la technique des peintres

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The technique of painters

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  • Presented to the

    LiBRARY of theUNIVERSITY OF TORONTO

    by

    MRS. MAURICE DUPRi

  • LA TECHNIQUEDES PEINTRES

    /

    i- . rr-

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  • J.-G. GOULINAT

    I

    LA TECHNIQUEDES PEINTRES

    PAYOT (S: C-, PARIS106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN

    1922Tous droits rservs.

  • ll(SO

    Tons (Iroils clfi re[)rocluclion, d'adaptation et de traductionrservs pour tous pays.

    Copyright igns, by Payol et C'*.

  • En crivant ces lignes, je n'entends pas faillede l'enseignement. Les dtails purement matriels

    c^ue je donne sur le mtier des peintres, serventuniquement mettre en lumire un des coins du

    labyrinthe dans lequel les artistes cherchent leur

    chemin.

    Mon but est de donner une impression des ra-

    lits et des mille riens subtils dont un matre est

    form. Je tente aussi de montrer en quoi ses con-

    ceptions n'ont de valeur que soutenues par sa

    science.

    L'rudition na donc aucune place dans cette

    tude. Prenant Fentire responsabilit des ides

    que je soumets, je n'ignore pas cjue je puis metromper, et cest l ma seule certitude.

    J.-G. G.

  • AVANT-PROPOS

    I. - CARACTERE ESSENTIEL DE L'ARTISTE.

    Fluide, impondrable, l'art entre dans la ma-tire pour la vivifier, la parer de grandeur etde style. Fait de sensibilit, il appelle l'motion,

    la simplicit ; fait aussi de got, il rclamel'lvation de la pense, le choix des moyens.

    Mais nous ne tenterons pas ici de dfinirFart : notre but, plus modeste, est d'observer

    comment tendent vers lui ceux qui ont reu

    mission de le servir dans une de ses branches :

    la peinture.

    Avant de spcialiser notre tude et de suivrele peintre dans ses efTorts et ses recherches, sinous ouvrons avec Montaigne le grand livredu monde , nous voyons que la matire d'artou beaut, abonde, dbordant le champ restreintque les professionnels exploitent. Ses manifes-

    tations, petites ou grandes, entourent notre vie

    d'inpuisables richesses journalires, Elles sont

  • 10 AVAxNT-PROPOS

    multiples dans la nature qui ne reste pas une

    seconde sans renouveler ses chants, ses mur-mures, ses effets gais, tristes, ensoleills ou

    brumeux. Elles sont galement nombreusesparmi nous. Mais, de mme qu'il reste aveugleet sourd devant les splendeurs qui l'environnent,

    l'tre humain demeure, la plupart du temps, in-conscient de la beaut qu'il cre. Pourtant, dansle geste du travailleur d'usine, le rythme dufaucheur, la cadence du marin qui rame, dansle champ du laboureur dont l'cho remplit levallon, dans les attitudes recueillies de femmesqui prient ou les mouvements mesurs dejeunes gens qui dansent, dans l'arrangement dequelques fleurs, le choix d'un ruban qui com-plte une toilette, que de notes d'art relles et

    varies !

    *

    Mais si l'art est partout en substance, rarespourtant sont ceux qui justifient de l'appella-tion d'artiste si gnreusement attribue. Laprudence des Espagnols ne leur fait accorderce titre leurs plus grands peintres que relati-vement telle ou telle de leurs uvres. On nedit pas chez eux : Vlasquez avait du gnie ,

  • AVANT-PROPOS 1

    1

    mais quand il peignit les Mnines, il eut uneinspiration de gnie . Rserve judicieuse quiles empche de prodiguer un nom que nousdonnons trop de praticiens, uniquement parcequ'ils se consacrent l'une des branches de

    l'art, sans avoir d'autre avantage leur actif

    que des connaissances techniques.

    Or, elles ne sont que les outils ncessaires

    l'artiste pour s'exprimer. Mais les pensesinexcutes du passant inconnu, peuvent, s'il estsensible, monter plus haut dans le domaine del'art, que les lucubrations banales d'un pres-

    tidigitateur del palette ou de l'bauchoir.Il est frquent de dire devant une uvre d'art :

    elle n'est pas d'un artiste ;

    peintre, sculp-

    teur, musicien ou pote peuvent donc n'avoirde l'art que l'tiquette, et seraient plus juste-ment appels : des artisans.

    *

    L'artiste complet nous semble tre d'abordcelui qui possde assez le ct matriel de sonmtier pour transcrire ses impressions en toute

    scurit. C'est en mme temps celui dont lecerveau, vivant en communion constante avecla mesure de beaut que chaque jour nous

  • 12

    AVANT-PROPOS

    accorde, sait l'analyser, et s'il ne peut toujours,selon son gr, en tirer de belles uvres, cherche

    crer, en synthtisant ses motions person-

    nelles. C'est un technicien, un observateur, un

    motif.

    S'il est musicien, il sera sensible aux harmo-

    nies sans cesse renouveles qui nous environ-

    nent. Il entendra comme nous, et mieux quenous, le bruissement de l'eau, le chant des ci-

    gales, les remous d'une foule en fte, l'cho de

    cloclies lointaines. Mais il ne se contentera pas

    de traduire en notes de musique et phonogra-j)hiquement, ses impressions auditives. Ce n'estque lorsque son esprit, travaillant sur les

    thmes saisis au hasard d'une promenade,d'une rverie, d'un sommeil parfois, les auraassimils, transforms, rendus siens, qu'il nous

    les livrera, puissamment harmoniss par sontalent de technicien.

    C'est cette synthse d'motions personnelles,

    appuye sur une forte connaissance des rglesde l'art qui nous donne une Symphonie pas-torale ou un

  • AVANT-PROPOS 13

    s'efforce de sentir. Il peroit la beaut de toutechose, non seulement celle d'un paysage ou

    d'une harmonie, mais celle d'un acte, d'une

    ide.

    Un travail parallle se fait chez le sculpteurou le peintre. C'est alors la beaut d'un geste,

    la raret d'un effet de couleur, le style d'une

    attitude qui l'meut. Mais lui aussi vite le dan-

    ger d'une reproduction trop servile, et son cer-

    veau travaille autant que sa brosse ou son ci-

    seau. A Fmotion produite par le spectacle vu,succde l'effort d'interprtation qui guideral'excution.

    Alors, un effet de lumire analogue, devien-dra, sous des pinceaux d'artistes diffrents, un

    coucher de soleil tragique avec Delacroix, en-

    chanteur avec Monet. Un mme mouvement denu nous donnera, travers les sicles, une ide

    de fougue avec le Tintoret et de grce volup-

    tueuse avec Fragonard.

    A l'aide de moyens varis et souvent opposs,les grands matres de la peinture, dont nous

    essayerons ici de dfinir et d'analyser les ca-

    ractres, servent le mme idal. C'est dans lanature que leur sensibilit puise les trsors de

    l'inspiration. A eux ensuite de btir leur uvre,difficile difier, car les entraves sont nom-

  • 14 AVANT-PROPOS

    breuses, et les exigences du mtier multiples.

    Ils sont (( artistes au sens complet du mot si,

    partant d'une motion sincre, ils s'appuient sur

    une technique sure, s'ils savent ne pas en tre

    encombrs et nous la faire oublier.Alors, grce leur art, nous retrouvons dans

    leurs toiles la traduction de ce que nous sen-

    tons confusment sans savoir ni pouvoir l'expri-mer, et c[ui est justement ce sentiment de labeaut que chacun, un degr quelconque,

    porte en soi.

    II. DE L'QUILIBRE NCESSAIRE ENTRELES DONS NATURELS ET LA TECHNIQUE.

    L'artiste nat donc avec des dons spciaux et

    doit savoir les exploiter habilement. D'une part,

    il sent, de l'autre, il excute ; c'est un inspir et

    un technicien.

    Certes, sans la flamme qui brle en lui, ba-nales seraient ses crations, vaines la justessede son dessin, la richesse de ses harmonies, la

    hardiesse de sa facture. Mais il doit aux res-

    sources de son mtier la possibilit de traduire

    ses sensations. 11 ne peut se passer d'une

    science qui lui est ncessaire comme l'est au

  • AVANT-PROPOS 1

    5

    terrain fertile la charrue qui remue les terres,

    et les rend propres faire germer la semence.

    Tournons nos regards vers quelques matres

    choisis au hasard : que ce soit Vinci, donnant

    sa Joconde, sa Sainte-Anne, son Jean-Bap-

    tiste leur indfinissable sourire, Rubens, bai-

    gnant dans une lumire blonde les formes

    pleines de ses nudits, Rembrandt, enveloppant

    ses personnages d'une brume mystrieuse,Watteau, faisant voluer les silhouettes de ses

    ftes galantes sous les ombrages de parcs en-chants, tous semblentpeindre d'abondance ,et leurs uvres paraissent au premier abord des

    manations d'un cerveau conduisant directe-ment la brosse.

    x\ucun, pourtant, parmi les plus grands, n'estexempt d'un travail patient. Tous ont accept

    luie discipline, reu l'enseignementd'un ou plu-

    sieurs matres, appris plus ou moins laborieuse-ment leur mtier de bon ouvrier ,

    Certains, au gnie facile et prolifique, enfan-

    tent dans la joie comme Vronse, le Tintoret,Franz Hais.

    D'autres, plus inquiets, plus tourments, pei-

    nent durement, cherchent leur voie avec pret,

    comme Vinci, Rembrandt, Chardin.Si l'on excepte quelques prodiges, Raphal en

  • 16 AVANT-PROPOS

    est le type, qui ramassent en une vie trs

    courte une uvre synthtique et parfaite, il est

    remarquer que la plupart des grands peintresproduisent leurs chels-d'uvre leur maturit.

    Alors ils bnficient des ttonnements, deseflbrts, des erreurs de leur jeunesse, et n'ontpas encore perdu par Teflet de Tge et parfoisdu succs, la science et Taisance dans le mtieracquises au cours des tudes. Ils sont, suivant

    l'expression courante en pleine possession de

    leurs moyens , c'est--dire que l'quilibre

    entre leurs dons naturels et la technique n-cessaire est, chez eux, parfaitement ralis.

    Sur cet quilibre, on ne saurait, mon sens,

    assez insister. L'art est fait de mesure, de r-

    flexion en mme temps que d'inspiration. Uneuvre peut et doit garder la spontanit dupremier jet. Mais c'est parce qu'elle a t mriepar le cerveau aprs avoir t conue, qu'elle

    est grande. L'Embarquement pour Cythre, parexemple, cette ferie de couleurs et cette page

    d'exquise fantaisie, reste une uvre de rflexion

    et de volont.

    *

    La rupture de cet quilibre cre un double

  • AVANT-l'HOPOS 17

    danger qui risque de compromettre ou d'entra-ver le libre essor du gnie.Le premier de ces dangers consiste, sous le

    prtexte, excellent dans son principe, du respectde la personnalit, n'attacher d'importance

    qu'au dveloppement des dons naturels, sansimposer l'artiste, sinon une contrainte f-cheuse, du moins une discipline ncessaire.Tendance trs l'ordre du jour et dont nous

    trouverons de nombreux exemples dans les mi-lieux clairs en matire d'art.

    Je citerai, entre beaucoup d'autres, celui d'unenfant dont j'eus l'occasion de voir les dessinset esquisses qui rvlaient un tempramentexceptionnel, et auquel son pre refusa, parprincipe, de donner une direction artistiquequelconque. Or, pendant des annes, l'enfant

    sembla justifier ce systme, et ses compositions,

    d'une grce vraiment nave, o la simplificationdes moyens ajoutait au charme, taient pourmoi l'objet d'une admiration double d'tonne-ment. Mais il a aujourd'hui plus de vingt ans,et je vois s'accentuer peu peu deux symptmesde faiblesse entrevus depuis quelque temps.

    Tout d'abord il n'a pas progress, ses premirescrations restent, et de beaucoup, les plus par-faites. Ensuite de son uvre curieusement vaste

  • 18 AVANT-PROPOS

    se dgage une impression de monotonie, deredite. A ses jeunes conceptions, ses moyenspurils suflisaient ; mais son inspiration de

    vingt ans en rclamerait d'autres qui lui font

    dfaut. De l une gne, un dsquilibre crois-

    sant entre l'ide et son expression, et pour de-

    main peut-tre, la chute de ce temprament sirichement dou, dans la banalit, la pauvret et

    la strilit.

    C'est le sort de beaucoup djeunes, auxquelson ajustement reconnu un joli il , une vi-sion originale , un heureux coup de crayon , un sens dcoratif amusant , et qu'on prci-

    pite dans le nant pour sauvegarder leur per-

    sonnalit.

    Nous les voyons chaque anne, reprsents

    par centaines dans les salons et expositions de

    toutes sortes. Ils nous attirent souvent par des

    pochades justes et d'un joli ton, tmoignantde l'heureuse vision de leur auteur ; mais la

    rapidit des moyens interdit un examen srieux

    du dessin, de la perspective, des valeurs. S'ilss'en tiennent l, il rsulte forcment de cetteprofusion de notes htives une impression de

    superficialit et de redite. Le mal s'aggrave

    encore s'ils veulent dvelopper leurs pochades.

    .Vlors, toute la faiblesse apparat, les qualits de

  • AVANT-l^ROPOS 1

    9

    coloration se perdent, les tons se bouchent, les

    ptes se fatiguent, par suite de l'incapacit oest le peintre ignorant son mtier, d'appliquer

    dans une uvre, des dons rendus impuissants.Je sais, en crivant ces lignes, me condamner

    d'avance au reproche d'incomprhension quene manqueront pas de me faire toute une ligne

    de peintres. Avec une ardeur gnreuse, uneconviction sincre mais parfois juvnile, ilsraisonnent en effet ces faiblesses et ces incoh-rences ; ils codifient le rgne des figures sansforme, des maisons bties de travers, des tablesqui chavirent, etc. Et, par une contradiction

    amusante, loin de se vouloir librs de toute tu-telle, ils se mettent sous la bannire de matresinattendus, se disent hritiers de Poussin, deDavid, d'Ingres.

    J'aurai l'occasion de revenir au cours de cettetude sur l'erreur commise, souvent de bonnefoi, par des artistes que perd leur trop com-plte ignorance technique. Erreur surtout re-grettable mon sens en ce qu'elle tue juste-ment cette originalit qu'elle a voulu tousprix sauveefarder.'&"

    4e

    * *

    Ce respect intransigeant de^la spontanit,

  • 20 AVANT-PROPOS

    cette peur d'y voir porter atteinte par une dis-

    cipline quelconque, se rencontrent surtout dans

    les milieux artistes, et souvent parmi des pro-fessionnels de talent. C'est que des lgions de

    peintres ont souffert d'un second danger plusgrave encore pour Fart. Ils savent que si l'qui-

    libre risque d'tre rompu parfois, aux dpensde la technique indispensable, il peut l'tre

    aussi par l'abus et l'emploi trop facile du m-tier qui desschent les dons naturels et appau-

    vrissent le sentiment artistique. Beaucoup ont

    reu dans une cole officielle l'enseignement de

    matres officiels. Ils y ont appris le dessin, les

    rgles de composition, l'art de construire. Mais

    ils ont subi des annes une rgle troite qui

    risque de tarir en eux la sve naturelle.

    De cet enseignement acadmique, certains,heureusement, savent tirer profit. Et s'ils s'en

    dgagent assez tt pour garder intacte leur per-sonnalit, elle s'panouira d'autant plus qu'elle

    s'appuiera sur des bases plus solides.

    Mais combien risquent d'y perdre jamaiscette parcelle d'originalit laquelle un ensei-

    gnement judicieux devrait donner les moyensde se rvler. Disciples parfois trop dociles

    d'un matre souvent trop dogmatique, ils la sa-

    crifient au contraire, d'abord l'inconscient

  • AVANT-PROPOS 21

    dsir de lui plaire, bientt Tattrait des m-dailles et des rcompenses ofTicielles. Pris dansl'engrenage de cette peinture de salons dont

    on ne dira jamais assez les mfaits, ils construi-sent chaque anne, dates fixes, des uvres

    solides o les valeurs sont respectes,l'effet mathmatiquement calcul, mais o l'onretrouve les clichs, les formules, parfois les

    sujets favoris de leurs matres, et trop rarementune marque personnelle.La peinture n'est alors qu'un mtier, elle

    n'est plus un art ; triste consquence d'un d-squilibre fcheux qu'une visite aux aalons rend,

    chaque printemps, plus frappante.

    Notre poque d'ailleurs n'en garde pas l'uniqueprivilge. Que sont, en effet, les conceptionscompliques, afladies, tortures des Carrache

    ou de Guido Reni, sinon l'affaiblissement con-stant de la pense des matres du xvi^? Quesont les grandes pages froides de Gurin, de

    Lthire, sinon de savantes mais serviles appli-cations de l'art de David, dpouill d'me etdevenu formule?Ces peintres, et tant d'autres, ne sont pour-

    tant pas sans valeur. Ils savent dessiner, com-

    poser, ils connaissent leur mtier, mais unetechnique abusive et mal assimile remplace

  • 22 AVANT-IMIOPOS_t_

    chez eux rinspiration, et produit une action

    desschante : la source du gnie est tarie etleur art sent la dcadence.Le mme danger, bien que plus rarement,

    prend parfois une tout autre forme. Certains

    artistes par le fait mme de leur personnalitpuissante, fanatiques d leur mtier comme ilsle sont de leur art, s'acharnent le compliquer,

    se torturent en recherches techniques, font des

    trouvailles de palette, des innovations de fac-

    ture, dans un perptuel besoin de renouvelle-

    ment, qui nuit leur uvre.

    Pril attachant puisqu'un excs de proccu-

    pation artistique en est la cause, pril tout de

    mme qui doit tre signal au dbut d'unetude sur la technique picturale.

    C'est celui qui hante l'uvre d'un Czanne,tourment par des exigences techniques qu'ils'exagre, constamment insatisfait de ses cr-

    ations spontanes, en arrivant par abus de

    raisonnement dans sa recherche des volu-

    mes )), ces constructions cahotiques, ces

    lourdeurs de tons qui contredisent sa vision

    originale.

    Inquitudes fcondes certes, qui ont ouvert

    la voie de trop nombreux efforts, pour quenous ne nous inclinions respectueusement de-

  • AVAXT-PllOPOS; 23

    vant leurs artisans, mais erreurs nanmoins quipeuvent aboutir comme d'autres la rupture de

    cet quibre raisonnable dont nous marquions,

    au dbut de ce chapitre, l'imprieuse n-cessit.

  • PREMIER LIVRE

    LE

    METIER DU PEINTRE

    Aucune leon, aucun enseignement ne peutdonner un tre humain le sens artistique s'ilen est totalement dpourvu en venant au monde.

    Si au contraire ce got existe en lui, l'ata-visme d'une part, l'ducation de l'autre, peuventpuissamment contribuer aider son dveloppe-ment. Il s'adaptera d'autant plus aisment quele milieu s'y prtera davantage. On pourraitciter maintes lignes d'artistes se succdant depres en fils et confirmant cette vidence.

    Mais en dpit des exemples et de l'hrdit,

    le don artistique reste chez chacun de nousabsolument individuel. Parfois il se manifeste

    chez l'enfant trs jeune et s'impose lui sousforme de vocation irrsistible, quelle que soit

  • 26 LE MKTIEU l)i: l'KlNTJRt:

    Tambiance: Rembrandt, lils de meunier, naitpeintre et s'aifirme tel ds son jeune ge, endpit de la rsistance paternelle. Parfois il n'ap-parait au contraire que sous la l'orme d'aspira-

    tions assez vagues : Fromentin cherche long-temps sa voie, hsite entre la plume et le pinceau,et d'ailleurs partage entre les deux ses besoinsartistiques.

    Je connais le cas d'un jeune homme qui jus-qu' vingt ans se crut n pour tre sculpteur,et aprs cinq ans d'atelier, sentit une soudaineattirance vers la musique et quitta le ciseaupour l'archet. Ceux que les arts sollicitent doi-vent donc s'assurer en toute conscience de laroute qu'ils sont appels suivre. Aussi trangeque cela puisse paratre, ils peuvent parfois

    entrevoir le but, mais se tromper de chemin.Or, la sincrit en art est une obligation, maisla premire des sincrits est celle de la voca-tion.

    Prendre conscience de ses aspirations est unpoint de dpart essentiel pour chaque artiste :

    reste ensuite le mtier apprendre.

    Je dirai, en cours de route, en quoi les coles

    sont bonnes, en quoi aussi elles peuvent tre

    dangereuses.

    Mais mon but n'est point d'indiquer des m-

  • LE MTIER DU PEINTRE 27

    thodes. Je ne veux ici qu'observer les ncessi-

    ts en face desquelles tout peintre se trouve.

    Elles sont d'un ordre triple suivant qu'on

    envisage en lui le praticien, le technicien ou

    l'artiste.

  • PREMIERE PARTIE

    LE PRATICIEN

    Il fut un temps o les peintres attachaientforcment au ct pratique du mtier une grandeimportance. L'industrie n'ayant rien du dve-loppement actuel, ils devaient confectionner

    eux-mmes ou avec Faide de leur broyeur decouleurs les matriaux ncessaires leur art.Ce n'tait pas simple, les rsultats n'taient pas

    toujours galement heureux, mais les peintres,fatalement, s'intressaient de plus prs aux

    ractions des couleurs, la nature des liquides

    employs. Ils avaient un intrt primordial

    ce que ces prparations fussent faites le plus

    correctement possible. Si certaines de leurs

    uvres ont jauni, noirci, on est frapp nan-moins en regardant maintes toiles anciennes,de l'admirable tat dans lequel elles sont arri-

    ves jusqu' nous. En dehors du talent de leursauteurs, qui est hors de cause, il est certain

    qu'elles ont t chimiquement bien peintes.

  • 30 LE I^RATICIEN

    Par contre, beaucoup de toiles plus rcentessont irrmdiablement abmes. C'est le cas detant d'uvres excutes depuis l'Empire, com-

    promises par l'emploi de siccatifs nocifs, de

    vernis prmaturs, de combinaisons de couleurs

    regreltables qui ont occasionn de multiples

    accidents.

    Les inconvnients d'une science insuffisante

    ou mal applique existent encore aujourd'hui.J'ai souvent constat les ravages qu'un court

    laps de temps faisait subir des tableaux qui,

    en quelques annes, perdaient leur fracheur

    et leur clat.

    Gts par le progrs, nous trouvons enabondance chez n'importe quel marchand decouleurs, des toiles prpares, des tubes de

    toutes les nuances, des vernis, et, pour peindre,

    des liquides varis. Tant de commodits noustentent, et nous achetons les produits qu'on

    nous offre, sans prendre le temps de contrler

    leur valeur chimique.

    Le jeune artiste, pour ses travaux d'atelier,pour ses esquisses, pour ses Salons use

    beaucoup de couleurs ; il est naturellementamen employer les moins coteuses ; demme entre deux vernis il choisira, au hasard,le plus avantageux. En dehors de cette raison

  • T.E PRATICIKN 31

    d'conomie, il s'attachera trop souvent pour

    composer sa palette la satisfaction immdiatede ses recherches, sans se proccuper.des qua-

    lits de rsistance ou de solidit des couleurs

    choisies.

    D'ailleurs, durant ses annes d'atelier, il n'estpas assez mis en garde, soit aux Beaux-Arts,

    soit dans les acadmies particulires contreles dangers des mauvais produits. Certainsmatres conseillent parfois une marque de cou-

    leurs plutt qu'une autre, mais sans s'arrter

    suffisamment c l'a-b-c de cette chimie de la

    peinture.

    Un crivain, avant de s'attacher au style, aappris l'orthographe, un musicien avant de

    faire des arpges ou des gammes a dchiffr sesnotes ; un mathmaticien neferait pas d'algbresans connatre les quatre rgles. De mme unpeintre doit s'initier l'arithmtique lmen-taire de son mtier, pour ne pas risquer de

    l'apprendre plus tard ses dpens. Il faut,

    pour combler cette lacune, qu'il ait de sonuvre une ide plus haute. Au lieu de souhaiterseulement pour elle un succs immdiat, qu'ilpense la faire durable pour se rserver l'ap-

    probation de ceux qu'il ne connatra pas.

  • CHAPITRE I

    PRPARATION DES COULEURS

    Dans les tableaux anciens reprsentant un

    coin d'atelier on voit souvent un person-

    nage accessoire occup broyer des couleurs.

    C'tait en gnral un lve. Les artistes devaient

    tout savoir de leur mtier et apprendre, pour

    commencer, prparer la pte colorante des-

    tine garnir leur palette.

    Les couleurs, telles qu'elles arrivaient chez

    les peijitres lorsqu'ils les prparaient eux-

    mmes, telles qu'elles arrivent maintenant chezle fabricant, se prsentent sous forme de blocs,

    cristalliss ou poudreux, mais ayant, pour la

    plupart, la consistance de craie tendre. Leur

    qualit dpend certainement tout d'abord de lapuret des matires premires employes. Le

    chimiste isole les corps de l'tat d'agglo-

    mrat brut dans lequel on les lui livre. C'estparfois de la terre, lorsqu'il s'agit des ocres,

    terre qui se trouve l'tat naturel, pour l'ocre

  • PRPARATION DES COULEURS 33

    jaune ou l'ocre rouge, et dont on tire desvariantes en la calcinant, comme la Sienne

    brle par exemple. D'autres couleurs s'obtien-

    nent avec des moyens lmentaires : le noir de

    fume de lampe, les os carboniss, ou le charbondu cep de vigne brl, produisent diffrentesteintes de noir.

    Le bleu d'outremer aussi est une pierre natu-

    relle. C'est le lapis lazuli. Mais contrairementaux terres, dont l'abondance permet une exploi-

    tation facile, l'outremer naturel est tellement

    rare, que de nos jours il est peu prs inem-ploy. Les recherches de laboratoire ont obtenu

    avec du sulfure de sodium et du silicate d'alu-mine, un ton assez fixe, se rapprochant de

    l'outremer lapis \

    11 serait dsirable que les peintres puissent

    n'avoir sur leur palette que des couleurs extraites

    de sources aussi simples que les terres. Djun coloriste peut beaucoup, avec l'ocre jaune,l'ocre rouge et le noir. Ces matires subissent

    peu d'altration. Mais l'artiste le plus habile nesaurait aller loin sans le secours du blanc ; etvoil la premire pierre d'achoppement.

    I. Cette dcouverte de laboratoire est duc M. J.-B. Guimet;elle remonte 1826.

  • 34 LR PRATICIEN

    Le blanc, qu'on appelle pompeusement blanc

    d'argent , n'est nullement fait avec de l'argent;

    c'est modestement un carbonate de plomb,autrement dit de la cruse pure. Il est destin

    noircir. Le moins qui puisse lui arriver est dejaunir avec le temps. Le blanc extrait du zincn'a pas ces inconvnients, mais il craque, ne

    couvre pas, et sche difficilement. D'ailleurs, si

    le problme del stabilit du blanc tait rsolu,il y aurait encore celui des autres couleurs,

    vitales pour une palette, comme le jaune ardent,qu'il soit strontiane ou cadmium, le rouge,comme le vermillon, voire mme la laque degarance, le bleu, le vert, le brun. Ces couleurs

    sont le rsultat de combinaisons chimiques et

    ne donnent qu'une relative scurit. Les unes

    noircissent, d'autres absorbent les tons qui

    leur sont mlangs, d'autres enfin deviennent

    opaques.

    Pourtant, parmi les centaines de couleurs

    mises la disposition des peintres, toutes ne

    sont pas aussi mauvaises. Gomme de deuxmaux, il faut choisir le moindre, l'artiste ne

    doit additionner aux tonalits obtenues avec

    des terres, qu'un minimum de couleurs de com-plment, parmi celles, moins solides, qui luisont indispensables. C'est la science du mtier

  • PRPARATION DES COULEURS 35

    qui lui permettra d'enrayer le danger de cer-

    taines combinaisons chimiques, et d'en tirer un

    parti utile, comme le mdecin tire parti d'unpoison pour gurir.

    Il serait illusoire de penser que tous les

    grands peintres se sont astreints bien com-

    poser leur palette. Mais avant de s'tonner par

    trop de leurs erreurs, il faut aussi se souvenir

    qu'on a souvent lanc les artistes dans une voie

    reconnue mauvaise de longues annes aprs,alors qu'on pensait, par des prp'x^"'* ions nou-

    velles, avoir trouv des secrets prcieux. Anotre poque, par exemple, l'emploi du bleu dePrusse dcouvert en 1710, et trop en faveur audbut du xix^ sicle, est presque interdit

    ;

    s'il n'est pos en glacis lgers, ou soutenu

    par une forte proportion de blanc, il noircit et

    mange les couleurs qui lui sont additionnes.Un vert compos de jaune (surtout si ce jaunen'est pas une terre) et de bleu de Prusse,

    devient progressivement bleu ; de mme unviolet dans lequel entre du bleu de Prusse perdses lments rouges. Le bleu minral est pres-que aussi mauvais. Nous sommes donc obligsde remplacer cette couleur si ardente par un

    mlange d'outremer et de vert meraude. Or,ne nous illusionnons pas, nous l'imitons seule-

  • 36 LE PRATICIEN

    ment. Quant au bleu de cobalt, il prsente legrave ennui de tourner au violet lumire

    artificielle. Les peintres anciens employaient

    peu l'outremer ou le cobalt; la formule de leur

    bleu habituel, intermdiaire entre le bleu min-ral et l'outremer, s'est peu peu perdue.

    La mme chose, trs exactement, s'est passepour le bitume. On peut discuter sur les mots etdire que Rubens ou Rembrandt n'employaientpas de bitume ; ce n'est l qu'une questiond'appellation ; ils se servaient d'un ton bitu-

    mineux, et avec eux, tous les Hollandais et tous

    les Flamands ; mme tous les autres peintresde toutes les coles ont employ un bruntransparent se rapprochant du bitume et ren-

    dant les mmes services ; mais il tait admisune fois pour toutes que la technique de cette

    couleur tait soumise certaines conditions

    rigoureuses. Prcisment, sous le premier

    Empire, on essaya de retrouver la teinte exacte

    du bitume que l'on pensait tre celui de Rem-

    brandt ; on lui crut une relle solidit, et la

    plupart des peintres de cette poque s'en servi-rent profusion. On en connat prsent lesterribles rsultats. Mais le pire, c'est que les

    accidents du bitume, qui ne sche jamais, con-jugus avec ceux des vernis qui schent vite,

  • PRPARATION DES COULEURS 37

    peuvent ne se produire que de noml)reusesannes aprs.

    Il y a donc, dans Tindustrialisation des cou-

    leurs, une srie de problmes et de tours demains chappant aux peintres modernes. Enmme temps qu'ils doivent faire eux-mmes desessais de rsistance des couleurs, en les expo-

    sant au soleil, des manations sulfureuses,sulfhydriques et ammoniacales, ils ont intrt

    simplifier la composition de leur palette.

    L'exprience nous a appris en effet que le jaunede Naples par exemple devient terne et verdtre ;que la terre d'ombre noircit et dnature rapide-

    ment les tons qui lui sont mlangs ; que lescadmiums perdent la longue leur clat etrancissent

    ;que l'outremer en pte devient

    opaque;que le bitume ne doit tre utilis qu'en

    glacis trs minces, et que des couleurs, dont on

    prne un moment les vertus, doivent attendre

    le contrle du temps, et ne peuvent tre

    employes sans rserves.Il serait fort intressant de connatre avec

    prcision la palette des matres dont les toiles

    nous sont arrives dans un tat de conservation

    que nous souhaiterions aux ntres. Malheu-

    reusement nous manquons de certitudes ; seull'examen trs scrupuleux de leurs tableaux vus

  • 38 l.E PRATICIEN

    dans un excellent jour, permet des calculs deprobabilits. On comprend Tentranement qu'onpeut acqurir dans cet exercice en commenant

    par l'lude des modernes. 11 est extrmementrare, qu'en scrutant la facture d'un tableau, on

    ne voie pas, de-ci, de-l, dans l'crasement

    d'une touche, les parcelles des tons purs qui

    la composent. Si l'examen de plusieurs uvres

    d'un mme peintre donne le mme rsultat, onpeut inscrire un renseignement exact.

    Pour citer un exemple facile, regardez de

    prs les tableaux de Pissarro: vous verrez atout

    instant dans ses toiles, allant approximative-

    ment de 1878 i885 un vident mlange de vertVronse et de bleu d'outremer. On peut doncaffirmer l'emploi de ces deux couleurs pendant

    cette priode. Si je le cite, c'est que Pissarro en

    tire des effets trs caractristiques. En continuant

    l'analyse, on trouve vite le reste de sa palette.

    Mais ce qui est simple pour l'cole impres-

    sionniste, devient plus compliqu mesure qu'on

    remonte l'ordre chronologique, et je dclare trs

    franchement, en ce qui me concerne, ne pouvoir

    lire comme dans un livre ouvert la palette de

    de tous les peintres travers leurs uvres.

    Pourtant nous en savons assez, pour tirer de

    l'examen attentif des grands matres une con-

  • PRPARATION DES COULEURS 39

    clusion gnrale : c'est que ce n'est pas le nom-

    bre des couleurs qui fait le peintre, et que tout au

    contraire la gamme des tons employs augmenteen raison inverse des dons de coloriste. C'estainsi que Ingres, le matre du crayon, mais pourqui la couleur n'est, suivant sa propre expres-

    sion, que la dame d'atour de la peinture,encombre sa palette de quantit de tons, sansrussir donner ses toiles une harmonievraiment active'. Par contre Whistler, coloriste

    type, utilise une palette des plus rduites, faite

    de tons simples qu'il aura le secret de faire

    vibrer".

    Naturellement les besoins des peintres sont

    varis ; il serait tout fait arbitraire et vain

    d'essayer d'tablir une palette unique, conve-

    nant tous les tempraments \ Il n'y a rien de

    1. Tous les documents sur la manire de travailler de Ingres,s'accordent pour lui donner peu prs cette gamme de couleurs :blanc de plomb, blanc d'argent, jaune de Naplcs, ocre jaune,jaune de chrome, ocre de ru, terre d'Italie naturelle, terre deSienne naturelle, terre de Sienne brle, vermillon, cinabre, brunrouge, brun Van Dyck, cobalt, bleu minral, bleu de Prusse, noird'ivoire, laque de garance rouge.

    2. Voici la palette de Whistler : blanc, ocre jaune, terre deSienne naturelle, terre d'ombre naturelle, bleu de cobalt, bleu

    minral, vermillon, rouge de Venise, rouge indien, noir, terre de

    Sienne brle.

    3. Voici un exemple de palette saine, permettant d'aborder

  • 40 LE PRATICIEN

    fixe en art, et s'il y a des couleurs nocives en

    elles-mmes, et qu'il faut proscrire le plus pos-

    sible, certaines d'entre elles, manies avec propos et avec science, serviront tout de mmel'uvre qu'elles aident crer.

    *

    Nous avons donc laiss notre apprenti peintre

    ou le fabricant moderne devant une table degranit \ broyant ses couleurs. C'est un travail

    long, assez pnible. Il consiste triturer la

    poudre humecte d'huile jusqu' ce que les

    toute la gamme des valeurs et des intensits de coloration : blancd'argent, jaune de zinc (ou de strontiane), cadmium fonc, ocrejaune, ocre d'or (ou ocre de ru), rouge de \enise, terre de Siennebrle, rouge de cadmium (ou vermillon), laque de garance fon-ce, bleu d'outremer, cobalt, vert meraude, noir d'ivoire ou depche. Il y aurait dj bien des rserves faire sur ce groupe-ment qui runit cependant des couleurs bonnes en elles-mmes.Il faudrait par exemple carter le blanc d'argent des mlangesavec le strontiane et les cadmiums, pour le remplacer par du blancde zinc. Et lorsqu'on est amen, ce qui arrive fatalement, faireappel d'autres couleurs, il faut en user avec prvidence, admettre

    qu'elles vont se transformer, et limiter leur emploi de telle sorteque si un jour elles doivent faire tache, cette tache ne dnaturepas le tableau.

    I . Pour certaines couleurs qui ne peuvent pas bien se broyer

    sur le granit, comme le vert meraude, on emploie la glace d-polie.

  • PHPAUATIOX DES COULEURS 41

    grains soient impalpables. Il le fait au moyend'une lourde molette dont la surface infrieure est

    aussi lisse que la plaque de granit. De temps

    en temps, le broyeur ajoute quelqxie gouttesd'huile. Il doit malaxer la ptc jusqu'aumoment o elle a la consistance et la finessevoulues.

    Quel peintre, en lisant ces mots, ne songera l'ennui de voir tomber, au sortir du tube,autant d'huile que de pte, de se servir de

    couleurs d'une matire savonneuse, ou bienencore trop coagules, et prenant l'aspect ducaoutchouc.

    Remarquons en outre qu'une mme couleurarrive chimiquement pure chez diffrentsbroyeurs, pourra n tre pas galement bonneau sortir de leurs mains: la propret de l'opra-tion et la qualit de Thuile employe, ont en effetleur part, dans la plus ou moins grande perfec-tion du rsultat final.

    Je ne puis indiquer ici que les grandes lignesde la fabrication des couleurs ; ce n'est certai-

    nement pas un mtier simple. Pour arriver parexemple amener le bleu de cobalt une con-sistance parfaite, il faut avoir une grande habi-tude. L'huile est impuissante donner uneliaison suffisante la pte, et il faut ajouter de

  • 42 LK l'UATICIKX

    la cire. Le choix mme de Thuile a son impor-tance : riiuile d'olive sche lentement ; utiliseautrefois en Italie * o elle abonde, elle a tmise de ct cause de cet inconvnient ;rhuilc de lin sche vite au contraire ; l'huilede copal est trs en faveur chez certains fabri-cants, mais l'emploi de l'huile d'illette, lgreet dcolore, est actuellementgnralis.

    En attendant le pinceau du dbutant ou dugrand matre, le broyeur enferme les couleursen vase clos afin qu'elles ne schent pas.Jusqu'en 1872 la petite vessie de porc tait par-

    tout en usage. On ligaturait la poche rempliede couleur, et on la piquait avec une pingle

    pour faire sortir la pte. Ce procd est com-pltement abandonn ; on se sert exclusivementde tubes en tain.

    Le peintre doit pouvoir utiliser les couleurs

    telles qu'on les lui livre. Il peut aussi hter

    leur dessiccation avec du siccatif, en se souve-nant qu'il est un mal, ncessaire peut-tre, mais

    r. L'huile de noix a t fort employe galement par les Ita-liens ; son degr de siccativit est lgrement suprieur celuide l'huile d'oeillette, mais elle a l'inconvnient de rancir trs ra-pidement, ce qui est fort dommage, car mle aux garances, parexemple, elle permet de donner la pte colorante une qualitexceptionnelle. Par contre, l'huile de lin donne de mauvais rsul-tats avec le cobalt et le vert meraude.

  • PRPARATION DES COULEURS 43

    que le meilleur est tout de mme un poison'.Il emploiera ses couleurs, soit en pte paisse,

    soit quelque peu dlayes, soit en glacis, en leur

    additionnant beaucoup d'huile ou d'essence, ou

    un mlange des deux.Je dois ici ouvrir une parenthse que les

    techniciens voudront bien excuser : je parle

    de glacis, comme si tout le monde savait ce quec'est. Mais on peut aimer la peinture, s'int-

    resser son excution, et n'en pas connatre

    tous les termes familiers. Le glacis est composd'une couleur transparente de prfrence, trs

    tendue de liquide, et dont le but est d'aug-menter la valeur ou l'activit d'un ton djexistant et sec. On obtient ainsi des lgretset de grandes puissances d'harmonie. Pratique-

    ment les couleurs qui servent le plus au glacis

    sont les jaunes transparents (jaune indien,laque jaune, terre de sienne naturelle, quelque-

    2. Un dtail trop peu connu est signaler : on augmente lesdfauts du siccatif en l'employant trop forte dose. Les peintresmettent le plus souvent quelques gouttes de Gourtrai dans

    leur godet palette, contenant dj le liquide, huile ou autre,dont ils ont l'habitude de se servir. Cette proportion reste consi-

    drable et inutile ; en effet 3o grammes de siccatif de Gourtraidans un litre d'essence de trbenthine donnent au mlange sonmaximum d'activit. Au-dessus de cette dose, il ne sche pasplus vite mais laisse la peinture gluante pendant un temps

    infini.

  • 44 LE PRATICIEN

    fois cadmium fonc), presque tous les rouges,mais surtout les laques, le noir, presque tous

    les bruns, et en tte : le bitume. S'ils ont des

    avantages normes, les glacis ont l'inconv-nient d'ofrir peu de rsistance aux injures dutemps. Ils schent lentement et risquent de

    s'incorporer au vernis si l'on met celui-ci trop

    tt. Or il faut admettre comme un axiomequ'un jour viendra o le tableau devra tredverni.

    *

    * *

    Bien qu'il ne soit gure question ici que dumtier de la peinture l'huile, il ne m'est pas

    possible de passer sous silence la prparation

    de la peinture la colle. Elle est en grand, ce

    que la gouache est en petit, mais le principeen est le mme.La peinture la colle a t fort en usage en

    Italie et dans le midi de la France jusqu'auXTX*" sicle pour la dcoration des appartements.Tous les dcors de thtres sont actuellementexcuts par ce procd.

    Les praticiens de la peinture la colle arri-

    vent des harmonies' d'une exquise fracheur;c'est un mtier spcial qu'il faut bien connatre,

  • PRPARATION DES COULEURS 45

    et il n'est pas donn tout peintre de talent del'employer d'une manire satisfaisante ; la pein-ture la colle en effet sche rapidement, et, en

    schant, non seulement les couleurs s'clair-

    cissent considrablement, mais sont transposes

    quant la qualit mme du ton primitif. Aussifaut-il avoir une grosse exprience de cette

    transposition gnrale pour excuter un ensem-

    ble qui se tienne. Cette difficult s'augmente

    de ce que la peinture la colle n'a de raison

    d'tre que sur de grandes surfaces ; certaines

    parties du panneau tant sches, d'autres, encore

    humides, on juge difficilement de l'effet gn-ral. Aussi les dcorateurs ont-ils toujours kleur porte une tle chauffe, qui sche instan-

    tanment les essais de couleurs. Cela permetde doser l'intensit des valeurs et de la colo-

    ration.

    La peinture la colle n'est pas maniable

    comme la peinture l'huile il ne saurait

    tre question d'entreprendre avec elle un por-

    trait. Son but, tout autre, vise uniquement leseffets dcoratifs ; dans ce cas, la peinture l

    colle donne sa mesure. Ses couleurs restant

    mates, peuvent toujours tre vues sans reflet ;elles ont aussi l'incomparable supriorit de

    n'tre pas dnatures par la lumire artificielle.

  • 40 LE PRATICIEN

    A la base, nous retrouvons nos mmes tons,avec cette seule grande dilTrence, que le blanc

    s'obtient, non pas avec de la cruse ou du zinc,

    mais avec la pierre calcaire que nous appelons

    blanc de Meudon ou blanc d'Espagne. Une foisrduits en poudre, on les dtrempe l'eaudans des rcipients correspondant aux diverses

    teintes. La poudre tombe au fond du rcipient ;on jette l'eau qui merge, pour ne laisser qu'une

    pte assez paisse. Si pour peindre un dcor,

    on se servait de la pte ce moment, il arrive-

    rait qu'une fois sches, les couleurs s'effrite-

    raient, n'ayant rien qui vienne en assurer la

    solidit. La colle ici aura donc le rle qui est

    demand Lhuile dans le procd que nousavons dcrit tout d'abord. Cette colle peut tre

    compose de plusieurs faons. La plus usitedans le commerce se vend sous le nom de colle

    Totin, et se fabrique surtout avec des os de

    poissons. Dissoute dans l'eau chaude, elle se

    transforme en liquide sirupeux. C'est ce liquide

    chaud, ajout aux couleurs dtrempes l'eau,

    qui les sche rapidement et les soutient,

    lorsqu'elles sont tendues en couches minces

    comme il convient.

    Contrairement la peinture l'huile qui

    rsiste si bien au temps, la fragilit de la pein-

  • PRPARATION DES COULEURS 47

    ture la colle est extrme. Elle a deux ennemisirrductibles : les corps gras, qui la tachent, et

    l'humidit qui la dtruit. Les dcors que sa

    fracheur claire d'un clat si particulier s'ex-

    cutent sur le bois, le pltre, la toile sans qu'une

    prparation spciale soit ncessaire, alors qu'il

    en est tant besoin, et de si mticuleuse pour la

    peinture l'huile.

  • CHAPITRE II

    PRPAR.VTTON DES TOILES

    Si chaque jour avait plus de vingt-quatreheures, si la vie n'tait pas aussi complique, les

    artistes devraient sans doute continuer pr-

    parer leurs couleurs eux-mmes. Ils devraient

    aussi prparer leurs toiles. La toile est un peu

    comparable pour le peintre, la banque laquelle le rentier confie ses fonds. Si la banque

    est mauvaise, adieu les conomies ; si la toile

    est mauvaise, tout le talent est dpens en pure

    perte.

    11 est bien vrai que Lonard de Vinci, inven-teur en mme temps que peintre, a donn lui-mme la mort plusieurs de ses chefs-d'uvreen essayant les procds nouveaux. La mmechose est arrive Poussin. Leur exemple

    joint tant d'autres prouve qu'il faut attacher

    la plus grande importance la matire qui rece-

    vra la pointure.

  • PREPARATION DES TOIT.S 49

    On peut poser comme principe, que les moyensles plus simples donnent les meilleurs rsultats

    ;

    et l'on peut dire aussi que les soins mticuleux,

    la propret, jouent un rle apprciable dans laprparation des toiles. Cette propret devrait

    tre observe galement dans l'excution d'untableau, elle viterait bien des mcomptes.Mais on ne peut pas demander un artiste, engnral rveur, de devenir soudain un hommepratique, lorsqu'il s'agit de ses instruments de

    travail. L'inspiration vient-elle, vite il prend

    une toile ou un panneau, vite il prend une

    palette, et il peint, avant que TefTet qui le sduit

    ne passe, avant que ne soit change la pose quil'attire. Si ce moment on lui disait: atten-tion, vos pinceaux sont mal nettoys, votre

    palette est pleine de poussire, votre toile est

    grasse , le peintre se souviendrait, pour vous

    l'adresser, d'un de ces mots d'atelier qui n'ont

    rien d'acadmique. Artistiquement parlant ilaurait raison ; pour la conservation de son

    uvre, c'est une autre question. Elle n'est pas

    facile rsoudre. Pourtant, je le redis, lespeintres devraient prparer leurs toiles eux-

    mmes, car ils trouveraient mieux que le mar-chand qui fabrique des sries, le grain, lamatire et la couleur qui conviennent leurs

    4

  • 50 LE PH ATI ClEX

    tempraiiients et 1 uvre ({u'ils vont excuter.

    A l'origine les artistes peignaient sur lemortier et sur le j)ltre. L'usage du bois est

    venu avec Teniploi de la peinture 1 d'ulet de

    la peinture la cire, qui ont prcd la peinture

    riiuile. Enfin la toile a lait son apparition

    chez les Italiens, la Renaissance'. Jusque-L,

    les panneaux de bois taient enduits eux-mmesde pltre ; cette mthode se perptua assezlongtemps aprs que l'usage de la toile fut

    adopt. Ce pltre additionn de casine, tait

    trs liquide, et ne formait qu'une mince couche,

    comparable ce que les doreurs mettent tou-

    jours sur le bois sculpt avant d'appliquer lesfeuilles d'or. Les Italiens parfois y mlaient du

    lait pour le rendre plus souple. Ensuite le pan-

    neau tait encoll par un procd dont il serait

    diflicile de donner la formule exacte, mais dont

    on peut comparer le rsultat celui que donne

    l'aotuelle colle de peau. Le blanc d'uf aussi

    jouait son rle. Le but tant, en rsum, d'en-

    lever la porosit de Tendu it.

    L'usage du bois n'a nullement disparu, mais

    I. Historiquement, l'usage de la toile est trs antrieur; on

    trouve des traces de toiles maroufles sur bois ds les premiers

    essais del peinture, mais ce sont l des exceptions, et son usage

    n est courant que dcj" Msla Renaissance.

  • PRPARATION DES TOILES 51

    on ne fait plus, ou presque plus d'enduits au

    pltre; celui-ci prsente l'inconvnient de se

    dtacher du bois lisse sur lequel on le fixe. Enell'et, on remarque dans un grand nombre depanneaux anciens, de larges cailles qui laissent

    le bois nu. Cela vient, indpendamment deschocs possibles, de ce qu'il a jou avec lescarts de temprature, et que Tenduit, man-

    quant de souplesse, ne peut suivre le panneau

    et s'en dtache, entranant avec lui la peinture.

    Cette mobilit du bois reste toujours un incon-vnient ; il est toutefois extrmement attnudepuis que les enduits sont faits la cruse sur

    un simple encollage \ Si le panneau est bien

    sec, la cruse adhre fortement, et les dangersd'caills sont loigns. D'ailleurs le bois n'a

    pas absolument besoin d'un enduit. Les pein-

    tres modernes s'en dispensent presque toujours,et obtiennent parla transparence de frottis lgers

    ou de glacis, des effets trs heureux, grce la

    couleur mme du bois.Des matres tels que Rubens en maints

    exemples, tels que Rembrandt dans son Er-

    I. Il est moins vident que les enduits la cruse soient aussifavorables la richesse, la belle fluidit des ptes, et mme laconservation des couleurs.

  • 52 LE PRATICIEN

    mite )) du Louvre ou Van Goyen en de nom-

    breux paysages, avaient montr tout le partiqu'on peut tirer du bois naturel. Mais ces pan-

    neaux non prpars doivent tre encolls avant

    d'tre peints, afin que l'huile de la couleur ne

    les pntre pas immdiatement, laissant unepte dure et difficile manier.

    Paralllement au bois, le cuivre a t souvent

    employ pour les petits tableaux jusqu' la findu XVII*' sicle, cause de sa matire fine qui

    dispensait de prparation. De temps en temps

    aussi, on rencontre des tableaux excuts sur

    cuivre dor, sur ardoise et sur marbre. Dans

    ces cas exceptionnels, les peintres faisaient

    jouer un rle de coloration certains mor-ceaux de la matire qu'ils employaient. A partirdu xviii^ l'emploi du carton et du papier estentr dans les habitudes des peintres, surtout

    pour les pochades rapides.

    Mais, depuis la Renaissance, c'est la toile qui

    runit la grande majorit des faveurs. C'est lamatire tout indique pour rendre transpor-

    tables les uvres de grandes dimensions autres

    que les pages dcoratives directement brosses

    sur les murs. Je n'ai pas besoin de dire que le

    marbre et le cuivre ne sauraient servir que

    pour les petits tableaux de chevalet. Le bois

  • PRPARATION DES TOILES 53

    lui-mme devient impratique ds qu'on doitunir plusieurs planches pour un seul panneau.

    11 fallait tre Puibens pour se permettre aussi

    souvent cette fantaisie.

    La toile qui sert pour les tableaux est de

    chanvre ou mieux encore de lin\ sans mlangede coton, car le coton se dtend. Ce qu'on

    entend couramment appeler toile draps pur

    fil )), ferait une excellente base pour une toile

    tableaux. Naturellement le grain fin ou

    gros suivant les besoins doit tre choisi

    rgulier. Les fabricants tendent de longues

    bandes de toile sur des chssis, et tout d'abordles enduisent d'une couche de colle de peau.

    Cette colle est faite avec des peaux de lapins et

    donne une glatine trs souple. Avant de l'ten-dre, on la dissout chaud. Son but est de

    combler les minuscules interstices de la trame,et de rendre l'ensemble des tissus plus imper-

    mable. Dj, on pourrait peindre sur un tissusimplement encoll, et l'cole moderne connatbeaucoup d'artistes qui affectionnent ce pro-cd. Mais la toile dont l'usage est le plus cou-

    I. Les toiles de lin sont prfrables aux toiles de chanvre;

    celles-ci sont moins souples, et la prparation aurait tendance s'en sparer plus facilement si le tableau devait tre souvent roul

    et droul.

  • 54 LE PRATICIEN

    rant, est recouverte ensuite d'une ou de deuxtrs lofres couches de blanc de cruse. Il est

    important que cette cruse soit bien choisie.

    Mal pure, elle constitue un poison la basedu tal)leau. 11 est important que Thuile et l'es-sence qui la liqufient soient bien rectifies,

    afin que la prparation reste sans taches lui-

    santes, et que les touches adhrent facilement.

    Le peintre doit se servir de toiles dont la pr-

    paration est sche depuis longtemps, faute de

    quoi les tons foncs du tableau risquent decraquer. Certains manipulateurs varient le

    mode de prparation en mettant la cruse direc-tement sur la toile, non encolle, ce qui ne

    donne pas de diffrence trs caractristique ^Un autre procd consiste additionner lacruse de blanc de Meudon, ou la remplacerpar un enduit de peinture la colle, pour obte-

    nir des toiles absorbantes, c'est--dire laissant

    les tableaux tout fait mats, aprs en avoir buIhuile comme le ferait un buvard. Les gradua-

    tions entre le calcaire ou la cruse comme base.

    I. L'encollage a cependant l'avantage d'isoler le tissu de la

    prparation huile. L'huile, en effet, sche par oxydation, et de-

    vient son tour atrent oxydant, surtout en prsence delalumirc;elle arrive ainsi, au bout d'un temps relativement court, rendrela toile cassante.

  • PRPARATION DES TOILES 55

    et leurs mlanges progressifs, donnent, on leconoit, des formules se multipliant l'infini.

    *

    * *

    L'tude des coles passes nous enseigne que

    si la toile n'a pas besoin d'tre toujours pr-pare en blanc teint comme l'usage en est

    gnralis, on ne peut pas impunment utilisern'importe quelle couleur.

    Le principe d'un dessous clair est incontes-

    tablement le meilleur, car il est prouv que lestons foncs servant de prparation, font monter

    les couleurs poses dessus. On sait que pouravoir un conducteur vibrant, certains peintres

    prparent leur toile en vermillon. Si les rsul-

    tats sont heureux tout d'abord, ils deviennent

    lamentables par la suite. Comment admettreque le sulfure de mercure la base d'un

    tableau, n'en dnature pas la longue, toutes lescouleurs. Mais ce qu'on ne savait pas, mmequand on s'appelait Poussin, qui tait, en mmetemps qu'un grand peintre, un savant, c'est queles prparations l'ocre rouge ne valent guremieux. Le xvii^ sicle a abus de cette formule.Il en est rsult non pas une dcomposition descouleurs comme par le vermillon, mais une

  • 56 LE PRATICIEN

    dsaj^roration, un vanouissement, en sorte

    que le rouge transparat un peu partout, sur-

    tout dans les glacis, et dans tous les endroits

    o la touche a t pose lgre, afin d'utiliser

    par transparence la ressource du dessous.

    On sait encore que Courbet fit prparer destoiles en terre d'ombre brle ; le sort des

    tableaux ainsi excut est connu. Ils ont noirci

    pour deux raisons : d'abord parce qu'un dessous

    aussi fonc est mauvais en lui-mme (plusieurs

    tableaux du Tintoret et de Ribra en fournissent

    la preuve), ensuite, parce que la terre d'ombre

    est une couleur envahissante la faon du

    bleu de Prusse, c'est--dire qu'elle dvore son

    avantage les couleurs qui lui sont mlanges.

    On connat, par contre, certaines prpara-tions de Titien, de Vronse, de Rubens, de

    Yan Dyck, de Snyders, de Yelasquez. Les

    uvres de ces matres gardent une tonnante

    fracheur, et l'on comprend combien ils se sontaids eux-mmes en variant la couleur primi-tive qu'ils donnaient leurs toiles \

    Rubens, pour ne parler que de lui, avait

    tantt des dessous compltement blancs, tantt

    I. Nous devons observer que le plus frquemment, leurs pr-parations taient base de carbonate de chaux, broy soit dans

    la colle de peau ou de farine, soit dans la casine.

  • PRPARATION DES TOILES 57

    gris bleu, ou gris vert plus ou moins fonc. Il seservait encore d'un ton fauve approchant de la

    feuille morte. Ainsi, selon qu'il voulait excuter

    une esquisse rapide, ou un morceau de longue

    haleine, il trouvait a priori la toile prparedans le sens de sa conception, et dont l'inten-

    sit de valeur comme de coloration l'aidait

    encore dans son travail magique d'o toutehsitation semblait exclue. Les peintres dudix-huitime sicle franais se sont fortement

    inspirs de la manire dont Rubens comprenaitses prparations. 11 faut signaler toutefois chez

    eux des dessous roses trs clairs peine ocrs

    et dont on trouve des traces nombreuses danstoute l'cole de Franois Boucher.

    Une remarque s'impose : dans les procdsles plus divers, employs par les peintresanciens pour la prparation de leurs panneaux

    ou de leurs toiles, on constate un isolant base

    de colle, entre la peinture et son support.

    Nous avons vu propos des glacis, et nous

    verrons plus loin que, pour de multiples rai-

    sons, le dvernissage d'une uvre est envi-

    sager dans un avenir indtermin. 11 faut songer

    encore, lorsqu'on excute un tableau, la nces-

    site de le rentoiler plus tard, peut-tre mmede le transposer, c'est--dire de dtacher la

  • S8 LE PRATICIEN

    peinture proprement dite du canevas qui lasoutient, pour lui donner un appui plus solide.C'est l un travail que les techniciens habiles

    font tout instant, et il n'est pas douteuxqu'un jour prochain la transposition remplaceradfinitivement le rentoilage.

    Mais pour cette opration, les diiicults etles risques sont singulirement augmentslorsque la toile est peinte sans encollage pra-

    lable, car elle arrive faire corps avec les ma-

    tires colorantes, et ne s'en spare, s'il en est

    besoin, que trs pniblement.Malgr son insignifiance apparente, je n'ai

    pas le droit de ngliger ce simple dtail qui

    sauvegardera peut-tre de belles uvres pour

    l'avenir.

    Nous avons vu la marche suivie dans la pr-paration des couleurs, puis des toiles.

    Ce sont les outils purement matriels de

    l'artiste. Le peintre travaillera maintenantavec sa science, son talent... et ses pinceaux.

    Car il est dit que cet art qui peut tant rcla-

    mer la pense, l'encombre tout instant d'exi-

    gences matrielles. 11 est entendu que si vous

  • PRPARATION DES TOILES 59

    donnez de mauvais pinceaux un matre, il

    prouvera quand mme son talent. Mais aurait-il plus de gnie encore, qu'il sera tout de mmetrs gn. Bien plus, il peut tre en tat d'in-

    friorit s'il n'a pas les instruments dont il a

    l'habitude de se servir.

    Il y a deux sortes de pinceaux trs caract-ristiques : ceux de poils de martre, et ceux

    faits avec des soies de porc. Ces derniers sont

    les plus employs de nos jours, ils sont com-poss d'une virole de mtal, en gnral aplatie,tenant galement plat le faisceau de soies quiforme ce qu'on appelle la brosse. Cette trans-

    formation sur les pinceaux ronds dont on se

    servait jusqu'au dix-neuvime sicle, s'expliquepar le dsir presque gnral de l'cole modernede peindre par touches spares et emptes.La forme influe certainement sur la nature

    de la touche pose, mais, s'il est pourtant difli-

    cile d'exprimer la subtibilit du rsultat quedonne une brosse ronde ou plate, parce que lamain qui conduit a toute l'importance, ondiscerne vite la diffrence entre les morceaux

    excuts la martre ou la brosse de soie. La

    martre offre des avantages dans tout ce qui

    rclame la minutie et la prcision. La touchepeut tre tout la fois empte et lisse, l o

  • 60 LE PRATICIEN

    la soie suivrait moins docilement l'exacte vo-lont du peintre. La martre triomphe pourl'excution des petits tableaux sur panneaux,

    pour les compositions o l'accent du dtailest une des saveurs de l'uvre.

    Par contre, on voit mal une figure grandeurnature, un paysage d'une importante dimensionexcuts avec la martre. La mollesse de ses

    poils deviendrait gnante pour triturer un cer-tain volume de pte, la touche serait beurre

    l o une solide brosse de soie de porc permetde poser des plans larges et vigoureux.

    On sait aussi que de tous temps, les peintresse sont plus ou moins servi de leurs doigtslorsque la brosse obissait mal. Cet instrument

    direct, sorte de truelle humaine, a donn Courbet l'ide d'employer le couteau palettepour remplacer en partie les pinceaux. Le ma-

    niement de la truelle d'acier souple permet desvigueurs de facture, de grandes varits dans

    la recherche de la matire. On ne saurait avecle couteau, dessiner dlicatement, mais aucuninstrument ne lui est comparable pour conserver

    la franchise des tons qui souvent partent frais

    de la palette, et arrivent brouills sur le tableau.

    En vrit, cette petite lame d'acier s'essuied'un coup de chiffon entre chaque touche ; elle

  • PRPARATION DES TOILES 6t

    reprsente un moyen de transport absolumentpropre del palette au tableau, tandis que tropsouvent le pinceau est embourb de toutessortes de couleurs, ou insuffisamment lav. Est-

    ce dire qu'il est destin tre remplac par lecouteau peindre?

    Certainement pas, l'emploi du couteau estlimit et rien dans l'ensemble ne saurait prendrela place du pinceau. Mais nous savons de quelleimportance est la propret dans la compositiondes couleurs, et nous oublions trop souvent

    que la palette, le godet qui contient le liquidepour peindre, et les brosses, doivent tre sur-

    veills d'autant plus, qu'ils sont les derniers

    porteurs de cette matire qui ne veut tre belle,que savamment employe

  • CllAPllTxE 111

    LE VElliNlS

    Parmi les lments qui concourent difierune uvre picturale, je distinguerai le vernis,

    facteur trop nglig, et dont le rle mrite d'tre

    (Hudi.

    Son application ne saurait compter dans

    l'excution d'une toile (souvent les peintres nevernissent pas leurs tableaux eux-mmes), maiselle a son importance pour sa prsentation

    dfinitive. En schant, l'huile qui entre dans la

    composition des couleurs, pntre dans les

    couches infrieures; en mme temps elle s'va-pore, laissant une peinture dont l'clat a disparu.

    C'est pour remdier cet inconvnient que lestableaux sont vernis, c'est aussi pour les pr-

    server contre les impurets de l'air. Le vernis,

    en efet, a la proprit de rendre aux couleurs

  • LE VEHMS 63

    leur vigueur relle, et de rester transparent en

    Se solidifiant ^

    Tel est son rle, en principe trs simple et

    d'une utilit vidente. Mais son a[)plicationn'est pas sans tre soumise de nombreusescritiques. Le vernis est considr comme unmal ncessaire, certains peintres, le trouvantmme un mal superflu, en arrivent le suppri-mer. On lui reproche son brillant, on lui reprochede faire craquer et de noircir la peinture. Et

    l'appui de ces accusations, nombreux sont lestableaux invoqus en tmoignage.

    Or, dans la majorit des cas, ce n'est pas levernis lui-mme, qui mriterait les blmes,mais j)lutt ceux qui l'appliquent, sans soinni i]ithode. C'est un fait (uirieux et d'ailleurs

    regrettable, de constater quel dtachement onten gnral les peintres pour cette derniretoilette.

    Le jour d'un vernissage par exemple,jour o ils prsentent au public le meilleur de

    I . Aucun produit pour la peinture ne demande plus de toursde mains que la fabrication des vernis. Tous, sont base de r-sines, dont les provenances et les particularits sont multiples.On dissout une rsine que l'on incorpore ensuite l'huile de linpour les vernis gras ; celte huile est remplace par l'essence detrbenthine dans les vernis volatils, les plus emplovs au-jourd'hui.

  • 64 LE PRATICIKN

    leur talent, les peintres ont donn leurs mar-chands de couleurs le numro de leur tableau,et l'on voit de dignes employs, badigeonneravec courage les uvres d'une srie d'artistes.

    Monts sur leurs chelles, ils rappellent quelquepeu les colleurs d'afiches, et, comme il faut

    aller vite, le temps presse, ils rpandent avecde grosses brosses, le vernis en abondance etavec irrgularit. Le brillant que prennent alors

    les toiles est efravant ta voir, et comme beau-

    coup de peintres modernes posent les tonssombres avec autant de relief de ptes que leslumires, il arrive que les intersections de

    toutes les touches fonces scintillent, de telle

    sorte qu'on ne peut pas voir le tableau.

    Le premier rsultat de cette erreur se mani-

    feste dans un avenir peu lointain, par une salis-

    sure des tableaux, se prsentant sous forme de

    grandes taches, qui correspondent l'irrgu-

    larit de l'application du vernis.

    On en voit malheureusement un triste exemplesur un des chefs-d'uvre de la peinture ita-

    lienne, le clbre Printemps de Boticelli.

    Pour n'avoir pas t mis avec soin, le vernis a

    color diffremment les diverses figures, et de

    grandes balafres sillonnent le panneau aux

    endroits plus ou moins couverts.

  • LE VERNIS f^5

    Le regrettable traitement qu'a subi cette

    merveille me conduit ouvrir une parenthsepour rappeler l'emploi qui peut tre fait, et dans

    ce cas il tait tout indiqu, d'un lait de cire,

    pour donner l'impression du vernis.En effet, les panneaux lisses et foncs ainsi

    que les dcorations murales sont clairs de

    telle sorte que le vernis ne permettrait pas de

    les voir dans leur ensemble sans faux-jour.C'est alors qu'on peut les traiter exactement

    comme un meuble encaustiqu, et de mmeque la cire, sufTisamment frotte, donne au boisla chaleur de ses tons velouts, de mme ellerend la peinture une partie de sa vigueur.

    Mais ce moyen est forcment restreint ; on nesaurait trouver en lui la transparence du vernis

    ;

    il n'a ni ses qualits, ni ses dfauts.

    Revenons aux moyens d'viter ces derniers.

    Non seulement on vernit mal, et sans avoirgard l'tre fragile, comme vivant, qu'estl'uvre peinte, mais on vernit trop tt et n'im-

    porte quand.

    Parce que les vernis se solidifient trs vite,

    il est de toute vidence qu'on n'en doit faire l'ap-plication que lorsqu'un tableau est parfaitement

    sec. On vitera de la sorte qu'il ne dtrempeaussi peu que ce soit les pctes. et en schant

    o

  • 66 LE PRATICIEN

    autrement qu'elles, ne les fasse craquer. Onvitera en mme temps que la rsine dontil est charg se dcompose et fasse noircirl'huile qui servit au broyage des couleurs, cequi, tout naturellement, les alourdit.

    On veillera en mme temps ne jamais vernirun tableau empoussir pour ne pas enfermerd'impurets qui, la longue, dnatureraient

    l'uvre. La couche de vernis devra tre extr-

    mement mince, applique avec vigueur et rgu-larit, ce liquide perdant ses qualits et devenant

    trouble pendant sa dessiccation, s'il est pos enpaisseur. Enfin, on ne doit pas s'en servir par

    un temps pluvieux afin ne ne pas laisser d'hu-

    midit entre le vernis et la toile. En norlioreant

    ce dernier dtail, on provoque sur le tableau,

    une bue bleue trs gnante.Srie de prcautions indispensables mais qui

    ajoutent encore aux difficults de mtier sinombreuses pour les peintres.Une de celles qui les arrte et les gne le

    plus frquemment doit tre signale ici : il s'agitdu phnomne de l'embu.La matit dont j'ai parl au dbut et qui nces-

    site l'emploi du vernis, se produit au cours de

    l'excution d'un tableau d'une faon d'autant

    plus brutale que les retouches sont faites sur

  • LE VERNIS 07

    des bauches insuffisamment sches. L'huile dela pellicule superficielle peut tre absorbe sibrusquement que les dernires touches posesparaissent d'un gris terne, loign de la cou-

    leur vritable.

    En passant un liquide quelconque sur untableau ainsi dnatur, l'embu disparat ; maissi n'importe quel liquide agit immdiatement,il est souvent un poison dont l'emprisonnement

    rpt entre les difi'rentes couches que consti-

    tuent les reprises d'un tableau, en assure la

    lente et certaine destruction.

    C'est aux siccatifs, aux huiles grasses, aux

    mixtures de toutes sortes, qu'il faut attribuer

    une partie des ravages de la peinture trop sou-

    vent imputs au seul vernis ^Ce n'est un mystre pour personne que le

    grand Delacroix n'a pas toujours suivi dans sonmtier les largeurs de vue de ses conceptions.Son journal dvoile toutes les complicationsdont il encombrait toutes ses recherches pictu-rales. Qu'est-ce qui a le plus dtruit ses

    2. L n choix malheureux de couleurs, nous l'avons vu plushaut, peut aussi y entrer pour une part. Ce serait d'aillours unesingulire erreur de croire que le vernis n'est employ que depuisle dveloppement de la peinture l'huile. Les primitifs, peignanta tempera, passaient sur leurs tableaux un vernis gras, le plussouvent base de sandaraque.

  • 68 LE PRATICIEN

    tableaux, les mlanges de liquides trangesqu'il employait, ou bien les couleurs dsas-

    treuses par les matires qui entrent dans leur

    composition et dont il se servait couram-

    ment? On se rend compte de toute la splen-deur qu'aurait d garder son uvre lorsqu'onvoit des toiles simplement excutes commeles (c Femmes d'Alger , l'Atelier d'Artiste ou encore sa Nature Morte de la collection

    Moreau-Nlaton, aux Arts Dcoratifs.

    Et combien de fois le dlicat Prud'hon a-t-ilabus d'huile grasse et de bitume, qui ont,comme dans son Christ du Louvre, provoqud'normes craquelures 1Mais alors, comment, en cours d'excution,

    reprendre un morceau que l'on voit mal? Et,

    le tableau achev, mais ne pouvant sans dangertre verni prmaturment, comment le pr-senter, puisque la plupart des tons, teints par

    l'embu, ne peuvent tre vus?

    Il existe dans le commerce une srie devernis dits retoucher dont il ne m'appar-

    tient pas ici de faire la louange ou la critique.

    Je puis dire toutefois que plus le liquide rpandusur le fragment qui va tre repeint est transpa-

    rent et lger, et moins il risque, pour l'avenir,d'en dnaturer l'clat.

  • LE VERNIS 69

    Lorsque le tableau est termin on peut voir

    clairement l'eflet d'ensemble en passant du])lanc d'uf mlang d'eau et de sucre. L'actionde ce vernis prparatoire sur les couleurs est

    nulle ; il s'enlve d'ailleurs avec une ponge etde l'eau, lorsque le moment est venu, aprs unan environ, de poser le vernis final qu'il a

    permis d'attendre.

    Alors, si l'artiste prend les quelques prcau-

    tions lmentaires que j'ai essay d'indiquer, il

    peut tre assur que son uvre a toutes chances

    d'tre protge contre les dangers extrieurs

    qui pourraient la longue en compro-

    mettre la beaut.

    *

    On a cru pouvoir remplacer le vernis par unverre, et, l'exemple des muses anglais, enmettre de nombreux tableaux.Le verre est un protecteur efficace contre

    l'humidit, surtout si l'on calfeutre aussi la

    toile par derrire, et c'est la raison de son

    emploi gnralis Londres o l'air est chargde vapeur d'eau. C'est en mme temps un pro-tecteur contre les doigts des promeneurs mala-

    droits dans les galeries publiques, et contre la

  • 70 LE PRATICIEN

    fume dans les appartements. Mais dans aucuncas, il ne peut remplacer le vernis

    ;je dirai

    plus : souvent il empche de voir les tableaux etd'en apprcier l'exacte valeur. Cette afirmation

    est facile prouver : prenez une vitre et cou-

    vrez-en un fragment d'ardoise ou de tout autreobjet fonc et mat. Puis, sur la partie non cou-verte, passez de l'eau avec une ponge vousaurez ainsi l'image de ce qu'est un ton verni.

    Comparez avec ce qui est sous le verre et vousconstaterez que la surface mouille n'a rien decommun avec le fragment que le verre recouvre.

    Plus les tons sont foncs, plus l'inconvnient

    du verre est grand.En elet, s'il ne remplace pas le vernis, il

    transforme le tableau en glace et bien plus que

    l'uvre, c'est lui-mme que le spectateur aper-oit. 11 faut un vritable effort de l'il pour

    dgager la toile de ces lments trangers ;encore ne la voit-on jamais dans son entier sousun faux jour. En sorte que, si l'on tente de faireune reproduction photographique, on voit tout

    autre chose que la peinture elle-mme. Aussi

    les photographes qui travaillent dans les museso l'impossibilit de retirer le verre est absolue,ont-ils recours des prodiges de truquages

    pour n'tre pas arrts par les refiels. Pour une

  • LE VPZRNIS 71

    quantit de matres, le verre est particulire-

    ment gnant. Il Test, pour tous ceux dont les

    recherches subtiles ont obtenu dans les tons

    sombres une parfaite transparence. On perdles trois quarts de leurs recherches, et je crois

    qu'il serait impossible un peintre qui en aurait

    le talent, dfaire la fidle copie d'un Rembrandtou d'un Chardin recouvert d'une vitre. Les

    fonds si admirablement savants de leurstableaux perdent leur vrai mystre, tout ce qui

    en fait l'exceptionnelle valeur est fauss.

    L'inconvnient est moins grave avec lestableaux clairs. Il existe en fait, mais amoindri

    parce que le blanc, sous un verre, ne fait pas

    glaceL'exprience que je proposais tout l'heure

    avec des tons foncs ne donnerait pas grandchose avec du papier blanc ou gris, et l'onpourrait la rigueur se passer de vernis pour

    les tableaux d'o toute valeur intense serait

    exclue. Beaucoup de peintres modernes pei-gnant clair, se sont ainsi abstenus de vernir

    I. Tout naturellement le dfaut du verre sur un tableau auxcouleurs transparentes devient une qualit sur une toile opaque.

    Par le fait mme des reflets qu'il provoque, il fait bnficier unecouleur alourdie du chatoiement qui ne lui appartient pas. Maisce sont l qualits factices.

  • 2 LE PliATIClKX

    leurs toiles. La prsence du verre est alors detoute utilit, car le vernis ne les protgeant pascontre les poussires et contre toutes les ma-nations impures de 1 air, il sera peu ais dansun certain nombre d'annes de nettoyer lesmaculatures, qui adhrent de gnante faon.On se rend compte des difllcults qu'on

    prouvera, par celles qui se font sentir pourles quelques toiles anciennes, entre autres des

    trumeaux du xviii* sicle qui nous sont parve-nus sans vernis. Tout ce que les poussiresfixes par Thumidit de Tair ont pu faire decrasses, tient intimement au grain de la toile.Ces attaques des lments trangers n'auraientpas eu la mme prise sur le vernis, et, si celas'tait produit, en admettant que les circon-stances aient accumul sur un tableau lesfumes les plus charges, on retrouverait, enenlevant son vernis, l'uvre telle que le peintre

    ,l'a conue.

    * *

    Faut-il donc se permettre de dvernir lestableaux?

    Je suis tent de dire non, tellement le nombreest grand des uvres qui nous arrivent perdues

  • LE VEHXIS 73

    OU compromises par TeAVayante manie qu'ontles amateurs et marchands de dvernir eux-mmes les tableaux anciens. Le moins quecertains fassent est de les savonner, pour

    enlever la poussire, et Ton sait quels ravages

    la potasse fait dans la peinture;je ne parle pas,

    pour n'tre pas trop svre leur gard, de

    ceux qui passent inconsidrment deTalcool oude l'essence. A coup sur, le vernis n'y rsistepas, pas plus que les glacis et la moiti des

    ombres dlicates. C'est par milliers que cesimprudences ont t commises sur de bellesuvres. Et, pour peu que, voulant rparer l'er-

    reur, une autre main inexprimente s'amuse reprendre en masse les parties uses, on aggrave

    encore le mal.

    Plutt que de commettre des erreurs pareilles,

    il et mieux valu ne pas dvernir les tableaux.Mais, parce que les remdes de commres onttu de pauvres confiants, on ne peut pas con-

    damner la mdecine, et les cas sont nombreuxo le dvernissage s'impose.Les procds sont varis pour dvernir. Ils

    sont tous mauvais ou tous bons, suivant le pra-ticien qui opre. La peinture a cela de positif,

    que seul le rsultat compte.

    Si donc on admet que des tableaux impurs

  • 4. LE FKATICIEX

    tombent un jour entre les mains d'un restaura-teur respectueux, ils doivent tre dvernis, afin

    que les repeints soient enlevs, et que le mal

    soit rpar dans la mesure du possible. Certainsamateurs ont Timprudence de faire subir eux-mmes cette opration leurs tableaux, maisd'autres infiniment nombreux les revernissentcontinuellement. Ainsi beaucoup de toiles, aucours des sicles, ont subi cette opration non

    pas une fois, mais dix fois, et nous arrivent en

    consquence jaunies et brunies, rsultat qui peutvenir de la mauvaise qualit du produit em-ploy, mais la plupart du temps de cette super-position des couches qui ne peuvent rester

    ternellement transparentes. Un jour vient o,pour retrouver ce qu'a vraiment exprim lepeintre, il faut dvernir. C'est ainsi qu'on a pu

    revoir, il y a peu d'annes, dans la Ronde deNuit de Rembrandt, des sonorits que des

    vernis noircis nous cachaient.

    Beaucoup d'uvres ont t dtruites parce

    d imprudentes mains voulaient toucher auvernis; davantage je crois ont pu rsister aux

    intempries grce cette cuirasse fragile. Bien

    des fois il a fallu l'oter comme on dvt un

    bless pour panser sa plaie, mais quelques

    tableaux, favoriss par les circonstances, nous

  • LE VERNIS 75

    sont parvenus tels qu'ils ont t conus par le

    peintre, avec leur vernis primitif. Par bonheur

    ces exceptions comptent des chefs-d'uvre et

    c'est alors qu'on voit tout le rle du vernis. 11

    n'a pas jauni, mais il a ajout l'or lger que rienne remplace, enrichi la matire, et augment lemystre qui est cach dans le gnie des grands.

  • CHAPITRE IV

    LA PRSExNTAIOX DES TABLEAUX

    Supposons une toile bien prpare, bien

    peinte, vernie au moment propice et qui sembleoffrir toutes les garanties de parfait rendement.Elle risquera pourtant d'tre dnature, unefois en place, si elle se trouve dans de mau-vaises conditions de prsentation, un tableau

    restant dpendant de certains facteurs ext-rieurs.

    Le premier, dont nul n'ignore l'importance,

    est le cadre.

    Un (( morceau de peinture, son nom l'in-dique, est arbitrairement dtach par l'artisted'un ensemble quelconque : figure humaine,paysage, scne d'intrieur, etc. Pour lui enle-ver cet aspect de fragment dcoup, il est urgentde l'isoler, d'en faire un tout nettement sparde son ambiance.

    Les peintres connaissent cette ncessit.

  • LA PRSENTATION DES TABLEAUX 77

    Beaucoup, non sans raison, refusent de faire

    voir leurs toiles (( nu et possdent chez euxdes sries de baguettes correspondant aux di-

    mensions des chssis qu'ils utilisent le plusfrquemment, et dont ils se servent pour mon-trer leurs uvres aux visiteurs. Un encadrementquelconque sufft dj isoler un tableau, etvaut infiniment mieux que rien. Mais le systmedu cadre omnibus , bon pour une prsenta-tion de quelques instants dans l'clairage uni-

    forme de l'atelier est, en soi, mauvais. Tel or

    brillant qui conviendra un sous bois fonc,

    tuera un coucher de soleil rose dor, telle mou-lure d'acajou qui fera valoir une symphoniebleu clair, desservira un intrieur brun, avec

    lequel elle se confond.

    Trop souvent les peintres mconnaissent cetteadaptation du cadre la toile qu'ils excutent.Il leur faut un cadre, un point c'est tout. Pour

    beaucoup, d'ailleurs, la question matrielle

    entre en jeu : c'est le cas des jeunes, appelspour diverses raisons sur lesquelles nous re-

    viendrons, exposer de grands tableaux. Ilsfont une fois la dpense d'un cadre, qui sera,suivant les ncessits des toiles venir, re-

    coup, agrandi, en un mot prolong le pluspossible. Ces cadres sont rarement dors

  • 78 LE PRATICIEN

    Tor fin , c'est--dire l'or naturel, mais en(( demi fin , ce qui signifie au cuivre. Il en r-sulte cet aflVeux ton de clairon, patin souvent

    avec du bitume qui les brunit, les rougit au

    petit bonheur. Parfois mme ils sont simple-ment bronzs, ce qui les fait trs rapidementnoircir : cadres dits d'exposition, faits htive-

    ment, en sries, et curieusement symboliques

    de ces salons o les toiles qu'ils prsentent defaon mdiocre semblent, elles-mmes, faites la grosse pour une phmre destine I

    D'autres fois les peintres ou plutt ceux qui

    doivent tirer parti de leurs uvres, les intro-

    duisent, pour les faire valoir, dans des cadres

    trop lourds, gnralement d'un Louis XV tropcharg, d'un or trop brillant, cadres destins

    faire riche mais qui crasent la peinture et

    la dfendent mal.

    Le souci que les amateurs de tableaux an-

    ciens ont pour les cadres, et qui atteint parfois

    la manie, fait dsirer une coquetterie parallle

    chez les peintres modernes. Combien de fois,en effet, a-t-on vu qu'un tableau runissant un

    certain nombre de qualits, semblait se trans-former lorsque soudain un cadre heureusement

    choisi lui donnait une parure nouvelle. Le style,

    le choix et la qualit de la sculpture qui ehtoure

  • LA PRSENTATION DKS TATJLEAUX 70

    la toile, mais le ton de l'or surtout, sont desfacteurs d'une importance capitale. Entre un

    or vert, un or jaune et un or rouge, il y a unmonde pour l'il exerc ; chacun de ces ors estplus ou moins brillant ou attnu par le temps,parfois il devient un peu gris, parfois aussi les

    apprts rouges apparaissent et lui donnent unecouleur plus chaude. En sorte que, indpen-damment mme de leurs proportions, de leurdessin, de leur sculpture, c'est toute une gammede couleurs que peuvent constituer plusieurs

    cadres applicables un mme tableau.Les peintres qui ont s'occuper de toutes

    leurs uvres ne peuvent naturellement pas

    avoir des cadres anciens ; cela les entranerait

    des dpenses de temps et d'argent consid-rables. D'ailleurs, pour faire valoir la peinture,

    il ne s'agit nullement d'adopter tel ou tel style.

    11 ne s'agit p.as davantage d'avoir des cadressomptueux, ce ne sont pas forcment les plusbeaux ni sin^tout les mieux adapts. Mais c'est leur juste proportion et leur couleur qu'ilfaut attacher toute l'importance. On simplifie-rait singulirement le programme des cadrespour expositions en ne l'oubliant pas.

    Il est regrettable que nous ayons perdu l'habi-tude trs gnrale autrefois, d'employer la

  • 80 LE PRATICIEN

    oforsfo extrmement sobre, d'un bon dessin,

    ne prsentant pas de grands frais d'excution

    mais sur laquelle on pouvait adapter un or

    d'aussi belle qualit que sur n'importe quel

    modle luxueux.Il faut aussi mentionner les cadres en bois

    naturel qui deviennent d'un emploi moderned'autant plus prcieux que des rec^herches int-

    ressantes ont t faites, dans ce sens, par d'ha-

    biles ouvriers d'art. Ils ont trouv des formes

    nouvelles, apportant une grande application au

    dessin des moulures. Leurs bois sont choisis

    avec soin, et l'on peut dire que de l'ensemble

    de leurs trouvailles est n un style nouveau. II

    est dsirable qu'un mme effort soit fait dansles cadres destins recevoir de l'or.

    *

    La question d'encadrement rgle, une dif-

    ficult se prsente : l'clairage.

    II faut tre peintre pour bien comprendre la

    petite angoisse qui treint chacun de nous au

    moment du dpart d'une de nos uvres pour

    une destination inconnue.

    Des camarades, se rencontrant un vernis-

    sage, s'abordent par la phrase habituelle : Es-

  • LA PKSENTATIUX DES TABLEAUX 81

    tu content de ta place? )> La place ! Que d'intri-gues, que de dmarches elle provoque, et quellecourse la cimaise chaque anne dans les dif-frents salons ! C'est que les peintres appren-

    nent trop souvent leurs dpens combien cer-tains clairages dfavorables peuvent nuire leur uvre. Cette constatation peut se faire

    aussi bien sur des toiles depuis longtemps con-sacres dans les muses les plus clbres.

    Je me rappelle avoir prouv cette impres-sion d'une faon trs vive pour les Femmesd'x\lger de Delacroix, qui furent places durant

    un certain nombre d'annes dans un pan coupde la salle du dix-neuvime franais ; et l'onpouvait admirer le mystre du fond, la richessedes ptes.

    Un jour, ce tableau fut mont dans les sallesvoisines de la collection Tomy-Thierry. Ce fut

    un dsastre, on le reconnaissait peine, terni,

    aplati d'une faon dsolante et tellement visible,

    que peu de temps aprs il fut redescendu dfini-

    tivement.

    Une impression du mme ordre mais plusintense nous fut rserve aprs la guerre

    lorsque les galeries de dessins du Louvre furentprovisoirement amnages pour recevoir lapeinture.

    6

  • 82 LK PKATlClKN

    Qui n a reu alors un douloureux petit chocen retrouvant si dnatur L'Embarquementpour Cvtlire dans une troite salle en boyauo aucun recul n'tait possible ? De mme lesplus beaux Titien, l'adorable Concert cham-ptre de Giorgione, nous revenaient rancis,

    cuits, jaunis ; les Vinci y compris la Joconde,face au jour entre deux fentres, taient mcon-naissables, sans parler de tous les Rembrandtexposs, au sujet desquels l'impression taitdplorable. L'il averti n'prouvait pas seule-

    ment une dsillusion, il y prenait un enseigne-

    ment et pouvait conclure que toute peinture,

    mme celle des plus grands matres, doit trevue dans un bon clairage.

    Un tableau, s'il est verni, ne doit jamais treplac face au jour, car il fait glace et il devientimpossible de le voir. L'clairage le meilleur

    est celui d'un jour attnu et diffus venantd'assez haut pour rpandre rgulirement lalumire, tel, par exemple celui du Salon Carrau Louvre, de la salle des Rubens, de celles duXVI II* et du xix'^ franais.

    Mais la lumire n'est pas distribue de lasorte dans un appartement, il faut alors pla-cer les toiles perpendiculairement aux fentres,

    autant que possible dans un clairage qua-

  • LA PRSEXTATIOX Dl^S TAULEAUX 83

    rante-cinq degrs. Ajoutons que les tableauxsont excuts pour tre vus la hauteur desyeux, et qu'il est indispensable de ne pas les

    accrocher au plafond. Ce n'est pas toujours fa-cile dans les salons et les muses, cause dunombre des toiles, mais c'est toujours possibledans un intrieur.

    Mme vue dans un bon jour, une uvre nerendra tout son effet que si elle est sur le fond

    qui lui convient. Nous avons^ fait assez de pro-grs en dcoration pour que le danger desodieuses tapisseries fleurs n'existe peu prs

    plus aujourd'hui. Les carts de couleurs placsderrire un tableau, l'abiment en effet, d'autant

    plus qu'ils sont plus violents. On peut la ri-gueur concevoir un ton ardent, mais ne pas lerecouvrir d'ornements ayant par eux-mmesune violence oppose, car la vigueur que prendalors le fond est fatalement au dtriment del'chelle des valeurs du tableau.Les meilleurs fonds sont les fonds unis. On

    a adopt trs longtemps dans les muses et ga-leries particulires le rouge fonc (les Goncourtprconisaient mme le rouge andrinople). Maisil est certain que les fonds aux tons neutres,

    gris, mastic, bleutre, verdtre, trs en faveur

    aujourd'hui, sontceuxqui conviennent le mieux

  • 84 I.K l'HATIClEX

    la peinture. Encore faut-il qu'ils prsentent

    un certain cart avec la tonalit gnrale des

    tableaux qui les recouvrent : tel dessous gris,

    parfait pour une toile aux tons vigoureux, nui-

    rait au contraire une uvre cendre dont

    riiarmonie gnrale s'en rapprocherait trop.

    Pour cette mme raison, Tentourage imm-diat d'un tableau compte autant que le ton local

    du fond. Les membres du jury savent trs bien,dans les divers salons, choisir parmi les toiles

    des confrres, celles de nature entourer les

    leurs favorablement, et s'attachent adroitement

    bien composer leur panneau. Je me souviens,

    par exemple, d'un portrait d'une tonalit chaude

    mais un peu teinte, et qui donnait son maxi-

    mum, appuy de chaque ct par deux grands

    paysages d'un vert tout fait aigre.

    Dans un intrieur, les bibelots avoisinants,

    les meubles, les tentures proches, contribuent

    mettre plus ou moins en valeur les tableaux

    accrochs au mur. Il y a des faons savantes de

    les faire valoir, et c'est l que triomphe le got

    de l'amateur.

    *

    * *

    Le jeune peintre qui envoie sa toile dans uneexposition, ou la vend un particulier, a quel-

  • LA PRSENTATION DES TABLEAUX So

    que raison de trembler : il sait qu'aprs son

    dpart de l'atelier, il n'en est plus le matre, et

    que de mauvaises conditions de prsentation

    peuvent la trahir.

    Mais il est de nombreux cas o l'artiste saitd'avance o ira son uvre et peut ds lors lacrer en vue de cette place, o elle semble de-voir s'adapter naturellement

    Je parle ici de la peinture dcorative.

    Or, le public de got se lamente non sans

    raison de la faon dont sont dcors la plupart

    de nos monuments publics.

    Chacun de nous pourrait citer l'horreur detelle salle des ftes, de telle salle des mariages,

    de telle galerie, o des artistes respectablesont sign des panneaux qui paraissent totale-

    ment dplacs Tendroit o ils sont. Leursauteurs ont cd au dsir de faire un mor-

    ceau susceptible d'avoir un beau succs. Ilpeut a-rriver qu'expos en place d'honneur au

    Salon avant d'aller dans une mairie ou une

    ambassade, leur panneau fasse effectivement un

    bel effet. Mais une fois arriv sa destination,

    quelle chute dcevante, et comme se dcouvrebien l'incomprhension dcorative de peintresqui ne manquent par ailleurs ni de talent, nid'habilet. In