la responsabilité de l'agent d'exécution en droit public et en droit privé

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Université Lyon II Institut d’Études Politiques de Lyon La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé Vers un alignement des régimes de responsabilité du préposé et de l’agent public ? MAYER Benoît Réalisé sous la direction de M. D.-A. Camous Soutenance le jeudi 5 juin 2008 Jury composé de MM. D.-A. Camous et F. Osman

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Page 1: La responsabilité de l'agent d'exécution en droit public et en droit privé

Université Lyon IIInstitut d’Études Politiques de Lyon

La responsabilité de l’agent d’exécution endroit public et en droit privéVers un alignement des régimes de responsabilitédu préposé et de l’agent public ?

MAYER BenoîtRéalisé sous la direction de M. D.-A. Camous

Soutenance le jeudi 5 juin 2008

Jury composé de MM. D.-A. Camous et F. Osman

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Table des matièresRemerciements . . 4Listes des abréviations . . 5Introduction . . 7Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agentd’execution . . 12

Titre 1 : La responsabilité limitée de l’agent public . . 121/ La responsabilité de principe de l’administration . . 122/ Les restrictions à la responsabilité de l’agent public auteur d’une fautepersonnelle . . 18

Titre 2 : Les incertitudes liées à la responsabilité du préposé avant l’arrêt Costedoat . . 251/ L’obligation à la dette du commettant . . 262/ La responsabilité problématique du préposé . . 31

Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution . . 38Titre 1 : Une transformation de la responsabilité du préposé inspirée du droit administratif. . 38

1/ Une « faute de service » ? La création d’un domaine d’immunité du préposé . . 382/ Une « faute personnelle » ? Le maintien d’une responsabilité du préposé . . 46

Titre 2 : Les aboutissements de l’irresponsabilité des agents d’exécution . . 531/ La disparition de la fonction répressive de la responsabilité civile . . 532/ La fonction exclusivement indemnitaire de la responsabilité civile . . 58

Conclusion . . 66Bibliographie . . 68

Principaux arrêts mentionnés . . 68Tribunal des Conflits . . 68Conseil d’État . . 68Cour de cassation . . 68

Thèses et ouvrages . . 69Résumé . . 75

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RemerciementsJe tiens à remercier M. David-André Camous, maître de conférences en droit public à l’Institutd’Études politiques de Lyon, pour l’attention qu’il a portée à mon travail et pour ses précieuxconseils. Je tiens également à remercier M. Filali Osman, maître de conférences en droit privé àl’Institut d’Études politiques de Lyon, pour avoir accepté de co-présider la soutenance de monmémoire, dont il m’avait proposé le sujet.

Ma gratitude va par ailleurs aux bibliothécaires de l’Institut d’Études politiques de Lyon et del’université Lyon III, sans l’assistance desquels je n’aurais pas pu mener à bien ce projet.

Last but not least, j’adresse mes remerciements à Veronika et à mes amis pour leur soutienconstant, et en particulier à Adelin pour ses relectures pointilleuses.

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Listes des abréviations

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Listes des abréviations

AJDA : Actualité juridique du droit administratifBICC : Bulletin d’information de la Cour de cassationBull. Civ. : Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassationBull. Crim. : Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassationCA : Cour d’appelCAA : Cour administrative d’appelCah. CC : Cahiers du Conseil constitutionnelCass. : Cour de cassation.Civ. : Chambre civileCom. : Chambre commerciale ;Crim. : Chambre criminelle ;Soc. : Chambre socialeAss. plén. : Assemblée plénièreCE : Conseil d’État.Ass. : Assemblée du contentieuxSect. : SectionChr. : ChroniqueComm. : CommentaireD. : Recueil DallozDefrénois :: Répertoire du notariatDP : Recueil périodique et critique mensuel Dalloz (antérieur à 1941)EDCE : Études et documents du Conseil d’ÉtatGAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrativeGAJC : Grands arrêts de la jurisprudence civileJCP A : Jurisclasseur périodique (La Semaine juridique),édition« Administration et

collectivités territoriales »JCP E : Jurisclasseur périodique (La Semaine juridique),« édition Entreprise »JCP G : Jurisclasseur périodique (La Semaine juridique),« édition générale »LPA : Les Petites AffichesObs. : ObservationsRA : Revue administrativeRCA : Responsabilité civile et assurances

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RDP : Revue du droit public et de la science politiqueRec. CE : Recueil des arrêts du Conseil d’État (ou Recueil Lebon)RFDA : Revue française de droit administratifRFDC : Revue française de droit constitutionnelRJDA : Revue de jurisprudence de droit des affairesRRJ : Revue de recherche juridique et de droit prospectifRTD civ. : Revue trimestrielle de droit civilS. : SireyTC : Tribunal des conflits

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Introduction

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Introduction

« Nous sommes tous comptables de nos actes. (…) La responsabilité fait partiedes valeurs que j’ai voulu porter dans la campagne électorale. Je veux rouvrir ledébat de la responsabilité, et prendre les miennes. »1

« La plus importante condition du mal que se font les hommes entre eux – ou plutôt del’atrocité de ce mal, car ce mal est nécessaire – est l’idée invincible et absurde de laresponsabilité. »

P. Valéry, Cahiers, tome 1, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1973, p. 451Dans le discours dominant actuel, la responsabilité est plus qu’une technique juridique :

elle est l’une des vertus morales du citoyen. Il appartient à chacun d’assumer saresponsabilité : le chef d’entreprise comme le bénéficiaire d’aides sociales, le parent commele magistrat. L’idée d’une autonomie de la volonté, héritée des philosophes des Lumières,fonde la responsabilité individuelle : qui est libre de son action doit en contrepartie répondrede ses choix. La responsabilité est le corollaire de la liberté, et c’est sans doute la raisonpour laquelle elle occupe une place centrale dans le fonctionnement des sociétés libérales.

Pourtant, cette emphase actuelle autour de la notion de responsabilité ne reflète pasune nouvelle invention, mais, bien au contraire, le sentiment, juste, que la responsabilités’effrite. Un siècle après Freud et la découverte du subconscient, cent cinquante ans aprèsMarx et la théorie de l’exploitation du prolétariat, l’homme est-il encore libre ? La liberté,fondement anthropologique de la responsabilité, fut encore battue en brèche par Sartrequi affirma que l’homme, « jeté dans l’existence », était « condamné à être libre » et nepouvait échapper au « devoir de se réaliser soi-même ». Si, selon la formule, « l’enfer,c’est les autres », c’est avant tout parce qu’ils regardent, jugent et demandent des comptes.Dostoïevski a su magnifiquement décrire la fragilité de l’individu, coupable mais victime deson propre crime. La sociologie contemporaine met en évidence la détermination sociale dela personnalité, définissant l’action humaine comme le résultat d’une « interaction sociale »2

et l’individu comme une pure « référence à ceux qui l’entourent » 3.Le droit positif ne peut pas rester étanche à cet effritement de la responsabilité. Il

faut à cet égard dissocier responsabilité pénale et responsabilité civile, c’est-à-dire laresponsabilité qui a pour but exclusif de punir et celle qui a pour but, exclusif ou non,d’indemniser la victime. En matière de droit pénal, le Code de 1810 a institué le principe dela personnalisation des peines4 permettant au juge de tenir compte de la personnalité du

1 Discours du Président de la République, le 25 octobre 2007 au Palais de l’Elysée, à l’occasion de la restitution des

conclusions du Grenelle de l’environnement. La vidéo du discours et sa retranscription sont consultables sur les archives

du site de l’Elysée : http://www.elysee.fr/download/?mode=press&filename=grenelle_de_l_environnement_prononce.pdf

.2 G. H. Mead, L’esprit, le soi et la société, version originale parue en 1934, traduction française : PUF, 1963, p.1633 C. Taylor, Sources of the Self, The Making of Modern Identity, Cambridge University Press, 1989, p.334 Cf. article 123-24 du Nouveau Code pénal.

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coupable5. Dans ce domaine, la peine est fixée depuis longtemps d’après une appréciationin concreto de la faute de l’individu, en fonction notamment de son environnement, de sondiscernement, etc. Le droit pénal s’est donc adapté par lui-même à l’évolution du regard dela société sur le coupable.

Au contraire, la responsabilité civile pourrait aujourd’hui être à l’aube d’une remiseen cause générée par l’abandon de l’autonomie de la volonté. L’idée de la rationalité del’homme est remise en cause et il est corollairement admis que nul ne prévoit réellement lesconséquences de ses actes – en tout cas pas les conséquences immenses qui peuvent êtrecausées par la moindre des fautes d’inattention. Il en découle en particulier une défiancevis-à-vis de la responsabilité délictuelle, remettant en cause les principes mêmes édifiéspar le Code civil de 1804. Au centre de cet édifice, se situe l’article 1382 et le principe selonlequel toute faute justifie la condamnation de son auteur à la réparation du dommage causéà autrui. La faute, découlant de la volonté, permet ainsi de pourvoir à l’indemnisation desvictimes. Ce mécanisme peut cependant paraître incompatible avec l’idée contemporainede justice, puisque, la hauteur de la condamnation ne dépend pas de la gravité de la faute del’individu, évaluée subjectivement, mais, au contraire, d’un élément extérieur à l’individu etindépendant de lui : le préjudice causé par son acte. En outre, la prise en compte croissantede la nécessité d’indemniser les victimes pousse les juges à rechercher la faute toujoursplus loin et presque à caricaturer la responsabilité délictuelle.

Il semble que ce paradigme de la responsabilité fondée sur la faute soit en porte-à-fauxavec une société prônant à la fois le pardon du fautif et l’indemnisation de la victime. L’étudedes points d’effritement permet alors, peut-être, d’anticiper un renversement de paradigme6

marqué par l’effondrement de la responsabilité pour faute. Ainsi, dans certains domaines,l’injustice de la responsabilité pour faute peut sembler encore plus inacceptable. Tel est,en particulier, le cas de la responsabilité délictuelle de l’agent d’exécution, c’est-à-dire lapersonne qui agit, à un moment donné et dans certaines limites, pour le compte d’une autrepersonne qu’elle ne représente pas.

Si l’individu est libre et rationnel, alors il est pleinement responsable et doit payerpour sa faute, quant bien même il aurait agi pour autrui, car il aurait tout de même pu, etdû, éviter cette faute. Mais, au contraire, dès que la faute devient pardonnable, ne faut-ilpas tenter au moins d’atténuer, voire de supprimer, la condamnation du « fautif » ? Dansle cas de l’agent d’exécution, l’iniquité d’une responsabilité fondée sur la faute devientflagrante. En effet, l’agent d’exécution ne tire pas directement bénéfice de son activité, etcelui qui en tire le bénéfice est souvent beaucoup plus riche que lui. De plus, l’organisationmême de l’activité peut forcer l’agent d’exécution à prendre des risques pour produire plus :l’employeur bénéficiera alors du surplus de production sans avoir à en assumer le risque.Enfin, l’industrialisation de la société et le développement des risques en général7 multiplientles conséquences possibles d’une faute, au-delà même des postes dits « à responsabilité » :une simple erreur de manipulation d’un ouvrier pourrait ainsi être à l’origine de l’explosionsurvenue à l’usine AZF8. Dans le domaine de la responsabilité de l’agent d’exécution, le

5 L’établissement récent de « peines plancher » en cas de récidive réduit incontestablement ce pouvoir d’appréciation par lejuge de la responsabilité pénale individuelle.

6 Cf. T. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1999 (première édition en anglais 1962)7 U. Beck, La société du risque : sur la voie d’une autre modernité, Flammarion, 2003 (première édition allemande : 1986).8 Voir par exemple Le Monde, édition du 13 juin 2002, « Onze personnes placées en garde à vue dans l’enquête sur l’explosion

de l’usine AZF de Toulouse ».

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Introduction

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paradigme de la responsabilité pour faute ne suffit visiblement pas : un autre régime deresponsabilité doit être mis en œuvre.

Droit public et droit privé ont parallèlement fait face à la nécessaire adaptation de laresponsabilité de l’agent d’exécution. La responsabilité administrative du fait de la fautede service, puis la responsabilité du commettant du fait de son préposé, ont consacréune certaine déresponsabilisation de l’agent d’exécution. Le juge administratif puis le jugejudiciaire sont allés au-delà d’une simple garantie d’une personne par une autre, visantà protéger les droits de la victime en lui offrant une sûreté. Ils ont en effet consacrél’irresponsabilité de l’auteur d’une faute lorsque cette dernière s’inscrit dans la mission qu’ilexerçait, faisant une entorse au principe de responsabilité personnelle.

Le présent mémoire s’efforce de présenter la construction parallèle et convergentede ces deux régimes d’irresponsabilité de l’agent d’exécution – préposé et agent public.Les deux ordres juridictionnels français ont en effet consacré une responsabilité pourautrui, c’est-à-dire un schéma triangulaire où la victime possèdera, selon les cas, unrecours contre l’agent d’exécution ou contre le commettant. Par facilité terminologique, le« commettant » au sens large pourra désigner ici la personne pour le compte de laquellel’agent d’exécution agit : l’administration en droit public, le commettant stricto sensu en droitprivé. « L’administration » dont il s’agit, personne publique responsable selon les règlesspéciales du droit public, est soit une collectivité territoriale – ce qui regroupe l’État, lesrégions, les départements, les communes et les collectivités territoriales à statut particulier –,soit un établissement public. Mais « l’administration » responsable de l’agent public peutégalement être un organisme de droit privé dans certains cas exceptionnels9. Au contraire,l’établissement public qui met en œuvre un service public industriel et commercial échappeau domaine de la responsabilité administrative.

Tableau 1 : Agents d'exécution et commettants en droit public et en droit privé

droit public droit privécommettant (lato sensu) administration commettant (stricto sensu)agent d’exécution agent public préposé

Le présent travail s’inscrit dans une approche de droit comparé interne : il s’agit decomparer les solutions adoptées en droit civil et en droit administratif face à la mêmequestion de la responsabilité de l’agent d’exécution. En effet, dans de nombreux domaines,les juges des deux cours de cassation semblent soucieux, par objectif d’équité, de faireconverger les différents régimes de responsabilité qu’ils consacrent. Tel est notamment lecas dans un autre régime de responsabilité du fait d’autrui, depuis que le Conseil d’État10 aconsacré la responsabilité administrative sans faute du fait de la garde des personnes quis’inspire largement de la règle consacrée par le Code civil en son article 1384, alinéa 1.

Le postulat de départ est que la situation du préposé est analogue à celle de l’agentpublic, ce qui permet la comparaison des deux situations. Dans les deux cas, en effet, l’agentd’exécution agit pour le compte d’un commettant lato sensu et, potentiellement, sous les

9 Il faut que la personne privée, dans la gestion déléguée d’un service public, ait mis en œuvre des prérogatives de puissance

public. Cf. J. Rivero, J. Waline, Droit administratif, Dalloz, 21e édition, 2006, n°269 p.211. Cela a été confirmé par un arrêt récent :CE, 21 décembre 2007, Mme Lipietz et autres (à propos de la responsabilité de la SNCF pour sa participation, sous l’Occupation,au transport de personnes déportées).

10 CE, Section, 11 février 2005, GIE Axa Courtage, conclusions C. Devys, RFDA 2005.3.595, conclusions C. Devys, note P.Bon ; RFDA 2007.4.780, étude J.-C. Barbato.

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instructions de celui-ci. L’agent d’exécution est en quelque sorte un membre du commettant,ou, du moins, c’est à ce dernier que l’activité profite directement. La rémunération de l’agentd’exécution – éventuelle dans le cas du préposé – ne dépend pas directement de sonactivité.

Pourtant, à ces situations juridiques similaires ont longtemps répondu des régimes deresponsabilité diamétralement opposés. D’une part, depuis l’arrêt Pelletier du Tribunal desConflits11, le Conseil d’État consacrait la responsabilité de l’administration et l’immunité del’agent public dans le cadre du régime de la « faute de service ». D’autre part, la Courde cassation ne déduisait de l’article 1384, alinéa 5 qu’une simple garantie du commettantsemblable à un cautionnement : il n’excluait pas la responsabilité personnelle de droitcommun du préposé, ni le recours du commettant condamné contre son préposé.

L’arrêt Costedoat rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 25février 2000, confirmé par plusieurs arrêts postérieurs, a fondamentalement modifié cettejurisprudence en disposant que, dans une certaine mesure, la responsabilité du commettantexclut celle du préposé. Ainsi, la victime ne peut plus poursuivre le préposé, et le commettantcondamné ne dispose plus de recours contre lui.

Le présent mémoire tente alors de répondre à la question suivante : Dans quelle mesurecette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation réalise-t-elle une convergence de lasituation des agents d’exécution en droit privé et en droit public ? Plus largement, il s’agitde déterminer les tenants et les aboutissants d’un rapprochement de deux régimes deresponsabilité du fait de l’agent d’exécution.

Le champ d’investigation est large et cette modeste recherche doit se limiter à la règlegénérale, mettant l’exception à l’écart. Ne sont, par conséquent, pas envisagés, en droitpublic, les régimes dérogatoires étendant l’immunité de l’agent public : la loi du 7 février1933 substituant la responsabilité de l’État à celle des magistrats judiciaires condamnés àla suite d’une procédure de prise à parti, la loi du 5 avril 1937 étendant l’immunité conféréeaux instituteurs publics, etc.

De même, en droit privé, il est fait abstraction en particulier du régime propre deresponsabilité de la personne morale pour le fait de ses dirigeants sociaux. Dans cedomaine, une jurisprudence a d’ailleurs affirmé que « la qualité de mandataire attribuée àcertains organes dirigeants d’une société n’est pas nécessairement exclusive de celle depréposé »12 : le dirigeant peut donc, au moins dans certaines circonstances, être assimiléau préposé. A défaut, la responsabilité des dirigeants de sociétés obéit à des dispositionslégales particulières13 dont l’interprétation a connu une évolution parallèle à celle de laresponsabilité des préposés14. Par ailleurs, la responsabilité dont il est ici question, est denature extracontractuelle. Or, le droit civil distingue la responsabilité extracontractuelle ducommettant de la responsabilité contractuelle de celui qui a eu recours à autrui pour réaliserson obligation15. L’exclusion de ces deux régimes de responsabilité empêche sans doute

11 TC, 30 juillet 1873, Pelletier, Rec. CE 1er supplément 117, conclusions David ; D.1874.III.5, concl. David ; GAJA n°212 Civ 1ère, 27 mai 1986, Bull. civ. I n°154.13 Il s’agit de la loi du 24 juillet 1966, reprise dans le Nouveau Code de commerce aux articles L.225-251s.14 Cf. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 9e édition, 2005, n°846 p.819 ; J. Mestre, D. Velardocchio,

C. Blanchard-Sébastien, Lamy, Sociétés commerciales, édition 2004. Le dirigeant n’est responsable qu’en cas de faute qui lui soit« imputable personnellement ».

15 G. Viney, P. Jourdain, Les Conditions de la responsabilité, L.G.D.J., 3e édition, 2006, n°816 p.1037

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Introduction

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de prendre l’exacte mesure de l’ensemble des influences qui ont pesé sur le juge judiciairelors de son revirement, mais elle semble nécessaire à la cohérence de ce mémoire.

La responsabilité de l’agent d’exécution vis-à-vis de son commettant (lato sensu) estexclue du champ d’étude. Pour autant, il sera nécessairement fait référence, au fil dudéveloppement, à la responsabilité contractuelle du salarié à l’égard de son employeur età la responsabilité disciplinaire de l’agent public.

Le présent mémoire s’articule en deux parties chronologiques. La première partie décritla construction parallèle des deux régimes de responsabilité de l’agent d’exécution, c’est-à-dire la responsabilité limitée de l’agent public d’une part et la situation incertaine dupréposé avant l’arrêt du 25 février 2000 d’autre part. La deuxième partie met en lumière lebouleversement opéré par l’arrêt Costedoat : elle souligne le rapprochement opéré par lejuge judiciaire vers le régime de la responsabilité de l’agent public. Elle tente également dedégager la signification de la solution commune aux deux branches du droit.

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Partie 1 : La construction parallele dedeux regimes de responsabilité del’agent d’execution

L’immunité complète de l’agent public qui agit dans l’exercice de ses fonctions (1) contrastefortement avec la responsabilité systématique du préposé en droit privé antérieurement àl’arrêt Costedoat du 25 février 2000 (2).

Titre 1 : La responsabilité limitée de l’agent publicSi la doctrine et la jurisprudence administratives ont distingué faute de service et fautepersonnelle, c’est originalement pour que seule la première engage la responsabilité del’administration (1). Pour autant, les faits montrent que l’auteur de la faute personnelle n’estqu’exceptionnellement inquiété (2).

1/ La responsabilité de principe de l’administrationLa responsabilité autonome de l’administration (1) se limite aux hypothèses de fautes dites« de service » et imputables à ce titre à l’administration (2).

1.1 L’invention d’une responsabilité administrative autonomeL’idée que l’administration publique ne doit pas répondre aux règles de droit commun de laresponsabilité délictuelle ne s’est pas imposée sans difficulté. Les doctrines administrative

et judiciaire se sont opposées tout au long du XIXe siècle, aussi bien quant à la compétencejuridictionnelle que sur les règles à appliquer. Le juge judiciaire se déclarait compétent etmettait en œuvre la règle de l’article 1384, aliéna 5, du Code civil, affirmant ainsi l’insertion del’État dans le champ des règles de droit civil concernant la responsabilité des commettantspour le fait de leurs préposés16.

A l’opposé, le Conseil d’État se voulait compétent pour tout recours tendant à affirmerla responsabilité de l’État. La doctrine administrative se basait d’une part sur la théorie del’État débiteur, d’autre part sur la séparation des pouvoirs. La théorie de « l’État débiteur »17

affirmait qu’il revenait « à l’autorité administrative (…) de statuer sur les demandes quitendent à constituer l’État débiteur »18, ce qui conduisait à soutenir que seul le juge

16 Civ., req. 1er avril 1845, D.P.45.1.261, cité par le Commissaire du Gouvernement David, Conclusions sous Blanco.17 François Burdeau, Histoire du droit administratif, 1re édition : 1995, p.128-12918 CE 6 décembre 1855, Rotschild, Rec. CE 707

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administratif pouvait statuer sur une requête tendant à créer une créance à la charge del’État.

L’invocation de la séparation des pouvoirs allait dans le même sens. Elle impliquait queseul le juge administratif était compétent pour juger de l’administration. Après tout, l’article13 de la loi des 16 et 24 août 1790 ne portait-il pas interdiction aux juges judiciaires de« troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs » ?

Quant au fond du droit, le juge administratif concluait à l’irresponsabilité de l’État. E.Laferrière affirmait, dans ce sens, que « le propre de la souveraineté est de s’imposer àtous, sans qu’on puisse réclamer d’elle aucune compensation »19. Ainsi, « les victimes demesures législatives ou réglementaires n’ont (…) aucun droit à réclamer »20, même faceà des actes irréguliers ou à des fautes caractérisées, sauf à invoquer un texte législatifspécial21.

Ainsi, selon la doctrine administrative, le juge administratif était compétent ; il devaitappliquer un droit propre ; et il devait conclure à l’irresponsabilité de l’État. Cette doctrinelaissait pourtant la place à deux exceptions. Premièrement, la distinction pouvait être faite(et elle le fut en 185022) entre l’acte accompli dans l’exercice des fonctions administrativeset le fait personnel extérieur et insusceptible d’être rattaché aux fonctions : dans le secondcas, les tribunaux judiciaires recouvrent leurs compétences.

Une deuxième exception, plus fondamentale, concernait la possibilité d’uneresponsabilité de l’État dans les domaines qui n’engagent pas la souveraineté, c’est-à-direles actes de gestion de « l’État personne civile »23, opposés aux actes d’autorité de l’Étatsouverain. Ainsi, une responsabilité de plein droit de l’administration fut progressivementadmise, celle-ci n’étant « ni générale, ni absolue »24 et « se [modifiant] suivant la nature etles nécessités de chaque service25.

Le conflit persistant entre les deux ordres juridictionnels fut finalement tranché par leTribunal des Conflits lors de l’arrêt Blanco 26 rendu en 1873.

« Considérant que la responsabilité, qui peut incomber à l’État pour lesdommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans leservice public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Codecivil, pour les rapports de particulier à particulier ; Que cette responsabilité n’estni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales qui varient suivant lesbesoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’État avec les droitsprivés… »

19 E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t.2, Berger-Levrault, 2e éd., 1896, p.13 et 183s.

Cité par R. Chapus, Droit administratif général, Tome 1, Montchrestien, 15e édition, 2001, n°1399, page 1227.20 F. Burdeau, Histoire du droit administratif, 1re édition : 1995, p.14921 par exemple : CE 13 janvier 1865, Payerne, S 1865.2.2022 TC, 20 mai 1850, Manoury, cité par François Burdeau, Histoire du droit administratif, 1re édition : 1995, p.15023 Commissaire du Gouvernement David, Conclusions sous Blanco.24 L’expression, rendue célèbre par l’arrêt Blanco du Tribunal des Conflits, apparaît pour la première fois dans CE 8 août 1844,

Dupart. Cité par F. Burdeau, op. cit.25 CE 6 décembre 1855, Rotschild, précité26 TC 8 février 1873, Blanco, Rec. CE 1er supplément 61, Ccl David ; GAJA n°1

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Sur le plan de la compétence comme sur la question du droit applicable, l’arrêt Blanco donneraison à la doctrine administrative : l’autorité administrative « est seule compétente » pourconnaître des litiges concernant la responsabilité de l’État, et celle-ci « ne peut être régie parles principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier ».Et le juge de confirmer que la responsabilité de l’État « n’est ni générale, ni absolue » et « ases règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilierles droits de l’État avec les droits privés ».

L’arrêt Blanco fonde ainsi la responsabilité de la puissance publique, entendue nonseulement comme la responsabilité que peuvent encourir les personnes publiques27,mais surtout comme « un régime de responsabilité qui doit être différent de celui de laresponsabilité selon le droit privé »28. Et l’un ne peut aller sans l’autre : dans l’esprit du jugede 1873, « la condition mise à l’abandon du principe d’irresponsabilité, c’est la soustractionde la responsabilité administrative aux principes du Code civil qui entraîneraient trop loin laresponsabilité de la puissance publique »29.

Pourtant, si le principe d’autonomie de la responsabilité administrative affirme que lejuge administratif n’est pas lié par le droit civil, il n’interdit pas au juge administratif des’inspirer des solutions trouvées par le juge judiciaire. Comme le souligne R. Chapus, « endroit administratif comme en droit privé, la question est de savoir à quelles conditionset selon quelles modalités un dommage doit être réparé. Il est presque inévitable queles réponses données à cette question se rejoignent à de nombreux égards et quedes influences s’exercent entre les deux ordres juridictionnels. »30 Après une périodede méfiance durant laquelle la responsabilité de l’État n’était admise que dans descirconstances rares, les « règles spéciales » de la responsabilité des personnes publiquesont constitué un régime de responsabilité beaucoup plus large que les différents régimesde responsabilité des personnes morales ou physiques en droit privé31. La responsabilitéde l’administration, progressivement élargie – abandon progressif de la faute lourde,développement des cas de présomption de faute, voire même responsabilité sans faute –,s’arrête toutefois, en droit, là où commence la responsabilité de l’agent public.

1.2 Les limites de la responsabilité de l’administration : faute de servicecontre faute personnelleSi la responsabilité de l’administration se limite à la faute de service et exclut la fautepersonnelle, c’est d’abord afin de ne pas porter atteinte au principe de la séparation desautorités judiciaires et administratives (1), et seulement ensuite pour protéger l’agent publicde la responsabilité de certaines fautes (2).

1.2.1 La responsabilité de l’administration comme garantie de la séparationdes autorités judiciaires et administratives

27 Il s’agit non seulement des personnes publiques, mais aussi des entrepreneurs de travaux publics et des institutions de droitprivé lorsque les faits dommageables sont en relation avec leurs activités de gestion publique.

28 R. Chapus, 2001, op. cit., n°1400 p.122829 J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°460 p.39430 R. Chapus, 2001, op. cit., n°1400 p.1228 ?31 J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°460 p.395

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Le régime dit de « garantie des fonctionnaires » a été établi par l’article 75 de la Constitutionde l’an VIII : « les agents du Gouvernement (…) ne peuvent être poursuivis pour des faitsrelatifs à leurs fonctions, qu'en vertu d'une décision du Conseil d'État ». Cette autorisationétait rarement donnée et fondait en pratique une situation d’irresponsabilité de l’agentpublic32, particulièrement flagrante sous le Second Empire33.

C’est dans ce contexte que l’article 1er du décret-loi du 19 septembre 1870 vientbrutalement abroger l’article 75 de la Constitution de l’an VIII ainsi que « toutes autresdispositions des lois générales ou spéciales ayant pour objet d’entraver les poursuitesdirigées contre les fonctionnaires publics de tout ordre »34. Est ainsi remis en cause àdessein tout le système de l’irresponsabilité des fonctionnaires. Des principes nouveauxdoivent alors être posés, ce qui fut fait par l’arrêt Pelletier du Tribunal des Conflits35.

Plusieurs lectures divergentes du décret d’abrogation étaient possibles. Celui-ci auraitpu être interprété comme confiant au juge judiciaire une « compétence ordinaire pourl'ensemble des actions en responsabilité fondées sur une faute du service public »36. Laresponsabilité de principe aurait alors sans doute été celle de l’agent. La responsabilité del’administration n’aurait été que subsidiaire : celle-ci « ne serait intervenue, le cas échéant,que comme garante, et en cas d'insolvabilité de l'agent condamné »37. L’agent public auraitalors été responsable dans les mêmes conditions que le préposé en droit privé38.

Mais le Tribunal des Conflits procède en 1873 à une autre interprétation, plus restrictive,mais tout de même progressiste, tenant compte du décret de 1870, mais sans lui donnerl’application globale qu’il aurait pu avoir39.

A l’origine de cette interprétation, le Commissaire du Gouvernement David40 distingueentre deux « garanties des fonctionnaires » qui existaient antérieurement au décret de 1870 :

« La première [garantie] constituait une garantie personnelle aux fonctionnairespublics, établie en leur faveur (…) pour les protéger contre les animosités oul’esprit de parti, en soumettant la poursuite à l’autorisation préalable de l’autoritésupérieure ; c’était une simple règle de procédure. (…) La seconde constitueune garantie réelle, établie en faveur de l’administration pour défendre contrel’ingérence des tribunaux les actes qui, revêtus de son caractère et de sonautorité, lui appartiennent en propre. »

Or, le décret-loi du 19 septembre 1870 n’avait supprimé que la « garantie personnelle » etne pouvait être revenu, sans que ni le corps du texte, ni ses motifs n’y fassent mention, surla « garantie réelle » de l’administration, corollaire du principe fondamental de la séparationdes autorités judiciaires et administratives. Ainsi, dès lors qu’une demande en indemnisation

32 G. Braibant, B. Stirn, Le droit administratif français, Presses de Sciences Po et Dalloz, 7e édition, 2005, p.32133 Y. Gaudemet, Traité de droit administratif, Tome 1 : droit administratif général, L.G.D.J., 16e édition, 2001, n°1636 p.789

34 cité par R. Chapus, 2001, op. cit., n°152335 TC 30 juillet 1873, Pelletier, Rec. CE 1er supplément 117, Concl. David ; GAJA n°2 p.8-1536 D’après Léon Blum, Conclusions sous Époux Lemonnier, CE 26 juillet 1918.37 D’après Léon Blum, Conclusions sous Époux Lemonnier, CE 26 juillet 1918.38 R. Chapus, 2001, op. cit., n°1523.39 Y. Gaudemet, op. cit., n°1638bis p.78940 David, Conclusions sous l’arrêt Pelletier, précité.

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impliquait l’évaluation de la légalité d’un acte administratif, la compétence juridictionnelleétait administrative.

Le « fait personnel de nature à engager [la] responsabilité particulière [dufonctionnaire] », qui sera plus tard qualifié de « faute personnelle », est ainsi conçu dansl’arrêt Pelletier comme ce qui se détache assez complètement du service pour que le jugejudiciaire puisse en faire la constatation sans porter pour autant une appréciation sur lamarche même de l’administration. Au contraire, la « faute de service », même si elle estégalement le fait d’un agent, est tellement liée au service que son appréciation par le jugejudiciaire impliquerait nécessairement une appréciation sur le fonctionnement du service,ce qui serait contraire à la séparation des autorités judiciaires et administratives.

Or, la compétence entraîne le fond du droit. Devant le juge administratif, seule peut êtreindemnisée la faute de service ; mais seul le service peut être alors tenu pour responsable.Le juge judiciaire, compétent en matière de faute personnelle, applique les règles du droitcivil concernant la responsabilité pour faute, en particulier l’article 1382 du Code civil, etne peut condamner que l’agent public, à l’exclusion de l’administration41. Il résulte doncde cette répartition du contentieux, une répartition des responsabilités : l’administration estexclusivement responsable et responsable exclusive de la faute de service.

1.2.2 La responsabilité de l’administration comme protection offerte auxagents publicsLa distinction de la faute de service et de la faute personnelle a été l’objet d’unejurisprudence abondante au cours de laquelle le critère de la distinction entre faute deservice et faute personnelle a été progressivement modifié.

Le critère objectif, développé par le Commissaire du Gouvernement David dans l’arrêtPelletier, a été repris par le Commissaire du Gouvernement Blum dans l’affaire Lemonnier42. Selon cette conception, la distinction doit être définie par son objectif : la protection dela séparation des pouvoirs. Ainsi, « il y a faute de service lorsque son appréciation obligele juge à apprécier l’acte de l’Administration et il y a faute personnelle lorsqu’il n’y a pas àapprécier cet acte »43.

Or, ce critère objectif a été peu à peu remplacé par un critère subjectif visant à laprotection de l’agent public. Ainsi le Commissaire du Gouvernement Laferrière considéraitqu’il y a faute de service « si l’acte dommageable est impersonnel, s’il révèle unadministrateur plus ou moins sujet à erreur, et non l’homme avec ses faiblesses, sespassions, ses imprudences »44. Maurice Hauriou ne dira pas le contraire, définissant la fautede service comme « celle qui correspond à la marge de mauvais fonctionnement qu’il fautattendre de la diligence moyenne »45. Au contraire, il y a faute personnelle, selon Laferrière,« si (…) la personnalité de l’agent se révèle par des fautes de droit commun, par un dol »,puisque, alors, « la faute est imputable au fonctionnaire, non à la fonction ».

41 Cass. Crim. 28 octobre 1981, Dame Genod et Aubry, Bull. crim. 1981, n°287 ; - Cass. Crim. 13 octobre 2004, Bonnet,Mazères, dans l’affaire dite des « paillotes corses ».

42 Conclusions sous Époux Lemonnier, CE 26 juillet 1918.43 J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°507 p.43344 Conclusions sur TC 5 mai 1877, Laumonnier-Carriol, Rec. CE 43745 Note sous CE 5 février 1911, Anguet : S 1911.3.137

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Dès lors, la faute de service a davantage pour objectif de protéger le fonctionnairecontre la charge d’un risque lié à l’activité qu’il exécute, que de protéger l’administrationdes empiètements du juge judiciaire en vue de garantir la séparation des autoritésadministratives et judiciaires. Cela constitue sans doute, au final, un retour sur la distinctiondes deux « garanties des fonctionnaires » décrites par le Commissaire du GouvernementDavid. La faute de service, initialement consacrée comme « garantie réelle, établie en faveurde l’administration pour [la] défendre contre l’ingérence des tribunaux », a progressivementconstitué à nouveau une « garantie personnelle aux fonctionnaires publics, établie en leurfaveur »46 !

C’est en se fondant sur cette conception de la faute de service comme instrumentjuridique de protection de l’agent public que le Conseil d’État refusa, dès 1874 47,de consacrer une action récursoire de l’administration condamnée à indemniser lavictime d’une faute de service, contre son agent, auteur matériel de ladite faute.L’impérative protection des agents publics est, par exemple, exprimée par le considérantde l’arrêt Laruelle : « les fonctionnaires et agents des collectivités publiques nesont pas pécuniairement responsables envers lesdites collectivités des conséquencesdommageables de leurs fautes de service »48.

La jurisprudence du Conseil d’État allait même jusqu’à reconnaître à l’agent public undroit à ne pas supporter la charge de l’indemnisation d’une faute de service dont il est l’auteurmatériel. La jurisprudence apparue dès 192449, confirmée par le législateur dès 194150,établissait que « lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de serviceet que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesureoù une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputableà ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui ». L’agentpublic peut ainsi demander à l’administration la prise en charge de la condamnation civileprononcée contre lui pour faute de service, et, le cas échéant, demander l’annulation durefus devant le juge administratif – tel fut le cas dans l’arrêt Delville 51.

En principe, la victime d’une faute de service ne peut invoquer la responsabilité del’agent public, et l’agent public ne devrait donc pas être condamné. Cette condamnation peut

46 David, Conclusions sous l’arrêt Pelletier, précité.47 CE 10 juillet 1874, Baron, Rec. CE p.648 S.1876.II.159 ; - CE 4 décembre 1891, Bastier, Rec. CE p.726, S.1893.III.116,

conclusions Jagerschmidt ; - CE 9 février 1894, Brocks, Rec. CE p.109 ; - CE 10 novembre 1899, Meyer, Rec. CE, .622 ; - CE 18 avril1907, Gleize, Rec. CE p.133, conclusions Romieu, S.1909.III.102, conclusions ; - CE 6 novembre 1906, Gougain, Rec CE p.811 ; -CE 28 mars 1924, Poursines, Rec. CE p.357, D.1924.III.49, RDP 1924 p.601 note G. Jèze ; - CE 14 décembre 1934, Dizier, Rec. CE

p.1188, D.H. 1935, 120 ; - CE 1er août 1942, Préour, Rec. CE p.248 ; - CE 20 juin 1947, Caisse de crédit municipal de Strasbourg,Rec. CE p.275 ; - CE 28 juillet 1951, Laruelle, D.1951.623, note Nguyen Do, JCP 1951.II.6532 note J.J.R., RDP 1951 p.1080 noteM. Waline, S.1952.III.25, note A. Mathiot, S.1953.III.25 note R. Meurisse

48 Formulation de l’arrêt CE 28 juillet 1951, Laruelle. Les arrêts précédents ne font pas explicitement référence à la « fautede service », mais à la « faute commise à l’occasion des fonctions » (28 mars 1924) ou à la « faute commise dans l’exercice desfonctions » (20 juin 1947).

49 CE 8 février 1924, Raymond, S. 1926, III, 17, note M. Hauriou, J.A., 1, 668 ; - CE 18 octobre 1935, Herteau, Rec. CE, p.951 ;- CE 19 novembre 1937, Époux Crouzet, S. 1938, III, 100, a contrario

50 Article 11.2 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; art. 24 de la loi du 14 septembre 1941 ;article 14.2 de la loi du 19 octobre 1946 ; article 11 de l’ordonnance du 4 février 1959 ; art. 11.2 de la loi du 13 juillet 1983 portantdroits et obligations des fonctionnaires.

51 CE Ass. 28 juillet 1951, Delville, Rec. CE 464

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néanmoins résulter d’une divergence d’appréciation entre juges sur la nature exacte de lafaute. Elle peut aussi être due à ce que l’action n’a pas été élevée et qu’un juge incompétenta statué au fond. Mais, dans la plupart des cas, elle est la conséquence d’une condamnationde l’agent à l’intégralité de la réparation, alors que sa faute personnelle était rendue possiblepar une faute de service. Il en a en particulier été jugé ainsi dans l’arrêt Papon : la fautepersonnelle de l’ancien préfet, condamné pénalement pour crime contre l’humanité, avaitété rendue possible par une faute de service constituée par la collaboration de l’État françaisde Vichy ; il appartenait donc à l’État de prendre à sa charge la moitié des condamnationsciviles dues aux ayants-droits des victimes52.

Ainsi, aujourd’hui, la responsabilité de l’administration vise principalement à ne pas fairesupporter la charge financière du risque de l’activité administrative aux agents publics. Lesconsidérations propres au droit public – la protection de l’administration souveraine – ontainsi laissé la place à des considérations d’un ordre plus général – la protection de l’agentd’exécution –, aisément transposables en droit privé.

2/ Les restrictions à la responsabilité de l’agent public auteur d’unefaute personnelle

De ce qui précède, découle un principe simple : la faute de service engage la responsabilitéde l’administration et la faute personnelle, celle (exclusive) de l’agent53. Cette règle apparaît« à première vue comme la plus logique et juridiquement la plus élégante »54. Ellea pourtant été abondamment battue en brèche par le développement d’une garantiepar l’administration de la faute personnelle de l’agent (1). L’« action récursoire » del’administration contre l’agent responsable donne en droit la cohérence à cette garantieadministrative de la faute personnelle, mais sa faible utilisation tend à exonérer les agentspublics de la responsabilité qui leur incombe (2).

2.1 Le développement d’une garantie de la faute personnelle parl’administrationLa garantie de son agent par l’administration a été construite en deux étapes : d’abord parla théorie du cumul de fautes (1), puis par celle du cumul de responsabilité (2).

2.1.1 Première étape : la théorie du cumul de fautesLa distinction rigide entre faute de service et faute personnelle ne pouvait échapperà une difficulté : qui, de l’agent ou de l’administration, devrait supporter la charge del’indemnisation des dommages causés par deux fautes concomitantes, l’une personnelle,l’autre de service ? La réponse équitable était sans doute une répartition des charges entreles deux responsables ; mais cela était rendu très difficile, sinon impossible, par le principede séparation des juridictions administratives et judiciaires, empêchant à un seul juge destatuer sur une répartition équitable de la contribution entre l’agent et l’administration. La

52 Telle était l’hypothèse retenue dans l’arrêt CE Ass., 12 avril 2002, Papon, Rec. CE 139 conclusion Boissard, RFDA 2002.582,concl. Boissard ; AJDA 2002.423, chr. Guyomar et Collin ; LPA 28 mai 2002, Concl. Boissard, note E. Aubin ; D.2003.647, note DelmasSaint-Hilaire ; JCP 2002.II.10161, note Moniolle ; Gaz. Pal. 28-30 juill. 2002.27, note Petit ; RDP 2002.1511, note Degoffe, et 1531,note Alvés ; RDP 2003.470, note Guettier ; RFDC 2003.513, comm. Verpeaux.53 E. Laferrière, Traité de droit administratif, éd. 1896, II, 18254 Y. Gaudemet, op. cit., n°1640 p.790

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condamnation partielle de chaque responsable par un juge différent obligeait la victime àagir deux fois et créait un risque d’indemnisation double ou partielle.

La solution fut inventée par le Conseil d’État en 1911 à l’occasion de l’arrêt Anguet 55.En l’espèce, l’horloge d’un bureau de poste était légèrement déréglée et un employé avaitfermé avant l’heure la porte destinée au public – il y avait là, manifestement, une faute deservice, puisque celle-ci ne laissait en rien transparaître « l’homme avec ses passions »,mais bien l’aléa et l’erreur. Or, un usager se trouva de la sorte retenu dans le bureau deposte. Alors qu’il tentait de sortir par la porte de service vers laquelle on l’avait orienté, unemployé le surprit et, se méprenant sur les motifs de sa présence dans la salle, l’en expulsaviolemment et le blessa. Les violences constituées par cette expulsion « musclée » furentqualifiées à l’époque de faute personnelle. Ainsi, les deux fautes, l’une personnelle et l’autrede service, avaient contribué à la survenance d’un même préjudice.

Le Conseil d’État accepta alors de sacrifier la beauté de l’édifice à une solutionéquitable. Puisque la faute de service était l’une des causes directes de l’accident, le droitde la victime à obtenir une indemnisation totale par l’État fut reconnu : « l’accident (…)doit être attribué, quelle que soit la responsabilité personnelle encourue par les agents(…), au mauvais fonctionnement du service public ». Autrement dit : la faute de servicepeut l’emporter sur la faute personnelle et en quelque sorte l’inclure, parce que la premièrea rendu la survenance de la seconde possible. Pour le juge administratif, le schéma estnettement clarifié : la victime doit poursuivre l’administration, qui indemnise l’ensemble dupréjudice. Ainsi, les deux difficultés soulevées par le cumul des fautes sont résolues : l’actionest unique (pas besoin de poursuivre à la fois l’agent et l’administration) ; l’indemnisationest intégrale mais ne peut dépasser le préjudice, n’étant pas fixée concurremment par deuxjuges différents.

Le juge judiciaire avait mis en place un régime équivalent : l’agent public, poursuivi pourune faute personnelle concomitante à une faute de service, était condamné à l’intégralitéde la réparation et pouvait exiger la prise en charge par l’administration d’une part de sacondamnation. Devant chacun des deux juges, le régime aboutissait donc à une forme desolidarité des deux codébiteurs que sont l’administration et son agent.

2.1.2 Deuxième étape : la théorie du cumul de responsabilitéCette hypothèse d’un cumul des fautes fut ensuite complétée par celle d’un cumul desresponsabilités, élargissant le champ de responsabilité de l’administration. Dans cetteseconde hypothèse, il n’y a qu’une seule faute, qualifiée de faute personnelle de l’agent ;mais le juge administratif condamnera tout de même l’administration à indemnisation desvictimes, se fondant sur l’inclusion de la faute personnelle dans le service.

Cette solution est consacrée par le Conseil d’État dans un arrêt de 1918, ÉpouxLemonnier 56. En l’espèce, un maire n’avait pas pris les mesures manifestement nécessairesà la sécurisation d’une promenade située derrière un stand de tir, en conséquence de quoiMme Lemonnier avait reçu une balle perdue dans le cou. Bien qu’elle y ait survécu, lesépoux Lemonnier avaient saisi le juge judiciaire, qui, en appel, avait condamné le maire àindemnisation. Or, la victime ne pouvait être sûre d’être intégralement indemnisée par lemaire, dont les ressources étaient limitées. Elle avait donc poursuivi l’administration.

55 CE 3 février 1911, Anguet, Rec. CE 146, S. 1911.3.137 note Hauriou56 CE 26 juillet 1918, Époux Lemonnier, Rec. CE 761, concl. Blum, D. 1918.3.9, conclu. Blum, note Jèze ; S. 1918-1919.3.41,

concl. Blum, note Hauriou

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En l’espèce, le Conseil d’État devait-il se dessaisir du recours, sous le prétexte que ledommage devait être indemnisé par le juge judiciaire ? En aucun cas, selon le conclusionsdu Commissaire du Gouvernement Blum – suivi par le Conseil d’État – qui, se basant sur leprincipe de l’indépendance des deux ordres juridictionnels, conclut que le juge administratifdevait « faire abstraction complète de décisions judiciaires qui ont pu ou pourront intervenirsur la question de la faute personnelle ». Dès lors, le juge administratif ne devait pass’interroger sur l’existence d’une faute personnelle, mais seulement sur l’imputabilité dufait au service. Et, dès lors que, comme en l’espèce, la faute avait été conditionnée par leservice, alors le service ne devait-il pas « recouvrir » la faute ?

« Si [la faute] a été commise dans le service, ou à l'occasion du service, si lesmoyens et les instruments de la faute ont été mis à la disposition du coupablepar le service, si la victime n'a été mise en présence du coupable que par l'effetdu jeu du service, si, en un mot, le service a conditionné l'accomplissement dela faute ou la production de ses conséquences dommageables vis-à-vis d'unindividu déterminé, le juge administratif, alors, pourra et devra dire : La faute sedétache peut-être du service ; c'est affaire aux tribunaux d'en décider ; mais leservice ne se détache pas de la faute. » 57

Il est ainsi envisageable qu’un seul fait constitue une faute personnelle, engageant laresponsabilité personnelle de l’agent public devant le juge judiciaire, mais ne soit passuffisamment distinct du service pour ne pas engager la responsabilité de l’administration.La faute personnelle et la responsabilité personnelle qui s’ensuit n’excluent pas lacondamnation concurrente de l’administration. La possibilité, pour la victime, d’obtenir lacondamnation de l’agent devant le juge judiciaire ne l’empêche pas de rechercher laresponsabilité du service devant le juge administratif.

Or, la responsabilité de l’administration pour les fautes personnelles commises par sesagents a été progressivement élargie. Lors de l’arrêt Époux Lemonnier, cette hypothèse deresponsabilité administrative semble limitée à la faute personnelle commise dans l’exercicemême des fonctions. Dans la lignée, l’arrêt Quesnel de 193758 affirme que la victime d’unvol commis par une receveuse des postes doit être indemnisée par l’administration : « laseule circonstance que la faute personnelle ait été commise dans le service suffit pour quela responsabilité de l’administration soit engagée ».

Une extension importante fut réalisée en 1949, à l’occasion de l’arrêt DemoiselleMimeur 59. En l’espèce, le conducteur d’un camion militaire s’était détourné de son itinérairenormal pour rendre visite à sa famille, lorsqu’il avait causé un accident de la circulation. Iln’était manifestement pas « dans l’exercice de ses fonctions ». Pourtant, le juge administratifsouligna que la faute n’était, du moins, « pas dépourvue de tout lien avec le service » :l’État fournissait le camion et, ainsi, créait un risque. Le Conseil d’État conclut de cela quela responsabilité de l’administration était engagée par l’accident.

Par la suite, la même solution a été appliquée aux autres fautes personnelles « nondépourvues de tout lien avec le service », notamment au sujet des accidents provoqués par

57 CE 26 juillet 1918, Époux Lemonnier, Rec. CE 761, concl. Blum, D. 1918.3.9, conclu. Blum, note Jèze ; S. 1918-1919.3.41,

concl. Blum, note Hauriou58 CE 21 avril 1937, Dlle Quesnel, Rec. CE 41359 CE Ass. 18 novembre 1949, Dlle Mimeur, Defaux, Bethelsemer, p.492, D.1950.667 note J.G., JCP 1950, n°5286, concl. F.

Gazier, RDP 1950, p.183, note M. Waline

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l’utilisation maladroite – mais, heureusement, jamais dans le cas d’une utilisation criminelle60

– d’une arme à feu détenue par le gardien de la paix du fait d’une obligation statutaire61.La Cour administrative d’appel de Paris a récemment retenu que le cambriolage d’unebijouterie par un enquêteur de police n’était pas dépourvu de tout lien avec le service, dèslors que l’auteur avait profité du conseil d’un serrurier rencontré dans le service62. Ainsila gravité de la faute commise – faute intentionnelle, délit pénal, crime – n’importe pas :l’écriture de faux par un maire peut entraîner la responsabilité de la commune63.

Il demeure néanmoins que la faute personnelle n’engage pas la responsabilité del’administration si elle est dépourvue de tout lien avec le service. Ainsi en va-t-il du douanierqui, bien que revêtu de son uniforme, profite de son apparence de douanier pour arrêterune personne avec qui il a un différend d’ordre privé et qu’il finit par blesser mortellement64.De même, la faute de conduite de l’agent public utilisant son véhicule personnel pour serendre à son service n’engage pas la responsabilité de l’administration65.

Lorsqu’elle est retenue, cette condamnation de l’administration n’exclut pas laresponsabilité de ses agents. Dès lors, il existait un risque de double indemnisation de lavictime. Selon la solution adoptée de manière constante depuis l’arrêt Époux Lemonnier,la victime est désintéressée par le paiement par l’agent, et non peut donc obtenir lacondamnation de l’administration qu’à hauteur de ce que l’agent ne lui a pas encore payé.Surtout, l’administration est subrogée aux droits de la victime contre l’agent public fautif :après avoir désintéressé la victime, elle peut poursuivre son agent dans les conditions oùla victime aurait pu le faire. L’administration dispose ainsi d’« un recours subrogatoire » ou« action en garantie » contre l’agent responsable.

2.2 Les potentialités inexploitées de l’action en garantie66

Les deux théories du cumul visent principalement à protéger davantage les droits de lavictime à une indemnisation. Sitôt qu’elle a le moindre doute sur la solvabilité de l’agentpublic, la victime a tout intérêt à saisir directement le juge administratif d’une demanded’indemnisation portée à l’encontre de l’administration. Il s’ensuivait, en fait sinon en droit,un retour à l’irresponsabilité de l’agent public, d’autant plus insupportable que la théoriedu cumul de responsabilités s’étendait notamment aux fautes personnelles commises endehors des fonctions67 et couvrait des fautes pénales. Jusqu’en 1951, l’absence d’action engarantie de l’administration contre l’agent responsable créait de fait une immunité de celui-ci, dans le cadre même de sa faute personnelle (1).

60 CE, 23 juin 1954, Dame Veuve Litzler, p. 376 ; - CE, 12 mars 1975, Gilles, n°9420661 CE, ass., 26 octobre 1973, Sadoudi, p. 60362 CAA Paris, 27 décembre 2003, n°99PA04181, inédit au Recueil.63 CE 2 mars 2007, Banque française commerciale de l’Océan indien, n°283257.64 CE 23 juin 1954, Veuve Litzler, précité65 CE 8 novembre 1995, Ferron, p.1029, n°133060.

66 Le terme d’action en garantie ou d’action récursoire, généralement admis, n’est pas exact. L’administration ne poursuit

pas son agent en justice, mais émet seulement un titre exécutoire par lequel elle constitue son agent débiteur. L’agent,

seul, peut ensuite agir en annulation du titre exécutoire. L’analogie avec le mécanisme de l’action en garantie en droit privé

des obligations justifie pourtant cette assimilation.67 J. Waline, « De l’irresponsabilité des fonctionnaires pour leurs fautes personnelles et des moyens d’y remédier », RDP, 1948, p. 5s.

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Il était alors nécessaire que le juge admette l’action récursoire de l’administration contreson agent, ne serait-ce que dans un souci de bonne gestion financière de l’État, mais peut-être aussi pour « moraliser la fonction publique en rendant aux agents le sentiment de leurresponsabilité personnelle »68 (2).

Dès lors que cela fut fait, on ne peut que regretter le faible usage de l’actionrécursoire (3).

2.2.1 De 1911 (Anguet) à 1951 (Delville) : un système contradictoireDe l’arrêt Anguet de 1911, consacrant pour la première fois l’obligation à la dette del’administration dans le cadre d’une faute personnelle (cumulée avec une faute de service),jusqu’à 1951, le régime de responsabilité liée à la faute personnelle manquait de cohérenceinterne. Manifestement, le responsable était bien l’agent public – sinon, pourquoi parler de« faute personnelle » et opposer cette hypothèse à celle de la « faute de service » ? Dèslors, l’obligation à la dette de l’administration n’était qu’une manière de garantir les droits dela victime, mais ne devait pas valoir immunité de l’agent public. D’ailleurs, la victime pouvaitégalement poursuivre l’agent public.

La faille du système tenait donc au refus du juge administratif de consacrer une actionrécursoire de l’administration contre son agent69. Tout au plus le Conseil d’État acceptait-t-il de subroger l’administration dans les droits de la victime contre l’agent public fautif,mais cela visait davantage à éviter une double indemnisation qu’à faire supporter la detteà l’agent70. Et, en toute hypothèse, cette subrogation ne pouvait être mise en œuvre qu’enl’existence d’une obligation juridique de l’agent public, contre lequel la victime devait avoirpréalablement agi.

La situation était manifestement peu équitable, puisque un choix procédural de lavictime créait pour l’agent public et pour l’administration des différences importantes quant àla répartition de la contribution finale à la dette71. Ce système avait également pour défaut uncoût, injustifié car il faisait supporter l’indemnisation d’une faute personnelle au contribuable,et excessif dès lors que la plupart des victimes préféraient poursuivre l’administrationdont la solvabilité était certaine. Des considérations de bonne gestion financière de l’Étatpoussèrent à un revirement de jurisprudence, menant la juridiction suprême à établircomplètement, en droit, la nature indirecte de la responsabilité de l’État pour les fautespersonnelles de ses agents.

2.2.2 A partir de 1951 : le cautionnement par l’administration

Avant même 1951 et dans le cadre de la jurisprudence Poursines 72, certaines dispositionslégislatives73 permettaient à l’administration d’exercer une action récursoire dans des cas

68 M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé, Les Grands Arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 16e édition, 2007,n°69.2 (sous Laruelle et Delville), p.444

69 R. Chapus, 2001, op. cit., n°153870 Voir notamment GAJA, op. cit., n°69.2 p.44471 J. Waline, 1948, op. cit.

72 CE 28 mars 1924, Rec. CE 357, D. 1924.3.49, note Appleton, RDP 1924.601, note Jèze, S. 1926.3.17, note Hauriou73 cf. en particulier la loi du 5 avril 1937

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particuliers. Mais il faut attendre l’arrêt Laruelle du Conseil d’État, rendu le 28 juillet 195174,pour que cette action récursoire de l’administration payeuse contre l’agent responsable soitadmise dans le silence même de la loi, et cela « sous l’empire de nécessités absoluesliées aux abus, par certains fonctionnaires, de leur irresponsabilité »75. Le considérantde l’arrêt est de principe : « si les fonctionnaires et agents des collectivités publiquesne sont pas pécuniairement responsables envers lesdites collectivités des conséquencesdommageables de leurs fautes de service, il ne saurait en être ainsi quand le préjudicequ’ils ont causé à ces collectivités est imputable à des fautes personnelles, détachables del’exercice de leurs fonctions »76.

Le juge distingue deux hypothèses. D’un part, l’indemnisation payée par l’administrationpeut l’être au titre d’une faute de service ; dans ce cas, aucune action récursoire contrel’agent ne peut être envisagée.

D’autre part, l’indemnisation peut avoir été payée au titre d’une faute personnellede l’agent public. Alors, l’administration est en droit de demander à l’agent public de larembourser. Ainsi en allait-il dans l’espèce de l’arrêt Laruelle : un sous-officier avait causéun accident en utilisant, en dehors du service et à des fins personnelles, la voiture militairedont il était le conducteur. Il y avait en l’occurrence un cumul de fautes : une faute de serviceconstituée par un défaut de surveillance par l’administration de son parc automobile et unefaute personnelle du sous-officier. L’administration avait émis un arrêté réclamant à sonagent le remboursement des sommes qu’elle avait dû verser à la victime. Le recours del’agent contre l’acte le rendant débiteur fut rejeté par le Conseil d’État, qui confirma ainsi lapossibilité d’une action récursoire.

L’arrêt met alors en lumière la solution logique applicable dans le cas d’un cumul defautes. Si le dommage a pour cause exclusive une faute personnelle, la personne publiquepeut exercer une action récursoire pour le tout contre l’agent public fautif77. Mais si ledommage résulte des effets conjugués d’une faute personnelle de l’agent et d’une faute deservice, l’agent public ne supportera pas la part du dommage dont la faute de service est lacause78. La répartition des contributions finales de l’administration et de l’agent doit prendreen compte « la gravité » respective de chaque faute.

Dans le cas d’un cumul de responsabilité, au contraire, l’administration peut réclamerla totalité des charges dont elle s’est acquittée, étant donné que la seule faute existante estbien la faute personnelle de l’agent79. Il n’y a donc pas, à proprement parler, de « cumul deresponsabilités », mais le cumul d’une responsabilité et d’une garantie, car l’administrationa un rôle analogue à celui d’une caution.

74 CE Ass. 28 juill. 1951, Laruelle, Rec. CE 464, GAJA n°6975 J. Guyénot, La responsabilité des personnes morales publiques et privées, thèse, LGDJ 1959, n°186 p.14476 Nous ne nous étendrons pas sur les doutes qui peuvent exister sur la compétence du juge administratif en la matière. Cf J. Guyénot,op. cit., n°190 p.147 : « les juridictions s’attribuent une compétence qui ne leur appartient pas. Elles empiètent sur la compétencejudiciaire, lorsqu’elles apprécient la faute personnelle d’un individu, à la suite de l’action récursoire intentée par la collectivité publique.Les juridictions administratives devraient être dessaisies au profit des juridictions judiciaires. »

77 CE 17 décembre 1999, Moine78 R. Chapus, 2001, op. cit., n°153979 R. Chapus, 2001, op. cit., n°1539

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Cette jurisprudence est encore pleinement en vigueur80. Ainsi, la responsabilité del’administration du fait d’une faute personnelle s’analyse bien, depuis 1951, comme uneresponsabilité indirecte parfaitement cohérente : la personne de l’agent n’est pas niée ;le recours de la victime peut être exercé soit directement contre l’agent, soit contrel’administration, mais dans le second cas, depuis 1951, l’administration peut exercer uneaction récursoire contre son agent. Ainsi, l’obligation à la dette de l’administration dans ledomaine de la faute personnelle ne consiste, en droit, qu’en une garantie à l’égard desvictimes – ce qui protège la victime de l’insolvabilité de l’agent –; mais la contribution finaleà la dette est bien à la charge de l’agent.

Encore faut-il, cependant, que l’administration prenne l’initiative d’exercer une actionrécursoire.

2.2.3 Le faible usage de l’action récursoireLes mécanismes juridiques existent pour que l’agent public soit déclaré débiteur parl’administration, mais demeurent inexploités. Il est devenu presque banal81 d’affirmer quel’administration, « condamnée à réparer les dommages imputables à la faute personnelled’un de ses agents, met rarement en œuvre l’action récursoire que la jurisprudence met àsa disposition »82. Ainsi, à défaut de statistiques consultables, l’analyse du contentieux duConseil d’État laisse deviner que l’administration ne se retourne contre les agents publicsauteurs d’une faute personnelle qu’extrêmement rarement, souvent lorsque la faute estd’une extrême gravité, comme celle d’un officier qui organise des tirs à balles réelles endehors de tout exercice organisé par l’autorité supérieure83, ou extrêmement grossière,comme dans le cas d’un juge administratif qui ne rend un jugement qu’après 18 ans, dont8 ans de délibéré84.

Ce laxisme des administrations publiques est critiquable en ce qu’il n’est assurémentpas le signe d’une bonne administration financière des pouvoirs publics. Il est de plusdifficilement justifiable, non pas tant parce qu’il écarte une responsabilité civile85, mais plutôtpar son caractère non systématique, donc inique, et davantage encore parce qu’il crée unedifférence de traitement importante et injustifiée entre l’agent public et toute autre personne.

L’immobilisme des administrations tient en partie à des raisons d’ordre sociologique.Peuvent ainsi être invoquées la volonté de maintenir de bonnes relations entre les agents,la crainte du supérieur hiérarchique de se retrouver un jour dans la même situationfautive et la solidarité de fait entre agents publics. Cette mauvaise gestion tient peut-être

80 Cf. par exemple J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°46581 Maestre, « La responsabilité civile des agents publics à l’égard des collectivités publiques doit-elle être abandonnée ? », MélangesWaline, 1974, t. II, p.575 ; Becet, « L’échec du système actuel de la responsabilité pécuniaire des agents publics à l’égard del’administration », Mélanges Stassinopoulos, 1974, p.165 ; C Lalumière, La responsabilité pécuniaire des agents publics envers lescollectivités publiques, 1968 ; O. Gohin, « Le retour à la garantie des fonctionnaires », note sous TC, 19 octobre 1998, Préfet du Tarn/C.A. de Toulouse, D.1999.12782 J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°465 p.39883 CE 7/10 SSR, 17 décembre 1999, n° 199598 .84 Selon un article de Libération, publié le 5 juillet 2006 : « un juge, recordman de lenteur, saisi au porte-monnaie à Nice ». Il estintéressant de noter que, dans un cas aussi extrême, le juge en question n’était poursuivi que pour un quart de l’indemnité à laquellel’État avait été condamné.

85 Voir p.72s.

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également de l’ignorance d’une possibilité de recours contre l’agent qui pourrait elle-mêmeêtre due à la complexité du droit de la responsabilité publique, ou l’inexistence d’organesadministratifs compétents en charge de mener cette action. L’omnipotence des syndicatsde fonctionnaires et le corporatisme de certains « corps de fonctionnaires » pourraientégalement jouer un rôle important dans la protection excessive des agents publics, qui laissese répandre un sentiment d’impunité. Le contexte de restriction budgétaire et de rigueurpourrait amener à une prochaine remise en cause de cette situation.

Titre 2 : Les incertitudes liées à la responsabilité dupréposé avant l’arrêt Costedoat

L’article 1384 du Code civil, en son paragraphe 5, fonde le régime de responsabilitédu commettant en ces termes : « Les maîtres et commettants [sont responsables] dudommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils lesont employés ». Le « maître » n’est aujourd’hui considéré que comme un cas particulierde commettant ; et le domestique, un préposé comme un autre86. Cependant, la mentionexpresse de l’hypothèse de la relation de maître à domestique est typique de la société de1804. Au contraire, aucune référence explicite n’est faite du salariat, qui ne s’est développé

réellement qu’au XXème siècle87. L’hypothèse aujourd’hui la plus courante est celle oùle commettant est une entreprise et le préposé, un salarié. Pour autant, la vertu desnormes juridiques est sans doute leur capacité à s’appliquer avec justesse à des situationsnouvelles.

Il n’en demeure pas moins que la concision de la règle est aujourd’hui surprenante etcontraste fortement avec certains autres articles du Code civil de 180488. Mais, là aussi, cedécalage entre la loi et la réalité s’explique, au moins en partie, par l’ancienneté du textede loi et le développement depuis 1804 d’un contentieux abondant de la responsabilité. Iln’empêche que des normes plus précises auraient pu être adoptées durant les deux sièclesnous séparant de la première écriture du Code civil89. En réalité, le législateur semble s’êtredélibérément contenté de ne donner que de grands principes, laissant au pragmatismedu juge, conseillé par une doctrine abondante, le soin de les adapter aux circonstancesdu temps. La jurisprudence est ainsi devenue, en droit civil de la responsabilité, unesource importante. Ce travail d’interprétation du juge concerne en particulier, dans le casde la responsabilité du commettant, la découverte des conditions de mise en jeu de laresponsabilité du commettant (1). Il concerne également l’articulation de l’article 1384,alinéa 5, avec le principe posé par l’article 1382 du Code civil, selon lequel « tout faitquelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquelil est arrivé, à le réparer » (2).

86 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°827 p.798. Une recherche sur Legifrance ne permet pas de trouver le moindre arrêt faisantréférence à la responsabilité du maître pour le fait de son préposé.87 A propos de l’histoire du salariat, de ses origines à aujourd’hui : S. Bernard et F. Vatin (direction), Le salariat : Théorie, histoireet formes, La dispute, 2007

88 Par exemple, les longues considérations de l’article 653 sur la propriété des murs mitoyens.89 L’avant-projet de réforme du droit des obligations élaboré par la réforme Catala modifie ainsi la règle applicable à la

responsabilité des commettants. Cf. p.82.

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1/ L’obligation à la dette du commettantDeux conditions découlent naturellement du principe de la responsabilité du commettant : unlien de préposition doit exister et le fait dommageable doit être imputable au préposé (1). Deplus, la responsabilité du préposé doit avoir été soulevée en conséquence d’un fait commisdans l’exercice de ses fonctions (2).

1.1 Les deux conditions de mise en cause du commettantPour que le commettant puisse être appelé en garantie par la victime, deux conditionsdoivent naturellement être réunies : l’existence d’un lien de préposition (1) et l’imputabilitédu fait dommageable au préposé (2).

1.1.1 Le lien de préposition

La qualification de « commettant »90 et de « préposé » suppose un lien de préposition entreles deux. Ce lien est entendu très largement par la jurisprudence qui se satisfait de vérifierl’existence d’un « rapport de subordination »91.

Aucun contrat n’est nécessaire à l’existence d’un lien de subordination92. Pour autant,« c’est, dans l’immense majorité des cas, l’existence d’un contrat de travail qui caractérise »la relation du commettant au préposé93. Dans le cas où existe un contrat de travail – salariéou non94 –, il semble admis qu’un lien de subordination se présume, en droit français commedans la plupart des droits étrangers95. Le lien de préposition est également reconnu dansle travail dissimulé96.

Si le contrat de travail constitue généralement un lien de subordination, il n’en est demême pour les autres contrats que dans la mesure où ils « obligent l’une des parties à "agirpour le compte d’une autre", laquelle exerce sur la première un "pouvoir de surveillance etde contrôle" »97. Peu de contrats répondent réellement au critère de contrôle. Le contrat demandat, par exemple, ne constitue pas à lui seul le rapport de subordination, sauf en cas de« circonstances spéciales » qu’il appartient au juge du fond de relever98. Ne constitue pasnon plus de lien de subordination le contrat de louage d’ouvrage, l’indépendance dont jouit

90 Le terme de « commettant » de l’article 1384, aliéna 5, du Code civil, ne fait pas allusion au contrat de commission du Code decommerce (art. L132-1sq, L110-1), contrat par lequel le commettant dépêche un intermédiaire du commerce (le commissionnaire),agissant en son nom propre mais pour le compte du commettant.91 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°829 p.799

92 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°830 p.80093 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°792 p.98294 C. Radé, « Responsabilité des commettants », in Jurisclasseur Civil Code, articles 1382 à 1386, fascicule 143, n°18-21.95 G. Eörsi, « Private and governmental liability for the torts of employees and organs », International Encyclopedia of

Comparative Law, vol. XI, chap.4, n°5596 Crim. 20 février 2001, pourvoi n° 00-83696. La même solution fut appliquée dans un cas particulier (travailleur déclaré faisant

des heures supplémentaires non déclarées) : CA Douai, 24 mai 2005, Juris-Data n°2005-282869.97 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°795 p.98798 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°795-1 p.988

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l’entrepreneur dans l’organisation et l’accomplissement du travail qu’il a promis d’effectuerétant un trait caractéristique de ce contrat99.

Il se peut enfin, dans des circonstances toutefois particulièrement rares, que le liende subordination ne soit pas d’origine contractuelle100. Il résulte alors de liens de famille101,de concubinage102, d’amitié103 ou de complaisance occasionnelle104, même à un parfaitinconnu105 – à condition toutefois qu’une personne ait demandé à une autre de l’aider, cequi exclut la gestion d’affaire106.

1.1.2 L’imputabilité du fait dommageable au préposéL’article 1384, aliéna 5, exige seulement « un dommage causé » par le préposé pourmettre en cause la responsabilité du commettant. Il ne fait pas référence à une faute.S’éloignant en cela de la règle de 1804, du moins de sa lettre, la jurisprudence107 et ladoctrine sont presque108 unanimes à consacrer l’exigence d’un « acte susceptible d’engager[la] responsabilité personnelle [du préposé] vis-à-vis de la victime s’il avait agi pour sonpropre compte »109. Ainsi, seul ce qui aurait été de nature à engager la responsabilité dupréposé, peut engager celle du commettant. Il est souvent reproché au commettant un délitcivil du préposé, mais sa responsabilité peut aussi bien être constituée sur la base de touteautre régime de responsabilité110.

Par exemple, la Cour de cassation a d’abord rejeté la responsabilité du commettantpour l’acte du préposé commis sous l’empire d’un trouble mental111 : l’aliéné n’étant pasresponsable, il ne pouvait transmettre sa responsabilité au commettant. Mais, lorsque laréforme du 3 janvier 1968112 a mis à la charge de l’aliéné la réparation des dommagescausés même sous l’emprise du trouble mental, la Cour de cassation a justement admis

99 Un chauffeur de taxi n’est pas le préposé de son client qui n’a pas d’ordres à lui donner pour la manière de conduire lavoiture : Crim 30 octobre 1902, DP 1904.5.592, S. 1902.1.544. De même, un entrepreneur principal n’est pas le commettant du sous-

traitant, qui garde une indépendance dans son travail : Civ 3ème, 8 mars 1989, Bull. civ. III, n°58, p.33.100 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°830 p.801101 Entre époux : Civ. 2ème, 27 juin 1974, JCP, 1974, IV, p.297 ; - Civ. 1ère, 17 juillet 1979, D. 1980, IR, p.114 ; Entre parents

et enfants : Civ., 4 décembre 1945, JCP, 1946, II, 3110, note J. R.102 Crim. 6 mars 1931, Gaz. Pal., 1931, I, 537103 Req. 1er mai 1930, DP 1930.1.137, note R. Savatier ; Civ. 4 décembre 1945, JCP 1946.II.3110104 Crim. 20 mai 1976, Gaz. Pal. 1976.2.545, note Y. M., RTD civ. 1976.786, obs. G. Durry105 Civ. 2ème, 11 octobre 1985, Bull. civ., II, n°175106 Civ. 24 juillet 1935, Gaz. Pal., 1935, 2, 598 ; - Comm. 16 janvier 2007, 05-11507, non publié au bulletin.

107 Civ., 15 mars 1956, JCP, 1956, II, 9297, note P. Esmein ; - Civ 2e, 11 mai 1956, D., 1957, p.121, note R. Rodière ; - Civ. 1re, 13

novembre 1968, Bull. civ., I, n°276 ; - Civ. 2e, 21 octobre 1966, Bull. civ., II, n°862 ; Civ. 2e, 8 octobre 1969, Bull. civ., II, n°269 ; -

Civ. 1re, 9 juin 1993, Bull. civ., I, n°209, p.146 ; - Civ. 2e, 8 avril 2004 ; JCP G, 2004, II, 10131, note Mickaël Imbert, RTD civ., 2004,p. 517, obs. P. Jourdain.108 pour l’opinion contraire, voir G. Durry, obs. RTD civ., 1976, p.143 ; F. Millet, L’acceptation des risques réhabilitée ?, D. 2006 p.2830109 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°807 p.1010110 Sauf garde de la chose. Cf. p. 46.

111 Civ., 15 mars 1956, JCP, 1956, II, 9297, note P. Esmein112 article 489-2 du Code civil

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que, par conséquent, le commettant de l’aliéné pouvait à son tour être responsable desdommages causés par son préposé113.

Dès lors, dans le cas d’une responsabilité du commettant fondée sur la faute dupréposé, le demandeur devra prouver la faute du préposé. La responsabilité du commettantconsiste donc fondamentalement dans le paiement de la dette d’autrui. La responsabilitéest, à l’origine, celle du préposé, soit qu’il ait commis une faute – et c’est l’application dela règle générale de la responsabilité pour faute de l’article 1382 du Code civil –, soit qu’ilait agi de quelque manière susceptible d’engager sa propre responsabilité, et donc, partransmission, celle du commettant. Comme il ne s’agit pas d’une présomption de faute desurveillance par le commettant sur le préposé, le commettant ne peut pas s’exonérer desa responsabilité en prouvant qu’il a mis tout en œuvre pour éviter la faute du préposé.Ainsi, les causes exonératoires (force majeure, faute d’un tiers ou de la victime) ne sontvalables que tant qu’elles valent à l’égard du préposé 114. Cependant, le commettant tenterade se décharger de sa responsabilité en prouvant que la faute du préposé se détache desfonctions : il y a un abus de fonctions.

1.2 Le lien du fait imputable au préposé avec ses fonctionsLa troisième condition de la garantie du préposé par son commettant est plusproblématique : un lien entre les fonctions et le fait imputable au préposé doit exister.Bien entendu, la responsabilité du préposé n’engage pas celle du commettant lorsque safaute n’est sans aucun rapport avec les fonctions. Mais où tracer la frontière ? A partir dequel moment le lien entre l’acte du préposé et ses fonctions est-il suffisamment ténu pourexonérer le commettant ? Des conflits jurisprudentiels (1) ont finalement abouti à la théorieactuelle de l’abus de fonction (2).

1.2.1 Péripéties jurisprudentiellesL’alinéa 5 de l’article 1384 précise que, si les commettants peuvent être responsables dufait de leurs préposés, encore faut-il que ce fait s’inscrive « dans les fonctions auxquellesils les ont employés ». La comparaison avec les droits étrangers ayant retenu des solutionsanalogues115 montre que la loi française appelle a priori à une responsabilité assez restreintedu commettant, l’acte dommageable devant avoir été commis « dans l’exercice [même]des fonctions », et non simplement « à leur occasion ». Toujours est-il que, « en Francecomme ailleurs (…) les tribunaux ont éprouvé de très sérieuses difficultés pour déterminerconcrètement quelles sont, parmi les activités du préposé, celles qui sont suffisammentliées aux fonctions que lui a confiées le commettant pour engager, en cas de dommage,la responsabilité de celui-ci. »116 S’opposent ainsi deux fondements de ce régime deresponsabilité : la protection des victimes ou l’intérêt économique.

La jurisprudence retint d’abord une solution favorable à la victime et une lecture enréalité assez libre du texte qui retenait la responsabilité du commettant dès lors que l’actedommageable « n’était pas étranger à l’exercice des fonctions »117 ou « avait été facilité

113 Civ. 2e, 24 octobre 1973, D., 1974, somm., p.6, JCP 1973 IV p.395 ; - Civ. 2e, 3 mars 1977, D., 1977, p.501, note C. Larroumet114 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°843 p.816

115 G. Eörsi, op. cit., n°80116 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°797 p.993

117 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°804 p.1000

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par l’exercice de la fonction »118, même s’il avait été manifestement commis dans un but

tout autre que celui assigné par le commettant. A partir des années 1950, pourtant, la 2e

Chambre civile annonça une conception restreinte de la responsabilité du commettant :« Attendu que si le commettant peut, en dehors des dommages causés par lepréposé dans l’exercice de ses fonctions, être également déclaré responsabledes conséquences dommageables de l’activité de son préposé lorsque celle-ci s’exerce vers un but qui lui a été fixé ou, plus exceptionnellement et suivantles circonstances, lorsque le préposé a utilisé dans un but étranger les moyensmis à sa disposition par le commettant, c’est toutefois à la condition que le faitdommageable se rattache par un lien de causalité ou de connexité à l’exercicedes fonctions et que le préposé puisse être réputé avoir agi pour le compte ducommettant ; » 119

La jurisprudence de la 2e Chambre civile fut renforcée par la suite. La notion d’abus defonction fut introduite en la matière par un arrêt postérieur120 selon lequel la responsabilitédu commettant doit être écartée dès lors que « l’acte dommageable a trouvé sa source dansun abus de fonction de la part du préposé, ledit abus supposant nécessairement que cetacte est étranger à la fonction ».

La Chambre criminelle ne modifiant pas sa jurisprudence121, une divergence flagranteapparut entre la jurisprudence du juge civil et celle du juge pénal. L’arrêt des Chambresréunies du 9 mars 1960 opta pour la conception de la Chambre civile d’un examen strict durapport de l’acte dommageable à la fonction122 ; mais la Chambre criminelle persista danssa jurisprudence antérieure. En 1977, un arrêt de l’Assemblée plénière123 trancha dans lemême sens restrictif ; mais, encore une fois, la motivation de l’arrêt était trop « neutre »124,pas assez large, pour faire autorité : « le commettant n’est pas responsable du dommagecausé par le préposé qui utilise, sans autorisation, à des fins personnelles, le véhiculeà lui confié pour l’exercice de ses fonctions ». La Chambre criminelle se plia alors dansl’unique hypothèse de l’utilisation par le préposé du véhicule de l’employeur à des finspersonnelles 125, rejetant encore la responsabilité sur le commettant dans tous les autres

118 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°834 p.804119 Civ, 1er juillet 1954, D. 1954.628 ; JCP 1954.II.8352120 Civ. 2ème, 14 juin 1957, D. 1958.53, note R. Savatier

121 Par exemple Crim. 20 mars 1958, Bull. crim. n°280, p.484122 Chambres réunies, 9 mars 1960, D. 1960.329, note R. Savatier ; JCP 1960.II.11559, note R. Rodière ; Gaz. Pal. 1960.1.313 ;

Grands arrêts, n°211. En l’espèce, un accident avait été causé par un préposé qui, dépourvu de permis de conduire, s’était emparéd’un véhicule au mépris des ordres et à l’insu du commettant. La Chambre criminelle avait admis une conception très extensive de larelation de l’acte dommageable avec la fonction, estimant qu’il suffit que le fait dommageable ait été commis par le préposé, au moyendes facilités que lui procuraient ses fonctions. Or, la Cour de renvoi refusa de s’incliner. Les Chambres réunies ont alors consacré unevision beaucoup plus restrictive de la responsabilité du commettant, a contrario de la solution adoptée par la Chambre criminelle.

123 Ass. Plén., 10 juin 1977, D. 1977.465, note C. Larroumet, JCP 1977.II.18730, concl. P. Gulphe, Defrénois 1977.1517, obs.J.-L. Aubert, RTD civ. 1977.74, obs. G. Durry, Grands arrêts, n°212. Il s’agit, là aussi, d’un nouveau pourvoi en cassation après unepremière cassation et le refus de la Cour de renvoi de s’aligner sur la position de la Chambre criminelle.

124 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°804 p.1001125 Par exemple Crim. 18 juillet 1978, Bull. crim. n°237, p.627

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cas d’abus de fonctions126, malgré la prise de position inverse de la 1e Chambre civile127. Unnouvel arrêt de l’Assemblée plénière128 défendit de nouveau une conception restrictive dela responsabilité du commettant, cette fois en des termes plus généraux : « les dispositionsde l’article 1384, alinéa 5, du Code civil ne s’appliquent pas au commettant en cas dedommage causés par le préposé qui, agissant sans autorisation à des fins étrangères àses attributions, s’est placé hors des fonctions auxquelles il est employé ». La Chambrecriminelle adhéra finalement à la position de l’Assemblée plénière129.

1.2.2 L’abus de fonctions, limite de la garantie du commettantAu début des années 1980, si certaines divergences entre les différentes Chambresdemeurent130, l’opposition polaire qui avait créé deux « camps ennemis » depuis les années1950 s’est néanmoins évanouie. Un compromis minimaliste entre les différentes formationsde la Cour de cassation peut alors apparaître autour de l’idée que l’abus de ses fonctionspar le préposé s’oppose à l’intervention d’une responsabilité du commettant.

L’abus de fonction se compose alors d’un élément subjectif : la poursuite d’une finétrangère aux fonctions. Il se compose par ailleurs d’un élément objectif : l’absence

d’autorisation par le commettant131 , 132.

A ces deux conditions cumulatives de l’abus de fonction, un arrêt du 19 mai 1988133

est venu en ajouter un troisième : la faute doit avoir été commise « hors des fonctions ». Leconsidérant est, depuis134, resté le même :

« Mais attendu que le commettant ne s'exonère de sa responsabilité que si sonpréposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, età des fins étrangères à ses attributions. »

Cette définition de l’abus de fonctions fait l’unanimité depuis deux décennies. LaCommission Catala a proposé d’intégrer ces trois éléments au Code civil135. La charge dela preuve repose sur le commettant, qui doit prouver l’abus de fonction pour échapper à sonobligation – et cela peut être difficile136.

126 Crim. 18 juin 1979, Bull. crim. n°212, p.582 ; D. 1980.inf. rap.36, obs. C. Larroumet ; - Crim. 13 mai 1980, JCP 1980.IV.281 ;RTD civ 1981.159, obs. G. Durry

127 Civ 1ère, 13 février 1975, RGAT, 1975, p.544128 Ass. Plén., 17 juin 1983, JCP 1983.II.20120, concl. P.-A. Sadon, note F. Chabas ; RTD civ. 1983.749, obs. G. Durry ; Grands

arrêts n°213.129 Cf. Crim. 15 mai 1986, Gaz. Pal. 1986.2.682 ; - 22 janvier 1987, Bull. crim. n°37, p.91 ; - 10 nov. 1987, D. 1988.inf. rap.23

130 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°804 p.1004-1006131 Ass. plén., 17 nov. 1985, D. 1986.81, note J.-L. Aubert, JCP 1986.II.20568, note G. Viney, RTD civ. 1986, obs. J. Huet,

Grands arrêts, n°214.132 C. Larroumet, note D.1988.515133 C Cass Ass. plénière, 19 mai 1988134 voir par exemple Cass. 2e Civ, 16 juin 2005, 03-19705, Bulletin 2005.II.158 p.141 ; - Cass. 2e Civ, 3 juin 2004, 03-10819,

Bulletin 2004.II.275, p. 233.135 Article 1359, alinéa 2, de l’Avant-projet de Réforme du Code civil : « Le commettant n’est pas responsable s’il prouve que lepréposé a agi hors des fonctions auxquelles il a été employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ».136 C. Radé, « Responsabilité des commettants », op. cit., n°40sq.

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De plus, les critères de l’abus de fonctions sont appréciés strictement : par conséquent,l’abus de fonctions n’est retenu que rarement. Ainsi, la Chambre criminelle de la Courde cassation a estimé qu’il n’y avait pas eu d’abus de fonctions lorsqu’un préposé avaitassassiné son chef de service137. En effet, si le préposé avait manifestement agi « sansautorisation » et « à des fins étrangères à ses attributions », il n’avait toutefois pas agi« hors de ses fonctions », comme le laisseraient apparaître le fait que le crime « a étécommis sur les lieux de travail » et « à l’occasion des fonctions que le préposé exerçaitdans l’entreprise ».

L’appréciation stricte de l’abus de fonction élargit corollairement l’application de l’article1384, alinéa 5 du Code civil. L’amplitude de l’obligation du commettant à la dette sejustifie, dans le régime de l’avant-Costedoat, par la possibilité d’une action en garantie ducommettant contre son préposé. En principe, la contribution finale à la dette n’appartientqu’au préposé. La garantie du commettant vise seulement à fournir de meilleures chancesd’indemnisation à la victime.

2/ La responsabilité problématique du préposéAvant l’arrêt Costedoat, le préposé était au second plan : l’obligation du commettant à ladette était interprétée comme une garantie offerte à la victime et ne devait pas profiter aupréposé (1). La doctrine a pu souligner l’iniquité de cette solution et appeler à un revirement(2).

2.1 L’insécurité juridique de la situation du préposéL’action reconnue à la victime contre le commettant n’excluait pas son action de droitcommun contre le préposé – la victime avait ainsi une option entre poursuivre le préposéou son commettant. De plus, le commettant condamné pouvait en tout état de cause seretourner contre son préposé fautif. En effet, l’obligation du commettant à la dette n’étaitqu’une garantie, elle ne produisait que les effets d’un cautionnement. L’obligation à la dette,qui concernait concurremment le commettant et le préposé, se distinguait de la contributiondéfinitive à la dette, qui pesait exclusivement sur le préposé (1). Cependant, la rigueur dece régime fut aménagée par des règles de droit et par la pratique, aboutissant à une séried’exceptions qui mettaient en lumière l’iniquité du principe (2).

2.1.1 Le principe de la contribution définitive à la dette du préposéLa règle de la responsabilité du commettant se heurte à celle exprimée par l’article 1382du Code civil138 selon laquelle « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui undommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

Par rapport au droit romain ou à l’ancien droit139, l’article 1382 innove en créant unprincipe général de responsabilité pour faute, consacrant la conception des Lumières d’uneautonomie de la volonté. Depuis, ce principe est devenu « le centre du droit » et « est en train

137 Cass. crim 25 mars 1998, 96-85593, Bulletin criminel 1998 n°113 p.297.138 Pour être plus précis, ce n’est pas seulement la responsabilité pour faute de l’article 1382 qui est en jeu, mais toutes les règlesfixant la responsabilité d’un individu pour ses propres faits. Dans un souci de simplicité, seule la faute sera retenue par la suite commeélément déclencheur d’une responsabilité.

139 Philippe Delebecque, Frédéric-Jérôme Pansier, Droit des obligations. Tome 2 : Responsabilité civile, Délit et quasi-délit,

LexisNexis Litec,3e édition, 2006 : n°5 p.3.

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d’"absorber" le droit tout entier »140. Aujourd’hui, « l’article 1382 structure mentalement lesFrançais »141. D’où une difficulté fondamentale : comment articuler la règle de l’article 1384,alinéa 5, d’une responsabilité pour autrui, et la règle de l’article 1382, d’une responsabilitéde chacun pour sa propre faute ? Est-ce que la responsabilité du commettant « gomme »celle du préposé ? Autrement dit : l’article 1384, aliéna 5, vise-t-il à protéger la victime enlui ouvrant une action supplémentaire contre le commettant, ou à protéger le préposé enle déresponsabilisant ?

Deux analyses opposées de l’articulation de ces deux règles existaient142 etcorrespondaient à deux types de responsabilité différents : soit une responsabilité directe ducommettant qui est substitué au préposé ; soit, au contraire, une responsabilité indirecte ducommettant, avec une action récursoire contre le préposé et la possibilité, pour la victime,de poursuivre l’un, l’autre ou les deux.

Jusqu’à l’arrêt Costedoat, le juge avait clairement pris parti pour la secondeinterprétation : la responsabilité du commettant s’ajoutait à la responsabilité du préposé,qu’elle ne remplaçait pas. L’article 1384, alinéa 5, était ainsi supposé devoir profiter à lavictime, non au préposé. C’est ce qu’exprimait sans ambiguïté, par exemple, un arrêt de

1974 de la 2e Chambre civile143 :« Mais attendu que l’article 1384 du Code civil, généralement édicté pour assurerà la victime d’un dommage la réparation qui lui est due, a, dans son alinéa 5,spécialement pour but de protéger les tiers contre l’insolvabilité de l’auteur dupréjudice en leur permettant de recourir contre son employeur ; Qu’il s’ensuitque le préposé, dont la faute entraîne la responsabilité civile de son commettant,ne saurait appeler ce dernier en garantie, la victime ayant seule qualité pour lemettre en cause, et invoquer contre lui, à son profit, les dispositions du textesusvisé. »

Deux mécanismes juridiques attestaient de la nature indirecte de la responsabilité ducommettant. Premièrement, « la victime [pouvait] agir, à son gré, soit contre le répondant dufait d’autrui, soit contre l’auteur matériel du dommage dont elle se plaint, soit encore contreles deux ensemble ». Deuxièmement, « dans le cas où le répondant [avait] dû indemniser lavictime, il [pouvait] exercer un recours contre l’auteur réel du préjudice, afin de se déchargersur lui du poids de la condamnation ».144

1°/ L’acceptation d’un choix d’actions de la victime était constante au moins depuis

le milieu du XIXe siècle145. La victime pouvait s’adresser uniquement au commettant146.Elle pouvait également agir, sur la base de l’article 1382, exclusivement contre le préposé

140 Henri Mazeaud, L’absorption des règles juridiques par le principe de la responsabilité civile, DH 1935, Chr. p.5141 Philippe Delebecque, Frédéric-Jérôme Pansier, Droit des obligations. Tome 2 : Responsabilité civile, Délit et quasi-délit,

LexisNexis Litec,3ème édition, 2006 : n°22 p.9.142 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°810 p.1013-1014143 Civ. 2e 6 février 1974 : D. 19754.409, note Le Tourneau, pourvoi 72-14444. Voir également Crim. 19 octobre 1982, JCP,

1983, IV, p.4 ; - Civ. 2e 28 octobre 1987, Bull. civ., II, n°214, p.119144 F. Roques, « L’action récursoire dans le droit administratif de la responsabilité », AJDA, 1991, I, p. 75-90, en part. p.76

145 Voir par exemple : R. Chapus, Responsabilité publique et responsabilité privée, thèse, LGDJ, 1957, n°188 p.212146 Req. 19 février 1866, S. 1866, I, 214 ; - Crim. 2 décembre 1881, S. 1883, I, 44. Plus récemment : Civ. 2e 11 mars 1971,

Bull. civ. II, n°113

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auquel était refusé le droit de se prévaloir d’une responsabilité de son commettant147. Enfin,bien naturellement, elle pouvait combiner les deux actions, l’une fondée sur l’article 1382et dirigée contre le préposé, l’autre fondée sur l’article 1384, aliéna 5, et dirigée contre lecommettant : commettant et préposé étaient alors condamnés in solidum 148.

2°/ Le commettant qui avait supporté la charge de la responsabilité d’un préposépouvait exercer contre ce dernier une action récursoire149, sans par exemple qu’il soitnécessaire d’établir une faute lourde150. L’action récursoire pouvait même être exercéepar le commettant dans l’instance où il était poursuivi, par un appel en garantie contrele préposé151. En effet, selon l’attendu généralement adopté, « la personne civilementresponsable a un recours à exercer contre celui qui, par son fait, a causé le dommage qu’ellea été condamnée à réparer »152.

2.1.2 L’aménagement de la responsabilité du préposéLa sévérité de la règle selon laquelle la contribution définitive à la dette doit être supportéeintégralement par le préposé a été très atténuée. D’une part, les victimes poursuivaientplus souvent les commettants que les préposés (1). Ensuite, l’assurance du commettant nepouvait pas exercer d’action en garantie contre le préposé (2). Enfin, le commettant étaitsupposé être le gardien de la chose qu’il mettait à la disposition du préposé, ce qui rendaitimpossible toute action contre ce dernier (3).

2.1.2.1 La victime préfère généralement poursuivre le commettantLa victime a une option entre poursuivre le commettant sur la base de l’article 1384, aliéna5, ou le préposé, généralement sur la base de l’article 1382. Certes, il ne faut pas exclurequ’une victime préfère diriger son action contre le préposé, soit par volonté de vengeance –elle souhaite faire punir le préposé, le « faire payer » sa faute –, soit même par stratégie – lecommettant peut disposer de meilleurs moyens de défense juridique, par exemple l’accèsà un meilleur avocat ; ne pas l’impliquer dans la procédure peut permettre d’augmenter leschances de gagner un procès.

Cependant, si la victime agit en justice, c’est avant tout pour obtenir une indemnisation :c’est pourquoi elle préfèrera en général poursuivre le créancier le plus solvable. Lecommettant est généralement plus solvable que le préposé. C’est particulièrement lecas, très fréquent, où le commettant est une entreprise qui a souscrit une assurance

147 Req. 17 juillet 1876, S. 1876, I, 477. Plus récemment : Civ. 2e 6 février 1974 : D. 19754.409, note Le Tourneau, pourvoi

72-14444 ; Civ. 2e 28 octobre 1987 : Bull. civ. II, n°214, R., p.218148 Civ. 1e 6 octobre 1971, RGAT, 1972, p.376 ; Crim. 15 avril 1972, JCP, 1972, IV, p.132 ; Civ. 2e 6 février 1974, D., 1974,

p.409, note P. Le Tourneau ; Civ. 2e 28 octobre 1987, Bull. civ., II, n°214, p.119149 Crim. 11 juin 1808, S.I.541 ; Req. 24 février 1886, D. 1887, I, 31, S. 1886, I, 460 ; Req. 16 juillet 1928, DH, 1928, p.477 ;

Soc. 10 mai 1939, D.H. 1939, 391, S. 1939, I, 251 ; Civ 28 janvier 1955, D. 1955.449 note R. Savatier ; Dijon, 28 novembre 1975,

JCP, 1976, IV, p.171 ; Civ. 1re 20 mars 1979, D.1980.29 note C. Larroumet ; Com. 29 octobre 1982, JCP, 1983, IV, p.14 ; Civ. 1re 25novembre 1992, Bull. civ., I, n°292, p.191, RCA 1993, com., n°28, obs. H. Groutel

150 Civ 1re 20 mars 1979, D. 1980.29 note Larroumet151 M.-T. Rives-Lange, « Contribution à l’étude de la responsabilité des maîtres et commettants », JCP G 1970.I.2309, n°11152 par exemple : Req. 24 février 1886, D. 1887, I, 31, S. 1886, I, 460, cité par R. Chapus, 1957, op. cit., n°189 p.212

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« responsabilité civile exploitation », laquelle prend en charge l’indemnisation des fautes dupréposé153, même intentionnelles154.

Ainsi, très souvent, seul le commettant était poursuivi, à l’exclusion du préposé.

2.1.2.2 L’assurance du commettant ne peut pas poursuivre le préposé fautifSouvent, lorsque le commettant était poursuivi, c’était son assurance qui indemnisaitla victime. La prise en charge par l’assurance du commettant désintéressait bien sûrle commettant de tout recours contre son préposé155. Quant à la société d’assurance,interdiction lui était faite d’exercer d’action récursoire contre le préposé. L’article 36, alinéa 3,de la loi du 13 juillet 1930 sur le contrat d’assurance, devenu par la suite l’article L.121-12.3du code des assurances, stipule en effet qu’elle « n'a aucun recours contre les (…) préposés,employés, ouvriers ou domestiques (…), sauf le cas de malveillance commise par une deces personnes ».

Encore fallait-il que le commettant soit assuré. Même dans l’hypothèse où lecommettant est une société, il n’existe pas d’obligation générale de souscrire à un contratd’assurance. De plus, en tout état de cause, le commettant pouvait le cas échéant fairesupporter la charge de la franchise à son préposé156.

2.1.2.3 Le commettant reste gardien du bien confié au préposé

Enfin, une jurisprudence consacrée en 1929157 stipulait que l’utilisation par le préposé, dansle cadre de ses fonctions, de moyens matériels mis à sa disposition par le commettant nelui faisait pas acquérir la garde des choses : au contraire, le commettant restait le gardiende la chose. La même jurisprudence fut appliquée concernant la loi du 5 juillet 1985 sur lesaccidents impliquant des véhicules terrestres à moteurs : en principe, le préposé conducteurn’était pas le gardien du véhicule appartenant à son commettant, en tout cas pas le gardiende la structure158.

153 L’obligation est consacrée par l’article 121-2 du Code des assurances : « L’assureur est garant des pertes et dommagescausés par des personnes dont l’assuré est civilement responsable en vertu de l’article 1384 du Code civil, quelles que soient la natureet la gravité des fautes de ces personnes ». La règle est d’ordre public : Cass. civ., 12 nov. 1940 : RGAT 1941, p. 40.

154 G. Courtieu, « Assurances terrestres – Assurance responsabilité des entreprises – Assurance responsabilité civileexploitation », in Jurisclasseur Responsabilité civile et assurance, fascicule 581-30, n°16-20. L’assurance d’une faute intentionnelle,en principe exclue, ne pose pas de problème lorsque la faute est commise par une autre personne que celle dont la responsabilitéest engagée. Il va de soi, cependant, que la faute intentionnelle du préposé ne peut être assurée si le commettant en est complice.155 dans ce sens, voir par exemple Cass. 1e civ., 29 avril 1975, Bulletin 1975, I, n°144, p.125 ; cass. 1e civ. 30 octobre 1995, I,380, p.265, n°93-14147.

156 voir par exemple : CA Douai, 3 juillet 2003, pourvoi n°01/01216, publié par le service de la documentation de la Cour decassation (disponible sur Legifrance).157 Cass civ. 27 février 1929, S.1929.1.297, note Hugueney ; Cass. 2e civ. 16 et 17 mars 1960, Gaz. Pal. 1960.2.57 ; Cass 2e civ.

4 novembre 1965, D.1966.394 ; Cass 2e civ. 8 juin 1977, JCP 1977.IV.202 ; Cass 2e civ. 11 juillet 1979, JCP 1979.IV.318 ; Cass

2e civ. 18 novembre 1987, Bull. civ. II n°235 ; Cass. ass. plén. 22 décembre 1988, Bull. civ. n°10 arrêt n°3 ; Cass 2e civ. 5 juillet

1989.IV.339 ; Cass 2e civ. 11 octobre 1989, Bull. civ. II, n°175 ; Cass. 2e civ. 1er avril 1998, RTD civ. 1998.914, obs. Mestre ; CA

Rouen, 1e Chambre, cab. 3, 11 janvier 2005, Crts V. c/ Crts V et autres, Juris-Data n° 2005-263570, Ch. Radé : Resp. civ. et assur.n°4, avril 2005, comm. 120.158 Cass. 2e civ., 11 avril 2002, Bull. civ. II, n°72, D.2002.IR.1598, JCP 2002.I.186 n°33s obs. Viney, RCA 2002. Chr. 9, par Groutel,Dr. et patr., sept. 2002, p.100, obs. Chabas, RTD civ. 2002.519, obs. Jourdain.

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Il y avait alors une responsabilité directe du commettant, non en tant que commettant(article 1384, aliéna 5 du Code civil), mais au titre de gardien de la chose (article 1384,aliéna 1 du Code civil). La différence était essentielle pour le préposé qui ne pouvait plusêtre poursuivi ni par la victime, ni par le commettant. Cette jurisprudence consacrait donc,en fait, une forme d’irresponsabilité du préposé.

Au final, la responsabilité du préposé était considérablement restreinte, et ce d’autantplus que le commettant n’exerçait pas systématiquement l’action récursoire contre lepréposé. Par conséquent, la contribution réelle du préposé à la dette était aléatoire. Dansdes circonstances analogues, le sort du préposé dépendait de l’option procédurale dela victime, de souscription d’un contrat d’assurance par le commettant et de l’utilisationd’un bien appartenant à celui-ci – autant d’éléments extérieurs au préposé. Un sentimentd’injustice ne pouvait manquer de naître de cette absence de sécurité juridique.

2.2 Vers l’irresponsabilité du préposé ?La condition du préposé contrastait avec d’autres jurisprudences qui, dans des situationsjuridiques analogues, avaient consacré l’irresponsabilité de l’agent d’exécution. Ainsi,la jurisprudence sociale avait finalement conclu à l’irresponsabilité du salarié vis-à-visde son employeur (1). Mais c’est surtout la jurisprudence administrative consacrantl’irresponsabilité de l’auteur matériel d’une faute de service qui poussa une partie de ladoctrine civiliste à franchir le Rubicon pour prôner un revirement jurisprudentiel (2).

2.2.1 La contradiction avec le droit socialLa responsabilité contractuelle du salarié vis-à-vis de son employeur offre uneproblématique comparable à celle relative à l’application de l’article 1384, alinéa 5 du Codecivil, même si la responsabilité du commettant pour la faute du préposé est normalement denature extracontractuelle159. Pourtant, dans les deux cas, c’est bien un fait de l’agent qui esten cause, qu’il ait causé un préjudice à l’employeur ou à un tiers – et donc, indirectement,au commettant poursuivi par la victime160. Et, dans la plupart des cas, le préposé n’est autreque l’employé du commettant.

M.-Th. Rives-Lange soulignait ainsi que, « sur le plan de l’équité, on ne peut faire dedifférence entre la faute du salarié qui, travaillant en atelier, provoque, par exemple, le brisd’une machine, et celle du même salarié qui, appelé à livrer des marchandises à l’extérieur,est à l’origine d’un accident de la circulation »161. Le droit positif range les deux situationsdans des « tiroirs » différents : responsabilité délictuelle d’une part, contractuelle d’autre

part ; compétence de la 2e Chambre civile de la Cour de cassation (ou de la Chambrecriminelle) d’une part, de la Chambre sociale d’autre part. Mais cette distinction est tout à faitartificielle et l’équité voudrait que la même solution soit adoptée dans les deux hypothèses,soit que le salarié préposé soit responsable, soit qu’il ne le soit pas.

159 Ceci quand bien même un rapport contractuel est généralement le fondement du lien de préposition, puisque la victime est untiers au contrat qui ne peut se prévaloir de l’effet relatif du lien contractuel : article 1165 du Code civil. L’action récursoire du commettantcontre le préposé est également de nature extracontractuelle, puisqu’elle ne fait que répercuter une action délictuelle. Cf. F. Terré, P.Simler, Y. Lequette, op. cit., n°837 p.811 ; G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°811-1. A contrario : M.-T. Rives-Lange, op. cit., n°8160 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°837 p.811

161 M.-T. Rives-Lange, op. cit., n°8

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Or, depuis un arrêt fondateur de 1958 162, la jurisprudence sociale a constammentadmis une importante limitation de la responsabilité du salarié vis-à-vis de son employeur,le premier ne pouvant plus être tenu pour responsable des dommages subis par le secondqu’en cas de « faute lourde équipotente au dol ». La divergence des deux jurisprudencesest encore plus forte après qu’une série d’arrêts de la Chambre sociale, de 1989 à 1992, arendu la règle pleinement applicable en lui donnant un caractère d’ordre public163. Cela mitfin à une pratique qui consistait, pour de nombreux employeurs, à inclure systématiquementune clause contractuelle prévoyant la responsabilité du salarié pour toute faute qu’il viendraità commettre.

L’irresponsabilité du salarié ne devait-elle pas être étendue à l’hypothèse où lavictime n’était pas l’employeur, mais un tiers ? Dans les deux cas, ne revenait-il pas àl’employeur de supporter les « risques normaux d’exploitation (…) inhérents à toute activitélaborieuse, en quelque sorte statistiquement prévisible »164 ? Ces risques ne devaient-ils pas« demeurer à la charge de l’entreprise, même s’ils [étaient] dus à une négligence bénignedu travailleur »165 ?

2.2.2 Les appels de la doctrine à un alignement de la situation du préposésur celle de l’agent publicFace à l’irresponsabilité de principe ou de fait de l’agent public, la responsabilité du préposéétait perçue par les 14 millions de salariés français comme une injustice166, et ce d’autantplus que le changement de définition de la faute de service – l’abandon du critère objectifrelatif à la séparation des pouvoirs, pour le critère subjectif relatif à la protection de l’agentpublic – ôtait aux privilèges des fonctionnaires tout fondement propre au droit public.

L’équité veut que seule une différence significative de condition explique une différencede traitement juridique. Elle interdit manifestement de justifier une divergence importanteentre la situation des agents d’exécution en droit public et en droit privé lorsque celle-ci n’estpas justifiée par des considérations propres à l’une de ces branches du droit. Lorsque l’agentpublic était irresponsable pour protéger l’administration de l’autorité judiciaire, la différenceétait justifiable. Mais, dès lors que l’irresponsabilité de l’agent public visa à protéger celui-ci,non en tant qu’agent public mais en tant que travailleur, il y avait une injustice, mal ressentiepar les travailleurs du secteur privé. Si l’agent public était irresponsable parce qu’il importaitde le protéger, et non parce qu’il importait de protéger l’administration, alors rien ne justifiaitqu’il n’en aille pas de même du préposé en droit privé.

162 Cass. soc. 27 novembre 1958, JCP 1959.II.11143, note Brèthe de la Gressaye ; D.1959.20 note Lindon163 Ainsi, toute clause contraire insérée dans le contrat de travail est présumée non écrite. Cass. soc. 31 octobre 1989, Bull. civ.

V, n° 624 ; RJS 1989, n° 906 ; Cass. soc. 23 janvier 1992, JCP E 1993.II.446 note Ph Delebecque. Voir aussi Cass. soc. 10 novembre1992, RJS 1993 n°4 : « la clause d'un contrat de travail relative à la responsabilité personnelle du salarié envers son employeur nepeut produire effet, quels qu'en soient les termes, qu'en cas de faute lourde du salarié ». Ce revirement met fin à la pratique couranted’inclure dans un certain nombre de contrats de travail une clause de responsabilité – Cf. Jurisclasseur Travail traité, fascicule 17-12« Contrat de travail – conclusion », Paul-Henri Antonmattéi, n°94.

164 M.-T. Rives-Lange, op. cit., n°10165 J. Savatier, note sous Rouen, 6 octobre 1964, JCP 1965.II.14139

166 D.1994.I.124, note Viney, A.1°

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Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution

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C’est sur ce raisonnement que s’appuyèrent les différents auteurs – en particulier G.Viney167, B. Puill168 et M.-Th. Rives-Lange169 – qui appelèrent le juge judiciaire à consacrerune « faute de service » en droit civil. Le maintien de sa responsabilité créait un risquede condamnations élevées pour des fautes « pardonnables ». Le montant des indemnitéspouvait être sans aucune commune mesure avec les revenus du préposé.

Une partie de la doctrine mettait en avant la théorie du risque170, soulignant que « l’idéede risque justifie que la responsabilité de l’entreprise, hors le cas de faute personnelledu préposé, soit définitive et n’autorise le commettant à aucune action récursoire contreson préposé »171. Le préposé ne serait rien de plus que « l’instrument d’exécution de lapolitique de l’entreprise »172. Telle était également la position défendue de longue date parH. et L. Mazeaud, âprement critiquée173 semble-t-il plus sur l’expression que sur le fond, quimentionnent que « celui qui recourt aux services d’un préposé ne fait que prolonger sonactivité propre (…) ; de telle sorte que, quand le préposé agit, tout se passe comme si lecommettant agissait lui-même »174.

Il était également mis en avant que rendre le préposé responsable personnellement etintégralement de tous les dommages causés dans le cadre de ses fonctions « [revenait]à lui faire supporter indirectement les conséquences d’éventuels défauts d’organisation del’entreprise qui ne lui [étaient] pourtant pas imputables »175.

La responsabilité du commettant devait donc, du moins tant que la faute n’étaitpas détachable des fonctions du préposé, n’être pas seulement une garantie, mais uneresponsabilité directe et sans recours contre le préposé. La solution ne semblait pas,d’ailleurs, être réellement contraire à la lettre du Code civil, car celui-ci laisse une largemarge de manœuvre au juge pour articuler responsabilité individuelle de l’article 1382 etresponsabilité pour autrui de l’article 1384, alinéa 5.

167 G. Vedel, P. Delvolvé, Droit administratif, PUF, 2007, 11e édition ; D.1994.126168 B. Puill, « Les fautes du préposé : s’inspirer de certaines solutions du droit administratif ? », JCP G 1996.I.235169 M.-T. Rives-Lange, op. cit.170 C. Eisenmann, « Sur le degré d'originalité du régime de la responsabilité extracontractuelle des personnes publiques »,

JCP G 1949.I.742 et 751, deuxième article, n°5171 B. Puill, op. cit., n°16172 B. Puill, op. cit., n°16173 En particulier R. Chapus, 1957, op. cit. n°209sq p.225s.174 H. et L. Mazeaud, Traité de la responsabilité civile, t.1, 5e édition, 1957, n°935175 G. Viney, 1994, op. cit., A.1°

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Partie 2 : Vers une responsabilitéanalogue des agents d’exécution

La jurisprudence Costedoat a profondément modifié l’interprétation prétorienne de l’article1384, alinéa 5, du Code civil : ce qui n’était auparavant qu’une garantie de laresponsabilité extracontractuelle est soudain devenu une véritable responsabilité ducommettant combinée à l’immunité176 du préposé. Malgré certaines différences, cettenouvelle jurisprudence judiciaire constitue un rapprochement de la « responsabilité ducommettant » par rapport à la faute de service (1). Il faut dès lors s’interroger surl’aboutissement possible de cette convergence de la responsabilité du fait de l’agentd’exécution en droit privé et en droit public (2).

Titre 1 : Une transformation de la responsabilité dupréposé inspirée du droit administratif

La Cour de cassation a créé, depuis l’arrêt Costedoat, un système de responsabilités ducommettant et du préposé analogue à celui inventé par le juge administratif. S’inspirant dela faute de service, le juge a défini un domaine où seule la responsabilité du commettant, àl’exclusion de celle du préposé, peut être recherchée (1). Mais cette immunité du préposé aété exclue dans certaines circonstances, créant une situation analogue à celle de la « fautepersonnelle non dépourvue de tout lien avec le service » (2).

1/ Une « faute de service » ? La création d’un domaine d’immunité dupréposé

Le renversement de la jurisprudence de la Cour de cassation (1) peut être interprété commela transcription de la faute de service au droit civil (2).

1.1 Le renversement de la jurisprudence de la Cour de cassationAprès un arrêt de la Chambre commerciale et une période de doutes sur la jurisprudenceapplicable (1), un arrêt solennel de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a constituéun revirement majeur de jurisprudence (2) : dès lors qu’il a agi dans la limite de sesfonctions, le préposé est à l’abri de toute poursuite, alors que le commettant est pleinementresponsable.

1.1.1 A l’origine du revirement : l’arrêt Rochas de la Chambre commercialeEncouragée par les critiques qu’une partie de la doctrine adressait à la jurisprudencetraditionnelle, la Chambre commerciale annonça le revirement jurisprudentiel par son arrêt

176 Le terme d’« immunité » sera préféré à celui d’« irresponsabilité » : cf. p.62s.

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Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution

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Rochas du 12 octobre 1993177. Cet arrêt allait, en effet, à l’encontre la jurisprudenceprécédente selon laquelle l’article 1384, alinéa 5 du Code civil n’excluait pas la recherche dela responsabilité personnelle du préposé. Selon la Chambre commerciale, la Cour d’Appelde Bordeaux178 avait retenu avec raison que la responsabilité de préposés salariés nepouvait pas être retenue dès lors qu’ils avaient « agi dans le cadre de la mission qui leurétait impartie par leur employeur » et n’en avaient pas « outrepassé les limites ». Il s’agissaitdonc bel et bien de limiter la responsabilité du préposé à la « faute personnelle susceptibled’engager [sa] responsabilité », selon les termes mêmes de l’arrêt. A défaut d’une telle faute,l’article 1384, alinéa 5, permettait d’établir l’immunité du préposé.

Cependant, l’arrêt Rochas créait plus d’interrogations que de réponses. Sa portée étaitincertaine et, si la plupart des auteurs y voyaient bien un arrêt renouvelant en profondeurles règles de la responsabilité des commettants179, certains ne l’analysaient que commeun simple cas d’espèce180, l’expliquant éventuellement par une faute du commettant181. Deplus, la Chambre commerciale n’a la charge que d’une petite partie du contentieux de la

responsabilité des commettants, dont la plus grosse partie revient à la 2e Chambre civile182

et à la Chambre criminelle183, et rien ne garantissait un alignement de celles-ci sur la solutionproposée. Enfin, si le revirement devait être confirmé, tout restait alors à dire sur la notionde « faute personnelle susceptible d’engager la responsabilité du préposé ».

C’est pourquoi l’arrêt Rochas suggérait sans doute plus qu’il ne définissait un nouveaurégime de responsabilité du commettant. Il avait surtout le mérite de mettre en évidencel’insuffisance du régime antérieur de la garantie du commettant, insusceptible de protégerefficacement le préposé. Un pas était franchi : il avait été affirmé qu’une nouvelle articulationde la responsabilité du commettant avec celle de son préposé devait être inventé. Par levocabulaire qu’elle utilisait – en particulier le terme de « faute personnelle » –, la chambrecommerciale prenait parti pour un rapprochement du régime de droit administratif et latransposition de la « faute de service » en droit privé.

1.1.2 La consécration du revirement par l’Assemblée plénière : l’arrêtCostedoatD’octobre 1993 à février 2000, étonnamment, aucun arrêt significatif ne prit véritablementposition sur la nature de la responsabilité, ou de la garantie, du commettant184. Seul un arrêt

177 Cass. Com, 12 octobre 1993, Rochas, D.1994.I.124, note Viney ; JCP 1995.II.22493, note Chabas ; Defrénois 1994.812, obs.Aubert ; RTD civ. 1994.111, obs. Jourdain178 CA Bordeaux, 1re chambre A, 8 novembre 1990

179 G. Viney, 1994, op. cit. ; Jourdain, RTD civ. 1994.111180 Aubert, observations, in Defrénois 1994.812181 Chabas, JCP 1995.II.22493182 compétente pour les litiges de responsabilité civile.183 compétente en matière criminelle, y compris en matière d’action civile.

184 Cf. G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°811-3 p.1018. Cette absence de jurisprudence pendant 6 ans et 4 mois est étonnante comparéeà la multiplicité des arrêts de la Cour de cassation à d’autres époques, notamment dans les années suivant l’arrêt Costedoat. Ellepourrait s’expliquer par la timidité du juge, n’osant trancher le dilemme entre un arrêt de règlement et un retour en arrière à unejurisprudence dont on ne pouvait plus nier les défauts.

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de la 1e Chambre civile185 traita, mais sans vraiment prendre position, de la responsabilitédu préposé. C’est seulement le 25 février 2000, à l’occasion de l’arrêt Costedoat 186, quel’Assemblée plénière de la Cour de cassation mit fin à une période d’incertitude, consacrantà peu de choses près la solution proposée sept ans plus tôt par la Chambre commerciale.

En l’espèce, les propriétaires de rizières en Camargue avaient demandé à la sociétéGyrafrance de procéder à un traitement par herbicides sur des parcelles cultivées. Cetteopération a été réalisée par un hélicoptère piloté par M. Costedoat, préposé de la sociétéGyrafrance. Or, un vent assez fort répandit des produits chimiques sur des parcellescontiguës. Le propriétaire voisin, ayant subi des dommages, engagea une action enresponsabilité contre les propriétaires des rizières, la société Gyrafrance et M. Costedoat.Le pourvoi de M. Costedoat reprochait à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence d’avoir retenusa responsabilité.

L’Assemblée plénière reçut le pourvoi et conclut à la cassation, considérant que« n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéderles limites de la mission qui lui a été impartie par le commettant ». Par conséquent,M. Costedoat, quoique fautif, n’était toutefois pas responsable puisqu’il avait agi sansexcéder les limites de sa mission.

Ce considérant est analogue à celui de l’arrêt Rochas, à ceci près qu’il ne fait passienne la notion de « faute personnelle »187. Dans les deux cas, l’article 1384, alinéa 5 estinterprété pour consacrer une responsabilité principale du commettant – et non plus unesimple garantie ouvrant un recours subrogatoire contre le préposé. Lorsqu’il agit dans lecadre de la mission que le commettant lui a confiée, le préposé n’est, en quelque sorte,qu’un organe du commettant : s’il commet une faute, c’est le commettant, et le commettantseul, qui est responsable. La responsabilité du préposé ne peut pas être engagée. L’article1384, aliéna 5 est donc désormais interprété dans le sens d’une protection du préposé, etnon de la victime.

La jurisprudence postérieure à l’arrêt Costedoat appliqua constamment cettesolution188. Tout au plus remarque-t-on une différence terminologique189 dans les arrêtsrendus par la Chambre criminelle, qui préfère limiter l’immunité du préposé à « l’exercice deses fonctions »190 ou à « l’exercice normal de ses attributions »191 qu’à l’action « dans les

185 Cass. 1e Civ, 30 octobre 1995, Bull. civ. I n°383 ; RCA 1996, com. n°26 ; RTD civ. 1996, p.136, obs. P. Jourdain, JPC G 1996,I, 3944, obs. G. Viney. Voir aussi G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°811-3, p.1019.186 Cass. Ass. plén., 25 février 2000, Costedoat, Bull. civ. n°2 ; R., p.257 et 315, notes Kessous et Desportes ; GAJC, n°217 ; BICC,15 avril 2000, concl. Kessous, note Ponroy ; D.2000.673, note Brun ; D Somm. 467, obs. Delebecque ; JCP G 2000.II.10295, concl.Kessous, note Billiau ; JCP G 2000.I.241, n°16, obs. Viney ; Gaz. Pal. 2002.2.1462, note Rinaldi ; RCA 2000, Chr. n°11, par Groutel,et Chr. n°22, par Radé ; RTD civ. 2000.582, obs. Jourdain.

187 La référence au droit administratif était-elle trop « directe » pour être consacrée par le juge judiciaire ?188 Cass. civ. 1e, 12 juillet 2007, JCP G n°11, 12 mars 2008, I, 125, Chr. P. Stoffel-Munck ; - Cass. Civ 2e, 5 octobre 2006,

Juris-Data n° 2006-035255, RCA 2006, comm. 377, puis 21 février 2008, n°06-21182 ; - Cass. crim., 23 janv. 2001, Juris-Data n°2001-008884, RCA 2001, comm. 212, obs. H. Groutel ; Cass. com. 8 février 2005, n°01-16820, non publié. Les juridictions du fondont également adopté cette solution, apparemment sans protestation. Voir par exemple : CA Amiens, 1er févr. 2000, Union nationaledu commerce de gros en fruits et légumes : Bull. inf. C. cass. n° 533 du 15 avr. 2001, n° 420. - CA Colmar, 23 août 2005 : Juris-Data n° 2005-288712.

189 RCA 2001, n°212, note Groutel190 Cass. Crim., 13 mars 2007, RCA n°7, juillet 2007, étude 13, A. Vialard

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limites de la mission qui lui était impartie » – cette démarcation terminologique ne semblantpas produire de divergences quant au fond du droit appliqué.

1.2 Un rapprochement du droit administratifLa Cour de cassation a manifestement entendu s’inspirer du régime de la responsabilitéde l’administration pour faute de service (1). La solution qu’elle consacre est analogue,dans ses principaux effets vis-à-vis de l’agent d’exécution, à celle inventée par le jugeadministratif (2).

1.2.1 L’argumentaire de l’avocat général Kessous en faveur durapprochementIl ne fait guère de doute que la solution adoptée par la Cour de cassation procède d’uneinspiration du régime de la responsabilité administrative pour faute de service. Ainsi,l’avocat général Kessous, dans ses conclusions préparatoires à l’arrêt Costedoat, soulignait« les points communs des jurisprudences de la chambre commerciale et des tribunauxadministratifs », faisant allusion à l’arrêt Rochas, pour prôner l’adoption de la mêmesolution192. En effet, ce n’est pas par coïncidence que ce premier arrêt de 1993 mentionna lanotion de « faute personnelle susceptible d’engager [la] responsabilité [du préposé] », toutcomme le Tribunal des Conflits avait noté, dans son arrêt fondateur de 1873, que M. Pelletiern’imputait « aucun fait personnel de nature à engager leur responsabilité personnelle »aux fonctionnaires qu’il poursuivait193. Et, si la Chambre commerciale rejeta la « fautepersonnelle », n’était-ce pas pour consacrer, implicitement, une « faute de service »194 ? Leparallèle est flagrant, dans l’arrêt Rochas tout comme dans les arrêts postérieurs, même siles notions publicistes de « faute personnelle », ou à plus forte raison de « faute de service »,ne sont guère employées.

Plus précisément, l’impérative protection de l’agent d’exécution semble fonder cettejurisprudence, comme elle justifia la faute de service en droit administratif195. Dans lesdeux cas, il s’agit de protéger un agent d’exécution « plus ou moins sujet à l’erreur »,selon l’expression que Laferrière utilisait pour définir l’administrateur, auteur de la faute deservice196. L’épandage agricole réalisé malgré un vent « assez fort » ne correspond-il pasà « la marge de mauvais fonctionnement qu’il faut attendre de la diligence moyenne »197 ?Dans un cas comme dans l’autre, la faute pardonnée à l’agent d’exécution est une faute« davantage imputable à la fonction exercée qu’au comportement de l’agent lui-même »198.

191 Groutel, op. cit.192 Conclusions de l’avocat général Kessous sous l’arrêt Costedoat.193 En ce sens, conclusions de l’avocat général Kessous sous l’arrêt Costedoat : « La référence faite par la chambre commerciale àla faute personnelle fait inévitablement penser à la jurisprudence administrative. »194 En ce sens : B. Puill, op. cit., n°14 p.239

195 Le fondement objectif de la faute de service (protection de l’administration) fut ainsi remplacé par le fondement subjectif(protection de l’agent). Cf. p. 19s.

196 Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Paris, 2e édition, vol. 2, p.648.197 M. Hauriou, note sous CE, 5 février 1911, Anguet : S.1911, 3, p.137.198 B. Puill, op. cit., n°13 p.239

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Dans les conclusions de l’avocat général Kessous199 sur l’arrêt Costedoat, lavolonté d’un rapprochement avec le droit administratif est explicite. Si l’autonomie de laresponsabilité administrative est due à « des raisons historiques », il paraît toutefois « debonne politique judiciaire qu’à des situations comparables, les deux ordres de juridictionempruntent les mêmes voies ». En droit civil, il convient par conséquent, selon l’avocatgénéral, que « le salarié s’efface devant l’entreprise200 : (…) c’est elle qui agit par lui et c’estdonc elle seulement qui doit être responsable ».

1.2.2 Des garanties analogues apportées à l’agent d’exécutionEn droit administratif, si la faute de service assure une protection efficace de l’agent public,c’est d’abord grâce à l’absence de recours de la victime contre l’agent d’exécution, ce quidécoule de l’arrêt Pelletier. L’adoption de cette solution en droit privé ne fait guère de doute :elle découle en effet de l’arrêt Costedoat. Mais, pour que la protection de l’agent d’exécutionsoit complète, deux autres éléments sont nécessaires. D’une part, il faut qu’il soit impossibleau commettant condamné de recourir contre son agent d’exécution (1). D’autre part, il fautque l’agent d’exécution injustement condamné ait la possibilité de mettre l’indemnisation àla charge du commettant (2).

1.2.2.1 L’absence d’action réelle du commettant contre l’agent d’exécutionIl importe que le commettant ne puisse exercer d’action contre le préposé – sans quoi laresponsabilité de celui-ci ne serait pas définitivement écartée, mais seulement différée. Endroit administratif, la jurisprudence constante201 fut rappelée par l’arrêt Laruelle, selon lequelles agents publics « ne sont pas pécuniairement responsables (…) des conséquencesdommageables de leurs fautes de service ». Qu’en est-il en droit civil ?

Dans la ligne de l’arrêt Costedoat, la 2e Chambre civile interdit justement cetteaction récursoire du commettant contre le préposé dans un arrêt du 20 décembre2007202 : la victime, dépourvue d’action contre le préposé, n’a rien à transmettre parsubrogation au commettant. Le même arrêt souligne que le commettant employeur peutéventuellement rechercher la responsabilité contractuelle du préposé salarié devant lajuridiction prud’homale. Ce recours personnel en responsabilité contractuelle obéit à desconditions propres203 et n’a en aucun cas la nature d’un recours subrogatoire ; il doit êtrerapproché du droit disciplinaire de la fonction publique204.

199 « On comprend que quelques auteurs aient souhaité un rapprochement entre les jurisprudences administratives etjudiciaires. » Conclusions sous arrêt Costedoat.

200 Il convient de noter ici le passage du préposé au salarié et du commettant à l’entreprise. Cette assimilation sera à l’originede nombreuses critiques soulignant les défauts de la solution adoptée lorsqu’elle est appliquée aux autres hypothèses que celle ducommettant - entreprise. – notamment G. Viney, P. Jourdain, op. cit. ; N. Molfessis, « La jurisprudence relative à la responsabilité descommettants du fait de leurs préposés ou l’irrésistible enlisement de la Cour de Cassation », in Mélanges Gobert, Economica, 2004,p. 495s. ; G. Durry, « Plaidoyer pour une révision de la jurisprudence Costedoat », in Mélanges Gobert, Economica, 2004, p. 549s.201 Cf. note n°22.

202 Cass. 2e Civ, 20 décembre 2007, RCA n°2, février 2008, comm. 50, Groutel : « Le commettant ne [dispose] d’aucune actionrécursoire contre son salarié dès lors qu’il ne peut se prévaloir d’une subrogation dans les droits de la victime, laquelle ne disposed’aucune action contre le préposé qui a agi dans les limites de la mission qui lui était impartie ».

203 Le succès de l’action prud’homale sera conditionné par l’existence d’une faute lourde. Cf. note n°48.

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1.2.2.2 L’action réelle de l’agent d’exécution condamné contre le commettantNi la victime, ni le commettant ne disposent d’une action réelle contre le préposé : celui-cine peut donc pas, en principe, être condamné. Il arrive cependant qu’il soit condamné dansdes circonstances particulières, notamment du fait de la coexistence de deux fautes. Endroit administratif, la solution des arrêts Delville-Papon est constante, confirmée par le statutgénéral de la fonction publique : l’administration doit prendre à sa charge les indemnitésauxquelles son agent est condamné pour une faute de service205. En va-t-il de même endroit civil ?

L’hypothèse d’une condamnation de celui-ci pour une faute commise alors qu’il agissait« dans les limites de la mission qui lui était impartie » pourrait se produire également,par exemple dans une hypothèse de cumul de fautes similaire à celle rencontrée en droitadministratif. Elle est cependant peu probable : le préposé aurait plutôt intérêt à appelerle commettant en garantie dans l’instance judiciaire – ce que l’agent public ne peut faireà l’encontre de l’administration, dualité juridictionnelle oblige. La question se poserait alorsplutôt au niveau de l’appel du commettant en garantie dans l’instance même.

Seule l’acceptation de cet appel en garantie et, à défaut, de ce recours subrogatoire,permettrait à la Cour de cassation de « boucler la boucle » de l’immunité du préposé.Avant l’arrêt Costedoat, plusieurs arrêts ont logiquement refusé au préposé d’appelerson commettant en garantie206 ou d’exercer contre lui une action récursoire207. Si le jugejudiciaire ne semble pas s’être prononcé sur la question depuis son revirement en 2000, ildevrait logiquement être amené à consacrer ces deux possibilités procédurales au profit dupréposé injustement poursuivi ou injustement condamné.

1.3 Le maintien de particularismes du droit privéSi la jurisprudence civile s’est inspirée des grandes lignes du régime de la « faute deservice », deux différences subsistent pourtant entre celle-ci et le nouveau régime de laresponsabilité du commettant. D’une part, le juge judiciaire n’a pas entendu consacrerune responsabilité directe du commettant : la condition du fait imputable au préposé estmaintenue et distingue la responsabilité du commettant de celle de l’administration (1).Par ailleurs, des ambiguïtés demeurent quant à la situation du préposé : celui-ci est-ilirresponsable, ou simplement immunisé (2) ?

1.3.1 Le maintien de la condition d’imputabilité du fait dommageable aupréposéDans le cadre de la faute de service, l’identité de l’agent public responsable n’importe pas.La conséquence en est d’abord que la responsabilité administrative est engagée dès lorsque le fautif est un agent public, bien que celui-ci ne soit pas identifié parmi l’ensemble desagents d’une administration. Ainsi, l’État avait été condamné parce qu’un soldat avait ététué, pendant un exercice, par un coup de feu « provenant d’une troupe participant à des

204 Des sanctions disciplinaires peuvent êtres prononcées contre l’agent public auteur d’une faute de service. C. Bertrand,Fonction publique – Régime disciplinaire, in Jurisclasseur Administratif, n°2. Soulignons d’ailleurs que la faute disciplinaire est, enprincipe, « commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions » (selon le Statut général dela Fonction publique, art. 29).205 voir p. 19s.

206 par exemple : Cass. 2e civ., 8 déc. 1966 : Bull. civ. 1966, II, n° 957.207 par exemple : Cass. 2e civ., 28 oct. 1987 : Bull. civ. 1987, II, n° 214.

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manœuvres militaires »208. La faute de service est également constituée, par exemple, lorsd’une erreur dans la fourniture d’un flacon de sang, bien que l’auteur de l’erreur ne soit pasidentifié209.

Dans ces circonstances, l’auteur de la faute, non identifié, existe incontestablement :un agent public est à l’origine du coup de feu ou de l’erreur de flacon de sang. Mais ilen va différemment dans d’autres arrêts, où il n’y a pas véritablement d’auteur humainà l’origine de la défaillance du service. Dans cette seconde hypothèse, l’anonymat de lafaute de service n’est pas dû à l’absence de l’information sur l’identité de l’auteur, mais àl’absence d’un individu individuellement fautif. La faute est le produit d’actions individuellesnon fautives.

Tel est en particulier le cas d’une carence ou d’un retard à agir, lorsque aucun agentn’avait expressément pour fonction d’agir, ce qui est dû à une mauvaise organisation duservice. Ainsi, le retard à agir d’un service public de rééducation alors qu’un pensionnaires’était enfui est une « négligence constitutive d’une faute » dont l’auteur ne peut pas êtreindividualisé210. Dès lors, l’anonymat de la faute de service implique qu’« il n’y a pas àrechercher si [la faute] serait imputable à un certain agent du service »211. La faute deservice, faute de l’administration, fonde une responsabilité directe de celle-ci, et non plusune responsabilité pour autrui. La faute est celle du service212 : elle est constituée par lemanquement de l’administration à une obligation qui lui incombe213.

En va-t-il de même de la responsabilité du commettant depuis l’arrêt Costedoat ? Rienn’est moins sûr.

Avant l’arrêt Costedoat, il fallait que la faute soit imputable à un préposé pour que laresponsabilité du commettant puisse être engagée214. Une seule restriction existait : si lecommettant avait plusieurs préposés – par exemple, une entreprise employant plusieurssalariés –, il suffisait au demandeur de prouver que seule la faute de l’un des préposéspouvait être à l’origine du préjudice, sans forcément devoir identifier le préposé fautif215. Lasolution est similaire à celle du coup de feu tiré par un agent public non identifié. Mais laresponsabilité du commettant n’était pas engagée lorsque aucune faute n’était imputable àun préposé216. Autrement dit, peu importait que l’auteur individuel ne soit pas identifié, tantque la faute était imputable à l’action isolée d’un préposé.

Au lendemain de l’arrêt Costedoat, la jurisprudence civile a hésité avant de maintenir lacondition d’imputabilité de la faute à un préposé. Certains arrêts de la Cour de cassation ont

208 CE, 17 février 1905, Auxerre, S. 1905.III.114, note Hauriou.209 CE, 6 octobre 1976, Société Clinique Chirurgicale Maison Rose, RDP, 1977, p.512

210 CE, 15 octobre 1975, Département Côtes du Nord, RDP 1976, p.391211 R. Bonnard, notes sous CE, 23 janvier 1931, Garcin, S. 1931.III p.97212 Ainsi, le Conseil d’État retient « la faute commise par l’État », et non la faute commise par un agent public et engageant la

responsabilité de l’État. Cf. par exemple : CE, 26 mars 1990, Commune de Villeneuve-le-Roi, Rec. CE 1990, p.78213 Dans ce sens : M. Paillet, « Faute de service », in Jurisclasseur Administratif, fascicules 818 (« Notion »)214 cf. p. 36s.215 Cass 2e civ, 21 avril 1966, n°65-11.637, Bull. civ. II, n°454, p.322. D’après J. Mestre, D. Velardocchio, C. Blanchard-

Sébastien, op. cit., n°555 p.253.216 Ainsi, le Conseil d’État retient « la faute commise par l’État », et non la faute commise par un agent public et engageant la

responsabilité de l’État. Cf. par exemple : CE, 26 mars 1990, Commune de Villeneuve-le-Roi, Rec. CE 1990, p.78

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Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution

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d’abord admis la responsabilité du commettant dont le préposé avait commis un dommage,sans relever explicitement d’acte illicite imputable au préposé217. Par ailleurs, le même jugeconfirmait que les parents étaient responsables des faits de leur enfant, même si celui-ci n’avait pas commis de faute218, signe d’une attention renforcée à l’indemnisation desvictimes.

Pourtant, encouragée par les juridictions du second degré219, la Cour de cassation seprononça finalement dans le sens du maintien de la condition de l’imputabilité du fait aupréposé220. Ainsi, le dommage causé par un joueur de football professionnel n’engage laresponsabilité de la société employant les joueurs salariés de l’équipe adverse que s’il estprouvé que le dommage a été causé « par [la] faute caractérisée par une violation des règlesde jeu » de l’un des joueurs.

Dès lors, contrairement à la responsabilité de l’administration, la responsabilitédu commettant est encore une responsabilité par l’intermédiaire du fait dommageableimputable à autrui – généralement la faute d’autrui –, donc une responsabilité indirecte.L’avant-projet Catala reprend d’ailleurs cette solution, puisque son article 1355, alinéa 5,dispose que la responsabilité du commettant « suppose la preuve d’un fait de nature àengager la responsabilité de l’auteur direct du dommage ». La responsabilité du commettantse différencie en cela de la faute de service, faute du service.

Pourtant, la faute du service, anonyme et non imputable à un agent public, possèdeen réalité un équivalent en droit privé, dans la responsabilité de droit commun ducommettant, même personne morale221. La responsabilité de cette dernière peut, en effet,être recherchée sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil222 tout autant que cellede la personne physique. Le demandeur en réparation devra alors prouver une faute ducommettant, c’est-à-dire son manquement à une obligation qui lui incombe. La victime devrachoisir entre poursuivre le commettant ou poursuivre la personne morale223. Dans les deuxcas, la preuve à apporter ne sera pas la même. Pour engager la responsabilité du préposé,la victime devra prouver la faute du préposé. Si elle poursuit le commettant, elle devra

217 Cass. 2e Civ, 4 octobre 2002, Jurisdata n°2002-015982, Bull. civ. 2002, 2, n°238 ; RCA 2003, comm. n°3 ; - Cass 2e Civ,24 octobre 2002, RCA 2003, comm. n°3.

218 Cass Ass. plén., 9 mai 1984, Fullenwarth, Bull. civ. n°4 ; R., p. 104 ; GAJC, n°208-209 ; D. 1984.525, concl. Cabannes,note Chabas ; JCP 1983.II.20255, note Dejean de la Bâtie ; RTD civ 1984.508, obs. J. Huet. La règle posée par l’arrêt Fullenwarth

est confirmée dans les années 2000 : Civ 2e, 10 mai 2001, Levert, Bull. civ. II, n°96 ; R. p.435 ; D. 2001.2851, rapp. Guerder, notetournafond ; D. 2002.Somm. 1315, obs. D. Mazeaud ; JCP G, 2001.II.10613, note J. Mouly ; JCP G, 2002.I.124, n°20s., obs. Viney ;Defrénois, 2001.1275, note Savaux ; RCA, 2001.Chron.18, par Groutel ; Dr. fam., 2002.Chron.7, par J. Julien ; RJPF, 2001-9/41, noteChabas ; Petites affiches, 3 décembre 2001, note F. Niboyet ; RTD civ. 2001.601, obs. Jourdain.

219 CA Toulouse, 3e Chambre I, 19 février 2002, SARL Roller c/ CPAM Haute Garonne, Cah. jurispr. Aquitaine 2002-2, To 172,

obs. J. Julien ; - CA Paris, 1e Chambre A, 9 décembre 2002, SA OS Paris Saint-Germain Football c/ CPAM Côte d’Armor, RCA 2003,comm. 91, obs. C. Radé,

220 Cass. 2e Civ., 8 avr. 2004, RCA, 2004, chr. 15, C. Radé ; JCP G, 2004, II, 10131, note Imbert ; D. 2004, p. 2601, noteSerinet ; Cass. soc., 24 mai 2006, n° 05-13.943, non publié au bulletin

221 Cf. P. Jourdain, « Droit à réparation – Responsabilité fondée sur la faute – Responsabilité du fait personnel », in JurisclasseurCivil Code, articles 1382 à 1386, fascicule 123, n°8s.

222 Cass. civ., 15 janvier 1872, DP 1872, I, p.165 ; - Cass. civ., 28 novembre 1876, DP 1877, 1, p.65 ; - Cass civ., 22 mars1892, DP 1892, 1, p.449

223 Dans ce sens : Cass Civ 2e, 17 juillet 1967, Gaz. Pal. 1967, 2, p. 235, note C. Blaevoët ; RTD civ. 1968, p. 149, obs. G. Durry

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La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé

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prouver la faute de celui-ci. Le droit civil distingue ainsi la procédure en cas de faute deservice ou du service.

1.3.2 La contribution de l’assurance du préposéUne autre différence existe entre les agents d’exécution en droit privé et en droit public. Dansle cadre de la faute de service, la protection prétorienne de l’agent public s’étend égalementà l’assurance de celui-ci. L’agent public est irresponsable : par conséquent, la victime nepeut pas poursuivre l’assurance de l’agent fautif. Si l’assurance de l’agent est tout de mêmecondamnée, elle dispose alors d’un recours contre l’administration224 au même titre quel’agent public. On en déduit facilement que l’administration, de même qu’elle ne peut pas seretourner contre son agent, ne peut pas non plus se retourner contre l’assurance de celui-ci.

Dans un arrêt du 12 juillet 2007225, le juge judiciaire s’est écarté de cette solution et aaccordé un recours à l’assurance du commettant contre l’assurance du préposé. La solutionest motivée par le fait que le préposé dispose d’une immunité, mais demeure responsable.Cette immunité personnelle ne saurait profiter à son assurance.

La solution est étrange. Le préposé ne supporte plus l’élément aléatoire de l’accident,mais en supporte la charge financière mutualisée dès lors qu’il souscrit à un contratd’assurance. La solution importe particulièrement dans des métiers « à risque », telles queles professions médicales.

Cette jurisprudence semble fondée sur la volonté de protéger la victime. L’arrêtCostedoat a privé celle-ci du bénéfice antérieur d’un double débiteur. En droit administratif,il importe peu à la victime de ne pas pouvoir poursuivre l’agent d’exécution, dès lors qu’ellepeut poursuivre l’administration qui lui offre les meilleures garanties de solvabilité. Il n’en vapas de même en droit privé : le commettant peut être insolvable226.

Or, si l’assurance du commettant peut se retourner contre celle du préposé, il doitégalement être possible à la victime de poursuivre directement l’assurance du préposé.Cette action de la victime contre l’assurance du préposé permettrait alors de sécuriser lesintérêts de la victime : celle-ci sera indemnisée malgré l’insolvabilité du commettant, pourvutoutefois que le préposé soit assuré.

Pour autant, l’arrêt de la Cour de cassation pose un principe large, selon lequel lepréposé ne profite que d’une immunité personnelle. Faudra-t-il en déduire, par exemple,que les héritiers du préposé en sont exclus ?

2/ Une « faute personnelle » ? Le maintien d’une responsabilité dupréposé224 Ainsi, l’assurance est subrogée dans les droits de l’agent public et peut réclamer la prise en charge des indemnités qu’elle apayées à la victime d’une faute de service : CE 4 juill. 1990, Sté d'assurances Le sou médical c/ Centre hospitalier général de Gap,Rec. CE, tables, p. 984.

225 Cass. 1e Civ, 12 juillet 2007, n°06-12.624, Bull. civ. 2007, II, 10162, note S. Hocquet-Berg ; D. 2007, p.2908, note S. Porchy-Simon ; JCP G n°11, 12 mars 2008, I, 125, Stoffel-Munck. « Considérant (…) que cette immunité n'emportant pas l'irresponsabilitéde son bénéficiaire, la cour d'appel saisie du recours subrogatoire de l'assureur du commettant, déclaré responsable du fait deson préposé, a exactement énoncé que l'immunité bénéficiant à M.Y..., ne faisait pas obstacle à l'exercice, par la société Generaliassurances IARD, de son recours subrogatoire à l'encontre de la société Le Sou médical, tenue, en sa qualité d'assureur deresponsabilité de M.Y..., à prendre en charge les conséquences dommageables des fautes commises par son assuré ».

226 cf. p. 81s.

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En dehors de l’application de la jurisprudence Costedoat et de la responsabilité du préposé,un champ de responsabilité personnelle exclusive du préposé est bien entendu maintenulorsque les conditions d’implication du commettant ne sont pas réunies, en particulier encas d’abus de fonctions227. Le parallèle entre la faute du préposé insusceptible d’impliquerle commettant et la faute de l’agent public que le juge administratif qualifie de « purementpersonnelle » est évident : dans les deux cas, le régime dérogatoire de responsabilité pourautrui est simplement mis à l’écart, et l’agent d’exécution est responsable de son propre faitselon le droit commun de la responsabilité civile.

Entre la faute « purement personnelle » excluant la responsabilité du service et la« faute de service » emportant immunité de l’agent public, le droit administratif a égalementconsacré l’existence d’une faute personnelle dont l’administration devait répondre, sousréserve de pouvoir exercer une action récursoire contre son agent. De même, le jugejudiciaire, lorsqu’il a consacré une « faute de service » s’opposant à la « faute personnelle »,a souhaité maintenir un domaine intermédiaire dans lequel le commettant serait le simplegarant de son préposé. Il y a alors survivance de l’ancienne jurisprudence : le commettantet le préposé sont obligés à la dette, mais seul le préposé doit supporter la contributionfinale à la dette.

Ce régime intermédiaire a été appliqué dans deux domaines différents. Dans lapremière hypothèse, le préposé qui n’a pas agi « dans les limites de [sa] mission » nes’exonère pas de sa responsabilité personnelle ; mais, s’il n’a pas commis d’abus defonctions, le commettant peut, lui aussi, être condamné à indemniser la victime. Il y a alorsune obligation à la dette concurrente du commettant et du préposé ; mais la contributionfinale à la dette doit être supportée par le seul préposé. Cette hypothèse est tout à faitanalogue à la théorie publiciste du cumul de responsabilité et de la « faute personnelle nondépourvue de tout lien avec le service » (1).

Une autre hypothèse de double obligation à la dette est celle de la faute pénale dupréposé. Dans ce domaine, la jurisprudence civile manque encore de cohérence (2).

2.1 La « faute personnelle non dépourvue de tout lien avec la mission dupréposé »L’arrêt Costedoat restreignait expressément l’immunité du préposé à la circonstance oùcelui-ci avait agi « dans les limites de la mission qui lui [avait] été impartie par soncommettant ». Par ailleurs, la jurisprudence avait établi, depuis 1988, que le commettantétait déchargé de toute obligation dès lors qu’il y avait un « abus de fonctions »228. Fallait-il, suite à l’arrêt Costedoat, assimiler l’« abus de fonctions », déchargeant le commettantde toute obligation, et l’ « excès des limites de la mission », mettant fin à l’immunité dupréposé ?229

Un auteur soutint l’affirmative : il fallait engager soit la responsabilité exclusive dupréposé, soit la responsabilité exclusive du commettant230. Autrement dit, si le préposén’avait pas agi dans le cadre de ses fonctions, alors il avait commis un abus de fonctions

227 cf. p. 40 40s.228 cf. p. 40s.229 L’hypothèse où le préposé aurait agi dans les limites de sa mission mais aurait commis un abus de fonctions, et où, par conséquent,ni le préposé, ni le commettant ne serait responsable, peut heureusement être exclue, notamment du fait de la définition très strictede l’abus de fonctions.

230 Hubert Groutel, RCA., 2000, chron. n°11.

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que le commettant pouvait invoquer pour se décharger de toute obligation. Ainsi, l’obligationà la dette n’aurait jamais été distinguée de la contribution finale à la dette et aucune actionrécursoire n’aurait donc été nécessaire : il n’y aurait pas eu de survivance de la jurisprudenceancienne.

Cette solution aurait incontestablement eu le mérite de la simplicité. En effet, il ne faitguère de doute que la consécration d’une notion supplémentaire puisse être source dedifficultés d’appréciation, surtout dans un domaine où différentes chambres de la Cour decassation sont amenées à se prononcer concurremment. Il semble cependant que cettesolution aurait pu conduire trop loin la restriction des droits de la victime. Surtout, elleaurait restreint la responsabilité du préposé au-delà du raisonnable. L’abus de fonctions,immunisant le commettant, avait en effet été défini très strictement par la jurisprudence dela Cour de cassation. Ainsi, un arrêt de 1998 rendu par la Chambre criminelle231 n’avait pasqualifié d’abus de fonctions l’assassinat de son chef de service par un préposé – peut-onalors considérer que le préposé avait agi dans les limites de sa mission ? Il n’était sansdoute pas opportun d’exclure toute responsabilité du préposé dans un tel cas232,233.

C’est pourquoi la majorité de la doctrine fut favorable à une distinction de l’abus defonctions, délimitant l’immunité du commettant, et du dépassement de la mission, délimitantl’immunité du préposé. Il devait exister un domaine où il n’y avait pas eu d’« abus defonction », du moins selon la définition jurisprudentielle restrictive en vigueur, mais où lepréposé avait manifestement dépassé les limites de la mission qui lui était impartie et n’étaitdonc pas à l’abri des poursuites de la victime et du commettant. Si, apparemment, cettesolution n’a pas encore été explicitement consacrée par la Cour de cassation, elle ressort,« au moins implicitement », dans certains arrêts234 où le préposé fut condamné alors qu’« iln’est pas douteux que, si la victime avait dirigé son action contre le commettant, celui-ci aurait été déclaré responsable de leurs conséquences dommageables et n’aurait pus’exonérer en invoquant un prétendu ″abus de fonctions″ »235.

Il existe donc un domaine intermédiaire entre, d’une part, l’immunité du préposé quia agi dans les limites de sa mission, et, d’autre part, l’exclusion de la responsabilité ducommettant justifiée par la théorie de l’abus de fonctions. Cette hypothèse est semblable àce que le droit administratif connaît sous la nom de « faute personnelle non dépourvue detout lien avec les fonctions » : dans les deux cas, la mission de l’agent d’exécution recouvreen effet la faute personnelle.

Une solution analogue au droit administratif serait opportune : préposé et commettantseraient concurremment obligés à la dette, mais ce serait au préposé d’en supporter lacontribution finale. Il y aurait ainsi une survivance de l’ancienne jurisprudence. D’une part,

231 Cass. crim., 25 mars 1998, bull. crim. n°113.232 JCP G 2000.II.10295, concl. Kessous, note Billiau, n°8 ,p.750 ; G. Viney, P. Jourdain, op. cit. ; n°812-2 p.1026 ; D.2000.673,

note Brun, n°28sq p.676sq.233 Bien entendu, il aurait également été possible de réformer la définition de l’abus de fonctions pour pouvoir en faire la frontière

de l’immunité du préposé, ou plus simplement de remplacer le critère négatif de l’abus de fonctions par le critère positif de l’actiondu préposé dans les limites de sa mission.

234 Il s’agit d’abord d’arrêts rendus en matière criminelle, notamment Ass. 14 décembre 2001, Cousin. La même solution futconsacrée suite à la condamnation pénale du préposé, et alors que la responsabilité du commettant était recherchée dans une instance

postérieure : 2e Civ, 16 juin 2005. Voir aussi Crim. 29 mars 2006, Bull. crim. 2006 n°91 et Soc. 21 juin 2006, D.2006.IR p.1770 obs.C. Dechriste.

235 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-2 p.1027.

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la victime devrait pouvoir poursuivre le commettant ou le préposé, voire les deux236. D’autrepart, le commettant ne devrait être condamné qu’en tant que garant de son préposé et, à cetitre, disposer d’une action en garantie contre lui –qui devrait être interdit à son assurance237.En effet, le préposé doit répondre personnellement de ce qu’il fait en-dehors de sa mission ;mais le commettant doit garantir ce qui n’est pas insusceptible d’être rattaché à son activité.Cette solution serait donc la plus favorable à la victime, car celle-ci pourrait poursuivre deuxpersonnes.

Il reste encore, cependant, à définir l’« excès des limites de la mission » délimitantl’immunité du préposé – problème analogue à la recherche perpétuelle d’un critère concretde la faute personnelle en droit administratif. La jurisprudence n’est encore d’aucune aide,restant « pour l’instant très indécise »238. Sans doute faudrait-il retenir la responsabilité dupréposé dès lors qu’il a agi à l’encontre des ordres du commettant ou à des fins personnelles.La gravité de la faute qu’il commet pourrait également être prise en compte pour sanctionnerla faute intentionnelle ou dolosive239, ou la faute lourde, en s’inspirant de la jurisprudencesociale240.

2.2 La faute pénale, talon d’Achille du système CostedoatLe juge judiciaire a retenu un second domaine de faute engageant la responsabilité del’agent d’exécution, en matière pénale, solution très différente de celle adoptée par le jugeadministratif. Il conviendra d’exposer les données du problème résultant de la nature pénalede la faute du préposé (1), avant de présenter les solutions différentes adoptées par lesjurisprudences administrative (2) et judiciaire (3).

2.2.1 Les données du problèmeUne faute civile peut être par ailleurs constitutive d’une faute pénale. La faute pénaleengage toujours la responsabilité pénale personnelle de l’auteur de l’infraction : il n’y apas de responsabilité pénale pour autrui241. Or, l’auteur d’une infraction condamné par unejuridiction pénale pourra aussi être condamné à indemniser des victimes, sous le visa del’article 2 du Code de procédure pénale242.

Lorsque le commettant n’était que garant de son préposé, cette règle ne représentaitpas de difficulté particulière : le préposé était en effet responsable, devant la juridictionpénale comme devant la juridiction civile. Mais une « irréductible contradiction »243 estapparue en la matière avec la jurisprudence Costedoat et la consécration d’une immunitédu préposé qui n’a pas excédé les limites de sa mission. L’immunité civile du préposé ne

236 Billiau, 2000, op. cit., n°9 p.751.237 Sauf action malveillante du préposé. C’est ce qui découle de l’article L.121-12.3 du Code des assurances : cf. p. 45s.238 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-2 p.1027.239 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-2 p.1027.240 En ce sens : Brun, 2000, op. cit., n°22 p.677.

241 C’est ce qui résulte de l’article 121-1 du Nouveau Code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».242 « L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ontpersonnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. »

243 selon l’expression de Billiau, 2000, op. cit., n°13 p.752.

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vaut évidemment pas immunité pénale244. Deux manières de faire cohabiter la jurisprudenceCostedoat et la responsabilité pénale du préposé sont alors envisageables.

La première solution consisterait à appliquer l’immunité civile du préposé devant lesjuridictions pénales. Mais cela ne revient-il pas à abroger partiellement l’article 2 du Codede procédure pénale, du moins à faire une entorse au principe de concordance des actionspublique et civile ?

Une seconde solution consisterait au contraire à ne pas reconnaître l’immunité civiledu préposé devant le juge pénal. Alors, à défaut d’une contradiction entre juridictions, laresponsabilité civile du préposé devrait également être maintenue par le juge civil lorsquela faute du préposé constitue une infraction qui pourrait être condamnée par le juge pénal,ou aurait pu l’être245. L’immunité du préposé ne s’appliquerait par conséquent que dansl’hypothèse où le délit civil n’est pas constitutif d’une infraction. Mais cette hypothèseest bien rare : dans beaucoup de cas où une faute civile est retenue, une faute pénalepourrait également l’être246. L’affaire Costedoat en est d’ailleurs une illustration : le pilote del’hélicoptère ne s’était-il pas rendu coupable du délit de dégradation d’un bien appartenantà autrui247 ? Par conséquent, cette seconde solution consisterait, si elle était appliquéesystématiquement, à limiter énormément la portée de la nouvelle jurisprudence248.

2.2.2 En droit public : la qualification autonome de la faute de serviceLa jurisprudence administrative a consacré l’autonomie des notions de « faute de service »et de « faute personnelle », en particulier par rapport à la faute pénale. Ainsi, si la fautepénale commise dans le service par l’agent constituera généralement une faute personnelle,« la coïncidence n’est pas absolue »249. L’arrêt Thepaz du Tribunal des Conflits a disposéqu’une faute pénale de l’individu peut présenter les caractères de la faute de service250. Lamême position a été admise par la Cour de cassation251. La compétence du juge pénal pour

244 Billiau, 2000, op. cit, n°12.245 On imagine que la solution vaudrait alors même lorsque l’action publique est prescrite.246 « La plupart des fautes commises par un préposé, si le Ministère public veut bien s’en donner la peine, sont susceptibles

de recevoir une qualification pénale ». Cf. A. Vialard, « Les nouvelles frontières de la jurisprudence Costedoat », RCA, juillet 2007,n°7, étude 13.

247 Cf. article L322-1 du Code pénal : « La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui estpunie de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger. »

248 Cette seconde solution pose également d’insurmontables problèmes procéduraux. Il serait pour le moins délicat, pour lejuge civil, de se prononcer sur l’existence d’une faute pénale. La qualification pénale de la faute est de la compétence exclusive dujuge pénal. En toute rigueur, il faudrait donc que le juge civil renvoie au juge pénal la question préjudicielle de la nature pénale de lafaute reprochée au préposé, pour savoir si l’immunité civile de celui-ci doit être levée ! De plus, les modalités de la preuve ne sontpas les mêmes : en matière pénale, le doute doit profiter à l’inculpé. Dès lors, la faute susceptible de répondre à une qualificationpénale pourrait ne pas être retenue devant le juge pénal, mais être retenue par le juge civil, qui ne saurait alors s’il doit lever l’immunitédu préposé…249 J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°508 p.434.250 TC 14 janvier 1935, Thepaz. En l’occurrence, il s’agissait d’un homicide involontaire.251 Cass. crim. 23 avril 1942, Leroutier, D.1942.137 note M. Waline, JCP 1942.II.1953, note Brouchot.

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connaître de l’action civile est limitée à l’hypothèse de la faute personnelle, le juge judiciairene pouvant déclarer l’administration compétente252.

Néanmoins, et même s’il ne se déclare pas lié, le juge administratif a toujours reconnule caractère de faute personnelle à un crime. Il a généralement fait de même en matière dedélit intentionnel commis par l’agent public253. Cependant, un arrêt récent du Tribunal desConflits 254 a qualifié de « faute de service » un délit intentionnel, au motif qu’il n’avait pasété commis dans la poursuite d’un intérêt personnel255. En matière d’infractions commisesnon intentionnellement256, ni la « faute personnelle », ni la « faute de service » ne sontautomatiquement retenues.

Le cas échéant, la faute personnelle constitutive d’une infraction pénale peutnaturellement « ne pas être dépourvue de tout lien avec le service ». Elle engage alorsla garantie de l’administration. Il en a été jugé ainsi en cas de crime 257 et en cas de délitintentionnel258. Là aussi, la compétence de principe est exclusivement administrative : lejuge judiciaire devrait refuser de condamner l’administration. Une exception devrait pourtantexister en matière criminelle, du fait du principe de plénitude de juridiction de la Courd’assises.

2.2.3 En droit privé : la levée de l’immunité du préposé auteur de certainesinfractionsFace au même problème, la jurisprudence de la Cour de cassation a constamment évoluédepuis l’arrêt Costedoat, aboutissant aujourd’hui à une solution confuse.

Avant même le revirement, la Cour de cassation avait admis des inflexions au principede l’unité de la faute civile et pénale. Ainsi, elle avait admis que, en cas de poursuite pénalecontre le préposé, la victime puisse se constituer partie civile contre l’employeur sans qu’ilsoit nécessaire que l’action civile soit aussi dirigée contre le préposé259.

Suite au revirement, et dans un premier temps260, la Chambre criminelle retintl’immunité du préposé qui avait agi « dans l’exercice normal de ses attributions », quandbien même la faute de celui-ci aurait été un délit de tromperie et publicité mensongère,

252 TC 26 mai 1924, Dame Veuve Limetti c. Ville de Paris, Rec. CE 502, S.1924.3.49.253 J. Moreau, « Responsabilité personnelle des agents et responsabilité de l’administration », in Jurisclasseur Administratif,

fascicule 806, N°83s.254 TC 19 octobre 1998, Préfet du Tarn, D.1999, p.127, obs. Gohin.255 Telle est du moins l’interprétation défendue par l’avocat général Gouttes dans ses conclusions sous l’arrêt Cousin : Cass.

Ass. plén., 14 décembre 2001, Cousin, Bull. civ. n°17 ; R. p.444 ; BICC 1er mars 2002, concl. de Gouttes ; D. 2002.1230, note J.Julier ; D. 2002.Somm.1317, obs. D. Mazeaud ; D. 2002.Somm.2117, obs. Thuyllier ; JCP 2002.II.10026, note Billiau ; JCP 2002.I.124,n°22s., obs. Viney ; JCP E 2002, p.94, obs. Chabas ; RCA 2002. Chr. 4, par Groutel ; RTD civ., 2002.108, obs. Jourdain.

256 En particulier sous le visa de l’article 121-3, aliéna 3, du Nouveau Code pénal.257 Voir par exemple : CE 3/5 SSR, 18 novembre 1988, n°74952 : « dans ces conditions, l'assassinat de Mlle Y..., alors même

qu'il a été commis par M. X... en dehors de ses heures de service et avec son arme personnelle, n'est pas dépourvu de tout lien avecle service et engage la responsabilité de l'État ».

258 CE, 2 mars 2007, Banque française de l’Océan indien, précité.259 Cass. Crim, 26 oct. 1982, JCP 1983 IV.17260 Cass. Crim., 23 janvier 2001, Bull. crim. n°21 ; R. p.444 ; RCA 2001, n°212, note Groutel

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infraction intentionnelle261sanctionnée par l’article 213-1 du Code de la consommation. Lejuge niait ainsi toute spécificité de la faute pénale quant à l’immunité du préposé. C’étaitd’ailleurs la solution envisagée par l’avocat général de l’arrêt Costedoat 262. Le juge civildevait examiner la faute civile et se demander si elle a été commise dans les limites dela mission, indépendamment de la qualification pénale de la faute. Ainsi, « on ne peut pasaffirmer a priori que telle catégorie de faute pénale constituerait nécessairement une faute″de mission″, et telle autre, une faute étrangère à la mission »263. Dans ce premier arrêt, laChambre criminelle adopte donc une solution analogue à la jurisprudence administrative enconsacrant l’autonomie de la « faute personnelle » par rapport à la faute pénale.

Mais, dans un second temps264, l’Assemblée plénière, s’écartant d’ailleurs desconclusions de son avocat général, fit échec au pragmatisme de la solution précédente etimposa une règle supplémentaire selon laquelle « le préposé condamné pénalement pouravoir intentionnellement commis (…) une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engagesa responsabilité civile à l’égard de celui-ci ».

Dans un troisième temps, cette solution a été poussée plus loin. Il est établi que seulel’infraction intentionnelle permet de lever l’immunité dont profite le préposé265. Mais, defaçon corollaire, toute infraction intentionnelle constituée devant le juge répressif, en dépitde l’absence de condamnation pénale266, justifie la levée de l’immunité du préposé – saufbien sûr abus de fonctions.

Dans un quatrième temps267, cette solution fut à nouveau assouplie lorsque la Courde cassation a également écarté l’immunité du préposé en présence d’une infractioninvolontaire qualifiée de « faute caractérisée » au sens de l’article 121-3 du Code pénal.

En tout état de cause, le juge judiciaire est progressivement entré dans une voiedifférente de celle du juge administratif en cherchant à définir des critères particuliers pourlever l’immunité du préposé auteur de certaines infractions – une infraction intentionnelle,

261 La nécessité de l’élément intentionnel de ces infractions ne fait guère de doute. Voir par exemple : Cass. crim. 4 février1998, pourvoi n°97-81449, non publié au bulletin.

262 F. Desportes, R. Kessous, « Étude sur la responsabilité du préposé », Rapport annuel de la Cour de cassation, 2000,deuxième partie, documents et études. L’avocat général Kessous, qui n’avait pas abordé le problème dans ses conclusions, estimedans ce rapport qu’ « il est désormais possible qu’un préposé (…) soit déclaré pénalement responsable de l’infraction (…), mais quesa responsabilité civile soit écartée au motif que les faits reprochés ont été commis dans les limites de la mission qui lui avait étéimpartie par son commettant ».

263 F. Desportes, R. Kessous, op. cit.264 Cass. Ass. 14 décembre 2001.265 Cass. crim. 28 juin 2005, RCA, n°10, octobre 2005, comm. 276, H. Groutel : « Responsabilité personnelle du préposé :

infraction non intentionnelle ». Le préposé « ne pouvait être condamné civilement pour les conséquences d’une infraction nonintentionnelle commise par lui » (selon Groutel). Dans le même sens : CA Pau, 25 sept. 2006 : Juris-Data n° 2006-317998 : violencevolontaires exercées sur un pensionnaire mineur. ; - CA Lyon, 19 janv. 2006 : D. 2006, p. 1516, note A. Paulin.

266 cf. Cass. crim., 7 avril 2004, Juris-data n°2004-023601, RCA 2004, comm.215. « Le préposé qui a intentionnellementcommis une infraction ayant porté préjudice à un tiers engage sa responsabilité civile à l'égard de celui-ci, alors même que la juridictionrépressive qui, saisie de la seule action civile, a déclaré l'infraction constituée en tous ses éléments, n'a prononcé contre lui aucunecondamnation pénale ».

267 Cass. crim., 28 mars 2006 : Juris-Data n° 2006-033184 ; Bull. crim. 2006, n° 349 ; RCA 2006, comm. 289, note H. Groutel ;JCP G 2006, II, 10188, note J. Mouly. Cet arrêt pourrait cependant ne constituer qu’un cas d’espèce : cf. C. Mouly, « Le préposédélégataire auteur d’une faute qualifiée est responsable à l’égard du tiers victime », D.2006.II.10188.

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puis même une infraction non intentionnelle qualifiée de « faute caractérisée ». Le jugeadministratif, se retranchant derrière le concept autonome de « faute personnelle », n’avaitpas eu besoin de disposer de critères particuliers à la qualification de la faute pénale : il avaitpréféré ignorer la nature pénale de la faute qu’il devait qualifier civilement. Il est sans douteregrettable que le juge judiciaire n’ait pas fait, lui aussi, abstraction de la nature pénale dela faute, ce qui aurait permis plus de cohérence.

Dans les cas de levée de l’immunité, la responsabilité du préposé n’exclut pas celle ducommettant268, sauf si un abus de fonctions est par ailleurs retenu. A défaut, commettant etpréposé sont donc débiteurs solidaires de la victime269, mais le commettant condamné doitdisposer d’une action récursoire contre son préposé270. Il y a donc, là aussi, une survivancede la jurisprudence antérieure, constituée par une double obligation à la dette du commettantet du préposé, mais une contribution finale exclusive du préposé.

Titre 2 : Les aboutissements de l’irresponsabilité desagents d’exécution

La solution commune aux deux ordres juridictionnels concernant la responsabilité du faitde l’agent d’exécution s’inscrit dans un large mouvement du droit qui consiste à atténuer lafonction répressive de la responsabilité civile, au profit de sa fonction indemnitaire (1). Maisle système actuel n’est pas à même de garantir une indemnisation de la victime, surtout endroit privé : il est dès lors nécessaire que d’autres mécanismes soient mis sur pied pourgarantir une indemnisation systématique des victimes (2).

1/ La disparition de la fonction répressive de la responsabilité civileL’abandon de l’élément moral de la « faute » civile justifie pleinement que la charge des« fautes de service » ne soit pas supportée par les agents d’exécution (1). La fonctionpunitive, qui était associée à la responsabilité civile, est relayée par d’autres mécanismesde responsabilisation (2).

1.1 De la faute au risque comme fondement de la responsabilité civile

La fin du XIXe siècle et le XXe siècle ont été marqués par le développement d’un droitplus protecteur des intérêts économiques et sociaux de l’individu, direction expriméenotamment par le Préambule de la Constitution de 1946 reconnaissant les droits sociaux etéconomiques de l’individu et par l’édification de l’État-providence à l’Après-guerre.

A la place de l’impératif amendement du coupable ou du fautif, le droit pénal et ledroit civil se sont dirigés vers une meilleure prise en compte de la victime, alors que

268 Cf. arrêt Cousin précité.269 Pour une application: Cass. 2ème Civ, 16 juin 2005, Mme X épouse Y, pourvoi n°03-19.70, LPA 16 avril 2007, n°76, p.

15-22, « Nouvelle articulation des responsabilités cumulatives du commettant et du préposé », Chaaban.270 C’est du moins la solution prônée par G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-3.

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La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé

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l’élément moral de la faute s’était, dans ces deux domaines, considérablement restreint271.En témoigne, en droit pénal, l’élargissement de la responsabilité aux personnes morales,

refusé au XIXe siècle par la jurisprudence272, qui fut mis en place progressivement parle législateur273, avant d’être triomphalement intégré par la loi du 22 juillet 1992 dans le

Nouveau Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 et consacré comme principeapplicable à toutes les infractions par la loi Perben I274. Dans le domaine pénal, où il semblepourtant fondamental, l’élément moral de l’infraction est ainsi mis en retrait.

A fortiori, l’objectivation de la responsabilité a été remarquable dans le domaine de laresponsabilité civile et administrative275. G. Viney décrit ainsi le « déclin du rôle attribué àla faute subjective en tant que condition de la responsabilité civile » comme « le trait quia le plus vivement frappé tous les auteurs qui ont cherché à décrire l’évolution du droit de

la responsabilité civile au cours du XXe siècle »276. En particulier, l’assurance a eu poureffet, malgré des techniques de « pénalisation », de délester les responsables de fautesnon intentionnelles de leur responsabilité, en mutualisant les charges liées à celles-ci277,encourageant le juge à consacrer une responsabilité sans faute « dont elles neutralisent larigueur à l’égard du responsable »278.

En conséquence279, le concept de faute a été élargi, par exemple lorsque la Courde Cassation a supprimé le critère de l’imputabilité et consacré la responsabilité del’inconscient280 : seul demeure aujourd’hui le critère de l’illicéité de l’acte, fondant uneconception objective de la faute. Dans d’autres cas, tels que la circulation routière, la fauten’est plus nécessaire, mais la responsabilité d’une personne peut être fondée sur un simplefait281 : peu importe qui sera dit « responsable », puisque ce sera au final l’assurancequi paiera. Le « déclin de la responsabilité individuelle au moyen d’une socialisation desrisques »282 est parallèle au développement d’une responsabilité contemporaine dont le

271 L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la Justice, PUF, 2004, p.1150sq ; B. Starck, Essai d’une théorie générale de la responsabilitécivile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, édition L. Rodstein, 1947

272 Cass crim. 8 mars 1883, DP 1884, I, p.428: « l’amende (…) étant personnelle comme toute peine (…) ne peut être prononcéecontre une société commerciale, être moral, laquelle ne peut encourir qu’une responsabilité civile. »

273 Cf. J. Mestre, D. Velardocchio, C. Blanchard-Sébastien, op. cit., n°556 p.253274 Loi n°2004-204 du 9 mars 2004, article 55. Entrée en vigueur le 31 décembre 2005.275 J. Waline, « L’évolution de la responsabilité extracontractuelle des personnes publiques », EDCE, 1994, p. 459s.276 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°36277 L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1154278 L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1154279 Sur l’aspect consécutif au développement des assurances de celui de la responsabilité : « alors qu’en principe la

responsabilité constitue le support de l’assurance, on peut se demander si, en réalité, ce n’est pas l’assurance qui est devenue lesupport de la responsabilité. », d’après L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1154-1155.

280 Cass Ass. plén., 9 mai 1984281 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°722 p.707282 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°534

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fondement, l’indemnisation de la victime, est clairement contraire à la double fonction,

préventive et répressive, de la responsabilité du XIXe siècle283.Il y a là un véritable changement de paradigme : le paradigme de la responsabilité

sanction, prédominant depuis l’Antiquité284 et jusqu’au début du XXe siècle, fait place à celuide la responsabilité indemnisation. Les conclusions d’un article de F.-P. Benoit, publié en1954, mettent bien en évidence ce changement d’approche :

« Il est indispensable, si l’on veut comprendre les problèmes de la responsabilité,de modifier complètement la façon dont on aborde le problème : il faut procéder àun renversement d’optique. On étudie toujours les problèmes de la responsabilitéen se plaçant du côté de l’auteur du dommage, considéré comme acteuressentiel, la victime n’apparaissant que comme l’une des conditions nécessairespour que puisse se poser un problème de responsabilité ; à vrai dire, onn’assigne même à la victime que le rôle bien pâle de support du dommage. Or,en réalité, c’est la victime qui joue le rôle essentiel en la matière, et cela est sivrai que, si elle ne réclame rien, il n’y aura pas de problème de responsabilité.C’est donc du côté de la victime que les problèmes de responsabilité doivent êtreétudiés. »285

Désormais, la responsabilité ne vise donc plus tant à punir qu’à indemniser la victime.Elle doit « non seulement déterminer qui doit supporter la charge des réparations », maisaussi « tenir compte des conséquences qui peuvent résulter de ce choix pour la victimedu dommage causé par le préposé », car « c’est avant tout l’intérêt de la victime qui estdéterminant »286. Bref, ce qui fait un responsable de « bonne qualité », ce n’est pas qu’ilest fautif, c’est qu’il est solvable.

Ainsi, il est typique de cette approche que le commettant, en droit administratif commeen droit civil, puisse être le garant d’une faute personnelle de son agent d’exécution : lafaute est manifestement celle de l’agent d’exécution, mais on préfère offrir à la victime undeuxième débiteur, étant donné qu’il n’est pas extrêmement injuste de faire supporter parle commettant l’indemnisation d’une faute qui a été commise en lien avec les fonctions,lorsque le préposé n’est pas capable de payer – du moins, cela est sans doute moins injusteque de faire supporter les conséquences de la faute à la victime malencontreuse.

La pleine responsabilité du commettant n’est pas fondée sur la faute de surveillance ducommettant, mais sur le risque de l’activité dont il bénéficie287. Certes, la théorie du risqueexistait déjà, en droit civil, avant l’arrêt Costedoat ; mais elle ne prenait pas tous ses effets,parce qu’elle était assujettie à la nécessité de « faire payer » l’auteur véritable de la faute. Laresponsabilité fondée sur le risque ne servait qu’à compléter la responsabilité fondée sur lafaute. De la sorte, le risque ne fondait qu’une obligation de garantie de celui qui, par l’activitéqu’il créait et dont il bénéficiait, créait de nouveaux risques pour les autres citoyens. En

283 L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1151284 Conseil d’État, Rapport public annuel, La Documentation française, 2005, : « Responsabilité et socialisation du risque », p.

205-390. En particulier p.209 : Aristote défendait ainsi une « responsabilité sanction » plus qu’une « responsabilité indemnisation ».285 F.P. Bénoit, « Le régime et le fondement de la responsabilité de la puissance publique », JCP G 1954. I.1178, n°48286 J. Guyénot, op. cit., n°157 p.123

287 C. Eisenmann, 1949, op. cit., deuxième article n°10

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La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé

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principe, elle ne coûtait rien au commettant. Le risque de l’activité n’était pas véritablementsupporté par celui qui en tirait les profits.

L’abandon de l’aspect moral de la responsabilité délictuelle permit au contraire à lathéorie du risque, prise alors dans une conception nettement plus extensive, de justifier unedéresponsabilisation de l’agent agissant dans le cadre normal de ses fonctions, ce qui fut faiten droit civil par l’arrêt Costedoat. N’agissant pas pour lui-même, il ne semblait pas équitableque l’agent public ou le préposé dût supporter la charge de ses fautes « normales », alorsqu’un autre, l’administration ou le commettant, bénéficiait des gains de son activité. Dèslors que l’élément moral de la responsabilité est gommé, la charge de l’indemnisation d’unefaute commise en lien avec la mission exécutée peut être considérée comme un « coût »parmi d’autres et doit, dès lors, être supportée par celui qui entreprend l’activité.

1.2 L’absence d’impunité de l’agent d’exécutionL’absence de responsabilité civile de l’agent d’exécution ne peut pourtant pas justifier uneimpunité de celui-ci. En effet, même dans le cadre de la faute non intentionnelle, il nefait guère de doute qu’une irresponsabilité complète pourrait entraîner des dérives – enparticulier, des imprudences notoires multipliant les accidents. Il en irait de même, et à plusforte raison, en matière de fautes intentionnelles : les employés d’une société réaliserontd’autant plus facilement des publicités mensongères, comme dans l’arrêt Rochas, qu’ilsseront sûrs de rester impunis. Il est donc fort heureux que l’immunité civile des agentsd’exécution n’exclue pas leur responsabilité pénale (1) et disciplinaire (2).

1.2.1 La responsabilité pénale des agents d’exécution : la juste punition

Ni le préposé, ni l’agent public288 ne sont mis à l’abri de poursuites pénales parleur irresponsabilité civile. L’agent d’exécution peut être condamné pénalement. L’actionpublique doit poursuivre les actes portant atteinte aux intérêts de la société et il importe peuque ces actes aient été commis par des agents d’exécution.

Ainsi, la suppression de la responsabilité civile ne fonde pas per se une immunité desagents d’exécution, mais permet au contraire de limiter leur punition à ce qui est strictementnécessaire – en limitant leur sanction à ce que dispose la loi pénale, sans y ajouter descondamnations civiles. Cette absence d’impunité est d’ailleurs nécessaire à la cohérencedes jurisprudence, tant civile qu’administrative. C’est dans ce sens que penche l’avocatgénéral de Gouttes dans ses conclusions sous l’arrêt Cousin :

« Le maintien de la responsabilité pénale personnelle du préposé vient équilibrerl'exonération de sa responsabilité civile et apporter ainsi une réponse à ceux quicraignaient que l'arrêt Costedoat ait pour effet de "déresponsabiliser" les salariéset de favoriser des comportements dangereux. »

La Déclaration des droits de l’homme de 1789 postule en son article 8 que « la loi ne peutétablir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Assigner à la responsabilitécivile une fonction punitive, c’est faire dépendre la peine d’un élément extérieur et aléatoire.Une faute d’une même « gravité » pourra causer des dommages civils extrêmementdifférents. Surtout, de toute évidence, la fonction punitive de la responsabilité civile constitueune grave entorse au principe de la proportionnalité des délits et des peines, défendu en

288 Des exceptions concernent cependant les gouvernants. Cf. E. Breen, « Responsabilité pénale des agents publics », inJurisclasseur Administratif, fascicule 809

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son temps par Beccaria289. S’il est vrai que, en principe, « la vraie mesure des crimes estle tort qu’ils font à la nation »290, il n’en demeure pas moins que c’est bien au juge pénald’estimer cette mesure, non au juge civil – sans quoi les infractions contre les personneset les biens seraient punis, mais non les infractions « contre la nation, l’État et la paixpublique ». Et, en tout état de cause, la juste punition est celle qui découragera les citoyensd’agir contrairement à l’intérêt général. Elle dépend donc plus de l’avantage que le fautifacquiert en agissant mal, que par le préjudice que subit la victime de la faute : il s’agit de faireen sorte que l’action proscrite « coûte » plus cher qu’elle ne « rapporte ». Par conséquent,la juste mesure de la punition est la cause de la faute, son mobile, l’intention ou le manqued’attention du fautif ; mais non la conséquence de la faute, qui peut être multipliée par descirconstances aléatoires.

Si la responsabilité civile ne peut utilement remplir une fonction punitive, c’est nonseulement parce qu’elle fait dépendre la punition d’éléments dont elle ne devrait pas tenircompte, mais c’est aussi parce qu’elle ne la fait pas dépendre d’éléments dont elle devraittenir compte. Chacun ne mérite pas la même peine pour la même infraction. L’office dujuge est justement de déterminer la part de libre arbitre dans la commission de chaqueinfraction. Dès lors qu’elle doit correspondre au préjudice, toute personnalisation de la peineest manifestement impossible.

1.2.2 La sanction disciplinaire de l’agent d’exécutionLa sanction pénale, sanction de l’action contraire à l’intérêt social, est utilement complétéepar la sanction de l’atteinte à l’intérêt particulier du commettant ou de l’administration. Ilexiste donc, en plus de la sanction pénale, une sanction disciplinaire, qui permet, en droitpublic comme en droit privé, au commettant de punir son agent d’exécution, et pouvant allerjusqu’au licenciement.

En droit privé, l’employeur dispose ainsi d’un pouvoir disciplinaire encadré par la loi.En outre, la responsabilité contractuelle du préposé lié par un contrat peut être engagée –dans le cadre d’un contrat de travail, une faute lourde est nécessaire291. Il s’agit alors d’uneresponsabilité pécuniaire du salarié (préposé) envers l’employeur (commettant).

Un mécanisme analogue tend à être mis en place en droit administratif, selon lajurisprudence de l’arrêt Jeannier 292. En l’espèce, des soldats avaient utilisé un véhiculemilitaire « à des fins étrangères au service » et avaient provoqué un accident de lacirculation. Si la victime avait poursuivi les soldats devant le juge judiciaire, seule laresponsabilité du conducteur aurait pu être retenue. Mais elle décida de ne poursuivreque l’administration. Celle-ci, condamnée par le juge administratif, se retourna contre lessoldats par une action récursoire et réclama à chacun d’eux le remboursement d’unepartie des indemnités payées. Le Conseil d’État confirma que les passagers étaientégalement responsables envers l’administration du fait d’une faute personnelle de chacund’eux consistant dans le fait d’avoir « utilisé sciemment un véhicule de l’armée à desfins étrangères au service ». Les soldats autres que le conducteur, qui ne pouvaient être

289 Beccaria, Traité des délits et des peines, 1764. Cf. Chapitre 6, « Proportion entre les délits et les peines ».290 Beccaria, op. cit., Chapitre 7.

291 Cass. soc., 19 mai 1958 : D. 1959, p. 20, note R. Lindon292 CE Sect., 22 mars 1957, Rec. CE 196, concl. Kahn, D.1957.748, conclusion Kahn, note Weil ; S.1958.32, concl. Kahn, AJ

1957.II.186, chr. Fournier et Braibant ; JCP 1957.II.10303 bis, note Louis-Lucas.

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La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé

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poursuivis directement par la victime, pouvaient ainsi être condamnés par l’administrationpour faute personnelle.

Ainsi, la faute personnelle prenait une teinte éminemment disciplinaire. Cependant, laconséquence regrettable de cette jurisprudence consiste en la création d’une seconde fautepersonnelle et, par là, d’une complexité supplémentaire du droit administratif. La premièrefaute personnelle, classique, que l’on pourrait qualifier d’« externe », consacrée par l’arrêtPelletier, engage la responsabilité de l’agent public envers les tiers ; l’administration peutcependant indemniser la victime si la faute personnelle n’est pas sans liens avec lesfonctions ; dans ce dernier cas, l’administration dispose d’une action récursoire contrel’agent public responsable. Au contraire, la faute personnelle « interne », « disciplinaire »,de l’arrêt Jeannier, engage la responsabilité de l’agent envers la seule administration.

Dans le droit français positif contemporain, il existe donc tous les moyens juridiquesnécessaires à s’assurer qu’immunité civile ne signifie pas impunité. La punition du fautif,lorsque la faute le « mérite », est l’objet de la responsabilité pénale, disciplinaire etcontractuelle des agents d’exécution, aussi bien en droit privé qu’en droit public – même siles modalités en sont naturellement différentes.

2/ La fonction exclusivement indemnitaire de la responsabilité civileDes différences substantielles existent entre les commettants, de droit privé ou de droitpublic, dans leur capacité à indemniser les victimes de leurs agents d’exécution (1). Dès lors,il serait utile d’institutionnaliser une véritable socialisation des risques afin de s’assurer del’indemnisation systématique des victimes, mais aussi pour protéger certains commettantsplus fragiles (2).

2.1 La nécessaire prise en compte des particularismes du commettantLa summa divisio des commettants distingue les commettants publics, solvables pardéfinition, et les commettants privés, potentiellement insolvables. Cependant, cettedistinction reflète mal deux phénomènes. D’une part, la solvabilité des commettants de droitpublic ne signifie pas une capacité budgétaire illimitée (1). D’autre part, la notion civilistede « commettant » assimile des situations extrêmement différentes, notamment en termesde solvabilité (2).

2.1.1 Les limites des finances publiques : quelle évolution de laresponsabilité des agents publics à l’heure de la rigueur ?Le « commettant » du droit public, c’est-à-dire l’administration responsable pour l’agentpublic travaillant pour elle, a longtemps eu pour spécificité sa grande « générosité », et cecià la fois dans le cadre de la faute de service et dans celui de la faute personnelle.

La faute de service a ainsi été conçue d’une manière large – plus large que le domaineéquivalent en droit civil où seul le commettant est responsable. Qui plus est, ce domaine tendà être constamment élargi. Ainsi, comme mentionné précédemment, le Tribunal des Conflitsa récemment consacré la solution selon laquelle une infraction intentionnelle peut constituerune faute de service293. Au contraire, la Chambre criminelle de la Cour de cassation aformellement exclu qu’une infraction intentionnelle puisse valoir immunité du préposé294.

293 Cf. note n°68.294 Cf. p. 69s.

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L’amplitude de la faute de service n’est pas seulement expliquée par la volonté de mieuxindemniser les victimes : en effet, la simple garantie de l’administration, dans le cadre dela faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service, suffirait à atteindre cetobjectif. Il s’agit donc également d’une volonté, de la part du juge comme de l’administration,de protéger l’agent public des conséquences pécuniaires importantes de sa faute, mêmeintentionnelle.

La responsabilité dans le cadre de la faute de service peut se révéler coûteuse pourl’administration. Néanmoins, le rapport de force en faveur des organisations représentativesde fonctionnaires rend difficilement imaginable qu’elle puisse être réformée à courteéchéance par le juge administratif, ou que le législateur ose prendre des mesures pour larecadrer dans un champ plus limité. Par exemple, le livre blanc sur l’avenir de la fonctionpublique publié en avril 2008 ne remet pas en cause l’immunité des agents publics dans lecadre de la faute de service295.

Cependant, un changement de pratique de l’administration pourrait avoir lieu dans unautre domaine sans aboutir à un conflit syndical : il s’agit du domaine où l’administrationn’est, en principe, que garante de ses agents. Lorsque l’administration indemnise lesvictimes de fautes personnelles commises en lien avec les fonctions, elle peut en principeexiger de l’agent responsable le remboursement des indemnités versées ; cependant,cette procédure est très rarement appliquée296. Tout laisse à penser que cette situationsera rapidement amenée à évoluer. L’augmentation constante de l’endettement desadministrations publiques et les pressions faites par la Commission européenne pourque la France se conforme aux critères de Copenhague, ainsi que la faible croissanceéconomique, poussent les administrations à une certaine « rigueur » budgétaire.

Contrairement au coût de la prise en charge de la faute de service, le coût de laprise en charge des fautes personnelles n’est pas considéré socialement comme légitime :au contraire, on ne peut que s’offusquer que l’auteur d’un crime n’ait pas à supporterl’indemnisation de la victime297. Déclarer débiteur l’agent public responsable d’une fautepersonnelle est dans la logique des choses. Cela permet par ailleurs de substantielleséconomies sur les deniers publics. Pour autant, il est évident que l’« action récursoire » estplus acceptable dans le cas de certaines fautes – crimes notamment – que dans d’autres.

La réforme budgétaire de l’État, dont la figure de proue est la Loi organique relativeaux lois de finances298, pourrait avoir des conséquences sur la responsabilité pécuniairedes agents publics auteurs d’une faute personnelle. Cette nouvelle gestion « managériale »crée des « responsables de mission » et des « responsables de programme », dont larémunération varie en fonction des résultats obtenus299. Cette responsabilisation des hautsfonctionnaires devrait en toute logique conduire à une application plus systématique desactions récursoires contre les agents fautifs.

295 disponible sur le site du « débat national sur l’avenir de la fonction publique » (lien vers le livre blanc en première page) :http://www.ensemblefonctionpublique.org/livreblanc.htm . En particulier : p. 63. Seul un aménagement est prévu pour donner toutesa cohérence au système actuel.

296 cf. p. 32s.297 Pour une pareille hypothèse, voir note n°69.298 Loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, NOR: ECOX0104681L.299 C. Radé, « Responsabilité des commettants », in Jurisclasseur Civil Code, articles 1382 à 1386, fascicule 143, p.164

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La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé

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2.1.2 La possible insolvabilité des commettants de droit privé : tous lescommettants de droit privé sont-ils égaux ?Si la classe des « commettants » de droit public est homogène, du moins en ce quiconcerne leurs capacités financières à indemniser une victime, il n’en va pas de mêmede celle des commettants de droit privé, qui peut regrouper aussi bien une sociétémultinationale réalisant des profits considérables qu’un simple particulier. Il en résulte queles commettants de droit privé sont très inégalement solvables, non seulement parce qu’ilspeuvent être plus ou moins riches, mais surtout parce qu’ils peuvent être assurés ou non.Les sociétés elles-mêmes ne sont pas contraintes de souscrire un contrat d’assurance, saufcas particulier300, et peuvent par ailleurs être dissoutes ; et le commettant peut n’être qu’unsimple particulier301.

Par conséquent, il arrive que le commettant de droit privé soit insolvable. Or, lajurisprudence Costedoat s’est inspirée d’une solution de la jurisprudence administrative,postulant à raison la solvabilité systématique du commettant. C’est dès lors à juste titre queles critiques adressées à la nouvelle jurisprudence civile se sont focalisées sur le risque denon indemnisation qu’elle fait courir aux victimes.

Avant l’arrêt Costedoat, le système de la garantie du commettant protégeaitrelativement bien l’intérêt de la victime en lui offrant deux débiteurs, mais ne protégeait pasle préposé, qui était à la merci de la victime et du commettant. Le revirement jurisprudentiel aproduit une situation inverse : lorsque le préposé est protégé, c’est la victime qui ne l’est plus,du moins plus systématiquement. La perte de chances peut être très importante, notammentlorsque le commettant est un particulier peu solvable et non assuré, mais que le préposéest une société très solvable ou assurée.

Il a été fort justement proposé302, en particulier dans l’avant-projet de réforme du droitdes obligations de la Commission Catala303, d’admettre une responsabilité du préposésubsidiaire à celle du commettant. Ainsi, la victime ne pourrait poursuivre le préposé qu’àcondition de poursuivre en même temps le commettant, ou d’avoir poursuivi le commettantpréalablement et de n’avoir pas pu être indemnisée. Le préposé ne pourrait ainsi êtrecondamné à indemniser que la partie du préjudice que le commettant n’a pas pu indemniser,soit à défaut d’une solvabilité suffisante, soit parce qu’il a été dissous. Le préposé seraitdonc en quelque sorte le garant de l’indemnisation, par le commettant, des fautes qu’il alui-même commises. L’avantage de ce mécanisme complexe est de concilier un peu mieuxla protection de la victime avec celle du préposé. Le préposé ne bénéficierait certes pasd’une protection totale analogue à celle de l’agent public, qui restreindrait trop les droits dela victime.

300 Voir par exemple la liste des assurances obligatoires dressée par le Conseil d’État : Rapport public annuel 2005, op. cit., annexe1, pages 341 à 346.301 cf. p. 34s.

302 Voir en particulier G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812 p.1021 ; Commission Catala, Rapport sur la réforme du droit desobligations, remis au Ministre de la Justice le 22 septembre 2005, La Documentation française, 2006, en particulier : G. Viney, « Dela responsabilité civile », exposé des motifs ; RTD civ. 2000.582, obs. Jourdain, p.584 ; G. Durry, op. cit.

303 Avant-projet de la Commission Catala, op. cit.. L’article 1359-1 dispose : « Le préposé qui, sans commettre une fauteintentionnelle, a agi dans le cadre de ses fonctions, à des fins conformes à ses attributions et sans enfreindre les ordres de soncommettant ne peut voir sa responsabilité personnelle engagée par la victime qu’à condition pour celle-ci de prouver qu’elle n’a puobtenir du commettant ni de son assureur réparation du dommage. »

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Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution

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Cette solution pourrait d’ailleurs éventuellement être consacrée par le juge sur la basedes textes existant : l’article 1382 pourrait fonder une responsabilité personnelle du préposésubsidiaire à la responsabilité principe du commettant consacrée par l’article 1384, alinéa 5.Cependant, après un premier revirement jurisprudentiel, une réforme législative, d’ailleursproposée par le Commission Catala, serait sans doute plus opportune pour éclaircir et fixerle droit positif.

Cependant, si une réforme législative est manifestement nécessaire, doit-elle se limiterà aménager la jurisprudence Costedoat pour une meilleure protection de la victime ?Une réforme plus large du droit de l’indemnisation des victimes pourrait au contraire êtreenvisagée.

2.2 De la responsabilité à la solidarité ?On ne peut s’y tromper : si le commettant, en droit public comme en droit privé, estdéclaré responsable envers la victime, ce n’est pas pour le punir ; c’est pour permettrel’indemnisation de la victime sans préjudicier à l’auteur de la faute. La responsabilité dufait de l’agent d’exécution s’inscrit ainsi dans une tendance plus large tendant à la gestionsociale des risques (1). Dans ce cadre, une solution ambitieuse pourrait être une prise encharge de l’indemnisation des victimes par une branche de l’État-providence (2).

2.2.1 La socialisation des risques comme nécessité sociale

Le développement de la « société individualiste »304 s’est accompagné tout au long du XXe

siècle de la découverte de la fragilité de la personne humaine, « roseau le plus faible de lanature »305, dans un environnement caractérisé par la multiplication des risques. La société,dont le rôle se limite de plus en plus à la protection des individus les uns contre les autres,doit alors prendre en compte ces risques existentiels.

Ceci fut fait dans un premier temps par des phénomènes spontanés. Dès l’Antiquité,des solidarités furent mises en place entre travailleurs d’un même corps de métier306.Le système corporatiste se développa tout au long du Moyen-âge. Cette solidarité,organisée spontanément, fut progressivement institutionnalisée. Le calcul de probabilité et

l’esprit d’entreprise apparaissant à partir du XVIIIe siècle furent à l’origine des premièresentreprises d’assurance307. Celles-ci connurent jusqu’à aujourd’hui un développementrapide, encouragé par le mouvement d’industrialisation.

Si l’assurance permet une protection efficace du responsable contre un événement quipourrait le ruiner, elle ne profite cependant à la victime que lorsque l’auteur du préjudicequ’elle subit avait contracté avec une assurance – l’indemnisation est alors aléatoire. Quantau responsable, il ne profite en réalité de l’assurance qu’à condition d’avoir considéré ex antele risque auquel il pourrait être amené à faire face, et à condition qu’une société d’assuranceait accepté de contracter – ce qui exclut certaines hypothèses où l’estimation du risque est

304 Cf. par exemple : D. Riesman, The Lonely Crowd, Yale University Press, 1950 ; traduction française : « La foule solitaire »,Arthaud, 1964.305 B. Pascal, Pensées, Flammarion, 1993.

306 J.-N. Corvisier, Guerre et société dans les mondes grecs (490-322 av. J.-C.), Armand Colin, Paris, 2001, p. 246-247, citépar le Conseil d’État dans son Rapport public annuel 2005, op. cit., p.207. Un fonds d’indemnisation des accidents fut mis en placepar des tailleurs de pierre de la Basse-Egypte dès les années 1400 av. J.-C.

307 J. Peyrelevade, « Assurance », Encyclopaedia Universalis, tome III, p. 226.

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délicate, notamment les dégâts découlant de catastrophes naturelles308. Partant de cetteconstatation, le législateur a disposé des obligations de souscrire un contrat d’assurance.Cela a permis de réduire certains effets pervers309 et d’améliorer la protection des victimesdans certaines circonstances310. Mais ces aménagements ne sont sans doute pas unepanacée.

Le droit positif est encore dicté par la logique assurantielle. Dans ce cadre, il vaêtre tenté de dépasser l’insolvabilité potentielle d’un individu en rendant débitrice unepersonne morale : il y a une socialisation privée du risque. Ainsi en va-t-il manifestementde la responsabilité de l’administration, en particulier pour la faute personnelle « quin’est pas dépourvue de tout lien avec les fonctions » : reconnaître une responsabilité del’administration a pour fonction exclusive de protéger la victime.

Il peut en aller de même de la responsabilité du commettant, qui pourrait êtrevue comme constituant seulement une assurance du préposé vis-à-vis des victimes.Juridiquement, cela pourrait être expliqué par la présence, dans tout lien de préposition,d’un contrat tacite d’assurance engageant le commettant à garantir les dommages causéspar son préposé311. Dans la plupart des cas et en particulier dans tous les cas d’espèceà l’origine des arrêts Rochas et Costedoat, le préposé est un individu, potentiellementinsolvable, et le commettant est une société, a priori très solvable. Cependant, le systèmeassurantiel que constitue la responsabilité du commettant est incomplet puisque lecommettant ne remplit pas véritablement les conditions qu’une assurance doit remplir,notamment en termes de solvabilité312.

La solution présentée plus haut et consistant à lever l’immunité dont profite le préposélorsque le commettant n’est pas solvable pour protéger les intérêts de la victime313

s’inscrit encore dans la logique assurantielle. Si le commettant n’est pas capable d’assurerl’indemnisation de la victime, donc s’il ne présente pas la qualité requise pour être considérécomme l’assurance du préposé, ce dernier, réputé ne pas être « assuré » par le commettant,doit alors lui-même indemniser la victime de sa faute.

2.2.2 La vocation de l’État-providence ?308 Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.220.309 Il s’agit en particulier du phénomène de la sélection adverse : seules les personnes les plus exposées à un risque souscrivent

à un contrat d’assurance, ce qui renchérit le prix du contrat, décourageant encore plus les personnes les moins exposées au risque.Il y a là un véritable cercle vicieux, qui apparaît dès lors que les risques sont inégalement répartis entre les individus. Dans ce cas,seule l’obligation de souscrire un contrat d’assurance peut mettre fin. Cf. Denis Kessler, Risques, n° 59, juillet-septembre 2004, p. 88.

310 Par exemple dans le domaine des accidents de la circulation. Mais, déjà, la loi Badinter est allée au-delà du systèmeassurantiel, en mettant en place un fonds de solidarité nationale.

311 Du moins, il en irait ainsi dans le lien de préposition fondé sur un contrat – ce qui est le cas le plus fréquent.312 Une assurance doit nécessairement présenter des garanties de solvabilité. Ainsi, le livre III du Code des assurances définit

un ensemble de normes prudentielles et comptables que doivent respecter les entreprises d’assurance. Ces normes sont de plus enplus influencées par le droit communautaire. Ainsi, la directive « Solvabilité I » a été adoptée en 2002. Une directive « Solvabilité II »est actuellement à l’étude. Voir le bilan qui est fait de ces deux directives sur le site d’information de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/internal_market/insurance/solvency/index_fr.htm (Chemin d’accès: Commission européenne > Marché Intérieur> Assurances > Solvabilité et Solvabilité II) Sans respecter ces normes spécifiques aux entreprises, l’administration offre à la victimeune solvabilité au moins aussi sûre que celle offerte par les entreprises d’assurance. Il n’en va manifestement pas de même descommettants.

313 cf. p. 61s.

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Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution

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La logique assurantielle est manifestement insuffisante.D’abord, elle est insuffisante dans le cas particulier du commettant de droit privé,

puisque celui-ci ne comporte pas les garanties de solvabilité exigibles de la part d’unassureur. La solution pourrait bien entendu être améliorée à la marge. Ainsi, en copiantla solution pratiquée par les entreprises d’assurance qui consiste à se « réassurer »,les commettants pourraient être obligés de souscrire à une assurance civile exploitation,couvrant leurs préposés. La responsabilité pour autrui serait ainsi transmise à un débiteurplus sûr. Cependant, le lien de préposition pouvant apparaître même sans contrat, parune simple volonté d’aider son prochain, il est manifestement impossible de systématiserl’obligation d’assurance à tous les liens de préposition.

Ensuite, la logique assurantielle est insuffisante en général, puisqu’elle ne peutsatisfaire entièrement les besoins sociaux nouveaux de sûreté. La logique assurantielle nepermet pas de prendre en compte tous les risques. De plus, même lorsque la souscriptiond’un contrat d’assurance est rendue obligatoire, la logique assurantielle élude la possibilitéd’une fraude – le commettant qui ne s’assurerait pas, malgré l’obligation. Enfin, une sociétéprivée est toujours sujette à la conjoncture économique et au risque d’une faillite314.

Une prise en charge de l’indemnisation des victimes par les pouvoirs publics a étéinitiée en France, dans certains secteurs, par des mesures circonstancielles particulières etsouvent complexes. Ces divers mécanismes de prise en charge concernent notamment315

les dommages causés par les actes de terrorisme316, par l’amiante317, par la contaminationpar le virus du SIDA lors d’une transfusion sanguine318, etc. Récemment encore, la loi du4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a crééun Office national d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes etdes Infections Nosocomiales (ONIAM)319 visant à indemniser les victimes d’accidents nonfautifs320.

Souvent assimilés à tort à une responsabilité sans faute de l’administration, cesdispositions créent en réalité une intervention des pouvoirs publics, dans un domainegénéralement extérieur à l’activité de la puissance publique, en vue de la protection des

314 Les garanties de solvabilité des entreprises d’assurance sont basées sur des calculs de probabilité : il s’agit de « limiter laprobabilité de faillite des entreprises d’assurances », non de rendre cet événement impossible. Cf. l’analyse de J.-P. Rochet, « Quellesnormes de solvabilité pour les entreprises d’assurances ? », sur le site de la Fédération française des sociétés d’assurances : http://www.ffsa.fr/ . Les récents événements survenus à la Société générale, faisant suite aux déboires du Crédit lyonnais émaillant lesannées 1990, ainsi que la crise actuelle des « supprimes », doivent amener à relativiser la stabilité de toute société privée. Il en va enprincipe différemment de l’État, ne serait-ce que du fait de son pouvoir de définir lui-même les règles du jeu financier.

315 Pour une liste complète des fonds d’indemnisation, se reporter à : Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit.,annexe 2 p.347.

316 Article 9 de la loi du 9 septembre 1986 : création d’un Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autresinfractions.

317 Article 53 de la loi du 23 décembre 2000 modifié par la loi du 4 mars 2002 : création d’un Fonds d’indemnisation desvictimes de l’amiante.

318 Article 47 de la loi du 31 décembre 1991 : création d’un Fonds d’indemnisation des victimes contaminées.319 http://www.oniam.fr/320 Cette intervention du législateur fait suite à l’arrêt Bianchi qui instaurait une responsabilité sans faute du service public

hospitalier du fait de l’aléa thérapeutique : CE Ass. 9 avril 1993, RFDA 1993 p.574.

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victimes321. Ils sont souvent subsidiaires à des mécanismes classiques d’assurance : ainsien va-t-il, dans le domaine des accidents de la circulation, du Fonds de garantie desassurances obligatoires de dommage, qui n’indemnise la victime que lorsque l’auteur del’accident n’était pas connu ou n’était pas assuré. Ces fonds peuvent également exercerdes recours récursoires contre l’auteur du dommage322.

D’autres pays ont mis en place une véritable prise en charge de l’indemnisation desvictimes qui vaut immunité civile de l’auteur de la faute. Néanmoins, cette prise en chargesolidaire des victimes par l’ensemble de la société, qui pourrait fonder à terme une nouvellebranche de l’État-providence, est toujours limitée à un ensemble particulier de dommages.Ainsi en va-t-il, dans plusieurs États, des dommages causés par le terrorisme323.

Un des systèmes d’indemnisation des victimes les plus évolués a été développé enNouvelle-Zélande par une autorité publique en charge de l’indemnisation d’une gammeétendue de préjudices324. L’indemnisation profite à tout Néo-Zélandais, actif ou non, ainsiqu’aux visiteurs étrangers. Elle inclut un nombre important de dommages, notammentla totalité des frais des services d’urgence et de santé, la perte de revenus, la pertede chances professionnelles, mais également certains préjudices moraux comme celuirésultant d’agressions sexuelles. Surtout, il n’y a pas de condition relative à l’origine del’accident : il importe peu que quelqu’un ait commis une faute – l’indemnisation est duemême si la victime est elle-même fautive. Le fonds désintéresse ainsi les victimes qui, unefois indemnisée par le fonds, ne peuvent plus poursuivre l’auteur de la faute dont elles sontvictimes, si ce n’est, dans le cas d’une faute particulièrement grave, pour des « dommageset intérêts exemplaires »325.

De la sorte, la Nouvelle-Zélande, grâce au concept de la « responsabilité de lacommunauté »326, « a complètement quitté le sentier de la responsabilité pour faute, etavance sur la route de l’État-providence »327. Le fonds est divisé en sections financièresen principe indépendantes, chargées de gérer un danger particulier – par exemple lesaccidents de la route – et financés par une taxe particulière dont l’assiette est en rapportdirect – taxe sur la possession d’un véhicule motorisé, remplaçant l’assurance obligatoire.Le système, malgré son coût élevé de 1660 euros par an et par habitant328 qui représentent

321 Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.240322 Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.247. Ces actions récursoires sont pourtant peu pratiquées.323 Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.305. Outre l’Espagne, il en est ainsi en Israël, où le fonds est financé

directement par l’impôt – ce qui prouve que ce mécanisme peut fonctionner « à grande échelle ». Cf. Erwann Michel-Kerjouan, «Terrorisme à grande échelle : partage des risques et politiques publiques », Revue d’économie politique, septembre-octobre 2003, no 5.

324 Il s’agit d’un fonds géré par l’organise d’indemnisation des accidents (« Accident Compensation Corporation »), servicepublic (« Crown Entity ») néo-zélandaise. Sa création résulte de l’extension de la Sécurité sociale, de l’indemnisation de la maladie àcelle des accidents, achevée à la fin des années 1990. Cf. le site internet de l’institution : http://www.acc.co.nz/about-acc/index.htm

325 C’est ce qui ressort des arrêts Donselaar v. Donselaar [1982] 1 NZLR 97 et City Council v. Blundell [1986] 1 NZLR 732.326 « Community Responsibility », concept inventé par le « Woodhouse Report », Rapport de la commission royale présidée

par M. Woodhouse, publié en 1967 et inventant les grandes caractéristiques du fonds d’indemnisation des victimes.327 G. McLay, « Nervous Shock, tort and accident compensation : tort regained ? », in Victoria University of Wellington Law

Review, 1999, n°34, consultable sur internet : http://www.austlii.edu.au/nz/journals/VUWLRev/1999/34.html .328 Calculé d’après le coût global de 13,7 milliards de dollars néo-zélandais en 2007, rendu public dans le rapport annuel 2007

en ligne sur le site de l’ACC.

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plus de 9% du PIB, n’a pas freiné une forte croissance nationale329 et est d’autant pluspopulaire qu’il profite à chacun : près de la moitié de la population y a recours chaque année.

Une véritable prise en charge de l’indemnisation des victimes par la solidarité nationaleau sein de l’État-providence constituerait un progrès dans le sens de la sécurité individuelleet de la justice sociale. Elle résoudrait les difficultés insurmontables du système actueldont la principale caractéristique est de lier l’indemnisation à la responsabilité – obligeantla victime à trouver une faute pour être indemnisée. Elle mettrait fin, par conséquent, àd’incessants conflits que crée la recherche systématique de responsabilité et de faute, enpermettant à la victime d’obtenir la réparation d’un accident. Elle garantirait au mieux lesintérêts de la victime en lui faisant profiter d’une indemnisation rapide et systématique, maiségalement ceux des personnes que l’on tient aujourd’hui pour responsables. Le financementde ce programme pourrait être dicté par le principe : « de chacun selon sa faute, à chacunselon son dommage ». Ainsi, les sanctions pécuniaires permettraient d’alimenter, au moinspartiellement, un fonds dédié à l’indemnisation des victimes.

La construction d’une prise en charge solidaire des victimes constitue un enjeufondamental pour les sociétés modernes, qui pour autant ne doivent pas oublier laprévention des risques et la répression des infractions.

329 4% de croissance moyenne depuis le début des années 2000, ce qui est exceptionnel pour un pays industrialisé. Cf. lerapport de l’OCDE publié le 23 avril 2007, consultable sur : http://www.ocde.org

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Conclusion

Ce travail a mis en évidence le rapprochement de la situation des agents d’exécution en droitprivé et en droit public. La jurisprudence de la Cour de cassation, en particulier dans l’arrêtCostedoat, s’est inspirée de la théorie publiciste dite de la « faute de service », consacrantune immunité civile du préposé qui agit dans les limites de sa mission. A cette « faute deservice » de droit privé répond naturellement une « faute personnelle » dont le critère estl’abus de fonctions. Entre les deux existe, comme en droit administratif, une autre « fautepersonnelle » qui, parce qu’elle n’est pas dépourvue de tout lien avec la mission, engagela garantie du commettant, mais n’exclut pas la responsabilité du préposé – il y a là unparallèle évident avec la théorie publiciste du cumul de responsabilité.

Cependant, cette inspiration n’est pas une assimilation complète du régime de laresponsabilité du préposé à celle de l’agent public. La complexité et l’évolution constante dela jurisprudence administrative, en particulier concernant la frontière entre faute de serviceet faute personnelle, rend sans doute impossible un alignement complet du juge judiciaire.Par ailleurs, des différences demeurent, comme lorsque la faute de l’agent d’exécution estune infraction pénale. En réalité, il semble encore difficile de tirer toutes les conséquencesde la nouvelle jurisprudence civile, compte tenu du faible contentieux330 et des hésitationsdes différentes chambres331. Un nouveau revirement de jurisprudence ou une interventiondu législateur ne doivent d’ailleurs pas être exclus332.

Dans une approche plus globale, la nouvelle jurisprudence civile s’inscrit dans un largemouvement de rapprochement du droit administratif et du droit civil de la responsabilité. Les« règles spéciales » régissant la responsabilité des administrations, révélées depuis l’arrêtBlanco, tendent à devenir l’exception. Le droit civil pourrait à terme devenir véritablementle droit commun, malgré la prise en compte de certaines particularités de l’administration– notamment l’exercice de la souveraineté – par des règles dérogatoires. Cependant, unalignement exact des deux droits est impossible tant que demeure la dualité des ordresjuridictionnels. En effet, des divergences apparaîtront inéluctablement entre les deux coursde cassation, au moins du fait de la complexité de certaines questions juridiques liées à laresponsabilité.

La consécration d’une immunité de l’agent d’exécution pourrait également s’inscriredans une évolution socio-juridique de la responsabilité tendant à la déresponsabilisationde l’individu. Cette évolution est sous-tendue par le renversement du paradigmeanthropologique qui, depuis les Lumières, imaginait une volonté humaine autonome etsouveraine. Dès lors que l’homme n’est rien d’autre qu’un atome social, ricochant d’unévénement à l’autre sans véritable liberté, les fondements de la responsabilité individuelles’effritent. La « faute » est un élément normal de toute activité humaine : « personne n’estparfait ». Le « fautif », condamné à indemniser la victime, apparaît alors comme une victimepar substitution de sa propre imprudence. L’immunité de l’agent d’exécution peut ainsi être

330 Seulement quelques arrêts de cassation par an.331 Par exemple, quant à la levée de l’immunité en cas de faute pénale. Cf. 69.332 Ainsi, le projet Catala propose de réformer la solution de l’arrêt Costedoat, se détachant nettement de la jurisprudence

administrative pour prendre en compte la possible insolvabilité du commettant. Cf. p. 82s.

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Conclusion

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vue comme la protection de cette victime par substitution, par celui qui profite de son activité.Mais le commettant n’est-il pas, alors, une nouvelle victime par substitution ?

Ce qui semble de moins en moins acceptable, au final, c’est la part d’aléatoire dont laresponsabilité cherche à attribuer la charge à un responsable. Un instant de distraction, etl’agent d’exécution peut avoir ruiné son commettant : il y a là quelque chose d’injuste et desocialement inacceptable. Si celui-ci vient à ne pas être assuré, la victime ne sera d’ailleurspas indemnisée : là repose l’inefficacité d’une indemnisation qui repose exclusivement surune personne privée.

Le droit civil s’est certes inspiré des solutions du droit administratif, mais, justement,celles-ci n’étaient efficaces que dans les circonstances que le juge administratif a àconnaître. Devant le juge judiciaire, le commettant n’est pas une personne publique. Dece fait, la jurisprudence Costedoat n’a pas fourni de garantie équivalente à la victime :l’administration, elle, est toujours solvable. Elle n’a pas non plus réellement socialisé laprise en charge du risque : le commettant peut être une personne physique insolvable.Surtout, lorsqu’elle est mise en cause, la responsabilité de la personne publique incarnebien plus que la responsabilité de celui qui profite de l’activité : lorsque l’administration estcondamnée, c’est la solidarité nationale qui est mise en œuvre pour indemniser une victime.

Bien au-delà de la seule question du préposé et du commettant, la nouvellejurisprudence judiciaire met en évidence le besoin d’une sécurisation des parcoursindividuels face aux risques d’accidents au sein des sociétés industrialisées. Le changementde fondement de la responsabilité, de la faute au risque, ne répond à cette nouvelledemande sociale que de manière très insatisfaisante. Demeure, en effet, la soumission d’unpatrimoine à l’élément aléatoire du préjudice causé – même si la solution est moins injustelorsque le patrimoine est celui d’une personne morale. En définitive, seule une prise encharge solidaire des victimes d’accidents paraît à même de sortir de la recherche stériled’un bouc-émissaire – le fautif ou celui qui profite de l’activité du fautif.

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La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé

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Bibliographie

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Conseil d’État

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Cour de cassation

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Bibliographie

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Résumé

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Résumé

Le droit français a longtemps été marqué par la coexistence de deux régimes de laresponsabilité du fait de l’activité d’autrui, permise par la dualité des ordres juridictionnels. Ledroit civil connaît le principe de la responsabilité du commettant pour le dommage causé parson préposé dans l’exercice de ses fonctions (article 1384, aliéna 5 du Code civil). Le droitadministratif connaît, pour sa part, la théorie de la faute de service et de la faute personnellenon dépourvue de tout lien avec le service.

Quant à l’agent d’exécution, préposé ou agent public, sa situation était, pendantlongtemps, différente. En droit administratif, la faute de service décharge l’agent public detoute responsabilité, tandis que la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec leservice autorise un recours de l’administration condamnée contre l’agent. En droit civil,l’arrêt Costedoat du 25 février 2000 a considérablement modifié la donne en consacrant,sous certaines conditions, une irresponsabilité du préposé qui rappelle la faute de servicedu droit administratif. Des arrêts postérieurs ont dessiné un domaine intermédiaire entreresponsabilité du commettant et responsabilité personnelle du préposé, équivalent à la« faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service ».

Cette aliénation de la responsabilité s’inscrit par ailleurs dans un mouvement plus largede déresponsabilisation de l’individu. Il est ici soutenu que, pour véritablement contenterle besoin actuel d’une socialisation des risques, une extension de l’Etat-providence estnécessaire, selon le principe : « de chacun selon sa faute, à chacun selon son dommage ».