la responsabilité introuvable d'un chef d'etat africain

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UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-DENNE FACULTE DE DROIT ET DE SCENCE POLITIQUE No attribué par la bibliothèque LA RESPONSABILITE INTROUVABLE DU CHEF D7ETAT AFRICAIN : ANALYSE COMPAREE DE LA CONTESTATION DU POUVOIR PRJ3SIDENTIEL EN AFRIQUE NOIRE FlRANCOPHONE. (Les exemples camerounais, gabonais, tchadien et togolais). THESE Pour le Doctorat en Droit public Présentée et soutenue publiquement par Télesphore ONDO Le 6 juillet 2005 JURY -M. Daniel BOURMAUD, Professeur de Science politique à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, Rapporteur. -M. Michel DEGOFFE, Professeur de Droit public à l'université de Reims. -M. Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, Professeur de Droit public à l'université Montesquieu Bordeaux IV, Rapporteur. -M. Philippe LAUVAUX, Professeur de Droit public à l'université de Paris II (Panthéon- Assas) et à l'université Libre de Bruxelles, Rapporteur. -M. Slobodan MILACIC, Professeur de Droit public et de Science politique à l'université Montesquieu Bordeaux IV. -M. Patrick TROUDE-CHASTENET, Professeur de Science politique à l'université de Poitiers, Directeur de thèse. TOME 1

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Thélesphore Ondo

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UNIVERSITE DE REIMS C H A M P A G N E - D E N N EFACULTE DE DROIT ET DE SCENCE POLITIQUE

No attribu par la bibliothque

LA RESPONSABILITE INTROUVABLE DU CHEF D7ETATAFRICAIN :ANALYSE COMPAREE DE LA CONTESTATION DU POUVOIR PRJ3SIDENTIEL EN AFRIQUE NOIRE FlRANCOPHONE.

(Les exemples camerounais, gabonais, tchadien et togolais). THESE Pour le Doctorat en Droit public Prsente et soutenue publiquement parTlesphore ONDO

Le 6 juillet 2005

JURY-M. Daniel BOURMAUD, Professeur de Science politique l'universit de Pau et des Pays de l'Adour, Rapporteur. -M. Michel DEGOFFE, Professeur de Droit public l'universit de Reims. -M. Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, Professeur de Droit public l'universit Montesquieu Bordeaux IV, Rapporteur. -M. Philippe LAUVAUX, Professeur de Droit public l'universit de Paris II (PanthonAssas) et l'universit Libre de Bruxelles, Rapporteur. -M. Slobodan MILACIC, Professeur de Droit public et de Science politique l'universit Montesquieu Bordeaux IV. -M. Patrick TROUDE-CHASTENET, Professeur de Science politique l'universit de Poitiers, Directeur de thse. TOME 1

UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNEFACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE

No attribu par la bibliothque

LA RESPONSABILITE INTROUVABLE D U CHEF D7ETATAFRICAIN :ANALYSE COMPAREE DE LA CONTESTATION DU POUVOIR PRESJDENTIEL EN AFRIQUE NOlRE FRANCOPHONE.

(Les exemples camerounais, gabonais, tchadien et togolais). THESE Pour le Doctorat en Droit public Prsente et soutenue publiquement parTlesphore ONDO

JURY

-M. Daniel BOURMAUD, Professeur de Science politique l'universit de Pau et des Paysde l'Adour, Rapporteur.

-M. Michel DEGOFFE, Professeur de Droit public l'universit de Reims.

-M. Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, Professeur de Droit public I'U~versitMontesquieu Bordeaux IV, Rapporteur. -M. Philippe LAUVAUX, Professeur de Droit public l'universit de Paris II (PanthonAssas) et l'universit Libre de Bruxelles, Rapporteur.

-M. Slobodan MILACIC, Professeur de Droit public et de Science politique YuniversitMontesquieu Bordeaux IV.

-M. Patrick TROUDE-CHASTENET, Professeur de Science politique l'universit dePoitiers, Directeur de thse. TOME 1

Si nous appelons heureux certains empereurs chrtiens, ce n'est pas parce qu'ils ont

rgn longtemps, ou qu'ils sont morts d'une mort paisible en laissant l'empire leurs fils, ou qu'ils ont dompt les ennemis de l'Etat, ou qu'ils ont pu se garer des ennemis du dedans dresss contre eux, et en venir bout. Tout cela, toutes ces russites ou ces consolations de cette vie de misre, certains adorateurs des dmons ont mrit aussi d'en bnficier ;ils n'ont pourtant rien de commun avec le royaume de Dieu, ce n'est pas le cas de nos empereurs. Ainsi en a dcid la misricorde de Dieu, pour que ceux 'qui croient en Lui ne dsirent pas ces avantages comme s'ils reprsentaient le souverain Bien. Non, nous disons qu'ils sont heureux, s'ils commandent avec justice ; si, au milieu des louanges qui les exaltent et des hommages dont on les salue avec trop de servilit, ils ne s'enorgueillissent pas et se souviennent qu'ils ne sont que des hommes ; s'ils mettent leur puissance au service de la Majest divine pour tendre le plus possible le culte de Dieu ; s'ils craignent Dieu, s'ils l'aiment, s'ils l'honorent, s'ils prfrent ce royaume (du ciel) o ils ne redoutent pas de trouver des gaux ; s'ils sont lents punir, faciles pardonner ; s'ils n'exercent leur vindicte que par obligation de protger et de diriger l'Etat, et non pour assouvir des haines personnelles ; s'ils accordent leur pardon, non pour assurer l'impunit au crime, mais par espoir d'un amendement chez le coupable ; si, souvent contraints d'user de rigueur, ils compensent cette obligation par la douceur de leur mansutude et l'ampleur de leurs bienfaits ; s'ils sont d'autant plus retenus dans l'ordre des plaisirs coupables qu'ils seraient plus libres de s'y abandonner ; s'ils prfrent dominer leurs passions mauvaises plutt que n'importe quelles nations ; et s'ils font tout cela, non par dsir passionn d'une vaine gloire, mais par amour d'une ternelle flicit ; enfin, si pour leurs pchs, ils ne ngligent pas d70fEt-ir Dieu un sacrzce d'humilit, de misricorde et de prire. Des empereurs chrtiens comme ceux-l, oui, nous les proclamons heureux, ds ce monde en esprance, plus tard en ralit, quand ce que nous esprons sera accompli . Saint Augustin, La C t de Dieu, t. 1, introduction et notes par i Pierre de Labriolle, Paris, Ed. Garnier Frres, 1957, livre 5, chapitre 25.

DEDICACES

Je ddie ce travail :

A mon dfunt pre Daniel ONDO NDONG, dput sous la deuxime et cinquime lgislature. J'aurais tant voulu que tu me lises.A ma mre Anne-Marie ANDEME EDZANG, pour tout ce que je reprsente pour toi.

A mon pouse Diane La ONDO, pour ses encouragements, sa grande patience et son soutien moral, spirituel et matriel.A mon grand fire Franois MEYE M'ONDO, qui a pris cur de financer mes

tudes au-del de mes esprances. A tous mes frres, surs et amis.

4

REMERCIEMENTS

Ma gratitude va en tout premier lieu -mon directeur de thse, le Professeur Patrick TROUDE-CHASTENET. Les conseils, les encouragements et la confiance qu'il m'a prodigus avec une attention, une patience et une disponibilit jamais prises en dfaut sont directement l'origine de l'achvement de ce travail. J7esprequ'il ne regrettera pas trop de m'avoir accord tant de temps. Je remercie aussi tout le corps enseignant de la Facult et plus particulirement les Professeurs Jean-Pierre COLIN et Jean-Claude NEMERY pour leurs prcieux conseils mthodologiques.

Mes vifi remerciements vont galement tous ceux qui m'ont prodigu des conseils importants et communiqu des documents indits : Slobodan MILACIC et Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, Professeurs l'universit Bordeaux IV, Jean-Franois MEDARD, Professeur YIEP de Bordeaux, Daniel BOURMAUD, Professeur l'universit de Pau, Blaise-Lionel

MEMIAGUE, enseignant chercheur l'universit Omar Bongo de Libreville. De nombreuses personnes m'ont apport leur soutien moral, spirituel, matriel et hancier tout au long de ces annes de thse : la famille ROT-TFFET, Pasteurs Guy BERGAMINI, David PORTER, Denis BIAVA, Joseph ATTA et familles, MM. et m e s ACADIA, ROCHETTE, GAND, FEREIRA, AKEWA et LUIZIN, sans oublier mes amis de la Facult, Herv NGANGUI, Abdoulaye TINE, R u h o D'ALMEIDA, Pggy ABAKA et Koffi YAPI. Je remercie enfin Michel DEGOFFE, Professeur l'universit de Reims, David RECONDO, Directeur de recherches 171EP de Paris, Jean-Barty BACHARAT, Avocat stagiaire au barreau de Paris, Jean-Pierre ROUFFET, Ingnieur comptable Reims et JeanChristophe SOUFFLET, Instituteur Reims, qui ont accept de consacrer une partie de leur temps que je sais d'ailleurs prcieux la relecture et la critique de parties plus ou moins longues de mon travail.

LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS

AHRFCADP EDJA LGDJ PUAM PUF

Annales historiques de la Rvolution fianaise Cahiers aEicains d'administration publique Editions juridiques akicaines Librairie gnrale de droit et de jurisprudence Presses universitaires d'Aix-MarseiUe Presses universitaires de France Revue administrative Recueil des cours de l'Acadmie de droit international de la Haye Recueil camerounaise de droit Revue de droit africain Revue de droit public et de la science politique en France et l'tranger Recueil (camerounaise) de droit et de science politique Revue fianaise d'administration publique Revue fianaise de droit administratif Revue fianaise de droit constitutionnel Revue fianaise d'tudes politiques africaines Revue fianaise d'histoire des ides politiques Revue fianaise de science politique Revue gnral de droit international public Revue internationale de droit compar Revue internationale de science administrative Revue juridique et politique (indpendance et coopration) Revue politique et parlementaire Revue de science criminelle et de droit pnal compar Revue trimestrielle des droits de l'homme Revue universelle des droits de l'homme,

RARCADI

RCD

Re. Dr. Afric.

RDP RDSP

RFAPRFDA

RFDC RFEPA RFHIP RFSP RGDIPRIDC

RISARJP (IC) RPP

M CRTDHRUDH

6 SOMMAIRE

INTRODUCTION...9

PREMIERE PARTIE : LORGANISATION DEFICIENTE DU SYSTEME DE RESPONSABILITE PRESIDENTIELLE : LIMPOSSIBLE REVOCATION DU CHEF DETAT AFRICAIN.52

Titre 1 : La raffirmation de lirresponsabilit prsidentielle....55

Chapitre 1 : Les fondements intangibles de lirresponsabilit prsidentielle....58

Section 1 : Le fondement culturel de lirresponsabilit prsidentielle : rappropriation et dnaturation du sacr par le Chef de lEtat..59

Section 2 : Les fondements juridique et institutionnel de lirresponsabilit du Chef dEtat africain..89

Chapitre 2 : Le renforcement de lirresponsabilit prsidentielle...158

Section 1 : Le laminage du contrle parlementaire....159

Section 2 : Lannihilation des contrles juridictionnel et dmocratique....194

Titre 2 : La conscration dune responsabilit politique alatoire du Chef de lEtat...232

Chapitre 1 : Les formes de responsabilit politique du Chef de lEtat....233

Section 1 : La responsabilit politique exceptionnelle du Chef de lEtat devant la HCJ.234

7 Section 2 : La responsabilit du Prsident de la Rpublique devant le peuple...248

Chapitre 2 : La mise en jeu hypothtique de la responsabilit politique du Prsident de la Rpublique....265

Section 1 : Linopprance de la responsabilit politique exceptionnelle du Prsident....265

Section 2 : Lalternance prsidentielle empche...284

DEUXIEME PARTIE: LIRRUPTION DE PROCEDES DIVERS DE CONSTESTATION DU POUVOIR PRESIDENTIEL : DES SOLUTIONS PALLIATIVES ILLUSOIRES A LIRRESPONSABILITE PRESIDENTIELLE318

Titre 1 : La prolifration des mcanismes de contestation juridique et politique du Chef de lEtat : des correctifs alatoires labsence de responsabilit prsidentielle321

Chapitre 1 : La typologie des mcanismes de contestation du Chef dEtat africain.321

Section 1 : Les mcanismes de contestation maximale ou de destitution du Chef de lEtat.....322

Section 2 : Les mcanismes de contestation mineure ou de limitation et de contrle du pouvoir prsidentiel.361

Chapitre 2 : La porte limite des mcanismes de contestation juridique et politique du Chef dEtat africain....401

Section 1 : Lefficacit socio-politique relative des mcanismes

8 de contestation du Chef dEtat africain...402

Section 2 : Les limites des mcanismes de contestation du Chef de lEtat 424

Titre 2 : Le dveloppement des procdures de contestation pnale du Chef de lEtat : des substituts superftatoires lirresponsabilit prsidentielle.....471

Chapitre 1 : Les procdures de contestation pnale du Chef de lEtat473

Section 1 : La responsabilit pnale interne du Chef dEtat africain......473

Section 2 : La responsabilit pnale internationale du Chef de lEtat481

Chapitre 2 : Les dficiences de la responsabilit pnale du Chef dEtat africain.....513 Section 1 : Linefficacit de la mise en jeu de la responsabilit pnale interne du Chef de lEtat.....513

Section 2 : Les obstacles la mise en uvre de la responsabilit pnale internationale du Chef dEtat africain.525

CONCLUSION..547

BILBIOGRAPHIE....550

ANNEXES..629

TABLE DES MATIERES..669

9

INTRODUCTION

Le problme politique par excellence nest pas tant la question de qui dtient le pouvoir,mais du moyen de contrler et de limiter celui-ci. Le bon gouvernement ne se juge pas laune du petit ou grand nombre de ceux qui le possdent mais du petit ou grand nombre des choses quil leur est autoris de faire . Ces propos de Norberto Bobbio montrent bien que lun des problmes1

essentiels ltablissement dune Rpublique est le contrle et la limitation du pouvoir (Gewaltbergrebzung) du dirigeant suprme 2 , plus prcisment sa responsabilit. Ce problme se pose avec beaucoup dacuit dans les systmes politiques africains 3 . En effet, la responsabilit du dirigeant suprme africain, bien que consacre par les diffrentes Constitutions tudies 4 , apparat pratiquement hypothtique. La difficult ne semble dailleurs pas spcifique aux Etats africains 5 . En effet, ainsi que lobserve Adheimar Esmein, laresponsabilit parat chimrique, presque impossible faire passer dans la pratique, lorsquelle vise le titulaire mme du pouvoir excutif .6

Toutefois, cette prsentation densemble de la problmatique de la responsabilit du Chef dEtat africain reste vague puisquelle ne permet pas de saisir les diffrents lments qui participent la comprhension du sujet. Cest pourquoi la prsente tude se propose danalyser toutes les dimensions thoriques, pratiques, nationale et internationale de la responsabilit introuvable du Prsident de la Rpublique. A cette fin, il nous semble ncessaire de fixer pralablement le cadre thorique et matriel de notre recherche (I). Une analyse approfondie de celui-ci permet de constater que le principe de responsabilit prsente un intrt certain. Cela ne peut tre dmontr que selon une mthode scientifique spcifique

Norberto Bobbio, Libralisme et dmocratie, Paris, Cerf, 1996, p. 70. Joseph Barthlemy note dans le mme sens qu au premier rang des problmes que soulve ltablissement de la Rpublique, simposent comme les plus importants et les plus dlicats ceux qui intressent le pouvoir excutif et notamment sa limitation, in Le rle du pouvoir excutif dans les Rpubliques modernes, Paris, Giard et Brire, 1906, p. 5. Dominique Margairaz souligne aussi que les constituants de lan III, en abordant la question de lExcutif, sont avant soucieux dlaborer une formule assurant lquilibre des pouvoirs, ou pour parler dans les termes alors en usage, la balance des pouvoirs , in La figure de lExcutif pendant les deux ministres Neufchteau , AHRF, n2, 2003, pp. 81-99, p. 84. Voir aussi, Paolo Colombo, La question du pouvoir excutif dans lvolution institutionnelle et le dbat politique rvolutionnaire , AHRF, n1, 2000, pp. 1-26. 3 Nous entendrons par systmes politiques africains tout au long de cette recherche, les systmes politiques camerounais, gabonais, tchadien et togolais. 4 Toutes les Constitutions africaines prvoient la responsabilit politique exceptionnelle du Chef de lEtat. Voir, articles 76-79 et 176-182 des Constitutions tchadienne du 16 avril 1962 et du 14 avril 1996 ; articles 34 et 53 de la Constitution camerounaise du 2 juin 1972 ; articles 126129 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992 ; articles 62-63 et 78-81 respectivement des Constitutions gabonaises du 21 fvrier 1961 et du 26 mars 1991. 5 Dans cette thse, nous entendrons par Etats africains, les Etats tudis. 6 Adheimar Esmein, Elments de droit constitutionnel franais et compar, Paris, Ed. Panthon-Assas, 2001, p. 138.2

1

10 (II). Ces donnes permettront de dgager la problmatique de la recherche et de justifier le plan (III).

I-Le cadre thorique et matriel de notre recherche

Pour mieux apprhender notre sujet, il convient de procder dune part, lanalyse conceptuelle (A) et, dautre part, de dlimiter son champ matriel ou gographique (B).

A-Lanalyse des concepts

Lanalyse conceptuelle est une dmarche thorique essentielle dans toutes les branches des sciences sociales 7 . Elle permet de clarifier des notions aussi incertaines et floues que sont le Chef de lEtat et la responsabilit .

1/-Le Chef de lEtat

Le concept de Chef de lEtat est rcent en Afrique. Il remonte des premires Constitutions africaines au dbut des annes soixante. Mais la notion de chef , elle, est antrieure cette priode. Une analyse approfondie de lexpression Chef de lEtat veut donc que lon tienne compte de cette antriorit du mot chef par rapport lEtat au sens moderne avant de dfinir la notion de Chef de lEtat .

a)-Lantriorit du chef Linstitution de la chefferie 8 est largement antrieure celle de Chef de lEtat . Le terme chef vient du latin caput, cest--dire tte. Il sagit de celui, ou de celle qui exercelautorit sur un groupe, une collectivit, une organisation ; celui qui en assure la direction .9

En Afrique, la notion de chef est permanente. Elle existe, en principe, dans toutes les socits traditionnelles pr-coloniales et ne disparat pas sous la colonisation.

Sur limportance des dfinitions comme pralables analytiques, voir, Marcel Mauss, Essai de sociologie, Paris, Minuit, 1968, p. 30 ; Daniel Gaxie, Sur quelques concepts fondamentaux de la science politique , in Mlanges offerts Maurice Duverger, Droit, institutions et systmes politiques, Paris, PUF, 1987, pp. 595 et suiv. 8 Jean-Jacques Vilandre, Les chefferies en Afrique occidentale franaise, thse, Droit, Paris, 1975, 70 p. ; Jean-Pierre Magnant (sous la direction de), La chefferie ancienne. Etudes historiques sur le pouvoir dans les socits prcoloniales du Tchad. Daprs les sources orales, Perpignan, Cahier du CERJEMAF, n5, Presses universitaires de Perpignan, 1994. ; Catherine Cocquery-Vidrovitch, A propos des racines historiques du pouvoir : Chefferie et Tribalisme , Pouvoirs, n25, 1983, pp. 51-62. 9 Grard Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 1987, p. 132.

7

11

-Le chef dans les socits pr-coloniales

Lexistence ou non du chef dans toutes les socits traditionnelles africaines a fait lobjet dune controverse doctrinale importante ainsi que le montrent les diffrentes typologies tablies par les ethnologues et les anthropologues. Ces typologies se sont superposes et compltes quand elles ne se sont pas farouchement contestes. Les anthropologues britanniques Meyer Fortes et Edward E. Evans-Pritchard 10 sont les premiers opposer socits Etats et socits sans Etats . Selon les tenants de cette typologie binaire 11 , en Afrique pr-coloniale, il aurait exist deux types de socits : des socits a-politiques, archaques , par consquent sans pouvoir politique, sans chef, et des socits tatiques disposant dun vritable pouvoir politique et donc dun chef. Cette division diptyque a t largement conteste par dautres ethnologues et anthropologues. Georges Balandier la, par exemple, qualifie de dichotomie sommaire et trompeuse 12 . Hubert Deschamps a, en revanche, propos le triptyque anarchies , chefferies et Etats 13 . Grard Conac, lui, critique toutes ces typologies mais retient, comme les autres auteurs, lexistence de socits sans pouvoir : lAfrique noire prcoloniale en donnant des socits sanschef dment lopinion trop catgorique des juristes occidentaux qui aimaient soutenir que de telles socits archaques ne pouvaient correspondre qu des schmas thoriques . Et il ajoute: la socit sans chef nest pas du domaine de lutopie () .14

Les conclusions de ces diffrents auteurs reposent en fait sur une conception occidentale du pouvoir politique. En effet, en Occident, le pouvoir est dfini uniquement sous langle de la relation commandement-obissance. Ainsi, pour Jean-William Lapierre, le pouvoir politique est la combinaison variable de relations commandement-obissance (autorit) etdomination-soumission (puissance) pour lesquelles seffectue cette rgulation . Mais, de15

nombreux ethnologues et anthropologues 16 ont montr que sils existent des socits sans Etat, il ne saurait exister de socits sans pouvoir politique.In Les systmes politiques africains, Institut international africain, traduit de langlais par Paul Ottino, Paris, PUF, 1964. Bernard Asso fait partie de ceux-l puisquil distingue les socits forte compensation du pouvoir des socits faible compensation du pouvoir , in Le Chef dEtat africain. Lexprience des Etats africains de succession franaise, Paris, Ed. Albatros, 1976, pp. 31-38. 12 Georges Balandier, Anthropologie politique, Paris, PUF, 1967, pp. 8-9. 13 Hubert Deschamps, Les institutions politiques dAfrique noire, 3e d., Paris, PUF, coll. Que sais-je ? , n549, 1970, pp. 13-36. Cette division triptyque est reprise par Pierre-Franois Gonidec qui distingue la dmocratie pure et parfaite (socits anarchiques), la monocratie limite et la monocratie autocratique ou despotique , in Les systmes politiques africains, 1re partie. Lvolution-La scne politique Lintgration nationale, Paris, LGDJ, Bibliothque africaine et malgache, t. 14, 1971, pp. 31 et suiv. 14 Grard Conac, Le dveloppement administratif des Etats dAfrique noire , in Grard Conac (sous la direction de) Les institutions administratives des Etats francophones dAfrique noire, Paris, Economica, 1979, p. IX. 15 Jean-William Lapierre, Vivre sans Etat ? Essai sur le pouvoir politique et linnovation sociale, Paris, Ed. du Seuil, 1977, p. 16. 16 Georges Balandier, ibid., pp. 42 et suiv. ; Jean-William Lapierre, Essai sur les fondements du pouvoir politique, Paris, Ophrys, 1968, p. 229. Pierre Clastre, La socit contre lEtat, Paris, Ed. de Minuit, 1974, p. 21.11 10

12 Ainsi, la dfinition selon laquelle la coercition est le principal attribut du pouvoir politique est largement partielle. Elle ne tient compte que dune catgorie de socit. Mais, comme le souligne Bertrand de Jouvenel, il suffit de rappeler que pendant des sicles, Rome napas connu de fonctionnaires professionnels, na vu dans son enceinte aucune force arme, et que ses magistrats ne pouvaient utiliser que quelques lecteurs . Et lauteur poursuit, si le pouvoir avait alors des forces pour contraindre un membre individuel de la Communaut, il ne le tirait que du concours des autres membres . Le pouvoir non coercitif est aussi observ dans les socits17

amrindiennes tudies par Pierre Clastres. Selon lanthropologue franais, lide de donnerun ordre ou davoir obir, sauf aux circonstances trs spciales comme lors dune expdition guerrire est quelque chose dtranger lIndien . On retrouve ce type de socits en18

Afrique pr-coloniale. On peut citer, entre autres, les Kabr au Nord du Togo et les Fangs au Cameroun, au Gabon et en Guine Equatoriale 19 . Georges Balandier observe, par exemple, propos de la socit Fang, le manque dune organisation hirarchique, la simple existence deprminences et labsence dun mot spcial pour dsigner le chef . Mais, souligne lauteur,20

cette situation ne signifie nullement linexistence dun pouvoir politique, et plus prcisment dune autorit occasionnelle et momentane 21 . Dans lensemble, les socits africaines pr-coloniales, cest--dire les socits davant le premier Clash of civilizations 22 europenne et ngro-africaine en faisant abstraction des diverses invasions arabes 23 , se caractrisent donc par lexistence dun chef traditionnel animiste ou islamis qui exerce un pouvoir sacr dont le contenu est diffrent. Le sacr du chef animiste 24 renvoie une conception mythique du monde. Le mythe peut tre dfini comme un rcit mettant en scne des tres surnaturels, des actions imaginaires,des fantasmes collectifs ; un ensemble de reprsentations idalistes dun personnage, dun vnement historique qui leur donnent une force, une importance particulire . Mais pour revtir toute sa25

force, le mythe doit tre cru car il est matire de foi parce quil pose comme sacr lordre idal etimmuable auquel sallie tout le groupe . Do cette conclusion de Pierre Ansart, le rcit26

Bertrand de Jouvenel, Du pouvoir. Histoire naturelle de sa croissance, Paris, Hachette Littratures, 1998, p. 47. Pierre Clastres, La socit contre lEtat., op. cit., pp. 11-12. 19 Hubert Deschamps, Les institutions politiques de lAfrique noire, op. cit., pp. 18-21. 20 Georges Balandier, Sociologie actuelle de lAfrique noire, 4e d., Paris, PUF, 1982, p. 137. 21 Ibid., p. 138. 22 Selon le titre du clbre ouvrage de Samuel P. Huntington, The Clash of civilizations and the remaking of world order, 1996, traduction franaise, Paris, Ed. Odile Jacob, 1997. 23 Non pas que ces invasions nont pas eu une porte imprialiste mais parce que le seul hritage de cette pntration arabe, lIslam, na pas dtruit totalement la culture autochtone. 24 Lanimisme est la religion traditionnelle africaine. Selon Maurice A. Gll cette religion se caractrise par la croyance dune part, en lexistence dun Etre suprme, immanent mais inaccessible, premier et unique qui a cr et gouverne lunivers, dautre part, en des liens indissolubles et permanents, sorte de flux montants, entre lunivers invisible et le monde des hommes , in Religion, culture et politique en Afrique Noire, Paris, Economica, Prsence Africaine, coll. Politique compare , 1981, p. 24. 25 Dictionnaire encyclopdique. Luniversel, Larousse-Bordas/HER 2000. 26 Maurice Kamto, Pouvoir et Droit en Afrique noire. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats dAfrique noire francophone, Paris, LGDJ, Bibliothque africaine et malgache, t. 43, 1987, p. 73.18

17

13mythique apporte le rseau de signification par lequel sexplique et se pense lordre du monde dans sa totalit ; par le rcit des origines, le monde physique trouve sa raison dtre et ses dsignations, par les avatars des hros se trouve explique la distribution des choses et des tres . Ainsi, parce27

quil est rvlateur de lordre du monde et de lordre des choses, le mythe rvle et justifie le pouvoir du chef 28 et parce quil est sacr, il est dot de la force divine qui lgitime tout ce quil engendre ou institue. Le pouvoir est donc le symbole dun pass perptuellement prsent. La sacralit du roi ou du chef tmoigne de la prsence physique permanente des anctres fondateurs du groupe et donc de leur ternit biologique. Le roi ou chef est sacr parce quil est la reprsentation, lambassade du sacr, la manifestation concrte de la transcendance, la vivante incarnation du mythe selon la formule de Alfred Adler 29 . Cet aspect sacr du pouvoir nentrane pas, notamment dans les dmocraties pures etparfaites 30

africaines, le despotisme du chef. En effet, labsence de distinction entre

gouvernants et gouverns fait de lui un leader (meneur) et non un ruler (gouvernant) 31 . Il est le primus inter pares. Sa fonction principale est dorganiser et de coordonner des activits communes telles que la chasse, le dplacement dun camp, la guerre et le commerce avec les autres communauts. En revanche, dans les structures tatiques, le chef est le vritable titulaire du pouvoir. En tant que dpositaire des anctres, il a hrit de leurs prrogatives. Gardien du culte des anctres, il symbolise la solidarit entre les morts et les vivants et lunit de la socit. Il est le garant de la cohsion du groupe et exerce un pouvoir exclusif. Le sacr apparat ainsi comme le fondement unique sinon principal du pouvoir traditionnel et comme la indiqu Bernard Asso, la pense politique semble avoir un besoinintense de terroir, pour enraciner le groupe dans la terre 32

mais aussi pour se formuler en33

thorie que la loi rituelle et religieuse actualise de faon incessante , faisant ainsi du chef ou du

roi, un dieu, un ambassadeur des dieux ou le dpositaire sacr des anctres. A ce titre, il concentre dans ses mains tous les pouvoirs, excutif, lgislatif, judiciaire et parfois mme religieux. Son pouvoir est donc, en principe, sans borne, illimit. Dans ces conditions, le pouvoir ne peut se prsenter que comme incontestablement hgmonique et gnreux, et le27 28

Pierre Ansart, Idologies, conflits et pouvoir, Paris, PUF, 1977, p. 23. Sur ces fonctions du mythe, cf., Norbert Rouland, Anthropologie juridique, Paris, PUF, coll. Droit fondamental , 1988, pp. 185-189. 29 Alfred Adler, Les mtamorphoses du pouvoir. Politique et sorcellerie en Afrique , LHomme, n169, 2004, pp. 7-60, p. 13. 30 Pierre-Franois Gonidec, Les systmes politiques africaines, 1re partie, op. cit., p. 31. La mme expression est utilise par Isaac Nguma, Divinits gabonaises, droit et dveloppement , RJPIC, n2, avril-juin 1985, pp. 95-132, p. 109. 31 Selon les formules de Isaac Schapera, propos des Bergdama et des Bochimans dAfrique centrale, cf. Government and politics in tribal societies , p. 211 cit par Pierre-Franois Gonidec, ibid., p. 32. Pour une approche moderne de ce rle, voir Jean-Pascal Daloz, Lgitimation infra-institutionnelle et cultures : plaidoyer pour une refonte de la thorie du leadership , in Andy Smith et Claude Sorberts (sous la direction de), Le leadership politique et le territoire. Les cadres danalyse en dbat, Rennes, PUR, 2003, pp. 91-105, lire pp. 94-97. 32 Bernard Asso, Le Chef dEtat africain, op. cit., p. 21. 33 Dicko Akwa, Religion de Nyambe et civilisation africaine , in Colloque de Cotonou : Les Religions africaines comme sources de valeurs de civilisation, 16-22 aot 1970, Paris, PUF, 1972, p. 261.

14 sujet ncessairement soumis et acquis. On a donc dun cot le pouvoir, norme, crasant, dmesur, de lautre le sujet, dpendant et reconnaissant. Face au roi-dieu, se prosterne la crature qui dpend de lui 34 . Ainsi, la sacralisation du pouvoir semble aller de pair, en Afrique, avec lampleur de son pouvoir ; elle accompagne le processus de centralisation des institutions .35

Par ailleurs, tant sacre, la personne du roi ou du chef est inviolable. En effet, elle est protge par le dlit doffense ou doutrage chef, vritable crime de lse-majest 36 . La gravit de ce crime contre le chef se justifie par le fait quil est considr indirectement comme un outrage contre les anctres du clan ou de la tribu dont il est le reprsentant. Le criminel se trouve donc dans une situation terrifiante puisquil a rsist un impratifmystrieux . Cest, sans doute, pourquoi les outrages contre la personne du chef ou des37

membres de sa famille sont rprims avec une svrit particulire. Ainsi par exemple, ladultre commis avec la femme du chef Bamilk au Cameroun est puni soit par la pendaison du coupable, soit en le prcipitant dans une oubliette, quand il nest pas vendu comme esclave 38 . Disposant ainsi dun pouvoir sacr et dune protection rigide, le chef na de comptes rendre personne, sinon, thoriquement, ses anctres ou aux dieux. En effet, puisquil est sacr et exerce un pouvoir qui saurole dune sorte de prestige surnaturel qui ne rsisterait pas un examen des conditions dans lesquelles il est donn, ni une apprciation des responsabilits au cas ou son excution savrait nfaste , le chef ne peut tre contest puisquil est sacr.39

Philippe Sgur 40 souligne ce propos que le pouvoir de type magico-religieux chappait toutepense rformatrice, toute contestation venue du groupe social . On peut aisment conclure que

ce pouvoir est ncessairement absolu, tyrannique. En effet, par sa situation au confluent desforces cosmiques de lunivers socital, par son enracinement dans les profondeurs historiques du groupe grce la chane de son ascendance gnalogique, par sa qualit de Pre-fondateur du groupe, ou la nature des liens quil a avec les anctres-fondateurs travers le rituel mythique, par la

William Graham L. Randles, Lancien royaume du Congo. Des origines la fin du XIXe sicle, Paris, Ecole pratique des Hautes Etudes and Mouton & Co, 1968, p. 54. 35 Luc de Heusch, Aspects de la sacralit du pouvoir en Afrique , Luc de Heusch, Le Pouvoir et le Sacr, Bruxelles, Universit Libre de Bruxelles, Annales du Centre dEtudes des Religions, 1962, p. 140. 36 Spinoza donne une dfinition stricto sensu de ce crime lorsquil crit que le crime de lse-majest nest possible qu des sujets ou des citoyens qui, par un pacte tacite ou exprs, ont transfr la totalit de leur droit la cit ; et lon dit quun sujet a commis ce crime quand il a tent de ravir pour une raison quelconque, ou de transfrer un autre, le droit du souverain , in Trait thologico-politique, Paris, GF Flammarion, 1965, p. 270. 37 Georges Burdeau, Trait de Science politique, t. V. Les rgimes politiques, 3e d., Paris, LGDJ, 1985, p. 396. 38 Enock Katte Kwayeb, Les institutions de droit public du pays Bamilk (Cameroun), Paris, L.G.D.J., Bibliothque dHistoire du Droit et du Droit romain, 1960, t. 5, p. 84. Au Tchad, Claude Durand affirme que les outrages et, le plus souvent encore, la rbellion lgard des chefs taient traits sans mnagement , in Lancien droit coutumier rpressif au Tchad , Penant, n756, avril-mai-juin, 1977, pp. 170191, p. 180. 39 Georges Burdeau, ibid., p. 396. 40 Philippe Sgur, Les fonctions de la responsabilit politique , in Philippe Sgur (sous la direction de), Gouvernants : quelle responsabilit ? , Paris, LHarmattan, coll. Logiques juridiques , 2000, pp. 241-260, p. 245.

34

15puissance de son nergie vitale 41 , bref, par laurole de sacralit qui lentoure, le chef africain donne limpression de disposer dun Pouvoir sans borne, exorbitant au regard des conceptions librales de lautorit politique, et li sans doute son caractre sacr .42

En ralit, il nen est rien car si le sacr fonde le Pouvoir en Afrique pr-coloniale, il dtermine galement les diffrentes modalits de contrle de ce pouvoir 43 . En effet, si des monarchies autocratiques 44 ont bel et bien exist, elles ont t rares car, dans la plupart des cas, elles constituent des masques qui cachent mal la ralit dune pondration et dun contrle qui, comme la sacralit, participent de la nature mme du pouvoir du chef traditionnel. En dautres termes, labsolutisme des chefs traditionnels nest quune apparence parce quen Afrique noire pr-coloniale, le sacr qui fonde le pouvoir contribue aussi sa limitation. Il existe donc des bornes au pouvoir souverain 45 du chef traditionnel africain. Toutes les socits ngro africaines pr-coloniales manifestent cette ambigut du pouvoir 46 . Ainsi, le sacr constitue un obstacle lautonomisation du pouvoir politique et sacroissance . Ce caractre ambivalent du sacr dans les socits animistes se retrouve aussi47

dans les socits traditionnelles islamises. Toutefois, le contenu de ce sacr est diffrent puisque son fondement est lIslam. LIslam a pntr lAfrique partir du Nord-Est, rgion frontalire avec lOrient, berceau de cette religion. Au dpart, on a assist une double islamisation prcoce 48 dune part des Coptes et Berbres du VIIe jusquau XIe sicle, dautre part des Peuls, Mandigues, Haoussa, etc., du XIIIe jusquau XIXe sicle en Afrique de lOuest avec notamment la conversion des Toucouleurs du Fouta au Sngal, Fouta qui a t proclam en 1776, Etat musulman indpendant par les Almani 49 . Mais cest au XIXe sicle que sest acheve lislamisation de lAfrique noire sahlienne. Les modalits dimplantation de lIslam sont varies : contrainte arme, exemplarit de la vie musulmane et conversion volontaire, contacts inter-socits du fait du commerce. Cette implantation de lIslam en Afrique noire pr-coloniale, il faut le noter, na

41 Dicka Akwa, La sacralit du Pouvoir et le droit africain de la succession , Contribution la table ronde du Laboratoire dAnthropologie juridique(L.A.J.) de Paris I, fvrier 1978, Sacralit, Pouvoir et Droit en Afrique, Paris, Ed. du CNRS, 1979, p. 45. 42 Maurice Kamto, Pouvoir et Droit, op. cit., p. 110. 43 Voir sur ce point, Bernard Asso, Le Chef dEtat africain, op. cit., p. 30 ; voir galement, John Lonsdale, Political accountability in African History , in Patrick Chabal (ed), Political domination in Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, pp. 125-165. 44 Bernard Asso dfinit la monarchie autocratique comme le rgime o lautocrate est son propre principe de lgitimit sans dautres mcanismes de pondration que sa propre volont ou le poids des vnements . Il loppose la monarchie absolue qui nexclut pas lexistence des lois suprieures ou fondamentales comme en France au Moyen-Age, in Le Chef dEtat africain, ibid., p. 31. 45 Jean Jacques Rousseau, Du contrat social, Paris, Editions Gallimard, coll. Folio essais , 1964, Chapitre IV du Livre II. 46 Voir Georges Balandier, Anthropologie politique, op. cit., p. 47. 47 Philippe Sgur, Le pouvoir et le temps, Paris, Albin-Michel, n103, p. 74. 48 Florence Galetti, De quelques rflexions (juridiques) sur la lgitimit du chef dans lhistoire des institutions africaines , in Franois-Paul Blanc, Jean du Bois de Gaudusson, Alioune Fall et Franois Fral (sous la direction de), Le Chef de lEtat en AfriqueEntre traditions, Etat de droit et transition dmocratique, Cahiers du CERJEMAF, n9, Presses universitaires de Perpignan, 2001, pp. 33-101, p. 66. 49 Cf. Thierno Diallo, Les institutions politiques du Fouta Dyalon au XIXe sicle, Dakar, IFAN, 1972.

16 pas pu dtruire les croyances et mythes traditionnels. En effet, la religion musulmane a t simplement adapte aux valeurs et traditions locales donnant ainsi naissance un Islam typiquement africain. Autrement dit, lIslam a t africanis et certains nont pas hsit le qualifier d Islam noir 50 . En effet, si dans son principe et son essence il reste le mme, lIslam sadapte et se colore des spcificits socitales locales perdant en cela son aspectoriginel . Cette spcificit de lIslam africain se reflte du point de vue du fondement du51

pouvoir. En effet, si, comme dans la socit animiste, le sacr fonde le pouvoir du chef, ce sacr a un contenu diffrent, syncrtique : il combine les valeurs de lIslam et celles des traditions et coutumes ancestrales. Comme fondement du pouvoir, lIslam confre au chef, dabord Mahomet le prophte, et aprs sa mort, le Calife, un pouvoir hgmonique. Il est le dtenteur du pouvoir suprme et sacr. Il cumule dans ses mains les pouvoirs excutif, administratif, judiciaire et religieux. Mais il nexerce pas le pouvoir lgislatif, car Dieu seul est lgislateur. Etant donc lombre dAllah sur terre et le reprsentant du Prophte, il dispose duneautorit totale et absolue, comparable lautorit divine ou celle du Prophte . Dans ces52

conditions, il nest pas tonnant quil puisse disposer entirement des mes et des biens 53 et quil exerce ainsi un pouvoir illimit, despotique puisquil ne doit, en principe, rendre des comptes qu Allah. Mais, en ralit, il nen est rien car le pouvoir du calife est largement pondr. Cette conception du chef est au cur de la pense politique musulmane classique. En effet, hormis les prescriptions coraniques, le calife est soumis un certain nombre de devoirs spirituels et temporels qui le lient et limitent son pouvoir 54 et leur violation entrane saVincent Monteil, LIslam noir, Paris, Ed. du Seuil, 1964 ; Christian Coulon, Islam africain et Islam arabe : autonomie ou dpendance, africanisation de lIslam ou arabisation de lAfrique ? , Anne africaine, Paris, Pedone, 1976, pp. 254 et suiv. 51 Florence Galetti, De quelques rflexions (juridiques) sur la lgitimit du che , op. cit., p. 66. 52 Ali Abderraziq, LIslam et les fondements du pouvoir, Paris, Ed. La Dcouverte/CEDEF, 1994, p. 56. 53 Ali Abderraziq, ibid., p. 56. 54 Les obligations ou devoirs de limam suprme, au nombre de dix, ont t numrs par Mawardi Ahkam. Pour mieux comprendre leur porte, il est utile de citer textuellement ces devoirs qui sinspirent du Coran : Conserver la religion selon ses principes tablis, sur lesquels sont tombs daccord les Anciens de la communaut (lIjma). Et si surgit quelque novateur, ou si se met dvier quelque individu en proie au doute, limam lui manifestera la preuve de la vrit, lui rendra vident ce qui est juste, et lui appliquera les sanctions obligatoires, pour que la religion soit prserve de toute atteinte, et la communaut garde de tout faux pas ; Faire observer les jugements prononcs contre ceux qui contestent, mettre fin aux litiges entre ceux qui plaident, de telle sorte que se gnralise lquit (nasafa), que loppresseur nempite pas sur les droits dautrui, et que lopprim ne soit pas affaibli ; Maintenir lordre public, et protger ce qui est sacr pour chacun : afin que les gens exercent librement leur gagne-pain, et soient en sret dans les voyages lointains, sans risques pour leur personne et leurs biens ; Maintenir les sanctions pnales (hudad), afin que les interdictions dictes par Dieu Trs Haut soient gardes intactes, et que les droits de ses serviteurs soient garantis de la ruine et de la perte ; Doter les frontires de lquipement militaire dfensif et de la force capable de repousser les attaques, afin que lennemi ne puisse savancer par ruse en commettant des actes prohibs, ou en rpandant le sang dun musulman ou dun alli ; Conduire la guerre sainte (jihad) contre qui se refuse lIslam aprs en avoir reu lappel (dawa), et ce, jusqu ce quil se soumette ou entre dans le statut de protection : afin de rendre Dieu son d, en manifestant la totale suprmatie de lIslam ; Percevoir la part chue (fay) et les aumnes lgales, selon ce que rend obligatoire la Loi, par texte (nass) et par ijtihad, sans crainte ni injustice ; Fixer les soldes et ce qui incombe au trsor public, sans prodigalit ni parcimonie, et sen acquitter temps, sans avance ni retard ; Se pourvoir en hommes de confiance, et nommer de bons conseillers, quil sagisse de leur confier les charges publiques ou les fonds dEtat, afin que les premires soient assures par des hommes capables, et les seconds sous la sauvegarde dhommes de confiance ; Que limam enfin soccupe personnellement de la haute surveillance des affaires et de lexamen de leurs modalits, afin de pourvoir au gouvernement de la communaut et la protection de la religion, et quil ne se repose pas sur des dlgations de pouvoir, tandis quil sadonnerait lui-mme aux plaisirs ou la dvotion, car lhomme de confiance peut trahir, et le conseiller sincre, tromper .. Mawardi, Ahkam, p. 14/30-32. Ces devoirs ont t repris par Rashid Rida, Khalifa, p. 28/47-49, cits par Louis Gardet, La cit musulmane, op. cit., pp. 155-156 ;50

17 destitution par la Communaut musulmane et plus prcisment par ceux qui dlient et lient , cest--dire les Ulmas. En effet, le rle de ces docteurs de la loi est de sopposer toutesituation dinjustice et de tyrannie, au besoin par la lutte ouverte sils estiment que les avantages de cette lutte lemportent sur les inconvnients . Dans le cas contraire, il faut sen remettre 55

Allah qui doit punir lui-mme le calife. Dans les socits africaines pr-coloniales islamises, ce principe de pondration du pouvoir est particulirement effectif parce quil a trouv une vieille tradition de limitation et de contrle du pouvoir inhrente aux structures politiques de ces socits. Toutefois, il faut reconnatre que ce principe a t mis entre parenthses au dbut de la conqute arabe de lAfrique. Celle-ci est, en effet, marque par limplantation des monocraties autoritaires dans la rgion sahlienne. Ces rgimes politiques sont laccompagnement ncessaire des conqutes islamiques. A ce sujet, Louis Gardet observe que mesure que lIslam subissait de plus en pluslinfluence des pays par lui conquis, et ds le temps o les dynasties califales restaient dorigine arabe, cest limage dun Calife tout-puissant autocrate qui tendit simposer (). Cette image allait devenir le type extrieur habituel du commandeur des croyants et de chefs secondaires sa ressemblance . Cest souvent cette image des thocraties musulmanes symbolises par le56

calife ou limam que lanalyse classique a gard des rgimes politiques de lAfrique noire islamise. Mais ces monocraties autoritaires ne constituent que des cas isols et rares. Car, ainsi que la soulign Christian Coulon, les socits islamises sattachent empcher le chefde faire le chef, tout mettre en uvre pour que le Pouvoir absolu napparaisse pas . Et, poursuit

lauteur, le chef africain comme nous le prsente la tradition politique de cet espace africain, nadonc en gnral pas grand-chose voir avec le potentat que tout une littrature et toute une imagerie nous proposent aujourdhui. Le meilleur chef, cest celui qui gouverne le moins, qui nabuse pas de son pouvoir et qui naccumule des biens que pour les redistribuer .57

On peut donc constater dans les socits animistes comme dans les socits islamises la mme mfiance lgard du pouvoir absolu, le mme rejet du sur-pouvoir. Dans un cas comme dans lautre, lambigut du pouvoir, la ncessit de le surveiller, de le contenir, de limitersa toute puissance : tel est le leitmotiv de toute une tradition politique africaine .58

Cette conception du chef a t compltement dnature avec la colonisation.

55 Robert Mantran, Religion et socit musulmane , in Maurice Flory, Bahgat Korany, Robert Mantran, Michel Cman et Pierre Agate (sous la direction de), Les rgimes politiques arabes, Paris, PUF, coll. Thmis Sc. Po , 1990, pp. 39-73, p. 46. 56 Louis Gardet, La cit musulmane. Vie sociale et politique, 3e d., Librairie philosophique Jean Vrin, 1969, pp. 32-33. 57 Christian Coulon, Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire, Paris, Karthala, 1983, pp. 15-16. 58 Christian Coulon, ibid., p. 15. Dans le mme sens, Pierre-Franois Gonidec crit que dans les socits dAfrique noire islamise, lide dun pouvoir limit pouvait simposer dautant plus facilement que la tradition pr-islamique allait dans ce sens , in Les systmes politiques africains, op. cit., p. 19.

18 -Le chef sous la colonisation

La colonisation a eu pour effet la dsacralisation du chef traditionnel et par consquent la domestication de son pouvoir 59 . Cette dsacralisation sest faite de faon progressive. Cest dabord luvre missionnaire 60 qui a procd la remise en cause du caractre sacr du chef traditionnel africain et de son pouvoir. En effet, la prsence de lEglise missionnaire a mis en conflit deux formes de sacr : le sacr traditionnel mythique et le sacr religieux du christianisme au profit de ce dernier. La consquence de cette pntration religieuse a t lbranlement du pouvoir du chef traditionnel. Humili, il a perdu son aurole de sacralit et ses prrogatives ancestrales. La dsacralisation du chef africain et de son pouvoir sest poursuivie et accentue avec limplantation de ladministration coloniale vers la fin du XIXe sicle non sans rencontrer parfois des rsistances. En effet, bien que vaincus, les chefs traditionnels ont pu organiser des mouvements de rvoltes insurrectionnels devant les rquisitions de terrains, de main-duvre et de leve dimpt. Mais ces mouvements ont t largement rprims par le colon et rduits nant 61 . La dfaite militaire tant ainsi consomme, le chef traditionnel a t soumis au pouvoir colonial. Il est devenu un simple agent de ladministration coloniale, une crature coloniale, un chef tout faire . Il est en porte--faux avec son statut antrieur. Il nest plus le dpositaire des anctres, mais il est choisi par ladministration coloniale et nagit que sous ses ordres et en son nom. Il ne doit ni disposer de la force arme, ni porter une arme, encore moins imposer un impt nouveau ou dicter un rglement ou mme dsigner son successeur. Son rle est de recenser, ordonner, comptabiliser au nom de ladministration et sous son strict contrle. Le chef devient ainsi un instrument docile du pouvoir colonial 62 . Affaibli de lextrieur par le pouvoir colonial, le chef traditionnel la t aussi de lintrieur, du fait de la colonisation, par la naissance dlites africaines occidentalises, cest-dire instruites la culture occidentale. Cest lapparition des leaders africains 63 qui vont supplanter ainsi le chef indigne. Ces leaders sont essentiellement des nationalistes qui revendiquent lgalit dans la socit colonise. Et pour garantir une lgitimit populaire leur action, ils ont associ traditionalisme et modernisme. Dans cet environnement59 60

Maurice Kamto, Pouvoir et droit, op. cit., pp. 208 et suiv. Notons que lEglise catholique uvre sur les ctes africaines depuis le XVe sicle. Mais, cest surtout vers le milieu du XIXe sicle que lEglise missionnaire est plus prsente en Afrique noire. Sur luvre missionnaire, voir, Franois P. Aupiais, Le missionnaire, Paris, d. Larose, 1938, 171 p. ; Joseph P. Bouchard, LEglise en Afrique noire, Paris, Genve, La Platine, 1958, 191 p.; Le Chamoine Du Menil, Les missions. Leur action civilisatrice, Paris, M. Daubin, 1948, 288 p. 61 Bernard Asso, Le Chef dEtat africain. op. cit., p. 46. 62 Daniel Bourmaud, La politique en Afrique, Paris, Montchrestien, coll. Clefs/Politique , 1997, p. 32 ; 63 Bernard Asso, ibid., pp. 45 et suiv. Sur ce thme, voir, Franois Bourricaud, La sociologie du Leadership et son application la thorie politique , RFSP, vol. III, n3, juillet-septembre 1953, pp. 445-470 ; Andy Smith et Claude Sorberts (sous la direction de), Le leadership politique et le territoire. Les cadres danalyse en dbat, op. cit., 293 p.

19 revendicatif, limage du chef traditionnel est compltement dnature. Il nest plus llmentpuissant du plus puissant des lignages () mais celui qui est capable de provoquer une relative unanimit 64

dans une socit branle. Celle-ci ncessite donc, pour survivre, des hommes

nouveaux, qui prennent parti contre une assimilation politique franaise destructrice des socits africaines. Ces lites sont devenues ainsi les centres dimpulsion politique des masses africaines. Do la permanence de la revendication nationaliste. Ce nationalisme est renforc par un racisme du colonis induit par le racisme du colonisateur 65 . Il se caractrise dabord par la revendication de lgalit des races qui suppose la reconnaissance des droits aux Africains, la suppression du travail forc, etc., ensuite par la revendication de lautonomie des socits africaines et enfin par la revendication des indpendances. Le rle jou par des leaders comme Ahmadou Ahidjo au Cameroun, Lon Mba au Gabon, Sylvanus Olympio au Togo, etc., dans ces revendications est tel que celui des chefs indignes a t compltement domestiqu. Cest aussi pourquoi ces leaders ont occup, dans leurs pays respectifs, le poste de Premier ministre dans le cadre de la Communaut et celui de Chef de lEtat aprs les indpendances au dbut des annes soixante. Il convient ds lors de prciser la notion de Chef de lEtat.

b)-La notion de Chef de lEtat Lexpression Chef de lEtat ou Chef dEtat 66 dsigne la plus haute autorit tatique. Cette position, souvent symbolique, est lhritire de traditions historiques des rgimes impriaux ou monarchiques dans lesquels une personne, lempereur ou le monarque, se trouve au sommet de lEtat. On accde la fonction de Chef de lEtat 67 soit par lhrdit notamment dans les monarchies, soit par llection dans les Rpubliques ou mme par la ruse, la fraude lectorale, la violence dans les dictatures et dans les dmocratures 68 . Le Chef de lEtat occupe une place particulire dans la collectivit politique tatique. En tant que dtenteur du pouvoir suprme, il personnifie et reprsente lEtat. Il est considr

64 65

Georges Balandier, Sociologie actuelle de lAfrique noire, op. cit., p. 415. Georges Balandier, Contribution ltude des nationalismes en Afrique noire , Revue Zare, avril 1954, pp. 379-390. 66 Paul Bastid, La notion de Chef dEtat, Cours DES Science politique, Paris, 1959-1960 ; Olivier Duhamel et Yves Mny (sous la direction de), Chef dEtat, Chef de lEtat , in Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, pp. 123-124 ; Hlne Tourard, La qualit de Chef de lEtat , in Socit Franaise pour le Droit international, Colloque de Clermont-Ferrand, Le Chef dEtat et le droit international, Paris, Pedone, 2002, pp. 117-135. 67 Sur les modalits dacquisition de la qualit de Chef de lEtat, voir Hlne Tourard, ibid., pp. 119-122. Voir aussi, Jean-Louis Seurin, Systme politique et dvolution du pouvoir, cours polycopis, Bordeaux, 1981-1982, pp. 467 et suiv. 68 Cest la pratique observe dans la plupart des pays en dveloppement. Max Liniger-Goumaz dfinit la dmocrature comme le mlange instable de dmocratie et de dictature, de constitutionnalisme et dautoritarisme , in La dmocrature. Dictature camoufle, dmocratie truque, Paris, LHarmattan, 1992, p. 59. Mathurin C. Houngnikpo parle, lui, de dmocratie prostitue , in Lillusion dmocratique en Afrique, Paris, LHarmattan, coll. Etudes africaines , 2004, p. 100.

20 comme llment stable des institutions et ce titre, il assure la continuit de lEtat. Cette fonction, commune tous les Chefs dEtat, est une fonction de majest 69 . Le Chef de lEtat jouit dun prestige protocolaire indniable aussi bien dans les pays de tradition monarchique que dans les Rpubliques. Toutefois, le Chef de lEtat na pas les mmes droits ni le mme rle dans tous les systmes de gouvernement 70 . Le gouvernement dassemble 71 se caractrise par linexistence relle du Chef de lEtat, ou lorsquil est prvu par la Constitution, par un rle insignifiant, sinon purement dcoratif . Dans le gouvernement parlementaire authentique, si les pouvoirs du Chef de lEtat ne drivent pas du Parlement, ils sont nanmoins rduits et dune importance mdiocre 72 . Le rgime prsidentiel 73 confre au Chef de lEtat et au Parlement des attributions plus ou moins gales avec parfois une certaine primaut pratique du Prsident amricain 74 . En revanche, les rgimes prsidentialistes 75 se caractrisent par la primaut du Chef de lEtat sur toutes les autres institutions tatiques. Mais dans lensemble, la plupart des Constitutions modernes reconnaissent au Chef de lEtat un rle essentiel dans la garantie des principes fondamentaux de lEtat 76 . Ainsi, il est le garant de lindpendance et de lunit nationale, de lintgrit du territoire, du fonctionnement rgulier des pouvoirs publics, du respect de la Constitution et des accords et traits.

69 Franois Frison-Roche, La prsidence de la Rpublique en Finlande et la nature du rgime , in Mlanges offerts Maurice Duverger, Droit, institutions et systmes politiques, Paris, PUF, 1987, pp. 101-113. 70 Selon Philippe Ardant, on la dot dun statut hybride qui diffre selon les rgimes , Un Prsident pour quoi faire ? , in Mlanges Jean Waline, Gouverner, administrer, juger, Paris, Dalloz, 2002, pp. 3-14, lire, pp. 4-5. 71 Voir entre autres, Marcel Prlot et Jean Boulouis, Institutions politiques et droit constitutionnel, 11e d., Paris, Dalloz, 1990, p. 355. 72 Maurice Hauriou observe que daprs la thse rpandue dans le monde parlementaire, le Prsident de la Rpublique doit senfermer dans le rle purement reprsentatif du Chef de lEtat et sabstenir soigneusement de simmiscer dans le gouvernement quotidien ; tout au plus concde-t-on quil fasse bnficier les ministres de son exprience, si ceux-ci lui demandent des conseils. Il ne doit intervenir dans le gouvernement quau moment de la constitution dun ministre, par le choix du prsident du Conseil , in Prcis de droit constitutionnel, 2e d., Paris, 1933, rd., CNRS, 1965, p. 364. Dans le mme sens, voir, Joseph Barthlemy et Paul Duez, Trait de droit constitutionnel, Paris, Ed. Panthon-Assas, coll. Les introuvables , 2004, pp. 161-162 ; Michel Dendias, Le renforcement des pouvoirs du Chef de lEtat dans la dmocratie parlementaire, Paris, Ed. De Boccard, 1932, pp. 45-52 ; Philippe Lauvaux, Le parlementarisme, Paris, PUF, coll. Que saisje ? , n2343, pp. 57 et suiv. 73 Sur le rgime prsidentiel amricain, voir entre autres, Marie-France Toinet, Le systme politique des Etats-Unis, Paris, PUF, 1987, 640 p., du mme auteur, La prsidence amricaine, Paris, Montchrestien, coll. Clefs/Politique , 1991, 160 p. ; Bernard Gilson, La dcouverte du rgime prsidentiel, 2e d., Paris, LGDJ, Bibliothque constitutionnelle et de science politique, t. 34, 1982, 400 p. ; Andr de Laubadre, Le renforcement du pouvoir politique et la formule du gouvernement prsidentiel , Pages de doctrine, Paris, LDGJ, 1980, pp. 317-331. 74 Cf., Arthur M. Schlesinger, La prsidence impriale, traduit de lamricain par Lela Blacque-Belair et Rosette Letellier, Paris, PUF, 1976, 561 p. ; Philip S. Golub, Aux origines de la guerre antiterroriste. Retour une prsidence impriale aux Etats-Unis , Le Monde diplomatique, janvier 2002, pp. 8-9. 75 Parmi labondante littrature sur le prsidentialisme notamment en France et dans les pays en dveloppement, nous pouvons citer : Philippe Lauvaux, Destins du prsidentialisme, Paris, PUF, coll. Bhmoth , 2002. Pour une analyse critique du prsidentialisme en France, cf. Jean-Franois Revel, Labsolutisme inefficace ou contre le prsidentialisme la franaise, Paris, Plon, 1992. Concernant les pays en dveloppement, voir entre autres Grard Conac, Pour une thorie du prsidentialisme. Quelques rflexions sur les prsidentialismes latino-amricains , in Mlanges Georges Burdeau, Le pouvoir, Paris, L.G.D.J., 1977, pp. 115 et suiv. ; Grard Conac, Le prsidentialisme en Afrique noire. Unit et diversit. Essai de typologie in Lvolution rcente du Pouvoir en Afrique, Bordeaux, CEAN, IEP, 1977, pp. 2 et suiv. 76 Cf., Yves Mny et Yves Surel, Politique compare. Les dmocraties. Allemagne, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, 6e d., Paris, Montchrestien, 2001, p. 293.

21 Le domaine o la fonction de Chef de lEtat se manifeste avec le plus dintensit est celui des relations internationales 77 . En effet, le Chef de lEtat reprsente ici son pays dans ses rapports avec les autres institutions tatiques et les organisations internationales 78 . A ce titre, il ngocie et ratifie les traits et reoit les lettres de crance des ambassadeurs trangers. Lexpression Chef de lEtat est consacre par la plupart des conventions internationales. Il en est ainsi, entre autres, des conventions de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques (article 14), de 1969 sur les missions spciales (article 21 1) et sur le droit des traits (article 7 2). La notion est aussi prvue par le Statut de Rome de 1998 portant cration de la Cour pnale internationale (article 27), etc. En revanche, tous les systmes constitutionnels ne prvoient pas explicitement lexpression Chef de lEtat 79 . Les textes anglais et amricains ne qualifient pas le souverain ou le Prsident de Chef de lEtat. Les Constitutions franaises 80 nutilisent lexpression quavec rticence. Seuls quelques textes lont consacre. Cest le cas des Chartes de 1814 (article 14) et de 1830 (article 13) ; des Constitutions du 14 janvier 1852 (article 6) et du 21 mai 1870 (article 14) ainsi que de lActe constitutionnel n1 du 11 juillet 1940 (article 4). Mais les Constitutions rpublicaines depuis 1875 ne la connaissent pas bien que le gnral de Gaulle et son Premier ministre Michel Debr aient utilis lexpression pour dsigner le Prsident de la Rpublique 81 . Par contre, la rgle gnrale en Afrique noire francophone est de dsigner linstitution suprme de la Rpublique par le terme Chef de lEtat 82 . Lexpression est apparue avec loctroi des indpendances, pour la plupart, au dbut des annes soixante et la naissance des Etats au sens moderne 83 . Ces Etats ont t crs sur le modle europen de lEtat-Nation 84 etJean Salmon (sous la direction de), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 169. Voir aussi, Socit Franaise pour le Droit international, Colloque de Clermont-Ferrand, Le Chef dEtat et le droit international, op. cit. Jean Salmon, Reprsentativit internationale et Chef de lEtat , in Socit Franaise pour le Droit international, Colloque de ClermontFerrand, ibid., pp. 157-171. 79 La Constitution chinoise de 1975 ne prvoit pas de Chef dEtat. 80 Notons que le projet girondin et les Constitutions de lan I (1793 ou Constitution montagnarde) et de lan III (1795) ne prvoient pas de Chef de lEtat. 81 Marcel Morabito, Le Chef de lEtat en France, 2e d., Paris, Montchrestien, coll. Clefs/Politique , 1996, p. 10 ; Olivier Duhamel et Yves Mny (sous la direction de), Chef dEtat, Chef de lEtat , in Dictionnaire constitutionnel, op. cit., p. 123. Voir aussi Philippe Ardant, Un Prsident pour quoi faire ? , Mlanges Jean Waline, Gouverner, administrer, juger, Paris, Dalloz, 2002, pp. 3-14. 82 Pour viter des gnralits et des confusions, nous emploierons systmatiquement le terme chef dEtat africain pour dsigner les Prsidents camerounais, gabonais, tchadiens et togolais. 83 En droit, lEtat moderne est dfinie comme lorganisation politique et juridique de la nation quelle personnifie , voir, Pierre Avril et Jean Gicquel, Lexique de droit constitutionnel, 5e d., Paris, PUF, 1994, p. 51. 84 Pour Carr de Malberg, le mot nation dsigne non pas une masse amorphe dindividus, mais bien la collectivit organise des nationaux, en tant que cette collectivit se trouve constitue par le fait mme de son organisation en une unit indivisible , in Contribution la thorie gnrale de lEtat, t. 1, Paris, Sirey, 1920, note 2, pp. 2-3. Sur lEtat-nation, voir, Ernest Renan, Quest-ce quune nation ?, Paris, Agora/Pocket, 1887 ; Alain Dieckhoff, La Nation dans tous ses Etats. Les identits nationales en mouvement, Paris, Flammarion, 2000. Sur la problmatique de lEtat-nation, voir, entre autres, Jrgen Habermas, Aprs lEtat-nation, Paris, Fayard, 2000 ; Armand Touati, La Nation, la fin dune illusion ?, Paris, Descle de Brouwer, 2000 ; Patrick Troude-Chastenet, Sminaire de Droit constitutionnel et de Science politique : LEtat-nation a-t-il encore un avenir ? , DEA Droit public, Universit de Reims, anne 2000-2001 ; Toni Negri, Vers lagonie des Etats-nations ? L Empire , stade suprme de limprialisme , Le Monde diplomatique, janvier 2001, p. 3. Sur lalternative de lEtat multinational, cf., Stphane Pierr-Caps, La multination. Lavenir des minorits en Europe centrale et orientale, Paris, Odile Jacob, 1995 ; Mwayila Tshiyembe, Etat multinational et dmocratie africaine. Sociologie de la renaissance politique, Paris, LHarmattan, coll. Etudes africaines , 2001, 269 p.78 77

22 ont pour limites les frontires hrites de la colonisation. Mais, lintrieur de cette circonscription coloniale, la Nation nest que prophtie, lEtat, produit dimportation 85 , parfoisune simple anticipation .86

Il appartient donc au Chef de lEtat de construire la Nation, de lenraciner pour quelle devienne relle. Il lui appartient aussi de promouvoir et dassurer le dveloppement du pays par une lutte effrne contre la pauvret. Cest en jouant plus sur lamour des masses ou laffectivit politique 87 sur la rcupration et la dnaturation des symboles traditionnels que sur la rigueur des normes juridiques quil tentera de remplir ce rle. Et pour garantir lefficacit de cette fonction, le Chef de lEtat accapare tous les pouvoirs tatiques. Cette hgmonie prsidentielle est consacre par la Constitution et amplifie par la pratique politique et par linstauration du parti unique de droit ou de fait. Les effets nfastes dun tel systme de gouvernement sont considrables : privation des liberts publiques, violation flagrante des droits de lhomme, corruption gnralise, pauprisation croissante des populations, irruption des militaires dans la vie politique, guerres fratricides, etc. Malgr cette dtrioration des systmes politiques africains par la dictature prsidentielle, le Chef de lEtat reste une institution intangible en Afrique noire francophone. Le rle central du Chef de lEtat a t confirm par la nouvelle vague constitutionnelle des annes quatre-vingt dix. En effet, en tant que pivot des institutions 88 , le Chef de lEtat bnficie dune lgitimit dmocratique et dispose de pouvoirs considrables 89 . Lvolution constitutionnelle et politique montre bien la permanence du rle capital du Chef de lEtat dans les systmes politiques africains 90 . Cest dailleurs pourquoi cette expression est prvue dans toutes les Constitutions africaines 91 et mme dans les textes rgissant les rgimes militaires 92 . Lexpression est aussi consacre par le droit international africain. Il en est ainsi, par exemple, de la Charte dAddis-Abeba du 25 mai 1963 portant cration de lOrganisation de lUnit Africaine (OUA) (article 8), de la Charte africaine des droits de lhomme et desSur ce thme, cf., Bertrand Badie, LEtat import. Loccidentalisation de lordre politique, Paris, Fayard, coll. Lespace du politique , 1992, 334 p.; du mme auteur, Les deux Etats. Pouvoir et socit en Occident et en terre dIslam, Paris, Fayard, coll. Points , 1997, 331 p. 86 Bernard Asso, Le Chef dEtat africain, op. cit., p. 71. 87 Sur ce thme, voir, Pierre Ansart, La gestion des passions politiques, Lausanne, LAge dHomme, 1983, pp. 11 et suiv. ; Luc Sindjoun, La Politique daffection en Afrique noire. Socit de parent, socit dtat et libralisation politique au Cameroun, Harare, African Association of Political Science (AAPS), 1998, 64 p. 88 Bernard Saint-Girons, Les acteurs : Fonction prsidentielle et transition dmocratique , in Henry Roussillon (sous la direction de), Les nouvelles Constitutions africaines : la transition dmocratique, Toulouse, Presses de lIEP de Toulouse, 1995, pp. 31-36, p. 32. 89 Cf., Jean du Bois de Gaudusson, Quel statut constitutionnel pour le Chef dEtat en Afrique ? , in Mlange en lhonneur de Grard Conac, Le nouveau constitutionnalisme, Paris, Economica, 2001, pp. 329-337. 90 Nous entendons, dans cette thse, par systmes politiques africains les systmes politiques des Etats faisant lobjet de notre tude. 91 Constitutions gabonaises du 21 fvrier 1961 (article 6 al. 1er), du 26 mars 1991 (article 8) ; Constitutions camerounaises du 21 fvrier 1961 (article 5), du 2 juin 1972 (article 5) ; Constitutions tchadiennes du 16 avril 1962 (article 5), du 14 avril 1996 (article 60) ; Constitutions togolaises du 9 avril 1961 (article 35), du 13 janvier 1980 (article 11) et du 14 octobre 1992 (article 58). 92 Article 1er de la Charte fondamentale du Tchad du 29 aot 1978 ; articles 2 18 de lActe fondamental de la Rpublique tchadienne du 29 septembre 1982 et article 5 de la Charte nationale du Tchad du 18 fvrier 1991.85

23 peuples du 27 juin 1981 (prambule) et de lActe constitutif de Lom du 12 juillet 2000 portant cration de lUnion Africaine (UA) (prambule et article 6). Si la notion est ainsi juridicise , le terme usuel utilis par les textes constitutionnels est Prsident de la Rpublique . Toutefois, en marge de cette conscration juridique, la science politique africaniste utilise une multitude dexpressions pour dsigner le Chef de lEtat : pre 93 fondateur ou de la nation ou encore de la dmocratie, prophte fondateur 94 , pasteur 95 ou prtre-Prsident, demidieu 96 , soldat-Prsident 97 , Big man 98 , etc. La particularit de ces expressions est quelles mettent en relief les multiples facettes du Chef dEtat africain et plus prcisment son rle dans la construction ou dans la dconstruction de la nation 99 , dans la promotion du dveloppement ou du sous-dveloppement, dans la transition, la consolidation 100 ou la destruction de la dmocratie. Dans lensemble, ces expressions confirment la place prminente du Chef de lEtat dans les systmes politiques africains. Etant donc la cl de vote des institutions, le Chef de lEtat bnficie dun statut particulier caractris par un rgime de responsabilit spcifique quil convient de dfinir.

2/-La responsabilit

La responsabilit est un principe fondamental et commun toute organisation politique moderne 101 . Le mot responsabilit , qui a tant de succs dans la doctrine juridique contemporaine, est nanmoins dapparition rcente dans la langue franaise 102 . Elle remonte

Harris Memel-Fot, Des anctres fondateurs aux Pres de la nation. Introduction une anthropologie de la dmocratie , CEA, n123, XXXI-3, 1991, pp. 263-285. 94 Bernard Asso, Le Chef dEtat africain, op. cit., pp. 81 et suiv. 95 Daniel Bourmaud, La politique en Afrique, op. cit., p. 77. 96 Maurice A. Gll, Religion, culture et politique en Afrique noire, op. cit., p. 13. 97 Bernard Asso, ibid., pp. 223 et suiv. 98 Jean-Franois Mdard, Le big man en Afrique : esquisse danalyse du politicien entrepreneur , LAnne sociologique, vol. 42, 1992, pp. 167 et suiv. ; Yves-Andr Faur et Jean-Franois Mdard, LEtat-business et les politiciens entrepreneurs. No-patrimonialisme et Big men : conomie et politique , in Stephen Ellis et Yves-Andr Faur (sous la direction de), Entreprises et entrepreneurs africains, Paris, Karthala/ORSTOM, 1995, pp. 289-309. 99 Sur ce rle du Chef dEtat africain, cf., Jacques Djoli EsengEkeli, Le constitutionnalisme africain entre la gestion des hritages et linvention du futur (Lexemple congolais), thse, Droit, Paris I, 2003, pp. 64 et suiv. 100 Christophe Euzet, Elments pour une thorie gnrale des transitions dmocratiques de la fin du XXme sicle, thse, Droit, 1997, 417 p., Nicolas Guilhot et Philippe C. Schmitter, De la transition la consolidation. Une lecture rtrospective des democratization studies , RFSP, vol. 50, n4-5, aot-septembre 2000, pp. 615-631. 101 Yan-Patrick Thomas, Acte, agent, socit. Sur lhomme coupable dans la pense juridique romaine , in Archives de philosophie du droit, n22, La responsabilit, Paris, Sirey, 1977, pp. 63 et suiv., p. 63. Patrick Chabal souligne dans le mme sens que where there are political Communities, there are relations of power. What determines the nature of such relations is political accountability (); the notion of political accountability is universal , in Power in Africa. An Essay in Political Interpretation, New York, St. Martins Press, 1994, p. 54. 102 Sur son origine, voir Jean-Marie Domenach, La responsabilit. Essai sur le fondement du civisme, Paris, Hatier, 1994, p. 3 ; Jean-Louis Gazzaniga, Les mtamorphoses historiques de la responsabilit , in Jean-Louis Gazzaniga (sous la direction de) Les mtamorphoses de la responsabilit, Publications de la facult de droit et des sciences sociales de lUniversit de Poitiers, Paris, PUF, 1998, pp. 3-18 ; Jacques Henriot, Note sur la date et le sens de lapparition du mot responsabilit , Archives de philosophie du droit, n22, Paris, Sirey, 1977, pp. 59-62.

93

24 au XVIIIe sicle en Angleterre et en France 103 , tandis que ladjectif responsable date, pour sa part, du XIVe sicle 104 . Dans le mme temps, lclosion du terme anglais responsability se produit aux Etats-Unis notamment en 1787 sous la plume de lhomme dEtat Alexander Hamilton 105 . Il sagit l dun concept difficile dapproche puisquil est all se modifiant et senrichissant et peut revtir plusieurs sens. Pour mieux saisir la notion, il convient donc de procder son tude tymologique et de montrer son volution smantique. Cette approche apparat ncessaire tout effort de dfinition de la notion de responsabilit. De celle-ci nous dgagerons les diffrentes formes de responsabilit du Chef de lEtat .

a)-La dfinition tymologique et lvolution smantique du terme responsabilit .

Emile Littr dfinit la responsabilit comme lobligation de rpondre, dtre garant decertains actes 106

. Cette dfinition se rapproche de son sens tymologique 107 . En effet,

tymologiquement, tre responsable (Haftbar, Verantwortlich), form sur rponse signifie tre capable de rponse . Le latin apporte une prcision complmentaire fort utile puisque le

terme respondeo veut dire non seulement faire une rponse mais aussi se montrer digne de,tre la hauteur . Le prfixe Re indique laction de deux acteurs. Il sagit donc de rpondre

la demande ou la sommation dune personne ou dune institution. Ce mot qui dsigne une relation rciproque entre deux sujets napparat qu loccasion dun acte, dune parole, dun fait. Du point de vue smantique, on a assist un glissement de sens. Ainsi, on est pass de rpondre de tre responsable . Rpondre de est avant tout un acte religieux. Le terme spondeo est, en fait, issu du terme grec spondo qui veut dire verser une libation en hommage un dieu. Cette conception du terme correspond au rituel religieux de la Grce antique ou traditionnel africain. Celui-ci se comprend, en effet, comme un ensemble dobligations pour les hommes devant entraner, par

103 En France, cest sous la plume du banquier et ministre du roi Jacques Necker, voir Hubert Mthivier, La fin de lAncien Rgime, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? , n1411, 1970, pp. 33-36 et pp. 97-107. 104 Michel Villey, Esquisse historique sur le mot responsable , Archives de philosophie du droit, n22, Paris, Sirey, 1977, pp. 45-58 ; 105 The Oxford English Dictionnary, t. 8, p. 542. Alexander Hamilton (1757-1804) a particip la rdaction de la Constitution vote par la Convention fdrale de Philadelphie le 17 septembre 1787. Quatre-vingt cinq articles rdigs par Alexander Hamilton, John Jay et James Madison ont t rassembls sous le titre Le Fdraliste, prface de Andr Tunc. Larticle n63 de ce livre dispose : I add, as a sixth defect, the want, in some important cases, of a due responsability in the government to the people, arizing from that frequency elections which in other cases produces this responsibility, (Jajouterai comme sixime dfaut, labsence, dans des cas importants, de toute responsabilit du gouvernement envers le peuple, ce qui est le rsultat de cette frquence dlections qui, dans dautres circonstances, produit la responsabilit), Paris, Economica, coll. Etudes juridiques comparatives , 1988, pp. 522-523. 106 Dictionnaire de la langue franaise, Paris, Ed. Hachette et Cie, 1877. 107 Marion Bouclier Dfinition tymologique de la responsabilit politique , in Philippe Sgur (sous la direction de), Gouvernants : quelle responsabilit ?, op. cit., pp. 15-22.

25 rponse, une srie dobligations pour les dieux. Ce ritualisme constitue donc le fondement de lordre juridico-politique antique ou traditionnel. Mais le mot rpondre de peut tre aussi considr comme un acte de pouvoir 108 . Il nest pas inutile de rappeler que les premires organisations politiques ont confi leur destin des personnes pouvant transcender le monde des dieux et celui des hommes. Cest le cas des chefs en Afrique noire pr-coloniale. Cette mission implique non seulement des droits mais surtout des obligations. En effet, si le chef ne parvient pas remplir ce rle de direction des humains et surtout de conciliation des forces surnaturelles pour le bien des populations, il est destitu ou mis mort 109 . Et puisque le peuple ne dirige pas directement le groupe, il nencourt aucune responsabilit. Seule llite a donc rpondre de ses actes et de lefficacit des rites accomplis. En Europe, cette responsabilit exclusive sest dissoute peu peu vers la fin du Moyen Age dans le point dhonneur et les privilges de cour dune part, et dautre part avec la rforme au XVIe sicle, les progrs du libre examen 110 et la distance quune partie croissante du peuple a pris lgard de lEglise. Dsormais, chacun est tenu pour responsable de ses actes 111 et en subit les consquences selon le barme des peines et des indemnisations en vigueur. Paralllement cette volution ou cette mtamorphose, la responsabilit dbouche dsormais sur une certaine culpabilit. Dans les systmes sociaux imprgns de sacralit, la culpabilit se fonde sur les rgles religieuses et traditionnelles. Elle rsulte dune faute commise contre des dieux ou Dieu. Mais cette culpabilit est fragile et peut se dissiper rapidement puisque Dieu pardonne les pchs et efface la peine du pcheur repentant. Dans les systmes sociaux modernes lacs, la culpabilit prend une nouvelle forme. En effet, cest sous langle de lincrimination que la responsabilit simpose et stend. La socit contemporaine porte cette notion son apoge. En devenant universelle, la responsabilit se dmocratise, se systmatise et se multiplie. Cependant, du fait de lvolution conomique et sociale, de lurbanisation et de la division du travail qui rendent les individus interdpendants et solidaires dans la faute, la responsabilit pour faute devient de plus en plusPhilippe Sgur, La responsabilit politique, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? , n3294, 1998, p. 5. Cest le rle jou par les conseils qui entourent le roi. Cf., Talism O. Elias, La nature du droit coutumier africain, op. cit., p. 28 ; Lucien Scubla, Roi sacr, victime sacrificielle et victime missaire , Recherches, Revue du Mauss, n22, 2e semestre 2003, pp. 197-219. Anne Stam, Histoire de lAfrique pr-coloniale, op. cit., pp. 62-63. ; Maurice A. Gll, La Constitution ou Loi fondamentale , in Encyclopdie juridique de lAfrique, t. 1, LEtat et le Droit, Abidjan, Dakar, Lom, Les NEA, 1982, pp. 21-50., p. 22. 110 Il dcoule de la Rforme au XVIe sicle. Voir, Jacques Ellul, Les sources chrtiennes de la dmocratie. Protestantisme et dmocratie , in Jean-Louis Seurin (Textes runis par), La dmocratie pluraliste, Paris, Economica, 1981, pp. 83-99, lire, p. 85. 111 Cette responsabilit personnelle dcoule notamment du message vanglique selon lequel chacun doit rendre compte de ses actes , voir Jacques Ellul, ibid., p. 97.109 108

26 difficile dterminer. La faute nincombe plus personne. Pourtant, lorsquun vnement dommageable se produit, il faut pouvoir limputer quelquun, cest--dire trouver un responsable 112 . Lvolution du terme responsabilit ne doit pas masquer une profonde constance : elle apparat comme une obligation pour un individu de rpondre de ses actions, ou, dans certains cas, de celle dautres individus. La responsabilit est dite objective quand lindividu rpond, devant les hommes, dune conduite qui est lobjet des sanctions extrieures 113 ., mesures lgales, contraintes politiques ou ractions populaires. Elle est dite subjective ou psychologique quand lindividu rpond de ses actes devant sa propre conscience, et que la sanction est purement intrieure, satisfaction ou remord. Ces deux aspects caractrisent les diffrentes formes de responsabilit prsidentielle.

b)-Les diffrentes formes de responsabilit du Chef de lEtat Le Chef de lEtat encourt traditionnellement 114 , en principe, une triple responsabilit, civile, pnale et politique. Les deux premires formes de responsabilit constituent la responsabilit juridique 115 du Chef de lEtat parce quelles sont strictement prvues par le droit positif alors que la responsabilit politique nest que partiellement organise par le droit 116 . Dans les rgimes constitutionnels dmocratiques, ces diffrents types de responsabilit se conjuguent harmonieusement tant que la primaut de la responsabilit politique sur les autres formes de responsabilit est conserve. Cest aussi pourquoi il convient de dfinir dabord la premire avant dexaminer les diffrences qui existent entre celle-ci et les autres formes de responsabilit.

112 Hans Jonas dfinit la responsabilit comme l imputation causale des actes commis , in Le principe responsabilit, Paris, Flammarion, 1998, p. 179. Sur limputation, voir aussi, Max Weber, Economie et socit, t. 1, Paris, Plon, 1971, pp. 47-48. 113 La sanction ne sentend pas forcment ici la rvocation. Voir Jean-Marc Fvrier, Lanxiologie de la responsabilit politique , in Philippe Sgur (sous la direction de), Gouvernants : quelle responsabilit ?, op. cit., pp. 213-240, lire pp. 236-237. Par ailleurs, Philippe Sgur parle par exemple de sanction positive (expression de la confiance) et de sanction ngative (expression de la dfiance), in La responsabilit politique, op. cit., p. 80. Notons que le droit traditionnel africain retient plusieurs types de sanctions : psychologiques, sociologiques, religieuses et magiques. Voir, Talism Olawale Elias, La nature du droit coutumier africain, op. cit., pp. 73-93. Sur la perptuation de ces sanctions en Afrique noire post-coloniale, cf., Sophia Mappa, Pouvoirs traditionnels et pouvoir dEtat en Afrique. Lillusion universaliste, Paris, Ed. Karthala, 1998, pp. 185-188. 114 Cf., Albert Delaurier, De la responsabilit du Prsident de la Rpublique, thse Droit, Bordeaux, 1902, 206 p. ; Ezekiel Gordon, La responsabilit du Chef de lEtat dans la pratique constitutionnelle rcente (Etude de droit compar), thse Droit, Paris, Jouve & Cie, 1931, 280 p. ; Louis Leneru, La responsabilit du Prsident de la Rpublique, thse droit, Paris, Rousseau, 1901, 114 p. ; Francisque Perrin, De la responsabilit pnale du Chef de lEtat et des ministres en France depuis la chute de lancien rgime jusqu nos jours, thse Droit, Grenoble, 1900, 412 p. 115 Sur la responsabilit juridique, voir, Michel Virally, La pense juridique, Paris, Ed. Panthon-Assas/LGDJ, 1998, pp. 108-118 ; Simone Goyard-Fabre, Responsabilit morale et responsabilit juridique selon Kant , Archives de philosophie du droit, n22, La responsabilit, Paris, Sirey, 1977, pp. 113-129. ; Catherine Thibierge, Avenir de la responsabilit, responsabilit de lavenir , Rec. Dalloz, n9, 2004, pp. 577-581. 116 Cette distinction entre responsabilit juridique et responsabilit politique est lune des caractristiques de lre dmocratique, voir, JeanMarie Domenach, La responsabilit. Essai sur le fondement du civisme, op. cit., p. 6. Voir aussi, Pierre Avril, Les conventions de la Constitution. Normes non crites du droit politique Paris, PUF, coll. Lviathan , 1999, p. 22 et p. 70.

27 -La responsabilit politique du Chef de lEtat La responsabilit politique du Chef de lEtat 117 peut tre dfinie au sens strict et au sens large. Stricto sensu, la responsabilit politique apparat comme la suite dun dsaccord aveclorgane qui lhomme politique doit rendre compte. Elle est sanctionne par la cessation des fonctions sans autre obligation morale ou pnale 118

. Autrement dit, la responsabilit politique119

est analyse comme lobligation faite au titulaire dune fonction politique de se retirer lorsquil aperdu la confiance de ceux devant lesquels il doit rpondre

.

Il ressort de ces dfinitions que la sanction politique, cest--dire la destitution, est un lment cl de la responsabilit politique. En effet, sans lide de rvocation des gouvernants, la responsabilit est un vain mot, elle est inexistante 120 . La responsabilit politique apparat ici comme la contrepartie de pouvoirs politiques, dune certaine libert dinitiative et daction laisse lhomme investi dun mandat politique. Elle se caractrise donc par la proportion qui existe entre degr de pouvoir et degr de responsabilit. Cest dans ce sens que le constitutionnaliste anglais Colin Turpin affirme que la responsabilit doit tre mesure ltendue des pouvoirs dtenus. Les pouvoirs constitutionnelsimpliquent lexercice dun pouvoir discrtionnaire et cest cela ce pouvoir de choisir, de dcider qui confre de la signification et de limportance la notion de responsabilit 121

. Il sagit l de

lapplication du principe dmocratique selon lequel il ny a pas de pouvoir sansresponsabilit 122

. Autrement dit, il ny a pas dautorit qui ne soit, un moment ou un autre,123

mise en demeure de renouveler le pacte grce auquel elle sexerce

.

Si lon ne peut qualifier de responsabilit politique la diversit des mcanismes par lesquels un homme investi dun emploi politique est rvoqu (cest le cas du coup dEtat), ilVoir entre autres, Bernard Branchet, Contribution ltude de la Constitution de 1958. Le contreseing et le rgime politique de la Ve Rpublique, prface de Stphane Rias, Paris, LGDJ, Bibliothque constitutionnelle et de science politique, t. 82, 1996, pp. 241-247. ; Elisabeth Zoller, Droit constitutionnel, 2e d., Paris, PUF, 1999, pp. 472-474 ; Michel Blanger, Contribution ltude de la responsabilit politique du Chef de lEtat , RDP, septembre-octobre, 1979, pp. 1265-1314; Robert Boudon, La responsabilit du Prsident de la Ve Rpublique (1959-1974), Mmoire de DES de Science Politique, Universit de Bordeaux I, 1974 ; Arnaud Martin, La responsabilit du Chef de lEtat sous la Ve Rpublique, Mmoire de DEA, Droit public, Universit de Bordeaux 1, 1990; Bernard Kieffer, Lirresponsabilit politique du Prsident sous la Ve Rpublique, Mmoire DES Droit constitutionnel, Universit de Reims, 1974, pp. 62 et suiv. 118 Yves Lenoir, La notion de responsabilit politique , Rec. Dalloz-Sirey, Chron. II, 1966, pp. 5-8, p. 5. 119 Patrick Auvret, La responsabilit du Chef de lEtat sous la Ve Rpublique , RDP, 1988, p. 78. Dans le mme sens, voir Philippe Sgur, Quest ce que la responsabilit politique ? , RDP, n6, 1999, pp. 1598-1623, p. 1600. 120 Plusieurs auteurs font de la sanction un critre essentiel de la responsabilit politique. Voir, Jean Laferrire, Manuel de droit constitutionnel, Paris, Domat-Montchrestien, 1943, pp. 730 et suiv., Georges Vedel, Manuel lmentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, p. 459 ; Yves Lenoir, La notion de responsabilit politique , Rec. Dalloz-Sirey, Chron. II, 1966, p. 2.; Philippe Sgur, La responsabilit politique, op. cit., pp. 17-18. 121 Colin Turpin, Ministerial Responsability , in Jeffrey Jowell and Dawn Oliver (dir.), The Changing Constitution, 4e d., Oxford University Press, 2000, pp. 109-122, p. 111. 122 Pierre Avril, Pouvoir et responsabilit , Mlanges offerts Georges Burdeau, Le Pouvoir, Paris, LGDJ, 1977, pp. 9-23, p. 9. De mme, Joseph Barthlemy et Paul Duez soulignent que lautorit est insparable de la responsabilit. Qui nest pas responsable ne doit pas agir , in Trait de droit constitutionnel, op. cit., p. 619. 123 Christian Bidgaray et Claude Emeri, La responsabilit politique, Paris, Dalloz, coll. Connaissance du Droit , 1998, p. 4.117

28 faut pourtant reconnatre que ces procdures peuvent tre formelles ou informelles ds lors quelles revtent un caractre dmocratique. Ce dernier aspect mrite dtre prcis. En effet, la responsabilit politique du Chef de lEtat dpasse largement les textes juridiques. Elle dcoule de la pratique constitutionnelle et politique et recouvre une srie de procdures indirectes ou informelles qui entranent la rvocation du Chef de lEtat ou provoquent sa dmission. Ces mcanismes sont lgion. On peut citer par exemple les lections politiques et le rfrendum. Dans ces diffrents cas, la responsabilit prsidentielle est dite de facto. Ces mcanismes obissent la logique de la dmocratie constitutionnelle 124 . Pierre Avril observe ce propos que le principe (de responsabilit) est inhrent au constitutionnalisme dmocratique etrsulte imprativement des exigences de ce type dorganisation politique : le pouvoir dun organe implique ncessairement la responsabilit de cet organe. Il sensuit une obligation gnrale de comportement qui simpose au Chef de lEtat la mesure de lautorit quil dtient effectivement 125

.

Cette premire conception de la responsabilit politique est cependant limite. En effet, lassimilation entre responsabilit politique et sa sanction suprme, la rvocation, tmoigne dune acception trs restrictive de la notion de responsabilit. Cette assimilation se repose sur la philosophie du droit implicite du juriste positiviste - qui dfinit la rgle de droit parla sanction juridictionnelle 127 126

. Pour Olivier Beaud, dans la responsabilit, le lien entre la

rgle de fond et la sanction na pas lautomaticit quelle revt en droit pnal ou en droit civil ()

. En dautres termes, la sanction politique, cest--dire la destitution, ne constitue que

le cas extrme, lultima ratio de la responsabilit politique. Ainsi, lobligation de sexpliquer de laction gouvernementale ou prsidentielle se traduit par des formes mineures de responsabilitpolitique, par opposition sa forme majeure (la destitution) 128

. On aboutit ainsi une extension

de la notion de responsabilit politique qui nest pas toujours organise par le droit 129 . Les mcanismes de mise en jeu de cette responsabilit politique minimale du Chef de lEtat peuvent tre regroups, par extension, ce que la science politique amricaine appelle accountability 130 . La political accountability est dfinie comme lobligation faiteVoir notamment, Carl J. Friedrich, La dmocratie constitutionnelle, Paris, PUF, 1958 ; Christian Starck, La thorie de la dmocratie constitutionnelle , Mlanges Patrice Glard, Droit constitutionnel, Paris, LDGJ, 1999, pp. 87-92 ; Philippe Lauvaux, Les grandes dmocraties contemporaines, 3e dition, Paris, PUF, coll. Droit fondamental , 2004, pp. 139 et suiv. 125 Pierre Avril, Pouvoir et responsabilit , op. cit., p. 14. De mme, Lucien-Anatole Prvost-Paradol souligne que la responsabilit est proportionnelle au pouvoir , in La France nouvelle, prface de Jean Tulard, Paris, coll. Ressources, 1979, p. 121. 126 Olivier Beaud, Le sang contamin. Essai critique sur la criminalisation de la responsabilit des gouvernants, Paris, PUF, coll. Bhmoth , p. 158. 127 Olivier Beaud, ibid., p. 158. 128 Ibid., p. 160. 129 Georges Burdeau, Francis Hamon et Michel Troper soulignent galement qu il nest pas exclu que sous une forme ou sous une autre, la responsabilit du Prsident puisse tre mise en uvre en dehors des cas prvus par le texte constitutionnel , in Droit constitutionnel, 28e d., Paris, LGDJ, 2003, p. 569. 130 Voir Guy Hermet, Bertrand Badie, Pierre Birnbaum et Philippe Braud, Dictionnaire de la Science politique et des institutions politiques, 4e d., Paris, Armand Colin, coll. Cursus , srie, Science politique , 2000, pp. 8-9 ; John Lonsdale, Political Accountability in African History , op. cit., pp. 125-165 ; Pierre Avril, Responsabilit et accountability , in Olivier Beaud et Jean-Michel Blanquer (sous la direction de), La responsabilit des gouvernants, Paris, Descartes & Cie, coll. Droit , 1999, pp. 85-93. ; Mark J. Rozell, Executive124

29 aux gouvernants de tenir compte et de rendre compte ou encore lobligation de rpondre ou de sexpliquer de la conduite des affaires publiques 131 . Cette obligation est le noyau central de la responsabilit politique 132 . La responsabilit politique mineure du Chef de lEtat recouvre une srie de mcanismes qui, sans menacer directement la prennit de loccupation de la fonction politique sont susceptibles dentacher la lgitimit de son occupant133 et de porter atteinte sa capacit gouverner seul et de faon despotique. La responsabilit politique est ici la contrepartie de la fonction politique. Elle prive le Chef de lEtat de ses pouvoirs et entame sapuissance et son autorit sans lesquelles il ne peut user de ses capacits comme il lentend 134

.

En dfinitive, la responsabilit politique apparat comme une procdure de limitation, de contrle et de rvocabilit des dtenteurs dun pouvoir politique 135 , en loccurrence du Chef de lEtat. La responsabilit politique prsente des spcificits qui la distinguent des autres formes de responsabilit.

-Les diffrences entre la responsabilit politique et les autres formes de responsabilit.

La responsabilit politique se distingue de la responsabilit morale par trois aspects selon une classification tablie par Yves Lenoir 136 : tout dabord, la responsabilit politique, au contraire de la responsabilit morale, trouve gnralement sa manifestation dans un contrle a posteriori des actes politiques ; ensuite elle natteint que des comportements politiques priode