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L’A NTHOLOGIE PERMANENTE DES LITTÉRATURES DE L IMAGINAIRE S OLARI S Science-fiction et fantastique N˚ 189 10 $ LA SF AVANT 1950 LE V ATICAN ET LES EXTRATERRESTRES Et des fictions de Jean DION (1949-2013) Michel LAMONTAGNE Isabelle LAUZON Juan MUNOZ Katerine THÉRIAULT

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Page 1: LA SF AVANT LE VATICAN ET LES EXTRATERRESTRES · 2018. 4. 13. · Mario Tessier parle du Vatican et des extraterrestres, Christian Sauvé fait la revue du cinéma SF, et nos critiques

L ’A N T H O L O G I E P E R M A N E N T ED E S L I T T É R AT U R E S D E L ’ I M A G I N A I R E

S O L A R I SS c i e n c e - f i c t i o n e t fa n t a s t i q u e

N˚ 189 10 $

LA SFAVANT 1950

LE VATICAN ETLES EXTRATERRESTRES

Et des fictions de

Jean DION (1949-2013)

Michel LAMONTAGNEIsabelle LAUZON

Juan MUNOZKaterine

THÉRIAULT

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Solaris 189Hiver 2014 Vol. 39 n° 3

Chantal Fournier aime les tamanoirs, le swinget le gâteau à la citrouille. Depuis plus de

dix ans, elle a contribué à une multitude dejeux vidéos en tant qu’artiste et participé à

plusieurs conventions au Québec et aux États-Unis. Elle s’est maintenant tournée versl’illustration, tant numérique que traditionnelle.

Ses influences vont de J. C. Leyendecker àJames Jean en passant par Greg Manchess,

William Bouguereau et Alfons Mucha. Elle est aussi une des collaboratrices de

DrinkAndDrawMtl.com pour lequel elle écritdes articles et organise des événements.

Vous pouvez voir son portfolio au www.chantalfournier.com

et la contacter à[email protected],

elle aime toujours recevoir du courrier.

Sommaire3 Éditorial

Joël Champetier

7 L’Évangile des animauxJean Dion

29 La Promesse de TomJean Dion

44 Souvenir de mortMichel Martin

59 Cheese !Katerine Thériault

67 Le PasseurIsabelle Lauzon

83 Ta mère est un vieux charJuan Munoz

89 Futurs empoisonnésMichel Lamontagne

97 La Machine chicoutimienne à remonter letempsClaude Janelle

105 Les Carnets du FuturibleLe Vatican et nos frères extraterrestresMario Tessier

125 Sci-némaChristian Sauvé

137 Les LittéranautesM. Ross Gaudreault, J. ReynoldsJ.-L. Trudel, É. Vonarburg

149 LecturesM. Arès, V. Bédard, R. Bozzetto, N. Faure,J.-P. Laigle, É. Vonarburg

Illustrations

Valérie Bédard : 7, 29, 44, 67,83, 89

Laurine Spehner : 59Suzanne Morel : 97, 105

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Rédacteur en chef : Joël Champetier

Éditeur : Jean Pettigrew

Direction littéraire : Joël Champetier, Jean Pettigrew, Daniel Sernine et Élisabeth Vonarburg

Site Internet : www.revue-solaris.com

Webmestre : Christian Sauvé

Abonnements : voir formulaire en page 5

Coordonnatrice : Pascale [email protected](418) 837-2098

Trimestriel : ISSN 0709-8863Dépôt légal à la Bibliothèque nationale du QuébecDépôt légal à la Bibliothèque natio nale du Canada

© Solaris et les auteurs

Solaris est une revue publiée quatre fois parannée par les Publications bénévoles des litté -ratures de l’imaginaire du Québec inc. Fondéeen 1974 par Norbert Spehner, Solaris est lapremière revue de science-fiction et de fantastiqueen français en Amérique du Nord.

Solaris reçoit des subventions du Conseil desarts du Canada, du Conseil des arts et des lettresdu Québec et reconnaît l’aide financière accordéepar le gouvernement du Canada pour ses coûts deproduction et dépenses rédactionnelles par l’entre - mise du Fonds du Canada pour les magazines.

Toute reproduction est interdite à moins d’ententespécifique avec les auteurs et la rédaction. Lescollaborateurs sont respon sables de leurs opinionsqui ne reflètent pas nécessairement celles de larédaction.

Date d’impression : janvier 2014

Le Prix Solaris s’adresse aux auteurs de nouvelles canadiensqui écrivent en français, dans les domaines de lascience-fiction, du fantastique et de la fantasy

Dispositions générales Les textes doivent être inédits et avoirun maximum de 7500 mots (45 000signes). Ces derniers doivent être envoyésen trois exemplaires (des copies car lesoriginaux ne seront pas rendus). Afin depréserver l’anonymat du processus desélection, ils ne doi vent pas être signésmais être identifiés sur une feuille à partportant le titre de la nouvelle ainsi quele nom et l’adresse complète de l’auteur,le tout glissé dans une enveloppe scellée.On n’accepte qu’un seul texte par auteur.

Les textes doivent parvenir à la rédactionde Solaris, au 120 Côte du Passage, Lévis(Québec) G6V 5S9, et être iden tifiés surl’enveloppe par la mention « PrixSolaris ».

La date limite pour les envois est le14 mars 2014, le cachet de la poste fai-sant foi.

Le lauréat ou la lauréate recevra unebourse en argent de 1 000 $. L’œuvreprimée sera publiée dans Solaris en2014.

Les gagnants (première place) des prixSolaris des deux dernières années, ainsique les membres de la direction littérairede Solaris, ne sont pas admissibles.

Le jury, formé de spécialistes, sera réunipar la rédaction de Solaris. Il aura ledroit de ne pas accorder le prix si lapartici pation est trop faible ou si aucuneœuvre ne lui paraît digne de mérite. Laparticipation au concours signifie l’ac-ceptation du présent règlement.

Pour tout rensei gnement supplémentaire,contactez Pascale Raud, coordonnatricede la revue, au courriel suivant :

[email protected]

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ÉditorialJean Dion (1949-2013)

Le sommaire de cette 189e éditionde Solaris est différent de celui quiétait prévu à l’origine, et ceci pour unebien triste raison. Nous avons appris enoctobre dernier le décès de Jean Dion,l’un des plus brillants nouvellistes dela science-fiction québécoise, des suitesd’un cancer. Il n’a pas laissé une œuvreabondante – une vingtaine de textes seu-lement – mais ceux-ci ont marqué lesesprits en leur temps, de « La Vie surMars », sa première nouvelle paruedans Solaris 30 en 1979, à « Rêves dechiffres », chez Ashem Fictions en 2000. Jean Dion était un hommeaussi sympathique que discret. On s’entend que les auteurs qui nepublient que des nouvelles deviennent rarement des célébrités,mais c’est encore plus vrai dans son cas puisque, malgré l’estimede ses lecteurs et l’admiration de ses collègues, il n’a jamais reprisses textes en un recueil. On ne peut qu’être d’accord avec ClaudeJanelle, lui qui dans son Dictionnaire des auteurs des littératuresde l’imaginaire en Amérique française qualifie Dion de « secretle mieux gardé de la science-fiction québécoise ». C’est pourcorriger, à notre modeste façon, cette lacune dans l’édition quenous commençons ce numéro avec une courte anthologie de troisnouvelles parues dans un collectif et deux périodiques désormaisintrouvables, et qui n’ont jamais été reprises. Une de ces nouvellesest signée Michel Martin, pseudonyme employé lorsque Dionécrivait en tandem avec son grand ami Guy Sirois ; nous tenionsà inclure ici une œuvre résultant de leur association, car ellescomptent aussi parmi les meilleures du corpus de la SFQ (et jeremercie Guy de son aide pour le choix des nouvelles et la révisiondes épreuves).

Pendant ce temps, la vie littéraire continue. Pour l’équilibrede la chose, je trouve approprié de faire suivre ces trois rééditionspar autant de nouvelles d’auteurs de la relève qui en sont à unepremière présence dans notre sommaire des fictions. Il s’appelleJuan Munoz; elles s’appellent Katerine Thériault et Isabelle Lauzon;

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chacun et chacune nous fait entendre une voix personnelle, nousfait partager une vision forcément unique. Je leur souhaite labienvenue dans nos pages, en espérant revoir leur nom dans unnuméro futur. Le volet des fictions est complété par une nouvelle– ou pour être plus exact, une série de très courtes vignettes –gra cieu seté de Michel Lamontagne, écrivain qui ressemble assezà Jean Dion par sa discrétion, sa plume limpide et assurée, ouencore par la singularité de son imaginaire imprégné d’humourpince-sans-rire. Et je remercie Valérie Bédard pour les illustrationsqui accompagnent toutes ces fictions.

Nos chroniques habituelles complètent le numéro: le FuturibleMario Tessier parle du Vatican et des extraterrestres, ChristianSauvé fait la revue du cinéma SF, et nos critiques de livres vousfont part de leurs judicieuses réflexions. Tout ceci vous est livrésous une illustration de couverture délicieusement rétro de ChantalFournier, qui m’a plu pour trois raisons. Premièrement, je la trouvesuperbe en soi ; deuxièmement, elle évoque plaisamment le re -portage de Claude Janelle, qui a assisté/participé à Chicoutimi àun colloque sur la science-fiction de France et du Québec de 1890à 1950 ; et finalement, j’aime varier de temps en temps le lookde Solaris.

Parlant de look, autant vous prévenir : si tout se déroule selonles plans élaborés par notre éditeur, nos lecteurs et lectrices restésfidèles à la version papier de la revue vont avoir toute une surpriseen recevant le numéro du printemps (avril). Je n’en dis pas plus,sauf pour conseiller à tous nos lecteurs qui ne sont pas encoreabonnés de le faire sans tarder : croyez-moi, ça va valoir la peine.Quant à celles et ceux qui ne jurent que par le numérique, ilsjubilent déjà puisque le présent numéro est disponible non seu -lement en pdf, mais aussi en version epub… tout comme lesquatre précédents numéros de 2013. On n’arrête pas le progrès…encore moins notre éditeur, qui nous réserve d’autres surprisespour le prochain quarantième anni versaire – et quatre décennies depublication ininterrompue, pour une revue de SF&F, ça se fêtepar anticipation !

C’est donc un rendez-vous, ce qui ne m’empêche pas de voussouhaiter, à ce moment-ci, une très bonne lecture de la cent quatre-vingt-neuvième livraison de Solaris, dernière de sa lignée…

Joël CHAMPETIER

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L’Évangile des animauxpar Jean DION

Pour être utile, le nouvel animal doit être bon à manger,doit être un bon animal de compagnie, ou donner, parexemple, de la nourriture ou des médicaments. On peutce pendant accepter des animaux moins utiles que les ani-maux existants.

Déclaration du commissaire adjoint auBureau des brevets des États-Unis d’Amérique, 1987

L a voix du directeur de la fourrière tonna derrière le jeunehomme, allant jusqu’à dominer le vacarme qui sévissait dansles cages. Morgan se retourna à moitié, serrant l’animal aux

reflets bleutés contre son corps. Fallait-il jouer la culpabilité oumiser une fois encore sur sa réputation de demeuré?

Valérie Bédard

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S O L A R I S 1898

— Ne perds pas ton temps avec la ménagerie, fainéant !Occupe-toi plutôt de nettoyer les cages…

— Oui, m’sieur Taylor. Tout de suite, m’sieur Taylor.Le directeur avait déjà refermé la porte. Il n’attendait pas

une réponse mais des gestes. Et avec ce boucan, il n’aurait rienentendu à dix pas de toute façon.

Morgan dégagea l’animal et continua à lui caresser la tête. Unsuperbe matou, probablement un persan de race, qui s’abandonnaitsous sa main en marquant chaque toucher par un ronronnement.Puis, le félin tourna la tête vers la fenêtre et le vertigineux pano-rama de Manhattan, trente étages plus bas. Il n’y avait pas silongtemps, personne n’aurait pu imaginer que le besoin de four-rières obligerait les autorités à installer des locaux d’exterminationdans les étages abandonnés des édifices jugés dangereux. Per -sonne n’aurait pu imaginer non plus que le nombre d’animauxen liberté dans l’île atteindrait un tel sommet. Combien? Aucunchiffre n’était avancé, mais Morgan soupçonnait que la situationétait devenue incontrôlable. Dans les sept cents fourrières quecomptait la seule ville de New York, l’incinération des pension-naires et le remplissage des cages étaient devenus des opérationsquotidiennes.

Le matou fixait la vitre ensoleillée avec une attention re -doublée, comme s’il avait noté une anomalie dans l’environnementextérieur. Deux étages plus bas, de longues tiges d’acier noircidessinaient une barrière horizontale dans la façade du bâtiment.L’éblouissement des toitures environnantes donnait l’impressiond’une rangée de crocs prêts à se refermer sur la partie supérieurede la tour. Morgan ne put s’empêcher de sourire et de murmurer àl’oreille du chat, qui ne broncha pas. C’était la frontière entre lesniveaux autorisés et ceux que l’administration avait condamnés.Et lui, le chat errant, n’avait de place que dans la zone interdite.Et encore le règlement n’était-il pas respecté par tous. Souvent,en quittant son travail, il avait entendu des sans-abri gravir péni-blement les escaliers pour accéder enfin aux espaces vides quimeublaient le ciel à partir du vingt-huitième étage. New Yorkavait toujours su comment être dure avec les hommes. Et si elleavait longtemps épargné les bêtes, il semblait bien que les chosesavaient changé maintenant.

— Tu n’es qu’un chat, ajouta Morgan avec une note de tris-tesse. Et plus rien n’est comme avant si on n’est qu’un chat,

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même de race. Ces chers figurons sont en train de prendre toutela place. Pas étonnant que vous ne vous entendiez pas.

Morgan se dressa et, se dirigeant vers le fond de la salle, tra-versa comme par magie les ombres grillagées des cages. Combiende fois avait-il soustrait un animal à une mort certaine depuisl’ouverture de la fourrière? Pas plus de trois ou quatre, estima-t-il.Les bêtes étaient gratuites mais pas les boîtes de pâtée. Et sontrois pièces était déjà bien rempli. Mais une fois encore, il n’avaitpas pu résister. Le chat bleu l’avait fixé de longues secondes,avec un calme troublant, comme s’il lui adressait un messagesilencieux d’où, pourtant, toute trace de peur était absente. Toutautour de lui, cent autres matous s’adonnaient à un remue-ménageincroyable, en quête d’un territoire qu’ils ne retrouveraient jamais.Du coup, Morgan avait entrouvert la cage et l’avait adopté.

Sur la table où il prenait son déjeuner, un sac de nylon étaitouvert, révélant les plats de plastique qui avaient contenu lesnouilles du midi. Morgan fit de la place et plongea le chat dans lesac, qu’il referma aussitôt. Précaution inutile : à aucun momentl’animal n’avait manifesté l’envie de s’enfuir. Comme s’il avaitcompris que cette prison temporaire serait son salut.

Morgan jeta un dernier regard sur le sac et, satisfait, retournaau nettoyage des cages. Excréments d’animaux morts la veille,excréments d’animaux rendus fous par le parfum de leur finproche. Par une étrange ironie du sort, le tout était mêlé à devieux journaux où, de page en page, s’étalait le bouleversementdu monde animal. La Lorrenzco avait maintenant des laboratoiresdans le monde entier. Elle avait commencé par donner des pouletsplus gros, des bœufs à croissance rapide, des insectivores insa-tiables qui protégeaient les cultures. Le bien de l’humanité d’abord.Et, pour ne pas être en reste, elle avait créé les figurons, véri-tables jouets vivants, parfaits compagnons domestiques qui, enplus de leurs formes fantastiques, avaient la particularité derésister aux maladies et d’être incapables de se reproduire. Lespremiers oursons avaient vite cédé la place aux créations plusélaborées, curieux mélanges d’espèces plus fascinants les unsque les autres. De nouveaux spécimens apparaissaient dans leszootiques de la Lorrenzco chaque mois, et la longueur des filesd’attente témoignait d’un enthousiasme toujours renouvelé. Lesfigurons étaient encore trop chers pour les gens comme lui, maisau moins pouvait-il les admirer.

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La Promesse de Tompar Jean DION

Valérie Bédard

E n cinq enjambées à peine, Marie Duval traversa une cuisine,une salle à manger et un salon qui, pour l’instant, étaientinoccupés. Puis elle tourna sur elle-même et jeta un long

regard sur la chambre de Lucie en se disant que sa fille méritaitquelques leçons de discipline. Du coup, l’incroyable désordrefaisait oublier les pièces imaginaires tout droit sorties des rêveriesde l’enfant, sa maison dans la maison, comme elle se plaisait àles appeler, et révélait l’agitation frénétique d’une fillette de cinqans.

Marie posa la panier à linge sale sur le plancher (où se trouvait-elle déjà? Ah, oui, à la frontière du salon et de la salle de jeu) etentreprit de ranger les jouets dans leur boîte. Lucie avait bien de

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l’imagination, pensait-elle en nettoyant la place, mais c’était,disait-on, un signe de santé. La psychologue du jardin d’enfantss’était même montrée rassurante sur ce point : Lucie avait unesprit créateur très développé et de la conversation à revendre.Elle ne manifestait aucune réticence à étaler au grand jour sesintentions les plus débridées, comme cette maison imaginairedont elle décrivait parfois l’aménagement dans le détail (ici unetable verte, là des tentures de soie jaune, attention, des marches àtravers la télé !), et cette histoire de Tom. Ce monsieur avait faitson entrée dans la maison de Lucie le mois d’avant, de façontotalement inattendue. Il ne s’y trouvait pas maintenant, puis-qu’il l’accompagnait tous les jours au jardin d’enfants, mais Mariene pouvait s’empêcher de constater qu’il prenait finalementbeaucoup de place dans les jeux de sa fille. Et pourquoi un seulpersonnage et pas toute une ribambelle d’amis comme elle envoyait dans les émissions pour enfants ?

Un homme sans âge qu’elle disait être beau (plus que papa,en tout cas) et sans aucun vêtement. Bien sûr, Lucie était tropjeune pour visualiser un homme complètement nu, mais le détaill’avait tout de même frappée. La psychologue avait affirmé quecette lubie finirait par disparaître d’elle-même, mais il fallaitbien reconnaître qu’elle s’incrustait.

Marie quitta la chambre et longea le corridor jusqu’à la cui-sine. Au moins, se dit-elle en souriant, celle de Lucie n’avaitjamais besoin d’être nettoyée. Et ce Tom, finalement, ne faisaitpas grand bruit. Mieux valait se ranger du côté de Paul, qui s’enremettait entièrement à la psy. « Je m’inquiète trop. Cette petiteva devenir une grande auteure, voilà tout. Aussi riche que proli-fique. »

Elle s’attaqua de nouveau à la vaisselle sale qu’elle avaitcommencé à laver quelques minutes plus tôt. Le mini poste de téléposé sur le comptoir montrait avec quel talent un garçonnet de septans pouvait s’en tirer avec une sonate de Beethoven. Pour l’ac-compagner, elle se mit à fredonner l’air en même temps qu’il jouait.Un enfant interprétant une musique composée par un adulteéchevelé et sourd. Cette pensée la frappa. Et lui, s’était-il aussicréé un compagnon de tous les jours? En gardait-il le souvenir ?Tous les enfants avaient-ils autant d’imagination? Tandis qu’elleessuyait une assiette, les paroles de son mari lui revinrent à lamémoire. « Nous avons tous fait pareil : inventer quelqu’un avec

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qui nous serions parfaitement en accord. C’est un jeu, Marie,rien qu’un jeu… » Paul s’était peut-être fabriqué un petit camarade(non, corrigea-t-elle, plutôt une que un !), mais certainement paselle. À moins que…

Elle s’arrêta pour y réfléchir. Durant un moment, elle retombadans son passé, reconnaissant au passage ses poupées et ses balles,à la recherche d’une conversation qu’elle aurait eue avec elle-même pour agrémenter ses jeux. Puis, au-delà d’un dernier Noël,plus rien. Ses souvenirs les plus lointains s’arrêtaient là. Le resten’était qu’un chaos trouble dont elle ne pouvait rien tirer de clair,un amas de sensations incertaines dans lequel il était impossiblede distinguer le vrai du faux.

Elle allait reprendre son travail lorsqu’une nouvelle penséela força à s’arrêter. Le haut-parleur de la télé continuait à émettre ladétresse adulte exprimée par les mains blanches du jeune garçon.Tous ces gens imaginaires qui peuplaient l’enfance vivaient réel-lement dans les pensées des tout-petits. Ils venaient, remplissaientun vide pendant un certain temps et se retiraient sans laisser detrace… Aucun enfant ne choisissait consciemment leur présence.Ils s’imposaient d’eux-mêmes. Un jeu, rien qu’un jeu. Sans laisserde trace? Qui pouvait savoir ce qui se cachait derrière l’oubli ?

Elle se sentit soudain envahie par une vague méfiance. « Tudérailles », pensa-t-elle devant la vision d’une masse d’individustous semblables envahissant les territoires de l’enfance. Mais enmême temps elle savait ce qui l’avait interrompue dans sa tâchequelques minutes plus tôt puis l’avait conduite dans le mondeimaginaire de Lucie.

Vraiment, elle se méfiait de ce Tom.

La porte de l’autobus scolaire se referma avec un bruit detôle et Lucie fit un dernier signe de la main en direction de sesamis. La masse jaune et vrombissante s’ébranla et disparut parmiles saules de la rue voisine. Lucie considéra la maison devantelle, reconstitua en pensée les formes et les couleurs de sa propremaison, puis courut jusqu’à la cour où l’attendait sa balançoire.Elle tendit l’oreille et, à travers le vent, reconnut les bruits rassu-rants de sa mère qui s’affairait dans la cuisine. Hésitant un moment,elle prit une décision. Lait et biscuits, oui, mais d’abord la balan-çoire avec Tom. Comme promis.

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Valérie Bédard et Michaël Jo Peter

Il y eut d’abord l’odeur du lilas.C’était un parfum presque imperceptible, le parfum solitaire

d’un arbre invisible, une centaine de molécules à peine. Mais cesquelques molécules se frayaient un chemin jusqu’au plus profondde ses souvenirs, éveillaient les lilas fanés de sa plus lointaineenfance. Comme si…

Sans la moindre transition, il fut à la campagne, à la ferme del’oncle Antonio, assis derrière la remise, sous les lilas en fleurs.S’il restait immobile et s’il gardait les yeux fixés droit devantlui, le ciel découpait un carré d’un bleu éclatant dans le mur duvieux bâtiment. À quelque distance, des animaux broutaientl’herbe aux abords d’un bosquet. Il se plongea dans le souvenir,ravi. Le nom des vaches lui revenait : Samou, Miko, Carotine,plusieurs autres. Combien de fois les avait-il guidées jusqu’àl’étable pour voir oncle Antonio les traire, à la main, comme ilsemblait seul à pouvoir le faire dans les environs?

Une vache l’observa en meuglant. Miko ou Samou?Puis le parfum de lilas revint, poussé par la brise, et le tableau

s’estompa. Il quitta le souvenir avec regret.

Souvenir de mortpar Michel MARTIN

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En cherchant l’arbre du regard, il constata qu’il s’était égaré.Correction : il ne s’était pas égaré, il avait cessé depuis un certaintemps déjà d’avoir conscience d’aller quelque part.

Il jeta un coup d’œil aux alentours. Les vieilles maisonsrouges qui se soutenaient les unes les autres ressemblaient à desmilliers d’autres maisons d’un autre âge. Rien de familier.

Un petit bar aux couleurs douteuses apparut tout à coup dansson champ de vision. Il l’avait identifié comme tel avant mêmede distinguer l’enseigne peinte qui balançait sans bruit sur sesgonds grande époque :

Chez zooK

Sous l’enseigne, une terrasse minuscule où deux tables sanscaractère, perdues dans un désordre de chaises, se disputaientl’espace exigu compris entre l’entrée et la balustrade de fer ou -vragé qui marquait la limite du trottoir.

Il n’avait pas fait deux pas qu’une silhouette grise, grande etlégèrement courbée – à moins que ce ne fût l’effet du manteaumal coupé –, jaillit du bar dans un battement de portes, en fonçanttête baissée dans sa direction. Il crut un instant que l’hommeallait le frapper de plein fouet et avança les mains dans un gestede protection.

L’autre se figea avant la collision et le dévisagea un bref ins-tant. Puis, tout de suite, le regard perdit de son intensité, devintsomnolent. Les lèvres s’agitèrent, semblèrent former des motsqu’elles ne se décidaient pas à prononcer.

— Salut Courly ! fit soudain une voix grêle et nerveuse.Un geste de la main à peine esquissé, et déjà l’inconnu filait

sur ses longues jambes d’araignée. Le manteau vola en une brusqueruade puis la silhouette disparut derrière l’angle d’une maison.

Jef hésita un instant entre la surprise et le malaise devant lavision ridicule du manteau qui ruait. Puis le vêtement perdit pro-gressivement tout intérêt. Intuitivement, de façon très lointaine,il prit conscience de ce qui venait de se passer. Et rejeta aussitôtl’explication.

Il poussa la porte d’une main hésitante, traversa la salle déserteen n’accordant qu’un regard courtois au barman hypnotisé parl’écran de télé et choisit une table près de la fenêtre. Il remarquaqu’il était le seul client.

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— Vous n’êtes pas allé loin, commenta le barman en s’ap-prochant. Pas mal chaud, hein? Ici, au moins, il fait frais. C’estaussi bien que ces châteaux de bière qui poussent dans l’ouest dela ville, non? Jamais de tranquillité dans ces châteaux… Alors,un autre poupart ?

Jef releva la tête et observa le barman. C’était un hommedans la trentaine, les cheveux déjà légèrement grisonnants. Sonvisage anguleux s’était retourné pour présenter un profil nonmoins accidenté.

— Pardon? fit Jef.Le regard de l’homme se fixa de nouveau sur lui.— Vous voulez un autre poupart? fit-il avec un léger soupir.— Non, pas ça. Ce que vous m’avez dit en me voyant. Que

je n’étais pas allé loin.Le barman parut un peu surpris.— Oui, c’est ce que j’ai dit, je crois. Peut-être pas les mêmes

mots, mais c’est l’idée. Oui, et alors ?— Alors vous pourriez m’expliquer ce que vous vouliez dire

par là ?L’homme se redressa lentement, l’air un peu décontenancé.— Ben… je voulais dire que vous n’êtes pas resté longtemps

dehors, que vous êtes revenu presque tout de suite.— Combien de temps suis-je resté parti, selon vous?— Euh… je ne sais pas… peut-être deux minutes.Jef soupira.— Vous êtes en train de me dire que vous m’avez vu il y a

trois minutes, dans ce bar et à cette table?— Non, vous étiez assis à celle d’à côté.Du menton, le barman indiqua une table ronde qui était

située à sa droite.— Vous vous moquez de moi?L’homme prit un air contrarié.— C’est la stricte vérité, monsieur. Vous étiez ici il n’y a pas

trois minutes… peut-être un peu plus longtemps maintenant.— Vous me prenez certainement pour quelqu’un d’autre. Je

ne suis jamais venu ici de ma vie et je ne vous ai jamais rencontréavant.

— Peut-être bien, mais votre sosie portait les mêmes vête-ments que vous et il avait la même petite tache de moutarde aucoin des lèvres.

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Cheese !par Katerine THÉRIAULT

L a fille a les cheveux coupés carré au menton et noirs. Ses yeuxsont grands, on y voit rien, ni pupilles ni émotion particu-lière. Elle regarde le show, fume une clope vêtue de sa petite

robe rose et, surtout, elle s’emmerde. Royalement même. Soncopain, le grand maigre derrière elle, tapote sur ses hanches aurythme de la musique. Ce n’est pas le gars le plus brillant de laplanète, mais il est plutôt gentil et, sexuellement, elle n’a pas à seplaindre ; il se fait aller le bassin aussi souplement que les chan-teurs de LMFAO, groupe de merde qu’elle associe à la couleur vertfluo. De toute façon, les gens intelligents, trop intelligents, Éliseaime pas trop. Ou, en tout cas, n’est pas très à l’aise avec eux: desanimaux dangereux.

Elle ne connaît décidément aucune câlice de chanson et latête lui tourne. Déjà. Bastien, le chum docile et pratique, lui a

Laurine Spehner

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sorti son alcool un peu plus tôt – elle avait laissé sa sacoche, etdonc son portefeuille et donc ses cartes, chez elle et savait que sap’tite face cute de fille de 16 ans, tabarnac, 16 ans !, lui mettraitdépanneurs et SAQ à dos – et il semblerait que deux bières aientsuffi à la faire tomber dans cet état qu’elle aime tant, d’ordinaire.Mais tout de même, deux bières… C’est pas beaucoup, deuxbières, même pour une jeune femme avec une carrure de patte depoulet. Bastien dit un truc. Elle ne saisit pas. Il se penche un peuet répète plus fort. « T’AIME ÇA? » Elle tourne le visage verslui. « Bof, pas vraiment.  » Il semble déçu et la fixe un instantcomme si elle allait changer sa réponse, comme si elle allait de -viner un peu trop tard qu’il ne voulait que lui faire plaisir enl’amenant ici, lui faire plaisir car cette fille, il l’adore, il voudraitqu’elle le voie, qu’elle lui dise que le band elle s’en fout, tantqu’il est avec elle. Un grand romantique avide de déclarationsquétaines. Mais Élise n’ajoute rien. « Au moins, l’ambiance estpas pire, hein ! » lance-t-il, faisant bien attention de ne pas em -ployer ce petit ton suppliant qui, comme Éli le lui a déjà signifié,tombe sur les nerfs, beaucoup, et lui donne l’air d’un « pas decolonne ». La jeune femme se contente de lui sourire, du sourirede quelqu’un qui n’en a rien à battre, et repose son regard sur lascène.

« Bof, pas vraiment.  » Shit, elle a l’impression d’articuleraussi mollement que si elle venait de s’enfiler cinq shooters detequila et que l’alcool se décidait à cogner. Lorsqu’elle se retournevers la scène, il lui semble même que sa vision est trouble. Elleferme les yeux et tente de se concentrer sur la musique. Elle a butrop rapidement, c’est ça. I don’t wanna see you ever again.Leaving me alone in the dark or cutting my throat, it’s the same.I don’t wanna see you again. Les paroles sont insignifiantes etrépétitives. Le groupe devrait se mettre à la pop plutôt que faire durock médiocre. I don’t wanna see you again. D’ici dix minutes,elle dégage. Never agaiiiiiiin ! Enough. Elle ouvre les paupièreset pivote vers Bastien pour lui annoncer qu’elle quitte la place,qu’il peut venir la rejoindre chez elle plus tard s’il en a envie etque dans le cas contraire, eh ben tant pis. Elle fait face à soncopain, voit son visage et recule brusquement, bousculant deux,trois personnes qui répondent par des grognements et des coups decoude. La bouche de Bastien. Sa bouche, ce n’était pas sa bouche.L’espace d’un instant elle avait changé, un trou immonde dans le

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L e capitaine doit être le dernier à quitter le navire. Ce règlementstupide me roulait dans la tête depuis le début du naufragede l’Albaïde et, à dire vrai, j’avais tenu mon poste plus long -

temps que bien des capitaines de ma connaissance ne l’auraientjugé nécessaire. En digne officier de la marine marchande, monsecond semblait résolu à s’époumoner en directives inutiles jusqu’àson dernier souffle. Pour ma part, j’ai préféré suivre les conseilsdictés par mon instinct de survie. Je n’allais tout de même pasme laisser couler pour le simple plaisir de respecter une traditionridicule.

Avant de plonger, j’avais entrevu, par-delà les vagues dé -chaînées, un tronc d’arbre à demi immergé. Les membres en -gourdis par l’épuisement, j’ai nagé dans sa direction et j’ai fini par

Le Passeurpar Isabelle LAUZON

Valérie Bédard

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l’atteindre. Les cris de désespoir de mes marins me parvenaientaux oreilles, mais je n’avais pas envie de partager mon refuge pré -caire.

J’ai fermé les yeux et me suis agrippé au tronc, sans toutefoisy monter. Je craignais que l’un de mes hommes me voie. Me re -joigne. Signale aux autres ma position, leur enjoigne de profiterde ma planche de salut. Seul, j’arriverais peut-être à survivre. Àplusieurs, nous ferions couler le tronc. La décision n’était pasbien difficile à prendre. J’ai recommencé à nager, cette fois-ci enpoussant mon tronc devant moi pour m’éloigner. De temps àautre, je laissais les vagues passer par-dessus ma tête afin que lesautres me croient aussi mal en point qu’eux.

Le matin venu, lorsque les gémissements des ultimes survivantsse sont enfin tus, je me suis affaissé sur le tronc et j’ai pleuré.Puis un éclair m’a aveuglé et une voix s’est élevée, provenant departout à la fois. La voix répétait mon nom à l’infini, dans unécho qui résonnait en moi comme s’il émanait de l’intérieurmême de ma tête. À perte de vue, seules les vagues auraient pum’adresser la parole. J’ai alors cru que la folie s’était emparéede mon esprit. Qui me hélait ainsi ? J’ai crié ma question et lavoix s’est tue un moment, avant de retentir plus forte, trop fortepour n’être qu’un mirage produit par le souffle du vent. Ellerésonnait dans toutes les tonalités, de la plus grave à la plusaiguë, avec pour réponse un mot, un seul : « Yamel. »

J’avais beau me retourner de tous les côtés, je ne voyais per-sonne. Yamel. Ce nom, je le connaissais. Il me ramenait auxcroyances de mon enfance. Combien de fois mes parents m’avaient-ils forcé à m’agenouiller pour honorer le dieu de notre peuple?

Malgré toutes mes prières, je n’avais jamais obtenu aucunefaveur de Yamel. Il y avait bien longtemps que j’avais cessé decroire en lui, mais au vu des derniers événements, j’étais toutdisposé à revoir mon opinion à son sujet. S’il commençait par merendre mon navire, par exemple, je promettais de retrouver la foisur-le-champ! En échange de mon Albaïde, j’étais prêt à l’honoreret à le servir.

J’ai ouvert la bouche dans une amorce de supplique, mais ilsemblerait que Yamel n’ait eu nul besoin de mes paroles pourentendre mes pensées. Sa voix s’est insinuée dans mon oreille etil m’a susurré dans un chuchotement complice :

« Accordé. »

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F

L’ancre de l’Albaïde descendait sans hâte dans les eaux duport de Scaras. Les yeux plissés sous le soleil de midi, j’observaisau loin l’activité qui régnait sur les quais. Je n’avais pas fouléles pavés de cette ville depuis près de vingt ans et, pourtant, rienne semblait y avoir changé. Les marchands s’affairaient autourde leurs caisses, tandis que la racaille errait pour évaluer lavaleur des cargaisons. Les hommes étaient les mêmes partout. Jen’avais rien perdu en évitant aussi longtemps cette destination,mais je devais à présent me résoudre à affronter les fantômes demon passé.

À regret, j’ai abandonné la barre, pressé d’en finir avec cevoyage à terre. Je m’efforçais de contenter Yamel et, jusqu’ici, jen’avais pas eu à m’en plaindre, mais j’aurais bien aimé qu’iltienne compte de mon aversion pour Scaras. Trop de mauvaissouvenirs s’y rattachaient. Ah! Que n’aurais-je pas accompli poursatisfaire mon dieu?

Seul à bord d’un canot, j’ai ramé en maugréant contre levent et les vagues. Ces satanés allers pour rejoindre la côte, suivispar ces retours en direction de l’Albaïde, commençaient à m’en-nuyer. Jusqu’ici, je m’étais farci quarante-neuf voyages de cettenature, tous dans des ports différents. Heureusement, si je mebasais sur les rares explications de Yamel, cette excursion devaitêtre la dernière. Après, j’obtiendrais ma récompense : une éternitéen mer avec mon Albaïde. Telle était notre entente.

Des effluves familiers, mélange d’épices, de poisson et d’airsalin, ont réveillé en moi une certaine nostalgie, vite réprimée.Jadis, sans un regard en arrière, j’avais quitté une existence quim’était devenue odieuse. Je n’allais pas me laisser détourner demon but par de misérables souvenirs enjolivés par le passage dutemps. Après tout, je n’étais là que pour une mission de quelquesheures.

La brise du large m’a poussé vers la grève, à proximité del’effervescence des quais. J’ai traîné mon esquif sur le haut de laplage, là où commençaient les herbes longues. Peu craintif de levoir s’envoler, je l’ai abandonné sur place, invisible aux yeux detous même en plein jour. Yamel, dans son infinie bonté, en avaitdécidé ainsi.

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T ’es un robot à prendre ta retraite, mon Guy. Ta main gauchese rouille et l’autre ne fait que soutenir, comme si tes pupillesn’enregistraient plus, la photo de ce salopard. Ces mafieux

colombiens contrôlent tout Montréal. Maintenant, le 20  juilletest plus populaire que le 24 juin ou le jour des Mères !

— Monsieur Gagnon, on a les résultats des garagistes, in ter -rompt Yolanda.

Elle te conduit au laboratoire. Petite et svelte, cette brunettete plaît.

Serge, au milieu d’une table remplie de circuits et de morceauxde viande, te demande de te rapprocher.

— C’est confirmé, Guy. Un virus s’est attaqué aux neuro-carburateurs de l’auto de Garcia, explique-t-il. En quelques heures,les tendons de transmission sont devenus de la sloche.

— Yolanda, dis-tu en la dévisageant, sais-tu si la Société del’assurance automobile a dit quelque chose?

Ta mère est un vieux charpar Juan MUNOZ

Valérie Bédard

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— Oui, monsieur. Ils viennent de répondre que si un véhiculen’est pas en circulation, ce n’est plus de leur compétence.

— Et d’après eux, on s’adresse à qui ?— Système biologique… ministère de la Santé.— Et eux, qu’est-ce qu’ils disent ?— Ils délèguent une première enquête au ministère de la

Technologie.— C’est-à-dire nous ! s’exclame Serge.— Et si on attrape Ramirez, on a affaire à l’Immigration?Tu ricanes, puis tu t’en vas.

Des bandes d’yeux-média survolent les rues. Il tombe uneneige fondante jaune. Tu t’approches du Marché Jean-Talon, duCabaret Medellín. Tu stationnes la voiture.

— Qu’est-ce qu’on fait ici, Guy? demande-t-elle d’une voixde tas de ferraille, rauque, berçante.

— On dit que la blonde de Ramirez travaille ici, tu réponds ette débranches rapidement pour qu’elle mette fin à son protocolede stationnement.

Tu traînes entre les gens qui regardent les danseuses. Le barmanne dira rien si tu ne lui fais pas chanter une cumbia. L’aguasca,l’aguardiente mescalinisée qu’il prépare, n’a rien de légal dansune zone partiellement libre, il suffira d’y mettre l’emphase.

— Ils servaient de l’aguasca dans le Villanueva Night. Lestireurs se sont câlissés du décor et des lois des enclaves ethniques…

— Que veux-tu, le tombo ?— Parler à la blonde de Ramirez.— Ah, il veut voir l’Exotica ! crie un nain qui descend d’un

fil élastique et prend un verre d’aguasca.— Cherche-la dans les chambres aux sofa-sûtras, répond le

barman, l’air fatigué.Le nain fait un clin d’œil et remonte comme les araignées.

Assis sur des canapés rouges et vagissant de plaisir, hommeset femmes se laissent transporter par les pensées des filles del’autre côté de la vitre. Tu traverses la pièce en cherchant la cabined’Exotica. Tu trouves un adolescent roux jouissant devant lespénombres. Tu lui ordonnes de foutre le camp.

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L ’âge d ’ orTout le monde sera beau, d’une beauté blonde et lumineuse

comme un jour d’été sans fin. Tout le monde sera jeune et maigre,et l’on veillera à ne plus calculer les années ou les siècles decrainte de réveiller les souvenirs d’une époque hantée par lesaffres du vieillissement. Demain arrivera sans jamais faillir, etles gens s’appelleront Brad61, Paméla72, Antonio43 ou Vanessa90.On dévorera les secondes, les minutes et les heures, assis et im -mobiles, les sens branchés sur le monde virtuel et la communicationinstantanée. Brad61 ne caressera jamais la main de Paméla72, etVanessa90 ne goûtera jamais les lèvres d’Antonio43. Les contactsréels devenus avec le temps rarissimes, la seule présence physiquede l’autre donnera la nausée.

Futurs empoisonnéspar Michel LAMONTAGNE

Valérie Bédard

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S O L A R I S 18990

Paras i t esLes individus parasités passeront presque inaperçus. Voisins

ou collègues de travail se contenteront de les trouver un peufroids et taciturnes. Pour le reste, ils vivront seuls et mènerontune existence sans histoire. Une autopsie montrera, à la place deleur cerveau, une masse dure et grise, faite d’une matière lourded’aspect minéral : le nid. Sa surface sera parsemée d’une multi-tude de petits orifices où logeront des insectes ressemblant à deminuscules fourmis. Ces organismes seront responsables de l’ac-tivité cérébrale de l’hôte. Télépathes, ils formeront ensemble unréseau pensant, un moi rudimentaire capable d’activer le systèmenerveux primaire et de fonctionner en société. Bien entendu,cette personnalité factice présentera des capacités intellectuelleslimitées, voisines de l’idiotie. Elle sera tout de même capable deréagir à l’appel de son nom et d’aligner quelques phrases senséesdans une conversation. Dotée de capacités motrices hors pair,elle excellera dans toute forme de travail exigeant des gestesrépétitifs.

La grande valeur des nids sur le marché noir excitera la con -voitise de certains individus sans scrupules. Une chasse sanglantes’enclenchera avec son lot de victimes innocentes, des gens cibléspar erreur à cause de leur stupidité ou de leur froideur. Les plusbelles prises se vendront à prix d’or à de riches collectionneurs.Les autres seront broyées et réduites en une poudre grise réputéepour ses puissantes vertus aphrodisiaques.

Rel ig ionUn soir d’été, chaud et humide, l’étranger arrivera dans la

ville. Les citadins remarqueront sa peau basanée, sa barbe malrasée, et se diront : « J’ai l’impression de connaître cet homme. »Ils noteront aussi son accent texan, ses lourdes bottes de cow-boy et son chapeau à large rebord dissimulant ses traits dans uneombre inquiétante. L’étranger traînera le jour dans les rues etdormira la nuit à la belle étoile. Dans ses maigres bagages, ilconservera précieusement un exemplaire usé de la Bible, uneballe de fusil et une photo ancienne montrant une jeune femmeau visage doux et souriant. L’étranger parlera en paraboles. Ellesauront pour décor le Far West américain, mythique et sauvage.

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La Machine chicoutimienne à remonter le temps

par Claude JANELLE

Suzanne Morel

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D u 24 au 26 octobre dernier, j’ai assisté à Chicoutimi au col-loque « C’était demain : anticiper la science-fiction en Franceet au Québec (1890-1950) ». Ce colloque faisait suite à celui

qui avait eu lieu l’année précédente à Bordeaux sur la période1950-2010.

Il faut souligner en premier lieu le travail formidable du comitéorganisateur et scientifique composé de Natacha Vas-Deyres (Uni -versité Michel de Montaigne Bordeaux 3), de Patrick Guay (Universitédu Québec à Chicoutimi) et de Patrick Bergeron (Université duNouveau-Brunswick, Fredericton). Le programme, réparti sur deuxjournées et demie, était copieux et richeen nutriments culturels : vingt-deuxcommunications auxquelles ont con -tribué vingt-quatre universitaires etchercheurs, deux d’entre elles ayant étéprésentées en tandem. La délégationeuropéenne, essentiellement française,comptait quinze membres.

J’ai été particulièrement impres-sionné par la vivacité d’esprit deNatacha Vas-Deyres qui, à la fin dechaque bloc de trois communicationsd’une durée de vingt-cinq minuteschacune, grâce à son remarquablesens de la synthèse, établissait des liensentre les di verses thématiques abordéeset éclairait les communications parses commentaires pertinents.

Je ne résumerai pas l’ensemble des conférences, ce serait troplong et, surtout, j’en serais incapable tant certaines présentationsétaient denses et demandaient une grande concentration. Aprèsquatre ou cinq heures d’écoute, l’attention se relâche… Dans ce genred’exercice, se limiter à une œuvre ou à un auteur se révèle souventun choix judicieux puisque l’accessibilité de l’exposé et sa rétentions’en trouvent accrues. Je vais donc m’en tenir principalement auxparticipants québécois et rendre compte, bien sommairement, dessujets d’étude qui m’ont le plus intéressé. J’assume pleinement masubjectivité et mon inculture en ce qui concerne les œuvres descience-fiction française de la période 1890-1950.

À certains égards, ma participation au colloque m’a rappelé monpremier congrès Boréal à Chicoutimi, en 1979. Hier comme aujour-d’hui, une immersion dans un corpus d’œuvres dont j’apprendsl’existence. Bien sûr, Jules Verne et René Barjavel me sont des

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Patrick Bergeron et Natacha Vas-Deyres

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noms familiers, mais qui connaît Camille Flammarion, Paul d’Ivoi,Jacques Spitz, José Moselli, Henri-Jacques Proumen, Régis Messac,Han Ryner, Claude Farrère et Léon Groc ? Comme dirait l’autre – etde cet Autre, il a été grandement question au cours de ces trois jours caril peut prendre différentes formes : « Ça manque à ma culture. »

Pourtant, voilà autant d’auteurs donc les œuvres, parfois tout justeévoquées, parfois soigneusement analysées, ont contribué, par leurapport parfois modeste et méconnu, à la constitution d’un courantde pensée : la célébration des bienfaits de la science, par exemple.

Mais est-il exact de parler de science-fiction en 1890 ou audébut du XXe siècle ? Ce serait un anachronisme en effet car leterme a été inventé dans les années 1920. Aussi a-t-on utilisé plu-sieurs termes pour désigner ces œuvres qui intègrent une réflexionscientifique – parfois sans fondement scientifique – afin de proposerune représentation de l’avenir de l’humanité ou une autre lecture dela réalité : roman scientifique, voyages extraordinaires, proto-science-fiction, roman d’hypothèses, roman de merveilleux scientifique.

Dès qu’on étudie et circonscrit un genre littéraire, on est con -fronté tôt ou tard aux problèmes des définitions. Des textes d’opinionou empruntant la forme de l’essai peuvent éclairer les œuvres descience-fiction mais cela n’en fait pas pour autant des œuvres d’ima -gination. En ce qui concerne le corpus québécois de SF, il est tentantd’annexer ces textes, compte tenu de la petitesse du corpus – dumoins, la partie exhumée – comparativement à l’abondance de laproduction en France pour la même période. C’est d’ailleurs l’unedes constatations que le colloque a mises en lumière : le fossé abyssalqui sépare le Québec de la France, non seulement en ce qui concernel’étendue des corpus respectifs, mais aussi l’articulation d’un discoursscientifique et la capacité de transcender le réel pour anticiper diffé-rentes incarnations de l’altérité.

La figure centrale de ce colloque auraété, pour moi, Jacques Spitz qui a faitl’objet de deux communications et dont lenom a été mentionné à maintes reprises.Patrick Guay, qui a fait sa thèse de doc-torat sur l’auteur, a présenté le person-nage et exposé le rapport conflictuel queSpitz entretenait avec le roman et lascience-fiction. Grâce à l’étude de sonjournal intime dans lequel Spitz exprimesa compréhension de la place qu’il occupedans le champ littéraire de son époque,Guay a soutenu que le vi rage générique

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Patrick Guay

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Le Vatican et nos frèresextraterrestres

par Mario TESSIER

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D’autres, on s’en doute, ont peur que la traversée de l’espace,et, par-dessus tout, le contact avec des races intelligentes, maisnon humaines, puissent détruire les fondements de leur foireligieuse. Ils ont peut-être raison, mais dans tous les cas, leurattitude ne supporte pas l’examen car une foi qui ne peut survivreà une collision avec la vérité ne vaut pas beaucoup de regrets.

Arthur C. Clarke, L’Exploration de l’espace

M a petite enfance fut marquée par l’hégémonie de l’Églisecatholique, qui régnait encore en maître sur la Belle Province.Les écoles lavalloises étaient sous la coupe des bonnes sœurs

de la congrégation de Sainte-Croix (et je me rappelle des coups derègle de sœur Berthe), nous allions à la messe tous les dimanches, lesciné-clubs subissaient l’emprise des soutanes, et la littérature jeunessed’alors se trouvait sous l’imprimatur des autorités religieuses. La révo -lution tranquille devait balayer tout cela – bon débarras ! – mais jesuppose qu’il me reste un fond de religiosité catholique me poussantà m’intéresser à des questions doctrinales quilaissent sans doute les plus jeunes d’entre nouss’interroger sur le bon sens de leurs aînés.

J’ai grandi à l’ère de l’exploration spatialeet je savais qu’éventuel lement les astronautesde demain rencontreraient les curés d’hier.Déjà, dans certaines de mes lectures de science-fiction, je découvrais des hommes de foi qui,face aux nouvelles questions que posait ladécouverte des mondes de l’espace, semblaientaux prises avec les convictions traditionnellesde leur credo1. Et la majorité de ces croyantsétaient des catholiques comme, par exemple,le père John Carmody dans les histoires dePhilip J. Farmer, le père Ruiz-Sanchez (jésuite)dans Un cas de conscience, le Dr Chandler(un autre jésuite) dans « L’Étoile » d’ArthurC. Clarke, le frère Francis Gérard, de l’ordre(fictif) albertien de Saint-Leibowitz, dans Uncantique pour Leibowitz de Walter MillerJr., et bien d’autres encore (voir encadré 1).

(Ne nous étonnons pas que les catholiquessoient régulièrement choisis comme prota-gonistes – même par des auteurs anglophoneset de confession protestante – car la réflexionthéologique des pères de l’Église se révèle plusancienne et profonde que celle de l’Église

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réformée, et ses multiples penseurs montrent une diversité d’opi-nions que le dogme traditionnel ne laisse présumer au premierabord. Évidemment, il y a aussi le prestige de l’uniforme…)

Mais si le XXe siècle a vu la science-fiction se délecter de récitsmettant en scène voyages spatiaux et extraterrestres, les autoritésecclésiastiques ont été curieusement silencieuses sur le sujet. Sansdoute trouvait-on ces balivernes de paralittérature trop insignifiantespour un examen sérieux. Bien que le débat entourant la vie dansl’univers se soit accru en intensité dans la communauté scientifiqueà la fin du XIXe siècle, à peu près aucun philosophe après Schopenhauer,si l’on fait fi de quelques exceptions comme Henri Bergson, ne s’estréellement penché sur la question alors que celle-ci était vulgariséedans la culture générale.

Toutefois, cette situation évolue depuis une vingtaine d’années.Les astronomes de l’Observatoire du Vatican se sont lancés dans larecherche d’exoplanètes, des conférences sur l’astrobiologie se sontdéroulées à Rome, des commissions interconfessionnelles ont étémises sur pied (CIEUX: Comité interreligieux pour l’exploration del’univers et contre la xénophobie), et plusieurs ouvrages sur le sujetont été rédigés par des religieux. (L’ouvrage du frère et astronomeGuy Consolmagno sur la vie intelligente dans l’univers porte d’ailleursen couverture les armoiries du Vatican, un écusson sur lequel on re -trouve les clefs croisées de saint Pierre.) Les penseurs et philosophescatholiques ont ainsi commencé à se pencher sur la vie extraterrestreavec, semble-t-il, l’approbation papale.

Est-ce la découverte d’une multitude d’exoplanètes lointaines,la flotte de rovers martiens chargée de détecter la vie sur la planèterouge, ou l’existence potentielle de microbes martiens sur la météoritemartienne ALH-84001 en 1996, qui poussent les théologiens à s’in-téresser à l’espace ? Ce serait plaisant de penser que ce sont cesrécentes avancées de la science qui ont inspiré ces réflexions spiri-tuelles. Mais certains croient plutôt que cette ouverture du Saint-Officedécoule plutôt de l’influence de monseigneur Corrado Balducci(1923-2008), théologien membre de la Curia du Vatican, qui setrouvait à être également un proche du pape Benoît XVI. Balducci,un exorciste de longue date de l’archidiocèse de Rome et un prélat dela Congrégation pour l’évangélisation des peuples et de la sociétépour la propagation de la foi, est apparu à la télévision italienne àplusieurs reprises pour parler d’extraterrestres. En effet, il croyaiten l’existence de la vie extraterrestre et affirmait que Rome étudie laprésence de ces êtres à partir de ses nonciatures ; une situation appa -remment confirmée par l’archevêque Celestino Migliore, ancienobservateur permanent du Saint-Siège à l’ONU. Ce ne serait pas la

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ENCADRÉ 1

Le catholicisme et la science-fiction

Je suis plutôt incliné théologiquement… et les thèmes théologiques,sous des néologismes de science-fiction, apparaissent dans la plupartsinon la totalité de mon écriture.

Philip K. Dick, Lettres choisiesLa science-fiction a exploité diverses religions; par exemple, le boud -

dhisme et l’hindouisme avec Seigneur de lumière (1967) de RogerZelazny de même que Les Fontaines du Paradis (1978) d’Arthur C.Clarke, le gnosticisme avec la trilogie de Valis (1980)de Philip K. Dick, l’Islam avec Dune (1965) de FrankHerbert, le taoïsme avec Celestial Matters (1996)de Richard Garfinkle, etc.

Mais c’est sans doute le catholicisme qui a inspiréle plus grand nombre de récits, ne serait-ce que parceque certains groupes religieux, comme les jésuites etles dominicains, ont une histoire intéressante, ou parceque les dogmes traditionnels offrent des matériauxpassionnants à explorer et décortiquer. Notons que lesjésuites furent de grands savants et qu’ils marquèrentl’histoire de l’astronomie, de l’époque de Galiléejusqu’à aujourd’hui. (Près de trente cratères lunairesportent des noms de jésuites astronomes.) De plus,ils furent également à l’origine de plusieurs missions enterre païenne – notamment en Chine et en Amérique du Sud – et tentèrentd’adapter les scénarios classiques de l’évangélisation chrétienne et lesrites de l’Église aux réalités culturelles des autres civilisations.

Par exemple, la thématique de la foi versus la raison permet defaire ressortir le drame intérieur du croyant, que les cruelles vérités del’univers forcent quelquefois à de déchirantes abjurations. C’est le casdu père jésuite Émilio Sandoz dans Le Moineau de Dieu (1996) deMaria Doria Russel. Dans ce roman, une mission de la Compagnie deJésus est chargée d’entrer en contact avec des extraterrestres à l’origined’un signal musical, détecté en 2019. Toutefois, ce premier contact avecla planète Rakhat se terminera par un désastre pour l’équipage terrien.

Il en va de même dans la rencontre entre les humains et les extra-terrestres de la planète Lithia, dans le roman célèbre de James Blish,Un cas de conscience (1958). Lithia est un monde idéal où vivent enparfaite harmonie de grands sauriens doués d’intelligence. Il n’existedans ce jardin d’Éden d’outre-espace aucun ordre social contraignant,ni aucun système politique ou système moral. Cette situation trouble auplus haut point le père Ruiz-Sanchez, un jésuite exobiologiste, qui constateque ces créatures ne connaissent ni le mal ni aucune déité. Ce mondeest-il la création de Dieu ou du Diable? La réponse finale qu’apporterale père Ruiz-Sanchez demeure ambiguë.

Une œuvre où les symboles et les tropes du catholicisme sont parti -culièrement bien intégrés à l’intrigue et aux personnages est le cycledes Cantos d’Hypérion de Dan Simmons. Dans le premier volume,

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Hypérion (1989), nous faisons la connaissance des pères Paul Duré etLenar Hoyt, deux des quelques milliers de prêtres restés fidèles à l’Églisecatholique romaine, à la recherche de la civilisation légendaire desBikuras. Ces derniers sont la proie d’un parasite, le cruciforme, qui,après la mort du porteur, reconstruit son corps et réincarne l’individudans un nouveau corps physique. L’évolution du cruciforme aura uneimportance cruciale pour l’Église ainsi que pour l’humanité. Mais ilsera également l’instrument de la perte des deux jésuites.

Il va sans dire que les doctrines sacrées du christianisme ont faitl’objet de romans à tout le moins blasphématoires pour un vrai croyant,

comme Voici l’homme (1968) de Michael Moorcock,où le mystère de l’Incarnation est mis à mal.

Notons aussi le cycle de nouvelles de Philip J.Farmer, publié dans le recueil La Nuit de la lumière,et mettant en vedette le père John Carmody, un ancienmercenaire et meurtrier converti à la vraie foi. Sesaventures sur diverses planètes lui font rencontrer lescréatures les plus improbables et affronter de redou-tables problèmes théologiques concernant le mystèrede la foi, le salut et l’immortalité de l’âme.

Nous pourrions encore énumérer un grand nombred’exemples où le clergé de l’Église catholique romaineconstitue le pivot central de l’intrigue de romans et denouvelles de science-fiction mais l’espace nous estrestreint ; songeons seulement à la cérébrale nouvelle

– mais terrifiante dans ses implications – d’Arthur C. Clarke « L’Étoile »(1955), «  Inherit the Earth » (1992) de Stephen Baxter, le petit bijoud’Anthony Boucher, « À la recherche de Saint Aquin » (1951), Le On -zième commandement (1970) de Lester del Rey, le Projet Vatican XVII(1981) de Clifford D. Simak, etc.

En conclusion, citons le roman de Walter M. Miller, Un cantiquepour Leibowitz (1959), qui offre une image fort positive du long labeurdes clercs et de l’Église catholique. Car, tout comme au Moyen-Âge,les monastères sont les rares institutions à conserver les bribes du savoirdans un monde post-apocalyptique. Après la dévastation atomique, quel’on blâme sur les savants, il appartiendra à ces pieux serviteurs deDieu de préserver la science et de faire fructifier cette petite collecte deconnaissances pour des époques plus éclairées.

Ite in pace. Dominus vobiscum.

À lire aussi sur le sujet :Thomas Bertonneau et Kim Paffenroth, The Truth Is Out There: Christian

Faith and the Classics of TV, Ada (Michigan), Brazos Press, 2006,272 p.

Gabriel McKee, The Gospel according to Science Fiction : From theTwilight Zone to the Final Frontier, Louisville (Kentucky),Westminster John Knox Press, 2007, 312 p.

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parChristian SAUVÉ

L’horreur au service des plus jeunesLa rédaction de cette chronique de «  Sci-néma  » se fait au

moment où les rues sont remplies de fantômes, vampires, loups-garous et autres monstres sortis de nos cauchemars. Ainsi va la viele 31 octobre, jour où l’effroi devient autant objet de dérision quede célébration. À voir la façon dont l’imaginaire horrifique est réu -tilisé à des fins ludiques, voire commerciales, à chaque Halloween,on se prend à admirer la capacité humaine à apprivoiser ses pirescraintes. Un constat similaire s’impose en voyant que pas moins detrois comédies animées pour jeunes parues récemment sont presqueentièrement construites à partir d’éléments appartenant à l’origineau domaine de l’horreur.

Le plus purement ludique de ces trois films est sans doute HotelTransylvania [Hôtel Transylvanie], une comédie proposant commepoint de départ que Dracula est devenu un hôtelier qui entretientune station de vacances située loin du reste du monde, lieu où tousles monstres sont les bienvenus. Sa vie est surcompliquée par le faitque, devenu veuf et père d’une fille, il cherche à la protéger contreles dangers du monde extérieur. L’intrigue commence lorsque l’ado -lescente se rebelle et cherche à quitter les lieux, au moment mêmeoù un humain qui a perdu son chemin se présente à l’hôtel.

On découvre vite qu’aucun danger ne menace l’humain quis’aventure chez eux, car les monstres sont tous uniformément sym-pathiques : différents, mal compris, et traumatisés d’avoir été systé-matiquement pourchassés par des foules en colère. Quand ils seréunissent à l’hôtel Transylvanie, c’est pour faire la fête. Lorsqu’ils

Sci-néma

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finissent par s’aventurer en territoire humain, ils sont surpris devoir qu’ils sont maintenant perçus sous un meilleur jour que jadis.

Malgré son thème associé à l’horreur, Hotel Transylvania s’im-plante donc franchement en territoire comique, et – à l’instar de laplupart des films d’animation contemporains – ne se prive pas denuméros musicaux ou de scènes d’action dynamiques. Les adultesconnaissant leur filmographie horrifique souriront souvent. On yretrouve même une certaine profondeur sur le plan des sentiments,Dracula veuf s’avérant un père attentionné pour sa fille. Et quand larébellion de l’adolescente alimente le moteur de l’intrigue, celle-cidoit apprendre à comprendre le désir de protection de son père, enautant que celui-ci accepte qu’elle puisse un jour voler de ses propresailes (de chauve-souris). Si Hotel Transylvania ne creuse pas vrai-ment plus loin, il n’en demeure pas moins que le résultat global estfort sympathique.

On retrouve un peu moins de comédie et un peu plus de drameau cœur de Frankenweenie [v.f.], film d’animation image par imagede Tim Burton. Ici, la sombre prémisse du film concerne un enfantqui ressuscite, à la Frankenstein, son chien décédé des suites d’unaccident d’auto. Si le « Sparky » réanimé semble à peu près normal,tout se complique quand d’autres enfants décident de reprendrel’expérience avec leurs propres ex-animaux de compagnie. Les chosestournent mal et bientôt c’est toute leur paisible banlieue qui estmenacée par des animaux domestiques morts-vivants.

Adapté de deux courts-métrages réalisés par Burton en début decarrière, il ne faut pas être surpris si Frankenweenie effectue unretour aux thèmes, obsessions et images de l’époque burtonienneclassique. L’esthétique goth-banlieusarde y est forte, au point quecertains plans auraient pu être repiqués d’Edward Scissorhands.

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Par l’entremise de son jeune protagoniste enthousiaste, Burton sepermet également un hommage à sa propre expérience de cinéaste –le film est d’ailleurs plein de références culturelles tirées de l’his-toire du cinéma d’horreur, allant de Frankenstein jusqu’aux kaijus.Frankenweenie n’est pas qu’une série de gags et de clins d’œil :l’émotion est aussi au rendez-vous – surtout pour ceux qui s’attachentà leurs animaux domestiques. Pour les amateurs de Burton, rienn’est particulièrement neuf, mais la qualité de l’exécution compenseabondamment le sentiment de déjà-vu.

Pour un peu plus d’originalité, on ira du côté de ParaNorman[v.f.], un film qui débute de manière presque tout aussi burtonesqueque le précédent, mais qui va peu à peu se forger une identité propre.Le tout commence par la présentation de Norman, un fan de filmd’horreur dont la perception du monde est dramatiquement altéréepar un pouvoir fort particulier. En effet, il voit les fantômes de ceuxqui, pour une raison ou une autre, ne peuvent se libérer du monde desvivants. Il discute avec sa grand-mère décédée (qui reste à la maisonpour veiller sur lui), voit les victimes d’accident en chemin versl’école, et se verra chargé d’une mission par un oncle fraîchementtrépassé : réciter un passage de livre occulte pour libérer sa ville dufantôme d’une sorcière vengeresse.

Les premières minutes de ParaNorman pourront rebuter cer-tains. L’esthétique du film n’est pas immédiatement plaisante et lescénario débute de manière bien ordinaire. Heureusement, l’histoiretrouve son rythme de croisière une fois passé le premier tiers, alorsque Norman et ses amis tentent d’élucider le mystère des originesde la sorcière maléfique, et commencent à lutter non seulementcontre elle, mais aussi contre les habitants de la ville qui se sont

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Héloïse CôtéLes Voyageurs T.1 : Le Frère de Lu -mièreLévis, Alire (Romans 154), 2013, 461 p.

Le peuple de la Lumière s’apprête,grâce à sa connaissance des Portes deLumière, à quitter une fois de plus lemonde où il s’était établi : les Ombresqui les pourchassent depuis des millé-naires sont en effet en train de venir àbout de leurs efforts civilisateurs sanscesse renouvelés de monde en mondesur les peuples indigènes : les Daëls dece monde-ci, en particulier, retournentà la barbarie, aiguillonnés par le cultedu dieu Daëlran qui dénonce les « En -flammés » (nom donné par les Daëlsaux Voyageurs) comme la cause detous les maux dont ils souffrent. Maiscertains se souviennent encore d’untemps où les Voyageurs étaient révérés.

C’est le cas de Licien, un adolescentdaël enfermé dans un monastère deDaëlran pour y déchiffrer les nombreuxouvrages que les « Enflammés » ontdonnés au fil des siècles aux indigènes,car son grand-père lui a enseigné leurlangage, appris lors de son long séjourparmi eux. C’est aussi le cas de Maris,une Daëlle de noble origine qui a au -trefois rencontré un Voyageur, Enan,pour connaître avec lui une brève maisintense relation amoureuse. Hélas, lecontact physique avec les Voyageurslaisse sur la peau des humains une indé -lébile marque bleue qui les signale à lahaine des fidèles de Daëlran, et Maris

est devenue une hors-la-loi dure-à-cuire au fil de ses errances pour retrou-ver Enan. Elle n’est pas la seule à lechercher : la jumelle de celui-ci, Neros« Celle-qui-rassemble », au pouvoir ap -paremment très puissant mais encoreen voie de développement, refuse dequitter sans lui le monde des Daëls,contre la volonté de ses parents. C’estaussi contre ses parents que se révolteGanelan, un jeune Voyageur, sa mèreen particulier, fort peu aimante, et quil’empêche d’apprendre ce qu’il penseutile à son éducation de Voyageur. Il aperdu deux objets précieux qu’il doitaller reprendre, malgré les dangers quile menacent – le moindre n’étant pas,comme pour tout Voyageur, l’emprisedes Ombres de plus en plus puissanteset qui se nourrissent de toute émotionnégative : la colère et le ressentimentde Ganelan en font une proie tout of -ferte…

Les trajectoires de ces personnagesvont bien entendu se croiser et le petitgroupe hétéroclite ainsi formé va con-naître bien des aventures, entre l’ani-mosité brutale des Daëls et la chassesans répit des Ombres – qui semblentsinistrement intéressées par les jumeauxNeros et Enan, tout comme par Ga -nelan. À la fin de ce premier volume,les Voyageurs ont quitté le monde desDaëls – sauf sans doute les parents deNeros dont le père aimant veut at -tendre jusqu’à la dernière minute dumois accordé à sa fille pour retrouver

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volumes à paraître en 2014 (un indexdes personnages, à la fin, est d’ungrand secours pour le lecteur égaré).Le montage alterné de tous ces pointsde vue donne au récit un rythme sou -tenu et palpitant, tandis que les périlsvont croissant. Des petits retours enarrière ponctuels, au présent, four-nissent sans douleur ici et là les infor-mations nécessaires tout en situant lespersonnages. Car malgré l’action trépi-dante, ce sont les interactions de ceux-ci, leurs motivations, leur psychologie,qui dynamisent réellement le récit. Parailleurs, le propos de Côté n’est pas lesimple et banal affrontement du Bienet du Mal comme il pourrait le semblerà la lecture du résumé. Les projetsutopiques sans cesse contrariés desVoyageurs apparaissent de plus en plusambigus et discutables à mesure quela lecture progresse, et le couple qu’ilsforment avec les Ombres de moins enmoins élémentaires.

L’opinion des divers personnagessur eux aussi bien que sur les Daëls, etleurs comportements souvent négatifsles uns envers les autres suscitent laréflexion et permettent au lecteur deprendre une distance certainementvoulue quant aux assertions et valeursdes uns comme des autres, le pré-parant à une suite où interviendrontsans doute des retournements et ajus -tements bienvenus. L’écriture est assezhabile pour nous mener sans trop pré -venir – je n’ai quant à moi eu de pro -blème qu’avec certaines chutes deregistre linguistique, et surtout avecune description parfois source de con-fusion des relations temporelles entreDaëls et Voyageurs. Ceux-ci vieillissentbeaucoup plus lentement que ceux-là,et une année de Voyageur est psycho -logiquement (et biologiquement) l’équi -valent d’un jour daël – mais je l’ai luau début comme un différentiel factuel(« un an égale un jour », dit le texte),

son jumeau –, et Ganelan a été séparédu groupe et essaie de le rejoindre.Gageons qu’il y parviendra, mais cer-tainement pas sans difficulté. Et quellesautres révélations stupéfiantes les at -tendent, Neros, lui et leurs compa gnonsdaëls ? Car l’affrontement millénaireentre les Ombres et les Voyageurs n’estpas aussi simple qu’il le paraît – lavéritable identité de Daëlran, quelleest-elle? Et les Voyageurs sans Lumièrequi aident Neros en cachette des autres,qui sont-ils ? Et…?

Le premier volume de la nouvelletrilogie d’Héloïse Côté s’avère am -bitieux aussi bien dans son intrigueque dans sa construction. En effet,comme on a pu en juger ci-dessus, onn’a pas moins de quatre personnagesprincipaux, chacun pourvu de sa propreintrigue – et une bonne demi-douzained’autres jouant un rôle important etqui sera peut-être amené à le devenirplus encore dans les deux prochains

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et j’ai donc pensé que le temps passeplus vite pour les uns que pour lesautres, ce qui n’est pas le cas. Peut-être est-ce l’inflexion de cette fantasyvers l’atmosphère de la science-fiction(en particulier les intentions civilisa -trices utopiques des Voyageurs) qui m’afait rencontrer ce problème de lecture« au pied de la lettre » (Science-fantasy?Vous avez dit science-fantasy?). Il seraintéressant de voir si les futures partiesde l’histoire continuent à dériver de cecôté.

Élisabeth VONARBURG

Ariane GélinasLes Villages assoupis T.2 : L’Île auxnaufragesMontréal, Marchand de feuilles (Lycan -thrope), 2013, 172 p.

La présence de pétrole sur Anticostitout autant que l’acte manqué entourantla vente par Hydro-Québec, à des prixdérisoires, de ses droits d’exploi tationà des intérêts privés vient oc culter, chezune large frange de population indignée,tout le charme sauvage de cette îlesituée à l’embouchure du Saint-Laurent.Tout chasseur sportif natif de la BelleProvince l’affirmera sans détour : lesforêts giboyeuses d’Anticosti en fontun décor inspirant, ce qu’a justementcompris Ariane Gélinas. Celle-ci nouslivre d’ailleurs, dans le second opus deson triptyque des Villages assoupis,une peinture glorieuse de ces boiséstouffus, parfois marécageux, qui sedressent au-dessus des falaises et destraîtres récifs où se sont échoués bonnombre de navires – environ quatrecents, nous rappelle l’auteure, funestestatistique qui donne au passage sontitre au roman.

L’Île aux naufrages nous transportedans l’univers du comte Florian Morel,personnage de noble ascendance dont

l’opulente demeure n’a d’égale que lasuffisance de son maniérisme archaï-sant. Le village fantôme d’Edelweissoù se situe le manoir est à l’image dela vie menée par Florian : enfermé dansla solitude du souvenir d’un passé plusfaste, dans le silence de l’abandon quene font qu’accentuer les menus travauxeffectués par Lorédan, son domestique;lequel, l’espace d’une nuit, deviendrason amant. Entre ses parties de chasseet ses meurtres occasionnels, pratiquesde la mort qui obéissent à une traditionfamiliale dont la rigidité se fait l’échode celle des cadavres artificiellementtétanisés en une « salle aux trophées »par la taxidermie habile du protagoniste,Florian rêve d’un remariage avec unebelle qui serait la copie de sa défunteépouse, laquelle, avec son propre père,constitue la pièce maîtresse de songrotesque musée où se confondenthumains et animaux. S’organise alorsune réception auquel il espère convier

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John ScalziRedshirts : au mépris du dangerNantes, L’Atalante (La dentelle du cygne),2013, 335 p.

Redshirts… pour tout fan du vieuxStar Trek « Classique », la référence estévidente (et la couverture, rouge, avecdes silhouettes couronnées par un logofuselé très reconnaissable, renforce l’al-lusion) : il s’agit des fameux gars enuniformes rouges. Ces personnages quin’ont pas d’identité, juste un nom, pasde passé, pas de vie… tout simplementparce qu’ils sont là pour se faire mas-sacrer au premier gros danger à la placedes personnages principaux. Imman -quablement, nous voilà dans le présup-posé de Galaxy Quest, autre excellenteparodie, cinématographique, de l’universTrek : « Guy : je suis pas censé être là.Je suis juste le membre d’équipage nu -méro 6. On peut disposer de moi. Jesuis le type qui meurt dans l’épisodepour montrer à quel point la situationest sérieuse. Je dois sortir d’ici ! »

Redshirts c’est une parodie intelli-gente, bourrée d’humour. Mais pas seu -lement. Car les jeunes recrues nouvel -lement arrivées se posent la questionde cette mortalité inquiétante (statis-tiques à l’appui), surtout qu’elles sontconcernées au premier chef. Aprèsquelques missions, un schéma commenceà apparaître : le commandant et sonofficier scientifique, le chef médecin, lechef ingénieur sont intouchables et s’ensortent toujours. L’astronavigateur, aunom vaguement russe, est souvent très

mal en point mais s’en sort toujoursmalgré tout et récupère très vite (auxportes de la mort un jour, sur le terraindeux jours plus tard…). Ceux qui l’ac-compagnent en revanche, c’est une autrehistoire. Ils se demandent commentsauver leur peau. Par exemple en décou -vrant ce qui se passe pour que les chancesde survivre soient toujours du mêmecôté. La réponse est édifiante… et pré -visible pour le lecteur. Mais la chutel’est beaucoup moins. Je vous laisse leplaisir de la découvrir.

Sous ses dehors comiques, Red -shirts propose au passage une mise enabyme de la création littéraire, écornetranquillement Hollywood et son petitmonde, et pose l’air de rien une réflexionsur le sens de la vie. Tout en faisant rirelargement au passage tant les allusionssont savoureuses. Rien que ça. Que de -mander de plus?

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sont protégés par des barbelés et desmercenaires étatsuniens. Le reste vit dansla pauvreté des bidonvilles très post-cataclysmiques, et vit des miettes quelaissent les riches. Et les jeunes richess’ennuient. Alors ils vont à la chasse. Ilsvont de nuit enlever des enfants depauvres, les tuent ou les torturent, maisen ramènent des trophées (une tête,une oreille, une main, etc.). Un couplede jeunes veut goûter à la beauté de lachasse. Ils se déguisent et s’encanaillent.Mais la réalité qu’ils affrontent n’estpas facile pour eux, et ils se rendentcompte de ce que signifie la loi de lajungle. Démasqués, ils sont à leur tourchassés, et peinent à se sauver et àrentrer dans leur tanière de riches.

Ce qui importe pour le lecteur occi-dental, ce n’est pas la qualité du style,qui relève ici plus qu’ailleurs de la tra-duction, ou l’inventivité de certainessituations, qui ne sont pas neuves. Cequi intéresse, c’est le regard que l’Égypteporte sur l’Occident et les États-Unis enparticulier. Ce décentrement du pointde vue est important, surtout pour leslecteurs de SF qui ont une certaine ha -bitude des univers futuristes. On y voitl’Égypte éternelle indestructible, maisprovisoirement gangrenée par la mon-dialisation qui la scinde en deux, et cetteséparation est défendue par des merce-naires étasuniens. Il s’agit, ici, d’unesimple constatation, mais romancée, dece que les Égyptiens, dans leur majorité,pensent. Ce roman laisse cependant en -trevoir quelques signes d’espoir, maisc’est de la part des gens du bidonvilleque se produisent les quelques gestesd’humanité.

Un livre à lire comme un objet exo-tique, curieux, et source d’étonnementpar endroits.

Roger BOZZETTO

Largement conseillé aux fans de StarTrek, particulièrement de l’ancienne série.Mais aussi à tout amateur de séries descience-fiction qui veut passer un excel-lent moment. J’ai eu du mal à arrêterma lecture, il se lit bien et d’une traitemalgré ses 300 pages… Après tout, cen’est pas si fréquent de rire dans la lit-térature de genres. Autant en profiter !

Nathalie FAURE

Ahmed Khaled TowfikUtopiaParis, Ombres noires, 2013, 181 p.

À ma connaissance c’est le premierouvrage égyptien sur l’utopie, du moinstraduit en français. Pourtant on saitqu’au Caire on publie au moins une col-lection SF, du type de l’ancien Fleuvenoir, avec toujours le même type descénario : les Étatsuniens veulent envahirl’Égypte et, après une victoire rapide dueà leur supériorité technique, ils sontobligés de s’enfuir car, sous les ordresd’un chef charismatique, les Égyptiensdétruisent l’envahisseur.

Ici, c’est un scénario différent. Noussommes dans une Égypte qui vit à deuxniveaux. Les villages/mondes des riches

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AyerdhalRainbow warriorsVauvert, Le Diable Vauvert, 2013, 523 p.

Geoff Tyler, général américain à laretraite, reçoit une demande un peuspéciale de l’ancien secrétaire généralaux Nations Unies, Koffane. Il lui pro-pose de rencontrer dans le plus grandsecret un groupe de milliardaires aty -piques qui veut renverser un état africainqui viole depuis longtemps les droits del’homme en général, et ceux des LGBT(lesbiennes, gays, bis et transsexuels)en particulier. Le but? Faire un exempleà l’échelle internationale.

Tyler accepte donc une mission appa -remment démente : investir le Mambési,destituer son dirigeant et dictateur avecune armée privée composée de seulementdix mille hommes et femmes, tous vo -lontaires et majoritairement d’orientationLGBT. Une fois ce gouvernement ren-versé, l’armée laissera ensuite la place àKoffane qui organisera un gouvernementde transition chargé de mettre en placela démocratie au Mambési…

Sur ce postulat quelque peu étonnant,Ayerdhal tisse une histoire qui va en -traîner le lecteur dans un thriller politiquecharpenté, basé sur des faits de politique-fiction qui dénotent une belle connais-sance des enjeux réels et très actuelsdans certains pays d’Afrique. Des idéa -listes fortunés veulent monter une révo-lution qui fasse un minimum de victimes.Soit. L’auteur joue alors avec les con-séquences possibles d’un coup d’Étatporté par des convictions morales fortesmais étrangères au pays où elles s’ap-pliquent. Dans un environnement piégépar la corruption, les rivalités tribales oude clan, sans compter celles des multi-nationales portées par les intérêts desanciens colonisateurs, dont la France –bien égratignée sur sa politique defrançafrique au passage – les belles idéesdes milliardaires survivront-elles à la

réalité de terrain?La mise en place est un peu longue

pour commencer, mais si le lecteur s’ac-croche un peu, il découvrira une palettede personnages où les LGBT sont campéssans caricature, avec un humour bienplacé et juste. Les personnages sontrapidement attachants (Jean-No et soncôté bouffon, Pilar la « Lara Croft » deservice, Fabienne et ses paras, Marco…)et le plus souvent mémorables, car trèshumains.

L’intrigue est bien ficelée et nousentraîne dans l’action. Les scènes lesplus dures ne sont jamais gratuites etillustrent simplement la réalité de laguerre. Espionnage, trahison, luttesd’influence des acteurs majeurs, poli-tiques et économiques, résument leslimites d’une action de ce type, mêmesi dès les prémisses, on se prend à rêverd’une révolution idéale. Une révolutionpour la bonne cause qui pourrait durer etétablir un précédent de paix. Ayerdhalnous remet cependant les pieds surterre assez rapidement et fait réfléchirquant à la validité même de cette inter-vention militaire pour la population locale.L’Occident décide, sans s’informer desbesoins de la population… et les liens

Page 49: LA SF AVANT LE VATICAN ET LES EXTRATERRESTRES · 2018. 4. 13. · Mario Tessier parle du Vatican et des extraterrestres, Christian Sauvé fait la revue du cinéma SF, et nos critiques

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