la résidence d'artiste en milieux scolaire et éducatif
DESCRIPTION
Les actes du colloque « La résidence d'artiste en milieux scolaire et éducatif. Pratique et recherche"TRANSCRIPT
Enfance, Art et Langages
ACTES DU COLLOQUE | 24 et 25 septembre 2013 | FRANCE – BELGIQUE - QUEBEC
La résidence d’artiste
en milieux scolaire
et éducatif
- pratiques et recherches –
Remerciements
Enfance, Art et Langages remercie ses invités pour la qualité de leur
interventions, ainsi que les partenaires et équipe sur place qui ont permis la
tenue de ce colloque.
Ce colloque s’inscrit dans le cadre de la Convention de recherche 2012-14 qui lie :
Enfance, Art et Langages - Caisse des écoles de Lyon
La DSDEN du Rhône
Université Claude Bernard - Lyon 1 - ESPE
Université Lumières - Lyon 2 - Équipe d'accueil Éducation Cultures et Politiques
L'Institut Français de l'Éducation
Organisateurs
Christine Bolze et Marion Gronier pour EAL ainsi que : Alain
Kerlan, Jean Paul Filiod, Christian Lallier, Luc Trouche, Nicolas
Favelier et Claudine Potok
Partenaires
Ville de Lyon, Caisse des écoles de Lyon - Enfance,
Art et Langages, Institut Français de l'Éducation,
Université Lyon 1 - ESPE, Université Lyon 2 -
Laboratoire Éducation Culture et Politique et Centre
Max Weber (UMR 5283) et le Ministère de la Culture
et de la Communication. En partenariat avec la
DSDEN du Rhône, l'Opéra de Lyon et l'École Normale
Supérieure de Lyon
Réalisation des actes
Jean-Paul Filiod, Alain Kerlan, Christian
Lallier, Christine Bolze, Caroline Bruguière,
Nadège Galakhoff
Montage vidéo
Mélodie Tabita, Christian Lallier
Sommaire
SOMMAIRE 2
INTRODUCTION 3
LE PHENOMENE RESIDENCES D’ARTISTE 4
Alain Kerlan L’entrée des artistes 4
LES RESIDENCES EN RECHERCHE 12
M. Evreux L’Opéra à l’École 12
F. Carraud Classe artistique : Quelle influence sur le travail enseignant ? 15
C. Choquet De la boîte noire au troisième espace 34
M-C Le Floch Le projet MUS-E® À Lille 41
J. P. Filiod Résider en résidence - Un détour par l’espace 49
S. Necker Evaluer l’EAC en partenariat ! Etude de cas 56
M. Lemonchois La participation d’élèves à la création d’un conte avec professionnels 62
N. Montoya Réflexions comparatives sur les résidences d’artiste : vers la fin d’une
rhétorique de l’exception ? 82
ARTS ET ARTISTES A L’EPREUVE DE LA RESIDENCE 95
M. Buscatto Le travail artistique en mutations - Dynamiques et tensions 95
Table ronde L’art et l’artiste au risque de la résidence
C. Lallier avec A. Damani, C. Hurtig-Delattre, C. Llobet et M. Mercier 104
Dialogue Alain Kerlan, dialogue et interview avec Christian Ruby 106
Table ronde Des formes esthétiques entre « œuvre » et « production »
J. P. Filiod avec J. Lefebvre, D. Cerclet et E. Eudes 107
CLOTURE 110
Marie-Christine Bordeaux, Grand témoin du colloque 110
ANNEXES 122
Les annexes contiennent une bibliographie ainsi que des fiches expériences
décrivant la majorité des dispositifs artistiques cités dans ces interventions,
n’hésitez pas à vous y référer.
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Introduction
Les 24 et 25 septembre 2013 s'est tenu à Lyon un colloque intitulé : La résidence d'artiste en
milieux scolaire et éducatif – pratiques et recherches-
Ces journées de réflexions organisaient la rencontre et surtout l'échange entre artistes,
pédagogues et chercheurs. Venus de différents pays de la francophonie, les intervenants se sont
ainsi concertés sur la place centrale qu'occupent les résidences d'artistes et sur leurs impacts
dans les milieux éducatifs. Deux journées riches en hypothèses et débats que nous vous
présentons dans ces Actes numériques.
Afin de faciliter votre lecture, voici un rappel des contenus approchés :
Ouverture par Alain Kerlan : L'entrée des artistes.
La première journée a été dédiée aux résidences qui ont été abordées sous deux
angles : la présentation fine et illustrée de dispositifs avec sept exemples français,
belges et québécois (en annexe), puis les observations et analyses des chercheurs qui
les ont étudiées. Chacune de ces interventions a été transcrite dans ce document dans la
partie Les résidences en recherche.
La deuxième journée a privilégié l'approche artistique des résidences. Aussi, après une
conférence de Marie Buscatto sur les mutations de ce travail artistique et un dialogue
entre les philosophes Alain Kerlan et Christian Ruby, trois tables rondes se sont
succédées pour mieux appréhender les notions de risque, d'œuvre et de production…
Les travaux de cette journée ont été filmés et montés pour ces actes et sont introduits dans la
partie Arts et Artistes à l’épreuve de la résidence ; vous trouverez dans ce document des liens vers
les vidéos en question.
Observatrice attentive des journées de travail, Marie-Christine Bordeaux a tenu le rôle
de grand témoin du colloque et en a fait la synthèse dans sa conférence de clôture.
Actes du Col loque : Le phénomène rés idences d’art iste
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Le phénomène résidences d’artiste
L’entrée des artistes
ALAIN KERLAN , philosophe, professeur des universités en Sciences de l’éducation
à l’Université Lumière – Lyon 2
La préoccupation du commencement, de
l’incipit, est sans doute commune au travail
artistique et à l’exercice philosophique, et
plus largement à l’exercice de la pensée et
de l’expression, quel qu’en soit le matériau.
Un titre à cet égard n’est pas une étiquette
apposée après-coup. J’ai choisi d’intituler
cette conférence introductive d’un colloque
consacré aux résidences artistiques en
milieu éducatif : « L’entrée des artistes », et
non pas, par exemple : « Des résidences
artistiques à l’école, pourquoi comment ? ».
Je voudrais brièvement m’en expliquer, dans
la mesure où ce choix n’engage pas
seulement la forme, mais bien aussi le fond
de mon propos.
Par où commencer ?
Le choix de placer ce colloque sous cette
expression : « l’entrée des artistes », n’obéit
pas au seul plaisir d’une métaphore
circassienne. Encore que… L’art à l’école,
c’est tout de même un sacré cirque dans la
classe ! Dans la forme scolaire ! J’entends
encore l’exclamation d’une professeure des
écoles exerçant dans une école maternelle
accueillant un artiste en résidence dans le
cadre du programme Enfance, Art et
Langages (EAL) : « Quand je vois comment
l’artiste travaille, je me demande si son cerveau est
vraiment fait comme le mien ! ». Déclaration
pleine d’humour, et qui évoquera à nombre
d’entre nous quelques souvenirs, mais dont
l’humour fait état d’une expérience
marquante, et significative.
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L’expérience de la résidence, l’expérience
partagée de la résidence, voilà ce qui me
semble constituer le point d’entrée le plus
approprié dans les questions et les
réflexions que voudrait aborder notre
colloque. En effet, et nous le verrons très
vite, la toute première caractéristique des
résidences qui nous réunissent est leur
diversité, multipliée de surcroît par la
diversité des expériences qu’elles suscitent,
diversité qui décourage par avance et rend
vaine toute tentative de définition préalable.
Se saisir d’une diversité,
et non la réduire
Mon intention toutefois n’est nullement
d’éviter la notion de « résidence », elle va
être au contraire incessamment interrogée,
illustrée, mise en perspective ici même
pendant deux jours. Il s’agit d’éviter l’écueil
du formalisme ou du nominalisme. Auguste
Comte lui-même, père comme on le sait du
positivisme, dénonçait cette pratique
consistant à commencer une réflexion ou un
exposé par une définition générale de leur
objet. Il qualifiait non sans humour cette
pratique de « dogmatisme puéril ». Nous
buterions inévitablement sur cet écueil si
nous prétendions définir d’emblée ce qu’est
« une résidence artistique en milieu
scolaire », et si nous nous enfermions dans
la recherche d’une définition préalable et
canonique. Il y a de fait sous le même terme
des pratiques fort diverses, et c’est cette
diversité et cette effervescence qui doivent
être préservées.
Ce que dit la charte nationale
Il existe vous le savez une « charte nationale »
concernant les résidences d’artistes, qui fait
l’objet d’une circulaire parue en mars 2010.
Son intitulé exact est le suivant : « Charte
nationale : la dimension éducative et
pédagogique des résidences d’artistes ». Elle
distingue :
- La résidence de création ou d'expé-
rimentation, qui développe une activité
propre de conception d'une œuvre et
des actions de rencontre avec le public
de façon à présenter les éléments du
processus de création tout au long de
l'élaboration de l'œuvre. Sa durée est
variable, de plusieurs semaines à
plusieurs mois, et elle n'aboutit pas
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nécessairement à un spectacle, une
exposition ou une publication.
- La résidence de diffusion territoriale,
qui s'inscrit en priorité dans une
stratégie de développement local,
selon deux axes : diffusion large et
diversifiée de la production des artistes
et actions de sensibilisation.
- La résidence association, qui
correspond à une présence artistique
dans un établissement culturel, sur
une durée de deux à trois ans. Elle a
une triple mission de création, de
diffusion et de sensibilisation.
Une école, un collège ou un lycée peut
accueillir des artistes en résidence. Cette
modalité particulière est appelée « résidence
en établissement scolaire ».
Nous avons bien lu : pour la charte et dans sa
façon de peser les mots, la résidence en milieu
scolaire est une modalité de la résidence
association, avec sa triple mission. Nous
l’aurons bien constaté : jusque dans son titre,
cette charte pèse méticuleusement ses termes
entre d’un côté le langage de la « résidence »,
qui est celui de l’art et de la culture, pas celui
de l’école, et le langage de l’école et de
l’éducation, lequel stricto sensu ignore le
terme comme la notion de « résidence ».
Au-delà de la définition :
le mot et la chose
Distinguons donc le mot et la chose. Cette
affaire des « résidences artistiques en milieu
scolaire » me semble comporter deux enjeux,
lesquels bien entendu s’entrecroisent. Il y a
bien un enjeu du côté des mots, de la
dénotation comme de la connotation des
mots, le choix même du terme « résidence »
est au cœur de cet enjeu, mais il y a tout
autant un enjeu du côté des choses sous les
mots, et les choses, entendons par là les
pratiques et les dispositifs dans leur diversité
sous la même étiquette.
Ce que cette notion de « résidences
artistiques en milieu scolaire » nous invite à
interroger, c’est donc ce carrefour, ce
croisement où les chemins de l’art et les
chemins de l’éducation en viennent à se
rencontrer et s’interpénétrer. C’est ce
carrefour que je me propose d’examiner.
* * *
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Posons donc à nouveau la question :
Pourquoi aujourd’hui des artistes à l’école ?
Pourquoi « l’artiste en tant qu’artiste » comme
partenaire éducatif, sinon recours éducatif ?
L’artiste et/ou l’enseignant
Je voudrais ouvrir cette réflexion en
rapportant un cri du cœur. Pas le mien. Il
s’agit du cri du cœur d’une enseignante en
arts plastiques. La scène se situe à
Beaubourg, en janvier 2007, lors d’une des
dernières sessions d’un important colloque
international consacré à l’évaluation des
activités artistiques et culturelles.
Silencieuse peut-être jusque-là, et à l’écoute
des communications issues du monde
entier, une participante avait pris la parole
pour ne poser qu’une seule mais
douloureuse question : « Mais nous autres,
professeurs d’arts plastiques, que devenons-nous
dans tout cela ? ». Il n’avait été question, au
cours ces journées, en effet, que des artistes
et des dispositifs d’éducation artistique
faisant appel aux artistes.
Cette question, ce désarroi, je ne l’ai
pas entendu comme une demande
« pédagogique » ou « didactique ». Ce
professeur ne se serait nullement satisfait
d’un discours sur le partenariat, qui avait
d’ailleurs été largement exposé. Non. Sous
l’inquiétude bien compréhensible, se tenait
un constat assez simple mais décisif et
même « stupéfiant », « scandaleux », au sens
étymologique : ce dont il avait été question,
et ce dont il est aussi question dans ce
colloque lyonnais, ce n’est pas de la place et
du rôle de l’art en éducation, à l’école, mais
bel et bien de l’entrée de l’artiste en tant
qu’artiste dans le champ éducatif, dans le
domaine des missions de l’école.
Je crois que c’est en effet une bonne question :
« Pourquoi des artistes à l’école ? Et pourquoi
aujourd’hui » ? « Pourquoi des artistes dans
l’école par les temps qui courent ? »
Je ne prétends pas y répondre, mais à l’orée
de ce colloque, je me propose d’ouvrir au
moins quelques pistes.
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Une première piste :
sous le signe partagé de l’esthétique
Je ne développerai pas la première piste, elle
veut simplement rappeler que ce qui nous
occupe s’inscrit dans un mouvement
général, dans une dynamique d’ensemble
affectant l’éducation et l’école, non sans
relation avec la société et la culture dans son
ensemble : la montée en puissance d’un
certain nombre de valeurs ou de dimensions
que l’on peut qualifier de façon générale
d’esthétique : redécouverte du sensible, du
corps, de l’imagination, de l’émotion, de la
singularité… Autant d’éléments en effets
plus proches du vocabulaire de l’art et de
l’esthétique que de celui de la rationalité
scientifique. Il m’est arrivé de théoriser ce
mouvement en avançant l’hypothèse d’un
basculement du modèle éducatif, longtemps
et encore assez largement d’inspiration
rationnelle-scientifique, vers un « modèle
esthétique en éducation ».
Cette considération générale ne répond pas
toutefois à la question angoissée de mon
professeur d’arts plastiques. Pourquoi des
artistes « en chair et en os » ? Cette question
ouvre la seconde piste.
Une seconde piste :
l’artiste « à la place » de l’enseignant ?
Je me contenterai sans trop de commentaires
de vous soumettre quelques réponses :
Une première réponse à minima : celle
d’Erutti, plasticienne, qui a été en résidence
à EAL : Seul un artiste peut introduire l’élève,
l’enfant, dans une véritable expérience
esthétique, l’enrôler dans une authentique
démarche artistique, parce que lui seul
l’habite pleinement. Réponse discutable
sans doute, qui fait trop l’impasse sur le
partenariat, mais qui a le mérite de nous
mettre en face d’interrogations
dérangeantes mais incontournables : L’appel
aux artistes vise-t-il à « mieux faire » ce que
l’enseignant seul ne peut accomplir, ou à
faire « autre chose, autrement » ? Ne
désigne-t-il pas en creux l’existence d’une
limite inhérente à l’enseignement dès lors
qu’il s’agit du pouvoir éducatif de l’art ?
La réponse de Gérard Garouste : Interrogé
sur l’apport de l’artiste à ces élèves en
difficultés accueillis par des artistes en
résidence à La Source, lieu éducatif créé par
le peintre, Gérard Garouste m’avait fait la
réponse suivante : « Ce que l’artiste apporte
d’abord ? Une nécessaire et salutaire
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déstabilisation. Ce n’est pas l’absence de normes,
mais la capacité à produire, travailler, déplacer la
normativité qui importe… ». Un propos
qu’explicitait une autre réponse,
métaphorique, comparant les rôles et les
places comparatives de l’artiste et de
l’enseignant aux pièces de l’échiquier.
L’artiste a tous les privilèges de la diagonale
du Fou, voire ceux de la Reine (le Fou est
néanmoins choisi pour sa portée
métaphorique, on l’aura compris), tandis que
l’enseignant se trouve consigné au pré-carré
du Roi, au champ-clos royal. Esthétiquement,
si je puis dire, le maître-roi est nu…
Je pourrai enfin emprunter à Marc Le Bot, ou
du moins envisager à partir de ses propos
sur l’art, une troisième réponse, pas très
éloignée de celle de Garouste, à première
vue : « J’appelle art, déclare Le Bot, ces effets
de perturbation que l’artiste produit dans un
langage par ailleurs très normalisé, et par lesquels
il rompt la communication. Il n’y a rien à
comprendre. Il s’agit d’affronter ».
Les objets de l’art constituent une
protestation qui s’oppose aux modes
habituels de perception et de
compréhension. Et donc du même coup,
ajouterai-je, une sorte de machine de guerre
contre la logique scolaire, le règne de
l’expliquer/comprendre.
Une troisième piste :
le Cheval de Troie dans la forme scolaire
Une troisième piste pourrait s’appeler méta-
phoriquement « la piste du Cheval de
Troie » : l’artiste dans l’école contre l’école,
pour desserrer - voire défaire - l’étau de la
forme scolaire.
À suivre cette piste, on est aussitôt appeler
à être attentif à ce que « l’entrée de l’artiste »
inéluctablement bouscule dans l’école.
Ses effets sur la forme scolaire. Il s’agit
d’effets spatiaux, temporels, relationnels,
déjà bien documentés, et qu’on retrouvera
assurément dans les communications et
discussions de ce colloque.
Dans cette perspective, à un premier niveau,
nous pourrions analyser l’entrée des artistes
dans l’école comme un processus de
« déscolarisation », de « dé-disciplinarisation »
des arts. Ce n’est pas là quelque chose
d’anodin, bien au contraire. Cela touche
nécessairement à la nature même de l’école,
ou plus exactement de la forme scolaire.
Cela peut être lu comme l’indice d’un
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changement profond, certes encore
souterrain, voire marginal, qui fait signe vers
une autre école…
À un second niveau, dès lors, nous touchons
à des processus et à des enjeux qui
débordent de beaucoup l’enjeu de
« l’éducation artistique », puisqu’ils
concernent le devenir de l’école elle-même,
du modèle éducatif, et procèdent d’une
vision critique et d’une visée de rupture avec
l’état des choses. L’artiste pour changer
l’école, pour changer une école qui doit
changer, mais ne peut changer par elle-
même. C’est la lecture maximale que je
proposerai de la politique éducative des arts
menée un temps par Jack Lang. L’image du
cheval de Troie, donc. Et une réponse à mon
professeur d’arts plastiques.
L’art d’aujourd’hui,
l’école d’aujourd’hui :
des préoccupations en partage
Reste toutefois au moins une question,
ouvrant une quatrième piste : mais pourquoi
les artistes en tant qu’artistes « y vont-ils » ?
Pourquoi l’art contemporain est-il aussi un
art engagé dans l’école ?
Les pistes précédentes oublient une donnée
essentielle. Elles n’interrogent pas du côté
des artistes eux-mêmes. Pourquoi en effet
les artistes d’aujourd’hui acceptent-ils -
voire même revendiquent-ils - d’entrer dans
l’école ? Pourquoi « y vont-ils » ? Comment
comprendre ce double mouvement, de
l’art(iste) contemporain vers l’école et le
champ éducatif, d’artistes « en « demande
d’école », d’un côté, et de l’école en
demande d’art(tistes) contemporains, de
l’autre ?
Voici la thèse que je défendrai : Si l’art et les
artistes d’aujourd’hui sont impliqués et
sollicités dans le champ éducatif, si même ils
s’y engagent, c’est parce qu’il y a dans l’art
d’aujourd’hui et la démarche artistique
d’aujourd’hui, qu’elle se déploie sur le plan
visuel, sur le plan émotionnel, ou sur ceux
de l’énergie ou de la pensée, quelque chose
qui touche aux questions et aux problèmes
éducatifs aujourd’hui majeurs, quelque
chose qui touche « à la source de
l’éducation » pour notre monde. L’art et
l’éducation ont en commun des questions et
des problèmes majeurs.
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Ces questions, ces problèmes, me semblent
graviter autour de trois points : 1) l’individu,
le sujet « comment éduquer, former le sujet
aujourd’hui ? Comment se « fabrique » le
sujet contemporain ? 2) la créativité, la
création, et derechef l’origine : que recouvre
la demande de création et de créativité qui
concerne aujourd’hui chacun ? 3) la norme,
la loi : comment fabriquer de la norme et de
la normativité tout en invitant chaque sujet à
« être lui-même » ? Qu’est-ce que l’art a à
nous apprendre là-dessus ?
* * *
Je m’en tiendrai là, puisqu’il s’agit d’ouvrir
et de baliser notre espace de recherche. Ce
ne sont en l’état que des pistes. Je ne doute
pas que vos communications et nos
échanges les croiseront plus d’une fois.
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Les résidences en recherche
L’Opéra à l’École
MARIE EVREUX , Opéra de Lyon, chargée de médiation culturelle
Un projet artistique
L’Opéra à l’école est un projet artistique et
culturel initié à la rentrée 2011 par l’Opéra de
Lyon pour une durée de trois ans dans une
école élémentaire et un collège de Vénissieux.
Le projet se construit autour de deux axes :
Des ateliers de pratique artistique menés
par sept artistes, mêlant, en écho à la
nature de l’opéra, la musique, le théâtre,
la danse et les arts plastiques ;
Des activités de découverte de l’Opéra :
rencontres et ateliers avec des artistes et
des techniciens, spectacles et épétitions.
Le projet est piloté par le pôle
de développement culturel de l’Opéra, en
partenariat avec l’Éducation Nationale et
la ville de Vénissieux. Il reçoit le soutien
financier et matériel de plusieurs mécènes :
la Fondation d’entreprise Total, la Fondation
d’entreprise France Télévisions et l’entreprise
Clairefontaine.
Un projet d’étude
Une équipe de l’Institut Français
de l’Education (l’IFÉ) accompagne les acteurs
du projet en réalisant une étude, L’Opéra aux
Minguettes, qui comporte deux volets :
Une étude de terrain à travers la
méthodologie de l’observation filmée
des interactions sociales, portée par
Christian Lallier ;
Une enquête compréhensive portée par
le Centre Alain Savary construite à partir
d’une démarche d’observation et
d’analyse sur ce qui se vit et ce qui se
joue au cours de cette expérience du
point de vue des professionnels engagés
dans l’action et des élèves. Cette enquête
s’appuie sur l’observation et l’utilisation
d’outils de la recherche en sciences
sociales : enquêtes par questionnaires,
entretiens et groupes de travail.
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Le pôle de développement culturel avait déjà
travaillé avec des équipes de recherche lors
de la réalisation des projets participatifs
Kaléidoscope 1 et 2.
La question de la commande d’une
évaluation et de son financement se pose
désormais en amont des projets et la
formulation des attentes s’affine.
Les attentes de l’Opéra pour ces études sont
les suivantes :
Apport méthodologique afin d’aider les
parties prenantes (artistes, opérateurs
culturels, partenaires) à prendre du recul
tout au long de la mise en œuvre du projet ;
Confirmer des intuitions, réajuster
certaines propositions en cours de projet ;
Capitaliser sur les éléments de réflexion
mis en avant par les chercheurs pour
construire de nouveaux projets.
Ce projet d’étude a pour objectif de valider
ou d’amender les postulats de départ du
projet. Il croise les problématiques et
questionnements des différents acteurs
(institutions culturelles, éducatives, tutelles)
dans le but de préciser les impacts d’une
action culturelle et artistique d’ampleur
à l’école sur :
- les participants et les cadres d’actions ;
- l’organisation des enseignements et
les méthodes d’apprentissage ;
- les dynamiques de partenariat ;
- les processus de création artistique,
les pratiques des artistes.
L’étude tend à évaluer la traduction de ces
postulats dans le réel, avec une finalité
opérationnelle : quels éléments favorisent la
réussite du projet ? Comment faire évoluer le
dispositif ?
Au terme de deux années de projet, des
points de satisfaction se dégagent :
La relation partenariale construite entre
l’équipe de recherche, l’Opéra et les
enseignants soutenue par un retour
régulier sur l’avancée de l’étude
contribue à instaurer la confiance et le
dialogue entre tous les acteurs.
Le partage des observations et les
questions des chercheurs sur les
pratiques sont des apports essentiels
pour prendre du recul et remettre en
perspective les actions et ce qui les fonde.
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Toutefois des questionnements subsistent :
La présence de chercheurs contribue à
nourrir des attentes qui ne sont pas
réalistes (justification « scientifique »
d’une plus-value d’une action artistique
à l’école par exemple), dans un contexte
où l’on encourage une vision utilitaire
des pratiques culturelles.
Les temporalités de la recherche et des
établissements culturels ne sont pas les
mêmes : travailler sur des études
d’impact dans un calendrier d’action
contraint (les trois ans du projet) s’avère
complexe et induit une étude des
impacts à moyen terme uniquement.
Pour en savoir plus :
- Sur le projet l’Opéra à l’école : www.opera-lyon.com
- Rapports de recherche : rapports intermédiaires de l’IFE et rapports d’études relatifs aux
projets Kaléidoscope. Contacter Stéphanie Petiteau et Marie Evreux : [email protected]
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Classe artistique expérimentale au collège : Quelle influence sur le travail ordinaire des enseignants ?
FRANÇOISE CARRAUD , maître de conférence en Sciences de l’Education ISPEF,
Université Lumière – Lyon 2
Des artistes à l’école :
source d’innovation et d’amélioration ?
Les résidences d’artistes en milieu scolaire,
comme les différents partenariats avec des
artistes, sont souvent présentés comme des
innovations pédagogiques, innovations qui
sont elles-mêmes envisagées comme des
« améliorations » du système scolaire qui
pourraient, voire devraient, produire des
effets positifs sur les résultats scolaires des
élèves, notamment ceux qui sont les plus en
difficultés. Cette question de l’amélioration du
système et de la progression des résultats des
élèves au regard des évaluations nationales et
internationales est épineuse. Elle est souvent
mise sur le devant de la scène politique et
médiatique qui parle aussi d’efficacité,
d’efficience voire de productivité de l’école.
Elle est renforcée par les problèmes
d’insertion sociale et professionnelle des
élèves devenus adultes.
Depuis des décennies, les gouvernements
successifs ont produit et mis en œuvre des
réformes de multiples natures avec pour
objectif explicite une meilleure efficacité du
système et, plus ou moins implicitement, une
visée de transformation des pratiques
enseignantes. Comme si ces pratiques
professionnelles étaient déficientes, comme si
elles étaient à l’origine des mauvais résultats
des élèves. Or les chercheurs qui ont étudié ces
réformes et leurs effets, ne peuvent toujours
mettre en évidence des relations de causalité
entre ces transformations organisationnelles,
didactiques ou pédagogiques et les résultats
des élèves, et ne peuvent guère statuer sur leur
efficacité (ou inefficacité).
Cela ne signifie certes pas qu’il n’existe
aucune relation entre ces évolutions,
transformations ou innovations et les
résultats scolaires des élèves, cela ne signifie
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pas non plus, comme certains le prétendent,
que les enseignants résisteraient à tout
changement et empêcheraient toute
progression du système. Mais la multiplicité
des variables qui influent sur les réussites ou
échecs scolaires, leurs différents liens et
interconnexions, le rôle des contextes
éminemment variables et influents eux-
aussi, rendent difficile la mise en évidence de
facteurs favorisant, de manière avérée et
univoque, la réussite scolaire de tous les
enfants, quels que soient leurs milieux
sociaux et familiaux.
Pour autant, à l’heure actuelle, l’innovation ou
l’expérimentation pédagogique, les pratiques
innovantes sont, non seulement mises à
l’honneur (avec certes beaucoup d’ambiguïtés),
mais aussi prescrites par l’institution elle-
même : voir notamment l’article 34 de loi
d’orientation de 2005, mais également le rôle
du DRDIE (Département de la Recherche et du
Développement, de l’Innovation et de
l’Expérimentation) institué au sein de la
DGESCO, et des CARDIE (Conseillers
Académiques Recherche-Développement,
Innovation et Expérimentation). Dans le Vade-
mecum Innover pour une école des réussites
(rédigé par le DRDIE), il est noté que :
« Les démarches d’innovation et d’expérimentation
relèvent de la conduite du changement dans un
système complexe ».
Ainsi les projets de ces résidences d’artistes
sont toujours motivés par un effet escompté
sur les résultats scolaires des élèves soit
directement, soit indirectement par la
modification des pratiques pédagogiques des
enseignants. C’est pourquoi la plupart des
projets prévoient des évaluations, et
notamment la mesure des résultats des
élèves. Mais certains prévoient également de
mesurer les effets de ces résidences sur les
pratiques enseignantes, car comme le disent
les acteurs : « On sait que tout cela coûte très
cher ». Mais le malentendu est parfois grand
car tous les enseignants n’anticipent pas de
la même manière ces changements
professionnels : la plupart estimant que la
présence d’artistes, les pratiques artistiques
réalisées par les élèves sous la conduite
d’artistes, ou encore les sorties, visites ou
spectacles artistiques peuvent combler un
écart culturel, apporter aux enfants des
formes de prérequis culturels leur permettant
de mieux suivre et acquérir les apprentissages
proprement scolaires, sans qu’il soit pour
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autant nécessaire de modifier les dispositifs
de ces apprentissages scolaires.
C’est dans ce contexte général que peuvent
être étudiées les résidences d’artistes en
milieu scolaire et notamment le travail de la
classe artistique expérimentale du collège de
La pinède1.
Un collège, une expérimentation
et une recherche
Ce collège intégré au programme ECLAIR
scolarise un peu plus de 500 élèves,
population largement issue de l’immigration
et marquée par un fort taux de chômage. Les
résultats scolaires sont inférieurs d’environ
20 % à la moyenne départementale. Les
enseignants (une soixantaine) sont peu
nombreux à rester au-delà de quelques
années. Mais il existe un noyau stable,
composé d’enseignants expérimentés, dont
l’équipe engagée dans ce projet.
Le projet de la classe artistique expérimentale
est dû à l’initiative d’une association
1Le nom du collège a été transformé afin de respecter l’anonymat et la confidentialité des enquêtés, comme le veut
la déontologie des sciences sociales (même si cet anonymat est parfois difficile à tenir, notamment dans le cas de
recherches réalisées dans le cadre de projets expérimentaux, et subventionnées par des commanditaires qui
souhaitent rendre publiques leurs actions).
2Présentation du projet sur le site internet de l’association.
3Idem
départementale visant le développement de la
danse et de la musique et soutenue par le
Conseil Général. Il a été proposé au rectorat de
l’académie, qui a recommandé ce collège, et il
est soutenu par plusieurs organismes et
fondations. Il a « pour objectif d’intégrer les
pratiques artistiques dans un projet pédagogique
transdisciplinaire pour favoriser la réussite scolaire
et éducative de l'élève. […] prévenir les difficultés à
l’école et développer l’ambition scolaire »2.
Il vise aussi à « transformer les pratiques
professionnelles » : « […] La fréquentation
régulière des artistes et la confrontation
permanente des démarches pédagogiques et
artistiques obligent à une grande ouverture d’esprit
et à beaucoup d’inventivité pour tirer le meilleur
parti d’une relation forcément complexe. Les effets
sont prioritairement attendus du côté des
enseignants mais concernent aussi nécessairement
les artistes »3.
L’observation, l’étude et l’évaluation
scientifiques de cette expérimentation,
comme l’accompagnement et le suivi du
projet, prévus dès l’origine par les initiateurs,
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sont assurés par une équipe de cinq
chercheurs du laboratoire Éducation, cultures
et politiques, issus de disciplines de
recherche distinctes : Alain Kerlan
(philosophie de l’éducation), spécialiste de
l’art à l’école, coordonne l’ensemble ; Céline
Choquet (dans le cadre de sa thèse de
doctorat) étudie les résultats du dispositif sur
les parcours des élèves tout au long des
quatre années de collège ; Marie-Christine
Pipérini (psychologie de l’éducation)
s’intéresse à l’évolution de l’estime de soi des
élèves inscrits dans cette classe ; Samia
Langar (dans son mémoire de master 2) a
rendu compte de l’influence de cette
expérimentation sur les familles et leurs
relations à l’école ; et moi-même qui travaille
sur les questions de professionnalité
enseignante à partir des théories de l’activité.
C’est ainsi que depuis le début de
l’expérimentation (en 2009), je cherche à
comprendre les effets de ce dispositif de
classe artistique sur le travail des
enseignants : ce dispositif modifie-t-il le
travail ordinaire des enseignants ? Si oui de
4Les Formes de l'expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, 337 p. (page 11)
quelle manière ? Quelles sont les influences
majeures ? Pour quelles conséquences ?
La démarche est de type ethnographique : il
ne s’agit pas d’une évaluation au sens
habituel du terme mais d’une description
détaillée de l’activité ordinaire et du sens que
les acteurs donnent à cette activité. Comme
le dit l’historien Bernard Lepetit ma première
question est « comment ça marche ? » et non
« pourquoi cela ne marche-t-il pas
mieux ? »4. Dans ce sens l’évaluation n’est
pas réalisée de l’extérieur, elle n’est pas
produite par les chercheurs indépendamment
des acteurs : elle est dévolue aux acteurs
eux-mêmes. Ce sont eux qui évaluent, c’est-
à-dire qui déterminent la valeur de leur
activité : quel sens, quelle valeur donnent-ils
à leur activité professionnelle dans ce
contexte spécifique de travail qu’est la classe
artistique expérimentale, au sein d’un collège
situé dans un quartier sensible c’est-à-dire
en difficulté économique et sociale ?
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L’organisation de la classe
artistique…
La mise en œuvre du projet a nécessité une
organisation rigoureuse élaborée par les
enseignants eux-mêmes en 2009-2010.
Pour que les élèves suivent chaque semaine
deux ateliers artistiques de trois heures
chacun (soit deux demi-journées dans la
semaine), sans avoir un emploi du temps plus
chargé que celui des autres classes de
sixième, le nombre d’heures de cours de
chaque discipline a été réduit sur l’ensemble
de l’année scolaire (au prorata de leur part
respective dans l’emploi du temps). Les
enseignants, tout en ayant moins d’heures de
cours avec les élèves de cette classe, doivent
cependant effectuer l’ensemble de leurs
heures de service, c’est pourquoi ils sont
alternativement présents pendant les temps
d’ateliers conduits par les artistes (en fonction
du nombre d’heures « abandonnées » au
profit de ces ateliers)5. À cela s’ajoutent des
temps de résidences ou de mini-résidences
avec les artistes (et auxquels assistent les
enseignants concernés), des journées de
5Cette « présence » a fait l’objet de nombreuses discussions et reste un point névralgique du projet : quel est le rôle
de l’enseignant pendant ces ateliers ? Quelle posture ? Quelle influence sur le travail des artistes (en sachant que
tous les enseignants sont amenés à être présents à des différents moments de l’année, quel que soit leur degré
d’engagement dans le projet) ? Quelle influence sur le travail en classe des enseignants ? Sur les relations entre
enseignants et artistes ? C’est sur ces points que nous poursuivons notre étude (cf. deuxième partie de ce texte).
formation pour les enseignants avec les artistes,
des temps de réunions hebdomadaires, et de
nombreuses visites et spectacles pour lesquels
les enseignants accompagnent les élèves.
Les pratiques artistiques, les artistes et leurs
compagnies ont été choisis par le collectif
des enseignants et des commanditaires du
projet : en classe de 6ème, il s’agissait de
danse contemporaine ; en 5ème, de théâtre et
d’écriture ; en 4ème, musique et écriture (avec
le même écrivain que l’année précédente) ; et
en 3ème (2013-2014) une compagnie de
théâtre a mêlé différents arts : écriture,
théâtre, musique, vidéo… L’enquête n’ayant
pas porté sur le processus de choix de ces
compagnies et de ces artistes, il est difficile
de dire précisément comment et sur quels
critères ils ont été élus.
D’une certaine manière, les projets artistiques
ou culturels font partie de l’histoire de ce
collège : dans les entretiens, les enseignants
évoquent leur goût pour le travail à plusieurs qui
les encourage à demeurer dans l’établissement.
C’est ainsi qu’ils ont immédiatement adhéré au
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projet proposé par un de leurs collègues (ancien
dans l’établissement) et ont œuvré à constituer
une équipe complète pour une même classe.
Ceci ne doit pas faire oublier que tous les
enseignants de la classe artistique (une
douzaine) ne sont pas engagés au même
niveau : tous ne participent pas à toutes les
réunions ou aux temps de formation, mais ils
ont tous, d’une manière ou d’une autre, accepté
le principe et l’organisation de cette classe.
… et de la recherche correspondante
L’enquête concernant les enseignants et leurs
pratiques professionnelles, est principalement
basée sur des entretiens individuels, avec
quelques moments d’observation, notamment
pendant les réunions collectives.
En 2010-2011 : dix entretiens ont été
conduits, avec cinq enseignants
différents, à deux moments dans l’année
scolaire (décembre et juin).
En 2011-2012, deux longs entretiens
(début juillet) avec deux enseignants
différents : l’un nouvellement entré dans
le projet et l’autre déjà interviewé l’année
précédente et moteur du projet (tous
deux s’apprêtant à quitter le collège).
En 2012-2013 : quatre entretiens avec
des enseignants nouvellement engagés
dans le projet.
Et juin 2014 : neuf entretiens, avec la
quasi-totalité de l’équipe enseignante.
Ces entretiens, qui durent entre une
heure et une heure trente, portent
toujours sur l’activité concrète des
enseignants.
Le questionnement général et les principales
questions de recherche concernent le travail
ordinaire dans le contexte de cette classe
artistique expérimentale : le fait de travailler
au sein d’une équipe d’enseignants enrôlés
dans le même projet, de se réunir très
régulièrement avec des collègues et avec
différents acteurs intervenants dans ce
projet, de déléguer une partie de son temps
de travail à des artistes, sur des temps
scolaires, tout en participant à ces temps de
pratique artistique, contribue-t-il, ou non, à
modifier ou à transformer les pratiques
ordinaires de ces enseignants, au sein de
leurs propres classes ? Le fait de participer
aux ateliers artistiques, de voir les élèves
engagés dans des pratiques artistiques
impulsées et coordonnées par des artistes,
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de les accompagner lors de spectacles, ou à
l’occasion de leurs propres prestations
publiques, a-t-il une influence sur le travail
ordinaire de ces enseignants ?
Pour traiter ces questions, pour saisir et
analyser d’éventuelles transformations du
travail ou des pratiques professionnelles
ordinaires des enseignants, il importe de
clarifier le sens donné aux expressions « travail
ordinaire » ou « pratique professionnelle
ordinaire ». Notre intérêt, ancien, pour le
travail ordinaire et quotidien des enseignants
est ancré dans le concept de
« professionnalité » définit à partir des travaux
du sociologue Aballéa (1992) pour qui la
professionnalité est un système de normes et
de valeurs en acte. Ce terme, venu de l’italien
professionalità, utilisé dans les années
soixante-dix par les syndicats italiens des
usines FIAT, désigne un patrimoine commun
que les ouvriers veulent défendre et faire
reconnaître, une somme de connaissances,
de capacités et expériences. Ainsi la
professionnalité suppose un métier, une
expertise (des savoirs et des cod’mpétences)
et un système de références normatives ou de
valeurs (déontologie, éthique), un univers
moral. En effet, la professionnalité prend en
compte l’histoire de l’individu (son histoire
personnelle, sociale, technique et culturelle)
et s’intéresse aux systèmes de références,
valeurs et normes que cet individu met en
œuvre au cours de son activité
professionnelle. C’est dans ce sens que nous
utilisons ce terme ici.
Pour saisir cette professionnalité comme
système de normes et de valeurs en acte,
nous nous intéressons aux discours des
enseignants sur leur activité concrète. Il ne
s’agit pas de faire apparaître et de récolter
des représentations, ou des discours de
rationalisation sur le travail, mais de faire
raconter le travail par le détail, par le menu,
pour, à partir du récit de l’activité même,
saisir les normes du travail qui sont en jeu et
ce que à la suite de Schwartz (1997) nous
appelons les processus de re-normalisation
du travail, en situation et en contexte.
La recherche étant en cours, les résultats sont
encore partiels et provisoires : ils concernent
tout d’abord le travail enseignant au sein
de la classe puis, dans un second temps,
ils traitent du travail des enseignants au sein
des ateliers de pratiques artistiques conduits
par les artistes.
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Premiers résultats :
à propos du travail
enseignant dans la classe
« Éviter d’instrumentaliser
les pratiques artistiques »
Le travail enseignant comporte différentes
dimensions : notamment préparer les cours,
les mettre en œuvre tout en assurant
l’organisation et le contrôle du groupe classe,
ou encore évaluer les acquisitions des élèves. À
ces principaux aspects, assez bien connus et
répertoriés par les chercheurs, s’ajoutent des
activités invisibles ou cachées, mal connues :
des tâches matérielles, organisationnelles ou
encore relationnelles ou émotionnelles.
Ainsi, les entretiens conduits la première
année ont fait apparaître que la classe
artistique expérimentale ne modifiait pas, ou
peu, le travail ordinaire et habituel des
enseignants en ce qui concerne le travail de
conception des cours. Au-delà des
adaptations, habituelles pour eux, les
enseignants semblent d’abord s’accorder sur
le fait que travailler avec cette classe
particulière ne nécessite pas de modifications
spécifiques. Le risque d’« instrumentaliser »
ou de « scolariser » le travail artistique est
souvent évoqué collectivement et repris
individuellement. Les enseignants craignent
de stériliser les apports de la classe
artistique en les faisant coïncider avec
les préoccupations scolaires liées aux
programmes et progressions. Comme si les
bénéfices attendus pour les élèves risquaient
d’être perdus ou gâchés par cette forme
scolaire qui, si elle est implicitement acceptée
comme cadre (ou « genre ») de leur propre
travail, est tout aussi implicitement refusée,
du moins en partie, quand il s’agit
d’autres types d’apprentissages, notamment
de nature artistique.
La plupart des enseignants affirment
cependant « faire des ponts » ou des liaisons
entre le contenu des ateliers et leurs
enseignements, selon le degré de proximité
entre la discipline enseignée et la pratique
artistique (EPS et danse, usage de la langue
anglaise en lien avec des artistes anglais,
etc.), et notamment en cours de français, qui
est bien revendiqué comme une matière
artistique parce qu’elle « travaille sur la
sensibilité ». Mais il faut « faire attention à ne
pas surinvestir l’atelier d’objectifs
pédagogiques ». Encore une fois, il s’agit
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d’éviter de « pédagogiser » ou « didactiser »
les activités artistiques, de les conformer à
une forme scolaire qui serait stérilisante. Dans
le même temps, le travail des artistes, qui ne
se conforme pas à ce modèle, déstabilise
quelque peu le travail des enseignants. Pour
nombre d’entre eux, il semble que l’absence
de programmation, le fonctionnement « un
peu trop improvisé », ont été gênants. Même
si les enseignants se sont « adaptés », cela les
a parfois empêchés de « faire des liens avec la
classe » et les apprentissages, en vocabulaire
par exemple.
Les entretiens conduits les années suivantes
n’ont pas démenti cette volonté de ne pas
trop remettre en question la conception et le
déroulement des activités scolaires, des
cours et des apprentissages disciplinaires. Il
ne faut cependant pas sous-estimer les effets
de la classe artistique sur le temps scolaire et
l’organisation même des cours (qui sont
passés de cinquante minutes à une heure
trente)6. Ainsi il apparaît que le projet de la
classe artistique et la participation des élèves
à des ateliers de pratiques artistiques
plusieurs heures par semaine, sur le temps
6Voir Carraud, F. (2012). « Expérimentation dans un collège ECLAIR. Le travail enseignant entre logique scolaire et
logique artistique ». In Sociologies Pratiques, n° 25, Le collège en question : des professionnels au cœur des tensions.
habituellement consacré aux cours,
bousculent bien le travail des enseignants,
fortement normalisé par la forme scolaire et
ses exigences en termes de programmes,
programmations et progressions. Mais les
tensions ou contradictions entre
l’organisation et la mise en œuvre les
activités artistiques et les activités scolaires,
bien ressenties par les enseignants, ne
semblent pas affecter leur propre activité
professionnelle et leur adhésion à la forme
scolaire comme genre professionnel.
Des transformations relationnelles
dans la conduite de la classe
Quelle que soit la discipline concernée, les
enseignants décrivent une « manière de faire
cours traditionnelle, magistrale »,
« classique ». Il s’agit d’abord de reprendre le
travail fait à la maison et demandé lors du
cours précédent (leçons ou exercices), puis
de mener une réflexion, individuelle et
collective, à partir de textes, de documents
ou d’exercices, pour stabiliser (le plus
souvent par écrit) des connaissances qui
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devront ensuite être apprises ou appliquées
dans un exercice pour le cours suivant. À
chaque fois, le travail demandé est noté au
tableau et copié par les élèves dans leur
agenda. Le fait de travailler en équipe a
permis aux enseignants d’expliciter et
d’adopter cette « procédure » pour toute
l’année. Dans ce cadre relativement stable,
les manières de conduire le groupe et les
individus quant à elles sont toujours
instables, sujettes aux aléas des interactions
et des humeurs individuelles et collectives.
Et ce sont ces activités professionnelles, liées
aux relations des enseignants avec les élèves
ou des élèves entre eux, qui ont été le plus
transformées par la classe artistique
expérimentale.
Trois ensembles de transformations peuvent
être identifiés : les changements d’ordre
politique (le « vivre ensemble »), les
changements d’ordre psychologique ou affectif
(l’« estime de soi »), les changements d’ordre
cognitif ou comportemental (la « curiosité » et
le « goût de l’effort »).
D’une manière générale, les enseignants
constatent que les élèves sont beaucoup
moins enclins à la moquerie que dans leurs
classes habituelles : ils se respectent mieux
et osent davantage intervenir en cours à
l’oral, ils lèvent le doigt et participent
volontiers, ce qui crée une dynamique de
classe plus agréable pour les enseignants.
Dans le même registre, et en lien avec la
dimension précédente, les enseignants
constatent que ces élèves sont plus assurés :
ils ont davantage confiance en eux et osent
s’exprimer, ils sont également plus à l’aise
dans leur corps et vont plus volontiers au
tableau. Enfin, s’agissant des apprentissages,
les enseignants ont remarqué que ces élèves
sont plus curieux, ouverts et intéressés par
les nouveaux apprentissages. Parfois certains
estiment même que ces élèves sont plus
exigeants et qu’il faut leur proposer des
activités plus riches (par exemple, en anglais,
des chansons d’un autre niveau). Tous les
enseignants interrogés trouvent les élèves
plus épanouis, plus ouverts, plus autonomes
et plus engagés dans le travail scolaire.
Mais, au-delà de ces convergences, la
question de l’autorité et de la discipline
scolaire reste un point d’achoppement.
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Respecter et faire respecter
l’ordre scolaire
En effet, tout au long des années de
déroulement du projet, quels que soient les
enseignants et les artistes, les exigences
d’ordre et de discipline (silence, immobilité,
etc.) et les injonctions relatives à ces
exigences ont fait l’objet de divergences
entre ces deux groupes professionnels. Et si
les écarts entre le travail des artistes et celui
des enseignants n’ont, finalement, que peu
interrogé le travail enseignant relatif aux
contenus d’enseignement et à leur
organisation, ils ont été bien plus difficilement
vécus, par rapport aux modes de régulation de
la relation pédagogique et aux contrôles
corporels et comportementaux. En effet, c’est
au niveau de la discipline comme norme de
régulation, que les écarts ont pu être perçus
et vécus comme de réelles divergences,
désaccords assez vivement dénoncés, même
à mots couverts, tant par les enseignants que
par les artistes7. Dans le même temps, le
projet de la classe artistique a donné une plus
grande visibilité à ces normes disciplinaires
7 Quelques entretiens menés avec les artistes, par des collègues, ont montré que ces artistes étaient eux-mêmes en
désaccord, voire en conflit, avec les attitudes et les pratiques des enseignants.
8 La notion de « sale boulot », formalisée par le sociologue Hughes, a été reprise par Payet à propos de l’école (1997)
et nuancée par Barrère (2003).
qui, souvent, restent en partie dans l’ombre
du « sale boulot »8. Cette visibilité a aussi
implicitement contribué à re-normaliser
collectivement des normes souvent intégrées
comme individuelles. Plusieurs enseignants
ont longuement relaté comment, le fait de
voir le travail des artistes, ou d’autres
collègues, le fait de constater leurs
différentes manières de contrôler le groupe
et de faire respecter l’ordre scolaire, a
influencé leur propre conception de la
discipline et de la régulation des
comportements des élèves. D’autres ont
davantage insisté sur les écarts de perception
et d’intervention. Cette question de la gestion
de la discipline, de la mise au travail des
élèves et de leur engagement dans l’activité
est particulièrement visible lors des d’ateliers
eux-mêmes. Ainsi ces temps de pratiques
artistiques ont-ils fait l’objet d’investigations
plus poussées lors des entretiens réalisés la
seconde et la troisième année.
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Des résultats en cours de
formalisation : le travail des
enseignants au sein des ateliers
de pratiques artistiques
Lors des ateliers de pratiques artistiques (qui
se déroulaient pendant une à deux demi-
journées par semaine), les enseignants
étaient toujours présents (en fonction de
leurs heures de service). En règle générale, si
ces ateliers étaient conduits par un (ou
plusieurs) artistes, un enseignant était
également présent pendant la première
partie (qui durait une heure trente) et un
autre durant la seconde partie (qui durait
aussi une heure trente). Chaque enseignant
ne restant présent lors des ateliers que
durant quelques mois. Ceci sans oublier la
présence régulière des chercheurs et autres
observateurs, ainsi que celle des
commanditaires du projet. Au final, plusieurs
adultes, ayant des statuts et des rôles très
distincts, étaient présents en même temps,
dans un même lieu, avec le même groupe
d’élèves.
La présence des enseignants était donc
obligatoire (puisque effectuée dans le cadre
de leur service d’enseignement), mais elle
n’était que très peu organisée, prévue,
planifiée, aucune tâche n’étant « prescrite ».
Et, lors des entretiens, la plupart des
enseignants disent leur malaise : leur
sensation de ne rien avoir à faire, de ne pas
travailler et même « d’être payés à ne rien
faire ». Pourtant, lorsqu’ils décrivent, en
détail, leur activité, celle-ci apparaît riche et
variée, même si elle n’est pas « prescrite ».
Ainsi, peu à peu, en fonction des contextes et
des artistes intervenant, à partir du travail
qu’ils ont l’habitude de réaliser, les
enseignants « inventent » de nouvelles
formes de travail qu’ils adaptent en situation.
Comme le résume l’un d’entre eux : « Petit à
petit, je me suis rendu compte que mon travail
c’était d’être là, ce n’était plus un souci… ».
Au fil des entretiens, cette formule, « Être là »,
renvoie nécessairement à différentes façons
d’être là, à différents rôles et différentes
postures qui peuvent être entremêlés. Ainsi
les enseignants veulent à la fois « garder [leur]
rôle de prof » et « délaisser [leur] position », ce
qui est « un peu difficile » disent-ils. Ainsi ils
peuvent « jouer » plusieurs rôles en même
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temps (« conjuguer les rôles ») ou passer de l’un
à l’autre en explorant toutes les nuances d’un
continuum qui va du rôle de prof à celui
d’élève en passant par celui d’artiste,
d’entraineur ou de coach.
Rôle de prof
Tous les enseignants signalent qu’ils doivent
« être prof » pour tout ce qui concerne
l’organisation du travail des élèves : « tout ce
qui est institutionnel ne concerne pas les
artistes » dit l’un d’eux. Ainsi ce sont eux qui
vont chercher les élèves dans la cour, font
l’appel (avec parfois des difficultés
techniques quand l’ordinateur de la salle
prévue pour les ateliers ne fonctionne pas),
font installer les élèves (en demandant de
poser les cartables, les vêtements, ou de les
récupérer à la fin), s’attachent à obtenir le
calme, etc. Plusieurs expliquent qu’ils
organisent, et parfois prennent eux-mêmes
en charge, un rituel pour débuter la séance,
pour faire du lien avec les séances
précédentes.
En tant que professeurs, ils se sentent
chargés de la discipline et estiment devoir
faire respecter et régner l’ordre scolaire. Ce
point est sujet à controverses, nous l’avons
vu. Tous les enseignants s’interrogent :
quand doivent-ils intervenir pour ramener le
calme ? Le font-ils trop ou trop peu ? Même
s’ils en discutent avec les artistes (et avec
leurs collègues) les seuils de perception du
désordre sont très variables : selon les
enseignants, selon les artistes, selon les
jours, les « moments de flottement, de
bazar » sont jugés graves ou pas. En effet,
cette perception du désordre, imminent ou
avéré, varie non seulement d’un individu à
l’autre mais aussi d’un jour à l’autre, selon
les contextes et les situations, en fonction de
ce qui a pu se passer les heures ou les jours
précédents, dans la classe, dans le collège,
dans le quartier. De même, les modalités
d’intervention pour assurer ou retrouver le
calme peuvent varier : depuis le petit
claquement de lèvres presqu’imperceptible,
les haussements de sourcils ou le regard
appuyé en direction d’un élève, jusqu’au
déplacement physique vers un de ces élèves
pour le morigéner, le mettre à l’écart,
l’exclure ou le punir, ou seulement le
maîtriser par une présence proche, en
passant par les remontrances collectives, les
propos moralisateurs ou les menaces…
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Les gestes professionnels destinés à
contrôler les individus et le groupe, parfois
infimes ou minuscules, sont extrêmement
nombreux. Si tous les enseignants n’usent
pas des mêmes gestes dans des situations
qui peuvent sembler proches, tous se sentent
investis de cette mission de contrôle et de
surveillance.
Du côté des artistes, il semble que les
interventions des enseignants soient souvent
embarrassantes, voire importunes ou
envahissantes (mais aucune enquête
rigoureuse n’a été faite sur ce point, et les
discours et perceptions doivent également
différer selon les personnes et les contextes).
Alors que pour les enseignants, il apparaît
clairement qu’ils doivent agir, que c’est leur
rôle : « Je sentais qu’il fallait que j’intervienne, que
je prenne la parole et là c’était mon rôle de prof ».
Pour certains, il est même de leur devoir de
« donner ou transmettre son autorité » à l’artiste :
« lui donner son autorité, il me semblait que ça
passait par moi », par exemple en lui faisant
sentir qu’ils sont tous deux « sur la même
longueur d’ondes ».
« Être prof » cela peut être aussi reprendre des
éléments du travail fait en atelier lors des cours
ordinaires, nous avons vu que c’était assez
rare. Malgré tout cela existe, de manière
discrète, et si les effets à long terme sur leur
travail ordinaire sont difficilement mesurables,
ils ne sont pas négligeables. « Être prof » c’est
encore réexpliquer, reformuler les consignes :
rester auprès de petits groupes ou d’élèves
particuliers, et redire ce que l’artiste a
demandé à tous, redire, répéter, encore et
encore… Tout en stimulant les élèves, en les
motivant, en les engageant dans les activités
proposées et veillant à maintenir cet
engagement, motivation ou intéressement. Ce
travail de reformulation et de stimulation
pourrait conduire à jauger et corriger les
élèves, mais si les enseignants sont présents
pour aider et accompagner, ils ne s’autorisent
pas à juger ou évaluer. Par une forme d’accord
tacite, les pratiques d’évaluation des
apprentissages artistiques, paroles ou gestes,
sont réservés aux artistes. Les enseignants
peuvent évaluer, corriger ou punir les
comportements inadéquats mais pas les
activités artistiques. Dans ce sens ce travail
d’accompagnement individualisé des élèves ou
des petits groupes, renvoie davantage à un rôle
d’entraîneur, voire de coach, qu’à un rôle
d’enseignant au sens strict.
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« Être coach »
Un coach est aussi un entraîneur, un mentor
ou un conseiller, un accompagnateur9. Dans
ce sens les enseignants expliquent être
souvent dans cette position de celui qui donne
des conseils, qui aide individuellement, qui
encourage : « qui entoure l’élève dans ce qui lui est
demandé ». Ce travail d’accompagnement
personnalisé, de coaching, est rarement
effectué par les enseignants dans leur classe,
quand ils doivent faire cours, contrôler le
groupe et l’engager dans le travail scolaire.
Alors que, durant les ateliers, un enseignant
explique de manière détaillé qu’il « n’est pas
entraineur mais capitaine », c’est-à-dire membre
du groupe, chef d’équipe : « celui qui dit qu’il
faut y aller, qu’il faut pousser la montagne » et que
les élèves suivent par mimétisme. Cette
attitude de coach, à mi-chemin entre le prof
qui enseigne, qui réexplique et reformule, et
l’artiste qui dirige le groupe et le travail,
glisse aussi, imperceptiblement vers le rôle
d’élève. Et tous les enseignants rencontrés
ont, à un moment ou un autre, endossé ce
rôle d’élève.
9Voir Rey (2012). Dictionnaire historique de la langue française.
« Jouer à l’élève »
La plupart des enseignants (sauf ceux qui se
sont refusés à « jouer le jeu » mais c’est resté
exceptionnel et momentané) se sont, à divers
moments, volontairement enrôlés comme
élèves, notamment lors des échauffements :
comme les élèves ils peuvent enlever leurs
chaussures, s’asseoir par terre, faire des
exercices corporels ou d’écriture, danser,
jouer d’un instrument… Et ne craignent pas de
perdre leur autorité ou prestige de prof en
faisant cela. Parfois, quand les élèves
préparaient un spectacle ou une
représentation théâtrale, certains enseignants
ont également choisi de « remplacer »
des élèves : « […] et donc là je m’asseyais sur une
chaise, je savais pas trop quoi faire, qui dire […]
j’étais un peu mal à l’aise […] je trouvais que j’étais
assez inutile […] et puis je me suis mis à remplacer
les élèves absents ». Et cet enseignant de
poursuivre : « Et alors du coup j’ai ressenti ce que
ressentaient les enfants, j’étais comédien à ce
moment-là, ça a donné de l’énergie au groupe, un
groupe qui n’était pas facile ».
Beaucoup d’enseignants se sont
complètement mobilisés, engagés, immergés
dans l’activité proposée par l’artiste et se
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sont sentis « à égalité » avec les élèves. Ils ont
alors éprouvé des émotions fortes, partagé
des « moments uniques », « inoubliables » avec
certains d’entre eux. Ce qui peut être analysé
comme un « partage du sensible10 », une
expérience esthétique, sensorielle et
émotionnelle commune, est souvent évoqué
à propos de la préparation des productions
publiques des élèves (et de ce qui leur
apparaît comme une mise en danger
publique) ou encore au sujet des spectacles
auxquels ils ont assisté ensemble11.
Mais « être élève » reste un jeu, un jeu qui
même profondément émouvant, a ses
limites : non seulement les enseignants
savent percevoir où les artistes veulent les
conduire, quand ils ne connaissent pas par
avance le déroulement ou les objectifs de
l’activité (que les élèves ignorent), mais
surtout ils peuvent choisir de « ne pas se livrer,
ne pas s’engager ou s’exposer à titre personnel ».
Ils « n’exposent pas leur intimité », ils « ne
mettent pas en jeu leur personnalité » alors qu’ils
ont le sentiment que c’est ce que les artistes
10Rancière, J. (2000).
11Ce point sera travaillé ultérieurement à la suite des derniers entretiens conduits (juin 2014) : le partage d’émotions
fortes (entre enseignants et élèves), à l’occasion de la classe artistique, influence-t-il le travail ordinaire et la
professionnalité des enseignants ?
12Ce point, important, sera également discuté ultérieurement : le choix d’activités ou de pratiques artistiques liées à
l’art contemporain a-t-il une influence sur le travail des enseignants, dans la classe et dans les ateliers ? Les pratiques
artistiques personnelles des enseignants ont-elles aussi une influence ?
peuvent demander aux élèves (ce qui parfois
les interroge vivement12). De plus, même en
participant de manière active et engagée aux
activités proposées par les artistes, les
enseignants restent toujours vigilants pour
contrôler le groupe et les écarts disciplinaires
éventuels : « [participer comme un élève] ne
m’interdisait pas de faire une remarque à un élève si
nécessaire […] je gardais ce statut d’enseignant, là ».
Et pour garder ce statut d’enseignant et faire
des remarques aux élèves, il leur fallait
endosser, souvent en même temps, un autre
rôle : celui d’observateur.
Un double rôle pour toujours
rester observateur
En effet, tous les enseignants expliquent que,
tout en faisant les échauffements ou les
exercices demandés par les artistes (danse,
écriture ou autre), ils font un effort
d’observation des élèves pour à la fois réagir,
intervenir si besoin, mais aussi et
principalement pour mieux comprendre
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l’activité de leurs élèves et également en
rendre compte : « moi j’avais un double rôle,
même en théâtre je ne prenais pas de notes mais je
me souvenais et je notais juste après tout ce qu’il
s’était passé » ; « et en écriture je notais pendant,
et je faisais l’atelier ». Ils prennent donc souvent
des notes, font des comptes rendus pour leurs
collègues. Pour observer ils ne restent pas
toujours immobiles, assis dans un coin de la
pièce, ils se déplacent et, quand ils sont auprès
des élèves ils peuvent également les aider
(mais aussi rester silencieux à côté d’eux).
Et l’on voit bien de quelle manière les
différents rôles assumés par les enseignants
lors des ateliers peuvent se chevaucher ou
s’imbriquer, s’entrecroiser parfois même se
contredire car, s’ils sont toujours
enseignants, ils sont aussi « coachs »,
« élèves », « observateurs », « animateurs »
disent-ils parfois ou encore « assistants » :
autant d’activités qui dépassent, qui
débordent le travail ordinaire. Ces activités
ne sont pas codifiées, ni par les programmes,
ni par la formation, ni même par le métier (au
sens d’un collectif professionnel). Elles ne
sont pas formalisées et restent toujours à
« inventer » au fur et à mesure, à ajuster en
situation en fonction des contextes et des
personnes. Elles engagent les enseignants
dans une re-normalisation de leur travail, au
moment des ateliers, et sans doute aussi, de
manière discrète, au moment des cours,
même s’ils continuent de conduire les
apprentissages de la même manière et de
suivre les mêmes programmes.
Avant de conclure, provisoirement, il est
intéressant de développer quelque peu un
autre rôle : celui d’assistant de l’artiste.
Assistant de l’artiste
Assurer l’organisation matérielle, maintenir
la discipline, garantir l’ordre scolaire, faire le
lien avec l’institution, etc., autant d’activités
qui, tout en relevant du métier d’enseignant,
sont aussi des tâches qui complètent, aident
ou assistent les artistes qui en sont dégagés.
Mais, au-delà de cette répartition des tâches,
qui place les enseignants au service des
artistes et qui peut s’analyser en termes de
division sociale du travail, certains
enseignants cherchent à assister les artistes
dans la conjugaison de leur travail artistique
et pédagogique. La mise en œuvre de cette
intention et de cette assistance, qui n’est pas
sans ambivalence et ambiguïté, demande
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beaucoup de temps et de disponibilité et va
au-delà des exigences ordinaires du temps
de travail enseignant. En effet, cela nécessite
beaucoup de rencontres, formelles et
informelles, de longs temps de discussion
(avant ou après les ateliers), des entretiens
téléphoniques qui semblent essentiels à
certains enseignants qui envisagent même
des préparations communes avec certains
artistes. Ainsi, même si c’est de manière
marginale et est particulièrement lié aux
individualités (enseignants comme artistes),
certains enseignants se placent volontiers
aux côtés des artistes pour travailler « avec »
eux. Ils cherchent alors à bien comprendre
les intentions, démarches et propositions des
artistes, tout en désirant, plus ou moins
explicitement, les « rapzprocher » des
enseignants, en leur suggérant d’adopter une
démarche plus pédagogique avec des
objectifs (« une direction ou un cap », « être dans
une idée de programme »), et des propositions
« moins complexes, plus lisibles ». Ainsi cette
position d’assistant, assurée et assumée par
les enseignants, qui tend à les mettre dans
une position de dépendance par rapport aux
artistes, est parfois en tension avec la posture
13 Voir Dubet, F. (2006). Injustices. L’expérience des inégalités au travail.
et le statut d’enseignant, et l’autonomie
recherchée dans le travail13. Si aucun
enseignant ne revendique la posture
d’artiste, certains, parfois, cherchent à être
des « collègues », « à égalité » avec eux. Cette
question de l’égalité, ou plutôt de l’inégalité
des statuts sociaux (et économiques) des uns
et des autres, est essentielle même si elle
toujours passée sous silence à propos des
résidences d’artistes en milieu scolaire. Elle
devrait être (et sera) davantage travaillée
pour mieux mettre à jour, analyser et
comprendre les tensions et contradictions
entre les professionnels dans leur travail
quotidien dans les établissements.
Conclusion
Pour conclure provisoirement, il faut insister
sur le fait que la participation des
enseignants aux activités artistiques
proposées aux élèves leur permet de
partager des émotions, par exemple quand
un artiste interpelle un élève qui se tient à
l’écart et parvient à le faire s’exprimer, ou
quand les élèves parviennent à improviser et
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« sont vraiment dans une démarche artistique ».
Plusieurs enseignants sont encore vivement
émus quand ils en parlent. Cette émotion et ce
partage des émotions peuvent être analysés
d’un point de vue sociologique : le travail
émotionnel, le travail sur ou avec les
émotions, même s’il est caché ou invisible, fait
bien partie du travail enseignant et doit être
analysé comme tel. C’est une des dimensions
de la professionnalité enseignante qui fera
l’objet de nos prochaines réflexions.
Sans négliger le fait que ces émotions
artistiques adviennent dans le cadre de l’art
contemporain et que le rapport des
enseignants à cette forme d’art, comme leurs
propres expériences et pratiques artistiques,
réalisées dans leur vie personnelle, ont une
influence sur leur travail au sein de cette
classe artistique expérimentale.
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De la boîte noire au troisième espace
CELINE CHOQUET , doctorante en Sciences de l’Education, Université Lumière – Lyon 2
La présentation suivante repose sur un
observatoire de résidences d’artistes dans
une classe artistique de collège, située à
Montpellier. Nous présenterons quels sont
les effets de l’art sur les jeunes, les aptitudes
et facultés stimulées par l’éducation
artistique et particulièrement la relation
entre les élèves et les artistes.
Durant la dernière décennie, les pratiques
artistiques et culturelles dans le champ
socio-éducatif prennent de l’importance au
niveau international et particulièrement en
France, dans des écoles principalement
situées dans des quartiers fragilisés au
niveau socio-économique. Cependant, il
existe peu de recherches qui permettent une
véritable évaluation des effets de l’éducation
artistique de manière à mieux comprendre
les processus qui s’y créent.
De nombreux constats étonnent et parfois
émerveillent les acteurs de tels projets : le
travail avec l’artiste conduit l’enfant à des
performances inattendues voire « hors
normes ». Ces remarques subjectives voire
excessives pour certaines ne nous interrogent
pas moins sur ce qui se joue objectivement au
sein de l’expérience esthétique partagée avec
l’artiste et, en son centre, une relation enfant-
adulte en pleine mutation.
Le terrain de notre recherche se situe dans
une classe artistique expérimentale, un
projet longitudinal de quatre ans,
permettant aux élèves de rencontrer des
formes d’art diverses et des artistes aux
approches différentes au sein du collège. Les
enfants ont atelier toutes les semaines et
sont en immersion trois jours par trimestre
dans des centres culturels (CCN, théâtres…).
En 6ème, la résidence s’est tournée vers la
danse (6h/semaine) pour commencer avec la
compagnie Les Gens du quai, dirigée par
Anne Lopez ; en 5ème, les enfants ont abordé
le théâtre avec la compagnie de L’Astrolabe
de Nicolas Pichot (3h/semaine) et l’écriture
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avec Jean-Daniel Dupuy (1h30/quinzaine) ;
en 4ème, l’expérience de l’écriture a été
prolongée et le théâtre a fait place à la
musique avec Maguelone Vidal (3h/semaine)
et enfin en 3ème, l’année tourne autour d’une
approche d’« art total » avec la compagnie de
Mathias Beyler (3h/semaine), abordant le
théâtre, la danse, la musique, la radio,
l’écriture, la poésie...
Nous avons régulièrement des remarques
venant des acteurs du projet (enseignants,
éducateurs, artistes…) sur diverses capacités
fines dont font preuve les jeunes : « j’admire
de quoi ils sont capables », « un lâcher-prise et une
confiance totale », « une immersion totale », « ils
sortent de cette identité d’élève pour devenir
danseur »... Il s’agit de remarques subjectives
et non de constats objectifs face aux réels
effets de l’art et aux capacités des jeunes. En
effet, selon quelle théorie l’enfant ou
l’adolescent ne serait-il pas capable de
certaines performances au point de nous en
étonner ? Et a contrario, des observations
sporadiques extérieures suffisent-elles
réellement pour tirer des conclusions sur les
1Third space, When learning matters, R. J. Deasy, L. M. Stevenson, Arts Education Partnership, 2005.
capacités d’individus en pleine construction
personnelle, capacités somme toute
impalpables et intimes relevant du sensible
et du cognitif ? Fulgurances, hasards ou réels
acquis, c’est ce que la recherche tente de
cerner grâce à des méthodes qualitatives
empiriques complémentaires (observations
filmées et entretiens avec les artistes et avec
les enfants, en individuel et en groupe). Le
chercheur n’est pas là pour conforter une
demande béhavioriste afin de satisfaire les
objectifs d’une commande institutionnelle,
ne présentant un système que par ses
interactions sans chercher à en comprendre
le fonctionnement interne, la Boîte noire, en
l’occurrence la pédagogie déployée par les
artistes. Ce qui doit être au centre de notre
modèle d’analyse est ce qui se joue entre
l’artiste et les enfants, à l’intérieur de l’espace
spécifique qu’instaurent la présence et le
travail de/avec l’artiste, alliant les mondes de
l’art et de l’école, pour former un Troisième
espace, concept proposé par Richard Deasy1,
caractérisant l’éducation artistique comme un
lieu socialisant aux normes spécifiques, nous
le verrons plus loin dans cette présentation.
Nous cherchons donc à mieux comprendre la
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relation subjectivante qui se crée en atelier,
tout en conservant l’exigence de maintenir
trois principaux domaines où sont repérables
les effets de l’art.
Sur le plan de la recherche, il y a déjà de
nombreux travaux publiés à ce propos : un
aperçu précis existe dans les
communications du Symposium Européen et
International de Beaubourg de 20072. Les
effets de l'art sont déjà assez bien repérés
par les travaux existants et nous avons pu
les rassembler essentiellement dans trois
domaines : la cognition, le développement
personnel et la socialisation. Mais il s’agit
d’effets recensés largement inexpliqués,
faute de modèle théorique.
2Publiées dans l’ouvrage Evaluer les effets de l'éducation artistique, Symposium international et européen de
recherche, Paris, 2008, La Documentation Française/Centre Georges Pompidou.
3Evaluer les effets de l'éducation artistique, op. cit., p. 69 & p. 145.
Durant cette recherche, nous évaluons
qualitativement les effets de l'art, mais
surtout, nous cherchons à en comprendre le
fonctionnement. Puisqu’il y a donc une
insuffisance en termes d’évaluation des effets
de l’art, il est nécessaire de construire un
modèle théorique et cette expérimentation de
classe artistique est propice pour mettre à
l’épreuve notre hypothèse concernant la
compréhension de la relation enfant-artiste
et définir l’espace qui s’y crée. Ainsi, nous
nous attacherons à comprendre comment et
pourquoi cette relation pédagogique basée
sur l’expérience esthétique est fructueuse et
quels en sont les enjeux.
Dans le cadre de cette communication, nous
avons sélectionné quelques modèles
théoriques qui ont retenu notre attention
pour rendre compte des effets de l’art selon
nos trois axes d’observation.
En ce qui concerne le versant cognitif, les
travaux d’Howard Gardner et Ellen Winner3
avec le Project Zero permettent de dégager
de l’éducation artistique essentiellement des
capacités « perceptives, productives et
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réflexives ». Selon eux, parmi ces capacités
cognitives, huit catégories de schèmes de
pensée sont stimulés en atelier d'art, à
savoir : « la maîtrise d'une technique ;
l'investissement et la persévérance ; l'imagination ;
l'expression ; l'observation ; la réflexion ; l'extension
et la recherche ; la compréhension du monde
artistique ». Nous pouvons donc noter que ces
capacités travaillées en atelier forment une
approche intellectuelle complète : fonctions
réceptives, expressives et raisonnement. La
notion de mémoire n’est pas mise en avant
dans ces travaux mais bien présente. Toutes
ces fonctions cognitives sont à la fois
spécifiques à l’expérience esthétique et
généralisables à toute expérience de vie et
d’apprentissage.
S’agissant du développement personnel, les
travaux de Pierre Gosselin4 et ce qu’il
nomme l’Autorité intérieure met en avant
« une tendance profonde incitant à être auteur de
ses pensées, de ses actions et de ses œuvres (…) qui
favorise ainsi le développement d’une forme
d’autorité qui porte à transcender ce qui a été
proposé ». Selon lui, « Si l’on entraîne l’élève à
créer, ce n’est pas simplement pour qu’il s’exprime,
4Evaluer les effets de l'éducation artistique, op. cit., p. 255.
5The arts-education interface : a mutual learning triangle ?, J. Harland, P. Lord, A. Stott, K. Kinder, E. Lamont, M.
Ashworth, NFER, 2005.
6 Third space, op. cit.
mais surtout pour qu’il se réalise de façon optimale
en tant qu’être humain », le processus de
création est ainsi appréhendé dans ce qu’il a
de plus éducatif et individualisant pour la
personne, développant une autonomie et
affirmant sa subjectivité par l’expérience
créative.
Enfin, la notion de socialisation, pour
laquelle nous nous réfèrerons à plusieurs
recherches distinctes, permet d’ouvrir
l’expérience sensible individuelle vers un
partage collectif. Pour cela, les travaux de
Pippa Lord5 et la métaphore de l’expérience
artistique comme un Triangle d’apprentissage
mutuel nous éclairent sur la nécessaire
cohésion entre les artistes, les enseignants et
les élèves.
Richard Deasy6 présente quant à lui cette
rencontre comme menant à l’ouverture d’un
Troisième espace, une sorte de sortie sans
sortir de la classe, un lieu qui n’est ni
purement un atelier ni une classe, un espace
esthétique de création, formateur et source
d’échanges démocratiques au sein de l’école.
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En somme, plusieurs travaux sont éclairants,
d’autant plus si on les met en relation. Ils
convergent vers un « espace d’apprentissages
mutuels » entre les artistes, les élèves et les
enseignants, ne se réduisant pas seulement
à un triangle mais ouvrant justement une
nouvelle aire éducative dépassant la forme
scolaire, et relevant de normes spécifiques.
Il se crée ainsi un espace où les adultes et les
adolescents échangent d’égal à égal, tous
apprennent et forment une communauté de
réussite partagée, l’art et le sensible donnant
du sens à la vie et aux projets de chacun. Le
modèle d’analyse va donc nous permettre
d’évaluer et de comprendre cet espace et ses
effets spécifiques.
Pour tenter de le comprendre et notamment
ce qui caractérise la relation enfant-artiste,
nous avons travaillé avec Alain Kerlan7
autour d’une hypothèse qu’il a proposée
depuis plusieurs années, notamment au
Symposium de Beaubourg, qui emprunte aux
théories de L. S. Vygotski et qui propose de
considérer la présence et le travail de l'artiste
dans la classe avec les enfants sous un
éclairage vygotskien : « La présence et le travail
7 Evaluer les effets de l'éducation artistique, op. cit., p. 241.
8 Pensée et langage, L. S. Vygotski. Editions sociales/Messidor, Paris, 1985 (1933).
de l'artiste dans la classe avec les enfants, dès lors
que l'artiste pense et agit en tant qu'artiste, relève
d'une autre logique que la logique didactique
commandée par les attentes et les formes scolaires
établies, une logique obéissant plutôt à ce que
nous pourrions appeler un esprit d'atelier ».
Voilà donc l'hypothèse sur laquelle nous
nous sommes basés, à savoir que « l'artiste,
en tant qu'artiste avec les enfants, ouvrirait un
espace d'actions et de compétences nouvelles, une
zone proximale de développement singulière ». La
Zone proximale de développement, selon la
théorie de L. S. Vygotski8, explique que pour
qu’un enfant puisse vraiment progresser, il a
besoin d’être accompagné par une personne
qui puisse anticiper ses apprentissages et
ainsi le guider correctement à son propre
niveau de compréhension. Ici, c’est cet
échafaudage pédagogique que l’artiste
propose à l’enfant qui porte à croire que sa
présence provoquerait quelque chose de
particulier dans cette capacité à être à la fois
devant et à côté du jeune, dans l’expérience
esthétique, le guidant vers l’autonomie, la
conscience de soi et l’affirmation de sa
subjectivité dans le groupe classe.
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Nous travaillons à une reformulation de
notre hypothèse qui ne se réduit pas au seul
concept de zone proximale de
développement et qui conserve le parallèle
entre l’idée de proximité et de distance. Un
autre cadre théorique nous permet
9 D.W. Winnicott, Jeu et réalité, Folio Essais, 2005.
d’approfondir la compréhension de cet
espace et peut être emprunté à la
psychanalyse de D. W. Winnicott9 et son
concept d’espace potentiel, espace
transitionnel ou encore dénommé espace de
création.
Nous pouvons illustrer comme suit l’espace pédagogique des ateliers, avec, en son centre,
l’expérience esthétique et la subjectivation.
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Pour conclure cette brève présentation, dès
lors que nous nous intéressons au contenu
de la Boîte noire que constitue l’éducation
artistique, nous pouvons relever de
nombreuses capacités travaillées en ateliers
par les élèves : des capacités cognitives,
sociales et personnelles, des savoir-faire,
des savoir-être, au monde et à soi, une
conscience au niveau sensible et rationnel,
en somme une éducation globale de la
personne, de l’adulte en devenir. La relation
entre l’adolescent et l’artiste engage la
subjectivité de chacun, des critères moraux
et rationnels sont présents aux côtés de
critères sensoriels et esthétiques, les valeurs
objectives de réussite sont complétées par
les valeurs subjectives de formation
personnelle, encourageant la confiance et
l’autonomie chez ces adultes de demain.
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Le projet MUS-E® à Lille
MARIE-CHRISTINE LE FLOCH , maître de conférences en Sociologie, Université Lille
Cette contribution aborde l’effet de
l’évaluation sur un projet d’éducation
artistique qui associe deux artistes à
un enseignant dans chacune des dix classes
d’une école élémentaire de la métropole
lilloise. Ce projet MUS-E® a lui-même
des effets sur les pratiques éducatives et
le développement des enfants. La question
de l’évaluation comprend par conséquent
plusieurs niveaux d’analyse. Le premier
concerne les fondements de l’évaluation,
le second ses résultats en termes de progrès
pour les enfants et le troisième rend compte
de modifications des cadres spatiotemporels
et des postures professionnelles du travail
éducatif.
Nous présentons ainsi successivement
les normativités à l’œuvre en éducation,
l’effet de l’expérience esthétique vécue
par les enfants et en dernier lieu la forme
scolaire en travail.
Les normativités en éducation
Toute évaluation repose sur des critères.
Ils s’appuient sur des normativités que l’on
peut rapporter à des univers de justice et de
grandeurs (Boltanski, Thévenot, 1991) car
l’école se trouve au carrefour de plusieurs
univers normatifs. Dans un projet
d’éducation artistique, les artistes et les
enseignants s’appuient sur des critères
différents mais aussi sur des compromis et
des convergences.
Si l’école se trouve dans plusieurs mondes
(Derouet, 2000) et on peut préciser qu’avec
les projets d’éducation artistique, les
normativités de la Cité civique rencontrent
ceux de la Cité inspirée. Mais l’école se
trouve aussi confrontée aux injonctions de la
« réussite scolaire », de productivité (taux de
réussite), de « plus-value » éducative et de
réputation pour leur école et leur quartier.
Les enseignants et les enfants sont, à travers
des directives mais aussi plus largement les
normes et les représentations des acteurs
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dans la Cité industrielle, la Cité marchande et
la Cité du renom, pour reprendre ces mêmes
catégories. Le bien commun et la citoyenneté
visée se présentent donc davantage comme
un problème que sous la forme d’une
évidence. Différentes normativités travaillent
ainsi les critères d’évaluation et la Cité par
projet sert de référence commune.
L’évaluation se présente au fond comme celle
d’une dynamique en cours, tenant compte
des étapes de son développement.
Tels qu’ils sont formulés par les enseignants
et les artistes, les critères d’évaluation ont
leurs spécificités. Au-delà des apprentissages
du socle de compétence et du respect de
règles collectives, les professeurs des écoles
attendent que les enfants deviennent
capables de se concentrer dans l’observation
ou la comparaison d’objets ou de documents.
Ils doivent montrer de l’énergie mais, en
même temps, être capable de la maîtriser et
faire preuve d’attention, de patience et de
persévérance pour aller au bout d’un projet.
Pour les artistes, la liberté est première. Les
enfants doivent oser s’exprimer selon les
diverses pratiques artistiques proposées,
travailler leur aplomb qui passe par l’aisance
corporelle, la présence d’esprit et de corps, le
tout dans le plaisir physique et la joie d’un
accomplissement.
L’observation régulière en atelier montre des
différences mais aussi des convergences dans
l’expression de ces critères. Elles portent sur
la place du plaisir, le rôle des émotions, les
normes d’expression et de participation.
Pour les artistes, le plaisir apparait comme
une fin en soi et se confond d’une certaine
manière avec celui de la réalisation d’une
œuvre. Pour les enseignants, il s’agit plutôt
d’un « carburant » qui soutient des efforts,
prix à payer de la satisfaction. L’émotion,
force d’inspiration pour les artistes, reste
associée, pour les enseignants à l’émotivité et
à la timidité. Pour les artistes, le plaisir du jeu
et de l’activité se confond avec la motivation.
L’exaltation des sens engendre la création
comme par la magie. L’émotion est intégrée à
l’action créatrice, performance en elle-même.
Pour les enseignants, le plaisir motive l’effort
consenti pour un objectif de réussite et de
valorisation du travail réalisé. Ce dernier
passe par l’expression des désirs et la
recherche de cette réussite mais aussi par la
maîtrise de l’émotivité.
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Pour les artistes, l’expression et la
participation reposent sur l’estime de soi et un
mieux-être de l’enfant. On peut parler d’une
individuation réussie fondée sur la confiance
en soi et la capacité à se donner ses propres
normes, selon une injonction à l’authenticité
(Taylor, 1991) dans le travail de création. Pour
les enseignants, il faut se montrer expressif,
créatif et se situer en s’intégrant dans un
collectif, selon une norme de participation. Les
normes d’expression sont celles de
formulations correctes, de résultats clairs et
acceptables, pendant que la démarche et le
regard artistiques accordent toute leur
importance au brouillon et à l’élaboration.
On peut ainsi saisir une convergence
autour d’un compromis qui devient normatif :
il « faut » sortir de la gêne (effacement,
moqueries, masques) et de l’angoisse
scolaire, se donner ses propres règles pour
une autonomie et la formation d’un jugement
éduqué. Les normes d’authenticité,
d’expression, de participation voire
d’implication apparaissent clairement comme
normativités contemporaines de l’éducation.
C’est en fonction de cette normativité
négociée et ajustée que sont saisis les progrès
pour les enfants.
Des progrès pour les enfants
Au cours de la recherche nous avons pu saisir
l’expérience esthétique des enfants à travers
des moments de révélation, révélation de soi,
à soi à travers le regard d’autrui, selon une
perspective d’inspiration hégélienne qui peut
être illustrée par la relation amoureuse. Cette
expérience débouche sur de nouvelles
dispositions à travers l’ouverture de l’espace
personnel et social de l’enfant.
Les savoirs existentiels, comme les définit
Merleau-Ponty renvoient à une certaine
manifestation de la vérité de soi, une capacité
sensible de l’enfant à se révéler, à oser se
montrer sous un jour inédit. Ce type de savoirs
soutient l’enfant dans l’affirmation de son
identité personnelle. Ces savoirs traduisent
une certaine qualité à être, une perception et
une attention particulière, la découverte d’une
harmonie dans un processus créatif, la
capacité de faire, de choisir, de s’exposer.
Mathéo par exemple qui était absent de toute
implication scolaire a pu oser exprimer un
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avis, choisir un thème, des partenaires et se
laisser porter par la musique. Clément a pu
sortir d’un trouble sévère.
L’expérience du succès personnel a une
dimension narcissique mais elle réside aussi
dans le fait de se sentir relié à quelque chose
qui dépasse l’expérience ordinaire, quelque
chose que l’on contemple et qui change le
regard que l’on porte sur soi. Au lieu de se
sentir menacé par des regards qui jugent, on
peut montrer de nouvelles dispositions,
connaître un succès et se sentir porté par
l’admiration des autres. L’apparition de ces
dispositions nouvelles ouvre l’horizon,
change le point de vue. Un voile se lève sur
un monde que l’on découvre : celui de
formes nouvelles, de signes non perçus
jusque-là, de couleurs inhabituelles, un
monde de relations jusque-là inaccessibles
ou incompréhensibles. Lila initialement en
échec est devenue leader de sa classe pour
les apprentissages depuis qu’elle est
reconnue pour ses qualités.
À la suite des philosophes, la sociologie de la
construction de l’identité sociale a insisté sur
le « caractère interlocutoire » du moi et cela
tout au long de la vie. Cette dimension
dialogique de l’identité constitue l’une des
trois vecteurs de la construction identitaire
avec la dimension pragmatique (savoir en
action) et la dimension narrative (se dire se
raconter) (Ricœur, 1990). Ces trois dimensions
sont présentes dans les expériences vécues
par les enfants dans le projet MUS-E® tel qu’il
se déroule dans cette école.
La reconnaissance de leurs qualités donne de
l’audace aux enfants. Ceux-ci prennent des
risques et montrent un nouveau rapport aux
étapes de réalisation d’un objectif. Cette
boucle vertueuse rend à nouveau possible
une pédagogie des erreurs qui deviennent
des étapes. Inévitables et nécessaires dans
tout apprentissage, elles sont surmontées à
la faveur de ces progrès scolaires
académiques ou non académiques. Leur
prise en compte est inégale dans le cadre des
évaluations standardisées mais on peut les
saisir par un suivi des parcours montrant,
par exemple, l’excellence en dessin de
Clément. En outre, les enfants ont pu décrire
par eux-mêmes certains de leurs progrès :
Evaluation de compétences par les enfants eux-mêmes
« Nous avons appris à manipuler différentes matières –plastique, tissus, carton, papier terre-, à utiliser un pistolet à colle sans se
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brûler, à coudre sans se piquer, à découper avec un cutter, à peindre en dosant la quantité de peinture, à nettoyer et à ranger les pinceaux ».
« Nous avons appris à travailler seul, à aider les camarades et à aller jusqu’au bout- d’une idée- ».
Le travail de création est aussi collectif, il
invite à sentir l’interdépendance ainsi que la
place trouvée et occupée dans un groupe. Au
cours d’un projet de classe, un bagage de sens
commun se constitue et devient une véritable
culture de la classe. Cette culture commune
permet de transcender bien des conflits ou
moqueries, à travers des références à ce qu’on
a vécu ensemble (connivences, private jokes).
La circulation des savoirs facilite ainsi la
régulation des relations.
Pour conclure ici, l’expérience esthétique et la
possibilité de la partager fait sauter des
verrous. Les progrès sont constatés dans les
livrets de compétences. Des enfants peuvent
retrouver le cours de leur construction,
personnelle pour chacun d’entre eux, selon une
logique propre à l’équation singulière de leur
trajectoire. Pour autant, même si le respect de
ces singularités fait partie des normativités
contemporaines, l’expression et l’affirmation
personnelle des enfants ne se prêtent pas
nécessairement à l’orchestration demandée
aux éducateurs dans le contexte scolaire.
Dans le contexte d’une école, les cadres
habituels du travail quotidien bougent au
cours du déroulement des ateliers.
Les cadres scolaires en travail
Le travail conjoint d’éducation des enseignants
et des artistes transforme l’espace solaire, ses
rythmes ainsi que les rôles inscrits dans les
relations pédagogiques.
L’espace des ateliers invite au mouvement aux
gestes plus spontanés et aux actes de parole.
Le projet Muse dans l’école où s’est déroulée
la recherche, est l’occasion d’une
réappropriation des locaux scolaires. Les
ateliers peuvent se dérouler dans les salles
de classe, dehors (il y a trois cours), dans les
salles vides d’une ancienne école contiguë, à
l’extérieur (land art par exemple) ou dans
des espaces intermédiaires (atelier photo
dans un hall). Les cadres temporels des
séquences et du rythme scandé par les
récréations et les sonneries sont maintenus
mais ne sont pas systématiquement pris en
compte dans le déroulement des ateliers.
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Ces configurations nouvelles sont propices
au mouvement plus libre des enfants et
invitent à des formes nouvelles
d’expression : occuper l’espace physique et
sonore d’une grande salle, apprendre la
discrétion dans un couloir quand les autres
classes ont besoin de calme pour travailler.
Au cours de ces ateliers, les enseignants et
les artistes interviennent en coprésence ou
de manière séparée selon le projet et l’état
d’avancement de ce dernier. Par exemple
dans l’écriture d’un conte dramatique
destiné à être mis en scène, la comédienne
prend des demi- classes dans la phase
d’invention et d’écriture dictée, puis la classe
entière travaille en répétition, en présence de
l’enseignante et de la comédienne.
Le temps de l’inspiration est aussi celui
d’une nouvelle respiration.
Les temporalités sont modifiées par
l’intervention partagée des enseignants et
des artistes. Finir un dessin, obtenir un
résultat individuel (maquette) ou collectif
(scénette à savoir par cœur, bien interprétée)
devient plus important que l’heure de la
montre ou le temps de récréation. Cela ne
supprime pas le besoin de pause rappelé par
l’état de concentration des enfants qui,
cependant, s’ajuste à l’implication dans le
travail de création. Ce ré-ancrage de
l’apprentissage dans le cours de l’action ou
de la fabrication desserre des contraintes
habituelles du rythme scolaire, source
occasionnelle d’ennui ou de précipitation
infructueuse.
Avec MUSE, « on peut respirer à fond », une
enseignante CP
Le temps de l’inspiration est également celui
de la patience et de l’adaptation des
interventions en fonction des progrès de
chacun et de la progression d’ensemble. En
bousculant les cadres de la forme scolaire, le
projet d’éducation artistique modifie les
prises de rôle et les styles de relation
pédagogique.
Les ateliers d’éducation artistique
fonctionnent comme une invitation à sortir
des rôles prescrits ou à changer de style.
En coprésence directe, continue ou
occasionnelle, à l’épreuve de relations
imprévues, des professeurs d’école et des
artistes opèrent un nouveau réglage dans
leurs interventions. Certains d’entre eux
demeurent attachés à leur identité
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professionnelle initiale. D’autres, à l’inverse,
laissent évoluer leur pratique au gré
de la situation. Travailler ensemble produit
divers ajustements et modifie, au fil
du temps, l’activité et l’idée que chacun
se fait de son métier.
Parmi les rôles prescrits, ce qu’on appelle la
régulation normative est révélatrice des
rouages de la forme scolaire. Selon les
contextes, une force de rappel est exercée
par les enfants ; elle implique sa prise en
charge. Assurer la discipline permet de libérer
l’autre intervenant qui peut alors se consacrer
à l’initiation artistique ou technique. Incarner
ce rôle peut être vécu comme une manière de
tenir sa place, de rester maître de la classe.
Mais il peut aussi être endossé à contre cœur,
comme une corvée qui prive l’adulte du plaisir
d’une participation plus spontanée. À certains
moments de fort engagement des enfants,
cette force de rappel disparait et la régulation
peut être abandonnée pendant l’activité. De
même, la transmission des consignes et
l’évaluation des résultats, tâches ponctuées
de critiques ou d’encouragements, peuvent
faire l’objet d’une redistribution émotive et
affective du travail d’éducation.
Avec le projet MUS-E on voit bouger la forme
scolaire. Le plus souvent, les adultes gardent
la main mais il arrive que des enfants
s’emparent davantage de la conduite d’un
atelier. Enfants et adultes sont en effet sur un
pied d’égalité dans une expérience esthétique
qui bouleverse les représentations les plus
répandues sur le développement des enfants,
selon une métaphore de stades ordonnés.
L’école en France n’en finit pas de se
réconcilier avec le corps et les sens longtemps
séparés des œuvres de l’esprit. L’expérience
esthétique sensible peut modifier la
perception que l’on a du monde et des autres.
Le suivi du parcours des enfants montre des
moments de révélation qui se traduisent par
une ouverture de leur espace personnel et
social. Les postures de moquerie peuvent
ainsi évoluer vers le respect de qualités
différentes et l’accès à de nouvelles
dispositions enrichit la subjectivité.
L’éducation artistique milite sans réserve
pour le respect des singularités et du
développement personnel mais pose
également le problème de leur mise en
musique en déplaçant la question d’un
renouveau dans l’éducation morale.
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Bibliographie
Baeza C., Le Floch M-C., Loeffel L., Nosalik P., Perugorria C., 2013, Effets de l’éducation artistique à
l’école. Exemple du projet MUS-E, Rapport pour l’association Courant d’Art, Université de Lille III,
PROEOR-CeRIES, Dec, 2013.
Boltanski L., Thévenot L., 1991, De la justification. Les économies de la grandeur. Gallimard, Paris.
Derouet J-L. (Dir.), 2000, L’école dans plusieurs mondes, D Boeck Université, Bruxelles.
Taylor C., 1991, Le malaise de la modernité, Cerf Humanités, Paris.
Taylor C., 1998, Les sources du moi. La formation de l’identité moderne, Seuil, Paris.
Ricœur P., 1990, Soi-même comme un autre, Seuil, Paris.
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Résider en résidence - Un détour par l’espace
JEAN PAUL FILIOD , maître de conférence en Sociologie, Université Lyon 1 – ESPE
Résidence, résider : de l’Espace
aux espaces de familiarité
Parlerait-on de résidences d’artistes sans
parler de l’espace ? Comme le temps, comme
les objets, l’espace fait partie des évidences
du quotidien. Dans l’espace toujours nous
sommes, sans cesse traversés par lui autant
que nous le traversons. C’est sans doute
pour cela que nous l’interrogeons peu,
préférant, lorsqu’il s’agit d’artistes en milieu
scolaire ou/et éducatif, les questions sur "la
place de chacun dans le partenariat”, sur le fait
de savoir si l’artiste est ou non “pédagogue”,
s’il n’est pas “instrumentalisé” par l’École, si
les enfants “s’épanouissent” ou non, si les
inégalités entre eux sont réduites, etc. Ces
sujets, évidemment légitimes et cruciaux,
dématérialisent toutefois les réalités de la
rencontre entre artistes et milieux éducatifs.
1 Pour plus de détails, on peut télécharger les rapports de recherche et le bilan d’activités sur www.eal-lyon.fr
2 Je remobilise ici l’expression utilisée depuis 2005 dans les rapports de recherche (cf. note 1) et utilisée plus
récemment dans Necker, S. et Filiod, J. P. (2014). Le sensible au pluriel. Jeux de cadres en contexte d’éducation
artistique, STAPS, 103, 87-99. Cette expression a pour finalité de prendre en compte en toute circonstance le double
statut, générationnel et scolaire, des êtres concernés.
3Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles.
L’invite est ici faite de s’attarder sur l’espace,
à travers quelques résultats obtenus au fil de
dix ans de recherche sur le terrain d’Enfance,
Art et Langages, programme lyonnais de
résidences d’artistes en école maternelle1.
Dire résidence fait résonner le verbe résider, et
d’autres avec lui : habiter, demeurer, rester. Un
artiste qui réside est supposé rester (au moins
un peu), s’être approprié a minima des
espaces, devenus lieux, espaces de familiarité,
partagés avec d’autres acteurs : enfants-
élèves2, enseignants, Atsem3, autres adultes,
professionnels ou non. Cette appropriation
est-elle suffisamment durable pour que
l’artiste ait au moins le sentiment d’être en
résidence, expression censée aussi signifier
qu’il n’est pas intervenant (et encore moins, si
l’on veut bien s’étonner du drôle de destin de
certains mots, demeuré) ?
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Un lieu, des clefs, des lieux :
une appropriation paradoxale ?
La présence effective de l’artiste dans l’école
ne semble jamais être autant interrogée que
lors des premiers jours, où les équipes
engagées dans ces partenariats se demandent
bien quel endroit lui sera dédié.
Les écoles n’ont pas été construites pour
accueillir des artistes, ni, d’ailleurs, d’autres
catégories de professionnels. Leur
architecture est conçue pour différentes
fonctions, attribuées à diverses pièces :
salles de classe, salle des maîtres, tisanerie,
cour de récréation, salle de motricité…et
aucune personne de l’extérieur n’y est
prioritairement attendue. Comme si l’école
était conçue une fois pour toutes, étant ainsi
pleinement un établissement (au secondaire
comme au primaire).
À cette réalité spatiale générale s’ajoute le
contexte local, qui détermine le choix du lieu
dédié à l’artiste. La spécificité de
l’architecture du bâtiment, la variation du
nombre de classes, la loi qui n’autorise plus
les enseignants à bénéficier d’un logement
de fonction, autant de paramètres qui
orientent ce choix. Parfois, on incite les
écoles à mettre l’artiste « au centre ». Peu
d’architectures le permettent, et dans le cas
contraire, les acteurs compensent :
des flèches au sol ou sur les murs
invitent à un parcours menant au lieu
de l’artiste et parfois jalonné de
décors, liés ou non au travail de
l’artiste ou/et des enfants-élèves ;
les artistes, au fil du temps, se
déplacent, pour signaler ou rappeler
leur présence, prenant alors l’habitude
d’être là aux heures d’entrée et de
sortie, à la cantine, etc.
Alors, puisque les artistes « résident » a
minima, le font-ils au point de s’être approprié
une sorte de « chez-soi » ? Ce qui peut sous-
entendre d’avoir les clefs de la maison.
À ma connaissance, cette question ne fait
pas partie des choses réglées une fois pour
toutes au début de la résidence. Dans la
pratique – ce que j’énonce-là ne résulte pas
d’une étude systématique, qui reste donc à
faire, l’artiste a parfois les clefs, souvent
non. Ne pas les avoir, c’est se soumettre aux
horaires de l’école, que l’artiste soit avec les
élèves ou non. L’artiste fait ainsi comme
beaucoup d’autres travailleurs : il rationalise
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ses espaces-temps, cherchant même à les
optimiser. Mais pour certains, la qualité de la
résidence tient à la possibilité de venir sur
des temps particuliers, tôt le matin, tard le
soir, le week-end, les vacances scolaires.
Car, si l’artiste conserve un fonctionnement
qui consiste à se laisser porter par une idée,
une envie, un essai, intimement liés au
travail de création et à la mise en jeu d’un
« univers artistique » (selon l’expression des
appels à projets), une résidence digne de ce
nom impliquerait que l’artiste ait les clefs.
Mais en même temps, on peut résider sans
posséder le pouvoir total sur les seuils du
bâtiment, alors…
Alors, revenons aux lieux, dont un
inventaire, même partiel, renvoie de la
variété : une « BCD 4 », un « espace couchettes »,
une « salle goûter »,« une sorte de salle de jeux »,
une ancienne salle de classe, deux salles de
classe les deux premières années de
résidence, puis une seule la troisième, du fait
d’une création de classe…La recherche d’un
lieu adéquat tient aussi compte de la ou des
disciplines de référence de l’artiste : il y a
l’« atelier » du plasticien mais aussi le « labo »
4 Bibliothèque Centre Documentaire.
du photographe, le « studio » du musicien,
qui porte avec lui des sons, paramètre
supplémentaire dans le choix de la
localisation. Quant au chorégraphe, rien de
tout cela. Ou tout. Il investit souvent
plusieurs espaces de l’école, voire l’école
tout entière, l’espace pouvant même être
central dans son projet. Le visiteur peut ainsi
se faire surprendre par des corps en
mouvement dans un espace scolaire jusque-
là très balisé et défini.
Pourtant, il y a bien la « salle de motricité » ou
« salle d’évolution », mais souvent, les
chorégraphes refusent de s’y installer, pour
que les pratiques scolaires et artistiques ne
soient pas confondues. Cette volonté de
distinguer les pratiques conduit justement,
parfois, à restreindre l’activité artistique
autant que possible à ce lieu, et ce, pour
plusieurs raisons :
donner une identité au travail artistique ;
reconduire autant que possible un
climat, spécifique à ce lieu ;
protéger les autres lieux de l’école,
notamment les classes, qui doivent
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être elles aussi préservées, identifiées
comme le lieu du travail dit « scolaire ».
On relèvera le paradoxe de cette distinction :
l’étanchéité des lieux peut signifier
une protection des permanences culturelles
de l’École, autant qu’une reconnaissance
à part entière de l’activité artistique au sein
de l’école (l’établissement) ou de l’École
(l’institution).
Le lieu et l’espace, la station
et le mouvement
« Dans la plupart des langues indo-européennes,
l'idée d'habiter est rendue par deux verbes, dont
l'un exprime une relation de possession », habiter,
« et l'autre l'idée d'une halte dans un mouvement »,
rester ou demeurer5. L’appropriation doit
donc être pensée comme station en propre (le
lieu) et comme station dans une relation
intime au mouvement (l’espace).
Ainsi, si résider en résidence s’entend
comme l’appropriation d’un lieu dédié à
l’artiste, cela passe aussi par celle de
plusieurs lieux et par le déplacement et le
mouvement. Cette réalité ne concerne pas
5Sivignon Michel. Du verbe habiter et de son amère actualité. Revue de géographie de Lyon. Vol. 68 n°4, 1993, p. 216.
que les chorégraphes. Outre leur « atelier »,
les plasticiens investissent la cour, les
couloirs, la BCD, le hall d’accueil ; voire les
toilettes, qu’on encombre ou qu’on
transforme en jardin, pour faire prendre
conscience ce qu’est un volume ou faire
comprendre qu’on peut aménager
diversement des espaces construits.
En conséquence, ce sont aussi les liens entre
les différents espaces qui sont modifiés, les
seuils se révélant alors mouvants : les portes
des classes s’ouvrent, sans que cela affecte
les activités, tolérant mieux la circulation des
élèves. Cette mobilité a une raison d’être
bien différente de celle qu’on imagine
souvent (la fuite), les élèves ayant intériorisé
la logique des limites et la spécificité du
travail proposé. Toutefois, tous les
enseignants ne réagissent pas de la même
manière à ces modifications spatiales : une
enseignante arrivée dans une des écoles qui
avaient intégré cette nouvelle pratique
fermait systématiquement la porte ; et obtint
sa mutation dès l’année suivante.
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Des changements professionnels
sous l’angle de l’espace
L’approche spatiale permet ainsi d’aborder
la question du changement des pratiques
professionnelles. Chez les enseignants6, les
exemples ne manquent pas, notamment via la
dynamique générée par la polarité lieu de
l’artiste – classe. L’exemple qui suit est
exceptionnel, mais mérite d’être exposé, car le
« bouleversement » vécu par cette enseignante
de petite section, survient après une bonne
vingtaine d’années d’habitudes pro-
fessionnelles engrangées. Ces changements
concernant sa classe et sont survenus la
troisième et dernière année de résidence d’une
artiste identifiée comme marionnettiste, mais
qui est aussi plasticienne, conteuse,
chanteuse, musicienne.
Commençons par l’espace. Exit la répartition
en « coins classiques : BCD, coin cuisine, garage,
etc. », il y a désormais « trois espaces ». « Un
grand espace est prévu pour les marionnettes » et
pour une marionnette spécifique, qui passe
« tous les week-ends chez un enfant différent » :
c’est « très porteur parce qu’elle a son carnet de
6 Pour les Atsem, voir D. Boukacem, J.P. Filiod, Entre-tenir sa place : les Atsem au travail, Rapport de recherche IUFM
– Université Lyon 1, Ville de Lyon, 2011. Pour les artistes, voir J.P. Filiod, Des artistes dans l’école : brouillages et
bricolages professionnels, Ethnologie Française, vol. XXXVIII, no 1, 2008, p. 89-99 Sur les mutations du travail
artistique en général, voir la contribution de M. Buscatto dans ces mêmes Actes.
voyage. Ils le prennent, ils racontent, c’est un vrai
échange ». Les deux autres espaces sont « la
BCD, tout ce qui tourne autour de l’album, y compris
les objets pour raconter l’histoire, et un espace avec
du matériel à disposition, des matériaux, pour faire
du collage, se faire plaisir ». « La manipulation »
devient un préalable à tout processus
d’apprentissage : « la semaine prochaine, on va
travailler le jus de raisin : ils apportent des jus de
raisin achetés en grande surface, mais ils vont avoir
3 kilos de raisin, avec chacun leur grappe et ils vont
partir de la grappe et faire du jus de raisin, avec leurs
mains ». Prégnance du corps, de l’expérience
sensorielle, les danses et les chants ont pris
une nouvelle place, en combinant contrainte :
« on fait un grand cercle » et liberté : « s’ils veulent
chanter et danser, ils le font ».
Il n’en va pas différemment avec les
« albums ». « Aussitôt qu’un album est découvert,
il est joué, et quand les enfants ont bien acquis les
référents lexicaux et spatiaux, qu’ils ont vécu
l’histoire avec leurs tripes, leurs émotions, je passe
au support, à l’album papier, en petits groupes. Et
seulement après, je le mets dans la bibliothèque.
Plus tard, je les vois, ils reprennent l’album et ils
racontent l’histoire ». L’album est là, « c’est
classique », mais « on fait autrement : je fais
revivre l’histoire en mobilisant la pâte à modeler,
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des objets, qui prennent place pas loin du support
dans le coin BCD ». La connexion est ainsi faite
avec la variété de matériaux, regroupés dans
« un grand carton, avec plein de trucs dedans, et
c’est eux qui choisissent le medium qu’ils ont envie
de coller ». L’enseignante se tient à distance :
« J’observe, de l’extérieur, les choix qu’ils font, et ça
me donne des indications sur ce qu’ils sont. On les
met trop dans “papier-crayons-peinture” tout de
suite. Et la créativité, elle y est plus. Ils sont normés,
ça c’est clair ».
Il n’y a pas pour autant absence de normes.
Les sciences sociales nous ont au moins
appris cela : pas de vie sociale sans normes.
Mais ce terme, dans la bouche de
l’enseignante, signifie l’imposition d’une
contrainte aux enfants et l’absence de remise
en question des habitudes. Ainsi les « rituels »,
qui font partie de la panoplie professionnelle
de l’enseignant de maternelle. Censés
« structurer » et « rassurer l’enfant », ils ont
lieu le matin après le temps d’accueil, au
moment du « regroupement » des élèves
devant l’enseignant et le tableau. Pour notre
enseignante, « tels qu’ils se font habituellement,
ça n’a pas de sens pour les enfants. (…) Ils doivent
pas écouter la maîtresse qui dit “c’est lundi,
gnagnagna”… ». Elle revendique toutefois un
« rituel » central, « le déroulement de la matinée :
avec des photos, on se dit ce qui va se passer le
matin (…). Si, plus tard, un enfant s’angoisse, je
reviens sur cette bande de la matinée, et je lui dis
“où on en est ? qu'est-ce qu’il te reste ?”, il voit où
il en est, on repart ». Un regroupement au
niveau du tableau est toutefois maintenu :
directrice de l’école, l’enseignante partage
son poste avec une autre, à qui elle ne veut
pas « imposer (…) un bouleversement total ».
Mais, ce support au déroulé du matin, « ma
collègue l’utilise », « elle est ravie ».
Enfin, un autre rituel a pris place, celui de
« dire Bonjour à chaque enfant, avec un vrai temps
pour le faire ». La pratique peut être
surprenante, mais la manière de le faire
contredit l’adage “C’est simple comme
bonjour”. La pratique a été importée par
l’artiste, qui, pour chaque jour passé à
l’école, visitait chacune des dix classes en
début de journée pour s’annoncer par un
« Bonjour » dit sur un ton et un temps dont la
singularité a été remarquée par beaucoup.
Selon l’enseignante, « elle a une manière de le
dire qui marque, elle dit “Bienvenue”, elle a fait
comprendre qu’il fallait accueillir un enfant de 3 ans
comme un être à part entière. Depuis, je le fais, et
les enfants sont contents qu’on se dise Bonjour ».
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La dynamique spatiale : motifs
discrets et attention des acteurs
Le choix de cet exemple est-il antinomique
avec la problématique de l’artiste en
résidence ? Non. Que cela concerne les
changements dans la classe ne doit pas faire
oublier que ce sont la présence et les
manières de faire de l’artiste qui provoquent
ces changements : le rituel du Bonjour, mais
aussi le grand carton aux matériaux en tout
genre, laisser faire les enfants et les observer
à distance, la marionnette qui voyage… sont
des pratiques mises en œuvre par l’artiste
dès la première année. (On ajoutera, sans
savoir si cela joue un rôle, que, dans cette
école, l’artiste avait les clefs.)
Une autre objection pourrait concerner la
nature des changements. Ceux qui rêvent d’un
bouleversement de la culture scolaire ne sont
sans doute pas servis… même si la suppression
des rituels avec ces « petite section » (dire la
date, compter les absents, poser l’étiquette
personnelle, dire le temps qu’il fait…) relève de
la rupture. Mais on retiendra surtout que les
changements apportés s’inscrivent dans un
rapport discret au quotidien, un des motifs
innovants de ces résidences.
Enfin, on pourrait se dire que l’enseignante,
directrice de l’école et plus proche de la
retraite que de l’entrée dans le métier, se
permet de fait plus de choses. Il n’en est
rien : « Pendant les deux premières années, je
n’osais pas me lancer. Et l’artiste, c’est elle qui m’a
permis de dire “Ose !”.J’avais peur, je n’osais pas
me lancer, j’avais peur de ne pas être dans la lignée
institutionnelle ». L’élan fut ainsi donné, mais
rien n’aurait pu être fait aussi aisément sans
le « soutien à 100 % de l’inspectrice » de
circonscription.
Ainsi, si le détour par l’espace nous permet
de prêter attention aux choses concrètes
(presque au sens de l’anglais, où concrète
signifie concret, mais aussi béton), il ne peut
faire l’économie des acteurs et de l’attention
qu’ils portent eux-mêmes à ces
changements, si discrets soient-ils.
J.P. Filiod L’innovation en mode
pluriel et relatif. L’exemple de
l’éducation artistique et culturelle
et d’un dispositif présenté comme
“innovant”, Socio-logos. Revue de
l’Association française de
sociologie, n° 7 : L’innovation
institutionnelle, [socio-
logos.revues.org/2661].
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Evaluer l’Éducation artistique et culturelle en partenariat
Des extraits vidéo pour s’entendre, ou pas ! Etude de cas
SOPHIE NECKER , maître de conférences, ESPE Lille Nord de France, Laboratoire
RECIFES, sociologue associée au CDWEJ
MILTON PAULO NASCIMENTO DE OLIVEIRA , danseur, chorégraphe,
improvisateur et artiste associé en matière de danse au CDWEJ
Entre 2011 et 2013, un programme
européen Comenius Regio réunit deux
structures œuvrant à la présence des arts et
des artistes dans les écoles ; l’une belge : le
Centre Dramatique de Wallonie pour
l’Enfance et la Jeunesse (CDWEJ), l’autre
française : Enfance, Art et Langages (EAL). Il
vise à questionner l’évaluation de l’éducation
artistique et culturelle à l’école pré-
élémentaire (dite « maternelle »).
Conduite par Jean-Paul Filiod et Sophie
Necker, la recherche-développement de ce
programme européen fait dialoguer
sociologie, anthropologie, sciences de
l’éducation et sciences et techniques des
activités physiques et sportives. Le présent
1 Cf. Necker, S. et Filiod, J. P. (2014). Le sensible au pluriel. Jeux de cadres en contexte d’éducation artistique, STAPS,
103, 87-99 ; Filiod, J. P. et Necker, S. (2013). Évaluer l’éducation artistique : l’expérience au croisement des points
de vue. In Collectif, cARTable d’Europe. Approche du concept d’évaluation en éducation artistique à partir de
résidences d’artistes à l’école. Lyon et Strépy-Bracquegnies : Caisse des écoles de la ville de Lyon et CDWEJ, 45-49.
2Nous remobilisons l’expression que nous avons choisi d’utiliser dans les publications citées (cf. note 1), afin de
prendre en compte en toute circonstance le double statut, générationnel et scolaire, des êtres concernés.
texte expose des résultats issus de ce
travail1 autour d’une étude de cas. La
méthode de collecte de données retenue
repose sur le sens étymologique de
l’évaluation. Ainsi, elle valorise la pluralité
des regards subjectifs sur une même réalité.
L’expérience de l’atelier en présence d’un(e)
artiste, sa teneur, ses enjeux est
appréhendée par le croisement de points de
vue à partir d’une question : que disent des
acteurs différents (artistes, enseignant(e)s,
personnels éducatifs associés), mais
travaillant sur un même lieu, avec les mêmes
enfants-élèves2, de situations émergeant du
travail avec un(e) artiste ? L’intérêt est de
mettre en valeur ce que les acteurs des
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ateliers et les chercheurs considèrent comme
significatif et pertinent, mais aussi d’étendre
les interactions entre les terrains pour
développer la réflexion sur l’évaluation.
Pour les quatre écoles (deux françaises, deux
belges) accueillant un(e) artiste et participant
à la recherche, la confrontation de points de
vue s’opère par une succession d’étapes :
- Le filmage d’une séance de travail avec
artiste et enfants-élèves.
- Le visionnage de ce film par le
chercheur et par chaque acteur
travaillant avec cette classe. Chacun,
seul, relève des passages qu’il trouve
significatifs.
- La rencontre de chaque acteur en
entretien individuel, sur la base des
données filmées. Les échanges portent
sur ce que chacun a relevé de marquant.
- Un entretien collectif avec ces mêmes
acteurs. Le chercheur propose une
sélection de passages significatifs et
de ce que chacun a pu en dire.
3 L’extrait est ainsi intitulé par l’artiste.
Dans cette contribution, à partir d’un extrait
vidéo retenu par Milton Paulo Nascimento de
Oliveira en vue d’un entretien avec Sophie
Necker, nous discutons les consensus et
dissensus observés dans le croisement des
points de vue, ce qu’ils peuvent nous
apprendre de l’expérience en éducation
artistique et de son évaluation.
L’extrait vidéo : Sauter maintenant sur le
tapis, Alice monte sur le tapis3
Présentation
Au cours de l’atelier qu’il conduit auprès
d’enfants-élèves âgés de 2,5 à 4 ans, Milton
Paulo Nascimento de Oliveira propose au
groupe de « traverser » trois tapis alignés en
« dansant très vite ». Pendant qu’un ou deux
enfants-élèves évoluent sous le regard de
l’artiste, les autres sont spectateurs ;
certains étant déjà passés, d’autres
attendant leur tour. Le jour du filmage, la
classe n’est pas au complet. Les adultes
peuvent alors accorder du temps à chacun,
individuellement. Cela permet aux enfants-
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élèves d'explorer les consignes de
mouvement tout en gardant leur singularité
et sans pour autant se faire emmener, voire
parfois effacer, par la force du groupe.
En entretien individuel, Milton Paulo
Nascimento de Oliveira retient de ce temps
de travail, un extrait de trois minutes,
centrant son attention sur Alice, alors âgée
de 2 ans et 7 mois. Cet extrait est situé dans
les dernières minutes de la séance. Il débute
lorsqu’Alice attend son tour, assise sur les
tapis réservés aux spectateurs. Elle est
attentive, elle observe le passage des
enfants-élèves. L’extrait prend fin à l’issue
de la traversée des tapis par Alice, seule.
Pourquoi avoir retenu cet extrait ?
En entretien, Milton Paulo Nascimento de
Oliveira repère chez Alice attendant son tour,
les prémisses de l’action de traversée à venir.
Par décomposition du mouvement et
interprétation des indices pris sur la posture
et l’attitude de l’enfant-élève, l’artiste
montre qu’Alice est déjà dans l’activité, alors
même qu’elle n’est pas encore engagée dans
la traversée : elle prépare son mouvement.
Milton Paulo Nascimento de Oliveira appuie
en particulier son hypothèse sur le
balancement d’Alice.
« J’ai observé [Alice] (…) qui était dans le fond,
en attendant assise sur le tapis. Je sentais
qu’elle était en train déjà de s’organiser pour
faire son passage, elle était déjà en train de
capter, de préparer son corps dans son
mouvement, ce balancement qu’elle faisait
vers l’avant, vers l’arrière, où elle engageait les
jambes, elle était déjà dans un dessin de saut
parce que comme c’est un passage sauté, il
faut sauter et quand on saute, on plie les
jambes, on penche le torse vers l’avant, il y a ce
rapport du corporel qui homologue le haut et le
bas qui commence à se connecter et donc, elle
commence à créer ce va-et-vient aussi. (…) elle
est en train de se préparer »
Entretien individuel, avril 2013
S’appuyant sur l’extrait, Milton Paulo
Nascimento de Oliveira pointe les étapes par
lesquelles Alice est passée au cours de
l’atelier (ce jour-là) : elle est d’abord avec lui
puis, avec une autre enfant-élève puis, seule
dans la traversée. L’extrait présente cette
dernière évolution. L’artiste affirme alors
que dans son attitude, Alice a changé (cette
fois-ci à l’échelle temporelle de l’année) :
elle a gagné en autonomie. Faisant référence
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au Body-Mind Centering4, il conduit son
analyse et repère des traces d’« intelligence
dans le parcours du mouvement » :
« Là on la voit [Alice], elle monte toute seule, je
lui tends la main, elle ne prend pas ma main.
Elle va toute seule, elle tombe tout de suite,
donc elle était déjà dans un élan et elle n’avait
pas besoin comme avant, que je la prenne par
la main, que je la place sur le tapis. (…) Elle
repousse encore une fois le sol et à un moment
donné, elle se redresse au niveau de la tête, en
repoussant le sol et elle passe vers la position
quatre pattes, elle fait le transfert vers les bras,
elle plie les jambes et elle se lève. C’est
incroyable, ce moment où, tout de suite, on
oublie Alice, qui était un peu immobile, avec un
corps statique (…). C’est incroyable ces micro-
changements, transformations qu’elle a pu
développer dans son parcours. Voilà, c’était un
peu ce que j’ai observé et (…) en lisant le livre
de Body-Mind Centering5, qui parle de ce
schéma de développement qui est le schéma
homologue, qui est l’avancée vers l’avant, le
recul vers l’arrière dans ce plan sagittal, le
rapport avec les bras et les jambes où l’enfant
est en train de découvrir le quatre-pattes, il y a
aussi ce rapport avec la nuque. C’est très
présent chez Alice, ces schémas qui se mettent
4 Il s’agit d’une méthode d’éducation somatique par le mouvement créée par Bonnie Bainbridge Cohen. Pour des
détails, voir : www.bodymindcentering.com
5 Nouvelles de Danse, 50 : Sentir, ressentir et agir. L’anatomie expérimentale du Body-Mind Centering®, Contredanse, 2002
en place, où elle revisite ce chemin et là, le fait
de devoir tomber, aller par terre, le fait de se
lever, la façon dont elle s’est mise debout, elle
était très à l’aise, vraiment très intelligente
dans son parcours de mouvement »
Entretien individuel, avril 2013
En retenant cet extrait, Milton Paulo
Nascimento de Oliveira signifie. Il marque
l’évolution – positivement connotée – de
l’attitude et du mouvement d’Alice, au fil des
ateliers du projet et de cet atelier. Non
seulement elle a gagné en « autonomie », mais
elle développe également un mouvement
« habité », « complexe », anticipé, où elle a
« trouvé ses appuis » et « ses articulations ».
Pluralité des regards subjectifs
sur l’expérience d’Alice, pour une
pratique du regard pluriel
En entretien individuel, Milton Paulo
Nascimento de Oliveira choisit ainsi
plusieurs extraits vidéo pour ce qu’ils
révèlent de l’expérience d’Alice dans
l’atelier. Dans cette même étape de collecte,
l’enseignante explique ne pas souhaiter
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rendre significative l’activité d’Alice car au
moment du filmage, cette enfant-élève est
dans la classe depuis peu de temps. En
entretien collectif, le chercheur revient sur
l’extrait « Sauter maintenant sur le tapis,
Alice monte sur le tapis » choisi par Milton
Paulo Nascimento de Oliveira. L’artiste et
l’enseignante disent tous deux la lenteur
d’Alice et s’accordent sur les conséquences
délétères qu’elle pourrait avoir sur le
parcours et le vécu scolaires de l’enfant-
élève (en classe et dans le groupe).
Toutefois, les indices prélevés par l’artiste et
l’enseignante pour analyser et discuter
l’extrait vidéo, les cadres qu’ils mobilisent
pour interpréter et attribuer une valeur à
l’expérience d’Alice diffèrent. L’enseignante
renvoie la lenteur de l’enfant-élève au
mauvais choix de ses parents de l’amener à
l’école en poussette. Pour l’enseignante, ce
mode de déplacement explique « sa lenteur et
son corps qu’elle découvre de façon différente
par rapport aux autres qui descendent et qui
marchent, qui ne viennent pas en poussette ».
La poussette serait un frein à l’autonomie et
à liberté motrice d’Alice.
Enseignante : « Alice, c’est toujours… (…) "Tu
viens ? Tu vas être dans l’atelier plasticine [pâte
à modeler]." (…) parfois, j’installe les autres et
je ne sais plus dans quel atelier elle était, parce
que ça fait bien 10 minutes que je lui ai dit de
s’asseoir là. Tu sens, chez elle… [qu’elle n’est]
pas à l’aise, [qu’elle] verrouille un peu tout ce
qu[’elle] peu[t] verrouiller. (…)
Artiste : « moi je vois quelqu’un qui est
effectivement dans une lenteur, dans un corps
qui ne répondait pas. (…) comme si elle avait
envie, mais que le corps ne répondait pas. Et là
[dans l’extrait retenu], je sens que le corps
répond parce que (…), c’est le sourire
maintenant qui est présent, qui est vivant et
que le corps répond. Il y a un courant qui
passe »
Entretien collectif, juin 2013
Cette étude de cas (le cas n’étant pas Alice,
mais l’extrait présentant l’activité d’Alice)
rend compte de la pluralité des
interprétations possibles d’une même
réalité. La façon de voir et d’interpréter
retenue dépend – entre autres choses – d’un
système de valeurs, de connaissances, de
repères normatifs que le regardeur s’est
construit. Donner la possibilité (des moyens,
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des outils6, du temps, des espaces…) aux
équipes en partenariat de verbaliser,
d’expliciter, de partager, discuter, débattre
ces cadres apparaît comme une condition
nécessaire à l’appréciation fine des
comportements d’enfants-élèves et de leur
complexité, à la compréhension des
connaissances en jeu dans l’expérience
vécue en ateliers… Soit une condition
nécessaire à un partenariat bienveillant et
constructif.
6 Milton Paulo Nascimento de Oliveira souligne l’intérêt de l’outil vidéo. En tant qu'artiste, situé toujours au milieu des
enfants-élèves, la vidéo lui permet une vision plus large de l'atelier, de prendre de la distance pour pouvoir observer
ce qui se passe à l'intérieur comme à l’extérieur de l'espace de danse.
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La participation d’élèves du primaire à la création d’un conte
musical avec des artistes professionnels
MYRIAM LEMONCHOIS , professeure département de didactique, Université
de Montréal – Québec
EMELINE OUVRARD , auxiliaire de recherche, Université de Montréal – Québec
Introduction et problématique
Il est largement reconnu que l’éducation
artistique favorise le développement
personnel et social des enfants, mais peu
d’études ont effectivement démontré
l’existence réelle de ces effets (Valentin,
2006). Il manque des recherches pour
comprendre pourquoi est favorisé ce
développement en fonction des
expériences des élèves dans les projets
artistiques (Burnard et Swann, 2010). Il
est difficile de déterminer, dans la
littérature de recherche, si les effets sont
causés par la pratique artistique ou par
les innovations pédagogiques qui
l’accompagnent (Fraisse, 2008). À titre
d’exemple : le travail collectif est souvent
adopté lors des projets artistiques, et il
semble permettre d’améliorer les
compétences sociales. Mais l’effet est-il
dû aux expériences artistiques ou au
dispositif pédagogique mis en place ?
Seule la spécificité de l’expérience
artistique permet d’affirmer la plus-value
apportée par l’éducation artistique
(Lauret, 2008), il est donc important de
comprendre la participation d’élèves à
des activités artistiques, en se centrant
sur les spécificités de ce type d’activités,
sans négliger les formes d’intervention
pédagogique qui en découlent.
Les deux dernières décennies ont vu la
multiplication des interventions d’artistes
dans les écoles et certains affirment qu’il
ne peut y avoir de projets artistiques sans
participation (Lacroix et Mouraux, 2003).
Quant à Ramsey White et Rentschler
(2005), ils affirment que cette
participation développe l’intégration
sociale. Par ailleurs, il n’existe pas
toujours de participation authentique des
élèves dans les projets (Hart, 1992). Dans
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certains projets, les élèves sont
simplement présents, ailleurs ils
prennent part aux prises de décisions
(Guetzkow, 2002). Si de nombreuses
recherches ont porté sur la participation
des élèves dans le cadre de projets, le
désaccord entre les points de vue des
auteurs est peut-être la conséquence d’un
manque de définition de la participation
(Merli, 2002). C’est pourquoi il est
nécessaire de définir précisément ce
qu’on entend par participation des élèves
afin de mieux en comprendre les effets.
De la Convention Internationale des
Droits de l’Enfant – CIDE - (ONU, 1989)
découle une définition de la participation
des enfants reliée à la reconnaissance de
leur parole. Depuis, l’UNICEF demande
aux milieux scolaires de développer la
participation des enfants (Lansdown,
2005). Mais la participation reste encore
peu développée à l’école (Brougère et
Vandenbroeck, 2007) ou alors seulement
dans le cadre d’une éducation à la
citoyenneté (Pagoni, 2009). De plus, elle
est parfois définie comme une contrainte,
évaluée en termes d’énergie dans la
réalisation de la tâche, comme l’indique,
par exemple, le programme de
d’enseignement au primaire de la
Nouvelle-Écosse (CSAP, 2006, p. 130).
Finalement, la question de savoir quelles
formes de participation l’école peut
intégrer pour reconnaître les élèves
comme des acteurs sociaux reste entière.
D’une manière générale, la clef de la
réussite de la participation des enfants est
le partenariat enfants-adultes (Cook et
collab., 2004). La même constatation est
faite par les chercheurs qui ont étudié les
pratiques pédagogiques des artistes dans
les écoles : les pratiques des artistes les
plus signifiantes sont celles qui
recherchent une coparticipation et une
coconstruction entre les élèves et les
artistes (Craft, 2005). Actuellement, les
recherches sur les interventions d’artistes
dans les écoles — les plus récentes et les
plus approfondies — se sont déroulées en
Grande-Bretagne, où, depuis 2002, un
important programme de partenariats
artistiques et culturels, intitulé Creative
Partnership, a été institué avec les écoles
(Burnard et Swann, 2010). Ces recherches
ont fait ressortir plusieurs points saillants
concernant la relation entre élèves et
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artistes : c’est une relation qui diffère de
celle de l’enseignant avec les élèves
(Galton, 2008 ; Pringle, 2008) parce que
l’artiste se place à côté des élèves
(alongside) (Chappell et Craft, 2009). Les
interventions des artistes dans les écoles
seraient une autorisation à aborder
autrement les élèves (Chappuis et collab.,
2008, p. 135). Le contexte des projets de
création avec des artistes est donc
pertinent pour étudier une forme
particulière de participation dans les
écoles.
Contexte théorique
Spécificité de la création artistique
Reprenant Genette lorsqu’il affirme qu’il
n’y a d’œuvre qu’à la rencontre active d’une
intention et d’une attention (Genette, 1992,
p. 8), nous avons défini la spécificité de la
création artistique autour de ces deux
notions : intention et attention.
Le premier élément propre à l’art, selon
Genette (1997), est la considération de la
fonction intentionnelle. Pour que l’activité
artistique ait lieu, l’artiste doit diriger son
acte volontairement en formulant une
intention artistique, afin de maximiser les
potentialités de l’œuvre et la rendre plus
intelligible, signifiante et intéressante
(Ilhareguy, 2008, p. 72). Pour autant, le
travail ne se limite pas à une résolution de
problème qui consisterait à surmonter des
contraintes de départ. Si l’artiste vise
intentionnellement à réaliser ce qu’il
pressent, il n’est pas toujours en mesure
de pleinement déterminer les contours de
son œuvre dès le début de son
élaboration. L’intention artistique est un
complexe intentionnel composé
d’interactions entre intentions initiales et
intentions d’ajustement (Ilhareguy, 2008).
Le processus de création consiste en une
mise à l’épreuve d’intentions artistiques,
l’artiste expérimentant et vérifiant la
pertinence de ses intentions artistiques
dans l’expérience de leur matérialisation
ou de leur conceptualisation (Ilhareguy,
2008). Au cours du processus de création,
l’artiste est donc amené à faire des choix
parmi ses intentions.
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Genette (1997) appelle « attention
esthétique », l’attention de l’œuvre et de ses
éléments de contenu matériels et
conceptuels afin de les apprécier. Mais cette
attention intense et rigoureuse concerne
aussi l’activité du créateur : l’œuvre est le
résultat d’une composition où chaque
intention est soumise à l’appréciation.
L’artiste ne peut vérifier et évaluer la
pertinence de ses intentions artistiques qu’à
partir de sa propre sensibilité (Lemonchois,
2003). Toute création artistique repose sur
l’appel à la nécessité intérieure (Kandinsky,
1989), dans lequel l’artiste puise ses
mobiles (Guisgand, 2002) et qui joue un
rôle de verdict sensible pour mettre à
l’épreuve des intentions artistiques
(Ilhareguy, 2008).
Si le créateur évalue ses intentions artistiques
à partir de sa sensibilité, il doit, par ailleurs,
toujours avoir en tête le regard d’autrui.
L’artiste pour être reconnu doit montrer qu’il
est non seulement singulier (un être unique
dont l’œuvre est originale) mais aussi
universel (capable de toucher chacun et tous
en même temps) (Heinich, 2005). L’art n’est
pas seulement une pratique solitaire, c’est
aussi une pratique sociale.
Participation
Depuis la publication de la CIDE (ONU,
1989), la participation de l’enfant a fait
l’objet d’un nombre croissant de projets
concrets et de recherches (Lansdown,
2001). Dans ces travaux, la définition de
la participation découle directement de
l’article 12 de la CIDE qui octroie aux
enfants le droit d’avoir un rôle actif dans
leur propre existence et de participer aux
décisions les concernant (Lansdown,
2001). Et les chercheurs constatent que le
degré le plus élevé de la participation des
enfants consiste dans leur implication à
des prises de décision avec des adultes,
parce que ce sont celles qui ont un impact
durable sur l’ensemble de la collectivité
(Cook et collab., 2004). En adoptant cette
définition de la participation, il s’agit de
chercher à comprendre comment les
artistes impliquent les élèves dans des
prises de décision.
Craft (2005) et Galton (2008), qui ont
étudié la participation d’enfants à des
projets avec des artistes, constatent que
cette participation est authentique, si les
enfants ont un rôle dans le processus de
création. Étant donné que la participation
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étudiée dans notre recherche se déroule
dans le contexte particulier de projets de
création avec des artistes dans des
écoles, nous avons porté notre attention
sur le processus de décision qui
accompagne la mise à l’épreuve des
intentions artistiques, pour déterminer
les ajustements nécessaires à la réussite
de l’œuvre. Dans ce contexte et afin
d’étudier la participation d’élèves du
primaire à un projet de création avec des
artistes, trois objectifs ont été définis : 1)
Analyser comment les artistes sollicitent
la participation des élèves en milieu
scolaire ; 2) Comprendre comment
l’appel à la nécessité intérieure module la
participation des élèves ; 3) Définir le
statut de l’élève lors de sa participation
au processus de création avec les artistes.
Méthodologie
Sujets
La recherche a porté sur un des projets
du programme Libres comme l’art, créé
par le Conseil des Arts de Montréal, Le
Conseil des Élus de Montréal et l’École
montréalaise pour tous. Ce programme
accorde un soutien financier pour la
réalisation de résidences de création
dans des écoles publiques francophones
et anglophones de l’ile de Montréal. Les
projets Libres comme l’art ont pour
objectif de faire participer des élèves à un
projet de création artistique
professionnelle sur plusieurs mois et ils
sont sélectionnés sur leur qualité
artistique et la pertinence des activités
proposées dans les écoles. Les jeunes
entrent ainsi en contact avec une
démarche artistique professionnelle,
alors que les artistes alimentent leur
travail créatif au contact des élèves.
Toutes les disciplines artistiques sont
admissibles au programme. Une
douzaine de projets de ce type étant
financés chaque année, nous en avons
sélectionné un au hasard pour réaliser
cette étude. Ce projet a permis la
participation d’élèves de 2e et 3e cycle du
primaire à un projet de création de conte
musical avec des artistes : une classe de
3e cycle a réécrit un conte traditionnel
japonais, une autre de 2e cycle a appris à
jouer du shinobue, écrit et sélectionné
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des séquences musicales, et deux autres
du 2e cycle ont sélectionné des thèmes
musicaux joués. Deux artistes, l’une
Japonaise et l’autre Québécoise, sont
intervenues conjointement. Toutes les
deux étant co-auteures du conte, mais
l’une d’elles étant à l’initiation du projet,
c’est cette dernière que nous avons
rencontrée en entretien.
Instrumentation
De type descriptif (Van der Maren, 1987),
la méthode de recherche a consisté en
des entretiens individuels avec une
artiste et un enseignant et des entretiens
collectifs avec les élèves, avec auparavant
des observations lors des interventions
des artistes pour en concevoir les
questions. Parce que la recherche a
bénéficié d’une subvention de recherche
octroyée par le Bureau de la recherche, du
développement et de la valorisation de
l’Université de Montréal, son comité
d’évaluation scientifique en a approuvé la
valeur scientifique.
La méthode de recherche a été élaborée à
partir d’une recension de la littérature de
recherche impliquant des enfants. La
sociologie de l’enfance considérant les
enfants comme des participants à part
entière (Sirota, 2005), capables
d’interpréter leur propre expérience
(James et Prout, 1990), au même titre que
les adultes (Christensen et Prout, 2002),
l’approche évite d’infantiliser les
enfants : il s’agit d’entendre et de
reconnaitre leur point de vue (Alderson,
2000). Le guide d’entretien auprès des
élèves a donc tenté de respecter les
éléments essentiels lors de la conduite de
recherche auprès d’enfants, déterminés
par Clark et Moss (2001). Tout d’abord,
les élèves ont pu témoigner de leurs
expériences des élèves, comme des
experts, c’est-à-dire comme les autres
participants adultes. Ensuite, une
certaine souplesse était présente dans la
conduite des entretiens : de mode semi-
directif, l’ordre et la formulation des
questions ont été adaptés aux enfants.
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Déroulement
Les entretiens ont pu être réalisés auprès
de trois groupes d’élèves, chaque groupe
étant composé de trois élèves différents
issus des différentes classes ayant
participé au projet. Ces entretiens ont
duré environ quarante minutes chacun.
Faire parler les élèves sur ces concepts
complexes, tels que ceux que nous avons
définis dans notre contexte théorique,
s’est avéré difficile. Les premières
questions de l’entretien qui consistaient à
leur demander ce qu’ils avaient aimé le
plus et ce qu’ils avaient aimé le moins
dans le projet, ainsi que ce qu’ils avaient
imaginé du projet avant de le commencer,
nous ont permis d’avoir un recueil de
mots et d’expressions que nous avons
réutilisé pour reformuler nos questions le
plus simplement possible. Par ailleurs,
nous avons adapté le déroulement du
guide d’entretien à l’ordre d’apparition
des thématiques que les élèves abordaient
au cours de l’entretien, nous contentant
ainsi de reformuler leurs propos pour les
inviter à être plus précis.
Le point de vue des enfants a été croisé
avec celui des adultes. Trois autres
entretiens ont été effectués : un en fin de
projet, auprès de l’enseignant spécialisé en
musique, qui a accompagné le projet dans
les classes y participant, et deux entretiens
avec l’artiste, initiatrice et responsable du
projet, un entretien en début de projet,
avant les observations dans les classes et
un entretien à la fin du projet. Les
entretiens avec les adultes participant ont
duré en moyenne une heure.
L’analyse des notes d’observation nous a
permis de construire un guide d’entretien
et de déterminer les questions que nous
voulions poser. Après quelques
questions d’ordre générales sur le projet,
le guide d’entretien contenait des
questions réunies sous trois thèmes
principaux : le processus de prise de
décision, l’appel à la nécessité intérieure,
la relation aux élèves.
Considérations éthiques
Afin de pouvoir réaliser les observations et
les entretiens dans les écoles, l’obtention
d’un certificat d’éthique auprès de
l’Université de Montréal s’est avérée
nécessaire, ainsi que des formulaires de
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consentement de participation à la
recherche, un destiné à l’enseignant, un à
l’artiste et un autre aux parents des
élèves. L’obtention du consentement des
élèves leur a été demandée de manière
orale. Les données ont été anonymisées,
les participants ne devant pas être
identifiés lors du traitement des données
et de la diffusion des résultats.
Méthode d’analyse des résultats
Les entretiens avec les élèves, l’artiste et
l’enseignant ont été transcrits puis
analysés de manière thématique en
fonction des objectifs de recherche. Ils
ont été analysés une deuxième fois en
écoutant le fichier audio, afin de mieux
cerner le discours des enfants. Lors de
l’écoute, l’analyse a été effectuée de
manière linéaire, au fur et à mesure de
l’écoute : les chercheurs interrompant
leur écoute pour transcrire leurs
interprétations faisant appel au cadre
théorique ou aux données recueillies lors
des observations. Les résultats sont
présentés en fonction des objectifs de la
recherche et des thèmes issus de
l’analyse des entretiens.
Résultats
La participation des élèves
sollicitée par les artistes
Le projet de création avec les artistes
s’est toujours déroulé dans la salle de
classe réservée aux cours de musique.
Malgré cela, les enfants nous disent que
ce n’est pas comme à l’école. Les élèves ont
eu des difficultés à expliquer pourquoi,
mais en reformulant leurs propos nous
avons eu quelques réponses.
Tout d’abord, les élèves disent que le
projet a un côté mystérieux, car ils n’ont
pas su avant la présentation du projet
final, ce que serait le résultat de leur
travail. Le projet de création a été réparti
entre plusieurs classes : une classe a
réécrit l’histoire, une autre a appris à
jouer du shinoboe pour créer des
séquences musicales et deux autres
classes ont choisi toutes les autres
séquences musicales du conte. Par
ailleurs, la mise à l’épreuve d’intentions
artistiques implique une modification de
la création au fur et à mesure de son
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avancement : c’est nous qui a fait l’histoire…
mais on sait pas quoi ça fait tout ensemble,
nous disent les élèves. Les élèves ont bien
compris que le projet se construisait au
fur et à mesure et pensent que cela
diffère des autres projets dans l’école.
Pour les élèves, c’est un projet mystérieux
aussi parce qu’il diffère des autres
projets d‘intervention d’artistes à l’école.
Des élèves nous disent avoir pensé au
début du projet qu’ils allaient continuer à
jouer de la flute à bec et faire un spectacle de
fin d’année, comme tout le temps. Certains
élèves ont même imaginé que les artistes
feraient tout le travail de création et
qu’eux joueraient seulement quelques
morceaux. Les interventions d’artistes se
déroulent souvent sur une courte période
et ont pour objectif de présenter une
œuvre, de réaliser un atelier avec les
élèves ou d’aider l’enseignant à réaliser
une création des élèves montrée à l’école.
Les projets Libres comme l’art sont
originaux parce qu’ils visent une création
professionnelle, c’est-à-dire destinée à
un large public, et qu’ils séparent les
aspects techniques des aspects de
création, ainsi dans les projets musicaux
ce ne sont pas les élèves qui jouent, mais
des artistes professionnels. L’artiste qui
dit intervenir depuis 15-20 ans dans les
écoles reconnaît que des projets comme
cela, c’est assez unique. Cet aspect est assez
déroutant pour les participants : au début
du projet, l’enseignant et les élèves nous
ont dit avoir été étonnés par le
déroulement du projet qui impliquait
seulement de faire des choix musicaux.
Lorsque nous demandons aux élèves ce
qui est différent entre l’enseignant et
l’artiste, un élève cite un exemple de
séquences de pratique du shinobue, l’une
avec l’artiste japonaise durant ses
interventions et l’autre avec leur
enseignant de musique :
Moi je trouve que c’est meilleur avec Y (l’artiste
japonaise), plus facile, parce qu’avec P. (leur
enseignant de musique), avec lui on pratique,
avec Y., on pratique et en même temps on
choisit des choses, et puis après on donne son
opinion si on aime cela.
Lorsque le projet a été présenté en début
d’année aux élèves, ils n’avaient pas
imaginé avoir un rôle aussi important. Ils
ne sont pas habitués à être consultés pour
participer à des prises de décisions : c’est
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souvent leur enseignant qui choisit ce
qu’ils doivent faire et selon eux, c’est
correct, parce qu’après tout c’est lui le prof,
nous disent-il. L’une des particularités du
projet retenue par les élèves est leur
participation à des prises de décision.
Le fait que le projet se déroule dans la
classe a impliqué une adaptation du projet
aux contraintes scolaires. L’enseignant et
les élèves ne nous nullement parlé des
contraintes scolaires, peut-être parce
qu’ils les vivent au quotidien et qu’elles
sont des habitus inhérents à l’école,
auxquels on finit par ne plus penser. Mais
elles ont été pesantes pour l’artiste, même
si le projet n’était pas le premier qu’elle ait
fait dans des écoles. La contrainte la plus
dérangeante pour l’artiste a été celle du
temps si on avait eu plus de temps, j’aurai peut-
être essayé d’explorer les segments musicaux et
de creuser un peu plus les choix. L’artiste
aurait préféré travailler avec les élèves sur
des périodes plus longues que celles qui
lui étaient allouées sur l’heure du cours
avec l’enseignant spécialisé en musique. À
cause de la contrainte de temps, l’artiste a
dû adopter une procédure particulière
pour le recueil des choix des élèves : j’ai
décidé d’y aller avec des votes et que j’ai noté
pour avoir une espèce d’idée de ce qui plaisait le
plus à la majorité. Le processus de création
artistique ne répond pas à une
programmation horaire comme les cours,
les contraintes de temps ont donc eu des
implications sur le type de relation avec
les élèves : j’aurai trouvé cela intéressant
d’avoir un peu plus de temps, travailler peut-être
un peu plus en équipe, pour avoir un rapport plus
égal, nous dit l’artiste.
En début de séance, l’artiste commence
par présenter le travail du jour :
On a trouvé pas mal d’ambiances, mais il nous
reste quelques moments du spectacle où là on
ne sait pas quoi, alors c’est pourquoi on est en
classe ce matin, on a besoin de ton avis ; c’est
parce qu’on a plusieurs choix, et on n’arrive pas
à se décider.
Lors de chaque séance d’une heure, les
artistes présentent aux élèves diverses
versions musicales et elles les consultent
pour la mise à l’épreuve de ces intentions
artistiques. Elles ont donc délégué une
partie de leur travail en demandant aux
élèves d’en déterminer les ajustements
nécessaires. Quand nous demandons aux
élèves ce que cela leur fait, ils répondent :
moi, j’aime ça parce que si c’est eux tous seuls
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qui les prennent, c’est comme si nous on
participait pas parce qu’on donne pas notre
opinion. Pour les élèves, la notion de
participation est bien reliée à l’idée de
prendre des décisions personnelles.
Dans l’ensemble, de nombreux choix des
élèves ont été incorporés dans la
réalisation : on a respecté leurs choix
musicaux, les instruments, tout cela on
ne les a pas remis en question, nous dit
l’artiste. Selon l’enseignant, les élèves
ont reconnu leurs choix dans le produit
final et il nous rapporte des propos
entendus après le spectacle : ah oui, on
avait choisi cela, ben oui, c’est ma phrase. Mais
toutes les décisions prises par les élèves
n’ont pas été incorporées dans le projet.
Par ailleurs, jamais les décisions qui ont
été prises par les enfants n’ont jamais été
considérées comme des choix définitifs,
le processus de création impliquant de
mettre à l’épreuve des intentions
artistiques. Mais les élèves semblent ne
pas avoir été gênés par le fait que les
décisions qu’ils avaient prises n’étaient
pas définitives ou qu’elles n’aient pas été
incorporées dans le produit final :
S’ils le mettent là, on serait content, parce que
notre choix est mis dans le spectacle, mais si
jamais ils sont pas là, on se dirait au moins
qu’on s’est laissé exprimer, même s’ils les ont
pas mis, au moins on a pu dire notre
personnalité, les choix qu’on a choisis.
Les élèves ajoutent qu’ils se sont sentis
comme des créateurs, créatrices parce qu’ils
ont pu exprimer leur personnalité dans le
processus de création, même si tous
leurs choix n’ont pas été intégrés dans le
produit final.
L’appel à la nécessité intérieure
et la participation des élèves
Le processus de création exige de porter
une attention esthétique sur les
matériaux qui peuvent être insérés dans
l’œuvre, dans le cas observé, les
séquences musicales. Formuler des
intentions artistiques est parfois difficile
pour les élèves. Dans ce projet de
création, les intentions artistiques
initiales ont été formulées par les
artistes, mais elles ont été mises à
l’épreuve par les élèves qui ont dû faire
appel à leur nécessité intérieure afin de
rendre un verdict sensible et prendre des
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décisions pour les ajustements
nécessaires. Lors des choix des
séquences musicales, les artistes
arrivaient en classe avec trois ou quatre
versions d’une même séquence pour les
faire écouter aux élèves. Ils leur
demandaient de choisir parmi celles-ci
celles qu’ils pensaient correspondre le
mieux. Après mise en contexte, l’artiste
demandait aux élèves de réfléchir en
fermant les yeux parce qu’elle pense qu’il
lui semblait important de renvoyer les
élèves à leur intériorité : je vais le faire moi-
même, pour avoir le senti, parce que c’est très
kinesthésique, c’est les sons, faut les sentir,
nous dit-elle.
Lorsqu’on demande à l’enseignant ce
qu’il pense de cette manière de faire, il
nous répond que lui aussi le demande
dans ses cours aux élèves : on veut bien
leur faire prendre conscience de cela, le faire
réfléchir, le faire questionner sur tout cela. Ce
qu’on remarque d’emblée lorsqu’on
compare les propos de l’artiste et ceux de
l’enseignant concernant l’appel à la
nécessité intérieure, c’est que l’artiste a
parlé de sentir quand l’enseignant parle
de réfléchir et de questionner. Cet
enseignant semble faire référence à ce
que Bachelard appelle la surveillance
intellectuelle de soi (Fabre, 2003), un
outil nécessaire à la pensée scientifique
qui nous empêche de croire à la première
idée venue. Si l’enseignant spécialiste en
musique renvoie parfois les élèves à leur
intériorité, les élèves pensent que
l’enseignante généraliste leur demande
rarement : c’est pas vraiment une habitude,
nous disent les élèves. Et lorsque cela
arrive, c’est uniquement en dehors des
apprentissages scolaires, par exemple
pour demander aux élèves s’ils veulent
aller dehors quand il fait chaud. Les
élèves pensent qu’à ce moment-là,
l’enseignante ne veut pas qu’on copie les
personnes, parce que quand on va juste dehors
et qu’on a rien à faire (…) là ce sera plate.
D’après cet exemple, l’intériorité renvoie
au maître intérieur, tel que défini par
Durkheim (1938) : l’élève doit y faire
appel pour y trouver une vérité
universelle, le juste et le bien. Si le maître
intérieur chez Durkheim renvoie à un
habitus moral (Fabre, 2003), l’appel à la
nécessité intérieure de l’artiste n’est pas
du même ordre. Elle ne renvoie ni à un
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bon comportement social (Durkheim,
1938) ni à un bon comportement
intellectuel (Fabre, 2003). Lorsque les
artistes partagent avec les élèves leurs
intentions artistiques, ils leur demandent
de faire appel à leur sensibilité.
Les artistes demandent aux élèves de
faire appel à leur sensibilité et en même
temps, ils rappellent aux élèves que la
mise à l’épreuve sensible implique le
regard de l’autre. Les consignes des
artistes contiennent à la fois une
dimension personnalisante et de l’autre
une dimension généralisante. La
dimension personnalisante apparaît dans
les consignes des artistes : ce que tu
préfères ; ce que tu penses ; ça va être toi qui va
décider. Et les artistes rappellent ainsi aux
élèves la dimension généralisante en leur
demandant par exemple : imagine-toi que
tu arrives au spectacle et là tu entends…
Trouves-tu que cela nous met dans l’ambiance
de la forêt japonaise, de la forêt de bambous et
que cela ouvre un conte japonais ? Les artistes
accompagnent les élèves dans le travail
d’explicitation de l’intention artistique en
leur montrant qu’elle est un compromis
entre un projet d’expression personnelle
et les attentes d’un public. L’élève doit se
poser comme artiste, c’est-à-dire
comme être unique parlant au nom et en
direction de tous (Maulpoix, 1998, p. 63).
Lorsque les artistes et les élèves se
retrouvent partenaires dans l’acte
créateur, l’apprentissage artistique
adopte une perspective culturelle
indispensable à la pratique artistique.
Le statut de l’élève lors de
sa participation au processus
de création
En déléguant une partie de leur travail de
création aux élèves, les artistes leur ont
reconnu une expertise : celle de pouvoir
évaluer la pertinence d’intentions
artistiques. Les artistes ont accordé aux
élèves une expertise : celle d’une
personne agissante, c’est-à-dire capable
de faire des choix éclairés dans des
situations dont il maîtrise et comprend
les enjeux (Lacroix et Mourault, 2003). Et
étant donné que les artistes n’ont pas
vérifié auparavant si les élèves
possédaient réellement cette expertise,
nous pouvons dire qu’elles ont d’emblée
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reconnu les élèves compétents pour
participer aux prises de décisions
artistiques. L’artiste que nous avons
rencontrée justifie ainsi cette posture : ce
que j’ai essayé de leur dire que c’est eux les
spécialistes, à partir du moment où je leur
donne le contexte et leur fais écouter
différentes musiques, je ne vois pas pourquoi ils
ne seraient pas capables de choisir, puisqu’ils
ont une sensibilité. Les élèves ont vraiment
eu l’impression qu’on les reconnaissait
comme compétents et se sont sentis
valorisés : Ce que j’ai préféré c’est choisir les
musiques, parce que c’est des choix à nous, et
pas des choix à d’autres. Au début du projet,
les élèves n’ont pas imaginé qu’on leur
confierait des tâches propres à l’artiste.
Être reconnu comme expert est un rôle
apprécié des élèves, mais qui n’est pas
habituel à l’école.
L’enseignant reconnaît qu’il y a un
décalage entre l’attitude de l’artiste
envers les élèves et la sienne : elles avaient
au départ confiance en leurs idées, en leurs
capacités, en leur effort, en leur motivation.
Même s’il valorise ses élèves en leur
disant ah ça vous êtes bons pour cela ;
c’est comme cela que je voudrais qu’on
travaille tout le temps, il reconnaît qu’il
n’est pas capable d’avoir totalement
confiance dans leurs compétences : c’est
sûr que ce n’est pas ce que je pense au début là,
volontairement. Et il ajoute : peut-être que je
ne leur fais pas assez confiance,
personnellement. Je ne pense jamais qu’ils
pourront faire certaines choses. Il cite en
exemple : souvent j’aurai envie de leur faire
écouter de la musique, telle que de l’opéra… « oh
non, ils n’aimeront pas cela. Ça va rire et puis ils
n’aimeront pas cela ». Je m’enlève le droit de
faire cela et je vois que cela pourrait très bien se
passer. L’enseignant ne pense donc pas
d’emblée que les élèves sont compétents.
Les principes didactiques, quelles que
soient les disciplines, reposent toujours
sur l’idée que les élèves ne sont pas
compétents et que le rôle de l’enseignant
est de les amener à le devenir.
Lorsque l’artiste a sollicité la
participation des élèves, elle affirmait son
ignorance en affirmant qu’elle ne savait
pas quelles musiques il fallait choisir en
rappelant plusieurs fois au cours d’une
même période et à toutes les périodes :
moi je ne sais pas, c’est vous qui savez. Le
travail au sein du projet devait se faire
dans un esprit égalitaire : toutes les
opinions pouvaient être entendues, étant
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donné qu’elle étaient issues de personnes
considérées comme compétentes dans
leur créativité et leur sensibilité artistique.
En adoptant cette attitude, l’artiste a eu
l’impression que les élèves ressentaient
un certain inconfort et qu’ensuite ils se
questionnaient :
Je pense qu’ils ne sont pas habitués, qu’ils sont
toujours dans un rapport maitre-élève, le
maitre sait tout, l’élève ne sait rien. Et là de les
mettre dans un processus de coéducation, de
cocréation, ils ne sont pas habitués à cela. Et
c’est la difficulté, la surprise.
Cela peut être en effet déroutant pour les
élèves qu’un adulte qui prend la place de
son enseignant n’en sait pas plus que lui.
Discussion des résultats
Les résultats exposés ci-dessus nous ont
permis de répondre à la question
principale de la recherche pour
comprendre la participation d’élèves du
primaire à un projet de création avec des
artistes. Nous avons vu que cette
participation diffère sur de nombreux
points de la participation demandée aux
élèves habituellement en classe, même si
elle se déroule dans un contexte scolaire
en respectant ses contraintes. Les élèves
n’ont pas développé des intentions
artistiques mais ils ont participé à leur
mise à l’épreuve et ont pu prendre des
décisions quand aux ajustements
nécessaires à la production artistique.
Les élèves ont pris des décisions d’ordre
artistique et par de là se sont sentis
reconnus comme compétents et dans une
relation égalitaire avec l’artiste.
Les élèves pensent que les artistes n’ont
pas exercé une autorité sur eux, tout
comme, parfois, peut le faire leur
enseignant, mais que le prof, quand il est
prof, il est sévère. Ils rappellent ainsi que
dans le rôle d’explicateur de l’enseignant
induit une relation pédagogique
inégalitaire. Les propos des élèves
rappellent ceux de Rancière (1987),
lorsqu’il affirme que l’artiste a besoin de
l’égalité comme l’explicateur a besoin de
l’inégalité (p. 54). La reconnaissance des
élèves, dans un rapport égalitaire entre
adultes et enfants, n’est pas sans
rappeler le projet d’émancipation décrit
par Rancière (1987, 2009). Chez Rancière
(2009), si l’instruction est basée sur un
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rapport inégalitaire entre un maître
savant et un élève ignorant,
l’émancipation se base sur la prémisse
d’une égalité des intelligences du maître
et de l’élève qui leur permet d’échanger
leurs aventures intellectuelles (Rancière,
2009, 23). Il nous paraît intéressant
d’interpréter les résultats à la lumière des
travaux de cet auteur, car la définition de
la participation que nous avons
empruntée à la CIDE implique que
participation et émancipation soient
interchangeables, comme dans les
publications du centre de recherche de
l’UNICEF (Lansdown, 2005).
Prendre pour point de départ l’égalité,
c’est donc partir non pas de ce que l’élève
ignore, mais de ce qu’il sait et de vérifier
s’il a usé de son intelligence (Rancière,
1987). Dans notre recherche, nous avons
constaté que les artistes ont demandé
aux élèves de justifier leurs choix. Ils leur
ont demandé de rendre compte de leur
volonté de donner du sens, en montrant
que leur nécessité intérieure a bien été
sollicitée. Ils ont donc joué ici un rôle
identique à celui du maître ignorant
décrit par Rancière (1987) en vérifiant
que l’élève a cherché en jugeant de
l’attention que l’élève à porter en
vérifiant par lui-même ce qu’il a trouvé.
Pour Rancière (1987), la leçon
émancipatrice de l’artiste est d’effectuer
une double démarche : ressentir et faire
partager ce qu’il ressent. Cela ne signifie
pas copier l’œuvre d’un artiste mais
adopter une attention et une attitude de
recherche propre à l’art pour dire et faire
partager son rapport à soi, aux autres et
au monde dans des matériaux a priori
arbitraires et dont il faut forcer la
résistance pour pouvoir se dire (Rancière,
1987). Cet auteur rappelle ainsi que la
vertu première de notre intelligence est la
vertu poétique (Rancière, 1987, p. 120).
Selon Rancière (2009), l’art de nos jours
relève d’un régime esthétique qui lui
octroie une valeur émancipatrice dans la
mesure où la propriété d’être de l’art
n’est dépendante de critères de
perfection technique, mais reflète une
volonté de partager une appréhension du
sensible. Reprenant les propos de
Rancière (1987), nous pouvons dire que
le rôle pédagogique de l’artiste est de
donner à voir faire de l’art pour
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apprendre à en faire soi-même ;
apprendre de celui qui vient en homme
émancipé pour aider le novice sur le
chemin de l’intelligence poétique à
partager la parole muette de l’émotion en
maniant l’arbitraire de la langue — dans
le cas étudié le langage musical. Il
semblerait que développer une posture
d’auteur à l’école consiste à mettre en
œuvre un régime esthétique de
l’enseignement des arts, c’est-à-dire un
mode d’enseignement dans une égalité
des sujets, enfants et adultes.
Parce que la création artistique relève à la
fois d’un régime de singularité et d’un
régime de communauté (Heinich, 2005),
elle constitue d’évidence un lieu
privilégié dans lequel le sujet peut se dire
tout en participant à la culture. Les
artistes par leur expérience d’auteur
peuvent aider les élèves dans la
construction de leur propre posture
d’auteur. La notion d’auteur permet de
penser l’aptitude du sujet à produire du
social, par sa position de sujet et par sa
force critique (Bertucci, 2007). Elle
renvoie aussi à la définition de
l’émancipation de Rancière, comme
capacité des individus à se démarquer
des identités qu’on leur assigne
(Rancière, 2009). Le projet d’émanciper
par l’art est né dans les écoles
progressives (1890-1920) de
l’éducation, où expression de soi et
enseignement artistique sont intimement
mêlés (Lemonchois, 2011). Mais dans la
classe, le rapport de pouvoir entre élève
et enseignant est un pouvoir
d’assujettissement et l’expression de
l’élève ne suffit pour être émancipatrice.
C’est parfois même au contraire une
source additionnelle d’assujettissement :
l’élève qui se dévoile par l’expression
artistique se met en danger, en particulier
celui d’être jugé par l’enseignant, comme
lorsque celui-ci l’évalue en fonction des
étapes du développement graphique.
Pour que l’éducation ait une valeur
émancipatrice, il ne suffit pas de
demander aux élèves de s’exprimer par
l’art, mais de leur demander de faire
l’effort de partager leur expérience
sensible. L’appel à la nécessité intérieure
conjugue des dimensions à la fois
personnelle et sociale ; il exige un
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compromis entre expression personnelle
et attentes du public. Par la mise à
l’épreuve d’intentions artistiques avec
des artistes, les élèves peuvent approcher
une posture d’auteur.
Conclusion
Parce que les projets d’intervention
d’artistes dans les écoles se multiplient,
que cela soit au Québec ou dans d’autres
pays, et qu’il existe des évidences non
démontrées sur la participation des élèves,
la recherche a eu pour objectif principal de
comprendre quelle était leur participation
dans ce contexte, en adoptant une
définition précise de la participation. Par
ailleurs parce qu’il est important de
prendre en considération dans ce type de
projets, la spécificité des expériences
artistiques, la recherche s’est appuyée sur
deux de leurs aspects essentiels :
l’intention artistique et l’appel à la nécessité
intérieure qui caractérise l’attention de
l’artiste. De type descriptif, la méthode de
recherche a permis de recueillir dans des
entretiens semi-directifs les propos des
participants (les élèves, l’enseignant et
l’artiste) dans le cadre d’un projet de
résidence de création dans une école
primaire montréalaise. Les résultats ont
permis de comprendre la participation
d’élèves du primaire à un projet de création
avec des artistes. Nous avons vu que cette
participation diffère sur de nombreux
points de la participation demandée aux
élèves habituellement en classe, même si
elle se déroule dans un contexte scolaire en
respectant ses contraintes : les élèves ont
pu prendre des décisions en faisant appel
à leur nécessité intérieure, tout en prenant
en compte les attentes d’un public
potentiel. Cette participation repose sur la
reconnaissance en amont de la
compétence des élèves, dans une relation
égalitaire entre adultes et enfants.
La recherche n’a étudié qu’un seul projet
de résidence d’artistes dans une école. Il
s’agissait d’une étude pilote pour mettre à
l’épreuve l’approche théorique et
méthodologique d’une recherche de plus
grande ampleur sur différents projets
d’intervention d’artistes dans des écoles de
l’Ile de Montréal. Elle nous a permis
d’évaluer la pertinence de notre cadre
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théorique et d’affiner nos outils de
recherche, en particulier les guides
d’entretiens auprès des élèves. Mais
comme il s’agit d’une étude sur un corpus
restreint ses résultats ne peuvent être
généralisables et doivent faire l’objet de
vérification dans d’autres recherches.
Cette étude nous a permis d’observer une
forme de participation dans un contexte
scolaire qui implique une reconnaissance
de la compétence des élèves comme
prémisse, alors qu’habituellement la
compétence de l’élève y est reconnue
comme finalité. Plusieurs questions
émergent : Que devient la valeur
émancipatrice de ces projets à plus ou
moins long terme ? Pourrait-elle être
développée dans d’autres apprentissages
scolaires ? Pour mieux comprendre les
apports d’une telle participation dans les
apprentissages disciplinaires, nous
aimerions effectuer une recherche pour
comparer les pédagogies des enseignants
et des artistes, dans le contexte
d’apprentissages disciplinaires par projets,
qui sont des formes pédagogiques
relativement proches des interventions
d’artistes dans les classes.
De cette étude pilote, une autre question
émerge. Actuellement, plusieurs
recherches sur l’engagement scolaire des
élèves reprennent le concept de sentiment
d'efficacité personnelle (self-efficacy),
théorisé par le psychologue Albert Bandura
(1997). Ce concept désigne la croyance que
possède un individu de ses compétences
pour atteindre un but et serait source de
réussite scolaire et même de résilience. Les
recherches montrent que les élèves se
désintéressent des activités dans
lesquelles ils se sentent peu efficaces
(Bandura, 1997). Le degré de perfection
attendu est extrêmement élevé ou flou
dans le domaine des arts lorsque les
critères de perfection technique ou
d’appréciation subjective sont des critères
d’évaluation. Par conséquent, l’évaluation
des réalisations des élèves a pour
conséquence de miner le sentiment
d’efficacité personnelle des élèves en arts,
parce qu’elle consiste à adopter une
évaluation normative basée sur la
comparaison (Ames, 1992), en arts avec un
idéal inaccessible (le génie artistique), ou à
adopter une attitude culpabilisante pour
l’élève (Ames, 1992), qui ne peut
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comprendre la subjectivité de l’appréciation
par l’enseignant de sa réalisation. Il n’existe
aucune recherche sur le sentiment
d’efficacité comme source d’engagement
dans les apprentissages artistiques et nous
nous interrogeons sur la diminution de
l’intérêt des élèves pour les arts au fur et à
mesure de leur scolarité. Cette étude nous
a permis d’observer une forme de
participation dans un contexte scolaire qui
reconnait la compétence des élèves comme
prémisse, alors qu’habituellement à l’école
la compétence de l’élève est reconnue
comme finalité. Adopter un enseignement
des arts basé sur la reconnaissance de
l’expertise sensible des élèves pour prendre
des décisions d’ordre artistique est-il
envisageable ? Ce type de participation est-
il transférable dans la plupart des
didactiques des disciplines, et en particulier
en enseignement des arts ? Et si, oui,
permet-il une amélioration du sentiment
d’efficacité personnel des élèves ?
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Réflexions comparatives sur les effets spécifiques des résidences
d’artiste dans les dispositifs d’éducation artistique et culturelle :
vers la fin d’une rhétorique de l’exception ?
NATHALIE MONTOYA , maître de conférences en sociologie, Laboratoire du
changement social et politique, Université Paris-Diderot
Réflexions à partir d’une double enquête menée sur deux dispositifs d’éducation artistique et
culturelle porté par le conseil général de Seine Saint Denis (Culture et Art au Collège,
Résidence In Situ)
Depuis un peu plus d’une dizaine d’années,
les recherches menées en sciences sociales
sur l’éducation artistique et culturelle se sont
développées de façon importante. Si nous
disposons aujourd’hui de travaux
importants sur l’histoire de l’éducation
artistique et culturelle, sur les processus
socio-politiques qui ont présidé à son
développement par expérimentations et
dispositifs et si nous pouvons désormais
nous appuyer sur un certain nombre
d’enquêtes menées sur les projets eux-
mêmes, très peu de recherches se sont
intéressées aux effets différentiels des
projets entre eux. Les enquêtes empiriques
sur l’éducation artistique et culturelle, en
1 Bozec Géraldine, Barrère A., Montoya N. Les parcours « La Culture et l’Art au Collège » : enquête sur un dispositif d’éducation artistique et culturelle, Laboratoire CERLIS, Université Paris-Descartes, février 2013. Le rapport et la synthèse peuvent être téléchargés ici : www.seine-saint-denis.fr/La-Culture-et-l-Art-au-College.html
raison de leur caractère encore trop peu
nombreux, ont eu tendance à replier
l’examen singulier des dispositifs (types de
moyens consacrés au projet, type de
coordination, forme des projets etc.) sur des
réflexions générales sur « l’art à l’école ».
L’étude que nous avons menée, avec
Géraldine Bozec et Anne Barrère, sur le
dispositif de résidence artistique In Situ, un
an après avoir mené une étude sur le
dispositif Culture et Art au Collège1, visait à
explorer les effets spécifiques propres à la
forme « résidence artistique » (par comparaison
avec une forme plus ordinaire de projet
d’une quarantaine d’heures). Quels sont les
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apports spécifiques d’une résidence d’artiste
dans un collège, lorsqu’on les compare avec
les processus engagés, par ailleurs, dans les
projets d’éducation artistique et culturelle ?
Le dispositif de résidence In Situ du Conseil Général de la Seine-Saint-Denis
Les artistes en résidence accueillis dans In Situ, 10 à 11 chaque année, signent un cahier des charges précis2. Ils s’engagent à poursuivre un travail de création personnel et à être présents au collège entre trente et quarante jours par an. Ils doivent s’associer à un lieu culturel en Seine-Saint-Denis et organiser des sorties avec les collégiens. Ils bénéficient d’un espace dédié au sein de l’établissement. Comme le dit la charte du dispositif, « artistiquement, il s’agit de développer des projets inédits, et de développer le travail en direction du public collégien en permettant le suivi, le contact et l’échange avec un artiste dans le cadre d’une démarche spécifique. La résidence d'artiste au sein du collège permet de rendre présente la création au plus près de la communauté scolaire. Elle offre un espace d'ouverture, de réflexion et d'expression auquel les collégiens peuvent être associés individuellement ou collectivement, charge aux partenaires du projet d’imaginer des moments de rencontre, de découverte et d’échange ». La résidence comporte des moments de passage obligés de l’acte inaugural à la restitution finale en passant par un certain nombre de points d’étapes.
2 La présentation du dispositif In Situ est téléchargeable ici : www.seine-saint-denis.fr/IMG/pdf/charteinsitu-2.pdf 3 Pour une présentation détaillée de l’enquête CAC, peu exploitée ici, cf. le rapport cité plus haut. 4 Le rapport d’étude n’est pas encore achevé et devrait être bientôt disponible sur le site du conseil général de Seine-Saint-Denis (prévue pour décembre 2014).
L’enquête sur In Situ a été menée au
printemps 20133. L’enquête était plus
limitée en temps et en moyen que celle
réalisée sur la CAC (Culture et l’Art au
Collège). Une dizaine d’entretiens ont été
menés avec des artistes et des enseignants,
12 séances de travail ont été observées et 6
groupes d’élèves de 3 à 4 élèves sur deux
résidences ont été interrogés lors d’entretien
collectif ; 6 sur 10 des résidences In Situ
menées en 2012-2013 ont ainsi été
examinées, par entretien ou observation. Par
ailleurs les réunions de préparation de deux
résidences de l’année 2013-2014 ont été
observées et quelques résidences des
années passées ont été évoquées dans les
entretiens menés les années précédentes
avec les acteurs de Culture et Art au Collège.
Comme pour l’étude sur les parcours CAC,
nos questionnements portaient sur l’examen
des processus sociaux mobilisés par ces
projets et sur la saisie et l’analyse de leurs
effets sur l’école et sur le rapport aux arts et
à la culture des élèves concernés4.
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L’étude comparative sur les deux dispositifs
permettait ainsi d’observer les processus
engagés par l’éducation artistique et
culturelle lorsqu’un ensemble restreint de
variables changeaient :
- La variable temps est sans doute celle
qui marque le plus significativement la
différence entre les deux dispositifs.
- La seconde variable, d’importance pour
comprendre l’engagement des artistes
dans ces projets, tient à l’esprit de la
commande passée aux artistes dans
chacun des dispositifs par les acteurs du
Conseil Général. Dans le cadre d’In Situ,
les artistes sont soumis à une injonction
partiellement contradictoire : s’ils sont
libres de mener leur création comme ils
l’entendent dans l’espace de la
résidence, le conseil général attend
d’eux qu’ils mènent avec une classe un
travail sur l’année qui donnera lieu à une
présentation finale. L’injonction à
produire avec les élèves est à la fois
moins forte (il s’agit d’une résidence, et
non pas d’un projet à mener avec les
élèves) et plus exigeante.
- Afférentes à ces deux facteurs un
ensemble de variables à la durée et la
nature de la présence de l’artiste dans la
classe changeait également : l’artiste
disposait d’une salle qui lui était affectée
dans le collège (pour créer et travailler
avec les élèves), et de fait était installé
dans le collège au côté de l’équipe
pédagogique.
Les premières exploitations de l’enquête
montrent que les résidences d’artistes
exacerbent les effets et les enjeux des
projets d’éducation artistique et culturelle :
si les tensions provoquées par les projets
peuvent être plus fortes, la forme scolaire est
retravaillée de façon plus significative par
ces expériences et la familiarisation des
élèves avec les objets culturels et les
pratiques artistiques plus notables.
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Les résidences exacerbent
les tensions et les contradictions
propres au projet d’éducation
artistique et culturelle
Des formes de collaboration
artistes-enseignants plus ouvertes
et plus périlleuses
Les enquêtes ont souvent soulignées les
difficultés soulevées par l’entrée des artistes
à l’école : les habitudes de travail des acteurs
éducatifs d’une part, et des artistes et des
acteurs culturels d’autre part, sont toujours
pensées comme difficilement compatibles.
Les artistes ignoreraient les codes et les
normes scolaires tandis que les acteurs
éducatifs auraient du mal à comprendre les
formes spécifiques du travail artistique
(caractère indéterminé du travail en cours,
rythmes irréguliers, logique de projet etc.).
S’il existe de nombreux exemples de projets
qui démentent ces représentations stéréo
typiques des mondes scolaires et culturels,
les enquêtes tendent à montrer que les
projets d’éducation artistique et culturelle
tendent à actualiser et à mettre en scène ces
oppositions. Les résidences d’artistes dans
les établissements scolaires accentuent ces
contradictions tout en offrant des espaces de
collaboration plus larges et plus ouverts.
Dans une résidence, à cause de la durée et
de la liberté offerte à l’artiste, la dimension
erratique du processus créatif avec les élèves
est accentuée, tandis que l’attente placée
dans le projet et ses effets est plus forte.
Lors de la réunion préparatoire d’une résidence, un professeur de français demandait à l’artiste : « Ce qu’il va falloir se poser comme question, c’est là où vous voulez les emmener ». « On va voir ensemble » répondait l’artiste, évoquant à nouveau ses thèmes. L’enseignante insistait en rappelant que les thèmes allaient intéresser les élèves mais que le « problème c’était de savoir comment faire devant les élèves ». L’artiste s’en tenait à des réponses évasives sur un travail qu’il convenait de construire au fur et à mesure.
Cette ouverture des méthodes de travail avec
les élèves, permise par le temps de la
résidence, exacerbe les tensions et amène
les artistes et les enseignants à inventer de
nouvelles formes de collaboration, entre les
contraintes des institutions scolaires et les
différentes formes d’attentes placées dans
ces projets.
« On navigue à vue » disait une enseignante au
moment de la restitution finale du projet de
résidence sur lequel elle était engagée. « C’est
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souvent du hors-piste », « on monte sur un bateau
et on ne sait pas toujours où l’on va arriver ».
« L’aventure » au long cours engagée par la
résidence accentue le sentiment d’incertitude
des acteurs éducatifs engagés dans les
projets d’éducation artistique. Elle élargit les
possibilités de collaboration pour les
enseignants qui se saisissent différemment
de cette ouverture. Entre le retrait total
(absence systématique des enseignants en
classe, difficulté à communiquer) observé
dans deux résidences), et un engagement
exacerbé (présence systématique en classe,
velléité de co-création du projet avec l’artiste
etc.) qui peut donner lieu à des malentendus
et des tensions, les enseignants cherchent
souvent pendant quelques mois la « juste
place », les modes de collaboration les plus
efficaces et les plus confortables. Ces
moments d’ajustements et de recherches
peuvent donner lieu à des tensions
extrêmement fortes qui peuvent même
conduire à l’abandon de la résidence, dans
des cas exceptionnels. En l’occurrence,
l’année où nous avons mené nos
observations, le surinvestissement des
enseignants dans l’une des résidences, les
avait amenés à jeter l’opprobre sur l’œuvre en
cours d’écriture de l’artiste engagé dans le
projet : tout d’un coup dépossédés d’une
œuvre dans laquelle ils ne se reconnaissaient
pas, ils ont interrompu brutalement, en
excluant l’artiste du collège, toute forme de
collaboration possible. Il est remarquable que
d’après nos enquêtes, le temps long passé
dans les collèges par les artistes, accentuent
les tensions souvent présentes dans les
projets d’éducation artistique et culturelle
davantage qu’elles ne stabilisent les formes
de collaborations, toujours bricolées, dans ce
type de projet.
Exacerbation des tensions autour
de « l’oeuvre finale »
D’après nos enquêtes sur in Situ, ces
tensions sont particulièrement fortes à
l’approche de la fin de l’année et du moment
de restitution finale, sur laquelle des attentes
divergentes sont souvent placées. Pour les
opérateurs du Conseil Général les moments
de restitution finale de chacune des
résidences constituent la vitrine officielle du
dispositif : des élus, des responsables
administratifs des services culturelles ou de
l’inspection académique y sont conviées très
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officiellement comme à un événement
culturel soutenu par le Conseil Général. Lors
de ces présentations, entre invités, on
échange sur les qualités formelles et
esthétiques des travaux présentés par les
artistes et les élèves. L’un des opérateurs du
dispositif nous confiait avoir été très déçu
lors d’une résidence précédente, par un
travail final qui n’était pas à la hauteur du
travail habituellement réalisé par ces deux
artistes ; interrogés un peu plus tard, ces
derniers disaient avoir respecté le travail des
élèves et s’en être tenu à ce qu’il était
possible de faire avec une classe de primo-
arrivant, peu engagée dans le projet d’après
eux. Pour les artistes, ces attentes sont
parfois difficiles à comprendre car elles
contrastent avec la liberté qui leur ait donné
en début de résidence de créer à leur rythme
et selon l’avancée du travail avec les élèves.
Pour certains, l’exigence de restitution met
en péril et dénature le travail d’atelier,
d’avancées à petits pas, réalisé avec les
élèves. Du côté des équipes pédagogiques,
la tendance est à inclure ces moments de
restitution dans les événements festifs de fin
d’année : fêtes de collège ouverte aux
familles, journées de présentation des projets
etc. Nous avons assisté à des négociations
parfois délicates sur les formes de ces
restitutions (degré d’achèvement du travail
présenté, ouverture au public, jauge et nature
de la présentation etc.), significatives de
l’accentuation des tensions propres aux
résidences d’artiste.
Une forme scolaire retravaillée
en profondeur par l’installation
durable des artistes
L’installation durable d’une
manière de travailler alternative
à la forme scolaire
Notre enquête sur les parcours CAC avait
montré que l’un des effets les plus notables
des projets d’éducation artistique à l’école
tenait à la façon dont les projets
retravaillaient la « forme scolaire » :
installation d’un curriculum alternatif,
ouverture de l’espace-temps scolaire, formes
pédagogiques nouvelles, transformation de
l’ambiance etc. Les résidences In Situ
accentuent les traits de cette transformation,
pour l’installer plus significativement dans
l’espace scolaire.
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Interrogés sur les projets qu’ils mènent avec
les artistes, les élèves évoquent longuement
et en détail les types d’activités qu’ils ont
réalisées dans les résidences. L’installation
sur l’année du travail avec l’artiste lui
confère un statut d’activité légitime au sein
de l’espace scolaire, mais spécifiques dans
ses modalités de travail et dans les
exigences qui lui sont associées.
« Enquêtrice : Mais vous savez pourquoi elle est
là A. [artiste en résidence] ?
Elève 1 : Non.
Enquêtrice : Ça vous étonne ?
Elève 1 : Depuis le temps qu’elle est là, ça nous
étonne plus. Au début on pensait que c’était pour
une journée, on se disait elle veut quoi, pourquoi
elle est là.
Elève 2 : On croyait que ça allait nous rajouter
des heures.
Elève 3 : On croyait que c’était pour une journée.
Enquêtrice : Vous ne vouliez pas le faire ?
Elève 2 : Non, c’est qu’on ne savait pas au début.
Elève 1 : Moi je croyais que c’était pour une seule
journée. En fin de compte, je vois elle venait tous
les jours. Au début de l’année, on se disait, elle
veut quoi, elle sert à quoi, elle va nous faire quoi,
mais finalement, on se rend compte.
Enquêtrice : Et elle est là pour quoi à votre avis ?
Elève 1 : Ben pour nous faire plaisir.
Elève 2 : Et pour se faire plaisir à elle.
Enquêtrice : Comment ?
Elève 2 : Ben, avec…En faisant partager ce qu’elle
aime. (...) C’est pas pareil, elle est pas obligée
d’être là ».
Il est intéressant que les élèves associent ici
le temps passé par l’artiste dans le collège
(elle « venait » tous les jours ») avec le sens
donné au projet : leur faire ce plaisir et se
faire plaisir. Si l’idée de plaisir est
directement lié à sa manière de présenter
son travail de création, le projet a un sens
pour ces jeunes filles parce qu’il s’inscrit
dans le temps, et dans un temps dont elle
présume que l’artiste fait un usage libre
(« elle n’est pas obligée d’être là »).
Un peu plus tard, à propos des formes de
travail engagé par l’artiste, les élèves
opposaient là encore le travail avec les
enseignants à celui mené par l’artiste :
Elève 1 : Les profs ne servent à rien. Ils font que
crier, nous exclure, crier, ils nous apprennent rien.
A… elle nous a jamais collé, elle nous a exclu
qu’une fois.
Elève 2 : Non, on peut sortir notre téléphone elle
dit rien.
Enquêtrice : Et ça vous trouvez ça bien ?
Elève 1 : Bah oui.
Enquêtrice : Ah, les règles sont pas claires avec
A…. ?
Elève 1 : Voilà c’est ça qui est bien – tant que tu
travailles, tant que tu ne fais pas n’importe quoi,
c’est ça qui est bien. Tant que tu travailles et que
tu rigoles c’est bon. (...)
Elève 2 : Pour nous c’est pas une prof, c’est
quelqu’un qui est venu comme ça ».
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Non sans contradiction mais avec beaucoup
de fermeté, ces élèves désignent un équilibre
fragile entre indiscipline et concentration,
équilibre permis par l’ignorance des règles
scolaires de l’artiste et supporté par son
engagement personnel qui semble être
propice au travail et à l’intérêt de ces élèves
pour leur travail. « Tant que tu travailles et que tu
rigoles c’est bon » : c’est clairement l’idée d’un
travail appliqué, mais accompli dans le plaisir,
qui engage ces élèves dans le projet et le
distingue de l’ordinaire des cours (« qui ne
servent à rien »).
Cet équilibre autorise des formes de
raccrochages scolaires ponctuels, de l’aveu
même de cette élève :
« Elève 1 : C’est gentil de sa part de vouloir faire le
projet. Elle était à fond dans le projet. Je voyais
qu’elle voulait vraiment finir. Nous aussi on voulait
vraiment finir, on était à fond…quand il fallait
accrocher les élastiques, c’était que moi et A….
(...)
Elève 1 : J’ai vu qu’on pouvait travailler
tranquillement en s’amusant et tout, là, du coup
j’ai travaillé. Mais qu’avec elle. Y’a que le projet
avec A…. où je travaille. Les autres cours, je fais
n’importe quoi sauf avec A ».
Absente du collège pendant plus d’un mois,
souvent exclue pour indiscipline, cette élève
avait décroché, d’après ses propres mots des
autres cours. Là encore, l’installation d’une
relation dans la durée avec l’artiste et la
pratique artistique, permet plus fortement et
plus durablement que dans les parcours
CAC, de raccrocher, de façon limitée
cependant (il n’y a « que dans le projet avec A
qu’elle travaille »), à l’institution scolaire des
élèves à la limite du décrochage.
Vers des « artistes-enseignants» ?
L’enquête comparative montre que ces
contradictions sont également accentuées
lorsqu’il s’agit de comprendre le rôle et la
place de l’artiste dans les établissements
dans lesquels ils sont en résidence. Les
artistes sont face aux élèves sans être
considéré, et sans se penser eux-mêmes
comme enseignants. Ils travaillent à la
réalisation d’un projet artistique, mais au
sein d’un collège, avec une classe qui les
contraint à faire preuve de pédagogie,
d’autorité et d’une connaissance relative du
fonctionnement de l’institution. Lorsqu’on
les compare aux artistes qui interviennent
dans les projets Culture et Art au Collège, il
semble que les artistes en résidence soient à
la fois plus proches des enseignants, et plus
libres de se réaliser comme artiste au sein
des établissements scolaires.
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Dans une résidence, les artistes s’installent
pour une année, avec les moyens qui sont
ceux des enseignants : en plus d’avoir un
rendez-vous régulier avec une classe, une
demi-journée par semaine, tout au long de
l’année, ils disposent d’une salle
uniquement consacré à leur travail, ils
fréquentent la salle des profs, ils ont leurs
habitudes à la cantines, connaissent les CPE,
les surveillants, les autres enseignants du
collège et sont plus au fait des règles de
l’établissement scolaire. L’un des artistes en
résidence participait même au conseil de
classe et donnait son avis sur l’engagement
des élèves dans le projet. Bref, dans les
résidences, les artistes s’installent dans les
établissements au côté des enseignants, en
endossant une partie de leurs pratiques et
habitudes au collège.
La résidence est également l’occasion de
déployer et d’explorer sur la longueur les
possibilités de création au sein du collège. Ils
ont accès à davantage d’espace pour
exposer leurs œuvres et commenter leur
façon de travailler : dans leurs salles, mais
également comme on l’a vu parfois dans les
couloirs, le CDI, la cour etc. La durée leur
laisse le temps de chercher avec les élèves,
de changer de projet en cours d’année, d’en
débuter plusieurs à la fois en fonction du
déroulement de la résidence. La présence
dans le collège infléchit leur travail en même
temps qu’elle offre un espace pour s’y
déployer pleinement : la résidence pousse
les artistes à habiter le collège par leur
pratique de création.
Pour les élèves, les artistes en résidence sont
également perçus « comme des profs, qui ne
seraient pas tout à fait des profs ». « C’est comme un
prof, mais qui viendrait de l’extérieur et qui n’est pas
obligé d’être là » disait un élève. Les élèves sont
sensibles aux rapports qu’instaurent les
artistes, différents de ceux qu’ils entretiennent
avec leurs enseignants : les artistes sont en
général plus bienveillants, moins au fait des
codes disciplinaires, plus attentifs.
« Elève 1 : Les autres profs quand on fait n’importe
quoi ils nous ignorent, vous voyez. Alors on
s’arrête. Alors que A. (artiste en résidence) elle
nous calcule toujours un truc, elle va nous dire
arrêter, elle va nous parler pendant 10 minutes, et
nous ça va nous donner encore plus envie de rire.
Enquêtrice : Donc il vaut mieux qu’elle ne le fasse
pas ?
Elève 2 : Ben oui. Mais elle ne le sait pas. Faut ne
pas lui dire. »
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Comparé au parcours Culture et Art au
Collège, les artistes en résidence s’intègrent
davantage à la vie de l’établissement, au côté
des autres enseignants. En résidence, les
artistes sont à la fois plus profs et plus
artistes. Bien qu’elle soit sujette à polémique
en France, l’expression « Artistes-
enseignants » (« teaching artist »), employée
sans complexe aux Etats-Unis pour désigner
le travail mené par les artistes dans les
établissements scolaires, qualifierait très
bien la position paradoxale des artistes
en résidence.
Une familiarisation plus grande
avec la pratique artistique
Une plus grande familiarité avec
le métier d’artiste
Dans les parcours CAC, la pratique des
artistes engagés dans les projets avait une
visibilité variable pour les élèves, qui
méconnaissaient parfois la pratique de
l’artiste avec lequel ils travaillaient. La
connaissance des œuvres des artistes est bien
plus sensible dans les résidences In Situ.
Certains des artistes témoignaient de
l’acquisition d’une forme de sensibilité
durant les résidences, de façon peut être
plus évidente, plus détaillée que lors des
entretiens menés avec les artistes des
parcours Culture et Art au Collège.
« Enquêtrice : Sur leur perception de la musique
classique, vous avez eu des témoignages ?
M… : Ils ne sont pas très bavards. (...) Enfin ce
n’est pas tellement dans les mots que je vois les
choses, mais dans les actes, leur façon de se tenir
au concert, ou les questions qu’ils posaient quand
il y avait des intervenants, la pertinence...
Enquêtrice : vous sentiez qu’il y avait une écoute ?
M… : je sens qu’il y avait une sensibilité ».
Entretien avec M…musicien,
accueilli en résidence 2012-2013
Les témoignages d’élèves attestent
également d’un processus de familiarisation
avec la pratique des artistes en résidence.
« Enquêtrice : C’est quoi son métier à A…?
Elève 1 : Plasticienne
Elève 2 : Elle fait ce qu’elle aime. Elle fait des
tournées. Elle accroche des œuvres.
(...) Elève 1 : Pour nous c’est artiste c’est quelqu’un
qui sait ce qu’il veut, c’est quelqu’un qui sait ce
qu’il va faire…pas comme nous. (...) Mais artiste tu
montres ce que tu fais, tu fais découvrir aux gens
ce que tu fais.
Enquêtrice : Pourquoi vous dites qu’elle aime bien
son métier A… ?
Elève 1 : Ben je ne sais pas, elle est souriante. En
plus c’est quelque chose qu’elle a fait.
Elève 2 : Elle aime bien les couleurs. Elle aime bien
les lignes ».
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Etre artiste pour ces élèves, ou plus
exactement plasticienne, c’est « choisir et
aimer ce qu’on fait » et « le montrer ». Leurs
formulations dénotent, en dépit des
maladresses d’expression, une certaine
familiarité avec la façon qu’à l’artiste
d’habiter sa pratique.
Enquêtrice : Qu’est-ce qu’elle vous a appris A… ?
Elève 1 : Son métier c’est trop bien.
Enquêtrice : C’est quoi son métier ?
Elève 1 : Artiste. C’est trop bien.
Enquêtrice : C’est ça qu’elle vous a appris ?
Elève 1 : Oui, c’est trop bien. Et puis elle nous a
appris à accrocher des élastiques, à mettre des
couleurs ».
La transmission est double pour ces élèves :
la découverte d’une pratique plasticienne
(mettre des couleurs) est associée à la
compréhension d’un rapport au travail vécu
comme un plaisir (« trop bien »).
Un rééquilibrage des ambitions
éthiques et esthétiques
L’enjeu des projets d’éducation artistique et
culturelle, réside souvent principalement
pour les acteurs culturels qui les portent
dans leur dimension éthique et dans leur
ambition de transformation de la personne ;
il s’agit souvent de façon plus ou moins
explicite dans ces projets de transmettre des
rapports au monde, des valeurs, des
représentations de sa place dans la société
davantage que de transmettre un goût pour
les objets culturels ou artistiques. La
rencontre avec l’art, les œuvres, et la
pratique artistique est alors dotée dans cette
perspective d’une fonction émancipatrice
(« ouvrir le champ des possibles ») qui prime
sur les dimensions esthétiques des objets
mobilisés. Il semble que cette ambition
éthique soit moins prévalente dans les
résidences artistiques ou plutôt qu’elle soit
reconfigurée, retissée autour de la pratique ;
l’installation de la pratique dans la durée, qui
la banalise et permet de la découvrir en
profondeur, relègue à l’arrière-plan les
espoirs de transformation radicale associés
au caractère exceptionnel de la rencontre
avec les œuvres d’art. Moins extraordinaire,
l’expérience de la résidence amène ses
différents acteurs à se recentrer sur les
spécificités d’une pratique avant d’en faire
ressortir les valeurs éducatives. Dans les
résidences, il est autant question d’amener
les élèves à réaliser une œuvre, et à partager
la démarche de création de l’artiste que
de transformer les représentations ou
d’éveiller les valeurs de citoyenneté.
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D’ailleurs, les artistes accueillis en
résidences se révèlent prudents, et pour
certains extrêmement sceptiques, lorsqu’il
s’agit d’évoquer les effets de leurs actions
dans le collège.
« L’idée c’est qu’ils aient des moyens d’être aussi
ouverts que la vie est ouverte. En théorie tout leur
est accessible, mais dans la pratique, il faudrait
pouvoir les aider plus à être autre chose que ce à
qu’ils s’imaginent être prédestinés. À l’évidence, il y
a beaucoup d’autres urgences que celle de
s’instruire sur l’art... Même pour être artiste et vivre
de ça, il ne faut pas juste savoir dessiner, il faut
aussi savoir faire un book, savoir se comporter en
«société», il y a un côté de réseau, il faut savoir
saisir une opportunité, être fiable, lire un contrat,
pouvoir négocier... (...) Pour retirer le bon, le vrai
efficace de la résidence, l’art c’est le prétexte, mais
tout le concret qui se passe, c’est cette dimension
autre, ouverture, qui apporte la confrontation de
deux univers différents. C’est pour ça que les
échanges en-dehors du collège sont si importants.
Et pas forcément pour voir de l’art ».
Entretien avec A…, plasticienne,
accueillie en résidence 2012-2013
Un peu plus tard, cette plasticienne
comparait la résidence à un « pansement
inadapté à une plaie trop grande ». Et
pourtant c’est bien par la pratique qu’elle
avait eu le sentiment de transmettre à ces
élèves la possibilité d’entreprendre.
« A… : Ce qui me plairait de leur avoir transmis,
c’est la possibilité de l’entreprenariat, au sens
d’entreprendre un projet en autonomie, avec
l’idée d’assumer certains besoins de compétences,
certains manques de compétences, et ça y a
toujours pourquoi pas les compétences de
quelqu’un d’autre. Dire que oui, c’est possible,
quel que soit le truc. Et d’ailleurs, ils n’y croyaient
pas trop quand ils faisaient les boîtes. Pour eux,
c’était abstrait jusqu’à ce qu’ils se retrouvent les
mains dans la peinture. L’aventure, c’est tout le
chemin...
Enquêtrice : Tu penses à tous leur avoir transmis
cette idée ?
A… : Oui, je pense. Enfin peut-être pas l’idée
précisément, mais bon.
Enquêtrice : A quoi tu vois ça ?
A… : Leur enthousiasme, le fait que quand
on s’est mis à réaliser les choses, ils savaient quoi
faire ».
Dans les résidences, les ambitions
éducatrices générales des artistes sont
portées par une pratique régulière avec les
élèves ; ces ambitions se nouent autour
d’une prise en compte plus précises des
difficultés des élèves et de la possibilité pour
la pratique artistique de revêtir une fonction
éducative générale. Par rapport aux projets
de taille plus modeste comme les CAC,
plutôt qu’à une rencontre exceptionnelle,
parfois encore décrite comme un choc, c’est
à la découverte d’une pratique et de ses
difficultés, dans la durée, que les artistes en
résidence prêtent des vertus éducatives.
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Conclusion : la fin de la
rhétorique de l’exception ?
Les projets d’éducation artistique et culturelle
sont souvent examinés à l’aune de leur
caractère exceptionnel. La rencontre entre les
univers culturels et scolaires est généralement
pensée comme rare et précieuse, vectrice de
changements d’autant plus radicaux qu’elle
est extraordinaire. Les études sur les
résidences artistiques permettent de sortir de
cette pensée magique qui prête à l’éducation
artistique et culturelle de façon générale (et
donc plus ou moins indifféremment à tous les
projets qui s’en réclament) les vertus
miraculeuses de pallier les manques de
l’institution scolaire et les réalisations
inachevées du projet de démocratisation de la
culture. La résidence d’artiste, en installant
durablement la présence des artistes dans les
collèges d’une part, et le travail mené avec les
élèves dans l’emploi du temps scolaire d’autre
part, offre un véritable espace
d’expérimentation pour les acteurs culturels et
éducatifs des ressorts propres à la
mobilisation des pratiques artistiques dans
l’espace scolaire. Les premières enquêtes
menées sur les résidences le montrent : il y est
moins question de l’ethos de l’artiste en
général, reconnu comme tel par les élèves, que
de la spécificité d’une pratique (travailler avec
des élastiques, faire un film de science-fiction
ou un clip vidéo, réaliser un concert), d’une
œuvre (en cours de création) ou de la
singularité d’une relation avec un artiste en
particulier. Si les résidences d’artistes,
lorsqu’on les compare à des projets de taille
plus modeste, tendent à exacerber les
tensions propres aux projets d’éducation
artistique, et à en accentuer les effets sur
l’école et sur la culture, elles permettent
également de saisir les effets différenciés de
chacune des pratiques engagées, de chacun
des modes d’engagement ou de collaboration
mobilisées dans des contextes spécifiques.
C’est sans doute dans ce travail comparatif,
sensible aux situations particulières, attentif à
la diversité des moyens et des méthodes
engagés dans les dispositifs, que réside pour
les chercheurs en sciences sociales une piste
féconde d’interrogations et de réflexions, qui
soient à même de désenchanter les propos
militants tenus sur l’éducation artistique et
culturelle sans tomber dans une dénonciation
unilatéralement critique, aveugle aux effets
avérés mais toujours singuliers, de ces projets.
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Arts et artistes à l’épreuve de la résidence
Le travail artistique en mutations - Dynamiques et tensions
MARIE BUSCATTO, professeure d’université en Sociologie, Université Paris 1 – Sorbonne
Note de lecture : ce texte est intimement lié à des extraits vidéo du colloque. Pour une meilleure
compréhension, visionnez les vidéos au fur et à mesure de votre lecture.
Depuis le début des années 1960, les arts ont
pris une place croissante dans les sociétés
occidentales, sous l’influence croisée d’une
impulsion politique visant la démocratisation
culturelle, de l’avènement des industries
culturelles de masse et de l’intérêt croissant
de la population pour les biens et les
pratiques artistiques. Parallèlement à cette
montée des pratiques culturelles et
artistiques, amatrices et professionnelles, de
la petite enfance au grand âge, a crû de
manière forte le nombre de femmes et
d’hommes qui aspirent à devenir artistes,
voire à vivre de leur pratique artistique de
manière professionnelle. Et cette croissance
n’a pas été empêchée par les faibles chances
de succès et la multiplication des difficultés
d’emploi et de travail.
Comment rendre compte de ce paradoxe ?
Que nous dit-elle sur le travail artistique et,
plus largement, sur la vie d’artiste à l’aube
du XXIe siècle ?
Il s’agit ici de dépeindre et de comprendre les
dimensions objectives et subjectives du travail
artistique justifiant un fort engagement de soi
dans une activité pourtant si risquée, si
incertaine, si difficile à vivre et si peu
rémunératrice pour une grande majorité des
artistes. Ce texte se fonde sur des travaux de
recherche portant aussi bien sur les arts
reconnus de longue date, comme la littérature,
la musique classique, les arts plastiques, le
théâtre ou la danse classique, que sur les arts
plus récemment définis comme tels, à l’image
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du cirque, de la bande dessinée, de la musique
rap ou de la danse contemporaine1.
Des artistes toujours plus
nombreux et soumis à de grandes
difficultés d’emploi et de travail
Sous l’effet de ces mutations sociales,
culturelles et économiques ont crû les
populations d’artistes, professionnels et
amateurs, dans les arts dits majeurs – théâtre,
danse, musique classique, arts plastiques ou
littérature –, mais également dans les arts dits
mineurs, en voie de légitimation – cirque
contemporain, musiques « populaires » ou
bande dessinée. Ces artistes sont nombreux et
souvent difficiles à dénombrer du fait du grand
flou que caractérise le mot artiste. Prenons au
hasard deux exemples français des problèmes
que pose le dénombrement des artistes.
Si on trouve plus de 25 000 musicien-ne-s
interprètes déclaré-e-s, il s’avère qu’à
l’échéance de 10 ans, une fois le premier
engagement professionnel déclaré, la
probabilité de toujours exercer la musique
de manière professionnelle est de 45 %
alors même que 20 % de ces musicien-ne-s
1 Les points traités ici ont été développés et approfondis dans deux textes publiés par nos soins (Buscatto, 2014, 2012).
disparaissent dès les deux premières années
d’exercice (Coulangeon, 2004).
Ou encore, l’essentiel des écrivain-e-s qui
ont publié au moins une fois chez un éditeur
exerce un autre métier pour vivre
– enseignement, journalisme, animation
sociale, traduction, etc. (Lahire, 2006).
Les artistes identifiés varient ainsi grandement
selon les critères choisis : rémunérations liées à
l’activité artistique, auto-déclaration, exposition
d’œuvres ou pratique artistique effective, temps
consacré à l’activité, appartenance à une
association ou à un syndicat d’artistes,
« sentiment » d’être un-e artiste.
Or, ce que révèle plus largement cette
difficulté à compter les artistes est de fait la
grande difficulté de leurs conditions de travail
et d’emploi : forte précarité, faibles
rémunérations au regard des qualifications
engagées, cumul d’activités, risques sérieux
d’échecs, souffrances physiques ou tensions
subjectives nombreuses…
Et plus largement encore, apparaît ainsi
la faible part de ceux et de celles qui vivent,
au moins de manière principale, de leur art.
L’essentiel des musiciens de rap, des poètes
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ou des écrivain-e-s ne vit pas de son art et
la plupart des danseur/se-s, circassien-ne-s,
musicien-ne-s de jazz, cinéastes ou
comédien-ne-s en vit de manière secondaire,
ou du moins en exerçant son art de manière
différente de celle qui les « définit », de
leur point de vue, comme artiste (professorat,
animation, doublage, musiques « com-
merciales », accompagnement, traduction…).
Comprendre le travail artistique dans nos
sociétés contemporaines suppose donc de
rendre compte d’un tel investissement
subjectif des artistes dans leur art.
Justifier l’entrée dans le travail
artistique : l’appel à la « vocation »
Le travail artistique a longtemps relevé
de manière principale du registre du métier et
de l’habilité. Au-delà des variations entre arts
au fil du temps s’est cependant construit
un passage progressif, lent et controversé,
du « régime du métier » au « régime
professionnel » et, enfin, au « régime de
vocation » (Moulin, 1992 ; Heinich, 1996)
aujourd’hui observé dans les différents arts.
Extrait vidéo Vocation : 01min50
Pour conclure, les artistes et les différents
membres des mondes de l’art définissent
prioritairement leur activité comme une
nécessité qui s’impose à eux et à elles,
expliquant en retour aussi bien l’acceptation
des difficultés inhérentes à sa réalisation –
difficultés matérielles et psychologiques
rencontrées dans l’exercice de l’activité
d’artiste – que la continuation de l’activité
dans le temps pour une partie d’entre eux et
elles, malgré les difficultés répétées auxquels
ils et elles sont parfois confronté-e-s.
Et ce constat se répète, que l’enquête porte
sur le cirque contemporain (Cordier, 2009)
les écrivain-e-s (Heinich, 2008 ; Lahire,
2006 ; Naudier, 2007 ; Sapiro, 2007), les
musicien-ne-s classiques (François, 2009),
de jazz (Buscatto, 2004) ou de rap et électro
(Jouvenet, 2006), les danseurs et les
danseuses de l’Opéra de Paris (Laillier, 2011),
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de hip-hop (Faure, 2004) ou contemporain-
e-s (Sorignet, 2004), les plasticien-ne-s
(Oughabi, 2014) ou encore les acteurs et les
actrices professionnel-le-s français-e-s
(Bensa, 2006 ; Menger, 1997 ; Paradeise,
1998) ou grec-que-s (Karakioulafis, 2014)…
Une « passion » dévorante
pour l’activité artistique
La vocation s’accompagne aussi le plus
souvent de discours affichant une passion
pour l’activité artistique. L’attachement
démesuré à l’activité, l’incapacité à échapper
aux idées créatives, le besoin intense de
s’exprimer par la création ou encore l’intensité
des émotions sont autant de traits qui
caractérisent chez ces artistes un rapport
passionné au travail artistique. Cette passion
ne se réalise pas au hasard. Elle concerne de
manière principale l’activité censée permettre
à l’individu d’exprimer son « être », ses
pensées « profondes » et de faire ainsi preuve
d’« authenticité », et ce, même si elle est de
fait secondaire dans l’activité quotidienne
pour la plupart des artistes qui, de fait, ne
réussissent guère à vivre de leur passion.
Ainsi, les musiciens de rap ou électroniques ou
les musicien-ne-s de jazz décrivent aussi bien
leur attachement émotionnel à la création de
leur musique que le prix qu’ils et elles sont
prêt-e-s à payer pour aller jusqu’au bout de
leur démarche créative. Les « petits boulots »,
le long apprentissage social et musical fait
d’imitation des autres et d’acceptation de
« galères » et de « plans » incontournables, les
échecs et les difficultés musicales, financières
ou humaines sont, pour ces individus, autant
de prix à payer pour réaliser leur passion de
manière « authentique ».
Extrait vidéo Trajectoires : 01min53
Une passion justifiant
de continuer « quand même »
La passion pour la création artistique devient
ainsi un élément clé de l’engagement de ces
artistes qui font le « choix » de continuer sur
cette piste alors même que capacité à en vivre
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et reconnaissance artistique ne sont que
rarement au rendez-vous. La passion pour
l’activité artistique choisie – écrire ses poèmes,
jouer sa musique, créer ses installations ou
monter son spectacle - soutient alors l’effort
parfois démesuré que suppose le maintien
dans une activité qui donne souvent lieu à une
reconnaissance sociale et personnelle limitée
et surtout bien inférieure aux justifications
vocationnelles données pour expliquer
l’entrée dans l’activité artistique.
Cette passion se maintient parfois sous le
signe de la vocation, le temps devant donner
l’occasion ou la possibilité à l’artiste d’être
enfin reconnu-e comme un-e artiste à part
entière par ses pairs, voire même par la
critique ou les producteurs. Mais la passion
peut se dissocier de la vocation pour devenir
le ressort principal du temps et de l’énergie
consacrés à monter des projets souvent
onéreux et peu rémunérateurs à l’image de
ces écrivain-e-s qui consacrent leur temps
libre, une fois leur activité professionnelle
accomplie, à écrire des romans ou des
poèmes chers à leur cœur ou des musicien-
ne-s de rap ou électro ou de jazz qui
enchaînent les « petits boulots » alimentaires
afin de libérer du temps et de l’énergie pour
la création musicale avec leurs « potes » sur
disque ou en concert.
Enfin, même s’ils ou elles effectuent l’essentiel
de leur activité professionnelle sur un mode
soit alimentaire, soit professionnel, dans l’art
ou à l’extérieur du domaine artistique (Bureau,
Perrenoud, Shapiro, 2009), dont l’école est un
exemple évident (Filiod, 2008), l’activité
artistique investie de manière personnelle est
redéfinie comme celle qui exprime leur
personnalité, leurs qualités créatives et
personnelles, leurs aspirations intimes.
Une organisation collective
de trajectoires passionnées
Les manières dont les unes et les autres
(re)construisent leur rapport à l’activité
artistique, entre vocation et passion, ne
se font pas au hasard et dépendent
grandement des conditions collectives
de production, de reconnaissance et de
rémunération à l’œuvre dans les mondes
de l’art fréquentés par ces artistes.
D’une part, certain-e-s artistes se voient
défini-e-s par leur seul parcours de
formation dans l’élite comme une « main-
d’œuvre » compétente et bien formée sur le
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marché du travail qui peut l’accueillir. C’est
le cas probant des musicien-e-s d’orchestre
(Lehmann, 2002), des danseurs et des
danseuses de l’Opéra de Paris (Laillier, 2011)
ou des violonistes-virtuoses (Wagner, 2004).
En effet, ayant passé les nombreuses
épreuves de formation et de sélection mises
sur le chemin d’une carrière d’élite, mêmes
les artistes qui ne peuvent réaliser leur
vocation à plein se voient doté-e-s d’une
valeur professionnelle qui leur permet
des reconversions au sein même de l’art
qu’ils et elles affectionnent.
D’autre part, dans la plupart des autres
mondes de l’art, les possibilités de
(re)construction de la passion se révèlent
bien plus nombreuses, mais aussi plus
difficiles d’accès et donc largement
dépendantes des opportunités présentes sur
les marchés du travail. Par exemple, les
musicien-ne-s de jazz peuvent envisager de
vivre de la musique sur un marché du travail,
certes très concurrentiel et saturé, mais
ouvert du fait des nombreuses possibilités
offertes à un-e musicien-ne de jazz bien
formé-e – événements commerciaux, soirées
privées, spectacles, enseignement ou
accompagnement musical (Buscatto, 2004).
Le possible accès à l’intermittence du
spectacle disponible pour ces musicien-ne-
s renforce encore leurs chances de vivre de
la musique même si elle n’est pas celle qu’ils
et elles aspirent à créer et à jouer de manière
principale. Une même situation est
rencontrée pour les danseurs et danseuses
(Rannou, Roharik, 2006) ou les comédien-
ne-s et acteurs/trices professionnel-le-s
dans les travaux déjà cités. En revanche,
rares sont les écrivain-e-s ou les poètes
(Dubois, 2011) qui peuvent imaginer vivre de
leur art. Les enquêtes révèlent ainsi de
nombreux/ses enseignant-e-s (très
majoritaires chez les poètes selon Dubois)
ou des journalistes, mais aussi des
assistant-e-s sociales, des mères au foyer
ou des allocataires sociaux.
Ne pas vivre de son art étant la règle,
l’investissement subjectif sur un mode
vocationnel va plutôt dépendre des signes de
reconnaissance reçus par les pairs, les
critiques ou les éditeurs dans des cercles
parfois très fermés – la poésie expérimentale
ou la composition contemporaine – et des
manières dont chacun et chacune justifie à
lui-même ainsi qu’à autrui son propre
rapport à l’activité artistique.
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Extrait vidéo Savoirs : 02min18
Un travail très exigeant qui suppose
un lourd engagement personnel
Or, c’est bien par la seule vertu de la passion
et/ou de la vocation qui guident les individus
concerné-e-s que ces efforts sont
effectivement acceptés. Si la passion guide
bien l’implication dans le travail artistique, elle
ne doit pas masquer les apprentissages, les
contraintes, les efforts et les difficultés que
traverse la plupart des artistes étudié-e-s.
Conclusion
Les artistes font de multiples efforts,
individuels et collectifs, disciplinés et parfois
douloureux, pour exercer leur art :
les conditions de travail et d’emploi sont
souvent difficiles et les chances de voir
leurs aspirations artistiques reconnu-e-s
sont faibles.
Seule une vocation, définie comme une
« nécessité intérieure », justifierait chez ces
artistes de s’engager dans de tels efforts.
S’accompagnant d’une entière passion pour
« son » art, cette vocation peut certes
s’épuiser au fil du temps, notamment lorsque
l’aspiration artistique peine à se réaliser. Mais
le maintien dans la production artistique
« quand même » suppose bien un
engagement de soi, souvent passionné, qui
explique largement que certains individus
continuent à se définir comme artistes alors
même que l’activité professionnelle ne
permet guère de s’accomplir comme artistes
et que la reconnaissance artistique est faible.
Ces engagements passionnés sont enfin le
fruit de mécanismes collectifs qui tiennent
aussi bien à la définition historique du travail
artistique contemporain sous le registre de la
vocation qu’aux modalités d’emploi et de
reconnaissance à l’œuvre dans les mondes de
l’art ou aux contextes familiaux, scolaires,
sexués ou sociaux dans lesquels évoluent les
individus artistes.
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Table ronde L’art et l’artiste au risque de la résidence
Animateur
CHRISTIAN LALLIER , anthropologue-cinéaste, IFE – ENS Lyon
Invités
ABDELKADER DAMANI , directeur de Veduta, Biennale d’Art Contemporain de Lyon
CATHERINE HURTIG-DELATTRE, enseignante, résidences d’artistes Enfance,
Art et Langages
CAMILLE LLOBET, artiste plasticienne, résidences d’artistes Enfance, Art et Langages
MARC MERCIER , directeur du Festival Instants Vidéos et artiste vidéo - Marseille
Que vient donc faire un artiste dans une
école ? Témoigner de son art, faire découvrir
son activité, initier à sa pratique artistique ?
Parfois, bien davantage… Les ateliers de
l’artiste engagent les enfants dans des jeux
d’expression qui les obligent à travailler
leurs cadres de socialisation : la mise en
représentation de soi supposant de se sentir
en confiance avec autrui…
L’artiste vient transmettre sans le devoir
d’enseigner. En cela, il se distingue de
l’enseignant et n’appartient pas à l’institution
scolaire. Il apparaît alors souvent comme un
intervenant extérieur. Mais, que se passe-t-il
quand l’artiste s’installe dans l’école, au
quotidien… qu’il s’engage aux côtés des
enseignants dans une pratique pédagogique
au long cours, pendant un an voire plusieurs
années… ?
Une résidence d’artiste désigne un lieu de
création pour les artistes, au sein d’une
institution publique ou privée, pour une
durée déterminée. Quant est-il de l’artiste en
résidence dans un milieu éducatif et dans un
établissement scolaire en particulier ?
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Cette fois, la résidence ne vise pas tant à
favoriser le processus de création de l’artiste
lui-même qu’à lui demander de produire une
expérience esthétique, de réaliser un projet
artistique, pour les élèves.
Dès lors, comment l'artiste parvient-il à
concilier ou à maintenir sa propre créativité
dès lors qu'il s'engage à développer la
créativité d'autrui ? Que produit l’artiste en
résidence dans un milieu éducatif : s’agit d’une
œuvre ou d’une simple expérience ? Mais, si il
ne s’agit pas d’une œuvre alors est-il encore
un artiste ? Et si il n’est plus un artiste à part
entière, en tant qu’il ne produit pas d’œuvre,
alors qu’elle est son statut ? Un intervenant
extérieur… mais précisément, la notion de
« résidence » semble vouloir rompre avec celle
d’un intervenant qui désigne le caractère
ponctuel de la relation.
En posant d’emblée la question de la mise en
risque de l’art et de l’artiste en résidence, il
s’agit de s’interroger sur l’enjeu d’une telle
pratique éducative. En effet, s’il n’y a pas de
risque pour l’artiste alors c’est qu’il n’y a pas
d’enjeu à l’intégrer dans une école. En quoi
le milieu scolaire met-il l’artiste à l’épreuve ?
On se demandera donc ce que le milieu
scolaire fait à l'art et à l'artiste, en mettant à
l'épreuve les conditions de sa créativité.
Cette attention portée sur la prise de risque
de l’artiste vise donc à interroger l’interaction
qui se construit entre l’artiste et l’enseignant
et à travers laquelle se joue une relation sans
doute plus complexe entre l’institution
artistique et l’institution éducative.
La Table Ronde en vidéo
Lien YouTube [01:14:19]
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Alain Kerlan, dialogue et interview avec Christian Ruby
ALAIN KERLAN , philosophe professeur des universités en Sciences de l'Education à
l'Université Lumière Lyon 2, Laboratoire Education Cultures et Politiques.
Invite
CHRISTIAN RUBY , philosophe, directeur de la revue Raison Présente, auteur de
nombreux ouvrages consacrés à l’art contemporain.
Les résidences d’artistes ne sont qu’une modalité institutionnelle de l’éducation artistique et
culturelle en milieux scolaire et éducatif. Néanmoins, la rencontre entre ces deux univers, l’art
et l’éducation, soulève de nombreuses interrogations. Quels sont les points de tension et de
convergence entre l’institution éducative et l’institution artistique ? Quel sens donner à l’entrée
de l’artiste en milieu scolaire sur le plan esthétique? Quels sont les effets de cette rencontre sur
les parties-prenantes ? Sans prétendre y répondre, les deux interlocuteurs tentent au cours d’un
dialogue d’apporter des pistes de réflexion à ces interrogations.
Dialogue de philosophes
Lien YouTube – 38min01
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Table ronde Des formes esthétiques entre « œuvre » et « production »
Animateur
JEAN-PAUL FILIOD , maître des conférences en Sociologie, Université Lyon 1 - ESPE
Invités
JULIE LEFEBVRE , artiste danseuse chorégraphe Compagnie La Fabrique fastidieuse,
résidences d’artistes en écoles maternelles Enfance, Art et Langages – Lyon
DENIS CERCLET , maître de conférences en anthropologie à l’Université Lyon 2,
membre du Centre de Recherches et d’Etudes Anthropologiques (CREA)
EMELINE EUDES , docteure en esthétique environnementale et coordinatrice du
programme Artistes intervenants en milieu scolaire à l’Ecole nationale supérieure des
Beaux-arts de Paris (de 2011 à 2013)
Au cours de cette table ronde, nous
interrogerons le statut des formes
esthétiques produites dans le cadre des
résidences d’artistes, notamment la manière
dont on nomme ces « formes ».
Pour l’intitulé, nous avons mobilisé deux
termes courants :
– l’un, œuvre, est plutôt associé à l’artiste ;
– l’autre, production, est plutôt associé
aux élèves, enfants ou adolescents, mais
peut-être aussi adultes, voire grands adultes.
Ce terme, productions, suggère une valeur
matérielle issue d’un faire, mais il sous-
entend aussi que ces formes, produites par
des gens qui ne sont pas artistes, ne
méritent pas d’être qualifiées d’œuvres,
terme distinctif d’un monde de l’Art qui
continue d’avoir besoin de distinction.
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En fait, derrière ce mot œuvre, qui semble
faire problème à pas mal de gens, il y a
sans doute l’ombre du chef-d’œuvre,
version supérieure de l’œuvre, symbole de
l’excellence, du sublime, de l’exceptionnel,
bref, tout le contraire de l’ordinaire et de la
banalité supposés de la production.
Cependant, en nous calant sur la racine du
mot œuvre, des résonances affleurent avec
d’autres mots : ouvrage, ouvrier, sans
oublier l’ouvroir, qui désigne, dans une
communauté religieuse, le lieu des travaux
en commun. Ces mots peuvent alors donner
un sentiment de rapprochement avec la
production. Et avec la mention de l’ouvroir,
cette famille de mots nous fera bien sûr
penser, puisque la création et la créativité
sont concernées par ce colloque, à des
mouvements culturels inscrits dans ce qu’on
pourrait presque appeler une tradition, celle
des OU-x-PO, « ouvroirs de quelque chose
potentielle », lieux d’élaboration de possibles
à partir de contraintes formelles.
À l’origine, il y a l’OULIPO, OUvroir de
Littérature POtentielle, communément associé
à Queneau ou Perec, mais dont le Frésident-
Pondateur (dixit l’oulipo.net de 2014) est
François Le Lionnais, mathématicien et
ingénieur chimiste, fondateur du Collège de
Pataphysique après la seconde guerre
mondiale et résistant notoire pendant celle-
ci. L’OULIPO, qui compta parmi ses membres
Marcel Duchamp, aura donc nombre de
descendants, à commencer par l’OULIPOPO
pour la littérature policière, et avant l’arrivée
de tant d’autres : OUPEINPO, OUTRAPO, OUBAPO,
OUPHOPO, OUCIPO, OURAPO, OUMAPO, OUMUPO,
pour la peinture, la tragicomédie, la bande
dessinée, la photographie, la cinématographie,
la radiophonie, les marionnettes, la musique.
Les arts sont donc bien présents, mais nous
sommes plutôt à un carrefour, celui des arts,
des sciences et de la littérature, comme le
prouveront ensuite l’OUHISPO, l’OUINPO,
l’OUARCHPO, l’OUJARPO et l’OUCUIPO (pour
l’histoire, l’informatique, l’architecture, le
jardinage, la cuisine).
Que d’ouvroirs ! Que d’œuvres !
Que de productions !
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Et dans l’art, il y a d’autres mots : créations,
pièces, installations, performances, voire
formes tout simplement. Au-delà de ces
termes, la question du statut se pose en
regard des contextes où ces formes
prennent naissance et place. Sommes-nous
dans un contexte artistique ? Un monde de
l’art, pour se rappeler d’Howard S. Becker ?
Ou sommes-nous dans un contexte d’art en
contexte : art social, art public, résidence
d’artiste en milieu scolaire et éducatif… ?
Mais puisque l’art est en contexte, on
pourrait penser que cela reste de l’art, sauf
peut-être aux yeux du Monde de l’Art…
La Table Ronde en vidéo
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Actes du Col loque Grand témoin
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Clôture
Grand témoin
MARIE-CHRISTINE BORDEAUX, maître des conférences, GRESEC, Université
Stendhal – Grenoble 3
Je commencerai cette synthèse par quelques
remarques transversales sur les enjeux de
l’éducation artistique, tels qu’ils se trouvent
réactualisés ou reconfigurés dans les
résidences d’artistes au sein des
établissements scolaires. Ensuite, je me
réfèrerai à l’« archéologie » de ces
résidences : comme toute innovation -
contrairement à une vision répandue de
l’innovation comme pur surgissement de
l’inédit -, les résidences d’artistes en milieu
scolaire ont une histoire, qui montre que ce
dispositif s’ancre dans une conception
récurrente du rôle de l’art dans la société
aussi bien que dans l’histoire de l’école et de
ses réformes, et qu’il s’adapte aux évolutions
des institutions et de la demande sociale.
J’aborderai ensuite la manière dont
les résidences ont évolué, quels usages y sont
associés, et comment ce dispositif longtemps
considéré comme hors normes, coûteux,
difficile à appréhender du point de vue
des outils qui structurent traditionnellement
l’éducation (classes, horaires, programmes),
permet de combiner de l’exceptionnel et de
l’ordinaire et de s’inscrire dans des stratégies
de long terme. Je conclurai sur le rôle
croissant des collectivités, phénomène qui
concerne l’ensemble de la politique
d’éducation artistique et culturelle, mais qui,
dans le cas particulier des résidences, appelle
quelques remarques du point de vue de
l’ancrage des projets dans le temps et du
point de vue de l’impératif de généralisation.
Les enjeux de l’éducation artistique
et culturelle dans les résidences en
établissements scolaires
Le premier enjeu est celui du partenariat, qui
est dans les « gènes » de l’institutionnalisation
de l’éducation artistique. Dès le congrès
d’Amiens Pour une école nouvelle en 1968,
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l’éducation artistique est étroitement mêlée à
des enjeux de société : modernité,
transversalité, créativité, formation de
citoyens éclairés et impliqués. Les écoles sont
encouragées à coopérer avec des acteurs
extérieurs et à faire une large place aux
pratiques artistiques, culturelles et
médiatiques. La culture dont il est question à
cette époque déborde largement le champ de
l’art, car elle inclut jusqu’aux industries
culturelles. Les exemples cités dans les actes
du congrès se réfèrent aussi bien au théâtre,
aux arts plastiques qu’aux médias (journaux,
radio, télévision). Le partenariat est présenté
comme la condition d’une ouverture
réciproque entre la société et la sphère
éducative. La notion de partenariat se
précisera plus tard avec la mise en place de
dispositifs conjoints culture / éducation. Elle
servira à définir les formes de l’agir tout
autant que le sens de l’action. À partir de
1983, le partenariat est défini par les
ministères de la Culture et de l’Éducation,
selon des normes qui restent aujourd'hui à
peu près inchangées concernant les
intervenants : reconnaissance par les DRAC
de la qualité du travail artistique ou
patrimonial chez le partenaire culturel,
inscription avérée dans le monde de l’art et
de la culture, capacité à intervenir dans un
projet pédagogique, formation attestée par
des diplômes ou par l’expérience, co-
élaboration d’un projet commun avec un ou
des enseignants. Les promoteurs de
l’éducation artistique ont eu constamment le
souci de dissocier le partenariat culturel aussi
bien de son origine historique dans
l’Éducation (le lien avec les entreprises et plus
largement avec le marché de l’emploi) que de
son versant mercantile ou utilitariste
(l’intervention à la petite semaine, le travail
alimentaire). Ils ont développé un modèle
spécifique du partenariat, que Françoise
Buffet avait proposé de nommer « partenariat
culturel d’éducation » (Buffet, 1998 : 17-23)
pour bien le distinguer des autres formes de
partenariat dans le secteur éducatif : ce
modèle opère un va-et-vient constant entre
le dedans (l’école) et le dehors (les lieux
culturels, le champ de l’art), tendant à une
certaine forme de convergence entre les
objectifs de l’éducation et ceux de la culture,
et transcendé par la notion d’intérêt général.
Le partenariat a été longtemps étudié dans sa
dimension interindividuelle, entre un artiste
et un enseignant. Lorsque l’éducation
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artistique s’est trouvée, dès la fin des années
1980, confrontée au problème général de la
démocratisation culturelle, il a fallu
cependant repenser l’assise du partenariat
dans d’autres cadres que ceux des ateliers et
des options : ce fut l’époque des jumelages,
sites expérimentaux, plans locaux,
aménagement des rythmes, parcours
culturels (qui resurgissent aujourd'hui dans la
loi de refondation de l’école). La dimension
interindividuelle du partenariat, très
prégnante dans les projets menés à l’échelle
d’une classe, est alors complétée par un
partenariat d’organisation1, centré sur
l’impératif de généralisation, la mise en
cohérence au niveau territorial, et sur
l’établissement scolaire tout entier, voire le
bassin d’éducation comme territoires de
référence. Face à cette évolution, les
résidences d’artistes apparaissent d’une
certaine façon comme une préfiguration,
dès les années 1980, d’enjeux qui ont émergé
au début des années 1990. Le refus des
interventions régulières en classe de type
1 Françoise Buffet (1998 : 19-20) propose une typologie du partenariat en trois points : d’impulsion (institutionnel) ;
de projet (définissant les responsabilités de chacun et les cadres matériels) ; de réalisation (logiques d’action,
stratégies). Nous avons utilisé dans plusieurs études cette grille en l’adaptant aux avancées des politiques d’éducation
artistique, également en trois points : partenariat de réalisation (entre acteurs de terrains) ; d’organisation (au niveau
des structures locales) ; d’impulsion (au niveau politique) (Bordeaux, Deschamps, 2013 : 42-45).
2 On trouve une intéressante synthèse de cette controverse dans Jacinthe Baribeau, Geneviève David et Serge
Larrivée, « Critique du modèle neurophysiologique de la delphinothérapie - Sonophorèse et écholocation », Revue de
psychoéducation, vol. 35, n° 2, 2006 : 399-417.
atelier (que j’évoquerai plus bas) était
également un élément précurseur, ainsi que
la forme du contrat, par lequel l’artiste
recevait une bourse et non un salaire. Les
résidences portaient enfin une question
toujours posée, mais rarement résolue dans
les ateliers de pratique artistique : le lien avec
un processus de création en cours
d’accomplissement.
Le deuxième enjeu est relatif aux effets de
l’éducation artistique. Face à des affirmations
souvent entendues, prêtant à l’intervention
de l’artiste un pouvoir réel et direct sur
l’amélioration de performances scolaires ou
de comportements sociaux chez les enfants,
on peut - toutes proportions gardées, bien
entendu, et avec une pointe d’humour -
établir un parallèle avec la delphinothérapie
et la controverse dont elle fait l’objet2. Les
recherches scientifiques (qui s’opposent en
cela à certaines recherches financées)
établissent que le dauphin ne soigne pas,
qu’il « agit » indirectement, comme un
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élément transformateur du contexte et de
l’entourage de l’enfant en raison de la
croyance diffuse dans son pouvoir
thérapeutique et en raison de la mobilisation
physique, affective, sensorielle déployée pour
aboutir à une rencontre entre un enfant
malade et un animal considéré à la fois
comme auxiliaire thérapeutique et comme
l’incarnation de forces échappant à la
connaissance rationnelle. C’est pourquoi il
me semble qu’il faut prendre au sérieux les
artistes lorsqu’ils évoquent la spécificité de
leur rôle et la distance qu’ils souhaitent
préserver vis-à-vis d’objectifs scolaires,
comportementaux, cognitifs pourtant bien
observables dans les retombées des projets
menés en classe, tout en affirmant leur
engagement social auprès des enfants et des
jeunes. Ainsi que le rappelle régulièrement
Alain Kerlan, l’enjeu de l’éducation artistique,
c’est de changer l’école, c'est-à-dire l’acte
même d’enseigner, et non de compléter
l’école ou de trouver remède à certaines de
ses limites. Dans le cas des résidences
d’artistes, on voit bien comment la résidence
n’est pas unidirectionnelle, centrée sur
l’enfant, mais au contraire en prise avec
l’ensemble de la communauté éducative, par
le rôle reconnu à chacun, l’occupation de
l’espace, le temps consacré à la connaissance
mutuelle et à la conception d’un projet
commun, la question de la transversalité des
savoirs et des pratiques, etc.
Le troisième enjeu est celui de la médiation.
Je laisse de côté une question pourtant
importante, celle d’une situation somme
toute assez classique, où l’artiste, seul en
scène (il s’agit de « scène » au sens
sociologique), représenterait à lui seul le
monde de l’art et de la culture auprès des
enfants, dans un face-à-face sans médiation,
ni médiateur autre que l’enseignant ou
l’ATSEM. En somme, sans médiateur culturel,
ou plus précisément : sans médiateur du
monde culturel. Je me centrerai plutôt sur les
institutions médiatrices. Un rôle me semble,
en effet, insuffisamment étudié de ce point de
vue : c’est celui joué par Enfance, Art et
Langages, qui agit comme un « traducteur »
permanent entre différents mondes : monde
de la culture, monde de l’éducation, mondes
vécus par les enfants et les familles, sphère
politique. Un « traducteur » ne se définit pas
uniquement par des opérations menées par et
sur le langage, bien qu’il s’agisse d’une
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fonction majeure de la médiation, dont les
traces écrites sont nombreuses dans le cas
des résidences (conventions, contrats, récits
d’expérience, évaluations, etc.) qui font aussi
appel à de très nombreuses interactions
verbales. Il se définit aussi par la production
de normes, dimension toujours importante
dès lors qu’il s’agit de la sphère éducative.
Les normes sont ambivalentes : elles cadrent
l’action et peuvent limiter l’imagination des
acteurs en présence. Elles peuvent aussi être
considérées comme des repères cristallisant
les leçons de l’expérience, à condition d’être
évolutives et de rester des outils au service
d’une démarche. Dans le cas des résidences,
cette fonction de médiation (certains diraient
d’accompagnement ou d’ingénierie de projet)
est particulièrement importante, et cela dès
les années 1980, comme ce fut notamment le
cas avec l’association Savoir au Présent,
association très active dans l’organisation de
résidences dans toute la France, et qui ne se
bornait pas à l’organisation concrète du face-
à-face entre enseignants et artiste. Le rôle
joué par des structures d’accompagnement
telles que Savoir au présent ou Enfance, Art et
Langages permet d’élargir la question de la
médiation au-delà de la seule figure du
médiateur culturel. En particulier, les
résidences invitent à dépasser les tensions
récurrentes entre éducation et médiation,
dont témoignait récemment le rapport
Loyrette (2013 : 8-9). Selon ce rapport, ces
tensions sont fondées sur l’idée que
l’Éducation nationale privilégie des objectifs
« fonctionnels » (l’adéquation aux
programmes scolaires) tandis que la culture
privilégie des objectifs « plus larges » et
« humanistes ». Elles se cristallisent, du point
de vue des institutions culturelles, dans
l’opposition entre deux directions : relations
avec le monde scolaire (« éducation
artistique ») et « politique de publics ». En
effet, la médiation, en tant que pratique
professionnelle, repose sur l’idée que l’école
n’est pas le seul vecteur d’éducation à la
culture, et que l’âge scolaire n’est qu’un des
âges possibles pour des apprentissages
culturels non formels.
Faute de pouvoir citer d’autres enjeux, je
m’en tiendrai à un dernier enjeu, que je
formulerai par une question : dans quelle
mesure les résidences d’artistes
accomplissent-elles un objectif d’éducation
artistique et culturelle ? Je m’appuie, pour
poser cette question, sur l’idée maintenant
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communément admise et relativement bien
ancrée institutionnellement que l’éducation
artistique et culturelle ne se définit pas
seulement par la co-présence d’enseignants,
d’élèves et d’artistes engagés dans un projet
commun. Elle se définit, plus
fondamentalement, par la combinaison de
trois expériences de l’art : esthétique, par le
contact avec les œuvres et les lieux ;
artistique, par l’élaboration personnelle d’un
langage et d’une forme ; symbolique et
culturelle, par l’appropriation de ressources
culturelles, la réflexivité, la formation de
l’esprit critique la confrontation des points de
vue. Les résidences sont conçues sur le
principe de l’immersion (présence longue,
cohabitation, apprivoisement progressif) et
non sur celui de la rupture (présence plus ou
moins ponctuelle, activités parfois
inconcevables dans un système éducatif
traditionnel, temps fort et visible d’un projet
mené par ailleurs toute l’année par
l’enseignant). Pour le dire autrement : sur le
principe de la proximité et de la
familiarisation et non sur celui de l’étrangeté
ou de l’altérité entre acteurs éducatifs et
acteurs culturels. La scène qui met le plus
3 Actes du colloque École / Milieu scolaire / Milieu artistique. Quels échanges, quels réseaux, quelles pratiques, ministères
de la Culture, de l’Éducation nationale, de l’Agriculture, Savoir au Présent, Palais du Luxembourg, 16-18 mai 1990.
souvent en prise les acteurs de ces projets
(enfants, communauté éducative, artistes) est
dans les murs de l’école. Certes, des sorties
culturelles sont prévues, et des
apprentissages culturels sont certainement
présents. Mais ce n’est pas leur existence qui
est visée par la question posée, c’est plutôt
leur place dans les objectifs des projets, dans
leur réalisation et dans leur évaluation.
Les résidences d’artistes en milieu
scolaire ; permanences et évolutions
Je voudrais maintenant faire un retour vers le
premières formes de résidences dans les
établissements scolaires, en m’appuyant à la
fois sur mon expérience personnelle de mise
en place de résidences au cours des années
1980, en lien avec l’association Savoir au
Présent, et sur les actes d’un colloque
organisé en 1990 par cette même
association, avec l’appui des ministères
concernés3. À cette époque, les résidences en
milieu scolaire sont une extension des
résidences en entreprises, dans les usines et
dans divers lieux de vie et de travail. Les
mêmes règles y sont prescrites, en particulier
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le fait de ne pas demander à l’artiste d’animer
d’ateliers de pratique ou de faire don d’une
œuvre réalisée dans le cadre de la résidence.
Il était également recommandé de
commencer la résidence sans programme
préalable d’activités, le but étant que chaque
lieu d’accueil invente progressivement les
formes de la rencontre. Les résidences sont
conçues selon un référentiel assez strict, sous
la responsabilité du chef d’établissement,
destiné à laisser émerger des projets
singuliers et non normés selon les règles
pédagogiques.
À l’époque où se tenait le colloque de 1990,
alors que les résidences d’artistes
concernaient tous les types d’établissements
scolaires, le point de vue de l’Éducation
nationale était formulé essentiellement par
l’Inspection générale des arts plastiques,
focalisée sur la différenciation entre les
professionnalités respectives de l’enseignant
d’arts plastiques et de l’artiste. Aucun apport
n’est repérable pour les problématiques liées
au primaire et à la maternelle, c'est-à-dire à
l’enseignant polyvalent. Du côté de
l’institution culturelle, on est frappé de voir à
4 « La meilleure résidence d’artiste semble être son atelier », affirme ainsi un représentant de la Délégation aux arts
plastiques du ministère de la Culture.
quel point, à cette époque, le discours est
limité4, faisant ainsi une large place au
discours d’artiste et donc aux valeurs
dominantes dans le champ de l’art :
autonomie par rapport à la demande sociale
ou politique, singularité, avant-garde,
rupture, dévalorisation des savoirs
académiques ou disciplinaires. Ce discours
est assez largement relayé par Savoir au
présent qui défend un point de vue centré sur
l’altérité fondamentale des acteurs en
présence et la spécificité du rôle de l’artiste :
« L’école ne peut attendre de l’artiste qu’il assure
personnellement une activité éducative ou
culturelle. L’institution scolaire atteint des buts
culturels parce que l’artiste dans sa pratique relève
de l’artistique. […] La médiation culturelle doit
s’appuyer sur les fondements de la création
artistique ». Cette idée, qui consiste à
présenter l’action de l’artiste comme d’autant
plus efficace (ou en tout cas efficiente) qu’il
s’affranchit de tout référence à une pratique
ou à un savoir-faire pédagogique, reste
aujourd'hui très prégnante dans les discours
d’artistes, mais elle l’est de moins en moins
dans les discours des institutions,
préoccupées par la qualité de la transmission
et par les compétences nécessaires pour
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assurer cette qualité. De plus, elle est à
relativiser par l’observation concrète des
résidences que j’ai organisées, ou plus
récemment par l’examen des vidéos réalisées
dans les classes lyonnaises coordonnées par
Enfance, Art et Langages, où l’on voit
fréquemment les artistes en posture
d’explication, de facilitation, de soutien,
d’accompagnement. Autour du geste
professionnel expliqué et partagé par les
artistes se jouent les enjeux d’une co-
éducation, d’une pédagogie active et d’une
méthode non formelle, bien qu’elle se déroule
dans un contexte formel, celui de l’école.
Il est intéressant de noter que déjà à cette
époque, les organisateurs et institutions
partenaires se plaignaient des stratégies de
légitimité des artistes, qui ne mettaient pas
en visibilité leur participation à des
résidences en milieu scolaire. Les curriculum
vitae (CV) d’artistes diffusés auprès des
institutions culturelles ne mentionnaient pas,
dans la plupart des cas, ce type d’expérience.
Or, les CV sont un outil important des
stratégies de légitimation dans le champ
artistique, comme l’a montré, dans un autre
5 Fourmentraux (2011 : 79-82) montre comment, dans le cas des coproductions entre artistes et scientifiques,
l’examen des curriculum arte (des artistes) et des curricumum vitae (des ingénieurs informaticiens) permet
d’analyser les modes d’attribution de valeur artistique ou scientifique, et les stratégies de valorisation artistique
d’activités hybrides relevant de la recherche-création.
domaine, Jean-Paul Fourmentraux5. Y faire ou
non figurer une expérience menée dans un
établissement scolaire peut, selon les cas,
renforcer ou affaiblir ces stratégies. La même
question s’est posée à propos des ateliers
artistiques dans le champ social, comme l’a
analysé Pierre-Alain Four (2003 : 207-227),
mais les actions menées en milieu carcéral,
hospitalier ou dans les quartiers en difficulté
ont connu une progression en légitimité
supérieure par rapport à celles menées en
milieu scolaire.
La question de la mention des résidences
dans les CV est réapparue au cours de ce
colloque, et semble toujours poser quelques
problèmes, malgré une réelle progression de
cette question, à la faveur de trois
changements majeurs : l’affirmation de
l’éducation artistique et culturelle comme
composante stratégique des politiques
culturelles ; la raréfaction des soutiens
publics en matière de culture et le besoin de
diversifier les sources de revenus des
artistes ; le pilotage par les collectivités
territoriales (qui par ailleurs financent la
culture) de dispositifs qui échappent ainsi à
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une connotation trop scolaire. La longue
durée des résidences et l’importance des
crédits qui y sont affectés contribuent aussi à
cette légitimation. La notion de résidence
elle-même relève d’un vocabulaire de l’action
publique centré sur la création et le créateur,
au contraire des ateliers de pratique artistique
et des autres dispositifs de type « classe à
PAC » : la résidence d’artiste reste un
dispositif identifié majoritairement par
rapport à des espaces non scolaires.
J’ai entendu au cours des échanges que les
représentations conflictuelles de la relation
entre artistes et enseignants, que l’on
pourrait supposer dépassées par trente
années de construction institutionnelle du
partenariat entre culture et éducation, sont
toujours présentes. Ce constat peut
s’expliquer de deux façons. D’une part, la
culture doit être appréhendée « au pluriel »,
selon les termes de Michel de Certeau qui
postulait que son analyse ne peut être que
polémologique6, afin de mettre en évidence
une de ses dimensions majeures : les conflits
6 À propos de l’activité culturelle de la production des non-consommateurs, considérée à tort comme passive et
marginalisée par la dimension productiviste de l’économie culturelle, Certeau relève que « la relation des procédures
avec les champs de force où elles interviennent doit […] induire une analyse polémologique de la culture. […] la
culture articule des conflits et tour à tour légitime, déplace ou contrôle la raison du plus fort » (1990 : XLIV).
7 On peut se référer notamment à l’histoire de l’enseignement du dessin puis des arts plastiques, et plus particulièrement
aux « scènes primitives » décrites par Bruno Duborgel à propos des visions opposées – utilitaristes ou esthétiques –
développées par Eugène Guillaume et Felix Ravaisson (1990 : 72-74). Une synthèse historique réalisée en 1996 par
Marie-Jeanne Brondeau-Four et Martine Colboc-Terville (« Du dessin aux arts plastiques. Repères historiques et
évolutions jusqu’en 1996 ») peut également être utilement consultée sur le site de l’académie de Mayotte.
entre les cultures et les rapports de
domination des unes envers les autres. Or,
nous savons que les difficultés de l’éducation
artistique et culturelle tiennent certes à des
problèmes concrets de mise en œuvre, mais
plus profondément à des conflits de valeurs
et de représentations entre la culture de
l’école et la culture du champ artistique
contemporain. Elles tiennent aussi à une
tension historique, présente bien avant
l’institutionnalisation de l’éducation
artistique, dès la création des enseignements
artistiques à l’école, entre deux
représentations opposées des visées de cet
enseignement7 et, plus largement, de l’acte
même d’enseigner. D’autre part, malgré la
très grande hétérogénéité des « carrières »
d’artistes (au sens sociologique du terme),
malgré le fait que dans certains domaines
(arts plastiques, danse, musique) les artistes
ont dans leur grande majorité suivi une
formation supérieure spécialisée, la critique
de l’école reste très prégnante dans leurs
discours. Cette critique est une transposition
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de la critique de l’académisme, en art comme
ailleurs, et également une façon d’héroïser le
regard rétrospectif que posent les artistes sur
leur parcours en soulignant son caractère
singulier par le régime de vocation,
d’opposition, de résistance. Curieusement,
alors qu’une critique sociale aujourd'hui
largement répandue reproche à l’école le
caractère structurel de sa dimension
inégalitaire, les artistes perdurent dans une
critique plutôt psychologisante de l’école,
génératrice d’ennui, incapable de déceler les
talents, les individualités et de développer le
plaisir d’apprendre. Ce faisant, ils présentent
leur rôle de deux manières : soit sous le
régime d’une vision « romantique » de la
transmission8, qui convient assez bien au
temps souvent bref de leur intervention
auprès des enfants et à la préservation d’une
8 À cet égard, les artistes se présentent souvent comme des figures de l’enseignant idéal selon leurs propres normes,
c’est-à-dire libertaire et anti-système. Dans ses travaux sur l’école ou sur l’illettrisme, Bernard Lahire a largement
critiqué cette vision d’une pédagogie romantique et vertueuse. « L'enseignant romantique - dont l'un des modèles
est partiellement livré dans le film de Peter Weir Le Cercle des poètes disparus - ne fait en définitive que jouer le rôle
bien connu des lecteurs de Max Weber, rôle du ‘prophète’ face au ‘prêtre’ comme ‘fonctionnaire du culte’. Ce modèle
d'enseignant privilégie l'expérience événementielle vécue par rapport à l'exercice quotidien, la spontanéité ou le
happening pédagogique par rapport à la progression continue dans un corps de savoirs et, au fond, la démarche
intérieure et volontaire par rapport à l'action extérieure et imposée. Il privilégie ainsi, sans s'en rendre compte, ceux
qui ont déjà constitué au cours de leur socialisation antérieure les démarches et les motivations internes par rapport
à ceux qui ne les ont pas encore constitué[es] et qui ont besoin pour cela d'une action pédagogique spécifique. »
(Lahire, 1997 : 6). Par ailleurs, dans un cadre relevant plutôt de la formation des adultes, Lahire critique les postures
adoptées par les associations luttant contre l’illettrisme, considérant comme populistes certaines de leurs affirmations,
par exemple : « Le même fond populiste amène ATD à développer la conception d’une pédagogie radicalement
romantique (antitechniciste, anti-institutionnelle, antiautoritaire, égalitaire) où l’apprentissage se déroulerait dans la
joie permanente » (Lahire, 1999 : 53) 9 En référence à des catégories développées par Boltanski et Thévenot, les « valeurs inspirées » privilégient
l’excellence (plus que la simple qualité professionnelle) la spécificité de la démarche artistique, l’autonomie du monde
de l’art, la singularité de la démarche, l’innovation, l’avant-garde ; les « valeurs civiques » s’attachent davantage à
l’égalité d’accès, au droit à la culture, à la culture facteur d’identité ou bien commun, à l’héritage, au sens commun
(Bordeaux, Deschamps, 2013 : 25-27).
identité professionnelle centrée sur la
compétence artistique ; soit en tant que
simples « travailleurs culturels » (Menger,
2003), présents à un moment de leur vie
professionnelle auprès de certains groupes
sociaux sans pour autant considérer y avoir
des missions ou une vocation particulières.
De l’exceptionnel à l’ordinaire : la
question des changements d’échelle
Un des reproches principaux qui pouvait être
fait aux résidences d’artistes par l’Éducation
nationale au cours des années 1980 était le
caractère exceptionnel et coûteux de ces
opérations. Face aux valeurs « inspirées » qui
prédominaient dans les discours culturels
faisant la promotion des résidences,
l’Éducation opposait les valeurs « civiques »9
et critiquait le caractère sporadique de ces
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projets, l’impossibilité de les généraliser
aussi bien que l’absence de cadrage
pédagogique préalable. Ce ne fut sans doute
pas le cas dans toutes les régions, mais dans
les territoires où j’ai eu l’occasion de monter
des projets, rien ne se serait fait sans le
volontariat des chefs d’établissements et des
directeurs d’écoles en lien avec les élus de
leur ville, le rectorat et les inspections
académiques restant en dehors de
l’impulsion et du suivi de ces actions.
Aujourd'hui, les résidences sont reconnues
par l’Éducation nationale et font même l’objet
d’une circulaire interministérielle
spécifique10. Des collectivités les
revendiquent comme un outil important de
leur politique croisée de soutien à la création
et d’éducation artistique. Elles les organisent
concrètement de manière à les rendre
accessibles. L’expérience d’Enfance, Art et
Langages à Lyon, ainsi que celle d’autres
territoires comme la Seine Saint Denis (pour
les collèges) ou le Nord Pas de Calais, montre
10 La circulaire (Éducation nationale, Enseignement supérieur et recherche ; Agriculture ; Culture et Communication)
n° 2008-059 du 29 avril 2008 « Développement de l'éducation artistique et culturelle » précisait déjà que « les
résidences d’artistes seront développées pour permettre aux élèves de suivre au plus près la création dans différents
champs, des phases de recherche jusqu’à la réalisation. Elle a été complétée récemment par la Circulaire (Éducation
nationale ; Agriculture ; Culture et Communication) n° 2010-032 du 5 mars 2010 « Charte nationale : la dimension
éducative et pédagogique des résidences d'artiste », qui définit les résidences en milieu scolaire comme une des
catégories possibles des résidences d’artistes.
que l’intervention de la collectivité territoriale
peut changer la donne, à condition de
maintenir son effort sur la durée. À Lyon,
toutes les écoles maternelles de l’éducation
prioritaire ont été, sont ou seront concernées
par une résidence d’artiste. L’appel à projets
permet de cadrer l’impératif de qualité du
côté des artistes ainsi que la cohérence avec
le projet d’école. La durée, qui est fixe, mais
peut dans certains cas être négociée, est
pensée pour garantir des effets non
seulement sur les enfants, mais aussi et
surtout sur la communauté éducative, ce qui
est la condition de l’ancrage des nouvelles
pratiques développées à l’occasion de la
résidence. À la fin de la résidence, les écoles
ont la possibilité de continuer à mener des
projets culturels, contrairement à bien des
projets où, une fois le spectacle ou
l’exposition terminés, on passe à autre chose.
Au cours de la résidence, les artistes sont en
général amenés à animer des ateliers, dans le
cadre d’un projet de recherche artistique co-
élaboré avec les équipes pédagogiques.
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On voit donc, d’une certaine manière, ces
résidences répondre point par point aux
critiques dont elles pouvaient faire l’objet, et
devenir un des instruments d’une politique
territoriale de l’éducation artistique visant la
généralisation. Ce format de projet, qui était
exceptionnel par son ampleur et son
ambition, peut aujourd’hui faire l’objet d’une
politique concertée et durable. Il y a là matière
à réflexion pour ceux qui seraient tentés de
voir dans le parcours culturel l’unique
instrument de la généralisation. Les
résidences permettent de poser la question, à
mon avis nécessaire, de la diversité des
dispositifs et des échelles de projets.
Bibliographie
Bordeaux Marie-Christine, Deschamps François, 2013, Éducation artistique, l’éternel retour ? Une
ambition nationale à l’épreuve des territoires, Toulouse : Ed. de l’Attribut (coll. La Culture en questions)
Buffet Françoise (dir.), 1998, Entre école et musée, le partenariat culturel d’éducation, Lyon : PUL (coll.
Travaux et documents)
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(coll. Essais)
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contenus, enjeux et finalités, Paris : A. Colin, (Coll. Formation des enseignants), p. 71-90
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Lahire Bernard, « Démocratisation, formes scolaires et techniques intellectuelles », Actes du colloque « Défendre
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Menger Pierre-Michel, 2003, Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Paris :
Seuil (La République des Idées)
Actes du colloque École / Milieu scolaire / Milieu artistique. Quels échanges, quels réseaux, quelles
pratiques, ministères de la Culture, de l’Éducation nationale, de l’Agriculture, Savoir au Présent, Palais
du Luxembourg, 16-18 mai 1990
L’éducation artistique et culturelle dans les musées et monuments nationaux, rapport de mission
confiée à Henri Loyrette et conduite par Catherine Guillou, ministère de la Culture, juillet 2013
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Annexes
Bibliographie
Fiches expériences : exemples de dispositifs
o Art à l’école
o Enfance, Art et Langages
o Témoignage Bérengère Valour
o IN SITU
o L’Opéra à l’école
o Libres comme l’art
o Les Escholiers de la Mosson
o MUS-E® à Lille
A c t e s d u C o l l o q u e
B i b l i o g r a p h i e
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Bibliographie sélective
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L'inscription de la résidence d'artistes en milieu rural et sa pertinence dans le développement culturel local.
Mémoire de DESS Développement Culturel et Direction de projet sous la direction de Jacques Bonniel,
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socio.univ-lyon2.fr/IMG/pdf/doc-557.pdf
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BONNIEL, Jacques.
Résidences d’artistes : définition et contextes artistiques, institutionnelles et historiques in Les
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BORDEAUX, Marie-Christine, DESCHAMPS François.
L’Éducation artistique, l’éternel retour ? Une ambition nationale à l’épreuve des territoires.
Toulouse : Ed. de l’Attribut (coll. La culture en questions), 2013, 172 pages.
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CHABANNE, Jean-Charles ; PARAYRE, Marc ; VILLAGORDO, Eric.
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A c t e s d u C o l l o q u e
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résidences d’artistes à l’école. Belgique : CDWEJ et EAL, mai 2013, 64 pages.
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Vade-mecum pour monter une résidence d’artiste à l’école. Paris : DSDEN, Inspection de
circonscription de la Goutte d’Or, octobre 2012, 4 pages.
18b-gouttedor.scola.ac-paris.fr/IMG/pdf/Vade-mecum_residence_d_artiste_oct_2012.pdf
Développer une résidence d’artistes. In La Scène. N° 49. Nantes : Millénaires, été 2008, 20 pages.
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La résidence d’artistes plasticiens en milieu scolaire. Compte-rendu des rencontres des 15 et 16
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www.mediationculturelle.net/wp-content/uploads/résidence-artiste-à-lécole.pdf
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France
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www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=71673
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www.education.gouv.fr/cid50781/mene1003709c.html
Circulaire N° 2006/001 du 13 janvier 2006 relative au soutien à des artistes et à des équipes
artistiques dans le cadre de résidences. Paris : ministère de la Culture et de la Communication, 7
pages, 2006.
mediatheque.cite-musique.fr/mediacomposite/cim/_Pdf/70_Institutions_Circresidences.pdf
Belgique – Wal lonie
Le Décret du 24 mars 2006 relatif à la mise en œuvre, la promotion et le renforcement des
Collaborations entre la Culture et l'Enseignement. 12 pages.
www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/30655_001.pdf
La circulaire 2200 du 20/02/2008 concernant le décret du 24 mars 2006 relatif à la mise en
œuvre, la promotion et le renforcement des collaborations entre la Culture et l’Enseignement. 8
pages.
www.enseignement.be/hosting/circulaires/upload/docs/2394_20080220104436.pdf
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Données d’observation et de recherche par expériences
ENFANCE, ART ET LANGAGES - LYON
FILIOD, Jean Paul ; NECKER, Sophie.
Evaluer l’éducation artistique : l’expérience au croisement des points de vue. cARTable
d’Europe, approche du concept d’évaluation en éducation artistique à partir de résidences
d’artistes à l’école. Belgique et France : CDWEJ et EAL, 2013, pp. 45-49.
FILIOD, Jean Paul, BOUKACEM, Dalila ; COSNIER, Brigitte ; PINOT, Françoise ; SEGUI,
Fernando.
Trois études sur le dispositif Enfance, Art et Langages, Lyon : Université de Lyon : université
Lyon 1-IUFM, 2011, 153 pages. www.eal.lyon.fr
Présentation : « Rapport de recherche développant les 3 thématiques suivantes : Trace
d'enfance, d'arts et de langages : paroles d'élèves ; Entre-tenir sa place : les Atsem au travail ;
Arts dans l'école, arts hors-l'école : les motifs d'une rencontre. »
Filiod, Jean Paul ; avec COSNIER, Brigitte ; DUVILLARD, Jacques ; LADRET,
Geneviève ; PINOT, Françoise et VIDON, Michel.
Quand l’éducation artistique ne va pas de soi. Enfance art et langages, programme lyonnais
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1 - IUFM, INRP, Caisse des Ecoles de Lyon EAL, 2007, 100 p.
FILIOD, Jean Paul (sous la dir.)
Recherche-développement sur le programme Enfance Art et Langages. Bilan de trois ans de
recherche (2005-2008). Lyon : 2008, 46 pages. www.eal.lyon.fr
- Rapport de 2007 : Quand l’éducation artistique ne va pas de soi.
- Rapport de 2006 : La place, le statut et les usages des arts à l’école maternelle.
KERLAN, Alain (sous la dir.)
Des artistes à l’école maternelle. Lyon : SCEREN-CNDP, Enfance, Art et Langages, 2005, 190 pages.
CENTRE DRAMATIQUE DE LA WALLONIE POUR L ’ENFANCE ET LA JEUNESSE – LOUVAIN-
LA-NEUVE (BELGIQUE)
NECKER, Sophie ; Filiod, Jean Paul
Evaluer l’éducation artistique : l’expérience au croisement des points de vue.
cARTable d’Europe. Approche du concept d’évaluation en éducation artistique à partir de
résidences d’artistes à l’école. Belgique : CDWEJ et EAL, mai 2013, pages 45-49.
www.calameo.com/read/002562879c00dc508de0e
L’Instant Marionnette, un projet du CDWEJ, film réalisé par J-B. Gabriel, 2006.
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IN SITU ET CULTURE ET ART AU COLLEGE – CONSEIL GENERAL SEINE-SAINT-DENIS
BARRERE, Anne ; MONTOYA, Nathalie ; PEQUIGNOT, Bruno (ss la coordination et
responsabilité scientifique).
Les parcours « La culture et l’art a collège » : enquête sur un dispositif d’éducation artistique
et culturelle. Paris : Université Paris-Descartes, Laboratoire CERLIS, février 2013, 14 pages.
fr.calameo.com/read/00063492458629ea01db7
LES ESCHOLIERS DE LA MOSSON - MONTPELLIER
CARRAUD, Françoise.
Expérimentation dans un collège ECLAIR. Le travail enseignant entre logique scolaire et
logique artistique. In Sociologies pratiques 2012/2 n°25.
KERLAN Alain (sous la dir.)
Les moissons de la Mosson. La scène et l’écriture. Rapport établi à l’intention d’Hérault Musique
Danse. Lyon : Lyon : Université Lyon 2, Equipe d’Accueil Education Culture et Politique, octobre
2012, 48 pages.
KERLAN, Alain (sous la dir.)
Les moissons de la Mosson. Que la danse commence ! Rapport établi à l’intention d’Hérault
Musique Danse. Lyon : Université Lyon 2, Equipe d’Accueil Education Culture et Politique,
septembre 2011, 37 pages.
recherche.univ-lyon2.fr/ecp/ressources/axe-3/LES%20MOISSONS%20DE%20LA%20MOSSON.pdf/view
LANGAR Samia (sous la direction d’Alain KERLAN)
Les relations Parents-Collège : Quelles médiations pour la classe artistique ? Rapport établi à
l’intention d’Hérault Musique Danse. Lyon : Université Lyon2, Septembre 2011, 55 pages.
recherche.univ-lyon2.fr/ecp/ressources/axe-3/RAPPORT%20MEDIATION%20LANGAR%20DEF..pdf/view
L’OPERA A L ’ECOLE - LYON
MAIRE SANDROZ, Marie-Odile ; STEFANI, Patrick.
L’Opéra aux Minguettes. Ce que l’art fait à l’école, ce que l’école fait à l’art… Premier rapport
intermédiaire de l’étude compréhensive. Lyon : Contribution du Centre Alain Savary, Agence
qualité éducation, IFÉ/ENS Lyon, septembre 2012, 86 pages.
ARTISTES INTERVENANT EN MILIEU SCOLAIRE , ENSBA – PARIS
LEMAIRE, Vincent ; DEAM, Nina.
L’effet chenille. Pais : Beaux arts de Paris les éditions, 2012, 64 pages. Projet conduit dans les
écoles de Saint-Ouen avec L’ENSBA de Paris et les Fondations Rothschild en 2011-2012.
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Sites internet : expériences de résidences d’artistes
FRANCE
Seine-Saint-Denis
Conseil Général de la Seine-Saint-Denis, In Situ, 31 pages.
fr.calameo.com/read/00063492480be20e94fc7
In Situ et CAC - www.seine-saint-denis.fr/-Education-artistique-et-culturelle-.html
Montpellier
Classe artistique expérimentale Les Escholiers de la Mosson. Hérault Musique Danse.
www.heraultmusiquedanse.fr/classe-artistique.html
Petites Galeries - www.ac-montpellier.fr/sections/ia34/actualites-ia34/mini-residence-artiste
Rennes
Les résidences d’artistes de Rennes.
rennes.iconito.fr/index.php/blog?blog=les_r_sidences_d_artiste
Les résidences d'artiste à l'école : dispositif Ville de Rennes/DRAC. Métropole Rennes, 1page.
metropole.rennes.fr/politiques-publiques/culture-education-vie-sociale/la-culture/mise-en-partage-de-la-
culture/?no_c
Rhône-Alpes
La Caravane des dix mots - fr-rhonealpes.caravanedesdixmots.com
Lyon
Les Résidences d’artistes en maternelle – Enfance, Art et Langages - www.eal.lyon.fr
L’Opéra à l’école - Opéra de Lyon
www.opera-lyon.com/opera-citoyen/developpement-culturel/lopera-a-lecole/
Nord
Contrat Local d’Education Artistique (CLEA) - www.clea-intercommunal.fr
Côte d’Or
Résidences longues - www.cotedor.fr/cms/lang/fr/pid/4884
Créteil
UNE ARTISTE en RESIDENCE au Lycée Saint-Exupéry de Créteil
acl.ac-creteil.fr/domaines/residence/residence-st-exupery.doc
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INTERNATIONAL
Belgique - La Louvière
Centre Dramatique de Wallonie pour l’Enfance et la Jeunesse (CDWEJ)
www.cdwej.be/index.php?pid=1&mid=1000
Canada - Montréal
C2S Arts et Evénements - www.c2sarts.org
Suisse - Genève
Academia d’Archi : Orchestre en classe.
www.accademia-archi.ch/index.php?option=com_content&view=article&id=50&Itemid=137
Sites internet : artistes intervenants au cours du colloque
Yves Henri - www.yveshenri.com
Julie Lefebvre - lafabriquefastidieuse.com/index.php?/project/julie/
Milton Paulo Nascimento de Oliveira - www.dancersproject.com/browse/DancersBio.php?ID=4546
Arnaud Theval - www.arnaudtheval.com/2-50-autofiction.php
Camille Llobet -
www.eal.lyon.fr/enfance/sections/fr/residences/les_artistes/artistes_en_residenc/?aIndex=1
Bérengère Valour -
www.eal.lyon.fr/enfance/sections/fr/residences/les_artistes/artistes_des_ancienn/?aIndex=2
Marc Mercier - www.instantsvideo.com/blog/fr/archives/category/accueil ou instantsvideo.over-blog.com
Colloque 2013 – La résidence d’artiste en milieux scolaire et éducatif
L’art à l’école
Dispositif porté par le Centre dramatique de Wallonie pour l’Enfance et la
Jeunesse (CDWEJ) à la Louvière (Belgique). Les résidences d’artistes prennent
place dans des établissements scolaires de tous niveaux, des crèches aux
établissements d’études supérieures pour une durée d’une année scolaire.
www.cdwej.be
Centre dramatique de Wallonie
pour l’Enfance et la Jeunesse
Rue des Canadiens 83
7110 Strépy-Bracquegnies
Belgique
Tél. : +32 64 66 57 07
Courriel : [email protected] Directrice du CDWEJ
Sarah Colasse
© A. Valentin © CDWEJ
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Colloque 2013 – La résidence en milieux scolaire et éducatif
Fiche expérience CDWEJ
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Présentation du projet
Le CDWEJ (Centre dramatique de Wallonie pour l’Enfance et la Jeunesse) existe depuis
1982. Lié au secteur du théâtre jeune public, il travaille au rapprochement entre
monde artistique et monde éducatif en proposant des spectacles pour le jeune public
ainsi qu’un vaste projet sur l’ensemble de la Wallonie : l’opération « Art à l’Ecole ».
Ce dispositif permet la mise sur pied d’une soixantaine de résidences d’artistes
par saison. Ces résidences se déroulent dans des crèches, des écoles
du fondamental (maternelles et primaires), des écoles du secondaire et des Hautes
Ecoles pédagogiques. Nous les appelons davantage « ateliers » que « résidences ». Un
atelier équivaut à une dizaine de demi-journées de prestation pour l’artiste en classe.
LA RECHERCHE
L’opération « Art à l’Ecole », dans ses contours actuels, existe depuis 2004.
Le CDWEJ a pris un tournant en 2000 avec la mise sur pied d’un projet ministériel :
d’un travail avec des animateurs, il est passé à un travail avec des artistes en
création exclusivement. Dans l’idée d’emmener les élèves dans un véritable
processus artistique, les plonger dans un bain de recherche, un chemin, loin de
toute certitude, de toute recette… Dans l’idée également de valoriser la singularité
de chacun, de l’affirmer en tant que ferment de création au sein du collectif.
Par ailleurs depuis 2011, dans le cadre du projet européen cARTable d’Europe
conduit avec Enfance, Art et Langages (cf. fiche expérience EAL), le CDWEJ
s’est assuré la collaboration de la sociologue Sophie Necker pour une recherche-
développement sur la question du sensible.
Plus d’informations sur : cartabledeurope.over-blog.com
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Fiche expérience CDWEJ
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Partis pris des ateliers
Art pour tous. L’enjeu principal du dispositif consiste à mettre les jeunes en contact
avec les arts dès le plus jeune âge, de revendiquer une place importante pour
les arts dans la société, de défendre la politique de l’art pour tous.
Partenariat. L’atelier se déroule presqu’exclusivement en temps scolaire, avec
la classe dans son entièreté. Il repose sur la complémentarité des compétences
artistiques/pédagogiques de l’artiste et l’enseignant partenaires. La mise en œuvre
de cette philosophie du partenariat trouve ses influences… en France, précisément
via la parole de Jean-Claude Lallias, responsable à l’époque de l’Anrat, que le CDWEJ
avait invité en conférence lors des prémisses de l’opération. Pour articuler ce
partenariat artistes/enseignants, des formations réunissent artistes, enseignants et
médiateurs culturels à l’entame du travail avec les jeunes. Ici, autre source
d’influence française, c’est Marcelle Bonjour et le dispositif Danse au Cœur qui nous
ont inspirés pour la mise sur pied de ces modules de formation.
Triangulation. Il est un autre partenariat d’importance chez nous : celui qui nous lie à
nos Partenaires culturels - Points de chute. Ils sont une vingtaine de centres culturels
locaux et régionaux à avoir rejoint le CDWEJ. Ce travail avec les médiateurs culturels
est capital. Pour rapprocher ces deux mondes que sont l’art et l’école, il s’avère
toujours juste et sain d’avoir une structure qui offre un cadre (en l’occurrence, ici,
le CDWEJ) et qui accompagne sans faire ingérence dans les projets (CDWEJ et le centre
culturel en lien avec l’école). La collaboration avec nos Partenaires culturels - Points
de chute nous permet d’opérer un véritable travail de proximité, de mise en lien avec
les œuvres, les propositions culturelles… Elle nous permet également de rester
attentifs aux spécificités, aux besoins, aux attentes de chaque région.
Co-construction. Artistes, enseignants, médiateurs culturels… tous contribuent
à construire et voir grandir cette opération.
Eclectisme. Les ateliers se déroulent dans des régions parfois très différentes et dans
des écoles très diverses elles aussi. Âges, milieux sociaux, types d’enseignement,
types de publics… Cette diversité est une revendication et un atout. Elle permet
d’œuvrer au décloisonnement, à la rencontre et dévoile chaque année ses richesses
tant en formations que lors des réunions et des Rencontres « Art à l’Ecole ».
Colloque 2013 – La résidence en milieux scolaire et éducatif
Fiche expérience CDWEJ
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Balisage. Une saison « Art à l’Ecole » est très structurée, balisée et demande un
véritable engagement pour tout qui y participe : réunions, formations, Rencontres
« Art à l’Ecole » où se retrouvent les élèves qui présentent et découvrent les
différents chemins artistiques parcourus…
MARGE DE PROGRESSION
Chaque médaille a son revers, chaque situation, son paradoxe.
Concernant le stricto sensu : CDWEJ
Sur sa faim ? La Belgique est petite mais in fine, le territoire d’action
du CDWEJ, lui, est plutôt grand. Pour pouvoir compter sur la diversité
préconisée, il est important de maintenir un certain nombre d’ateliers.
Cependant, pour donner l’accès à ce type de projets à un maximum
d’enseignants, d’écoles, de jeunes… nous veillons à ce que les ateliers
tournent et que ce ne soit pas chaque fois les mêmes établissements qui en
bénéficient. Mais quid de ces écoles qui souhaitent tant poursuivre et
approfondir une démarche artistique ? Quid des brasiers qu’on allume et
qu’on ne laisse pas « prendre » sur le long terme ? Il peut être très frustrant
pour tous de ne pas pouvoir développer plus en avant un partenariat qui
mériterait de l’être, une exploration artistique avec de nouveaux élèves…
Cadre >< souffle ? Une des grandes forces de l’opération est sa structure et
son balisage (cf. plus haut). Il est cependant important de rester vigilant à y
préserver du souffle, de la liberté, de nouveaux possibles, du temps pour se
poser et évaluer ce qui s’y passe, pour évaluer la structure en elle-même. Le
danger serait de nous voir nous retrouver à « fonctionner ». L’art à l’école ne
peut simplement « fonctionner », l’art à l’école doit « vibrer ».
Nos pistes pour tenter d’éviter les écueils énoncés :
Artistique. Un travail accru avec des artistes associés invités à repenser
le projet avec nous. Nous venons par exemple de mettre sur pied
« L’Assemblée des Rêveurs », espace de réunions avec la direction (trois
rencontres sur l’année) où, avec six artistes, l’opération est remise en
perspectives.
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Fiche expérience CDWEJ
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Gestion. Octroyer davantage d’autonomie aux binômes artiste/enseignant,
aux Partenaires culturels - Points de chute… Favoriser encore davantage
les prises d’initiatives…
Collaborations. Les projets internationaux tels que celui qui nous lie
présentement à Enfance, Art et Langages sont des espaces de confrontation,
de rencontre et de construction qui peuvent permettre de prendre
de nouveaux souffles, d’entrevoir la chose quotidienne sous un autre angle et
de creuser des thématiques d’importance.
Concernant le contexte institutionnel belge francophone :
La culture : une possibilité ou un droit ? Un décret a vu le jour en 2006,
cosigné par la Ministre de l’Enseignement et la Ministre de la Culture. Ce
décret encourage les ponts entre arts et écoles en finançant des projets
sélectionnés par une commission. Il reconnait d’ailleurs le CDWEJ comme
Partenaire privilégié. Ce système a le mérite d’exister mais pose la question
suivante : veut-on proposer l’art à l’école sur base du bon-vouloir des
personnes en présence (enseignants, directions, inspection…) ou bien
adopte-t-on une politique claire et cohérente pour rendre accessible la
pratique artistique à TOUS les élèves ? Cette question en entraîne aussitôt
une autre : qu’entend-t-on par art à l’école ? Pour notre part, nous
défendons bien entendu le principe de travailler AVEC des artistes. Or, cela
engendre des coûts. Or, cela bouscule les pratiques. Ce qui n’est certes pas
toujours évident à gérer mais ô combien essentiel pour proposer de
véritables démarches artistiques et pour garder une société en mouvement…
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Fiche expérience CDWEJ
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Pilotage
Le CDWEJ est subsidié principalement par la culture. Un contrat-programme le lie au
– ou à la – Ministre en charge des arts de la scène. Ce contrat est renouvelable tous
les quatre ans.
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Ecole maternelle les Tables Claudiennes (Lyon 1er
),
résidence de Camille Llobet, plasticienne, 2012-13
Ecole maternelle Combe Blanche (Lyon 9ème
), résidence
de Myriam Soltani Azad, plasticienne musicienne, 2012-2013
Enfance, Art et Langages
Programme de résidences d’artiste en école maternelle à Lyon. La résidence se
prolonge trois années au sein d’une même école, située prioritairement en
territoire fragilisé. Ce dispositif soumis au regard de chercheurs et accolé à un
centre ressources.
www.eal.lyon.fr
ENFANCEARTETLANGAGES
Les Subsistances
8 bis quai Saint Vincent
69001 Lyon
Tél. : +04 78 38 62 10
Courriel : [email protected] Directrice
Christine Bolze
Assistante projet
Anaïs Lavot
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Ecole maternelle Gilbert Dru (Lyon 7ème
),
résidence de François Cini, plasticien, 2008-2009
Colloque 2013 – La résidence en milieux scolaire et éducatif
Fiche expérience EAL
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Présentation du programme de résidence
ENFANCEARTETLANGAGES coordonne un programme de résidences d’artiste en école
maternelle pariant sur l’intérêt de l’art et de la création comme langage sensible et
fondateur pour le petit enfant. Ce projet original est né à Lyon en 2002 d’un
partenariat entre la Ville et des ministères de l’Education Nationale et de la Culture.
Le principe est simple : un artiste, quelle que soit sa discipline, s’installe au cœur
de l’école maternelle, pour une implantation délibérément longue durant trois
années. S’engage alors dans cette durée, un travail d'équipe entre les enseignants,
le personnel de l'école, les parents, les équipements culturels de la ville.
Enfance, Art et Langages a initié en douze ans, une quarantaine de résidences
d’artiste. Chaque année environ 1.200 enfants sont concernés, principalement dans
les quartiers priorisés de la ville.
Au-delà de la démocratisation scolaire et culturelle, la démarche de l’artiste
observée puis partagée régénère des pratiques scolaires dans de nouveaux modèles
éducatifs. Ce processus est soumis au regard de chercheurs en sciences-humaines
depuis dix ans. Chaque année, ils produisent des analyses et un propos sur
l’expérience artistique à l’école (disponible sur le site internet : www.eal.lyon.fr).
Basé aux Subsistances, un centre de ressources en parallèle des résidences, propose
documentation, éditions, DVD, colloques, formations sur l’art et l’enfance.
Résidence d’artiste, de l’usage du terme par Enfance, Art et Langages
La dénomination Résidence d’artiste a été choisie dès 2002 à Lyon pour
caractériser l’installation d’un artiste dans une école maternelle de la ville. Les
Italiens d’Emilie Romagne, dont l’expérience lyonnaise s’est inspirée avaient retenu
le mot atelieriste pour nommer l’artiste à l’école. Pourquoi Résidence d’artiste ?
Parce que ce terme emprunte plus au monde de l’art qu’à celui de l’enseignement.
Le dispositif lyonnais prétend bouleverser l’organisation ordinaire de l’école. Il
faut des mots forts, voire étrangers pour bousculer l’ordinaire et s’autoriser
une expérience autre. Le dispositif Enfance, Art et Langages entend offrir aux hôtes
de l’école les espaces temps et lieu de la résidence. De ceux qui résident,
qui habitent l’école.
Colloque 2013 – La résidence en milieux scolaire et éducatif
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LA RECHERCHE
Les résidences en maternelle au sein d'Enfance, Art et Langages (ou EAL), font l'objet
depuis 2004, d'études, d'observations et d'analyses par des chercheurs-universitaires,
enseignants du premier degré et formateurs en ESPE. Les recherches nourrissent
les acteurs des résidences (enseignants, ATSEM1 et artistes) et vice-versa.
Les résultats sont communiqués par la publication de rapports, par ailleurs partagés
lors de séminaires. L’ensemble des documents produits est accessible sur le site
internet d’EAL.
Des outils vidéo en ligne, Propositions ouvertes pour l’action professionnelle,
décryptent des situations spécifiques.
Les questionnements sur l'art et l'enfance sont au cœur de la démarche d'Enfance,
Art et Langages.
Le pôle recherche est régi par des conventions triennales avec l'Université Lyon1-
ESPE, l’EA Education, culture et politique – Lyon2 et l’IFE.
1 Agent Territorial Spécialisé en Ecole Maternelle
Colloque 2013 – La résidence en milieux scolaire et éducatif
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Partis pris du programme
Rencontrer la démarche d’un artiste
Plasticien, danseur, ou musicien, l’artiste en résidence partage son univers avec les
enfants, les enseignants, les ATSEM, les parents d’une école. Cet artiste n’est pas
un pédagogue, pas un éducateur, pas un animateur. Il n’est pas chargé d’enseigner.
N’enseigne pas de techniques artistiques, il ne réalise pas d’œuvre non plus dans
l’école. Il n’a pas de classe, il a un atelier et occupe aussi les couloirs et les recoins.
Il intervient dans l’école avec de petits groupes d’élèves provenant d’une seule
classe ou de plusieurs. C’est à la fois très simple et assez inhabituel. Il doit trouver
ses marques. L’équipe de l’école aussi. Cela peut prendre un peu de temps et
beaucoup de tâtonnements…
Que fait-il ? Il introduit dans l’école sa démarche artistique : sa manière
de travailler, de voir et d’interroger le monde. Ce qu’il cherche, comment il cherche,
la palette de ses matériaux, ses référents théoriques, artistiques, son imaginaire,
ses langages et ses propres réalisations qu’il donne à voir. Les productions
expérimentées ou réalisées avec les enfants sont le résultat de ce processus.
Ce processus fonde la résidence d’artiste en maternelle.
Expérimenter
Un certain nombre d’artistes invitent les enfants à entrer dans leur univers
artistique, en expérimentant des dispositifs, en proposant des expériences à vivre :
expérience d’élaboration d’une intention et d’un projet, expérience de perception en
toute audace et en toute sécurité, expérience de soi, expérience esthétique,
expérience de l’usage d’outils ou de matériaux peu habituels à l’école, expérience à
partir de petits dispositifs inventés et propices à mobiliser les imaginaires. Par
exemple : un gant rétroviseur, il s’agit d’un gant d’enfant en laine sur lequel l’artiste
greffe un petit miroir, le gant devient un outil d’exploration. Ou encore des courbes
de niveau tracées à la craie tout un après-midi, sur le goudron de la cour autour
d’une flaque d’eau qui s’évapore sous le soleil, cartographie éphémère. L’enfant est
au cœur de la résidence en étant au cœur de l’expérience: il réfléchit, projette,
propose, explore, tente, observe, perçoit. Il est présent, concentré, « il va jusqu’au
bout » disent les enseignants.
Colloque 2013 – La résidence en milieux scolaire et éducatif
Fiche expérience EAL
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Interroger les pratiques professionnelles
On dit fréquemment que la résidence d’artiste provoque dans l’école un choc des
mondes. Une directrice évoquait « un bouleversement joyeux ! ». L’artiste bouscule
et détourne les usages de l’école, les hiérarchies, les flux, les circulations,
les espaces, les temps, les matériaux, les mots… Ce bouleversement ne va pas sans
heurts que le dialogue cependant, résout. Le dialogue pour mieux se connaître et se
comprendre mais aussi pour renouveler les pratiques professionnelles, développer
le sens de l’observation et de l’analyse. Intégrer les contextes sans leur être soumis,
mettre à distance, interroger les routines, chercher le sens de l’action, aller plus loin
et finalement non seulement, comprendre les détournements propres à l’artiste ou
à la résidence, mais les souhaiter et les provoquer.
QUESTIONNEMENT EN COURS…
1) Un projet d’équipe
L’artiste réside non pas dans une classe, mais dans l’école. Il travaille avec
les enfants mais aussi les adultes : les enseignants et les ATSEM, les parents aussi.
Faire équipe malgré les nominations tardives et les mouvements de personnels
fréquents, malgré les différences de métiers, de cultures professionnelles, malgré
les hiérarchies autoritaires… Les temps de concertation sont indispensables.
Si des problèmes traversent les équipes, la résidence les révèle, ne les résout pas
toujours…
2) Trois ans de résidence et après ?
Les premières résidences d’artiste d’Enfance, Art et Langages datent de 2003, 12
ans d’expérience... Une capitalisation, une certaine expertise, des savoir-faire sont
là, indéniablement acquis par les acteurs artistes-enseignants-ATSEM. Mais
essentiellement acquis individuellement. Transforme la pratique au sein de la classe
mais la dynamique au sein de l’école s’émousse assez vite…
On peut s’interroger plus globalement sur le partage de ces bénéfices dans chacun
des métiers. Le parcours culturel (artistique ?) de l’enfant développé par la circulaire
de mai 2013 pourrait apporter des réponses et permettre des aboutissements avec
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la réforme des rythmes éducatifs. Rendre les métiers plus réflexifs est possible à
condition d’avoir ou de prendre le temps de la réflexion.
3) Résidences d’artiste : une méthodologie de l’action culturelle de territoire ?
Les résidences décryptées au filtre des recherches livrent une foule de bénéfices
pour ceux qui en font l’expérience. Mais qu’en font les commanditaires ? qu’en
disent ceux qui les financent ? Comment passer de l’expérimentation, non pas à la
généralisation mais à l’essaimage des principes positifs découverts là ? Construire
d’autres projets, d’autres formes en conservant la substantifique moelle des
résidences ? Alain Kerlan nous dit qu’il manque encore à l’éducation artistique et
culturelle un modèle théorique pour en permettre la diffusion cohérente…
Nous comptons sur les chercheurs pour avancer en ce sens. Et nous essayons de
convaincre par l’énumération d’arguments, afin de dépasser la mise en place
d’actions artistiques pour affirmer des politiques d’éducation artistique et culturelle.
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Pilotage
Enfance, Art et Langages a été créé à Lyon en 2002 à l’initiative de la Ville de Lyon
et des ministères de la Culture et de l’Education Nationale. Le dispositif bénéficie
aujourd’hui d’un financement majoritaire de la Ville de Lyon (directions de
l’Education et de la Culture), et d’un soutien de la DSDEN du Rhône, de la DRAC
Rhône-Alpes, et de l’ACSé.
EAL est intégré à l’établissement public Caisse des Ecoles de Lyon.
Colloque 2013 – La résidence d’artiste en milieux scolaire et éducatif
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Enfance, Art et Langages
Bérengère Valour , artiste
chorégraphique livre le témoignage de son
expérience d’artiste immergée durant trois
ans au sein des maternelles Mermoz A et
Mermoz B (Lyon 8ème).
Propos d’artiste
Ma démarche d’artiste
« Tous les hommes sont libres et égaux dans le déploiement de leur sensibilité », Jacques Rancière.
Cette phrase symbolise pour moi l’enjeu majeur de mon travail.
C’est dans « tout ce qui met en lien », que je me nourris et m’inspire pour proposer
une approche du quotidien par un corps conscient. Le principe des créations in situ,
de l’improvisation ou de la composition instantanée, sont les bases du mouvement
que je crée.
Vivre la résidence
Pour commencer, ce qui caractérise Enfance, Art et Langages et qui étaye l’emploi
du terme résidence à mon sens, c’est l’échelle du projet :
- échelle de temps : 3 parfois 4 ans ;
- échelle d’espace : toute l’école, toutes les classes sont concernées.
Puis il y a l’idée d’interprète et d’auteur qui diffère dans l’approche d’une résidence.
Pour moi, dans la résidence en milieu scolaire, l’artiste doit se positionner comme
auteur. La question des disciplines et surtout de la formation dans ces disciplines
est à prendre en compte dans le démarrage d’un projet de résidence. Par exemple,
la formation d’un danseur est avant tout une formation d’interprète alors que le
cursus de l’école des Beaux-arts est beaucoup plus basé sur la démarche
personnelle de chacun.
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Colloque 2013 – La résidence en milieux scolaire et éducatif
Fiche témoignage Bérengère Valour
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En ce qui concerne ma résidence, le terme de résidence peut sembler plus ou moins
approprié si l’on prend en compte les besoins particuliers d’une recherche
chorégraphique (grand espace, sol adapté) ; mais pourtant, ce terme est nécessaire
et opportun car il symbolise une présence particulière, une présence dans tous
les temps et tous les espaces de l’école. Se faire une place dans l’école, c’est avant
tout comprendre comment l’équipe fonctionne, quels sont les moments forts,
les rituels presque « chorégraphiques » et, petit à petit, s’immiscer discrètement
dans ses moments (les petits-déjeuners partagés, les moments de repas, les temps
de récréation dans la cour) pour que la confiance s’installe. Il m’a semblé que nous
avons toujours beaucoup avancé dans ces temps informels, assises ensemble sur
des petites chaises face à la cour et aux enfants.
Et c’est une question de présence dans tous les sens du terme :
- La présence physique (enfants, artiste, enseignants, ATSEM) nous sommes
bien tous ensemble dans l’école.
- La présence à soi-même (enjeux pour les enfants dans la pratique artistique
mais aussi pour les adultes de l’école qui ne peuvent entrer dans le processus
que s’ils se distancient de la situation proposée et vécue au présent).
- La présence à l’instant, qui pour moi est l’étape suivante, celle qui demande
d’être à la fois physiquement là, présent à soi-même, et présent avec les
autres pour faire et vivre ensemble.
Et la résidence implique que la présence soit perçue malgré l’absence physique par
exemple.
Par plusieurs stratagèmes, nous avons essayé de faire en sorte que ma présence à
l’école soit continue malgré mes périodes de travail à l’étranger. Pendant ces trois ans
de résidence j’avais envie de partager ce que je vivais en dehors de l’école avec les
enfants, les enseignants, les ATSEM. J’envoyais des mails, des cartes postales, des
flyers de spectacles, j’invitais d’autres artistes à venir proposer un extrait de
spectacle. Des musiciens à faire des moments de sortie des classes en musique, tous
les artistes invités étaient des personnes proches de mon univers et participaient de
fait à la compréhension plus globale de qui je suis et de ce que je fais.
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Fiche témoignage Bérengère Valour
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Il y a, je crois, le faire et aussi le laisser faire. Lancer des propositions, et voir ce qu’elles
produisent. C’est aussi comme ça que je travaille. On voit ce qui marche et ce qui ne
marche pas une fois qu’on a essayé. Et à partir de ça on peut discuter, préciser, affiner.
La question de la langue, des langues
Une fois la confiance établie, il faut encore parler la même langue ou plutôt trouver
un langage commun pour le projet. Et dans mon cas, c’est le langage du corps, le
langage sans mots que j’ai essayé de transmettre de trois façons différentes, trois
expériences communes et partagées sur trois plans :
- Une expérimentation par le corps lors des réunions – dansée (une heure de
danse /une heure de paroles).
- Invitation à une générale d’un spectacle à l’Opéra pour un spectacle dont je
faisais partie.
- Aller voir un spectacle ensemble, tous en tant que spectateurs, pour que
chacun exprime et assume ses impressions, sa sensibilité.
Offrir les conditions matérielles de la création
Il y a aussi le fait important que l’utilisation du mot résidence dans le milieu
artistique renvoie à une mise à disposition d’espace et de temps mais aussi
de moyens matériels qui offrent des conditions de travail pour inventer et créer.
Or, une résidence Enfance, Art et Langages donne également les moyens de créer,
et quand ce n’est pas en termes d’utilisation de l’école comme d’un lieu
de répétition, c’est, en tous cas, en permettant de co-produire financièrement
des projets de création.
La question de l’après –résidence
Trois points d’interrogation après deux années de recul :
Mon projet de départ consistait à lier deux écoles engagées ensemble dans la
résidence. J’avais pris le parti de faire les mêmes propositions dans les deux écoles,
mais je n’ai pas eu assez de recul sur leurs impacts différents surtout la première
année Je me suis rendu compte assez tard qu’en fait, j’avais fait deux résidences ! Et
je dirais que l’une a bien marché et l’autre moins bien.
Colloque 2013 – La résidence en milieux scolaire et éducatif
Fiche témoignage Bérengère Valour
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C’est un état de fait, mais si l’école a des problèmes ou des tensions internes, alors
la résidence, avec la venue d’une personne extérieure, dévoile ces difficultés. Parfois
pour les surmonter ; parfois pour les exacerber.
Dans les deux écoles, nous avons inventé deux formes différentes pour ne pas
passer de tout à rien après la troisième année passée ensemble : « projet
parachute », « semaine des arts »… Ces projets « atterrissage » m’ont permis de voir
que les apports, les changements dus à la résidence, sont plutôt visibles chez
les personnes individuellement et beaucoup moins dans le fonctionnement global
de l’école ou de l’équipe.
Pour conclure je dirai que si le terme « résidence » se définit par un lieu
de recherche dans lequel on vit un temps donné en cherchant des idées,
des réponses alors l’école pourrait être considéré comme une résidence longue
(…15 ans minimum !) où les équipes changent mais où la création individuelle et
collective est toujours singulière et n’est jamais achevée.
Complément vidéo
Cette vidéo est un extrait d’atelier conduit par des artistes dans le cadre d'un stage Enfance, Art et Langages - Inspection d'académie du Rhône en 2010. Les participants devaient composer un court solo à partir d'une écoute musicale puis
danser à plusieurs leur propre partition à l'écoute des autres. L'idée de cette
expérience conduit à vivre corporellement et personnellement une situation de
création artistique, tel qu'on la propose aux enfants dans le cadre des résidences.
Les participantes sont des ATSEM, des enseignantes et une artiste plasticienne de
différentes écoles EAL.
Extrait vidéo : 04min 26
Colloque 2013 – La résidence d’artiste en milieux scolaire et éducatif
IN SITU
Programme de résidences de création d’une année scolaire entière dans les
collèges publics de la Seine-Saint-Denis. En lien avec une structure culturelle,
tous les champs de la création artistique contemporaine. L’artiste est accueilli
pour mener un travail artistique personnel, poursuite d’un travail de création
en cours, ou mise en œuvre d’un travail spécifique pour la résidence.
www.seine-saint-denis.fr
Hôtel du Département
Direction de la Culture, du Patrimoine, des Sports et des Loisirs
Mission « La Culture et l’Art au Collège »
Esplanade Jean Moulin
93006 Bobigny
Responsable de la Mission
Dominique Bourzeix
Tél. : 01 43 93 85 45
Courriel : [email protected]
Chargée de Mission
Yasmine Di Noia
Tél. 01 43 93 76 77
Courriel : [email protected]
Chargée de Mission
Cathie Losson
Tél. : 01 43 93 85 45
Courriel : [email protected]
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© Eric Garault/Picture Tank 2011
© Eric Garault/Picture Tank 2011
Photographies réalisées durant l’année 2010/11
par Eric Garault dans le cadre de sa résidence IN
SITU itinérante.
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Fiche expérience IN SITU
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Présentation des résidences d’artistes au collège
Le dispositif IN SITU a été créé en 2007. Il consiste à mettre en place, chaque année,
onze résidences de création dans les collèges publics de la Seine-Saint-Denis.
Concrètement, après un travail de repérage croisé, les artistes sollicités par
le Département sont invités en résidence dans un des collèges du département durant
une année, sur l’équivalent d’une journée par semaine d’activités scolaire. Tous
les champs de la création artistique contemporaine sont concernés. Les artistes sont
accueillis pour mener un travail artistique personnel. Il peut s’agir de la poursuite
d’un travail de création en cours ou la réalisation d’un projet spécifique, imaginé pour
l’occasion. Une structure culturelle est systématiquement associée à la résidence et a
la charge de concevoir, avec le résident, un parcours culturel et de le mettre en
œuvre. Un local est dévolu à l’artiste au sein du collège pour lui permettre de
travailler sur place et matérialiser sa présence dans les lieux.
A noter, sur l’ensemble des éditions, 72 artistes et collectifs y ont participé, 62
collèges en ont bénéficié sur 32 villes, et plus de 20 formes de création
contemporaine ont été proposées sachant que, chaque année, aussi bien les artistes
que les collèges sont nouveaux.
In Situ : le guide pratique / www.seine-saint-denis.fr/In-Situ-le-guide-pratique.html
Ce guide pratique, recense les passages obligés, les conseils, les rappels
méthodologiques pour faire des résidences la plus belle réussite possible.
LA RECHERCHE
Ce dispositif s’est inspiré d’un ensemble de préconisations formulées par
le laboratoire de sociologie ESCOL/ESSI (Paris 8) dans le cadre d’une recherche-action
menée en 2005/2006, dont l’objet était de mettre en évidence les conditions propres
à favoriser des processus d’acculturation scolaire.
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Fiche expérience IN SITU
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En 2014, un rapport commandé par la Mission Culture et Art au Collège à Nathalie
Montaya sociologue, maître de conférences à l'Université Paris Diderot s’apprête à
paraitre.
En 2013, un rapport d’enquête a été produit par le laboratoire d’études du CERLIS
(Centre de recherche sur les liens sociaux, Université Paris-Descartes) présentant
les principaux résultats d’une recherche collective qui visait à évaluer le dispositif
« La Culture et l’Art au Collège » (CAC), financé et piloté par le Conseil général de la
Seine-Saint-Denis. Cette étude vise à nourrir la réflexion sur les enjeux
de l’éducation artistique et culturelle par une analyse proprement sociologique
des représentations et des expériences des acteurs qui y sont engagés sur le terrain.
Plus d’informations sur : www.seine-saint-denis.fr/La-Culture-et-l-Art-au-College.html
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Partis pris du programme
Ces résidences de création ont pour but d’expérimenter une rencontre entre
des projets artistiques et éducatifs en milieu scolaire, dans une synthèse qui se veut
exemplaire. Artistiquement, il s’agit de développer le travail en direction du public
collégien en permettant le suivi, le contact et l’échange avec un artiste dans le cadre
d’une démarche spécifique. La résidence permet de disposer, tant pour l'artiste que
pour les collégiens, d'un temps d'exception vécu au quotidien, en et hors
temps/rythmes scolaires habituels, laissant une place possible aux relations directes
avec l'artiste dans le cadre de son travail. Elle vise à faciliter l'échange, l'interaction
et la rencontre entre la communauté scolaire et l'artiste. Si toute expérience de
résidence implique le développement d’une dimension d’accueil et la construction
réciproque d’un lien, cela doit se faire dans l’acceptation et le respect du risque
expérimental qui constitue l’enjeu de toute création artistique.
Il s’agit aussi de créer les conditions du réinvestissement pédagogique de la situation
au bénéfice des élèves, de leur développement et de leur apprentissage. La résidence,
qui est intégrée dans le volet culturel du projet d’établissement, doit être le point
d’appui d’un projet transdisciplinaire mené par une partie de l’équipe enseignante.
C’est néanmoins toute l’équipe qui doit être mobilisée sur les enjeux de la résidence :
si une ou deux classes seulement sont concernées par un travail plus approfondi en
lien avec l’artiste, pour autant la résidence doit induire des effets sur l’ensemble
de l’établissement. Et, au-delà du collège, sur le territoire de proximité.
ACQUIS ET MARGE DE PROGRESSION
Le défi permanent d’ est de faire la preuve qu’un projet de mise en partage IN SITU
d’une œuvre et de son processus de création peut s’envisager dans un lien étroit
avec les enseignements sans pour autant devenir un «super » support pédagogique.
On peut se réjouir que nombre de professeurs, encouragés par leurs chefs
d’établissements, arrivent à dépasser les logiques de programme et à construire
des séquences pédagogiques à la fois pertinentes et respectueuses du projet
artistique. Mais, malgré le recul de sept années et la preuve qu’une telle démarche
est possible, c’est toujours cet aspect qui inquiète les enseignants lorsqu’ils
abordent une résidence.
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Une autre source de satisfaction est de n’avoir jamais dû céder sur la qualité
intrinsèque des projets artistiques, l’institution scolaire se révélant plus apte
qu’on ne l’imagine à accueillir des propositions originales voire radicales,
artistiquement parlant.
Enfin, il est satisfaisant de constater que d’année en année, nous avons pu conserver
au dispositif une souplesse dans son organisation et dans son contenu et que,
là encore, l’institution scolaire a plutôt « joué le jeu » et adapté son fonctionnement
pour faciliter les choses même si, çà et là, des rigidités peuvent subsister.
Sans oublier que tout cela a pu exister et se déployer grâce à un portage politique
déterminé et convaincu qui, aujourd’hui encore, place l’éducation artistique et
culturelle au nombre des priorités départementales.
Néanmoins, il s’agit, encore et toujours, d’œuvrer à la connaissance mutuelle de ce
que sont les enjeux et les contraintes de chaque acteur de ces résidences.
Les chartes, les vadémécums, les séances d’immersion dans les univers artistiques
sollicités ou les approches progressives de la vie de classe n’y suffisent pas et il faut
continuer à faire preuve d’imagination pour réduire les zones d’incompréhension
qui peuvent vite altérer les dynamiques à l’œuvre.
Autre aspect interrogé sans véritable réponse : la difficulté à positionner l’élève comme
un acteur à part entière de ces résidences, et non comme un simple bénéficiaire.
Et un (petit) regret: le constat que ces résidences, pour marquant qu’ait pu être leur
déroulement, tombent vite dans l’oubli et ne font pas trace dans les établissements
qui les ont accueillies (sauf exception à découvrir ici en zoomant en mode satellite
sur le collège Delaune de Bobigny).
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Fiche expérience IN SITU
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Pilotage
Le Département est l’opérateur et l’unique financeur du dispositif (250.000 € par an
sous forme de bourse de création), en partenariat avec l’Education nationale (DSDEN
et Rectorat), la DRAC d’Ile de France et son réseau d’acteurs culturels.
Deux chargées de mission en assurent le suivi.
Colloque 2013 – La résidence d’artiste en milieux scolaire et éducatif
L’Opéra à l’école
Opéra de Lyon Résidences de sept artistes danseurs, comédiens, plasticiens, musiciens
durant trois années scolaires (2011-2014) au sein d’une école élémentaire et
d’un collège voisins à Vénissieux (69). Expérience soumise au regard de
chercheurs.
developpement-culturel.opera-lyon.com
Opéra de Lyon
Place de la comédie
69203 Lyon cedex01
Tél : 04 69 85 54 54
Courriel : [email protected]
Pôle de développement culturel de l’Opéra
Responsable
Stéphanie Petiteau Chargée de médiation culturelle
Marie Evreux
Chargé de production
Ghislain Lenoble
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© B. Stofleth - Répétition au Studio du Ballet, juin 2013
© B. Stofleth – Représentation à l’Amphi de l’Opéra, juin
2013
Colloque 2013 – La résidence en milieux scolaire et éducatif
Fiche expérience Opéra à l’école
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Présentation des résidences d’artistes au collège
L’Opéra national de Lyon a implanté un projet artistique de trois ans dans le quartier
des Minguettes à Vénissieux. Les enfants scolarisés à l’école Anatole France puis
au collège Elsa Triolet bénéficient d’une expérience artistique de longue durée
qui devrait les accompagner et les soutenir dans leur passage, parfois difficile pour
certains, de l’école primaire au collège. La durée devrait aussi permettre de mesurer
les impacts réels d’un tel projet sur l’ensemble de la communauté scolaire. L’Opéra
à l’école est un projet artistique et culturel initié à la rentrée 2011 par l’Opéra de
Lyon pour une durée de trois ans dans une école élémentaire et un collège
de Vénissieux.
Cet investissement culturel se concrétise, tout d’abord, par la présence de trois puis
jusqu’à sept artistes en résidence. Ensuite, d’autres artistes, permanents de l’Opéra,
interviennent ponctuellement. Les enfants et les jeunes inscrits dans ce projet
suivent un parcours de découverte de l’Opéra de Lyon et de ses métiers.
Ils participent aussi, en 2014, à la création d’un spectacle qui se produit à l’Opéra
de Lyon et lors d’événements organisés à Vénissieux même.
LA RECHERCHE
Une recherche « l’Opéra aux Minguettes » a été commanditée dès l’origine du projet
par l’Opéra de Lyon à l’Institut Français de l’Education (IFÉ). Elle comporte deux
volets :
- une approche par l’anthropologie filmée confiée à Christian Lallier.
- une enquête « compréhensive » menée par le Centre Alain-Savary. Le Centre
Alain-Savary est une composante de l’Agence Qualité Education (AQÉ) de l’IFÉ
- ENS de Lyon, en tant que centre national de ressources sur les pratiques
éducatives dans les établissements et territoires confrontés à d'importantes
difficultés sociales et scolaires. Le Centre conduit des études dans le but
d’apporter un appui aux acteurs de l'éducation visant ainsi à développer
la réussite scolaire et à réduire les inégalités.
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Fiche expérience Opéra à l’école
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L’étude porte sur les points suivants :
- La connaissance des publics d’action et bénéficiaires du projet en identifiant
les profils sociologiques, les habitudes et pratiques culturelles.
- L’impact de l’action sur les participants (élèves et leurs familles, enseignants,
artistes) et les cadres d’actions (projets d’écoles, réseau ECLAIR).
- L’analyse des dynamiques de partenariats.
La parution de ses résultats de recherches est attendue pour la fin novembre 2014
avec une synthèse numérique librement accessible en ligne. Concernant le rapport
complet, il pourra être consulté sur demande via le Pôle Développement Culturel de
l’Opéra.
L’équipe de recherche rend des rapports intermédiaires. La première année
d’observation (2011-2012) a fait l’objet d’un premier rapport intermédiaire.
Un deuxième rapport intermédiaire mené par le centre d’études Alain Savary est paru
en 2013. Ces documents sont accessibles à la demande auprès du Pôle
Développement Culturel de l’Opéra.
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Fiche expérience Opéra à l’école
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Partis pris
Le projet l’Opéra à l’école s’inscrit dans la lignée d’une action territoriale concertée
de long terme. Les différents partenaires approuvent les objectifs et participent à
la définition des contenus en amont du projet. Ils sont consultés régulièrement,
notamment via la réunion du comité de pilotage du projet. Le projet fait l’objet
d’une convention entre l’Opéra de Lyon et les Services départementaux
de l’Education Nationale du Rhône. Elle se décline dans les établissements scolaires
comme suit :
- À l’école par un avenant à l’axe culturel du projet d’école.
- Au collège par le contrat d’objectifs et un cahier des charges annuel.
Les actions de l’Opéra de Lyon de développement culturel font également
l’objet d’un suivi au sein du comité de pilotage institutionnel qui réunit tous
les financeurs publics de l’établissement (Ville, Etat, Région, Département)
ainsi que l’Education Nationale.
- Enfin, les actions de l’Opéra de Lyon sur la ville de Vénissieux font l’objet
d’une convention entre la Ville et l’Opéra, signée pour trois ans et assortie
d’un plan d’actions annuelles.
Au-delà du contenu institutionnel du partenariat, le projet fait l’objet
d’une communication régulière entre le pôle de développement culturel,
les établissements scolaires, la circonscription de Vénissieux Sud, et les autres
partenaires (école de musique, services de la Ville de Vénissieux, etc).
SATISFACTIONS…
Au terme de deux années de projet (septembre 2013), des points de satisfaction se
dégagent :
- Les élèves acquièrent des compétences fondamentales pour apprendre
(expression orale, mémoire, concentration, confiance et estime de soi,
posture réflexive…) et grandir (maîtrise des émotions, engagement individuel
pour un objectif commun…). Ils manifestent également leur plaisir
de partager des moments conviviaux et de se sentir devenir « experts » dans
les disciplines artistiques.
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Fiche expérience Opéra à l’école
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- Le projet permet aux adultes-intervenants (enseignants, artistes, opérateurs
culturels) de développer de nouvelles compétences professionnelles (co-
intervention) et de réinterroger certaines pratiques (évaluation).
- La relation partenariale construite entre l’équipe de recherche, l’Opéra et
les enseignants, soutenue par un retour régulier sur l’avancée de l’étude,
contribue à instaurer la confiance et le dialogue entre tous les acteurs.
… ET MARGE DE PROGRESSION
Les questionnements actuels :
- La relation aux familles, envisagée initialement comme un axe majeur par
l’équipe de l’Opéra, reste ponctuelle et parcellaire. Les informations -orales
et écrites- et les invitations régulières à découvrir différentes étapes
du projet (dans les établissements scolaires et à l’Opéra) n’ont pas suffi.
De nouvelles modalités d’action avec les familles sont envisagées pour
la suite (participation à des ateliers de pratique artistique qui leur soient
dédiés en dehors de l’univers scolaire notamment).
- La présence de chercheurs contribue à nourrir des attentes qui ne sont pas
réalistes (justification « scientifique » d’une plus-value d’une action artistique
à l’école par exemple), dans un contexte où l’on encourage une vision
utilitaire des pratiques culturelles.
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Fiche expérience Opéra à l’école
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Pilotage
Le projet est piloté par le Pôle de développement culturel de l’Opéra de Lyon, en
partenariat avec l’Education nationale et la Ville de Vénissieux. Il reçoit le soutien
de l’ACSé, Clairefontaine et les Fondations Total et France Télévisions.
Colloque 2013 – La résidence d’artiste en milieux scolaire et éducatif
Libres comme l’art
Programme de résidences de création avec le milieu scolaire pour les artistes
professionnels avec l’appui d’un lieu de diffusion professionnel. La résidence
se déroule sur l’année scolaire dans des écoles primaires ou des écoles
secondaires de l’ile de Montréal au Québec, à raison d’une dizaine
de rencontres entre le ou les artiste(s) et les élèves d’une ou plusieurs classes.
Son originalité consiste à amener les élèves à participer au processus
de création des artistes. Il fait actuellement l’objet d’une recherche pour
évaluer ses impacts sur les artistes, les élèves et les enseignants.
www.artsmontreal.org/fr/programmes/libres-comme-lart
Conseil des arts de Montréal
Édifice Gaston-Miron
1210, rue Sherbrooke Est
Montréal (Québec) H2L 1L9
514-280-2599
Canada
Conseillère en cinéma et littérature
Réjane Bougé
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Résidence des artistes Ximena Holuigue et Geneviève Godin, en 2011-2012 dans une école primaire. Cette
résidence a été appuyée par le Centre Turbine (centreturbine.org), qui développe des espaces d’expérimentation
jumelant pratiques actuelles en art et en pédagogie.
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Présentation de ce dispositif La participation au processus de création des artistes
Le Conseil des arts de Montréal (CAM), la Conférence régionale des élus de Montréal
(CRÉ) et le Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) ont annoncé
le lancement officiel de Libres comme l’art le 21 octobre 2008. Mais ce programme
existait déjà à titre expérimental depuis quelques années dans des écoles primaires
de Montréal en milieu défavorisé. En effet, ce programme de résidence avait été
élaboré par le Programme de soutien à l’école montréalaise (PSEM) pour être inséré
dans sa mesure « accès aux ressources culturels » parmi les sept qu’il développe
afin de favoriser la réussite des élèves issus de milieux défavorisés et de milieux
défavorisés pluriethniques. Dernièrement, le PSEM a changé de nom, pour s’appeler
désormais Une école montréalaise pour tous et a été rattaché directement au MELS,
tout en gardant ses principales lignes directrices.
Bien que la définition «classique» d’une résidence de création suppose que l’artiste
ou l’organisme artistique dispose d’un espace adéquat pour la réalisation du travail
de création d’une œuvre, il est à noter que, selon la discipline exercée par l’artiste
ou les artistes, et la disponibilité des locaux à l’école où se déroule la résidence,
l’espace alloué à la création peut varier d’une résidence à l’autre. La plupart
des disciplines artistiques sont admissibles soit : les arts visuels, les arts
médiatiques, le cinéma et la vidéo, la danse, la littérature, les métiers d'art,
la musique, les nouvelles pratiques artistiques, les arts du cirque et le théâtre.
Parce que les projets Libres comme l’art doivent aboutir à une œuvre qui répond
aux exigences de professionnalisme artistique1 du Conseil des arts de Montréal,
le projet de résidence doit être porté par un lieu de diffusion professionnel, soit
un lieu principalement voué à la diffusion d’œuvres artistiques ou littéraires
et dirigé par un professionnel qui fait la sélection des artistes ou des écrivains
qu’il présente.
1 Définition de « professionnalisme artistique » tel que l’entend le CAM : « On entend par artiste
professionnel, tout artiste qui, ayant acquis sa formation de base, possède une compétence reconnue
par ses pairs, crée, interprète ou publie des œuvres pour diffusion dans un contexte professionnel, se
voue principalement à la pratique de son art et reçoit une rémunération pour les œuvres qu'il réalise. »
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Les activités mises en place dans le cadre de ce programme doivent s’adresser :
aux élèves fréquentant les écoles primaires publiques ciblées par Une
école montréalaise pour tous ;
aux élèves fréquentant les écoles secondaires publiques de l’île de
Montréal (à l’exception des écoles ou des classes à vocation artistique).
L’originalité du programme de résidence Libres comme l’art consiste en
l’importance accordée à la participation des élèves au processus de création ou
des artiste(s) lors de la sélection des dossiers. Ces résidences d’artistes sont donc
des projets significatifs en rupture avec d’autres projets artistiques dans des écoles,
puisqu’elles se déroulent sur une longue durée et constituent des situations où
les adultes et les enfants doivent prendre des décisions ensemble pour créer
une réalisation artistique professionnelle.
Participer au processus de création
Les artistes sont sélectionnés sur dossier à partir de la présentation de leur projet
de création et des activités prévues avec les élèves. Les résidences de création Libres
comme l’art impliquent les élèves dans un projet de plusieurs semaines avec
des artistes professionnels en fonction de trois aspects : l’appréciation artistique,
la rencontre avec divers aspects de la création et la participation à la création
(proposer des idées, gérer une partie du projet…). Lorsque les élèves participent au
processus de création en partenariat avec un artiste, ils peuvent comprendre que
l’expression artistique n’implique pas seulement un désir d’expression, mais aussi
un travail de recherche des moyens à mettre en œuvre pour dépasser
les contraintes. Ce travail consiste en une mise à l’épreuve des procédés
de création. Le processus de création implique d’entrer dans un processus
décisionnel. Les élèves sont donc amenés à soumettre des idées aux artistes et à
exercer des choix artistiques avec eux.
Faire des choix artistiques
Le travail ne se limite pas à une résolution de problème qui consisterait à surmonter
des contraintes de départ. Si l’artiste vise intentionnellement à réaliser ce qu’il
pressent, il n’est pas toujours en mesure de pleinement déterminer les contours de son
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œuvre dès le début de son élaboration. Au cours du processus de création, les élèves
sont donc amenés à faire des choix artistiques en collaboration avec les artistes.
Le processus de création consiste en une mise à l’épreuve d’intentions artistiques,
l’artiste expérimentant et vérifiant la pertinence de ses intentions artistiques dans
l’expérience de leur matérialisation ou de leur conceptualisation. Les artistes
formulent parfois les intentions mais invitent toujours les élèves à les mettre à
l’épreuve. Ainsi ils demandent aux élèves de faire appel à leur sensibilité et
en même temps, ils leur rappellent que la mise à l’épreuve sensible implique
le regard de l’autre, donc une certaine forme d’objectivité.
Par conséquent, dans ces résidences, la participation des élèves au processus
de création diffère sur de nombreux points de la participation demandée aux élèves
habituellement en classe, même si elle se déroule dans un contexte scolaire en
respectant ses contraintes : les élèves peuvent prendre des décisions en faisant appel à
leur nécessité intérieure, tout en prenant en compte les attentes d’un public potentiel.
LA RECHERCHE
En 2012, le Conseil des Arts de Montréal et la Conférence régionale des élus de
Montréal ont mandaté Myriam Lemonchois, professeure à l’Université de Montréal,
pour réaliser une recherche sur les impacts des projets Libres comme l’art sur les
élèves, les enseignants et les artistes (2013-2014). Ce projet de recherche a été
élaboré suite à une recension de la littérature de recherche sur les projets de
résidence d’artistes dans des écoles dans quatre pays : États-Unis, Grande-Bretagne,
Australie et Canada afin de déterminer d’un côté les difficultés rencontrées par les
chercheurs, de l’autre les apports pédagogiques et les apports artistiques constatés.
Une dizaine de résidences en cours ou terminés ont été sélectionnées, certaines se
déroulant au primaire, d’autres au secondaire, et l’ensemble essayant de couvrir
l’ensemble des disciplines artistiques admissibles au programme Libres comme l’art.
La méthodologie de recherche adopte une approche qualitative avec plusieurs
instruments de collecte de données : des entretiens semi-directifs avec des artistes,
des enseignants et des groupes d’élèves ayant participé au projet Libres comme
l’art. Quelques résidences ont pu faire l’objet d’observations approfondies durant
leur durée. Les résultats de la recherche doivent être présentés à l’automne 2014.
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Paroles d’élèves, d’artistes ou d’enseignants
Lors de la création d’un conte musical avec des élèves du premier cycle du primaire,
jamais les décisions qui ont été prises par les enfants n’ont été considérées comme
des choix définitifs par les artistes. Mais les élèves semblent ne pas avoir été gênés
par le fait que les décisions qu’ils avaient prises n’étaient pas définitives ou qu’elles
n’aient pas été incorporées dans le produit final :
S’ils le mettent là, on serait content, parce que notre choix est mis dans le spectacle,
mais si jamais ils ne sont pas là, on se dirait au moins qu’on s’est laissé exprimer,
même s’ils les ont pas mis, au moins on a pu dire notre personnalité, les choix
qu’on a choisis.
Les élèves ajoutent qu’ils se sont sentis comme des créateurs, créatrices parce
qu’ils ont pu exprimer leur personnalité dans le processus de création, même
si tous leurs choix n’ont pas été intégrés dans le produit final. Une élève ajoute :
Ce que j’ai préféré c’est choisir les musiques, parce que c’est des choix à nous,
et pas des choix à d’autres.
L’enseignant reconnaît qu’il y a un décalage entre l’attitude de l’artiste envers
les élèves et la sienne : les artistes avaient au départ confiance en leurs idées,
en leurs capacités, en leur effort, en leur motivation. Lorsque les artistes ont sollicité
la participation des élèves, ils affirmaient ignorance en affirmant ne pas savoir
quelle musique. Le travail au sein du projet devait se faire dans un esprit égalitaire :
toutes les opinions, y compris celles des élèves, pouvaient être entendues, étant
donné qu’elles étaient toutes issues de personnes considérées comme compétentes
dans leur créativité et leur sensibilité artistique.
Les élèves pensent que les artistes n’ont pas exercé une autorité sur eux, tout
comme, parfois, peut le faire leur enseignant, mais que le prof, quand il est prof,
il est sévère. Ils rappellent ainsi que dans le rôle d’explicateur de l’enseignant induit
une relation pédagogique inégalitaire. Les propos des élèves rappellent ceux
de Rancière (1987), lorsqu’il affirme que l’artiste a besoin de l’égalité comme
l’explicateur a besoin de l’inégalité (p. 54). La reconnaissance des élèves, dans
un rapport égalitaire entre adultes et enfants, n’est pas sans rappeler le projet
d’émancipation décrit par Rancière (1987, 2009).
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Pour les artistes intervenir auprès de jeunes enfants ou d’adolescents est un défi.
Une artiste rapporte son expérience en début de projet :
ça a été un défi pour moi et peut-être un peu plus complexe pour eux (les élèves).
Parce que je ne suis pas arrivée en disant on va faire ça ça ça et ça va donner ça.
Parce que je ne le savais pas. Je voulais vraiment cette fois-là y aller en création
complète tout en ayant une matière première qui était définie : les adolescents.
Un élève du secondaire dit qu’avant le projet avec les artistes, il allait à l’école par
obligation sans y prendre plaisir : c’était « fais ce que t’as à faire puis tu rentres
chez toi après ». Et ce même élève constate que durant la résidence : On a créé
des liens avec les artistes, mais aussi dans le projet, il y a aussi les enseignants qui
sont impliqués puis ça aussi ça a fait des liens aussi.
Une autre élève du secondaire : Moi je trouve que ce projet m’a appris qu’on peut
aller vers d’autres affaires, ben pas d’autres affaires, mais d’autres projets pour
s’intéresser… Parce que moi, habituellement, j’étais toujours « je fais mes affaires,
je fais mes affaires ». Je voulais rien savoir d’autres affaires. Mais quand
tu t’aventures dans quelque chose que tu connais pas, t’apprends quelque chose
de nouveau, tu vois que c’est intéressant.
Identité Montréal Nord, murale réalisée en mars 2010 par Patrick Dionne et Miki Gingras
(Diasol) en collaboration avec des élèves du secondaire.
Ce photomontage a été réalisé avec des caméras obscura, un Brownie 1957 pellicule couleur 2 1/4. La
lentille a été retirée pour mettre un sténopé, tous les gens ont été photographiés dans des poses
d'environ 8 à 12 secondes. La résidence a duré environ 7 mois et le montage environ 4 ou 5 mois.
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Pilotage
Ce dispositif de résidence d’artistes a été élaboré par programme par le Conseil
des Arts de Montréal (www.artsmontreal.org), la Conférence régionale des élus
de Montréal (credemontreal.qc.ca ) et le Ministère de l’Éducation, du Loisir et
du Sport (MELS) par son programme Une École montréalaise pour tous
(www.ecolemontrealaise.info).
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© HMD © HMD
La classe artistique C ol l èg e l e s E scho l i e r s de l a M osson
De septembre 2011 à juillet 2014, une classe de collégiens bénéficie (de la 6ème à la
3ème) d’un vaste parcours de pratiques artistiques intégrées aux enseignements et
conduites par des artistes, dans le but de favoriser la réussite scolaire des élèves.
www.heraultmusiquedanse.fr
Depuis de nombreuses années Hérault Musique Danse œuvre pour favoriser la rencontre
entre les artistes et les élèves et la pratique d’une discipline artistique. Les bilans témoignent
de l’impact positif des pratiques artistiques sur le développement personnel des élèves. Mais
de tels projets restent trop souvent à l’initiative d’un ou deux enseignants, et n’étant
pas inscrits dans la durée et encore moins intégrés au projet pédagogique de la classe,
les bénéfices potentiels sont sous exploités.
Hérault Musique Danse, le Conseil général de l’Hérault et le collège les Escholiers de la
Mosson (ECLAIR) ont perçu la nécessité d’aller plus loin et ont conçu une alternative
pédagogique en s’appuyant sur les pratiques artistiques. Choix a été fait de travailler avec
des artistes ayant une réelle activité de création et d'explorer différentes formes d'art.
La participation des artistes sort de l'habituelle logique d'intervention sous forme d'atelier et
doit nourrir leur propre recherche. Les mêmes élèves de « La classe artistique » bénéficient
du dispositif durant quatre années.
Hérault Musique Danse
Tél. : 04 67 45 71 10
Courriel : [email protected]
Chargée de mission
Françoise Heulin
Directrice
Sabine Maillard
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Présentation de la classe artistique
Les pratiques artistiques sont inscrites dans le projet pédagogique de la classe et
dans l’emploi du temps des élèves, chaque enseignant cédant une part de son
volume horaire annuel aux pratiques artistiques. Les élèves bénéficient chaque
année et pendant 4 ans d’environ 150 heures de pratique artistique réparties sous
forme d’ateliers hebdomadaires de 3 heures et de trois mini-résidences de 3 ou 4
jours. Il est important de signaler que les élèves n’ont pas été sélectionnés :
la composition de cette classe ne s’est pas faite sur le volontariat mais sur des
critères classiques de constitution d’une classe.
Les “pratiques artistiques”, sont ici considérées comme un terme générique
désignant à la fois les ateliers de pratique, la rencontre avec les œuvres, le spectacle
vivant, le regard du spectateur. Un partenariat a donc été élaboré avec trois
structures culturelles de la ville de Montpellier (le théâtre Jean Vilar, le Centre
Chorégraphique National et le domaine d’O).
o En 2010/2011 (6ème), présence de la Cie de danse Les Gens du Quai dirigée par
Anne Lopez.
o En 2011/2012 (5ème), présence de la Cie de théâtre de l'Astrolabe, et l’écrivain,
Jean-Daniel Dupuy.
o En 2012/2013 (4ème), Présence de la musicienne saxophoniste Maguelone
Vidal et de l’écrivain Jean-Daniel Dupuy.
o En 2013/2014 (3ème), présence de la compagnie de théâtre U Structure Nouvelle
LA RECHERCHE
Cette expérimentation, est accompagnée et évaluée par Alain Kerlan, philosophe
de l’éducation et membre de l’EA Education Cultures et Politiques (Lyon2/ENS/IFE).
Une équipe de recherche « Art et éducation » constituée par Françoise Carraud, Céline
Choquet, Samia Langar, et Marie-Christine Pipérini a d’ores et déjà produit deux
rapports de recherche en 2011 et un 2012.
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L’évaluation et la recherche scientifique concernent l’impact des pratiques artistiques
sur les apprentissages, le développement personnel des élèves et le lien social mais
aussi la transformation des pratiques des enseignants.
La synthèse du rapport scientifique réalisée par Alain Kerlan sur ces quatre ans de
classe artistique à Montpellier est accessible dès la fin octobre 2014 via le site Hérault
Musique Danse.
Pour plus d’informations sur les différents documents disponibles :
www.heraultmusiquedanse.fr/observations-et-evaluations.html
recherche.univ-lyon2.fr/ecp/ressources/axe-3
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Partis pris
OBJECTIFS ET ATOUTS
Quatre principes fondamentaux avaient été retenus :
Mettre la pratique artistique au centre de la pédagogie, tout en garantissant
l’intégralité des enseignements obligatoires. Par pratique artistique on entend
aussi bien l’expérimentation physique en atelier (du côté de la création) que
la découverte culturelle et l’histoire des arts (du côté de la réception).
Ne pas opérer de sélection dans le recrutement des élèves de la classe.
La classe artistique de 6e est constituée de la même manière que les autres
classes, sans désir de spécialisation artistique.
S’appuyer sur le travail d’équipe entre les enseignants des différentes
disciplines et les artistes représentant la diversité des champs artistiques.
Respecter le travail de l’artiste en reconnaissant la contribution éducative
de l’art sans l’instrumentaliser à des fins pédagogiques.
Les effets positifs constatés en classe de 6e s’affirment au fil des ans, aussi bien au
niveau collectif qu’individuel car les pratiques artistiques créent une alchimie
positive dans la classe.
Les enseignants et l’équipe de recherche ont déjà noté des progrès en matière de
relation aux autres, d’estime de soi, de confiance en soi et d’ouverture au monde
par la fréquentation régulière des œuvres et des artistes qui stimule une curiosité
intellectuelle qui fait souvent défaut aux élèves. L’acquisition est aussi remarquable
en termes d’autonomie, avec la prise en charge par les élèves de leur vie d’élève
dans la classe et en dehors de la classe, et en termes d’écoute des consignes qui
favorise une plus grande rapidité dans la mise au travail.
Concernant les résultats scolaires ce n’est pas spectaculaire, mais contrairement
aux autres classes, les élèves perturbateurs n’arrivent pas à tirer la classe vers
le bas et les bons élèves s’autorisent à être bons ; cette classe obtient des résultats
satisfaisants au sein de cet établissement mais ces derniers restent faibles au regard
des moyennes nationales (il faut toutefois rappeler que le collège est classé en zone
d’éducation prioritaire).
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La méthode de travail, proposée et coordonnée par Hérault Musique Danse est
construite sous forme de réunions de régulation et de modules de
Formation/Action/Recherche. Elle adopte ainsi un processus d’observation, d’analyse
et de régulation interne qui permet d’identifier, de noter et de signifier les effets sur
les élèves et sur l’équipe pédagogique ce qui permet aussi d’éclairer le dispositif, de
le reconsidérer et de re-questionner les objectifs, de façon à pouvoir décider avec
justesse de la suite des événements. Cette méthode de travail est inédite en collège et
semble répondre au désir des enseignants de travailler “autrement” et “ensemble” et a
de ce fait un effet dynamisant sur l’ensemble de l’équipe enseignante et éducative.
La classe artistique est aussi repérée comme classe pilote au sein de
l’établissement. L’élaboration du projet pédagogique a amené l’équipe enseignante
et éducative à s’interroger sur la structuration du temps de l’élève : un nouvel
emploi du temps, mis en place dès la rentrée 2010 pour les élèves de la classe
artistique, propose des séances d’1h30 (au lieu des 55 minutes ordinaires) pour
permettre une installation plus efficiente des élèves dans l’activité scolaire. Ce
nouvel emploi du temps qui s’est révélé très positif à la fois pour les élèves et pour
les enseignants a été adopté par tout le collège à la rentrée 2011.
MARGE DE PROGRESSION
Lors de la présentation de son rapport scientifique de l’année de 4e, Alain Kerlan
souligne deux éléments dominants :
Tout d’abord, il constate la difficulté pour l’enseignant de s’inscrire
réellement dans l’atelier ; Il s’interroge particulièrement sur la place, et les
rôles que l’artiste réserve ou assigne aux enseignants et relève aussi la
difficulté pour ces derniers d’être, lors d’un atelier, à la fois participant,
garant de l’ordre scolaire, pédagogue et observateur.
D’autre part Alain Kerlan relève une anxiété très présente chez l’élève malgré
l’impact positif de la pratique artistique concernant la découverte de soi, une
aisance relationnelle entre eux et avec les adultes et la capacité à se projeter
dans l’avenir. Ce caractère anxiogène serait donc peut être à interroger du
côté du collège et de la scolarité « ordinaire », mais il précise aussi que la
classe de 4e est, pour tout élève, une classe charnière, où les problématiques
de l’adolescence sont exacerbées, même en dehors de la question des
pratiques artistiques.
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Pilotage
Le projet est coordonné par l’association Hérault Musique Danse.
HMD est conventionné par le Conseil général de l'Hérault et la Direction Régionale
des Affaires Culturelles du Languedoc-Roussillon.
Le projet reçoit le soutien de la Fondation de France, la Caisse des dépôts direction
régionale du Languedoc-Roussillon, la Fondation BNP Paribas, la Maïf, La Fondation
d'entreprise La Mondiale, l'ACSE ainsi que la Ville et l'Agglomération de Montpellier
dans le cadre du CUCS.
La Fondation de France a récompensé la classe artistique par un “Laurier national”
en 2012.
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© Danièle Bertotto
© Marc Helleboid
MUS-E®
à l ’éco l e Sa ma in Tr u l a in - L i l l e L'école d'application Samain Trulin à Lille expérimente la mise en place
d'ateliers MUS-E® pour l'ensemble de ses dix classes et sur une période
de cinq ans. Le principe du programme MUS-E® repose sur l'intervention
hebdomadaire d'un ou deux artiste(s) autour d'un projet de pratiques
artistiques, spécifique à chaque classe.
www.mus-e.fr
Tél. : (+33) (0) 3 88 56 99 75
Courriel : [email protected]
Directrice artistique
Isabelle Marx
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Présentation du dispositif MUS-E® en général
Le programme MUS-E® introduit les arts à l'école primaire en proposant une
pratique artistique régulière à un public d'enfants de 6 à 11 ans d'écoles dites
« sensibles ». Le projet a la vocation de participer à la prévention de la violence,
du racisme et de l'exclusion sociale, à travers l'ouverture aux différentes cultures et
l'éveil du potentiel créatif de chacun.
Les ateliers sont animés par des artistes professionnels, en temps scolaire et en
présence des enseignants. Ils durent une année scolaire, à raison d'une intervention
d'1h30 par semaine, soit 45 heures par an. Le projet est conçu en amont avec
la direction de l’école et l’enseignant, présent lors des séances; et peut regrouper
plusieurs disciplines. Dans l’idéal, les ateliers s’inscrivent sur plusieurs années
scolaires consécutives avec les mêmes enfants, comme c'est le cas à l'école
d'application Samain Trulin à Lille.
MUS-E® défend :
o la notion de démarche artistique où l'enfant expérimente, se trompe,
s'investit dans un parcours personnel et collectif ;
o la pratique artistique : ancré dans l’expérience, les ateliers stimulent le
plaisir de la découverte, la curiosité, l’intérêt et l’accès à d’autres savoirs,
savoir-être et savoir-faire ;
o l'art comme outil de communication pour accéder à des cultures différentes
pour promouvoir l’ouverture, le lien social, l’apprentissage et le respect des
différences.
En œuvre dans 11 pays, le programme MUS-E® s’adresse aujourd’hui à environ
55.000 enfants de 550 écoles primaires, grâce à l’appui de l’Union Européenne, de
nombreux gouvernements nationaux et régionaux et de partenaires privés. Près de
1.000 artistes sont impliqués dans ce programme. Le projet MUS-E® « Music at
School » fut initié en 1993 par Yehudi Menuhin. Il s'inspire pour ce faire, du concept
d'éducation musicale du compositeur, ethnomusicologue et pédagogue hongrois
Zoltán Kodály, qui pensait que la musique devait faire partie du quotidien et qu'elle
devait être accessible à tous. Yehudi Menuhin élargit le concept de Kodály en
l'adaptant à la réalité actuelle de la multiculturalité.
L'association coordonne le programme depuis 2006 en France. Courant d'Art MUS-E®
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Présentation de l’expérience MUS-E® à Lille
Entre 2009 et 2011, l’école Samain Trulin bénéficie de 2, puis 3 projets MUS-E®
pour l'établissement. En 2011, l’équipe enseignante demande l'étendue du
programme à l'ensemble de ses dix classes en faisant le pari que l’ouverture
culturelle combinée avec le dire permettra d'améliorer le lire et l’écrire. Ainsi depuis
trois ans, ce projet concerne dix classes soit les 203 enfants de l’école, du CP au
CM2, les dix enseignants et onzeq artistes s’y rattachant. La directrice de l’école et
assurent la coordination d’ensemble, suivi également par l’inspecteur Courant d'Art
et le conseiller pédagogique de la circonscription.
Chaque classe est engagée dans un projet bi-disciplinaire et spécifique, en lien avec
son projet de classe et celui de l'école. Cela permet d’articuler des apprentissages à
visée scolaire et esthétique. Les enseignants choisissent parmi les disciplines
suivantes : danse, théâtre-conte, arts plastiques/visuels ou cirque. Cette année,
onze artistes interviennent tout au long de l'année dans l'école, à raison d'un ou
deux artistes par classe (les artistes peuvent intervenir sur deux projets différents).
Il ne s’agit pas d’une résidence d’artiste, au sens strict du terme mais les artistes
sont installés durablement dans l'école, dans et hors les salles de classes selon
l’évolution d’une œuvre en marche.
Les ateliers, centrés autour de la pratique, se caractérisent par une forte et
continuelle sollicitation des enfants : le projet artistique évolue au cours de l'année
dans une démarche participative des enfants selon un échange constant entre eux,
l'artiste et l'instituteur.
Le projet se transforme avec les enfants, grâce à leurs apports, leurs idées, ce qui en
fait d'une part toute la richesse et ce qui leur permet d'autre part d'y adhérer
totalement en se l'appropriant. Ils sont acteurs de leur création, utilisant les outils
amenés par l'artiste, accompagnés par leur instituteur, le tout créant une dynamique
de confiance, de responsabilisation et de créativité.
Les ateliers sont complétés par, au moins, une visite culturelle (exposition, concert,
représentation théâtrale, ..). Des temps de performances et d’expositions devant
les parents sont prévus afin de présenter des résultats ou les étapes du projet
traversées par les enfants, durant et à l'issu de l'année scolaire.
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LA RECHERCHE
Une évaluation a été commandée auprès d’universitaires sur la période 2011-2013,
soit les deux premières années de la mise en place de ce projet de cinq ans, à partir
d’une recherche de terrain (Rapport sur des « effets de l’éducation artistique à
l’école », Baeza C., Le Floch M-C., Loeffel L., dec 2013). Ce rapport est disponible
sur le site de , dans la rubrique Galerie/Documents à télécharger et Mus-e
également . ici
En prenant appui sur le cadre général de réflexion du réseau et sur MUS-E®
la philosophie de l’évaluation propre au programme , la recherche MUS-E® France
avait pour objectif d’évaluer les effets des pratiques d’éducation artistique sur
les apprentissages, la qualité du vivre ensemble dans la classe et plus largement
dans l’école (comportement, attitude des élèves) ainsi que le développement
personnel de chaque enfant. L’objectif était plus précisément d’articuler ces
dimensions de la vie des élèves à partir d’une hypothèse : les pratiques d’éducation
artistique réunissent les conditions d’un « apprendre autrement » générateur
d’un mieux-être des élèves. Le propre des dispositifs et des situations d’éducation
artistique est en effet de faire bouger les frontières du « scolaire » ainsi que
les catégories de l’éducation et de l’enseignement : les instruments de ces
déplacements en sont les artistes eux-mêmes, ce qu’ils apportent et ce qu’ils disent
de leur engagement dans ces actions éducatives au sein des écoles ; les enseignants
et leurs motivations à s’engager dans ce type de projet, les croyances qui
les inspirent ; l’art en tant que tel comme objet non scolaire ; les dispositifs en
eux-mêmes et les situations qui tendent à bousculer les normes traditionnelles
de la forme scolaire, en particulier l’espace et le temps, les modalités du travail
scolaire, la place accordée à la créativité, à la sensibilité et au corps des enfants. Au
fond l’hypothèse était que dans le bouleversement de « l’ordinaire scolaire » se
trouveraient les conditions d’un rapport de l’enfant à lui-même favorisant une
meilleure estime de soi, une meilleure appréciation de ses compétences,
une capacité d’action plus importante sur lui-même et sur son environnement,
une plus grande autonomie.
Colloque 2013 – La résidence en milieux scolaire et éducatif
Fiche expérience CDWEJ
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04 78 38 62 10 |[email protected]
Partis pris du dispositif
Des ateliers de pratique artistique
L’art est abordé à travers une pratique régulière. Ainsi les artistes orientent MUS-E®
leur méthodologie vers l'expérience directe : il s'agit non pas d'apprendre de l'art,
mais par l'art. L'art est au service du participant en activant ses ressources, tant
comme individu que comme être social. La priorité doit être donnée à
un investissement dans les domaines du rythme, l’espace, la perception sensorielle,
le jeu et l’imaginaire. Apprendre, c’est faire des expériences concrètes.
Entrer dans un processus de création
L’artiste doit rendre accessible le processus de création, se servir de sa méthode et de
son expérience, et permettre aux enfants de développer leur potentiel de créativité. Il
met sa vision au service des enfants pour leur donner d’autres perspectives pour
s’exprimer, entrer dans un processus de création personnelle et collective.
Un rôle-clé dans l’éducation de la multiculturalité
Les ateliers constituent un excellent moyen d'aborder des cultures différentes et ainsi
promouvoir l’ouverture, le lien social et l’apprentissage et le respect des différences.
Une collaboration étroite enseignant-artiste
L’artiste crée toutes les conditions pour que les enseignants puissent collaborer
étroitement au déroulement du projet, dans le respect du projet global de l'école.
L’enseignant est toujours présent lors des interventions. Il participe aux séances
selon une dynamique propre à chaque binôme artiste-enseignant.
Pas d'obligation de productions !
Mettant les enfants au centre des ateliers, pleinement sollicités sans être contraints, le
programme n'exige pas la mise en place d'un « rendu final »! Ainsi enseignant MUS-E
et artiste conviennent avec les enfants de la possibilité/envie/pertinence d'une
restitution et de sa forme (étape de travail, blog, exposition, représentation...).
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MARGE DE PROGRESSION
1. Sur le long terme : 1 an voire plus
a la spécificité d'inscrire son action dans la régularité et la durée : MUS-E®
30 séances par an réparties au fil de l’année, sur une période d'un an minimum avec
les mêmes élèves ; afin que chaque enfant puisse bénéficier de 45 heures
de pratique artistique par an. Il s'agit de passer de la simple sensibilisation à
une pratique régulière source d'apprentissages multiples y compris d'apprentissages
fondamentaux. À ce jour, ce point semble aller à l'encontre de la structuration
des programmes scolaires.
2. Une forme scolaire en mouvement
Si les ateliers reposent sur la dynamique du binôme enseignant-artiste, celle-ci
n'est pas aussi évidente à mettre en place et à vivre. Des concertations régulières
entre les artistes et les enseignants sont nécessaires pour clarifier les attentes,
le fonctionnement du partenariat, chercher des solutions aux problèmes soulevés
par certains enfants ou par le groupe, négocier les limites de territoire de l'artiste
et de l’enseignant. En cas de besoin, accompagnent les artistes et Courant d'Art
enseignants dans ce processus délicat.
3. La diversification et pérennisation des partenariats
Les ateliers (intervention, matériel, transport, sortie) sont entièrement financés par
. La recherche de financements constitue la principale mission et Courant d'Art
difficulté de . À ce jour, à la vue des spécificités de chaque territoire et Courant d'Art
de nos moyens pour la coordination, il nous est difficile d'étendre le programme à
davantage de villes (malgré les demandes). D'où une réflexion sur une nouvelle
structuration à l'image d'autre pays européens, telle que l'Italie ou l'Espagne.
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Pilotage
Depuis 2006, et en qualité de coordinateur national, l'association a Courant d'Art
la mission de construire et développer un réseau sur le territoire français, en
partenariat avec d'autres associations implantées dans différentes villes qui œuvrent
aussi en faveur de l'éducation artistique.
Les premiers ateliers furent initiés à Strasbourg dans le cadre de MUS-E®
la politique de la Ville (à ce jour 85 % de financements publics).
Grâce aux dons privés, le réseau s'est étendu en 2008, 2009 et 2010 MUS-E® France
aux villes de Paris, Lyon et Nancy. La Fondation de l'Orangerie soutient également
le programme depuis 2009 et finance désormais 12 classes à Lille. MUS-E MUS-E ®
Depuis son implantation en France, le programme a touché 4.350 enfants MUS-E®
dans cinq grandes villes françaises grâce à l’implication de 83 artistes.