la ville comment ça marche

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Dossier, art et marche, artistes marcheurs dans la ville.

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  • DOSSIER DOCUMENTAIRE

  • La ville, comment a marche ? Dossier documentaire Rencontre-dbat du 25 janvier 2008 cycle art [espace] public La Sorbonne

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    LA VILLE, COMMENT A MARCHE ? La marche a fait lobjet de multiples rappropriations artistiques, depuis les dambulations du flneur baudelairien, les promenades surralistes et les drives situationnistes, jusquaux performances des arts de rues et de lart contemporain. Comment les artistes rinventent-ils aujourdhui cette pratique quotidienne et universelle ? Comment modifient-ils nos perceptions de lespace et du temps urbains ? Contribuent-ils une rappropriation des lieux, une ractivation des mmoires ? Parcours illustr avec un artiste promeneur, un philosophe de lurbain et un historien de lart, suivi dune exprience sensible dans Paris propose par un gographe spcialiste de la nuit urbaine. Avec Thierry Davila, historien de lart et commissaire dexpositions, Luc Gwiazdzinski, gographe, universit J. Fourier de Grenoble, prsident du Ple des arts de la rue, Thierry Paquot, philosophe, professeur lInstitut dUrbanisme de Paris (Paris XII), diteur de la revue Urbanisme, Hendrik Sturm, artiste promeneur, enseignant lcole des Beaux-Arts de Toulon. Cette rencontre-dbat est organise par Cline Auclair, Aurlie Burger, Tiphanie Dragaut et Clotilde Fayolle, tudiantes au sein du Master Projet Culturel dans lEspace Public de lUniversit Paris I Panthon-Sorbonne. Vendredi 25 janvier 2008, de 19h 21h la Sorbonne, amphithtre Richelieu. Suivi dune recherche-action propose par Luc Gwiazdzinski : La marche dans tous les sens, parcours nocturne du centre vers les priphries de la ville, pour prouver les corps, les temps et les espaces . Infos sur le site www.art-espace-public.c.la

    Cette rencontre-dbat est prsente dans le cadre du cycle art [espace] public, dix rencontres-dbats proposes du 25 janvier au 28 mars 2008 la Sorbonne par le Master 2 Projets Culturels dans l'Espace Public de lUniversit Paris I Panthon-Sorbonne, sous la direction de Pascal Le Brun-Cordier, professeur associ, directeur du Master, en partenariat avec HorsLesMurs, centre national de ressources des arts de la rue et des arts du cirque. Avec le soutien du Ministre de la Culture et de la Communication. Programme complet du cycle art [espace] public : www.art-espace-public.c.la Site de HorsLesMurs : www.horslesmurs.fr Le Journal de bord du Master : http://masterpcep.over-blog.com Mdias partenaires : Paris-Art.com Radio Grenouille Radio Campus Paris

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    [Intervenants] Thierry Davila, philosophe de formation, historien de lart, commissaire dexposition, conservateur au MAMCO, Muse dArt Moderne et Contemporain de Genve. Thierry Davila a publi de nombreux livres, dont Marcher, crer. Dplacements, flneries, drives dans lart de la fin du XXme sicle (ditions du Regard, 2002). Luc Gwiazdzinski est docteur en gographie. Enseignant-chercheur lUniversit Joseph Fourier de Grenoble, membre du laboratoire PACTE Territoires, expert europen, il dirige plusieurs programmes de recherche sur la ville, les temps sociaux et les mobilits. Fondateur de lAgence Sherpaa, il a publi de nombreux ouvrages dont La ville 24h/24, regards croiss sur la socit en continu (Ed. de lAube, 2003), Si la ville mtait conte (Eyrolles, 2005), La nuit dernire frontire de la Ville (Ed. de lAube, 2005), Priphries (LHarmattan, 2007). Thierry Paquot, philosophe, professeur l'Institut d'urbanisme de Paris (Paris-XII), diteur de la revue Urbanisme, producteur de Ct Ville (Mtropolitains, France Culture). Thierry Paquot a publi de nombreux ouvrages sur la ville et lurbain, dont Des corps urbains. Sensibilits entre bton et bitume (Autrement, 2006), et aussi L'Art de la sieste (Zulma, 1998), Petit manifeste pour une cologie existentielle (Bourin-diteur, 2007). Hendrik Sturm, form la neurobiologie et aux arts plastiques Dsseldorf, enseigne lcole des Beaux-arts de Toulon. Pour en savoir plus sur le travail de Hendrik Sturm, cf page 12 de ce dossier.

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    [Problmatique]

    Sont contenus dans le mot marcher les sens les plus divers, les acceptions les plus opposes. Marcher, en une dfinition ancienne, revient par exemple fouler des pieds un matriau (argile ou toffe), le ptrir en le pitinant. Cette dfinition entre demble en opposition avec lide couramment admise qui fait de la marche une avance ; il sagit alors dexprimer une progression qu petits pas ou au contraire, grandes enjambes, on accomplit.

    Collectif, Un sicle darpenteurs, les figures de la marche.

    ! La marche comme mdium artistique La marche, selon quelle est cheminement solitaire, sortie de reconnaissance, flnerie potique, dfil organis ou parade de sduction peut facilement faire valoir sa fonction de liant social ou de ralisation individuelle. De la simple promenade lexcursion exploratoire, de la passagietta la drive des situationnistes, des marches militaires la dambulation surraliste, elle est tour tour pratique dittique, technique stratgique ou recherche individuelle. De la marche qui trouble les auditeurs de Diogne le cynique celle qui sert lutter contre ltat de mlancolie, il y a tout lespace ncessaire pour inscrire les nombreuses observations de ceux qui en ont fait une pratique des plus enrichissantes. Cest sans doute pour ces vertus que les artistes lont aussi souvent mise au centre de leurs recherches.

    Collectif, Un sicle darpenteurs, les figures de la marche. Pourquoi les artistes marchent-ils ? En quoi la marche est-elle un mdium artistique ? Au regard des propositions artistiques, la ville apparat comme un espace de prdilection pour les artistes marcheurs . Ce phnomne rside sans doute dans le fait quelle est le lieu dune activit continue, routinire ou impulsive, que rythme lextrme concentration des actes humains. () Elle est aussi lespace public par excellence, lieu de lchange de la rencontre 1. Cet engouement interroge le rapport entre la ville et lartiste. Comment lartiste travaille-t-il dans et avec la ville ? De quelle manire lespace urbain linfluence et marque son travail ? Comment la marche lui permet-elle duvrer , dexprimenter la ville autrement ?

    ! Marche et rception Exprience sensible, la marche induit une relation particulire entre les corps et la ville. Elle permet aux hommes de sapproprier les lieux, dy crer du lien social, de ractiver sa mmoire Ces bienfaits de la marche sont exploits par les artistes marcheurs dans leur cration. Quen est-il de la rception ? Quest-ce que cette exprience artistique offre rellement aux spectateurs ? Quels liens la marche leurs permet-elle de tisser avec la ville? Au-del de la performance, la marche artistique a-t-elle rellement des rpercussions sur le citadin parcourant la ville au quotidien? Quelles traces laisse-t-elle dans les parcours et les mmoires des habitants une fois le spectacle achev ?

    1 Paul Ardenne, Un art contextuel, Flammarion, 2002.

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    ! Ouverture Les propositions artistiques sur le thme de la marche nont-elles pas un rle important jouer dans la fabrique mme des villes ? En effet, les dimensions sensible et corporelle de la marche artistique semblent intresser directement les amnageurs et autres professionnels de lurbain. Dans ce contexte, les dmarches et regards dartistes marcheurs ne permettent-ils pas de poser nouveau frais les questions daccessibilit, de mobilit et de dplacement ? Comment associer ces artistes aux projets de renouvellement urbain et leur permettre de prendre part au dialogue sur la circulation au sein des villes ?

    [Cadrage]

    ! La place du piton dans lamnagement des villes La cit mdivale ou la ville au piton La rue est au Moyen-ge, un espace de contact2 et de proximit, rserv exclusivement au piton. Cest de bouche oreille, dune maison lautre, que linformation circule, par le biais de la rue []. Dans la ville du Moyen-ge, les structures conomiques, sociales, pistmologiques sont inscrites sur le sol urbain dont linformation quil recle est dchiffrable non seulement par lil mais au moyen de tous les autres sens et en particulier la cnesthsie (dans la marche) .

    Franoise Choay, Espacements : essai sur lvolution de lespace urbain en France. Par ailleurs, limplication du corps physique et sensible des hommes est trs prsente dans la description de lespace parcouru ou du trajet raliser, comme c'est le cas dans les cartes moyengeuses : Les premires cartes mdivales comportent seulement les tracs rectilignes de parcours (indications performatives visant surtout des plerinages), avec la mention dtape effectuer et de distance cotes en heures et jours, c'est--dire en temps de marche .

    Michel de Certeau, Linvention du quotidien 1. Arts de faire. La ville classique ou la sparation des pitons et des automobilistes La croissance dmographique et lessor conomique favorisent le dveloppement de nouvelles voies de circulation et de communication. La circulation roulante sinstalle [dans la ville classique] et lespace urbain est moins favorable au contact humain que le mdival []. Les premiers trottoirs font leur apparition ; ils rompent le contact direct, lancienne intimit du piton avec la rue. [] En tant que systme de circulation, la ville classique soppose donc la ville mdivale par un rseau plus ouvert sur lextrieur, plus large, et o la notion de circulation accde lautonomie.

    Franoise Choay, Espacements : essai sur lvolution de lespace urbain en France.

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    Franoise Choay, Espacements : essai sur lvolution de lespace urbain en France, Skira Editor Milano, 2003.

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    La modernisation des villes au XIXme sicle Les transformations urbaines portes par le baron Haussmann se caractrisent par ladaptation de la ville aux moyens de transports modernes avec la cration de nouveaux axes de circulation. La circulation devient alors le sens premier de lamnagement des espaces et perd alors sa charge smantique et sa vocation informative.

    Franoise Choay, Espacements : essai sur lvolution de lespace urbain en France Paralllement cette modernisation, des espaces souvrent la promenade, la flnerie et la dambulation pitonnire ; cest le cas des passages parisiens. () dans ces sortes de galeries couvertes qui sont nombreuses Paris aux alentours des grands boulevards et que lon nomme dune faon troublante des passages, comme si dans ces couloirs drobs au jour, il ntait permis personne de sarrter plus dun instant.

    Louis Aragon, Le Paysan de Paris. La mtropole moderne : la guerre au piton Lurbanisme moderne porte son paroxysme la rationalisation de la ville et morcelle lespace urbain. Le piton est alors dlaiss au profit de lautomobiliste. Dans les annes 1930, le CIAM (Congrs International des Architectes Modernes) prne labolition de la rue, juge dangereuse, sale, impropre rpondre aux besoins de lhomme moderne : Les grandes voies de communication ont t conues pour recevoir des pitons ou des charrois, elles ne rpondent plus aujourdhui aux moyens de transport mcaniques. La rue-corridor deux trottoirs, touffe entre de hautes maisons, doit disparatre. [] Les rues doivent [au contraire] tre diffrencies selon leurs destinations : rues d'habitation, rues de promenade, rues de transit, voies matresses. [] Le piton doit pouvoir suivre d'autres chemins que l'automobile.

    Le Corbusier, La Charte dAthnes. La mtapolis post-moderne : le retour du piton Une critique humaniste se dveloppe tout au long du XXme sicle. La place accorde au piton en ville et le rle essentiel de la rue dans lexprience physique de la marche rapparaissent au cur des problmatiques et propositions pour concevoir la ville. Lewis Mumford dfend lide que circuler est un moyen et non une fin. L'une des finalits les plus chres Mumford c'est que l'ouvrier puisse, pour se rendre son travail, faire une promenade qui le mette en contact avec des tres, des scnes et des objets qui rchauffent le cur .

    Lewis Mumford, Le piton de New York. Jane Jacobs met galement une critique virulente de lurbanisme moderne et affirme la ncessit de la prise en compte du comportement humain dans lamnagement urbain. Pour elle, loin dtre un espace sale et dangereux entravant la circulation, la rue est un espace de mixit urbaine, sociale et conomique, ncessaire au dveloppement dune ville comme la sant mentale de ses habitants. Le trottoir est la scne o prennent forme les changes et les rencontres, les contacts fortuits, publics et spontans. 3

    3 Entretien de Jane Jacobs, Toronto, le 28 mai 1999, ralis par Claire Parin, architecte-

    urbaniste, docteur en urbanisme et amnagement, enseignante l'cole d'architecture et de paysage de Bordeaux.

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    Dautres sociologues, philosophes, chercheurs, urbanistes, ont rintroduit depuis les annes 60, la figure du piton et du marcheur dans lamnagement des villes. Aujourdhui, davantage encore avec [] lavnement dun discours centr sur la question du respect de lenvironnement et de la qualit de vie en ville, la lutte contre la suprmatie de la voiture et le dveloppent des modes de transports dits doux [], la marche en ville revt de nouvelles lettres de noblesse : respectueuse du cadre de vie, garante de la sant du citadin, elle constituerait un lment structurant de lurbanit. (Rachel Thomas4).

    ! La figure de lartiste marcheur Les dambulations du flneur : un regard sur la vie urbaine Lapparition et le dveloppement de la figure du flneur sont en fait troitement lis aux transformations urbaines de Paris qui, conduites par le baron Haussmann sous lautorit de Napolon III, visent effacer les souvenirs des rcents combats de rue et se rapproprier la capitale pour exalter la modernit et les plaisirs de la vie moderne. () Cette valorisation du marcheur de ville est indissociable du fait que sa marche est sans but utilitaire ou professionnel, sans fonction autre que le plaisir dune promenade dsuvre dont la seule occupation est, outre la marche, le regard sur la vie urbaine. () Cest le triomphe de la flnerie et de la ballade. Apparu dans la langue au cours des annes 1850, ce dernier thme constitue une transformation de lancienne ballade, qui dsignait la fois une chanson danser et la danse quelle accompagnait. Cette origine indique bien le caractre plaisant de cette manire nouvelle de pratiquer la marche pied loppos du plerinage comme de la marche professionnelle du travailleur ou du paysan.

    Collectif, Un sicle darpenteurs, les figures de la marche. Pour la premire fois chez Baudelaire, Paris devient objet de posie lyrique. Cette posie locale est lencontre de toute posie de terroir. Le regard que le gnie allgorique plonge dans la ville trahit bien plutt le sentiment dune profonde alination. Cest l le regard dun flneur, dont le genre de vie dissimule derrire un mirage bienfaisant la dtresse des habitants futurs de nos mtropoles. Le flneur cherche un refuge dans la foule. La foule est le voile travers lequel la ville familire se meut pour le flneur en fantasmagorie."

    Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe sicle. Dialectique de la flnerie : dun ct, lhomme qui se sent regard par tout et par tous, comme un vrai suspect, de lautre, lhomme quon ne parvient pas trouver, celui qui est dissimul. C'est probablement cette dialectique l que dveloppe l Homme des foules .

    Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe sicle.

    "En 1839, il tait lgant d'emmener une tortue quand on allait se promener. Cela donne une ide du rythme de la flnerie dans les passages."

    Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe sicle. Le promeneur solitaire et pensif tire une singulire ivresse de cette universelle communion. Celui-l qui pouse facilement la foule connat des jouissances fivreuses, dont seront ternellement priv l'goste, ferm comme un coffre, et le paresseux, intern comme un mollusque. Il adopte comme siennes toutes les professions, toutes les joies et toutes les misres que la circonstance lui prsente.

    Charles Baudelaire, Extrait du pome Les Foules, Petits pomes en prose Le Spleen de Paris.

    4 Confrence du CRESSON Marcher en ville , http://www.cresson.archi.fr

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    La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d'une main fastueuse Soulevant, balanant le feston et l'ourlet ; Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crisp comme un extravagant, Dans son oeil, ciel livide o germe l'ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. Un clair... puis la nuit ! - Fugitive beaut Dont le regard m'a fait soudainement renatre, Ne te verrai-je plus que dans l'ternit ? Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-tre ! Car j'ignore o tu fuis, tu ne sais o je vais, toi que j'eusse aime, toi qui le savais !

    Charles Baudelaire, A une passante - Les Fleurs du Mal. Promenades surralistes : entre hasard et errance Le 4 octobre dernier, la fin dun de ces aprs-midi tout fait dsuvrs et trs mornes, comme jai le secret den passer, je me trouvais rue Lafayette : aprs mtre arrt quelques minutes devant la vitrine de la librairie de LHumanit et avoir fait lacquisition du dernier ouvrage de Trotsky, sans but je poursuivais ma route dans la direction de lOpra. [] Je venais de traverser ce carrefour dont joublie ou ignore le nom, l, devant une glise. Tout coup, alors quelle tait peut-tre encore dix pas de moi, venant en sens inverse, je vois une jeune femme, trs pauvrement vtue, qui, elle aussi, me voit ou ma vu. [] Sans hsitation jadresse la parole linconnue, tout en mattendant, jen conviens du reste, au pire. Elle sourit mais trs mystrieusement, et, dirai-je, comme en connaissance de cause [] Qui tes-vous ? Et elle, sans hsiter : Je suis lme errante

    Andr Breton, Nadja. Marc Aug, parlant des promenades des surralistes dans les villes, voque aussi la notion d attention flottante prcisant que celle-ci nest possible et na de sens que dans un milieu anim par les flux du travail ou du loisir dans lordre voulu par une socit active dont lorganisation relve de ce que Bataille appelait lordre des choses mais qui tolre, suscite, enrichit mme, par ses contraintes propres, les initiatives de limagination individuelle.

    Marc Aug, Limpossible voyage- Le tourisme et ses images. Drive situationniste et considrations psychogographiques Entre les divers procds situationnistes, la drive se dfinit comme technique du passage htif travers des ambiances varies. Le concept de drive est indissolublement li la reconnaissance deffets de nature psychogographique, et laffirmation dun comportement ludico-constructif, ce qui loppose en tous points aux notions classiques de voyage et de promenade. Une ou plusieurs personnes se livrant la drive renoncent, pour une dure plus ou moins longue, aux raisons de se dplacer et dagir quelles se connaissent gnralement, aux relations, aux travaux et aux loisirs qui leur sont propres, pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent. La part de lalatoire est ici moins dterminante quon ne croit : du point de vue de la drive, il existe un relief psychogographique des villes, avec des courants constants, des points fixes, et des tourbillons qui rendent laccs ou la sortie de certaines zones fort malaiss.

    Guy Debord, Thorie de la drive.

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    Le XXme sicle et les artistes plasticiens Les artistes de la fin du XXme sicle ont pris acte de la sparation entre images de la science et production plastique, ils ne continuent pas moins de poser des questions au piton sur un mode que lon pourrait synthtiser ainsi : que faire de la marche, que faire avec la marche, partir delle ?

    Collectif, Un sicle darpenteurs, les figures de la marche. Les dambulatoires : narration de lespace urbain Sur un autre plan que les spectacles eux-mmes, l'organisation de grands vnements urbains ou de ftes de ville est une des caractristiques marquantes des arts de la rue. Du dfil du bicentenaire de la Rvolution orchestr par Jean-Paul Goude, aux crmonies d'ouverture ou de fermeture des jeux olympiques, en passant par des manifestations telles que la fte de la Lumire ou le dfil de la Biennale de la Danse Lyon, l'vnementiel urbain participe largement de la production de cet imaginaire collectif et urbain que nous voquons. ce titre, les arts de la rue possdent, dans leur pratique de la parade et du dambulatoire, un savoir-faire indniable. Les formes dambulatoires, que l'on retrouvera d'ailleurs plus loin, structurent narrativement l'espace de la ville en le parcourant. Ces interventions proposent la ville non pas seulement une histoire linaire mais des ruptures, des perturbations gnratrices.

    Philippe Chaudoir, Limaginaire urbain dans son rapport aux esthtiques.

    [Dmarches croises]

    ! La marche : un mode durbanit corporel et sensoriel Outre un phnomne physique, la marche est galement un mode durbanit puisquelle constitue un systme daction complexe qui gnre la fois du dplacement et de la rencontre (ou a minima de la co-prsence) [] Le dplacement constitue un procd dancrage du piton dans lenvironnement. Il ne peut tre rduit ni une succession de mcanismes ou rflexes psychomoteurs, ni un simple mode durbanit. Le rapport du passant lespace public urbain (quil prenne la forme dune dambulation, dune course marchande ou encore dun vagabondage nocturne) engage, de notre point de vue, sa perception, les capacits dexpressivit de son corps et ses modes dattention. Prcisment, il met en jeu, dans la dynamique spatio-temporelle du dplacement, sa capacit configurer (c'est--dire mettre en forme) lenvironnement dans lequel il chemine et sa motricit (c'est dire au sens phnomnologique du terme, la manire dont il habite lespace au moyen de son corps et de ses sens). 5

    Rachel Thomas, Quand le pas fait corps et sens avec lespace, aspects sensibles et expressifs de la marche en ville.

    Sociologue et charge de recherche au CNRS, Rachel Thomas travaille actuellement au CRESSON, centre de recherche sur lespace sonore et lenvironnement urbain. Elle propose une approche transdisciplinaire de la marche, croisant ainsi le regard de chercheurs, darchitectes, durbanistes et dartistes. Son interrogation porte sur la dimension sensorielle et corporelle de cette pratique. Dans cette perspective, les artistes, par leur approche sensible, sont peut-tre les plus mme de questionner la marche de manire frontale ; ils se posent comme des rvlateurs dune autre ville du quotidien 6.

    5 Confrence du CRESSON Marcher en ville , http://www.cresson.archi.fr

    6 Entretien ralis avec Rachel Thomas

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    ! La marche : une manire de lire la ville La ville est potentiellement criture (cela relve dun lieu commun, du banal), mais, pour tre vraiment lisible, cette ville devenue criture rclame la voix, c'est dire les pas du marcheur, de lexplorateur, du dcouvreur-lecteur. [] Chez elle tout fait signal, tout signifie, tout est porteur de sens et de signification. [] Non seulement nous lisons le texte de la ville, mais nous y pntrons, nous lintgrons. Le bti constitue la phrase, et le non-bti la ponctuation, cette respiration indispensable la lecture. Nous considrons volontiers que les villes se prtent tre dchiffres, peles lettre aprs lettre. Cela nest pas facile car certaines dentre elles produisent des textes excessivement denses, avec des phrases trop longues.

    Dans lurbain diffus, la lecture du texte de la ville se complique. Il y a de nombreux blancs et parfois des coups-colls de territoires dj vus, darchitectures dj rencontres. Le centre nest plus le centre ancien de la ville historique, mais bien souvent le centre commercial pos la priphrie de la priphrie, auquel on accde en automobile. La ville pdestre appartient dornavant au pass quon visite lorsque lon marche sur les trottoirs de la ville compacte. Lurbain de la mobilit se traverse en voiture et le rsidant communique par courrier lectronique ou tlphone portable.

    Thierry Paquot, Des corps urbains, sensibilits entre bton et bitume.

    ! La marche comme rsistance La majorit de la population vit aujourdhui selon des modes dsincarns, abstraits, dus pour partie la place de plus en plus importante accorde lautomobile, pour partie lextension des zones suburbaines. Ceci tant, depuis la fin du XVIII sicle au moins, la marche est aussi un acte de rsistance lesprit du temps, ce temps qui sest soudain tellement acclr quelle ne peut plus le suivre. C'est dailleurs pour cette raison que lhistoire de la marche devient occidentale partir de la rvolution industrielle, moment o la circulation pdestre sest dissocie du continuum des gestes quotidiens pour devenir une activit dlibrment choisie. La culture de la marche est bien des gards une raction contre la vitesse et lalination propres la rvolution industrielle. Elle a gnr lapparition de contres-cultures ou de formes culturelles minoritaires qui entendent rsister la dsintgration post-industrielle et post-moderne de lespace, du temps, du corps.

    Rebecca Solnit, Lart de marcher.

    ! Du bon usage de la lenteur Flner, ce nest pas suspendre le temps, mais c'est sen accommoder sans quil nous bouscule. Elle [la flnerie] implique de la disponibilit et en fin de compte que nous ne voulions plus arraisonner le monde. Les marchandises, nous les contemplons sans avoir ncessairement le dsir de les acheter. Les visages, nous les regardons avec discrtion et nous ne cherchons pas attirer leur attention. Avancer librement, lentement dans une ville presse, nattacher du prix qu la merveille de linstant dans une socit marchande suscite ma sympathie. La flneuse a quelque chose de souverain, de fluide dans son allure. Le regard curieux, avis, mobile du flneur respire lintelligence. Et tous deux me paraissent agrables considrer.

    Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur.

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    ! Espces despaces Jaime marcher dans Paris. Parfois pendant tout un aprs-midi, sans but prcis, pas vraiment au hasard, ni laventure mais en essayant de me laisser porter. Parfois en prenant le premier autobus qui sarrte (on ne peut plus prendre les autobus au vol). Ou bien en prparant soigneusement, systmatiquement, un itinraire. Si jen avais le temps, jaimerais concevoir et rsoudre des problmes analogues celui des ponts de Koenigsberg, ou, par exemple, trouver un trajet qui, traversant Paris de part en part, nemprunterait que des rues commenant par la lettre C. Jaime ma ville, mais je ne saurais pas dire exactement ce que jy aime.

    Georges Perec, Espces despaces.

    ! Si la ville mtait conte La ville est un muse vivant. [] Apprivoiser la ville ncessite dapprendre perdre son temps. Sortez la nuit tombe pour voir les immeubles changer de couleurs et de taille sous les halos de lclairage public. () Laissez-vous driver dans le ddale des ruelles ! Perdez-vous pour mieux rencontrer un lieu, une image, une ombre sur un btiment qui changeront votre vision. Venise ne se rencontre quau hasard de ces petites rues alors quun plan vous ramnera dsesprment la raison et lennui. () La ville complexe slabore dans une relation longue. Pour le coup de foudre, pas besoin de guide. Pour la passion, viter les livres du style La ville pour les nuls , vritables tue lamour force de technicit. Personne ne vous en voudra si vos tagres salourdissent encore de la collection complte du Guide du Routard ou de lachat rgulier du Guide Michelin la veille des vacances. Mais permettez-nous un conseil : achetez des guides, lisez-les, et oubliez-les !

    Luc Gwiazdzinski, Gilles Rabin, Si la ville mtait conte

    ! Le sens de la marche () Jaime donc reconnatre aussi, dans quelque lieu Que ce soit, la trace indcise ou nette quont laisse Avant moi des passants visits par le dieu Farouche qui parfois guide ma traverse, A mesure effaant mes empreintes. Bonjour adieu, Je me retrouve encore une fois dans la marche Mouvante du royaume o le vritable sjour Attend proche, cach de dtour en dtour Faisant signe, montrant le seul sens de la marche : Evident mais secret il nous chappe adieu, bonjour.

    Jacques Reda, Le sens de la marche.

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    [Projets dartistes]

    ! Marcher pour franchir les barrires

    Hendrik Sturm, artiste promeneur Lintgration entre art et paysage se ralise pour moi par la promenade. Lartiste-promeneur quitte (temporairement) les rseaux habituels de dplacements et interroge les contiguts dun territoire. Il lie les divers rseaux prsents par leurs formes matrielles, il dcide de suivre des tronons ou au contraire de les couper symboliquement. Car pratiquer des rseaux pour sorienter et se dplacer, induit un effet de tunnel de la perception. En tentant dy chapper, lartistepromeneur est prt franchir les barrires, il aspire trouver une libert de mouvement et de regard. De nombreuses barrires culturelles et sparations fonctionnelles sont incluses dans le tissu urbain. Le promeneur peroit plusieurs espaces prsents sur la mme tendue. Cette co-spatialit se traduit bien par limage de multiples couches qui se superposent. Ma propre dmarche dartiste-promeneur sinspire de la technique du transect (applique dans les domaines de gobotanique ou de pdologie) : une coupe spatiale sur un trac linaire travers des situations varies. Lorientation de la coupe peut suivre un gradient (celui du relief, de la densit de lhabitat, ) ou entre autres possibilits poursuivre un rseau technique souterrain ou choisi pour tre perpendiculaire aux grands axes routiers. En parcourant lespace de cette manire le contraste des ambiances urbaines et priurbaines se dmultiplie et permet en mme temps le lien des lments disparates par la progression des promeneurs. Llaboration d'un transect est itrative car instruite par un va-et-vient entre larpentage des espaces et la lecture des cartes (ortho-photographiques, topographiques, archologiques et cadastrales), la consultation des archives et lentretien avec des personnes ressources.

    ! Marcher : un acte de transgression Francis Alys, artiste, plasticien n Anvers, Belgique en 1959, vit et travaille Mexico, Mexique. Alys na cess davoir recours aux promenades comme une mthode pour apparatre dans limaginaire urbain et agir sur lui. Cette uvre tait constitue dun objet mtallique-aimant sur roulettes quAlys tirait laide dune ficelle dans les rues de Mexico. En tant quaimant, lobjet attirait tous les rebus mtallique de la ville comme une seconde peau. Au fur et mesure de la marche, sa taille augmentait et son apparence voluait vers une forme indescriptible. Cette premire marche illustrait la polyvalence des actions dAlys : chacune de ses promenades ultrieures allait tre la fois lorigine dune narration, la dfinition dun chantillon sociologique et un instrument dintervention politique. Marcher pour Alys revient rvler/observer/catalyser la rsistance microscopique qui oppose le tissu urbain et ses habitants une modernit uniformisante. Ses actions sont autant dactes de transgressions de lefficacit et des structures de contrle modernistes. Tout le travail consiste proposer lorganisme la mgalopole quelque chose qui parcourt son tissu un moment donn, ne serait-ce quimperceptiblement, et qui disparat pour ne laisser, celui ou celle qui aura t le tmoin de cette apparition, que limage aigu et condense dun vnement.

    Cuauhtmoc Medina, The Collector 1991-1992, Catalogue de lexposition Francis Alys 2001, Muse Picasso, Antibes.

    () la fin du XXme sicle, les promenades dAlys sont une version parodique ou tragique de lantirationalisme situationniste. Dans ses parcours, critique acide et envoles fantaisistes peuvent cohabiter, mais la mlancolie situationniste na plus la moindre

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    place. Cette exprience originale, qui semblait motiver si fortement Debord et qui apparaissait comme le leitmotiv de ses plaintes et de ses peines, a totalement disparu, tout comme la possibilit de concevoir un sujet autonome ou une quelconque vrit originale laquelle cette exprience se rfrait.

    Carlos Basualdo, Collector 1991-1992. Catalogue de lexposition : Francis Alys 2001, Muse Picasso, Antibes.

    () produire de la mmoire, fabriquer des souvenirs : tel est un des points darticulation entre les dplacements du flneur Alys et le contexte dans lequel ils sinsrent. Construire une mmoire du flneur et, par ce biais, insrer ce dernier dans lorganisme urbain, tel est le propos de la marche. Ce qui veut dire quun tel travail passe par la construction dexprience lintrieur dun milieu et une poque dont on a pu dire justement quils en taient la ngation. 7

    Thierry Davila, Catalogue de lexposition : Francis Alys 2001, Muse Picasso, Antibes.

    ! Marcher pour rvler les lieux Stalker, collectif d'architectes de Rome Stalker travers les territoires actuels est une action mene Rome sur un parcours circulaire de soixante kilomtres entirement accompli pieds pendant cinq jours, qui se voulait de souligner l'existence d'un systme territorial diffus et de lui attribuer une valeur parmi l'art du parcours. La route de Stalker est partie de la gare dsaffecte de Vigna Clara, et ensuite s'est poursuivie travers les champs, les fleuves, les voies ferres, dans un espace immdiatement au-del de la priphrie des annes 50. Le long de ce parcours, nous avons camp sur un terrain de football construit par des bohmiens, nous avons dormi au sommet d'une colline o sont tourns des westerns, dans le chantier de construction d'une rocade routire. [...] Il existe en effet presque toujours une sorte de sentier dbouchant sur un trou dans un grillage par lequel passer, on peut ensuite traverser des routes, des morceaux de ville pour entrer nouveau, par un autre trou, dans la mer. Si les pleins du bti, ou encore les fragments htrognes de la ville, peuvent tre interprts comme les les d'un archipel dont la mer est le vaste vide informe, nous pouvons dire que Stalker en a navigu les diffrentes mers, indiquant qu'elles peuvent tre entirement traverses sans solution de continuit. [...] Employant une mtaphore, on peut dcrire Stalker comme un voyage dans les combles de la ville, ce lieu o la civilisation entrepose ses rebuts et sa mmoire et o naissent de nouvelles relations, de nouvelles populations et de nouveaux dynamismes en continuelle mutation. Nous estimons que ces territoires doivent tre considrs comme les lieux qui plus que tous les autres reprsentent notre civilisation, son devenir inconscient et pluriel. Nous proposons par consquent l'art servant de moyen d'accs et de clbration de leur existence, de comprhension de leurs valeurs et de leurs messages. Nous avons choisi le parcours comme la forme d'art qui permet de souligner un lieu en traant physiquement une ligne, comme une pre-architecture qui s'insinue dans une nouvelle nature. Le fait de traverser, en tant qu'instrument de connaissance phnomnologique et d'interprtation symbolique du territoire, est une forme oprante de lecture et donc de transformation d'un territoire, un projet.

    Jean-Michel Place, Stalker, Attraverso i territori attual i, A travers les territoires actuels.

    7 uvres prsentes :

    The Collector, 1991-1992 Cuentos patrioticos, 1997 Paradox of Praxis : Sometimes making something leads to nothing / Sometimes making nothing leads to something, 1997 The Loser/ The Winner, 1998

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    ! Marcher pour rencontrer ses voisins Sarah Harper, metteur en scne de WitnessN/14 Le plan usuel de 1705 montre une "Route dAsnires", trace entre Monceau et Rouen, passant par lactuelle rue de Tocqueville. Cet axe existe encore. Il a driv, il a gliss, il a t modul par l'volution du commerce, de la politique rgionale, des nouveaux moyens de transport, par la peur du gouffre. Morcel, oubli, sans identit sociale, gographique ou politique, il nest plus visible. Pourtant il est toujours utilis, habitil persiste. Cette permanence de l'axe depuis 2000 ans est le phnomne que j'explore avec Witness/N14. Je retrace la route suivant mes propres instincts. Je cherche tmoigner de ses odeurs, de ses images phmres, capturer ses sons et ses bruits. Je me permets d'tre dvie par mes rencontres cherchant un sens travers la transmission des formes, la transmission des histoires et des modes de vie que ce priple me donne voir, sentir, toucher et imaginer. Est-ce que la vie qui est devant mes yeux est plus relle que les vies que j'imagine ou que jentrevois travers les bribes du pass ? Est-ce que mes voyages, mes traces et retraces laisseront des empreintes sur cette route ? Est-ce qu' travers ce parcours imaginaire je peux m'ancrer dans ce lieu ? Comment lutter contre linsoutenable lgret de l'tre qui pse de plus en plus ? Comment rester dans le monde concret et ne pas tre happ par toutes les possibilits de vies virtuelles, de vies de fantasmes ? Quelle relation ai-je avec les gens qui y habitent actuellement et ceux qui y habitaient auparavant ? A priori aucune. Est-ce que je peux tisser des liens entre le pass et le prsent ? Est-ce que je peux trouver un sens nos arrives mutuelles sur ce point sans repre particulier ? Je cherche me lier un peu plus mon lieu de vie, de travail, bannir, mme temporairement, une mlancolie qui m'envahit lorsque je regarde mon parcours quotidien. Cette mlancolie mest-elle propre ou est-elle commune tous ? 8

    ! Marcher : une relation au paysage

    Daniel Larrieu, Marche, danses de verdure Cheminer, marcher, regarder, sentir, attendre, contempler, toucher, voir, entendre, respirer, dtendre, sourire, sasseoir, fermer les yeux, dcroiser ses bras, sentir les autres, marcher ensemble, regarder derrire, sentir le temps, ne rien attendre, contempler le paysage, tre touch, voir plus loin, entendre en soi, respirer nouveau, dtendre lespace, sourire aux arbres, sasseoir sur le pass, fermer les yeux de la volont, dcroiser ses bras sans craintes, sentir les autres autour de soi, marcher ensemble des rythmes diffrents, regarder plus loin derrire et devant et sur les cots, sentir le temps pass, prsent et futur, ne rien attendre de plus, contempler le paysage qui vous contemple, tre touch par le sol, voir plus loin le tout prs, entendre en soi les palpitations de la vie, respirer nouveau ce que nous devenons, dtendre lespace entre le ciel et nous-mmes, sourire aux arbres qui vous tendent leurs ombres, sasseoir sur le pass des souvenirs douloureux, dcroiser les bras sans craintes des reprsailles

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    Une premire tape de mise en scne des rcoltes aura lieu ds le mois d'avril 2008. Du 9 au 13 avril l'Avant-Rue, l'quipe de friches thtre urbain propose au public d'exprimenter une tape du parcours dans la rue de Tocqueville. 134 rue de Tocqueville Paris 17e. http://witnessn14.canalblog.com

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    ! Marcher : un dplacement rel et virtuel Gabriel Hernandez est chorgraphe. Lune de ses directions de travail sarticule autour de la figure de la marche. Il sagit dactions qui voluent dans des paysages urbains ou naturels travers des protocoles qui mettent en interaction un corps et un sol en ractivant un territoire. Luvre rsultante est propose au public sous forme de documents, photographies et films. Elle na pas pour ambition de reprsenter lhomme en train de marcher. Elle nest pas non plus la trace a posteriori dune action, ni la documentation dune uvre qui a eu lieu quelque part. Elle est le mcanisme sur lequel laction sur le terrain vient se greffer et constitue en elle-mme la seule et unique partie visible. Elle a lambition de dpasser la logique documentaire : le dplacement et la marche sont des constituants formels du dispositif de prsentation de luvre. Laction na de sens que si elle colonise les divers mdiums (photo, vido, texte, etc.) pour former des dispositifs spcifiques. 9 Lune de ces uvres, dplacement et rotation virtuelle de Vitry-sur-Seine , sest cre en marchant et a comme lieu daction le territoire. Elle est compose de deux parties : une partie visible, les documents exposs, qui dpassent la simple logique illustrative et documentaire et une deuxime partie, non accessible au public, performative, avec sa propre dramaturgie, laction sur le terrain. Pour la ralisation de luvre, une marche de trois jours est engage autour de la ville de Vitry-sur-Seine afin de modliser son primtre avec une unit GPS. Quatre-vingt waypoints (point ou position dsign par des coordonnes) sont ncessaires pour prlever le primtre de la ville. Ensuite, numriquement, le primtre de la ville subit une rotation et un dplacement sur le territoire du Val-de-Marne. Cette rotation est dtermine par la propre nature du territoire. La ville glisse alors vers un autre espace. Vitry aura de ce fait un nouveau primtre []. La marche commence une fois linformation tlcharge dans lunit GPS. Deux primtres seront parcourus, quatre jours pour parcourir le primtre rel (n 1 n 80) et cinq jours pour parcourir le primtre virtuel (n 81 n 160). Un protocole prcis se droule chaque point [] Nous pouvons constater que chaque primtre (rel et virtuel) de Vitry-sur-Seine est vraiment dessin par les points de vues photographiques par deux fois : un premier dessin est constitu par lensemble des trajectoires non parcourues et un deuxime dessin se compose avec les trajectoires dj parcourues. Cette marche, avec son protocole, permet dexprimenter lespace rel des territoires et est accomplie au milieu des habitants et passants. Les deux primtres ont des caractristiques diffrentes. Le premier, les limites ou frontires de la ville, est la consquence des diverses contingences historiques. Cette limite sa propre logique et les amnagements et infrastructures suivent ou se moulent son dessein. Elle est, la plupart du temps, facile a suivre : le long des rues, de la Seine. Parfois, les frontires deviennent floues pour le passant quand le terrain nest pas bti. A dautres occasions, sa continuit nest pas accessible, mais la carte permet de joindre les points limites facilement, ils sont la plupart du temps lextrmit dimpasses qui permettent de dessiner son profil. Gabriel Hernandez.

    9 Extrait du livre Mon corps, mon lieu, paratre suite au projet ralis par Gabriel Hernandez dans

    le cadre des Rencontres Chorgraphiques internationales de Seine-Saint-Denis Aulnay-sous-Bois en juin 2007.

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    [Bibliographie/webographie] Louis Aragon, Le Paysan de Paris, Gallimard, 1926 Paul Ardenne, Un art contextuel, Flammarion, Paris 2002 Jean-Franois Augoyard, Pas pas. Edition Seuil, 1979 Marc Aug, Limpossible voyage, Rivages, Paris, 1997 Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Librairie Gnrale Franaise, 1972 Charles Baudelaire, Oeuvres compltes, Gallimard, 1975. Collectif, Un sicle darpenteurs, les figures de la marche, Edition Seuil, Muse Picasso, Antibes. Catalogue de lexposition : Francis Alys 2001, Muse Picasso, Antibes. Walter Benjamin, Paris Capitale du XIXme sicle, Cerf, 1993 Andr Breton, Nadja, Gallimard, Saint-Amand, 1964 Michel de Certeau, Linvention du quotidien. 1. Lart de faire, Editions Gallimard, 1990 Franoise Choay, Lurbanisme, utopies et ralits. Une anthologie. Editions du Seuil, 1965 Franoise Choay, Espacements. Lvolution de lespace urbain en France. Skira Editor Milano, 2003 Thierry Davila, Marcher, Crer. Dplacements, flneries, drives dans lart de la fin du XXme sicle, dition Regard, Paris, 2002 Guy Debord, Thorie de la drive, publi dans Les lvres nues n9, dcembre 1956 et Internationale Situationniste n2, dcembre 1958 Luc Gwiazdzinski, Gilles Rabin, Si la ville mtait conte, Eyrolles, Paris 2005 Luc Gwiazdzinski, La ville 24h/24, regards croiss sur la socit en continu, Edition de lAube, 2002 Isaac Joseph, Le Passant considrable. Edition Mridiens-Klincksieck, 1984 David Le Breton, Anthropologie du corps et modernit, Paris, PUF, 1990 David Le Breton, Corps et socits. Essai danthropologie et de sociologie du corps, Paris, Mridiens Klincksieck, 1985 David Le Breton, Lloge de la marche, Paris, Mtaili, 2000 Le Corbusier, La charte dAthnes, Editions de Minuit, 1957 Lewis Munford, Le piton de New York, Edition du Linteau, 2001 Thierry Paquot, Des corps urbains, sensibilits entre bton et bitume, Edition Autrement, 2006 Georges Prec, Espces despaces, Galile, Paris, 1974 Jean-Michel Place, Stalker, Attraverso i territori attual i/ A travers les territoires actuels, Jean-Michel Place edition, 2000 Jacques Reda, Le sens de la marche, Gallimard, 1990 Rachel Thomas, Quand le pas fait corps et sens avec lespace, aspects sensibles et expressifs de la marche en ville, Cybergo, Revue europenne de gographie, 2004, n261 Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur, Le seuil, 1998. Rebecca Solnit, Lart de marcher, Actes Sud, Arles, 2002 Philippe Chaudoir, Limaginaire urbain dans son rapport aux esthtiques, www.iul-urbanisme.fr/chaudoir.htm Rachel Thomas, confrence du CRESSON Marcher en ville , http://www.cresson.archi.fr/

    Witness N/14 Une premire tape de mise en scne des rcoltes aura lieu ds le mois d'avril 2008. Du 9 au 13 avril l'Avant-Rue, l'quipe de friches thtre urbain propose au public d'exprimenter une tape du parcours dans la rue de Tocqueville. 134 rue de Tocqueville Paris 17e. http://witnessn14.canalblog.com