la relance du peuplement de la guyane française : de projets morts-nés en échecs patents...

33
La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour [email protected]

Upload: valere-alexandre

Post on 03-Apr-2015

107 views

Category:

Documents


2 download

TRANSCRIPT

Page 1: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents

Jean-Yves Puyo

GéographeMaître de conférences à l’Université de Pau et des Pays de

l’Adour

[email protected]

Page 2: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

A/ Situation de la Guyane en ce début des années 1820

+ un vaste territoire mal défini dans ses frontières :

.

Page 3: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de
Page 4: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de
Page 5: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de
Page 6: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de
Page 7: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de
Page 8: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

+ un territoire vide de population : Le baron Laussat indique pour 1822 :

- 997 blancs répartis en 249 familles ;- 1620 gens de couleur (libres) pour 404 familles, soit un

total de 2617 pour 654 familles ;- esclaves : chiffres variant entre 13 000 en 1819 et 19 000

en 1828. + un système de production archaïque et souffreteux,

reposant sur un petit nombre d’habitations ayant le plus grand mal à dégager des profits.

Laussat, « On n’y trouve pas 400 véritables propriétaires grands ou petits » 

Sur les 50 habitants notables, « il n’y en a pas 12 qui aient fait des études ».

Page 9: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de
Page 10: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

B / Le poids nouveau de l’expertise

Lawrence Jennings : « Les administrateurs de l’époque étaient souvent mal informés, fermés d’esprit, ignorants même des conditions régnant aux colonies [...] Portal, si désireux de coloniser la Guyane, la connaissait à peine. [...] Laussat comme Portal, avaient dressé des plans pour la Guyane sans y être allés et sans la connaître. Laussat avait basé ses projets de settlers sur une glorification de l’expansion américaine sans connaissance des conditions locales en Guyane. Tout le monde à l’époque, en entendant parler des luxuriantes forêts guyanaises, confondait densité d’arbres avec fertilité du sol [...] Laussat qui [connaissait] un peu les Etat-Unis [...] pensait donc que si les terres pouvaient être défrichées, comme en Amérique du Nord, l’agriculture pourrait y prospérer ».

Lawrence Jennings, « Peuplements d’Américains en Guyane, une colonisation avortée », in L’histoire de la Guyane, depuis les civilisations amériendiennes, Serge Man Fouck & Jacqueline Zonzon (dir.),

Matoury, Ibis Rouge, 2006, 35 p. (pp. 355-366).

Page 11: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

- il existe une très importante documentation de première main, mise à la disposition des futurs gouverneurs.

- les grands projets de colonisation sont précédés de l’envoi sur le terrain de commission d’explorations, chargées d’éclairer le preneur de décision.

- les passations entre gouverneurs s’accompagnent de longs briefings, de sorte que le nouveau responsable soit au courant des opérations en cours.

- enfin, les nombreux projets visant à développer la colonie, envoyés au ministère de la Marine et des Colonies, sont examinés par des commissions réunies spécialement à cet effet.

Page 12: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

C / Milieu et acclimatement

Parfois, une connaissance très « fine » du milieu, telle cette typologie (de 1818) des stations végétales, sur laquelle il y aurait peu à rajouter : « Dans la Guyane où les terres des habitations sont considérables et presque toujours bornées par des rivières ou des criques, on distingue :

Les terres noyées et couvertes de joncs, impropres à toute culture, sont appelées savanes noyées.

Les terres noyées couvertes d’un palmiste nommé pinot, propres à être desséchées et à la culture du Rocou, sont appelées marécages.

Les terres boisées couvertes d’eau à chaque marée dont quelques une défrichées sont propres à la culture du coton ou à celle de la canne et d’autres sont impropres à toute culture. Elles sont appelées palétuviers.

Les terres où il ne croit qu’une herbe très courte dont les bestiaux ne veulent pas, impropres à toutes cultures, sont appelée savanes naturelles.

Enfin, les quantités de terre sur un sol plus élevé appelées terres hautes et les

quantités de terre des marnes ».

Page 13: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

- l’insalubrité des basses terres n’est plus niée.Dubuisson : l’établissement sur les terres basses n’est pas envisageable, tant pour des colons blancs que pour des noirs : « De semblables établissements tueraient l’entreprise au berceau [...] Qui pourrait se flatter de suivre longtemps se dessèchement qui exige que le travailleur ait la moitié inférieure du corps enfoncée dans la vase et celle supérieur brasée par le soleil brûlant de l’équateur ? ». Aussi, il recommande d’établir les périmètres de colonisation au dessus des premiers sauts des fleuves, « [...] c’est-à-dire 100 toises au dessus du niveau de la mer, ou plus haut saut, s’il le faut ».- des exagérations encore nombreuses. M. de Caze : « Le sol de la Guyane, dans sa partie basse ou alluvionnaire, est bien plus généreux encore que le sol du Mississippi ; il est le plus généreux de l’univers. Là, on a moins de peine à faire produire qu’on n’en a à arrêter la végétation ».

Page 14: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

D/ Coloniser et développer avec quels hommes ?a) le recours à des colons blancs

Les « traumatismes » relatifs à l’expédition de Kourou et aux déportations du Directoire.Laussat : « L’acclimatement est la crise de tous les établissements. Celle-ci passée, ceux qui auront résisté à cette épreuve en deviendront autant plus précieux ».

les diverses recommandations destinées à favoriser la réussite de leur implantation + importer des familles entières et non pas des aventuriers solitaires : « C’est la fureur du plaisir et de la débauche qui les dévore ; arrivés, ils font abus de travail pour faire abus de jouissances ; l’excès mortel des femmes publiques et des liqueurs fortes fait succéder sans cesse chez eux l’ivresse de l’estomac à celle des sens jusqu’à ce que leur bourse et leur crédit soient également épuisés ; ils reprennent alors avec un corps affaibli un travail opiniâtre qu’ils forcent de nouveau pour retourner plus vite à leurs crapuleuses jouissances » et ce, jusqu’à la mort...

Page 15: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

+ des familles, certes, mais de paysans.Les settlers de Laussat : qualifiés « de bonne race », des hommes à «[...] demi sauvages, accoutumés aux défrichements des bois, dans les profondeurs des Etats-Unis ».Catineau Laroche : des laboureurs européens en famille peuvent réussir, même des Gascons ! « [La famille gasconne] préfèrera la conversation au travail et ne voudra peut-être s’assujettir à travailler 10 jours par année dans ses champs. Eh bien ! cette famille pourra vivre tout en dépensant son temps à faire la conversation et à fumer des cigares ».

+ préparer le terrain : terrains défrichés, hébergement, plantations et cultures.

+ promouvoir la sieste  pour éviter « l’action énervante et dangereuse de travailler pendant la partie la plus chaude de la journée sous l’ardeur d’un soleil presque vertical [...] On ferait ainsi disparaître les inconvénients de la grande chaleur, inconvénients qui n’existerait que pour les premiers colons, leurs enfants nés et élevés sous ce climat seraient propres à en supporter toutes les vicissitudes ».

Page 16: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de
Page 17: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de
Page 18: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

b) des colons noirs : - une œuvre « civilisatrice »…

Dejean  : « Abrutis, dégradés, leur contact avec nous les initierait à une morale plus pure, à une religion plus élevée, et la civilisation n’aurait qu’à se glorifier de cet échange de services ; car ce serait faire acte d’humanité que de les appeler à nous, pour relever notre dignité d’homme, et les grandir dans l’échelle des êtres, au bas de laquelle ils se trouvent presque aujourd’hui »

- une meilleure adaptation supposée au climat ;

- des individus considérés comme perte négligeable en cas de disparition ;

Inconvénients : le mélange des genres entre esclaves et noirs engagés, combiné à un fort racisme ambiant.

Page 19: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de
Page 20: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

D/ Les projets et réalisations : un grand foisonnement mais bien peu de réalisations - quelques exemples représentatifs.

a) la colonisation par l’importation de main d’œuvre « blanche »- en mai 1819, projet du Ministre Portal concernant l’importation d’agriculteurs des îles Canaries.

- en 1820, l’enseigne de vaisseau Henri Louis Félicité Victor Dagonne propose un double dispositif : des familles de cultivateurs combinées à « la foule de mendiants » qui « inonde » les villes et campagnes françaises : « Ce fléau n’a pu encore être réprimé par aucune loi existante et fait à la société une plaie qui rien jusqu’à présent n’a pu guérir [...] Nos hospices sont remplis d’infortunés, misérables débris de l’indigence ou du libertinage, qui surchargent ces établissements et enlèvent à la pauvreté infirme les secours que leur fondateurs lui avaient pieusement préparés » .

- Laussadelphie ou des settlers au secours de la Guyane (1821).

Page 21: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

- en novembre 1821, le consul de France à la Nouvelle-Orléans, Guillemin, propose de favoriser l’émigration d’une centaine de familles louisianaises d’origine acadienne, des petits propriétaires se consacrant à la culture du coton et alors décrits comme en grande difficulté financière, soumis « à la spéculation des grandes propriétés sucrières ».- Catineau Laroche, « De la Guyane française : de son état physique, de son agriculture et de son régime intérieur, et du projet de la peupler avec des laboureurs européens » , 1822. Objectif : implanter 25 000 colons entre Mana et Maroni.

- en mars 1822, le capitaine de vaisseau Dubuisson propose de recruter 40 à 50 familles de Bretons issus de Basse-Bretagne, « [...] peut-être la partie de France la moins peuplée, cependant celle où il existe le plus de malheureux malgré l’immense quantité de terres en friches ». Ces derniers ont toutes les qualités pour réussir : des hommes rustiques, se nourrissant à moindre frais et surtout, « les plus sobres du monde ; malheureusement, cette sobriété est chez eux fille de la nécessité ».

Page 22: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de
Page 23: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

- le projet M. de Montqueron, soumis au ministre en août 1823, recommande l’envoi des enfants trouvés rassemblés dans les hospices, des femmes et des vagabonds « [...] qui préfèrent la mendicité au travail et deviennent par leur libertinage la désolation et l’effroi des campagnes ». Il s’agit d’en envoyer de 2 à 300 par an, dès l’âge de 10 ans pour les enfants et jusqu’à 25 ans pour les autres catégories : implantés en Guyane, ils sont appelés à s’acclimater « petit à petit » et à « s’accoutumer au travail ».

- même année, projet de M. de Caze consacré à la création d’une Compagnie de colonisation générale de la Guyane française proposée à l’industrie nationale. Le plan est très ambitieux car la société demande l’allocation de tous les terrains compris en Amazone et Orénoque, et ce pour une durée de 40 ans. Il s’agira ensuite d’importer durant cette période 10 000 laboureurs et ouvriers européens, organisés militairement et soumis à la discipline militaire.

Page 24: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

+ le recours à des immigrants « noirs »- projet Lambert, de 1819 (ancien colon de Saint-Domingue)

visant à favoriser la venue dans la colonie des communautés de nègres marrons du Surinam, chiffrés à 50 à 60 000, retirés dans l’intérieur du pays : « En les traitant avec justice, ils seront toujours disponibles à servir les blancs et ne recevront jamais les nègres marrons ».

- Hyde de Neuville, ambassadeur de France aux Etats-Unis, propose en mars 1820 de faire venir 50 000 colons noirs libres originaires des Etats-Unis, avec pour objectif de favoriser en Guyane «[...] le mélange des blancs et des noirs au moins comme membres libres d’une grande famille coloniale ».

- échec du projet Laussat (1821) visant à engager 250 Malgaches pour en former des compagnies de pionniers pour le service de la Guyane française, le recruteur envoyé dans la grande île ayant totalement échoué dans sa mission.

Page 25: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

- de Montqueron, le promoteur des envois d’enfants et de mendiants, propose en 1823 que l’Etat rachète tous les esclaves de la colonie et leur donne la liberté après deux ans de travaux à son profit : « Ces hommes sont instruits et si l’on ne leur accorde pas cette faveur, ils finiront par secouer un joug qui leur est odieux (l’exemple de Saint-Domingue doit faire ouvrir les yeux) ».

- en juin 1828, l’infatigable consul de France à la Nouvelle Orléans, Guillemin, soumet à Hyde de Neuville un plan visant à envoyer des familles de travailleurs de couleur, « [...] pas d’infortunés africains arrachés violemment à leurs familles [mais] des familles entières d’hommes noirs, il est vrai, mais depuis longtemps et de père en fils, accoutumés sous l’emprise de la civilisation européenne, aux travaux de l’agriculture et à la profession des arts mécaniques qui rendent les opérations de la première plus faciles et plus sures ».

Page 26: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

- toujours en 1828, Parisset, commissaire de Marine, contrôleur colonial à Cayenne, propose un système « de semi-liberté », à savoir des familles « libres » de couleur (d’anciens esclaves noirs des colonies françaises et de l’étranger) « [...] qui ne seraient soumises qu’à la résidence sur le bien » et qui disposeraient sur la semaine de jours de libre pour s’occuper de leur terrain privatif destiné à pourvoir à leurs besoins.

- troisième projet datant de 1828 : un missionnaire du nom de Guillotteau transmet au ministre de la Marine et des colonies un court mais intéressant mémoire sur « les moyens d’accroître la prospérité de la colonie de Cayenne », recommandant un système appliqué par les Anglais au Cap de Bonne Espérance. Ces derniers louent pendant 14 ans à des souverains d’Afrique « des noirs et des négresses pour un prix annuel très modique ». Lorsque les 14 ans sont expirés, ces derniers obtiennent leur congé. Mais l’auteur souligne que ceux-ci, « [...] après avoir goûté les avantages de vivre dans un pays civilisé, pas un ne demande à retourner au pays ».

Page 27: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

+ les projets atypiques- l’importation de « Chinois ». Dans un courrier adressé en juin 1820 par Portal à Laussat, nous en apprenons qu’un sieur français du nom de Chaigneau, « [...] devenu mandarin de 2° classe en Cochinchine et à qui le roi a accordé un congé pour se rendre temporairement en France », s’était fait fort, grâce à ses relations, de favoriser à faible coût le recrutement à Macao « [d’] autant de milliers de familles chinoises, cultivateurs et ouvriers que l’on désirerait ». Dans les faits, seuls 27 débarquèrent à Cayenne…

- des Indiens de la Côte des Malabars : un certain Bassin de Montbrun, résidant l’Ile de Bourbon, propose au ministre Portal d’introduire 1500 Indiens cultivateurs, avec leurs femmes, issus de la côte des Malabars, de Sumatra, voire de Ceylan, afin qu’ils viennent se livrer en Guyane à la culture du Girofle, du café, de la cannelle, de la muscade, « en un mot des épiceries » :  « On les attirera en leur promettant de leur céder en propre un petit terrain et leur assurant le libre exercice de leur religion ».

Page 28: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de
Page 29: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

E/ Le projet dit « de la Perronnays »

Considérations sur la Guyane française et sur les moyens de donner à cette colonie une impulsion créatrice (Légation de France à Rio de Janeiro, série A, article 102, Arch. diplo. Nantes).

+ un plan proposé à l’échelle de la « vieille France équinoxiale »

L’objectif à atteindre n’est pas la récupération de quelques lieux désertiques (“malheureusement, ce n’est certainement pas le terrain qui manque à notre colonie”) mais bien l’obtention d’un droit de navigation, qu’il espère exclusif, sur l’Amazone, en direction d’un vaste amont du bassin hydrographique revendiqué par la France :

“L’Amazone, le plus beau fleuve du monde, qui, dans un cours de 1400 lieues, traverse le continent américain presque de l’Océan pacifique à l’Atlantique et qui, exploité par l’industrie et l’activité française, procurerait à son commerce des débouchés immenses et des avantages incalculables. C’est le but auquel nous devons prétendre et peut-être un aussi brillant succès nous est-il réservé dans un avenir peu éloigné”.

Page 30: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

+ une marche progressive de la colonisation vers l’intérieur, en direction des monts Tumuc-Humac

On est supposé y trouver « le climat tempéré que l’on rencontre à toutes les latitudes dans l’Amérique tropicale quand on s’élève suffisamment, avec toutes les conditions voulues de salubrité de l’air, de fertilité du territoire et de proximité des sources des courants navigables, on

fonderait la capitale centrale de la Guyane. »

+ la création d’une « route royale propre à toute espèce de charrois ».De part et d’autre, construction de « plusieurs capitales intérieures provisoires [...] avant qu’on arrivât au point définitif où se fixerait la métropole de la Guyane française ».

la mise à disposition de moyens militaires, avec trois “expéditions” distinctes : “Une, l’avant garde pour l’exploration du pays et le tracé de la route royale ; une centrale pour sa confection ; une latérale pour lever la carte du pays et diviser les terrains adjacents à droite et à gauche, en carrés d’une lieue de côté, dans toutes les parties accessibles, salubres et cultivables”

Le recours à des prisonniers, organisés en “ateliers”, choisis dans les bagnes et les maisons de détention de la Métropole.

+ à partir de la nouvelle capitale, trois nouveaux axes routiers vers le Maroni, le Rio Négro et le Rio Branco

Page 31: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

+ un plan de développement sur fond de maintien de l’esclavagisme

Un auteur « théoriquement » opposé à l’esclavagisme :

“L’esclavage est un bien plus grand mal pour la race de son maître que pour la sienne [...] Le fait même de l’emploi de bras d’esclaves, non seulement dégrade le travail et fait de la fainéantise un attribut de liberté et de noblesse ; mais encore, il établit une concurrence que le manoeuvrier libre ne peut soutenir, puisqu’elle ôte à celui-ci, même la possibilité de se louer, le salaire le plus minime qu’il pourrait exiger pour subsister, lui et sa famille, dépassant de beaucoup ce que l’avarice ou l’imprévoyance des maîtres consacre à l’entretien de l’esclave, dont le prix d’achat et le dépérissement ne sont guères pris en compte.”

Mais :  “l’affranchissement [...] viendrait mettre en collision deux races dissemblables et antipathiques, qui jamais ne consentiraient à se confondre et à marcher parallèlement dans la tranquille jouissance des mêmes droits ; tandis qu’auparavant, l’une étant soumise à l’autre, il y avait du moins un certain ordre.”

Propose le rachat de tous les esclaves de la colonie française (13 000), désormais « affranchis » mais dans les faits totalement privés de liberté…

Les Amérindiens totalement absents du plan « de la Perronnays » : “Je crois que cette race indienne est destinée à périr et je ne puis m’empêcher de penser que le jour où les Européens se seront établis sur les bords du Pacifique, elle aura cessé d’exister.”(Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Tome II, p. 280)

Page 32: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

+ la mise en valeur du foncier colonial

- à partir de la grande pénétrante, un terrain divisé, à droite et à gauche de la route, en carrés ou « concessions » d’une lieue de côté

- tous les 4 contigus, fondation d’une bourgade

- un envoi maritime = un carré, soit 50 familles de 5 personnes

- chaque concession divisée en 80 lots : - 10 lots constituant le domaine commun, dans un premier temps, cultivés en

plantes alimentaires (maïs, manioc, etc.) puis en cultures d’exportation (coton, thé, café, cacao, poivre, indigo, riz, tabac).

- 20 lots mis en réserve (accueil de futurs colons)- 50 lots répartis entre les familles

Nb : une fois la dette remboursée, le domaine commun laissera la place à un village

“Ces concessions auraient bientôt lieu sur une immense échelle, car, si nous ne nous faisons pas illusion, nous voyons dans l’exécution graduelle du plan que nous proposons le germe d’un mouvement social aussi actif et moins désordonné que celui qui a lieu aux Etats-Unis [...] Ce résultat grandiose ne demande de la part du gouvernement presqu’aucune dépense nouvelle, c’est du sol même, c’est des richesses qui y sont aujourd’hui enfouies que l’on tirera les moyens d’exploiter cette mine inépuisable de prospérités, et de créer, comme par enchantement, au sein des déserts, un peuple moral, heureux et puissant.”

Page 33: La relance du peuplement de la Guyane française : de projets morts-nés en échecs patents Jean-Yves Puyo Géographe Maître de conférences à lUniversité de

Quelques références bibliographiques

Cardoso, Ciro Flammarion. 1999. La Guyane française (1715-1817) : aspects économiques et sociaux, Petit-Bourg, Ibis Rouge.

Cherubini, Bernard. 1996. « Les Acadiens habitants en Guyane de 1772 à 1853. Destin des lignées, créolisation et migration », Etudes canadiennes/Canadian Studies, n° 40, juin : 79-97.

Cherubini, Bernard. 2000. « Les Acadiens en Guyane après 1764 », in Identités Caraïbes, Paris, Editions du CTHS : 11-30.

Cherubini, Bernard. 2000. « Variations utopiques de la créolisation : à propos du choix de quelques colons pour la Guyane », in Au visiteur lumineux. Des îles créoles aux sociétés plurielles, J. Bernabe et al (eds), Basse-Terre, Ibis Rouge : 179-190.

Jennings, Lawrence. 1995 « Dream versus Reality : Plans to colonise French Guiana, 1817-1822 », in Regards sur l’histoire de la Caraïbe - des Guyanes aux Grandes Antilles, Matoury, Ibid Rouge : 87-97.

Jennings, Lawrence. 2006. « Peuplements d’Américains en Guyane, une colonisation avortée », in L’histoire de la Guyane, depuis les civilisations amérindiennes, Serge Man Fouck & Jacqueline Zonzon (dir.), Matoury, Ibis Rouge : 355-366.

Larin, Robert. 2006. Canadiens en Guyane (1754-1805), Paris, éditions du Septentrion & PUPS.

Mam Lam Fouck, Serge. 2002. Histoire générale de la Guyane française, Cayenne : Ibis Rouge, coll. Espaces guyanais.

Puyo, Jean-Yves. 2006. « El proyecto utópico del Conde de la Perronnay (Guayana francesa, 1835) », Scripta Nova. Revista electrónica de geografía y ciencias sociales,  Universidad de Barcelona, vol. X, núm. 218 .

Puyo, Jean-Yves. 2008. « Mise en valeur de la Guyane française et peuplement blanc : les espoirs déçus du Baron de

Laussat (1819-1823) », Journal of Latin American Geography, vol. 7, n°1 : 177-202.