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UNIVERSITE DE PARIS 1 - PANTHEON SORBONNE INSTITUT DE RECHERCHE ET D’ETUDES SUPERIEURES DU TOURISME Mémoire professionnel présenté pour l’obtention du Diplôme de Paris 1 - Panthéon Sorbonne MASTER PROFESSIONNEL « TOURISME » (2 e année) Spécialité Valorisation Touristique des Sites Culturels Par Melle Alexandra DERVEAUX Directeur du mémoire : Mr Michel TIARD JURY Membres du jury : ………………………………… : ………………………………… : ………………………………… Session de Septembre 2010 LA VALORISATION DES LIEUX DE MEMOIRE DE LA SHOAH EN FRANCE, ENTRE MEMOIRE ET PATRIMOINE CULTUREL

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UNIVERSITE DE PARIS 1 - PANTHEON SORBONNE

INSTITUT DE RECHERCHE ET D’ETUDES SUPERIEURES DU TOURISME

Mémoire professionnel présenté pour l’obtention du

Diplôme de Paris 1 - Panthéon Sorbonne

MASTER PROFESSIONNEL « TOURISME » (2e année)

Spécialité Valorisation Touristique des Sites Culturels

Par Melle Alexandra DERVEAUX

Directeur du mémoire : Mr Michel TIARD

JURY

Membres du jury : ………………………………… : ………………………………… : …………………………………

Session de Septembre 2010

LL AA VVAALL OORRII SSAATTII OONN DDEESS LL II EEUUXX DDEE MM EEMM OOII RREE

DDEE LL AA SSHHOOAAHH EENN FFRRAANNCCEE,, EENNTTRREE MM EEMM OOII RREE

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Remerciements

Je tiens à remercier Monsieur Michel Tiard d’avoir consenti à diriger ce mémoire de

Master professionnel, mais aussi de ses nombreux conseils éclairés.

Ce travail n’aurait pu aboutir sans l’aide et la bienveillance d’un certain nombre de personnes

et d’interlocuteurs. Aussi mes remerciements s’adressent à Monsieur Rémy Knafou,

professeur émérite de l’Université de Paris 1 et ancien chef de projet de la Fondation du Camp

des Milles ; Monsieur David Amar, chargé de mission Solidarité - Mémoire et Transmission à

la Fondation pour la Mémoire de la Shoah ; Madame Nathalie Grenon, directrice du Centre

d’Etude et de Recherche sur les Camps d’Internement dans le Loiret et la déportation juive

(CERCIL) ; Monsieur Olivier Lalieu, responsable du service Aménagement des lieux de

mémoire et des projets externes au Mémorial de la Shoah ; Madame Isabelle Plichon,

responsable du service Communication au Mémorial de la Shoah.

Je remercie également les documentalistes du Centre de Documentation Juive Contemporaine,

ainsi que l’équipe du CERCIL pour leur accueil et leur disponibilité.

Enfin, une pensée toute particulière à mes proches, celles et ceux qui m’ont soutenu et

encouragé tout au long de ce travail universitaire.

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Sommaire

Introduction p. 5

I. Emergence et évolution des lieux de mémoire de la Shoah en France p. 9

A. La construction de la mémoire de la Shoah en France p. 10

1) Repères historiques p. 10 a) Qu’est-ce que la Shoah ? p. 10 b) La Shoah en France p. 13

2) La mémorialisation du génocide en France p. 15

a) D’une mémoire confinée… p. 15 b) … Vers une mémoire collective nationale p. 18

B. La patrimonialisation de la Shoah p. 22

1) Des traces aux marques p. 23 a) Appropriation et réinvestissement p. 23 b) Marquage de l’espace p. 24

2) Des lieux du souvenir aux lieux de mémoire p. 27

a) La notion de lieux de mémoire p. 27 b) Une difficile reconnaissance des lieux liés à la Shoah p. 31

II. La Shoah, entre lieux de mémoire et lieux touristiques p. 39

A. Quelle(s) valorisation(s) des lieux de mémoire de la Shoah ? p. 40

1) De la mise en valeur commémorative… p. 40

2) … A la création d’une offre muséale p. 47 a) Institutionnalisation de l’histoire et de la mémoire de la Shoah p. 47 b) Des projets phares de réhabilitation et d’aménagement p. 53

B. Le concept de tourisme de mémoire p. 56

1) Tourisme et Mémoire : une antinomie ? p. 56 a) Naissance d’une politique nationale p. 56 b) Enjeux et développement du tourisme de mémoire p. 61 c) La fin d’un cycle ? p. 67

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2) Le « dark tourism » : visites macabres ou réelle conscientisation ? p. 71 a) Définition p. 71 b) Le « tourisme de la Shoah » : l’exemple d’Auschwitz-Birkenau p. 75

III. Etudes de cas français de lieux de mémoire de la Shoah p. 82

A. Du mémorial au musée : état des lieux p. 83

1) Situation historique p. 83 a) La Maison d’Izieu p. 83 b) Le Mémorial de la Shoah p. 86 c) La tuilerie des Milles p. 88 d) Les camps d’internement du Loiret p. 92

2) Fonctionnement et modalités de financement p. 95

a) Statut juridique p. 95 b) Des structures professionnalisées p. 96 c) Un financement partagé p. 98

B. L’engagement de multiples acteurs p.101

1) Le rôle moteur du monde associatif et de la société civile p.101 a) La mobilisation associative p.101 b) L’appui de la société civile p.103

2) La nécessaire implication des pouvoirs publics p.104

a) Les collectivités territoriales p.104 b) L’intervention de l’Etat p.105

3) Des institutions nationales et internationales reconnues p.106

a) Le Mémorial de la Shoah p.106 b) La Fondation pour la Mémoire de la Shoah p.107

C. L’offre culturelle et touristique p.112

1) Une offre variée, entre transmission et sensibilisation p.112 a) Les parcours muséographiques, outils de « conscientisation citoyenne » p.112 b) Activités culturelles et pédagogiques p.117

2) Fréquentation et publics p.122 3) Communication et promotion p.127

a) Une communication spécifique ? p.127 b) Lieux de mémoire et promotion touristique p.130

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Conclusion p.131

Bibliographie p.135

Annexes p.144

Table des figures p.158

Table des entretiens p.160

Dossier d’outils méthodologiques p.161

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Introduction

Théâtre de nombreux conflits armés, la France, comme d’autres pays d’Europe, porte

encore, dans son paysage et sa mémoire, les blessures et les stigmates des guerres.

La Seconde Guerre mondiale, en particulier, reste à ce jour le conflit le plus meurtrier de

l’histoire de l’humanité, avec près de 50-60 millions de morts évalués1. Aussi, elle a engendré

de nombreux « lieux de mémoire », des lieux où s’est cristallisée et réfugiée une mémoire

collective, rappels d’évènements importants, souvent tragiques : villages-martyrs, lieux de

massacre par les nazis, camps d’internement, lieux de combats de la Résistance, etc.

Dans cette guerre, comme le rappelle Jean-Yves Boursier dans son ouvrage Musées de guerre

et mémoriaux (2005)2, les nazis ont organisé méthodiquement et systématiquement le

génocide des Juifs d’Europe. Les camps d’extermination – en premier lieu Auschwitz-

Birkenau, devenu LE lieu de mémoire par excellence – identifie cette Seconde Guerre

mondiale sur un plan autre que militaire : celui du crime du « crime contre l’humanité », du

crime de masse3.

De cette guerre, du crime d’Etat nazi, il subsiste des traces dans le paysage. Ce qui a

eu lieu a ainsi parfois constitué le support à la création de musées et de mémoriaux.

Les lieux liés à la Shoah, c’est-à-dire l’histoire du génocide des Juifs pendant la Seconde

Guerre mondiale, bénéficient, depuis vingt ans, d’un « essor » particulier. En grande majorité

oubliés, voire pour certains occultés, pendant près de quarante ans, ils sont devenus des

« lieux de mémoire », un patrimoine qu’il convient désormais de sauvegarder et de mettre en

valeur. Cette reconnaissance patrimoniale s’inscrit plus que jamais dans l’absolue nécessité, à

l’heure où l’on a commémoré en début d’année le 65ème anniversaire de la libération

d’Auschwitz4, de se souvenir, de conserver intacte et de transmettre la mémoire des

évènements et des souffrances endurées.

1 Chiffres donnés par le Mémorial de Caen, voir le site Internet de l’institution, http://www.memorial-caen.fr/portail/index.php?option=com_content&view=article&id=821&Itemid=554 (consulté le 18 août 2010). Ce qu’il faut retenir avant tout de ce bilan humain, c’est l’importance des victimes civiles. En effet, pour la première fois, le nombre de civils tués est égal voire sans doute supérieur à celui des pertes militaires. 2 Jean-Yves Boursier, « D’une guerre à l’autre en Europe », Musées de guerre et mémoriaux, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2005, p. 4. 3 Ibid. 4 Le camp d’extermination d’Auschwitz a été libéré le 27 janvier 1945 par l’armée russe. La date anniversaire de la libération du camp est devenue aujourd’hui, depuis 2002, la Journée européenne de la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’Humanité.

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De fait, la prise en compte de ces lieux attachés à la Shoah a abouti à la création d’institutions

spécifiques5, et s’est accompagnée d’un développement important d’actions et de projets de

réhabilitation et d’aménagement, concernant en particulier les anciens camps français

d’internement et de déportation.

Le sujet de ce présent mémoire a été motivé par un intérêt personnel à cette période de

l’histoire, et plus généralement au patrimoine historique et mémoriel du XXe siècle. Il m’a

semblé pertinent et intéressant d’étudier la valorisation des lieux de mémoire de la Shoah, le

tourisme de mémoire dans la mesure où la question du devoir de mémoire, de la transmission

de l’histoire et de la mémoire est plus que jamais présente et d’actualité dans notre société.

Ces vingt dernières années ont été marquées par l’ouverture, en France comme à l’étranger,

de musées et mémoriaux d’envergure (Musée-Mémorial de l’Holocauste à Washington,

Mémorial de la Shoah à Paris, Mémorial aux Juifs assassinés à Berlin, nouvelle exposition du

Pavillon français du Musée-Mémorial d’Auschwitz-Birkenau).

Les lieux de mémoire de la Shoah sont, en ce début de XXIe siècle, confrontés à un

tournant mémoriel et scientifique. Ils tendent, avec la disparition de plus en plus progressive

des derniers survivants, à devenir les seuls témoignages de cet évènement tragique, et dès lors

à se substituer à la parole unique des témoins directs. La valorisation des lieux de mémoire de

la Shoah doit ainsi faire face à différents enjeux : enjeu de mémoire, enjeu idéologique, enjeu

d’histoire, enjeu de transmission et de sensibilisation. Un tel sujet pose des interrogations

spécifiques :

- Qu’entend-t-on par valorisation de lieux de mémoire de la Shoah ?

Comment valoriser, réhabiliter et aménager de tels lieux de mémoire et d’histoire ?

- Comment préserver le sens et les valeurs immatérielles de lieux liés à une histoire

traumatique et tragique incommensurables ?

- Comment et jusqu’où développer l’ouverture au public, et dès lors la « mise en

tourisme », tout en conservant le respect mémoriel et le recueillement nécessaire à

l’appréhension de ces lieux de mémoire ?

5 Ces institutions font l’objet d’une analyse dans ce présent mémoire (voir précisément la troisième partie, Etudes de cas français de lieux de mémoire de la Shoah, p. 106-112).

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L’analyse de la valorisation des lieux de mémoire liés à la Shoah repose sur une étude

de quatre sites français : la Maison d’Izieu, le Mémorial de la Shoah, le projet du mémorial du

camp des Milles et le projet du Centre d’histoire et de mémoire d’Orléans sur les camps

d’internement du Loiret. Témoignages d’un même contexte, d’un même évènement, ces lieux

d’histoire et de mémoire renvoient à des temporalités et des réalités successives.

Ces lieux étudiés – tant des institutions muséales déjà existantes que des lieux en création –

permettent de saisir la diversité des formes et des acteurs. Le choix de « limiter » cette étude à

la France s’explique essentiellement pour des raisons techniques, en sachant bien que le sujet

ne concerne évidemment pas stricto sensu la France, mais une échelle transnationale. Aussi,

la dimension européenne n’est pas du tout éludée : des lieux de mémoire, des institutions

muséales, et des organisations européennes et internationales seront évoqués au fil des pages.

Différentes sources ont été nécessaires pour mener à bien cette étude. Elles demeurent

principalement écrites, bien qu’aucun ouvrage ne soit spécifiquement consacré à ce sujet.

Les différents thèmes abordés – histoire de la Shoah, histoire des lieux choisis, notion de lieux

de mémoire, de patrimonialisation – ont pu être étayés grâce à une bibliographie précise.

De façon générale, l’étude s’appuie sur des travaux d’historiens, d’universitaires mais

également sur des documents : articles de presse, documents officiels, documentations de

communication par lesquels les lieux de mémoire se présentent au public etc. Surtout, mes

recherches ont été complétées par une étude de terrain et d’observation. Outre la visite de

lieux de mémoire, des entretiens qualitatifs « face à face » ont été réalisées auprès des

différents acteurs concernés (Mémorial de la Shoah, Fondation pour la Mémoire de la Shoah,

Centre d’Etude et de Recherche sur les camps d’internement dans le Loiret et la déportation

juive), enrichissant indéniablement les sources écrites.

Le présent mémoire s’articule autour de trois grandes parties. L’étude s’attachera dans

un premier temps à retracer une histoire des lieux de mémoire de la Shoah en France, de leur

émergence à leur évolution. La valorisation des lieux attachés au génocide juif doit être

nécessairement comprise et replacée dans un contexte très complexe. Le sujet est difficile, et

ne peut être appréhendé sans une compréhension, une approche historique. Il est en effet

important de comprendre ce qu’on entend par « lieux de mémoire » de la Shoah, et de cerner

l’histoire, les dimensions et les enjeux que ces lieux impliquent.

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La première partie tentera donc de revenir sur la construction mémorielle et la

patrimonialisation de la Shoah en France. Puis, l’analyse portera, dans une seconde partie, sur

les rapports entre lieux de mémoire de la Shoah et tourisme. Outre les notions de valorisations

commémoratives et muséographiques, ce deuxième volet envisagera le concept de « tourisme

de mémoire », en particulier dans ses aspects les plus contrastés (dark tourism).

Enfin, la troisième partie se concentrera précisément sur quatre lieux de mémoire français de

la Shoah, à savoir la Maison d’Izieu, le Mémorial de la Shoah, la tuilerie des Milles et les

camps d’internement du Loiret. Après avoir rappelé l’histoire de chacun de ces lieux, la

présente étude s’intéressera à leur fonctionnement et financement, ainsi qu’aux différents

acteurs concernés. Enfin, l’offre muséale et touristique proposée par les quatre sites ne pourra

être ignorée et sera analysée dans un dernier temps.

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Première Partie

EMERGENCE ET EVOLUTION DES LIEUX DE MEMOIRE

DE LA SHOAH EN FRANCE

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A. La construction de la mémoire de la Shoah en France

La Shoah est devenue aujourd’hui – de nombreux historiens tels qu’Annette

Wieviorka, Georges Bensoussan ou Pierre Nora le soulignent – une mémoire omniprésente,

voire une « forme de religion séculaire 6», qui donne lieu à un foisonnement de publications

d’ouvrages, de témoignages, de productions audiovisuelles (films, téléfilms, émissions) et de

commémorations. Pourtant, comme le rappelle Floriane Schneider dans son introduction de

thèse de doctorat d’histoire consacrée à la construction de la mémoire collective de la Shoah

en France7, la « conscience de la Shoah » est loin d’avoir été aussi prégnante quelques

décennies plus tôt. La mémoire du génocide juif et sa présence visuelle dans l’espace public

se sont en effet construites au fil des années, se sont développées selon des rythmes

spécifiques, non linéaires, d’un pays à l’autre, de l’Europe à Israël, en passant par les Etats-

Unis. Ainsi, cette construction mémorielle s’est retrouvée depuis la fin de la Seconde Guerre

mondiale, et se retrouve encore, au centre d’enjeux sociétaux, politiques et idéologiques.

1) Repères historiques

Ce point « Repères historiques » n’est pas un travail d’histoire, il s’agit plutôt d’une

synthèse qui tend à rendre compte des recherches publiées par des spécialistes de la Shoah.

L’histoire du génocide juif a fait l’objet d’un très grand nombre d’ouvrages, d’articles,

d’études, de travaux de toutes sortes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. De ce fait,

les acquis de la connaissance historique sont aujourd’hui considérables.

a) Qu’est-ce que la Shoah ?

La Shoah – mot hébreux signifiant « catastrophe » – désigne spécifiquement

l’organisation par l’Etat, par le régime nazi et ses collaborateurs, de la persécution et de

l’extermination systématique d’environ six millions de Juifs européens8.

6 Propos de Pierre Nora lors de la conférence « La mémoire de la Shoah dans la France contemporaine et dans la construction de l’identité juive contemporaine », qui s’est tenue le 8 février 2005 au Mémorial de la Shoah. 7 Floriane Schneider, La construction de la mémoire collective de la Shoah en France (1987-2000), thèse de doctorat d’histoire IRICE (Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe), s. dir. de Catherine Nicault, Université de Paris 1 – Panthéon Sorbonne, p. 17. 8 Définition provenant de l’Encyclopédie multimédia de la Shoah (base de données réalisée en partenariat avec le Musée Mémorial de l’Holocauste à Washington, et le Mémorial de la Shoah à Paris), http://memorial-wlc.recette.lbn.fr/fr/ (consultée le 31 mars 2010).

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Le terme, ainsi utilisé pour caractériser le génocide des Juifs durant la Seconde Guerre

mondiale, couvre une période courant du début des massacres de l’été 1941 à la fin de la

guerre en Europe au printemps 1945. Toutefois, les recherches de nombreux historiens

montrent que la persécution des Juifs d’Europe commence en réalité bien avant.

En effet, Georges Bensoussan – historien, rédacteur en chef de La revue d’histoire de la

Shoah et responsable éditorial au Mémorial de la Shoah – explique que le génocide juif,

décidé à la fin de l’été ou au début de l’automne 1941, est « l’aboutissement rationnel et

bureaucratique d’un délire idéologique qui plonge loin ses racines dans l’histoire de

l’Occident »9. Marginalisation, exclusion, expulsion, transferts forcés, enfermement dans des

ghettos constituèrent autant d’étapes avant la « Solution finale » mise au point par les nazis.

La politique officielle de ségrégation à l’encontre des Juifs débute dès 1933 en

Allemagne, avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir : les premières lois antijuives sont

promulguées, excluant progressivement les Juifs de la société. Une discrimination juridique,

politique et sociale est instituée deux ans plus tard, en 1935, avec les lois de Nuremberg.

La fin des années 1930 marque le début de la terreur, la persécution des Juifs prend une

tournure brutale. Le point culminant est atteint dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, avec la

« Nuit de Cristal ». Un véritable pogrom est organisé à travers toute l’Allemagne nazie : des

synagogues sont incendiées, des magasins pillés, des milliers de Juifs agressés, arrêtés,

envoyés dans des camps (on compte un bilan de 91 morts)10. L’invasion de la Pologne et son

occupation à partir de septembre 1939 accroît la persécution envers les Juifs, en particulier

ceux de l’Europe de l’Est ; des actes de violence, des exactions sont perpétrés à une échelle

sans commune mesure avec ceux de 1938, les premiers ghettos sont établis en 1940 (Lodz,

Varsovie). L’année 1941 constitue une étape importante dans l’escalade de l’assassinat

organisé des Juifs d’Europe, une première phase de la mise en œuvre du génocide, avec la

constitution d’Einsatzgruppen. Ces « groupes d’intervention » eurent pour mission

d’assassiner à grande échelle la population juive, femmes et enfants inclus, sur le territoire de

l’Union Soviétique envahie.

9 Georges Bensoussan, « Brève histoire de la destruction des Juifs d’Europe », Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire, Paris, Mille et une nuits, 2003, p. 265. 10 L’Allemagne nazie et les Juifs, dossier thématique « Les Ressources pédagogique du Mémorial de la Shoah », 2009. Cette documentation est diffusée dans le cadre des activités pédagogiques du Mémorial de la Shoah à destination des élèves de collèges et lycées.

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Les historiens estiment que plus d’un million de victimes furent massacrées à l’Est de

l’Europe par ces unités mobiles de tuerie, entre juin 1941 et le printemps 194311. La décision

de mettre en œuvre l’extermination systématique des Juifs d’Europe est probablement prise au

cours de l’été ou au début de l’automne 194112.

La « Solution finale » fut planifiée, coordonnée quelques mois plus tard lors d’une

réunion, connue sous le nom de Conférence de Wannsee, tenue le 20 janvier 1942. C’est ainsi

que près de trois millions de Juifs furent déportés de l’Europe de l’Ouest (Belgique, Pays-Bas,

France), du centre (du Reich d’où partent les premiers convois, de Tchécoslovaquie, de

Yougoslavie, de Hongrie surtout), du Sud (Grèce, en particulier) entre 1942 et 1944, vers des

camps d’extermination, des centres de mise à mort (Auschwitz-Birkenau, Belzec, Chelmno,

Majdanek, Sobibor, Treblinka), où ils furent assassinés dans des installations de tueries

spécifiquement conçues à cet effet13. Aujourd’hui, les historiens estiment entre cinq et six

millions le nombre de victimes juives assassinées durant la Shoah. Il faut admettre, comme le

souligne entre autres Anne Grynberg (et d’autres historiens), qu’on ne connaîtra sans doute

jamais le nombre de victimes avec une absolue précision, « les autorités nazis n’ayant pas

toujours tenu de comptabilité systématique des assassinats et des gazages qu’ils ont

commis 14». Néanmoins, des chiffres plus précis sont possibles pour certains pays.

Ainsi, en France, la connaissance du nombre de victimes de la Shoah est permise grâce aux

listes de déportation : près de 76 000 juifs de France furent déportés vers les camps

d’extermination.

11 Voir l’article de l’Encyclopédie multimédia de la Shoah consacré aux Einsatzgruppen, http://memorial-wlc.recette.lbn.fr/fr/# (consulté le 8 avril 2010). 12 La date précise de décision de mise en œuvre de la « Solution finale » n’est pas connue. Un bon nombre d’historiens la situe entre juillet novembre 1941. 13 Voir entre autres l’article de l’Encyclopédie multimédia de la Shoah consacré aux camps d’extermination, http://memorial-wlc.recette.lbn.fr/fr/ (consulté le 8 avril 2010). 14 Site Internet du Mémorial de la Shoah, http://memorial-wlc.recette.lbn.fr/fr/

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b) La Shoah en France

Comme le rappelle André Kaspi – historien français, professeur émérite à l’Université

de Paris 1 Panthéon Sorbonne – dans l’introduction de son ouvrage Les Juifs pendant

l’Occupation15, le sort et la persécution des Juifs de France pendant la Seconde Guerre

mondiale ont fait l’objet de nombreuses recherches et publications qui sont venues enrichir la

connaissance de cette histoire16. Il faut souligner en premier lieu l’action pionnière du Centre

de Documentation Juive Contemporaine (CDJC), qui depuis sa création en 1943, « n’a cessé

d’aider les chercheurs, de faire paraître une revue, de parrainer des livres d’histoire dont les

premiers sont publiés dès 194517 ».

La politique officielle d’exclusion contre les Juifs est engagée en France dès

l’automne 1940. En effet, le gouvernement de Vichy impose de sa propre initiative, dans les

deux zones (zone « libre » et zone occupée), les « statuts des Juifs », avec les lois des 3

octobre 1940 et 2 juin 1941. Cette législation antisémite vise à exclure les Juifs de la

communauté politique, économique et sociale. Ainsi, les Juifs se voient interdit l’exercice de

presque toutes les professions (emplois dans la fonction publique, professions libérales et

commerciales), l’accès aux lieux publics. Les mesures antijuives vont se succéder et

s’amplifier par la suite (établissement de « fichiers juifs », recensement, port de l’étoile

jaune…). En outre, le régime de Vichy organise parallèlement, dans la zone dite « libre »,

l’internement de milliers de Juifs étrangers dans des camps insalubres comme ceux de Gurs

(Pyrénées-Atlantiques), Les Milles (Bouches-du-Rhône), Noé (Haute-Garonne), etc.

Après la mise à l’écart de la communauté nationale, vont se succéder les rafles. Les premières

arrestations à Paris – organisées par les forces de police française et allemande en mai, août et

décembre 1941 – visent exclusivement les hommes Juifs (étrangers et français). 8 500

hommes arrêtés sont internés dans différents camps de la zone occupée : Pithiviers et Beaune-

la-Rolande (Loiret), Drancy (Seine-Saint-Denis) et Compiègne (Oise).

15 André Kaspi, Les Juifs pendant l’Occupation, Paris, Editions du Seuil, 1991, 421 p. 16 Sur l’histoire et la persécution des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale, voir les numéros de la revue Le Monde Juif. Revue d’histoire de la Shoah ; et surtout la bibliographie élaborée par les historiens du Mémorial de la Shoah (consultée le 10 avril 2010), http://www.memorialdelashoah.org/b_content/getContentFromNumLinkAction.do?itemIdP=210&type=1&itemId=210#79 17 André Kaspi, op. cit., 1991, p. 10. Le CDJC publia dès 1946 une revue consacrée à l’histoire de la Shoah, Le Monde Juif. Devenue Revue d’histoire de la Shoah, elle est à ce jour le seul périodique européen dédié à l’histoire de la destruction des Juifs d’Europe. Pour plus d’informations, voir le lien suivant, http://www.memorialdelashoah.org/b_content/getContentFromNumLinkAction.do?itemId=199&type=1

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Ainsi se réalise en France le processus d’exclusion, d’internement et de déportation18.

Le premier convoi de déportés juifs de France à destination d’Auschwitz-Birkenau quitte la

France (Drancy et Compiègne) le 27 mars 1942. L’été 1942 marquera un tournant décisif dans

l’application de la « Solution finale de la question juive en France », avec les rafles des 16 et

17 juillet, appelées la rafle du Vél’d’Hiv. Près de 13 000 personnes sont arrêtées à Paris et sa

banlieue par la police française, et parquées plusieurs jours au Vélodrome d’Hiver.

Visant essentiellement les Juifs étrangers, ces rafles concernent pour la première fois des

femmes et surtout des enfants (4 051 enfants de 2 à 16 ans dont plus de 3 000 nés en France et

de nationalité française)19. Les familles sont transférées dans les camps de Beaune-la-Rolande

et Pithiviers, d’où les parents seront déportés les premiers avec leurs enfants adolescents.

Trois mille enfants en bas âge seront par la suite transférés à Drancy dans des conditions

lamentables, et mélangés à des adultes pour faire croire qu’il s’agit de déportation de familles

et non d’enfants isolés. D’autres rafles massives eurent lieu en zone occupée ainsi qu’en

« zone libre ». Entre août et septembre 1942, le régime de Vichy fit déporter les Juifs

étrangers internés dans les camps du sud (Les Milles, Rivesaltes), et ceux arrêtés lors de la

grande rafle du 26 août menée dans les quarante départements de la zone non occupée.

Au total, Vichy livra 10 000 Juifs étrangers aux nazis : « ces victimes seront les seuls Juifs

arrivés à Auschwitz en provenance d’un territoire non occupé par les Allemands 20».

Les chiffres exacts de la déportation et de l’assassinat des Juifs de France ne sont

connus que depuis la fin des années 1970. Il faut en effet attendre les travaux de Serge

Klarsfeld et de l’association des Fils et des Filles des Déportés Juifs de France pour avoir un

bilan humain précis de la Shoah en France, avec la publication du Mémorial de la déportation

des Juifs de France21. Cet ouvrage a comblé une immense lacune, en décrivant chaque convoi

et en présentant l’état civil de chaque victime de la « Solution finale » en France. 77 convois

de déportation partirent de France vers les camps d’extermination entre le 27 mars 1942 et le

17 août 1944. Au total, près de 76 000 Juifs – dont 11 400 enfants – ont été déportés22 : seules

2 500 personnes ont survécu, aucun enfant n’est revenu.

18 Sur le processus des rafles, sur les modalités de la déportation, les ouvrages de Serge Klarsfeld apportent vraiment l’essentiel. Voir La Shoah en France, Paris, Fayard, 4 volumes, 4674 p. 19 « Les Juifs en France sous l’Occupation », Plaquette de l’exposition Les 11 400 enfants Juifs déportés de France, juin 1942-août 1944, Association des Fils et des Filles des Déportés Juifs de France, mars 2007, p. 7. 20 Ibid., p. 8 21 Serge Klarsfeld, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France, Paris, 1978, non paginé. 22 Soit environ 22 % de la population juive française (la France comptait environ 320 000 Juifs en 1940).

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2) La mémorialisation du génocide en France

a) D’une mémoire confinée…

Pour de nombreux historiens, l’histoire de la mémoire de la Shoah ne peut se réduire à

un passage de l’occultation à l’obsession : elle s’inscrit dans une chronologie, une

périodisation évolutive. Aussi, une première période s’ouvre dès la Seconde Guerre mondiale.

En effet, il faut savoir que le souvenir du génocide juif s’est construit très tôt, au cœur même

de l’évènement. Annette Wieviorka – historienne française spécialiste de la Shoah et de

l’histoire des Juifs au XXe siècle – rappelle ainsi que la nécessité de conserver la trace, que le

souci de documenter la déportation et l’extermination des Juifs sont apparus pendant la

guerre23. Ces intentions mémorielles précoces se manifestent en Pologne, d’abord, où les

persécutions des Juifs commencent dès septembre 1939 avec l’occupation allemande –

persécutions qui atteignent leur paroxysme avec la mise en œuvre de la Solution finale en

1941-1942. Certains Juifs ont immédiatement pensé que leur présent deviendrait passé, ont

pressenti qu’un processus immédiat d’annihilation systématique était alors en cours. Ils

décident dès lors d’écrire, de rendre compte, et de collecter des archives afin que les

générations suivantes connaissent ce qui s’est passé.

Ces traces, ces premiers témoignages légués nous sont parvenus : beaucoup de textes

ont en effet survécu à leurs auteurs. On peut citer, parmi tant d’autres, le travail d’histoire et

de mémoire d’Emmanuel Ringelblum. Historien du judaïsme polonais, il rédigea sa propre

chronique du ghetto de Varsovie, consignant l’horreur du quotidien, les récits des derniers

jours. Surtout, Ringelblum fut le responsable de l’ l’Oneg Shabbath24, une organisation de

résistance quelque peu spéciale qui s’attacha à rassembler, à archiver tous les documents

concernant le ghetto (presse clandestine, correspondances et documentation sur les

organisations politiques etc.), tous les documents relatifs à la persécution de la plus grande

communauté juive d’Europe. Placées dans des bidons de lait, ces archives furent enterrées

dans différents endroits du ghetto. Deux des trois lots de textes ont été retrouvés, en 1946 et

1950.

23 Annette Wieviorka, « La construction de la mémoire de la Shoah : les cas français et israélien », article co-écrit avec Nicolas Weill, Les cahiers de la Shoah : conférences et séminaires sur l’histoire de la Shoah, Paris, Editions Liana Levi, n°1, 1994, p. 163-191. 24 Allégresse du Shabbat, en hébreu.

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Ils constituent indéniablement des matériaux précieux qui ont permis d’écrire l’histoire du

ghetto de Varsovie. En outre, on retrouve également en France ce souci crucial de consigner,

de témoigner, et de transmettre, avec la création, dans la clandestinité, le 28 avril 1943 à

Grenoble – ville alors en zone d’occupation italienne –, du Centre de Documentation Juive

Contemporaine25.

La construction mémorielle de la Shoah se poursuivit dans les années d’après-

guerre. Annette Wieviorka souligne que le souvenir du génocide est présent en France, mais

confiné au sein de « groupes sociaux, ceux des survivants, extrêmement étroits26 ». Il n’existe

alors pas de mémoire juive, au sens d’une mémoire communautaire qui se revendiquerait

publiquement comme telle : « (…) [Les Juifs de France] n’ont aucune revendication de

mémoire et aucune revendication de la spécificité de ce qui a été leur sort pendant la Seconde

Guerre mondiale. La mémoire, ils la cultivent entre eux, érigent leurs propres mémoriaux, ils

mettent sur pied leurs propres cérémonies 27». La mémoire de la Shoah est donc d’abord une

mémoire individuelle inscrite dans celle d’un groupe clos. De fait, l’idée d’un silence des

rescapés a longtemps prévalu. Or, on sait aujourd’hui, grâce à des travaux d’historiens, qu’il

s’agit d’une idée reçue, d’un mythe : les témoignages des déportés juifs furent en réalité très

nombreux, entre 1945 et 1948. Georges Bensoussan y voit plusieurs explications : le mutisme

des contemporains – en particulier les historiens – a été transféré sur les déportés, la difficulté

d’entendre s’est transmuée en « mutisme des témoins 28». Le confinement de la mémoire de la

Shoah peut s’expliquer par une perception difficile – voire une occultation – de la spécificité,

de l’unicité du génocide. En effet, le sort des Juifs fut, dans les années qui suivent la guerre,

fondu, brouillé dans celui, plus vaste, de tous les déportés de France.

La mémoire de la déportation est largement dominée par celle des déportés de la Résistance :

Buchenwald est considéré alors comme le camp type et non Auschwitz. La mémoire française

de la Seconde Guerre mondiale – portée par une forte volonté politique, en la personne du

Général de Gaulle – s’est construite sur le souci de réconciliation, de reconstruction nationale

et sur le souvenir de la Résistance (résistancialisme).

25 L’histoire du Centre de Documentation Juive Contemporaine fait l’objet d’un développement plus précis dans la troisième partie, p. 86-87. 26 Annette Wieviorka, op. cit., 1994. 27 Propos d’Annette Wieviorka sur le plateau d’une émission télévisée consacrée « aux images de la mémoire, 1945-1995 », Arte, 12 février 1992. Cité par Floriane Schneider, op. cit., 2008, p. 40. 28 Georges Bensoussan, Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire, Paris, Editions Mille et une nuits, 1998, p. 37.

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L’Occupation, et plus particulièrement la collaboration et la complicité du régime de Vichy

dans le génocide juif, sont pour ainsi dire bannies de la mémoire officielle29.

Le début des années 1960 inaugure une nouvelle période de la construction

mémorielle de la Shoah, qui s’étend jusqu’au milieu des années 1970. Ce deuxième temps

marque l’amorce d’un réveil avec, en premier lieu, le procès d’Adolf Eichmann en 196130.

Ce procès – considéré comme le « Nuremberg du peuple juif 31» – fit émerger le discours sur

la Shoah dans la sphère publique : les images du procès, filmé intégralement, furent en effet

diffusées dans le monde entier, par le biais de la télévision. Evènement médiatique, il a

contribué à faire entrer le génocide juif dans la conscience universelle. Son incidence sur les

mémoires nationales a été très importante en Israël et aux Etats-Unis, et dans une moindre

mesure en France, ce point étant plus discuté par les historiens32. Ce premier procès fut

bientôt relayé par d’autres : suivent en effet, en 1964, le procès de dix tortionnaires du camp

d’extermination de Treblinka à Düsseldorf, ainsi que celui de vingt-deux membres du

personnel d’Auschwitz à Francfort. Ces procédures judiciaires concoururent à mieux faire

percevoir la spécificité de la Shoah, et surtout marquent l’« avènement du témoin ».

Les témoignages des survivants deviennent le vecteur principal de la mémoire du génocide,

qui se décloisonne en passant d’une mémoire individuelle à une « mémoire juive ».

L’évolution de la perception du génocide dans le monde juif s’explique aussi par le

contexte politique de la fin des années 1960. La guerre des Six-Jours, en juin 1967, fait

craindre, chez la communauté juive de France, la destruction de l’Etat d’Israël. Ce conflit tend

à affirmer une identité juive : il « met fin à la croyance dans la possibilité, pour les Juifs de

France, de s’assimiler totalement [à la nation], et ce [notamment] du fait de la politique

française à l’égard de l’Etat hébreu33».

29 Thèse défendue par Henry Rousso dans son ouvrage, Le Syndrome de Vichy : de 1944 à nos jours, Le Seuil, 1990 (deuxième édition revue et mise à jour), 414 p. 30 L’histoire du procès Eichmann a fait l’objet d’un certain nombre de travaux et de publications. On peut citer, entre autres, l’ouvrage d’Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Paris, Folio-Gallimard, 1997 (la première édition française date de 1966), 363 p ; ainsi que le livre d’Annette Wieviorka, Le Procès Eichmann, Bruxelles, Editions Complexe, 1989, 201 p. 31 Propos de David Ben Gourion, Premier ministre israélien de l’époque, Le Monde, 11 juin 1960. 32 Comme le précise Floriane Schneider dans sa thèse (p. 42), les avis divergent sur l’importance du procès Eichmann dans la construction de la mémoire de la Shoah en France. Annette Wieviorka estime que le procès de 1961 a été essentiel, à la différence d’Henry Rousso qui considère que son impact a été plutôt limité. 33 Annette Wieviorka, « La construction de la mémoire du génocide en France », Le Monde juif. Revue d’histoire de la Shoah, Paris, Centre de Documentation Juive Contemporaine, n°149, septembre-décembre 1993, p. 32.

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Surtout, cette période « réveille ce qui avait été mis entre parenthèse dans l’après-guerre :

l’exclusion dont les Juifs ont été victimes du fait de Vichy 34». La mémoire de la Shoah prend,

en partie, la forme d’un combat militant : celui de la dénonciation des complicités de Vichy

dans la déportation des Juifs de France. L’arrivée à l’âge adulte d’une nouvelle génération née

après la guerre – notamment la première génération juive d’après la Shoah – change en effet

le regard et le discours, de et sur le génocide juif. Cette génération veut savoir, tend à

bousculer le silence, incite à parler ceux qui se sont tus.

b) … Vers une mémoire collective nationale

L’évolution de la mémoire de la Shoah débute donc au tournant des années 1960-

1970. Le contexte de Mai 1968, et l’émergence d’une nouvelle génération, provoquent une

remise en cause de la vision nationale de l’histoire de la Seconde Guerre monde.

Le mythe d’une Résistance unanime et massive est attaqué, en même temps que commence la

découverte historique du régime de Vichy et son rôle dans la « Solution finale ». Le début des

années 1970 est la période où, pour Henry Rousso, « le miroir se brise et les mythes volent en

éclats ». La France commence petit à petit à regarder différemment « ce passé qui ne passe

pas35 », sous l’impulsion du film Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls (1971), de

recherches et de travaux universitaires d’historiens étrangers portés sur cette période de

l’Occupation et de la collaboration, tels que La France de Vichy de l’historien américain

Robert Paxton, ouvrage considéré comme fondateur d’une nouvelle historiographie de Vichy.

Une distance semble être prise avec la mémoire et la Seconde Guerre mondiale devient objet

d’histoire. Aussi, cette évolution doit être replacée dans un contexte général de regain

mémoriel et d’intérêt scientifique pour les phénomènes de mémoire36. La décennie des années

1970 voit l’essor du régionalisme, l’affirmation des identités (ethniques, sociales…), la

promotion des traditions populaires et du patrimoine local. La notion de mémoire collective se

fait de plus en plus présente. Quelque peu complexe, elle se laisse difficilement enfermer dans

une définition unique. Elle a fait l’objet d’un certain nombre de travaux et d’ouvrages, de la

part d’historiens, de sociologues, à commencer par Maurice Halbwachs.

34 Ibid. 35 Henry Rousso, op. cit., 1990. 36 Floriane Schneider, op. cit., 2008, p. 21-22.

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Considéré comme le précurseur d’une approche sociologique de la mémoire collective,

Halbwachs a ainsi établi que la mémoire, entendue comme fait de se souvenir, est un

phénomène social dépendant de l’existence présente des individus, qui s’inscrit dans des

cadres sociaux37. Il y a mémoire collective dès lors qu’un groupe entier partage les mêmes

souvenirs, qu’il s’agisse de souvenirs d’expériences vécues ou simplement transmises.

En évolution constante, la mémoire collective est susceptible de devenir un champ de bataille.

Potentiellement conflictuelle, elle est en effet « au carrefour de mémoires plus ou moins

distinctes de groupes plus ou moins larges, plus ou moins influents : mémoire officielle de

l’Etat, mémoires associatives et militantes, mémoire savante 38».

La fin des années 1970 et le début des années 1980 marquent l’émergence d’une

mémoire juive revendicative, d’une quête mémorielle. La mémoire de la Shoah prit la forme,

en France, d’un combat militant. On assiste à la création d’associations, telle les Fils et des

Filles des Déportés Juifs de France (FFDJF). Outre l’apposition de plaques, la construction de

stèles ou de monuments sur les lieux du martyre juif, ces associations répondent, comme le

précisent Serge Barcellini et Annette Wieviorka39, à une double finalité : sociabilité et

échanges entre ceux qui ont vécu le génocide, mais aussi la dénonciation du rôle et des

complicités de Vichy dans la déportation des Juifs de France. L’action menée par les FFDJF –

association constituée précisément en 1979 pour soutenir l’action de Beate et Serge Klarsfeld

qui visait à « mettre fin à l’impunité des principaux responsables allemands et français de la

déportation des Juifs de France ; à publier des ouvrages relatant très précisément ce que fut le

sort des Juifs de France de 1940 à 1944 ; à défendre la mémoire des victimes juives et à lutter

contre l’antisémitisme 40» – ouvre ce nouveau cours de la construction mémorielle de la

Shoah.La question de Vichy traverse avec acuité l’espace médiatique et le débat politique.

Serge Klarsfeld publie, en 1978, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France ; œuvre

de mémoire, l’ouvrage fait état de la liste, par convoi, des 76 000 déportés juifs de France.

Un an plus tard est diffusé, sur Antenne 2 en février 1979, le feuilleton américain Holocauste.

37 Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Presses universitaires de France, 1952, 298 p. 38 Floriane Schneider, op. cit., 2008, p. 37. 39 Serge Barcellini et Annette Wieviorka, Passant, souviens-toi ! Les lieux du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en France, Paris, Plon, 1995, p. 451-452. 40 « Les Fils et Filles des Déportés Juifs de France, militants de la justice et de la mémoire », Plaquette de l’exposition Les 11 400 enfants Juifs déportés de France, juin 1942-août 1944, mars 2007, p. 62.

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Cette période se caractérise aussi par l’apparition publique de thèses et de propos

négationnistes, à commencer par Louis Darquier de Pellepoix, ancien commissaire général

aux questions juives, qui affirme, dans une interview paru dans L’Express (28 octobre 1978),

qu’à « Auschwitz, on n’a gazé que des poux ». Le négationnisme de la Shoah sera par la suite

porté médiatiquement par Robert Faurisson41.

De mémoire juive, la mémoire de la Shoah va s’inscrire peu à peu dans une mémoire

nationale, non sans quelques difficultés. Les inculpations pour « crimes contre l’humanité »

d’anciens fonctionnaires français – Jean Leguay en 1979, Paul Touvier en 1981, Maurice

Papon en 1983, René Bousquet en 199142 – tendent à faire connaître les responsabilités et le

rôle du régime de Vichy dans les persécutions anti-juives, les rafles et les déportations.

L’histoire de la Shoah prend désormais une place spécifique dans l’histoire de la Seconde

Guerre mondiale : son enseignement est introduit dans les programmes officiels de

l’Education nationale, grâce notamment aux Fils et Filles des Déportés Juifs de France qui se

sont mobilisés pour un changement profond des manuels d’histoire de terminale. Ils ont en

effet œuvré pour que le contenu des manuels scolaires intègre la complicité active de Vichy.

Néanmoins, la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat français se fait attendre.

Le procès de Klaus Barbie, en 1987, marque un tournant, en agissant à la fois comme un

catalyseur et un accélérateur de la mémoire. En effet, il génère une dynamique nouvelle

d’appropriation politique, culturelle de la Shoah ; et coïncide avec les prémisses de

formalisation du « devoir de mémoire », l’impératif de la transmission aux jeunes

générations43. La mémoire de la Shoah entre dans une nouvelle phase à partir de 1990 : une

demande sociale forte, portée par les médias et les militants de la mémoire, se forge peu à

peu, fondée sur la conviction que le sort des Juifs de France durant la Seconde Guerre

mondiale est banni de la mémoire officielle.

41 Sur le négationnisme en France, voir l’ouvrage de Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Paris, Seuil, 2000, 691 p. 42 Jean Leguay fut délégué en zone occupée du secrétaire général de la Police, l’un des principaux négociateurs avec les Allemands de l’actions anti-juive de Vichy ; Maurice Papon fut quant à lui le Secrétaire général de la Gironde de 1942 à 1944, et responsable de l’arrestation de 1 690 Juifs ; René Bousquet a été le Secrétaire général de la Police, et l’un des responsables de la rafle du Vél’d’Hiv. 43 Floriane Schneider, op. cit., 2008, p. 47-48.

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Le début des années 1990 est traversé par une succession de commémorations et

surtout de polémiques, dont la cérémonie du cinquantième anniversaire, en 1992, de la rafle

du Vél’d’Hiv’ apparaît en point d’orgue44. L’année 1993 constitue une première étape dans la

construction d’une mémoire collective nationale de la Shoah. Un décret, signé par le président

de la République François Mitterrand, institue une « Journée nationale commémorative des

persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite “Gouvernement de

l’Etat français (1940-1944)” »45, qui est fixée au dimanche suivant le 16 juillet, anniversaire

de la rafle du Vélodrome d’Hiver. Ce décret répond au souhait exprimé par différents porte-

parole de la mémoire de la Shoah (Serge Klarsfeld, associations de la communauté juive,

Conseil représentatif des institutions juives de France etc.), mais sans aller jusqu’à la

reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat français dans les crimes perpétrés

contre les Juifs pendant l’Occupation. Il prévoit l’organisation d’une cérémonie officielle

annuelle à l’emplacement de l’ancien Vélodrome d’Hiver à Paris, ainsi que la tenue de

cérémonies analogues dans les chefs-lieux de chaque département français.

La mémoire de la Shoah est en passe de devenir une mémoire partagée par l’ensemble

de la communauté nationale. Cependant, elle n’est définitivement inscrite dans la mémoire

collective que deux ans plus tard. Le président de la République Jacques Chirac, alors

récemment élu, reconnaît, le 16 juillet 1995, la responsabilité et la complicité de l’Etat dans la

persécution et la déportation des Juifs de France46. Floriane Schneider souligne que cette

allocution présidentielle tend à préfigurer, dans les années suivantes, les grandes orientations

de la politique de la mémoire mise en œuvre par les pouvoirs publics47.

La reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat français s’accompagne d’une

réparation. Une mission d’étude sur les spoliations dont les Juifs de France ont été victimes

pendant la guerre est créée en 1997.

44 Serge Barcellini, « Sur deux journées nationales commémorant la déportation et les persécutions des années noires », Vingtième siècle – Revue d’histoire, volume 45, n°1, 1995, p. 76-98. Annette Wieviorka, « 1992. Réflexions sur une commémoration », Annales ESC, mai-juin 1993, n°3, p. 703-714. 45 Décret n° 93-150 du 3 février 1993, http://droit.org/jo/19930204/ACVX9310849D.html. 46 Allocution de Jacques Chirac prononcée lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942, dimanche 16 juillet 1995, http://www.elysee.fr/elysee/francais/interventions/discours_et_declarations/1995/juillet/allocution_de_m_jacques_chirac_president_de_la_republique_prononcee_lors_des_ceremonies_commemorant_la_grande_rafle_des_16_et_17_juillet_1942-paris.2503.html (consultée le 3 mai 2010). 47 Floriane Schneider, op. cit., 2008, p. 392.

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Cette mission, nommée « Mission Mattéoli » du nom de son président Jean Mattéoli, eut pour

objectifs « d’étudier les conditions dans lesquelles les biens immobiliers et mobiliers

appartenant aux Juifs de France ont été confisqués, ou d’une manière générale acquis par

fraude, violence ou vol, tant par l’occupant que par les autorités de Vichy entre 1940 et

1944 ». Ainsi, il revenait à la Mission Mattéoli d’évaluer l’ampleur des spoliations, les

« catégories de personnes physiques ou morales » qui auraient pu en profiter, d’identifier « la

localisation actuelle desdits biens ainsi que leur situation juridique », et d’inventorier dans la

mesure du possible « les biens accaparés sur le sol français qui seraient encore entre les mains

d’institutions ou d’autorités publiques, françaises ou étrangères »48. Cette reconnaissance et

cette réparation s’accompagnent d’un ancrage, d’une inscription de la Shoah dans l’espace

public. Ce phénomène vient consolider la profusion d’initiatives, de commémorations et de

manifestations opérées au cours de la même décennie (années 1990). Les lieux, les sites en

rapport avec le souvenir de l’extermination des Juifs d’Europe, qui étaient jusqu’alors quelque

peu oubliés, sont ainsi (re)découverts.

B. La patrimonialisation de la Shoah

Les lieux relatifs à l’internement et à la persécution des Juifs de France ont subi une

profonde évolution depuis une vingtaine d’années, bénéficiant d’un essor particulier, d’une

certaine reconnaissance49. Ils sont devenus un patrimoine qu’il convient de sauvegarder, et de

mettre en valeur. La patrimonialisation des lieux de mémoire de la Shoah en France résulte

d’un long et lent processus. Elle s’inscrit dans la difficile marche de la mémoire collective.

L’analyse de la manière dont les différents lieux de mémoire français liés à la Seconde Guerre

mondiale ont été préservés, aménagés ou au contraire, délaissés voire oubliés, tend à montrer

à quel point leur mise en valeur, leur reconnaissance patrimoniale sont conditionnées par la

distance prise par la société avec l’Histoire et par des choix politiques assumés ou non50.

48 Le travail de la Mission Mattéoli a fait l’objet d’un rapport, Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France : Rapport général, Paris, La Documentation française, 2000, 205 p. 49 Olivier Lalieu, « Mémoire de la Shoah. L’action du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) », Tourisme de mémoire, Cahier espace n° 80, Editions Espaces Tourisme et Loisirs, décembre 2003, p. 27-31. 50 Anne Bourgon, « L’évolution des lieux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale », Les Chemins de la Mémoire, Paris, Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives, ministère de la Défense, n° 189, décembre 2008, p. 7-10.

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23

1) Des traces aux marques

a) Appropriation et réinvestissement

Le souvenir des lieux du génocide et le travail de mémoire réalisé autour de leur

histoire se sont construits selon des chronologies particulières. Les lieux – ou traces de ce qui

subsiste – furent plus ou moins réinvestis. Aussi, on assiste à la mise en place d’une mise en

mémoire précoce sur certains lieux, dès la fin de la guerre. Le souvenir de la déportation et du

génocide juif a été inscrit très tôt, dans différents pays. Il fut d’abord porté par une mémoire

individuelle et/ou locale. C’est ainsi que dès le mois de mai 1946, les associations de

survivants et les municipalités de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande organisèrent une

cérémonie en mémoire des plus de 16 000 Juifs internés dans les camps du Loiret, avant

même l’érection de mémoriaux51. Une commémoration locale se tint de même à Izieu (Ain)

en avril 1946, en mémoire de la rafle du 6 avril 1944, sous l’impulsion des acteurs de la

colonie d’Izieu – rescapés et survivants – et la population locale52. Il n’y eut certes à cette

époque aucun écho national, mais il faut savoir que ces cérémonies furent relayées par les

presses locales : les articles parus participèrent à la formation d’une mémoire commune,

partagée non seulement par les survivants, les associations mais aussi par les populations.

La commémoration apparut dès lors comme une modalité privilégiée de la mise en

place du souvenir, de la mise en mémoire. La commémoration, du latin commemoratio qui

signifie mémoire, marque le souvenir d’une personne, d’un évènement. Il s’agit véritablement

de rendre hommage, de mentionner et de rappeler la mémoire de personnes disparues, selon

un rite particulier. Elle est, selon Joël Candau, un dispositif qui permet l’organisation des

mémoires et la construction identitaire par le repérage dans le temps53. Aussi, la

commémoration a besoin pour « avoir lieu » de s’inscrire dans une dimension spatiale. Elle

suppose donc la création d’espaces spécifiques, de repères visuels, de supports qui permettent

de se souvenir, de d’inscrire la mémoire des hommes et des évènements dans le temps.

51 Entretien avec Nathalie Grenon, directrice du Centre d’Etude et de Recherche sur les Camps d’internement dans le Loiret et la déportation juive (Cercil), Orléans, le 18 mars 2010. Ce travail de mémoire quant aux camps d’internement du Loiret a fait l’objet d’une récente exposition itinérante, intitulée Les commémorations à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande de 1946 à nos jours. Réalisée par le Cercil, avec le soutien de la mairie de Pithiviers, l’exposition présentait un ensemble d’articles parus dans la presse locale et régionale depuis la fin de la guerre jusqu’à nos jours. 52 Voir page 84. 53 Joël Candau, Mémoire et identité, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, 225 p.

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b) Marquage de l’espace

Des mémoriaux, des stèles, des plaques furent ainsi érigés et apposés sur les lieux

même où de la persécution anti-juive, voire parfois à des milliers de kilomètres, mais

également dans les cimetières et synagogues54. Ceux qui avaient survécu à la Shoah eurent à

cœur de rendre hommage, de marquer dans la pierre, dans l’espace, le souvenir des disparus.

Les études menées sur le sujet – en particulier les travaux de James Edward Young55 –

montrent que ces monuments commémoratifs sont aujourd’hui extrêmement nombreux et

présentent la plus grande diversité, au niveau des « commanditaires », du support matériel

etc56. Ce réinvestissement des lieux par la commémoration a beaucoup à voir avec le culte des

morts, qui est au fondement même du travail de mémoire. Pour Vincent Veschambre, cette

inscription mémorielle dans l’espace renvoie en premier lieu à la matérialisation et à la

localisation des morts57. La Shoah fait ainsi l’objet, dans les années d’après-guerre, d’érection

de mémoriaux hors les lieux ayant abrité les évènements eux-mêmes. A commencer par le

Tombeau-Mémorial du martyr juif inconnu, inauguré à Paris en 1956.

54 Serge Barcellini et Annette Wieviorka, Passant, souviens-toi ! Les lieux du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en France, Paris, Plon, 1995, 523 p. ; voir également l’article de Nicolas Weill et d’Annette Wieviorka, « La construction de la mémoire de la Shoah : les cas français et israélien », op. cit., 1994. 55 James Edward Young, The texture of memory : Holocaust memorials and meaning, New Haven et Londres, Yale University Press, 1993, 398 p. 56 Anne Grynberg, « Du mémorial au musée, comment tenter de représenter la Shoah ? », De l’horreur à ses représentations, Les Cahiers de la Shoah, n° 7, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 111-167. 57 Vincent Veschambre, « Faire mémoire des camps : trouver des traces et produire des mémoriaux », op.cit., 2008, p. 193-194.

Figure 1 : Pose de la première pierre du Mémorial du martyr juif inconnu, Paris, 27 mai 1953

© Centre de Documentation Juive

Contemporaine/

Mémorial de la Shoah

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Construit sur l’initiative d’Isaac Schneersohn, un des fondateurs du Centre de Documentation

Juive Contemporaine (CDJC), ce mémorial fut jusqu’au début des années 1960 le seul dans le

monde situé dans un espace public. Son érection marque l’amorce d’une évolution de la

mémoire du génocide juif, et de sa transmission. Annette Wieviorka revient sur la genèse de

construction du Mémorial du martyr juif inconnu, et sur les motivations de son initiateur :

« Isaac Schneersohn avait compris que l’écrit ne suffisait pas à assurer la pérennité de la

mémoire. Frappé par l’exemple du tombeau du soldat inconnu de l’Arc de Triomphe et par le

culte des morts de la Grande Guerre qu’il avait sécrété, il avait constaté que la mémoire était

mieux servie par le rite que par la chronique 58». Ce tombeau – qui ne deviendra mémorial

qu’en 1974 – est pensé comme devant regrouper dans le même bâtiment les cendres des morts

des ghettos et des camps d’extermination, le CDJC, une salle de conférence, une exposition

permanente. Comme le souligne Annette Wieviorka, tout cela est aujourd’hui d’une banalité

absolue : archives, bibliothèque, mémorial, exposition sont en effet les composants de tous les

musées-mémoriaux qui concernent la Shoah, mais aussi de nombreux autres évènements

historiques. Ces mémoriaux constituent de fait un support matériel privilégié de la

revendication mémorielle voire identitaire. L’érection du Mémorial du martyr juif inconnu ne

fut pas sans polémique : les oppositions furent nombreuses du début 1951, lorsque le projet

fut rendu public, jusqu’à son inauguration en 1956. La pose de la première pierre en mai 1953

(fig.1) suscita un débat en Israël : le parlement israélien, la Knesset, estimait que « Jérusalem

était le seul endroit approprié pour la construction du Mémorial des victimes du nazisme 59».

Aussi, une loi votée en août 1953, « loi sur le souvenir des héros et des martyrs », créa Yad

Vashem, voulu comme une « autorité du souvenir », un lieu central de mémoire, de recherche,

d’éducation et d’enseignement de la Shoah. Les mémoriaux dédiés spécifiquement au

souvenir du génocide juif sont restés peu nombreux dans le monde jusqu’à une période

récente, et l’affirmation d’une mémoire juive de la Seconde Guerre mondiale.

58 Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Paris, Hachette Littératures, 2002, p. 74-75. Voir également son article, « Du CDJC au Mémorial de la Shoah », in « Génocides. Lieux (et non-lieux) de mémoire », Revue d'histoire de la Shoah - Le Monde juif, Paris, CDJC, n° 181, juillet-décembre 2004, p. 11-36. 59 Ibid.

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Les marques du souvenir des camps d’internement français n’ont pas été, quant à elles,

immédiates après la guerre, sans doute en raison de la multiplicité et de la juxtaposition des

mémoires. En effet, certains camps d’internement reçurent, simultanément ou successivement,

plusieurs catégories d’internés (communistes, ressortissants des « pays ennemis », Tziganes,

réfugiés espagnols etc.). Serge Barcellini et Annette Wieviorka soulignent que le souvenir du

génocide juif y est assez tardif : il faut en effet attendre les années 1980 pour voir se

multiplier l’érection de stèles ou l’apposition de plaques. Il y a cependant des spécificités : des

monuments commémoratifs de l’internement et de la déportation des familles juives sont

inaugurés à Beaune-la-Rolande et à Pithiviers à la fin des années 1950 – début des années

1960, à l’initiative des associations locales des anciens internés et déportés, sur

l’emplacement des anciens camps d’internement60. L’idée d’implanter un monument est

également présente dès l’après-guerre à Drancy. Porté à la fin des années 1950 par

l’Association des anciens déportés juifs de France, puis repris à son compte par la

municipalité quelques années plus tard, le projet est concrétisé dans les années 1970. Un

ensemble sculptural, réalisé par Shelomo Selinger, fut ainsi inauguré en mai 197661.

60 Ces monuments seront remplacés par la suite par d’autres, plus imposants. 61 Voir la conférence de Vincent Guigueno, La Shoah, entre mémoire et patrimoine culturel : le cas de la Cité de la Muette (Drancy), cours public filmé « Patrimoine et Identités », Université de Rennes 2, lundi 3 décembre 2007, http://www.uhb.fr/webtv/appel_film.php?lienFilm=268 (visionnée le 15 mai 2009).

Figure 2 : Monument aux déportés sculpté par Shelomo Selinger, Cité de la Muette, Drancy Sources : photographie de Miche Laffitte

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Cette inscription du souvenir dans les lieux contribue évidemment à la construction

mémorielle de la Shoah. La mémoire a, selon Maurice Halbwachs, besoin de repères matériels

pour se fixer, se construire et se transmettre. A contrario, l’effacement, la destruction de

traces matérielles expriment une tabula rasa, « la tentation de tirer un trait sur ce qui renvoie

à des souvenirs douloureux 62», une volonté de falsifier, d’occulter la mémoire, de construire

une non-mémoire. La production de monuments et la mise en espace contribuent donc à la

visibilité, cette matérialité dont la société, les individus ont besoin pour le travail de deuil, et

le partage de la mémoire. « Lieux du souvenir », les lieux attachés à la Shoah tendent à

devenir, depuis ces dernières années, non sans disparités toutefois, des « lieux de mémoire ».

2) Des lieux du souvenir aux lieux de mémoire

a) La notion de lieux de mémoire

Le concept des « lieux de mémoire » a été forgé par l’historien Pierre Nora, il y a plus

d’une vingtaine d’années63. Le « lieu de mémoire » fut défini précisément – et repris par la

suite dans l’édition du Grand Robert de la Langue Française – comme « unité significative,

d’ordre matériel ou idéel, dont la volonté des hommes ou le travail du temps a fait un élément

symbolique d’une quelconque communauté 64». Pour Pierre Nora, les « lieux de mémoire »

ont d’abord un sens métaphorique, ils ne désignent pas a priori des espaces mais bien souvent

des symboles (emblèmes, formules, devises…), des institutions (le Tour de France, la

Coupole…). Il apparaît, au regard des différentes lectures faites, que la notion s’est par la

suite matérialisée et spatialisée. Assimilés à des édifices, des sites, les lieux de mémoire sont

devenus le support de commémorations, des lieux où s’est cristallisée et s’est réfugiée une

mémoire collective. Rappel d’évènements importants, ils sont surtout les constructions au

présent d’un regard sur le passé : en effet, ils représentent des choix et des volontés politiques

de faire mémoire autour de certains lieux et évènements historiques. En outre, l’acceptation

beaucoup plus matérielle et spatialisée des lieux de mémoire doit être replacée dans un

contexte, celui d’un rapprochement affirmé entre les notions de mémoire et de patrimoine.

62 Vincent Veschambre, op. cit., 2008, p. 94. 63 Pierre NORA, Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 7 volumes, 1984-1992, 4751 p. 64 Définition citée dans l’ouvrage de Serge Barcellini et Annette Wieviorka, Passant, souviens-toi ! Les lieux du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en France, Paris, Plon, 1995, p. 7.

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Les « lieux de mémoire » se sont ainsi retrouvés élargis au champ patrimonial. C’est

au tout début des années 1980 que le mot patrimoine a commencé à se diffuser plus largement

dans la société – dans un sens autre que celui des juristes ou des gestionnaires – supplantant

par là même la notion de monument historique, héritée du XIXe siècle. Le renouvellement du

mot patrimoine s’accompagne d’une véritable mutation du regard, d’une nouvelle manière de

voir et d’appréhender l’espace. Le champ patrimonial s’élargit, à la fois sur le plan

typologique, chronologique et géographique : de l’église au jardin, des antiquités au

patrimoine du XXe siècle, du monument isolé au paysage. On assiste dès lors à l’émergence

de « nouveaux patrimoines », baptisés ainsi parce que différents de la conception

traditionnelle du monument comme œuvre majeure. La protection au titre des Monuments

historiques s’ouvre à des éléments témoignant de l’histoire de la vie urbaine (boutiques, cafés,

restaurants, théâtres, cinémas, kiosques à musique,…) ; de la mémoire industrielle,

scientifique et technique (usines, gares, instruments,…) ; de l’architecture vernaculaire

(pigeonniers, lavoirs, moulins,…). La conception du patrimoine passe donc d’une vision

classique, esthétisante, du type histoire de l’art à une vision beaucoup plus ethnologique, voire

sociologique.

La notion des lieux de mémoire a nourri un certain nombre de protections au titre des

Monuments historiques65. Des lieux furent en effet protégés en tant que lieux témoins du

caractère et du mode de vie d’hommes et de femmes illustres appartenant à l’histoire

nationale (maisons natales de Jeanne d’Arc et de Napoléon…), de l’univers dans lequel des

artistes ont vécu, écrit et créé (maisons d’écrivains, ateliers, cafés…)66. D’autres lieux ont été

protégés du fait de l’importance historique, souvent tragique, des évènements qui s’y sont

déroulés : le mur des Fédérés au cimetière du Père Lachaise, quelques champs de bataille de

la Première Guerre mondiale67, les ruines du village d’Oradour-sur-Glane, etc.

65 La question de la protection des lieux de mémoire a fait l’objet d’une intervention de Marie-Anne Sire, inspecteur général des Monuments historiques, lors d’un colloque auquel j’ai assisté en juin 2009, « La protection des lieux et des objets de mémoire au titre des monuments historiques : sa force et ses ambiguïtés », Lieux de mémoire, musée(s) d’histoire(s), Rencontres Européennes du Patrimoine, Paris, Institut National de l’Histoire de l’Art – Cité de l’Architecture et du Patrimoine, 18 et 19 juin 2009. 66 Il faut préciser néanmoins que la protection est large, voire ambiguë. Marie-Anne Sire estime en effet qu’elle n’a pas été forcément pertinente dans certains cas : des lieux anecdotiques (hôtel du Nord, château d’If…) ont été protégés au titre de lieux de mémoire. 67 Il faut savoir que les premières protections au titre de la loi de 1913 sur les Monuments historiques concernent des lieux de mémoire de la Grande Guerre. Le premier Monument historique du XXe siècle classé est ainsi la plate-forme de tir d’artillerie de Zillisheim (Haut-Rhin).

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Ce patrimoine des faits de guerre et des conflits constitue des marques visibles mais aussi

intangibles d’une histoire et d’une mémoire dont nous sommes aujourd’hui les héritiers.

Appréhender ce type de patrimoine est loin d’être évident, tant du point de vue de la

conservation que de la valorisation. En effet, quel sens donnons-nous au souvenir des

conflits ? Quels aspects patrimoniaux doivent en être conservés ? Doivent-ils être reconnus

comme patrimoine commun de l’humanité ? Comment ces lieux doivent-ils être assumés et

vécus ? 68. Comme le souligne Etienne Poncelet, la réflexion sur le degré de conservation des

dégâts, des vestiges, des traces des guerres est un débat qui reste ouvert. Les réponses

semblent dépendre de la mémoire que les lieux véhiculent encore et de notre sensibilité.

La conservation des lieux de mémoire liés aux guerres implique de s’interroger sur les

questions de la « restauration », de l’authenticité. Faut-il laisser ces lieux en l’état, et dès lors

sacraliser les traces ? Ou bien au contraire agir, ne pas laisser se dégrader les vestiges et donc

réhabiliter la matérialité, réinvestir les traces ? De fait, comment conserver dans le temps les

preuves matérielles de l’horreur ? Comment laisser « intacts » pour les générations à venir ces

supports matériels de la mémoire ? Toutes ces questions sont évidemment complexes, les avis

divergent. Françoise Choay estime, par exemple, que les camps d’extermination ne sont en

aucun cas des monuments, mais des « reliques », des lieux sacrés qu’il ne faut pas

muséifier69 : « La charge traumatique et affective de ces lieux, simplement encadrés,

circonscrits et ainsi désignés à la piété des générations survivantes, tient à leur nature même

de témoins, de reliques. Le travail de mémoire n’y est possible qu’à condition d’en exclure

toute fonction utilitaire et quotidienne. (…) On n’habite pas Auschwitz. On vient s’y

recueillir 70». Marie-Anne Sire, en évoquant l’exemple d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne),

parle de « cas de conscience permanent » pour les conservateurs quant à la préservation des

traces de la barbarie, des massacres, des génocides. L’idée de conserver en l’état les ruines du

village martyr est pratiquement contemporaine des évènements71. L’ancien village fut classé

au titre des monuments historiques par une procédure tout à fait exceptionnelle (loi du 10 mai

1946), après la visite du Général de Gaulle.

68 Etienne Poncelet, « Mémoires de guerre », La mémoire des lieux : préserver le sens et les valeurs immatérielles des monuments et des sites, Paris, ICOMOS, 2005, p. 181-188, (consulté le 27 juillet 2009), http://www.international.icomos.org/victoriafalls2003/papers/B1-6-Poncelet+photos.pdf. 69 Propos d’Alain Sinou, lors de la conférence « Résilience et Patrimoine de l’inhumanité » (à laquelle j’ai assistée) organisée dans le cadre d’un séminaire de l’Ecole Normale Supérieure, Paris, 11 février 2010. 70 Françoise Choay, « Drancy : le culte patrimonial », Urbanisme, n° 325, Paris, juillet-août 2002, p. 90-92. 71 Oradour-sur-Glane représente l’un des massacres les plus marquants de la Seconde Guerre mondiale. 642 personnes (hommes, femmes et enfants) furent tuées et brûlées le 10 juin 1944 par la division SS « Das Reich ».

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Aussi, ce classement ne répondait pas aux critères traditionnels de la protection : en effet, il

s’agissait de « témoigner au monde entier, à travers le temps, des destructions accumulées sur

notre territoire par quatre années d’oppression et de violence 72». Cette patrimonialisation des

traces s’inscrit dans une démarche à la fois de mise en mémoire des victimes et de témoignage

pour l’avenir, qui semble s’imposer aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale.

Le caractère visible et tangible apparaît dès lors très important pour les acteurs de la mémoire

et du patrimoine. Marie-Anne Sire estime que « le lieu de mémoire [tel qu’Oradour-sur-

Glane] doit être renouvelé matériellement pour qu’il parle toujours de la même histoire ; qu’il

est un lieu qu’il faut “faire vivre” sans cesse ».

Cette problématique de la préservation se pose sans doute d’autant plus pour les lieux

de la déshumanisation, les camps d’extermination. Le principe de conserver les camps

d’Auschwitz-Birkenau en l’état a été affirmé très tôt par les responsables du site. Le complexe

protégé s’étend sur 191 hectares – soit 5 % de la surface totale des 4 000 hectares de l’ancien

camp administré par les autorités SS –, et compte à peu près 150 bâtiments et environ 300

bâtiments en ruine, dont les chambres à gaz détruites par les Allemands en novembre 194473.

Les risques de dégradation du lieu – manque d’entretien, vandalisme etc. – sont pris en

compte dès les années 1960, avec la mise en place d’une surveillance. Mais ce n’est qu’à

partir des années 1980 et surtout au début des années 1990 que le site d’Auschwitz-Birkenau

fait l’objet d’un entretien, d’une restauration et d’une mise en valeur des traces : des bâtiments

sont restaurés, des barbelés remplacés. La conservation d’Auschwitz-Birkenau reste

aujourd’hui plus que jamais d’actualité : des bâtiments en briques, des baraques en bois

menacent en effet de s’effondrer, les archives et les objets de disparaître. L’Etat polonais ne

peut désormais plus faire face aux frais qu’entraînent l’entretien et la préservation permanente

du lieu, le budget annuel du musée ne suffisant plus. De nombreux acteurs (tels Simone Veil,

Serge Klarsfeld) ainsi que le gouvernement polonais se mobilisent afin d’alerter l’opinion

internationale, de recueillir des fonds destinés à financer la sauvegarde à long terme du

camp74. Un appel aux dons a été lancé en 2009 à destination des pays européens, pour récolter

la somme de 120 millions d’euros nécessaire à la restauration et à l’entretien global du site75.

72 Bernard Toulier, Architecture et patrimoine du XXe siècle en France, Paris, Editions du Patrimoine, 1999, p. 228. Cité par Vincent Veschambre, op. cit., 2008, p. 193. 73 Franciszek Piper, « Auschwitz-Birkenau : lieu de mémoire et musée », », in « Génocides. Lieux (et non-lieux) de mémoire », op. cit., juillet-décembre 2004, p. 145-155. 74 Voir les différents articles de presse, « Auschwitz, la course contre le temps », Journal du Dimanche, 23 janvier 2010, http://www.lejdd.fr/International/Actualite/Auschwitz-la-course-contre-le-temps-166968/ (consulté le 19 avril 2010) ; « 65 ans après sa libération, comment préserver le camp d’Auschwitz-Birkenau ? », Le

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La conservation des lieux de mémoire liés à des évènements tragiques constitue donc

un véritable enjeu. Comme l’explique le président de la Fondation Auschwitz-Birkenau,

Wladyslaw Bartoszewski : « [Si des mesures indispensables ne sont pas prises pour la

préservation], le lieu de mémoire cessera d’exister comme cimetière, témoignage, monument

et avertissement pour les générations futures. La génération des déportés arrive à la fin de sa

vie. Il faut protéger le seul camp inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco76. C’est une

obligation vis-à-vis de ceux qui partent77 ». La patrimonialisation – mise en mémoire – des

lieux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale n’a cependant pas toujours été immédiate et

consensuelle. Il y a souvent eu un temps d’occultation avant que la mémoire ne puisse se

partager. La reconnaissance patrimoniale des lieux attachés à la Shoah est assez récente en

France, et résulte d’une longue et difficile marche de la Mémoire. Il faut en effet attendre près

de soixante ans, c’est-à-dire les années 1990-2000, pour que des mesures de protection soient

décidées.

b) Une difficile reconnaissance des lieux liés à la Shoah

Les camps d’internement et les lieux de la déportation des Juifs en France n’ont pas eu

valeur de lieux de mémoire pendant longtemps, ou du moins ne semblaient pas relever de la

catégorie « lieux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale » que la France s’était choisis78.

Témoins d’une histoire ambiguë, difficile à assumer, les principaux camps d’internement et

de déportation français ont eu une destinée très diverse dans les années d’après-guerre.

Certains furent ré-occupés, réutilisés, tels Drancy, Les Milles, Rivesaltes ; d’autres

disparurent tout simplement, tels Gurs, etc.

Monde, 28 janvier 2010, http://www.lemonde.fr/europe/article/2010/01/28/65-ans-apres-sa-liberation-comment-preserver-le-camp-d-auschwitz-birkenau_1298019_3214.html (consulté le 19 avril 2010) ; 75 Voir « Appel aux dons pour la préservation d’Auschwitz », Le Point, 27 février 2009, http://www.lepoint.fr/actualites/2009-02-27/appel-aux-dons-pour-la-preservation-d-auschwitz/1037/0/321260, (consulté le 19 avril 2010) ; « Auschwitz, une mémoire à sauver », Le Figaro, 4 mars 2009, http://www.lefigaro.fr/international/2009/03/02/01003-20090302ARTFIG00339-auschwitz-une-memoire-a-sauver-.php (consulté le 19 avril 2010). 76 Le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau est inscrit sur la liste du Patrimoine mondial depuis 1979. Voir le site Internet du Centre du Patrimoine mondial de l’Unesco, http://whc.unesco.org/fr/list/31/ ( reconsulté le 19 avril 2010). 77 Voir l’article du Journal du Dimanche cité ci-dessus. 78 Anne Gyrnberg, Les Camps de la honte. Les internés juifs des camps français (1939-1944), Paris, La Découverte, 1991, p. 10. En outre, il faut préciser que cette difficile mémoire des lieux d’internement français ne concerne pas les seuls Juifs, mais également d’autres catégories d’internés, les Tsiganes. A ce sujet, voir notamment l’article d’Emmanuel Filhol, « Des non lieux de mémoire, ou presque, pour les Tsiganes », in « Génocides. Lieux (et non-lieux) de mémoire », op. cit., juillet-décembre 2004, p. 231-260.

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Il y eut une volonté globale d’oublier, de normaliser ces lieux et donc d’effacer les traces

matérielles79. Olivier Lalieu – responsable de l’aménagement des lieux de mémoire et des

projets externes au Mémorial de la Shoah – estime qu’il s’agissait pour l’essentiel d’une

volonté pragmatique de réutilisation de terrains80. En outre, les traces matérielles n’étaient

pas, dans cette période d’après-guerre, considérées comme importantes : le souvenir ne

s’ancrait, semble-t-il, pas nécessairement dans la matérialité. Les baraques des camps de

Beaune-la-Rolande et de Pithiviers n’ont ainsi pas été conservées : cette décision de non-

conservation fut prise par les mairies de Beaune-la-Rolande et Pithiviers, en concertation avec

les associations locales juives81.

Plusieurs explications complémentaires peuvent être avancées quant aux raisons de

cette difficile reconnaissance mémorielle des anciens lieux d’internement et de la

déportation82. La première tient à leur nature complexe : en effet, l’internement a concerné,

d’après les travaux de Denis Peschanski, historien et chercheur au CNRS, environ 600 000

personnes. Des réfugiés espagnols, des étrangers dits « indésirables », des ressortissants des

puissances ennemies (Allemands, Autrichiens), des Juifs, des Tziganes etc. : autant

d’individus et de catégories différentes, dont le destin dans les camps est loin d’être uniforme,

est loin de ne présenter que des similitudes83. Ces lieux représentent pour les victimes juives

l’antichambre de la déportation, et pour l’immense majorité d’entre elles, de la mort.

Cette juxtaposition de mémoires constitue évidemment une problématique importante, qui

doit être prise en considération dans les projets d’aménagement et de valorisation qui se

dessinent et se concrétisent à l’heure actuelle. En outre, l’histoire des camps d’internement est

une histoire peu glorieuse pour la mémoire nationale, pour la France, « pays des Droits de

l’Homme ». En effet, nés pour la plupart sous la IIIe République, les camps sont l’expression

d’un système coercitif.

79 On verra cependant que l’absence de traces n’est, en réalité, pas totale : il en existe, aussi rares soient-elles. 80 Entretien avec Olivier Lalieu, Paris, le 19 mars 2010. 81 Entretien avec Nathalie Grenon, Orléans, le 18 mars 2010. 82 Olivier Lalieu, « La difficile mémoire des lieux d’internement en France », in « Génocides. Lieux (et non-lieux) de mémoire », op.cit., juillet-décembre 2004, p. 177-190. 83 L’histoire des camps d’internement français a fait l’objet d’une relecture historiographique depuis le début des années 1990. On peut citer le travail pionnier d’Anne Grynberg, et également les travaux de Denis Peschanski, La France des camps. L’internement, 1938-1946, Paris, Gallimard, 2002, 549 p. Cet ouvrage est la publication de sa thèse d’Etat soutenue en 2000 à l’Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, qui est disponible à l’adresse suivante, http://tel.archives-ouvertes.fr/doc/00/36/25/23/PDF/DenisPeschanski_2000_TEL_TheseEtat.pdf (consultée le 10 juin 2009).

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De fait, ils témoignent d’une politique conduite par des gouvernements successifs, qui

inscrivirent le recours à l’internement dans des logiques distinctes, entre 1938 et 1946 : une

« logique d’exception » (sous la IIIe République et à la Libération) et une « logique de

contrôle et d’exclusion » sous le régime de Vichy84.

Par ailleurs, la difficile reconnaissance des lieux de mémoire de la Shoah s’explique

par le relatif silence qui entoure, pendant plusieurs décennies, les « années noires » de

l’Occupation – la collaboration de Vichy – et la déportation juive. Comme nous l’avons vu

dans la partie précédente, la mémoire de la déportation est, jusque dans les années 1980,

largement dominée par celle des déportés de la Résistance. Aussi, le camp de Natzweiler-

Struthof (Bas-Rhin) représente l’archétype du lieu de mémoire français de la Seconde Guerre

mondiale, avec le village martyr d’Oradour-sur-Glane. « Lieu du martyre des déportés

politiques sur le sol de France », il fut « patrimonialisé » dès la fin de la guerre.

Inscrit à l’Inventaire des Monuments historiques en 1947, puis classé en août 1951, le camp

de Natzweiler-Struthof fut par la suite aménagé entre 1951 et 1960, avec l’érection d’un

mémorial et d’une nécropole nationale pour les déportés français. Anne Bourgon – architecte-

urbaniste de l’Etat, chargée de mission au projet de réhabilitation de l’ancienne gare de

déportation de Bobigny – souligne que ces procédures de protection (le village d’Oradour et

le camp de Natzweiler-Struthof) permettaient, dans cette période d’après-guerre de

réconciliation et d’unité nationale, « de désigner deux lieux symboles du martyrologue de la

France occupée et de [surtout] mettre en avant la responsabilité des autorités allemandes »85.

La France était alors plus prompte à reconnaître les torts de l’ennemi que les siens. Ce silence

national vis-à-vis de l’internement est aussi un silence local. Il peut sans doute s’expliquer par

des raisons, des hypothèses diverses : déni psychologique, ignorance réelle ou occultation

volontaire des populations locales etc. Les camps n’étaient pas des lieux totalement

déconnectés mais des lieux ancrés dans leur environnement. La construction des camps, leur

approvisionnement et leur entretien bénéficièrent à une économie régionale. Les plaies sont

restées vives, les mémoires locales ont oscillé entre culpabilité latente et ignorance pendant de

très nombreuses années86.

84 Denis Peschanski, Les lieux sans mémoire et la mémoire sans lieux, Colloque « Mémoire des lieux – lieux de mémoire » organisé par Traverses92 [Rencontres départementales de l’Education, des arts, de la culture et du territoire], 2005, http://www.traverses92.ac-versailles.fr/traverses06/synthese_pdf/Coll.F_Peschanski.pdf (consulté le 13 février 2010). 85 Anne Bourgon, op. cit., 2008, p. 7-8. 86 Olivier Lalieu, op. cit., 2004, p. 182. Par ailleurs, cette difficulté fut aussi soulignée par Rémy Knafou lors d’un entretien, à propos du camp des Milles.

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De lieux du souvenir du martyr juif, les lieux attachés à la persécution et à la

déportation des Juifs ont évolué peu à peu en lieux de mémoire inscrits dans une mémoire

collective nationale. Une étape importante dans la reconnaissance de l’intérêt historique de

ces lieux est la protection officielle des sites et des bâtiments. En France, le classement au

titre des Monuments historiques ou l’inscription à l’Inventaire supplémentaire constitue une

mesure d’utilité publique qui vise à protéger un édifice remarquable du fait de son histoire ou

de son architecture. La base de données Mérimée, créée par le ministère de la Culture, recense

et documente les édifices français protégés. L’interrogation de cette base montre que quelques

uns des lieux d’internement et de déportation – en réalité cinq – ont été reconnus

« monuments historiques » :

- le camp de Natzweiler-Struthof (inscription en 1947, classement en 1950-1951),

- l’ancienne tuilerie des Milles (classement en 1993, inscription en 2004),

- le camp de Rivesaltes (inscription en 2000),

- le camp de Drancy (classement en 2001-2002),

- le camp de Voves (inscrit en 2004)87

Il faut également ajouter, à cette liste de sites protégés, des lieux du souvenir liés au génocide,

tels la Maison dite des enfants d’Izieu, inscrite en 1991.

La patrimonialisation des lieux de mémoire de la Shoah n’est pas sans polémique,

comme l’atteste le vif débat qui s’est déroulé – notamment dans la presse – lors du classement

de la Cité de la Muette, de Drancy, au titre des Monuments historiques. Réalisation, conçue

dans les années 1930 par les architectes Marcel Lods et Eugène Beaudouin, et considérée

comme le premier grand ensemble de France, la Cité a servi, durant la Seconde Guerre

mondiale, de camp d’internement et de transit des Juifs de France vers les camps

d’extermination88. La nature de la Cité de la Muette est donc double : « œuvre architecturale

et urbanistique majeure du XXe siècle » – distinction remise en cause par certains spécialistes

du patrimoine – et lieu de mémoire d’importance. La patrimonialisation du site est également

rendue complexe par le fait qu’il est un lieu de vie locale, habité : en effet, la Cité retrouva sa

fonction initiale dès 1948, dans un contexte de forte pénurie de logements.

87 Sources Base Mérimée du ministère de la Culture et de la Communication (consultée le 10 juin 2009, et de nouveau le 22 janvier 2010). Les notices, plus ou moins précises, de chacun de ces lieux retracent un bref historique montrant l’intérêt et la justification de leur protection. 88 Près de 83 % des 76 000 Juifs déportés de France, personnes isolées ou familles entières, passèrent par Drancy, quelques mois ou quelques jours.

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Le classement de la Cité – portant sur les façades et toitures, les escaliers, les caves, le tunnel

d’évasion et le sol de la cour – résulte de l’intervention des pouvoirs publics en réponse à une

polémique sur le remplacement des menuiseries originelles de Jean Prouvé par des

menuiseries en PVC89. En effet, il s’agissait pour le ministère de la Culture d’arrêter les

travaux réhabilitation des logements jugés incompatibles avec la préservation du caractère

architecturale de la Cité. Cette procédure a surtout été interprétée comme un acte symbolique

de reconnaissance de ce que furent la déportation, la collaboration et le génocide juif.

La protection du lieu incarne pour certains une muséification abusive, un excès du

culte patrimonial, à commencer par Françoise Choay. Cette dernière, dans un article publié

dans la revue Urbanisme, posait le problème en ces termes : « Il est temps que cesse

l’amalgame entre patrimoine historique et lieux de mémoire. (…) Il est temps aussi de

s’interroger sur l’actuelle bureaucratisation culturelle de notre pays. De se demander

comment, par qui et au nom de quelle légitimité, sont prises unilatéralement, sans

concertation avec le patrimoine vivant que constituent les habitants, des décisions de

classement susceptibles de transformer des huisseries pourries en monument historique et de

bloquer l’évolution d’un site et d’une communauté 90». Pour Henry Rousso, ce classement se

rattache d’une demande sociale croissante en matière de transmission de la mémoire.

Il s’interroge de fait sur la matérialisation de valeurs immatérielles, la mémoire et la

conservation des lieux de guerre : « On assiste en Europe, ces dernières années, à une

patrimonialisation du crime et à la constitution d’une mémoire négative (…), où tout lieu lié à

l’histoire traumatique du siècle ne pouvait s’incarner que dans la dimension matérielle,

patrimoniale et non plus dans le registre symbolique. C’est le cas de Drancy : il aurait été

regrettable de raser la Cité de la Muette, mais l’aurait-on fait que cela n’aurait pas forcément

entraîné une déficience de mémoire 91». Anne Bourgon préfère non pas parler d’excès de

patrimonialisation, mais d’un déficit de réflexion quant à la transmission d’un drame à travers

le patrimoine bâti92.

89 Sur le classement de la Cité de la Muette, voir le projet de fin d’études d’Anne Bourgon, Drancy : une affaire classée ?, Ecole nationale des Ponts et Chaussées/ Centre des Hautes Etudes de Chaillot, mars 2002. 90 Françoise Choay, op. cit., 2002, p. 90-92. 91 Cité par Anne Bourgon. Henry Rousso, « Le patrimoine, indice du rapport de la société à l’histoire », paru dans le journal Le Monde, le 27 novembre 2001. 92 Anne Bourgon, op. cit., 2008.

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Le cas particulier du camp de Drancy reflète les enjeux de conservation de la mémoire d’un

évènement qui n’est plus, de la préservation de valeurs immatérielles fortes, qui se rattachent

ici à la souffrance, au tragique. Penser et appréhender ce type de patrimoine est difficile pour

les acteurs concernés (restaurateurs, conservateurs, architectes…). Il apparaît sans doute plus

évident de définir la matérialité d’un édifice que sa valeur mémoriale et symbolique, plus

simple de conserver un château ou une église que de protéger un espace de mémoire, trace

matériel d’un évènement douloureux. De ce fait, le classement de la Cité de la Muette a

enclenché une réflexion sur la nécessité d’adopter une cohérence dans la patrimonialisation

des lieux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale en général.

Cette difficile mémoire des lieux attachés à la Shoah n’est pas spécifique à la France.

Elle se retrouve en effet dans d’autres pays européens, aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest, dès la

fin de la guerre, comme l’explique Georges Bensoussan dans l’éditorial de la Revue d’histoire

de la Shoah consacré aux « Génocides. Lieux (et non-lieux) de mémoire »93.

L’histoire du camp de Westerbork est assez représentative de cette difficulté mémorielle

autour des lieux d’internement de la Seconde Guerre mondiale. Camp le plus important de la

persécution raciale aux Pays-Bas – désigné par certains historiens français comme le « Drancy

hollandais » –, ce site a longtemps été un « non-lieu de mémoire »94. En effet, il faut attendre

plus de vingt-cinq ans après la Libération pour que le camp de Westerbork commence alors

son histoire comme lieu de mémoire explicite, avec l’inauguration d’un monument pour les

déportés juifs. En même temps, les autorités locales édifièrent un observatoire sur le site, afin,

semble-t-il, de faire oublier, de « détourner » l’histoire du camp95. Il faut encore attendre le

début des années 1980 pour qu’un Centre de commémoration et d’information « Kamp

Westerbork » soit ouvert (fig. 3), et pour que la commune consente enfin à mentionner

l’ancien camp, devenu lieu de mémoire et de pèlerinage, dans les livrets touristiques96.

93 « Génocides. Lieux (et non-lieux) de mémoire », Revue d'histoire de la Shoah - Le Monde juif, Paris, Centre de Documentation Juive Contemporaine, n° 181, juillet-décembre 2004, p. 6. 94 Ido de Haan, « Vivre sur le seuil. Le camp de Westerbork dans l’histoire et la mémoire des Pays-Bas », in « Génocides. Lieux (et non-lieux) de mémoire », op. cit., 2004, p. 37-59. 95 Ibid., p. 57. 96 Pour plus d’informations, voir le site Internet du Centre de commémoration du camp de Westerbork, http://www.westerbork.nl/welcome/ (consulté le 17 mai 2010).

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Les lieux de mémoire – par définition lieux où se matérialise une mémoire collective –

se retrouvent ainsi au centre de véritables enjeux politiques et idéologiques. La tentation de

réécrire, d’occulter, d’enjoliver, d’instrumentaliser l’Histoire fut constante autour de ces lieux.

Le camp de déportation et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau (Pologne) et sa mise en

mémoire reflètent particulièrement ces enjeux97. L’idée de transformer le lieu en site

mémoriel est née parmi les prisonniers polonais, alors même que le camp fonctionnait encore.

Le processus de patrimonialisation fut quasi-immédiat après la fermeture du camp. Une loi

votée par le Parlement polonais, le 2 juillet 1947, établit la création d’un musée (qui porte

aujourd’hui le nom de musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) chargé de conserver ad aeternam

le site et ses installations comme « monument du martyrologe et de la lutte du peuple polonais

et des autres peuples »98. Auschwitz devient tout à la fois un enjeu et un théâtre de la guerre

froide. Un récit historique « antifasciste-internationaliste » se met en place ; il met l’accent sur

la Résistance, sur la solidarité entre les internés, toutes nationalités confondues, et occulte

l’identité des victimes, en particulier juives mais aussi tsiganes ou encore des Polonais non

communistes. Ainsi, pendant toute la période soviétique, le lieu sera présenté non pas comme

un camp d’extermination du peuple juif, mais comme un camp qui symbolise le martyre des

communistes, la barbarie nazie à l’égard du peuple polonais.

97 Sur le sujet, voir l’article de David Weizmann, « Auschwitz : lieu de mémoire ou lieu de négation ? », Musées de guerre et mémoriaux, s. dir. de Jean-Yves Boursier, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2005, p. 84-112. 98 Annette Wieviorka, « Eléments pour une histoire du camp-musée d’Auschwitz », Auschwitz, la mémoire d’un lieu, Paris, Hachette Littératures, 2005, p. 233.

Figure 3 : Centre de commémoration du camp de Westerbork, Pays-Bas © Herinneringscentrum Kamp Westerbork

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Un monument international à la mémoire des victimes du fascisme inauguré en 1967 à

Birkenau – camp d’extermination d’Auschwitz où un million de Juifs furent assassinés –

cristallise ces enjeux politiques et idéologiques. Annette Wieviorka explique que ce

monument ne symbolise pas la souffrance juive, mais celle du déporté politique (fig. 4)99.

Birkenau est annexé à la mémoire nationaliste et communiste. Cette annexion est par ailleurs

redoublée par une inscription, sur dix-neuf dalles, « Quatre millions de personnes ont souffert

et sont mortes ici dans les mains des meurtriers nazis entre 1940 et 1945 ».

Ce chiffre, surestimé, a été imposé par les Soviétiques, qui passèrent ainsi sous silence le sort

particulier des Juifs d’Europe. En outre, le site d’Auschwitz-Birkenau tend à devenir dans les

années 1970 un haut lieu de la mémoire polonaise catholique, avec la sanctuarisation de la

cellule de Maximilien Kolbe – prêtre mort à Auschwitz en 1941, canonisé comme martyr en

1982 – et surtout avec la messe dite par Jean-Paul II en 1979. La fin des années 1980 marque

l’émergence d’une mémoire juive : la Shoah occupe en effet le débat public, de par la

multiplication des travaux d’historiens et les témoignages. Auschwitz-Birkenau « devient un

lieu réel pour les Juifs de la Diaspora », et surtout un lieu de visite, un « lieu touristique ».

L’ancien camp d’extermination a, en 2009, été visité par près de 1,3 millions de visiteurs : il

est, depuis quelques années, le site culturel le plus visité de Pologne100.

99 Ibid., p. 242. 100 Site Internet du Musée d’Auschwitz-Birkenau, « The attendance record – 1,3 million visitors at Auschwitz Memorial in 2009 », (consulté le 26 avril 2010) http://en.auschwitz.org.pl/m/index.php?option=com_content&task=view&id=728&Itemid=7

Figure 4 : Mémorial international érigé à la mémoire des victimes du fascisme,

Birkenau, août 2009

Sources : photographie de Gulwenn Torreben,

http://www.routard.com/photos/pologne/77933

-memorial_de_birkenau.htm

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Deuxième partie

LA SHOAH, ENTRE LIEUX DE MEMOIRE

ET LIEUX TOURISTIQUES

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La patrimonialisation constitue un processus de reconnaissance, voire de transmission

et de pérennisation. Elle permet aux traces et aux espaces, marqués par un fait évènementiel,

d’accéder au champ de la durabilité culturelle et identitaire, au rang d’héritages historiques et

mémoriels101. Les lieux relatifs à l’internement et à la persécution des Juifs de France sont

devenus, comme nous avons pu le voir, un patrimoine culturel, qu’il convient de faire

connaître au plus grand nombre, de mettre en valeur. Aussi, qu’entend-on par valorisation des

lieux de mémoire et d’histoire de la Shoah ?

A. Quelle(s) valorisation(s) des lieux de mémoire de la Shoah ?

1) De la mise en valeur commémorative…

La reconnaissance des lieux de mémoire s’est caractérisée dans un premier temps par

une valorisation commémorative, c’est-à-dire l’érection ou le renforcement de dispositifs

mémoriels sur quelques sites majeurs. Cette mise en valeur, impulsée par des militants de la

mémoire, des personnalités engagées et des structures associatives locales102, s’inscrit dans

l’évolution de la mémoire de la Shoah, et son émergence dans l’espace public103. C’est dans

ce contexte qu’est « balisé l’itinéraire de la persécution des Juifs jusqu’à leur déportation ».

Les camps d’internement, les gares depuis lesquelles sont partis les convois à destination de

Drancy puis d’Auschwitz, les lieux (certains quartiers, édifices…) liés au génocide juif sont

progressivement « mis en valeur »104. Les initiatives tendent ainsi à se multiplier, un certain

nombre d’actions sont réalisées au cours de la décennie 1990.

101 Valérie Delignières, « Lieux d’histoire, lieux du tourisme », 2ème Journée de Recherche sur le Tourisme, 3 avril 2009, Groupe Sup de Co de la Rochelle, (article consulté le 12 mai 2010), http://www.esc-larochelle.fr/upload/pagesEdito/fichiers/Delignieres_JRT_2009.pdf 102 Sur le rôle précis du monde associatif, voir p. 101-103. 103 Le film de Claude Lanzmann, Shoah, a contribué à faire émerger dans la société un mouvement, une prise de conscience autour du génocide juif. 104 Annette Wieviorka, « La représentation de la Shoah en France : mémoriaux et monuments », Musées de guerre et mémoriaux, s. dir. de Jean-Yves Boursier, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2005, p. 52.

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Des cérémonies d’inauguration de plaques, de stèles, de monuments commémorant les

déportations des Juifs sont organisées sur différents lieux de mémoire, tels que :

- le camp de Septfonds (Tarn-et-Garonne),

- le camp de Drancy (Seine-Saint-Denis),

- le camp des Milles (Bouches-du-Rhône) etc.

Une valorisation commémorative fut aussi entreprise à l’initiative de l’Etat, dans le contexte

particulier du décret présidentiel du 3 février 1993, qui institue la « Journée nationale

commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite

“Gouvernement de l’Etat français (1940-1944)” ». Des monuments et des stèles furent ainsi

érigés sur trois lieux précis :

- la Maison d’Izieu (Ain),

- le camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques),

- à l’emplacement de l’ancien Vélodrome d’Hiver (Paris)

Figure 5 : Monument commémoratif de la rafle du Vél’d’Hiv, Quai de Grenelle, Paris

Source : photographie personnelle

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Situé sur une promenade plantée en bordure du quai de Grenelle (15e arrondissement), le

monument du Vél’d’Hiv commémore la rafle des 16 et 17 juillet 1942, où 13 152 Juifs

parisiens furent arrêtés par la police française et parqués dans le Vélodrome d’Hiver.

A l’exception d’une simple plaque commémorative présente sur la façade de l’enceinte

sportive (détruite au début des années 1960 pour faire place à un immeuble), il n’existait

jusqu’alors aucun monument rappelant ce tragique évènement historique. Réalisée par Walter

Spitzer, la sculpture commémorative représente sept personnages sur un socle incurvé,

évoquant la piste du Vélodrome d’Hiver : un couple avec un enfant, un autre dont la femme

est enceinte, une vieille dame, un enfant (fig. 5). Serrés les uns contre les autres, ils

témoignent en quelque sorte pour toutes les victimes des persécutions antijuives durant la

Seconde Guerre mondiale. Le monument commémoratif fait ainsi office, dans le square des

Martyrs juifs du Vél’d’Hiv, de « lieu de mémoire ».

Des lieux associés à la persécution et à la déportation des Juifs de France sont

« exhumés » et « mémorialisés », tels que les camps de travail, annexes de Drancy –

Austerlitz, Lévitan et Bassano – situés au cœur de Paris105. Des plaques commémoratives sont

par ailleurs apposées sur les façades des établissements scolaires, en hommage aux élèves

juifs, déportés et exterminés. La Ville de Paris a entrepris, depuis une dizaine d’années

maintenant, une politique en faveur de cette action de mémoire, soutenant ainsi le travail

considérable des associations pour la mémoire des enfants juifs déportés106.

A ce jour, le souvenir de 6 403 enfants est nominativement rappelé sur 332 plaques

commémoratives, réparties sur l’ensemble des établissements scolaires parisiens. Cependant,

il faut savoir qu’un certain nombre d’enfants furent déportés avant l’âge de leur scolarisation.

Ils ne sont pas oubliés : des plaques ont été aussi apposées en mémoire de ces enfants non

scolarisés ou qui n’ont pu être rattachés à aucune école, dans les parcs et jardins publics

interdits aux Juifs aux termes de la réglementation antisémite du régime de Vichy.

105 Sur l’histoire de ces camps de travail parisiens, voir l’ouvrage de Jean-Marc Dreyfus et Sarah Gensburger, Des camps dans Paris : Austerlitz, Lévitan et Bassano, juillet 1943-août 1944, Paris, Fayard, 2003, 323 p. 106 Des associations ont été créées, dans pratiquement chacun des arrondissements parisiens, pour retrouver les noms des écoliers juifs morts en déportation et les inscrire à jamais sur le lieu où ils furent élèves. On peut évoquer, par exemple, l’action du comité « Ecole de la rue Tlemcen », association localisée dans le XXe arrondissement. Sur les plaques commémoratives, voir le site Internet de la Mairie de Paris, http://www.paris.fr/portail/accueil/Portal.lut?page_id=8581&document_type_id=2&document_id=79337&portlet_id=20214 (consulté le 22 avril 2010) ; http://www.paris.fr/portail/loisirs/Portal.lut?page_id=8501&document_type_id=5&document_id=49726&portlet_id=19888 (consulté le 15 mai 2010).

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C’est ainsi qu’une stèle commémorative fut inaugurée en octobre 2007 dans le square du

Temple (3e arrondissement). Elle porte les prénoms, noms et âges des 85 « tout-petits qui

n’ont pas eu le temps de fréquenter une école », enfants juifs de 2 mois à 6 ans habitants le 3e

arrondissement et déportés entre 1942 et 1944 (fig. 6). Le nom de ces enfants est accompagné

de cette inscription courte, sorte d’épitaphe : « Passant, lis leur nom ; ta mémoire est leur

unique sépulture »107.

La valorisation commémorative ne peut toutefois être réduite à une seule fonction

mémorielle. En effet, elle s’est accompagnée d’une volonté de présenter une information

historique sur les lieux (notion de médiation). Des « wagons-témoins » furent ainsi installés à

Drancy, en 1988 (fig. 7), et au camp des Milles en 1992. Référents mémoriels, ces wagons –

identiques à ceux utilisés dans la déportation – sont alors utilisés comme espaces d’exposition

consacrés à l’histoire de ces camps et à la Shoah. De petits musées, de petites structures, assez

modestes, virent le jour, comme le Conservatoire historique du Camp de Drancy, en 1989-

1990. Installé dans un petit local situé dans un des bâtiments de la Cité de la Muette, il fut

créé « en prolongement des hommages à la mémoire des déportés », à l’initiative de

personnes d’origines et d’horizons divers, qui « eurent à cœur de contribuer à la transmission

de la Shoah, en ancrant leur action dans le lieu même où s’opéra le regroupement des dizaines

107 D’autres stèles furent inaugurées aux squares Villemin (10e arrondissement), Léon Serpolet (18e arrondissement), et Edouard Vaillant (20e arrondissement) en 2008 et 2009.

Figure 6 : Stèle commémorative en hommage aux enfants juifs du 3e arrondissement, Paris, square du Temple

Source : photographie personnelle

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de milliers de Juifs qui furent déportés à Auschwitz108 ». Association de loi type 1901, le

Conservatoire s’attache à organiser, sur rendez-vous, des visites guidées pour des scolaires,

des associations, des groupes ainsi que pour toute personne désirant visiter les lieux109.

Plus qu’une simple valorisation commémorative, les initiatives combinent également

actions culturelles et didactisme. Des manifestations, des expositions, des projections, des

colloques sont en effet mis en œuvre, dans un triple dessein : voir, savoir et transmettre.

Ces programmations tendent ainsi à mettre en valeur et à rendre vivante l’histoire des lieux,

en favorisant les débats d’idées, les échanges entre publics. Une exposition, intitulée « Les

camps d’internement dans le Loiret : histoire et mémoire, 1941-1943 », fut ainsi conçue et

organisée dans cette optique par le Centre d’Etude et de Recherche sur les Camps

d’Internement du Loiret et de la déportation juive (CERCIL), association alors nouvellement

créée110. Inaugurée en juin 1992 par Simone Veil à la mairie d’Orléans, cette exposition peut

être considérée comme une référence.

108 Voir le site Internet du Conservatoire historique du Camp de Drancy, http://www.camp-de-drancy.asso.fr/index.htm 109 Le Conservatoire reçoit en moyenne 2 000 élèves par an. 110 Le CERCIL fait l’objet d’une présentation plus détaillée dans la troisième partie, « Etudes de cas de lieux de mémoire français de la Shoah », page 94.

Figure 7 : Wagon-témoin, Cité de la Muette, Drancy

© Association Fonds Mémoire d’Auschwitz 93

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En effet, il s’agissait de retracer, de raconter au grand public l’histoire des camps de Beaune-

la-Rolande, Pithiviers et Jargeau, à une époque où rien de tel n’existait. De fait, le parti pris

choisi fut de rappeler les identités, les visages des victimes, et de présenter des « textes courts,

simples qui disent les choses », de montrer « le plus de photos possibles, des notices

biographiques permettant une identification 111». L’exposition, itinérante, fut par la suite

présentée, entre autres, à la Grande Arche de la Défense, en 1993. Aujourd’hui, remaniée et

réactualisée au regard des recherches et des nouvelles connaissances historiques, elle continue

de circuler dans de nombreux lieux – médiathèques, établissements scolaires, mairies, musées

etc. –, tant dans le département du Loiret, la région Centre que sur le territoire national,

permettant ainsi de faire connaître, au plus grand nombre, l’importance des camps

d’internement du Loiret, et le rôle qu’ils ont joué dans la déportation des Juifs de France.

On peut également évoquer la grande opération d’information et d’éducation,

« Mémoire pour demain », menée au Camp des Milles, en 1992, en commémoration du

cinquantenaire des déportations. De nombreuses manifestations éducatives et culturelles

furent organisées à cette occasion, afin de transmettre la mémoire du passé :

- soirées débats, projection d’une trentaine de films sur les thèmes de la déportation,

de la résistance, de l’intolérance, hier et aujourd’hui, à l’Institut de l’Image d’Aix-

en-Provence

- tables rondes universitaires, centrées sur l’analyse des évènements et processus qui

ont conduit à la déportation des Juifs de la zone sud, à l’Institut Interuniversitaire

d’Etudes et de Cultures Juives (Aix-en-Provence)

- lectures de textes littéraires, soirée musique (chants)

- expositions sur la déportation etc.112

111 Entretien avec Nathalie Grenon, le 18 mars 2010. 112 Présentation de l’opération – Note de synthèse et annexes, « Fondation du Camp des Milles : Mémoire et Education », mars 2009, 20 p., http://www.campdesmilles.org/articles/NoteSyntheseCampMillesetannexes.pdf (consultée le 3 septembre 2009).

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Initiée par l’Association du Wagon Souvenir des Milles – structure créée en 1991, regroupant

l’ensemble des associations de déportés, d’internés et de résistants du camp des Milles ainsi

que la communauté juive –, cette riche programmation, échelonnée sur une quinzaine de

jours, rencontra un écho extrêmement large : plus de 36 000 personnes (dont environ 7 000

jeunes) participèrent aux diverses manifestations.

Le site des Milles est dès lors institué en lieu de mémoire, à vocation pédagogique : de

nombreuses visites guidées sont organisées sur place pour les scolaires et les groupes par

l’Association du Wagon-Souvenir.

La transmission de la connaissance du génocide, et des lieux qui lui sont attachés

connaît une évolution depuis la fin des années 1990. Les différents dispositifs mémoriels mis

en place ne sont aujourd’hui plus forcément perçus comme suffisants par les associations

concernées, les acteurs qui se consacrent à la mémoire et à l’histoire de la Shoah. Nombreux

sont ceux qui s’interrogent sur le sens même des commémorations : font-elles encore date ?

La pose de plaques est-elle aujourd’hui suffisante ? Quelle est leur visibilité dans l’espace

publique ? Comment le public reçoit-il les commémorations ?113

Il est apparu nécessaire, à l’heure où les derniers survivants et les derniers témoins sont de

moins en moins nombreux, de mettre en place une valorisation muséographique, des

institutions spécifiques afin de transmettre l’histoire et la mémoire de la Shoah à des

nouvelles générations qui n’ont pas connu les faits.

113 Entretien avec Olivier Lalieu, le 19 mars 2010.

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2) … A la création d’une offre muséale

On assiste, depuis quelques années, à une floraison en Europe, mais également aux

Etats-Unis et en Israël, d’institutions muséales consacrées spécifiquement à la Shoah :

l’United States Holocaust Memorial Museum de Washington (1993), la Maison-Mémorial des

enfants juifs exterminés d’Izieu (1994), le Musée commémoratif de l’Holocauste de Montréal

(2003), Yad Vashem de Jérusalem (ouvert en 1953 et entièrement rénové en 2005), le

Mémorial de la Shoah à Paris (2005), l’Holocaust Memorial Center de Budapest (2004) etc114.

a) Institutionnalisation de l’histoire et de la mémoire de la Shoah

L’apparition des « musées de la Shoah » correspond à une période charnière, où l’on

prend conscience de l’imminence de la disparition prochaine des survivants et des témoins.

En outre, cette institutionnalisation muséale de la Shoah doit être replacée dans un phénomène

plus général, l’accroissement des constructions de musées de société, de musées d’histoire, en

particulier ceux consacrés aux conflits contemporains, dans les années 1980-1990.

Cette décennie est marquée par une évolution de la mémoire collective : la mémoire

combattante (Résistance) cède en effet peu à peu sa place à une mémoire des victimes (Juifs

déportés et assassinés, étrangers internés, victimes civiles des massacres). Cette évolution

mémorielle s’accompagne alors d’une réflexion sur une autre façon de montrer l’Histoire dans

les musées, plaidant pour une institution d’un type nouveau qui se signalerait à trois points de

vue : comme lieu du souvenir, comme lieu de manifestations, comme centre d’archives et de

recherche. Ce musée serait ainsi un lieu de mémoire « nouvelle génération » qui tiendrait

compte du passé mais aussi de l’évolution historique – ici le phénomène de la destruction des

Juifs d’Europe –, ou encore des problèmes plus largement afférents au monde contemporain.

114 Une base de données complète, Holocaust Memorials, créée à l’initiative de la Fondation Topographie de la Terreur, recense les principaux sites, mémoriaux, musées et institutions liés et consacrés à la Shoah à travers le monde, http://www.memorial-museums.net/WebObjects/ITF (reconsultée le 14 mai 2010).

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Il devint nécessaire, pour un bon nombre d’historiens, d’offrir une présentation plus

didactique et pédagogique de l’histoire et de son lieu en le situant dans un contexte général,

une vision plus large. Le Mémorial de Caen-Cité de l’Histoire pour la Paix, ouvert en 1988, et

l’Historial de la Grande Guerre à Péronne, inauguré en 1992, sont ainsi les premiers musées

de ce genre nouveau115. Ces réalisations introduisent des concepts novateurs :

- une œuvre architecturale visuellement imposante

- une professionnalisation des structures (gestion, établissement d’inventaires,

restaurations et conservation, animation et diffusion pédagogiques)

- un discours historique et un parcours muséal élaborés par des chercheurs, des

historiens, des pédagogues professionnels, et des muséographes

- une scénographie forte, basée davantage sur l’émotion et sur la mémoire plutôt que sur

l’accumulation d’informations et d’objets

- une utilisation des nouvelles technologies, de nouveaux supports (procédés interactifs,

multimédias, présentations audiovisuelles etc.)

L’objectif de ces nouveaux musées d’histoire est double : économique (attirer un

grand nombre de visiteurs, et dès lors répondre à la fois au grand public, aux scolaires, mais

également aux connaisseurs et aux témoins), et idéologique (chacun de ces musées se présente

comme un outil européen voire mondial pour la paix et la réconciliation). Pour Serge

Barcellini, ces deux objectifs semblent aller de paire : « la volonté économique affichée

d’attirer le plus grand nombre de touristes entraîne un nécessaire “polissage” des faits, un

consensus. L’histoire est débarrassée de ses aspérités, comme à Caen 116». De fait, le concept

de mémoire des guerres et conflits contemporains serait remis en cause, la portée initiale des

musées menacée par la banalisation : « On crée un mémorial des guerres comme on crée un

écomusée de la pêche. Les entreprises d’“ingénierie culturelle” qui définissent et mettent en

œuvre les projets traitent ceux-ci comme elles traitent tout autre projet sur lesquels elles

auraient à intervenir. La mémoire d’Oradour est traitée de la même manière que la

valorisation du vin de Champagne ou que l’art du cheval117 ».

115 On peut également citer d’autres exemples de nouveaux musées : le Centre de la Mémoire d’Oradour (1999), le Centre mémorial de la Paix de Verdun (1992), le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon (1992), La Coupole (1997) etc. Sur l’évolution des musées d’histoire, voir les actes du colloque Des musées d'histoire : pour qui ? Pour quoi ?, publiés sous la direction de Thomas Compère-Morel et Marie-Hélène Joly, Noësis/Historial de la Grande Guerre, 1998, 367 p. 116 Serge Barcellini, « L’intervention de l’Etat dans les musées des guerres contemporaines », Musées de guerre et mémoriaux, s. dir. de Jean-Yves Boursier, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2005, p. 47. 117 Ibid.

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La multiplication des musées d’histoire résulte, semble-t-il, d’une demande sociale.

Nous semblons prendre de plus en plus conscience de notre identité, du temps qui passe et

donc de notre mémoire. Aujourd’hui, les musées, en matérialisant des faits anciens seraient

ainsi des « substituts », une compensation pour lutter contre la « montée de l’inculture

historique », la « perte de connaissance livresque 118». De nombreuses personnes

s’interrogent, et estiment que les musées d’histoire ne doivent justement pas être des

compensateurs des lacunes de l’éducation, de déficits de l’apprentissage. Cet accroissement

des mémoriaux et de l’offre muséale s’explique aussi par l’apparition d’une exigence

nouvelle, au sein de nos sociétés, d’un « devoir de mémoire », à transmettre aux générations

futures. La notion de « devoir de mémoire », inventée dans les années 1980119, est une

thématique de plus en plus importante, de plus en plus croissante depuis la dernière décennie.

Cette importance du devoir de mémoire semble être subordonnée à la peur de l’oubli, aussi

bien individuelle que collective120. La notion est aujourd’hui devenue une expression

banalisée, remise en cause par le monde scientifique (historiens, sociologues,…).

Des voix s’élèvent en effet pour mettre en garde contre cette banalisation, une certaine

surenchère mémorielle qui viderait de son sens toute transmission, et qui irait jusqu’à

provoquer un effet de saturation qui pourrait conduire certains, notamment les plus jeunes, à

se détourner du devoir de mémoire et d’histoire. Pour de nombreux historiens, tels que

Georges Bensoussan ou Pierre Nora, le devoir de mémoire est désormais assimilé à une

« nouvelle religion civique121 » qui privilégie l’émotion sans véritable contenu. Jean-Marcel

Humbert – conservateur général du patrimoine à l’Inspection générale des Musées (Direction

des Musées de France) – estime que le devoir de mémoire est « un contresens : la mémoire ne

peut être un devoir, elle est ou elle n’est pas. En revanche, la présentation des faits et surtout

leur explication et leur discussion sont de véritables devoirs 122».

118 Propos de Rémy Knafou, op. cit., 2009. 119 Voir l’article d’Olivier Lalieu, « L’invention du “devoir de mémoire” », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 69, janvier-mars 2001, p. 83-94. 120 Rémy Knafou, conférence « Tourisme et Mémoire », organisée par l’IREST, 26 mai 2009, Paris, Direction du Tourisme. 121 Georges Bensoussan, Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire, Paris, Editions Mille et une nuits, 1998, p. 13. 122 Jean-Marcel Humbert, « Introduction générale », extrait de la Lettre de la Fondation de la Résistance, consacrée à la table ronde « Les musées de la Résistance et de la Déportation » organisée par la Fondation de la Résistance et l’Institut national du patrimoine les 15 et 16 mars 2005, n° 41, juin 2005, p. 4-7 et 12.

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La fin des années 1980 marque une évolution, voire une véritable « mutation ». Du

mémorial, monument commémoratif, on assiste à l’émergence de « musées de la Shoah ».

Le concept même de musée consacré au génocide des Juifs d’Europe remet en question,

d’emblée, la notion de musée, au sens du museion de l’Antiquité123. En effet, la finalité de ces

musées n’est pas superposable à celle des musées « classiques », c’est-à-dire les institutions

muséales où sont rassemblées et présentées des collections d’œuvres d’art, de biens

scientifiques ou techniques. Les musées consacrés au génocide des Juifs d’Europe ont pour

objectif le rappel et la transmission des faits. Aussi, se pose la question du discours historique

et de la conception des parcours muséographiques. En effet, comment représenter, montrer la

Shoah ? Comment rendre intelligible les situations historiques d’un point de vue muséal ?

Quelle muséographie adopter ? Pour Anne Grynberg, le parcours muséographique se doit

d’être cohérent en fonction de la topographie du lieu, et clair, sans être pour autant simpliste

ni réducteur124. Il n’existe donc pas une mais différentes approches muséographiques du

génocide juif. Les « musées de la Shoah » peuvent être divisés en deux catégories :

- les « musées narratifs », et

- les musées in situ, c’est-à-dire sur les lieux de persécution et d’extermination125

La première catégorie de musées se caractérise par une conception narrative. Les

parcours muséographiques de ces « musées narratifs » reposent sur une approche qui

conjugue information et émotion. L’objectif étant ainsi d’éduquer, de sensibiliser le public,

qui « n’est pas seulement convié à une visite, à un approfondissement de son savoir, mais à

une leçon qui devra faire de lui un relais du discours normatif 126». L’United States Holocaust

Memorial Museum de Washington, ouvert en avril 1993, constitue sans doute le premier

« musée de la Shoah » conçu sur ce procédé127. Il s’attache – à travers une exposition

permanente et des espaces d’exposition temporaire – à présenter, de façon convaincante, une

123 Anne Grynberg, « Du mémorial au musée, comment tenter de représenter la Shoah ? », in « De l’horreur à ses représentations », Les Cahiers de la Shoah, n° 7, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 137. 124 Ibid., p. 140. 125 « Quelles muséographies pour la Shoah ? », Atelier 4, Colloque et séminaire ministériel « Enseignement de la Shoah et création artistique », organisés par le Conseil de l’Europe, Strasbourg, 17-18 octobre 2002, http://www.coe.int/t/f/coop%E9ration_culturelle/education/enseigner_la_m%E9moire/7066-Journ%E9e%20holocaauste%20(pdf)1.pdf (dernière consultation le 22 mai 2010). 126 Anne Grynberg, op. cit., 2003, p. 142. 127 Sur l’historique de création du musée-mémorial de l’Holocauste de Washington, voir le site Internet de l’institution, http://www.ushmm.org/wlc/fr/article.php?ModuleId=299 (consulté le 20 mai 2010).

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histoire complète de la Shoah. Pour ce faire, l’institution s’emploie à « instaurer, tout au long

du parcours [de visite], une sorte de “conversation” entre le visiteur et le déporté 128».

Les muséographes appellent cela « l’effet de proximité ». Le visiteur reçoit, à son arrivée au

musée, une « carte d’identité » portant la photographie et les indications biographiques d’une

victime de la Shoah, assassinée ou rescapée. Ce « passeport » est destiné à servir de guide, de

parcours à travers les différentes sections de l’exposition permanente. C’est donc une

évocation individualisée de destins personnels qui prévaut. Cette approche narrative n’est pas

sans susciter un certain nombre de problématiques. Les historiens s’interrogent : l’« effet de

proximité » permet-il une meilleure sensibilisation, une meilleure « compréhension » des

faits ? ou au contraire, ne risque-t-il pas de déraper vers des effets pervers, vers un certain

voyeurisme, et dès lors nuire à l’objectif initial de transmission ?129 Le visiteur ne peut rester

indifférent face à des pièces originales fortes, à des photographies, des objets, et des

documents personnels. Les victimes ne restent pas des chiffres abstraits et sans visage, mais

bien une multitude de personnes aux histoires individuelles. En même temps, on peut penser

que ce type d’approche risque de sacraliser l’évènement, d’élever les objets personnels

exposés au rang de « reliques ».

L’histoire du génocide des Juifs d’Europe est par ailleurs présente dans les parcours

muséographiques d’institutions muséales dédiées à la Seconde Guerre mondiale. Des musées

tels que le Mémorial de Caen consacrent un espace à la Shoah. On peut, à cet égard,

s’intéresser à l’Imperial War Museum de Londres, qui a ouvert en 2000, sur 1 200 m², une

exposition permanente sur la Shoah, contextualisée dans le cadre général de la guerre130.

Cette réalisation a soulevé de nombreux questionnements. En effet, comment aborder et

« intégrer » l’histoire du génocide des Juifs d’Europe au reste du musée ? Suzanne Bardgett –

directrice de l’Holocaust Exhibition de l’Imperial War Museum – explique le parti pris retenu

: « Nous avons énormément réfléchi sur l’atmosphère qu’elle devrait avoir et sur les règles qui

devaient en régir la création. Nous avions l’impression qu’elle ne devait pas se contenter de

présenter quelque chose de prétendu ou de faire des reconstructions ; nous étions d’avis

qu’elle devait avoir pour devoir principal de renseigner le visiteur sur ce qui s’était passé

128 Anne Grynberg, op. cit, 2003, p. 142. 129 Sur la réflexion muséale sur la guerre, et la Shoah en particulier, voir le dossier « Quoi de neuf sur la guerre ? ou l’art de la mémoire », Art press, Paris, n° 215, juillet-août 1996. 130 Voir le site Internet de l’Imperial War Museum, http://london.iwm.org.uk/server/show/nav.00b005 (consulté le 19 mai 2010).

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plutôt que de lui dire comment il devait se sentir, et c’est pour cela que nous avons décidé

qu’un traitement simple et direct servirait au mieux ce sujet 131».

Evènement tragique de l’histoire humaine, le génocide s’inscrit aussi dans une histoire

du judaïsme, une histoire des communautés juives européennes. C’est ainsi que le thème de la

Shoah se retrouve dans les différents musées consacrés à l’histoire et à la culture juive,

comme le Musée juif de Berlin, le Jewish Museum de New York, le Musée Juif de Vienne, le

Jewish Museum de Londres etc132. Le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme de Paris a fait le

choix de ne pas constituer une collection d’art thématique sur la Shoah. Au contraire, il s’est

attaché à « remonter l’histoire emblématique de quelques juifs d’Europe orientale, Russie,

Pologne, Roumanie, qui vinrent s’installer à Paris au début du siècle, et dont les chemins

aboutirent à l’hôtel de Saint-Aignan [édifice qui abrite le musée] 133». Aussi, à partir de

sources d’archives, le parcours muséographique propose une séquence documentaire « Etre

juif à Paris en 1939 », qui revient sur l’histoire du judaïsme européen, la fin des communautés

exterminées, l’immigration à Paris, la vie juive dans le quartier du Marais etc. Une

installation, réalisée par l’artiste Christian Boltanski, évoque les noms des Juifs qui vécurent à

cette adresse – l’hôtel particulier n’était alors qu’un immeuble de rapport – et qui furent

déportés pendant la guerre (fig. 8).

131 Suzanne Bradgett, « Dernières nouveautés à l’Imperial War Museum », Colloque « La seconde guerre mondiale, nouvelles perspectives », organisé par le SIVOM Vivarais-Lignon, la SHAM et l’Association internationale des Musées d’Histoire, 5-7 juillet 2002, Sainte-Agrève et Le Chambon-sur-Lignon, http://london.iwm.org.uk/upload/pdf/French_Le_Chambon.pdf (consultée le 19 mai 2010). 132 Voir les sites Internet des différentes institutions muséales, The Jewish Museum de New York < http://www.thejewishmuseum.org/>; le Jüdisches Museum de Berlin < http://www.jmberlin.de/>; The Jewish Museum de Londres < http://www.jewishmuseum.org.uk/> etc. 133 « Parcours du musée », site Internet du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, http://www.mahj.org/fr/2_collections/parcours.php?niv=2&ssniv=12&parc_id=12 (consulté le 19 mai 2010).

Figure 8 : Les habitants de l’hôtel de Saint-

Aignan en 1939, Christian Boltanski © Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme

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b) Des projets phares de réhabilitation et d’aménagement

L’émergence récente des anciens camps d’internement et de déportation français

comme lieux de mémoire et leur prise en compte en tant que patrimoine se sont

accompagnées d’un développement important de projets d’aménagement et de réhabilitation,

qui visent à créer des institutions muséographiques et pédagogiques sur une poignée de sites

« emblématiques » : Compiègne-Royallieu134 (Oise), Les Milles (Bouches-du-Rhône),

Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), Gurs (Pyrénées-Atlantiques) et, à moindre degré, Drancy

(Seine-Saint-Denis). Aussi, il faut préciser qu’il n’existe pas un aménagement, une mise en

valeur caractéristique des lieux de mémoire de la Shoah. En effet, les projets de réhabilitation,

de valorisation muséographique diffèrent de par l’histoire des lieux, de par les objectifs des

porteurs de projets. Néanmoins, il s’agit, pour tous, de préserver un lieu et de rendre

hommage aux victimes, en développant un parcours de visite et en créant des outils

muséographiques et pédagogiques adéquats.

Par la valorisation des anciens camps d’internement français, « on entend [donc] à la

fois une sanctuarisation de l’espace, et l’installation sur place d’outils qui permettent au

public d’avoir l’information la plus juste possible sur les évènements qui se sont déroulés135 ».

Les projets de valorisation peuvent ainsi aller de la pose d’un panneau explicatif à la création

d’un musée. Au-delà, il s’agit surtout de mettre en place, de construire des activités autour du

lieu. Pour Olivier Lalieu, « jalonner l’espace est une chose tandis que disposer de médiateurs

physiques ou technologiques en est une autre pour faire vivre localement, régionalement,

nationalement cette histoire et cette mémoire136 ». La question se pose d’autant plus lorsque

rien ne subsiste (ou presque). En effet, même si certains lieux d’internement ont été détruits, il

reste parfois des vestiges, telles que des soubassements de baraques, des rails de chemins de

fer etc. La valorisation s’inscrit dès lors dans une approche archéologique, qui consiste non

seulement à exhumer les traces, mais aussi à les rendre visibles, et compréhensibles.

On peut, à cet égard, évoquer l’exemple de l’ancien camp d’internement de Gurs (Pyrénées-

Atlantiques), détruit dès la fin de la guerre, pour faire place à une forêt.

134 Le Mémorial de l’internement et de la déportation de Compiègne-Royallieu a ouvert en février 2008. Voir le dossier de presse de l’institution, http://www.histoire-compiegne.com/images/evenements/dossier_memorial.pdf 135 Entretien avec Olivier Lalieu, Paris, le 19 mars 2010. 136 Ibid.

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Le projet de valorisation du camp de Gurs, initié au début des années 2000 et réalisé en 2005-

2007, s’est caractérisé par trois aménagements, qui ont consisté à :

- la construction d’un bâtiment d’accueil et d’exposition,

- la création de deux sentiers

� un « sentier historique », vers l’est, d’un kilomètre environ. Ce chemin, de

caillebotis, part du bâtiment d’accueil, et conduit dans un des îlots

d’internement, passe à l’intérieur d’une baraque reconstituée137

� un « sentier de la mémoire », vers l’ouest, de 500 mètres de long, relie le

bâtiment d’accueil et le cimetière où reposent 1 073 internés espagnols,

juifs et tziganes morts au camp.

Ces deux parcours sont jalonnés d’une vingtaine de lutrins trilingues (français, allemand,

espagnol), qui permettent aux visiteurs-promeneurs – via des photographies et de petits textes

– de s’informer sur le contexte historique de l’époque du camp ainsi que sur les conditions de

détention. Cette signalisation informative sur panneaux n’est certes pas un dispositif original,

mais elle est nécessaire : elle vient rappeler ce que fut l’histoire tragique du lieu (fig. 9)138.

137 Cette baraque, réalisée par des élèves d’un lycée professionnel dans le cadre d’un travail pédagogique, permet aux visiteurs de mieux « appréhender » spatialement, de se représenter ce que le lieu pouvaient être à l’époque. 138 Sur le projet de valorisation du camp de Gurs, voir notamment le site Internet de la Communauté de communes du canton de Navarrenx, http://www.cc-navarrenx.fr/index.php?id=145&[res]=1280 (consulté le 20 mai 2010).

Figure 9 : Signalisation informative, « Sentier historique », camp de Gurs

Source : photographie de Jean Sarsiat, http://www.bearn-gaves.com/spip/article.php3?id_article=841

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Les projets de réhabilitation et d’aménagement, réalisés ou en cours, n’échappent pas

à certaines considérations, d’ordre politique et économique. En effet, la mise en place d’une

valorisation des lieux de mémoire de la Shoah, la volonté de les ouvrir au plus grand nombre,

obligent à intégrer des notions propres au tourisme – accueil, aménagement, gestion des flux,

médiation, communication, intégration dans l’offre culturelle existante – et à l’économie –

coûts de fonctionnement et d’investissement, recherche de partenaires financiers, mécénat,

cohérence et adaptation de la mise en valeur en fonction de l’importance historique comme de

l’environnement local et régional139. Dès lors, ces projets se caractérisent tous plus ou moins

par une institutionnalisation des lieux de mémoire, voire une « professionnalisation » des

structures. La valorisation muséographique est confiée, pour certains des projets, à des

cabinets d’ingénierie culturelle et touristique, à des cabinets d’architectes-muséographes.

L’agence Les Clefs du Patrimoine a par exemple assuré la préfiguration, la programmation et

l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la réalisation du Mémorial de l’internement et de la

déportation de Royallieu, ainsi que celle du Musée-Mémorial de Rivesaltes140.

Les projets muséographiques en cours de réalisation sur les anciens camps

d’internement tendent à devenir une composante complémentaire et un champ particulier de

l’offre culturelle et touristique française. L’ouverture au public implique indubitablement,

pour les acteurs porteurs des projets, de prendre en considération des logiques

d’aménagement, de gestion touristique. Des études prospectives, prévisionnelles de

fréquentation sont ainsi réalisées afin de calibrer les besoins en surface des futurs équipements

muséaux, d’évaluer le nombre de visiteurs potentiels. Une étude a ainsi été réalisée en 2004,

sur le site du camp des Milles, à la demande du Comité de pilotage, par une équipe

universitaire du Laboratoire Culture et Communication de l’Université d’Avignon.

La conclusion de cette étude évalue la fréquentation du futur Mémorial du Camp des Milles à

100 000 visiteurs par an141. Ce chiffre de fréquentation paraît quelque peu surestimé quand

on sait qu’il n’existe aucun équipement culturel qui parvienne, dans l’agglomération d’Aix-

Marseille, à attirer un public dépassant les 100 000 visiteurs par an.

139 La troisième et dernière partie du présent mémoire s’attache à analyser précisément la valorisation de quatre lieux de mémoire français liés à la Shoah : la Maison d’Izieu, le Mémorial de la Shoah, le camp des Milles, et les camps d’internement du Loiret. 140 Les références de Les Clefs du Patrimoine concernant les lieux de mémoire sont consultables sur le site Internet de la société, http://www.lesclefsdupatrimoine.com/home.php?idtheme=4&rub=29 (dernière consultation le 10 mai 2010). 141 Une petite synthèse de l’étude est disponible sur le site Internet du Camp des Milles, à l’adresse suivante, http://www.campdesmilles.org/content/view/22/ (consulté le 12 octobre 2009).

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Si le Camp des Milles atteint une telle fréquentation, il constituerait une exception

remarquable de l’offre touristique et culturelle de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

La visite des lieux de mémoire (de la Shoah) – envisagée dès la fin de la guerre sous forme de

pèlerinages par les familles et les différentes composantes de la communauté juive142 – se

rattache aujourd’hui, avec la naissance de nouvelles générations qui n’ont pas connu les faits,

à la notion de « tourisme de mémoire ».

B. Le concept de tourisme de mémoire

1) Tourisme et Mémoire : une antinomie ?

L’expression « tourisme de mémoire » peut a priori surprendre, en effet la

juxtaposition des deux termes paraît quelque peu contradictoire, voire difficilement

conciliable : le « tourisme » se rattache plutôt à l’agrément, au voyage tandis que la

« mémoire » évoque le souvenir, le recueillement. Ces deux notions paraissent donc être à la

charnière de deux mondes, de deux logiques tout à fait différentes. Il s’agit cependant d’une

apparente antinomie : il existe, comme le soulignait Rémy Knafou dans une conférence

consacrée à cette thématique, une forte parenté entre le tourisme, « machine à produire des

souvenirs », et la mémoire143.

a) Naissance d’une politique nationale

Le tourisme de mémoire n’est pas une pratique nouvelle, puisqu’il trouve ses origines

dès la fin de la Première Guerre mondiale, dans l’expérience initiale du tourisme de

pèlerinage, du tourisme du souvenir.

142 Annette Wieviorka signale ainsi, dans son ouvrage Déportation et génocide, la tenue d’un premier pèlerinage à Drancy, en septembre 1944 (avant même que soit connu dans son ampleur le sort des déportés), qui se renouvellera en 1946 et en 1947 sous l’égide du Consistoire de Paris. Le pèlerinage à Drancy cessa en 1948, lorsque les bâtiments de la Cité de la Muette furent rendus à leur vocation originelle de logements sociaux. Sources : Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Paris, Plon, 1992, p. 392-393. 143 Propos de Rémy Knafou, géographe spécialiste du tourisme, ancien directeur de l’équipe MIT et de l’Institut de Recherche et d’Etudes Supérieures du Tourisme (IREST). Conférence « Tourisme et Mémoire », organisée par l’IREST, 26 mai 2009, Paris, Direction du Tourisme.

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57

En effet, les vétérans, les familles des soldats entreprirent des voyages de mémoire sur les

lieux même du drame, sur les champs de bataille. Ces voyages s’expliquent par le souhait,

pour les familles, de voir « où le cher mort a trouvé son dernier repos 144». Des guides

spécifiques sont publiés, à commencer par les Guides illustrés Michelin des champs de

bataille 1914-1918. Ils ont pour vocation de conserver la mémoire des faits, des actions

militaires, et d’aider à les comprendre sur les lieux (champs de bataille, villes et villages

meurtris)145. La formalisation du concept de tourisme de mémoire est relativement récente :

élaboré à l’initiative de l’Etat dans les années 2000, le concept reflète, semble-t-il, la volonté

de rénover et de moderniser la politique mémorielle nationale, ainsi qu’une volonté de

constituer une offre originale dans l’offre touristique française.

Ce tourisme spécifique a été précisément défini comme « une démarche incitant le

public à explorer les éléments du patrimoine mis en valeur pour y puiser l’enrichissement

civique et culturel que procure la référence au passé ». Il tend ainsi à « valoriser

l’exceptionnel patrimoine militaire et civil dont dispose la France »146. En effet, ayant été le

théâtre de nombreux conflits, la France possède un important patrimoine mémoriel sur son

territoire – fortifications, monuments commémoratifs, musées, mémoriaux, champs de

bataille, sites emblématiques de différentes guerres – qui, jusqu’alors, n’avait jamais fait

l’objet d’une réelle politique globale de valorisation. Outre une volonté de modernisation de

la politique nationale de mémoire, l’émergence d’un « tourisme de mémoire » s’explique

également par des éléments conjecturels, tels que la professionnalisation des armées au

tournant des années 2000. Cette réforme a eu pour conséquence de libérer un patrimoine

immobilier (citadelles, bâtiments historiques etc.), ce qui a suscité un certain nombre de

réflexions quant à son devenir.

144 Suzanne Brandt, « Le voyage aux champs de bataille », Revue d’histoire du XXe siècle, janvier-mars 1994, p. 20. L’article est consultable sur Persée (portail de revues en sciences humaines et sociale), au lien suivant, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1994_num_41_1_3262 (consulté le 12 mai 2010). 145 Voir l’article d’Antoine Champeaux, « Les Guides illustrés des champs de bataille, 1914-1918 », in Mémoire de la Grande Guerre. Témoins et témoignages, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1989, p. 341-354. 146 François Cavaignac et Hervé Deperne, « Les Chemins de mémoire. Une initiative de l’Etat », Tourisme de mémoire, Cahier Espace n°80, Paris, Editions Espaces Tourisme et Loisirs, décembre 2003, p. 12-21. Cette définition figure également sur le site Internet « Chemins de mémoire », http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/page/affichepage.php?idLang=fr&idPage=2784

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Cette politique du tourisme de mémoire fut conduite et mise en place principalement

par la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives (DMPA). Cette Direction du

ministère de la Défense, créée en novembre 1999, a ainsi été chargée, via une mission

« Mémoire », de dresser un état des lieux de mémoire à l’échelle nationale, et de définir des

zones de « territoires de mémoire » homogènes dans une optique de mise en valeur

touristique. De fait, ce travail a consisté à recenser les différents sites et cheminements

possibles afin de constituer un programme scientifique précisant les objectifs en matière de

développement d’un tourisme de mémoire. Il est apparu évident qu’il était impossible de

mettre en valeur le patrimoine mémoriel dans son entier, et surtout que cette politique de

valorisation ne pouvait être menée par le seul ministère de la Défense. En effet, il était

nécessaire d’y associer d’autres partenaires : le ministère de la Culture, le secrétariat d’Etat au

Tourisme, ainsi que les collectivités territoriales (régions, départements).

Plusieurs accords et conventions interministériels furent dès lors signés dans ce sens, à

commencer par la Convention relative au Tourisme de mémoire, le 9 février 2004, entre le

ministère de la Défense, via le secrétariat d’Etat aux Anciens combattants, et le secrétariat

d’Etat au Tourisme147. Cette convention visait à mettre en œuvre une politique de valorisation

touristique des sites de mémoire, dans un esprit de démarche qualité. L’accueil du touriste

(informations, supports de visites, accès aux sites etc.) ainsi que la promotion des lieux en

France et à l’étranger (intégration du tourisme de mémoire dans les activités de promotion des

professionnels du tourisme) constituaient les axes prioritaires de ladite convention. Par

ailleurs, une coopération entre les ministères de la Défense et de la Culture fut conclue en

2005, avec la signature du Protocole Défense-Culture148. Ce document s’organise autour d’un

objectif principal, celui de préserver, enrichir et valoriser le patrimoine militaire et mémoriel.

Plusieurs dispositifs furent mis en place afin de favoriser l’intégration du tourisme de

mémoire dans l’offre touristique, à commencer par la création du site Internet « Chemins de

mémoire », qui s’attache à recenser et proposer des sites et des exemples d’itinéraires aux

touristes (fig. 10).

147 Convention « tourisme de mémoire », 9 février 2004, Lille, http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/telechargement//Word/ConventionLille.doc (consultée le 7 janvier 2009) 148 Protocole Défense-Culture, 17 septembre 2005, Paris, (consulté le 7 janvier 2009), http://cheminsdememoire.gouv.fr/telechargement/pdf/Protocole_Defense_culture.pdf

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Ce dispositif important – le site Internet étant proposé en français, anglais et allemand – tend à

créer une sorte de mise en réseau, avec la sélection de « points d’appui », c’est-à-dire des sites

symboles, des lieux de passages considérés comme incontournables en raison de leur intérêt

historique ou mémoriel, complémentaires les uns des autres. Ces « Chemins de mémoire » ont

été organisés autour de différents lieux de mémoire relatifs à quatre thèmes principaux :

- l’histoire des fortifications

- la guerre de 1870-1871

- la guerre de 1914-1918

- la guerre de 1939-1945 Ces principales thématiques sont elles-mêmes divisées en plusieurs sous thèmes

complémentaires : les forteresses de Vauban, la ligne Maginot par exemple pour l’histoire des

fortifications ; les fronts de la Marne, l’année 1918 etc. pour la Première Guerre mondiale ; la

ligne de démarcation, le débarquement de Normandie etc. pour la guerre 39-45.

L’internement et la déportation ont été pris en compte dans la thématique générale de la

Seconde Guerre mondiale149. Chacune des quatre thématiques principales fait l’objet d’une

page de présentation historique, celle de l’internement a été rédigée par un historien

spécialiste, Denis Peschanski150. En outre, ces pages s’accompagnent d’une rubrique « lieux à

découvrir sur le sujet » : les lieux référencés possèdent une page descriptive, une

bibliographie associée, ainsi que des informations et des liens pratiques pour le visiteur.

149 Site Internet des Chemins de mémoire [thématique Internement], (consulté le 23 janvier 2010), http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/page/affichepage.php?idLang=fr&idPage=22325 Site Internet des Chemins de mémoire [thématique Déportation], (consulté le 23 janvier 2010), http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/page/affichepage.php?idLang=fr&idPage=101 150 Voir page 32.

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Quelques lieux liés à l’internement et à la déportation sont ainsi présentés sur le site

Internet « Chemins de mémoire » :

- le camp du Vernet (Ariège),

- le camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques),

- le fort de Queuleu (Meurthe-et-Moselle),

- le musée du souvenir du camp du Vernet (Ariège),

- le camp Joffre à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales),

- le camp de Septfonds (Tarn-et-Garonne),

- la Saline royale d’Arc-et-Senans (Doubs)

- le camp des Milles (Bouches-du-Rhône)

Cette liste de lieux de mémoire paraît extrêmement réduite quand on sait que la France a

compté plus de deux cents camps répartis sur l’ensemble de son territoire (un très grand

nombre d’entre eux ont été détruits)151.

151 Une carte de la France des camps durant la Seconde Guerre mondiale est consultable en partie Annexes de ce présent mémoire page 144, et également sur le site Internet du Mémorial de la Shoah, http://www.memorialdelashoah.org/upload/medias/fr/JS_France_ed_français.pdf

Figure 10 : Site Internet Chemins de mémoire, à la découverte des hauts lieux de mémoire français

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Quoiqu’il en soit, le site « Chemins de mémoire » se veut être un outil original, en proposant

une mise en réseau des sites mémoriels (itinéraires, création de parcours) et des professionnels

du tourisme (comités régionaux et départementaux du tourisme etc.). Il constitue sans aucun

doute une approche novatrice de la politique du tourisme de mémoire. Accessible depuis juin

2004, le site semble connaître, ces dernières années, une fréquentation croissante : 1,5

millions de pages seraient ainsi consultées annuellement par des visiteurs diversifiés (chiffre

2008). Le profil et les attentes des internautes sont d’ailleurs connus du fait de la mise en

ligne des résultats d’un sondage : 30 % des internautes ont moins de vingt-cinq ans, 46 % sont

des particuliers, 11 % des professionnels du tourisme, etc.152

b) Enjeux et développement du tourisme de mémoire

Le développement du tourisme de mémoire répond à « une triple ambition : civique et

pédagogique, culturelle et touristique, économique et commerciale »153.

En premier lieu, le tourisme de mémoire implique, pour ses concepteurs, des enjeux civiques

et sociétaux. Conçu comme un vecteur de conscientisation, le tourisme de mémoire

participerait du « devoir de mémoire », de la transmission, d’éducation aux nouvelles

générations. La visite des lieux de mémoire équivaudrait à « un travail de deuil positif, pour

non seulement se souvenir et connaître mais également accepter ce qui s’est passé154 ».

Les lieux de mémoire sont dès lors des destinations particulières, qui permettraient à la

collectivité de lutter contre l’oubli, de se réapproprier et de sauvegarder une conscience

historique. Références au passé, témoignages d’un évènement important, ils tendent, depuis le

début des années 1990, à devenir des lieux d’apprentissage et de réflexion, tournés vers le

présent et l’avenir, comme le Mémorial de Caen, « Cité de l’Histoire pour la Paix », ou

l’Historial de la Grande Guerre à Péronne, sites mémoriels pionniers en la matière155. De fait,

les lieux de mémoire s’adressent tout particulièrement aux jeunes générations, citoyens de

demain.

152 Résultats du « Sondage : votre avis nous intéresse ! », (consultés le 5 avril 2010), http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/vote/affichevote.php?idSondage=21&idLang=fr 153 René Ressouches, « Le tourisme de la mémoire combattante », Le tourisme de A à Z, Direction du Tourisme, 17 juillet 2008, p. 1. 154 Jean-Didier Urbain, « Tourisme de mémoire. Un travail de deuil positif », Tourisme de mémoire, Cahier Espace n°80, Paris, Editions Espaces Tourisme et Loisirs, décembre 2003, p. 6. 155 Voir page 48.

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Les scolaires constituent donc, sans surprise, un public captif extrêmement nombreux, une

part importante des visiteurs des lieux de mémoire. Ils représentent ainsi près de :

- 52 % de la fréquentation du camp du Struthof,

- 43 % des visiteurs à la Maison d’Izieu,

- 30 % au Mémorial de Caen,

- 15 % au Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane etc156.

Il faut savoir que les relations entre les acteurs pédagogiques (rectorats, professeurs,

enseignants) et ceux des lieux de mémoire se sont développées de façon croissante depuis les

deux dernières décennies. Un protocole, entre les ministères de la Défense et de l’Education

nationale, fut d’ailleurs signé en 2007 dans cette optique relationnelle, visant à mieux

coordonner des actions communes dans les domaines de la citoyenneté et de la transmission

de la mémoire157.

156 Luc Bonnin et Amélie de Fonclare, « N’oubliez pas les scolaires ! », Anticiper le vieillissement des destinations, Collection Revue Espaces n° 235, Editions Espaces Tourisme et Loisirs, mars 2006, p. 49-56. 157 Protocole d’accord entre le ministère de la Défense et le ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 31 janvier 2007, http://www.education.gouv.fr/bo/2007/7/MENE0700289X.htm (reconsulté le 5 avril 2010).

Figure 11 : Visite de scolaires au Mémorial de Caen (Calvados), 2006

Source : http://colleges.ac-rouen.fr/montville/spip.php?article339

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Outre les enjeux de transmission et d’éducation, le tourisme de mémoire a été pensé et

voulu comme un outil de valorisation du patrimoine civil et militaire, et surtout comme une

offre particulière sur le marché du tourisme. Un guide thématique, Guide des lieux de

mémoire : champs de bataille, cimetières militaires, musées, mémoriaux158 – publié en 2005

aux éditions Le Petit Futé – reflète ainsi la prise en compte du concept dans l’édition des

guides touristiques en tant que composante complémentaire de l’offre touristique culturelle

« traditionnelle ». Elaboré en collaboration avec « des historiens, érudits, militaires, l’ONAC

(Office National des Anciens Combattants), conservateurs de musées, comités et offices de

tourisme etc. », ce « guide émouvant » tend à permettre aux lecteurs « de partir sur les traces

de leurs aïeux ou d’un proche qui ont donné leur vie pour défendre notre pays ».

158 Dominique Auzias, Pascaline Ferlin, Jean-Paul Labourdette, Guide des lieux de mémoire : champs de bataille, cimetières militaires, musées, mémoriaux, Coll. Petit Futé Thématique guide, Paris, Nouvelles éd. de l’Université, 2005, 357 p.

Figure 12 : Photographies du Mur des Noms du Mémorial de la Shoah illustrant la

couverture et les premières pages du Guide des Lieux de Mémoire, Petit Futé

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Dès lors, il se veut être le plus exhaustif possible, en envisageant de rassembler « tous les

lieux de mémoire reflétant notre histoire de la Révolution de 1789 au lendemain de la

Seconde Guerre mondiale avec un accent particulier sur les deux conflits mondiaux 159».

Ce guide des lieux de mémoire français reste néanmoins un ouvrage classique : les sites sont

référencés par région, puis par département. Chaque région fait l’objet d’une page

introductive, qui rappelle brièvement le caractère historique et mémoriel de ladite région.

L’ouvrage fournit bien évidemment les informations utiles à la visite (horaires d’ouvertures,

tarifs, services…) ainsi qu’à la compréhension des lieux visités (présentation synthétique de

l’histoire des lieux). Certains lieux de mémoire liés à la Shoah y sont référencés : le Mémorial

de la Shoah à Paris (fig. 12), le monument commémoratif de la rafle du Vél’d’Hiv, la Maison

d’Izieu, le camp de Drancy, le camp des Milles, le camp de Rivesaltes etc.

Enfin, le tourisme de mémoire est, à l’évidence, confronté à des enjeux économiques.

Il est rare que des retombées ne soient pas escomptées lors d’une ouverture au public, d’une

valorisation touristique d’un lieu de mémoire. L’économie du patrimoine – quel qu’il soit –

est devenue un enjeu aussi important que la protection et conservation. La question des

retombées économiques directes se pose d’ailleurs généralement pour l’ensemble des sites

patrimoniaux et des équipements culturels depuis ces vingt dernières années.

La baisse, voire la disparition, des financements publics dans les budgets d’investissement et

de fonctionnement oblige les gestionnaires des monuments et sites culturels à se tourner de

plus en plus vers d’autres modalités de financement, en particulier privé (mécénat, dons etc.).

Quelques lieux de mémoire s’inscrivent dans une véritable logique d’exploitation touristique

d’entreprise, en développant des recettes annexes, à commencer par le Mémorial de Caen,

Société Anonyme d’Economie Mixte Locale (S.A.E.M.L.). Le site génère de par ses activités

commerciales (restaurants, boutiques, organisation de séminaires, de circuits touristiques,

location d’espaces etc.), près de 7 millions de chiffre d’affaires (chiffres 2008)160.

159 Avant-propos, ibid. 160 Information donnée sur le site Internet du Mémorial de Caen (consulté le 14 avril 2010), http://www.memorial-caen.fr/portail/index.php?option=com_content&task=view&id=53&Itemid=194

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Le tourisme de mémoire représente ainsi un outil de développement économique

territorial, en particulier pour des régions dotées de peu d’atouts touristiques « naturels ».

Il est le premier vecteur de fréquentation de certains départements, comme par exemple dans

la Meuse – les sites et lieux de mémoire de la Première Guerre mondiale y reçoivent plus de

500 000 visiteurs par an161 –, ou dans le Calvados, avec les musées et sites du

Débarquement162. La valorisation touristique des lieux de mémoire constitue donc un facteur

direct de retombées en termes de création d’emplois, de création d’activités pour les territoires

concernés. Des régions françaises telles l’Alsace, la Lorraine, la Normandie, la Picardie, le

Nord-Pas-de-Calais développent depuis plusieurs années maintenant de véritables produits

touristiques autour des lieux de mémoire : circuits, packages de courts séjours, excursions.

En outre, des équipements culturels sont créés, à l’initiative de ces collectivités territoriales,

dans une logique d’aménagement et d’activité touristique, comme :

- le Mémorial de Caen, équipement pionnier ouvert en 1988,

- l’Historial de la Grande Guerre à Péronne (Somme), ouvert en 1992,

- le Mémorial de l’Alsace-Moselle à Schirmeck (Bas-Rhin) ouvert en 2005,

- le Mémorial Charles de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne)

ouvert au public en 2008163,

- le Musée de la Grande Guerre à Meaux (Seine-et-Marne), qui ouvrira ses portes le

11 novembre 2011164

De ce fait, le tourisme de mémoire constitue une filière spécifique au sein de différents

Comités Régionaux et Départementaux du Tourisme. Nous pouvons évoquer l’exemple du

CDT du Calvados qui a mis en place une politique touristique mémorielle dès le début des

années 1990.

161 « Principaux sites », Chiffres clés du tourisme lorrain, Observatoire du CDT de Meuse, 2007, p. 9, http://admin-cdtmeuse.faire-savoir.com/Upload/Mediatheque/porteurs-projet/observatoires/3-GP-Lorraine-chiffres-cles.pdf (consultés le 14 avril 2010) 162 Fréquentation des sites et musées du Calvados [2004-2008], CDT du Calvados, http://www.espacepro-calvados.com/Upload/Mediatheque/observatoire/2008---Musees.pdf, (consulté le 14 avril 2010). 163 Voir les sites Internet des différentes institutions citées : Mémorial de Caen, http://www.memorial-caen.fr ; Historial de la Grande Guerre, http://www.historial.org/; Mémorial de l’Alsace-Moselle, http://www.memorial-alsace-moselle.com; Mémorial Charles de Gaulle, http://www.memorial-charlesdegaulle.fr/. 164 Sur le projet, voir les différents articles consacrés au sujet sur les sites Internet de l’Agglomération du Pays de Meaux, <http://www.paysdemeaux.com/index.php?Message=CAPM_GP_musee>; des Chemins de mémoire, <http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/page/affichelieu.php?idLang=fr&idLieu=6071>, du magazine Le Point, <http://www.lepoint.fr/culture/2010-04-15/le-futur-musee-de-la-grande-guerre-de-meaux-ecrin-d-une/249/0/445307 etc.

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Plusieurs actions sont entreprises afin de promouvoir les sites et musées de la Seconde Guerre

mondiale : édition de brochures à destination du marché français et étranger, mise en place de

parcours thématiques, mise en réseau des sites et musées de la Bataille de Normandie,

création en février 2005 d’un site Internet « Normandie Mémoire Espace Historique »,

http://www.normandiememoire.com, accessible en six langues (français, anglais, allemand,

néerlandais, espagnol et italien). Ce site (fig. 13) propose un certain nombre de rubriques qui

permettent aux visiteurs / internautes d’accéder à des informations historiques sur le

Débarquement (chronologie, déroulé des opérations…), à des cartes interactives de l’espace

historique et touristique, ainsi qu’à la programmation culturelle et évènementielle etc.

On remarque, sans surprise, que ces actions de promotion, de communication sont

particulièrement renforcées lors des célébrations importantes. Les grandes commémorations

du Débarquement de ces dernières années – en particulier 2004 et 2009 – ont été l’occasion

d’engager une réflexion nouvelle sur la politique globale à mener en matière de valorisation

de l’ensemble des sites de la Bataille de Normandie (Débarquement, Reconstruction).

Figure 13 : Site Internet Normandie Mémoire Espace Historique

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Le CRT de Normandie s’est donné pour objectifs, dans le plan d’actions de son Schéma inter-

régional de développement touristique adopté en 2009, de mieux qualifier l’offre des sites et

musées de la Bataille de Normandie, d’améliorer la médiation, et surtout d’établir une charte

éthique du tourisme de mémoire165.

c) La fin d’un cycle ?

Le tourisme de mémoire semble être parvenu à un tournant : « projet innovant et

fédérateur166 » mis en œuvre au début des années 2000, il constitue aujourd’hui une filière

intégrée dans l’offre touristique culturelle française. Le temps du bilan semble donc venu. Il

apparaît nécessaire de s’interroger sur le devenir, les perspectives de cette forme de tourisme,

tant du point de vue de l’offre que de la demande.

Le tourisme de mémoire suscite encore à l’heure actuelle un certain nombre de réflexions et

de problématiques, à commencer par la définition de la notion. En effet, les définitions du

tourisme de mémoire proposées et données en France ne semblent guère satisfaisantes et

rigoureuses aux yeux de certains spécialistes : « les lieux de mémoire n’étant entendus que

dans une seule idée de valorisation du patrimoine historique 167». Au contraire, un lieu de

mémoire doit être compris comme « un espace où se sont déroulés des évènements d’une

importance collective, où est entretenue une charge mémorielle et identitaire forte 168».

Ce lieu doit être visité par des personnes venues expressément visiter le site. Le tourisme de

mémoire implique nécessairement une fréquentation intentionnelle, avec des touristes sachant

le pourquoi de leur visite, avec des touristes co-porteurs d’une mémoire. Une question se pose

alors : la fréquentation suffit-elle à faire d’un lieu un haut lieu de la mémoire, tandis que

d’autres, a contrario, seraient relayés au plan des « lieux ordinaires » ?

165 Schéma inter-régional de développement touristique des Régions de Basse-Normandie et de Haute-Normandie, Comité Régional du Tourisme de Normandie, 19 et 26 octobre 2009, 118 p., http://www.normandie-tourisme.fr/content/media/document.php?id_document=3053&id_format=1 (consulté le 14 avril 2010). 166 Avis sur les anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, Assemblée nationale, rapport législatif n° 277 tome II, Session ordinaire de 2007-2008, Commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi de finances pour 2008 (n° 189), [avis et débat présentés] par M. Jean-Claude Mathis, p. 19. 167 Propos de Rémy Knafou au cours de la conférence mensuelle de l’Institut de Recherche et d’Etudes Supérieurs du Tourisme (IREST), sur le thème « Tourisme et Mémoire », qui s’est tenue le 26 mai 2009 à la Direction du Tourisme. 168 Ibid.

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Pour Rémy Knafou, la fréquentation touristique assure une « survie mémorielle », et paraît

aujourd’hui être une source de légitimation renouvelée, une condition de durabilité pour les

lieux de mémoire. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que la durabilité d’un lieu de mémoire

n’est jamais pleinement assurée. En effet, la fréquentation est disparate et variable, d’un lieu

de mémoire à l’autre, d’une région à l’autre. De ce fait, l’exemple des lieux de mémoire de la

Première Guerre mondiale est assez significatif. Nombre d’entre eux connaissent, depuis une

dizaine d’années, une baisse, voire une « érosion », de leur fréquentation (tableau 1).

N.B. : Les chiffres indiqués correspondent au nombre total de visiteurs (payants et non payants)

En outre, la fréquentation touristique doit être quelque peu nuancée pour un certain

nombre de lieux de mémoire. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, le public

scolaire constitue une part importante des visiteurs. Le Mémorial de Caen reçoit, par exemple,

30 à 35 % de scolaires sur 400 000 visiteurs, ce qui représente environ 120 000 scolaires.

1998 2002 2006 2008

Citadelle souterraine de Verdun (55) 123 654 118 975 111 730 103 950

Crypte du Vieil Armand (68) 36 172 32 197 25 497 25 530

Fort de Vaux (55) 72 745 57 593 56 407 45 330

La Coupole (62) 150 000 110 935 100 231 115 714

Mémorial Canadien de Vimy (62) 500 000 275 357 248 289 N.R

Mémorial de Verdun (55) 151 719 131 266 131 763 118 156

Musée et Citadelle de Bitche (57) 70 613 73 253 57 089 52 628

Ossuaire de Douaumont (55) 269 647 249 026 239 194 206 530

Tableau 1 : Evolution de la fréquentation de lieux de mémoire de la Première Guerre mondiale

au cours de ces dix dernières années

Sources : La fréquentation des sites et manifestations touristiques en France métropolitaine depuis une quinzaine d’années, ODIT France ; CRT Lorraine et Nord-Pas de Calais

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69

Les statistiques de fréquentation données, par les lieux et sites de mémoire aux CRT et CDT,

ne distinguent pas visites et visiteurs, visiteurs individuels et visiteurs en groupe. Comme le

souligne Valéry Patin dans son ouvrage Tourisme et Patrimoine, ces incertitudes peuvent

conduire à des interprétations erronées169. Nombreux sont les sites culturels qui affichent des

chiffres de fréquentation appréciable, « gonflés » par les groupes scolaires et les visiteurs

bénéficiant de gratuité. Or, la fréquentation scolaire n’est pas synonyme de retombées et de

durabilité. En effet, elle ne garantit aucunement la viabilité et la pérennité des institutions.

Les acteurs du tourisme de mémoire se doivent donc d’apporter, de mettre en œuvre

des éléments nouveaux pour attirer un public touristique, pour susciter (à nouveau) l’intérêt

des visiteurs. A cet effet, des enquêtes sur la filière « Tourisme de mémoire » ont été menées

dans quelques régions françaises – Nord-Pas-de-Calais en 2006-2007, et Champagne-Ardenne

en 2008-2009 – afin de connaître quantitativement et qualitativement la demande en matière

de tourisme de mémoire170. Ces études, commandées par les Comités Régionaux de Tourisme,

visent ainsi à :

- réaliser un diagnostic de l’offre globale,

- obtenir une meilleure connaissance de la fréquentation (avec un benchmark des

régions « concurrentes » en la matière),

- obtenir une analyse du profil, des comportements et des attentes de la clientèle

« mémoire »,

- obtenir une analyse économique et de l’impact du tourisme de mémoire sur

l’économie touristique régionale,

- obtenir des préconisations opérationnelles afin de mieux adapter l’offre à la

demande et d’orienter davantage les actions de promotion

169 Valéry Patin, Tourisme et Patrimoine, Paris, La Documentation française, 2005, p. 122. 170 Etude des sites de tourisme de mémoire et analyse de leurs clientèles [réalisée par Public & Culture, et Acorn Consulting], Comité Régional de Tourisme du Nord-Pas de Calais, 2006-2007, http://www.tourisme-nordpasdecalais.fr/pageseditos/les-syntheses-d-etudes.html (consultée le 27 février 2009). Enquête Tourisme de Mémoire : résultats d’étude, [réalisée par Public & Culture], Comité Régional de Tourisme de Champagne-Ardenne, 2009, http://observatoire.tourisme-champagne-ardenne.com/Marches/Filieres/Tourisme-de-memoire/fichiers/Presentation-tourisme-memoire-4mars2010.pdf (consultée le 5 avril 2010).

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70

Les données obtenues offrent une représentation assez précise des profils, comportements et

attentes des visiteurs des lieux et sites de mémoire. On constate ainsi une forte présence des

retraités et des catégories professionnelles supérieures (cadres, professions libérales,

enseignants). Les motivations principales de visite sont, d’après les différentes enquêtes

réalisées, l’intérêt pour l’histoire, la volonté de se cultiver, la curiosité (fig. 14). L’hommage à

un parent disparu ou ayant vécu la période historique semble s’estomper peu à peu, au fil des

années. La visite des lieux de mémoire constitue donc, sans surprise, le but principal de la

venue d’un grand nombre de visiteurs, qu’ils soient résidents régionaux, touristes nationaux

ou visiteurs étrangers171.

Au regard des analyses et des études, le tourisme de mémoire reste un marché porteur

de l’offre touristique française. Néanmoins, il appartient aux professionnels et aux

institutionnels du tourisme de renouveler l’offre.

171 Ibid.

Pour les animations/expositions

Autres

Pour vous distraire

Hommage à un parent

On vous l'avait conseillé

Pour le faire découvrir à vos enfants

Pour accompagner de la famille ou des amis

Par intérêt spécifique pour les sites militaires

Par curiosité

Par intérêt pour l'histoire

Figure 14 : Motivations de visite des lieux et sites de mémoire

Sources : Enquêtes sur les clientèles du Tourisme de mémoire, Comités Régionaux de Tourisme de Champagne-Ardenne et du Nord-Pas-de-Calais

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Le vieillissement des musées, des aménagements et des outils d’interprétation, le manque de

professionnalisme de certains équipements, l’absence de services et d’évènementiel

constituent autant de motifs de critiques de la part des visiteurs, autant de raisons quant à la

baisse de fréquentation constatée sur certains lieux de mémoire. Il s’agit dès lors, pour les

acteurs concernés, de définir des axes stratégiques afin de répondre aux nouvelles attentes

touristiques et culturelles des visiteurs. Le renouvellement de l’offre du tourisme de mémoire

passe ainsi sans doute par une (re)dynamisation de la mise en tourisme des lieux de mémoire

(création de nouveaux produits, développement d’évènements…), une amélioration de l’offre

en termes d’accueil, d’animation (développement de manifestations et d’activités, mise en

réseau de sites…), d’interprétation (mise en œuvre de nouveaux outils de médiation, de

nouveaux supports interactifs,…).

2) Le « dark tourism » : visites macabres ou réelle conscientisation ?

Le monde anglo-saxon envisage quant à lui le tourisme de mémoire comme un

tourisme particulier, plus sombre, le « dark tourism ».

a) Définition

Le « dark tourism » – littéralement tourisme sombre172 – est un concept forgé dans les

années 1990, par John Lennon et Malcolm Foley, professeurs à la Glasgow Caledonian

University. Il a été défini comme une forme de tourisme centrée sur la visite de sites associés

à la mort et/ou à la destruction173. Ce tourisme est devenu, depuis quelques années

maintenant, un véritable sujet de recherches et d’études, certaines universités anglo-saxonnes

proposant même un enseignement spécifique. C’est ainsi que l’University of Central

Lancashire (Royaume-Uni) a mis en place, via son « Department of Tourism and Leisure

172 Certains auteurs ont traduit le terme comme « tourisme macabre ». D’autres termes, comme le thanatourisme, le « grief tourism », sont parfois utilisés pour cette forme particulière de tourisme. 173 Sur le « dark tourism », voir l’ouvrage de John Lennon et Malcolm Foley, Dark tourism : the attraction of death and disaster, Londres et New York, Continuum, 2000, 184 p. ; ainsi que l’ouvrage récent de Richard Sharpley et Philip R. Stone, The darker side of travel : the theory and practice of dark tourism, Bristol et Buffalo, Channel View Publications, 2009, 275 p.

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Management » le « Dark Tourism Forum », qui tend à se positionner comme le premier centre

de recherche universitaire en ligne consacré au phénomène174.

Maïthé Levasseur, dans un article publié sur le Réseau de veille en tourisme du

Québec, souligne que le « dark tourism » est une pratique touristique fortement répandue.

La « dénomination de ce type de tourisme et sa définition peuvent sembler [a priori] loin de la

réalité de voyage de la majorité des touristes, mais dans les faits, beaucoup visitent de tels

sites au cours de leurs voyages 175». Surtout, le « dark tourism » est une pratique loin d’être

inédite et nouvelle : en effet, il renvoie à d’anciennes pratiques culturelles. La visite des sites

liés à la mort, à des évènements tragiques, aux désastres, aux atrocités humaines se rattache à

une forme de pèlerinage. On peut évoquer, entre autres, le cas des champs de bataille de

Waterloo, de la Guerre de Sécession qui furent visités par des « groupes de mémoire » dès le

XIXe siècle. Le « tourisme sombre » recouvre des réalités différentes. En effet, derrière ce

concept sont rassemblés des lieux très divers, puisqu’il désigne aussi bien :

- les promenades dans les cimetières (Le Père Lachaise à Paris, le cimetière

militaire national d’Arlington à Washington),

- la visite des prisons (prison d’Alcatraz aux Etats-Unis, prison de Rhodden

Island en Afrique du Sud),

- la visite de sites à la connotation plus tragique comme les camps de

concentration de la Seconde Guerre mondiale, les camps de répression

soviétique (goulags) ou bien Ground Zero – traces des attentats du 11

septembre 2001 – à New York

Le « dark tourism » est également associé à des sites touchés par des catastrophes

naturelles, comme La Nouvelle-Orléans (Etats-Unis) par exemple. Julie Hernandez – agrégée

de géographie et doctorante à l’Université de Paris X Nanterre – s’est attachée, dans un

article, à analyser précisément comment ce tourisme macabre s’est développé, après le

passage de l’ouragan Katrina en août 2005.

174 « The Dark Tourism Forum », University of Central Lancashire, http://www.dark-tourism.org.uk/ (consulté le 30 mars 2010, et de nouveau le 5 mai 2010). 175 Maïthé Levasseur, « Le tourisme “sombre” : visites macabres ou commémoration et conscientisation ? », Réseau de veille en tourisme, la référence québécoise en information sur les tendances touristiques internationales, http://veilletourisme.ca/2007/05/14/le-tourisme-%C2%ABsombre%C2%BB-visites-macabres-ou-commemoration-et-conscientisation/ (consulté le 30 mars 2010).

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Des visites guidées d’espaces affectés par la catastrophe sont en effet organisées par des

professionnels du tourisme, non sans quelques polémiques et problématiques (voyeurisme,

construction d’une mémoire sélective de la catastrophe, surreprésentation de certains lieux,

interprétation de l’évènement)176. Le caractère dramatique, tragique des lieux constitue

l’attrait premier de la visite (fig. 15).

Un grand nombre de sites dans le monde sont ainsi devenus aujourd’hui des lieux

« touristiques », visités par des personnes venues intentionnellement. De nombreux auteurs se

sont interrogés sur les motivations des « dark tourists », des voyageurs axés vers le tourisme

sombre. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer la visite des lieux de

souffrance, de mort, mais cela reste de l’ordre des suppositions étant donné qu’il s’agit d’un

domaine d’étude encore assez peu documenté. Le recueillement, la commémoration semblent

être les motivations premières des touristes et voyageurs : la visite se rattache dès lors à une

sorte de pèlerinage. Le site de Ground Zero à New York, marqué par la destruction des Twin

Towers lors des attentats du 11 septembre 2001, est devenu un haut lieu de visite pour les

Américains et les touristes étrangers.

176 Julie Hernandez, « Le tourisme macabre à La Nouvelle-Orléans après Katrina : résilience et mémorialisation des espaces affectés par des catastrophes majeures », Norois, Rennes, Presses universitaires de Rennes, n° 208, 2008/3, p. 61-73.

Figure 15 : Panneau destiné aux touristes en bus, quartier Lower Ninth Ward, Nouvelle-Orléans

Source : Daniel Terdiman, « The ignored nonrecovery of New Orleans », CNET News.com, http://news.cnet.com/8301-13772_3-9982575-52.html

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Maïthé Levasseur explique d’ailleurs que la visite du Ground Zero semble relever, pour un

grand nombre d’Américains, d’un pèlerinage patriotique. Il s’agit véritablement de se

souvenir, de « voir pour le croire », ne pas oublier ce qui s’est passé177. La quête de la

mémoire est devenue un élément constitutif de l’identité, un élément important voire essentiel

de la société contemporaine. En outre, la visite des lieux associés à la mort, à la souffrance et

au tragique apparaît sans doute comme une occasion de méditer sur le sens même de la vie et

de la mort.

D’autres raisons, plus controversées, peuvent également être envisagées. Le « dark

tourism » peut en effet s’apparenter à une forme de tourisme expérientiel, à une recherche de

sensationnel. La visite de la prison des Trois-Rivières (Québec) s’inscrit dans ce que l’on

appelle la visite-expérience. En effet, le visiteur est invité à vivre une « expérience de visite

forte, troublante et réelle ». Le lieu, géré par le Musée québécois de la culture populaire,

propose ainsi des visites-témoignages assurées, semble-t-il, par d’anciens détenus.

Le visiteur est, dès son arrivée, immergé dans l’espace par un « rituel » d’accueil : il doit

remplir une fiche d’incarcération, avec photographie et prise d’empreintes digitales. Surtout,

le visiteur peut, s’il le désire, être emprisonné la nuit dans une authentique cellule afin « de

s’imprégner encore davantage de l’ambiance carcérale, de l’esprit du lieu178». On peut dès

lors s’interroger sur les motivations des visiteurs. S’agit-il d’un divertissement ? Cherchent-ils

à assouvir une certaine curiosité ? Recherchent-ils une confrontation avec la mort, avec un

imaginaire quelque peu morbide ? Le site – qui était, avant sa fermeture en 1986, le plus

ancien établissement carcéral en fonction au Canada – est aujourd’hui devenu à l’évidence

une véritable « attraction ». Cet exemple démontre les dérives de la mise en tourisme, et pose

les questions de la présentation et de l’interprétation. L’exploitation touristique des lieux

associés à la mort et à la tragédie n’est pas sans susciter des débats, éthiques et moraux, à

commencer par les lieux d’extermination.

177 Voir les avis sur le site communautaire de voyageurs TripAdvisor (qui « regroupe la plus grande communauté de voyageurs au monde), http://www.tripadvisor.fr/Attraction_Review-g60763-d626630-Reviews-or130-Ground_Zero_Museum_Workshop-New_York_City_New_York.html#REVIEWS (consulté le 6 mai 2010). 178 « Sentence d’une nuit », offre de visite de la Vieille prison des Trois-Rivières, http://enprison.com/pdf/sentence_dune_nuit.pdf (consulté le 6 mai 2010).

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b) Le « tourisme de la Shoah » : l’exemple d’Auschwitz-Birkenau

Des lieux de mémoire liés à la Shoah sont devenus, avec la création d’une offre

muséale spécifique et le développement croissant du tourisme mondial, des lieux très

fréquentés. Des sites comme le Yad Vashem (Jérusalem), l’United States Holocaust Memorial

Museum (Washington) reçoivent chaque année plusieurs millions de visiteurs179.

Le « tourisme de la Shoah180 » s’apparente en réalité à la visite des lieux de la destruction

(camps d’extermination de l’Europe de l’Est), mais aussi à la visite des villes ou des localités

où les persécutions furent perpétrées (Varsovie…). Ce tourisme sur les lieux du désastre et

des violences commises envers la population juive d’Europe est véritablement apparu à la fin

des années 1980, avec la chute du communisme (impliquant l’ouverture des frontières), et

surtout avec l’émergence d’une mémoire juive, avec la reconnaissance de la spécificité de la

Shoah. L’exemple du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau est particulièrement

significatif. Le site connaît, comme nous l’avons vu dans la précédente partie Emergence et

Evolution des lieux de mémoire de la Shoah, un processus de patrimonialisation quasi-

immédiat dès les années d’après-guerre, avec l’ouverture du musée. L’ancien camp est visité

dès la fin de la guerre : 100 000 visiteurs en 1946, 250 000 en 1949, 178 000 en 1956,

540 000 en 1968, 807 000 en 1972, après la béatification de Maximilien Kolbe, 739 775 en

1979, après la visite du pape Jean-Paul II etc181. Ce flux de visiteurs se stabilisera dans les

années 1990 autour du demi-million de visiteurs pour augmenter ensuite de manière

exponentielle au cours des années 2000 (fig. 16). Le nombre de visiteurs a ainsi quasiment

doublé de 2004 à 2009, passant de 700 000 à 1,3 millions182. Cette évolution de la

fréquentation s’accompagne d’un mouvement touristique croissant. Qui sont les visiteurs et

pourquoi viennent-ils ?

179 Plus de 30 millions de personnes ont ainsi visité l’United States Holocaust Memorial Museum de Washington depuis son ouverture en 1993. Chiffre réactualisé en mars 2010, donné sur le site Internet de l’institution, http://www.ushmm.org/museum/press/kits/details.php?content=99-general#facts (consulté le 7 mai 2010). 180 Concept anglo-saxon d’« Holocaust Tourism ». 181 Annette Wieviorka, op. cit., 2005, p. 227. 182 Ce chiffre de 1,3 millions de visiteurs constitue à ce jour la plus forte fréquentation du site, depuis sa muséification en 1947. Voir le site Internet du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau, « The attendance record – 1,3 million visitors at Auschwitz Memorial in 2009 », http://en.auschwitz.org.pl/m/index.php?option=com_content&task=view&id=728&Itemid=7 (consulté le 26 avril 2010).

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76

Tout d’abord, il faut noter que si les visites sont de plus en plus nombreuses, c’est

aussi parce qu’elles sont, sans doute, rendues plus faciles depuis quelques années, du fait

notamment du développement des compagnies aériennes low cost et de l’entrée de la Pologne

dans l’Union européenne. En 2009, le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau a été

visité par 1,3 millions de personnes. Si la moitié se compose de Polonais (553 000), la part

des visiteurs étrangers tend, d’après Andrzej Kacorzyk, responsable de la Section des Services

aux Visiteurs, à augmenter par rapport aux années précédentes183. On remarque que les

visiteurs européens se rangent parmi les visiteurs les plus nombreux venus en 2009 (fig. 17).

Les statistiques des visiteurs en provenance des pays non-européens sont également

intéressantes. Le nombre de visiteurs israéliens est ainsi en progression constante depuis six

ans – de 22 890 en 2003, il est passé à 62 400 en 2009 – tandis que celui des visiteurs

américains a, semble-t-il, baissé en 2009, probablement en raison de la crise économique et de

la dépréciation du dollar par rapport à l’euro. Les responsables du musée ont remarqué

l’augmentation, et ce d’une manière très récente, du nombre de visiteurs asiatiques.

183 Voir les statistiques pays par pays des visiteurs donnés par le musée d’Etat (consultés le 6 mai 2010), http://en.auschwitz.org.pl/m/index.php?option=com_content&task=view&id=728&Itemid=8

Figure 16 : Evolution de la fréquentation du site d’Auschwitz-Birkenau (2000-2009)

Source : Site Internet du Musée d’Auschwitz-Birkenau

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En 2009, l’ancien camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau a été visité par 35 400

personnes en provenance de la Corée du Sud, 8 200 du Japon, 5 600 de Chine. De fait,

l’ancien camp d’Auschwitz-Birkenau est devenu aujourd’hui le site le plus visité de Pologne.

L

Les modalités du voyage à Auschwitz sont multiples et obéissent à des motivations

différentes. Les visiteurs d’Auschwitz-Birkenau sont majoritairement des scolaires (821 000

en 2009), qui n’ont pas fait le choix de venir : la visite du camp s’inscrit en effet

principalement dans le cadre de voyages pédagogiques organisés par des enseignants et des

établissements scolaires publics ou privés. Quels sont les effets d’un tel voyage sur les lieux

mêmes de l’extermination des Juifs d’Europe ? La visite des lieux de mémoire exerce-t-elle

un rôle pédagogique sur ceux qui y participent ? Dans quelle(s) mesure(s) la visite des sites

d’Auschwitz et de Birkenau apporte-t-elle une connaissance de la Shoah ?

Polonais

553 000

Chinois

5 600

Japonais

8 200

Coréens du Sud

35 400

Israéliens

62 400 Slovaques

42 900

Français

48 300

Allemands

57 900

Italiens

63 900

Britanniques

75 000

Tchèques

43 500

Figure 17 : Les principaux visiteurs du camp d’Auschwitz-Birkenau en 2009

Source : Site Internet du Musée d’Auschwitz-Birkenau

NB : Graphique non exhaustif

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Des enquêtes et des études ont été menées afin d’évaluer précisément le rôle et l’impact des

voyages sur les lieux de mémoire de la Shoah184. Il apparaît, à travers les conclusions qui en

ressortent, que les voyages pédagogiques à Auschwitz-Birkenau sont « indéniablement une

expérience unique que rien d’autre (cours d’histoire, films, lectures…) ne peut offrir », et

surtout qu’ils sont « essentiels dans la connaissance de la Shoah185». Ils complètent en effet la

connaissance historique de l’évènement, par une expérience très marquante à la fois sur le

plan émotionnel et rationnel (de l’ordre de l’éducation civique).

Outre les scolaires, les descendants (enfants, petits-enfants) des survivants, et les

familles de victimes constituent une autre « catégorie » de visiteurs. Ces « touristes du

souvenir » – venus en voyages organisés ou individuels – effectuent la visite dans un but de

pèlerinage. Ils cherchent ainsi à reconstituer une partie d’une histoire familiale ou

individuelle, inconnue ou perdue. Anne Grynberg, dans un article des Cahiers de la Shoah,

explique qu’il s’agit avant tout, pour beaucoup de rescapés et de membres de leur famille,

d’un geste de piété, d’un recueillement familial. En l’absence de tombes, ils sont nombreux à

considérer que le site d’Auschwitz-Birkenau constitue en quelque sorte le seul cimetière de

leurs proches anéantis, le seul qu’ils puissent avoir186. On observe, à côté de ces voyages

pédagogiques et de ces voyages de pèlerinage, un mouvement touristique croissant, qui doit

être mis en relation à la suite du succès du film de Steven Spielberg, La Liste de Schindler187.

Auschwitz-Birkenau s’inscrit désormais dans l’économie touristique nationale polonaise. Le

camp est devenu une « destination touristique » : il fait en effet l’objet d’une véritable

programmation de la part des tour-opérateurs locaux et des agences réceptives.

Des offres spéciales, « Auschwitz Tours », sont proposées en grand nombre sur place, et sur

Internet188. Nathalie Funès, journaliste au Nouvel Observateur, décrit le phénomène : « Dès

l’aéroport de Cracovie, les chauffeurs de taxi se poussent du coude pour proposer l’aller-

retour à Auschwitz pour “seulement” 400 zlotys [environ 100 euros].

184 Voir la synthèse globale de l’étude Le rôle et l’effet des visites des sites de l’extermination dans la pédagogie de la Shoah, commandée, en 2005, par la Fondation pour la mémoire de la Shoah auprès de l’institut CSA, http://www.fondationshoah.org/FMS/DocPdf/Dossiers/enquetevoyagesCSA.pdf (consultée le 8 avril 2010). 185 Ibid. 186 Anne Grynberg, « La pédagogie des lieux », in « Enseigner et transmettre », Les Cahiers de la Shoah, n° 8, Paris, Les Belles Lettres, 2005, p. 19. 187 Rémy Knafou, conférence « Tourisme et Mémoire », organisée par l’IREST, 26 mai 2009, Paris. 188 Voici quelques exemples d’agences proposant des « Auschwitz Tours » : <http://www.visite-cracovie.com/>, <http://www.auschwitztour.com/>, <http://auschwitzdirect.com/auschwitz_tour/>, <http://www.staypoland.com/varsovie/auschwitz.htm>, <http://www.krakow-tours.com/tour/Auschwitz-Krakow>, <http://www.krakowauschwitztours.com/> etc. (consultés le 23 janvier 2010, le 8 mai 2010).

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En ville, les agences prennent le relais. Avec leurs voyages clés en main : aller-retour en bus,

visite commentée par un guide du musée, pause casse-croûte et achat de souvenirs (cartes

postales, livres, DVD)… Le tout en six heures chrono 189». Ce phénomène des « Auschwitz

Tours » prolifère depuis le début des années 2000. Le site d’Auschwitz-Birkenau a été en

l’occurrence aménagé : certaines infrastructures se sont installées pour le confort des visiteurs

et la commercialisation du souvenir (cafétéria, librairie…). Le développement de ce

phénomène n’est pas sans susciter des polémiques. De nombreuses personnes s’élèvent contre

« l’avènement d’un tourisme de masse », contre une dénaturation du site, une trivialisation.

En effet, elles pointent du doigt le comportement de certains visiteurs, jugé indécent et

inapproprié, qui, l’été, arpentent les allées du camp « en shorts et sandales, canettes de coca et

sandwiches à la main, appareil photo autour du cou, rires tonitruants, malgré les panneaux

demandant une tenue correcte et une attitude respectueuse 190».

189 Article de Nathalie Funès, publié le 16 avril 2009 dans Le Nouvel Observateur, http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/obs/p2319/articles/a399254-.html (consulté le 23 janvier 2010). 190 Nathalie Funès, op. cit., 2009.

Figure 18 : Groupes de visiteurs devant le portail « Arbeit macht Frei », Auschwitz I

© Musée-Mémorial d’Auschwitz-Birkenau

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80

La visite sur le site d’Auschwitz-Birkenau semble s’être ainsi banalisée depuis ces

dernières années. Des albums photographiques de l’ancien camp d’extermination sont mis sur

Internet, comme n’importe quels albums de souvenirs de vacances. Annette Wieviorka rend

compte de cette évolution des comportements et des pratiques : « Désormais, certains

arpentent le site, téléphone portable à l’oreille. Ça capte très bien, à Auschwitz I comme à

Birkenau, mieux que dans certains coins de France. Le 27 janvier 2004, à Auschwitz I, le

portable d’une visiteuse a sonné. “Ça pourrait aller mieux. Je suis dans une chambre à gaz” a-

t-elle répondu à un interlocuteur qui lui demandait probablement de ses nouvelles 191».

Les dérives de l’exploitation touristique ne sont pas surprenantes pour un certain nombre

d’acteurs de la mémoire et d’historiens, tels Henry Rousso. En effet, ce dernier estime « qu’à

partir du moment où Auschwitz a été transformé en musée, où les gouvernements et les

associations ont favorisé les voyages pédagogiques, où il y a eu volonté de sensibiliser le plus

grand nombre à la charge symbolique du camp, on ne pouvait échapper à la mémoire de

masse, donc au tourisme de masse. Difficile, dans ces conditions, de conserver à un tel lieu

une dimension sacrée. Plus il est visité, plus son message originel se dilue, plus il se banalise.

191 Annette Wieviorka, op. cit., 2005, p. 18.

Figure 19 : Touriste se faisant photographier devant la vitrine de boîtes de zyklon B,

Exposition permanente, block 4, Musée d’Auschwitz

Source : http://darrengarnick.wordpress.com/2009/07/16/auschwitz-tourists/

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Les Auschwitz Tours en bus climatisé peuvent paraître choquants, mais ils sont

inévitables 192». L’exemple d’Auschwitz-Birkenau est donc significatif de la complexité voire

de la difficulté de « mettre en tourisme » des lieux de mémoire tragiques, de concilier

l’ouverture au public et le respect mémoriel, la préservation de valeurs hautement

immatérielles. Les limites de l’exploitation touristique sont ici dépassées, du fait notamment

de l’absence de planification des flux, et d’une mauvaise gestion des autorités polonaises.

Une fréquentation excessive, ou en tout cas mal gérée, est un facteur de risque évident

de dégradation. Aussi, les responsables du site d’Auschwitz-Birkenau ont commencé à mettre

en place des mesures de régulation des flux. En effet, la situation devient quelque peu

compliquée, suite au nombre record de visiteurs en 2009 (1,3 millions).

Depuis ces cinq dernières années, le site accueille, l’été, en une journée entre 5 000 et 8 000

personnes, soit un groupe toutes les deux minutes. C’est ainsi que l’organisation des visites

est modifiée pour la « saison touristique » 2010193. Pendant les heures de pointes – c’est-à-

dire 10h00-15h00 –, l’entrée sur le site d’Auschwitz I ne sera réservée qu’aux groupes avec

guides. Les visiteurs individuels ont alors la possibilité de se joindre à des groupes durant ces

horaires, ou bien de visiter librement le site avant 10h et après 15h. Ces nouvelles procédures,

ainsi que de meilleures conditions de visites tendent à désengorger le site d’Auschwitz I, et à

garantir la sécurité des visiteurs. Surtout, la mise en œuvre d’un véritable plan de gestion des

flux s’avère aujourd’hui indispensable à la préservation des bâtiments et objets de l’ancien

camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. La protection et la

conservation du site passent indéniablement par une maîtrise de la fréquentation.

192 Propos recueillis par Nathalie Funès, op. cit., 2009. 193 Voir les nouvelles modalités de visite sur le site Internet du musée d’Auschwitz-Birkenau, http://en.auschwitz.org.pl/z/index.php?option=com_frontpage&Itemid=1 (consulté le 9 mai 2010).

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Troisième partie

ETUDES DE CAS FRANÇAIS

DE LIEUX DE MEMOIRE DE LA SHOAH

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La présente partie s’intéresse précisément à la valorisation de quatre lieux de mémoire

français liés à la Shoah. La nature de ces lieux valorisés est extrêmement diverse. En effet, ils

peuvent revêtir différentes formes, qui sont parfois « imbriquées » : un mémorial, un camp

d’internement, une maison, un musée. Bien que témoignages d’un même contexte, d’un

même évènement historique, ces lieux de mémoire possèdent leur histoire propre, leur

spécificité. Il apparaît important de rappeler dans un premier temps l’histoire de chacun des

lieux choisis afin de mieux comprendre comment ces lieux sont devenus des lieux de

mémoire, c’est-à-dire des institutions muséales reconnues, avant d’analyser plus amplement

leurs fonctionnements, le rôle des acteurs participant à cette mise en valeur muséographique,

la conception et le contenu de l’offre muséale proposée.

A. Du mémorial au musée : état des lieux

1) Situation historique

a) La Maison d’Izieu

La Maison d’Izieu, situé dans le département de l’Ain – région Rhône-Alpes –,

témoigne d’une tragédie particulière. Construit à la fin du XIXe siècle, le lieu se compose

d’une maison bourgeoise et de deux bâtiments agricoles, une magnanerie et une grange.

De mai 1943 à avril 1944, la maison – qui fait office avant guerre de colonie de vacances pour

enfants catholiques – est mise à la disposition de Sabine et Miron Zlatin par le sous-préfet de

Belley, Pierre-Marcel Wiltzer, pour accueillir « la colonie des enfants réfugiés de l’Hérault ».

La maison d’Izieu sert ainsi de lieu d’hébergement pour de nombreux enfants juifs – souvent

sortis des camps d’internement du sud de la France (Agde, Rivesaltes, Gurs, Les Milles…)

grâce à l’action de l’Œuvre de Secours aux Enfants (O.S.E.) – et également de lieu de passage

à certains, avant qu’ils ne soient pris en charge par une famille d’accueil, une autre colonie ou

une filière pour gagner la Suisse194.

194 L’histoire de la tragédie de la Maison d’Izieu a fait l’objet d’un certain nombre d’ouvrages et de travaux d’historiens. Voir entre autres les ouvrages de Serge Klarsfeld, Les enfants d’Izieu, une tragédie juive, Paris, Association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France, 1984, 127 p. ; de Pierre-Jérôme Biscarat, Les enfants d’Izieu 6 avril 1944 : un crime contre l’humanité, Veurey, Editions Le Dauphiné Libéré, 2007, 51 p. ; de Richard Schittly, Izieu, l’innocence assassinée, Seyssel, Editions Comp’Act, 1994, 167 p.

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Le site n’est pas choisi par hasard : juchée à flanc de montagne et assez isolée, la maison

semble à l’écart des tourments de la guerre. Après des mois d’une relative tranquillité, la

situation change : le département de l’Ain, jusqu’alors en zone italienne, est occupé par les

forces allemandes, qui ne tardent pas à procéder à des arrestations. Le 6 avril 1944, la Gestapo

de Lyon, sous le commandement de Klaus Barbie, raflent 44 enfants, âgés de 5 à 17 ans, et 7

adultes de la colonie d’Izieu. Ils furent incarcérés au fort Montluc à Lyon, puis transférés à

Drancy, « antichambre de la mort ». 42 enfants et 5 adultes ont été déportés et exterminés à

Auschwitz-Birkenau ; 2 adolescents et le directeur de la maison ont été fusillés en Estonie.

Il y eut une unique rescapée des déportés de la colonie d’Izieu, Lea Feldblum, une des

éducatrices. Une mémoire de la rafle d’Izieu se construit dès la fin de la guerre. Impulsée et

portée par Sabine Zlatin, ancienne directrice de la colonie, elle est d’abord une mémoire

individuelle et locale. Une première commémoration officielle est célébrée le 7 avril 1946, sur

les lieux même de la rafle195. A cette occasion, un monument est érigé à la sortie du village de

Brégnier-Cordon, au bord de la route qui mène à Izieu et à la Maison d’Izieu. En outre, une

plaque – où sont gravés les noms des enfants et des adultes raflés – est posée sur la maison.

La mémoire de la rafle d’Izieu sera entretenue durant de longues années par Sabine Zlatin et

la population locale, qui commémora chaque année le souvenir de la rafle.

195 Sur la construction de la mémoire de la rafle d’Izieu, voir les travaux universitaires de Stéphanie Cannoodt, Mémoire(s) de la rafle d’Izieu : une histoire en construction, mémoire de maîtrise sous la direction d’Annette Becker, Université Paris X-Nanterre, 2001, 191 p. ; Pierre-Jérôme Biscarat, La « Colonie d’enfants réfugiés » d’Izieu : histoire et mémoire, 1947-1994, DEA d’histoire contemporaine réalisé sous la direction d’Anne Grynberg, Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, 2002.

Figure 20 : Maison d’Izieu, Ain

© Comité départemental du tourisme de l’Ain

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Néanmoins, il faut attendre le début des années 1980 pour que cette mémoire évolue,

avec l’arrivée de nouveaux acteurs de la mémoire, en particulier Serge et Beate Klarsfeld, et

l’Association des Fils et Filles de Déportés Juifs de France. Ces « militants » de la mémoire

retrouvent la trace de Klaus Barbie, responsable de la rafle et de la déportation des enfants de

la colonie d’Izieu, et parviennent à le faire inculper en France. Serge Klarsfeld réalise dès lors

un immense travail de documentation et de recherche, en vue de l’instruction du dossier

d’accusation de Barbie. C’est avec le procès de Klaus Barbie – qui se déroule à Lyon pendant

près de deux mois, du 11 mai au 3 juillet 1987 – que la mémoire d’Izieu s’inscrit dans la

mémoire collective française. En effet, la grande médiatisation du procès permet la

reconnaissance nationale, permet de rendre publique la tragédie. La rafle des enfants d’Izieu

devient dès lors le symbole de l’enfance juive persécutée et exterminée par les nazis. A

compter de ce moment précis, va naître la décision de créer un musée-mémorial.

Une association se constitue en 1988, autour de Sabine Zlatin et de Pierre-Marcel

Wiltzer, afin précisément de définir et mettre en œuvre ce projet muséal, « en souvenir des 44

enfants, de leur directeur et de leurs éducateurs, juifs et martyrs, déportés le 6 avril 1944 et en

hommage aux résistants et déportés, plus particulièrement de l’Ain, de l’Isère, du Jura, du

Rhône, de la Haute-Savoie, de la Savoie et de la Saône-et-Loire 196». L’association dite

« Musée mémorial des enfants d’Izieu » se veut dès lors délibérément éclectique et

œcuménique, en associant diverses hautes personnalités nationales, régionales, religieuses,

anciens résistants et déportés de toutes obédiences. La première action menée fut d’acquérir la

maison, devenue, dès les lendemains de la guerre, une propriété privée. Une souscription

publique nationale – placée sous le haut patronage du président de la République François

Mitterrand – est ainsi lancée pour collecter les fonds nécessaires. La maison sera achetée en

juillet 1990, grâce aux nombreux dons de particuliers, et aux subventions de l’Etat, et des

collectivités publiques197. L’Etat, co-financeur pour le lancement du projet, devint par la suite

le promoteur principal de la réalisation du Musée-Mémorial d’Izieu. Le projet est inscrit, en

novembre 1992, au programme des Grands Travaux présidentiels. L’Etat assura ainsi la

maîtrise d’ouvrage, allouant près de 16,6 millions de francs à cette opération.

196 Extrait des statuts de l’association, devenue en 2000, l’Association de la Maison d’Izieu, mémorial des enfants juifs exterminés, http://www.izieu.alma.fr/francais/frame_principale.htm 197 Sur la genèse et le déroulement du projet, voir le mémoire de maîtrise de Stéphanie Cannoodt, op. cit., 2001, p. 92-98.

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Cette inscription marque la volonté de l’Etat de se saisir de la mémoire d’Izieu et de

commémorer ces évènements au niveau national. La Maison d’Izieu est, par décret

présidentiel198, instituée comme l’un des trois lieux de mémoire nationale des « persécutions

racistes et antisémites », avec le monument commémoratif du Vélodrome d’Hiver et le camp

d’internement de Gurs. Inauguré le 24 avril 1994, le Musée-mémorial des enfants d’Izieu –

renommé la Maison d’Izieu, mémorial des enfants juifs exterminés en 2000199 – se trouve

aujourd’hui à un tournant mémoriel et scientifique. En effet, l’institution entame, depuis 2004,

un projet d’extension qui prévoit la création d’un nouveau bâtiment, destiné à l’accueil du

public, et surtout l’élaboration et la mise en place d’une nouvelle exposition permanente200.

b) Le Mémorial de la Shoah

Le Mémorial de la Shoah est un lieu « multiple ». Situé à Paris au cœur du quartier du

Marais, quartier historique de la communauté juive, le site est en quelque sorte un lieu de

mémoire ex nihilo. Ouvert dans sa forme actuelle depuis le 27 janvier 2005201, l’institution

résulte en réalité de la fusion et de l’évolution de deux entités : le Centre de Documentation

Juive Contemporaine (CDJC) et le Mémorial du Martyr Juif Inconnu.

La première institution, le Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC), fut créée

en avril 1943, dans la clandestinité, à Grenoble par les principaux responsables de la

communauté juive, rassemblés à l’initiative d’Isaac Schneersohn. L’objectif des fondateurs

était de mettre en place une structure qui rassemblerait des preuves de la persécution des Juifs

afin de témoigner, de révéler à la conscience des hommes les crimes des nazis et la complicité

active du gouvernement de Vichy, et de demander justice dès la fin de la guerre202.

198 Voir page 41. 199 Ce changement de nom induit la volonté de rappeler, dans l’intitulé de l’institution, l’histoire même du lieu. 200 Sur le projet d’extension de l’institution, voir, entre autres, le Rapport d’activités 2008, Maison-mémorial des enfants juifs exterminés d’Izieu, 2009, p. 9-13. 201 L’inauguration du Mémorial de la Shoah eut lieu à l’occasion du soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, en présence de nombreuses personnalités (le président de la République Jacques Chirac, Simone Veil, les représentants de la communauté juive,…). 202 Ainsi, à la Libération, des fonds d’archives allemands (archives du service anti-juif de la Gestapo, de l’Ambassade d’Allemagne à Paris, de l’état-major allemand en France) et français (archives du commissariat général aux Questions juives, de l’Union générale des Israélites de France…) majeurs sont entrés dans les collections du CDJC.

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Dès lors, le CDJC entreprit un important travail d’histoire et de mémoire. Le renforcement de

la connaissance de l’histoire de la Shoah comme de la Résistance, le sauvetage et la

perpétuation de la mémoire des victimes, ainsi que l’aide à la justice en matière de procédure

pénale à l’encontre de criminel de guerre s’inscrivent, depuis les origines, au cœur des

missions de l’institution203. Parallèlement à cela, Isaac Schneersohn, mit en œuvre, dans les

années 1950, un autre projet : celui de créer un tombeau-mémorial destiné aux victimes de la

Shoah204. Inauguré le 30 octobre 1956 – en présence de délégations des communautés juives

du monde entier et de nombreuses personnalités politiques et religieuses venues de toute

l’Europe –, le Mémorial du Martyr Juif Inconnu abrite dans ses murs le CDJC.

Classé Monument historique depuis 1991, il accueille chaque année les principales

cérémonies liées à la Shoah, organisées par l’Etat ou par la communauté juive.

203 Le fonds documentaire du CDJC est en accroissement permanent et constant grâce à des dépôts, donations d’organismes et de personnes privées, ou achats. Il compte aujourd’hui plusieurs millions de pages de documents, plus de 90 000 photographies etc. 204 Voir p. 24-25. Sur l’histoire précise du CDJC et du Mémorial du martyr juif inconnu, voir l’article d’Annette Wieviorka, « Du CDJC au Mémorial de la Shoah », in « Génocides, Lieux (et non-lieux) de mémoire », Revue d’histoire de la Shoah. Le monde juif, n° 181, Paris, CDJC, juillet-décembre 2004, p. 11-36.

Figure 22 : Façade du Mémorial de la Shoah (ancien Mémorial du martyr juif inconnu), © CDJC / Mémorial de la Shoah

Figure 21 : Crypte, Mémorial de la Shoah (ancien Mémorial du martyr juif inconnu) © CDJC / Mémorial de la Shoah

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Le développement du CDJC et du Mémorial du Martyr Juif Inconnu, l’exiguïté des

locaux, la volonté d’accueillir davantage de visiteurs et de chercheurs et de déployer les

activités, ont amené à la création du Mémorial de la Shoah. Un projet d’agrandissement et de

remodelage de ces deux institutions en une seule entité s’est ainsi mis en place en 1997, avec

le soutien de l’Etat, de la Ville de Paris et de la région Ile-de-France. Achevé en 2004, le

Mémorial de la Shoah constitue indéniablement une nouvelle étape de la transmission de la

mémoire et de l’enseignement de la Shoah, qui étaient jusqu’alors essentiellement portés par

les survivants et les témoins directs de l’extermination des Juifs d’Europe. Le Mémorial de la

Shoah, voulu comme « le premier musée de ce genre en Europe205 », est une institution de

référence, qui s’impose aujourd’hui comme le plus grand centre européen de recherche,

d’information et de sensibilisation sur l’histoire du génocide des Juifs pendant la Seconde

Guerre mondiale.

c) La tuilerie des Milles

Situé à la périphérie d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), le camp des Milles fut

le principal camp d’internement, de transit et de déportation du sud-est de la France durant la

Seconde Guerre mondiale. Ouvert en septembre 1939 au sein d’une tuilerie, le site connut un

peu plus de trois ans d’activité au cours desquelles plus de 10 000 personnes, originaire de 27

pays, furent internées.

205 Extrait de l’allocution d’Eric de Rothschild, président du Mémorial du martyr juif inconnu (et de l’actuel Mémorial de la Shoah), 24 avril 1996. Cité dans Le Monde juif. Revue d’histoire de la Shoah, Paris, CDJC, n° 156, janvier-avril 1996, p. 239.

Figure 23 : Façade de la tuilerie des Milles, Aix-en-Provence

© Association Mémoire du Camp

d’Aix -Les Milles

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L’histoire du camp des Milles se divise précisément en trois périodes distinctes, qui

correspondent aux différentes catégories d’internés qui y séjournèrent206 :

1. Septembre 1939- Juin 1940

Cette période débute ainsi au tout début de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le

gouvernement Daladier – sous le régime de la IIIe République – prend la décision d’interner

les ennemis supposés de la France, les ressortissants du Reich. La tuilerie des Milles, alors

désaffectée, est réquisitionnée pour interner des réfugiés allemands et autrichiens considérés

alors comme une « menace » pour la sécurité nationale. En réalité, ces « étrangers » étaient

pour la plupart des opposants au régime nazi qui avaient fui l’Allemagne dès 1933 pour venir

se réfugier en France. Il y avait parmi ces internés, une intelligentsia mondialement connue :

des hommes de lettres (Fritz Brugel, Lion Feuchtwanger,…), des scientifiques, des hommes

de théâtre, des musiciens et des peintres (Max Ernst, Hans Bellmer,…207).

2. Juin 1940- 1942

Une seconde période s’ouvre, avec la défaite française et la signature de l’armistice.

Le camp des Milles devient rapidement surpeuplé à cette période : des internés étrangers des

camps du sud-ouest – en particulier d’anciens membres des Brigades internationales

d’Espagne et des Juifs expulsés d’Allemagne – sont transférés aux Milles. Passé sous

l’autorité du ministère de l’Intérieur du régime de Vichy, le camp devient, à partir de

novembre 1940, le seul camp de transit en France pour une émigration outre-mer, transit

régulier ou illégal. C’est de cette période (automne 1940 - hiver 1941) que datent les peintures

murales réalisées par les internés dans le réfectoire des gardiens (fig. 23 et 24).

La forte proportion d’intellectuels et d’artistes internés permit le développement d’une vie

culturelle très active. Des concerts, des pièces de théâtres, des conférences, des cours, des

activités artisanales furent ainsi organisés, comme autant de moyens d’occupation, de

s’abstraire mentalement et temporairement de l’enfermement.

206 Sur l’histoire du camp des Milles, voir l’ouvrage d’André Fontaine, Un Camp de concentration à Aix-en-Provence ? Le camp d’étrangers des Milles (1939-1943), Aix-en-Provence, Edisud, 1989, 240 p. ; Provence-Auschwitz : de l’internement des étrangers à la déportation des juifs 1939-1944, s. dir. de Robert Mencherini, Aix-en-Provence, Publications de l’Université d’Aix-en-Provence, 2007, 318 p. 207 Une exposition, organisée par le Conseil général des Bouches-du-Rhône il y a une dizaine d’années à la Galerie d’Art - Espace 13 d’Aix-en-Provence, a retracé l’internement de certains peintres surréalistes. Voir le catalogue Des peintres au camp des Milles, septembre 1939-été 1941, Aix-en-Provence, Actes Sud, 1997, 93 p.

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3. Août 1942- mars 1946

Enfin, l’histoire des Milles se trouve bouleversé en août et septembre 1942 : le site

devient un camp de déportation pour les Juifs de la zone dite « libre ». Près de 2 500 hommes,

femmes et enfants seront déportés vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, via

Drancy ou Rivesaltes. Ces déportations s’inscrivent dans le cadre de l’accord passé entre les

autorités de Vichy et l’Allemagne nazie de livrer dix mille Juifs de la zone « libre » ; et sont

d’autant plus édifiantes qu’elles surviennent avant même l’occupation allemande de la zone

sud (novembre 1942). Au-delà du mois de septembre 1942, le camp des Milles demeure un

camp de transit ; quasiment vidé en décembre 1942, avec le départ des derniers internés, il est

fermé officiellement en mars 1943. La tuilerie retrouva dès 1946 son activité industrielle,

gommant progressivement les stigmates de cette période de l’internement.

Il faudra attendre près de quarante ans pour que la mémoire du camp soit recouvrée et

réactivée, dans un premier temps – au début des années 1980 – par des travaux universitaires

qui permirent de (re)découvrir l’histoire du site. En outre, la menace d’une destruction des

lieux renforça une prise de conscience sur la nécessité de sauvegarder l’ancien camp, et de

fixer la mémoire des évènements qui s’y déroulèrent.

Figures 24 et 25 : Salle des peintures – réfectoire des gardiens, camp des Milles

© Association Mémoire du Camp d’Aix-Les Milles

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Un « Comité de coordination pour la sauvegarde du Camp des Milles et la création d’un

Musée mémorial de la déportation, de la résistance et de l’internement » voit le jour en

1985208. Un certain nombre d’actions et de réalisations furent impulsées tout au long des

années 1990 :

- installation de différents dispositifs mémoriels (stèles, wagon-souvenir),

- création d’un « Chemin des déportés » (qui correspond au trajet qu’effectuaient

les déportés du camp vers les trains),

- opération « Mémoire pour demain »209 etc.

L’adoption d’une « Déclaration commune sur le projet de lieu de mémoire de

l’internement et de la déportation dans la Tuilerie des Milles » en mars 2002 par la Mairie

d’Aix-en-Provence, la Société Lafarge Couverture (alors propriétaire des lieux), le Conseil

Représentatif des Institutions juives de France (CRIF), l’Association du Wagon-souvenir et

du Site-Mémorial des Milles marqua officiellement le lancement du projet « Mémoire du

Camp des Milles ». Un Comité de pilotage fut dès lors constitué afin de conduire le travail de

conception et de réalisation in situ d’un Musée-Mémorial de l’internement et de la

déportation. Il faut préciser que le travail de définition de ce Comité fut préparé initialement

(ou complété) par des groupes de travail chargés d’approfondir la réflexion sur des aspects

particuliers du projet (financier, patrimonial, réflexif, pédagogique, juridique).

Présidé par Alain Chouraqui, chercheur au CNRS, le Comité de pilotage a principalement

convenu des orientations de préfiguration, de réalisation et d’aménagement du site de

l’ancienne tuilerie. Il a, par ailleurs, œuvré à la création, en 2003, d’une structure ad hoc

porteuse du projet, l’Association Mémoire du Camp d’Aix-Les Milles, qui a assuré, jusqu’à

ces derniers mois, la maîtrise d’ouvrage, le suivi opérationnel du projet210.

Les travaux n’ont officiellement démarré qu’en janvier 2009, après un difficile bouclage des

budgets d’investissement du projet et de fonctionnement de la future institution. L’ouverture

complète au public du Mémorial du Camp des Milles est, en principe, prévue pour le début de

l'année 2011.

208 Composé à l’origine de quelques associations d’anciens déportés, résistants et internés d’Aix ainsi que de la communauté juive, ce comité entreprit de réhabiliter le réfectoire des gardiens du camp (la salle des peintures murales). 209 Voir p. 45-46. 210 Sur le développement précis du projet du Mémorial du Camp des Milles, et de son opération, voir le site Internet du Camp des Milles, http://www.campdesmilles.org/

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d) Les camps d’internement du Loiret : Beaune-la-Rolande, Pithiviers

Les camps d’internement de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers furent les deux

premiers camps d’internement ouverts pour Juifs étrangers, puis pour Juifs français de la zone

occupée, avant Drancy. Plus de 18 000 personnes, en majorité des femmes et des enfants, y

ont été internées entre 1941 et 1943. Situés au sud-est d’Orléans, à une centaine de kilomètres

de Paris, les camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers furent construits peu après la

déclaration de guerre, en août 1939, par les autorités militaires françaises pour accueillir des

réfugiés et des prisonniers de guerre allemands. Les deux camps vont devenir des structures

d’internement à partir de mai 1941. L’ouverture des deux camps marque dès lors une étape

importante : « c’est là que commence, sous le sceau de la légalité de Vichy, la concentration

des Juifs étrangers 211». Perçus comme une seule entité par les différents services français et

allemands, les camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers relèvent de l’autorité du Préfet du

Loiret. L’histoire des deux camps est ainsi quasi similaire de par leur administration et de par

leur destination. Trois phases peuvent être distinguées :

1. Internement de Juifs étrangers (mai 1941- juillet 1942)

Ces internés, exclusivement des hommes, furent arrêtés à Paris par la police française

lors de la rafle du 14 mai 1941. Ces Juifs étrangers avaient reçu la veille une convocation –

« billet vert » – de la préfecture de Paris leur enjoignant de se présenter le lendemain matin

dans un des cinq centres de rassemblement indiqués pour « examen de leur situation ». Au

total, plus de 3 700 hommes, âgés de 18 à 60 ans, furent raflés, et acheminés par des autobus

en service spécial jusqu’à la gare d’Austerlitz, puis transférés vers Beaune-la-Rolande et

Pithiviers212. Les internés survivent tant bien que mal, tentent d’améliorer leurs conditions de

vie, dans une totale incertitude de leur sort : une activité culturelle intense est de fait

développée par les internés eux-mêmes, permettant ainsi de maintenir un semblant de vie, et

de « ne pas s’abandonner au désarroi ». En juin et juillet 1942, les deux camps d’internement

du Loiret sont vidés en trois convois (25 juin, 28 juin, 17 juillet) pour « faire place à de

nouveaux détenus 213».

211 Les camps d’internement du Loiret 1941-1943, Histoire et mémoire, Orléans, Centre de recherche et de documentation sur les camps d’internement et de la déportation juive dans le Loiret [Cercil], 1992, p. 6. 212 Sur l’histoire de la rafle du 14 mai 1941, voir l’ouvrage de David Diamant, Le Billet vert, Paris, Editions Renouveau, 1977, 334 p. 213 « Les premières déportations : 25 juin 1942 -17 juillet 1942 », op. cit., 1992, p. 54.

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2. Internement des victimes de la « rafle du Vél’d’Hiv » (juillet- août 1942)

A partir de l’été 1942, Beaune-la-Rolande et Pithiviers occupent une place importante

dans la mise en œuvre de la « Solution finale » en France : de camps d’internement, ils

deviennent camp de déportation. Organisée conjointement par les autorités allemandes et le

gouvernement de Vichy et opérée par la Police française, la rafle du Vél’d’Hiv (16-17 juillet

1942) constitue la plus importante rafle conduite sur le territoire français. 13 152 Juifs de

Paris et sa banlieue, dont 4 115 enfants, la plupart de nationalité française, furent arrêtés214.

Les familles avec enfants (8 160 personnes) furent rassemblées au Vélodrome d’Hiver, où

elles furent parquées du 16 au 21 juillet 1942, puis transférées en train dans les camps du

Loiret215. 4 544 personnes sont entassées à Pithiviers et 3 074 à Beaune-la-Rolande dans des

conditions indescriptibles : grande promiscuité, absence totale d’hygiène, manque de

nourriture, épidémies etc. Les adultes (et adolescents) furent déportés dans un premier temps,

le gouvernement de Vichy attendant l’autorisation de Berlin de déporter aussi les enfants.

Quatre convois partent directement de Pithiviers et Beaune-la-Rolande le 31 juillet, les 3, 5 et

7 août 1942 à destination d’Auschwitz-Birkenau. Séparés de leurs mères, les enfants, au

nombre d’environ 3 300, se retrouvent seuls, livrés à eux-mêmes, dans une détresse morale et

matérielle totales. Ils seront par la suite presque tous déportés, via Drancy, entre le 17 et 31

août 1942, et gazés dès leur arrivée à Auschwitz.

3. Septembre 1942- août 1944

A partir de septembre 1942, le camp de Beaune-la-Rolande devint un camp de transit,

annexe du camp de Drancy, lorsque celui-ci atteint sa capacité maximale. Les Juifs internés

alors à Beaune-la-Rolande sont considérés (momentanément) comme « non-déportables » ; ils

seront pour la plupart déportés vers les camps d’extermination. Le camp de Beaune-la-

Rolande continue à fonctionner jusqu’en juillet 1943, date à laquelle le commandant de

Drancy, Alois Brünner, ordonne la liquidation du camp. Le camp de Pithiviers est quant à lui

évacué au mois d’octobre 1942 pour devenir un camp d’internement de prisonniers politiques,

essentiellement communistes. Les deux camps du Loiret furent par la suite réutilisés jusqu’en

1947 pour interner des collaborateurs.

214 Le nombre des arrestations se révèle être inférieur au nombre escompté par les organisateurs de la rafle, grâce aux aides rencontrées dans la population et aux réticences de quelques policiers. 215 Un film français, La Rafle, sorti au cinéma en mars 2010, retrace cette histoire tragique. Voir le site Internet dédié, www.larafle-lefilm.com (consulté le 19 août 2010).

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94

Il ne reste aujourd’hui quasiment plus de traces des camps d’internement du Loiret. Aussi,

une association, le Centre d’Etude et de Recherche sur les Camps d’Internement dans le

Loiret et la déportation juive (CERCIL), s’attache, depuis 1991, à restituer et à faire connaître

l’histoire de ces camps du Loiret. Créé à l’initiative des municipalités de Beaune-la-Rolande,

de Jargeau, d’Orléans et de Pithiviers, de la communauté juive d’Orléans, et de plusieurs

associations – Section régional du CRIF, Fils et Filles de Déportés Juifs de France, Union des

Déportés d’Auschwitz, Association des amis de Jean Zay, etc. – le CERCIL a ainsi pour

objectifs :

- l’approfondissement de la recherche, de la connaissance historique

- la préservation des traces des camps d’internement du Loiret

- le rassemblement d’une documentation spécifique, mise à la disposition des

chercheurs et du public

- l’aide à la réalisation, et à la publication d’études se rapportant à l’histoire des

camps du Loiret, au sort des victimes

Surtout, l’association œuvre à la création, depuis 2004, d’un Centre d’histoire et de mémoire à

Orléans, « afin de conserver la mémoire vivante et d’offrir le contexte nécessaire à la

compréhension des évènements216 ». Implanté dans les locaux d’une ancienne école

maternelle, il remplira ainsi « le rôle de Musée, de Mémorial, de Centre de documentation,

d’éducation, de culture et de rencontres 217». La réalisation de cette institution muséale

constitue indubitablement « l’aboutissement logique d’un travail mené depuis vingt ans218 ».

L’ouverture du Centre est prévue, semble-t-il, le 27 janvier 2011, date anniversaire de la

libération d’Auschwitz.

216 Dépliant de présentation du CERCIL, reçu lors de l’entretien avec Nathalie Grenon, le 18 mars 2010. 217 Extrait des statuts du CERCIL, http://www.cercil.fr/adherer/files/page18_1.pdf 218 Entretien avec Nathalie Grenon, Orléans, le 18 mars 2010.

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2) Fonctionnement et modalités de financement

La création d’institutions muséales implique de prendre en considération des

composantes inhérentes aux domaines juridique, économique et technique. Il s’agit en effet,

pour les porteurs de projet, de s’interroger sur l’aménagement même des lieux et leurs

environnements ; de définir des objectifs et des orientations, le fonctionnement et les

investissements ainsi que la structure de gestion.

a) Statut juridique

Les institutions muséales étudiées sont des structures associatives, régies par la loi de

1901. Le choix de cette modalité de gestion n’est pas surprenant, étant donné que les projets

sont, dans la grande majorité, portés en amont et/ou soutenus en phase de conception par une

association. Le musée-mémorial de la Maison d’Izieu a été ainsi conçu par l’association dite

« Musée mémorial des enfants d’Izieu », constituée précisément dans ce but219.

La gestion du futur Centre d’histoire et de mémoire sur les camps d’internement dans le

Loiret (Orléans) sera prise en charge par le CERCIL, association fondatrice, pour reprendre

les termes d’Emmanuelle François, c’est-à-dire « une association où l’historicité de

l’engagement prime sur la compétence gestionnaire 220». Le projet du Mémorial du Camp des

Milles a été également porté par une structure associative, l’Association Mémoire du Camp

d’Aix-Les Milles, créée ad hoc en 2003, par le Comité de pilotage. Véritable outil

opérationnel, l’association a assuré, jusqu’à ses derniers mois, la maîtrise d’ouvrage, le suivi

et l’interface entre les différents partenaires. Néanmoins, la future institution muséale du

camp des Milles ne relèvera pas de ce mode de gestion. En effet, une fondation, la

« Fondation du Camp des Milles : Mémoire et Education », a été créée en 2007 afin justement

« de poursuivre l’opération engagée par l’Association “Mémoire du Camp d’Aix-Les Milles”,

et d’assurer la gestion et le développement du Mémorial après son ouverture 221».

219 La création, l’aménagement, la gestion et le développement du Musée-Mémorial d’Izieu constituent les statuts mêmes de l’association, http://www.izieu.alma.fr/francais/frame_principale.htm 220 Emmanuelle François, Les musées d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, Rapport d’études au ministère de la Culture, Direction des Musées de France, 1996. 221 Communiqué de presse de la « Fondation du Camp des Milles : Mémoire et Education » et de l’Association « Mémoire du Camp d’Aix-Les Milles », Premier Conseil d’Administration de la Fondation du Camp des Milles, le 25 mai 2009, à 22h, http://www.campdesmilles.org/articles/CqeAMCM20090525.pdf

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Reconnue d’utilité publique par décret du Premier ministre en date du 25 février 2009, la

Fondation du Camp des Milles gérera une dotation initiale d’une valeur de 3 304 758 euros222.

Les associations, et les fondations sont des structures juridiques de droit privé, à but

non lucratif. Elles bénéficient, en France, d’un statut particulier : les associations peuvent en

effet obtenir des subventions, des aides publiques, et ne sont généralement pas soumises aux

mêmes obligations fiscales que les entreprises privées (TVA, impôts sur les sociétés,…)223.

Ces dispositions font donc des associations des supports privilégiés pour la gestion des biens

culturels, en particulier des institutions muséales comme celles étudiées224.

On remarque que ces structures associatives sont pour la plupart reconnues d’utilité publique

(Mémorial de la Shoah) ou d’intérêt général (Maison d’Izieu). Ces reconnaissances d’utilité

publique et d’intérêt général – accordées par l’Etat aux associations œuvrant dans les

« domaines philanthropiques, social, éducatif, scientifique, culturel,… 225» – permettent de

recevoir, outre des dons manuels, des donations et des legs.

b) Des structures professionnalisées

Les institutions muséales liées à la Shoah – ainsi gérées par des structures privées –

poursuivent plusieurs objectifs communs :

- faire connaître cette histoire, cette tragédie humaine que représente la

Shoah, la resituer et la restituer dans toute sa diversité, dans toutes ses

dimensions,

- transmettre de fait l’histoire et la mémoire des lieux

- susciter la réflexion sur le crime contre l’humanité, sur les phénomènes de

société, les grandes questions éthiques

- éduquer et sensibiliser etc.

222 Sur la dotation de la Fondation du Camp des Milles, voir le complément au communiqué ci-dessus, http://www.campdesmilles.org/articles/CqeAMCM20090228Precisions.pdf 223 Sur le financement, la fiscalité, la législation en matière d’associations, voir notamment le site Internet « Associations.gouv.fr » du ministère de la Jeunesse et des Solidarités actives, http://www.associations.gouv.fr/ (consulté le 27 mai 2010). 224 Valéry Patin, op. cit., 2005, p. 68. 225 Article « Associations reconnues d’utilité publique », site Internet officiel de l’administration française, http://vosdroits.service-public.fr/associations/F1131.xhtml (consulté le 27 mai 2010).

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La réalisation de ces objectifs nécessite de mettre en place une structure, une organisation

qualifiée, de mettre en œuvre des actions, un programme scientifique et muséographique.

Aussi, pour mener à bien leurs missions, les institutions muséales – en l’occurrence celles

déjà existantes – s’appuient, à l’instar d’autres institutions culturelles, sur une équipe de

professionnels. Celle de la Maison d’Izieu se compose d’une dizaine de personnes, tandis que

le Mémorial de la Shoah compte environ 70 personnes, réparties dans différents services :

- Service Administration

- Service Communication

- Service Internet

- Service Logistique et Accueil des publics (standard, accueil, médiation,

sécurité, maintenance)

- Centre de Documentation (archives, bibliothèque, photothèque, magasins,

accueil des familles)

- Service Formation

- Service Lieux de mémoire et projets externes

- Service Editions

- Services des Activités Culturelles (librairie, centre d’enseignement multimédia,

expositions, auditorium)

- Service Pédagogique

Les services pédagogiques et des activités culturelles peuvent être considérés comme

étant les principales composantes, les principaux outils de développement des lieux de

mémoire, « lieux de formation et d’éducation », au regard des objectifs d’éducation et de

transmission de l’histoire et de la mémoire qui animent les institutions. Le budget consacré

aux activités culturelles, aux actions pédagogiques et de médiation représente une part

importante du fonctionnement des institutions. En 2008, le Mémorial de la Shoah a ainsi

« dépensé » près de 2 millions d’euros pour assurer ses missions de transmission, de

médiation culturelle226.

226 « Budget de fonctionnement », Mémorial de la Shoah, Rapport moral 2008, p. 35, http://www.memorialdelashoah.org/upload/medias/fr/rapport_moral08.pdf

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98

15%

15%

11%

9%16%

15%

19%

Etat

Conseil RégionalPACA

Conseil Général 13

Fondation pour laMémoire de la Shoah

Groupe Lafarge

Communauté Paysd'Aix

Ville d'Aix-en-Provence

c) Un financement partagé

La valorisation des lieux de mémoire de la Shoah n’échappe pas à des considérations

d’ordre économique. La réalisation et la mise en œuvre des projets de création d’institutions

muséales ont évidemment un coût d’investissement et de fonctionnement, plus ou moins

conséquent d’un lieu de mémoire à l’autre227. Comme le rappelle Olivier Lalieu, chaque projet

de valorisation est spécifique. Aussi, les coûts diffèrent, ne sont pas les mêmes en fonction de

la configuration des lieux, des aménagements, et des desseins des porteurs de projets.

Le coût d’investissement du projet « Mémoire du Camp des Milles » est ainsi

particulièrement élevé (fig. 25). Evalué à 16,3 millions d’euros, il comprend à la fois le

budget de l’opération elle-même (13,8 millions d’euros hors actualisation / révision228) et

l’évaluation des aménagements d’accès (qui représentent un coût de 2,5 millions d’euros).

Les coûts d’investissement et de fonctionnement des institutions muséales sont financés par

différentes sources, provenant de différents partenaires.

227 Il n’a pas été possible d’avoir des données chiffrées plus précises pour certains lieux de mémoire, tels que la Maison d’Izieu et le Mémorial de la Shoah. 228 L’actualisation-révision du budget d’investissement de l’opération est de l’ordre d’environ 2,9 millions d’euros. Il faut ajouter à ce montant quelques demandes complémentaires (600.000 euros) concernant la mise en sécurité, la dépollution et la recherche de traces sur le site jugées nécessaires par le Comité de pilotage et l’Association Mémoire du Camp d’Aix-Les Milles, structure porteuse du projet.

(2,9 M €)

(2,5 M €)

(2,6 M €)

(1,5 M €)

(1,6 M €)

(2,5 M €)

Figure 26 : Répartition du coût d’investissement [16,3 millions d’euros] du projet « Mémoire du Camp des Milles », entre les partenaires publics et privés

(2,5 M €)

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Les quatre lieux de mémoire étudiés bénéficient ainsi d’un soutien financier public de(s) :

- l’Etat

� ministère de la Culture et de la Communication (via notamment ses

Directions Régionales des Affaires Culturelles)

� ministère de l’Education nationale

� ministère de la Défense (via sa Direction de la Mémoire, du Patrimoine et

des Archives)

- Collectivités territoriales

� Conseil régional

� Conseil général

� Communauté de communes

� Mairie

On remarque que l’Union européenne est absente de cette liste. Les projets de réhabilitation et

d’aménagement des anciens camps d’internement ne sont en effet pas soutenus

financièrement par l’Europe. Néanmoins, il faut savoir que des demandes de subventions sont

envisagées par les porteurs de projets (le CERCIL, l’Association du Camp des Milles).

Faute de temps et de moyens pour le montage de dossiers, ces demandes n’ont pu aboutir à ce

jour229. A ce financement public, s’ajoute des financements privés, provenant de :

- la Fondation pour la Mémoire de la Shoah

- dons privés et cotisations

- différents mécènes

Le Mémorial de la Shoah est en grande partie financé par la Fondation pour la Mémoire de la

Shoah, qui prend ainsi en charge 80 % du budget de fonctionnement de l’institution230. En

2008, ce financement a représenté 7,7 millions d’euros231. Ce soutien pérenne est « destiné à

accompagner le développement [du Mémorial de la Shoah] et à lui donner les moyens de

mettre en œuvre une politique de mémoire sur la Shoah 232».

229 Entretiens avec Rémy Knafou, le 12 octobre 2009, et Nathalie Grenon, le 18 mars 2010. 230 Voir Annexe 2, p. 145. 231 Rapport d’activité 2008, Fondation pour la Mémoire de la Shoah, p. 15. 232 Entretien avec David Amar, Paris, le 4 novembre 2009.

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Le mécénat s’avère aujourd’hui être une source de financement de plus en plus

développée233. La baisse, voire la disparition, des financements publics dans les budgets

d’investissement et de fonctionnement fait que les institutions muséales sont amenées à se

tourner vers cette modalité de financement. Le développement et les conditions de mise en

œuvre des opérations de mécénat ont été facilités, et rendus plus favorables depuis quelques

années maintenant, avec la loi du 1er août 2003, « relative au mécénat, aux associations et aux

fondations 234». Cette loi permet ainsi à une entreprise mécène de bénéficier d’avantages

fiscaux (déduction fiscale à la hauteur de 60 % de son apport), et autorise en outre des

contreparties dont la valorisation peut atteindre 25 % du montant du don.

Le mécénat ne constitue pas seulement un investissement financier : il est aussi, pour les

entreprises mécènes, un moyen de conforter, de renforcer une image citoyenne. Soutenir les

projets muséographiques des lieux de mémoire de la Shoah, c’est « s’engager pour la

mémoire, pour la société, pour le futur », c’est « contribuer à l’existence d’équipements

majeurs, essentiel à une prise de conscience citoyenne sur l’Histoire, mais aussi sur le présent

et l’avenir. C’est s’associer à des projets pédagogiques et culturels, porteur de valeurs fortes et

nécessaires : tolérance, respect, solidarité, dignité, responsabilité,… 235».

Le projet du Mémorial de la Shoah a pu être réalisé grâce au soutien financier d’un

certain nombre de mécènes français et internationaux :

- la Claims Conference (The Conference on Jewish Claims against Germany)

- la Fondation Clore Duffield

- la Fondation Hanadiv

- la Fondation philanthropique Edmond J. Safra

- la Fondation Rothschild

- la société Eiffage

- la SNCF

- la Fondation EDF

- Sanofi-Aventis etc. 236

233 Entretien avec Isabelle Plichon, responsable du service Communication du Mémorial de la Shoah, Paris, le 12 avril 2010. 234 Pour plus d’informations, voir le site Internet mis en place par le ministère de la Culture et de la Communication, « Mission du mécénat », http://www.mecenat.culture.gouv.fr/ (consulté le 29 mai 2010). 235 Extraits du dossier de recherche de mécènes « Porter la voix des Milles » : Devenir Mécène du futur Mémorial du Camp des Milles, http://www.campdesmilles.org/articles/MecenatVF.pdf (consulté le 15 décembre 2009). 236 Voir le site Internet de l’institution ainsi que le dossier de présentation du Mémorial de la Shoah, http://www.memorialdelashoah.org/upload/medias/fr/DP_Memorial_pres.pdf

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Le mécénat est également sollicité pour la réalisation du projet « Mémoire du Camp des

Milles ». L’Association Mémoire du Camp des Milles recherche en effet des partenaires

publics et privés mécènes pour compléter son budget de fonctionnement, et assurer le plein

développement des missions éducatives et culturelles du futur Mémorial. Une campagne a

ainsi été lancée au début de l’année 2009, suite à la signature d’une première convention de

mécénat régional, avec la Fondation d’entreprise Ecureuil – pour un montant de 500 000

euros – en octobre 2008237. Outre l’aspect financier, la recherche de partenaires implique

également le mécénat de compétences : le Groupe Aegis Media accompagne ainsi, à ce titre,

l’Association Mémoire du Camp d’Aix-Les Milles dans sa communication, sa production

évènementielle, et son site Internet.

B. L’engagement de multiples acteurs

La valorisation des lieux de mémoire de la Shoah, qu’elle soit commémorative ou bien

muséographique, est portée et décidée par une grande diversité d’acteurs et de partenaires qui

apportent un soutien tant moral, technique, scientifique que financier. Ces acteurs se

retrouvent tous plus ou moins dans les projets muséographiques et pédagogiques.

Cette partie s’attache donc à analyser, à travers les quatre études de cas, le rôle et

l’implication des acteurs concernés.

1) Le rôle moteur du monde associatif et de la société civile

a) La mobilisation associative

Le recouvrement de la mémoire des lieux attachés au souvenir de l’internement et de

la Shoah, et leur reconnaissance en tant que lieux de mémoire ont été initiés par des militants

engagés, voire des « combattants », de la mémoire. On trouve en effet à l’origine de la mise

en mémoire et de la valorisation muséographique d’un certain nombre de sites, la mobilisation

de personnalités issues du tissu associatif.

237 Communiqué de presse de la Fondation Ecureuil et de l’Association « Mémoire du Camp d’Aix-Les Milles », Signature solennelle d’une convention de mécénat entre la fondation d’entreprise Ecureuil et la future « Fondation du Camp des Milles », le 24 octobre 2008, http://www.campdesmilles.org/articles/communique-de-presse-amcm-24102008.pdf

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Nous avons pu constater dans les pages précédentes que les associations – constituées

d’anciens internés et déportés, de fils et filles de victimes, d’acteurs historiques de

l’évènement – jouent un rôle essentiel dans l’apposition des plaques, dans l’érection des stèles

et des monuments. Ces associations sont ainsi diverses et de tailles très variées. En effet, elles

peuvent être :

- locales, et entretiennent dès lors le souvenir à l’échelle d’un territoire

précis (commune, département)

- ou bien avoir, davantage, une portée nationale

Les premières associations ou amicales d’anciens internés et déportés voient ainsi le jour au

lendemain de la Seconde Guerre mondiale, telles l’Association des anciens déportés juifs de

France – créée officiellement en juin 1945 – ou bien l’Amicale des anciens déportés

d’Auschwitz et des camps de Haute-Silésie etc. Une seconde génération d’associations

apparaît à la fin des années 1970 et le début des années 1980. Ces années marquent l’arrivée

de nouvelles associations militantes et revendicatrices, qui regroupent pour l’essentiel les

descendants de victimes, comme l’Association des Fils et des Filles des Déportés Juifs de

France. Ce monde associatif, « addition de volontés individuelles » pour reprendre les termes

de Floriane Schneider238, entreprend dès lors une multitude d’initiatives et d’actions afin de

sauvegarder, de valoriser les lieux de mémoire liés à la Shoah.

En outre, il ne faut pas non plus omettre, en lien avec les associations, l’implication de

la communauté juive et ses composantes. Nous pouvons évoquer, entre autres, l’engagement

du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) dans les différents projets

actuels d’aménagement de lieux de mémoire, d’anciens camps d’internement français.

Le CRIF a en effet joué un rôle important dans la sauvegarde du camp des Milles. Les

bâtiments de l’ancienne tuilerie – dont ceux recelant des traces de l’internement, en particulier

les grandes peintures murales réalisées en 1940-1941 dans le réfectoire des gardiens – furent

sauvés in extremis en 1983 par un arrêté d’inscription provisoire à l’Inventaire des

Monuments historiques, grâce à une intervention et une mobilisation conjointe du CRIF

régional, des associations et de la Mairie d’Aix-en-Provence239.

238 Floriane Schneider, op. cit., 2008, p. 201. 239 Voir le site Internet du camp des Milles, http://www.campdesmilles.org/index.html (dernière consultation le 27 avril 2010).

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Par ailleurs, l’institution est à l’origine, avec d’autres acteurs, de la création du Centre d’Etude

et de Recherche sur les Camps d’Internement dans le Loiret et la déportation juive (CERCIL).

La section du CRIF en région Centre, via sa responsable Eliane Klein, sensibilisa à la fin des

années 1980 - début des années 1990 les élus locaux de Beaune-la-Rolande, de Jargeau,

d’Orléans et de Pithiviers sur la situation des anciens camps du Loiret. Il s’agissait

véritablement d’expliquer, d’attirer l’attention sur le devenir de ces lieux de mémoire, de faire

quelque chose pour rappeler, pour préserver les traces et le souvenir240.

b) L’appui de la société civile

La société civile – chercheurs, historiens, universitaires, personnalités, médias –

participe également à la valorisation commémorative et muséographique des lieux de

mémoire de la Shoah. La production et la publication de travaux et d’études universitaires de

chercheurs, à partir des années 1980, ont contribué à la (re)découverte de l’histoire

particulière des différents camps, des lieux attachés au génocide juif. Rémy Knafou a ainsi

rappelé, lors de la conférence « Tourisme et Mémoire », que le recouvrement de la mémoire

du camp des Milles fut impulsé en premier lieu par des universitaires241. Ces acteurs de la

société civile se retrouvent bien entendu dans les instances organisationnelles et

opérationnelles – conseils d’administration, comités de pilotage, et plus particulièrement les

conseils scientifiques et pédagogiques – des institutions muséales déjà existantes et celles à

venir. Ces instances scientifiques, aujourd’hui incontournables, apparaissent indispensables à

la crédibilité des projets. Composés d’historiens, de spécialistes reconnus pour les

thématiques et les périodes en jeu – tels Anne Grynberg, Annette Wieviorka, Serge Klarsfeld,

Denis Peschanski, Henry Rousso, Olivier Lalieu, etc.242 –, les conseils scientifiques sont

chargés d’impulser un travail de recherche historique, mais aussi d’apporter une certaine

caution. En effet, ils tendent à garantir la qualité et la scientificité du discours et des contenus

muséographiques ; et constituent de fait des instances de validation, qui expertisent, amendent

et accompagnent les orientations des programmes des institutions muséales.

240 Entretien avec Nathalie Grenon, Orléans, 18 mars 2010. 241 Conférence « Tourisme et Mémoire », organisée par l’IREST, 26 mai 2009, Paris, Direction du Tourisme. 242 Ces historiens se retrouvent d’ailleurs tous plus ou moins dans les conseils scientifiques des différents lieux de mémoire étudiés.

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2) La nécessaire implication des pouvoirs publics

L’engagement des pouvoirs publics, précisément les collectivités territoriales (régions,

départements, communautés de communes, communes) s’avère à l’heure actuelle

indispensable pour relayer les initiatives des associations, pour assurer la concrétisation des

réalisations, des projets de valorisation des lieux de mémoire attachés à la Shoah. Cela n’a pas

toujours été le cas, comme le rappelait Rémy Knafou lors de la conférence « Tourisme et

Mémoire » qui s’est déroulée à la Direction du Tourisme le 26 mai 2009. Certaines

collectivités locales préféraient en effet oublier, à l’image de la communauté nationale, ces

lieux, traces d’une histoire peu glorieuse et difficile à assumer.

a) Les collectivités territoriales

On assiste, depuis ces dernières années, à un changement. L’implication des

collectivités et des élus locaux semble aller crescendo : les régions, les départements et les

communes tendent à jouer un rôle de plus en plus important, de plus en plus présent dans le

développement de projets d’aménagement et de valorisation. Les lieux de mémoire de la

Shoah étudiés sont tous bénéficiaires de subventions, attribuées par les collectivités

territoriales. Ce soutien financier est plus ou moins important, et surtout varie d’une année à

l’autre en fonction des budgets municipaux, départementaux et/ou régionaux. On peut ainsi

évoquer l’engagement permanent de la Ville de Paris et du Conseil régional d’Ile-de-France

dans le réaménagement, et le fonctionnement du Mémorial de la Shoah. Il faut savoir,

qu’outre un apport financier régulièrement renouvelé – d’un montant de 130 000 euros pour

l’année 2009 243 –, la Ville de Paris a fait aussi don des immeubles situés aux 12 et 14 rue du

Pont Louis-Philippe, qui jouxtent l’emprise actuelle du Mémorial. Des collectivités pilotent,

et assurent par ailleurs la maîtrise d’ouvrage, telles la Ville d’Orléans, propriétaire des locaux

du futur Centre d’histoire et de mémoire consacré aux camps d’internement dans le Loiret244,

ou bien le Conseil général des Pyrénées-Orientales, porteur du projet du Musée-Mémorial de

Rivesaltes (Pyrénées-Orientales)245.

243 Convention 2009 relative à l’attribution d’une subvention de fonctionnement entre la Ville de Paris et l’association « Mémorial de la Shoah », site Internet de la Mairie de Paris, http://labs.paris.fr/commun/v2asp/bmo/Delib/CMDELIB20090608/77.htm (information consultée le 30 avril 2010). 244 Entretien avec Nathalie Grenon, Orléans, le 18 mars 2010. 245 Voir le site Internet du Conseil général des Pyrénées-Orientales, http://www.cg66.fr/94-une-mobilisation-les-acteurs-du-projet.htm#par2843 (consulté le 4 juin 2010).

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On peut signaler également l’intérêt récent de la municipalité de Bobigny pour son ancienne

gare, consacrée « lieu de mémoire » en 2005 par son inscription à l’Inventaire supplémentaire

des Monuments historiques246. La Ville mène à l’heure actuelle un projet de réhabilitation,

destiné à « reconvertir » l’ancienne gare en un mémorial de la Shoah.

La valorisation muséographique des lieux de mémoire semble devenue aujourd’hui un enjeu

de développement et d’aménagement territorial. Les projets n’échappent pas à des

considérations économiques. Lieux de mémoire à vocation pédagogique, les futurs

mémoriaux de Rivesaltes et du Camp des Milles sont aussi pensés comme des équipements,

des « outils » au service du développement local247. De fait, l’impact touristique n’est

nullement négligé par les porteurs de projet et les concepteurs248.

b) L’intervention de l’Etat

Il faut également considérer l’intervention et la contribution de l’Etat dans la

valorisation des lieux de mémoire de la Shoah. Il semble que la reconnaissance du génocide

juif en tant que mémoire nationale au cours des années 1990 marque une évolution de la

politique de mémoire de l’Etat en faveur de ces lieux de mémoire.

L’Etat apporte un soutien moral, technique et financier aux lieux de mémoire étudiés

(institutions et projets de réhabilitation et d’aménagement des anciens camps d’internement),

via ses différents ministères et leurs services déconcentrés :

- le ministère de la Culture et de la Communication

� Directions Régionales des Affaires Culturelles

- le ministère de la Défense

� Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives

� Office National des Anciens Combattants

- ministère de l’Education nationale

� Rectorats et Inspections académiques

246 L’ancienne gare de Bobigny fut utilisée comme point de départ pour les convois de déportation vers le camp d’extermination d’Auschwitz de 1943 à 1944n après que la gare de Drancy-Le Bourget fut bombardée par les Alliés. 21 des 79 convois de déportation français partirent de Bobigny. 247 Entretien avec Rémy Knafou, Paris, le 12 octobre 2009 248 Voir la partie suivante, page 126.

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On peut évoquer, entre autres, l’engagement du Rectorat de l’académie d’Aix-Marseille, qui

est depuis 1992, un partenaire essentiel du projet du Camp des Milles. Par sa présence au sein

des instances de pilotage et des groupes de travail, il participe à la mise en place d’un service

éducatif, à la préparation des modalités et des outils pédagogiques de la future institution.

3) Des institutions nationales et internationales reconnues

La valorisation des lieux de mémoire de la Shoah implique des partenariats, des

collaborations techniques et financières avec des acteurs privés quelque peu spécifiques.

a) Le Mémorial de la Shoah

Le Mémorial de la Shoah apporte, aux porteurs de projet qui le souhaitent, un soutien

technique, une expertise et une expérience historique sur le contenu scientifique, le montage

muséographique d’aménagements des lieux de mémoire, via un service spécialisé

« Aménagement des lieux de mémoire et projets externes ». Créée en 2002, au moment où le

Centre de Documentation Juive Contemporaine était en pleine mutation, c’est-à-dire pendant

la phase d’élaboration et de mise en œuvre du chantier de ce qui allait devenir le Mémorial de

la Shoah, cette entité est « destinée à aider les différents projets [de valorisation] 249».

L’institution – qui se positionne aujourd’hui, en Europe, comme le plus grand centre de

recherche, d’information et de sensibilisation sur l’histoire du génocide des Juifs pendant la

Seconde Guerre mondiale – est dès lors très régulièrement sollicitée. Olivier Lalieu –

responsable actuel du service – explique que l’appui scientifique et historique apporté aux

porteurs de projet – qu’ils soient des institutionnels ou des responsables associatifs – est très

divers. Le service « Aménagement des lieux de mémoire et projets externes » est d’une

certaine manière « complémentaire des métiers de la maîtrise d’œuvre : il accompagne les

porteurs de projet, les aide à être vigilant sur un certain nombre d’aspects des dossiers, à faire

de bons choix dans la définition non seulement des contenus mais aussi des contenants ».

Par ailleurs, il s’agit aussi – pour l’institution – de créer une synergie entre les différents

partenaires, de « faire exister un réseau des lieux de mémoire de la Shoah ».

249 Entretien avec Olivier Lalieu, Paris, le 19 mars 2010.

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Le Mémorial de la Shoah a soutenu divers projets et évènements. Il a contribué à la

rénovation de l’exposition du Pavillon français d’Auschwitz, inauguré en janvier 2005 par le

président de la République Jacques Chirac250. Surtout, l’institution est investie depuis

plusieurs années dans la valorisation patrimoniale de plusieurs anciens camps d’internement

français. Le Mémorial de la Shoah a en effet signé en 2006 une convention avec l’Association

Mémoire du Camp des Milles – structure porteuse du projet de réhabilitation et

d’aménagement –, le chargeant de l’encadrement des recherches iconographiques et

documentaires, de l’élaboration et de la rédaction des contenus muséographiques, et du suivi

de la conception de la future exposition historique. Le Mémorial participe également, en

partenariat avec le Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement du Loiret

(Cercil), à la création du Centre d’Histoire et de Mémoire à Orléans, projet actuellement en

phase de DCE (Dossier de Consultation des Entreprises)251.

Outre un rôle d’accompagnement, le Mémorial de la Shoah peut assurer une maîtrise

d’ouvrage : il est, en effet, engagé en tant que tel, à la demande de la Fondation pour la

Mémoire de la Shoah, dans la réalisation d’un Centre d’histoire et de mémoire, situé à

proximité de l’ancien camp de Drancy. Cette future institution muséale fonctionnera comme

une antenne décentralisée du Mémorial252.

b) La Fondation pour la Mémoire de la Shoah

L’action du Mémorial de la Shoah ne saurait néanmoins être envisagée sans l’appui et

le soutien permanent de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (FMS).

La Fondation pour la Mémoire de la Shoah est une fondation privée d’utilité publique, qui a

été créée en 2000, sur les recommandations de la Commission Mattéoli chargée d’inventorier

et d’évaluer les fonds spoliés aux Juifs pendant la guerre et indûment conservés par les

administrations de l’Etat et les établissements financiers français. La restitution de ces fonds,

d’une valeur de 393 millions d’euros, constitue la dotation de la Fondation qui finance à partir

des intérêts de cette dotation, des projets et des institutions.

250 Les visiteurs peuvent ainsi consulter une base de données qui donne des informations concernant les victimes juives de la Shoah en France, rassemblées par le Mémorial de la Shoah. Sur le processus de rénovation du Pavillon français d’Auschwitz, voir le dossier de presse mis en ligne par le ministère de la Défense, http://www.defense.gouv.fr/defense/content/download/47920/475508/file/memoire_dauschwitz_memoire_auschwitz_internet.pdf (consulté le 29 avril 2010). 251 Entretien avec Nathalie Grenon, Orléans, le 18 mars 2010. 252 Entretien avec Olivier Lalieu, Paris, le 19 mars 2010.

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La majeure partie du budget annuel de la FMS est attribuée au financement de projets,

examinés et évalués à travers cinq commissions thématiques – instances d’instruction –

composées de membres bénévoles. Les commissions sont de natures différentes :

- la commission « Solidarité »,

- la commission « Mémoire et Transmission »,

- la commission « Histoire de l’antisémitisme et de la Shoah »,

- la commission « Enseignement de la Shoah » et,

- la commission « Culture juive »253

La Fondation pour la Mémoire de la Shoah a ainsi financé, depuis sa création, plus de 1 800

projets. David Amar – chargé de mission « Mémoire et Transmission » – précise que le

nombre de projets traités par la Fondation évolue de façon croissante : 417 projets ont été

enregistrés en 2008, contre 361 en 2007 (fig. 26)254. On remarque, par la lecture du graphique

ci-dessous, que plus de la moitié des projets présentés chaque année reçoit le soutien financier

de la Fondation.

253 Sur les missions et actions précises de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, voir la retranscription de l’entretien accordé le 4 novembre 2009 par David Amar, p. 181-185; et également le site Internet de l’institution, http://www.fondationshoah.org (consulté de nouveau le 29 avril 2010). 254 Entretien avec David Amar, Paris, le 4 novembre 2009.

Figure 27 : Evolution du nombre de projets traités par la FMS Source : Rapport d’activité 2008, Fondation pour la Mémoire de la Shoah

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En 2008, les financements, accordés aux 267 projets acceptés, se sont élevés à près de 14

millions d’euros (fig. 27).

Il faut préciser que la Fondation pour la Mémoire de la Shoah a été conduite, par le

contexte économique actuel peu favorable, à un resserrement de ses critères de choix dans

tous ses domaines d’activité. Cela s’est traduit, en 2008, par un accroissement du nombre de

projets refusés ou n’entrant pas dans le champ d’action de la Fondation. L’institution s’est

attachée à maintenir son soutien à certains projets majeurs afin qu’ils aboutissent.

Il semble que la FMS sera amenée dans les prochaines années à ne financer que les projets

définis comme prioritaires dans ses différents domaines255. La mémoire et la transmission de

la Shoah constituent de fait des axes majeurs. La Fondation a pour mission « de contribuer à

préserver, perpétuer et transmettre, tant sur le plan régional, national qu’international, le

souvenir de la déportation des Juifs de France et des discriminations dont ils furent victimes

durant l’Occupation ». L’institution apporte dès lors son soutien financier aux projets portant

sur l’entretien, la réhabilitation ou la création de lieux de mémoire en France, et à l’étranger

(dans d’autres pays liés à la Shoah), et avec lesquels les Juifs de France ont des rapports

passés ou présents.

255 Rapport d’activité 2008, p. 17.

Figure 28: Evolution des financements accordés par la FMS (2006-2008)

Source : Rapport d’activité 2008, Fondation pour la Mémoire de la Shoah

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Les aides de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah peuvent porter sur :

- les manifestations de commémoration locales, régionales, nationales et internationales,

en liaison avec le ministère de la Défense,

- l’édification ou la préservation de mémoriaux (les camps d’internement en France, les

camps d’extermination des Juifs de France en Europe),

- la création d’expositions et de projets muséographiques,

- l’édition, la traduction, la diffusion écrite ou audiovisuelle de témoignages des

victimes de la Shoah et des « Justes »,

- la création de documentaires ou œuvres de fiction (cinématographiques, littéraires,

artistiques, audiovisuelles)

Tout porteur de projet peut demander un financement auprès de la FMS : il doit pour

cela constituer et déposer – selon une procédure et un calendrier précis – un dossier général,

composé d’un certain nombre d’éléments, de pièces et d’informations à joindre (fiche projet,

devis détaillés, plan de trésorerie, dossier administratif…)256. Les projets de réhabilitation, de

valorisation des lieux de mémoire présentés à la Fondation pour la Mémoire de la Shoah sont

de faite instruits par la Commission « Mémoire et Transmission ». Composée d’une dizaine

de membres venant d’horizons différents (historiens, témoins de la Shoah, écrivains,

spécialistes), cette commission expertise les demandes, via un ou deux rapporteurs désigné(s)

par le Président de ladite commission. Les projets sont expertisés selon des critères rigoureux,

qui sont les suivants :

- l’adéquation du projet avec les objectifs prioritaires de la Fondation,

- les compétences du demandeur pour mener à bien le projet,

- le caractère novateur (selon le projet),

- l’opportunité,

- l’impact attendu,

- l’utilisation des nouvelles technologies (selon le projet),

- la pertinence du budget du projet, l’implication financière du porteur du projet, et la

justification du montant demandé à la Fondation

256 Les dossiers de demande de financement sont téléchargeables sur le site Internet de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Un exemplaire du dossier « Mémoire et Transmission » est consultable en partie Annexes du présent mémoire, p. 148-151.

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Le processus d’instruction des projets se traduit au final par des recommandations

favorables ou défavorables de la commission, qui sont ensuite transmises aux instances de

décision de la FMS (Bureau et Conseil d’administration). Depuis plusieurs années, la

Fondation pour la Mémoire de la Shoah est associée aux réflexions et études concernant le

devenir des lieux de mémoire de la Shoah, en France mais également à l’étranger257.

La Fondation s’investit activement dans les projets d’aménagement et de valorisation des

anciens camps d’internement et de déportation français. L’institution s’est ainsi engagée en

2005 à financer sur plusieurs années, à hauteur de 2,5 millions d’euros, le projet « Mémoire

du Camp des Milles ». Ce soutien constitue à ce jour l’un des engagements financiers les plus

importants de la FMS. En outre, elle intervient également dans la mise en œuvre des projets

de création de Centres d’Histoire et de Mémoire à Orléans, et à Drancy. Le soutien de la

Fondation pour la Mémoire de la Shoah ne saurait être considéré uniquement comme une aide

financière. Les porteurs de projet demandent aussi un « label », un soutien moral, un

accompagnement dans la démarche258. De ce fait, on peut estimer que le soutien de la

Fondation est aussi un partenariat intellectuel. En s’associant à des projets, l’institution

garantit en quelque sorte une certaine rigueur et exactitude historique, la qualité et le sérieux

des démarches.

La Fondation pour la Mémoire de la Shoah, comme le Mémorial de la Shoah, fait parti

d’un réseau, d’un groupe d’action internationale œuvrant pour l’histoire et la mémoire de la

Shoah. En effet, les deux institutions sont affiliées à la Task Force for International

Cooperation on Holocaust Education, Remembrance and Research (ITF). Structure créée au

printemps 1998 à l’initiative de la Suède, l’ITF fut formellement constituée en janvier 2000 à

l’occasion d’un grand forum international sur l’éducation de la Shoah259. L’organisation, qui

regroupe 27 Etats membres, promeut, comme son nom l’indique, la coopération sur

l’éducation, la mémoire et la recherche sur la Shoah. L’ITF mène des travaux dans différents

domaines d’action via des groupes de travail – dont un sur les musées et mémoriaux de la

Shoah – composés d’experts de diverses origines, et aux compétences scientifiques et

pédagogiques variées. Les lieux de mémoire de la Shoah et leurs aménagements ont, ces

dernières années, fait l’objet d’un certain nombre de réflexions. Le Mémorial de la Shoah a

été particulièrement impliqué.

257 Voir la liste des projets soutenus par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, p. 152-153. 258 Entretien avec David Amar, Paris, le 4 novembre 2009. 259 Pour une présentation détaillée de l’organisation, de ses missions et de ses activités, voir le site Internet, http://www.holocausttaskforce.org/ (reconsulté le 5 juin 2010).

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C. L’offre culturelle et touristique

Les institutions muséales étudiées offrent le même type de « produits », le même type

d’évènements qu’un musée dit « classique » : exposition permanente, manifestations

temporaires (expositions temporaires, colloques, conférences), activités culturelles et

pédagogiques. Cependant, les enjeux des lieux de mémoire liés à la Shoah sont loin d’être à

proprement parler « culturels », en effet, ils impliquent de toutes autres dimensions.

Parce qu’il s’agit d’une histoire douloureuse et récente, portant sur un sujet complexe aux

conséquentes humaines dramatiques, l’offre de telles institutions répond et doit être pensée en

fonction d’impératifs. Aussi, elle se caractérise par une dimension pédagogique qui s’avère

essentielle et nécessaire, car l’Histoire sans explication risque de devenir manipulation.

1) Une offre variée, entre transmission et sensibilisation

a) Les parcours muséographiques, outils de « conscientisation citoyenne »

La conception et la mise en œuvre des parcours muséographiques, des expositions

permanentes traitant de la Shoah s’inscrivent dans l’évolution de la mémoire collective du

génocide juif260. Pour rappel, la Maison d’Izieu a été la première institution muséale en

France, spécifiquement consacrée à la persécution des Juifs de France. Deux bâtiments sont

en effet ouverts à la visite depuis 1994 :

- la maison, « dédiée à la mémoire 261»

Lieu où vécurent les enfants et leurs éducateurs, les visiteurs y trouvent une « évocation de

l’atmosphère de l’époque de la colonie et de la présence disparue des enfants 262». La maison

n’est ainsi pas l’objet d’une reconstitution muséographique, les concepteurs ayant préféré ne

pas « succomber aux dérives mémorielles, (…) à des expériences muséales sensationnelles,

jouant sur l’effet de proximité263 ».

260 Comme nous l’avons vu dans la deuxième grande partie « La Shoah, entre lieux de mémoire et lieux touristiques » de ce présent mémoire, p. 47-53. 261 Présentation de la Maison d’Izieu, site internet de l’institution, http://www.izieu.alma.fr . 262 Ibid. 263 Stéphanie Cannoodt, Mémoire(s) de la rafle d’Izieu : une histoire en construction, mémoire de maîtrise sous la direction d’Annette Becker, Université Paris X – Nanterre, 2001, p. 106.

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Des fac-similés de lettres, des dessins, de photographies, traces de la vie quotidienne de la

colonie d’Izieu, sont exposés dans les différentes pièces de la maison264. Le dispositif

scénographique se veut le plus sobre possible, une signalétique discrète indique l’usage de

chaque pièce (salle des éducateurs, dortoirs, réfectoire, salle de classe). Le propos développé

ne s’inscrit pas directement dans un discours historique, mais dans une approche sensible.

Les visiteurs ne peuvent rester indifférents face à aux documents, face aux portraits des

enfants arrêtés le 8 avril 1944 présentés dans les dortoirs, qui sont autant de supports de

transmission des faits historiques.

- la grange, « dédiée à l’histoire », lieu de réflexion et de présentation historique Réaménagé, l’ancien bâtiment agricole propose une exposition permanente, qui retrace

l’itinéraire et l’histoire de quatre familles d’enfants de la colonie d’Izieu, dans le contexte

historique de l’Europe de la Seconde Guerre mondiale, depuis leur arrivée en France dans

l’entre-deux-guerres jusqu’à leur déportation. Les histoires singulières sont ainsi mises en

regard de l’histoire des persécutions antisémites de Vichy et du génocide juif d’Europe.

L’exposition permanente est par ailleurs complétée par des films, notamment un montage

inédit des dépositions et des plaidoiries du procès de Klaus Barbie relatives à la rafle d’Izieu.

Le parcours muséographique proposé à la Maison d’Izieu – et présenté uniquement en

français265 – combine l’aspect mémoriel et l’aspect historique, l’émotion et la réflexion.

On retrouve ces deux aspects au Mémorial de la Shoah. L’institution parisienne est, en

premier lieu, un mémorial, et à ce titre, le Mur des Noms, érigé sur le parvis d’entrée, le Mur

des Justes et la Crypte266, située au cœur du Mémorial, rappellent aux visiteurs la fonction

originelle mémorielle et commémorative de l’édifice. Cependant, le Mémorial de la Shoah ne

peut être considéré uniquement comme un lieu de recueillement : il est aussi un « musée de

vigilance » conçu pour apprendre et comprendre. L’institution offre, dans un vaste espace de

1000 m², une exposition permanente – présentée en français et en anglais – qui s’attache à

retracer l’histoire des Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale.

264 Les archives originales de la colonie, notamment les lettres et dessins ainsi que certaines photographies, sont conservées à la Bibliothèque nationale de France, au cabinet des Estampes. Elles y ont été placées en 1992 par Sabine Zlatin, soucieuse de leur conservation et protection. 265 Des documents de visite en anglais, allemand et polonais sont néanmoins disponibles à l’accueil, et prêtés le temps de la visite aux visiteurs étrangers. 266 Le Mur des Noms porte les noms, prénoms et date de naissance des 76 000 hommes, femmes et enfants juifs déportés de France entre 1942 et 1944. La Crypte est le tombeau symbolique des six millions de Juifs morts sans sépulture. En son centre reposent en effet les cendres des victimes, recueillies dans les camps d’extermination.

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Cette histoire est abordée, à travers une grande variété de documents (photographies, textes,

documents originaux, fac-similés, objets) dans un parcours chronologique et thématique

composé de douze séquences cohérent :

- Introduction à l’histoire des Juifs de France et en Europe

- La montée du nazisme

- L’occupation de l’Europe de l’Ouest : de l’exclusion des Juifs aux premiers camps

- Le pillage des Juifs en France et en Europe

- La société civile face à la persécution des Juifs…

En réalité, et afin de mettre en regard l’histoire collective et le témoignage, deux parcours

parallèles sont proposés aux visiteurs : l’un concernant la France, l’autre concernant l’Europe.

L’ensemble s’inscrit dans un esprit constant de va-et-vient, une contextualisation

indispensable. Le contenu de l’exposition permanente est extrêmement dense – on peut parler

de densité livresque – et loin d’être facilement appréhendable, et dès lors la muséographie du

Mémorial de la Shoah, comme celle des autres lieux de mémoire étudiés, est confrontée à la

problématique que rencontre tout les musées d’histoire : l’élaboration du discours muséal.

Comment expliquer, comment faire comprendre cette période tragique de l’histoire qu’est la

Shoah ? Il est indéniable que cela est loin d’être une tâche simple de vulgarisation à l’usage

d’un large public : la muséographie doit se concilier avec la rigueur scientifique et historique

indispensable. Conçue et organisée par des comités – ou conseils – scientifiques267, les

démarches muséographiques mises en œuvre par les quatre lieux de mémoire se veulent

pédagogiques : en effet, plusieurs niveaux de lecture tentent de rendre l’approche historique

plus « facile » pour les visiteurs et leur permettre d’acquérir ou d’approfondir des

informations de qualité différente. Le jeune public n’est pas oublié. Le Mémorial de la Shoah

et la Maison d’Izieu ont développé un livret d’accompagnement – ou livret découverte – à

destination des enfants de 8 à 12 ans, venus en famille, hors du cadre scolaire. Ce livret,

élaboré par les services pédagogiques des institutions, permet via des questions, des jeux et

des réflexions, de cheminer à l’intérieur de l’exposition permanente268.

267 Les conseils scientifiques des quatre institutions muséales étudiées sont constitués des principaux historiens français travaillant sur Vichy, l’histoire des Juifs de France pendant la guerre et la Shoah, mais également de conservateurs, de pédagogues. La présence d’un conseil scientifique s’avère aujourd’hui indispensable à la crédibilité des institutions muséales. 268 Le service pédagogique du Mémorial de la Shoah a d’ailleurs conçu un parcours spécifique pour les enfants, accompagnés de leurs parents : des repères numérotés de couleur orange leur signalent les documents, les plus adaptés, qui leurs sont « destinés ». La Maison d’Izieu propose quant à elle, chaque mercredi des vacances

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Outre l’approche pédagogique et cognitive, les parcours des institutions se

caractérisent aussi par une dimension émotionnelle. L’exposition permanente du Mémorial de

la Shoah présente vingt et un « destins individuels », répartis tout au long du parcours, sous

forme de petites vitrines transparentes contenant des objets et documents personnels, la

photographie ainsi que la biographie d’une personne déportée. Ce dispositif muséographique

vise à montrer que l’histoire n’est pas seulement des archives, une mémoire collective, mais

qu’elle est aussi des histoires individuelles et familiales.

scolaires, une visite guidée pour les enfants en famille. Voir la brochure d’accueil des publics, http://www.izieu.alma.fr/francais/frame_principale.htm (reconsultée le 05 août 2010).

Figure 29 : Une des salles de l’exposition permanente, à mi parcours, Mémorial de la Shoah, © Mémorial de la Shoah

Figure 30 : Le Mémorial des Enfants, Mémorial de la Shoah, © Mémorial de la Shoah

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Sans tomber dans l’écueil de la surexposition et d’un voyeurisme malsain, les choix

muséographiques de la Maison d’Izieu et du Mémorial de la Shoah permettent aux visiteurs

de « particulariser » leur rapport à la Shoah. Grâce à l’individualisation, les victimes ne

restent pas des chiffres abstraits et sans visage, mais bien une multitude de personnes aux

histoires distinctes. Néanmoins, le choix d’une approche émotionnelle peut s’avérer être à

double tranchant. Elle permet une prise de conscience, de « mieux » sensibiliser ; mais a

contrario, elle peut avoir des effets pervers (sacralisation, culpabilité,…), et nuire à

l’approche historique et pédagogique. Les études de cas – précisément le Mémorial de la

Shoah et la Maison d’Izieu – ont réussi à trouver, semble-t-il, un juste équilibre entre

l’appréhension émotionnelle et l’approche cognitive.

La logique muséale s’accompagne d’une logique pédagogique, d’une logique de

transmission. A travers et au-delà même des expositions permanentes, il s’agit en effet de

donner à chacun les outils de réflexion sur l’histoire, et d’amener à un questionnement sur le

présent. Lieux d’échange et de recherche, les institutions muséales étudiées sont également

équipées de centre de ressources et de documentation. Le Mémorial de la Shoah dispose ainsi

d’un Centre d’enseignement multimédia, où chacun peut consulter librement – via des postes

de consultation et de visionnage – un nombre important de documents audiovisuels et sonores

(témoignages de survivants, fictions, documentaires, archives radiophoniques et

musicales,…), et dès lors compléter la visite du musée et/ou des expositions temporaires.

L’offre mise en œuvre à destination du public – individuels et groupes – s’inscrit dans une

démarche de « conscientisation citoyenne » du visiteur : ce dernier est amené à conduire son

propre questionnement. Chacun des lieux tend donc à rendre compte du « pourquoi » et pas

uniquement du « comment » de cette histoire. Il s’agit de tenter de susciter des réflexions ou

des prises de conscience en tissant des liens entre le passé et le présent.

Le futur Mémorial du Camp des Milles se positionne d’ailleurs comme une institution

innovante en la matière. Outre la présentation d’une information historique sur le camp et ses

acteurs (volet « connaissance ») et l’ouverture au public du lieu de mémoire en lui-même

(volet « émotion »), le projet de réhabilitation et d’aménagement comprend la création d’un

« espace réflexif », appelé provisoirement « Comprendre pour agir »269.

269 Pour plus d’informations, voir http://www.campdesmilles.org/articles/EspaceReflexif.pdf (reconsulté le 05 août 2010).

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Cet espace est, d’après l’Association Mémoire du Camp des Milles, une « réalisation

pédagogique unique au monde dans un lieu de mémoire, qui reposera aussi sur l’interpellation

et l’implication du visiteur par des dispositifs interactifs et multilingues 270». Inscrit dans le

prolongement de la visite de l’exposition permanente et du lieu de mémoire, il tend à

s’apparenter à une sorte de « station expérimentale » au cours de laquelle, par divers

dispositifs (films, archives sonores, bornes interactives), le visiteur est amené à s’interroger

sur les mécanismes qui conduisent de « la haine ordinaire au crime contre l’humanité 271».

b) Activités culturelles et pédagogiques

Les lieux de mémoire étudiés s’attachent à proposer – à l’instar de nombreuses

institutions muséales – une programmation culturelle et scientifique, et des activités

diversifiées tout au long de l’année, qui sont : - visites guidées

- expositions temporaires

- conférences, colloques

- présentations de livres

- rencontres avec des témoins

- projections de films, représentations théâtrales

- ateliers culturels et pédagogiques

- visites de lieux de mémoire

Ces activités prolongent et complètent indubitablement le parcours muséographique.

Elles sont autant de moyens de diffuser, de mieux « comprendre cette période tragique de

l’histoire, [de] la transmettre aux nouvelles générations et lutter contre le retour de toute

forme d’intolérance272 ». Car les lieux de mémoire de la Shoah ne sont en aucun cas des lieux

« figés dans le passé », au contraire, ils se veulent être des lieux de réflexion et

d’apprentissage, tournés vers le présent et l’avenir.

270 Ibid. 271 Ibid. 272 Brochure de présentation du Mémorial de la Shoah, à destination des visiteurs.

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118

Les activités tendent à s’adresser au plus grand nombre, à tous les publics sans exception,

individuels et groupes (familles, groupes jeunes et adultes, scolaires). Le public scolaire

constitue a fortiori le cœur de cible de la médiation culturelle des lieux de mémoire, et ce

dans cet enjeu sociétal de transmission. Les institutions muséales offrent un large choix de

prestations, d’activités destinées aux élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées :

- visites guidées

- ateliers pédagogiques

- parcours au sein des musées

- projections-rencontres

- visites de lieux de mémoire

Plusieurs formules de visites – adaptées pour chaque niveau scolaire – sont donc proposées,

en fonction du temps que les enseignants désirent consacrer au sujet et à l’approfondissement

de certains thèmes.

Néanmoins, aucun des lieux de mémoire étudiés n’est conçu et pensé comme

exclusivement destiné aux jeunes et au public scolaire. Leurs expositions permanentes, ainsi

que le contenu des activités, notamment culturelles, qu’ils proposent en attestent. En effet, le

Mémorial de la Shoah et le Cercil ont mis en place des ateliers d’écriture pour adultes.

Cette offre, assez récente dans la programmation des deux institutions, s’inscrit dans un esprit

d’interdisciplinarité. A travers la pratique de l’écriture, il s’agit pour les participants,

d’apprendre et de représenter, de questionner l’histoire et la mémoire dans une démarche

créative. Ces ateliers – destinés à un public de proximité – sont également des lieux de

rencontre, d’écoute et de partage intergénérationnel. De fait, les institutions se positionnent

aussi comme des « lieux de vie », des lieux où les actions de sensibilisation ne sont pas

strictement redondantes avec l’enseignement, l’éducation scolaire.

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Au regard des objectifs d’éducation, de sensibilisation et de transmission inhérents, les

activités des lieux de mémoire de la Shoah s’étendent également au-delà de leurs murs.

La Maison d’Izieu, le Mémorial de la Shoah et le Cercil développent des expositions

itinérantes, qui sont mises à la disposition des établissements scolaires, d’institutions, de

collectivités et associations, de centres culturels et musées qui en font la demande273, aussi

bien en France qu’à l’étranger (pays européens, Etats-Unis etc.). Une convention de prêt est

ainsi signée entre le lieu de mémoire et l’emprunteur. Ce dernier, en plus d’un coût de

location, s’engage à assurer l’exposition et à prendre en charge le transport. A travers ces

expositions itinérantes, les lieux de mémoire de la Shoah tendent à accroître leur visibilité

auprès de différents publics274. Outre des activités classiques (expositions, conférences,

rencontres, lectures,…) développées « hors les murs », les institutions étudiées proposent

aussi des visites de lieux de mémoire, en particulier à destination du public scolaire.

Le Mémorial de la Shoah organise, depuis plus de 10 ans maintenant, des voyages

d’étude sur le site du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau,

encadrés par des rescapés et des accompagnateurs-historiens. Destinés aux lycéens, ces

voyages d’étude « s’inscrivent au cœur d’une véritable démarche éducative, qui repose sur

une préparation approfondie, sur une mise à disposition d’outils pédagogiques adaptés et

exclusifs, sur un encadrement qualifié et un suivi rigoureux après le voyage 275». Cependant,

les scolaires ne sont pas le seul public visé par cette offre. En effet, le Mémorial organise

également chaque année, pour les individuels et les collectivités, des voyages de mémoire :

- visites d’une journée sur le site d’Auschwitz-Birkenau,

- séjours en Pologne et à Berlin sur les lieux de mémoire et les traces de la vie juive

avant la guerre.

273 Ces expositions itinérantes abordent ainsi toutes des thèmes autour de la Shoah. Voir les catalogues des expositions proposées par le Mémorial de la Shoah, http://www.memorialdelashoah.org/b_content/getContentFromNumLinkAction.do?itemId=1025&type=1, et la Maison d’Izieu, http://www.izieu.alma.fr/francais/frame_principale.htm (consultés le 26 juin 2010). 274 Les demandes pour les expositions itinérantes mises à disposition par les institutions muséales de la Shoah sont en constante progression depuis ces dernières années. 275 Voir le mini-site Internet dédié « Voyages d’étude à Auschwitz », http://www.memorialdelashoah.org/upload/minisites/voyages/index.htm (consulté le 26 juin 2010).

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120

L’organisation de ces voyages développés par l’institution parisienne est confiée à son service

des lieux de mémoire. Les voyages d’une journée se déroulent selon un programme standard,

modulé en fonction des connaissances ou des centres d’intérêts des participants276. 679

personnes ont ainsi participé en 2009 à ces voyages de mémoire.

Outre le Mémorial de la Shoah, le Cercil organise régulièrement, depuis 2007, des

visites, sur le site même de l’ancien camp de Pithiviers. D’une durée variant entre 1h30 et 3h,

ces visites prennent la forme d’un parcours – « itinéraire de la mémoire » – basé sur des

repères spatiaux permettant de situer le camp (voie ferrée, silo, infirmerie,…), des

photographies (d’époque et récentes), des documents d’archives (lettres, cartes, plans du

camp, photographies aériennes de 1947,…) et des histoires de vie277. Les demandes de visites

sont nombreuses. Le Cercil est obligé de procéder à des refus : l’institution ne peut – pour des

raisons de logistique et également de disponibilité suffisante de son équipe – satisfaire toutes

les sollicitations. De ce fait, sont privilégiées les visites qui s’inscrivent dans le cadre d’un

projet global, d’un projet pédagogique cohérent278. Néanmoins, il faut signaler que des visites

de l’ancien camp d’internement sont organisées à l’occasion des Journées européennes du

patrimoine, en lien avec l’Office de tourisme de Pithiviers279. Face à une demande de visites

en constante progression, tant en provenance des enseignants que des individuels, le Cercil

réfléchit à une valorisation muséographique in situ des anciens camps d’internement du Loiret

(installation de panneaux informatifs et didactiques, audioguides). L’institution travaille

actuellement à la conception « d’un dépliant à destination des offices de tourisme, permettant

aux visiteurs, touristes et public local, de prendre connaissance de ces faits historiques, et

d’éventuellement pratiquer en autonomie ce chemin de la mémoire 280». Ainsi, l’objectif

poursuivi est de créer un circuit, une mise en réseau des camps d’internement du Loiret : le

Centre d’histoire et de mémoire d’Orléans (dont l’ouverture est prévue en janvier 2011), les

anciens camps de Beaune-la-Rolande, Pithiviers et Jargeau, et les fermes de Sologne.

276 Pour connaître le déroulé et les modalités des voyages de mémoire organisés par le Mémorial de la Shoah, voir le site Internet de l’institution, (consulté le 26 juin 2010), http://www.memorialdelashoah.org/b_content/getContentFromTopNavAction.do?navId=104 277 J’ai pu suivre une visite de l’ancien camp de Pithiviers, qui a été organisée le 6 avril 2010 pour un groupe de jeunes allemands, venus de Munster dans le cadre d’un jumelage. Voir le « reportage » de cette visite, en Annexes 7, pages 155-157. 278 Entretien avec Nathalie Grenon, Orléans, 18 mars 2010. 279 Outre l’ancien camp de Pithiviers, le Cercil propose également, lors de ces Journées, la visite des fermes de Sologne, qui servaient d’annexes aux camps du Loiret. 280 Rapport d’activité 2009, Cercil, p. 16.

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Par ailleurs, et afin d’aborder l’histoire de la Shoah à travers différentes thématiques,

certains des lieux de mémoire étudiés ont développé des parcours inter-musées. Le Mémorial

de la Shoah propose en effet des parcours, en partenariat avec le Musée de l’Armée, les

Archives Nationales, le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, et la Maison d’Izieu. Cette

dernière propose également un parcours inter-musées, « Regards croisés, Savoirs partagés »,

avec le Musée gallo-romain d’Aoste (Isère) et l’Observatoire de la Lèbe (Ain). Présents sur un

même territoire et cependant très différents par leurs thématiques, ces structures – auxquelles

il faut ajouter les Amis de la Réserve Naturelle du Marais de Lavours (Ain) – se sont

associées « pour faire découvrir leurs richesses naturelles, scientifiques, historiques et

patrimoniales (…) et proposer une découverte du patrimoine avec les questionnements du

temps présent281 ». En travaillant sur des thèmes comme la mémoire, le respect de l’autre, de

son environnement et de son histoire, les quatre institutions muséales souhaitent proposer

« une découverte du patrimoine avec les questionnements du temps présent, et développer un

tourisme ouvert sur le monde et citoyen282 ». Les parcours inter-musées mis en place par le

Mémorial de la Shoah et la Maison d’Izieu constituent une offre évidemment intéressante

d’un point de vue culturel, dans la mesure où elle permet d’enrichir le contenu, de le resituer

et de le recontextualiser, et de faire ainsi une mise en regard de l’histoire.

Depuis ces dernières années, les lieux de mémoire de la Shoah se sont engagés très

activement dans la mise en réseau d’activités de réflexion et de recherche. Des partenariats

sont développés, tant au niveau international – avec diverses institutions homologues,

tournées vers l’histoire et la mémoire de la Shoah, et de la Seconde Guerre mondiale – qu’au

niveau national. Le Mémorial de la Shoah, la Maison d’Izieu et le Cercil participent à groupe

de travail, « Réseau des musées et mémoriaux des conflits contemporains », mis en place par

la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives283. En outre, il ne faut pas omettre

l’importance des réseaux régionaux, tel le Réseau MEMORHA – réseau de lieux de mémoires

et d’histoire et d’universitaires – constitué en 2007, en région Rhône-Alpes, pour comparer les

histoires et les mémoires de la résistance et de la guerre de 1939-1945.

281 Brochure d’accueil des publics de la Maison d’Izieu, http://www.izieu.alma.fr/francais/frame_principale.htm (consultée le 9 juillet 2010). 282 Ibid. 283 Voir la rubrique « Musées et mémoriaux des conflits contemporains » sur le site Internet du ministère de la Défense, http://www.defense.gouv.fr/educadef/memoire-et-pedagogie/musees-et-memoriaux-des-conflits-contemporains (consultée le 25 juillet 2010).

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La Maison d’Izieu fait partie des membres très actifs de ce réseau284, avec d’autres lieux

d’histoire et de mémoire répartis sur le territoire rhône-alpin (Centre d’Histoire de la

Résistance et de la Déportation de Lyon, Centre du Patrimoine Arménien de Valence, Site

national historique de la Résistance en Vercors etc.)285. Le réseau MEMORHA a pour objectif

de mettre en perspective les expériences et les réflexions de sites historiques et mémoriels de

la guerre et de la Résistance en région Rhône-Alpes avec celles de différents sites européens

(Allemagne, Italie, Espagne), que ce soit en termes de contenus, de muséographie et de

scénographie, de renouvellement des publics.

2) Fréquentation et publics

La fréquentation des lieux de mémoire liés à la Shoah en France ne peut être

concrètement analysée qu’au regard des institutions muséales déjà existantes, à savoir la

Maison-Mémorial des enfants juifs exterminés d’Izieu et le Mémorial de la Shoah.

La Maison d’Izieu a ainsi reçu près de 325 223 visiteurs, depuis son ouverture en 1994286. Le

graphique ci-dessous (fig. 30) montre que depuis les années 2000, la fréquentation totale

s’échelonne entre 20 000 et 25 000 visiteurs par an287. La fréquentation a toutefois connu, en

2007, une augmentation exceptionnelle (35 808 visiteurs), suite à une « médiatisation

télévisuelle », en l’occurrence la diffusion du téléfilm La dame d’Izieu, en mars 2007 sur

TF1288. La fréquentation de la Maison d’Izieu doit être cependant quelque peu « nuancée ».

Les groupes scolaires constituent, sans surprise, près de la moitié des visiteurs (43 %).

Le nombre de scolaires a d’ailleurs plus que doublé en 10 ans : 7 006 élèves pour 1997 / 1998

contre 15 023 pour l’année 2007 / 2008. A contrario, le nombre de visiteurs adultes

(individuels et groupes) diminue largement de moitié depuis l’ouverture : 9 580 en 1994

contre 4 112 en 2008.

284 Il faut préciser que l’institution assure la gestion des activités du réseau MEMORHA. 285 La liste des membres que les actualités et les travaux du réseau sont consultables sur le blog Réseau MEMORHA, http://www.memorha.org/ (consulté le 9 juillet 2010). 286 Rapport d’activités 2008, Maison-Mémorial des enfants juifs exterminés d’Izieu. Voir également, en partie Annexes, le tableau de la fréquentation de la Maison d’Izieu depuis son ouverture, page 164. 287 Ces chiffres de fréquentation sont les mêmes pour la très grande majorité des sites culturels français. 288 Voir le lien suivant http://www.aidh.org/lirecoutevoir/film-izieu.htm (consulté le 10 juin 2010).

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Le Mémorial de la Shoah a, quant à lui, accueilli en 2009 environ 180 000 visiteurs,

dont environ 30 000 scolaires289. La fréquentation du Mémorial semble en progression depuis

2007-2008, après avoir connu une baisse « naturelle » l’année qui a suivi l’ouverture290.

Les fréquentations de la Maison d’Izieu et du Mémorial de la Shoah doivent être plus

généralement replacées dans celle globale des musées, des lieux de mémoire de la Seconde

Guerre mondiale en France (tableau 2)291. La fréquentation est ainsi très variable d’un site à

l’autre, mais également d’une année sur l’autre. Le Mémorial de Caen est de loin l’institution

muséale qui reçoit le plus de visiteurs par an, entre 350 000 et 400 000. Le site du Struthof et

le Mémorial de la Shoah « arrivent en seconde position », avec une fréquentation comprise

entre 170 000 et 200 000 visiteurs, etc.

289 Entretien avec Isabelle Plichon, responsable du service Communication au Mémorial de la Shoah, Paris, le 12 avril 2010. 290 La fréquentation est ainsi passée de 250 000 (2005) à 175 000 visiteurs en 2006. 291 Il faut préciser que ce tableau des lieux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale n’est pas exhaustif.

Figure 31 : Fréquentations de la Maison d’Izieu depuis son ouverture

Source : Chiffres de fréquentation, Rapport d’activités 2008 de la Maison d’Izieu

0

5000

10000

15000

20000

25000

30000

35000

40000

1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008

Gr. adultes

Gr. scolaires

Adultes

Fréquentationtotale

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N.B. : Les chiffres indiqués correspondent au nombre total de visiteurs (payants et non payants, individuels et groupes)

Les chiffres de fréquentation des lieux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale, et plus

généralement ceux des sites culturels, sont corrélatifs à un certain nombre d’éléments : la

notoriété, la localisation, l’environnement touristique, la capacité d’accueil, la promotion, etc.

Une fréquentation importante ne constitue pas l’objectif principal des « gestionnaires » des

lieux de mémoire attachés à la Shoah. Toutefois, les institutions muséales étudiées s’attachent

à attirer le plus grand nombre de visiteurs possible, non pas dans une logique économique, de

rentabilisation, d’exploitation touristique – développée par certains lieux et musées de la

Seconde Guerre mondiale, tels ceux situés en Normandie –, mais dans une logique a priori

« citoyenne », de sensibilisation et de transmission. Les lieux de mémoire tendent donc à

toucher un large public, transgénérationnel. A commencer par les scolaires, qui constituent,

sans surprise, un public captif important.

2005 2006 2007 2008

Camp de concentration du Struthof (67) 171 556 199 397 182 238 173 649

Centre de la Mémoire d’Oradour-sur- Glane (87)

174 379 182 607 122 571 104 272

Centre d’Histoire, de la Résistance et de la Déportation de Lyon (69)

60 661 60 808 63 527 56 994

Maison d’Izieu (01) 23 588 22 371 35 808 26 652

Mémorial de la Paix - Caen (14) 404 740 380 000 380 600 392 226

Mémorial de la Shoah (75) 250 000 175 000 178 000 180 000

Mémorial de Compiègne-Royallieu (60) ______ ______ ______ 19 525

Musée d’Arromanches 360 (14) 243 558 232 396 233 878 218 496

Tableau 2 : Fréquentation de quelques lieux de mémoire français

de la Seconde Guerre mondiale (2005-2008)

Sources : La fréquentation des sites et manifestations touristiques en France métropolitaine depuis une quinzaine d’années, ODIT France ; CRT et CDT ; Institutions muséales

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Les groupes scolaires reçus par les services pédagogiques de la Maison d’Izieu et le

Mémorial de la Shoah sont très nombreux. La visite des lieux de mémoire de la Shoah

s’adresse tout aussi bien aux élèves de l’école primaire, aux collégiens et aux lycéens qu’aux

étudiants. Le nombre de demandes de visites et d’activités pédagogiques est en constante

augmentation292. Faute d’espaces et de médiateurs en nombre suffisant, les institutions

muséales ne peuvent prendre en compte toutes les demandes, et sont dès lors obligées de

procéder à des refus, dans un souci de qualité de la prise en charge, et de qualité de l’offre

pédagogique. L’accueil du public scolaire est ainsi, en terme éducatif, un véritable enjeu pour

les lieux de mémoire, et plus généralement pour les équipements culturels. Ce public pose la

question de « l’enfant prescripteur ». Considérés comme le « public de demain », les scolaires

tendent en effet à jouer un rôle de prescripteur envers leurs familles293. Le service

pédagogique du Mémorial de la Shoah l’a bien compris : il travaille actuellement à

l’élaboration d’un dossier-journal que les élèves pourraient ramener chez eux, et qui serait

consultable par les autres membres de la famille294.

Outre les scolaires, les lieux de mémoire liés à la Shoah accueillent un public de

visiteurs individuels. Quelques enquêtes internes ont été faites par le Mémorial de la Shoah,

notamment à l’occasion des expositions temporaires, pour justement connaître le profil et les

motivations de ces visiteurs. Les données obtenues montrent que ce profil correspond à celui

des lieux culturels295. On constate une forte présence des retraités et des catégories

professionnelles supérieures (cadres, professions libérales, enseignants), soit des visiteurs qui

ont des pratiques culturelles régulières296. Les motivations principales de visite sont l’intérêt

pour l’histoire, la volonté de se cultiver, la curiosité. L’hommage à un parent disparu ou ayant

vécu la période historique reste un motif de visite, mais qui semble s’estomper peu à peu, au

fil des années. Par ailleurs, il s’agit pour l’essentiel d’un public de proximité. En effet, les

visiteurs individuels de la Maison d’Izieu viennent principalement de la région Rhône-Alpes,

des grandes villes comme Lyon, Grenoble, Saint-Etienne.

292 Entretien avec Jacques-Olivier David, coordinateur des activités pédagogiques au Mémorial de la Shoah, Paris, le 7 mai 2009. Entretien avec Nathalie Grenon, Orléans, le 18 mars 2010. 293 Voir l’article de Luc Bonnin et Amélie de Fonclare, « N’oubliez pas les scolaires ! », Anticiper le vieillissement des destinations, Collection Revue Espaces n° 235, Editions Espaces Tourisme et Loisirs, mars 2006, p. 49-56. 294 Entretien avec Isabelle Plichon, le 12 avril 2010. 295 Ibid. 296 Voir la publication d’Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique. Eléments de synthèse 1997-2008, Editions La Découverte / Ministère de la Culture et de la Communication, 2009, http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/, (consultée le 27 juin 2010).

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Les institutions muséales étudiées s’attachent à proposer une programmation et des activités

en plus grand nombre pour continuer à accueillir le public local, les habitués des lieux que

pour attirer de nouveaux publics. Aussi, la dimension touristique ne semble pas omise. Au

public local, s’ajoute un public estival. Un travail de visibilité est réalisé par le Mémorial de la

Shoah pour attirer le public touristique. Pour ce faire, des dépliants bilingues – français /

anglais, italien / espagnol – sont produits et diffusés très largement de juin à septembre, lors

de la saison touristique, dans les lieux de passage et d’information : aéroports, offices de

tourisme, hébergements, bateaux-mouches etc297. Le Mémorial de la Shoah est intégré dans

l’offre culturelle parisienne. Localisé au cœur du Marais, à proximité d’institutions culturelles

telles la Maison Victor Hugo, le musée Carnavalet, le musée Picasso, le Mémorial ne reçoit

cependant pas « un tourisme de masse, étant donné la concurrence sur Paris, entre les

différents sites et musées à visiter 298».

La dimension touristique est également présente dans les projets de réhabilitation et

d’aménagement des anciens camps français d’internement, tel le camp des Milles. Lieu de

mémoire à vocation pédagogique, le futur mémorial semble pensé aussi comme un

équipement culturel, susceptible d’attirer les touristes présents dans la région Provence-Alpes-

Côte-d’Azur. La création d’un mémorial est « une manière de diversifier l’offre

touristique 299». En outre, le potentiel touristique, la position géographique du site, sa

localisation dans une région extrêmement visitée, la proximité avec d’importants axes de

communication routiers, ferroviaires et aériens sont mis en avant, dans les études de

préfiguration, comme l’un des principaux atouts du projet300. En effet, une étude du potentiel

de fréquentation du futur site, réalisée en 2004 par le Laboratoire Culture et Communication

de l’Université d’Avignon, mis ainsi l’accent sur ces facteurs positifs, « sur l’existence dans le

sud de la France et dans la région d’Aix d’un flux conséquent de touristes français et

étrangers 301».

297 Un dépliant français-anglais est visible dans la partie Annexe, page 165. 298 Entretien avec Isabelle Plichon, Paris, 12 avril 2010. 299 Entretien avec Rémy Knafou, Paris, le 12 octobre 2009. Voir la retranscription de l’entretien, p. 176-180. 300 Présentation de l’opération - Note de synthèse et annexes, « Fondation du Camp des Milles : Mémoire et Education », mars 2009, p. 2. La dimension touristique est également présente dans le projet du Mémorial de Rivesaltes, voir le site Internet du Conseil général des Pyrénées-Orientales, http://www.cg66.fr/52-le-memorial-de-rivesaltes.htm (reconsulté le 27 juin 2010). 301 Une petite synthèse de l’étude est disponible sur le site Internet institutionnel du Camp des Milles, à l’adresse suivante, http://www.campdesmilles.org/content/view/22/ (reconsultée le 27 juin 2010).

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3) Communication et Promotion

a) Une communication spécifique ?

La communication est devenue un élément dont il faut tenir compte : elle s’avère

aujourd’hui indispensable dans un monde où les médias sont omniprésents et influencent très

largement les visiteurs. A l’instar de nombreuses institutions muséales, les lieux de mémoire

étudiés tendent à avoir une visibilité, à faire connaître leurs actions à la plus large audience

possible. Pour ce faire, le Mémorial de la Shoah dispose d’un service dédié spécifiquement à

la communication. La création de l’institution a en effet nécessité la mise en place d’une

stratégie de communication globale, autour et après l’ouverture : conception et réalisation de

supports de communication, achat d’espaces d’affichage, mise en place d’une stratégie de

relations presse et de partenariats, évaluation des cibles de publics, conception d’une stratégie

de communication par thème et par activité, création d’une identité visuelle302.

La communication peut également être externalisée, comme au Camp des Milles.

L’Association Mémoire du Camp des Milles bénéficie d’un mécénat de compétences : le

groupe Aegis Media accompagne l’association dans sa communication, sa production

évènementielle, et son site Internet.

La communication des institutions muséales liées à la Shoah passe, sans surprise, par

des supports de communication classiques : dépliants, affiches, articles de presse…

Il ne faut cependant pas omettre le rôle d’Internet, qui s’est considérablement accru depuis la

dernière décennie. Les sites Web constituent désormais un outil de communication important

voire indispensable quant à la valorisation des sites culturels. Cependant, le fait de disposer

d’un site Internet ne suffit pas ; il faut que le contenu soit lisible et de qualité, et qu’il

fournisse des informations utiles à la compréhension du lieu visité. Les lieux de mémoire

étudiés possèdent chacun un site Internet, plus ou moins bien conçus, plus ou moins

complets303. Le site du Mémorial de la Shoah, créé en 2003-2004, s’est donné la capacité de

toucher un large public tout en valorisant la gamme des outils d’information scientifique et de

sensibilisation qu’il met à disposition des visiteurs.

302 Rapport moral du Mémorial du martyr juif inconnu – Centre de documentation juive contemporaine, 2004. 303 Certains des sites Internet tendent à être repensés et sont actuellement en cours de refonte, comme celui de la Maison d’Izieu et du Camp des Milles.

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Le site Internet ne se contente pas d’être une « vitrine » de l’institution : il entend aussi

répondre aux demandes du grand public comme à celles des professionnels, des publics plus

spécifiques (universitaires, historiens, professeurs) auxquels il propose des outils de recherche

performants, dont une encyclopédie multimédia de la Shoah. Outre la présentation de

l’institution (historique, informations pratiques, programme des activités pédagogiques

téléchargeables etc.), le site Internet propose une visite virtuelle, présente des ressources

audiovisuelles (témoignages d’anciens déportés, conférences de l’auditorium diffusées dans

leur intégralité), détaille également les expositions304 et les publications, et induit de

nombreux liens autour des thèmes de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah.

Les visiteurs-internautes ont donc facilement accès à un ensemble d’informations assez

complet et lisible : les différentes rubriques sont hiérarchisées et ciblées, et régulièrement

actualisées.

304 Mise en ligne de sites thématiques d’expositions temporaires, que le Mémorial de la Shoah a accueillies ou aidé à concevoir.

Figure 32 : Site Internet de l’exposition Filmer les camps, John Ford, Samuel Fuller, Georges Stevens, de Hollywood à Nuremberg, Mémorial de la Shoah

Source : http://www.memorialdelashoah.org/upload/minisites/filmer_les_camps/index.html

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La communication du Mémorial de la Shoah ne s’inscrit pas uniquement dans un cadre

institutionnel. En effet, l’institution muséale a mis en place « un espace d’échange et de

partage », au travers des réseaux sociaux que sont Facebook, Twitter, YouTube, Dailymotion,

« afin que chacun puisse œuvrer pour la transmission mémorielle »305. Aussi, la démarche du

Mémorial de la Shoah n’est pas surprenante étant donné qu’il s’attache à développer de

nouvelles méthodes, de nouveaux outils qui permettent de transmettre l’histoire et la mémoire

du génocide juif, de sensibiliser les nouvelles générations qui n’ont pas connu les faits.

Parce qu’il s’agit d’une histoire douloureuse, portant sur un sujet complexe, la

communication des institutions muséales liées à la Shoah répond à des impératifs spécifiques.

Le sujet impose une sobriété quasi évidente. Il est évidemment difficile de faire, à l’instar de

musées nord américains de la Shoah, une « communication attractive », une « communication

marketing ». La communication des lieux de mémoire de la Shoah emprunte une approche

scientifique. Pour Isabelle Plichon, une vigilance est plus que nécessaire, en ce qui concerne

notamment la terminologie. Le terme « devoir de mémoire » n’est ainsi pas employé.

Il ne s’agit ni de faire un discours moralisateur, ni d’être dans le registre du sensationnel, du

pathos. Le message se veut avant tout pédagogique. Aussi, les lieux de mémoire font par

ailleurs attention à ne pas tomber dans l’écueil des raccourcis – ils communiquent non pas sur

« la transmission de la Shoah » mais sur « la transmission de l’histoire de la Shoah »306 –, et

s’attachent à « rester neutre par rapport à des problématiques amalgames [conflit israélo-

palestinien…]».

305 Voir la rubrique « Le Mémorial sur la Toile », http://www.memorialdelashoah.org/b_content/getContentFromNumLinkAction.do?itemId=1091&type=1 (consultée le 9 juillet 2010). 306 Entretien avec Isabelle Plichon, 12 avril 2010.

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b) Lieux de mémoire et promotion touristique

Les institutions muséales – précisément celles déjà ouvertes au public, à savoir la

Maison d’Izieu et le Mémorial de la Shoah – sont intégrées dans une offre culturelle et

touristique locale et régionale307. Les gestionnaires de ces lieux de mémoire travaillent – ou

souhaitent travailler – avec les professionnels du tourisme.

Le service Communication du Mémorial de la Shoah a organisé en 2009, en collaboration

avec l’Office de Tourisme et des Congrès de Paris, une visite du Mémorial à destination des

professionnels du tourisme (tour-opérateurs, autocaristes, agences réceptives, etc.)308.

Cet éductour, qui a réuni une soixantaine de personnes, a permis de mieux faire connaître

l’institution parisienne et son offre, et également de « connaître les attentes des professionnels

du tourisme, en particulier celles des guides-conférenciers indépendants309 ». En outre, le

Mémorial de la Shoah participe depuis 2007 au « Forum des loisirs culturels : musées,

monuments… de Paris et d’Ile-de-France ». Ce forum, créé en 2002 à l’initiative de sites

culturels parisiens et franciliens, a pour objectif de présenter les collections et les offres

(services, programmations, locations d’espace…) de plus de 100 musées, monuments,

châteaux de Paris et d’Ile-de-France aux professionnels du tourisme de loisirs et d’affaires

adhérents de l’Office de Tourisme de Paris, aux collectivités territoriales, aux associations et

comités d’entreprise310. On peut également évoquer les relations régulières qu’entretient le

CERCIL avec l’Office de tourisme de Pithiviers, en ce qui concerne les visites de l’ancien

camp de Pithiviers et les fermes de Sologne, annexes des camps d’internements du Loiret. La

conception d’un dépliant à destination des offices de tourisme est actuellement en projet311.

307 La consultation des sites Internet des Offices de tourisme de Paris, du Pays de l’Huis et d’Izieu, des Comités départementaux et régionaux du tourisme montrent que la Maison d’Izieu et le Mémorial de la Shoah sont référencés et intégrés. 308 Entretien avec Isabelle Plichon, Paris, le 12 avril 2010. 309 Ibid. 310 Voir la présentation de l’offre du Mémorial de la Shoah à l’occasion de la 7ème édition de ce Forum, qui s’est déroulé au musée du Quai Branly en 2009, http://pro.parisinfo.com/uploads/a0//livret_visiteurs_forum_2009.pdf (consultée le 6 juin 2010). 311 Entretien avec Nathalie Grenon, 18 mars 2010.

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Conclusion

Les lieux relatifs à l’internement et à la persécution des Juifs de France bénéficient

donc depuis une vingtaine d’années maintenant d’un essor particulier. Normalisés, délaissés

voire oubliés pendant des décennies, ils sont devenus – non sans certaines disparités et

difficultés – un patrimoine, un héritage historique et mémoriel qu’il convient aujourd’hui de

protéger, de préserver. Cette reconnaissance patrimoniale doit être replacée dans une

évolution mémorielle, dans la construction d’une mémoire collective de la Shoah, inscrite

définitivement dans la communauté nationale, en 1995, avec le discours de Jacques Chirac.

La reconnaissance officielle de la responsabilité et de la complicité de l’Etat français s’est

accompagnée d’une (re)découverte, et d’une volonté de mettre en valeur les lieux, les traces

liés au souvenir du génocide juif. La valorisation des « lieux de mémoire » de la Shoah

atteste, sans aucun doute, d’une évolution et d’une transformation des politiques de

transmission des traces de l’évènement.

Les lieux de mémoire rassemblent divers acteurs, des représentants des institutions

publiques aux historiens et professionnels des musées, sans oublier les témoins de leur

histoire, les militants de la mémoire, de nombreux acteurs associatifs et de la société civile,

qui bien souvent impulsent la mise en mémoire et la mise en valeur.

On entend donc par valorisation des lieux de mémoire de la Shoah une appropriation et un

réinvestissement de l’espace. Cette valorisation commémorative s’est mise en place très tôt

sur certains lieux (Maison d’Izieu, camps d’internement du Loiret,…) ou au contraire de

façon tardive (camp des Milles, camp de Rivesaltes,…). Portée par une mémoire individuelle

et/ou locale, elle se traduit par un marquage de l’espace, avec l’érection de dispositifs

mémoriels : mémoriaux in situ et non in situ (Mémorial du martyr juif inconnu à Paris, Yad

Vashem à Jérusalem), stèles, plaques, œuvres monumentales. Toutefois, la valorisation

commémorative ne peut être réduite à une seule fonction mémorielle, puisqu’elle s’est, à la

fin des années 1980, accompagnée d’une volonté de présenter une information historique sur

les lieux mêmes de la tragédie. Des « wagons-témoins » ont été ainsi installés et aménagés,

des visites guidées ont commencé à être organisées, à destination de scolaires et de groupes.

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Cette valorisation commémorative n’apparaît aujourd’hui plus suffisante pour les acteurs

concernés, en particulier les associations et les militants de la mémoire. La question de la

transmission de la Shoah s’impose depuis la dernière décennie comme une problématique

majeure, au moment précis de ce basculement où les derniers témoins, les derniers survivants

sont en passe de disparaître. D’où une volonté de mettre en place une valorisation

muséographique, des institutions muséales spécifiques afin de transmettre l’histoire et la

mémoire du génocide juif à des générations qui n’ont pas connu les faits.

On entend par valorisation muséographique la mise en place d’outils de médiation

permettant de rendre visible et lisible les traces, de donner au public l’information la plus

juste possible sur les évènements qui se sont déroulés. Il n’existe pas vraiment une mise en

valeur muséographique caractéristique des lieux de mémoire de la Shoah. Les aménagements

sont tous spécifiques aux lieux concernés : ils peuvent aller de la pose de panneaux explicatifs

à la création d’un musée. Les projets diffèrent de par l’histoire des lieux, et de par les objectifs

des porteurs de projets (associations, fondations, collectivités territoriales).

Appréhender ce type de patrimoine est loin d’être évident, tant du point de vue de la

conservation que de l’aménagement muséographique. La question de l’authenticité se pose

dès lors. L’aménagement des lieux de mémoire de la Shoah doit être d’abord pensé selon un

impératif de préservation. Il ne s’agit pas de reconstruire, de reconstituer les lieux qu’ils

étaient pendant la Seconde guerre mondiale. Cela aurait indéniablement un sens de

théâtralisation et annihilerait le sens et les valeurs immatérielles dont sont porteurs les lieux

de mémoire. A contrario, la préservation de tels lieux ne doit pas non plus s’inscrire dans une

démarche de « sanctuarisation », de conservation de reliques.

La valorisation des lieux de mémoire français (et européens) de la Shoah s’apparente à

une réhabilitation des traces de cette histoire. Des institutions muséales ont été aménagées ou

construites. Qui dit musée, dit choix d’un médium, d’une conservation, d’une exposition et

d’une communication. Bien qu’ayant leurs propres spécificités, les parcours muséographiques

des lieux de mémoire français liée à la Shoah possèdent des traits et des principes directeurs

communs. Ils combinent deux aspects, approches : l’aspect mémoriel et l’aspect historique,

l’émotion et la réflexion.

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Les études de cas français étudiées (Maison d’Izieu, Mémorial de la Shoah, Mémorial du

camp des Milles et le Centre d’histoire et de mémoire sur les camps d’internement du Loiret)

ont réussi à trouver un juste équilibre, entre une approche cognitive et une approche

émotionnelle. En outre, les parcours proposés se caractérisent par une muséographie discrète,

une scénographie sobre, sans mise en spectacle de la guerre et des persécutions antisémites, ni

expérience muséale sensationnelle qui jouerait sur l’effet de proximité. Au-delà des parcours,

il s’agit également de mettre en place une médiation, une offre culturelle et pédagogique de

qualité à destination de tous visiteurs, jeunes, familles et adultes sans exception. La visite des

lieux de mémoire (de la Shoah) se rattache aujourd’hui au « tourisme de mémoire ».

L’ouverture au public implique indubitablement des nécessaires aménagements,

obligeant ainsi les gestionnaires, les porteurs de projets à intégrer la dimension touristique,

que ce soit en termes d’accueil, de programmation, de communication etc. L’ouverture au

public paraît être aujourd’hui une condition de durabilité pour les lieux de mémoire.

Néanmoins, cette durabilité n’est jamais pleinement assurée : la fréquentation, essentiellement

scolaire, est en effet variable et disparate d’un lieu de mémoire à l’autre.

Les lieux de mémoire français de la Shoah ne sont pas devenus des sites touristiques,

contrairement aux lieux de mémoire allemands et polonais liés à la persécution et à

l’extermination de la population juive d’Europe. L’ancien camp d’Auschwitz-Birkenau est

devenu, pour différentes raisons, une véritable destination touristique. Plus d’un million de

personnes, venues du monde entier, visitent chaque année le site. L’exemple d’Auschwitz est

particulièrement significatif de la complexité, voire de la difficulté de « mettre en tourisme »

des lieux de mémoire tragiques, de concilier l’ouverture au public et le respect mémoriel, la

préservation de valeurs hautement immatérielles. Les limites de l’exploitation touristique sont

ici dépassées, du fait notamment de l’absence de planification des flux, d’une mauvaise

gestion des autorités polonaises.

Lieux de transmission, les lieux de mémoire de la Shoah se fixent, au-delà de la

diffusion de leur histoire et de celle de la Shoah des objectifs d’éducation à la citoyenneté.

Aussi, se pose la question de leur avenir. Les derniers survivants, les derniers témoins ayant

vécu cette période ne seront bientôt plus là, et le souvenir de ces évènements historiques ne

pourra être transmis qu’« indirectement ».

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Cette disparition progressive induit un passage de témoins d’une génération aux autres, un

rapprochement – pour les associations d’anciens déportés juifs – avec les institutions

(Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Mémorial de la Shoah, Maison d’Izieu, …) qui

paraissent dès lors les plus aptes à prendre le relais, moralement et matériellement, et à assurer

la continuité des actions initialement menées par les associations. Au regard des intentions et

des activités qu’ils déploient, les lieux de mémoire constituent indéniablement une des

principales modalités de transmission de l’histoire et de la mémoire de la Shoah.

La problématique du renouvellement de l’offre, des parcours muséographiques se pose

alors, en particulier pour des institutions muséales créées il y a plus de vingt ans, comme la

Maison d’Izieu. La recherche historique, la muséographie ayant considérablement progressées

et évoluées depuis la dernière décennie, conduisent inévitablement les lieux de mémoire à

reprendre l’ensemble de leurs dispositifs historiques et pédagogiques.

Les institutions devront adapter la muséographie et la médiation aux aspirations des nouvelles

générations très attirées par les nouvelles technologies de l’information et de la

communication, l’espace numérique, le virtuel et l’interactivité. La visite des lieux de

mémoire pourra se faire sans doute au travers des témoignages de déportés, de survivants (qui

ne seront plus là), d’images de synthèse reconstituant les lieux (en particulier quand il reste

partiellement des traces, comme les chambres à gaz à Auschwitz-Birkenau) consultables sur

des supports innovants, types Dvd-Rom, mp3 etc. Néanmoins, il apparaît important que soit

maintenue une médiation physique, une appréhension des lieux à travers le corps et la parole.

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Bibliographie

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II. Ouvrages généraux

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- Musées de guerre et mémoriaux : politiques de la mémoire, s. dir. de Jean-Yves Boursier, Paris, Ed. de la Maison des sciences de l’homme, 2005, 257 p.

- NORA Pierre, Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984-1992, 7 vol., 4751 p.

- Tourisme de mémoire, s. dir. de Mylène Leenhardt-Salvan, Cahier Espaces n° 80, Paris, Editions Espaces Tourisme et Loisirs, Décembre 2003, 121 p.

- VESCHAMBRE Vincent, Traces et Mémoires urbaines : enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, 315 p.

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III. Articles, Colloques

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- COMPÈRE-MOREL Thomas et JOLY Marie-Hélène, Des musées d'histoire pour l'avenir, actes du colloque « Des musées d'histoire : pour qui ? Pour quoi ? », Noësis/Historial de la Grande Guerre, 1998, 367 p.

- Mémoriaux, Actes des journées d’études des 18-19 décembre 2005, Musée d’histoire de Marseille, Paris, Conseil français de l’association internationale des musées d’histoire, 2006, 172 p.

- Quelles perspectives pour les musées d'histoire en Europe?, actes de colloque, Musée national des arts et traditions populaires, 4-6 mai 1994, actes organisés par l'Association internationale des musées d'histoire, s. dir. de Laurent Gervereau, 1997, 176 p.

- Sorties des crises dans la seconde moitié du XXe siècle : Allemagne, Espagne, France. Approches nationales de la transmission, formation et pédagogie dans les lieux de mémoire, actes du colloque des 25-29 octobre 2006, co-organisés à Prades [Pyrénées-Orientales] par le Conseil Général des Pyrénées-Orientales [en préfiguration du Musée-Mémorial du Camp de Rivesaltes], la Fondation Topographie de la Terreur de Berlin et la Maison d’Izieu, 121 p.

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- Transmettre la Shoah dans la famille, à l’école, dans la cité, s. dir. Jacques Fijalkow, 4e colloque de Lacaune, 2007, Paris, Editions de Paris Max Chaleil, 2009, 238 p.

2) Articles

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- DIEUDONNE Emmanuel, « Tourisme et lieux de mémoire de guerre », Tourisme et culture, Cahier Espaces n° 37, Editions Espaces Tourisme et Loisirs, Juin 1994, p. 154-163.

- GUYOTAT Régis, « Que faire des lieux de mémoire des deux guerres mondiales ? La sauvegarde des sites est devenue un outil de pédagogie », Le Monde, 20 janvier 2004

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- PONCELET Etienne, Mémoires de guerre, Paris, ICOMOS, 2005, p. 181-188, http://www.international.icomos.org/victoriafalls2003/papers/B1-6-Poncelet+photos.pdf

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- LALIEU Olivier, « Mémoire de la Shoah. L’action du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) », Tourisme de mémoire, Cahier espace n° 80, Editions Espaces Tourisme et Loisirs, décembre 2003, p. 27-31.

- LALIEU Olivier « La difficile mémoire des lieux d’internement en France », in « Génocides. Lieux (et non-lieux) de mémoire », Revue d'histoire de la Shoah - Le Monde juif, Paris, CDJC, n° 181, juillet-décembre 2004, p. 177-190.

- PIPER Franciszek, « Auschwitz-Birkenau, lieu de mémoire et musée », in « Génocides. Lieux (et non-lieux) de mémoire », Revue d'histoire de la Shoah - Le Monde juif, Paris, CDJC, n° 181, juillet-décembre 2004, p. 145-155.

- SCHNEIDER Floriane, « A l’école de la Shoah. De l’enseignement de l’histoire à la pédagogie de la mémoire », Enseigner et transmettre, Les Cahiers de la Shoah, n°8, Paris, Les Belles Lettres, 2005, p. 56-86.

- TISSERON Serge, « Comment accompagner la souffrance dans les lieux de mémoire ? », La Lettre de la Fondation de la Résistance, n° 49, juin 2007

- WIEVIORKA Annette, « La construction de la mémoire de la Shoah en France », Le Monde juif. Revue d’histoire de la Shoah, n°149, Paris, Centre de Documentation Juive Contemporaine, septembre-décembre 1993, p.23-39.

- WIEVIORKA Annette, « Du Centre de documentation juive contemporaine au Mémorial de la Shoah », in « Génocides. Lieux (et non-lieux) de mémoire », Revue d'histoire de la Shoah - Le Monde juif, Paris, CDJC, n° 181, juillet-décembre 2004, p. 11-36.

- WIEVIORKA Annette, « Naissance d'un musée », in « Auschwitz 1945-2005 », dossier, L'Histoire, n° 294, 2005.

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IV. Webographie

1) Institutions, Organisations et Associations

• Association Europe de la Mémoire : http://www.europedelamemoire.org • Association des Fils et Filles de Déportés Juifs de France : http://ffdjf.org/ • Chemins de mémoire : http://www.cheminsdememoire.gouv.fr

Site Internet du ministère de la Défense présentant les lieux de mémoire nationaux • Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes

http://www.fndirp.asso.fr/ • Fondation pour la Mémoire de la Shoah : http://www.fondationshoah.org • Fondation pour la Mémoire de la Déportation : http://www.fmd.asso.fr/ • Mémorial de la Shoah – Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC) :

http//:www.memorialdelashoah.org • Mémorial de Yad Vashem : http://www.yadvashem.org/ • Maison-Mémorial des enfants d’Izieu : http://www.izieu.alma.fr/ • Ministère de la Défense, Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA)

http://www.defense.gouv.fr/sga/decouverte/organisation/direction_de_la_memoire_du_patrimoine_et_des_archives_-_dmpa

• Task Force for International Cooperation on Holocaust Education, Remembrance and

Research (ITF) : http://www.holocausttaskforce.org/ • UNESCO, Education pour perpétuer la mémoire de l’Holocauste

http://portal.unesco.org/education/fr/ev.php-URL_ID=57734&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

• United States Holocaust Memorial Museum Washington D.C: http://www.ushmm.org

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142

2) Camps d’internement et de déportation français • Camp de Drancy, Conservatoire Historique du Camp de Drancy

http://www.camp-de-drancy.asso.fr • Camp des Milles : http://www.campdesmilles.org • Camp de Rivesaltes, Mémorial : www.cg66.fr/culture/memorial/index/htlm • Camp de Royallieu, Mémorial de l’internement et de la déportation

http://www.memorial.compiegne.fr • Camp de Natzweiler-Struthof, Centre européen du résistant déporté : http://www.struthof.fr

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Table des annexes Annexe 1 : Carte de la France des camps durant la Seconde Guerre mondiale p.144

Annexe 2 : Budget de fonctionnement du Mémorial de la Shoah p.145

Annexe 3 : Tableau des principales caractéristiques des lieux de mémoire étudiés p.146

Annexe 4 : Dossier général de présentation des projets « Mémoire et Transmission » de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah p.148

Annexe 5 : Les projets de valorisation des lieux de mémoire soutenus par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah p.152

Annexe 6 : Programmation culturelle proposée par le Cercil p.154

Annexe 7 : Itinéraire de visite de l’ancien camp de Pithiviers p.155

Annexe 8 : Livret de visite « Un itinéraire de la mémoire : sur les traces de l’ancien camp de Pithiviers (1941-1942) p.158

Annexe 9 : Fréquentation de la Maison d’Izieu depuis son ouverture p.164

Annexe 10 : Dépliant français-anglais du Mémorial de la Shoah p.165

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Annexe 1 : Carte de la France des camps durant la Seconde Guerre mondiale

(Centre de Documentation Juive Contemporaine / Mémorial de la Shoah)

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Annexe 2 : Budget de fonctionnement du Mémorial de la Shoah

(Rapport moral 2008, Mémorial de la Shoah)

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Annexe 3 : Tableau des principales caractéristiques des lieux de mémoire étudiés

Date de début de projet Date d’ouverture Statut juridique Budget Sources de financement Fréquentation

Maison- Mémorial des enfants juifs exterminés d’Izieu (Ain )

1987 : création de l’association Musée-Mémorial après le procès Barbie – souscription nationale pour l’achat de la maison

24 avril 1994 Association loi 1901, reconnue d’intérêt général

N.C

- Subventions (ministère de la Culture, région Rhône Alpes, département de l’Ain, communauté de communes de Rhône et Gland, communes d’Izieu et de Brégnier-Cordon) - Produits des activités et billetterie - Cotisations

26 652 (2008)

Mémorial de la Shoah (Paris)

1997 : lancement plan d’agrandissement du CDJC et Mémorial du Martyr Juif Inconnu

27 janvier 2005

Association loi 1901, reconnue

d’utilité publique

11,5

millions d’euros (budget 2008)

- Fondation pour la Mémoire de la Shoah - Produits des activités - Subventions (ministère de la Culture, région Ile-de-France, Mairie de Paris) - Dons privés et cotisations

180 000 (2008)

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Mémorial du Camp des Milles, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône)

2002 : adoption d’une « Déclaration commune sur le projet de lieu de mémoire de l’internement et de la déportation dans la Tuilerie des Milles » par la Mairie d’Aix-en-Provence, la société Lafarge Couverture, le CRIF et l’Association du Wagon-souvenir

2011 Fondation reconnue

d’utilité publique

2,6 millions d’euros (budget annuel de fonctionnement, évalué en 2005-

2007)

- Subventions (ministère de la Culture, région PACA, département des Bouches-du-Rhône, communauté du Pays d’Aix) - Fondation pour la Mémoire de la Shoah - Produits des activités - Mécénat (Fondation d’entreprise Ecureuil pour l’Art, la Culture et la Solidarité,…)

100 000

(étude du potentiel de

fréquentation, 2004)

Centre d’Histoire et de Mémoire, Orléans (Loiret)

2004 : mobilisation du CERCIL, pour l’acquisition d’un édifice

janvier 2011

Association loi

1901

La Ville d’Orléans,

propriétaire des locaux et du

mobilier muséographique,

délègue la gestion au CERCIL

1,5 - 1,6 millions d’euros (budget

d’investissement)

- Subventions (ministères de la Défense et de la Culture, région Centre, département du Loiret, Mairie d’Orléans) - Fondation pour la Mémoire de la Shoah - Produits des activités

N.R

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Annexe 4 : Dossier général de présentation des projets « Mémoire et Transmission », Fondation pour la mémoire

de la Shoah

FICHE PROJET

N° de dossier 08/l

TITRE DU PROJET*

COMMISSION*

Reçu le Accusé de réception envoyé le : Transmis à l’expert le

Coût total de l’opération*

Aide demandée* Proposé par (institution, nom, adresse, tél, fax, e.mail)* :

Autres institutions sollicitées et montant des financements demandés*

Autres institutions sollicitées et montant des financements obtenus*

Résumé du projet par le porteur* (15 lignes maximum) :

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149

FORMULAIRE

GENERAL DE PRESENTATION DES PROJETS

1) DESCRIPTION DU PROJET

-Titre

-Descriptif détaillé

-Nouveauté ou originalité

-Public visé

-Diffusion envisagée

-Suite envisagée

- Calendrier de réalisation

-Portée européenne ou internationale

-Compétences du porteur du projet : autres actions menées dans le domaine.

2) QUESTIONS FINANCIERES

- Coût global du projet

- Budget prévisionnel

- Calendrier des recettes et des dépenses attendues

- Montant du financement demandé à la FMS.

- Durée prévue du projet et date du paiement demandé à la FMS avec justificatifs.

Merci de joindre toute information que vous jugeriez utile à une bonne compréhension de votre projet Date et signature

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DOSSIER ADMINISTRATIF (cocher les cases correspondant à toutes les pièces jointes au dossier)

Case à cocher

Liste des pièces à fournir Personne physique

Association ou

fondation

Société Institution publique (université, centre de

recherche….)

Note de l’établissement x x x

Relevé d’identité bancaire ou postal, ou code IBAN (pour les comptes étrangers).

x x x x

Statuts de l’institution. x

Copie du récépissé de dépôt à la Préfecture. x

Liste des dirigeants (Président, Trésorier, Secrétaire général, Directeur général), avec copie du PV de l’assemblée, ou de la délibération du conseil, qui a procédé à leur nomination.

x x

Décret accordant la reconnaissance d’utilité publique à l’institution (le cas échéant).

x x

Bilan et comptes du dernier exercice, certifiés par le commissaire aux comptes, ou l’expert-comptable.

x

Copie du dernier rapport d’activité. x x

Extrait K bis du registre du commerce, daté de moins de 3 mois.

x

Copie de la délibération de l’instance décisionnaire de l’établissement (conseil d’administration, conseil de perfectionnement…) autorisant le projet.

x

Copie de l’accord de l’autorité de tutelle pour un projet auquel l’Etat ou une autre collectivité publique participe.

x

Nous attirons votre attention sur les conditions complémentaires à remplir si votre projet est accepté :

- Ouvrir un compte d’emploi spécifique au projet dans les écritures de l’institution (au crédit : subvention allouée par la FMS, par d’autres institutions, ressources propres affectées par l’institution au projet ; au débit : engagements de dépenses du projet). - Fournir un compte-rendu d’exécution et un bilan financier de l’opération, dans les deux mois suivant la réalisation du projet. - Permettre le contrôle par la Fondation de la réalisation des actions et de l’emploi des fonds, notamment par l’accès aux documents administratifs et comptables.

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TABLE DES MATIERES

Fiche projet .....................................................................................................................

Formulaire

• Titre...........................................................................................................................• Descriptif détaillé ......................................................................................................

• Nouveauté ou originalité ...........................................................................................• Public visé .................................................................................................................

• Diffusion envisagée...................................................................................................• Suite envisagée..........................................................................................................

• Calendrier de réalisation ...........................................................................................• Portée européenne ou internationale .........................................................................• Compétences du porteur du projet ............................................................................

• Coût global du projet................................................................................................• Budget prévisionnel ................................................................................................

• Calendrier des recettes et des dépenses attendues ....................................................• Montant du financement demandé à la FMS ............................................................• Durée prévue du projet et date du paiement demandé à la FMS avec

justificatifs.................................................................................................................

Devis détaillés (1 devis pour les postes de dépenses inférieurs à 75 000 €, 3 devis différents pour les postes de dépenses supérieurs à 75 000 € pour les projets immobiliers) ........

Lettres d’engagement chiffrées des autres sources de financement. ..........................

Plan de trésorerie (tableau des recettes et des dépenses attendues)...........................

CV des intervenants .......................................................................................................

Dossier administratif (1 exemplaire agrafé ou relié)....................................................

Page

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Annexe 5 : Les projets de valorisation des lieux de mémoire soutenus par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah

2003

- Etude de préfiguration pour la création d’un musée-mémorial sur le site de Rivesaltes, Conseil général des Pyrénées-Orientales

- Etudes et concours visant à la création d’un musée-mémorial sur le site du Camp d’Aix-Les Milles, Association Mémoire du camp des Milles

2004

- Nouveau musée d’histoire de la Shoah, Galerie de la résistance et du sauvetage, Yad Vashem [Jérusalem]

- Aménagement d’un Espace Mémoire à Nice, Espace Culturel et Social Juif de Nice

- Remise en état des locaux du Conservatoire Historique du Camp de Drancy, Conception et réalisation de l’exposition, Conservatoire Historique du Camp de Drancy

- Projet de réhabilitation du Tunnel de Drancy, Association du Tunnel de Drancy

- Rénovation de l’exposition Déportation en Anjou, Association des Familles et Amis des Déportés du Convoi n° 8

- Mise en valeur du site du Camp de Gurs, Amicale du Camp de Gurs

- Contribution à l’exposition du Pavillon français d’Auschwitz, Ministère de la Défense (Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives)

2005

- Réhabilitation de la Judenrampe à Auschwitz-Birkenau, FMS

- Réhabilitation et création d’un musée-mémorial au Camp des Milles, Association Mémoire du Camp des Milles

- Mémorial des Noms des Déportés de Marseille, Consistoire de Marseille et AFMA Marseille Provence

- Recherche des fosses communes des victimes juives des Einsatzgruppen en Ukraine, dans les régions de Ternopil, d’Ivano-Frankivsk et de Kherson, et enregistrement des témoignages, Père Patrick Desbois, Association Yahad-In-Unum

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2006

- Aménagement d’un lieu de mémoire et d’histoire sur les camps d’internement du Loiret, Mairie d’Orléans, CERCIL

- Exposition permanente consacrée aux Enfants de la Hille, Mairie de Montagut-Plantaurel

- Recherches des fosses communes des victimes juives en Ukraine (2006-2007-2008), Père Patrick Desbois, Association Yahad-In-Unum

- Poursuite de l’aménagement de l’ancienne Judenrampe à Auschwitz-Birkenau, Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau

- Collecte des noms des victimes de la Shoah (2006-2011), Yad Vashem 2007

- Réalisation du musée-mémorial Charles De Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises, Fondation Charles De Gaulle

- Réalisation d’un lieu de mémoire et d’histoire face à la Cité de la Muette à Drancy, FMS/Mémorial de la Shoah

- Demande de financement pour des travaux de construction, rénovation, équipement de l’Institut, Institut Elie Wiesel de Bucarest

- Désherbage du secteur III de Birkenau (« Mexico »), FMS 2008

- Edification d’un monument à la mémoire de la Shoah, CRIF Toulouse Midi-Pyrénées

- Contribution à la dotation de la future Fondation du Camp des Milles, Association Mémoire du camp des Milles

- Accueil de l’exposition Les 11 400 enfants juifs déportés de France, Association Mémoire du camp des Milles

- Conception d’une exposition itinérante sur les enfants internés dans les camps du Loiret, CERCIL

2009

- Restructuration scénographique de l’exposition permanente Génocides et massacres de masse – L’extermination des Juifs, Mémorial de Caen

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Annexe 6 : Programmation culturelle proposée par le CERCIL, janvier-juin 2010

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155

Annexe 7 : Itinéraire de visite de l’ancien camp de Pithiviers, organisé par le CERCIL, le 6 avril 2010

1. Point de départ de l’itinéraire : gare de Pithiviers

Plaque commémorative à la mémoire des internés juifs, gare de Pithiviers

2. Entre la gare et le camp de Pithiviers, chemin emprunté par les internés à leur arrivée

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3. Entrée de l’ancien camp d’internement de Pithiviers

4. Voie ferrée du silo

5. Rue de l’ancien camp 6. Zone des premiers baraquements du camp

7. Ancienne infirmerie du camp de Pithiviers

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157

8. Emplacement de l’ancien camp de Pithiviers

9. Vue vers l’ancienne infirmerie 10. Vue vers le silo

11. Vue du silo depuis la voie ferrée ligne Orléans à Etampes

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Annexe 8 : Livret de visite « Un itinéraire de la mémoire : Sur les traces de l’ancien camp

d’internement de Pithiviers (1941-1942) »

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164

Annexe 9 : Fréquentation de la Maison d’Izieu depuis son ouverture en 1994

(Rapport d’activités de l’année 2008, Maison - mémorial des enfants juifs exterminés d’Izieu)

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Annexe 10 : Dépliant français-anglais à destination du public touristique, Mémorial de la Shoah

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Table des figures Fig. 1 : Pose de la première pierre du Mémorial du martyr juif inconnu, photographie du Centre de Documentation Juive Contemporaine p. 24 Fig. 2 : Monument aux déportés, Cité de la Muette, Drancy p. 26 Fig. 3 : Centre de commémoration du camp de Westerbork p. 37 Fig. 4 : Mémorial international de Birkenau p. 38 Fig. 5 : Monument commémoratif de la rafle du Vél’d’Hiv p. 41 Fig. 6 : Stèle commémorative, square du Temple p. 43 Fig. 7 : Wagon-témoin, Cité de la Muette, Drancy p. 44 Fig. 8 : Les habitants de l’hôtel de Saint-Aignan, Christian Boltanski p. 52 Fig. 9 : Signalisation informative, camp de Gurs p. 54 Fig. 10 : Site Internet Chemins de mémoire p. 60 Fig. 11 : Visite de scolaires, Mémorial de Caen p. 62 Fig. 12 : Couverture du Guide Petit Futé des lieux de mémoire p. 63 Fig. 13 : Site Internet Normandie mémoire p. 66 Fig. 14 : Motivations de visites des lieux et sites de mémoire p. 70 Fig. 15 : Panneaux destiné aux touristes, Nouvelle-Orléans p. 73 Fig. 16 : Evolution de la fréquentation d’Auschwitz-Birkenau p. 76 Fig. 17 : Les principaux visiteurs du camp d’Auschwitz-Birkenau en 2009 p. 77 Fig. 18 : Groupes de visiteurs devant le portail « Arbeit macht Frei », Auschwitz I p. 79 Fig. 19 : Touriste se faisant photographier devant la vitrine de zyklon B, Musée d’Auschwitz-Birkenau, Auschwitz I p. 80 Fig. 20 : Photographie de la Maison d’Izieu p. 84 Fig. 21 : Photographie de la crypte, Mémorial de la Shoah p. 87 Fig. 22 : Photographie de la Façade du Mémorial de la Shoah p. 87

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Fig. 23 : Photographie de la façade de la tuilerie des Milles p. 88 Fig. 24 : Salle des peintures - réfectoire des gardiens, Tuilerie des Milles p. 90 Fig. 25 : Salle des peintures - réfectoire des gardiens, Tuilerie des Milles p. 90 Fig. 26 : Diagramme de la répartition du coût d’investissement du projet « Mémoire du Camp des Milles » p. 98 Fig. 27 : Graphique d’évolution du nombre de projets traités par la FMS p.108 Fig. 28 : Diagrammes des financements accordés par la FMS p.109 Fig. 29 : Une des salles de l’exposition permanente du Mémorial de la Shoah p.115 Fig. 30 : Le Mémorial des Enfants, Mémorial de la Shoah p.115 Fig. 31 : Fréquentations de la Maison d’Izieu depuis son ouverture p.123 Fig. 32 : Site Internet de l’exposition Filmer les camps, John Ford, Samuel Fuller, Georges Stevens, de Hollywood à Nuremberg p.128

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Table des entretiens Nom Structure Fonction Modalités Dates

Rémy Knafou

Professeur émérite de l’Université Paris 1, Chef de projet, Fondation du Camp des Milles

Entretien face à face 12/10/2009

David Amar

Fondation pour la Mémoire de la Shoah

Chargé de mission Solidarité-Mémoire et Transmission

Entretien face à face 04/11/2009

Jacques Olivier David

Mémorial de la Shoah

Coordinateur des activités pédagogiques

Entretien face à face Courrier électronique

07/05/2009

01/06/2009

Olivier Lalieu Mémorial de la Shoah

Responsable de l’aménagement des lieux de mémoire et des projets externes

Entretien face à face 19/03/2010

Nathalie Grenon Cercil Directrice Entretiens face à face 18/03/2010

06/04/2010

Isabelle Plichon Mémorial de la Shoah

Responsable Communication

Entretien face à face 12/04/2010

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DOSSIER

D’OUTILS METHODOLOGIQUES

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Table des outils méthodologiques Questionnaire qui a servi de trame d’entretien avec Nathalie Grenon p.171

Questionnaire qui a servi de trame d’entretien avec Isabelle Plichon p.173

Retranscription de l’entretien face à face avec Rémy Knafou p.176

Retranscription de l’entretien face à face avec David Amar p.181

Synthèse de l’entretien face à face avec Olivier Lalieu p.186

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Questionnaire qui a servi de trame d’entretien avec Nathalie GRENON - CERCIL

A. Le CERCIL

1) Pourriez-vous rappeler la genèse (l’historique de création) du CERCIL ? 2) Quel est le fonctionnement, l’organisation du CERCIL (instances organisationnelle et

opérationnelle) ? 3) Combien d’adhérents compte à ce jour le CERCIL ? Qui sont-ils ? 4) Qui sont les acteurs qui soutiennent le CERCIL ? 5) Quelles sont les ressources du CERCIL ? Comment se compose ces ressources ? Quelle

part représente chaque type de ressources ? 6) Le mécénat (tant financier que de compétences) est-il une ressource développée ? 7) Quel est le budget moyen du CERCIL ? Comment se répartit-il entre les différentes

activités de l’Association ? 8) A quelle(s) difficulté(s) êtes-vous confrontées ? 9) Est-ce que de nouveaux projets d’activités sont en cours et/ ou à l’étude ? Pourriez-vous

m’en dire les grandes lignes ?

B. La valorisation des camps d’internement du Loiret

1) Rien aujourd’hui ne subsiste (ou presque) des camps d’internement du Loiret. Comment faire mémoire après l’effacement, la destruction des traces ? Quelles sont les valorisations possibles ?

2) La commémoration est une modalité privilégiée de mise en mémoire. Pourriez-vous

revenir sur cette valorisation commémorative (poses de plaques, déroulement des commémorations…)?

3) Les recherches menées pour resituer dans l’espace urbain actuel l’emprise du camp

d’internement de Pithiviers s’inscrivent-elles dans ces enjeux de visibilité et de tangibilité ?

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4) Peut-on parler, en quelque sorte, d’archéologie ? 5) Pourriez-vous me précisez le travail, la réflexion mené sur l’ancien camp de Pithiviers ? 6) Quelles sont les modalités de cette visite historique de l’ancien camp de Pithiviers ? 7) Qui sont les visiteurs de ce parcours ? Quelles sont les motivations ? 8) Est-ce qu’une mise en valeur muséographique, notamment à un public plus large, est

envisagée sur in situ ?

C. Le Centre d’Histoire et de Mémoire de la Déportation à Orléans

1) Pourriez-vous rappeler la genèse du projet du Centre d’Histoire et de Mémoire ? 2) Quelles ont été les motivations de décision de lancer le projet ? 3) Où en est actuellement le projet ? A quelle date est prévue l’ouverture du lieu ? 4) Peut-on dire qu’il s’agit d’un lieu de mémoire ex nihilo ? 5) Qui sont les acteurs engagés dans le projet ? 6) Pourriez-vous détailler les orientations qui ont été données au niveau politique, c’est-à-

dire quels sont les objectifs du Centre d’Histoire et de Mémoire ? 7) Qui est le propriétaire du lieu ? Quelle sera le mode de gestion retenu ? 8) Comment sont composées et comment fonctionnent les instances organisationnelle et

opérationnelle du projet ? 9) Comment le projet a été accueilli par la population locale ? Y’a-t-il eu production de

consensus ? Un sentiment de reconnaissance de cette mémoire ? 10) A combien est évalué le coût d’investissement ? 11) A combien est évalué le coût de fonctionnement du futur Centre ? 12) Comment travaillez-vous pour l’élaboration du contenu muséographique ? 13) Quelles sont les idées directrices retenues, les attentes du propos muséographiques ? 14) Quelles sont les modalités de décision qui conduisent à sélectionner tel ou tel document? 15) Comment s’effectue la sélection des témoignages ?

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16) Y’a-t-il des divergences entre les différences de points de vue ou de perspectives au sein du projet ?

17) Travaillez-vous avec un modèle, des volontés spécifiques ? 18) Quelles sont les idées principales que vous voulez que le visiteur retienne de sa visite ? 19) Selon vous, quels sont les écueils à éviter ? Les erreurs à ne pas faire ? 20) Selon vous, quelles sont les limites en matière d’aménagement du lieu ?

D. La fréquentation et répartition des publics

1) A combien est estimée la fréquentation du futur Centre ? 2) Le Centre vise quels publics ? Uniquement les scolaires ? 3) Peut-on également parler d’un public touristique ? 4) Avez-vous – ou envisagez-vous – des relations, un partenariat avec les professionnels du

tourisme (offices de tourisme, CDT du Loiret, CRT Centre) ? 5) Le futur Centre sera-t-il doté d’un service dédié à ces questions ? 6) Quelles seront les modes de visites proposées aux visiteurs ? Quelles seront les modalités

d’accueil des publics ? 7) Outre l’exposition permanente, quels seront les autres dispositifs majeurs de la future

institution ? 8) Quelle(s) approche(s) ont été – ou vont – être choisies à destination des publics ? 9) Pourriez-vous précisez les idées directrices retenues de la future programmation culturelle

et éducative ?

E. Les lieux de mémoire français de la Shoah 1) Est-ce qu’un projet de création d’un réseau des lieux de mémoire regroupant les camps

d’internement français est envisageable, sinon en cours ? 2) Comment vous positionnez-vous par rapport aux autres projets de réhabilitation et de

valorisation (Les Milles, Rivesaltes, Drancy) ? 3) Comment envisagez-vous le rôle, les missions du CERCIL dans les années à venir, avec

la disparition des derniers témoins, des derniers survivants ?

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Questionnaire qui a servi de trame à d’entretien avec Isabelle PLICHON – Mémorial de la Shoah

A. Le Mémorial de la Shoah

1) Pourriez-vous rappeler la genèse de création du Mémorial de la Shoah ?

2) Quel a été le coût d’investissement du projet ? 3) Quel est le fonctionnement, l’organisation du Mémorial ? Combien de personnes

travaillent au sein de l’institution ? 4) Qui sont les acteurs, les partenaires qui soutiennent le Mémorial ? 5) Quelles sont les ressources du Mémorial? Comment se compose-t-elles ? 6) A combien s’élève en moyenne le coût de fonctionnement de l’institution ? 7) Comment se répartit ce budget de fonctionnement ? 8) Comment et par qui les différentes activités du Mémorial sont-elles financées ? 9) Le mécénat est-il une ressource particulièrement développée ?

B. Le service Communication

1) Quel est le rôle du service dont vous avez la responsabilité ? 2) Quelles sont précisément les actions, les missions que vous menez ? 3) Comment communiquez-vous [sur la Shoah] ? 4) Quels supports de communication utilisez-vous ? 5) A quelle(s) difficulté(s) êtes-vous confrontées ?

C. La fréquentation et le public du Mémorial de la Shoah

1) Quelle a été la fréquentation de l’an dernier (2009) ? 2) Combien d’individuels ? Combien de groupes ?

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3) Comment procédez-vous pour connaître le nombre de visiteurs individuels ? 4) Est-ce que des enquêtes qualitatives sont réalisées auprès des visiteurs ? 5) Qui sont les visiteurs du Mémorial de la Shoah ? Quel est leur profil ?

6) Selon vous, quelles sont les « motivations » de visite des visiteurs ? 7) Quelle est la part des visiteurs étrangers ? De quelles nationalités sont-ils ? 8) Peut-on parler d’un public touristique ?

D. Lieu de mémoire et Tourisme

1) Avez-vous – ou envisagez-vous – des relations avec les professionnels du tourisme (offices de tourisme, CDT, CRT) ? Quelles sont ces relations ?

2) Selon vous, comment concilier la dimension « touristique » (accueil, aménagement,

intégration dans l’offre culturelle) et la préservation des lieux de mémoire ? 3) Selon vous, quelles sont les limites en matière d’aménagement, de « mise en tourisme »

des lieux, de mémoire de la Shoah ? 4) Quels sont les écueils à éviter ? Les erreurs à ne pas faire ? 5) Est-ce que de nouveaux projets sont en cours et/ ou à l’étude ? Pourriez-vous m’en dire les

grandes lignes ?

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Entretien face à face avec Rémy KNAFOU,

Professeur émérite de l’Université Paris 1, ancien Chef de projet de la Fondation du Camp des Milles, Paris, le 12 octobre 2009

• Quelle a été votre implication dans le projet du Mémorial du Camp des Milles ?

Je me suis impliqué dans le projet, dans un premier temps, à titre de bénévole, en animant un groupe de réflexion pédagogique sur l’un des axes de travail du projet du Camp des Milles. L’une des originalités de ce projet n’est pas de faire ce que l’on attend d’un lieu de mémoire, c’est-à-dire de parler d’histoire et de mémoire, mais de procéder à une mise en contexte, de parler du présent et de l’avenir. Les lieux de mémoire représentent une charge émotionnelle, affective, symbolique aux yeux des visiteurs. J’ai ainsi animé un groupe de travail portant sur le volet contemporain [le volet réflexif] pendant un peu plus de deux ans. Mon implication s’est poursuivie par la suite en tant que chef de projet, dans le cadre de l’Association Mémoire du Camp des Milles, jusqu’au printemps 2009, date à laquelle ma fonction a pris fin. • Pourriez-vous revenir sur la genèse du projet ?

Le projet du camp des Milles fut très difficile à monter : cela a été un véritable « parcours du combattant ». Les origines du projet remontent au début des années 80, en sachant que l’ouverture est prévue pour le début de l’année 2011 : on voit donc quelle est la durée de la gestation. Le site a failli perdre des éléments historiques très précieux par une destruction qui était programmée en 1983. Cette destruction a été évitée de peu grâce à une mobilisation d’équipes militantes, qui a par la suite donné lieu à la création de l’Association Mémoire du Camp des Milles (AMCM), animée par Alain Chouraqui. L’Association a, avec une volonté peu commune, porté à bout de bras le projet, et continue encore à l’heure actuelle, avec la préparation de la future Fondation du Camp des Milles. L’AMCM a réalisé un véritable travail de fond (préparation du cahier des charges de A à Z), de recherche constante de partenaires. Aujourd’hui, l’investissement est assuré, mais il reste le financement du fonctionnement, qui est plus délicat à trouver dans le contexte actuel de crise économique. Des partenaires ont tenu leur engagement, d’autres ont plus de mal à les tenir.

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• Qui sont les autres acteurs engagés dans le projet ? Quel est leur engagement (notamment celui des pouvoirs publics) ?

L’engagement de l’Etat est très réel. Les services de l’Etat – que ce soit la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives, l’Education nationale – ont toujours suivi et joué le jeu. Cependant, la décision au niveau politique a été un peu plus délicate à un moment donné : le Premier ministre de l’époque [Dominique de Villepin] n’était visiblement pas complètement favorable au projet. L’élection présidentielle de 2007 a rabattu un peu les cartes, et a permis de faire en sorte qu’une impulsion au plus haut niveau soit possible, qu’il y ait un suivi plus assuré dans ce projet. On ne peut pas dire que l’Etat a mis des bâtons dans les roues, mais a un peu joué la montre. Les différents services déconcentrés de l’Etat ont été constamment présents, constamment partenaires au projet. Il y a toujours eu des réunions de comité à un rythme élevé qui permettaient aux différents partenaires d’être informé et associé.

L’implication des collectivités territoriales est assez inégale. La région et le département ont toujours bien joué leurs rôles. C’est la relation avec la commune-support qui est la plus problématique. On est là sur un terrain éminemment politique (locale évidemment). La municipalité a pris des engagements réitérés, a manifesté son intérêt vis-à-vis du projet, mais a eu du mal à les finaliser et à les respecter. La maire d’Aix-en-Provence a toujours été convaincue, visiblement, du projet, et un partisan affiché du projet. Mais il y a eu des divisions à l’intérieur de sa majorité : une partie de ses appuis politiques était soit méfiant vis-à-vis du projet, soit n’en était pas partisans. Le maire adjoint chargé des Milles n’était pas favorable au projet : il avait le projet de faire du site un musée du machinisme agricole (alors que cela faisait longtemps que la question, l’interrogation sur le devenir du site des Milles était présente parmi les élus). La mauvaise conscience de la population des Milles, les attitudes pendant l’existence même du camp peuvent expliquer les réticences quant au projet. Cette période n’a évidemment pas été une page très glorieuse de l’attitude d’une partie, du moins, de la population. Certains ont en effet profité abondamment de la présence des internés. Avoir sous le nez un établissement qui rappelle cela ne faisait pas parti des vœux les plus chers de cette partie de la population dont la vie était portée ou reflétée par le maire actuelle des Milles. Ces divisions au sein du Conseil municipal font que la commune d’Aix a été le dernier partenaire à donner sa signature pour le dossier de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, ou du moins a été le partenaire dont il a été le plus difficile d’obtenir la signature.

La Ville d’Aix-en-Provence, dans le cas présent, ne donne pas de subventions. Elle apporte un soutien financier indirect, via notamment la Communauté de communes. Il est prévu que la commune contribue au projet par les différentes dépenses d’infrastructures que le futur équipement va susciter. L’une des implications des collectivités sera de gérer un flux important. Il est attendu plusieurs dizaines de milliers de visiteurs, voire 100 000 visiteurs par an, ce qui n’est peut être pas complètement impossible. Aussi, ce flux n’est pas négligeable pour Aix-en-Provence, qui a déjà des problèmes de circulations automobiles, de stationnements. Il faut donc à la fois prévoir un parking suffisant, un accès suffisant. Une des difficultés structurelles est que le site est en réalité en deux morceaux séparés par une voie

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publique : au nord, il y a le bâtiment principal, la tuilerie avec ses bâtiments annexes ; le wagon-souvenir et le bout de voie ferrée sont quant à eux de l’autre côté de la voie publique. Les visiteurs devront donc passer de l’un à l’autre en traversant une voie publique, ce qui est évidemment une complication dans la gestion du site, un danger pour les visiteurs, et une contrainte pour les riverains qui habitent dans le lotissement qui est desservi par cette voie publique. A terme, il est évident que cette voie publique devra disparaître en tant que voie routière ; elle pourra rester voie piétonnière ou cyclable mais il y aura toujours la problématique de l’accès nécessaire au lotissement voisin. Les travaux d’aménagement de voiries (qui ne seront pas totalement à charge de la commune, mais aussi de la communauté de communes, et du département) sont d’un montant comparable à ceux de tout l’investissement pour le camp des Milles. • Comment le projet a-t-il été accueilli par la population locale ? Y’a-t-il eu production de consensus ?

Qu’entend-t-on par « population locale » ? Il faut peut être distinguer la population des Milles et la population du reste du territoire. Une réunion publique a été organisée à la demande du maire d’Aix-en-Provence : cette réunion s’est beaucoup mieux passée que certains auraient pu craindre. Il n’y a finalement pas eu de position déclarée et ouverte au projet mais au contraire une attente plutôt positive. Ce que certains peuvent craindre, ceux dont le maire des Milles était le porte-parole, c’était que le projet contribue à ranimer, à réouvrir des cicatrices et à montrer le lieu sous un jour peu favorable. Par définition, les sentiments, que le site peut représenter, sont amenés à décroître vu le temps qui passe. Le lieu des Milles a été pendant très longtemps oublié, une partie des Aixois ne savaient même pas ce qui s’est passé sur le territoire de leur commune. Maintenant on sait à peu près ce qui s’est passé : la presse régionale en parle très régulièrement. Le milieu économique local, c’est-à-dire les commerçants (cafetiers, restaurateurs, etc.), peut attendre des retombées économiques. Il existe un potentiel touristique. Le site des Milles est aussi un outil économique, un lieu d’attraction, pour un département qui n’a pas finalement de très grands lieux touristiques. Les Bouches-du-Rhône n’est pas un territoire qui focalise, qui capitalise ; au contraire, il y a une dispersion. Le laboratoire de l’Université d’Avignon, qui avait réalisé l’étude concluant aux 100 000 visiteurs potentiels, avait noté que si le site du camp des Milles dépassait les 100 000 visiteurs, il serait le premier équipement culturel visité des Bouches-du-Rhône. La création du mémorial s’avère aussi une manière pour Aix-en-Provence de diversifier – si l’on se place sur un terrain uniquement touristique, économique et commercial – l’offre touristique ; une manière de faire en sorte aussi que les touristes qui viennent à Aix-en-Provence restent la journée entière. Plusieurs travaux universitaires ont montré que les touristes, étrangers en particulier, semblent assez déçus de l’offre touristique d’Aix-en-Provence, notamment en matière d’activités culturelles, d’animations.

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• Pourriez-vous préciser la place du projet du Camp des Milles dans le projet « Marseille-Provence, capitale européenne de la culture 2013 » ?

Le projet de « Marseille 2013 » a été retenu pour plusieurs raisons, notamment pour le fait qu’il s’appuie sur un réseau, sur un certain nombre de lieux, dont Aix-en-Provence et le site du camp des Milles. Le projet du camp des Milles apparaissait comme un plus pour le projet de Marseille, et vice versa. L’enjeu est que le camp des Milles puisse profiter du relatif effet d’aubaine que constitue la capitale culturelle. Cela signifie, que pour vraiment en profiter, il faut travailler l’offre touristique longtemps à l’avance, de façon à ce que le flux lié à ce statut puisse être orienté, notamment vers les Milles. Cela nécessite d’être présent dans l’organisation, la mise au point de projets touristiques. Depuis quelques années déjà, le camp des Milles reçoit des visiteurs, en particulier des étrangers (Allemands et Autrichiens). Pour pouvoir espérer attirer un grand nombre de visiteurs au mémorial, il faut travailler, faire en sorte qu’il y ait toute une offre touristique réfléchie et cohérente (question des accès, de l’hébergement, des tarifications,…). Cette offre est encore en construction à l’heure actuelle.

• Justement, au regard de l’histoire du site, est-ce que l’Europe est engagée dans le projet du Camp des Milles ? L’Union européenne ne soutient pas pour l’instant le projet du mémorial, mais c’est un dossier qui est régulièrement soulevé. Le dossier n’a pas été, faute de temps, systématiquement avancé.

• Qui est le propriétaire du site ? Quel sera le mode de gestion retenu pour la future institution muséale ?

Le groupe Lafarge a cédé le site des Milles à la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, qui a porté le projet au nom de l’Association Mémoire du Camp des Milles (AMCM). La FMS doit en principe le céder à la Fondation du Camp des Milles. Cette dernière sera chargée de la gestion du futur mémorial. La particularité d’une fondation, c’est qu’elle a des fonds propres qui sont immobilisés. Elle ne peut toucher le capital – qui est constitué par les membres partenaires – mais le produit des intérêts du capital.

• Quelle est la démarche, la conception muséographique qui a été choisie ?

La muséographie doit être la plus modeste possible. L’idée est de s’effacer devant le lieu, et de ne pas aller dans de la reconstitution. C’est la mise en valeur du lieu et des traces qui ont pu être mise à jour. Le parcours s’appuiera sur trois volets : le volet historique, le volet mémoriel et le volet réflexif, qui seront dans la tuilerie.

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L’exposition de Serge Klarsfeld sur les enfants sera, quant à elle, en principe dans un bâtiment annexe. La Shoah ne sera qu’une « partie » de l’exposition, sans être non plus secondaire. La muséographie doit être pensée selon une pédagogie, et adaptée selon les différents types de public. L’espace consacré à la Shoah est très mesuré par rapport à l’espace général. L’idée, l’argumentaire sera de montrer comment un lieu banal, c’est-à-dire une banlieue d’Aix-en-Provence, a pu devenir le point de départ d’un processus tout à fait extra-ordinaire qui a conduit à l’extermination. Ce passage de l’ordinaire à l’extra-ordinaire qu’incarne le camp des Milles.

• Comment le projet du Camp des Milles se positionne-t-il par rapport aux autres projets de réhabilitation et de valorisation de camps d’internement ?

Les lieux de mémoire de l’internement possèdent une charge émotionnelle et affective très forte, qui est interprétée différemment. Les lieux ne sont pas les mêmes, tout comme les vestiges à mettre en valeur. Aussi, les démarches sont différentes. Le camp des Milles a fait le choix de s’effacer devant la matérialité du lieu et de ne pas recourir à des formules qui sont mises en œuvre à Royallieu par exemple (où on entend les gens parler, etc.).

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Entretien face à face avec David AMAR,

Chargé de mission « Solidarité - Mémoire et Transmission de la Shoah » à la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Paris, le 04 novembre 2009

• Pourriez-vous rappeler la genèse, le contexte de création de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah ?

La Fondation a trouvé son origine, formellement en 1995, lors d’un discours célèbre dit du Vél’d’Hiv’, où Jacques Chirac, président de la République a reconnu pour la première fois la responsabilité de la France dans l’internement et la déportation des Juifs. En réalité, la création de la Fondation est beaucoup plus complexe que cela. Il y eut tout un ensemble d’étapes au cours desquelles les historiens ont eu accès aux livres de compte, aux archives de l’Etat, d’institutions affiliées (la Caisse des Dépôts et Consignations, la Poste…), d’un certain nombre d’institutions qui étaient, à l’époque de l’internement et de l’Occupation, dépositaires des biens des Juifs. Aussi, après des années de travaux menés par une mission dite « Mission Mattéoli », puisqu’elle était présidée par Jean Mattéoli, des conclusions ont été rendues. Il en résulte que le préjudice « matériel » – on ne parle pas de physique – a été évalué à un certain montant. Ce montant a constitué une dotation qui n’a pas été donnée, mais qui a été rendue. David Amar précise que ce n’est pas de l’argent public, mais de l’argent privé que l’Etat a abondé, dans une certaine mesure, à une proportion assez faible, cela dit. Cet argent a donc été rendu. Mais à qui le rendre ? Car bien entendu c’était la totalité de sommes en déshérence, pour lesquelles les ayants droit n’ont pas pu directement être identifiés. Donc on ne peut pas les rendre aux personnes, on ne peut pas les rendre aux institutions qui, en cinquante-soixante ans, ont considérablement évolué.

Une fondation a été créée pour l’occasion, ad hoc. Elle a été le réceptacle de cette dotation et s’est vue confier un certain nombre de missions. Outre la bonne gestion de cette dotation, les missions sont de promouvoir la transmission de la mémoire de la Shoah, l’éducation, l’histoire, la recherche, les archives, tout un ensemble de programmes qui concourent à promouvoir cette mémoire et cette histoire ; mais également la mise en place d’autres programmes de solidarité avec les victimes de la Shoah, et de soutien à la culture juive dans son ensemble. Etant entendu qu’ayant perdu dans son ensemble à peu près 20 % de sa population, la communauté juive de France de l’époque a perdu en même temps la capacité de créer, de se régénérer, d’entretenir la culture juive. Une commission « Culture juive » est dédiée à cette mission. Cela ne rentre pas directement dans la thématique Shoah, mais c’est tout ce qui vient autour : la culture, la langue, le théâtre, la création sous toutes ses formes. La Mission Mattéoli a également débouché sur la création d’une autre institution, qui est la Commission d’indemnisation des victimes des spoliations. La différence avec la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, c’est que cette dernière est une institution, une fondation privée, reconnue d’utilité publique, à laquelle siège un certain nombre de membres de l’Etat et

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d’institutions. La Fondation pour la Mémoire de la Shoah ne donne, ne rend pas d’argent aux personnes. Elle contribue, par des subventions, à des programmes qui sont mis en œuvre par des institutions de toute nature. Le seul cas direct où la Fondation est en mesure de financer quelqu’un, c’est pour des travaux de recherches, dans le cadre de bourse de recherches ou des séjours de recherches dans un encadrement bien spécifique, universitaire et académique. Le plus gros des financements de la Fondation – qui représente environ 40 % de ses engagements annuels – est alloué au Mémorial de la Shoah. Cela est statutaire. La Fondation contribue au fonctionnement du Mémorial de la Shoah, ce qui se traduit par un financement pérenne destiné à accompagner son développement et à lui donner les moyens de mettre en œuvre une politique de mémoire sur la Shoah.

• Quel est le fonctionnement de la Fondation ?

La Fondation est organisée autour de différentes instances : des instances d’instruction et des instances de décision. Les instances d’instruction sont des commissions (six au total) qui travaillent. Il y a une commission strictement dédiée à la gestion de la dotation budgétaire – commission financière – et cinq commissions dédiées à l’examen des projets qui sont soumis à la Fondation. Les commissions sont de natures différentes : trois sont organisées autour de la Shoah, et sa mémoire. Une commission « Histoire et Recherches » gère les demandes de nature scientifique, académique et universitaire. On est dans un domaine où l’on parle d’archives, de colloques scientifiques, de publications, de travaux de recherches. Une seconde commission, intitulée « Enseignement de la Shoah », s’occupe des projets de nature pédagogique, c’est le volet éducatif de la transmission de la mémoire de la Shoah, et donc essentiellement des publics scolaires, des voyages sur les lieux de mémoire, à Auschwitz notamment mais pas seulement ; un certain nombre de programmes mis en œuvre par et pour les publics essentiellement scolaires, y compris les étudiants. Une troisième commission gère les demandes concernant les autres projets relatifs à la mémoire de la Shoah. Cela se traduit par des demandes très différentes, qui vont de l’apposition d’une plaque à la création d’un musée-mémorial, dans le sud de la France par exemple. Entre les deux, on trouve des publications de témoignages, des réalisations audiovisuelles (films, documentaires d’histoire), un certain nombre de créations artistiques et théâtrales, des sujets d’expositions etc. La quatrième commission – appelée « Solidarité » – est, quant à elle, rattachée à la période de la Shoah. Elle s’adresse aux personnes victimes directes de la Shoah, donc aux anciens déportés mais également aux personnes qui ont subi les persécutions antisémites, les enfants cachés, les orphelins et par capillarité les familles qui ont souffert du traumatisme de la Shoah. Il y a enfin une cinquième commission, la commission « Culture juive », qui s’occupe des autres sujets que ceux qui sont directement liés à la Shoah. C’est donc tout un ensemble de projets qui concourent à la reconstruction de la vie communautaire contemporaine.

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Le rôle de ces instances d’instruction est d’amener un avis sur les projets qui sont soumis. Une phase d’expertise est ainsi mise en œuvre, qui fait intervenir les experts membres des commissions ou externes aux commissions. Selon la compétence dont on a besoin, on peut très bien aller chercher cette compétence en dehors de la commission. Le processus d’instruction se traduit par une recommandation, favorable, défavorable ou chiffrée. Ces recommandations sont transmises aux instances de décision. La commission financière a également une fonction d’instruction pour les projets lorsque ceux-ci sont supérieurs à 150 000 euros, c’est une deuxième étape d’instruction. Les instances de décision sont au nombre de deux : le Bureau, émanation du Conseil d’administration, est composé de six personnes. Il intervient avec compétence de décision pour toutes les demandes, jusqu’à 50 000 euros ; au-delà de cette somme, c’est la compétence du Conseil d’administration qui est requise. Le Conseil réunit vingt-cinq personnes, huit représentants de l’Etat et de la puissance publique, huit représentants des institutions de la communauté juive, et des personnes qualifiées. Outre la stratégie générale de la Fondation, il décide du soutien aux projets qui sont soumis. Concernant les ressources de la Fondation, la dotation est placée, avec un impératif de bonne gestion et de prudence, et produit des intérêts. En 2008, les financements accordés par la Fondation se sont élevés à 21,5 millions d’euros. En termes du nombre de projets, l’évolution est de plus en plus croissante : quatre cent dix-sept projets ont été enregistrés en 2008, deux cents soixante-sept ont été retenus, cent cinquante ont été refusés, toutes commissions confondues.

• Pouvez-vous me parler précisément de la commission « Mémoire et Transmission », notamment de son implication dans l’aménagement et la réhabilitation des lieux de mémoire de la Shoah ?

Les lieux de mémoire sont un des supports-projets qui sont examinés par la commission. La commission « Mémoire et Transmission » est composée d’une dizaine de membres, dont un président – actuellement Annette Wieviorka, historienne spécialiste de la Shoah, qui a succédé en 2007 à Serge Klarsfeld –, venant d’horizons différents. Ils amènent leurs compétences : ce sont, soit des personnes témoins de la Shoah, des historiens, soit des personnes spécialistes du financement de projets etc. Toutes ces contributions aident la Fondation à déterminer la nature, l’ampleur et la qualité de son soutien. Le principe de travail de la commission repose sur des décisions appuyées, justifiées, argumentées. Les demandes sont instruites en profondeur : c’est-à-dire que la commission procède souvent à deux expertises sur un même dossier. Bien entendu, les lieux de mémoire constituent une catégorie bien définie.

La Fondation a eu l’occasion d’intervenir sur plusieurs sites de l’internement et de la déportation des Juifs de France, mais également d’intervenir à l’étranger (soutien de plusieurs programmes de réhabilitation du camp d’Auschwitz-Birkenau). Il y a un programme qui est en voie de développement auquel la Fondation a alloué un soutien important, c’est celui du camp des Milles, un site de la mémoire important qui est resté pendant très longtemps

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méconnu. La Fondation est engagée aux côtés d’autres partenaires publics et privés dans un vaste projet d’aménagement d’un lieu de mémoire, d’un musée-mémorial. Il y a d’autres projets qui concernent des lieux de mémoire sur lesquels la Fondation a eu l’occasion d’intervenir. Le camp de Gurs a récemment inauguré un bâtiment d’accueil et une exposition sur le site de l’ancien camp, à travers un sentier d’histoire et de mémoire (parcours défini de bornes, de présentation historique et éducative). Dans le réseau des lieux de mémoire, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah est également intervenue au titre du soutien à une étude de faisabilité pour le projet du mémorial de Rivesaltes. D’autres projets sont en cours d’instruction. La Fondation intervient très activement dans la mise en œuvre d’un lieu de mémoire et d’histoire à Orléans, qui rappellera la question des camps du Loiret (Pithiviers, Beaune-la-Rolande, et Jargeau), mais plus largement la question de l’internement en France. Ce projet est mené en partenariat avec la Ville d’Orléans, le CERCIL (Centre d’Etude et de Recherche sur les Camps d’Internement dans le Loiret). Il y a également un site qui est l’« épicentre » de l’internement, le camp de Drancy. La situation de ce lieu est particulière : c’est un site habité, la Cité de la Muette. Il n’est pas question d’exproprier les habitants, ce n’est pas du tout la logique qui prévaut dans l’aménagement d’un lieu de mémoire. Le choix de la Fondation et du Mémorial de la Shoah a été de monter une annexe du Mémorial de la Shoah face à la Cité de la Muette, en partenariat avec la Ville de Drancy. Un terrain a été acquis par la Fondation sur lequel sera construit un musée, plutôt centre d’accueil et de médiation qui sera destiné à pouvoir accueillir le public et à mettre en place un travail pédagogique, sans perturber la vie des habitants, et en donnant une proximité suffisante pour pouvoir apprécier la réalité de l’internement à Drancy. Ce chantier devrait normalement aboutir en 2011. Un projet d’aménagement de la gare de Bobigny, à proximité de Drancy, est aussi en cours, mené par la municipalité bobignienne, et auquel la Fondation a été associée. Par ailleurs, la Fondation a demandé au Mémorial de la Shoah de structurer et d’animer un réseau des lieux de mémoire, étant donné que le Mémorial se positionne comme un interlocuteur de référence pour ces questions, tant vis-à-vis des pouvoirs publics qu’envers les différentes autres institutions qui sont engagées sur la transmission de la mémoire de la Shoah, notamment à l’étranger (le Musée de Washington, Yad Vashem à Jérusalem etc.). Ce réseau se manifeste par une concertation, un échange de bonnes pratiques.

• Quels sont les critères d’instruction des projets ?

Les dossiers sont présentés par les porteurs de projet, selon un format précis, dans un calendrier de présentation défini. La Fondation reçoit donc les demandes, les pré-instruits pour vérifier leurs recevabilités. Un processus d’instruction, tout un ensemble d’étapes sont par la suite mis en place : établissement de la phase d’instruction, choix de l’expert, transmission du dossier, organisation de la phase d’expertise etc. L’idée étant d’arriver à la fin de ce processus d’instruction avec un avis claire, une recommandation pour que le Bureau puisse prendre sa décision en toute connaissance de cause. Au-delà de la contribution financière, les porteurs de projet demandent aussi un « label », le soutien de la Fondation pour

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la Mémoire de la Shoah, une certaine rigueur intellectuelle, une exactitude historique, un accompagnement dans la démarche.

• Questions de la préservation, de l’aménagement des lieux de mémoire. Quel est l’engagement de la Fondation concernant le projet du camp des Milles ?

L’engagement de la Fondation est important dans ce projet, notamment en ce qui concerne le budget d’investissement (engagement à hauteur de 2,5 millions d’euros). En outre, la Fondation [via David Amar] participe aux différents comités techniques et de pilotage du camp des Milles, et suit de façon attentive le développement du projet. Par ailleurs, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah est propriétaire du site historique. Le site comprend un bâtiment industriel, précisément une tuilerie, qui a appartenu à différents propriétaires et qui récemment était la propriété du groupe Lafarge. Le bâtiment a été libéré, l’exploitation de l’usine a cessé. Les locaux sont désormais occupés par l’Association Mémoire du Camp des Milles, qui porte le projet. L’Association a permis la mise en œuvre d’une structure de gestion, la Fondation du Camp des Milles, qui vient d’être reconnue d’utilité publique. Le projet concerne un très grand espace de plusieurs milliers de mètre carré, ce qui n’est pas rien à aménager. Il faut réfléchir aux aménagements, car ce n’est pas simplement les contenus, c’est aussi la question de la scénographie, le parcours visiteur, la gestion des flux, l’intérêt de renouveler la muséographie etc. On sait très bien que le renouvellement d’une exposition est nécessaire, sans quoi le public ne revient plus. Il a semblé important que la Fondation pour la Mémoire de la Shoah soit propriétaire du site pour justement assurer sa pérennité, et empêcher les pressions immobilières. Elle accorde un bail emphytéotique, c’est-à-dire qui est valable 99 ans, à l’Association Mémoire du Camp des Milles qui valorise le site. La Fondation cède ainsi le droit d’exploitation à titre symbolique. • Comment envisagez-vous le rôle, les missions de la Fondation dans les années à venir, avec la disparition des derniers témoins, des derniers survivants de la Shoah ?

La Fondation a sa place dans le paysage mémoriel, éducatif, de transmission. Elle a un périmètre d’intervention qui est clair, bien défini, encadré statutairement. On sait que les acteurs de la mémoire sont toujours très engagés, les militants de toutes les associations, d’anciens déportés, les fils et filles des différentes associations, très actifs, toujours très mobilisés. On sent quand même une fatigue, qui est bien naturelle. A moyenne échéance, le Mémorial de la Shoah va se substituer peu à peu à ces associations pour être le tenant, l’héritier en fait de la mémoire de la Shoah. Il lui appartiendra aussi de trouver la bonne réponse pour se positionner comme le successeur de toutes ces institutions de mémoire. Par ailleurs, la question de la transmission du témoignage est importante. L’Union des déportés d’Auschwitz a réfléchi au sujet « Comment visiter Auschwitz ? » lorsqu’il n’y aura plus de déportés. Ils ont travaillé sur un dvd interactif, appelé « Mémoire demain », qui présente des témoignages de déportés enregistrés sur le site même d’Auschwitz-Birkenau, et qui a vocation à pouvoir être transféré sur un lecteur mobile, et d’être mis en œuvre sur place dans à travers une visite guidée.

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Synthèse de l’entretien face à face avec Olivier LALIEU,

Responsable de l’aménagement des lieux de mémoire et des projets externes au Mémorial de la Shoah, Paris, le 19 mars 2010

Le service Aménagement des lieux de mémoire et projets externes du Mémorial de la Shoah

Le service a été créé en 2002, au moment où le Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC) était en pleine mutation, c’est-à-dire pendant la phase d’élaboration et de mise en œuvre du chantier de ce qui allait devenir le Mémorial de la Shoah. Il ne s’agissait pas seulement d’agrandir le bâtiment, mais de développer aussi un certain nombre de secteurs et d’activités. Le secteur « Aménagement des lieux de mémoire » est destiné à aider les différents projets (qui étaient alors en phase de définition, et pour lesquels le soutien du Mémorial était sollicité, tel le projet du camp des Milles). Les porteurs de projet souhaitent en effet s’appuyer sur l’expertise et l’expérience historique du Mémorial de la Shoah. Il y a régulièrement un certain nombre de demandes qui sont faites pour aider à des degrés très divers la mise en œuvre de nouveaux projets. Olivier Lalieu évoque le cas de Rivesaltes, où il a conçu au moment de l’étude de définition le parcours de l’exposition, ainsi que sa participation et son rôle à la rénovation du Pavillon français d’Auschwitz (inauguré en janvier 2005). Le service est engagé depuis dans d’autres projets, comme par exemple le fonctionnement du Cercil (Centre d’Etude et de Recherche sur les Camps d’internement du Loiret et sur la déportation juive), qui pour la première fois va disposer d’un lieu physique, et notamment d’une exposition permanente. L’action du service « Aménagement des lieux de mémoire et projets externes » est donc véritablement d’apporter une aide scientifique, historique et aussi pratique aux différents porteurs de projet, qu’ils soient des institutionnels, des responsables associatifs. Le rôle de l’entité est d’une certaine manière complémentaire des métiers de la maîtrise d’œuvre : le service aide les porteurs de projet à être vigilant sur un certain nombre d’aspects des dossiers, à faire de bons choix dans la définition non seulement des contenus mais aussi des contenants. Olivier Lalieu précise qu’il s’agit également d’arriver, d’une manière informelle et souple, à travailler à une meilleure synergie entre les différentes institutions, à faire exister un réseau des « lieux de mémoire de la Shoah ».

La nature des lieux de mémoire de la Shoah

Les lieux liés à la Shoah se rattachent davantage à des « lieux du souvenir » pour reprendre l’expression de Serge Barcellini et Annette Wieviorka. La plupart, voire la quasi-totalité des lieux ont été clairement identifiés après la guerre : ils ont fait l’objet d’installations d’un certain nombre de plaques, de monuments qui ont servi de supports aux différentes commémorations.

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Olivier Lalieu rappelle le manque d’intérêt de la société sur la thématique de l’internement – les lieux de mémoire français de la Shoah sont pour l’essentiel des anciens camps d’internement – pendant de nombreuses années. Ces lieux souffraient d’être directement rattachés à la collaboration d’Etat entre la France et l’Allemagne. Il y eut une volonté globale d’effacement des traces, que certains n’ont pas manqué d’associer à une mauvaise conscience et une volonté d’effacer, d’occulter les traces de ces évènements. Olivier Lalieu estime qu’il s’agissait pour l’essentiel d’une volonté pragmatique de réutilisation de terrains. Le camp de Drancy est l’archétype de cela : la Cité de la Muette retrouve sa fonction initiale de logements dans l’immédiat d’après-guerre. Il est frappant qu’il ait fallu attendre quasiment près de soixante ans, c’est-à-dire les années 1990, pour voir l’émergence de projets (camps des Milles, de Rivesaltes). Cette émergence s’inscrit dans un contexte général d’apaisement, de reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat français (discours de Jacques Chirac en 1995).

Olivier Lalieu s’interroge sur le sens des commémorations in situ (la pose de plaques apparaît-elle aujourd’hui suffisante ?). Pour lui, la légitimité des projets d’aménagement est réelle. Il évoque l’exemple du camp de Compiègne, où il a fallu attendre soixante ans pour que la mémoire des internés se trouve sur place non pas marquée par un seul monument mais par un musée, c’est-à-dire par un endroit, qui dans l’espace public permet non seulement de reconnaître officiellement la souffrance mais aussi de faire connaître cette histoire. De fait, il est aussi légitime que cette histoire – que ce soit aux Milles, à Rivesaltes ou Drancy – soit mieux connue par le public local. Olivier Lalieu explique que les populations locales ont été plus souvent dans l’occultation que dans la prise de conscience.

On ne peut pas parler de typologie, car les lieux et les projets sont spécifiques, par leurs surfaces financières, par le public qui sera drainé. Olivier Lalieu précise que la fréquentation des lieux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale est très variable : 23 000 personnes à la Maison d’Izieu (Ain), 400 000 au Mémorial de Caen (Calvados). Aussi, quelle sera la viabilité économique des futures institutions ? Quelle sera le coût de fonctionnement de ces lieux, en sachant que l’essentiel du public sera un public scolaire, pour lequel la question de la gratuité se pose ? L’aménagement des lieux de mémoire sous-entend des implications politiques, civiques et morales. Le message d’éveil citoyen est aujourd’hui plutôt porteur, mais qu’en sera-t-il dans les dix prochaines années ? Cette question reste ouverte, et s’inscrit dans les problématiques de viabilité et de pérennité des futures institutions, qui pour l’essentiel ne pourront malheureusement que fonctionner à perte. L’appui des collectivités, et de l’Etat est dès lors nécessaire pour que les institutions vivent. Parallèlement à ces projets d’aménagement, il y a encore aujourd’hui un travail fait localement par des associations – apposition de plaques sur les écoles, création de murs des noms – qui contribue à porter la mémoire de la Shoah. La valorisation commémorative n’est pas sans poser un certain nombre de questions : « apposer des plaques, c’est bien ; les faire vivre aussi, c’est important ».

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L’aménagement des lieux de mémoire de la Shoah

Il ne s’agit pas de reconstruire, que ce soit en France ou en Pologne. Olivier Lalieu évoque l’exemple du camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques), où l’amicale qui porte la mémoire du camp a souhaité faire construire, dans le cadre d’un travail pédagogique, l’ossature d’une baraque pour uniquement permettre aux visiteurs de se représenter spatialement l’espace. Il ne s’agit pas de reconstituer comme un décor de cinéma les lieux tels qu’ils étaient pendant la guerre : cela aurait un sens de théâtralisation. Par la valorisation des lieux de mémoire, on entend à la fois la sanctuarisation de l’espace, l’installation sur place d’outils qui permettent au public d’avoir l’information la plus juste possible sur les évènements qui se sont déroulés. Ces outils d’informations peuvent aller du panneau à la création d’un musée. Au-delà, il s’agit de mettre en place, de construire des activités autour : jalonner l’espace est une chose tandis que disposer de médiateurs physiques ou technologiques en est une autre pour faire vivre localement, régionalement, nationalement cette histoire et cette mémoire. Comment parler de cette histoire à la population locale, aux élèves ? Tout ceci est un vrai enjeu pour Olivier Lalieu.

La mise en mémoire des traces

Même si les lieux ont été détruits, il reste parfois des traces : cela peut être, comme à Gurs (Pyrénées-Atlantiques), des soubassements de baraques, des rails comme à Pithiviers. On est dès lors dans une approche archéologique, et non contemplatrice. Cependant, il ne s’agit pas seulement d’exhumer, de sanctuariser des traces : il faut les rendre visibles, compréhensibles.

La « mise en tourisme » des lieux de mémoire

Il y a d’abord un impératif mémoriel dans l’aménagement des lieux de mémoire, qui est de préserver les traces de cette histoire dans l’espace public. Parmi les possibles usages de ces aménagements, il y a effectivement la mise en tourisme. Olivier Lalieu estime qu’il est nécessaire d’être prudent sur l’écho que peut susciter de tels lieux, qui parlent d’une histoire dramatique, et qui en même temps ne sont pas Auschwitz. Le site d’Auschwitz-Birkenau est devenu, pour différentes raisons, un lieu touristique, qui reçoit plus d’un million de visiteurs chaque année. Olivier Lalieu n’est pas certain que les sites de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), de Gurs (Pyrénées-Atlantiques) etc. seront des sites aussi porteurs. Les impératifs touristiques ne doivent être en aucun cas les seuls impératifs présidant à la création ou non de ces lieux là. L’exploitation touristique des lieux de mémoire peut parfois être antinomique avec le nécessaire respect mémoriel.

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L’aménagement des lieux de mémoire doit être d’abord pensé selon un impératif de préservation : ces lieux sont porteurs d’une histoire douloureuse. Cela ne s’inscrit pas non plus dans une démarche de piété, ni dans une démarche de conservation d’un fragment-relique. Si ces lieux ne sont définis que comme des lieux touristiques, alors apparaîtront sans doute des contradictions évidentes entre le caractère extrêmement douloureux (dont sont porteurs les sites) et les nécessaires aménagements qu’implique le tourisme en termes de médiation, de marketing, de communication.

Les projets d’aménagement et de valorisation des lieux de mémoire de la Shoah

Le Mémorial de la Shoah est régulièrement sollicité, en complément d’autres acteurs, de spécialistes scientifiques (historiens, architectes des Monuments historiques etc.). On arrive à un moment où de grands projets – Rivesaltes, Les Milles, Drancy – vont voir le jour à l’échéance 2011-2012, après de nombreuses années de gestation. L’ouverture de ces lieux marquera la fin d’une première étape, du mouvement initié dans les années 1980. Les projets d’aménagement des lieux de mémoire ont leurs spécificités propres : ils sont portés par des acteurs, qui ont chacun des impératifs, une vision et des moyens différents. Tout le monde s’accorde pour dire qu’il doit avoir, de fait, une cohérence à trouver, à construire entre ces lieux. On ne peut donc pas parler de « concurrence » entre les projets.