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La voie suivie par l’économie chinoise pour monter en puissance Meixing Dai * Depuis la transition d’une économie planifiée à une économie de marché initiée en 1979, la croissance de l’économie chinoise a été extraordinaire. Le sous-développement initial, l’ap- proche graduelle de la réforme et de l’ouverture de l’économie, et un système politique re- centré sur le développement économique sont à l’origine du miracle économique chinois. La Chine est devenue en 2010 la deuxième économie du monde, et en 2014 la première économie mondiale en termes de pouvoirs d’achat d’après le Fonds Monétaire International. Le miracle économique chinois consiste en une croissance continuelle très rapide depuis 1978, avec un développement tous azimuts dans tous les secteurs. Le produit intérieur brut (PIB) chinois passe de 217 milliards de dollars en 1978 à 10 865 milliards de dollars en 2015. 1 Mesuré en termes réels, le taux de croissance moyen du PIB approche les 10 % durant cette période. Après la transition d’une économie planifiée vers l’économie de marché initiée par Deng Xiaoping en 1979, la Chine a adopté une approche graduelle de la réforme et de l’ouverture de son économie vers l’extérieur. En important des technologies et des savoir- faire et en exportant les produits demandés par le reste du monde, la Chine a pu accroitre significativement son potentiel de croissance. Par ailleurs, les exportations chinoises ne cessent de monter en gamme, et passent de simples jouets, produits textiles et autres biens bon marché dans les années 1980 et 1990 vers des biens à valeur élevée tels des machines-outils technologiquement sophistiquées et des produits de l’information et de la communication dans les années 2000. L’exploitation de l’avantage du retard de développement dans un processus bien défini, appuyée par des coûts réduits de l’innovation, la modernisation industrielle et la transformation sociale, politique et économique, a permis à la Chine d’émerger comme l’atelier du monde et de réaliser une croissance extraordinaire. 1 Ces données ne corrigent pas les effets liés à la va- riation du taux de change yuan/dollar. Pour comprendre le miracle économique chinois, cet article revient sur les stratégies de développement économique du gouvernement chinois au cours de la période 1949-1978 et depuis 1979. Il analysera les facteurs communs à tout modèle économique à croissance rapide et mettra en avant les facteurs pouvant expliquer la croissance de l’économie chinoise. 1. Une base de développement établie sur la période 1950-1978 Selon Mao Zedong, le dirigeant suprême du parti communiste chinois de 1935 à 1976, la Chine au début des années 1950 était « premièrement très pauvre et deuxièmement une page blanche » (au niveau de sciences et technologies) sur laquelle on peut écrire et dessiner ce qu’il y a de mieux. Ainsi pour lui, le retard de la Chine était aussi un avantage. Le parti communiste qui gouvernait la Chine à partir d’octobre 1949 après avoir chassé le parti nationaliste à Taiwan était confronté à une base économique faible caractérisée par : - Une économie essentiellement agricole à faible productivité avec peu de terre cultivable par tête. - Des industries et commerces surtout contrôlés par les capitaux étrangers (plus de 78 %) et les familles fortement liées aux pouvoirs politiques (plus de 17 %), le reste étant contrôlé par les capitalistes nationaux. - Une structure de l’industrie moderne fortement biaisée. La production de biens de consommation représentait 70 % de la production industrielle. L’industrie lourde était tournée majoritairement vers la production des matières premières. * Université de Strasbourg (BETA). 15

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Page 1: La voie suivie par l’économie chinoise pour monter en ... · technologies) sur laquelle on peut écrire et dessiner ce qu’il y a de mieux. Ainsi pour lui, ... croyant au volontarisme

La voie suivie par l’économie chinoise pour monter en puissanceMeixing Dai*

Depuis la transition d’une économie planifiée à une économie de marché initiée en 1979, lacroissance de l’économie chinoise a été extraordinaire. Le sous-développement initial, l’ap-proche graduelle de la réforme et de l’ouverture de l’économie, et un système politique re-centré sur le développement économique sont à l’origine du miracle économique chinois.

La Chine est devenue en 2010 la deuxièmeéconomie du monde, et en 2014 lapremière économie mondiale en termes depouvoirs d’achat d’après le FondsMonétaire International. Le miracleéconomique chinois consiste en unecroissance continuelle très rapide depuis1978, avec un développement tous azimutsdans tous les secteurs. Le produit intérieurbrut (PIB) chinois passe de 217 milliardsde dollars en 1978 à 10 865 milliards dedollars en 2015.1 Mesuré en termes réels,le taux de croissance moyen du PIBapproche les 10 % durant cette période.

Après la transition d’une économie planifiéevers l’économie de marché initiée par DengXiaoping en 1979, la Chine a adopté uneapproche graduelle de la réforme et del’ouverture de son économie vers l’extérieur.En important des technologies et des savoir-faire et en exportant les produits demandéspar le reste du monde, la Chine a pu accroitresignificativement son potentiel de croissance.Par ailleurs, les exportations chinoises necessent de monter en gamme, et passent desimples jouets, produits textiles et autresbiens bon marché dans les années 1980 et1990 vers des biens à valeur élevée tels desmachines-outils technologiquementsophistiquées et des produits de l’informationet de la communication dans les années 2000.L’exploitation de l’avantage du retard dedéveloppement dans un processus bien défini,appuyée par des coûts réduits de l’innovation,la modernisation industrielle et latransformation sociale, politique etéconomique, a permis à la Chine d’émergercomme l’atelier du monde et de réaliser unecroissance extraordinaire.

1 Ces données ne corrigent pas les effets liés à la va-riation du taux de change yuan/dollar.

Pour comprendre le miracle économiquechinois, cet article revient sur les stratégies dedéveloppement économique du gouvernementchinois au cours de la période 1949-1978 etdepuis 1979. Il analysera les facteurscommuns à tout modèle économique àcroissance rapide et mettra en avant lesfacteurs pouvant expliquer la croissance del’économie chinoise.

1. Une base de développement établiesur la période 1950-1978

Selon Mao Zedong, le dirigeant suprême duparti communiste chinois de 1935 à 1976, laChine au début des années 1950 était« premièrement très pauvre et deuxièmementune page blanche » (au niveau de sciences ettechnologies) sur laquelle on peut écrire etdessiner ce qu’il y a de mieux. Ainsi pour lui,le retard de la Chine était aussi un avantage.Le parti communiste qui gouvernait la Chineà partir d’octobre 1949 après avoir chassé leparti nationaliste à Taiwan était confronté àune base économique faible caractérisée par :

- Une économie essentiellement agricole àfaible productivité avec peu de terrecultivable par tête.

- Des industries et commerces surtoutcontrôlés par les capitaux étrangers (plusde 78 %) et les familles fortement liéesaux pouvoirs politiques (plus de 17 %), lereste étant contrôlé par les capitalistesnationaux.

- Une structure de l’industrie modernefortement biaisée. La production de biensde consommation représentait 70 % de laproduction industrielle. L’industrie lourdeétait tournée majoritairement vers laproduction des matières premières.

* Université de Strasbourg (BETA).

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- Une production industrielle très faible parrapport aux pays occidentaux etconcentrée dans les régions côtières.

- Une infrastructure moderne peudéveloppée.

- Un niveau de développement del’éducation nationale très faible.

Pour se développer, la nature du régimepolitique impliquait que la Chine suive lemodèle soviétique. La politique dugouvernement consistait alors à supprimer lesprivilèges et les concessions de monopoleaccordés aux entreprises occidentales et ànationaliser les entreprises privées pourétablir une économie socialiste planifiée axéesur le développement de l’industrie lourde. Lesous-développement de l’industrie lourde,notamment le manque des fabricants desmachines-outils, était considéré comme unfrein important pour le développement par lesdirigeants chinois dont l’ambition depuis leurjeunesse était de rendre la Chine aussi forteque les puissances occidentales pour ne plussubir les humiliations infligées par cesdernières (les guerres d’opium, lesconcessions territoriales, les privilèges desétrangers en Chine, etc.). Cette stratégie avaitpermis à l’Union soviétique de devenirrapidement une grande puissance militaire.Elle avait aussi fait la preuve au 19e siècle carles dirigeants des pays comme la France, lesEtats-Unis, l’Allemagne et d’autres paysoccidentaux avaient suivi la même stratégiepour rattraper la Grande-Bretagne.

Pour développer ses industries, la Chine,isolée par les pays occidentaux devenus trèshostile au régime communiste chinois suite àla guerre de Corée (1950-1953), ne pouvaitque s’appuyer sur l’aide de l’Unionsoviétique dans les années 1950. Cette aides’interrompait à la fin des années 1950 enraison d’une divergence idéologique etstratégique croissante entre Beijing etMoscou.

Dans l’agriculture, le gouvernement s’étaitlancé rapidement dans la collectivisation quin’avait pas donné les effets escomptés. Eneffet, une mise en commun des moyens deproduction et un travail collectif sans unemodernisation significative des technologiesagricoles ne donnaient que quelquessynergies largement surcompensées par lesproblèmes d’incitation. Il y a avait donc peude croissance dans le secteur agricole.

Les avantages dont disposait le gouvernementchinois à cette époque étaient :

- Le retard très important au niveautechnologique et du développementéconomique par rapport aux paysoccidentaux, ce qui laissait ouverte lapossibilité d’une croissance très rapide ;

- Une organisation politique etadministrative efficace et disciplinée,héritée de la période de guerre depuis lesannées 1920, qui avait fait ses preuves ;

- L’enthousiasme de la population qui sesentait devenir le maître du pays, sachantque les paysans avaient partagé les terresdes propriétaires terriens et la classeouvrière avait gagné en pouvoir dans lesusines ;

- Une population très travailleuse etépargnante.

Ayant réussi la mission impossible de résisterà l’armée japonaise très puissante et degagner la guerre civile opposant un partinationaliste très dominant et soutenu par lesAméricains ainsi que la guerre de Coréecontre les Américains et leurs alliés, la plupartdes dirigeants chinois croyaient alors que toutétait possible aussi en matière dedéveloppement économique. Ambitieux, àpartir de 1953, le gouvernement avait adoptéune série de plans quinquennaux pouraccélérer le développement des industriesmodernes, avec un objectif irréaliste derattraper le Royaume-Uni en 10 ans et lesEtats-Unis en 15 ans. L’accent était mis surl’accélération de la croissance de laproduction d’acier qui n’était de 5,35 millionsde tonnes en 1957.2

Le développement rapide de l’économie étaitperturbé par des luttes politiques quiopposaient ceux (Liu Shaoqi et DengXiaoping parmi d’autres) qui prônaient undéveloppement rationnel et les volontaristestels Mao Zedong, le chef de l’Etat et du parti,et ses nombreux partisans. Ces derniers,croyant au volontarisme et ignorant les loisfondamentales du développementéconomique, avaient lancé le mouvement dugrand bond en avant (1958-1960). Celui-ciavait abouti au développement à l’aveugle despetits et grands fourneaux dont certains nefaisaient que fondre les objets en fer pour les

2 Ce chiffre est extrêmement faible comparé à uneproduction autour de 102 millions de tonnes auxEtats-Unis en 1958 et à une production de 803,8 mil-lions de tonnes par la Chine en 2015.

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transformer en fer de plus mauvaise qualité, àla collectivisation à outrance et à une grandefamine (1960-1962).3

Cet épisode avait fragilisé la positionpolitique de Mao qui avait dû céder le postede président de la République à Liu Shaoqi. Ils’ensuivait une période de stabilité et deredressement économique durant laquelle larelation entre Liu et Mao se dégradaitfortement. Ce dernier, arguant que le premierne suivait plus la voie « communiste », avaitlancé la révolution culturelle (1966-1976)dont l’objectif était de rallier le soutien de lajeunesse et de ses partisans pour faire unedémonstration de force. Celle-ci avait permisde faire chuter Liu et ses partisans. DengXiaoping était appelé en 1973 pour épauler lepremier ministre Zhou Enlai dans la gestionde l’économie. Ecarté de nouveau du pouvoirjuste avant le décès de Mao en 1976, Dengrevenait au pouvoir en 1977, imposaitdéfinitivement son autorité fin 1978 et initiaitla période de réforme et d’ouverture del’économie, ce qui avait mis fin à une périodemarquée par l’insuffisance de la productiondes biens de première nécessité et par lerationnement.

La stratégie de développement au cours decette période était caractérisée par

- Une planification centralisée focalisée surle développement de l’industrie lourde ;

- Une localisation des entités de productiondispersée par crainte de la troisième guerremondiale ;

- L’établissement des monopoles publicsdans les industries prioritaires, bénéficiantdes distorsions de prix, des prêts gratuits etdes prix d’entrants faibles ;

- La recherche d’une croissance industriellerapide en quantité au détriment de laqualité (taux de croissance industrielletournant autour de 20 %) ;

- Peu d’innovations technologiques du faitde l’inexistence des mécanismesd’incitation.

Le taux de croissance officiel de l’économiechinoise est de 6,1 % sur la période 1952-

3 Les mensonges des responsables de différents ni-veaux dans certaines provinces avaient joué un rôleimportant dans la genèse de cette famine. Ces respon-sables avaient annoncé des records de production sur-naturels et collectaient, en fonction de ces records trèsirréalistes, des quantités de céréales pour l’Etat, lais-sant peu pour la consommation propre des paysans.

1978,4 alors que le taux de croissance de laconsommation n’était que 2,3 %.

La stratégie de développement adoptée par laChine durant la période 1950-1978ressemblait à celle adoptée par beaucoup depays en développement. Dans les années1950, ces pays étaient caractérisés par unrevenu par tête faible, une population peuéduquée, peu d’infrastructure, unespécialisation dans la production des matièrespremières destinée à l’exportation, et peu deproduction manufacturière locale. Lesdécideurs politiques de ces pays percevaientle développement des industries modernescomme la seule façon de faire décollerrapidement l’économie nationale afin d’éviterla dépendance par rapport aux puissancesindustrielles occidentales et d’éliminer lapauvreté. Sous l’influence de l’Unionsoviétique, la stratégie de développement à lamode dans les pays en développementsocialistes et non-socialistes mettait l’accentsur l’industrie lourde et la substitution desproduits importés. Pour mettre en œuvre cettestratégie, leur gouvernement introduisait desdistorsions et intervenait fortement dansl’économie. Bien que cette stratégie aitpermis d’établir des industries modernes etune croissance rapide tirée parl’investissement pendant une ou deuxdécennies entre les années 1950 et les années1970, elle induisait un ensemble deproblèmes, comme les contraintes budgétairessouples, la recherche des rentes ou unemauvaise allocation des ressources, quiétaient à l’origine de la stagnationéconomique et des crises socio-économiquesfréquentes observées dans les pays endéveloppement dans les années 1970 et 1980.Les distorsions constatées dans ceséconomies sont dues aux arrangementsinstitutionnels de second rang maisindispensables pour protéger les entreprisesdans les secteurs prioritaires.

2. La transition vers l’économie demarché (1979-2015)

La vision de Deng Xiaoping tant sur le planpolitique que sur les stratégies dedéveloppement s’imposait après son retour aupouvoir. Deux dictons préférés de DengXiaoping reflètent bien sa méthode deréforme politique et économique. Selon le

4 Corrigeant les problèmes de statistiques et les biaisde prix en faveur des produits industriels, les écono-mistes estiment que le taux de croissance se situeentre 4,3 % à 5,8 % (Yeh, 2001).

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premier, « peu importe qu’un chat soit noir oublanc, celui qui rattrape la souris est le bonchat ». Par cette métaphore, Deng veut direque la ligne rouge marquée par lesconservateurs du parti entre ce qui estcapitaliste et ce qui est communiste n’a paslieu d’être. Il veut promouvoir des cadres quisont capables de développer l’économiemême s’ils empruntent les méthodes ayantfait leurs preuves dans les pays capitalistes.Ainsi, la capacité de créer la croissanceéconomique devient un critère prépondérantpour la promotion des cadres dugouvernement et du parti. Ce choix estincontestablement une clef pour maintenirl’économie chinoise continuellement sur unetrajectoire de croissance très rapide sur unepériode aussi longue. Le deuxième dictonpréconise de « traverser la rivière entâtonnant pierre à pierre » décrit une méthodede résolution de l’incertitude, impliquant uneapproche graduelle pour mener des réformespolitique et économique afin d’éviter lerisque d’instabilité économique, politique etsociale durant la période de transition. LaChine a ainsi adopté une approche graduelle,pragmatique et à double voies pour réformeret ouvrir son économie, ce qui évite uneffondrement simultané des firmes étatiquesnon viables lorsque les soutiens de l’Etat sontretirés, un chômage de masse et des désordressociaux sévères pouvant nuire gravement audéveloppement économique.

Les réformes économiques visaient à corrigerun ensemble de distorsions et d’arrangementsinstitutionnels de second rang créés par lastratégie de développement initialeconduisant à une allocation inefficace desressources. Il s’agit de construire uneéconomie de marché socialiste où cohabitentles entreprises publiques et privées enattribuant un rôle important au marché pourguider l’allocation des ressources tout enpréservant un pouvoir régulateur significatifpour l’Etat.

Les premières réformes avaient eu lieu à lacampagne. En attribuant les droitsd’exploitation des terres agricoles à chaquefamille et en les autorisant à vendre leurexcédent de production, ces réformes avaientdonné immédiatement des résultats trèsencourageants et permettaient augouvernement de faire la promotion desavantages que les réformes à venir seraientsusceptibles d’apporter, réduisant ainsi les

résistances politiques aux réformes.5 Dans lessecteurs industriels non-prioritaires et lecommerce, le gouvernement autorisait etencourageait le développement desentreprises privées et semi-privées quivenaient concurrencer progressivement lesentreprises publiques, ce qui obligeait cesdernières à améliorer leur efficacité. Legouvernement avait instauré un système àdouble prix pour les entreprises publiquesdont la production faisait l’objet de laplanification : chaque entreprise devaitproduire une quantité fixe à un prix que l’Etatavait fixé, toute quantité supplémentaireproduite par l’entreprise pourrait être venduesur le marché au prix de marché. Un contratde responsabilité était introduit. En fonctiondes résultats, les dirigeants et les employéspourraient toucher des primes. Par ailleurs,pour encourager les inventions, la Chine avaitreconnu et protégé dès 1979 les droits depropriétés intellectuelles.

L’ouverture à l’international avait donné uncoup d’accélérateur à l’économie chinoise.L’amélioration des relations sino-américainesdans un contexte géopolitique opposant lesEtats-Unis et l’Union soviétique avait sansaucun doute favorisé cette ouverture enpermettant à la Chine d’accéder aux marchésoccidentaux avec des tarifs douaniers bas. Lecommerce avec les pays développéspermettait d’échanger les biens deconsommation et les matières premièrescontre des biens d’équipement et destechnologies plus avancées. La Chine attiraitd’abord les capitaux étrangers dans lessecteurs à forte main d’œuvre où la Chineavait un avantage comparatif évident. Dansun contexte où les productions dans les paysde l’Asie de l’Est montaient en gamme, cettemesure avait permis d’attirer rapidement desinvestissements directs étrangers (IDE). Dessalaires extrêmement bas, le lien culturel(dans le cas des entreprises venues de l’Asiede l’Est) et la stabilité politique et socialeconstituaient les principaux facteursdéterminants des IDE en Chine au début desannées 1980. Les IDE permettaient auxentreprises chinoises d’accéder plusrapidement aux technologies plus avancéesainsi qu’aux nouveaux produits, designs etméthodes de gestion et de commercialisation.Pour accélérer ce processus, la Chine avaitcréé des zones économiques spéciales dotées

5 Huang (2012) considère que les réformes ruralesjouent un rôle crucial dans le décollage de l’écono-mie chinoise.

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des conditions très favorables pour les IDE.En outre, le contrôle du mouvement depopulation avait été relâché pour permettreaux entreprises des zones côtières de recruterdes migrants des régions intérieures.

La croissance extrêmement rapide dessecteurs non-prioritaires libéralisés et de ceuxliés au commerce extérieur avait créé lesconditions pour réformer en douceur lessecteurs initialement considérés commeprioritaires. En poursuivant une stratégie dedéveloppement basée sur des avantagescomparatifs et tirant profit du retardtechnologique accumulé, la Chine avaitréalisé une croissance très rapide tout enmaintenant la stabilité sociale. Cette dernièrecontribuait aussi au développement endonnant confiance aux investisseursnationaux et étrangers. La mise en œuvre decette stratégie était constamment amélioréegrâce aux expérimentations des réformelocales qui étaient largement encouragées etau partage au niveau national des expériencesréussies. La croissance chinoise ne peut pasêtre expliquée uniquement par un tauxd’épargne et d’investissementexceptionnellement élevé, elle est en faitstimulée par une hausse continuelle de laproductivité et une rentabilité du capital trèsélevé (Zhu 2012).

Durant cette période de transition, legouvernement avait autorisé une certaineliberté d’expression. Les idées dedémocratisation étaient propagées dans lapresse et parmi les universitaires. L’approcheà double voie avait permis l’enrichissementdes personnes proches du pouvoir, quin’avaient qu’à acheter au prix du plan plusbas et à revendre au prix de marché nettementsupérieur, ce qui générait des corruptionsimportantes. Les universitaires profitaient peudes réformes, ce qui les incitait à critiquer legouvernement et à encourager les étudiants àmanifester. Un important mouvementd’étudiants en 1989 avait menacé gravementla stabilité politique du fait de la divergenceinterne du parti communiste chinois entreceux qui prônaient la réforme politiqueétablissant une démocratie à l’occidentale etceux qui prônaient la stabilité et le maintiendu pouvoir dominant du parti communiste.Cette épisode avait conduit le gouvernementchinois à investir davantage dans l’éducationet la recherche et à augmenter très fortementles salaires des enseignants et chercheurs.

Suite au mouvement d’étudiants en 1989, lesréformes avaient été un temps freinées parl’aile conservateur du parti. Au printemps1992, Deng Xiaoping, à l’âge de 88 ans et àla retraite depuis 1989, prononçait dans le

Sud de la Chine des discours annonçant lapoursuite et l’approfondissement desréformes et indiquait clairement quel’ouverture économique ne ferait pas marchearrière. Ces discours avaient stimulé lesinitiatives des réformateurs et rassuré lesinvestisseurs étrangers. Les nouvellesréformes introduites suite à ces discours setraduisaient par une accélération sansprécédent de la croissance économique et desIDE en Chine. Les réformes les plussignificatives suite aux discours de Dengétaient :

- Suppression de la planification socialisteet libéralisation des prix : Cette réformecomportait un risque politique car elleinduisait une forte inflation étant donnéela grande divergence entre les prix fixesdans le cadre du plan et les prix dumarché ;

- Développement des marchés financiers(obligations, actions et matièrespremières) ;

- Privatisation des entreprises publiques depetites et moyennes tailles qui n’étaientpas prioritaires.

- La mise en œuvre des mesures pouraccéder à l’OMC (adhésion effective fin2001)6 et la libéralisation du marchéintérieur pour les investisseurs étrangers ;

- Une plus grande flexibilité pour le régimede change et la réévaluation du yuan, lamonnaie chinoise, au milieu des années2000 ;

- Une hausse importante des dépenses dansl’éducation et la R&D.

On note que pour éviter la trappe de pauvretéet pour dégager plus d’épargne pour investiret donc accélérer la croissance, la Chine avaitintroduit sur la période 1979-2015 unepolitique de contrôle de naissance drastiquesauf pour les ethnies minoritaires. En ville,cela se traduisait par la politique de l’enfantunique.

Une autre politique remarquable est l’envoide nombreux étudiants et chercheurs dans lesuniversités occidentales afin d’acquérir lesconnaissances scientifiques et technologiquesles plus avancées. Ils sont suivis par un fluxcroissant d’étudiants autofinancés. Cetéchange avec l’Occident a beaucoup aidé laChine à rattraper rapidement les retardsscientifiques et technologiques et a fourni des

6 Les négociations en vue d’adhésion à l’OMCavaient commencé dès 1986.

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talents pour les entreprises tournées versl’international.

3. Les raisons de la performanceextraordinaire de l’économie chinoise

Pour apprécier le caractère exceptionnel de laperformance économique de la Chine depuisles réformes et ouverture économiquesentamées il y a 36 ans, il convient de seplacer dans une perspective historique etcomparer la Chine avec d’autres pays entransition ou émergents.

Du point de vue historique, une croissancerapide et soutenue du revenu par habitant estun phénomène moderne. Selon les historiensde l’économie, la croissance du revenu annuelmoyen par habitant dans l’Europe de l’Ouestétait seulement de 0,05 % avant le 18e siècle ;il montait à environ 1 % au 19e siècle etatteignait environ 2 % au cours du 20e siècle(Maddison 2001). Autrement dit, le revenupar habitant en Europe a pris 1400 ans pourdoubler avant le 18e siècle, environ 70 ansdans le 19e siècle et 35 ans par la suite.

Cette accélération de la croissance s’expliquepar le changement de mode d’innovationstechnologiques avant et après la révolutionindustrielle au 18e siècle : les innovationsbasées sur l’expérience au quotidien desartisans et des paysans sont de plus en plusremplacées par celles basées sur lesexpériences menées avec des méthodesscientifiques sur le terrain et dans leslaboratoires. La révolution industrielle est unprocessus de transformation industrielle,économique, sociale et institutionnelle, qui apermis de traduire ces innovations encroissance effective. Dans ce processus, laforce de travail, qui était majoritairementdans la production agricole en autarcie, sedéplace vers le secteur manufacturier et celuide services. Le secteur manufacturier passegraduellement des industries intensives entravail aux industries intensives en capital eten hautes technologies. Au stade final de ceprocessus, le secteur de services domine lesautres secteurs.

Les innovations technologies et lechangement de structure de l’économiequ’elles induisent impliquent unaccroissement de l’économie d’échelle, unbesoin croissant en capital financier ethumain, un accroissement de la taille dumarché pour écouler la production de masse,

et une hausse significative des risques. Pourfaire face à ces problèmes et réaliser lepotentiel de croissance libéré par lesnouvelles technologies et l’industrialisation,l’Etat doit s’efforcer d’améliorer lesinfrastructures matérielles comme les réseauxd’énergie et de routes, et les infrastructuresimmatérielles telles que le cadre juridique, lesinstitutions financières, la régulation desmarchés, et le système éducatif. En effet, ils’agit des biens et des services publics que lesecteur privé ne peut pas toujours fournir enquantité suffisante.

La croissance très rapide de la Chine durant lapériode de transition est rendu possible par leretard de développement de Chine par rapportaux pays développés au moment oùcommencent les réformes et l’ouverture del’économie nationale. Un pays en retard peutimporter et absorber les technologiesexistantes, ce processus est beaucoup plusrapide que celui de créer de nouvellestechnologies économiquement viableslorsqu’un pays se trouve sur la frontière destechnologies et doit découvrir les nouvellestechnologies. Connaissant les infrastructuresmatérielles et immatérielles nécessaires etsachant comment les mettre en place pouraccélérer la croissance, un pays comme laChine peut croître à un rythme beaucoup plusélevé que celui des pays développés pendantdes décennies jusqu’à ce que l’écart durevenu par habitant soit nettement réduit parrapport à ces pays (Lin, 2012). A cet égard, laChine n’est pas le seul exemple, avant elle, leJapon, la Corée du Sud, Singapour, et Taiwanont connu des périodes prolongées de fortecroissance. Il convient de noter que le retardde développement n’implique pasautomatiquement un décollage économiquecar beaucoup de pays restent dans la trappe depauvreté.

Les réformes graduelles bien menées,l’ouverture de l’économie vers l’internationalen vue d’acquérir des technologies et dessavoir-faire avancés ainsi qu’un systèmepolitique réformé fonctionnant plusefficacement ont permis d’exploiter lepotentiel de croissance dû au retard dedéveloppement.

La pertinence de l’approche graduelle de laréforme adoptée par la Chine à la fin desannées 1970 n’a été perçue que tardivementpar les économistes occidentaux. En effet, laproposition la plus en vogue dans les années1980 était la « thérapie de choc » prônant uneréforme accélérée visant à adopter l’ensemble

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des règles de l’économie de marché dans uneéconomie en développement. Il s’agissait desupprimer toutes les distorsions, en mettanten œuvre des programmes simultanés delibéralisation, de privatisation et demarchéïsation, afin d’atteindre l’optimumsocial du premier rang. La « thérapie dechoc » ignore le fait que les agentséconomiques ont besoin du temps pourapprendre les nouvelles règles, et veulent voirles résultats bénéfiques concrets pourparticiper ou ne pas s’opposer aux réformes.En plus, elle ne prévoit pas qu’uneélimination immédiate de toutes lesdistorsions entraîne la faillite massive desfirmes non-viables, une contractionimportante de la production et une poussée duchômage. Craignant ces conséquences,beaucoup de pays en développement neréforment pas et continuent à subventionnerdes firmes inefficaces, ce qui a pourconséquence de ralentir la croissanceéconomique.

L’approche pragmatique, graduelle et àdouble voie adoptée par la Chine offre unebonne alternative à la « thérapie de choc » carelle permet de réformer sans perdants et doncde garder la stabilité sociale et politique touten créant une dynamique de croissancedurable. Les premières réformes adoptées parle gouvernement chinois donnaient desincitations claires aux participants tout enaméliorant la productivité des firmes. Parailleurs, le gouvernement libéralisait d’abordl’entrée des entreprises privées et desinvestissements directs étrangers (descoentreprises dans un premier temps) dans lessecteurs intensifs en main-d’œuvre pourprofiter des avantages comparatifs et pourinitier un processus d’apprentissage où lesentreprises chinoises pouvaient progressive-ment monter dans la chaîne de valeur. Cespremières réformes créaient ainsi unedynamique de croissance forte et préparaientles conditions nécessaires pour libéraliser lessecteurs prioritaires et fortement protégés lesuns après les autres. Des réformes plusapprofondies étaient introduites au fur et àmesure que telle ou telle autre devenait deplus en plus indispensable.

La Chine s’est inspirée de l’expérienceréussite des pays de l’Asie de l’Est, quiconsiste à développer une économiefortement exportatrice afin d’importer lestechnologies nécessaires pour se modernisergraduellement et le plus rapidement possible.Le gouvernement chinois a pris des mesurespolitiques favorables à l’apprentissage destechnologies. Notamment, il insiste sans cessesur l’importance d’acquérir les nouvelles

technologies, améliore le système deprotection de droits de propriétésintellectuels, et investit massivement dans lesR&D et l’éduction.

Pour permettre aux entreprises nationalesd’apprendre des expériences des entreprisesétrangères, les premières mesures obligent lesinvestisseurs étrangers à s’associer auxentreprises chinoises. Les entreprisesétrangères découvrent rapidement que laChine dispose d’une main d’œuvre capablede maîtriser des technologies sophistiquées,ce qui les conduit à introduire de plus en plusde technologiques en Chine. Pour moderniserles entreprises nationales, la Chine utilise deplus en plus de ressources financières pourimporter des biens d’équipement à hautetechnologie et à acheter puis à absorber destechnologies avancées pour ensuite innover etcréer de nouvelles technologies, ce quiaccélère considérablement le processus demodernisation. Pour accompagner la montéedans la chaîne de valeur, l’Etat a investimassivement dans les infrastructuresmatérielles (réseaux d’énergies, autoroutes,aéroports, métro, ports, train à grande vitesse)qui sont développées en prévision d’uneaccélération de la croissance, sans oublierl’adaptation des infrastructures immatérielles(lois, institutions, système éducatif etorganismes de recherche).

La croissance rapide de l’économie chinoisene peut se dissocier de la réorganisation dupouvoir politique chinois autour de lanouvelle stratégie de développementéconomique. Il est intéressant de constaterque la Chine a pu réussir sans changer lerégime politique alors que les pays del’Europe de l’Est et l’Union soviétique sontconvaincus de la nécessité d’un telchangement pour accéder à une croissanceplus rapide.

Après son arrivée au pouvoir, Deng Xiaopinga modifié le système politique en éliminant lemandat à vie des dirigeants de très hautsrangs, en décentralisant les pouvoirsadministratifs et en rendant les dirigeantsresponsables du développement économiquede la région qu’ils gouvernent. Le nouveausystème politique et administratif permet derésoudre le problème d’incitation etencourage les dirigeants locaux et régionaux àfaire des expériences de réforme (Xu, 2012).Les expériences réussies sont ensuitegénéralisées au niveau national.

Notons que chaque entité gouvernementaleest dirigée par un responsable administratif etun responsable politique. Cette gouvernancecréée par Mao Zedong dans les années 1930

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pendant la période de guerre civile opposantle parti communiste au parti nationaliste apour effet de faire jouer la rivalité entre lesdirigeants, ce qui réduit le risque d’inertie.Les nouvelles institutions telles que lesorganismes d’audit et d’inspectiondisciplinaire sont créées afin de réduire lescorruptions qui émergent dans un contexted’économie de marché. Par ailleurs, la Chineadapte ses institutions et en crée d’autres pourfaire face aux problèmes soulevés par ledéveloppement de l’économie de marché. Lenouveau système politique et administratifchinois, initié par Deng Xiaoping, acertainement des avantages du point de vuedu développement économique par rapport àcelui des pays dirigés par un dictateur quiprivilégie ses proches afin d’accaparer larichesse du pays au mépris des compétences.Il est plus efficace que celui des paysémergents avec une démocratie immaturedirigée par des hommes politiques élus sansnécessairement avoir de bonnes expériencesen matière de développement économique.

4. Les défis et les perspectives

Après plus de trois décennies de très forteexpansion, la croissance chinoise semblechanger de régime pour tomber durablementen dessous de 7 % depuis 2015. Bien que letaux de croissance actuel reste encoreconsidérable, il existe un certain nombred’obstacles que l’économie chinoise doitsurmonter pour préserver une croissancesoutenue.

Le retard de développement est moinsprononcé qu’il y a 30 ans, et d’autres paysplus en retard viennent concurrencer la Chineétant donnée la forte hausse de salairechinois. Au fur et à mesure du développementde l’économie chinoise, les marchésd’exportations sont devenus de plus en pluslimités pour assurer une croissance aussirapide des exportations que par le passé. Enplus, les pays développés, suite à la crisefinancière globale de 2008, accroissent ledegré de protectionnisme pour protéger lesemplois nationaux dans les secteursconcurrencés par les entreprises chinoises.Pour faire face à ces problèmes, la Chine aréorienté sa stratégie de croissance baséelargement sur les exportations vers unestratégie de croissance fondée sur la demandeintérieure.

Le dividende démographique faisant suite à lamise en place de la politique de contrôle denaissance, qui avait induit une pyramide desâges particulière avec un nombre maximumde jeunes adultes et relativement peud’enfants et de personnes âgées, disparaît. LaChine doit faire face maintenant auxproblèmes de vieillissement de sa populationet de financement des retraites. Pour remédierà ces problèmes, la Chine a récemmentrelâché la politique de contrôle de naissanceen autorisant la naissance d’un 2e enfant.

La corruption est devenue un problèmemajeur au fur et à mesure de la croissance del’économie chinoise. Les gouvernements dedifférents niveaux disposent d’un pouvoirdiscrétionnaire important dans les décisions,ce qui favorise la recherche de rente. Bienqu’il existe des organismes disciplinaires, latransparence et la surveillance font défaut. Legouvernement actuel a nettement renforcé lalutte contre la corruption, ce qui a entraînédes fuites de capitaux et la baisse deconsommation des biens et services liés à lacorruption des officiers. Toutefois, une baissede corruption pourrait être favorable à lacroissance future et à la réduction desinégalités sociales devenues trop importantes.

Un risque majeur se trouve au niveau dusecteur immobilier. Celui-ci est devenu l’undes moteurs de croissance importants del’économie chinoise depuis 2003, l’année oùle gouvernement autorisait les ménages àaccéder au crédit pour acheter leurslogements. Le prix de l’immobilier urbain aconnu une hausse spectaculaire dans lesmoyennes et grandes villes, ce qui faitcraindre un éclatement des bullesimmobilières. Un tel évènement peut avoirdes conséquences catastrophiques en générantdes difficultés de financement pour certainsgouvernements locaux dont les besoinsfinanciers sont assurés jusqu’à 50 % par lavente des terrains constructibles, en entraînantdes pertes importantes pour les banques quiont financé massivement les promoteurs et lesacquéreurs des biens immobiliers, et eninduisant des pertes pour les ménages. Vuel’importance du secteur immobilier, une criseimmobilière peut entraîner une récession del’économie chinoise. Le mieux que legouvernement chinois puisse faire est d’éviterun ajustement brutal en mettant en place desmesures régulant l’offre et la demande.

La vulnérabilité financière constitue un autrefacteur de risque important. Afin de maintenirle rythme de croissance de l’économie

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chinoise, le gouvernement a répondu auralentissement de la croissance suite à la crisefinancière globale en stimulantl’investissement, ce qui fait accroîtrefortement l’endettement privé et public. Fin2015, la dette privée (dont un quart pour lesménages) dépasse les 200 % du PIB et cellede l’Etat est estimée entre 40 et 55 % du PIB.La dette cumulée arrive à un niveaucomparable voire supérieur à celui des Etats-Unis (248 %) mais derrière celui de la zoneeuro (270 %). Les effets pervers des mesuresadoptées après la crise financière globaleapparaissent clairement avec un secteurimmobilier à la peine et des surcapacitésimportantes de production dans certainesbranches d’activité (sidérurgie, ciment,mines) très liées au secteur de la construction(immobilier et infrastructure). Lavulnérabilité financière qui en résulte sembled’autant plus grande qu’une part importantedes financements est réalisée via des circuitsnon-conventionnels (« shadow banking ») quiéchappent aux surveillances des autorités derégulation. Non garantis par l’Etat, ils sontsoumis au risque de défaillances en chaîne encas de mouvements de panique et de fuitesdes dépôts si des doutes sur leur robustessefinancière surviennent. Bien que legouvernement chinois dispose des moyensfinanciers, réglementaires et institutionnelspour circonscrire d’éventuels événements decrédit et empêcher une crise systémique, cettevulnérabilité l’incite à modérer la progressiondu crédit destiné à soutenir la croissance.

La croissance future de l’économie chinoiserepose sur les innovations. Les problèmes depollution et les surcapacités de productiondans les industries de base impliquent que ledéveloppement des industries traditionnellesne peut plus générer une croissance soutenue.La Chine, pour continuer à croître vite, doitconcurrencer de plus en plus les pays plusavancés. Il ne suffit plus d’imiter destechnologies importées. Le potentiel decroissance vient en effet du côté des secteursayant une forte capacité d’innovationstechnologiques. Ainsi, une des priorités dugouvernement est d’encourager lesinnovations. Le gouvernement mèneactuellement des politiques de soutien auxactivités d’innovations avec des plansambitieux comme « Internet plus » ou« Made in China 2025 ». Les mesurespolitiques adoptées ont créé une véritabledynamique dans les activités d’innovations. Ily a de plus en plus d’entreprises nationalesinnovantes qui commencent à se faireconnaître au niveau international. Cesentreprises investissent massivement dans

leur propre capacité d’innovations etn’hésitent pas à investir dans les entreprisesdes pays développés pour acquérir destechnologies et des savoir-fairecomplémentaires. Vu son retard dedéveloppement restant à combler par rapportaux pays les plus développés et ses progrèsdans les activités d’innovations, la Chine peutencore connaître des taux de croissancerelativement élevés dans les années à venir.

5. Conclusion

Les ingrédients de la forte croissance chinoisesont le retard de développement, l’ouverturede l’économie vers l’extérieur, les réformesinstitutionnelles et politiques dans un objectifd’accompagner au mieux la croissance, ledéveloppement rapide des infrastructuresmatérielles et immatérielles, la mise en placedes règles et des lois nécessaires pour uneéconomie de marché, et les investissementsmassifs dans l’éducation et la recherche. LaChine a su parfaitement orchestrer l’ensemblede ces facteurs en adoptant une approchegraduelle et à double voie pour réformer sonéconomie afin d’introduire le mécanisme del’économie de marchés, et en mettant en placeune organisation politique tournée vers ledéveloppement économique, avec des cadrespromus en fonction de leur capacité àdévelopper l’économie.

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