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4 dossier fais-moi signe - février/mars 2016 La religion et les sourds Depuis des siècles, la vie des sourds est étroitement liée aux églises (chrétiennes) en Suisse. Les rapports ont longtemps été unilatéraux, les sourds devant s’adapter à la culture orale et écrite des églises. Aujourd’hui, de plus en plus de confessions religieuses reconnaissent qu’elles peuvent profiter de la culture sourde. texte: Martina Raschle (trad. Daisy Maglia), photos: Thinkstock, Chronique Paroisse des sourds de Zurich « Celui qui ne peut entendre, ne peut pas non plus croire.» Cette déclaration de Saint Augustin (354-429) a eu de graves conséquences pour les personnes sourdes en Europe: jusqu’au 20e siècle, elles n’ont pas été considérées comme des personnes à part entière, car «elles n’ont pas de langue». Après avoir observé un homme sourd en train de signer, Augustin a changé d’avis puisqu’il a déclaré qu’une personne sourde pourrait acquérir la foi grâce aux signes. Mais il était trop tard car l’idée que les sourds n’ont pas de langue et ne peuvent donc pas croire en Dieu s’était déjà largement répandue. DES MOINES INVENTENT L ALPHABET MANUEL L’Eglise ayant longtemps été responsable de l’éducation des enfants sourds, elle est restée étroitement liée à la surdité. Si les moines considéraient les sourds comme moins intelligents, il y a pourtant eu des initiatives individuelles visant à les instruire. Cela fonctionnait particulièrement lorsque les moines faisaient appel à des moyens auxiliaires, comme l’alphabet manuel et quelques signes. A relever que les moines communiquaient également entre eux grâce à l’alphabet manuel car le silence était souvent de rigueur dans les monastères. Il y avait un véritable paradoxe: d’une part, la religion chrétienne discriminait les personnes sourdes et, d’autre part, c’est justement dans les monastères que la communication (muette) avec les personnes sourdes se passait plutôt bien. LA PÉDAGOGIE POUR SOURDS C’est en 1760 qu’un homme d’église a utilisé pour la première fois l’alphabet manuel pour instruire de manière systématique des enfants sourds. Il s’agit de l’Abbé de l’Epée. Grâce à l’alphabet manuel et à quelques signes, les enfants ont appris les lettres et certains termes. Ils ont ainsi eu accès à l’écriture. L’Abbé de l’Epée était convaincu que la langue pouvait aussi passer par les signes et que les sourds pouvaient donc avoir leur propre langue. Grâce à sa méthode, les enfants sourds ont obtenu pour la première fois un bon niveau d’enseignement et pouvaient lire la Bible. Cette méthode manuelle était cependant contestée par certains spécialistes car les enfants n’apprenaient pas à parler. Dans ce conflit qui opposait les partisans d’une pédagogie orale pour les enfants sourds et ceux qui privilégiaient la langue des signes, une décision lourde de conséquences a été prise en 1880 lors du Congrès à Milan: les signes étaient désormais interdits dans les salles de classe, les enfants sourds devaient lire sur les lèvres et apprendre à parler. L’ ENNUI À L 'ÉGLISE Cette décision s’est également reflétée sur l’éducation religieuse. Les personnes sourdes étaient assises parmi les entendants sur les bancs d’église et s’ennuyaient car elles ne comprenaient absolument rien. Le sourd suisse, Eugen Sutermeister, a écrit en 1895: «Nous devions tous passer une bonne heure à l’église du village, même si nous ne comprenions absolument rien du sermon puisque l’officiant étant bien trop loin et trop haut sur sa chaire et qu’il parlait aussi trop vite pour que nous puissions lire sur ses lèvres.» Les pasteurs et les prêtres ont aussi remarqué que les personnes sourdes étaient isolées dans les paroisses, étaient exclues socialement et ne comprenaient pas les contenus religieux. AU-DELÀ DE LA RELIGION Dès les années 1900, quelques paroisses ont commencé à offrir un enseignement biblique spécifique aux personnes sourdes. Celui-ci a eu un impact très important. D’une part, les personnes sourdes ont mieux pu comprendre l’officiant puisqu’il se tenait en face d’elles et qu’il parlait distinctement. Certains distribuaient même le sermon sous forme de texte. Pourtant, c’est l’aspect social qui a été le plus important. l'enseignement biblique a donné l’occasion aux personnes sourdes de se rencontrer et d’échanger après la messe. Une vie de communauté s’est Déjà très tôt, les moines ont remarqué que les sourds communiquaient par signes.

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dossier fais-moi signe - février/mars 2016

La religion et les sourdsDepuis des siècles, la vie des sourds est étroitement liée aux églises (chrétiennes) en Suisse. Les rapports ont longtemps été unilatéraux, les sourds devant s’adapter à la culture orale et écrite des églises. Aujourd’hui, de plus en plus de confessions religieuses reconnaissent qu’elles peuvent profiter de la culture sourde.texte: Martina Raschle (trad. Daisy Maglia), photos: Thinkstock, Chronique Paroisse des sourds de Zurich

«Celui qui ne peut entendre, ne peut pas non plus croire.» Cette déclaration de Saint Augustin

(354-429) a eu de graves conséquences pour les personnes sourdes en Europe: jusqu’au 20e siècle, elles n’ont pas été considérées comme des personnes à part entière, car «elles n’ont pas de langue». Après avoir observé un homme sourd en train de signer, Augustin a changé d’avis puisqu’il a déclaré qu’une personne sourde pourrait acquérir la foi grâce aux signes. Mais il était trop tard car l’idée que les sourds n’ont pas de langue et ne peuvent donc pas croire en Dieu s’était déjà largement répandue.

Des moines inventent l’alphabet manuelL’Eglise ayant longtemps été responsable de l’éducation des enfants sourds, elle est restée étroitement liée à la

surdité. Si les moines considéraient les sourds comme moins intelligents, il y a pourtant eu des initiatives individuelles visant à les instruire. Cela fonctionnait particulièrement lorsque les moines faisaient appel à des moyens auxiliaires, comme l’alphabet manuel et quelques signes. A relever que les moines communiquaient également entre eux grâce à l’alphabet manuel car le silence était souvent de rigueur dans les monastères. Il y avait un véritable paradoxe: d’une part, la religion chrétienne discriminait les personnes sourdes et, d’autre part, c’est justement dans les monastères que la communication (muette) avec les personnes sourdes se passait plutôt bien.

la péDagogie pour sourDsC’est en 1760 qu’un homme d’église a utilisé pour la première fois l’alphabet manuel pour instruire de manière systématique des enfants sourds. Il s’agit de l’Abbé de l’Epée. Grâce à l’alphabet manuel et à quelques signes, les enfants ont appris les lettres et certains termes. Ils ont ainsi eu accès à l’écriture.

L’Abbé de l’Epée était convaincu que la langue pouvait aussi passer par les signes et que les sourds pouvaient donc avoir leur propre langue. Grâce à sa méthode, les enfants sourds ont obtenu pour la première fois un bon niveau d’enseignement et pouvaient lire la Bible. Cette méthode manuelle était cependant contestée par certains spécialistes car les enfants n’apprenaient pas à parler.

Dans ce conflit qui opposait les partisans d’une pédagogie orale pour les enfants sourds et ceux qui privilégiaient la

langue des signes, une décision lourde de conséquences a été prise en 1880 lors du Congrès à Milan: les signes étaient désormais interdits dans les salles de classe, les enfants sourds devaient lire sur les lèvres et apprendre à parler.

l’ennui à l'égliseCette décision s’est également reflétée sur l’éducation religieuse. Les personnes sourdes étaient assises parmi les entendants sur les bancs d’église et s’ennuyaient car elles ne comprenaient absolument rien. Le sourd suisse, Eugen Sutermeister, a écrit en 1895: «Nous devions tous passer une bonne heure à l’église du village, même si nous ne comprenions absolument rien du sermon puisque l’officiant étant bien trop loin et trop haut sur sa chaire et qu’il parlait aussi trop vite pour que nous puissions lire sur ses lèvres.» Les pasteurs et les prêtres ont aussi remarqué que les personnes sourdes étaient isolées dans les paroisses, étaient exclues socialement et ne comprenaient pas les contenus religieux.

au-Delà De la religionDès les années 1900, quelques paroisses ont commencé à offrir un enseignement biblique spécifique aux personnes sourdes. Celui-ci a eu un impact très important. D’une part, les personnes sourdes ont mieux pu comprendre l’officiant puisqu’il se tenait en face d’elles et qu’il parlait distinctement. Certains distribuaient même le sermon sous forme de texte.

Pourtant, c’est l’aspect social qui a été le plus important. l'enseignement biblique a donné l’occasion aux personnes sourdes de se rencontrer et d’échanger après la messe. Une vie de communauté s’est

Déjà très tôt, les moines ont remarqué que les sourds communiquaient

par signes.

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ainsi développée en dehors des écoles pour enfants sourds et de plus en plus d’associations de sourds ont vu le jour.

D’autre part, les églises ont, par ce biais, exercé une grande influence sur la vie des personnes sourdes, également au-delà de la religion. Elles agissaient comme bureaux de placement, négociaient avec les services administratifs et ont même eu de l’influence sur la vie familiale. Cette situation était délicate, car de nombreux pasteurs et curés étaient opposés à l’idée que les sourds se marient entre eux et aient des enfants. Ces derniers étaient, en effet, encore considérés comme socialement dépendants et incapables de mener une vie autonome.

les sourDs comme clientèleA la fin du 20e siècle, l’émancipation des personnes sourdes et la claire séparation entre l'Eglise et l'Etat a modifié, en Suisse, la pédagogie pour enfants sourds et l’influence de l’Eglise. L’adaptation des offices religieux aux personnes sourdes a longtemps dépendu du bon vouloir des pasteurs et prêtres pour sourds. «Les sourds doivent de toute manière aller à l’église, ils devraient aussi pouvoir y comprendre quelque chose», pensaient certains.

Aujourd’hui, les enfants sourds ne sont plus instruits par des religieux, les personnes sourdes peuvent choisir librement leur religion et leur communauté s’est depuis longtemps organisée en dehors de l’Eglise. Les églises doivent offrir un plus pour attirer les personnes sourdes à leurs offices. Et elles le font: depuis 1954 déjà, le Mimenchor de Zurich accompagne les cultes, de plus en plus de personnes sourdes s’engagent dans l’Eglise et prennent ainsi part à la gestion de leur paroisse. Le canton de Vaud a même un pasteur sourd, Jean-Charles Bichet, lauréat du Prix VISIO 2015.

croire avec les yeuxLes beamers, les projections, les vidéos et les interprètes en langue des signes font désormais partie intégrante des offices religieux s’adressant à des personnes sourdes. Bien que la plupart des pasteurs pour personnes sourdes soient entendants, ils s’adaptent aujourd’hui à leur nouvel auditoire; et non plus l’inverse. Ils apprennent la langue des signes et prennent part à la culture sourde. D’autres offres démontrent également que les personnes sourdes sont prises au sérieux en tant que croyants: aux Etats-Unis et en Suisse (cf. article p. 8), des projets visant à mettre à disposition

L’Abbé de l’Epée a enseigné avec succès aux enfants sourds grâce

aux signes.

la Bible sur internet en langue des signes sont en cours, des communautés religieuses s’adressent aux personnes sourdes par des messages visuels afin de recruter de nouveaux membres.

Pourtant, aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les offices destinés aux personnes sourdes qui sont plus visuels. De nombreuses religions ont compris que la foi ne passe pas seulement par l’ouïe. Elles s’emparent d’idées telles que des panneaux affichant les numéros de cantiques ou la projection des textes des sermons. Et ce sont tous les membres des communautés religieuses qui profitent de ces conquêtes de la culture visuelle, qu’ils soient sourds ou entendants. ■

Durant longtemps, les personnes sourdes ont dû se contenter de la lecture labiale.

LES ÉGLISES ONT LONGTEMPS EXERCÉ

UNE FORTE INFLUENCE SUR LA VIE DES

PERSONNES SOURDES – AU-DELÀ DE LA RELIGION

ÉGALEMENT.

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Mimenchor: la religion devient visuelle

Depuis 1954, le Zürcher Mimenchor (chœur zurichois de mimes) transforme les cultes en évènements uniques. Composé de membres sourds et malentendants, le Mimenchor traduit «la parole de Dieu» en mimes, la rendant ainsi accessible aux personnes sourdes et malentendantes durant les cultes. texte (trad. Daisy Maglia) et photo Rolf Ruf: Martina Raschle, photos Mimenchor: tirées de l’ouvrage Mimenchor

«Je veux faire de vous des pêcheurs d'hommes!» En 1943, le pasteur Jakob Stutz tente désespérément,

à l'occasion d'un culte destiné aux personnes sourdes et malentendantes, de leur expliquer la signification de ces paroles bibliques. En vain. Les sourds ont beau lire sur ses lèvres, les mots ne font aucun sens pour eux. Et pour ceux qui sont assis trop loin, impossible de distinguer les lèvres du pasteur car, à l'époque, il n'y avait pas encore de beamers, ni de rétroprojecteurs dans les églises.

la bible Dans sa propre langueOr, ce jour-là, le jeune pasteur Eduard Kolb assiste justement pour la première fois à ce culte destiné aux personnes sourdes et malentendantes. En observant les vaines tentatives du pasteur Stutz, il se dit qu’il y a quelque chose à faire.

A cette époque, l’église protestante du canton prescrivait le maintien du culte destiné aux personnes sourdes – prières et sermon. C’est alors que le pasteur Kolb se souvient du réformateur Martin Luther, qui traduisait les textes bibliques dans un langage simplifié de manière à ce que chacun puisse en comprendre le sens. La langue des sourds est visuelle, a alors pensé Eduard Kolb. La Bible doit donc leur être présentée de manière visuelle. C’est ainsi qu’est née l’idée du Mimenchor.

En 1945, Eduard Kolb est nommé pasteur des sourds et malentendants du canton de

Zurich. Il fonde alors immédiatement un groupe de mimes pour l’assister durant ses cultes afin d’illustrer ses sermons par

le mime. Ce groupe, qui a plus d’une corde à son arc (les signes, le théâtre, la danse, les costumes), est devenu le Zürcher Mimenchor en 1954. Durant les dix-sept années qui ont suivi, le chœur a étroitement collaboré avec le professeur de danse Max Lüem et n’a pas cessé de s’améliorer. Ce qui a un jour fait dire au président du Mimenchor, Rolf Ruf: «Nous étions ambitieux. Pour l’Eglise, seul le meilleur est assez bon; jouer pour le culte, c’est jouer devant Dieu.»

pour les sens, pour tous les hommesLes représentations du Mimenchor sont aujourd’hui encore un évènement pour les sens; le pasteur travaille les textes et conçoit le jeu, le chorégraphe le met en mouvement, un musicien accompagne la pantomime.

Le Mimenchor se distingue des autres formes artistiques visuelles utilisées dans les cultes pour personnes sourdes et malentendantes par la pantomime qui est apparue au fil du temps. Il se distingue notamment des chorales en langue des signes qui interprètent les textes des cantiques chantés dans une langue des signes déterminée, tout en exprimant le rythme et le ton du cantique. C’est beau à voir pour tous, mais le contenu n’est pas accessible à ceux qui ne maîtrisent pas la langue des signes. La langue du Mimenchor est en revanche universelle; mouvement, mimique et joie. C’est ainsi que le Mimenchor réalise le vœu de Martin Luther: que la Bible soit accessible à tous! ■

1960: le culte de Noël par le Mimenchor

2009: le culte de Noël par le Mimenchor.

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Vous êtes membre du Mimenchor depuis plus de 60 ans. Où puisez-vous votre motivation après toutes ces années?Pour moi, le Mimenchor représente un changement et beaucoup de joie. Dans mon métier d’architecte, je devais constamment me concentrer. A côté de cela, je faisais de la danse, de l’acrobatie et du théâtre avec des personnes entendantes. J’ai pu mettre tout cela en pratique dans le Mimenchor. Enfant déjà, j’étais attiré par le théâtre et l’expression. Quand j’étais scout, par exemple, lorsque mes camarades chantaient autour d’un feu, je ne pouvais pas chanter, alors j’attisais le feu et je faisais de la pantomime à la lueur du feu. Tout le monde en était ravi!

Le Mimenchor a été créé dans le but de représenter les histoires bibliques. Cela était-il important à vos yeux?Les cultes sacrés ont du sens pour autant qu’ils soient adaptés aux personnes sourdes et malentendantes et qu’ils offrent aussi des possibilités d’expression à ces personnes visuelles; notamment avec des cantiques en langue des signes et de la pantomime. Je suis convaincu qu’un aménagement créatif du culte constitue un soutien idéal pour le public, par exemple un sermon illustré par des danses, des cantiques en langue des signes et des textes bibliques mimés. Je crois en Dieu, mais il est invisible. La joie, quant à elle, est visible. A mes yeux, dans le Mimenchor, il ne s’agit pas seulement de religion, mais également de la joie de jouer.

A côté de la pantomime, les personnes sourdes ont également trouvé d’autres formes d’expression dans l’église, notamment les cantiques en langue des signes...Oui, il y a, par exemple, la chorale en langue des signes d’Inge Scheiber à St.Gall. Je ressens cependant une grande

«Dieu est invisible – la joie est visible»Rolf Ruf (80 ans) est membre du Mimenchor depuis sa fondation et président depuis 1974. Dans l’interview qu’il nous a accordée, il nous explique comment le Mimenchor continue à se développer, même après 62 ans.

Rolf Ruf montre sa joie sur scène.

différence entre les cantiques en langue des signes et la pantomime. Pour un cantique en langue des signes, la chorale reste statique, elle interprète le texte en langue des signes et suit le rythme. La pantomime offre davantage de liberté. A Berne, il y avait également un Mimenchor, mais malheureusement, il a cessé son activité. Il faut trouver les bonnes personnes pour un Mimenchor. Les membres sont tous bénévoles, ils ne perçoivent pas de salaire. C’est pourquoi il faut les traiter avec une sensibilité particulière.

La pièce de Noël 2015 a été écrite par le pasteur Matthias Müller. Quel rôle y teniez-vous? Celui d’un réfugié et d’un garçon d’hôtel.

Un réfugié?Oui. L’histoire de Noël est toujours pareille: Marie, Joseph, les rois mages, la crèche. Mais Matthias Müller a des idées novatrices, il est moderne et tourné vers l’actualité. Nous avons voulu représenter Marie et Joseph comme des personnes de notre temps, des réfugiés. D’innombrables personnes sont en fuite à cause de la guerre et de la faim. Dans ce

flux de réfugiés naissent aussi des enfants dans la période de Noël – et peut-être même sur le foin dans une étable!

Ainsi, vous avez joué l’histoire «normale» de Noël, mais de façon moderne?Oui, Matthias Müller a traduit l’histoire afin d’interpeller le public pour qu’il se souvienne que Noël est synonyme de paix. Ca me plaît; il y a du suspense et des contradictions. C’est une bonne chose que le Mimenchor évolue constamment. Ainsi, même à 80 ans, j’apprends en permanence en jouant avec mes jeunes coéquipiers talentueux.

Comment devrait encore évoluer le Mimenchor à l’avenir?Un petit groupe de mimes motivé continuera à soutenir les cultes. Le Mimenchor lui-même devrait se produire plus souvent, notamment au théâtre. C’est aussi important pour les entendants! Ils sont enthousiasmés par la pantomime, par notre combinaison de joie et de théâtre. Cela, nous pouvons le transmettre et, ainsi, les entendants et les sourds auront davantage d’occasions de se retrouver. ■

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La Bible en LSF enfin en ligne!Alors que la Bible est réputée comme le livre le plus diffusé au monde et traduit dans un nombre incalculable de langues et de dialectes, étrangement, il n’existe que de très rares traductions en langue des signes! Heureusement, une telle traduction a été entreprise en LSF en 2007 et sa mise en ligne sur internet depuis septembre 2015 facilite maintenant sa diffusion. texte: Sandrine Burger, photos: www.bible-lsf.org

Grâce au travail acharné de deux groupes de bénévoles basés à Genève et Vevey, une partie de

la Bible est accessible en langue des signes française (LSF) sur internet depuis le mois de septembre 2015. Un travail de titan qui continue…

une origine internationaleA l’origine, ce projet de traduction de la Bible en LSF était international. Sous l’impulsion de l’Alliance biblique française, neuf groupes de bénévoles en provenance de quatre pays francophones différents (France, Suisse, Belgique et Congo) se sont lancés, en 2007, dans la traduction de l’Evangile de Luc. Un travail de titan qui a vu, en Suisse romande, se former deux groupes, un à Genève, l’autre à Vevey, chacun constitué de bénévoles sourds pratiquant la langue des signes, de biblistes, de vidéastes et de personnes entendantes impliquées dans le projet, catholiques et protestantes.

les romanDs continuentLors de la sortie du coffret de DVD (3 DVD de 9 heures) de l’Evangile de

Luc en LSF, les deux groupes suisses impliqués dans cette traduction n’ont pas voulu s’arrêter en si bon chemin. Forts de leur expérience et d’une volonté d’aller davantage encore de l’avant, ils se sont alors lancés dans la traduction du Livre de Jonas dont le coffret DVD est paru fin 2012 grâce au soutien de la Société biblique suisse et de l’Alliance biblique française.

Diffusion sur internetSi aujourd’hui les responsables du projet ont décidé de transposer ces traductions de la Bible en LSF sur le net, c’est pour plusieurs raisons dont la première est tout simplement que le format du DVD est déjà dépassé. Mais surtout, comme le souligne la pasteure retraitée Anne-Lise Nerfin, coresponsable du projet: «En mettant ces traductions sur internet, elles sont disponibles pour tout le monde et cela gratuitement.»

le siteDisponible à l’adresse www.bible-lsf.org, le site propose actuellement L’Evangile de Luc et le Livre de Jonas. Chaque récit

est divisé en chapitres et chaque vidéo regroupe 3-4 versets, ce qui permet à chacun d’aller à son rythme sans être forcé de tout regarder d’un trait. Les vidéos sont non seulement interprétées en langue des signes française, mais également sous-titrées en français et complétées par une voix off française qui lit ce même texte afin qu’il puisse véritablement être accessible à tous.

Un lexique (LSF et sous-titres) complète le site afin de non seulement présenter certains signes bibliques peu connus par les sourds, mais aussi donner les définitions de termes pas toujours très évidents.

Une suite?Officiellement inauguré le 19 novembre 2015, le site est un outil précieux qui est appelé à évoluer. En effet, les groupes de traduction romands continuent de se réunir régulièrement et leurs efforts ont permis de venir à bout de l’interprétation des onze premiers chapitres de la Genèse. La réalisation vidéo est actuellement en cours et ce chapitre supplémentaire de la Bible en LSF devrait être disponible online au printemps 2016 déjà. ■

Traduire les textes de la Bible en LSF, un travail de titan dont les premiers résultats sont en ligne.

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Katharina Vollmer Mateus, nouvelle pasteure à Genève

Depuis quelques temps déjà, une nouvelle pasteure a pris ses fonctions au sein de la Communauté œcuménique des sourds et malentendants de Genève (COSMG) pour succéder à Anne-Christine Menu-Lecourt. Bienvenue à Katharina Vollmer Mateus!texte: Sandrine Burger, photo: KVM

Mère de deux filles adolescentes, Katharina Vollmer Mateus a repris le poste de pasteure

de la COSMG suite à la maladie qui a forcé Anne-Christine Menu-Lecourt à cesser ses activités. Ancienne pasteure de la communauté entendante de Montbrillant, Katharina Vollmer Mateus a l’avantage de ne pas débarquer dans un monde qui lui serait totalement inconnu!

pasteure «barouDeuse»Originaire d’Allemagne, c’est aussi dans ce pays que Katharina Vollmer Mateus

a suivi ses études de théologies. Après avoir officié dans diverses villes allemandes, elle a poursuivi sa route à Strasbourg où elle a dû apprendre à prêcher en français. Après un détour par le Brésil où elle a suivi son mari, s’est le 29 décembre 1999 qu’elle a posé ses valises à Genève où elle a commencé par reprendre des études pour un DEA en théologie pratique et s’est enagagée auprès de la communauté germanique des Lut- hériens de Genève.

montbrillantC’est en 2010 que Katharina Vollmer

Mateus a rejoint l’Eglise protestante de Genève et a pris ses fonctions au sein de la communauté protestante (et entendante) de Montbrillant. Partageant le même lieu que la communauté sourde, Katharina Vollmer Mateus a peu à peu découvert leur monde grâce aux célébrations d’Anne-Chrisine Menu-Lecourt dont elle ne manquait presqu’aucune date et dont elle appréciait le travail basé sur l’image. Lorsque cette dernière a donc dû se retirer pour cause de maladie, la passation entre les deux pasteures a presque été une évidence…

apprentissage

Bien qu’ayant déjà assisté à des célébrations de la COSMG et ayant pu profiter des conseils d’Anne-Christine Menu, Katharina Vollmer Mateus avoue que les débuts ont été rudes car il a fallu plonger dans un autre monde et adapter ses manières de faire à un public aux besoins et aux attentes différentes.

Au-delà du fait d’apprendre à travailler de manière plus visuelle et avec le soutien de projections PowerPoint, Katharina Vollmer Mateus a remis aussi en cause sa manière de s’exprimer, abandonnant les grandes phrases compliquées pour aller droit à l’essentiel, cherchant à travailler par mots-clés. Bien entendu, elle travaille également en étroite collaboration avec les interprètes de langue des signes qui sont à ses yeux «de vrais trésors» car non seulement ils permettent une traduction en langue des signes, mais parfois, par leur expression corporelle amènent même un véritable plus dont profitent même les entendants.

projets D’avenirAu-delà de sa volonté d’améliorer sa langue des signes, à l’avenir, Katharina Vollmer Mateus souhaite aussi développer des lieux de parole où les sourds pourraient venir poser leurs questions, échanger sur leur vécu et proposer d’avantage de rencontres où l’on discute de manière très libre à partir d’un texte ou d’une image. ■

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Paroles d’hommes et de femmes d‘église

Afin de rendre ce dossier plus vivant, la rédaction a tenu à récolter quelques témoignages de ces hommes et femmes d’église qui s’engagent en faveur de la communauté des sourds à travers la Suisse. Comment vivent-ils leur charge, quelles en sont les difficultés et les joies, voici quelques-unes des questions que nous leur avons posées.propos recueillis par Martina Raschle (trad. SB) et Sandrine Burger

anita Kohler

Pasteure pour sourds de l’ église protestante à BS, BL, SO, AG et aumônière catholique à AG «Pendant mes études de théologie, j’ai fait un stage chez Heinrich Beglinger, aujourd’hui pasteur pour sourds à la retraite de Bâle-Ville, Bâle-Campagne et Soleure. Après ce stage, une chose était claire pour moi, ce poste je l’occuperais volontiers un jour, quand il serait libre! C’est pourquoi, immédiatement après le stage, j’ai commencé à suivre les cours de langue des signes dispensés par la Fédération suisse des sourds. Et depuis 2008, je suis pasteure pour sourds.Le fait de se réunir pour le culte et pour un café à l’église, dans la communauté sourde, a encore davantage une fonction formatrice que chez les entendants. Pour les cultes sourds, les textes de la Bible sont cependant formulés de manière trop difficile. C’est un vrai défi pour moi de traduire ces vieux textes dans une langue simple et compréhensible. Les interrogations restent par contre les mêmes dans une communauté sourde qu’entendante – l’homme reste un homme, qu’il soit touché dans son audition ou pas. Ce qu’il y a de plus beau dans mon travail, c’est de pouvoir partager un bout du chemin de la vie de mes paroissiens; les accompagner, rire avec eux comme souffrir ensemble!»

jean-charles bichetPasteur sourd de la Communauté des sourds et des malentendants du canton de Vaud «Membre de la Communauté protestante vaudoise depuis mon enfance, c’est à l’âge de 14 ans (âge pour commencer le catéchisme, mais cela ne m’emballait pas trop) que ma maman m’a informé qu’il y avait un pasteur des sourds à Lausanne, Charles Kursner. C’est ainsi que j’ai commencé à vivre ma foi au milieu de cette communauté. Je suis pasteur, car je suis titulaire d’une licence en théologie et d’un certificat de consécration pastorale. En qualité de pasteur, j’exerce un ministère d’aumônerie spécialisée au milieu des sourds et des malentendants (depuis 1989). Dans ce cadre, il est particulièrement important de prendre en compte tous les moyens visuels possibles pour assurer une communication optimale: la qualité de la lumière, l’emploi de la LSF, de la lecture labiale et du LPC, le support de l’écrit, le recours aux illustrations. S’exprimer aussi de manière simple, accessible, concrète, essayer de s’en tenir à un seul sujet, etc. Et puis, il faut du temps! Le temps pour se mettre à l’écoute des gens, dialoguer avec eux, partager des choses profondes, tisser des liens. Chez les entendants, tout se passe trois fois plus vite; nous, nous «fonctionnons» différemment…»

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Dorothee buschor-brunner

Aumônière pour sourds, diocèse de St-Gall «Je suis active comme aumônière pour les sourds depuis dix ans. Avant, j’étais assistante pastorale dans une communauté entendante. Les personnes sourdes, comme toutes les personnes, sont influencées par leur culture et leur langue. C’est pourquoi la dynamique est, dans une communauté sourde, différente de celle qui existe dans une communauté entendante. Et pourtant, je pense que les personnes entendantes et les personnes sourdes ne sont pas si différentes que cela dans leurs aspirations: la plupart des personnes veulent appartenir à une communauté et obtenir de l’estime. Elles veulent trouver un sens, que leur vie soit portée par quelque chose de plus grand.En tant qu’entendante, la langue des signes est pour moi une langue étrangère. M’exprimer dans cette langue étrangère de manière à être comprise par les sourds est, pour moi, le plus grand des défis. C’est donc d’autant plus beau pour moi lorsque je réalise, lors d’une discussion, qu’une personne sourde a découvert l’action de Dieu dans sa vie et que grâce à cette expérience, elle regarde l’avenir de manière confiante.»

felix WeDer Aumônier catholique pour sourds dans les cantons de Soleure, Berne et les deux Bâle «Cela fait maintenant six ans que j’accompagne les personnes sourdes. Je suis venu à l’aide spirituelle pour sourds comme la Vierge à l’enfant. Les responsables du diocèse savaient que je recherchais un nouveau poste et ils avaient besoin d’un nouvel aumônier pour les sourds. J’ai commencé dans la «Lindehus» de Münchenbuchsee où étaient célébrées les messes pour le canton de Berne. A mes débuts, j’ai été soutenu par Anita Kohler.Chez les sourds, je fais l’expérience d’un esprit ouvert et œcuménique. L’importance, ce n’est pas les différences, mais les racines communes. Et après chaque messe, un échange autour d’un café est nécessaire. Le plus grand défi dans mon travail reste de m’exprimer de manière simple lors des messes, mais sans tomber dans le simplisme pour autant. La confiance que m’accordent les sourds et le temps consacré à l’aide spirituelle restent pour moi le meilleur de mon engagement.»

matthias müller-KuhnPasteur à l’ église protestante pour sourds de Zurich «Depuis quatre ans, je suis pasteur sourd. Mais j’ai l’impression que cela fait beaucoup plus longtemps car chaque heure est si intense et précieuse qu'elle compte comme double Dans ma communauté religieuse de sourds, j’ai à faire avec des personnes rapides et lentes, grandes et petites. La relation avec les gens tient la place centrale, exactement comme dans une communauté entendante. Evidemment, chez les sourds, la communication est un thème particulier parce que la compréhension nécessite plus de fantaisie et de temps, mais si on l’aborde de manière créative, cela peut aussi être un plus. Ainsi, je vis toujours des moments de bonheur particulier qui, pour moi, brillent comme des comètes dans le ciel.Au cours des dernières années, nous avons clairement réussi à renforcer la communauté religieuse sourde, ce qui est très réjouissant! Malgré cela, j’ai un très grand souhait: cela serait formidable si de jeunes sourds s’intéressaient au travail que nous faisons pour l’église et la communauté. Nous pourrions alors emprunter ensemble un chemin tellement coloré, créatif et donnant envie que même des entendants viendraient jeter un œil envieux et nous prendraient comme exemple.»

père francis ZuffereyAumônier entendant de la communauté catholique des sourds de Fribourg «C’est au travers de l’action du Centre œcuménique de pastorale spécialisée (COEPS) que je suis venu à travailler pour la communauté catholique des sourds de Fribourg où je suis aumônier depuis 2006. En tant que tel, je participe aux rencontres du bureau et j’assure la présidence de la messe mensuelle. Messes qui sont toujours un peu un défi car la traduction des expressions utilisées dans la liturgie n’est pas toujours chose aisée et qu’il faut toujours bien veiller à leur bonne compréhension par les personnes sourdes.Je dois avouer que je connais peu la communauté sourde car mes rencontres avec les sourds se limitent au rendez-vous mensuel pour la célébration liturgique. Je remarque et apprécie cependant beaucoup le côté fraternel et amical de ces rencontres. ■

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dossier fais-moi signe - février/mars 2016

Sans informations accessibles, les extrémistes tendent les bras!En Suisse, si le catholicisme et le protestantisme ont su s’ouvrir aux croyants sourds en leur proposant des cérémonies et des cours bibliques en langue des signes, qu’en est-il des autres religions? Le manque d’informations religieuses en langue des signes, ne représente-t-il pas un risque de dérive potentiel vers des sectes plus organisées ou d’autres extrêmes sachant tirer leur jeu de cette faiblesse? texte: Sandrine Burger, dessin Frédérik Vauthey, illustration: www.jw.org

Comme vous avez pu le lire dans les textes précédents, en Suisse, la religion chrétienne (catholique

et protestante) a su prendre en compte la communauté sourde en lui proposant une offre de cours bibliques et de cérémonies traduites en langue des signes toujours plus étoffée. Même le service public qu’est la télévision suisse ne manque jamais de proposer le sous-titrage des cérémonies religieuses qu’elle retransmet.

Mais qu’en est-il des deux autres grandes religions présentes en Suisse que sont l’islam et le judaïsme? Les personnes sourdes et malentendantes élevées dans les traditions de ces religions, ont-elles aussi accès à des cours et des cérémonies en langue des signes? Et si non, est-ce juste un problème typiquement suisse ou plus large? Telles sont les questions que nous nous sommes posées.

juDaïsme

Selon les coups de fil que nous avons passés, il semblerait malheureusement qu’en Suisse, les personnes sourdes de confession juive ne bénéficient effectivement d’aucun soutien ou d’aucune vie associative qui leur soit spécifiquement dédiée et dont la langue des signes serait le moyen de communication.

A l’inverse, par exemple en France, deux associations (l’Association des sourds juifs de France et l’Association culturelle des sourds juifs de France) organisent des sorties, des célébrations et autres cours religieux en faveur des 200 familles (estimation) sourdes de confession juive de France. Dans de nombreux autres pays d’Europe (Belgique, Allemagne, etc.), et bien entendu aussi aux Etats-Unis, de telles associations existent aussi et veillent à donner une éducation religieuse juive en langue des signes aux jeunes et à traduire les cérémonies les plus importantes en langue des signes.

islamTout comme pour le judaïsme, les personnes sourdes musulmanes ne bénéficient d’aucune structure les accueillant en langue des signes en Suisse. Pourtant, comme le souligne Hafid Ouardiri, l’ancien porte-parole de la

mosquée de Genève, le Coran dit qu’il est de la responsabilité des Musulmans de tout mettre en œuvre pour permettre à chacun une vie décente, y compris pour les personnes handicapées. Cela sous-entend que les instances musulmanes devraient donc tout faire pour mettre en place un enseignement religieux et des cérémonies en langue des signes pour le bien des personnes sourdes.

Sans cours et cérémonies traduits en langue des signes, les sourds musulmans de Suisse sont laissés à eux-mêmes. Certains trouvent cependant de l'aide dans leur famille, comme l’expliquait, par exemple, Noha el Sadawy dans l’émission Signes de janvier 2011. Elle-même musulmane, elle a régulièrement fréquenté la mosquée de Genève et les fêtes liées à sa religion jusqu’à ses 20 ans. N’ayant aucun soutien en langue des signes sur place, elle se basait essentiellement sur les explications que sa maman lui donnait à la maison avant de partir pour la mosquée afin de suivre plus ou moins le déroulement des cérémonies.

Là encore, la situation est différente dans d’autres pays. Si en France les sourds musulmans ont longtemps vécu la même situation que les Suisses, depuis quelques années cela a commencé à changer, principalement grâce à l’association Donne-moi un signe. Créée en 2006, cette association avait pour objectifs initiaux de proposer des cours de LSF, un enseignement de la langue arabe et des cours de religion musulmane aux

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sourds et malentendants. Mais suite à des demandes de plus en plus insistantes de fidèles sourds qui se désespéraient d’assister au prêche sans rien comprendre, l’association s’est peu à peu aussi lancée dans la traduction, en langue des signes, des cérémonies musulmanes. Cela a commencé en 2012 à la mosquée du Bourget (Seine-St-Denis) avant de s’étendre peu à peu dans divers lieux. Le succès a même été tel que des bénévoles ont ouvert des structures identiques mais indépendantes à Lyon et Montpellier.

risque De Dérives?Quelle que soit la religion dont se réclament les sourds, il est important que des structures adaptées soient mises en place afin qu’ils puissent eux aussi vivre librement leur religion et leurs croyances sans se sentir abandonnés. En effet, dans ce dernier cas, existe alors le risque de potentielles dérives. Des personnes mal intentionnées, mais très bien organisées peuvent alors profiter de ce désarroi pour attirer ces personnes sourdes dans des sectes ou dans des mouvements extrémistes juste en s’adressant à eux en langue des signes.

Ce fut notamment le cas de l’Etat islamique qui, le 8 mars 2015, a lancé sur YouTube une vidéo de propagande spécialement adressée aux sourds. Outre les traditionnelles images de propagande et messages anti-occidentaux, on pouvait y voir deux combattants sourds s’exprimant en langue des signes et expliquant leur rôle (régulation du trafic routier à Mossoul en Irak) au sein de l’organisation. Jouant sur le sentiment d’abandon de certains sourds, l’Etat islamique a cherché à instrumentaliser l’utilisation de la langue des signes pour chercher à recruter de nouveaux combattants.

témoins De jéhovahParmi les groupes religieux cherchant à manipuler les sourds, les Témoins de Jéhovah sont probablement les plus organisés. Cette organisation (classée comme secte ou religion selon les pays) présente à travers le monde entier, cible par

des actions très concrètes et réfléchies les personnes handicapées et notamment les sourds. Aux personnes devenues sourdes, ils promettent de manière très persuasive que si elles suivent leur préceptes et adhèrent à leurs croyances, elles pourront très rapidement à nouveau entendre. Le temps que ces personnes réalisent qu’elles se sont fait avoir, il est trop tard et elles sont déjà engagées de manière presque inéluctable dans une organisation qui ne compte pas les laisser repartir.

Conscients que de nombreux sourds se retrouvent très isolés à cause de leurs problèmes de communication et donc fragilisés, les Témoins de Jéhovah ont créé des groupes de recruteurs maîtrisant la langue des signes afin de trouver de nouveaux membres. Et cela fonctionne! «J'ai été agréablement surpris de rencontrer des entendants prêcher en langage des signes, confie Jean-Jacques, un sourd devenu serviteur de Jéhovah dans le Nord (ndlr: nord de la France). Les catholiques ou les protestants ne le font pas.» «Au début, les Témoins de Jéhovah sont chaleureux et serviables, raconte Patrick; c'est séduisant pour un sourd, qui, souvent, se sent seul et s’ennuie.» (L’Express)

Il faut avouer que pour séduire les sourds, les Témoins de Jéhovah ont su mettre le paquet! Sur leur site, un onglet «langue des signes» est présent dès la

page d’accueil. Lorsqu’on clique dessus, on découvre alors la possibilité d’obtenir des informations en langue des signes du monde entier (près d’une centaine)!

Pour avoir exploré la page consacrée à la LSF, nous avons pu découvrir que non seulement y étaient proposés des cours bibliques en langue des signes, mais aussi des dizaines et des dizaines de vidéos de propagande («Obéissez à Dieu, vous vivrez pour toujours», «Les Témoins de Jéhovah: organisés pour proclamer la bonne nouvelle», deux exemples parmi des dizaines) en langue des signes. De grandes parties de la Bible (version Témoins de Jéhovah) ont même été traduites et sont encore en cours de traduction en diverses langues des signes dont notamment la langue des signes américaine (ASL).

Face à cette offensive très organisée des Témoins de Jéhovah mais aussi d’autres sectes, des associations luttent. Mais cela démontre surtout l’importance de ne laisser personne sur le bord de la route. Quelle que soit la religion, ses responsables se doivent de s’adresser véritablement à tous leurs paroissiens et cela de manière compréhensible (langue des signes pour les sourds) afin qu’ils ne se sentent pas abandonnés et donc tentés de se laisser attirer par des mouvements sectaires toujours extrêmement dangereux. ■