laboury nakht

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    4/23

    50

    .

    l ' '/

    / /

    //

    /

    .

    CHAMBRE

    SOUTERRAINE

    i

    \

    .

    PLAN

    DIMITRI LABOURY

    ..

    SECTION

    LONGITUDINALE

    SUR A-B-C

    -Lgende-

    Roche

    taille

    lThm Moellons Grs

    B r i q u e s

    CHELLE

    N M

    ,

    COUR

    _.

    _

    Fig . 1. Coupe et plan de la tombe de Nakht (TT52

    .

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT

    51

    La

    porte d entre divise la paroi adosse la faade en deux smfaces ingales (fig.

    2 6,

    Cependant, le peintre de NakhC en a structur le dcor de la mme manire: un

    registre unique se droule sur toute la largeur du mur et repose sur un soubassement

    histori, bien que ce bandeau de mise en place de l image n ait jamais t ralis du

    ct gauche (Sud-Est). Le registre est lui-mme scind en deux moitis: l une, la plus

    proche de la porte, avec une scne unique, occupant toute la hauteur disponible;

    l autre avec des personnages plus petits, rpartis en trois sous-registres. Mais l unit

    des deux parties est signifie par leur appartenance un mme registre, tout comme

    celle de l ensemble du dcor de chaque paroi est assur par sa structure d encadre

    ment, surmonte de noeuds

    khkrou.

    La scne principale sur chacun des deux murs reprsente N akht suivi de son pouse,

    la place de son coeur, la chanteuse d Amon, Taouy, en train de rpandre le contenu

    d un

    vase sur un monceau d offrandes: offrir toute chose bonne et pure (pain, bire,

    boeuf, volaille), des taureaux longues et courtes cornes, ce qui est cr sur les

    autels, [ Amon

    s

    , ] R-Harakhty, Osiris le grand dieu, Hathor qui prside la

    ncropole, et Anubis sur sa butt e, dit l inscription qui accompagne la scne de

    droite, tandis qu gauche, on lit mettre de la myrrhe et de l encens sur [la flamme

    pour Amon, R-Harakhty, Osiris le grand dieu], Hathor qui prside Thbes e t Anubis

    sur sa butte. Deux actions complmentaires de l offrande faite par les dfunts sont

    donc diffrencies dans l inscription alors qu elles sont exprimes par le mme geste

    dans les deux scnes, ce qui nous montre dj qu une mme image - peine modi

    fie - peut tre investie de diffrentes significations. La composition est nouveau

    clairement bipartite.

    6

    D aprs

    DAVIES, Nakht, pL 12-18 (que

    l on comparera

    avec la photographie in situ, mais de ct,

    de

    SHEDID-SEIDEL,

    Nacht, p, 16, fig. 6); photos couleurs dans

    SHEDID-SEIDEL

    , Nacht, p. 34-5,76-7; A.

    LHOTE, Les chefs-d oeuvre de la peinture gyptienne

    (Paris, 1954), fig. 12, p. 37 (dtail de l offrande

    de la scne du mur sud-ouest), abrg ci-aprs

    LHOTE, Peinture.

    7

    Je dsigne par cette expression l artiste en chef, le matre d atelier qui dirigea l quipe de dcora

    teurs de

    cet

    hypoge; sur les conditions de travail

    en

    quipe des peintres des tombes thbaines,

    on

    verra M. MEGALLY,

    propos

    de l organisation

    administrative des ouvriers la XVIIIe dynastie , Stu

    dAeg

    l , p. 297-311; Arielle P.

    KOZLOFF,

    A Study of the Painters

    of

    the Tomb

    of

    Menna, N. 69 , in

    Acts

    lst

    lCE ,

    p. 395-402; l organisation du travail tait la mme sous l Ancien Empire (L.G

    LEEU

    WENBURG,

    Un

    groupe de sculpteurs gyptiens

    Leiden

    ,

    Bulletin van de Vereeniging tot Bevordering

    der Kennis van de Antieke Beschaving te s-Gravenhage 39 (1964), p. 50-4)

    et

    l poque

    ramesside

    (Dominique VALBELLE, Les ouvriers de l Tombe . Deir el-Medineh l poque ramesside (Le Caire,

    1985), p. 99-103).

    8

    Le nom d Amon a t martel sous le rgne d Akhnaton, pmfois avec

    un

    certain dbordemnt

    sur le reste de l inscription.

  • 7/26/2019 Laboury Nakht

    5/23

    52

    DIMITRI LABOURY

    J

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT

    53

    On retrouve frquemment ce type de reprsentations sur les parois qui jouxtent la

    porte d entre d une tombe

    9

    , ce qui montre qu il s agit d un lieu commun, d un

    topos

    iconographique du dcor de l hypoge thbain de la XVIIIe dynastie. Diffrents

    indices, comme le titre de la scne, le geste du dfunt, le collier mnat et le sistre

    hathorique aux mains de l pouse, ou les offrandes, dnotent la signification rituelle de

    l acte reprsent. Bien que diffrentes divinits - d empire ou prrogatives fun

    raires - soient explicitement mentionnes titre de bnficiaire de ce rite, l orienta

    tion de toutes les scnes de ce type, en direction de la porte d entre de la tombe, l o

    l astre du j our apparat tous les matins, semble bien dsigner le soleil comme destina

    taire privilgi de l offrande. J. Assmann a d ailleurs dmontr que la plupart des

    hymnes solaires inscrits dans les tombes thbaines et ddis au soleil levant se situent

    sur cette paroi adosse la faade

    moins qu ils ne soient, comme dans la tombe de

    Nakht, gravs sur une stle devant une statue du dfunt, qui elle aussi est dirige vers

    la porte d entre. Le dieu bnficiaire du rite

    n est

    donc pas figur ici, contrairement

    l usage

    ll

    puisqu il apparat chaque matin dans l encadrement de la porte, entre les

    deux scnes d offrande, par sa manifestation naturelle la plus tangible, l astre solaire

    lui-mme. L orientation de l image et son emplacement en dterminent donc le sens

    12

    ct et en-dessous de la scne d offrande de la paroi de droite se trouvent des

    reprsentations d activits agricoles. nouveau, cette association thmatique n est pas

    rare dans la ncropole thbaine, et on la re trouve notamment dans la tombe de Djser

    karasneb

    13

    , un contemporain de Nakht. Mais si, chez Djserkarasneb, l artiste a

    rparti les deux thmes sur deux murs contigus - la relation entre les scnes tant

    exprime par le rapport architectural entre les deux surfaces peintes - le peintre de

    Nakht les a combins sur une seule et mme paroi. De l autre ct de la porte, sur le

    mur sud-est, ce sont galement les produits des champs et de la nature en gnral qui

    sont voqus derrire le couple officiant, mais cette fois un autre stade de produc

    tion, non plus en cours de ralisation, mais finis, prts la consommation, et prsen

    ts par des porteurs d offrandes.

    9

    On verra la liste propose dans

    PM

    l, 1 p.

    470

    (28[a-b]).

    10 J. ASSMANN SOl1nenhymnen in thebanischen Grbern (Mayence, 1983), p. Xill-XVill (Theben, 1 .

    l R.

    TEFNIN

    Discours et iconicit dans l art

    gyptien ,

    Annales d Histoire de

    l Art

    et d Archolo-

    gie

    5 (1983), p. 13-4 [republi dans GM 79 (1984), p. 55-71].

    2

    C est

    une des conclusions essentielles de

    l tude

    de la

    grammaire

    dcorative des temples gyp

    tiens, cf. Ph. DERCHAIN Un manuel de gographie liturgique

    Edfou

    , CdE73 (1962), p. 31-65; Id.,

    Rflexions sur la dcoration des

    pylnes ,

    BSFE

    46

    (1966), p. 17-24; sur

    l tude

    de la grammaire du

    temple, on verra encore Franoise LABRIQUE

    Stylistique et Thologie Edfou

    (Louvain, 1992), p. 1-9

    (OLA,51).

    3

    TT

    38, PM l, 1 p. 69.

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    6/23

    54

    DIMITRI LABOURY

    Les scnes champtres du mur sud-ouest sont rparties sur quatre niveaux spars

    par une ligne de sol. On dcouvre, de bas en haut14, des laboureurs qui manient char

    rues et houes, des bcherons et des semeurs, puis des moissonneurs, des cueilleuses de

    lin et des fonctionnaires mesurant et rcoltant les crales, et, enfin, des vanneurs.

    La

    srie d'images dcrit donc la succession relle des oprations effectues dans les

    champs, depuis la prparation de la tene et les semailles, jusqu'au traitement et l'en

    registrement des productions, en passant par leur rcolte. L'oeil suit cet enchanement,

    depuis la ligne de sol o apparaissent des bovids jusqu' la scne principale, traite

    en plus grandes proportions et naturellement place au -dessus: la scne d'offrande,

    qui voque le contact entre les humains et les dieux, et notamment le dieu cleste par

    excellence, le soleil.

    L'lment essentiel de la composition des scnes de champs est la double effigie de

    N akht assis sous un dais: il est reprsent en taille dite hroque; il s'oppose, par son

    attitude et par sa place dans l'image,

    au

    reste de la figuration; et

    c est

    son action qui

    est dcrite par la lgende du tableau: s'as seoir sous le dais et regarder ses champs.

    Toute la composition lui est donc subordonne. Il est le sujet regardant, auquel on pr

    sente un objet regard. Comme Roland Tefnin

    l a

    bien montr, cette structure smio

    tique est le fondement de la reprsentation funraire gyptienne, depuis l'Ancien

    Empire

    . Les exemples sont innombrables. Le sujet regardant reste toujours peu

    prs immuable, tandis que l'objet regard est susceptible d'infinies variations, et

    c est

    prcisment l que l'artiste semble pouvoir intervenir en tant que tel.

    Au bandeau de soubassement, nous trouvons une scne de charruage offerte en

    spectacle Nakht (fig. 3 16. Les deux laboureurs dirigent leur attelage

    l un

    vers l'autre,

    si bien que la composition est symtrique. Mais cette symtrie n est qu'apparente ou

    partielle, car les deux membres mis en parallle ne se conespondent pas rigoureuse

    ment. On pounait dsigner ce phnomne par l'expression 'symtrie gyptienne', car

    une telle confrontation de concepts diffrents mais globalement synonymes ou com

    plmentaires est trs frquente dans les arts plastiques, l'architecture, la religion, la lit

    trature et la langue pharaoniques

    17

    .

    Dcrire les choses travers plusieurs aspects dif-

    14 HODEL-HoENES,

    Leben und Tod, p. 37, propose

    le mme

    sens

    de

    lecture.

    15 TEFNIN

    op.cil., p. 10-13.

    16

    D aprs

    DAVIEs,

    Nakht,

    pl.

    18;

    photos

    couleurs dans WILDUNG,

    Nacht,

    pl.

    7

    (seule la partie droite

    de l image est reproduite); SHEDID-SEIDEL, nacht, p. 34-5,41 Idem).

    17

    ce sujet: E.

    HORNUNG,

    Zur

    Symmetrie

    in Kunst und

    Denken

    der

    gypter ,

    in

    Agypten. Dauer

    und Wandel (Mayence, 1985), p. 71-7; Sylvia

    SCHOSKE,

    Symmetrophobia. Symmetrie und

    Asymmetrie

    in der altiigyptischen Kunst

    in

    Symmetrie in Kunst, Natur und Wissenschaft, 1 (Darmstadt, 1986),

    p. 151-6; HORNUNG Idea into Image. Essays on Ancient Egyptian Thought (New York, 1992), p. 76 sq.

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT

    55

    frents et donc complmentaires permet de mieux les concevoir et de mieux les dire.

    Cette constante mentale, ce schme cognitif, n est videmment pas sans voquer ce

    qu'il est dsormais convenu d'appeler 1 aspecti

    ve

    >J8. Dans le cas prsent, la 'symtrie

    gyptienne' oppose deux faons d'exprimer le labour la charrue: gauche, l'action

    est

    signifie

    par un personnage coiff d'une belle penllque et adoptant une pose noble,

    dans la plus pure tradition de l'art gyptien; par contre, de l'autre ct, la mme acti

    vit est

    reprsente

    par un homme atteint de calvitie et courb sous le poids de l'ef

    fort. Par ce jeu de contraste, le peintre voque la mme ide de deux manires diff

    rentes, l'une codifie, l'autre plus raliste, et montre ainsi qu'il est parfaitement

    conscient des conventions, de la part d'arbitraire de l 'art gyptien, et qu'i l sait en jouer

    et

    s en

    carter pour crer des effets nouveaux.

    Fig. 3.

    Scne de charruage du bandeau de soubassement de

    la

    paroi

    sud-ouest.

    Derrire ces deux agriculteurs, apparat un paysage organis autour d'une ligne de

    sol ondule; celle-ci reprsente les

    ouadis

    encore gorgs d'eau, lorsque le Nil en

    dcrue vient de se retirer des tenes. La souplesse de la ligne s'carte du schma de

    composition quadrangulaire hrit de l'Ancien Empire. La vision que l'artiste propose

    ici est essentiellement cartographique, avec les rabattements d usage, ncessaires la

    prsentation de profil des agriculteurs, des bovids et des vgtaux, ainsi parfaitement

    18

    Emma

    BRUNNER-TRAUT,

    Aspektive, in LA l (1975), col. 474-488; Id., Aspective, in H.

    SCHFER

    (trad. de l'aH. par J. BAINES , Principles

    of

    Egyptian rt (Oxford, 1974), p. 421-446.

  • 7/26/2019 Laboury Nakht

    7/23

    56 DIMITRI LABOURY

    identifiables19. Les proportions et les poses des personnages sont en parfaite harmonie

    avec la ligne ondule du marigot, et la dcoupe de l espace qu elle implique dans le

    registre. Une scne tout fait analogue a t sculpte dans la tombe de Khaemhat

    20

    ;

    on y retrouve les hommes binant le sol avec leur houe, les semeurs et mme le

    personnage qui boit l outre suspendue dans un arbre. Ce dtail apparemment anec

    dotique est trs vivant dans l hypoge de Nakht (Pl. l, 1)21. Le traitement pictural du

    feuillage tmoigne

    d une

    mancipation progressive du contour colori

    22

    vers un

    vritable tachisme. Arpag Mkhitarian a fait remarquer que la forme de l arbre est

    emprunte aux hiroglyphes, o le signe exprime notamment la bont. Peut-tre,

    l origine, est-ce l ombre bienfaisante de l arbre, dans un pays o darde sans cesse le

    soleil, qui a fait natre cette association d ides dans l esprit de l gyptien23. Dans

    cette mme perspective, cette ralit quotidienne a engendr une image mythologique,

    celle du roi allait par une desse sycomore, symbole d une nouvelle naissance

    24

    .

    9

    Sur ce procd de reprsentation, combinant la vue

    en

    plan et celle en lvation,

    cf A. BADAWY,

    Le dessin architectural chez les anciens gyptiens (Le Caire, 1948).

    Pour

    des raisons videntes de

    cohrence de l image, le rabattement des personnages, lments essentiels de la figuration, se fait dans

    le mme plan, alors que les plantes, composantes du dcor, peuvent tre redresses aussi bien vers le

    haut

    que vers la bas (

    cf

    le buisson sous le bcheron).

    20

    TT 57 (rgne d Amenhotep III), PM

    1,

    1,

    p.

    116 (13). Nous verrons plus loin que

    d autres

    dtails

    de

    la

    tombe de Nakht se retrouvent dans celle de Khaernhat, avec une prcision qui autorise

    l hypo-

    thse d une vritable copie, ou de l utilisation des mmes cahiers de modles; sur l existence de

    cahiers de modles, cf. ShelleyWACHSMANN, Aegeans in the Theban Tombs (Louvain, 1987), p. 12-26

    (Orientalia Lovaniensia Analecta, 20); D. LABOURY, Rflexions sur les vases mtalliques des tribu

    taires

    Keftiou ,

    Aegaeum 6 (1990), p. 93-115.

    21 D aprs

    MEKHITARIAN, Peinture, p. 78; autre photo couleurs dansSHEDID-SEIDEL, Nadu, p. 40.

    22 Rappelons que les gyptiens eux-mmes appelaient leurs peintres scribes des contours, b

    III, 480,

    Il.

    23 MEKillTARIAN,

    Peinture, p. 72.

    24 Par exemple

    MEKHITARIAN, Peinture, p.

    38 (VdR 34, Thoutmosis III);

    sur

    la symbolique de l al-

    laitement, J. LEcLANT, Le rle du lait

    et

    de l allaitement

    d aprs

    les textes des

    Pyramides ,

    INES 10

    (1951), p. 123-127;Id ., Le rle de l allaitement dans le crmonial pharaonique ducouronnement , in

    Akten des XXIV. Internationalen Orientalisten-Kongresses (Wiesbaden, 1959), p. 69-71; Id., Idem, in

    Proceedings of IXtII Internati onal Congress for History of Religions, Tokyo and Kyoto

    1958

    (Tokyo,

    Maruzen, 1960), p. 135-145; Id., Sur un contrepoids de Mnat au nom de Taharqa. Allaitement et

    apparition royale , in Ml. Mar., p. 251-284; W. VYCICHL,

    L allaitement

    divin du Pharaon expli

    qu

    par

    une coutume africaine , Genve

    -

    Afrique

    /

    Geneva

    -

    Africa, Acta Africana 5 (1966), p. 261-

    265; Nathalie BLOCH, La maternit en gypte et sa postrit , Annales d Histoire de l Art et

    d Archologie 14 (1992), p. 144. l n est

    pas

    impossible qu en retour, cette icne connote symbolique

    ment et religieusement la figuration profane , d autant que dans le cas prsent la compositionde notre

    registre met en relation, d un ct, le petit personnage qui boit

    l outre

    de

    l arbre

    et, en face,

    la

    repr

    sentation de Nakht assis l ombre de son dais (fig. 2).

    -1

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT 57

    On notera d autre pa rt que dans les temples, le bandeau de soubassement des

    images principales prsente habituellement une thmatique combinant les concepts

    d abondance et d tendue gographique, dans le contexte de l offrande

    25

    ; l analogie

    avec ce que nous trouvons dans la tombe de Nakht parat vidente.

    Trois scnes de rcolte dans les champs occupent le sous-registre juste au-dessus

    26

    .

    Trois

    27

    moissonneurs, faucille la main, s avancent dans les hauts bls afin de les cou

    per. Leur progression vers la droite est suggre par leur orientation et par leur bras

    tendu vers un espace demeur vide. La ligne verticale dessine par les longues tiges des

    crales spare cette scne de la suivante, o deux ouvriers s efforcent de refelmer une

    grande hotte excessivement remplie, montrant l abondance des rcoltes sur les terres de

    Nakht (fig.

    4)28.

    La composition de cette image est bien quilibre, fonde sur des lignes

    droites, horizontales, obliques et verticales; le canevas gomtrique est assoupli par le

    fond semi-circulaire du grand panier et surtout par la vitalit

    du

    personnage qui saute sur

    un bton pour tasser les pis. L attitude de cet homme, saisi en plein mouvement, repr

    sente son action alors que l effOlt de son compagnon est signifi par une pose conven

    tionnelle, les bras et les paules rabattus vers l avant en signe d activit vigoureuse

    29

    .

    Une fois de plus, le peintre a confront deux images qui expliment une mme action -

    l effOlt que ncessite la fermeture du sac - l une par la reprsentation et l autre par la

    signification. Cette chmmante scne apparat nouveau sur les reliefs de la tombe de

    Khaernhat, o l on retrouve mme la petite glaneuse penche sous les jambes du sau

    teur

    30

    .

    Plus loin, deux jeunes filles cueillent du lin. Le fond vgtal de la scne change

    brusquement de couleur, passant du jaune paille au vert, ce qui autonomise le tableau

    au sein du registre. Il fait galement ressortir l clatante blancheur des robes des deux

    demoiselles dont le contour disparat au contact du lin, accentuant le contraste chro

    matique

    3l

    .

    La comparaison de la seconde cueilleuse avec, par exemple, la chanteuse en

    chef de la tombe de Minnakht, plus ancienne de seulement quelques dcennies, rvle

    25

    J.

    BAINES, Fecundity Figures. Egyptian Persol1ljcations

    and

    the Iconology

    of

    a Genre

    (War

    minster, 1985), p. 345-7.

    26 Photos couleurs dansMEKHITARIAN, Peinture, p. 73 (hommes fermant la nasse), 75 (cueilleuse de

    lin);

    WILDUNG,

    Nacht, pl. 8 (champs de crales), 9 (cueilleuses de lin);

    SHEDID-SEIDEL,

    Nacht, p. 35,

    39 (hommes fermant la nasse).

    27

    Trois, signe du pluriel,

    cf WILDUNG, Nacht, passim.

    28

    D aprs

    DAVIEs,

    Nakht, pl. 18.

    29

    On

    comparera

    ce

    geste avec celui des personnages des signes hiroglyphiques suivants:l homme

    qui frappe avec un bton GARDINER, EG, p.

    444

    [A 24]), celui qui actionne un mortier (p. 446 [A 34]),

    celui qui construit un difice (p. 446 [A 35]) et celui qui brasse de la bire (p. 446 [A 36]).

    30

    PM 1, 1,

    p.

    116 (13).

    3

    Cf. MEKHITARIAN, Peinture, p. 75; WILDUNG, Nacht, pl. 9; SHEDID-SEIDEL, Nacht, frontispice.

  • 7/26/2019 Laboury Nakht

    8/23

    58

    DIMITRI LABOURY

    Fig. 4. Scnes de rcolte de la paroi sud-ouest.

    la modernit du peintre de Nakht (Pl. l,

    2-3)32:

    les contours dessins par celui-ci

    deviennent eux-mmes peinture, jouant de pleins et de dlis, la couleur n est plus dis

    pose en grands aplats uniformes mais, dilue et exempte de cerne par endroits, elle

    pelmet de crer divers effets de volume et de transparence, et le fait

    qu un

    des deux

    bras de la jeune fille soit cach par l autre tmoigne d une plus grande mancipation

    vis--vis de ce que l on est souvent tent d appele r les conventions du dessin gyptien.

    Aux deux registres suprieurs, on empaquette le grain et on le vanne devant Nakht

    33

    .

    La scne de vannage est nouveau construite selon le principe de la symtrie gyp

    tienne , mais celle-ci semble cette fois ne poursuivre qu un but esthtique, rompant la

    monotonie inhrente toute symtrie absolue. La composition repose entirement sur

    la ligne courbe: le fond de grisaille, les vanneurs debout, leurs compagnons qui se pen

    chent et les crales retombes terre dcrivent autant d arcs de cercle embots les

    uns dans les autres, dont la cl de vote est un objet aviforme, gristre, surmontant une

    coupe

    34

    . L attitude des fonctionnaires qui mesurent et rcoltent le bl est plus rigide,

    mais les sinuosits et la diffrence de hauteur des deux tas de grains devant et derrire

    eux assouplissent et dynamisent l image. On notera que les pieds de ces trois person

    nages sont dissimuls, enfouis dans l amoncellement de grains, ce qui situe ces

    hommes de faon raliste dans l espace,

    au

    sein du tas de crales, tandis que les van

    neurs du tableau au-dessus sont figurs sur un plan simplement superpos celui du

    fond, un autre tas de bl, dans lequel ils sont pourtant censs avoir aussi mis les pieds.

    32 D aprs

    MEKHITARlAN, Peinture p. 45

    et

    75.

    33

    Photos couleurs dans SHEDID-SEIDEL, Nacht p. 35, 37 (vannage), 38 (empaquetage);

    Ho

    DEL

    HOENES,

    Leben und Tod p. 40, fig. 7 (partie suprieure de la scne de vannage).

    34 La nature de cet objet est incertaine. DAVIEs, Nakht p. 63-6, a propos d y voir une idole agri

    cole, figuration de la desse Rnnoutet.

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT

    59

    La paroi de la tombe de Nakht qui se trouve du ct de l Occident, le lieu de sjour

    des morts, est tout naturellement dcore d une stle funraire par laquelle les trpasss

    peuvent se manifester depuis l au-del (fig. 5)35. Mais la stle de Nakht est peinte et non

    sculpte. Elle est du type fausse-pOlte corniche gorge, et ses couleurs - du rose

    mouchet de rouge, de gris et de blanc - imitent trs clairement le granit rose du Sud

    de l gypte. Au centre des encadrements d inscriptions successifs, un tableau reprsente

    le couple de dfunts assis devant une table d offrande. Cette parfaite copie en deux

    dimensions fait sans aucun doute office de vritable stle funraire, l image ayant, aux

    yeux de l gyptien antique, la capacit de susciter l existence de ce qu elle reprsente.

    De chaque ct de ce succdan de stle, ont t dessins trois registres o prennent

    place six personnages agenouills dont le geste des bras, par analogie au systme hiro

    glyphique, signifie l offrande

    36

    Mais si leur attitude est commune, les prsents qu ils

    apportent varient, bien que les deux hommes qui se trouvent sur un mme registre tien

    nent toujours quelques objets identiques: trois tiges de papyrus et des grappes de raisin

    au premier registre; deux bols vass au deuxime registre; et une natte d o pend un

    bouquet de fleurs au troisime registre. ces passerelles iconographiques, ces corrla

    tions de signifiants, signes de complmentarit, correspondent, sur le plan des signifis,

    des rapports entre les offrandes prsentes. Au registre suprieur, le pain, le raisin et

    les oignons

    3

    ?, regroups sous l appellation d offrande divine ( gauche), constituent

    avec la bire ( droite) la base du repas de l gyptien, et donc la nourriture quotidienne

    de ses dieux. En-dessous, l eau ( gauche) et le vin ( droite) sont deux liquides

    fr

    quemment associs dans le rituel, ayant tous deux un pouvoir crateur et vivificateur

    38

    ;

    35 D aprs

    DAVIEs, Nakht pl. 8; photos couleurs dans

    MEKillTARIAN,

    Peinture p. 18; WILDUNG,

    Nacht pl. 1;

    SHEDID-SEIDEL,

    Nacht p. 42-4; cette situation de la scne est tout fait habituelle, comme

    le notait dj

    DAVIES,

    Nakht

    p.

    30-1; sur ces monuments dans les tombes thbaines, on se reportera

    l tude fondamentale d HERMANN, Stelen et celle de Cl. TRAUNECKER, La Stle Fausse-Porte du

    Vice-Chancelier

    Amnophis , Karnak

    6 (1980), p. 197-208, sur leurs modles, les vritablesstles

    fausses-portes

    en

    granit.

    36 R.

    TEFNlN, Image

    et histoire. Rflexions sur l usage documentaire de l image gyptienne , CdE

    54 (1979), p. 235; photos couleurs dans WILDUNG, Nacht pl. 2; SHEDID-SEIDEL, Nacht p. 42-3;

    HODEL-HoENES, Leben und Tod p. 41, fig. 8.

    7 Les oignons avaient aux yeux des anciens gyptiens de nombreuses vertus quipeuvent inter

    venir dans le contexte funraire, cf. Catherine GRAINDORGE,

    Les

    oignons de

    Sokar ,

    Rd 43 (1992),

    p. 87-105;

    pour

    celles du raisin,

    on

    se reportera aux rfrences sur le vin la note suivante.

    38

    Sur l offrande du vin, cf. MU-CHOU Poo, Wine and Wine Offering in the Religion

    of

    Ancient Egypt

    Londres et New York, 1995; Christine

    MEYER

    , Wein in LA VI (1986), coll. 1174-1177; Poo,Weinopfer

    in

    LA VI

    (1986), coll. 1186-1190. Comme

    R.

    Tefnin me

    l a

    fait remarquer,

    l eau

    est voque gauche,

    du ct du Nil, comme si elle en provenait, tandis que levin se trouve du ct droit, vers le fond de la

    tombe et la montagne thbaine, o rgnent Osiris et Hathor, auxquels le vin est troitement associ.

  • 7/26/2019 Laboury Nakht

    9/23

    60

    DIMITRI LABOURY

    Fig. 5. Dcor de la paroi ouest.

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT 61

    on notera que, comme sur la double paroi d entre, ces offrandes sont diffrencies par

    l inscri ption, mais rep rsentes par une mme image, qui se rvle donc potentielle

    ment polysmique

    39

    . Enfin, au registre du bas , l onguent

    mc(jet,

    les fards vert et

    noirs

    4o

    gauche) et les vtements

    4

    droite) sont souvent prsents ensemble la

    divinit et gratifient celle-ci de leurs vertus rgnratrices. Les offrandes assimilent le

    dfunt un dieu, comme le confirment les inscriptions de la stle qui mentionnent

    l Osiris-Nakht. Par ailleurs, le discours des offrants du second registre identifie la

    puret de Nakht celles de Horus et de Seth, les deux protagonistes du mythe osirien,

    qui sont rconcilis lorsque Osiris reoit la justification

    du

    tribunal divin et qu il renat

    en qualit de patron des morts et roi de l au -del. Nakht s assimile donc Osiris , mais

    pas dans n importe quel pisode mythologique puisque, runissant en lui Horus et

    Seth, il devient Osiris victorieux et justifi, et non le dieu assassin et dmembr du

    dbut du mythe. Cet ensemble dcoratif a donc une profonde signification religieuse

    et poursuit un but fonctionnel: il assure, par la magie de l image et de l criture hi

    roglyphique, un au-del bien heureux au dfunt. D autre part, il ncessite manifeste

    ment une lecture , une comprhension globale, que le peintre a savamment suggre

    par

    des moyens iconographiques, en crant des analogies formelles entre lesdiff

    rentes parties constitutives.

    Comme sur la paroi prcdente, nous trouvons en-dessous un soubassement

    dcor

    42

    ,

    qui, par son contenu, doit galement tre reli la figuration principale

    43

    .

    La composition est nouveau rgle par la symtrie gyptienne . Les deux desses

    39 En fait, le geste du bras semi pli prsentant un petit vase ,- gnralement globulaire,- est le signe

    hiroglyphique et iconographique de l offrande, qui peut , ou non, tre prcis par une inscription

    adventice, comme l a bien montr

    TEFNIN, op. cit.

    40

    Sur l offrande de l onguent

    mcUet, cf.

    Eva

    STROOT-KIRALY

    ,

    Les offrandes aFec l onguent

    m t,

    l aiguire

    nmst

    et le pain blanc. Essai d intelprtati on d aprs la dcoration des temples gyptiens

    (mmoire de licence prsent l Universit de Genve en octobre 1987), p. 3-14, 30-39, 55-68; Syl

    vie CAUVILLE,

    Essai sur la thologie du temple d Horus Eclfou

    (Le Caire, 1987), p. 114-128

    (BdE,

    102); sur celle des fards vert et noir, Zeinab el-KoRDY, L offrande des fards dans les temples ptol

    maques , ASAE 68 (1982), p. 195-222.

    4 L objet apport par le personnage est le signe hiroglyphique qui sert crire le

    mot

    vte

    ment, utilis dans la lgende de la scne, juste devant; sur ce signe et son interprtation iconogra

    phique,

    cf.

    Agnes

    RAMMANT-PEETERS,

    A New Interpretation of the Hieroglyph Gardiner S 27 ,

    OLP 4

    (1973),

    p.

    71-5. Cette interpntration de

    l image

    et du hiroglyphe - lui-mme image - est trs rvla

    trice de

    la

    nature smiotique de l art gyptien,

    comme

    l a soulign R. TEFNIN, Discours et iconicit

    dans j art gyptien ,

    Annales d Histoire de

    l Art

    et d Archologie

    5 (1983), p. 5-17

    [=

    GM 79 (1984],

    p.55-71].

    42 Photos couleurs dans

    WILDUNG, Nacht,

    pl. 4; SHEDlD-SEIDEL,

    Nacht,

    p. 42,44-5.

    43 Le paralllisme avec le dcor des temples est ici aussi tout fait vident, cf. supra, n. 25.

  • 7/26/2019 Laboury Nakht

    10/23

    62 DIMITRI LABOURY

    sycomores prsentent un amoncellement de victuailles qui, par sa luxuriance et son

    traitement pictural, nous voque davantage une nature morte que les tables d offrandes

    vritablement hiroglyphiques que ralisrent les peintres de la gnration prcdente

    (pl. II, l et fig. Il)44. Dans sa publication de la tombe de Nakht, Norman de Garis

    Davies a propos de voir dans les tiges de papyrus que tiennent les deux desses non

    seulement une plante, mais aussi le signe hiroglyphique qui exprime la verdeur, la

    fracheur et la bonne fortune

    . Les images pounaient donc avoir ici aussi plusieurs

    niveaux de signification.

    Le dcor du mur oriental, en face, est davantage conventionnel, tant par son icono

    graphie que par sa structure et sa composition (fig. 6 46. La surface peindre est divi

    se en deux registres superposs, de mme hauteur. Chacun d eux est compos de

    deux moitis; d un ct, le couple de dfunts en taille dite hroque, dos au fond de la

    tombe, o ils sont censs rsider, et assis devant une table d offr ande cou verte de

    vivres; e n face, deux dfils de porteurs d offrandes qui viennent leur rendre hom

    mage. Tout cela est assez classique et mme strotyp.

    L intrt de cette paroi rside dans son tat d inachveme nt (pl. II, 2 47, car celui-ci

    permet de comprendre comment travaillait le peintre gyptien, d un point de vue tech

    nique. Les diffrentes tapes ont t figes par endroits et l on peut en reconstituer la

    squence comme suit: la paroi tant dresse, l artiste trace un quadrillage qui facilite

    l bauche de chaque lment sa place et selon ses proportions exactes; ensuite,

    l

    recouvre son esquisse avec les couleurs slectionnes et c est seulement la fin qu il

    assure la nettet et la lisibilit de chaque figure, en l entourant d un cerne ocre fonc.

    L examen du mur sud-est, galement inachev, confirme ce scnario thorique

    48

    Ce

    44 D aprs

    SHEDID-SEIDEL, Nacht, p.

    44 et

    Heike GUKSCH, Das Grab des Benja, gen. Paheqal17en.

    Theben NI . 343 (Mayence, 1978), pl. 21, AV, 7) .

    Sur

    le concept de nature morte dans les reprsenta

    tions pharaoniques d offrandes, cf. Margot SCHMIDT, Stillebenartige Bildelemente in der agyptischen

    Flachenkunst ,

    in Festschrift Max Wegner z

    Uin

    sechzigsten Geburtstag

    (Mnster, 1962), p. 1-8; on

    verra cependant les remarques de R. TEFNIN, lements pour une smiologie de

    l image

    gyptielme ,

    CdE 131-132 (1991), p. 61-2, qui mettent

    en

    garde contre les dangers que prsente ce genre de distor

    sion ethnocentriste.

    45 DAvlES, Nakht, p. 47. Sur le signe hiroglyphique de la tige de papyrus,cf. GARDINER, EG , p. 480

    M 13).

    46

    D aprs DAvlEs,

    Nakht,

    pl. 13; photos couleurs dans

    SHEDID-SEIDEL,

    Nacht, p.

    74-5.

    47

    D aprs une aquarelle de Lancelot Crane, reproduite dans

    c K

    WILKINSON, Egyptian Wall Pain-

    ting. The Metropolitan Museum

    of

    Art s Collection

    of

    Facsil17iles (New York, 1983), fig. 24, et plus

    lisible que la photographie de

    SHEDID-SEIDEL

    , Nacht, p. 75.

    48

    Cf.

    SHEDID-SElDEL, Nacht,

    p. 76-81 (p. 19-20, cette technique est dcrite en dtails,

    partir de

    notre connaissance des diffrentes tombes thbaines).

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT

    63

    Fig.

    6.

    Dcor de la paroi est.

    procd a certainement incit les peintres thbains

    prendre conscience des potentia

    lits particulires de la couleur et les utiliser, s cartant ainsi de leur dfinition, pour

    tant gyptienne, de scribes des contour s; la peinture peut jouer pour elle-mme, et

    c est seulement dans un second temps que cette libert est bride, en apparence, ext

    rieurement, par la pose des conventionnels contours. Par contre, la ralisation des

    hiroglyphes suit le processus inverse: ils sont d abord esquisss par un dessin fait de

    traits l encre rouge-brun; et c est partir de ce gabarit, ncessairement excut par

  • 7/26/2019 Laboury Nakht

    11/23

    64 DIMITRI LABOURY

    un lettr ou sous sa direction

    49

    ,

    que le peintre vient colorier les signes d criture. C est

    sans doute ici l obligation de connatre le systme hiroglyphique qui a impos cette

    faon de procder.

    Le mur nord-ouest est dcor du thme classique du banquet funraire

    s

    sans doute

    en relation avec la Belle Fte de la Valle : en effet, le centre smantique de la scne,

    l acte dcrit par l inscription, est l offrande d Amenemop, fils de Taouy, qui donne

    au couple de dfunts, parmi de nombreux prsents, un bouquet mont qui semble tre

    celui d Amon, que l on apportait aux trpasss l occasion de cette fte

    s,

    .

    Cette paroi est hlas mal conserve (fig. 7 S

    2,

    mais elle n en comporte pas moins de

    vritables chefs-d oeuvr e. Elle doi t sa notorit au groupe de trois musicien nes du

    registre infrieur

    s3

    . Le peintre qui ralisa ce magnifique orchestre de chambre - fun

    raire - l enduisi t d une couche de vernis protecteur, fait assez rare

    S4

    , mais non sans

    parallle, qui semble montrer que l artiste lui-mme considrait ce petit tableau

    comme une russite particulirement digne d tre conserve, ce que lui ont accord le

    temps et les hommes.

    L ensemble musical qui anime le banquet en prsence du dfunt est nouveau un

    lieu commun du dcor de la tombe thbaine du Nouvel Empire, mais en gnral, les

    personnages sont simplement juxtaposs et ne forment pas un vritable groupe

    ss

    . Des

    musiciennes tonnamment ressemblantes aux ntres ont t reprsentes dans l hypo

    ge contemporain de Djserkarasneb

    s

    mais le style reste encore paratactique. Chez

    49 Nous savons, grce quelques rares signatures , que les programmes dcoratifs des tombes,

    comme ceux des temples, taient composs et rdigs par des prtres spcialistes, particulirement ver

    ss dans la connaissance de

    l criture

    et des textes religieux, un prtre-ritualiste ou un scribe des crits

    divins;

    cf

    P. VERNUS, Les espaces de

    l crit

    dans l gypte pharaonique ,

    BSFE

    119 (1990), p. 39.

    D autre

    paIt, lors de la rali sation des te mples taI difs, la prsence de ces prtres dirigeant les artistes

    est assure, cf Laure PANTALACCI, Remarques sur les mthodes de travail des dcorateurs tentyrites ,

    BIFAO

    86 (1986) , p. 267-275.

    50

    Sur

    ce thme, on se reportera la contribution de Lise Manniche dans le prsent volume .

    5 SCHOTT, Das schone Fest p. 813-827; BARGUET, Temple d Amon-R, p. 182; Christiane

    ZIE-

    GLER,

    Une

    famille de Grands des Djebels de

    l Or

    d Amon ,

    RdE 33 (1981), p. 130-2.

    52 D aprs DAVIEs, Nakht pl. 15; photos couleurs dans SHEDID-SEIDEL, Nacht p. 46.

    53 Photos couleurs notamment dans

    LHOT

    E,

    Peinture

    pl. 116; MEKHITARIAN,

    Peinture

    p. 33; WIL-

    DUNG,

    Nacht pl. 12; SHEDID-SEIDEL, Nacht p. 52-4;

    HODEL-HoENES,

    Leben und Tod p. 43, fig. 10.

    54

    MEKHITARIAN,

    Peinture

    p. 34; le brillant du vernis est bien visible

    sur

    les photos de

    SHEDID-SEI

    DEL, Nacht p. 53-4, alors que la peinture gyptienne, ralise a tempera est toujours naturellement

    mate.

    55 titre d exemples, chez Amenemhat (TT 82, rgne de Thoutmosis III, PM I, l, p. 164 [5]) et

    chez

    Ouah (TT

    22,

    mme

    priode, PM

    I, 1,

    p. 37

    [4]).

    56 PM

    I, l , p. 70.

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT

    65

    Fig. 7. Dcor de la paroi nord-ouest.

    Nakht, l unit du groupe est assure par l attitude de la jeune luthiste , au centre, dont

    les jambes sont orientes vers la harpiste devant elle, tandis que le haut du corps est

    retourn vers l arrire, en direction de sa compagne fltiste. La cohsion de l en

    semble est d autant plus forte que les silhouettes des trois demoiselles se superposent

    en partie

    S7

    . Le gnie de la composition me semble d

    la savante dialectique de lignes

    droites et courbes, laquelle participe la couleur. cela s ajoutent l individualisation

    des personnages et la reprsentation de la dextrit des instrumentistes par les poses

    sophistiques de leurs mains, en contraste vident avec les mains hiroglyphiques des

    convives qui les entourent. Le fait que la taille des jeunes filles dcroisse depuis la

    57 On notera cet gard l tonnant contraste entre la reprsentation de la harpe situe entre les bras

    de la harpiste, donc dans les trois dimensions de l espace, et celle du bouquet mont de l officiant,

    juste devant elle, qui bien qu il soit tenu dans la main droite passe derrire le bras gauche du per

    sonnage pour ne pas masquer

    une

    partie de son corps, selon les conventions traditionnelles de

    l art

    , aspectif (ou plutt

    non

    perspectif ) de l gypte pharaonique.

  • 7/26/2019 Laboury Nakht

    12/23

    66

    DIMITRI LABOURY

    harpiste jusqu' la fltiste m'incite croire qu'ici, le peintre

    n a

    pas travaill

    au

    carreau, partir

    d un

    quadrillage rglant les proportions, mais bien de chic, donnant

    ainsi libre cours toute sa crativit

    58

    .

    Ces jeunes filles sont figures avec des propor

    tions plus grandes que celles des invits aux banquet, assis delTire elles, ce qui cre

    une sorte d'effet de premier plan, qui met le groupe musical en vidence; elles n'at

    teignent cependant pas la hauteur de l 'officiant qui les devance, Amenemop, le fils de

    Taouy, car celui-ci est l'acteur du rite d'offrande qu'voque l'ensemble du registre,

    donc un des protagonistes essentiels de la scne. L'espace demeur vide entre les ttes

    des trois musiciennes et la ligne de sparation des registres a t combl par une autre

    'nature morte' que

    l on

    serait tent d'intituler variation sur le thme

    du

    vase.

    De faon gnrale pour le dcor de cette paroi, le peintre de Nakht se montre beau

    coup plus libre et novateur dans la reprsentation des femmes que dans celle des

    hommes. Ainsi, les trois htes derrire le petit orchestre sont exactement identiques; il

    s'agit en fait

    d un

    poncif que l'artiste a reproduit trois fois, selon le style paratactique,

    et que

    l on

    rencontre dj souvent dans les tombes antrieures

    59

    .

    Par contre, les nobles

    dames du registre suprieur, juste au-dessus, apparaissent dans des attitudes et des

    atours trs varis, qui animent considrablement la scne

    6o

    Nous avons cette fois

    affaire un vritable groupe dont les personnages garantissent l'homognit par

    diffrents gestes et contacts, selon la mme technique de composition que celle qui fut

    utilise pour le petit orchestre de jeunes femmes que nous venons de voir. Ainsi deux

    invites changent des fruits de mandragore ou de persa

    61

    avec leurs compagnes, qui

    tiennent en main des fleurs de lotus ou les portent leur nez pour en respirer le

    parfum. Le fruit de la mandragore ou

    du

    persa et la fleur du lotus sont dans la pense

    gyptienne des symboles de renaissance: le lotus exalte l blouissante vigueur cra

    trice du soleil, le fruit de la mandragore est un symbole d'une sensualit joyeuse qui

    suscite l'acte crateur, et celui du persa voque la gnrosit du Nil fcondant la

    tene

    d'gypte sur laquelle il se rpand

    62

    .

    Il convient bien videmment de considrer ces

    58

    Sur le travail des artistes avec des grilles de proportions,cf Gay

    ROBINS

    Proportions and Styles

    in Ancient Egyptian

    Art

    ( Londres, 1994), particulirement p. 21-30.

    59 Par exemple, dans la tombe de Ouah, cite n. 54.

    60 Photos couleurs dans

    LHOTE

    Peinture, fig. 13, p. 39; WlLDUNG Nacht, pl. 13; SHEDID-SEIDEL

    Nacht, p. 48-51;

    HODEL-HoENES

    Leben und Tod, p. 42, fig. 9.

    6

    Ce fruit est souvent tellement stylis qu'il est impossiblede savoir s'il s'agit du fruit

    du

    persa ou de

    la mandragore,

    cf

    Renate GERMER Flora des pharaonischen Agypten (Mayence, 1985), p. 148 (SDAIK,

    14

    62 Ph. DERCHAlN Le lotus, la mandragore et le persa , CdE 99-100 (1975), p. 65-86; sur le fruit

    de la mandragore, voir galement L.

    KEIMER

    , La baie qui fait aimer, mandragora officinarum M., dans

    l

    gy

    pte ancienne , Bl 32 (1951), p. 351; Kate BOSSE-GRIFFITH, The Fruit of the Mandrake , in Fs

    Brunner,

    p. 62-74.

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT

    67

    connotations symboliques en songeant la signification funraire de l'ensemble dco

    ratif que nous examinons. Nous allons d'ailleurs voir que la mort semble effective

    ment voque sur la paroi qui nous occupe.

    Devant ces charmantes jeunes femmes, un homme aveugle joue de la harpe

    63

    .

    Sa

    ccit est exprime par un trait la place de l 'oeil, et sa bouche ouverte, exception

    nelle pour une image gyptienne, signifie qu' il est en train de chanter. L'embonpoint

    marque son ventre, son corps est entirement figur de profil et la plante de son pied

    gauche vue de face surgit sous sa cuisse droite. Ces traits ralistes, qui transgressent

    les conventions du dessin gyptien, dsignent notre musicien parmi tous les autres per

    sonnages, crant une rupture avec le contexte dans lequel il apparat, ce qui a pour

    effet premier d'attirer l'attention

    64

    .

    Le harpiste aveugle et le ralisme qui le caractrise

    constituent un topos iconographique

    65

    ;

    d'ailleurs, le chanteur infirme du banquet de

    Nakht a un frre jumeau dans la tombe de Djserkarasneb

    66

    .

    Ce thme possde en fait

    un rfrent littraire bien prcis: le clbre chant du harpiste 67. Aucun ne revient

    de l-bas pour nous dire leur sort ( .. ); alors suis ton coeur, passe un jour heureux ,

    dit le joueur de harpe dans ce texte

    68

    .

    Vu la signification de ce chant, le harpiste

    63 Photos couleurs dans M

    EKH

    ITARIAN Peinture, p. 70;

    WlLDUNG

    Nacht, pl. 14; SHEDID-SEIDEL

    Nacht, p. 23 (fig. 10), 46-9;

    HODEL-HoENES

    Leben und Tod, p. 42, fig. 9.

    64 Sur

    l'utilisation du ralisme

    comme

    signe ou indice smiologique, on se reportera justement

    l tude de R. TEFNIN

    propos d'un vieux harpiste du Muse de Leyde et du ralisme dans

    l art

    gyp

    tien , Annales d Histoire de l Art et d Archologie 10 (1988), p. 7-26 (o notre personnage est repr

    sent la p . 14, fig. 5).

    65 Ibidem.

    66

    PM

    l, 1, p. 70 (6)(1a description fournie en tte de la bibliographie ne mentionne pas ce harpiste ,

    ne parlant que de female musicians, mais il est parfaitement reproduit sur la diapositive nO37.307

    d Uni -Dia-Verlag).

    67

    Sur le harpiste aveugle et son chant, on verra, outre l'article de

    TEFNIN

    qui vient dt re cit,

    P.

    KAPLONY

    'Hirtenlied, Harfnerlieder und Sargtext-Spruch671 aIs verwandte Gattungen

    der

    agypti

    schen Literatur , CdE 90 (1970), p. 240-3; J. ASSMANN Fest des Augenblicks - V er he is su ng der

    Dauer. Die Kontroverse der agyptischen Halinerlieder , in J. ASSMANN Erika FEUCHT

    et

    R. GRIES

    HAMMER Fragen an die altiigyptische Literatur. Studien zum Gedenken an Eberhard Otto (Wiesbaden,

    1977), p. 55-84; H.

    ALTENMLLER

    Zur Bedeutung der Harfnerlieder des Alten Reiches ,

    SAK 6

    (1978), p. 1-24; Lise MANNICHE Symbolic Blindness , CdE 105 (1978), p. 13-21; M.V. Fox,

    The

    Entertainement Song Genre in Egyptian Literature

    ,

    in Sarah

    ISRAELIT-GROLL

    (d.), Egyptological

    Studies (Jrusalem, 1982), p. 268-316; M.

    PATANE

    propos du chant du harpiste d Antef , BSEG

    11

    (1987), p. 99-109; M.

    MALAISE

    Le

    symbolisme de

    la

    vision et de la ccit dans l

    gy

    pte

    ancienne ,

    Jl8fR 6 (1993), p. 20-21.

    68 Le texte n est pas reproduit dans la tombe de Nakht, mais il est frquent que le harpiste soit

    accompagn dans l 'hypoge des parolesqu il chante (cf la bibliographie cite plus haut); d'ailleurs 23

    des 24 chants du harpiste conservs sont inscrits dans des tombes On peut, me semble-t-il, se deman

    der si le ralisme du propos du harpiste

    n est

    pas mettre en rapport avec le ralisme avec lequel est

  • 7/26/2019 Laboury Nakht

    13/23

    68

    DIMITRI LABOURY

    aveugle, qui en est la traduction iconographique, semble connoter la scne de banquet,

    ayant la fonction d un subtil

    mennto mori

    . On comprend ds lors mieux pourquoi

    les invites figures juste derrire lui manipulent lotus et fruits de mandragore ou de

    persa, symboles de cration et de renaissance, complmentaires la ralit de la mort

    que rappelle notre chanteur. En fait, la scne du banquet ne reprsente pas, comme on

    pourrait le croire

    premire vue, une simple fte mondaine;

    travers diffrents signes

    subtils, elle runit en une seule et mme image, en une seule et mme action, la vie et

    la mort, les gens d'ici-bas et les trpasss, niant ainsi le passage qui les spare

    .

    Comme sur les deux parois prcdentes , le dcor du mur nord -est est rparti en

    deux registres, et chacun d'eux comporte, du ct le plus proche du fond de la tombe,

    l'image de Nakht et Taouy assis, en train

    de

    se rjouir le coeur la vue

    du

    spec

    tacle et de l'offrande qui leur sont prsents (fig. 8 71. Devant ces sujets regardant, se

    droulent diffrentes scnes dont la principale, par ses proportions, est celle de la

    chasse aux marais, dans la campagne du pays septentrional, o Nakht peut se voir

    lui-mme,

    deux reprises (fig.

    9) .

    Ce thme est un classique du dcor de la tombe,

    attest depuis l'An cien Empire

    73

    .

    Au Nouvel Empire, l est toujours compos de deux

    activits cyngtiques, le lancer du bton de jet et la pche au harpon, qui peuvent tre

    reprsentes l'une denire l'autre

    74

    ,

    ou

    comme ici, et c est le cas le plus frquent,

    affrontes dans une composition antithtique

    75

    .

    On retrouve chez Nakht, comme dans

    figur ce musicien prcurseur d Horace; dans l' univers idal qu voquent (et que sont censs susciter)

    les images et les textes gyptiens, ce chant et celui qui le psalmodie nous rappellent la ralit de la

    vie et de son contraire complmentaire et indissociable, la mort.

    69 WILDUNG, Naeht, p.

    57-8, relie galement la figuration du harpiste

    l voca tion de la mort.

    70

    Une des fonctions de la Belle Fte de la Valle, voque ici par l off rande du bouquet mont,

    centre smantique du tableau, est prcisment cette rencontre entre les vivants et les morts, cf Silvia

    WIEBACH,

    Die

    Begegnung

    von Lebenden und Verstorbenen im Rahmen des thebanischen

    Talfestes ,

    SAK

    13 (1986), p. 263-291.

    7

    D aprs

    DAVIES,

    Nakht, pl. 22; photos couleurs dans

    LHOTE,

    Peinture, fig. 15, p. 43 (vendange,

    pressoir, tenderie plumage), pli. 45 (porteurs d off randes devant

    le

    dais), 52-3 (chasse au marais);

    WILDUNG, Naeht,

    pl. 3 (dfunts sous le dais), 5-6 (tenderie),10-11 (vendange et pressoir),

    15

    (chasse au

    harpon);

    SHEDID-SEIDEL,

    Naeht, p. 56-73;

    HODEL-HoENES,

    Leben und Tod, p. 46, fig.

    Il

    (vendange

    pressoir).

    72

    D 'aprs

    DAVIEs, Nakht,

    pl. 22; photos couleurs, avec diffrents clichs de dtails, dans

    SHEDID

    SEIDEL,

    Naeht,

    pp. 58-63.

    73 Sur la reprsentation de la chasse aux marais, on se reportera H. ALTENMLLER, Darstellungen

    der Jagd

    il

    alten Agypten

    (Hambourg-Berlin, 1967).

    74

    Par exemple dans le

    TT

    56, d Ouserhat, sous Amenhotep II,

    PM

    1, 1, p. 113 (15); Christine

    BEIN

    LICH-SEEBER,

    A.G. SHEDJD, Das Grab des Userhat TT 56) (Mayence, 1987), pl. ,

    13

    AV, 50 .

    75

    Par exemple,

    ALTENMLLER,

    op. eit., pl. 9 (TT 69, de Menna, rgne de Thoutmosis IV).

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT 69

    Fig. 8. Dcor de la paroi nord-est.

    Fig. 9. Dtail de la chasse au marais de la paroi nord-est.

  • 7/26/2019 Laboury Nakht

    14/23

    70

    DIMITRI LABOURY

    les autres hypoges, la monte centrale d eau - le

    Wasserberg

    76

    -

    o jaillissent les

    deux poissons harponns, mais le traditionnel bosquet de papyrus au milieu de la

    composition s est mu en une vritable toile de fond vgtale. Cette superposition de

    plans n est pas trs frquente dans l art gyptien, mais on

    en

    connat cependant

    d autres exemples77.

    De nombreux dtails de cette scne paraissent inopportuns pour une chasse au

    marais

    78

    . Ainsi, les personnages sont pars de leurs plus beaux atours, somptueux

    vtements, perruques et bijoux, comme s ils participaient une fte ou un ban

    quet. Deux jeunes femmes en grande toilette saisissent N akht p ar la taille et par la

    jambe, alors qu on imagine les mouvements qu il devrait faire pour empcher que

    son frle esquif ne chavire au moment de lancer son arme. Ils sont fort nombreux

    pour une telle embarcation, et de plus, une oie - arrache par les fidles d Akh-

    naton car considre

    comme

    une hypostase du dieu

    Amon

    - reste bien sagement

    la proue du bateau alors que ses congnres sont en pleine dbcle, cherchant

    chapper

    l invitable massacre. Si Nakht a effectivement chass dans les marais

    du Delta, cela ne s est certainement jamais pass comme cette image semble le

    raconter.

    Malgr la codification laquelle l art gyptien nous a habitus, cet irralisme vi

    dent invite proposer pour ce tableau une interprtation non pas commmorative mais

    plutt symbolique. D ailleurs, les inscriptions de la scne dnotent clairement que le

    dfunt effectue un acte rituel, puisqu il s unit la matresse des proies (oiseaux et

    poissons >> et qu il pratique les activits de Skhet, desse de la campagne, prsi

    dant

    la chasse aux oiseaux et

    la pche

    79

    . Les reprsentations semblables que

    l on

    peut produire en parallle sont galement ponctues de signes religieux

    8o

    .

    En gypte, la chasse est une activit sacralise, qui a un rle apotropaque: les

    proies sont identifies aux ennemis du royaume pharaonique et de l Ordre cosmique

    76

    ce sujet, cf H. SCHFER (traduit de l aIl. par

    J.

    BAINES , Principles of Egyptictn Art (Oxford,

    1974), p. 243-4.

    77

    Par exemple, MEKHITARIAN, Peinture,

    p.

    42 (TT 82, d Amenemhat, sous Thoutmosis III);

    ALTENMLLER,

    op. cit.,

    pl. 14-5 (de l Ancien Empire); pour des exemples avec un bosquet central, Id.,

    op. cit.,

    pl. 9, 13.

    8

    Le

    manque de ralisme dans la figuration de la chasse au marais a t not

    par

    Id.,

    op. cit.,

    p. 18

    et Fr.

    DAUMAS, Fischer

    und

    Fischerei,

    in

    LA

    II (1977), col. 235, mais la prsente analyse est inspire

    de celle de Ph. DERCHAIN,

    La

    perruque et le cristal ,

    SAK

    2 (1975), p. 62 sq.

    9

    Sur cette divinit, cf W. GUGLIELMI, Die Feldgbttin

    Sb.t , WdO

    7 (1973-1974), p. 206-227.

    80 Par exemple, la clbre scne de la tombe de Nbamon, conserve au British Museum, Londres

    (rgne d Amenhotep III), analyse par DERCHAIN,

    op. cit.

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT

    71

    qu il incarne et dont il est le garant, la Mat

    81

    . Les volatiles sont

    cet gard des ani

    maux malfiques

    82

    , dont on anantit le pouvoir en leur tordant le cou - comme le

    montrent les diffrentes reprsentations d oiseaux tus pour l offrande dans la tombe

    de Nakht, notamment dans les scnes principales des deux parois sud - et c est pr

    cisment l effet produit par le bton de jet de N akht

    83

    . Le dfunt pratique donc la

    Mat, il participe au maintien de l Ordre cosmique, en apportant son concours

    l vic

    tion des forces du Chaos

    84

    , qui, de ce fait, ne peuvent pntrer plus avant dans sa

    tombe et perturber son ternel repos.

    cela s ajoute une autre signification base sur un jeu de mots doubl

    d un jeu

    d images, plus difficile dchiffrer, mais peut-tre, justement pour cette raison, plus

    important

    8s

    . Dans l criture hiroglyphique, le bton de jet peut servir de dterminatif

    deux verbes homographes, qm3, lancer et crer 86 Le premier verbe est signi

    fi par le geste de Nakht, qui s apprte d ailleurs en lancer le dterminatif, un bton

    de jet; l vocation du second se fait par le truchement du

    jeu de mots, donnant

    l image un sens connot de re-cration du dfunt. Dans cette perspective de renais

    sance, les incongruits releves plus haut s explique nt aisment: les superbes per

    ruques des compagnes du chasseur et l oie la proue de l embarcation peuvent avoir

    une valeur rotique 87, faisant allusion

    un nouvel engendrement.

    8 DERCHAIN,

    Rflexions sur la dcoration des pylnes , BSFE 46 (juillet 1966), p. 17-24;

    ALTENMLLER,

    op.

    cif.

    p. 24; O. KEEL, Der Bogen aIs Herrschaftsymbol. Einige unverbffentlichte

    Skarabaen aus gypten und Israel zum Thema Jagd und

    Krieg ,

    ZDPV 93 (1977), p. 141-177;

    . VAN ESSCHE, Quelques rflexions sur l espace et le rcit Mdinet Habou , Annales d Histoire

    de

    l Art

    et d Archologie

    11(1989), p. 7-24. Sur Mat, cf, bien entendu, J. ASSMANN,

    Mat, l gypte

    pharaonique et l ide de justice sociale,

    Paris, 1989.

    82 Rappelons ici l extrait du pChester Beatty III (BM 10683) qui prophtise que si un homme se

    voit en songe tuant une oie =bon = (c est) tuer ses ennemis (S. SAUNERON, Les songes et leur inter

    prtation dans l ancienne gypte , in Sources Orientales II (Paris, 1959), p. 33-36).

    83 Photos couleurs dans

    MEKHITARIAN, Peinture,

    p. 71;

    SHEDID-SEIDEL, Nacht

    p. 59. On notera que

    ce boomerang est quadruple, apparaissant deux fois parmi les oiseaux dont il brise le cou, une fois dans

    la main de Nakht, prt

    lancer, et une fois dans celle du garon devant lui qui lui tend l arme.

    84

    WILDUNG, Nacht,

    p. 59-60.

    85

    . VAN ESSCHE, Le boomerang en gypte ancienne. tat de la question (recherche non publie,

    ralise dans le cadre du cours de Paloethnographie et archologie africaines, ULB, 1989-90), p. 13.

    86 Wb

    V, 33-6;

    GARDINER, EG,

    p. 513 (T 14);

    WILDUNG, Nacht,

    p. 59.

    87 DERCHAIN,

    La

    perruque et le

    cristal ,

    SAK 2 (1975), p. 55-74; sur la valeur rotique de la per

    tuque,

    on verra galement A.-P.

    ZIVIE,

    Une

    tte en bois stuqu rcemment dcouverte

    Saqqarah ,

    RdE

    39 (1988), p. 190

    sq.

    Le terme rotique ne doit pas tre compris ici comme synonyme de gri

    vois, faisant uniquement allusion l intimit du couple, mais plutt comme une vocation du thme de

    la renaissance

    et

    de la rgnration par le biais d une mtaphore biologique vidente, comprhensible

    par tout tre humain.

    C est d ailleurs

    parfois par des images trs triviales que les gyptiens faisaient

    rfrence l acte crateur (par exemple dans la cosmogonie hliopolitaine axe autour du dieu Atoum

  • 7/26/2019 Laboury Nakht

    15/23

    72 DIMITRI LABOURY

    D autre part, nous retrouvons la mme idologie dans la chasse au harpon . Il est frap

    pant de constater que cette arme s enfonce chaque fois dans deux poissons en mme

    temps, et qu il s agi t presque toujours d un lates et d un tilapia nilotica

    . Dans la pen

    se mythologique des anciens gyptiens, ces deux animaux symbolisent respectivement

    la saintet et la vitalit renaissante et pur

    9

    . Avant de renatre dans l au-del, le dfunt

    se mtamorphose et prend plusieurs formes dont la premire est celle d un lates, et la

    dernire, celle d un tilapia. La figuration du propritaire de la tombe harponnant ces

    deux poissons assure au trpass, par la magie de l image, la possession des veltus que

    ces animaux reprsentent, et de ce fait, sa renaissance post nwrtem sur laquelle

    dbouche la succession de ses transformations. On comprend ds lors l importance

    iconographique du Wasserbe rg : il met en vidence les deux poissons symboliques qui

    sont au coeur de la signification de la scne - tout en permettant la reprsentation du

    dfunt dans une pose noble, hrite

    d une

    tradition royale de l An cien Empire

    9o

    [DERCHAIN, Hathor Quadrifrons,

    Istanbul, 1972], ou lors de la naissance divine de Hatshepsout

    [TEFNlN, propos

    d un

    vieux harpiste du Muse de Leyde

    et

    du ralisme dans l art gyptien , Annales

    d Histoire de l Art et d Archologie

    10 (1988),

    p.

    25]) ou la pulsion qui le suscite,

    l eros

    crateur

    qu in-

    carne la desse Hathor (DERCHAIN, op. cit.). l

    me

    semble que seule une explication de ce

    geme pelmet

    de

    comprendre les innombrables scnes des tombeaux gyptiens qui montrent des animaux en pleine copula

    tion au beau milieu de scnes de chasse

    cf

    la documentation rassemble par Salima

    IKRAM,

    Animal

    Mating Motifs in Egyptian Funerary Representations ,

    M

    124 [1991], p. 51-68; on retrouve

    mme

    ce

    thme iconographique dans les temples, le cas du temple de NiouselT Abousir tant particulirement

    exemplaire, puisque ce motif y est plusieurs fois reprsent dans des scnes qui exaltent prcisment la

    rgnration cyclique de la nature travers la figuration de ses saisons;

    cf

    Fr. W. FREIHERR von BISSING,

    La chambre des trois saisons du sanctuaire solaire du roi Rathours , ASAE 63 [1955], pl.

    13,23).

    88

    Par

    exemple, ALTENMLLER, op. cit., p. 17; Erika FEUCHT, Fishing and Fowling with the Spear and

    the Throw-Stick Reconsidered , in The Intellectual Heritage

    of

    Egypt. Studies presented to Laszlo Kakosy

    (Budapest, 1992), p. 161 (fig. 3), 162 (fig. 4-5), 164 (fig. 7).

    On

    notera que l image de ces deux animaux

    dtermine le

    mot

    poissons dans l inscription au-dessus de la scne qui nous occupe, fait curieux

    puisque ce substantif, tant au pluriel, devrait tre accompagn d un seul

    ou

    de trois dterminatifs de

    poisson, mais en aucun cas de deux. La suite du texte explique, je pense, cette entorse la rgle.

    89

    Christiane DEsRocHEs-NoBLEcouRT, Poissons, tabous

    et

    transformations du

    mort ,

    Kmi 13

    (1954), p. 33-42 (contra, FEUCHT, op. cit., p. 157-169). Sur le tilapia,

    dont

    la symbolique dcoule

    directement de

    l observation

    des ses moeurs vis--vis de sa progniture,

    on

    se reportera M.

    DAMBACH

    et Ingrid WALLERT, Das Tilapia-Motiv in der alUigyptischen

    Kunst ,

    CdE 82 (1966), p . 273-294;

    pour

    le

    lates, on verra galement DESROCHES-NoBLEcouRT,

    Une

    fiole voquant le poisson

  • 7/26/2019 Laboury Nakht

    16/23

    74

    DIMITRI LABOURY

    groupe de fouleurs reste assez conventionnelle, avec la classique alternance des

    couleurs de peau des personnages, et elle n'atteint pas la vivacit de la clbre scne de

    pressoir de la tombe d'Ouserhat

    96

    . La prsence d 'une scne en apparence aussi

    profane sur une paroi de tombe o le dcor voque, travers de savantes et nombreuses

    allusions, la renaissance du dfunt semble tonnante; pourtant il n 'en est rien

    97

    . Dans

    l'gypte antique, comme dans d'autres civilisations, l'alcool de raisin et l'ivresse qu'il

    procure pelmettent d 'abolir la barrire qui spare ce monde de celui des dieux et des

    morts

    98

    . D'autre part, le vin est intimement li Hathor, dame de l'ivresse99, mais

    aussi desse funraire, particulirement vnre dans le cirque rocheux de Deir el-Bahari

    et dans la Valle des Reines, de pmt et d'autre de la ncropole de Cheikh Abd el-Gourna,

    o se trouve la tombe de Nakht. Enfin, dans la pense gyptienne, le pressoir est l'image

    de Shsmou, divinit du pressoir, qui possde galement des comptences funraires,

    massacrant les ennemis des dieux comme ceux des dfunts dans son pressoir, le vin tant

    alors conu comme le sang qui jaillit de la tte broye des opposants

    100

    On retrouve

    donc ici, comme dans la chasse aux oiseaux, juste au-dessus, l'vocation du thme de

    l'anantissement des forces du Chaos, nfastes aux dieux, aux morts et aux mortels.

    La scne de tenderie qui apparat au sous-registre infrieur est frquemment atteste

    dans les tombes gyptiennes, ds l'Ancien Empire

    l

    . Derrire la masse opaque du

    96 TT 56, du rgne

    d Amenhotep

    II,

    PM

    1, 1, p. 113 (15,

    II);

    MEKHITARIAN, Peinture,

    p.

    61; Clu'istine

    BEINUCH-SEEBER, A.G. SHEDID, Das rab des Userhat TT 56 (Mayence, 1987), pli. 13 , 24 (a), (AV, 50) .

    97 Le rendu assez traditionnel

    de

    la

    scne

    est peut-tre dj un indice de

    sa

    signification profond

    ment religieuse: en effet, Nadine

    Cherpion

    a propos

    de

    voir dans

    la tombe de

    Nakht deux styles chro

    nologiquement

    distincts et successifs alternant sur les parois,

    l un

    plus moderne, et l autre d' inspiration

    plus ancienne,

    CHERPION,

    Quelques jalons pour une histoire

    de la

    peinture thbaine ' , BSFE 110

    (1987), p.

    41;

    mais si

    l on

    suit les critres qu elle propose, on se rend compte que les figurations plus

    traditiOlmelles apparaissent dans les scnes au caractre religieux plus fortement marqu, comme dans

    la double offrande

    de la

    paroi adosse

    la

    faade ou la rception des hommages rendus aux dfunts

    sur le mur oriental, alors que, comme nous l avons vu, c est

    souvent

    dans les dtails plus anecdotiques,

    moins fondamentaux

    pour

    la signification du tableau, que le peintre

    de Nakht

    se montre plus novateur.

    Ces conclusions

    sont

    d ailleurs confirmes par l tude

    de

    l 'art gyptien en gnral, H.

    de

    MORANT,

    Peintres et

    sculpteurs dans l ancienne gypte , Archeologia 79 (fvrier 1975), p. 19; R.

    TEFNIN,

    l

    ments pour une

    smiologie de

    l image gyptienne , CdE 131-2 (1991) , p. 70-2.

    98 Sur la signification

    religieuse

    du vin, on

    verra

    MU-CHOU

    Poo,

    Wine and Wine Offering in

    the Religion

    of

    Ancient Egypt,

    Londres

    et New

    York, 1995; Christine

    MEYER , Wein,

    in

    LA VI

    (1986),

    coll. 1174-1177; POO, Weinopfer, in LA VI (1986), coll. 1186-1190.

    Wb

    II, 224, 9.

    100 HODEL-HoENES, p. 47. Sur Shsmou, M. CICCARELLO, Shesmu the Letopolite , in Fs Hughes,

    p. 43-54; W.

    HELCK,

    Schesemu, in

    LA

    V (1984), coll. 590-1.

    101 Sur ce type

    de

    scne,

    cf

    Dominique

    BASTIN,

    propos

    d une scne de

    la vie quotidienne en

    gypte

    ancienne: la chasse au filet hexagonal , Annales d Histoire de l Art et d Archologie 6 (1984),

    p. 5-14.

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT

    75

    fourr de papyrus, on distingue un personnage moiti cach, dont une seule tige de

    papyrus suffit dissimuler la tte (pl. III, 2 102. La comparaison avec d'autres repr

    sentations de la chasse au filet hexagonal rvle que cet homme a pour tche de faire

    signe ses compagnons qui actionnent le pige, mais surtout

    qu il n tait

    pas nces

    saire de masquer cet individu. nouveau, nous voyons que le peintre de Nakht sait

    exploiter, non sans humour, les habitudes figuratives de l art gyptien, pour crer des

    effets neufs

    103

    . Comme toute activit cyngtique en gypte, la chasse au filet hexa

    gonal peut avoir une signification symbolique apotropaque, les proies captures tant

    identifies aux forces du Chaos10

    4

    .

    L'artiste a suggr cette conception par des moyens

    d'expression qui lui sont propres: les oiseaux - dont aucun n chappe l'adresse de

    nos chasseurs - sont reprsents dans une confusion la plus complte, qui suggre

    leur effroi mais surtout nie l ordre tabli par les rgles de la composition de l image

    gyptienne 105; heureusement, cette masse chaotique est enfelme dans une forme

    rgulire, parfaitement circonscrite, qui, elle, est conforme aux conventions gra

    phiques que

    je

    viens d'voquer. Cet ensemble, avec tout le contraste et la tension

    qu il

    renferme, est en outre mis en vidence par le fond uniformment vert sur lequel il se

    dtache.

    Ensuite, les volatiles malfiques sont plums et suspendus, le cou tordu ( ). La jonc

    tion entre cette scne et la prcdente est ralise grce une technique de composi

    tion que nous avons dj rencontre plusieurs fois dans la tombe de Nakht: le dernier

    des trois pcheurs qui tirent sur le filet hexagonal est orient comme ses camarades,

    mais il tourne la tte vers les deux p lumeurs derrire lui, semblant ainsi appartenir aux

    deux tableaux 106 Le personnage vu de profil et le geste de son collgue qui arrache

    scrupuleusement chaque plume d une oie ne manquent pas de pittoresque, mais il

    s agit nouveau de poncifs, issus de cahiers de modles dj en usage l poque de

    Ouah, sous Thoutmosis lII'07.

    Maintenant que nous avons envisag en dtail chaque partie constitutive du dcor

    de la tombe de Nakht, il est possible

    d en

    rechercher la cohrence structurale (fig . 10),

    102 D aprs SHEDID-SEIDEL, Nacht, p. 67.

    103 Ce cas est prcisment cit par

    TEFNIN,

    op.

    cit.,

    p. 81.

    104 M. ALLIOT, Les rites de la

    chasse

    au filet dans les temples de Karnak, d Edfou et d Esneh , RdE

    5 (1946),

    p.

    57-118.

    105 Sur

    l inobservance des conventions du dessin gyptien pour reprsenter les forces du Chaos,

    cf

    R.

    TEFNIN,

    Images, criture , rcit.

    propos des reprsentations gyptiennes

    de

    la bataille de Qadesh ,

    Annales d Histoire de

    l Art

    et d Archologie

    2 (1980), p. 7-24 [republi dans

    M 47

    (1981), p. 55-78]

    106 WILDUNG, Nacht, p. 53 .

    107 TT 22,

    PM

    1, 1, p. 38 (5).

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    Fig. 10 Schma synoptique du dcor de la salle large.

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    DIMITRI LABOURY

    afin d essayer de dterminer la signification du programme iconographique mis en

    place.

    La conlation entre les deux parois adosses la faade est clairement exprime par

    la rptition de la scne d offrande effectue par le couple de dfunts de part et d autre

    de la porte, selon le principe de la symtrie gyptienne . Le tableau droit est accom

    pagn de la reprsentation de diffrentes activits agricoles successives. Ces images

    offrent la vue de Nakht la vie de la nature, la vie du cosmos, caractrise par son

    perptuel renouvellement, auquel le dfunt peut s associer, tel Osiris. Elles manifes

    tent galement les diffrentes tapes de production des offrandes ncessaires la

    survie dans l au-del et l hommag e que le propritaire de la tombe dsire continuer

    prsenter aux divinits. Celles-ci ont des prrogatives funraires, moins qu il ne

    s agisse des dieux cosmiques d empire, Amon et R-Harakhty, par essence omnipo

    tents. Enfin, l orientation des offrants, vers la porte d entre o point chaque matin le

    soleil, moteur de la cration et de la vie, semble dsigner celui-ci comme le bnfi

    ciaire privilgi du rite . Le dcor de ces murs forme donc un ensemble cohrent et par

    faitement fonctionnel, la fois orient vers l extrieur de l hypoge et vers le lieu de

    rsidence des dfunts, par la double prsence de Nakht, assis sous son dais, dos au fond

    de la tombe, auquel sont subordonns les scnes des sous-registres. On notera d autre

    part la double fonction des offrandes produites, prsentes, au sein de la mme paroi,

    devant le dfunt et devant les divinits auxquelles Nakht et son pouse s adressent.

    Sur la paroi occidentale, du ct du domaine des morts, Nakht et Taouy sont repr

    sents attabls un guridon charg de victuailles, dans le panneau central

    d une

    stle

    fausse-porte peinte. Ce monument funraire factice sert de moyen et de lieu de pas

    sage entre le monde des vivants et celui des morts. C est donc l endroit idal pour

    figurer les porteurs des offrandes qui sont destines aux dfunts . Ces prsents et les

    inscriptions font de Nakht un dieu, mais pas n importe lequel: un nouvel Osiris renais

    sant, justifi et triomphant en qualit de roi de l au -del.

    En face, l Est, l o rsident les vivants, nous retrouvons la mme iconographie

    des deux poux assis devant une table d offrande et recevant des prsents de plusieurs

    individus. Cependant, le traitement en est tout diffrent puisque Nakht et Taouy ne

    sont plus figurs comme des morts sur une stle, mais plutt comme de vnrables

    personnages que l on honore . Un autre point d opposition est qu ici, comme partout

    ailleurs dans la tombe, le couple tourne le dos au fond de l hypoge, alors que sur le

    mur ouest, c est l inverse

    8

    . Vu la symbolique gographique des anciens gyptiens, il

    108 Sur l importance de l orientation des personnages sur les monuments gyptiens, H.G.

    FISCHER,

    L criture et

    l art

    de l gypte ancienne

    (Paris, 1986),

    p.

    82

    sq.

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT

    79

    semble que du ct oriental, Nakht et son pouse soient reprsents comme des

    vivants , sortant de leur caveau - exprimant ainsi la conviction de la survie aprs la

    mor t - a lors qu l Ouest , l o se couche le soleil chaq ue soir, ils apparaissent

    comme des dfunts osiriani ss , pntrant dans la montagne thbaine et dans le

    monde d outre tombe que celle-ci reprsente109.

    Le dcor des deux parois du fond de la salle large obit la mme structure de com

    position que celui du mur est: le couple de propritaires de la tombe, sujet regardant

    de l image, apparat du ct le plus proche du caveau o il est cens rsider et se

    rjouit le coeur la vue du beau spectacle qui leur est prsent, comme le prcisent

    les inscriptions. Ce beau spectacle consiste en diverses activits de la vie quotidienne,

    le banquet, la chasse, la pche, les vendang es, ... mais toute une sr ie d indices,

    comme le harpiste aveugle ou le choix des poissons harponns, ponctuent ces scnes

    et leur donnent une connotation symbolique, caractre funraire. La structure du

    dcor fait que N akht et Taouy assistent leur propre survie. Quelle plus belle pro

    messe de rsunection peut-on imaginer? Cette vocation du trpas se situe sur la paltie

    dcore la plus proche du fond de la tombe. Elle est exprime de manire optimiste et

    positive, car des allusions comme celles du lancer du bton de

    jet

    ou du harponnage du

    tilapia et du lates font rfrence la renaissance du dfunt, et parce que, d autre part,

    la mort est signifie par la vie, en parfaite runion des contraires complmentaires et

    indissociables . Cette faon de dire l abstrait par le concret, travers la ralit quoti

    dienne,

    est

    typique de la pense gyptienne, qui peroit l univers tout la fois comme

    signifi et comme signifiant, comme expression et comme substance110, do nt l abs

    traction se nounit de ralit, et o la ralit n a de sens qu en tant que signe de l ima

    ginaireIll D autre part, diverses reprises, on trouve sur la paroi nord -est le thme de

    l anan tissement des forces du Chaos, qu il faut empcher de progresser plus avant

    dans la tombe, vers le lieu du repos ternel des dpouilles des deux bienheureux. Par

    une telle action, le dfunt participe l Ordre cosmique, aspiration de tout gyptien

    2

    .

    109

    Le fait que les dfunts soient figurs sortant de la tombe du ct du soleil levant, donc de l aube,

    et

    y rentrant, du ct du soleil couchant, donc du crpuscule , voque sans doute la vieille doctrine

    funraire - devenue exclusive l poque amarnienne - selon laquelle le mort passe la nuit dans sa

    tombe,

    qu il

    peut quitter le

    jour

    venu; rappelons ce propos que le titre gyptien du clbre recueil

    funraire que nous avons pris l habitude d appeler Livre des Morts est en fait le livre de sortir pen

    dant le

    jour

    ,

    Wb

    I, 520, 14.

    11

    R.

    TEFNIN

    Discours

    et

    iconicit dans

    l art

    gyptien ,

    Annales d Histoire de

    l Art

    et d Archo-

    logie 5 (1983),

    p.

    6

    [= GM

    79 (1984), p. 56]

    ID.

    ,

    lments pour une smiologie de

    l image

    gyptienne ,

    CdE

    131-2 (1991), p. 81.

    112 On peut, en fin de compte, se demander

    s il

    ne s agit pas l du dnominateur commun des

    diffrentes scnes des tombes pharaoniques et de la signification fondamentale du dcor de ces

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    80

    DIMITRI LABOURY

    On notera galement que, selon l orientation gographique de la tombe, les activi

    ts du nord sont opposes celles du sud, la chasse dans les marais du Delta l agri

    culture telle qu elle est pratique en Haute gypte,

    o

    il est ncessaire d irriguer et

    d exploiter la moindre quantit

    d eau

    laisse par la crue. Il semble en fait que le dcor

    de la tombe se conforme deux orientations gographiques: l une relle, qu illustre

    cet exemple et la confrontation des parois est et ouest; et l autre symbolique, dcou

    lant du fait que l hypoge s enfonce dans la montagne thbaine, domaine des morts,

    par dfinition l Ouest, comme le montrent les scnes de la paroi adosse la faade

    ainsi que la statue stlphore de Nakht, qui dsignent l entre de la salle large comme

    la direction de l Orient, alors que cette porte s ouvre en ralit vers le Sud-Sud-Est.

    Il en rsulte que, symboliquement, la tombe est un lieu de passage, un point de

    contact entre le monde des vivants et celui des morts, tant oriente en mme temps

    vers

    l un

    comme vers l autre: les scnes du mur d entre sont diriges vers le monde

    extrieur et celles de la paroi du fond, disposes en sens inverse, se situent dj dans

    l au-del, par les allusions au trpas et la rsurrection du dfunt que nous avons

    pu relever.

    En conclusion, le programme dcoratif de la tombe de Nakht

    n est

    pas un systme

    reprsenta tif, mais bien significatif et fonctionnel: il exprime et assure, par la magie de

    l image, la survie du dfunt. Il se traduit dans l espace architectural du monument par

    une structure cohrente, qui rpond des impratifs religieux et gographiques, et

    voque diffrents aspects complmentaires de la vie post mortem des dfunts.

    C est

    donc la conjonction de l image, de l inscription et de l architecture qui produit le sens

    de l difice, l instar de ce qui se passe dans les temples

    l13

    .

    Cette structure planifie, sa signification profondment religieuse ainsi que les rgles

    pharaoniques de la reprsentation pourraient tre ressenties comme des contraintes

    pour le dcorateur du monument. Mais le peintre de N akht est manifestement un grand

    artiste, et il nous a maintes fois prouv son habilet exploiter et dpasser ces

    contraintes pour exercer son art et exprimer son esthtique

    1l4

    :

    l homme qui fait signe

    aux tendeurs du filet de pche (pl. VII), les trois jeunes musiciennes (fig. 7), les dites

    natures mortes (pl. IV) ou les scnes de la vie champtre (fig. 3 et 4, Pl.

    1 1

    II, III),

    rien dans la fonction de la tombe ou dans celle de l image gyptienne ne l obligeait

    monuments: que ces scnes ou ce dcor soient de nature mythologique ou commmorative, ils signi

    fient l intgration du dfunt

    l Ordre universel, et notamment

    la renaissance cyclique qui caractrise

    celui-ci.

    113 On verra

    cet gard les rfrences

    l tude de la grammaire du temple prsentes

    supra

    la

    note 12.

    114 Sur cet aspect de la recherche artistique des anciens gyptiens, cf.

    TEFNIN,

    op. cil

    p.

    60-88.

    UNE RELECTURE DE LA TOMBE DE NAKHT 81

    Fig. 11. Dtail d une table d offrande de

    la tombe de Benia (TT343).

    leur donner la forme qu ils ont reus de sa main. Sa personnalit et son temprament

    se manifestent dans les dtails, l o l idologie est moins contraignante. mon sens,

    la modernit de ce peintre rside principalement dans son utilisation vritablement pic

    turale de la couleur et dans son art de la composition des groupes et des parois entires,

    qui tendent vers une unit certaine. Tout ceci fait de la tombe de Nakht une oeuvre

    d art part entire, un bel endroit dont la vue rjouit le coeur, comme disent si bien ses

    inscriptions.

    Dimitri LABOURY

    aspirant du FNRS

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