II, 198), il met en scène sans le situer, mais sans doute en Bretagne, un certain Petrutius des Martingales,
qui le questionne sur ses études, et qui inquiet de ses réponses lui conseille de rentrer à Paris, soulignant que de manière générale
« nous autres Bretons, qui commencions assez bien nos estudes, mais que nous n’avions qu’une pointe, sans aucune persévérance et
continuation ».
Faiblesse relevée également par Rabelais qui met dans la bouche de Gymnaste le propos suivant : « Seigneur, telle est la nature com-
plexion des François qu’ilz ne valent qu’à la première poincte. Lors ilz sont pires que diables. Mais, s’ilz sejournent, ilz sont moins
que femmes ».
Alcofribas Nasier ne faisait là que confirmer ce qu’en avait dit Jules César dans sa Guerre des Gaules, exprimant l’étourderie de la
race et l’impulsivité des Celtes qui se précipitent dans l’action tête baissée et qui se découragent au premier revers.
Du Fail constate ces traits qui ont valu aux Celtes d’Armorique d’être traités de « fols » par tout le Moyen Age et les déplore citant
dans le chapitre II ce vieux dicton de l’Ancienne France :
« Fol ne croit tant qu’il reçoit,
Après le fait, sage Breton ».
L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013
Page 3
Et cette nature inconstante, volage, versatile, dont est pétrie l’âme celte, du Fail ne va pas
s’en affranchir. Au contraire. Repris par le démon de la facilité et de l’aventure, il va se
laisser aller à céder sans retenue à toutes les tentations qui s’offrent à lui.
Non content de s’y vautrer, il va sans pudeur à travers ses écrits, s’y attarder, s’en vanter.
Car manifestement relater ces confessions fanfaronnes et pourtant peu flatteuses ne lui dé-
plait pas du tout. Se montrer sous les traits d’un triste sire, ne fait naître en lui aucune mau-
vaise conscience.
Il devient un mauvais écolier « ribleur et batteur de pavés » comme François Villon en son
temps, il hante les « lieux d’honneur », c'est-à-dire ces maisons où l’honneur féminin s’est
dépouillé de toute exigence, il fréquente le quartier des Halles, la place Maubert où pullu-
lent les malandrins et filous en tous genres, et prend des leçons à l’ « Eschole de Grève »,
auprès des compères de Tailleboudin, ce « bon et sçavant gueux ». (Chapitre VIII des Pro-
pos Rustiques).
Là sur la place de Grève, aujourd’hui place de l’Hôtel de Ville, se bousculaient les « Anges
de Grève », ces porteurs qui déchargeaient les gabarres sur les quais de la Seine. Sur leur
dos se voyaient des armatures à crochets qui leur permettaient d’arrimer leurs charges et qui
évoquaient par leur forme des ailes. Rien à voir donc avec leurs vertueuses mœurs suppo-
sées…
Et puis il se
laisse entrevoir
traînant dans
les ruelles
étroites et sales
autour de Saint
Jacques la Boucherie, passant devant la « Pierre au
Lait », connue de longue date pour être le quartier des
écrivains publics, qu’il qualifie de « docteurs complanta-
tifs », que Philipot subodore renfermer une abominable
contrepèterie… de contemplatif ?
Plus loin il parle des « eschevins » qui gravitent autour
de ce repère minéral, métaphore ironique appliquée à
l’aristocratie de ces filous patentés. De son propre aveu,
il « courut tous les basteleurs de la ville et assemblées
des enfants perdus et matois », pérégrinations où il croi-
sa un jour le chemin de Tailleboudin, le fils indigne ce
bon Thénot du Coing qui est un des personnages mar-
quants des Propos Rustiques, au chapitre VII.
Fainéant, le larron aura fini, après avoir dilapidé en peu
de temps tout le petit pécule amassé par son pauvre père,
à se faire faux mendiant vivant de l’aumône, et de la charité d’autrui… Digne membre de la Cour des Miracles, dont du Fail rappelle
qu’elle fut gouvernée au XVème siècle par l’illustre Ragot, surnommé le Capitaine des gueux…
Il était donc, on le voit, fort aisé pour un écolier de se laisser glisser sur une mauvaise pente
et de terminer comme un belître… raison de plus pour laquelle l’œil bienveillant de Lu-
polde s’avérait capital.
Mais rusé comme un singe, l’imagination de Noël était sans limites… Lupolde allait en être
l’involontaire et naïve victime. Du Fail se délecte de nous en conter encore de bonnes…
Depuis longtemps déjà, il préparait le terrain… Il expose un beau jour à son précepteur
qu’il avait fait la connaissance dans le faubourg Saint Germain d’un jeune homme bien né,
instruit et de belles manières, un certain Gonin Turin. Comme Lupolde l’enjoignait à fré-
quenter du beau monde pour apprendre les bonnes manières; cela tombait fort bien et il n’y
vit de prime abord aucune objection. Bien au contraire. Que le jeune Noël se frotte enfin
aux raffinements du beau monde, ce n’était pas trop tôt. Mais le jeune homme de bonne
famille vivait sur un grand pied, et bien sûr pour le suivre dans ses réceptions mondaines il
fallait de l’argent. Aussi Lupolde desserra-t-il à la demande les cordons de la bourse, sur les
injonctions réitérées de son protégé.
Au fil du temps, ses façons restaient toujours aussi rêches, ce qui lui mit la puce à l’oreille.
D’autant qu’à cette époque le quartier Saint Germain, si élégamment fréquenté de nos jours,
était un quartier mal famé peuplé de filles de joie, de tripots en tous genre et d’ « académies » qui n’avaient rien de littéraire…
tour St Jacques la Boucherie,
vue des tours de Notre Dame
Tailleboudin, fils de Thenot du Coin
représentation de Jacques Callot
La Cour des Miracles illustration Gustave Doré
L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013
Page 4
A la Saint Yves, intrigué,
Lupolde suit discrètement
son écolier, le voit entrer en
se faufilant dans une ta-
verne et s’asseoir à une
table. Il se glisse discrète-
ment derrière lui, le voit se
mettre à jouer aux cartes, et
quelle n’est pas sa surprise
lorsqu’il découvre sur un
valet de trèfle, une inscrip-
tion au nom de… Gonin
Turin !!! Voila donc le
ruineux gentilhomme dé-
masqué !
Tombé dans l’enfer du jeu,
malgré les édits du Parle-
ment de Paris qui interdi-
saient de jouer aux cartes et
aux dés sous peine de pu-
nitions corporelles, amende
et prison, Noël conservera
longtemps ces habitudes
perverses, ce qui le mènera
… où nous verrons.
Ce n’était malheureusement
qu’un début. La bourse déjà
fort amputée, le garnement
allait s’évertuer à la vider
complètement…
L’esprit toujours en éveil, il
monte un plan. Dans une
assemblée cosmopolite,
regroupant de joyeux
drilles, des Hauts Bretons
parmi lesquels il cite
Maistre Jean Mery de Piré,
(Piré sur Seiche), des
« supposts de l’Université,
et des premiers Eschevins
de la Pierre au Lait », où
tous fort entraînés excel-
laient au jeu de la carte
Virade, germe une machi-
nation qui leur fait miroiter
un gain facile.
Ayant attiré dans une ta-
verne sous le prétexte d’un
dîner de bienvenue plu-
sieurs de leurs pédagogues,
ils leur racontent comment
ils viennent de « plumer un
pigeon », un jeune mar-
chand très naïf et tout cousu
d’or. Ils simulent même des
remords d’avoir empoché si
facilement de l’argent, mais
se consolent bien vite en
exposant que si ce n’était
eux, d’autres n’auraient pas
eu plus de scrupules à pur-
ger les poches de ce fils de
famille sans cervelle.
Balade dans le vieux Paris
A u gré de son humeur il nous emmène en balade. Suivons le… Non loin des Innocents, était le quartier des
Halles, peuplé de marchands « aux promesses et adjurations » dont ils assaillent les passants, et notamment de
fripiers qui, nous dit il, les « tirassent par la manche de leur manteau ». Comme il le souligne ces fripiers sont « la
plus part Juifs », ironisant sur un rapprochement troublant «onc fripon fripier ne fut si topic… »
On le retrouve fasciné par un maître parisien, Professeur de médecine très moderne d’esprit et qui déjà, pratiquait la médecine expérimentale. Il se rend au collège de Tréguier où ce Picard, natif d’Amiens enseignait, admire sa grande
facilité d’élocution, nous le présente commentant une œuvre de Galien, et nous fait assister devant « un merveilleux
auditoire d’escholiers de toutes nations », à une magistrale leçon d’anatomie, où il dissèque des membres d’animaux
ou de pendus. Ce qui le marque, preuve qu’il a lui-même assisté à cette scène, c’est que ces pièces « puoient si fort,
que plusieurs de ses auditeurs eussent rendus leur gorge s’ils eussent osé ; mais le paillard avec sa teste de Picard
se courrouçoit si asprement, menaçant ne retourner de huit jours, que tous se remettoient en leur premier silence ».
Mais aussi, il nous confie certaines allusions qui le montre fréquenter la Cour. Pour un jeune gentilhomme comme
lui, cela était tout naturel. Aussi croise-t-il le chemin de puissants personnages comme le seigneur du Lattay « brave et vaillant capitaine » qu’il semble avoir beaucoup aimé et qu’il nous dépeint à la table du bon roi François. Y était il
aussi convié ? Toujours est il que Philipot s’appuyant sur les propos du chapitre XXVII, pense que du Fail approcha
la personne du Roi : « J’ai dit il, traité reverrement la grandeur du Roy et des Princes, ausquels, s’ils le m’ont de-
mandé, je n’ay rien dissimulé ».
Félix Franck un des biographes de notre ami, pense lui, que du Fail a subi l’influence de la Reine de Navarre, la sœur du Roi, et même qu’il aurait été admis à la Cour de cette Reine lettrée. Malheureusement il n’en apporte aucune
preuve.
Il accède jusqu’au Garde des Sceaux, M. de Montholon, entrant à la suite d’ « un président de Bretagne », qui de
passage à Paris venait saluer son ancien camarade d’étude et assistant dans un premier temps à un échange familier
entre les deux hommes qui se remémorent leurs fredaines et aventures du temps où ils étaient étudiants à Toulouse,
puis qui passent ensuite aux affaires sérieuses, s’entretenant des affaires publiques de la Bretagne.
Philipot identifia en ce personnage, François Crespin, qui a été un des quatre commissaires du Roi désignés pour
publier le texte de la Coutume de Bretagne. Comme M. de Montholon reçut ses Lettres de provision de Garde des
Sceaux le 9 Août 1542, et qu’il mourut le 12 Juin 1543, on situe pour une fois assez précisément cet épisode.
A côté de ses frasques estudiantines, il a, on le voit, aussi côtoyé des hommes influents et certainement approché du pouvoir, ce qu’il traduit sobrement mais aussi fièrement par ce commentaire sans équivoque, comme quoi il a été «
nourri à la cour des grands » !
Certes, assurément il ne fut pas un protégé ni de Marguerite d’Angoulême, ni de François Ier directement comme
Rabelais, mais il eut des protecteurs comme le Prince de Guéméné, auquel, on le voit à plusieurs époques de sa vie, il
aura recours pour débloquer des situations qui localement étaient verrouillées. Louis de Rohan, à qui il dédiera son recueil d’Arrests, en le faisant précéder d’une lettre-préface débordante de reconnaissance, fut certainement d’une
influence déterminante à la Cour.
Indépendamment de son génie, Rabelais a bénéficié des plus hautes protections durant sa vie, ce qui évidemment n’a pas nui à sa gloire. Du Fail, lui, n’a pu compter que sur son talent d’écrivain pour diffuser ses écrits. Les armes
n’étant pas égales dès le départ, comment eût il pu accéder à une renommée autre que régionale ?
L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013
Page 5
Mais ô surprise, qui, comme par hasard entre dans la taverne ? Le nigaud qu’ils viennent de plumer ! Il à l’air vraiment bête. L’oc-
casion est trop belle. On lui propose de nouveau une partie de carte virade. Il accepte. De clins d’œil en coups de coude on se met
d’accord et Lupolde ainsi que ses collègues cèdent à la tentation. Ils décousent le petit pécule précautionneusement cousu dans la
doublure de leur manteau, « argent mignon » qu’ils avaient accumulé patiemment à force de leçons et destiné à passer leurs exa-
mens, et le pose sur la table en face du magot du nigaud. Ils attendent les yeux brillants d’impatience. Ils jouent. L’imbécile, in-
croyable… ? découvre la bonne carte! Un as de cœur! longtemps il s’en souviendra… Celui-ci ramasse bien vite tout l’argent et
Nicolas Flamel
P ersonnage légendaire, ayant vécu au XIVème siècle, né vers 1330 à Pontoise,
il se fit écrivain public dans ce quartier dont du Fail nous a parlé, à côté de
l’église Saint Jacques la Boucherie. Sa réputation au XVIème siècle était encore
grande, ce qui a impressionné notre curieux jeune homme, puisque dans un pas-
sage où il évoque le cimetière Saint Innocent, il parle des chercheurs de pierre
philosophale et disciples de Nicolas Flamel se promenant « par bandes et regi-
mens comme estourneaux »… « aux Cloîtres Sainct Innocent à Paris avec les
trepassez et secretaires des chambrieres visitant la dance Marcade ».
Cet étrange quidam exerçait la profession de libraire, fut titré de la fonction de
juré à l’Université, et bien que né sans fortune, mourut riche comme Crésus. Il
avait fait dans sa jeunesse un rêve étrange au cours duquel un ange lui montrait un
livre extraordinaire… Il finira par entrer en possession de ce livre hors du com-
mun, contenant des gravures et des textes alchimiques et signé « Abraham le
Juif ». Avec Dame Pernelle sa com-
pagne, ils essaient pendant des années
de percer les mystères de l’ouvrage. N’y
arrivant pas, ils font un pèlerinage à
Saint Jacques de Compostelle où ils
croisent le chemin d’un certain maître
Canches, savant juif converti qui leur
donne les clés de l’interprétation.
Ayant découvert le secret de la Pierre
Philosophale, celle qui permet de changer le plomb en or, mûs moins par la cupidité
que par un élan spirituel, devenus riches, ils firent des dons considérables à l’église et
aux œuvres de charité. La légende était en marche.
Du Fail rappelle qu’il avait fait peindre dans les charniers «des deux costez du cime-
tiere deux pourtraicts, d’un Lion rouge et d’un serpent vert, illec fait mettre par iceluy
Flamel, avec bonne dotation, pour l’entretenement d’iceux ».
Du Fail avait donc regardé d’un œil
amusé les pauvres chercheurs de
pierre philosophale occupés à dé-
couvrir la signification des images
et symboles laissés par Nicolas Flamel dans les signes cabalistiques de ses
représentations sur les murs des charniers.
Frappé par l’aura du personnage, dont d’autres souvenirs se trouvaient à la
chapelle Sainte Geneviève des Ardents et à Saint Jacques la Boucherie, où
indique le Démosterion de Roch le Baillif, il figure « en demy relief, avec son
escritoire au costé, et le chaperon sur l’épaule, estimé riche luy est sa Per-
ronnelle (c’estoit sa femme) de quinze cens mille escus », Noël du Fail par le
nombre de ses allusions à ce personnage, est manifestement troublé par la
symbolique de cet alchimiste. D’autant que pendant quelques temps au moins,
il semblera adhérer à ces vues ésotériques, ce qui se traduira par son engage-
ment à défendre son ami l’alchimiste Roch le Baillif, fervent partisan de la
médecine spagirique, lors de son procès à Paris en 1578-1579. Du Fail avec
son « ami » Etienne Pasquier seront ses avocats. (Chapitre X).
De source sûre, on sait que Flamel mourut le 22 Mars 1418. Sa pierre tombale
est au Musée de Cluny et sa maison qui est la plus vieille de Paris est située
rue de Montmorency.
Nicolas Flamel pierre tombale
Musée de Cluny
Maison de l’alchimiste Nicolas
Flamel, la plus vieille de Paris
L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013
Page 6
déguerpit en un instant. La dupe présumée était un complice d’une machination bien rôdée.
Du Fail rapporte sans remords aucun, que cette aventure rapporta à chacun des membres du complot environ cinquante écus ! Une
somme. En conclusion de cette affaire, non seulement il ne se remet pas en cause, mais de plus il accuse Lupolde et les autres de ne
pas les avoir mis en garde, et d’avoir été punis par où ils avaient péché : l’appât du gain! Plus d’aplomb, on peut difficilement ima-
giner!!!
Le coup de grâce allait venir. Inévitablement.
L’hallali allait être donné chez un Provencal, sis rue Saint Antoine qui tenait un brelan sous couvert de dire la bonne aventure et de
lire dans les astres, façon sournoise de tourner les règlements en vigueur.
Toujours aux cartes, il raconte de quelle nature était la supercherie. Ils se sont fait extirper leurs derniers écus à une table où leurs
partenaires étaient informés de leurs cartes en main via un système ingénieux de pédales activées par des complices qui regardaient
par-dessus leurs épaules à travers une tapisserie astucieusement percée…
Gros Jean comme devant, les poches vides, il ne s’imaginait pas revenir en si fâcheuse posture à Château Letard… Alors ? Il ne lui
restait plus qu’à s’engager, à partir pour l’armée. C’était un temps où le Roi recrutait pour aller guerroyer en Italie.
« De ce pas m’en allay aux bandes de gens de pied en Piedmond, où j’eus du mal comme un jeune Diable bachelier et botté ».
Là commence une autre page de sa vie…
Notre association a pour buts
D’entretenir la mémoire du « Rabelais Breton » et contribuer par tous moyens à faire connaître et apprécier
l’œuvre littéraire de Noël du Fail.
De permettre qu’à travers des manifestations évoquant sa vie et ses écrits, il prenne la place qui lui revient dans
la littérature du XVIème siècle.
De faire vivre sur le plan culturel son manoir natal, en lui donnant les moyens de rayonner « noblement », en préservant l’esprit tant des lieux, que de celui qui y vit le jour.
Pour nous joindre :
Association « Les Amis de Noël du FAIL »
Siège social : Manoir de Château Letard
Route de Saint Armel
35230 Saint Erblon
Adresse e-mail : [email protected] Président fondateur : Pierre MAILLARD
Site internet : http://www.lesamisdenoeldufail.fr
L’association « Les Amis de Noël du Fail »
L’Eutrapélique : N°5 - 4ème trimestre 2013
Page 7
ASSOCIATION DES AMIS DE NOËL DU FAIL ET D’EUTRAPEL
Manoir de Château Letard
Route de Saint Armel
35230 SAINT ERBLON
BULLETIN D’ADHESION
Je soussigné : …………………………………………………………………………..
Demeurant à : …………………………………………………………………………….
N° de Téléphone fixe : ……………………….
N° de Portable : ……………………….
Adresse de courriel : ……………………………………………………
Adhère en qualité de :
Membre actif (cotisation annuelle de 20 euros)
Membre donateur (cotisation ad libitum)
Membre bienfaiteur (cotisation unique de 100 euros)
Libellé à l’ « Association des amis de Noël du FAIL »
Et fais parvenir le présent bulletin accompagné d’un chèque d’un montant de : ………………
Fait à , le
Signature
Un reçu vous sera adressé par courriel ou par poste en retour.
Bulletin d’adhésion « Les Amis de Noël du Fail »