la saga des nibelungen

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De Laveleye, mile (1822-1892). La "Saga" des Nibelungen dans les Eddas et dans le Nord scandinave. Traduction prcde d'une tude sur la formation des popes nationales, par . de Laveleye. 1866.

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LES

EDDAS

I.'imllo. Tir tt 1.L1CI0H, TEHBOECKH0TEN 3,in,p;ssePire etC, me ou Fldjalt,

LA

SAGA

DES

NIBELUNGEN

LES

EDDAS ET DANS LE NORD SCANDINAVE

TUMfTIiiN PRiPL D*L"Nt: - ..JTliDE DES SIR LAFORMATION POPES NATIONALES PAU E. LE LAVELEYE

PARIS LIBRAIRIEINTERNATIONALE 4 5, BOULEVARD 1IONTMARIRE, 15 Au coin de ta rue Yivienne A. LACROIX, VERBOECKHOVEN ET O, DITEURS A BRUXELLES, AI.EIPZIOTA LIVOUHNE E 180(1

INTRODUCTION

LA FORMATION DES POPES NATIONALES ET LESORIGINES DUMBELCNGE-NOT (1)

La question des origines de lepope germanique a donn lieu en. Allemagne des dbats aussi instructifs et plus prolongs que celle des Certes, le pome origines de l'pope grecque. est loin de la perfection littdes Nibelungen raire de l'Iliade, et il n'offre point par cons(1) On peut consulter sur la question que nous traitons ici les ouvrages suivants : K. Lachmann. Atfmerkungen zu den Nibelungen und zur Klage. Wilhelm Grimm. Die deutsche Heldensage. A. Basimann. Die deutsche Hel-

INTRODUCTION. quent un intrt aussi gnral ne remontant que la posie pas une anmieux l'tude et des cette comme

mais, homrique; tiquit aussi recule, de la manire dont sources dont

il permet il a t compos sorti. Or,

il est

tude, dj intressante outre une vive lumire

en elle-mme, jette en sur un problme de la

de la litplus haute importance pour l'histoire trature et mme pour celle de l'esprit humain, savoir le mode de formation de l'pope, il ne faut pas nous tonner si ce dbat, continu n'a pas encore depuis plus d'un demi-sicle, du public d'outre-Rhin. lass l'attention Chaque anne veaux travaux chaque cendent sur ce sujet de nouparaissent remarquables; plus ou moins desd'infatigables champions de nouvelles

anne, dans la lice et se livrent

densage und ihre Heimat. 1857-1859. K. MulUnhoff. Zur Geschichte der Nibelunge-nt. 1854. Soltzmann. TJntersuchungen ber das Nibelungen-led. 1854. li. Kampf um der Nibelungenhort gegen Lachmann's nachtrtef. 1855. Max Bii/er. Zur Kritik der Nibelungen. 1855.

INTRODUCTION.

7

de joutes scientifiques. Dj deux gnrations savants se sont succd dans ces luttes persvrantes dont l'acharnement l'rudition, l'esprit les combats des rappelle vaguement le corps de hros grecs et troyons se disputant ou ceux des Btirgondes el des Amelungon sur le cadavre du margrave Pitiedisjr. von der Ce sont d'abord Zeunc, Hagen, Patrocle, Simmrock, A. von Schlegel, Grimm, P. C. Mller et bien d'autres encore; puis von L. Braunfels, A. RaszSchoenhulh, Spaun, mann, S. Eltmiiller, H. Fischer, Mllenhoff, Wilhelm Max Millier, Holtzmann, R von Lilienkron. tachanl texte, autres Rieger, les uns s'at fixer le Mone, Lange, Karl Lachmann, les illustres frres de

Zarncke, etc., les manuscrits, confronter

les passages expliquer les obscurs; scrutant les origines, cherchant dcouvrir le nom de l'auteur, dterminer le pays o est ne la tradition pique el l'volution On ferait une bibliothque ditions du Nibe-

qu'elle a accomplie. en runissant les diffrentes

8

INTRODUCTION.

les recherches, lunge-nt et les commentaires, les dissertations qui ont paru au sujet de ce soit pome, soit dans les ouvrages spciaux, dans des recueils priodiques. La premire publication d'un fragment des remonte dj plus de cent ans. Nibelungen Mais, habitue rserver toute son admiration franaise et pour celle de pour la littrature l'antiquit, l'Allemagne n'tait point prpare du dix-huitime sicle apprcier ce monument de l'antique gnie de la race germanique, dont la grandeur sauvage et les beauts incultes faisaient un si grand contraste avec les chefsd'oeuvre de Rome et de la Grce. Aussi ne

de pas d'abord toute l'importance comprit-on cette composition qui diffrait tant de celles qu'avait consacres le got classique. C'est seulement depuis le soulvement de l'esprit natiode Napolon, nal contre la suprmatie que la faveur du public s'est attache cette oeuvre des anciens ges, qui avait, aux yeux des bons patriotes, le mrite de peindre avec une grande

INTRODUCTION. vigueur

9

des et hroques les moeurs guerrires de l'empire romain. Mais, partir vainqueurs il n'est pas d'honneur de ce moment, qui ait Ce pome est demanqu au Nibelunge-nt. venu l'objet de la vnration de l'Allemagne, des fils de comme l'Iliade qui le considre A tous les degrs de l'enseignement, il est mis aux mains des lves qui l'tudient et en apprennent les par coeur les passages Teutsch. plus remarquables. et le commentent sits. L'art, Des professeurs dans les chaires l'expliquent des univer-

principaux souverains. ont consacr chaumire

son tour, s'est inspir de ses pisodes et en a orn le palais des Les savants des les plus renomms lui leurs veilles. l a pntr dans la

comme dans la depaysans et de mme que les chants meure des grands, la mort de Siegfried hroques qui clbraient ou la vengeance de Kriemhild rsonnaient jadis partout o l'on parlait l'un des dialectes du vieil ainsi de nos jours le Nibeidiome germanique, lunge-nl est devenu le patrimoine littraire 1.

10 commun de tous

INTRODUCTION. les peuples moderne. qui constituent

l'Allemagne Ce pome

occupe donc une si grande place dans la littrature allemande qu'il est d'un intmme l'tranger, de se rendre rt rel, compte des travaux rcents auxquels il a donn lieu. nt Le dbat n'est certes sur les origines pas puis, moins assez avanc pour que le public puisse se former une opinion sur ce sujet. Quand une du Nibelungemais il est du

question est bien pose, que tous les lments en sont connus et qu'ils ont t, pendant un temps d'un assez long, l'objet des tudes approfondies certain nombre que, dans est instruite. sence chent de bons esprits, on peut dire l'tat actuel de la science, la cause

Alors, il reste encore en prdeux ou trois systmes qui se rattaaux grandes vues philosophiques sur les le dveloppement de l'esprit rgissent de l'histoire; mais du et la marche sont prsents ces diffrents systmes manire assez nette pour qu'il soit

lois qui humain moins d'une

INTRODUCTION. possible juger. Pour de les exposer donner notre clairement travail et de

11 les

part solide et pour asseoir une base sre, nous serons oblig de jeter un coup d'oeil gnral sur la nature et la formation A son tour, 1tude des origines du JS'ibelunge-nt servira complter cette thorie, reste ncessairement assez vague, aussi longdans le temps qu'on avait born les recherches cercle des compositions Wolf avait homriques. ouvert la voie de ce genre d'investigations, on sait avec quel clat; des esprits avaient suivi, soit pour soutenir mais toute pour les combattre; tion ments ne pouvait historiques. aux lments suppler distingus l'y ses vues, soit de l'pope.

un point de dnotre jugement sur

leur pntraau dfaut de docu-

Quoi qu'on fit, on tait rduit de preuve tirs des pomes mmes et quelques rares indications empruntes aux sources Il tait donc extrinsques. bien difficile limite, dans une question ainsi d'arriver, des conclusions dcisives. Heureuse-

12

INTRODUCTION.

et l'examen plus approment, la connaissance fondis .des origines des popes nationales de l'Inde, de la Perse, du moyen ge et de l'Allemagne primitive ont rpandu un jour nouveau sur cet intressant pare. donne problme de littrature comOr, de toutes ces tudes, aucune ne des rsultats aussi importants que celle

de l'pope germanique. Ici, en effet, non seulement on possde un pome achev, le IS'ibcla mais de plus on peut suivre lunge-nt, marche de la tradition mille ans, depuis rat sous forme de chants pique pendant plus de l'instant o elle nous appalyriques, jusqu' en contes populaires

l'poque o elle se dissout qui continuent d'tre transmis la mmoire

d'ge en ge par rurales. On nave des populations

tant par les indications de peut reconnatre, l'histoire littraires, que par les monuments les diverses transformations on peut la voir natre les grandes invasions, se dvelopper en mme se temps que le gnie de la race germanique, a subies; trs probablement avant qu'elle

INTRODUCTION. confondre

13

migrer pays Scandinaves devant mais l'influence nanmoins

avec ses croyances religieuses, puis vers le nord, se rpandre dans tous les et enfin croissante survivre s'effacer peu peu du christianisme, encore jusqu' nos

jours dans les chants de Sigurd des les Faro. L'lude des origines du Nibelunge-nt, faite les travaux les plus accrdits de la d'aprs science allemande, peut donc offrir outre l'intrt qui lui est propre, un intrt plus gnral, car elle permet, comme nous l'avons dit, de contrler l'histoire de la formation de la dont posie pique, dire quelques mots. nous commencerons par

I La question de l'origine et de la formation des popes nationales (1), telle qu'elle est pose (1) Il faut entendre par popes nationales, celles qui, tout en ayant reu du gnie d'un seul homme leur forme dernire, ont cependant t conues et labores par les facults po-

U

INTRODUCTION.

nouvelle. Le dix-huilime sicle maintenant,est n'y avait point song. De mme qu'on se figurait volontiers que les religions taient inventes par les prtres pour exploiter la crdulit des peuples, que les socits avaient pour origine un contrat et que les langues taient le rsultat de combinaisons rflchies, ainsi on pensait alors que tout pome pique tait ncessairement d'un pote l'oeuvre tout individuelle plus ou moins inspir, qui avait su revtir des tiques de tout un peuple. Telles sont \'Iliade et le Nibehingent. Les pages qui suivent s'appliquent uniquement ces productions des temps hroques, et non aux pomes des temps littraires, commeYuide.Les potes qui composent ceux-ci s'inspirent ordinairement, il est vrai, des traditions lgendaires ou historiques, ainsi que l'ont fait Virgile et le Tasse, par exemple; mais ce sont eux qui crent les caractres et qui disposent l'action au gr de leur imagination. L'pope nationale est une oeuvrecollective et dmocratique. C'est le monument du gnie de tout un peuple qui parle mme au coeurdes classes les plus humbles. Le pome littraire est principalementune oeuvreindividuelleet aristocratique ; elle ne rvle que le gnie d'un pote et ne s'adresse qu'aux esprits cultivs. Cette distinction est indispensable pour qu'on n'tende point nos affirmations des cas o elles cesseraient d'tre vraies.

INTRODUCTION. couleurs brillantes

15

fait emprunt dans le domaine

soit un de son imagination l'histoire, soit une fable choisie de la fiction. On discutait lontels que l'emsans qu'on se

guement des points secondaires, ploi du vers et du merveilleux, doutt

que tout cela tait rgl par une sorte de loi naturelle. On voulait retrouver partout, mme dans .l'antiquit la plus recule, les procds de l'homme moderne, qui, dans ses et littraires, a un plan dtermin, les moyens propres lui faire qui emploie atteindre le but qu'il s'est propos. On n'avait productions point l'ide de ces facults de posie instinctive, de cette puissance de composition collective qui, dans les temps primitifs, donnent naissance aux symboles du langage, aux mythes Voltaire, religieux et aux traditions piques. par exemple, qui faisait l'histoire de l'pope dans la prface de la Henriade, et qui ailleurs s'obslinait ne voir dans les coquillages trouvs au haut d'hutres montagnes que des cailles apportes l par des plerins, ne soupdes

16 onnait

INTRODUCTION.

pas plus le mode de formation lente et de certaines crations de l'esprit progressive dans les ges anthistoriques, humain que le mode de formation crations successive aux el spontane des de la nature grandes poques par un excs optrop jadis et rfl-

Si maintenant, gologiques. pos, on accorde parfois une importance exclusive l'action anonyme des peuples, on altribuait tout l'action individuelle

chie des grands hommes. Il est vrai que, mme aujourd'hui, aprs les recherches de l'rudition la plus vaste et la plus nous avons quelque ingnieuse, peine nous figurer trs nettement comment l'imagination autrefois les mythologies produisait populaire a quitt sans retour et les popes. L'humanit la priode enfantine des fables pour entrer dans l'ge viril de la science. Notre temps n'enfante ni traditions piques : les plus ni thogonies facults potiques des peuples ont cess de crer les divinits merveilleux elles hros. On l'a dit avec raisonne est propre aux vritables popes,

INTRODUCTION. comme l'est aux cultes anciens; mais de mme que les miracles contemporains la lumire de la publicit, s'vanouissent quand pomes ils n'chouent modernes judiciaire, le surnaturel

17

pas devant la rpression dans les de mme le merveilleux n'est

plus qu'une figure de de convention un moyen qui rhtorique, n'abuse ni l'auteur ni le lecteur. La trop grande clart qui rgne de notre temps un figures du mythe vaporeuses corps et de grandir dans les croyances des peuples, il s'ensuit qu'il nous est aussi difficile d'tudier sur le vif le mode de formation de l'pope que celui des langues. Habitus sidrer des faits nettement dtermins conet des empchant de prendre les

rels, nous ne parvenons personnages pas avancer d'un pied sr dans ces ges crpuscuse confonlaires, o le possible et l'impossible dent, o la ralit et la fable s'unissent pour des tres fantastiques et des vneproduire ments extraordinaires. En prsence de la diffi cult que nous prouvons nous transporter

18 l'poque mythique

INTRODUCTION. et par suite du dfaut de

sur ces temps recutmoignages authentiques ls, il est arriv qu'on a mis en avant plusieurs des popes systmes pour expliquer l'origine nationales (1), sans qu'aucun d'eux ait pu runir en sa faveur des preuves assez compltes l'adhsion unanime. pour entraner Les diffrentes explications qu'on a donnes du problme peuvent se ramener deux principales qui ont dj t formules plus ou moins nettement en Grce. D'aprs les uns, il faut chercher dans de la tradition l'origine les faits rels, mais dans non pique, les croyances

dans certaines vues sur la nature, religieuses, dans les mythes, dans les symboles.Ces mythes, ces symboles, en se dveloppant, auraient donn aux lgendes des dieux et aux rcits Le ct divin de ces lgendes mythologiques. naissance (1) On relira toujours avec fruit les articles que M. Edgar Quinet a publis ce sujet dans la Uevue des Deux Mondes en 1836 et 1837, articles remplis d'aperus brillants et hardis, dont la plupart ont t confirmsplutt qu'branls par les travaux postrieurs de la critique.

INTRODUCTION.

19

et de ces mythes s'tant peu peu obscurci, le des antiques sens primitif aurait croyances cess d'tre compris, tandis que le ct humain se serait au contraire Les dieux andvelopp. ciens seraient ainsi devenus des hros, et les des thogonies. On sait, popes procderaient cherchait par exemple, qu'Anaxagore dj les pomes d'Homre par des expliinterprter cations allgoriques, et que les stociens prtendaient que les mythes religieux n'taient que les reprsentations figures, les symboles des de l'univers. Cette opinion, phnomnes qui a quelque chose de sduisant pour l'imagination, et qui permet d'attribuer toutes les traditions piques et religieuses une haute porte philosoessayrent de le faire les noa trouv galement dans les temps platoniciens, modernes des partisans convaincus. Le grand phique, comme de Creuzer sur les mythologies anouvrage ciennes est conu ce point de vue. Mais dans ces dernires annes, des tudes nouvelles, apde la philologie compuyes sur les recherches

20

INTRODUCTION.

pare, onl prouv que ce systme n'tait pas tout fait conforme aux faits. Sans doute, dit la science les mythes onl leur source dans contemporaine, de la nature et dans la vue des phnomnes l'impression l'homme, boles des forces cosmiques. Seulement ces symboles ne sont pas des allgories. L'homme primitif ne songeait pas envelopper sous le voile emprunte au monde matriel. Ce qui, pour les poques n'est qu'une fable ou une comphilosophiques, paraison, est pour lui une ralit. Les lments, le vent, la pluie, les corps clestes l'orage, qui parcourent vivants, d'aniimagination maux clestes peuplant les espaces qui s'ouvrent au dessus de la terre. L'homme que l'observaclair, croit voir dans les nuages, qui prennent souvent en tantt des chevaux effet les formes d'animaux, tion et la science n'ont pas encore le ciel, faisaient nave l'ide d'tres natre dans son de la fiction une conception abstraite sous une image une ide profonde ou cacher sur l'esprit de qu'ils produisaient et les divinits ne sont que les sym-

INTRODUCTION. bondissants

21

tantt des vaches ou des centaures, dont le lait, sous forme de pluie, fconde la un tantt quelque monstre prodigieux, terre, ou un dragon qui rampe gigantesque poisson comme A ses yeux, l'clair apparat un serpent de feu dont le dard enflamm proou plus tard mne l'incendie dans les forts, comme une flche d'or lance par une divinit l'horizon. invisible. chasse L'orage effroyable du vent il se figure nerre, et dans les hurlements de la meute. Mais peu entendre les aboiements viennent peu, ct des animaux clestes, se grouper des tres semblables l'homme, des gants, des nains, des dieux. Ces conceptions, en gnration et dede gnration transmises de plus en plus anthropomorphiques, donnent lieu des lgendes, des rcits o les tres surnaturels jouent un rle et interviennent venant dans vari les faits des rels. Ainsi se forme religieux d'o le monde drive 2. plus mythes et la tempte lui semblent une conduite par le dieu du ton-

tard le mythe

pique.

22

INTRODUCTION.

Que telle soit en effet l'origine des mythologies, il nous semble que l'rudition allemande l'a tabli avec une force qui ne laisse gure de place au doute le plus obstin. Mais quand on veut dmontrer que l'pope a sa source principale sinon unique dans les mythes lmentaires, on arrive des rsultats moins satisfaisants. En effet, pour dcouvrir le mythe cach sous les on est figures et sous les lgendes hroques, forc de remonter rales, n'ont des ides tellement gnqu'elles deviennent des abstractions qui avec les plus aucun rapport ncessaire

Ds piques qu'il s'agit d'expliquer. lors il est facile de retrouver ces abstractions traditions sous le voile des traditions tout quand favorables la thorie qu'on croit vraie et quand on laisse dans l'ombre celles qui y sont contraires, de tous les pays, suron met en relief les circonstances

comme cela arrive sans qu'on s'en rende compte. Sans doute nous sommes ports voir, du drapar exemple, dans Siegfrid, triomphant gon Fafnirct des Nibelungen, le dieu du soleil

INTRODUCTION.

23

la victoire sur les tnbres et puriremportant avec le fiant la nature, et par suite l'identifier Mithra persan et avec l'Apollon grec perant de ses flches le serpent Python. Il est mme probable que les analogies qu'on ne peut mconnatre ici viennent d'un mythe solaire commun; mais arrive ce degr de gnralit,la critique sent le terrain cussion se drober devient sous ses pas. La dispresque impossible, caron n'a plus devant soi que des figures impalvagues et lgres comme des brouillards pables, de l'esprit dont on des conceptions du matin, ne peut dire si oui ou non elles ont t entrevues par les peuples qui ont cr la tradition pique (1). des faits

(1) D'aprs M. Schwarz (voyez der Ursprung der Mythologie, 1860), Eafhir est le nuage orageux se tranant sur les clairs, c'est dire sur l'or brillant. Le nain Regin et le Nibelungen, comme leur nom l'indique, sont aussi des reprsentations figures des sombres nues. Quant Siegfrid dlivrant Bruynhild, c'est le dieu du printemps s'unissant la desse des nuages au milieu des flammesde l'orage. Avec des gnralisations aussi audacieuses on peut montrer que Henri IV, paraissant dans la chasse infernale Fontainebleau, n'est

il L'autre

INTRODUCTION. explication, qu'on peut appeler hisau nom se rattache dans l'antiquit

comme d'vhmre, qui soutenait, on sait, que les dieux qu'adorait la Grce taient les sages, les rois ou les guerriers des temps primitifs peu peu difis par l'admiration de la postrit. cette maEn appliquant nire de voir l'pope, on a cherch montrer que le fond des traditions toujours clbrs l'histoire, emprunt par les anciennes posies piques tait et que les hros

torique, bien connu

rels qui avaient remport de grandes victoires ou rendu de grands services, et dont la reconnaissance avait terpopulaire autre qu'Odin, lequel n'est lui-mme que la tempte chassant les nuages devant elle. M. Preller reste sur un terrain plus solide quand, aprs avoir montr les traits communs de l'histoire de Perse et de Siegfrid, il ajoute que toutes ces traditions remontent aux mythes de l'Orient, o les combats du dieu Soleil avec des monstres occupent une grande place. Comme ces hros, le saint George du moyen ge triomphe aussi d'un dragon.

la Perse, des personnages

de l'Inde, de de la Grce et de la Germanie taient

INTRODUCTION. nis le souvenir embelli. pique

25

les uns, la posie arriver l'humain

Si donc, d'aprs part du divin pour anthro-

d'aprs pomorphiques, les autres, cette posie partirait de l'humain, qu'elle idaliserait jusqu'au divin, el du grand homme ferait un hros ou un dieu par voie histoCertainement d'apothose. l'explication rique s'avance sur un terrain l'explication mythique, vrifier les conclusions ferme que et on peut au moins auxquelles elle arrive. plus

et, par des procds fait du dieu un hros,

comme l'origine des traditions hCependant, roques remonte presque toujours des temps ou du moins un l'histoire, qui prcdent ordre de faits qui a chapp aux regards des les investigations les mieux diriges historiens, n'arrivent que quelques noms propres et le souvenir plus ou moins vague de quelques Souvent le pome luigrands vnements. mme dont on veut dcouvrir la source est le qui reste de ces poques recules , o des posies transmises oralement de trouver

seul monument

86 gnration nales que

INTRODUCTION. en gnration taient l'humanit conservt les seules an-

Ds lors, pour que point de vue historique pussent aboutir quelil faudrait, satisfaisants, ques rsultats par chercher chez l'tude compare des littratures,

de son pass. les recherches faites au

un peuple les lments qui manquent chez un telle priode du dmler en Germanie autre, dveloppement pique dont les traces ont disparu en Grce, et trouver ainsi; s'il se peut, la loi gnrale qui prside la marche progressive de la tradition, depuis son origine jusqu'au elle trouve moment o, fixe en vers immortels, enfin son expression dfinitive. On devrait imiter les procds plter l'histoire des gologues d'une priode qui, pour comde la formation

aux diffrents pays tous du globe, empruntent les faits contemporains qui peuvent servir demeurs obscurs. expliquer les phnomnes Des deux systmes rests en prsence, il ne ni faut, croyons-nous, rejeter compltement l'un ni l'autre, parce que tous deux ont mis en

INTRODUCTION. lumire un ct de la vrit. Un rsum

27 rapide

des faits constats

jusqu' ce jour suffira pour montrer ce que chacun d'eux prsente de fond. Le dsir de conserver le souvenir des vnements qui l'ont

frapp semble 1res prononc chez l'homme, mme dans les temps de barbace n'est rie. Or, en l'absence de l'criture, de la mesure el de qu'au moyen du rhythme, la mlodie qu'il arrive fixer dans sa mmoire ce qu'il veut retenir. De l vient qu'aux poques les croyances, les proprimitives, les traditions, la forme du phties, les lois mmes prennent vers, et que les annales de l'histoire et les textes des lgislations sont des odes ou des pomes. Mais nulle chants part la coutume de clbrer par des les exploits des hros et les vnements que chez ne reut autant de dveloples peuples de race indo-

de la vie nationale pement

germanique, ts potiques. rappelaient aux jours

tous dous de remarquables faculCes compositions hroques, qui la gloire des aeux, taient chantes quand la tribu marchait

de fte,

28

INTRODUCTION.

l'ennemi, ou quand elle se runissait autour des tables du banquet. Elles avaient, aux yeux de la foule, quelque chose de sacr, comme le pa?i chez les Grecs, le carinen barditus chez les Germains, l'air national pour chez les latins, le ou mme comme

les peuples de nos jours. Ceux qui composaient ou rcitaient ces chants semblent avoir toujours joui d'une grande considration. C'taient souvent des guerriers qui prenaient eux-mmes part au combat (1). Plus d'une fois, sans doute, sur les plateaux de l'Asie comme dans les plaines de la Germanie, ces bardes, encore tout chauffs du carnage et pleins du feu qu'allume le succs, avaient d-

(1) Dans les Nibelungen,l'ami de Hagene, Volkr, est la fois un guerrier illustre et un joueur de viole comme les Skaldes Scandinaves.Le roi Alfred chantait les pomes et les posies saxonnes. Dans le Beowulf, pome anglo-saxon du huitime sicle, le fidle du roi qui chante les posies des anciennes Sagas est un guerrier couvert de gloire. En Germanie comme en Grce, les aveugles, dont la mmoire est plus fidle, gagnaient leur vie en rcitant les chants de la tradition populaire, mais ils n'appartenaient pas la mme classe que les chantres-guerriers.

INTRODUCTION. crit la lutte dont ils venaient de partager

29 les

dangers en des chants d'une nergie sauvage, suivantes qui taient redits par les gnrations commela tradition vnre de la gloire nationale. haut que les parties les plus anciennes de remonter dans des Vdas nous permettent Aussi l'histoire nous y du peuple arien, primitive trouvons des rapsodes chargs de clbrer les exploits des rois rgnants, en les comparant aux Ces composifails glorieux des rois anciens. tions potiques taient chantes avec une sorte de pompe religieuse aux grandes ftes, surtout le jour du sacrifice solennel du cheval, et les le mieux l'histoire de la auteurs qui connaissent littrature dans indienne n'hsitent les sources ces hymnes pas reconnatre de l'pope sans-

crite^). (1) M. Albert Weber, entre autres, va mme jusqu' admettre que des fragments de ces chants primitifs ont t conservs dans le Rig-Vda et dans les Brdhmanas, commentaires en prose qui accompagnentles Vdas. On peut consulter la traduction de l'ouvrage de M. Weber par M. Alfred Sadous (1859), Eist. de la littrature indienne, pag. 46, etc.

50

INTRODUCTION.

Chez les Perso-Ariens, on retrouve galement la coutume des chants hroques ayant pour sujet les grandes actions des rois ou des chefs. C'est avec le secours de ces traditions sixime piques, dj recueillies, a(irme-l-on,au sicle, par les ordres de Nourshivan, que Firla grande pope persane, dousi composa le Shah-Nameh. Les temps primitifs de la Grce nous sonl peu prs inconnus, mais nous ehanter devoyons dans l'Odysse Dmodocus vant Ulysse les vnements de la guerre de Troie, et ce seul fait suffit pour prouver que l'usas:e de clbrer les actions d'clat de la nation remonte d'ailleurs diffrents traditions exemple, une trs recule. Il est antiquit hors de doute qu'il a exist en Grce cycles de posies ayant pour objet les de l'histoire comme, par Thbes (1). Le

nationale, le cycle des Sept devant

(1) Les chants populaires de la Grce antique, dit M. Guignaut dans le Dictionnaire des Homrides, les Epea, qui clbraient les hros, leurs aventures et leurs malheurs, s'taient succd durant bien des gnrations, avaient subi bien des transformations, bien des laborations avant que

INTRODUCTION.

51

gnie de Rome, l'origine, est le gnie srieux du lgiste plutt que celui du et laconique si mle, fut pote. Cette cit, la population par l'influence des taciturnes Ce qui elle devait sa civilisation. trusques, n'est donc pas ici qu'il faul s'attendre trouver de la posie popuun grand dveloppement laire. Cependant on sait que Niebuhr a soutenu domine d'abord que les commencements Live sont puiss dans miers de l'histoire les Hrodcs de Titedes prepour

rois (1). Les tmoignages

abondent

l'pope ft possible. On ne peut contester l'existence de potes, d'Ades, siJoi, chantant d'abord des faits rels et contemporains longtemps, avant l'poque homrique. (1) Voici quelques textes qui prouvent l'existence de chants hroques Rome : CICRON. Tuscul.,1, iv. Gravissimus auctor in originibus dixit Cato, morem apud majores hanc epularum fuisse, ut deinceps. qui accubarunt, canerent ad tibiam clarorum virorum laudes atque virtutes. Noxrus, II, 70, v Ass : (Aderant) in conviviis pueri modesti, ut cantarent carmina antiqua, in quibus laudes erant majoV rum, ass voce, et cum tibicine. FESTUS, Camenoe, use, M anquod canunt antiquorum laudes (casais, vtus, casmenoe tiques). DENIS, lib. I, sur Romulus et Remus : w; h roi; vv Trayo upivot vizi Pwp.atcovSTI XO Jsrat. (Voyez Michelet. Hist. rom. notes.)

52

INTRODUCTION.

et celtiques prouver que les tribus germaniques avaient conserv dans tout son juvnile clat la coutume des chants hroques qu'ils avaient hrite de leurs anctres. Dans la Gaule comme en Scandinavie, en Germanie comme dans la Grande Bretagne, nous voyons les bardes ou les skaldes clbrer, en s'accompagnant de la harpe, les glorieuses actions des hros. Chaque fois que les lgions, qui marchaient silencieuses les armes du Nord, au combat, rencontraient elles les barbares d'entendre frappes leurs chants de guerre avec un enentonner les thousiasme religieux. Aprs la conqute, assez longtemps le got Germains conservrent taient de ces chants guerriers, et mme ce Taillefer, au nom si belliqueux, qui, le jour de la bataille d'Haslings, prcdait l'arme normande et chantant de Karlemaine et de chevauchant appartient encore la famille des bardes. A une poque plus rcente, les posies sur le Cid et sur Bernard de Carpio, recueillies dans le Romancero celles espagnol, Roland, anciens

INTRODUCTION. sur Robin-Hood populaires ses dans en Angleterre de la Grce moderne

53

et les posies ont t compo-

des circonstances

celles qui onl inspir la Gaule et de la Germanie. considrer comme dmontr

assez analogues de les chants hroques On peut donc

que la composition des popes nationales a t partout prcde el prpare par celle des chants lyriques destins tre rpts les jours de fte el de bataille et clbrant des faits historiques, de dterminer des le hros rels. Il faut maintenant caractre point chantes essayer de ces posies primitives. Un premier est hors de doule, c'est qu'elles taient avec accompagnement C'est le souvenir d'un instrude cel antique une tradition oblige, fait

ment cordes.

usage qui, devenu dire aux auteurs des popes littraires : Je chante, etc., Armavirumque cane-, quoique leurs pomes fussent simplement destins tre lus. Primitivement troitement unies; la posie el la musique sont la lyre est le symbole du

54 vers.

INTRODUCTION.

De nos jours encore, les montagnards, qui semblent conserver partout sur les hauteurs une ternelle jeunesse sociale, ne connaissent que la posie chante. C'est aux poques civilises, o la pense l'emporte de plus en plus sur la sensation, que levers se spare ordinairement de la musique, pour ne plus s'associer et en desoeuvres d'un ellequ'exceptionnellement genre mixte; toutefois mme, alors, le rhythme, la rime, la mesure ou l'allitration sont encore les vestiges de l'ancien lment mlodique. Un point parat aussi l'abri de toute contestation srieuse: les posies hroques avaient toujours pour sujet, l'origine, des vnements rels, guerriers quelque les actions glorieuses qui avaient illustr catastrophe des rois ou des la tribu, ou bien qui avait vivement second

grande

C'est ainsi que frapp l'imagination populaire. les rapsodes des Ariens primitifs chantaient volontiers les victoires de cette race forte et sur les peuplades belliqueuse l'Inde; les ades grecs, la chute de indignes de Troie ou la

INTRODUCTION. bardes celtes et germains, guerredeThbes;les les exploits rels des hros de leur race (1). Mais si, aprs avoir constat que les ancien-

33

(1.) On ne peut nier ce dernier fait en prsencedes tmoignages unanimeset trs prcis des historiens. AmmienMarcellin dit, livre XV : Bardi quidem fortia virorum facta heroicis compositeversibus, cum dulcibus lyrsemodulis cantitrunt. On peut comparer ce qu'avancent ce sujet Tacite, Posidonius apud Athenoeum, omponius Festus, etc. P Cassiodorecrit Clovis au nomde Thodoric: Citharae dum etiam arte su doctum pariter destinavimus experitum qui ore manibusque conson voce cantando gloriam vestroe potestatis oblectet. Jornands dit, en parlant des anciennes migrations des Goths : Quem ad modumin priscis eorum carminibus, pen historico ritu, in commune recolitur. Aprs la chute de l'empire, les premiers chants hroques du moyenge avaient aussi des faits historiquespour sujet. Le prieur Jeoffroycrit l'auteur de la Chroniquede Turpin, propos des hauts faits de Roland : u Apud nos ista latuerant hactens nisi quoe c joculatores in suis proeferebant antilenis. de La Chronique Turpin, parlant d'Hol, comte de Nantes, dit : De hoc canitur in cantilen usque in hodiernumdiem. Eu 866, Albric parle des Heroicoe cantile?ioe,composes au sujet de la victoire de Charles le Chauve sur Grard de Vienne. A la fin du neuvime sicle, dans le Poeta Saxo, il est question des Vulgaria carmina que chantent les anctres de Charlemagne Avos et Proavos, Pippinos, Carolos, Ludowicoset Theodoricoset Carlomannos, Hlothariosque. Il serait facile de multiplier ces preuves.

56

INTRODUCTION. cla ient chantes nous voulons et avaient tudier de

ns posies hroques un fond historique,

c'est en distinclifs, plus prs leurs caractres vain qu'on chercherait le faire dans les monuments de la haute antiquit. Remontant une poque o l'criture tait inconnue ou hors la plupart de ces chants ont t oud'usage, blis ou perdus. Ceux-l seuls ont survcu qui ont servi de base aux compositions trieures; mais, compltement fondues dans les pomes qui nous sont parvenus, il n'esl plus possible la critique la plus On sagace de retrouver leurs formes primitives. est par consquent oblig d'interroger positions d'une poque plus rcente, taient, d'une part, dans certaines les como exisde la piques posremanies et

classes

socit, la navet, l'enthousiasme, l'ignorance de enfantine qui favorisent le dveloppement d'autre l'inspiration pique,et o se rencontrait, qui, plus lettre et dj cufugitives rieuse, pt recueillir les productions de la muse populaire. Dans les premiers temps part, une classe

INTRODUCTION.

57

qui suivirent les grandes invasions, les chefs et les moeurs hroconservrent leurs guerriers et le got des chants destins les cltandis qu' ct d'eux, dans les coubrer, vents, seuls refuges des restes d'une civilisation ques plus mre, le souvenir taient de garder s'efforaient des vnements auxquels ils assiset de rassembler les lments de leurs particude quelles moines

C'est ces circonstances chroniques. lires que nous devons la conservation

ques fragments d'anciens chants historiques qui peuvent en quelque mesure nous offrir un spcimen de ce genre de compositions. Parmi ces une des plus dignes d'attention est, sans contredit, un chant en langue basque, dcouvert vers la fin du sicle par Latour d'Auvergne, posies, dernier, dans un couvent de Fontarabi. Ce chant, dont sont encore trace on assure conserves que des versions orales dans les Pyrnes, repar le passage de sa dfaite Ronpleine de sentiments

l'impression produite l'arme de Charlemagneetpar ceyaux. Rapide,nergique,

58

INTRODUCTION.

cette composition est d'une couleur patriotiques, simple et vraie qui peint au vif en quelques traits les hommes et les lieux. On y reconnat la vritable inspiration pique, comme dans les des montagnards de la Grce. On peut encore citer, parmi les chants historiques primitifs du moyen ge,celui qui fut compos lors chants remporte par Louis III sur les en 881, et aux bords de l'Escaut, Normands que Mabillon a retrouv dans l'abbaye de SaintAmand, prs rim compos Lolhaire II de Tournay; en l'honneur sur le chant et qui en latin de de la victoire de la victoire

d'aprs nous en a conserv d'un chant

les Saxons, de saint le tmoignage le texte,

n'tait,

Hildegaire, qui que la traduction

cause de sa vulgaire, lequel, se trouvait dans toutes les bouches, rusticit, en dansant et en et que les femmes chantaient le chant de Fontenay, des mains; Anglebert, compos par un guerrier germain, qui, semblable aux bardes antiques, combat au battant premier rang, prima frontis acie, mais qui,

INTRODUCTION.

39

pour ne point paratre barbare, se sert du latin ses vers en celte langue par ou fait traduire quelque moine plus savant que lui; et enfin le par les soldats de l'empereur Louis II, prisonnier Bnvent, pour s'animer de leur souverain (1). la dlivrance A juger des chants historiques, qui semblent avoir t parloul les premiers germes de 1 epochant compos (1) Le fragment de Cassel sur le combat de Hildebrand et de son fils Hadubrad se rapproche, pour la forme, des anciennes posies hroques, mais il n'est pas dmontr qu'il se rapporte un fait historique. On pourrait citer le chant de guerre armoricain, la Marche d'Arthur, reproduit par M. de la Villemarqu, si l'on connaissait mieux la date de sa composition et son origine. De mme que dans les commentaires en prose des Vdas, on rencontre des traces d'anciens chants, ainsi dans les chroniques du moyen ge on trouve parfois des chansons nationales transcrites peu prs mot mot. Pour ne citer qu'un exemple, le remarquable rcit de la prise de Pavie par Charlemagne, dans le moine de Saint-Gall, est videmment crit d'aprs un chant de guerre, dont il conserve encore le mouvement et la couleur potiques. M. Lenormant a mme dcouvert un chant en vers latins sur Childebert, introduit dans la vie d'un abb de Saint-Germainpar un moine du neuvime sicle nomm Gislemar, qui a crit la composition versifie la suite, commede la prose, en ajoutant seulement quelques mots par-ci par-l, afin de dguiser la mesure.

40

INTRODUCTION.

pe, d'aprs ceux dont le texte nous est connu, on peut dire qu'ils se distinguent par une grande simplicit et qu'ils n'ont d'autre mrite littraire que l'nergie des sentiments qu'ils exet d'autre prtention priment, que celle de l'exactitude des faits qu'ils racontent. Le merveilleux n'y entre pas encore : c'est la ralit Le plan est peinte en quelques traits abruptes. le rcit bref : point de descrippeu compliqu, tions ni de dveloppements. Le hros nettement mis en scne, le fait principal bien mis en relief, cela suffit un chant de guerre. Pour que ces chants primitifs puissent donner naissance l'pope nationale, la runion de plusieurs circonstances Il faut, en premier est ncessaire. lieu, que ces posies ne soient point ds l'abord sinon elles ne pourraient fixes par l'criture, se prter aux transformations successives qui doivent les prparer servir plus tard d'lment En second lieu, il faut pique. qu'elles se produisent dans un temps o les guerriers et les chefs partagent les croyances naves, les pas-

INTRODUCTION.

41

et mme l'ignorance sions, les enthousiasmes de la foule, sinon les chants destins seulement charmer l'humble espril de l'homme attach la glbe, ne pourraient se revtir de ces couau hroques qu'ils doivent emprunter caractre intrpide et fier de I'homme'qui combat, Il faut, enfin, que ces chants guerriers se grouper aulour du souvenir de puissent sinon, bientt ouquelque grand vnement, tre sans cesse remanis blis, ils ne pourraient et embellis par l'imagination Quand populaire. ces conditions se rencontrent, quand, une poque o l'esprit critique n'a pas encore tari la source des fictions et o l'histoire n'a pas chass la lgende, un senliment profond s'emet exalte ses fapare de toute une population cults alors seulement Jes chants potiques, transmis de gnration en gnrahistoriques tion se runissent, se fondent les uns dans les autres mune qu'on et finissent, sous par inspiration, a appel un cycle. l'empire d'une comformer un ensemble 4 leurs

42

INTRODUCTION. Dans les civilisations

le seul senprimitives, timent qui puisse tre assez gnral pour s'emparer de tout un peuple el assez durable pour la tradition pique de se dveloppermettre per, c'esl l'orgueil ardente qu'inspire nemie; hroques spiration constater aussi national et la haine vivace el les cycles d'une inla lutte contre une race en-

partout voyons-nous se former sous l'influence

Dans l'Inde, on a pu dj patriotique. l'existence de deux cycles principaux: le premier, qui avait pour sujet les conqutes et du brahmanisme sur les indignes sous l'action des ides

des Ariens

et qui a produit plus lard, le Rmyana; le second, qui avait religieuses, de l'Inde pour sujet les lutes des conqurants entre eux et qui a donn naissance au Mahbh-

rata. En Grce, le cycle des posies nationales, s'est form par les souqui a prpar l'Iliade, de la lutte venirs, et surtout par l'impression des Hellnes contre les peuples de sculaire l'Asie Mineure. du Shah-Nameh En Perse, la partie ancienne mane du cycle des guerres

INTRODUCTION. des populations tribus nomades la Gaule,

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de l'Iran contre les agricoles du Touran. Au moyen ge, dans

: le cycle des luttes du Midi contre le Nord franc, repr^-jthico-romain ronl, entre autres, par le pome de Grard de on trouve fodales le cvcle des rsistances Roussillon; dont on peut voir contre le pouvoir royal, dans le roman l'expression vraiment dramatique de Garin-li-Loheraiii; contre les Sarrasins, de Roland. En enfin le cycle des lutes dont est sortie la Chanson

on rencontre deux Espagne, de romances hroques, mais cycles principaux qui n'ont pu arriver l'tat d'pope complte, les uns runis lant les combats les autres, et Carpio contre autour autour clbrant du nom du Cid et rappedes chrtiens contre les Maures, de celui les du Nord. de Bernard de del luttes l'Espagne Les ballades an-

les invasions

suitaient inspires, glaises de Robin-Hood vant l'opinion qui reste d'Augustin Thierry, des encore la plus probable, par l'opposition Saxons vaincus contre l'aristocratie normande,

44 comme

INTRODUCTION.

les posies de la Grce moderne l'ont t par la haine contre la domination turque. Ainsi, on le voit, le fait est gnral, partout c'est, sous l'empire de l'exaltation du sentiment national que se groupent les chants hroques d'o sortent les popes. Mais, avant d'arriver cette forme dfinitive, la tradition pique reste longtemps l'tat de posie populaire, transmise de flottante, et d'ge en ge, toujours remanie par chaque gnration qui lui imprime le caractre de ses croyances, de ses passions priode de composition successive et pour ainsi dire spontane se prolonge pendant un temps plus ou moins deux mille ans dans l'Inde long : peut-tre et de facults. Celte et dans la Perse, cinq six sicles dans la Grce et dans la Germanie, deux sicles au plus dans la France du moyen ge. C'est pendant cette priode que l'imagination populaire cre le merveilleux hros fabuleux et le mythe, enfante des ou grandit, au gr de ses prses bouche en bouche

INTRODUCTION. dilcctions, rels. les personnages et les vnements

45

du grand homme historique la figure pique se fait graduellement et d'aprs les tendances propres aux populations qui ont parfois aussi celles-ci peu connu ou compltement ignor de l'histoire, et mme presque entirement fabuleux. t en ralit Qu'ont et Rustem?Quand Achille et Siegfrid,Fridoun ont-ils vcu? Par quels exploits ont-ils mrit l'ternelle admiration que leur onl voue les hommes de leur race? ces questions, pass sur la scne du monde avec ses mobiles fictions, ver l'cho de leurs noms. neur de la Marche Nul ne rpondra jamais car ces grandes figures ont quand la posie, pouvait seule conserRoland tait gouver: voil la seule conserv son souvenir; s'attachent un guerrier

La transition

de Bretagne mention que l'histoire fasse de ce personnage mais il est tomb au passage des Pyrsublime; nes en dfendant la Gaule contre ses terribles ennemis, les Sarrasins; cela suffit. L'enthou4.

46 siasme

INTRODUCTION.

populaire s'attache ce nom; il prle son hros un courage inbranlable, une force : lui seul il arrte une arme; prodigieuse d'un coup de son pe il fend les montagnes; il sous les coups de l'ennemi, mais succombe,non de l'effort qu'il fait pour rappeler l'empereur. Sa mort est plus glorieuse qu'une victoire; la dfaite de Roncevaux esl oublie : la vanit napar la gloire du hros invincible, gloire dont elle-mme a fait presque tous les frais. Partout les nations se sont passionnes qui reprsentaient taient animes. de son de hros toutes ainsi les Chafigures pour certaines sentiments dont elles cune d'elles prise elle l'a dou s'est tionale est satisfaite

dilection; qu'elle admirait

de prles vertus

toute la ; elle lui a prodigu dsirait qu'elle puissance pour elle-mme; mais idalises; elle lui a prt ses passions, faits, mais agrandis; elle en a fait un type dans lequel se refltent les traits principaux du caractre natioelle lui a attribu ses hauts

INTRODUCTION.

47

nal (l). Peu peu la tradition se fixe; le peuple croit la ralit de celte figure que ses chants ont faite si belle, car il n'a pas d'autre histoire. car elle est d'ailleurs, l'image purifie de la race qui l'a produite, el, si on peut s'exprimer de son ainsi, l'incarnation gnie. Quand le personnage, objet de l'enthouCette figure siasme gnral, esl compltement transfigur et est devenu presque un demi-dieu, quand sa vie a pris aux yeux de la nation un tel caractre que nul ne doute plus des faits rapports par la tradition, alors le peuple s'incline devant son hros; il l'admire; il rpte ses louanges et il est prt adorer la cration de ses d'authenticit Ainsi fait la jeune propres facults potiques. elle orne l'homme qu'elle aime de fille prise: toutes les qualits qu'elle admire; elle le voit non est relle

(1) Roland, dit M. L. Vitet, c'est la France, c'est son aveugle et imptueux courage... image vivante qui, dans les traits d'un seul homme tudi d'aprs nature, nous montre ceux d'un peuple tout entier. Voyez Revue des Deux Mondes,lerjuin 1852, la Chansonde Roland.

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INTRODUCTION.

le lui lel qu'il est, mais tel que son imagination montre. C'est la fable toujours vraie de PygmaIion adorant la statue dont les lignes divines sont l'oeuvre de son gnie. Seulement, chaque la jeunesse, avide d'idal, cre engnration, core les idoles l'humanit qu'elle ce temps d'enthousiasme juvnile Les pomes que l'Enide chrit, tandis que pour de cration potique et

est pass sans retour. artificiels des temps civiliss, tels et la Jrusalem dlivre, sonl bien

aussi, comme les popes naturelles, le produit humaine de l'imagination sur des s'exerant faits rels ou sur des traditions populaires; mais en crant les premires, du pote l'imagination est dirige par la rflexion et par le got et il a conscience du but qu'il veut atteindre, tandis du peuqu'en crant les secondes, l'imagination et ple opre pour ainsi dire instinctivement obit, sans le savoir, des lois gnrales et des conceptions prexistantes. vers L'aspiration d'o sort l'idal, qui est la source profonde l'pope el toute oeuvre d'art, ne meurt pas au

INTRODUCTION. coeur de l'homme; tructible sentiment trle de la raison seulement

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ce noble et indes-

n'agit plus que sous le conet sous l'oeil de la critique. Il

native, et l'on cesse perd ainsi sa spontanit de croire la ralit des figures qu'il enfante : la foi manque au pote el au public. L'oeuvre peut tre trs belle encore, mais elle n'aura plus la mme action sur la vie nationale. Elle sera comme le pome de Virgile, l'ornepeut-tre, ment d'un sicle littraire et les dlices de tous les esprits cultivs; ce ne sera plus, comme toute une race un

l'pope homrique, objet d'enthousiasme

civilisation, et l'origine d'un grand dveloppement moral et Ds'que les progrs de la science et artistique. l'veil du sens critique ont refroidi ces foyers de posie vivante d'o jaillissaient avec une les profusion les figures lyriques, mtaphores et les lgendes, les symboles du langage et du culte, en un mot, le mylhe sous toutes ses formes, on ne voit plus se produire merveilleuse

pour et de culte, une cause de une source de croyances religieuses

50

INTRODUCTION.

ce mirage enchanteur aux yeux qui prsentait d'un peuple jeune et crdule son image transsous la forme du hros pique. sont favorables, Quand les circonstances de la foule est fortement quand l'imagination figure branle terrible ou quelque catastrophe le mylhe historique par de grands vnements, se forme plus vite qu'on ne serait dispos le croire (1). C'est ainsi, par exemple, que dans la Chronique de Saint-Gall, crite, vers 884,. par en partie d'aprs nom d'Adalbert, de Charlemagne, les souvenirs d'un vtran du qui avait fait les campagnes les faits prennent dj un caractre fabuleux et les hommes des proportions Eischer de Durgowe vaut lui surnaturelles. seul une arme; l'empereur, aprs avoir vaincu les Huns, fait couper la tte tous les enfants (1) On peut voir dans les tudes historiqueset critiques sur les origines du christianisme, par M. A. Stap, lrc Etude, des exemples frappants de la rapidit avec laquelle la lgende naissait et s'imposait la croyance gnrale dans l'antiquit, surtout aux poquesde fermentation religieuse.

INTRODUCTION.

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qui dpassent la hauteur de son pe; un guerrier franc, dans l'expdition contre les Slaves, enfile la pointe de sa lance, comme des grenouilles, ut ranunculi, et les porte de del, rant des paroles qu'il ne comprend pas, perfoNous voyons rtes et nescio quid murmurantes. mme le mylhe historique se produire, du moins en germe, pour ainsi dire sous nos yeux, parmi mais peu civilides populations intelligentes, ses, chez qui une vive exaltation patriotique s'unil ignorance el une grande crdulit (1). De nos jours on a pu observer la naissance de ces premiers lments de l'pope dans un pays retomb, en quelque sorte, au (1) La lgende se forme principalement chez les populations isoles,dont la culture intellectuelle n'est pas suprieure celle des peuples primitifs. On pourrait en citer d'innombrables exemples. M. Elise Reclus rapporte que sur le littoral des landes ou lui racontait qu'un navire chou sur cette cte, la fin du sicle dernier, avait englouti Louis XVI et toute la famille royale, et que dans les Basses-Alpesun jeune chasseur, aussi intelligent que dpourvu d'instruction, lui parlait de la reine Jeanne de Naples, femmede Robespierre. une certaine huit ou neuf hommes, et murmuembrochs

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INTRODUCTION.

temps de sa civilisation primitive, dans la Grce moderne l'poque de la guerre de l'indpendance. Comme le remarquait M. Edgar Quinet, presque tous les Clephtes contemporains sont attribues des actions surhumaines. Karaskaky, Botzaris, manquait-il mados, Nikitas le Turcophage, pour devenir autant leurs fleuve Que Tza-

de types gnraux? Us conversent avec avec les ttes coupes, avec le sabres, qu'ils

avec les montagnes traversent, des oiseaux aux ailes d'or leur qu'ils gravissent; souvent un seul parlent un langage magique; accomplit des prodiges pour lesquels suffirait peine une arme entire. Dans ces chants, instinctives des croyances popuproductions laires, les faits rels prennent dj, on le voit, de la fiction hroque. les teintes merveilleuses Une fois le mythe historique cr de la faon la srie des transque nous venons d'esquisser, formations que subit ordinairement la tradition pique n'est pas encore termine. En effet, elle se modifie constamment, aussi longtemps qu'elle

INTRODUCTION.

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reste vivante, c'est dire tant qu'elle correspond aux croyances, aux sentiments qui l'ont fait et qu'elle ne prend pas une forme dfinitive. La matire potique, si on peut s'exprimer les lainsi, demeure en fusion et amalgame ments divers qu'elle reoit en un mtal unique et splendide, dont plus tard se formera sous la main du pote lu la grande pope nationale. C'esl pendant celte poque de prparation que se produisent ces changements dans les noms de lieux et de personnes qui droutent si frles recherches de l'rudition, c'est quemment alors que des courants de lgendes, de sagas, venus de points souvent trs loigns, se rejoiet se mlent, tantt de faon ce qu'on leur origine diffrente, puisse encore distinguer tantt d'une manire si intime qu'ils sont comgnent pltement potique. sonnages et complter mylhe confondus dans une vritable unit C'est alors aussi que de nouveaux perviennent peu peu enrichir le lableau natre

les pripties de l'action. Enfin le avec le religieux arrive se combiner

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INTRODUCTION.

mythe historique et donne celui-ci une porte thologique ou morale qu'il n'avait pas d'abord. Cette intervention du merveilleux, dont on a cafait, non sans raison, l'un des principaux ractres de l'pope, demande quelques explications. Le dveloppement des mythes religieux et des posies qui les ont exprims, semble avoir suivi peu prs l'ordre suivant, non chez chamais dans l'humanit : l'homme, que peuple, frapp de terreur ou mu de reconnaissance la vue des phnomnes tantt terribles tantt bienfaisants de la nature, s'est pris adorer et implorer ces forces inconnues si crasantes pour sa faiblesse. Quand il entendait gmir le le tonnerre, vent et gronder quand il voyait le feu du ciel jaillir des nues et celles-ci, semblables des monstres courir effroyables, au dessus de sa tte, pte, il s'imaginait tantt tions d'tres clestes, mais dont dpendait apaiss, poursuivies par la temque c'taient les manifestatantt irrits, sa scurit, sa

INTRODUCTION.

55

vie (1). Plus tard, distinguant chaque ordre de il a rapport ceux-ci des tres phnomnes, surnaturels rgnant en matres absolus chacun dans son domaine propre : ainsi se sont forms les dieux lmentaires, le ciel, la terre, la mer, le soleil, elc. Peu peu, comme on atlribuait ces divinits de la nature une influence bonne ou mauvaise, soit sur la vie de l'individu, soit sur les destines de la nation, on leur a prle les de l'homme, ses facults et mme sentiments ses formes extrieures dveloppement : c'est cette priode qu'appartiennent du les du mythe

et germaniindiennes, mylhologies grecques ques. Mais l'esprit humain ne s'arrte pas l : (1) Les croyances nouvelles, dit M. Louis Enault dans son charmant ouvrage sur la Nonvge, n'ont pas encoreeffac l'impression des superstitions antiques. Si quelque bruit inaccoutum trouble le silence des nuits, le paysan se dit tout bas : C'est Odin qui passe ! Si le vent pleure et gmit le soir dans les sapins : C'est la chasse d'Odin qui poursuit les loups. Nous sommes surpris que H. Enault ait pris au srieux l'vhmrismenaf de Saxo Grammaticuset des anciennes histoires de Nonvge qui font d'Odin un personnage rel et un alli de Mithridate.

6

IXTl'.ODUCTION. des diviet par la au pro-

ncessaire par l'ide de subordination nits diverses un matre unique, notion de cause el d'effet

applique blme de l'origine des choses, il s'lve enfin au principe d'un dieu unique, crateur ou lotit au moins ordonnateur De ces trois de l'universel dispensareliteur des biens et des maux. moments de l'volution

le second seul esl propre favoriser gieuse, de la tradition la formation Quand pique. l'homme n'adore que les lments, l'ordre de croyances qui rsulte de ce culte ne peut crer des figures assez nettement dtermines pour prendre place dans l'pope. Si, au contraire, il s'lve la notion puissant cl infini, pour trop sublime trame d'un cire suprme, toutcelte ide esl trop grande, pouvoir entrer dans la

des fables hroques. Ainsi d'une part, le ciel, la mer, les lments ne peuvent jouer un rle individuel dans l'pope que sous la de figures anthropomorphiques, forme laquelle les peuples primitifs n'arabstraite forme

INTRODUCTION". rivent

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cl d'autre part, une pas tout, d'abord; religion qui n'admet point que Dieu ou ses attributs s'incarnent dans la nature ou dans l'humanit, fournir des peut videmment divins aux compositions piques. ne

personnages le polythisme Au contraire, grec ou germanique, avec son peuple vari de dieux et de desses, svmbolcs non point abstraits, mais rels cl vivants, prpare l'pope tout un personnel louchantes de figures tour tour majestueuses, de l'Olympe ou terribles, prles descendre dans l'action du pour entrer de plain-pied pome. tous deux la production d'un S'opposanl le ftichisme et le movritable merveilleux, nothisme sont donc galement peu favorables la posie pique. Aussi, qui ne se sont pas leves chez les peuplades au dessus du culte

de la nature, ne trouve-l-on que quelques ruet les nations qui diments de posie grossire, ne croient qu'en un seul Dieu peuvent bien produire des popes artificielles aux poques 5.

58 littraires,

INTRODUCTION. mais non des popes naturelles aux primitives. L'exemple des Juifs, peuple

le prouve (I). Les par excellence, Grecs, au contraire, qui onl pouss la mythoau plus haut degr logie anlhropomorphique sont aussi ceux qui onl produit de perfection, la posie pique la plus admirable. Quand un peuple attribue ses divinits la il esl facile de comprendre forme humaine, comment, une poque o la distinction du

poques monothiste

(1) On pourrait objecter que les dmons, personnifications du bien et du mal, auraient pu intervenir dans une pope juive, comme ils le font dans le Paradis perdu. En effet, mme les livres antrieurs la priode persane connaissent des personnages clestes qu'ils nomment messagersde Dieu, fils de Dieu (Gense, VI, 2; xvi, 7; XVIII,2; XIX, 1. Exode, xx.ni, 20, 21. Josu, v, 13, 14, etc.). Ils parlent aussi d'anges qui, sans tre mauvais par essence, commeceux de la dmonologieultrieure, ont pour fonctionspcialed'instiguer au mal et d'tre les ministres des vengeancesdivines (I Samuel, xvi, 15. Il Samuel, xxiv, 16. 1 Rois, xxn, 20-22). En Jude, comme chez les autres peuples, l'imagination populaire avait peupl les lieux retirs et les ruines d'esprits malfaisants et de spectres, et avait enfant des traditions merveilleuses (Levit., xvi, 8-10, 21; Isae, XIII, 21 ; xxxiv, 14). Un autre lment pique aurait encore

INTRODUCTION. naturel et du surnaturel

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n'est pas encore nettement perue, le mylhe religieux et le mylhe historique viennent se runir, et comment le ct polythisme introduit ses dieux-hommes des hommes-dieux hros sortent les de l'pope. D'ordinaire du sang de quelque divinit :

Achille esl fils de Thlis, ne l'est de Vnus, HSigurd descend en ligne directe d'Odin, lne esl fille de Walkyrie. dans les combats, est une Brunhild Jupiter. les dieux interviennent Souvent soit pour prolger les hros

pu tre fourni par les dieux des nations trangres, qui semblent avoir t considrs parfois, surtout primitivement, commedes tres rels en lutte avec le Dieu national, Jhovah. On ne peut donc contester l'existence, chez les Juifs, des germes de l'pope. Mais il n'en est pas moins certain que le dogme de l'unit divine a empchces germes de se dvelopper et ces traditions potiques de devenir assez arrtes pour constituer un pome. Peut-tre aussi faut-il ajouter, et sans trop le regretter pour lui, que le Smite n'avait pas la tte pique. On pourrait objecter aussi que Firdousi ne croyait qu'au Dieu unique du Coran. Mais le Shah-Kamehcontient les anciennes traditions de l'Iran et respire encore tellement le mazdisme,qu'on a mis en doute l'orthodoxie musulmane de son auteur.

00 qu'ils chrissent, dont ils veulent Mars lui-mme

INTRODUCTION. soit mme perle. combattent la pour frapper ceux

lutte Troie, etOdin de Sigurd. les armes que porFrquemment tent les principaux personnages ont une origine divine : celles d'Achille sont l'oeuvre de Vulcain,

Vnus, Neptune, dans les plaines de contre Sigmund, le pre

et la bonne pe que porte Sigurd est forge avec les dbris du glaive d'Odin. Ainsi, les figures divines se mlant sans cesse dans une le merveilleux commune, pntre l'pope tout entire, non point par suite de quelmais par l'effet naturel que dessein prconu, des crovances Parfois gnrales. aussi le hros pique prend, peu divinit morale action

de quelque peu, les attributs ou astronomique. Tacite dans la rapporte dans Germanie que les Germains chantaient antiques, gine et la filiation chant au combat guerre, des vers histoire, l'oride leurs dieux et qu'en marleur seule ils clbraient le dieu de la que les

et il dit aussi dans les Annales

INTRODUCTION. barbares nius. chantaient encore les hauts faits d'Armi-

61

Voil donc deux espces de traditions et de posies : les unes rnylhologiques, les autres Mais spares d'abord, elles finishistoriques. sent par se confondre. La conception anthrode l'une des facults de l'me ou pomorphique de l'un des phnomnes de la nature s'introduit dans la tradition hroque laquelle elle donne une physionomie el une porte nouvelles. Le dans la foi nationale mythe qui prexistait vient fconder la lgende. L'homme rel qui a du vcu, dj grandi jusqu'aux proportions surnaturel et la vanit natiopar l'imagination nales, devient un tre dieu, sous l'action Ces transformations d'une un fils de surnaturel, des ides thologiques (1). successives tant l'effet

naturelle de l'esprit humain, disposition on voit d'o vient, que les personnages aux(1) Tacite constate ce fait chez les Germains. Il dit en parlant de Vlda : Ea virgo nationis Bructerae lat imperitabat, vetere apud Gerraanos more, quo plerasqne feminarum fatidicas et augescente superstitione , arbitrantur deas. KHisl,, IV, 61.

62

INTRODUCTION.

prsentent parquels elles donnent naissance tout des traits peu prs communs, que l'rus'efforce de mettre en redition contemporaine lief. C'est expliquer ainsi, par les rapports exemple, qu'on pourrait que quelques auteurs (1) indien entre le hros

dcouvrir prtendent du dieu du soleil el Sigurd, Karna descendant dont le soleil est l'oeil, en descendant d'Odin, toutefois que dans l'tat actuel se rappelant ont encore besoin la science ces rapports nouvelles. confirmations

de de

la saga Ce qui prcde montre comment pique a ses origines la fois dans le mythe et dans l'histoire. L'homme rel, qui a vcu transform peut devenir le hros par la lgende, c'est Mais il n'y a point d'exemple, pique. Grimm qui l'affirme, qu'un Dieu soit devenu ce qui arrive frquemun hros. Au contraire, ment, c'est qu'un personnage historique p-

(1) Eohmann, Untersuchungen iiber bas Nibelungen-lied. Lo, Vorlesungen iiber die Geschichte des deutchen Volkes.

INTRODUCTION. ntre dans

63

divinit.

le mythe et y tienne la place d'une Ainsi l'on sait que la tradition, partout

de la chasse infernale est un mylhe rpandue, lmentaire de la plus haute antiquit, et qui remonte au temps o les hommes primitifs entendre et voir dans les nuages croyaient une divinit chasss par la tempte mugissante, cleste poursuivant les grands fauves des forts. Celle tradition se conserve de sicle en sicle Le thme reste le populaire. un personnage contemporain prend la place du dieu ancien. Celui qui conce n'est plus Odin, duit la chasse infernale, dans l'imagination mme, seulement c'est nation Henri IV ou Gustave-Adolphe. confond ainsi les populaire L'imagilments

mythiques et les lments saga, dans une tradition, intimement ne parvient

dans une historiques o ils se trouvent si

unis que l'rudition la plus sagace presque plus les discerner (1).

(1) On montre dans l'glise de Xanten une statue du moyen ge reprsentant un guerrier les pieds appuys sur un dragon. Ce guerrier est, suivant la tradition de l'glise de Xanten,

04

ivrnouucTiox.

Quand les diffrentes parties de la tradition pique forment dj une action qui a son exposouet son dnoment, sition, ses pripties vent il arrive que cette action est encore remace qu'elle quelque rponde ou quelque loi morale. populaire croyance Cette croyance ou cette loi imprime l'oeuvre nie jusqu' du gnie national une unit si grande et un sens si dtermin, qu'on est parfois tent de d'un l'attribuer aux combinaisons rflchies pote. fique simple devient alors le vaste et magnid'une trs dveloppement conception L'pope

de la pense populaire. C'est ainsi, par exemple, que la donne de l'ancien cycle de Sigurd tait l'ide que la possession d'un trsaint Victor, un chef d'arme romain, converti au christianisme et tu par les paens aux environs de la ville, vers la fin du troisime sicle. Mais d'aprs la lgende populaire, la statue reprsente Siegfrid vainqueur du dragon Fafnir. La synonymie des deux noms Victor et Siegfrid (le victorieux, de sieg, victoire) a sans doute donn lieu k eonfusioiK.de deux personnages lgendaires, et la statue aura t conue d'aprs la lgende.

INTRODUCTION. sor

65

ceux qui s'en emparent porte malheur ou qui le convoitent. La notion d'une loi fatale qui domine toute l'aclion leur perte personnages d'autant plus de force que l'oeuvre est plus ancienne. Dans le vieil Eschyle, tout plein du sentiment inexorable des antiques un destin traditions, prcipite la marche des vnements. le dnoment immuable des est fix d'avance dieux : Achille et qui entraine les avec est exprime

Dans Homre, par la volont

sait qu'il doit succomber Quand les Nibelungen les filles des eaux d'entre

sous les murs d'Iiion. traversent le Danube, Hagene que nul

prdisent

le fleuve. Ces exemeux ne repassera aux yeux des populaples montrent comment, une ncessit de l'ordre moral tions primitives, ou religieux et solennelle Pendant ralions la lgende une forle prparait celle du pome. unitqui que s'oprent ces diffrentes laboimprimait

du sujet de la tradition, la forme des chants qui la contiennent subit aussi quelques D'abord ceux qui ne rappellent changements. 6

66

INTRODUCTION. indiffrentes ou qui n'ont de la foule sont bien-

que des circonstances

point frapp l'imagination tt ensevelis dans l'oubli. Ceux au contraire que le peuple retient et qui conservent les traits de l'action se groupent, se combimarquants nent et peu peu se distribuent en pisodes assez intressants en eux-mmes pour exciter, et point pendant quet. La chanson l'attention longs pour fatiguer la sance d'un jour de fte ou de banassez

de guerre primitive, qui tait brve, anime, lyrique, destine tre rpte au moment de la bataille, devient ainsi un rcit dont la marche est paisible, dont toutes les circonstances sont mises en relief et qui est destine charmer l'oreille d'une runion attenles tive (1). Les divers pisodes sont enchans

(1) Les posiessaxonnes que le roi Alfred rcitait taient, d'aprs les premiers historiens, des pomes de ce genre. Asser, chroniqueur du neuvime sicle, en parle ainsi : Saxonica poemata die noctuque solers auditor relata aliorum sapissim audiens docibilis memoriter retinebat. Ailleurs, il est vrai, il parle aussi de carmina, et ce mot semble signifier des chants populaires : Et Saxonicoslibros recitare et maxime carmina Saxonica memoriterdiscere non desinebat.

INTRODUCTION. uns aux autres

67

par le lien d'une action gnrale; ils forment les parties d'un ensemble dont sont conet le dnomcnt les traits principaux ce remaniement, Aprs de prparation est termine (1) La l'poque matire pique esl prte, elle n'attend plus que nus des auditeurs. qui doit la mettre en oeuvre, le pote qui, portant en lui le gnie de sa nation, donnera la lgende sa forme dfinitive. l'artiste hroque n'a point pass partout par les diffrentes phases que nous venons d'indiquer. Ici, c'est le fond mme, le sujet; l, c'esl la forme, les chants qui ont chapp La tradition l'une ou l'autre de ces laboralions. En Es-

(1) Souvent des oeuvresprparatoires, des bauches d'pope prparent l'oeuvre dernire qui rejette plus tard toutes les autres dans l'oubli. C'est ainsi que le Mahdbhdrala, qui contient 200,000 vers, parle d'une premire recension qui n'en avait que 8,000. Le Shah-Nameh de Firdousi a t prcd par un recueil plus ancien des traditions persanes, de mme qu'avant Homre le cycle de la guerre de Troie formait dj un ensemble pique. Il est galement certain qu'il a exist sur les traditions des Nibelungen un pome antrieur celui que nous possdons.

68 pagne,

INTRODUCTION.

par exemple, le merveilleux n'a presque point pntr dans les cycles des romances historiques. Dans la Grce moderne, les traditions de la lutte de l'indpendance forme de chants populaires, cessaires sont restes les conditions sous n-

de l'pope ne pour la formation s'lant point rencontres. En France,au moyen ge, le merveilleux ne s'est ml aux souvenirs piques que sous l'influence de l'glise. Il en esl rsult qu'au lieu de leur communiquer un sens plus lev en rapport avec les donnes preil en a mouss toute la vigueur mires, par une en opposition commonastique comme on plte avec les moeurs hroques, en comparant l'ancienne peut s'en convaincre Chanson de Roland avec la Chronique de Turpin et avec les romans ecclsiastiques sur Charleet le Mahbhrala, magne. Dans le Rdmyana si complteles mythes religieux ont'absorb ment les traditions nages de l'pope que des symboles historiques, que les personne sont plus, pour ainsi dire, et l'action, que thologiques, couleur

INTRODUCTION. de systmes philosophiques. le dveloppement au contraire, En Allemagne, quand la tradition le christiaa pris la forme du Nibelunge-nt,

69

banni les anciens ayant dfinitivement dieux et les antiques croyances de la Germanie, on ne retrouve plus dans ce pome que la trace nisme En Grce efface des mylhes primitifs. tout s'est runi pour favoriser la seulement, presque d'une belle oeuvre. La tradition est production arrive maturit quand le polythisme hellde l'pope, nique, si favorable aux crations tait encore dans toute dans toute sa jeunesse, sa puissance , et avant que ses mythes se fussent transforms, comme durant la priode alexandrine, Les croyances en conceptions mtaphysiques. religieuses et les souvenirs histo-

associs, taient rests riques, harmonieusement vivants dans l'me du peuple et y entretenaient une sorle d'enthousiasme mystique et national: les lments dans louffasseni humains et divins s'taient mls une exacte sans que les uns proportion, les autres. Si l'on songe d'ailleurs 6.

70

INTRODUCTION.

avait plus que nul que ce peuple privilgi autre le sentiment de la mesure, de la convenance, de la posie el du beau sous toutes ses des causes formes, on entreverra quelques-unes qui ont permis la Grce de crer un pome si suprieur, comme oeuvre d'art, aux popes nationales des autres pays. du dIl y a encore une phase particulire de la posie pique au moyeu ge veloppement ici, parce qu'elle explique qu'il faut indiquer relative des productions en partie l'infriorit de cette poque, y compris le ISibolunge-nl. En Grce, les lgendes se sont conserves par le chant de l'criture, et c'est dans cette source vive que le pote a puis ses Au moyen ge, il n'en fut pas de inspirations. mme. Les auteurs de romans et de chansons de gestes ont bien pu s'inspirer aussi parfois de la tradition orale, mais ils avaient souvent recours en mme temps des documents crits en rdiges langue vulgaire ou des chroniques en une langue morte, en latin, ce qui devait sans le secours

INTRODUCTION. encore

71

plus refroidir leur verve (1). Les preuves de ce fait abondent : un grand nombre de les sources pomes du moyen ge indiquent crites d'o l'auteur a tir son sujet (2). D'ail-

(1) D'aprs un passage d'Asser que nous avons reproduit plus haut, Alfred ne cessait pas de rciter des livres saxons, Saxonicos libros, qui reproduisaient les sagas hroques. Charlemagne fit mettre par crit les sagas germaniques, et Louis le Dbonnaire, dans sa vieillesse, n'osait plus lire les gentilia carmina, par scrupule religieux. (2) En voici quelquesexemples. Dans le Grard de Roussillon, en provenal, on trouve : " Aisi cum ditz l'escrits que es el mostiers. L'auteur du Giard, en langue d'oil, critique le pote provenal en ces termes : >Ancor it moult echoses u'ilbaillepornotoires, d d q selon latinje netreuve voires. le Que pas L'auteur du Roman de Fierabras appelle les clergues, moines et prestres en tmoignage de la vrit de son rcit, dont > ASanDenis Fransa rolletrobatz. e folo Le Romande Roncevauxinvoqueplus d'une fois les autorits crites : Il estescritas Set-Sains Bretagne... en moutier... Ilestescril-au aint-Denis S Orderic Vital nous dit que les moines avaient compos une relation de la vie de Guillaumeau Court-Nez, si clbre dans les romans, et il ajoute que le rcit des religieux, relalio

72 leurs, dfaut

INTRODUCTION.

de toutes ces preuves, une seule suffirait, le nom que prit l'pope cette poque. Ce nom, roman, signifie traduction (1), version en langue romane, de mme que les coliers Virgile. disent le franais de Cicron ou de II marque le moment o la tradition

sort des couvents dans lesquels elle hroque s'tait conserve en langue latine, comme le mot lgende indique l'instant o la tradition est entre dans le clotre, o elle a cess d'tre transmise oralement genda. Voici donc un et o fait elle a d tre incontestable lue, le-

et unique

aulhenlica, est beaucoup plus exact que les chants vulgaires, eantilenoe. Le Waltharius manufortis est un ancien chant germanique traduit en latin par un moine de Saint-Gall. La Elage, suite et rsum du Nibelmge-nt, invoque aussi une recension latine. J'abrge ces citations, qu'il serait facile de multiplier. (1) Cette tymologie est certaine. En espagnol, ds le quatorzime sicle, romanzar signifie traduire, comme le prouve le titre suivant, qui date de 1389 : El libro de Caliba, que fne sacado de arabigo, en latin romanzado, por mandado del Lfante Alfonso. En provenal, le mot est pris dans le mme sens.

INTRODUCTION. dans l'histoire entre

75

de l'pope : la tradition hroque dans les monastres" sous forme de chants

elle s'y fixe sous forme de prose populaires; latine ou de vers latins; elle en sort sous forme de roman en langue vulgaire. comment pas difficile d'expliquer cette phase s'esl accomplie. Ds le huitime et mais principalement aux le neuvime sicle, de l'an mil, une tristesse profonde approches Il n'est s'tait empare d'un grand mls aux affaires du monde dans les clotres Parmi ces hommes nombre d'hommes et les avait pousss le repos et l'espil s'en trouva beau-

chercher rance.

le pass, se plurent coup qui, se rappelant rpter les faits auxquels ils avaient assist ou les chants historiques dont ils avaient conserv le souvenir. que moine A ces rcils, l'imagination de quellatiniste s'veillait; rentr dans sa

cellule, il pensait ce qu'il venait d'entendre ; il le gravait dans sa mmoire, puis l'crivait soit en prose, soit en vers latins. Quand ensuite il rdigeait la chronique du couvent, il y inter-

74

INTRODUCTION.

calait quelques fragments de ces narrations dj moiti mythiques, ou mme des parties de ces chants posait fondre hroques qu'il avait traduits, et il comainsi des histoires o venaient se conles vnements rels et les fictions de la

posie. C'est en gnral dans les couvents, grce aux longs loisirs et aux heures uniformes, que sont ns ces pomes bizarres o les souvenirs de l'antiquit moyen aux croyances naves du ge et o les crations d'Homre et de avec les ides chrtiens'amalgament, se mlenl

Virgile nes. Dans ces paisibles retraites s'opra le mlange des chants piques de Rome et de la Grce et des chansons Pyrnes venues des populaires et du pays de Galles. L se sont dles germes brelons de la plupart des

velopps romans de la Table ronde

et du Saini-Graal, comme on le voit par les rcils du moine cambrien Nennius, qui, ds le neuvime sicle, fait d'Arthur, bardes, celte figure mythologique des anciens un fils soumis de l'lise et de la

INTRODUCTION. Vierge. L Alexandre sont ns l'Alexandre chevalier, de Charle-

75

chrtien,

le magne Jrusalem, Faux Gildas, Merlin et ses prophties,et cette histoire de Raymond de Bousquet, trange le roman provenal dont Fauriel a relrouv el qui n'est autre chose que l'histoire d'Ulysse, mais d'un Ulysse chrtien qui fait la guerre aux Berbres et qui contribue la vicsujet toire Sanche 4009. de Djebal remporte par le comte de Castille sur Mohamed-el-Madhi don en

le Foyage le Brut d'Angleterre,

L aussi se dveloppent saints guerriers, comme saint Georges,

les lgendes des Martin et saint

les hros de l'poque qui remplacrent paenne. La posie pique de l'Italie sort galement du couvent, car c'est dans les monastres que fut compos qui, traduit en italien Franeia, a fourni chevaleresques seizime sicle. C'est donc en latin ce curieux rcit di sous le nom de Reali

les sujets de tous les pomes de l'Italie, du quatorzime au partie dans ces pro-

en grande

76 ductions

INTRODUCTION.

monastide l'imagination singulires que- que les potes du moyen ge devaient La source vive de la leurs inspirations. puiser posie et de la tradition populaires tait presque leur service tarie pour eux. Ils n'avaient et comqu'une langue en voie de formation pose d'lments lisse ensemble, fluence aux des disparates trouvaient non encore d'ailleurs fondus sous l'in-

ides chrtiennes, peu favorables violents de vengeance et de sentiments

d'amour et de jalousie, ressorts habravoure, bituels de la vie barbare et des popes natioles gnies qui nales. Les hommes rninents, auraient pu devenir de grands poles, ddaignaient la langue et les lgendes du peuple, crivaient en latin el se vouaient tout entiers l'ludede runies matire la thologie. expliquent pique Toutes ces circonstances comment la suffisamment

dans rpandue si abondamment tous les pays de l'Europe depuis la chute de l'empire romain n'a nulle part trouv un Homre, pas mme pour chanler la catastrophe

INTRODUCTION. tragique Roland,

77

ou la mort sublime de des Nibelungen on ellesdeux scnes qui, considres effet dramatique

comme mmes, surpassent toutes celles de l'Iliade. D'aprs quelques pement ce qui prcde, mots la marche

de la tradition

on peut rsumer en que suit le dvelopsous l'empire des lois

au progrs de l'esprit gnrales qui prsident humain. Un fait se produit dans le monde rel, un grand homme ou une grande catastrophe branle c'est noyau fortement le germe historique d'un l'imagination de l'pope, primitif autour peuple : c'est le

par couches superposer, les dpts successifs de l'imagination suivant un mode de formation

se duquel viennent de couleurs varies, populaire lent et graduel

qui fait penser celui des agales dans l'ordre L'enthousiasme el les autres facults physique. des peuples potiques propres la jeunesse transforment peu peu la tradition, d'aprs les les sentiments et l'idal de chaque croyances, race. Le mylhe historique se forme : le grand

78 homme Bientt nages rel

INTRODUCTION. devient le hros de l'pope. : les person l'action, de la nature les ou

le merveilleux mythologiques

intervient se mlent des forces

figures symboliques des attributs divins, maines, fluence entrent d'une

ayant pris des formes hudans la tradition. Sous l'in-

constituer

conception un ensemble

sodes, prsente lrl soutenu. La saga reste l'tat fluide pour elle se transainsi dire. Elle se dveloppe,

morale, celle-ci tend qui, distribu en piune trame suivie el offre un in-

forme, d'aprs les croyances des gnrations ; semblable un fleuve qui reoit dans son cours cent affluents diffrents de teinte el de composition, elle runit en un tout des lgendes divines et humaines, et fabuleuses, historiques parties des quatre points de l'horizon, et manes une de vingt tribus diffrentes, tantt absorbant tradition nouvelle, tantt rejetant une tradition admettant des personnages ancienne,tourlour rcents dont et en oubliant d'autres le souvenir commence plus baisser. anciens

INTRODUCTION. Des transformations les compositions ment de gnration

79

analogues ont lieu dans oraletransmises potiques,

en gnration et sans cesse chants historiques, remanies. Les premiers trs brefs et destins tre rpts pendant les

se confondent et les fles, s'tendent, et forment un cycle en se groupant autour d'un combats Aprs avoir trala matire vers toutes ces phases successives, les pique arrive enfin terme. Surviennent les potes, et l'pope nat plus ordonnateurs, ou moins parfaite, suivant que les circonstances nom ou d'un fait dominant. sont plus ou moins favorables au dveloppement harmonieux des lments de la fiction de l'auteur et l'ap l'inspiration des rgles du got el du beau litt-

hroque, plication raire (1).

(1) M. Adolphe Pictet, propos des pomeshomriques, rsume parfaitement le mode de formation de ces popes : " Ds qu'il se produit dans la vie nationale quelque grand et glorieux vnement, les chanteurs sont l'oeuvre pour le clbrer en dtail d'abord, et en le suivant dans ses pripties successives. Il se forme ainsi une premire collection de

80

INTRODUCTION.

les sources et le mode Aprs avoir-nndiqu de formation de l'pope en gnral, il nous reste maintenant celte thorie examiner esl confirme jusqu' quel point par l'lude des ori-

gines du .'Mbelunge-nt. chants piques improviss et retenus facilement, cause de leur peu d'tendue. Ces chants sont simples, nafs, vrais avant tout, et l'art s'y montre peine. Quelques-unscependant se distinguent des autres soit par un mrite suprieur, soit par l'intrt plus vif de leur sujet. Ceux-lse transmettent et se conservent, les autres tombent bientt dans l'oubli. Un second travail commencealors, un travail d'extension et de perfectionnement. Sans perdre leur caractre primitif de vrit nave, les rcits s'allongent, les motifs se dveloppent, les descriptions se dplacent, la posie se revt d'images, et l'art commence se montrer dans l'agencement de l'action. On voit natre et se former ainsi un cycle de petits pomes narratifs relis entre eux par l'unit, tous anims par une mme inspiration, l'inspiration commune de la muse nationale, tous revtus des mmes formes, formes nes spontanment avec la posie elle-mme, perfectionnes, assouplies et devenues typiques par un constant usage. Tout est prt alors pour la naissancede l'pope proprement dite, et si quelque gnie plus puissant, nourri de cette forte substance de la posie nationale, saisit l'ide de runir les matriaux tout prparcs pour la construction de l'difice, celui-ci ne tarde pas s'lever dans sa majestueuse grandeur. Bibl. universelle de Genve,t. XXX, anne 1855.

INTRODUCTION.

81

II A propos d'une dition du Nibelunge-nt, publie en 1827 par Karl Si m rock, Goelhe a trac en quelques des lignes le programme de ce pome. questions que soulve l'examen Nous essaierons peu prs l'ordre qu'indique le grand pote, qui tait aussi un critique minent trs vers dans l'histoire des origines de la littrature allemande. L'oeuvre, dans la forme o elle nous est pardes premires venue, date, suivant Lachmann, d'autres annes du treizime (1) el, d'aprs rudils, de la fin du douzime sicle. Elle fui rdige slaufen, l'poque des Hohenpar consquent quand les lettres, les arts, l'architecde les traiter en suivant

(1) Lachmann fixela publication du pome vers l'an 1210, parce que l'auteur s'est servi des noms de pays Azagouc et Zazamancqui ne ,se rencontrent que dans le Parzival, o ils ont d tre pris, suivant le savant critique. Mais M. Holtzmanu, Uidersuchungeniiber das Nibelungen-licd, pag. 82, dit que ces deux noms ont pu tre emprunts par Wolfram

82

INTRODUCTION. se dvelopprent sous l'incroisades et des relations avec l'Orient. Le des dialecte souabe, la langue tait devenu

ture et le commerce fluence l'Italie des et avec

troubadours, que Frdric II aimait tant, et les romans en langue d'oc et en langue d'oil avaient rpandu le got des compositions chevaleresques. Aussi quand on trop rudes de l'antique tradition des Nibelungen et qu'on l'eut revtue des couleurs la haute socit foqui charmaient dale de l'poque, le pome dul avoir un grand succs. Ce qui semble le prouver, c'est le nombre et la beaut des manuscrits qu'on en a del dont les plus remarquables, celui couverts, de Saint-Gall, les deux de la bibliothque de Munich, et celui de Lassbergh, que cet ami eut adouci les traits

dj un peu assoupli, des cours. Les posies

von Eschenbach, auteur du Parzival, des sources antrieures qui nous sont restes inconnues. En tout cas, la mention qui est faite de Vienne commed'une ville riche et importante ne permet pas de reculer la compositiondu pome dans sa forme actuelle avant le douzimesicle, car ce n'est que du milieu de ce sicle que date le dveloppement de cette ville.

INTRODUCTION. enthousiaste des lettres fil transcrire

85 dans une

salle de son chteau, ont t crits au treizime sicle. Indpendamment de ces quatre manuscrits, on en a retrouv encore seize autres contenant, soit le pome en entier, soit seulement des fragments. Parmi ceux-ci, il en esl un en flamand, de la fin du treizime sicle, dcouvert la bibliothque de Gand, dans la couverture d'un vieux volume la vogue qu'obtint de langue germanique. La question de savoir reli, preuve nouvelle de l'oeuvre clans tous les pays

du qui est l'auteur el o le pome a t compos, a Sibelunge-nt donn lieu de longs dbals qui rvlent une mais qui n'ont abouti rudition, ingnieuse aucun rsultat positif. Quelques auteurs ont mis en avant un nom propre, Heinrich von Ofterdingen,qui, d'aprs les uns, aurait appartenu une famille patricienne de Mayence, et d'aprs les autres, une maison autrichienne; d'autres critiques ont soutenu que l'auteur devait avoir vcu dans les pays qui bordent le

84

INTRODUCTION.

Danube, parce que dans le rcit du voyage de Kriemhilt vers la cour d'Etzcl, toutes les tapes sont dcrites avec une exactitude gode la congraphique qui rvle un habitant tre. Mais le savant Lachmann, esprit profond el caustique, se moque de ces hypothses, peu justifies son avis, car, dit-il, on attribue un personnage, qui est presque un mythe,une composition qui ne peut tre l'oeuvre d'un seul pote. Il est arriv

pour l'auteur du Xibelunge-nl ce qui avait eu lieu dans l'antiquit pour celui des pomes homriques. A dfaut d'indications positives, chaque pays de l'Allemagne a revendiqu tour tour l'honneur d'avoir donn le jour au crateur de l'oeuvre dont s'enorgueillissait la race entire, mais jusqu' prsent aucun d'eux n'a pu tablir ses titres cette glorieuse paternit. D'aprs l'minent critique que nous venons ceau serait du de citer, l'obscurit qui couvre le beret il facilement, pote s'expliquerait mme inutile de chercher en pntrer

INTRODUCTION.

83

le mystre. Appliquant le systme de Wolf dans toute sa rigueur, Lachmann prtend que le n'est pas l'oeuvre originale d'un JSibelunge-nl pote inspir, mais qu'il esl form de l'assemblage de vingt chant