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La Recherche au Cahier n° 2 La Recherche au CIGREF

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La Rechercheau

Cahier n° 2

La Recherche au CIGREF

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La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 3

En 2004, le Cigref, conformément àson plan stratégique Cigref 2005,mettait en place un départementrecherche, en liaison avec le mondeacadémique.Dans un contexte de mutation tech-nologique mondiale, qui a desconséquences sur l'ensemble de lasociété, les organisations et lesinstitutions, le Directeur des Systèmesd'Information (DSI) non seulementdispose des leviers de changementradical dont il doit maîtriser la puis-sance pour en canaliser l'impact sur nos entreprises, mais aussidevient un acteur du processus detransformation qui permet à notrepays de pleinement prendre sa placedans la société de l'information. Le cahier introductif publié en 2004montre que le plus important dansla mutation technologique, c'est laconnaissance, le logos, beaucoupplus que, la technique, la techné.Par ce partenariat avec le mondeacadémique, le CIGREF entendenrichir le capital cognitif des DSIpour leur permettre d'anticiper leschangements techniques et écono-miques, et utiliser le système d'information comme source d'inno-vation et un levier de création devaleur pour leur entreprise.Or, si le DSI, engagé dans l'action,est surchargé d'informations, ilmanque parfois de connaissance.En se rapprochant de la rechercheacadémique, le CIGREF entendcontribuer à corriger cette insuffi-sance en donnant au DSI le moyende prendre du recul et de situer sonaction dans une perspective globale.Le défi consiste à rendre accessibleau praticien la connaissance scien-tifique et académique afin d'amplifierles capacités d'innovation que l'onattend des DSI.Les thèmes de recherche choisisvisent à identifier des modes opéra-toires dans les dimensions les pluscritiques de la création de valeur

par les systèmes d'information,c'est-à-dire l'innovation et la créationde valeur par l'usage. Ce second cahier présente les premiers résultats de ce programmetriennal.Sur l'innovation par le S.I et la créationde valeur, nous accueillons les premiers résultats du programmeMINE avec un article de NathalieDrouin, Professeur à l'Université duQuébec à Montréal, sur les capacitésorganisationnelles et les dyna-miques de création de valeur, avecun exemple dans le secteur destélécommunications.

Les entreprises membres duCIGREF ont commencé à participerà ce programme et Rouba Tahaavec l'équipe du laboratoire derecherche en management de l'uni-versité de Versailles Saint Quentinen Yvelines nous présente leurspremières conclusions sur le lienentre SI, innovation et reconfigurationdes modèles d'affaires comme pointcritique.

Sur le thème de l'usage, nos deuxautres doctorants, ValentinBricoune et Hanene Jomaa, nousprésentent l'état de l'art de larecherche, illustré de cas. L'usageest une ressource à coût marginalnul dont la négligence peut amenerà des catastrophes et dont la priseen compte fait la différence dansdes projets qui vont au-delà desespérances. Chacun se retrouveradans l'étude de Hanene Jomaa surla prise en compte de l'usage dansla conduite des projets ERP.

Comme tout travail de recherche,celui-ci ne peut progresser que parla critique : nous souhaitons que cecahier soit une occasion de plus derapprocher la recherche et l'entre-prise. Accueillez-y nos chercheurs,posez leurs de nouveaux défis, participez aux programmes : il estpeu probable que vous le regrettiez !

Edito

Jean-Pierre Corniou

Président

Paris, septembre 2005

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Table des matières

4

Édito 3Le CIGREF 7Avant-Propos 9

La création de connaissance au service de la création de valeur 11Ce qu’apporte la recherche en systèmes d’information 13

Les études des sociétés de conseilLes études des organisations professionnellesLa recherche académiquePourquoi et comment créer de la connaissance scientifique pour le DSI ?Comprendre et agir sur la réalitéQuestions de méthode

131515171820

La technologie, c’est de la connaissance 21Les premiers apports significatifs de la recherche à la création de valeur par le SI

23

Les leviers de la performance sont non technologiquesUn processus de conception de système complexeL’importance de l’intégration de l’usage dans la conception

242627

L’intégration du monde de la recherche et de l’intreprise 29Une intégration opérationnelle : recherche-action et recherche-intervention 29

Les usages des systèmes d’information : une politique du quotidien

31

L’usage questionne une réalité organisationnelle complexeLa diffusion et l’approbation des TIC dans les organisations ne répondent pas à un modèle uniqueSystèmes d’information et systèmes d’action concretsLe cadre socio-technique : cadre de fonctionnement et cadre d’usage

3234

3740

La centralisation de l’alerte au Service Départementald’Incendie et de Secours des Bouches-du-Rhône

42

La définition d’un enjeu collectifDes partenaires aux enjeux convergents

4343

La mise ne oeuvre de la matrice fournisseurs du rayon vêtements/chaussants d’HORTI Cool

44

Les déterminants de la création de valeur par les TIC : le cas des projets ERP

53

Rappel de la création de valeur par la technologie 55Qu’est-ce que la création de valeur pour l’entreprise ?La valeur de la technologieLes principales apporches d’évaluation de la contribution des TICà la performance

555657

Démarche d’évaluation des TIC : cas des projets ERP 59

Qu’est-ce que l’ERP ?L’ERP, source de tous les maux ?L’ERP est-il un mauvais outil ?Pourquoi est-il difficile d’évaluer la performance des ERP ?

59606164

Conclusion 67

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La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 5

Systèmes d’information, innovation et création de valeur :premiers enseignements du programme Mine France

71

Les principes méthodologiques 75L’architecture généraleLa conduite des études de cas

7576

Jalons conceptuels et théoriques de l’articulation SI - I - CV 77Dépasser une vision techno-déterministe du système d’informationL’investissement en SI, un investissement immatériel pour des transac-tions (certes) plus efficientes... mais aussi (et surtout) plus efficaces !Le modèle d’affaires comme concept central de réflexion et d’investigation

7779

81

Première approche des configurations 83

Une articulation SI - I -CV tournée vers la personnalisation des transactions en interaction avec les clients ?Les différences avec les études de cas en coursPremières réflexions « typologiques »

83

8688

Conclusion 89

Capacités organisationnelles Dynamiques et Création de valeur : l’exemple d’une entreprise canadienne en télécommunications

91

L’innovation et les capacités dynamiques 92

Le cas ABC Telecom 95

La création de valeur 96

Le jeu d’innovation 97

Conclusion 100Annexe 1 101

ABC Telecom : resultsThe competitive contextThe game of Innovation

102104107

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La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 7

Le Cigref

Une finalitéambitieuse :

« Promouvoir l'usage des systèmesd'informationcomme facteur de création de valeur pour l'entreprise »

Représentativité- Association Loi1901

- Créée en 1970- 118 très grandesentreprises

- 90 % des entrepri-ses du CAC 40(hors fournisseurs)

- 120 000 professionnels de l'informatiqueet des télécom-munications

- plus de 22milliards d'eurosde budget informatique et télécom-munications

- le tiers du budgetinformatique ettélécommunica-tions de l'ensemble des entreprisesfrançaises

FinalitéDéjà affirmée par les administrateurs etapprouvée par les membres en 1997,cette finalité a été reconduite en 2001 :- les usages des systèmes d'informa-tion sont les vrais créateurs de valeur,à condition qu'ils soient basés sur lamaîtrise des techniques et la recherchede la plus grande efficacité opérationnelle ; - les utilisateurs des technologies del'information et de la communicationsont des acteurs à part entière de cesecteur ;- la création de valeur est l'objectif detout directeur des systèmes d'information.

Objet socialIl se définit de la manière suivante :

L'association a pour mission depromouvoir l'usage des systèmes d' information comme facteur de création de valeur pour l'entreprise.Elle a pour objet de :1. Rassembler les grandes entreprisesutilisatrices de systèmes d'information.2. Accompagner et valoriser lesresponsables de systèmes d'informationdans l'exercice de leur métier.3. Développer une vision à long termede l'impact des systèmes et technologiesde l'information sur l'entreprise, l'économie et la société.

Un plan stratégiqueAdopté en septembre 2001, le planstratégique « Cigref 2005 » renouvellenotre ambition de servir au mieux cettefinalité.« Cigref 2005 » se situe à la fois dansle changement et dans la continuité dela stratégie à moyen et à long terme duCigref, telle qu'elle est exprimée dansla charte et à travers les actions misesen œuvre.« Cigref 2005 » renouvelle notre ambitionde promouvoir l'usage des systèmesd'information comme facteur de créationde valeur et de percées stratégiquespour les entreprises. À cette fin, nousvisons à renforcer le leadership de l'association par une démarche offensive

et à améliorer nos performances eninscrivant le Cigref dans une dyna-mique d'innovation.

« Cigref 2005 », c'est innover pour êtreau plus près des besoins et des attentesde nos membres et leur apporter toujours plus de valeur ajoutée.

Ouverture européenne- Adhésion au Cigref ouverte auxgrandes entreprises européennes- Fondateur d'EuroCIO, événementannuel réservé aux DSI des grandsgroupes européens

Dialogue et Partenariats- Pouvoirs publics, agences publiques,autorités de régulation, Commissioneuropéenne,- Grandes écoles, universités, centresde recherche, chercheurs, ensei-gnants,- Éditeurs, constructeurs, cabinets deconseil, SSII,- Organisateurs de salons, de séminaires, médias,- Organismes et syndicats professionnels,- Organisations représentant les DSIdans les autres pays.

Partage des idéesLe partage des idées, des pratiques etdes expériences est un des fondements de notre association. « Cigref 2005 » met tout en œuvre pourque cette tradition se perpétue dansune atmosphère conviviale. Le partageest en effet notre « marque de fabrique »et représente un facteur clé de succèsdes activités et des publications de l'association. L'exigence de qualité estaujourd'hui un pré-requis pour tout professionnel du système d'information.« Cigref 2005 » fait sienne cette exigence. Développer, maintenir, gérerun système d'information est un métierque la plupart des professionnelsconsidèrent, malgré ses contraintes,comme exaltant et source de plaisir. « Cigref 2005 » souhaite que cetaspect ne soit pas oublié.

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Des valeurs :« lndépendance,loyauté, partage, convivialité, exigence de qualité, imagination,réalisme, plaisir »

Cigref 2005 continue de défendre ces valeurs auxquelles les membres du Cigref sonttrès attachés.

Les 3 métiersdu Cigref :

· L'appartenance

Le Cigref est, enEurope, la seulestructure fonctionnantsous le principeassociatif à butnon lucratif.

· L'influence

Le Cigref entendjouer pleinementson rôle de représentant des entreprisesutilisatrices faceaux fournisseurs,auprès des pouvoirs publics etdes institutions.

· L'intelligence

Il s'agit de marierle partage d'expérience et la recherche.

Le Cigref, association de grandesentreprises, met gratuitement

l’ensemble de ses travaux à la disposition de tous.

Document téléchargeable sur :www.cigref.fr

Implication des membres

Pour assurer la mise en œuvre deCigref 2005 par et pour ses membres,le Cigref a constitué cinq comités depilotage. Chaque comité de pilotage a en charge un domaine d'activité stratégique. Placés sous la responsabilitédirecte des administrateurs du Cigref,élus par leurs pairs, ces comités depilotage regroupent tous les DSI intéressés par les domaines d'activité stratégique suivants :

- DSI, stratégie et métiers de l'entreprise- Management de la DSI et de sesmétiers

- Urbanisme, architectures et techno-logies

- Relations avec les fournisseurs etles autorités régulatrices

- Entreprise et société de l'informa-tion

Trois pôles stratégiques

Le Pôle Entreprises reprend lesactions les plus connues du Cigrefactuel. Il est au service de tous les col-laborateurs concernés par les évolu-tions et le fonctionnement du systèmed'information des entreprises membres.Ce sont en effet ces collaborateursdans leur ensemble qui sont partieprenante de la maîtrise technique et del'efficacité opérationnelle indispensablesaux utilisateurs finaux. Ils sont les porteurs des expériences et desconnaissances échangées au Cigref.

Le Pôle DSI se place au service desdirecteurs de systèmes d'informationdes entreprises membres, pour lesaccompagner dans la résolution deleurs problèmes et dans l'évolution deleur carrière professionnelle. Pour ladécision stratégique, le DSI est en première ligne pour défendre la performance du système d'information.Il est le dernier rempart face au discours marketing grandiloquent decertains fournisseurs.

Le Pôle Société se veut porteur deréflexions et d’actions qui permettentau Cigref d’accomplir au mieux sesmissions auprès des entreprises et des DSI. Il traduit la volonté de « Cigref 2005 » de s'inscrire dans unecompréhension globale de la dyna-mique des technologies de l'informationet de la communication. En effet, il estimpossible d'anticiper, de penser et deplanifier l'évolution d'un système d'information et de son rôle sans intégrerles attentes, les obligations et les changements du corps social. Trèsdirectement par la législation et laréglementation, à long terme par lespolitiques d'éducation et de recherche, indirectement par les comportements,les idées dominantes et les aspirations,la société s'est immiscée dans le systèmed'information de l'entreprise. Il fautmieux comprendre le phénomène pourmieux le maîtriser.

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La Recherche au CIGREF

Avant-propos

Cahier n°2 9

Les « Cahiers de Recherche duCIGREF » présentent l'état des travaux impulsés dans le cadre duprojet associatif «CIGREF 2005».Ce dernier définit quatre objectifsstratégiques :

1 - Permettre à l'entreprise defaire les bons choix S.I. pouraméliorer l'usage ;

2 - Rééquilibrer les relationsentre les entreprises utilisatriceset leurs fournisseurs ;

3 - Etre alerté sur les risques etopportunités liés à l'usage desTIC.

4 - Permettre à l'entreprise d'êtreun acteur de la société de l'infor-mation.

Ces lignes forces ont engendré lelancement en 2004 d'un programmede recherche dont le thème générique est «la création de valeurpar le système d'information ».

Ce cahier N°2 complète la présentationde la problématique des travaux quiseront menés jusqu'en 2007 avecl'aide de trois jeunes doctorantssous contrat Cifre* :

- Valentin Bricoune : METIERSET USAGES DES TIC (MUSTIC)Dynamique de l'usage en contex-te organisationnel ;

- Hanène Jomaa : VALORISATIONDE L'USAGE DES TIC (VALUSTIC)Démarche d'évaluation de la

contribution des TIC à la créationde valeur pour l'entreprise ;

- Rouba Taha : MANAGEMENTDE L'INNOVATION ET STRATEGIEDES TIC (MISTIC) L'alliance dela stratégie et de l'innovation.

Les « Cahiers de Recherche duCigref » développent ainsi les résultatsde leurs travaux. Ils ne se limiterontpas à un simple outil de diagnostic.Ils recenseront également lesleviers d'amélioration et les bonnespratiques qui permettront aux équipes de direction des entreprisesde progresser dans la gouvernancede la fonction informatique et d'augmenter ainsi la valeur créée àl'aide des systèmes d'information.

Notre objectif est clairement de fairede la science et de la recherche unlevier de contribution des entreprisesmembres à l'entrée de la Francedans la société de l'information.C'est la raison pour laquelle les troisprogrammes sont conduits sur leprincipe de la recherche-action. Ilsimpliquent les DSI et les groupes detravail du CIGREF.

Le CIGREF s'engage à publier tousles ans un compte rendu détaillédes travaux ainsi réalisés, afin defaire bénéficier de leur éclairage,non seulement les 120 entreprisesmembres, mais également la communauté informatique touteentière.

Jean-FrançoisPépin

Délégué Géné[email protected]

Les cahiersprécédents

sont accessibles

par tous sur le site

www.cigref.fr

* Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE)

Paris, Septembre 2005

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Le plan stratégique CIGREF 2005,formulé en 2001, adoptait commeaxe «la création de valeur par leS.I». Il reposait alors sur une visionet une intuition, dans le contexted'éclatement de la bulle technolo-gique, que l'ère de la sophisticationtechnique, assise sur des investis-sements importants, n'était plus lelevier essentiel de la création devaleur.

La recherche dans le domaine des technologies de l'information,corroborée par les faits, a montré lajustesse de cette intuition. Dans leCahier introductif de 2004, quiouvrait le programme de recherchedu CIGREF, nous démontrions plusieurs tendances fondamentales :

1. Il y a bien une révolution technologique, semblable auxdeux révolutions industriellesprécédentes : celle de la machineà vapeur et de la métallurgie quis'annonce à partir de 1750 enAngleterre, puis celle de la chimie qui apparaît un peu plusd'un siècle plus tard, fondée surla chimie et l'électricité. Il y arévolution industrielle quand lesparamètres de la productivité du travail et de l'organisationindustrielle sont bouleversés parde nouvelles possibilités de créationde richesse. Une révolutionindustrielle déclenche le processusde «destruction créatrice» qu'adécrit Schumpeter : la premièrerévolution industrielle a vu la findu mode de production fondé sur l'agriculture traditionnelle,

elle-même touchée par la haussedes rendements qui permetl'exode rural et l'apport de main-d'œuvre à la nouvelle industrie,pour l'affirmation de l'industriedominée par une nouvelle classesociale de capitalistes. La seconderévolution industrielle a vu l'apparition de la grande firme,caractérisée par l'organisationscientifique du travail qui permettaitde rechercher la rentabilité desinvestissements, et une prise depouvoir progressive par la tech-nostructure, comme l'a analyséJohn K. Galbraith. Cette «destructioncréatrice» ne concerne pas seulement les modes de production,mais aussi les consensussociaux et le cadre institutionneldu cycle technologique précédent.

2. La création de valeur par lestechnologies de l'informationn'est pas corrélée avec lesinvestissements informatiques.Jusqu'en 1995, le phénomènemarquant est le « paradoxe deSolow », soit une corrélationnégative entre investissementsinformatiques et croissance de la productivité du travail. Aprèsl'éclatement de la bulle spéculativedu NASDAQ de 2001, le phénomènes'inverse : les investissementsinformatiques décroissent etl'augmentation de la productivitécontinue sa progression.

La recherche académique a permisde montrer que les ressorts de lacréation de valeur, tant au niveaude la firme que des nations, reposent

La Recherche au CIGREF

La création de connaissance au service de la création de valeur

Cahier n° 2 11

ClaudeRochet

Conseillerscientifique du CIGREF,Professeur

associé à l'Institut

deManagement

PublicUniversité

d'Aix-MarseilleIII,

Chercheur auLAREQUOI,Université de

VersaillesSaint-Quentin-

en-Yvelines

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sur des leviers non technologiquesque sont les processus d'innovationdans les modèles d'affaires, les procédés, les produits, l'organisationdu travail, les compétences organi-sationnelles, les métiers, bref, dansl'ensemble de ce que Bruno Amableappelle, les « systèmes sociauxd'innovation et de production».L'étendue de ce champ est le signeque nous sommes bien en situationde révolution industrielle, où unetechnologie générique vient boule-verser l'ensemble, non seulementde l'industrie, mais aussi le cadreinstitutionnel et l'organisation socialedes sociétés1.

Dans ce second cahier nous nousfocaliserons sur la création devaleur par l'innovation dans le S.I au niveau des organisations,qu'elles soient publiques ouprivées.

Auparavant, cette introductionsoulignera ce qu'est et ce que peutêtre la contribution de la rechercheacadémique dans la création deconnaissance nécessaire pouréclairer les décisions stratégiquesdes firmes, et plus particulièrementdes DSI.

12

1 Nous renvoyons le lecteur au cahier introductif de 2004 pour la description de l'ensemble du phénomène

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Le Directeur de systèmes d'informationet tous ceux qui sont en charge deprendre des décisions dans lamatière, ont à leur disposition unelittérature importante dont il importede bien situer les contributions etles limites.

On peut sommairement les classeren trois catégories :

� Les études des sociétés deconseil, plus ou moins liées auxfournisseurs de technologies.

� Les rapports des organismesprofessionnels, comme le CIGREF.

� Les productions de la rechercheacadémique.

Les études des sociétésde conseil

Les productions des sociétés deconseil ont une première limite quiest leur manque d'indépendancepar rapport aux intérêts commerciauxde leurs auteurs. Leur seconde limite repose sur leur méthode detravail qui procède généralement del'analyse comparative (le « benchmar-king ») entre sociétés participantes àun panel d'enquête, généralement parquestionnaire.

La pratique du questionnaire estpeu évaluée. En 1997, deux chercheurs canadiens s'intéressentà l'impact de l'EDI et adressent unquestionnaire à 875 professionnelset reçoivent 379 réponses. Troisversions du questionnaire ont été

utilisées, avec pour seule différencel'ordre des questions. Les résultatsobtenus sont significativement diffé-rents pour la moitié des questions(Peaucelle, 2001). Ce qui apparaîtcomme objectif avec une solidebase empirique est donc bien souvent plus fondé sur des opinionsqui peuvent être induites par lequestionnaire lui-même que sur desfaits. La confection d'un questionnaireprend donc du temps et est un processus de conception en soi quidoit faire l'objet de tests pour enasseoir la validité.

L'objet de l'étude est généralementcentrée sur l'identification des«meilleures pratiques», soit unerecherche de corrélation entre laperformance de l'entreprise et lespratiques managériales. Ainsi, legroupe Aberdeen structure sonétude sur les ruptures qui vontaffecter la fonction de DSI en 20052

autour de :

� Un questionnaire en ligne,structuré autour de quelquesquestions clés : comment les firmes leaders gèrent-elles lechangement technologique ?Quelles sont les technologiesémergentes qui vont impacterles firmes en 2005 ? Quels sontles éléments clés d'une planificationstratégique des technologies del’information (TI) ? Quels sont les indicateurs de performancepertinents ?� Un panel de grandes entrepri-ses, avec une segmentation partype de répondant.

La Recherche au CIGREF

Ce qu'apporte la recherche en systèmes d'information

Cahier n° 2 13

2 CIO Disruptors Benchmark Report, The 2005 CIO Agenda

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� Une méthode d'analyse comparative.

� Une grille de rapprochemententre l'analyse comparative et laperformance de l'entreprise.

� Une dispersion des pratiquesselon une courbe de Gauss oùl'on peut identifier les pratiquesdes «meilleurs élèves» (« best inclass »), du groupe médian etdes retardataires.

� Des préconisations pour chacunde ces groupes.

Sous la réserve de méthode formuléeà propos du questionnaire, ces études sont utiles pour donner unephotographie des pratiques à unmoment donné et dessiner une tendance. C'est la définition mêmede l'étude empirique. Tout le problèmede ce genre d'études réside dans laconstruction des conclusions pourl'action. La méthode de ces étudesempirique est l'induction : on induitle semblable à partir du semblable.La répétition des pratiques et leurcorrélation avec la performance,sont traitées comme des critères de vérité, selon les principes dupositivisme dont les bases ont étéposées par Auguste Comte audébut du XIX° siècle.

La limite des analyses inductivesest de deux ordres. Une limite épis-témologique qui est liée au principemême du positivisme et de l'inductionqui nie toute vérification par la capacitéde bâtir une théorie explicativecohérente. Les méthodes derecherche en gestion, grâce auxprogrès de l'épistémologie, en particulier ceux de Karl Popper, proposent généralement de couplerla méthode inductive (l'analyse des faits et les hypothèses qu'ilsinduisent) avec la méthodehypothético-déductive (une tentative

de formulation d'une hypothèsethéorique explicative qui est testéedans la réalité).La deuxième limite de cette méthodeest le biais anti-innovation qu'elleinduit : les meilleurs élèves sontinviter à mieux faire, et les retarda-taires à rattraper les meilleurs. Lebiais uniformisant du «benchmarking»appliqué à la stratégie a été soulignépar une importante littérature.

Ce biais peut aller jusqu'à la formationde dogmes institutionnalisés, dontles vendeurs de technologies nesont pas étrangers, qui tiennent lieude vérité obligatoire. Dans leurétude sur les décisions d'externali-sation de fonctions dans les grandsgroupes, Christophe Bourgeois etAude Martin (2005) constatent quel'assertion « pour gagner de l'argentil faut externaliser parce qu'un prestataire fait mieux et moins cher »suscite une adhésion par mimétis-me institutionnel, alors même queles répondants déclarent avoir l'in-tuition personnelle que la décisiond'externaliser a été prise en surpon-dérant les paramètres écono-miques à court terme aux dépensde paramètres stratégiques.

Les études des organisations professionnelles

Ces études ont pour principal avantage d'être indépendantes desfournisseurs et de reposer sur lapratique des utilisateurs. Les rapports du CIGREF appartiennentà cette catégorie. Elles sont produitespar échange d'expérience entrepairs, permettent de créer unevision commune des problèmesdécrits par un langage commun quiest celui des praticiens.

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Leur méthodologie sous-jacenten'est pas l'analyse comparativemais plutôt le retour d'expériencesqui permet de conceptualiser unepratique empirique. Sous réservede précautions méthodologiques élémentaires comme l'hétérogénéitésuffisante des participants aux groupesde travail, il y a une réelle productionde connaissance qui permet à chacun d'analyser sa pratique etsurtout de la formaliser.

Ces études peuvent prendre égalementla forme d'enquêtes, comme dansle cas de l'étude CIGREF - McKinseysur les relations entre DSI et Directionsgénérales. Ce type d'étude permetde dessiner une tendance générale,d'identifier des régularités, de tracerdes cadres d'analyse que chacunpeut s'approprier et qui peuvent àleur tour venir contribuer à enrichirle retour d'expériences.

Ces études ne sont toutefois pasexemptes du défaut de l'induction sil'on tente d'en tirer des véritésgénérales, des «bonnes pratiques»universelles, qui ne sont pas soumisesau principe de validation par analysehypothético-déductive.

Il manque ce que Karl Popperappelait «une science sociale technologique» qui tient compte del'histoire, construite par l'enquête etle retour d'expériences, commesource d'information sur les régularitésqui permettent de formuler des principes généraux (auxquels peuvent se rattacher les « bonnespratiques » une fois validées) et quipermet de les mettre en œuvre engérant les contingences de toutenature (organisationnelles, conjonc-turelles, culturelles…) dans laconception d'usage, soit l'ingénierie.Combler ce manque et doter leconcepteur et le stratège d'une

connaissance «vraie» pour éclairerces décisions, tel est l'objet de larecherche académique.

La recherche académique

La recherche académique en systèmesd'information est récente. Elle peineà se distinguer des études empiriquesprofessionnelles, qui, tant auxEtats-Unis qu'en France, représententpresque 80% des publications.L'évaluation de cette recherchedans les années 1980 a porté sur larigueur des méthodes d'analyseemployées pour éviter les biais précédemment décrits, notammentsi les enquêtes ont satisfait aux critères classiques de constitutionde l'échantillon, de vérification desa représentativité, de méthode d'analyse. Sur une échelle de 0 à 9,le score moyen a été de 3(Peaucelle, 2001).

Du côté de la production deconcepts, les véritables théoriesmanquent, renforçant le cantonnementdans les démarches inductives.

La recherche académique en systèmesd'information souffre de deuxdéfauts propres à la méthode académique :� D'une part, le jugement parles pairs qui est à la base de laméthode de production scienti-fique académique n'est pas forcément adaptée à une matièreen évolution rapide. La productiond'un papier dans une revuescientifique dure au moins deuxans, de sorte qu'un thème derecherche peut être obsolète aumoment de sa publication. Pourun thésard qui entreprend unerecherche en systèmes d'infor-mation, il est important de seprojetter plusieurs années enavant pour essayer d'anticiper lerythme de l'innovation.

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� La recherche de la rigueurexige la normalisation de la production scientifique, d'où unlangage parfois lourd à manierqui n'est pas favorable à unecommunication aisée avec lesprofessionnels : la diffusion de laproduction académique parmi lesprofessionnels de l'informatiqueen France reste très faible.

La rigueur aurait-elle donc pris lepas sur la pertinence des thèmesde recherche et de la production ?On semble actuellement assister à une évolution du domaine avecl'arrivée à maturité des technologiesde l'information qui atteignent lestade de la technologie génériquequi devient un levier d'innovationdans tous les domaines. L'arrivéeau stade de technologie génériqueest un des signes de l'existenced'une révolution industrielle au sensprécédemment décrit. Dans lesannées 1980, seuls les néo-schum-pétériens réunis autour deChristopher Freeman et de KeithPavitt au Science Policy ResearchUnit (S.P.R.U) de l'Université duSussex annonçaient une telle révo-lution industrielle3.

La première phase de la rechercheen S.I, qui portait sur l'usage quel'on pouvait faire d'une technologienaissante - tout comme il y eut de larecherche sur l'usage de l'électricitéou de la chimie - pourrait donc désormais se fondre dans larecherche en innovation, ce quil'inscrit dans un champ beaucoupplus vaste que le CIGREF entend cultiver : celui de la recherche sur lacréation de valeur par l'innovationreposant sur l'usage des technologiesde l'information.

Ce champ est celui de la transfor-mation des modèles d'activités etdes organisations, de la sociologiedes usages, de l'évolution des institutions, de la transformationdes métiers et des consensussociaux.

L'explorer requiert la productiond'une base de connaissance appro-priée.

Pourquoi et commentcréer de la connaissancescientifique pour le DSI?

Dans son plan stratégique, le CIGREFs'est fixé pour objectif d'intégrer lesacquis de la science pour façonnerla construction de la société de l'information. Cela veut dire doterles DSI de connaissance « vraie »permettant d'une part la prédictionet par voie de conséquence la prisede décision. Nous touchons là aux «sciences sociales technolo-giques» qu'évoquait Karl Popper :la prédiction peut annoncer la survenue, à des périodes régulièreset probables, d'ouragans en prove-nance d'une direction déterminée,l'ingénierie technologique et socialepermettra alors de prendre les décisions nécessaires pour renforcerles bâtiments et préparer les populations.

Apparemment simple, l'exercice esten fait redoutable : le monde destechnologies de l'information,notamment dans la phase lyriquede la « nouvelle économie » a étésoumis à un bombardement de prédictions annonçant la survenuede nouveaux « lendemains qui

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3 Voir Cahier Introductif

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chantent » qui allaient faire « dupassé table rase ». Tout modernequ'il soit, le monde des T.I. n'échappepas à un des plus vieux problèmesde l'épistémologie : le rapport entrele déterminisme, dérivant de lois historiques, et la liberté de l'acteurpour influer sur le cours des choses.

Un courant encore dominant dansles sciences sociales est l'historicisme.Pour l'historiciste, il y a à la fois deslois générales de l'histoire, qui gouvernent le passage d'une périodehistorique à une autre, et impossibilitépour l'acteur d'agir sur le cours deschoses, hormis l'activisme pourfavoriser l'accouchement des prophéties historiques. Il faut y voirici l'influence du déterminisme enphilosophie qui apparaît à l'époquemoderne avec Hegel, mais surtoutavec le marxisme dont le « sens del'histoire » a toujours une influenceimportante dans les sciences sociales.Les conséquences pratiques sont lafloraison de gourous qui annoncentune « révolution » à chaque nouveauté technique et dont laseule préconisation est l'activismepour aller dans le sens du progrès.

Les sciences de gestion ont aujour-d'hui intégré les apports de la philosophie et de l'épistémologiepour tenter de fonder une méthodede recherche appropriée à la production de connaissances scientifiques.Plusieurs questions de méthode seposent :

Comprendre et agir sur la réalité

C'est sans doute une des plusvieilles questions de la philosophie :Pouvons connaître le réel et quelest notre pouvoir sur lui quand

la technologie nous donne unecapacité de transformation de notreenvironnement inégalée dans l'histoire ? La recherche en gestionadopte un point de vue qui laisseplace à un pluralisme de méthodesque l'on peut regrouper sous levocable de « constructivisme », quisignifie que nous travaillons sur desconstructions de la réalité - desmodèles - et non sur la réalité elle-même. Ce constructivisme peutêtre radical quand il considère quela réalité elle-même n'est qu'uneconstruction qui est le produit desidées dominantes adoptées par lechercheur. Cette approche du réelconstruit rejoint à notre sens l'historicisme qui nie au chercheuret au praticien toute capacité d'intervention sur le réel hormis lareconnaissance des lois de l'histoireet l'activisme pour favoriser leuraccouchement.

Nous adopterons ici la positiondéveloppée depuis l'école deVienne jusqu'à Karl Popper, en passant par l'école du positivismelogique de Chester Barnard et deHerbert Simon aux Etats-Unis et lathéorie générale des systèmes quis'est particulièrement développéeen France sous l'influence de Jean-Louis Le Moigne : notre rapport à laréalité passe par la construction demodèles de sa représentation.Nous ne raisonnons donc que surdes modèles qui sont enrichis pardes va-et-vient successifs avec leréel en permettant de construiredes théories explicatives.

Les individus, a montré HerbertSimon, fondateur des sciences dela conception, ont une rationalitélimitée qui ne leur permet pas d'appréhender toute la complexitédu réel. Les organisations et, au-delà, les institutions, ont pour

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objet de définir des cadres qui pallient cette rationalité limitée enfixant des repères et des règles. Cesont les « routines organisationnelles »identifiées au début des années1980 par Nelson et Winter. Ce sontdes pratiques, formalisées ou non,des automatismes qui constituent lecapital d'intangibles de l'entrepriseà la base de sa performance.

Au fur et à mesure que progresse laconnaissance, l'entreprise travaillesur des artefacts (objets technolo-giques, modèles d'affaire) de plusen plus complexes dans des marchés qui le deviennent aussi.Les modèles qui fondent son intervention sur le réel et les routinesorganisationnelles qui les sous-tendent doivent elles aussi se complexifier au regard du principede pilotage des systèmes complexes :le système le plus complexe pilotele système le moins complexe.

Ainsi, si une entreprise qui voit sonenvironnement se complexifier nepeut complexifier des modèles d'intervention et enrichir ses routinesorganisationnelles elle devient pilotée par son environnement etperd sa capacité d'innovation.

Le réel est donc à la fois détermi-niste et indéterministe. L'identification de régularités dansla réalité et leur compréhension pardes théories valides permet de prédire des grandes tendances.Ces grandes tendances peuventêtre, par exemple, l'alternance des cycles technologiques qu'aidentifiée Schumpeter et que l'onconnaît aujourd'hui avec plus deprécision4. On peut ainsi prédireque le processus de « destruction

créatrice » doit inspirer une gestionprévisionnelle des compétences en préparant la reconversion desingénieurs de hardware en ingénieursde software, puis de ceux-ci eningénieurs d'orgware et plus loinencore de brainware.

Le déterminisme ne s'exerce passeulement au niveau des grandeslois de l'évolution historique : ils'exerce aussi au niveau des firmes et des nations. Chaque culture et chaque histoire nationalea produit des arrangements institu-tionnels, des modes de régulationdes consensus sociaux et des pratiques sociales qui conditionnentl'évolution ultérieure. Il y a ainsi sixformes de capitalismes différents en Europe identifiés par BrunoAmable. Ces arrangements institu-tionnels et ces pratiques socialessont à la base des systèmes nationaux d'innovation (S.N.I.) quidéfinissent des modes d'interactionentre la science, la technologie et l'économie, dépendants de la culture et des institutions. Maisl'existence d'un déterminisme nesignifie pas que l'avenir est limité à lamise en œuvre des lois inexorablesde l'histoire. Ce déterminisme définitune « dépendance de sentier » quidéfinit notre capacité d'apprentissageet d'innovation. On n'innove qu'àpartir de sa propre histoire, de saculture et avec ses modes de régulation. Ces modes différentsd'innovation sont à la base de lacréation d'avantages concurrentielsentre les nations. L'art de la stratégieest d'apprendre à jouer de sadépendance de sentier et non d'adopterun modèle unique de développe-ment, généralement prôné par lapuissance dominante. Si la dépendance

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4 Nous avons décrit ces cycles dans le Cahier introductif

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de sentier se révèle hostile à l'inno-vation, une action politique vigou-reuse peut permettre d'inverser latendance : ce fut le cas du Japon auXIXème siècle, c'est le cas aujourd'-hui de la Chine qui, grâce à la dicta-ture du Parti communiste, a brisé le cadre féodal hostile à l'innovation de la culture confucéenneet est potentiellement le premierpays capitaliste d'ici quelquesdécennies.

Nous devons donc naviguer entredeux écueils : l'obéissance passiveou active à un pseudo « sens del'histoire » et la négation totale desrégularités historiques, institution-nelles et organisationnelles quinous porterait à croire que « tout estpossible». «L'avenir est ouvert»déclarait Karl Popper, mais cela ne veut pas dire qu'on peut fairen'importe quoi. C'est la méthode deformulation des hypothèses et leurexpérimentation qui permettra detracer la démarcation entre ladémarche scientifique et lespseudosciences des gourous.

Questions de méthode

La démarche scientifique a pourobjet de produire de la connaissance«vraie», des théories valides et des modèles pertinents qui nousdonnent du pouvoir sur la réalité.Cette production repose sur troispratiques que le chercheur devrajudicieusement agencer.

� La première est l'induction quiest un point de passage obligéde toute démarche empirique :on observe une réalité parenquête, analyse statistique,étude historique et on parvient àdégager des régularités. Les

positivistes vont conférer le statut de loi à une régularité suffisamment répétée par aversionpour toute confirmation par unethéorie explicative. La vérité estdonc induite par la répétition del'observation. La pratique dubenchmarking peut donc conduireà des généralisations inductivessi l'on adopte le syllogisme « lesmeilleurs ont telles pratiques,donc en adoptant ces pratiqueson deviendra les meilleurs ».

� La seconde est la déduction :à partir d'une analyse théoriqueon formule une hypothèse quiest mise à l'épreuve de la réalité par l'expérimentation. Cetteexpérimentation peut à son tourinduire une nouvelle hypothèse. Ily a donc un cycle induction -déduction qui permet la cons-truction d'une théorie explicative.� La troisième est l'abduction,développée par le philosopheaméricain Charles Pierce, qui,alors que l'induction infère lesemblable à partir du semblable,va inférer le différent à partir dusemblable. On peut par exempleobserver que « tout travail urgentdéclenche une panne de l'impri-mante ». Là où le raisonnementpar induction en tirera une loifatale, le raisonnement parabduction cherchera une hypo-thèse explicative, par exemple,le stress de l'utilisateur en situationd'urgence peut perturber la relation entre l'homme et lamachine. Le raisonnement pardéduction tentera ensuite deconstruire des hypothèses sur larésilience de l'interface homme-machine qui seront mises à l'épreuve par expérimentationempirique, soit par induction.

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L'apport de Charles Pierce permetdonc de concevoir la production deconnaissances scientifiques commeun cycle abduction - déduction -induction (voir figure 1).

Reste alors à résoudre un dernierproblème : comment reconnaît-onune connaissance « vraie » ? Lecycle décrit permet de formuler unethéorie explicative. L'école deVienne du positivisme logiqueconsidérait qu'une théorie pouvaitêtre considérée comme vraie lorsqu'elle était vérifiée expérimen-talement. Karl Popper a critiquécette théorie qui laissait trop deplace à la subjectivité de l'observateur.Il a proposé d'y substituer un autrecritère : la corroboration ou la falsi-

fication. Une théorie est corroboréelorsqu'elle résiste à l'épreuve destests, ou encore lorsque qu'on nepeut démontrer qu'elle est fausse.Si l'observation de 99 poules noiresme permet d'induire que « toutesles poules sont noires », il suffit queje rencontre une seule poule blanche pour falsifier ce qui étaitjusque-là considéré comme vrai.

Une vérité n'est donc vraie que tantque l'on n'a pas démontré qu'elleétait fausse. La connaissancehumaine progresse par cycles successifs de résolution de problèmesde plus en plus complexes.

Nous touchons là à un point essentielen gestion de la technologie.

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Figure 3 :l’architecture

de la recherche au Cigref

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L'historien de la technologie JoëlMokyr, professeur à Northwestern,a développé une approche originalede la technologie, cohérente avecles autres recherches sur la dyna-mique de l'innovation. Revenant àl'étymologie du mot, il distingue latechné - la technique - du logos - laconnaissance. La technologie,comme assemblage des deux, estconsidérée comme le stock demeilleures pratiques permettant decréer des artefacts qu'il définitcomme étant de la « connaissanceutile » qui se compose de deuxtypes de connaissance :

� la connaissance « quoi » (ouépistémique) qui est constituéede l'ensemble des théories admises et des croyances quantaux régularités observées dansles phénomènes naturels. C'estdonc une connaissance différentede la connaissance scientifiquepuisqu'elle repose sur descroyances. Ce sont des théoriesvraies non pas du seul point devue scientifique mais du point devue de ce que nous sommesprêts à accepter comme «vrai».Dans notre pratique quotidienne,nous basons nos jugements etnos décisions sur ce que nouscroyons comme juste et vrai et nous ne prenons pas desdécisions en observant un protocole scientifique.

� La connaissance « comment »,(ou empirique) est composée del'ensemble des techniquesconnues et accessibles dans

une société. C'est l'ensembledes instructions exécutables,des routines, des savoir-fairecodifiés de manière tacite ouexplicite.

Jusqu'à la première révolutionindustrielle, le progrès techniqueest largement basé sur la seuleconnaissance « comment » : il suffisaitde savoir comment marchaient leschoses sans savoir pourquoi ellesmarchaient. Le moulin à eau s'estdéveloppé sur une base purementempirique sans aucun fondementsur la connaissance des lois de l'hydraulique.

Depuis la première révolutionindustrielle et surtout depuis laseconde, il n'est plus envisageablede développer une technique surcette seule base : toute technique abesoin d'être supportée par unebase cognitive de connaissance«quoi».

La performance des nations peutalors s'analyser comme une économiepolitique de la connaissance qui estla capacité à augmenter la base deconnaissances « quoi » pour alimenterla base de connaissances « comment ».Cette économie politique de laconnaissance est donc la gestionde deux processus bien différents :la création de connaissances et leurdiffusion.

� La connaissance épistémiqueest une connaissance pour elle-même, qui est produite «pourl'amour de la connaissance» par

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La technologie, c’est de la connaissance

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un petit nombre de personnes etest généralement le fruit duhasard. Cette génération deconnaissances obéit elle-mêmeà un processus évolutionniste detri-sélection qui va lui-mêmedépendre de l'état de la connais-sance existante, en applicationdu principe de dépendance desentier.

� La connaissance empiriqueprogresse par apprentissage parl'action, ce que l'on appelle lelearning by doing (LBD), maiscette progression est limitée àl'amélioration et ne permet pasd'intégrer les ruptures intervenuesdans la base de connaissancesépistémiques.

L'approche de Mokyr est totalementcohérente avec la nouvelle théoriede la croissance, ou croissanceendogène, où les facteurs essentielsde production ne sont plus le capitalet le travail, mais le progrès techno-logique fondé sur le progrès de laconnaissance. Cette distinction estessentielle, car dans la théorie classique de la croissance les ren-dements sont décroissants puisqueles ressources sont limitées, alorsque le progrès de la connaissancen'est pas limité : l'analyse historiquepermet de montrer que les paysleaders ont basé leur performancesur leur capacité à créer et à diffuserde la connaissance plus que surleur capacité à gérer leurs ressourcesen dotation de facteurs de production5.

La performance et l'obtention derendements croissants vont doncrésulter de la conjugaison de cesdeux mouvements : la rapidité

du processus d'accumulation deconnaissances épistémiques, lui-même soumis au principe des rendements croissants, car plus labase de connaissance de départ estimportante plus elle permet de créerde nouvelles connaissances, et lacapacité de transformation de cesconnaissances en artefacts, soit l'innovation par l'usage. L'innovationest la rencontre de ces deux mouve-ments : la découverte dans la baseépistémique, et l'invention dans labase de connaissances empiriques.

La relation entre recherche académique- lieu de création de connaissancespour elles-mêmes - et l'entreprise -lieu de création d'artefacts - estdonc un levier très important d'inno-vation. C'est la fluidité des relationsentre ces deux mondes qui est à labase de la performance du systèmenational d'innovation américain.

Que nous apporte cette approchepour piloter le progrès technolo-gique ? Pour Mokyr, par analogieavec la théorie de l'évolution, laconnaissance épistémique est legène tandis que la connaissanceempirique est le phénotype. C'est lacapacité à établir des interactionsentre le gène et le phénotype quiest le moteur de l'évolution destechnologies :

� Le gène est « égoïste » commel'a décrit Richard Dawkins, c'est-à-dire qu'il a avant tout pour finalitésa propre reproduction. Laconnaissance épistémique évoluedonc indépendamment de laconnaissance empirique. C'estla qualité de la culture et des

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5 Dans le cahier introductif, nous avons ainsi montré que le décollage de l'Angleterre au XVIII° siècle a été lerésultat d'une stratégie d'accumulation de connaissances, alors même qu'elle en produisait peu et de sa capacitéà la transformer en performance technologique. Cette sensibilité est réactualisée aujourd'hui en France avec larésurgence du thème de l'intelligence économique.

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institutions qui va permettre lelien entre les deux types deconnaissance, par exemple parle statut donné à la science, saproximité avec l'industrie, sonstatut plus ou moins mandarinal,la démocratisation de l'accès ausavoir, etc.

� A la différence de l'évolutionbiologique pure, le gène de laconnaissance est moins égoïste.Il y a une possibilité de feedbackde la connaissance empiriquevers la connaissance épisté-mique, qui est à l'origine decycles vertueux à la base du

progrès technologique. Cescycles sont doublement auto-renforçants : plus la base épistémique est importante, pluselle se développe d'elle-même etplus la base empirique rétroagitsur la base épistémique, pluselle stimule son développement.C'est le rôle, par exemple, despannes dans la stimulation duprocessus d'innovation.

Une organisation et au-delà unenation, grâce à la pertinence du cadre institutionnel qu’elledéfinira, peuvent donc faire du processus de création etd’accumulation de connaissancesun avantage concurrentiel difficile-ment copiable, qui constitue unepuissante barrière à l’entrée.

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Figure 1:le cycle deproduction

de la connaissance,d'après Mokyr

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Les progrès de la recherche nouspermettent donc de dépasser lequestionnement initial de la rechercheen systèmes d’information : « quefaire avec l’informatique » commel’on a pu se poser les questions « que faire avec la vapeur » et « que faire avec l’électricité ». Pourenvisager la transformation globalede l’organisation de la production et les nouvelles possibilités decréation de valeur qu’elle offre.

Ce phénomène, là encore, n’estpas nouveau. L’électricité apparaîtdans l’industrie dans les années1880. Ce n’est qu’au milieu desannées 1920 qu’elle aura une incidence significative sur l’organi-sation du travail et la productivitépar l’innovation dans l’usage : aulieu de remplacer le moteur àvapeur entraînant l’ensemble desmachines par des courroies, lemoteur électrique pourra équiperchaque machine permettant unenouvelle architecture de l’atelier.L’informatique a connu une transitionanalogue avec le passage dumacro-ordinateur avec terminauxpassifs au système d’information enréseau.

Le programme de recherche duCIGREF entend prendre comme pointde départ l’état de l’art de la rechercheque nous regrouperons sous troisrubriques :� Les leviers de la création devaleur ne sont essentiellement nitechniques ni technologiques ;

� Créer de la valeur est un processus de conception quipermet de relier la base deconnaissances à l’économie ;

� L’intégration de l’utilisateur etde l’usage dans ce processusest un facteur-clé de succès.

Les leviers de la performance sont non technologiques

Dans l’enquête qu’il a réalisée surun peu plus de 1100 firmes auxEtats-Unis, Eryk Brynjolfson, pro-fesseur au Massachussets Institutof Technology (M.I.T), vérifie la findu paradoxe de Solow en constatantune corrélation entre les investisse-ments informatiques et la croissancede la productivité, mais avec desécarts considérables entre firmes :certaines connaissent des gains deproductivité considérables avecmoins d’investissements et vice-versa.

La différence s’explique par ce que Brynjolfson appelle les « com-pléments organisationnels » quiaccompagnent les investissementsen T.I. pour faire évoluer l’organisationvers une « organisation digitale ».Les firmes qui connaissent l’amélio-ration la plus forte de leur productivitésont celles qui parviennent à combinerinvestissements en T.I. et digitalisationde l’organisation. Sans travail surl’organisation, le rendement desinvestissements en T.I. est décroissant.

Les premiers apports significatifsde la recherche à la création de valeur par le SI

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Au-delà de la digitalisation des processus d’affaires, les organisationsde ce type se caractérisent par unplus grand accès à l’information (cequi stimule l’actualisation de la basede connaissances), une focalisationde l’organisation sur les objectifsstratégiques et un fort investisse-ment dans le capital humain. Outreune meilleure productivité, ces firmes ont une plus grande valeursur le marché, des collaborateursmieux payés et un plus faible turn-over, ce qui renforce le processusd’accumulation du capital humain etdes connaissances.

Les clés du succès sont donc dansl’adoption de nouvelles pratiquesorganisationnelles qui sont la partiecachée de l’iceberg (Figure 2).

Le Cigref participe au programmeMINE (Management de l’Innovationdans l’Economie Numérique) dirigépar le professeur Roger Miller del’Ecole polytechnique de Montréal,essaye d’aller plus loin que l’identification de ces pratiques au

niveau de la firme en repérant lessystèmes d’innovation dans lesquelleselles s’insèrent. Ces systèmes mettent en relation la firme, ses partenaires, ses clients, ses fournisseurset se situent au niveau meso, entrele niveau micro (la firme) et leniveau macro (l’économie). Ils ontplusieurs configurations appelées « jeux d’innovation » : pour créer dela valeur par les bonnes pratiquesd’innovation, les firmes doiventcomprendre dans quels jeux ellesjouent.

Nous présentons dans ce numéroles premiers résultats de l’étudeMINE sur le secteur des télécom-munications (article de NathalieDrouin). Le CIGREF et le laboratoirede recherche en management del’Université de Versailles SaintQuentin en Yvelines (LAREQUOIS)ont développé une application spécifique du programme MINE auxtechnologies de l’information dontnous publions les premières conclu-sions intermédiaires (article deRouba Taha).

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Figure 2 :L’iceberg

de la créationde valeur parla technologie

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Un processus de conception de système complexe

Quand Fred Brooks, un des troisarchitectes de l’IBM 360, publiapour la première fois ce qui estdevenu un classique, The MythicalMan Month, il formula de manièretypiquement abductive ce qui estdevenu la « loi de Brooks » : ajouterde personnel à un projet en retardne fait qu’accroître son retard. PourBrooks, ce qui créait de la valeurc’était l’architecture des équipes quiformait le système complexe qu’estle projet. Ajouter du personnel ne pouvait que perturber cettearchitecture et accroître les coûtsde transactions internes du projet,et donc le retarder encore plus. Ceprincipe s’est confirmé de manièredéductive et empirique par les travaux de Baldwin et Clark sur l’architecture modulaire des systèmescomplexes (2000, 2005) et la réédition20 ans plus tard du livre de Brooksn’a pu que mettre l’accent sur lapertinence de ses analyses.

Cette approche modulaire ne s’applique pas seulement dans la conception descendante, del’architecte à l’équipe, de Brooks.Linus Thorvald adopta une démarchestrictement inverse pour développerLinux en langage Open Source,allant à l’encontre de tous les principesétablis : livrer tôt et souvent, déléguer le plus possible. Grâce àla puissance structurante du codeOpen Source, des centaines dedéveloppeurs ont pu faire convergerleurs efforts vers la création d’unnouveau système d’exploitation.Cette démarche émergente a puréussir parce que les communautésde développeurs partageaient unebase de connaissances communequi co-évoluait avec leur pratique.Ce qui semblait être brouillon étaiten fait un écosystème ordonné d’oùa émergé Linux.

Dans les deux cas, le travail surl’architecture a permis de concevoir leprocessus qui va de la connaissanceà l’économie (figure ci-dessous).

Ces perspectives donnent uneactualité nouvelle aux apportsd’Herbert Simon qui avait soulignéque la conception de systèmescomplexes était arborescente. Onpeut donc la décomposer en modules.Ces modules peuvent ensuite s’agencer de diverses façons, cequi donne naissance à une multituded’options techniques et commerciales.Ces modules co-évoluent entre eux :par exemple, le progrès de la puissance des processeurs selon la

loi de Moore entraîne l’évolutiondes autres modules du systèmequ’est un ordinateur.

Les sciences de la conception desystèmes complexes sont encoredans l’enfance. C’est une activitéscientifique qui suppose de biencomprendre la dynamique des processus stochastiques : l’innovationsuppose de créer le plus grandnombre possible d’options architec-turales, mais ensuite d’en éliminer

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ConnaisanceConception

de l’architectureConception du produit Economie

Processus de conception

de la connaissanceà l’économie

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le plus possible pour ne retenir queles plus stables selon un processusde sélection typiquement darwinien.

Le facteur clé de succès de cette approche modulaire de laconception est que tous ses acteurspartagent une culture, et surtoutdes modèles mentaux communs,tant formels qu’informels, un peucomme les artisans construisantune cathédrale avaient consciencede participer à une même œuvre.Le travail du chercheur est de trans-former cette pratique artisanale etintuitive en éléments objectifs.

Cette approche modulaire ne s’applique pas qu’à la conceptiondes produits : l’industrie est elleaussi devenue modulaire, à com-mencer par l’industrie informatique,dont l’exemple emblématique estDell qui fabrique des ordinateurstotalement modularisés. La modula-risation de la technologie permet demultiplier les options stratégiques,et, comme nous le montre P. Corbel,J.P. Denis et R. Taha et l’équipe duLarequoi dans leur article, l’enjeudevient aujourd’hui face à l’évolution dela technologie la redéfinition desmodèles d’affaires.

L’importance de l’intégration de l’usage dans la conception

La dynamique émergente de laconception modulaire est guidéepar une hypothèse de départ, uneidée de ce qui peut être fait tant àpartir des options techniques quedes paris commerciaux. La pratiquede la conception modulaire de produit complexes n’est pas nouvelle :elle s’est développée notammentdans l’industrie automobile depuis

la fin des années 1980. Face à lamultitude des options techniques, il est devenu crucial de ne pas fabriquer des objets technologiquesqui satisfont au goût pour l’inventionde l’ingénieur mais qui représententdes innovations en créant de lavaleur pour l’utilisateur final.

Dans la dynamique de l’innovation,il n’y a, par définition, pas dedemande exprimée par un client. Ily a un besoin latent, un problèmenon formalisé qui peut être résolupar l’innovation. La conception d’unproduit complexe est donc un processus de résolution de problèmesqui va modifier l’hypothèse dedépart, notamment en impliquantl’utilisateur final - qui peut être unepersonne physique ou une firme -dès l’amont du processus deconception. Ce sont les besoins decet utilisateur, étalonnés en mesurede la création de valeur, qui vontdonc arbitrer les choix d’architecturedes options.

Les recherches fondatrices sur cethème ont été entreprises par EricVon Hippel au MIT et par WendyMcKay à l’Institut National deRecherche et Informatique (INRIA).Von Hippel a développé le conceptd’utilisateur pilote qui se définit pardeux caractéristiques :

1) ils sont à la pointe d’une tendance du marché et les innovations qu’ils valideront ontvocation à être adoptées par leplus grand nombre,

2) ils anticipent les bénéfices del’usage de ces innovations. Ainsile processus de création devaleur dans la conception fonctionne dans les deux sens :pour l’utilisateur par l’usage qu’ilfera de l’innovation, et pour leconcepteur, qui, en introduisantl’usage dans son processus deconception, en retirera un bénéficeéconomique.

La Recherche au CIGREF

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Le processus d’innovation à l’ère del’économie numérique n’est doncpas linéaire : il est le résultat d’uneconfrontation dynamique entre unenouvelle connaissance qui poussel’innovation et un utilisateur repré-sentant un niveau avancé dedemande qui jouera un rôle de tri-sélection entre les options possiblesd’architecture dans le processus deconception.

L’intégration de l’usage dans laconception est une ressource àcoût marginal nul et, à l’inverse, sanon prise en compte coûte très cheren projets ratés et produits malconçus. L’utilisateur pilote innovepar lui-même en utilisant un produittechnologique : il suffit bien souventde se contenter de l’observer !

L’impact économique, mesuré parVon Hippel chez 3M, est net : lesproduits conçus avec un utilisateurpilote ont une performance commerciale 8 fois supérieure à un produit conçu de manière classique.

Le programme de recherche duCIGREF consacre deux thèmes àce sujet. Valentin Bricoune traitedes usages et leurs rôles dans lacréation de valeur. Son article « lesusages des systèmes d’information,une politique au quotidien », met aucoeur de la question de l’usage encontexte professionnel, la médiationentre les stratégies des acteurs del’organisation. Dans cette perspective,les TIC, pour participer à la créationde valeur de l’entreprise, doivents’inscrire dans un procès de socialisation qui traduit effective-ment l’organisation de l’information.Hanène Jomaa se penche sur l’évaluation de l’impact de l’usagedes TIC sur la performance de l’entreprise.

Dans son article « les déterminantsde la créaqtion de valeur par lesTIC : le cas des projets ERP », ellemontre que la contribution de l’ERPà la performance de l’entreprisepasse par la compréhension de sonimpact sur les processus métier etde la manière dont l’ERP permet deréuler les rapports sociaux.

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Nous avons souligné dans cetteintroduction la difficulté d’intégrer la démarche de recherche dansl’entreprise en raison des deuxtypes de décalage existant entreces mondes : décalage temporelinduit par la rigueur du processusde recherche qui doit aller au-delàdes généralisations empiriques, et décalage culturel lié au langageformalisé de la communauté scientifique, différent de celui desprofessionnels.

Ces obstacles peuvent être surmontés par la conception d’unearchitecture du processus derecherche.

Une intégration opérationnelle : recherche-action etrecherche-intervention

Pour satisfaire aux principes derigueur épistémologique de larecherche définis plus haut et aubesoin d’implication des entreprisesdans la production et la diffusion dela connaissance, on peut adopterl’architecture suivante (Figure 3) :� Un cadre conceptuel de rechercheest défini, de manière inductive,à partir du cahier des chargesdéfinis par le plan stratégique duCIGREF, par les équipes derecherche avec lesquelles leCIGREF a passé convention (leLarequoi, le Centre de recherchede l’Institut Français de Presse-Assos et le laboratoire Economie,Gestion, Sciences Huamines etSociales (EGSH) ENST Parissous la responsabilité du conseiller

scientifique du CIGREF. Ce cadrea été défini en 2004 par le cahierintroductif pour le cadre général.

� Une phase de recherche-action- qui a commencé depuis fin2004 - dans les entreprises quise caractérise par des entretienset des études de cas.

� Ces études de cas induisent uneamélioration des hypothèses dedépart et permettent, par abduc-tion, de développer des conceptsopérationnels pour les entrepri-ses membres. Ce cahier n° 2 est un rapport d’étape de cettetroisième phase.

� A partir de l’automne 2004commenceront les restitutionsauprès des entreprises quiauront participé aux programmes.S’ouvrira alors la phase derecherche-intervention qui apour but de tester, en dialoguedirect avec les entreprises parti-cipantes, les hypothèses néesdes phases précédentes. Ceshypothèses sont destinées àêtre soumises au processus defalsification pour être affinées etparvenir à la formalisation deconcepts opérationnels valides.

De la sorte, on se donne desmoyens pour produire une connais-sance opérationnelle, étalonnée surl’état de l’art de la recherche mondiale en innovation par les T.I,qui ajoute à cet état de l’art par la production de communications et de publications scientifiques, permet au CIGREF d’être un acteureffectif de la construction de lasociété de l’information et qui offreaux entreprises des concepts etoutils opérationnels.

La Recherche au CIGREF

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L’intégration du monde de la recherche et de l’entreprise

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Références bibliographiques

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Valentin BRICOUNE

Chargé de programme CIGREFDoctorant Cifre * - Paris IIPanthéon/Assas

DEA : Audiences, réception et usagesdes médias et du multimédia. Institut Français de Presse, Université Paris II Panthéon/Assas.Maîtrise : Conception et développementmultimédia. Institut des Sciences de l'Information et de communication(ISIC), Université Bordeaux III.

CIGREF21, avenue de Messine75 008 Paris

Tél : +33 1 56 59 70 07E-mail : [email protected]

Résumé

Dans le contexte de l’organisation, l’activité profes-sionnelle est fondamentalement collective et lesTIC s’inscrivent dans des systèmes d’action déjàconstitués dont elles bouleversent les mécanismesde régulation. Ces systèmes d’action sont marquéspar le caractère stratégique et politique des inter-actions qui s’y déroulent. Ce constat ancien de lasociologie des organisations invite à prendre encompte, dans le cadre des projets SI, la dimensionpolitique quotidienne telle qu’elle est vécue par lesacteurs. Deux exemples de projets, la centralisationde l’alerte du Service d’Incendie et de Secours desBouches-du-Rhône et la mise en place de la matricefournisseur du rayon vêtements / chaussant chezHORTI Cool permettent d’illustrer, du point de vuedes acteurs, l’importance au cours du déroulementdes projets SI de la dimension politique duquotidien.

Les usages des systèmesd’information : une politique du quotidien

* Conventions Industrielles de Formation par la Recherche.

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En septembre 2004, alors que leCIGREF, dans son premier cahierdédié à son activité de recherche,présentait les lignes force et lesenjeux de son programme, noussoulignions que le thème de l’usageest au carrefour de nombreux intérêts et de nombreux enjeux, etqu’il n’était de ce fait pas aisé d’enprésenter une définition unanimepour tous les partenaires et pourtous les lieux où cette notion d’usageest évoquée1 .

Le CIGREF, association d’entreprises,est en lui-même une illustration decette difficulté : autour d’un mêmeprogramme de recherche, portantsur les usages des technologies del’information et de la communication(TIC) en contexte professionnel,sont représentées des entreprisesde secteurs très variés ainsi que de grandes administrations. Pourtoutes ces organisations, laquestion de la transformation desactivités par la mise en œuvre desTIC et leur appropriation par les collectifs de travail recouvre desréalités fort différentes. Cependant,malgré cette difficulté initiale, lanotion d'usage peut être « encadrée »afin de correspondre au mieux à la multitude des enjeux à traverslesquels elle est envisagée.

Commençons par poser :

- que l’usage n’est pas un objeten soi : qu’il est une manièrede voir et de faire émerger denouveaux problèmes afférents àla diffusion des TIC plutôt que lapierre philosophale de la créationde valeur ;

- que le champ d’étude ouvertpar ces questions est pluri etinter-disciplinaire, et que, quandil est rapporté aux systèmes d’information (SI), domaine lui-même pluri- et trans- disciplinaire,on gagne encore en complexité.

L’usage questionne uneréalité organisationnellecomplexe

Traversée par de nombreux courantsde pensée, la notion d'usage poseles questions suivantes :

- Comment les TIC s’insèrent-ellesdans les pratiques quotidiennesde leurs utilisateurs ?- Comment ajuster les normescollectives aux singularités indivi-duelles au sein des organisations ?- Quels sont, dans les organisations,les aménagements possiblesentre autonomie et contrôle parles TIC ?

Les usages des systèmes d’information : une politique du quotidien

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1 Valentin BRICOUNE, 2004, La dynamique de l’usage en contexte organisationnel, éléments préliminaires,CIGREF, Cahier de Recherche n°1

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De nombreux discours associésaux TIC tendent fréquemment à simplifier la complexité des interrelations entre la technologie etles organisations. Les transformationstechnologiques et organisationnellesdont les organisations, publiques ouprivées sont le foyer, sont parfoisd'autant plus difficiles à interpréterque les discours managériauxassociés à l'attrait pour le potentieldes technologies de communicationcréent parfois des concepts quin'ont qu'un faible pouvoir explicatif2.Ils nous renvoient à la question desenjeux évoquée en introduction. Onpourrait dire que la réalité organisa-tionnelle y est souvent envisagéeau travers de modèles qui, le plussouvent, en réduisant en schémasla dimension sociologique essen-tielle de l’organisation, en évacuentcertains traits. Or, s’il est crucialpour le management de produire undiscours opérationnel, applicable,celui-ci s’accommode assez mal de la complexité des phénomènesd’usage. Il manque peut-être à cesexposés le souci de proposer desgénéralisations qui soient fondéessur la concrétude de situations, surl’analyse de pratiques de travailinstrumentées par les TIC.

Si l'on suit la littérature managériale,l'entreprise de demain est une « entreprise en réseau », une « entreprise virtuelle ». Lestélécommunications permettent

l'éclatement et la délocalisation de l'entreprise mais surtout, les TIC permettent « d'accroître sacompétitivité ». C’est donc biend’un effet direct des TIC sur l’orga-nisation et ses performances qu’ilest question. Pourtant, malgré cesfortes attentes, les observationseffectuées dans ce domaine plaident pour la construction d’expli-cations plus complexes, où lesinteractions entre les technologieset les formes d’organisation de l’activité ne s’interprètent pas entermes « d’effets » ou « d’impact »3.Avec la question des usages, ons’attaque de front, non plus aux discours ou aux prévisions, mais àla réalité concrète des situations,aux échecs des projets, aux difficultésde mises en œuvre, aux interac-tions, dans les organisations, entreles individus, leurs métiers, lesoutils à leur disposition et leurs univers de représentations et deréférences. Or la réalité des organi-sations est complexe, c’est unconstat ancien : « Dans l’entrepriseoù l’origine des règles n’est généra-lement pas très mystérieuse et où elles paraissent hautementrationnelles (motivées, ayant unobjectif précis, d’efficacité démontrée),leur ensemble est loin d’être toujours cohérent. Non seulementparce que coexistent des technologiesd’âge différent ou de nature différente, avec des règles spéci-fiques (de contrôle de travail ou

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Cahier n° 2 33

2 « Dès les premiers instants de la vie d’une technologie au sein d’une organisation, de nombreux acteurs(consultants, constructeurs informatiques, concurrents, fournisseurs …) ou des forums d’information (journaux,conférence, formation…) contribuent à donner un sens à la technologie. Ils alimentent de véritables cyclesmédiatiques autour des nouveaux objets techniques. Le choix et les modalités de mise en œuvre d’un nouveloutil informatique ne sont donc pas un phénomène isolé. Il constitue au contraire un phénomène social ouvertqui amène à reconsidérer les processus d’adoption technologique par et dans les organisations » in SabineCARTON, François-Xavier de VAUJANY, Cécile ROMEYER, 2003, Le modèle de la vision organisante : un essaid’instrumentation, Système d’Information et Management.3 Ce point est plus largement développé dans le Cahier n°1 de La recherche au CIGREF : http://www.cigref.fr.Nous renvoyons également aux Actes du Colloque : Crée-t-on de la valeur par l’usage ou par la sophisticationtechnique ? Egalement disponible sur le site Internet du CIGREF.

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d’assiduité ou de récompense del’efficacité). Mais aussi parce quecoexistent, côte à côte, d’un serviceà l’autre ou de manière stratifiéeselon les problèmes à traiter, dessystèmes de gestion différents, toutparticulièrement pour la gestion dela main d’œuvre. Ces systèmes,tant que l’on n’a pas éliminé tousles autres (c’est-à-dire toujours,sauf au terme d’une longue périodesans changement) forment unensemble non cohérent, dont lesprescriptions s’entrecroisent et parfois se contredisent. On pourraitappeler « formation organisationnelle »cette coexistence difficile de systèmes différents. Mais faut-il forger un terme puisque cette situation logiquement et pratiquementinconfortable est la situation la pluscourante d’une organisation4? »C’est parce que les organisationssont essentiellement des systèmessociaux complexes que la prise encompte de facteurs - au premierabord fort éloignés de l’ingénierietechnologique et de la modélisationdes circuits de l’information - peuts’avérer déterminante quand il s’agit d’y mettre en œuvre desoutils dont l’usage en modifie leséquilibres.

La diffusion et l’appropriation des TICdans les organisations ne répondent pas à un modèle unique

L’organisation contemporaine estcaractérisée par sa forte flexibilité,des frontières qui se distendent etla généralisation d’un mode d’orga-nisation par projets qui se traduit

par la recomposition perpétuelle deses unités, en fonction de sesbesoins. Les TIC supportent icil’accroissement important desbesoins de coordination (internes etexternes) dans les organisationscontemporaines dont elles modifientgénéralement les circuits de régula-tion. Dans ce contexte, localement,au niveau des métiers, l’introductiondes TIC dans l’entreprise n’estjamais neutre, bien que ses consé-quences ne soient pas homogènes.

Elle se traduit, par exemple, pourcertains utilisateurs, par la prise encharge d’activités supplémentaires,notamment de rédaction et d’éditionde documents ou de recherche d’informations auparavant déléguéeset qui ne sont pas ou peu valorisées.

Exemple : L’un des membres duCIGREF, alors qu’il souhaitait installer dans certains ateliers deproduction, des postes permettantle libre accès à l’intranet de l’entreprise,s’est vu opposer la forte résistancede la maîtrise : qui ne supportaitpas que les ouvriers aient accès à l’information sans passer par l’encadrement. L’argument évoqué :la consultation des bornes intranetne fait pas partie des pratiques professionnelles, c’est un divertis-sement improductif. En modifiant le point de vue, il est égalementapparu que cet accès immédiat àl’information dépossédait la maîtrisede son rôle de médiateur des informations sur l’entreprise etexpliquait son manque d’enthou-siasme vis-à-vis de cette innovation.Les réticences sont donc bien réelleset les transformations rendues possibles par les TIC mettent également en évidence un fort

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4 Jean-Daniel REYNAUD, Les règles du jeu, l’action collective et la régulation sociale, Armand Colin, 1989.

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besoin d’explication, de pédagogieet peut-être surtout de réflexion surles hiérarchies formelles et infor-melles effectivement à l’œuvredans les organisations.

Par ailleurs, dans d’autres contextesorganisationnels, l’implantation desoutils bureautiques a conduit à laresponsabilisation des individus età une coordination plus efficace desactivités.

Exemple : Quand on l’interroge surles transformations apportées à l’organisation depuis l’implantationdes TIC, cet autre membre duCIGREF évoque, par exemple, lamessagerie, qui contribue à accélérerle rythme de la circulation de l’infor-mation dans l’entreprise. Quand il était auparavant difficile de coordonner la logistique avec le lancement des produits, la messageriea permis de gagner en coordina-tion. La traduction concrète, pourson entreprise, de la généralisationde la messagerie, c’est la capacitéde gagner neuf mois de délai lorsdu lancement de nouveaux produits.

Au contraire, une technologie performante dans un contextedonné peut soumettre ailleurs lesindividus au travail à une logique del’urgence contre-productive plutôtqu’à améliorer les conditions deréalisation de leur activité profes-sionnelle.

Exemple : C’est, par exemple, la « dictature de l’email » à propos delaquelle des chercheurs de l’InstitutPsychiatrique du très sérieux King’s

College de Londres ont conclu queles salariés sollicités simultanémentpar les courriels, les minimessageset les appels téléphoniques sontsusceptibles de perdre jusqu’à 10points de quotient intellectuel, cequi équivaut à la perte d’une nuitentière de sommeil.

Ces évolutions du travail - où l’infor-mation médiatée5 par la technologieoccupe une place importante etjusque-là inédite parce que généraliséeen tant que matière première denombreuses activités - ont été étudiées et mises en concepts. Lanotion de « travail d’information »issue des travaux de Brigitte Guyotéclaire ainsi ces transformations. Lechercheur souligne que « [l’activitéd’information] a toutes les caracté-ristiques d’une activité, à ceci prèsqu’elle fait partie des activitéssecondaires, de soutien du travail,même si, dans certains métiers, elleen constitue le cœur6. » L’étudedes gestes quotidiens des acteursen matière d’information conduitedans plusieurs entreprises, met en évidence la nature invisible de l’activité d’information alors mêmequ’elle pèse parfois très lourd surleur temps et leurs compétences.Au travail, avec les TIC, les écritsélectroniques viennent ainsi s’ajouteraux écrits papier. Le travail symboliqueest ainsi en augmentation au seindes entreprises en même tempsque se développe la formalisationde l’activité et de ses procédures au travers des écrits de suivi et de contrôle (synthèses, comptes-rendus) et de la généralisation desoutils de gestion. Pourtant, ces activitésne sont pas systématiquementconsidérées comme légitimes :

La Recherche au CIGREF

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5 On parle d’information médiatée plutôt que médiatisée dans le contexte de la communication instrumentée parles TIC pour la distinguer des contenus produits et diffusés par les entreprises médiatiques.6 Brigitte GUYOT, 2004, Eléments pour une approche informationnelle dans les organisations, Sciences de lasociété n°63, PUM.

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« Quand on lit au travail, c’est qu’onn’a rien à faire ». Provocation oudécalage patent entre l’activité detravail et son encadrement ?L’étude des profils de postes, desobjectifs et de la lettre des contratsde travail confirme cet écart : l’activitéd’information, où les TIC jouent unrôle désormais essentiel, n’y estpas ou trop peu, prise en compte.

Le modèle de diffusion et d’appro-priation des TIC dans l’entrepriseest donc marqué par l’hétérogénéitédes situations et « les observationssemblent indiquer que c’est moins latechnique en soi qui est déterministeque ses mises en forme singulièreset les conditions de leur mise enœuvre7 » . Plus que les technologiesse sont donc ses mises en œuvreparticulières qui doivent être aucœur des efforts de compréhension.

Il faut donc remettre en question lesnotions « d'impact », de « causalité »des TIC, « des conséquences » deleur emploi sur le travail : « les TICcréent rarement des usages ex-nihilo, ils viennent généralementéquiper et ainsi développer des pratiques déjà existantes8».L'ordinateur, les TIC, sont donc à lafois causes et conséquences et cescatégories ne s'appliquent doncguère à l'analyse des TIC encontexte professionnel.

En effet, des travaux empiriquesmettent en évidence les interrelations

entre technologies de l’informationet organisation, mais soulignentégalement leur complexité : d’uneorganisation à l’autre, les implica-tions de l’implantation des TIC sontdiverses et peuvent même êtrecontradictoires. Ces recherchesrévèlent également que, bien queles changements techniques etorganisationnels soient interdépen-dants, les entreprises ne les envisa-gent que rarement simultanément9.

Trop souvent, les outils sont envisagéscomme des solutions aux problèmesrencontrés alors qu’ils ne peuventêtre, au mieux, que les instrumentsau service de ces solutions.

Systèmes d’informationet systèmes d’actionconcrets

L’influence de la technique sur l’organisation du travail est encoreaujourd’hui le paradigme dominantdans les organisations. On confieaux experts de la technologie lesoin de formaliser les modes d’organisation du travail, on prête àla technologie le pouvoir de les faireévoluer. Pourtant, les technologiesde l'information et de la communi-cation ne peuvent avoir de purseffets déterministes sur les structuresde coordination et sur la performancedes organisations. L'analyse de leurinscription dans les entreprises - etau delà, dans le fonctionnement

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7 Pierre-Jean BENGHOZI, Béatrice VACHER, 1997, Les entreprises face à l’écrit électronique, in Actes du premier colloque international Penser les usages, ADERA, Bordeaux, 1997.

8 Frédéric MOATTY, Françoise ROUARD, 2005, Lire et écrire durant les heures supplémentaires, Tempos n°3.9 David MULHMAN, 2001, De nouvelles technologies à l’image des vieilles organisations, Sociologie du Travailn°3.

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des systèmes d'action concrets10

qui la constituent - passe par une observation approfondie et unecompréhension fine des nouvellescapacités d'action collectives queles organisations doivent acquérirpour optimiser la mise en œuvredes TIC. L’analyse des modes d’organisation du travail ne doitainsi pas faire l’économie de l’étudedes relations de pouvoir11 que l’entrée technologique ne révèlepas : « [Le construit organisationnel]est fondé sur l’instauration des relations de pouvoir, là où le législateurindustriel avait cru, ou voulu, organiser des rapports simplementtechniques. […] Les stratégies enprésence ne se comprennent quepar rapport à cette structuration dupouvoir qu’elles conditionnent enretour. […] La dimension politiqueest consubstantielle à toute actionorganisée12 » . Il apparaît clairement

que la compétitivité apportée par lesTIC se joue autant sur l'adaptation del'organisation et ses mécanismesd'apprentissage et de régulationque sur la mise en œuvre des technologies.

On pourrait multiplier les exemplesà l’infini ; rappeler qu’au sein d’unemême entreprise, il y a ces projetsTIC qui « prennent », et ceux qui ne« marchent » pas, sans qu’on dis-tingue encore clairement ce quidétermine l’un ou l’autre résultat. Ladémonstration en est faite : pourceux qui s’intéressent au potentieldes TIC pour les organisations, ilest nécessaire de ne pas tomberdans « l’illusion technologique » oùles contraintes intrinsèques desoutils déterminent les modes de sonappropriation : « Il faut se garder desraisonnements du genre : telle sour-ce d’incertitude « objective » [ici, les

La Recherche au CIGREF

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10 Dans Le pouvoir et la règle, Erhard Friedberg définit le système d’action concret comme : « Un ensemble dejeux dont les règles et les conventions (formelles et informelles, explicites ou tacites) disciplinent les tendancesopportunistes des acteurs et canalisent, régularisent, en un mot rendent plus couteuse sinon toujours prévisible,leur défection en rigidifiant les mécanismes d’échange et en opacifiant l’espace des transactions pour aménagerainsi des zones de négociations possibles », in Erhard FRIEDBERG, 1997, Le pouvoir et la règle. Dynamique del’action organisée, Seuil. Pascal Roggero complète ainsi la définition : « Il semble important d’insister sur lecaractère de construit politique du système d’action concret. Il est « construit » dans la mesure où il résulte de lastabilisation des relations entre acteurs et il apparait « politique » car procédant de l’interaction stratégique desacteurs, et donc de leur pouvoir. Médiatisant les relations entre les acteurs, conditionnant leurs perceptions etleurs échanges, le système d’action concret participe à leur constitution. La relation est récursive : l’acteur et lesystème sont co-constitutifs », in Pascal ROGGERO, 2000, La complexité sociologique : éléments pour une lec-ture complexe du système d’action concret, Cahiers de recherche du LEREPS, Université de Toulouse I.11 La notion de pouvoir quand elle est rapportée au fonctionnement de l’organisation est généralement négative-ment connotée. Pour la sociologie des organisations, c’est un concept central dont la définition mérite d’être pré-sentée puisqu’elle la décharge, dans une perspective opérationnelle, de ses connotations : «C’est la réflexion surle pouvoir qui va nous permettre d’analyser ce construit [organisationnel], car, en tant que mécanisme fondamen-tal de stabilisation du comportement humain, c’est le pouvoir qui est le fondement de l’ensemble de relations qu’ilconstitue. […] Le pouvoir est une relation et non un attribut des acteurs. Il ne peut se manifester que par sa miseen œuvre dans une relation qui met aux prises deux ou plusieurs acteurs dépendants les uns des autres. Dansla mesure où toute relation entre deux parties suppose échange et adaptation de l’une à l’autre et réciproque-ment, le pouvoir est inséparablement lié à la négociation : c’est une relation d’échange et de négociation », Ibid.p 66.12 Michel CROZIER, Erhard FRIEDBERG, 1977, L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective,Seuil.

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TIC], structurelle, aux mains de telgroupe, donc tel pouvoir, donc telcomportement ou telle stratégie dela part de ce groupe. Il n’y a, en lamatière, aucun déterminisme sim-ple. […] L’existence objective d’unesource d’incertitude ne nous dit riensur la volonté, ou plus simplementla capacité des acteurs de véritable-ment saisir et utiliser l’opportunitéqu’elle constitue13 ».

Il n’est évidemment pas question deminimiser ou de mettre en cause lerôle fondamental de l’expertise tech-nologique en matière de systèmesd’information. Il s’agit plutôt depointer ce qu’il faudrait nécessaire-ment lui adjoindre pour maximiserles probabilités de réussite dans uncontexte essentiellement complexe.Ce qui reste ainsi à traiter, ce ne sont pas tant les outils, les TICpour elles-mêmes, mais bien lesinteractions entre les trois termesque sont : les outils, les formesorganisationnelles considérées, lessystèmes d’action concrets au seindesquels elles doivent êtredéployées.

L’idée est simple : La technologiene peut pas être comprise en-dehors de son contexte d’utilisation,de son appropriation. Ce contexteest social et les interactions qui s’yjouent sont marquées par leurcaractère stratégique : « On nerépétera jamais assez cette assertionfondamentale : il n’y a pas de systèmessociaux entièrement réglés oucontrôlés. Les acteurs individuelsou collectifs qui les composent ne

peuvent jamais être réduits à desfonctions abstraites et désincar-nées. Ce sont des acteurs à partentière qui, à l’intérieur descontraintes souvent très lourdesque leur impose « le système »,disposent d’une marge de libertéqu’ils utilisent de façon stratégiquedans leurs interactions avec les autres. La persistance de cetteliberté défit les réglages les plussavants, faisant du pouvoir en tantque médiation commune des stratégiesdivergentes le mécanisme centralet inéluctable de régulation de l’ensemble14 ».

L’outil et l’usage ne doivent pas êtreconfondus. C’est l’appropriation parles acteurs, par le système social,qui définit le rôle d’un moyen d’information et de communicationen construisant son usage. Certainséconomistes et gestionnaires parle-ront ainsi de processus interactif deco-production. C’est pourquoi laquestion de l’usage est à ce jourconsidérée comme une piste pour lacompréhension de ces phénomènescomplexes d’interaction entre lesTIC, les formes organisationnelleset les systèmes humains. L’usage,c’est le point, à la jonction des troistermes, le lieu où l’analyse peutopérer. Elle passe par l'observationet la compréhension des activitésde travail en contexte et des pratiques des utilisateurs. Loin den’être qu’un constat trivial, cetteproposition consiste en un renver-sement : celui de la prise en compte de l’enjeu de l’usage dessystèmes d’information non plus

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13 Ibid, p 84.14 Ibid. p 30.

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seulement comme un problèmed’ingénierie technologique, maiségalement comme une affaire de politique. Au sein d’une organi-sation, l’activité de travail estessentiellement collective. Les pratiques individuelles formant système, elles ne peuvent êtreisolées que de manière formelle :

Exemple : Pourquoi, dans ce serviceconsacré aux études, le projet d’implantation d’une base deconnaissances mutualisée a-t-il étéviolemment rejeté par ses utilisa-teurs, tous chercheurs experts dansleurs domaines respectifs ? Ils ontpourtant collectivement participé àla définition formelle de leur besoinet leur formation universitaire -peut-être trop rapidement - traduiteen « culture de métier » indiquaitbien qu’un tel outil ne manqueraitpas d’améliorer la coordinationentre individus et champs d’expertises.C’était peut-être sans compter que,dans le contexte de ce service,intervenaient d’autres facteurs.Evidents pour certains - des primesindividuelles au brevet : plus loin-tains pour d’autres - des formes dereconnaissance et de gratificationssymboliques : ils ont concouru à ceque les domaines de connaissancesdeviennent des ressources indivi-duelles dont l’échange ne pouvaitqu’être toujours ponctuel et négocié.Le projet sera plus tard qualifié de « naufrage » par ses concepteurs15.

Les recherches contemporaines ensociologie de la technique et ensociologie de l'innovation ont ainsidémontré que, pour qu'une innovationtechnique réussisse, il convient queles différents acteurs d'un systèmetechnique s'entendent sur un cadresocio-technique commun1 6 .

Le cadre socio-technique :cadre de fonctionnementet cadre d’usage

Le cadre socio-technique a deuxcomposantes :

- le cadre de fonctionnement, quirassemble les solutions techniquesretenues ;- le cadre d'usage, qui constituela référence des utilisations effectives.

Le cadre d'usage, comme le cadrede fonctionnement, s'élabore aucours d'un processus complexe. Ilcommence par la confrontationentre les différentes représentationsde la technique. S'en suivra un travail de concrétisation17 : la traductionphysique, en objet, d'un systèmeintellectuel.Les premières utilisations conduirontensuite à une modification du cadred'usage : on constate alors un phénomène de rétroaction par rapport au cadre initial. Dans l'inno-vation stabilisée, le rapport ducadre de fonctionnement au cadre

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15 Yanita ANDONOVA, 2004, L’enchevêtrement des techniques, des discours et des pratiques en milieuindustriel. Contribution à une approche des usages des TIC, Thèse de doctorat, Université Paris IV-Sorbonne.

16 Patrice FLICHY, 2003, L’innovation technique, récents développements en sciences sociales. Vers une nouvelle théorie de l’innovation, La découverte.17 Gilbert SIMONDON, 2001, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier.

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d'usage est décrit par Patrice Flichycomme un « alliage » : il est impossiblede distinguer l'un de l'autre et lerésultat n'est pas comparable à lasomme des parties : l'alliage estune « nouvelle entité »18 . Cet alliagedes deux cadres n'est pas le fruitd'une nécessité extérieure, il estune solution parmi un ensemble depossibles. La particularité de cerésultat est qu'il est le fruit d'unesérie de médiations ; processus aucours duquel un grand nombre de possibles, d'alternatives, sontévacués. La formule de l'alliages'affine jusqu'à aboutir à un phénomènede verrouillage socio-technique oulock-in.

Une fois le cadre socio-techniquestabilisé, les acteurs le considérerontcomme une boîte noire. Ils peuventcependant influer sur des élémentsdu cadre, même si la marge de leurintervention se réduit : « On seretrouve alors dans une situation oùl’interaction entre les deux cadresdevient plus faible19 » On peut parexemple, imaginer que l’un descomposants du cadre de fonction-nement puisse être remplacé parune innovation plus performantesans que le cadre d’usage soittransformé : ce qu’aucun desacteurs n’aurait intérêt à faire.

Cadre socio-technique, cadre d’usage, dimension sociologique etpolitique des projets : ces expressionsne doivent pas laisser penser queles propositions précédentes soientdéconnectées des préoccupationsdes praticiens des systèmes d’infor-

mation dans les organisations. Ils’agit bien au contraire de prendredéfinitivement acte du caractèreessentiellement polémique et stra-tégique du quotidien des organisa-tions, c’est-à-dire le milieu où lesoutils seront finalement utilisés (ounon) conformément aux objectifsayant motivés leur mise en œuvre(ou non).

L’hypothèse, c’est qu’un « zest » decette politique du quotidien pourraitprofiter aux démarches traditionnellesde conception et de mise en œuvredes outils. L’analyse stratégiquetelle qu’elle a été présentée parMichel Crozier et Erhard Friedberg -et dont nous avons ici tenté de présenter certains des conceptscentraux en les transposant audomaine des systèmes d’information -consistait déjà en une telle proposition.Elle a été traduite en méthodesopérationnelles qui font partie dubagage des praticiens de l’organi-sation. Dans la perspective quinous intéresse, c’est bien d’organi-sation de l’information dans l’entre-prise qu’il est question. Or, l’infor-mation n’est pas un flux circulantdans l’éther. Elle est une ressourcerecherchée sur laquelle se fondedes statuts. Elle est associée à desprérogatives, des champs d’expertise,elle participe à la construction des identités professionnelles. Savocation fonctionnelle ne peut pasocculter qu’elle participe simultané-ment aux stratégies des acteurs del’organisation. Plus qu’une tendancenaturelle à résister au changement,c’est certainement parce qu’elle bouleverse un équilibre des positions

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18 Patrice FLICHY, 2003, L'innovation technique, récents développements en sciences sociales. Vers une nouvelle théorie de l'innovation, La découverte.19 Ibid. p 223.

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toujours renégocié que la modificationde l’organisation du système d’in-formation doit prendre en comptedes facteurs qui, au premier abord,peuvent n’avoir aucun rapportimmédiat avec la technologie.

On peut interpréter dans ce sens lanotion d’information adhérente(sticky) développée par Eric VonHippel20. Pour l’auteur, certainesdonnées nécessaires à l’analyse dutravail ne sont pas formalisablesparce qu’implicites, omises ouvolontairement cachées. Pourtant,certaines d’entre elles constituentdes éléments cruciaux de la résolutionde situations problématiques : « Ilest difficile de faire une copie carboned’un détecteur d’ondes gravitation-nelles. Vous pouvez rapidement enobtenir un modèle approximatif.Mais il peut apparaitre que ce quiest crucial pour son fonctionne-ment, c’est la quantité de graisseutilisée par l’opérateur pour le fonctionnement des transduc-teurs… Ou que ce dernier ait oubliéde vous dire qu’il calait un exem-plaire de Sciences & Vie sur lecapot pour ajuster le poids dudétecteur… Et que c’est justementtout ce qui fait la différence21» Cen’est finalement pas tant ce dont les« gens ont besoin » et qu’ils sontgénéralement capables de formaliserqui s’avère décisif pour la réussited’un projet, c’est surtout en s’atta -chant à décrypter les logiques et lesstratégies qui émergent quand on se penche sur ce « qu’ils fontvraiment » qu’on peut naviguerentre les écueils de la complexitéorganisationnelle.

En continuation de ses activités d'échanges et de réflexion sur lessystèmes d'information au sein d'unclub d'entreprises, le programme duCIGREF s'est situé dès l'origine àl'entrecroisement de questionne-ments généraux sur les usages desTIC et des problèmes concretsauxquels sont confrontés les praticiens.Loin de se contredire, ces perspec-tives se complètent et s’interpellent.Les membres du CIGREF sont,depuis 35 ans, des experts du cadrede fonctionnement. La rapidité desévolutions technologiques et laconcurrence dans le contexte del'économie mondialisée conduisentaujourd'hui ses membres à déve-lopper au même niveau l'excellencedans la prise en compte du cadred'usage pour tirer parti des TIC.

C’est dans cette perspective queseront conduites, à partir de septembre 2005, deux études deterrain portant sur deux projets SI distincts au sein de deux organi-sations membres du CIGREF. Ladémarche consiste à faire participeraux projets la connaissance explicitéedes logiques d’acteurs, locales, quepeut révéler la participation à la viequotidienne des collectifs de travail.Pour en démontrer la pertinence,nous proposons de présenter icideux exemples, du point de vue desacteurs. Pour les réaliser, nousavons procédé à une série d’entre-tiens. Leur lecture fait apparaitre queles projets y sont mis en histoires.La rationalité n’en est pas absente,mais elle est fonction d’enjeux individuels ou collectifs divergentsplutôt que conforme au déroulementharmonieux d’un plan d’ensemble.

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20 Erik Von HIPPEL, 1994, Sticky information and the locus of problem solving : implication for innovation,Management Science n°4.21 Ibid. p223.

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Au début des années 90, pour leService Départemental d’Incendieet de Secours des Bouches-du-Rhône (SDiS13), la question de lacentralisation des appels d’alerteest un enjeu crucial. Les raisonssont multiples :� Un impératif réglementaire : « L’une des raisons qui nous ontconduit à centraliser, c’est pournous mettre en conformité avecla loi sur l’aide médicale urgentede 1986. Elle prévoit que, nor-malement, tout appel doit êtreinterconnecté avec le Centre 15 (le SAMU) pour avoir unerégulation médicale » ;

� La nécessité d’assurer l’égalitéde la réponse : « Il y avait deschoses qui se passaient dans lescentres de secours et dont nousn’étions pas forcément informés.Le fait de centraliser sur un seulcentre le traitement de l’alertenous a permis de visualiser lesus et coutumes de chacun,notamment en termes de tempsd’intervention » ;

� La nécessité d’assurer la qualitéde la réponse : « On ne pouvaitpas être sûrs, à l’époque où lesystème était communal, de laqualité de la réponse des preneurs d’appels ».

Après de nombreuses études, leSDiS13 identifie certains pointsfonctionnels d’organisation et lescontraintes qui en découlent :� Les contraintes techniques : « Nous voulions un outil évolutifet ouvert. Nous voulions un outilconçu à partir d’un noyau carto-graphique. Nous voulions unoutil qui soit pérenne dans letemps et qui puisse, dans unsouci d’ouverture, faire de lamulti-agence » ;

� Les contraintes organisation-nelles : « L’autre aspect, ça a étébeaucoup de communicationinterne et externe pour éviter dese retrouver dans la situationdésastreuse où l’outil, quel qu’ilsoit, soit mal pris en compte parles pompiers ». Le projet remettaitégalement en cause la gestioncommunale des centres desecours : « Les centres desecours dépendaient des collec-tivités territoriales, chacun voulant garder son 18 ». Ilbrouillait également les territoiresentre pompiers, gendarmes etSAMU : « Chacun voit un petitpeu son pré carré. C’est desmodes de pensée qui ne sontpas forcément identiques pourtout le monde. On a peur ens’associant à notre structure, deperdre son pouvoir ».

La centralisation de l’alerte au Service Départemental d’Incendieet de Secours des Bouches-du-Rhône 22.

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22 Ce cas a été réalisé dans le cadre du Master 2° année de management de la qualité dans les servicespublics de l’Institut de Management Public d’Aix-en Provence, cours de Claude Rochet, Professeur associé. Nous remercions vivement le colonel Marc Vitalbo, DSI, le lieutenant-colonel Philippe Agopian, Médecin, etMadame Catherine Paris-Laporte, infirmière, de s’être prêtés au jeu de l’entretien. Bien qu’il ne nous soit paspossible, pour des raisons de format, de présenter plus en détails le déroulement du projet, nous devons à leurstémoignages d’avoir pu cadrer les éléments les plus saillants de cette expérience.

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Pour répondre à ces contraintes,les tenants du projet identifient plusieurs fronts. Nous en retenonsdeux : la définition d’un enjeu collectif, susceptible de fédérer desacteurs aux objectifs divergents ; larecherche d’un prestataire qui soitégalement un partenaire, au fait desspécificités d’un monde professionnelmarqué par la culture de l’urgence.

La définition d’un enjeucollectif

L’ampleur du projet de centralisationde l’alerte du SDIS13 a pour corollaire d’impliquer un réseaud’acteurs très étendu, aux prérogativeset aux intérêts qui ne coïncident pasnécessairement. Les pompiers desBouches-du-Rhône ont obtenu uneforme de consensus en identifiantun axe fédérateur : « Si vous voulez, on a toujours présenté ceprojet come un projet opérationnel,dans l’intérêt des habitants desBouches-du-Rhône, dans l’intérêtde réduire les délais d’intervention,dans une idée de qualité. Ce qui faitque derrière, on ne pouvait pas nepas adhérer à ces principes desécurité et d’optimisation ».Mais un projet, c’est aussi du tempset l’appel à la responsabilité et à lavocation de chacun peut s’épuiser.L’intelligence des responsables futde savoir également mettre à profitl’intérêt individuel : « Non seulementon pouvait centraliser le 18, mais onpouvait payer plus rapidement lespompiers volontaires ! Il y avaitdonc un gain de productivité sur lagestion, et ça touchait directementle portefeuille des pompiers. Aprèsles premières réticences, la réussitede l’opération c’est quand on nousa demandé d’équiper les autrescentres : c’était plutôt l’inverse, onnous a obligé à poursuivre ».

Le souci de faire émerger les divergences et les conflits pourmieux les résoudre est caractéris-tique de ce projet, elle opère à tousles niveaux : les spécifications del’application sont produites collégia-lement, tout comme l’ensemble desprocédures de prises d’appels et derégulation médicale : « C’est un travail préalable important, avantmême de mettre en place un outilinformatique. Ce sont des règlesopérationnelles, un règlement opérationnel qui définit toutes lesrègles régissant les interventionssur le département. Nous avonsassocié les pompiers dés la rédactiondes procédures. Pour nous, c’estcapital. On ne peut pas avoir leuradhésion si on ne les associe pas.Ça, c’est la première chose ». Nousne sommes pas ici dans le meilleurdes mondes possibles mais dansun environnement où les efforts decertains acteurs sont tournés versla mise au jour et le traitement desconflits plutôt que sur leur évacuationau nom du bon déroulement du projet.

Des partenaires aux intérêts convergents

L’établissement d’un partenariat deconfiance avec un prestataire spécialisé dans le traitement centralisé des appels constitue, ànotre sens, un des aspects les plusintéressants du projet : « Nousavons évité les écueils des autresdépartements français en faisant letour des autres solutions installéessur des sites français. Mais noussommes également allés voir d’autressites, à l’étranger. Nous avons traversé les frontières parce quenous tenions à nos concepts debase mais qu’ils devaient être challengés si nous ne voulions pasaller dans le mur. »

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La recherche d’un prestataire commence par l’établissement d’unappel d’offre : « En tant qu’établis-sement public, nous avons dû faireun appel d’offre européen sur labase de notre cahier des charges.Plusieurs sociétés ont répondu,dont celle qui a été retenue :Intergraph, une multinationale quiéquipe plus de 150 sites dans lemonde, dont certains bien plusimportants que les Bouches-du-Rhône. Notre souci était d’avoir unoutil adapté. Le leur était ouvert etcomportait pas mal de points quenous recherchions. » Mais les solutions proposées présentaientégalement des lacunes : « Ils équi-paient les centraux téléphoniques911 aux USA qui sont pris en comptepar la police et interconnectés enmulti-agence entre les hôpitaux, lespompiers et la police. Mais il y avaitune forte prédominance « police » :il leur manquait une expérience « pompiers ». Elle existait, mais ellen’était pas suffisante.

Des éléments de contexte vontintervenir pour favoriser l’établissementd’un partenariat solide entre leSDiS13 et son prestataire. Ils n’étaientpas prévisibles, calculables, maischacun des partenaires saura lestransformer en opportunité.Premièrement, bien qu’il s’agissed’une société importante, Intergraphn’est pas, à l’époque, implantée enEurope : « Ce qui les intéressaitsurtout, c’était les feux de forêts et la gestion des groupes d’inter-vention ; situations très délicates.Par ailleurs, ils apportaient leurexpérience de la sécurité, notammentdes aéroports. Par rapport à cettevision là, le partenariat a pu prendrejour dans la mesure où ils avaientintérêt, eux aussi, à trouver un site de départ en Europe ».Deuxièmement, la demande du

SDiS13 coïncide avec la réécriturecomplète de son application parIntergraph : « C’étaient, je vousdirais, de bonnes conditions à l’époque : ils ont passé un partenariatavec, Microsoft, Bill Gates, et ont voulu redévelopper, réécrirecomplètement leur application…avec de nouvelles technologies. Ilsse sont tournés vers nous en nousdisant : « Ecoutez, on doit réécrire,on a 150 développeurs, avec deschefs de projets : est-ce que vousvoulez participer à l’étude ? ». Doncpas de problème : on est allé auxUSA et puis eux, surtout, sontvenus pendant trois mois avec leurresponsables de projet et leur équipede développement. D’entrée, on aeu un lien direct avec l’entreprise, la maison mère et le PDG de labranche. De leur coté, les Bouches-du-Rhône, ça a été un petit parcours, ils en font une référence ».

L’équipe d’Intergraph se déplacedonc sur site, en plus d’affiner leurexpertise en termes de groupesd’intervention, c’est avec une culturequ’elle va se familiariser. C’est ceque Marc Vitalbo, le DSI du SDiS13exprime quand on l’interroge : « Surla présence physique d’Intergraphdans vos murs : on peut très bienimaginer que cela se passe autrement. Quelles informationsn’ont pas pu être transférées autrement que par la présence physique intensive du prestataire ?- Ils n’avaient pas cette notion d’urgence, ils n’avaient pas cettenotion de métier. Vous savez moi àla base, je suis pompier, je ne suis pas informaticien. Je suisautodidacte dans ce domaine. Eux,ils sont experts dans leur domaine,en matière de téléphonie, de radioou d’informatique, mais il faut pouvoir décoder et montrer du doigtce que l’on a écrit sur le besoin

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fonctionnel et pourquoi on doit fonctionner comme ça. C’est undéroulement de l’opération. Lestechniciens ont toujours une solution, leur solution, sans voir sielle répond parfaitement et quelleest son incidence derrière. Moi, jevoulais anticiper, je voulais leurmontrer qu’il n’y avait pas qu’unesolution et que le chemin le pluscourt n’est pas forcément lemeilleur. Il ne faut pas que ce soitl’outil informatique qui oblige l’utilisateur ou l’institution à changer ».L’informatique doit s’adapter à uneorganisation conçue avant ledéveloppement.

Entre la première impulsion et lamise en œuvre, dix ans vont s’écouler. Mais le résultat est sansappel, la centralisation de l’alerteest effective, et les partenaires sont bien « gagnant-gagnant ».Intergraph, après les Bouches-du-Rhône, a obtenu d’équiper d’autressites : « Cette expérience desBouches-du-Rhône leur a permisd’ouvrir encore plus l’outil, d’apporterde nouvelles fonctionnalités quiaujourd’hui sont équipées et leuront permis d’obtenir de gros marchés chez eux. » Pour leSDiS13, au-delà du contentementd’avoir mené à son terme un projetdélicat, la réussite du projet se traduit en chiffres : « De ce partenariatavec Intergraph, eux en retirent un

bénéfice considérable puisque celales introduit sur un nouveau marché. Vous ? Qu’est ce que çavous a apporté ? - C’est très simple,la première estimation du marchéétait de 100 millions d’euros.Aujourd’hui, nous en avons dépensé50 millions. L’économie est directe.Deuxièmement, nous leur transmettonsun retour d’expérience tous les ans,avec des demandes d’évolution. Ils les prennent en compte gracieu-sement et ils les mettent en œuvrel’année suivante : on ne paie pas lamaintenance et l’évolution du produit ».

Nous ne prétendons pas faire decet exemple d’informatisation d’unefonction de traitement de l’informationun modèle à généraliser. L’écheveaudes contraintes structurelles, deséléments culturels, individuels ainsique les conditions particulières etsouvent favorables dans lesquelless’est déroulé le projet n’est certai-nement pas reproductible. Ce casparticulier nous conforte cependantdans l’hypothèse qu’au côté de lamaîtrise d’œuvre et de la maîtrised’ouvrage, concentrées sur la solutionopérationnelle, puisse légitimementfigurer une instance de médiationentre les contraintes du projet et lesdynamiques socio-organisationnellesauxquelles le projet ne manquerajamais de se confronter.

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Camille est Chef de produits vêtements / chaussants chezHORTI Cool, réseau de franchisésspécialisé dans la distribution deproduits et d’accessoires destinés à l’horticulture. Elle n’est dans l’entreprise que depuis quelquesmois. Le rayon textile, chez HORTICool, est en plein développement :les produits proposés étaientjusque-là peu nombreux et uniquementutilitaires. Camille aimerait pouvoirimporter les méthodes de travailacquises chez son premieremployeur dans le fonctionnementdu rayon pour en moderniser lagestion. Son objectif consiste à proposer aux points de vente uneoffre textile et chaussants qui ne serésume pas aux vêtements de travail. C’est dans cette logiquequ’elle a entrepris de faire développerune base de données produits,catalogue saisonnier de toutes lesréférences d’une collection. Le projet est engagé depuis quatremois et ne s’est pas déroulé sansheurts. Camille est nerveusementépuisée. C’est aussi le cas de sonéquipe. En quelques semaines de courses aux délais - le volant « fournisseurs » du projet doit impé-rativement être en place avant la findu mois de juillet pour que la prochaine collection puisse êtreassurée - le climat s’est durci et l’équipe s’est retournée contre elle :elle n’est plus disposée à lui concéder quoi que ce soit. Le projetinformatique, quant à lui, n’est qu’à

moitié achevé alors que la totalitédu budget a été consommée par lapremière phase « fournisseurs ».

Contrairement à l’exemple qui précède, ce n’est pas d’une succes-story qu’il est question. Les difficultésrencontrées, pour être communes,n’en sont pas pour autant triviales.En les exposant, nous ne préten-dons pas aligner en regard de chacune d’elles une série derecommandations éclairées. Ceque nous avançons en revanchec’est que leur caractère de banalité- qui provient de leur fréquence plutôt que de leur maîtrise – permetd’illustrer la nécessité d’associer àla mise en œuvre d’outils uneréflexion organisationnelle, qui s’attache à décrypter les logiquesd’acteurs, les jeux de positions, lescircuits et les mécanismes de régulation des systèmes d’actionconsidérés. Autant d’éléments quiparticipent, et donc peuven t expliquer, la construction des usages.

« J’avais vraiment besoind’un nouvel outil : je nepouvais plus travaillercomme ça »

Tout avait pourtant bien commencé.Après quelques mois passés dansl’entreprise, Camille peut s’appuyersur les bons résultats de son rayonpour demander à ce que soit débloqué

La mise en œuvre de la matrice fournisseurs du rayon vêtements / chaussants d’HORTI Cool23.

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23 Pour des raisons de confidentialité, cet exemple, contrairement au précédent, est anonymisé : les noms desindividus, des sociétés, et les secteurs d’activités sont fictifs.

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un budget pour développer une « base de données produits »,indispensable à la bonne gestion deson rayon : « En fait, quand je suisarrivée, il y avait une matrice produits. Quand je dis « matriceproduits », c’était un petit tableauExcel bidouilleux, qui n’était pasvérifié. C'est-à-dire que les gens[les fournisseurs] recevaient letableau, l’imprimaient tel quel et ledonnaient à nos clients… Enfin, auxmagasins. Les infos n’étaient pasforcément dans la bonne rubrique.Il n’y avait pas toutes les photos. Il yavait un conseil de rayon mais quiétait fait par le fournisseur.Personne ne s’en servait parce qu’ilne valait rien du tout ». Ce que n’aperçoit pas Camille, c’est quemalgré ses insuffisances, objecti-ves, ce document n’en a pas moinsla vertu de tenir ensemble unréseau constitué de fournisseurs,de magasins et d’un rayon, le sien.

La matrice produit, à l’interfaceentre ces trois systèmes d’action,doit donc être repensée : « Je nepouvais plus travailler comme ça. J’avais besoin de créer un historique en termes de produits, entermes de prix, en termes de critères techniques. J’ai demandé àce qu’on me débloque un budgetpour développer un outil de… Unebase de données, finalement. Unebase de données produits… avecla possibilité, derrière, de débou-cher… Que ça aille jusqu’au plande ventes… Aux silhouettes et auxpromotions de ventes. Bon, après,c’est de la gestion commerciale, cesera une autre branche du projet…Un autre coût aussi… Mais ceserait intéressant de la développer ».Le « besoin » de Camille n’est passi clair, il déborde largement du projet de base de données.Derrière sa demande d’outil, on

comprend que c’est l’organisationde l’activité du rayon qu’elle souhaitevoir évoluer : « Ça a été très difficile.Enfin, très long à mettre en place.L’idée, le cadre, je savais exacte-ment ce que je voulais. Donc j’ai ététrès claire là-dessus. Je voulais qu’ily ait des formules, pour que, unefois que je rentre mon prix d’achatet mon prix de vente, ça me calcule lamarge… Et puis moi, mes ambitions,ce que j’ai dans la tête… et puisconcrètement, ce qu’on pouvaitréaliser avec le budget que j’avais… Il y a eu ça aussi… ». Lasolution idéale est une solution globale, qui centraliserait entre lesmains de Camille tous les leviersd’action du rayon, des tâches courantes à l’analyse : « Mes ambi-tions ont été frustrées… Frustréesoui. Il y a toujours cette contraintebudgétaire. Plus on est libre dans lastructure de la base, plus il y a decroisement de données… Çadevient un outil décisionnel finale-ment… En fait c’est ça le truc, c’estque moi, dans ma tête, j’avais… Je voulais… Je le savais intérieure-ment… Je voulais un outil décisionnel,avec un croisement de données. Jevoulais faire des requêtes…Quelque chose de très fin ».

Le projet n’est pas bien circonscrit,entre les représentations queCamille en a « dans la tête » et lebudget effectivement débloqué, l’écart se creuse. Camille n’a pourtantpas expressément souhaité fairecavalier seul dans la gestion du projet. Elle a même commencé pars’adresser au Service informatique :« Au début, quand j’ai validé…Enfin, quand j’ai dit qu’il y avait un problème au niveau de nosoutils informatiques… Qu’il fallaitvraiment qu’on construise un outilinformatique pour traiter nos données, le service informatique

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est venu me voir. J’ai expliqué monproblème et mon projet. On m’a dit« Oui »… Mais on m’a dit aussi : « Dans deux ou trois ans »… Là j’aidit : « C’est pas possible ! ». Moi,rien que ma prochaine collection…J’ai parlé de ça au mois de janvier,je commençais à travailler sur maprochaine collection au mois demars… J’avais besoin pour le moisde mars et eux me parlaient dedeux ou trois ans ! Donc, complète-ment inadéquat. Je l’ai dit : « C’estpas possible ! C’est très urgent etj’ai absolument besoin de quelquechose ! ».

Les contraintes des uns n’étant pascelles des autres, les délais deCamille ne coïncident pas avecceux, incompressibles, du Serviceinformatique dont toutes les ressources sont concentrées versla mise en place d’un ERP en 2007 :« Toute l’équipe informatique étaitmonopolisée. Toute l’équipe étaitvraiment absorbée à fond et on nepouvait pas me détacher quelqu’un ».On l’oriente cependant vers unprestataire connu de la société : « J’ai su qu’on faisait appel à unesociété informatique à côté. Pourquelques cas… De formationsurtout. Donc on m’a mis en contactavec la personne responsable dudéveloppement dans cette entreprise.Qui est venue, que j’ai reçue. Je luiai donné un peu mon cahier descharges. Ça a été très rapide. Etensuite il m’a évalué ça ».

« On n’est plus du toutdans les délais : ça vaêtre une catastrophe ! »

Des premières tentatives de forma-lisation à la première rencontreavec le prestataire, les délais deCamille se sont encore resserrés :

« J’ai commencé à être bloquée auniveau temps en fait… Parce qu’ilfaut savoir que, du moment où j’aidemandé en interne : « Attention,j’ai besoin de quelque chose »… Etoù on est revenu vers moi, il s’étaitécoulé au moins un mois et demi…Ça n’allait plus DU TOUT ! D’où letruc externe [avec un prestataireextérieur]. On a évalué ça. C’étaittrès correct au niveau prix. On asigné et il a fallu encore un mois deplus… Et voilà : j’ai pas eu letemps… ».

Le contexte : c’est l’urgence. MaisCamille n’est pas du genre à selaisser désarçonner : elle fonce.Mais cette accélération de lacadence a un coût qu’elle ne peutabsorber seule : il sera distribué surson équipe pour aboutir rapidementà une première version, insuffisam-ment finalisée : « Ça a été un travailénorme. Etienne, mon assistant atravaillé sur tout ce qui étaient lesdescriptifs techniques… Une foisque le module de base était construit, il a fallut qu’il rentre tout. Ilétait là aussi pendant tous les rendez-vous avec le prestataireparce que lui il captait plus toute lapartie manipulation de la base. Ilpouvait demander : « Si je renseigneça, est-ce que je peux faire uncopier/coller ? Est-ce que je peuxrajouter une colonne ? Si je fais ça,est-ce que ça a une conséquencesur la construction des segments ? »Parce que la matrice c’est famille,sous-famille, etc. A partir dumoment où on nombrait à chaquefois, on avait un problème de nombrequi se dupliquait… Sur les autrestrucs… Donc ça c’est Etienne qui l’avraiment géré… Il était tout seulpour le gérer… Et ça, ça s’est faitvraiment au fil de l’eau. Parce quec’est lui qui a tout fait. Ça a demandébeaucoup de temps »…

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Et les journées ne suffisant pas, il afallu compter sur la bienveillance del’équipe. Certains y laisseront leurssoirées, d’autres leurs nuits, jusqu’àce que l’élasticité relationnelle touche à sa limite : « Il n’y avait plusqu’Etienne là-dessus ! Qu’Etienne,c’est ce que je disais. Le reste, l’équipe de base… Parcequ’Etienne, il est en intérim lui…L’équipe de base n’a pas les capacités ou les connaissancesnécessaires pour traiter ce genred’outils… Et puis le mot urgence etla gestion de l’urgence, et l’efficacité,ça n’a pas l’air de faire partie de laculture d’entreprise. Moi j’ai pas dutout la même culture. Je ne suis pasdans la même dynamique. Toutel’histoire d’un projet c’est s’adapter,s’adapter. Et là, par rapport à lacontrainte de temps, l’équipe avaitdu mal à s’adapter. Elle a comprisl’urgence et l’importance, mais il yavait quand même une certaineforce d’inertie ».

Les enjeux, dans l’équipe, neconvergent pas. Etienne est intéri-maire, son investissement peut êtrerécompensé par une rallonge deson contrat. Pourquoi pas même unposte ? Les autres collaborateursde Camille ne partagent évidem-ment pas cette logique : embarquésmalgré eux dans une course folleaux délais, ils découvrent une nouvelle facette de la personnalitéde leur supérieur, d’autant plusautoritaire et directive qu’elle jouegros sur le projet : sa prochaine collection en dépend, mais le succès attendu, l’ambition, c’estque l’outil conçu pour le rayon puisseêtre généralisé à tous les autres.

Ça pousse d’un côté, ça freine del’autre, l’affectif est en jeu et lesrelations se dégradent, jusqu’auclash : « Je suis un peu à bout là…

Je suis hyper à bout, nerveuse-ment. Au niveau relationnel, ça faitsix mois que je gère la chèvre et lechou. Faut s’entendre bien avectout le monde. Donc t’arrives, parceque tu t’entends bien avec telle outelle personne, à ce qu’elle fasse çaen plus de son boulot. Il y a tout cecoté polish… Et moi, avec moncaractère… Je suis quelqu’un detrès speed, très directive. Je suisautoritaire. Là, pendant le projet, j’avais fais deux ou trois nuits où j’avais dormi trois heures, j’avaisl’air excédé… Ça se voyait. J’avaisfais tomber le masque. Et puis il y aeu ce petit clash… Ça se passebien, hein, mais il y a quand mêmeeu un petit truc de cassé ».

Et ce n’est qu’au bout de cetteexpérience, où le verni quotidiendes relations s’est écaillé, que l’importance des compétences relationnelles en situation de projetapparaît pour Camille : « La seulechose que je leur demandais, c’étaitd’avoir la patate pendant cettepériode là. Ce qui ne s’est pas bienpassé. Ça, c’est ma jeunesse aussi.Ça fait deux ans que je suis dans lemétier. Je ne peux pas exiger,comme ça, du jour au lendemain,des gens… Même si je leur avais dit :« Attention, il y aura un gros rush »…Ça n’a pas été entendu… Une foisde plus, c’est la communication…L’investissement, que je voulais del’équipe, c’était pas seulement lefait de rester jusqu’à trois heures dumatin. C’était de se donner et deréfléchir… C’est ça l’expérience ».

« Au niveau des fournisseurs, c’était la hotline ici ! »

En interne, les conséquences d’unprojet insuffisamment cadré se fontdurement ressentir. Le temps se

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contractant, au-delà de « l’informa-tique », il apparait également quecertains des utilisateurs clés du produit, les fournisseurs qui devrontdésormais formaliser leur offre dansla grille qui leur sera imposée, nesont pas informés du changement.Des difficultés relationnelles avecces acteurs émergent. Ils ne sontpas fondamentalement réticents,leur intérêt à figurer parmi les références du rayon dont Camille àla charge les pousse, au contraire,à collaborer. Mais ils découvrentavec l’outil dont une première version leur est rapidement livrée,que les exigences de présentationde leur offre sont renforcées. Aumieux, Ils ne sont pas en mesure derenseigner toutes les informationsdemandées. Au pire, ils ne disposentpas en interne des compétences oudes équipements informatiques quileur permettraient de manipuler la base : « Au niveau des fournisseurs, c’était la Hotline ici.Etienne répondait, il appelait, ilexpliquait tout. Et puis il faut s’armer de patience : faut êtresuper patient pour expliquer leschoses. C’est que ça les a changédu tableau Excel ! Du jour au lendemain, je leur ai demandé deremplir une vraie matrice avec desmenus déroulants, des critèrestechniques très poussés. Donc, lasecrétaire de base qui remplissaitça avant, elle n’était pas qualifiée.Donc ce sont les Chefs de produitsqui s’y sont mis… Hotline à 200%...On avait des gens en face qui, au niveau informatique n’y connais-saient rien ! Mais rien ! Hallucinant !Il y en a même qui n’ont pas voulules remplir. J’ai eu un refus ! ».

Malgré le soin apporté à la définitionde la matrice et les efforts d’organi-sation immédiatement consentis

par les fournisseurs, l’informationrecueillie est partielle. Pour la compléter, il faut doubler le nouveausystème et partir à la « pêche auxinfos » armé d’un téléphone et debeaucoup de patience : « Quand onreçoit la matrice renseignée par lesfournisseurs, Etienne la rentre dansle système. Si elle est bien remplie,ça va être absorbé par la base.Mais on se rend compte qu’il n’ypas les photos, pas toutes lesinfos… Etienne téléphonait pours’en dépêtrer… Parce moi, je suiscomme un fournisseur par rapport àmes magasins. Il faut que je leurvende quelque chose. L’outil, c’étaitun outil de vente pour moi aussi.Les fiches produits : c’est là que lesinfos sont importantes. Il ne doit pasy avoir d’erreurs de prix, les photosdoivent avoir une taille correcte. Çadoit être vendeur ».

L’outil, la matrice, va bouleverserles rapports inter-organisationnels,entre le rayon et ses fournisseurs.Le projet n’a jamais été penséautrement que comme « outil informatique ». Pourtant, il vient sesubstituer à une forme de conventionincarnée (le vieux tableau Excel)qui régissait jusque-là un mode derelations entre des systèmes d’acteurs différents. Ici aussi, cetteréforme imposée coûte : « Ça m’apermis d’assainir mon parc de fournisseurs. Pour moi, un fournisseurqui n’est pas capable de gérer ce genre de problèmes, d’outilsinformatiques, ce n’est pas un bonfournisseur. Ça rentre dans un processus : ça a permis de recadrertous les fournisseurs ».

Le bilan du projet est assez lourd.Les relations en interne se sontdégradées, et on peut supposerderrière « l’assainissement » du

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parc de fournisseurs un certainnombre de tensions. Quant à l’outil,il n’est pas terminé et l’on doit souhaiter, pour tous, que les prochaines phases se déroulent enintégrant l’expérience passée.

La manipulation des références ducatalogue, la nouvelle organisationdu circuit de l’information entre lesacteurs de ce système étenduconstitué d’individus, de procédureset d’interfaces, n’étaient donc pas àenvisager qu’en termes techniques.

La concrétude du projet, ce sontces arrangements locaux qui se fondent sur des paramètres souvent peu palpables mais quiconstituent la matière des mécanismesde la régulation socio-organisation-nelle. Le cadrage le plus fin ne suffira jamais à les résoudre. Ilssont la matière de la vie desorganisations. Ils peuvent cependantcertainement être identifiés pourdélimiter le ressort organisationneldu projet, son étendue et ses limites.

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La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 53

Hanène JOMAA

Chargée de programme CIGREFDoctorante Cifre*

DESS : Gestion des Télécoms et desNouveaux Médias, Université Paris IXDauphine.DEA : Economie Industrielle, UniversitéParis IX Dauphine, en cohabitation avec l'École Nationale Supérieure des Télécommunications (ENST Paris) et École Nationale Supérieure des Mines de Paris (ENSMP), en association avec l'ENSAE et le CNAM.Maîtrise : Sciences de Gestion, IHECCarthage Tunis.

CIGREF21, avenue de Messine75 008 Paris

Tél : +33 1 56 59 70 03E-mail : [email protected]

Résumé

Loin du temps de la «technologie invisible» de M. Berry (1983), où les acteurs semblaient ignorerle pouvoir des instruments de gestion sur leurscomportements, les ERP (Enterprise ResourcePlanning ou en français, PGI pour Progiciels deGestion Intégrée) sont considérés aujourd'huicomme des outils de gestion « très visibles » quiposent plusieurs problèmes : structurants, explosantles budgets, dépassant les délais… Les ERP sontmême considérés dans certaines entreprisescomme la source de tous les maux.

Mais qu'en est-il vraiment ? Le problème de l'ERPserait-il intrinsèque à l'outil ? Qu'est-ce qui fait queles projets ERP sont plus susceptibles de déraperque d'autres ? Pourquoi a-t-on du mal à estimerleur contribution à la valeur pour l'entreprise ?Quels sont les déterminants de cette contribution ?

Dans ce qui suit, nous tenterons d'apporterquelques éléments de réponses à ces questions.Nous remarquerons alors que, même si les acteursde l'entreprise sont aujourd'hui conscients de l'importance que peut avoir une technologie telleque l'ERP sur leurs activités, la compréhension decet impact, de la manière dont il régule les rapportssociaux et contribue in fine à la performance del'entreprise, demeure encore embryonnaire.

Les déterminants de la création de valeur par les TIC : le cas des projets ERP

* Conventions Industrielles de la Formation par la Recherche

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Notre contribution au Cahier derecherche n°1 du CIGREF a permisd'identifier, d'une part, les principa-les conceptions de la valeur de l'en-treprise et, d'autre part, les grandsprincipes d'une démarche d'évalua-tion de la contribution des TIC(Technologies de l'Information et dela Communication) à la valeur del'entreprise.

Les principales conclusions decette contribution étaient :

�La valeur doit traduire les choixstratégiques de l'entreprise1 ;

� La valeur dans sa dimensionobjective peut être appréhendéeselon 3 grandes conceptions : la valeur financière, la valeuropérationnelle et la valeurconcurrentielle ;

� La relation entre les investisse-ments informatiques et la valeurde l'entreprise n'est pas linéaire.Pour l'examiner, il faut adopterune approche processuelle plutôtque causale ;

� Pour étudier l'impact des TIC surla performance des entreprises, ilfaut analyser leur impact sur lesprocessus de travail, ainsi queles mécanismes de leur appro-priation par les acteurs ;

� L'analyse des processus d'ap-propriation de la technologie ne passe pas seulement parl'examen de l'interaction acteur -technologie, mais aussi (et surtout), par l'examen de l'inte-raction entre l'acteur et le processusde travail qui a intégré la technologieen question.

Dans ce second numéro desCahiers de recherche du CIGREF,nous nous proposons d'approfondircertains aspects de la démarched'évaluation des TIC (dont notam-ment, le rôle de la technologie dansla régulation des rapports sociaux)et d'appliquer cette démarche d'évaluation au cas des projetsERP.

Avant d'aborder cet objectif, nousferons dans un premier temps unpetit rappel (enrichi) des principalesconceptions de la création de valeurpar la technologie en s'attardant surles points suivants :

1. La création de valeur pour l'entreprise ;

2. La valeur de la technologie ;

3. Les principales approches d'évaluation de la contributiondes TIC à la performance de l'entreprise.

Introduction

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1 Exemple : Une entreprise qui vient de s'installer sur un marché peut parfois sacrifier sa rentabilité économiqueau profit d'une stratégie de conquête de part de marché. Elle trouvera alors dans la satisfaction de ses clients oul'augmentation de ses ventes des indicateurs de valeur plus pertinents que les bénéfices nets financiers parexemple. Cahier de recherche n°1 du CIGREF, p. 42, 2004.

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Qu'est-ce que la créationde valeur pour l'entreprise ?

La valeur de l'entreprise peut êtredéfinie d'une manière aussi bienobjective que subjective.Les travaux autour de l'impact desTIC sur la valeur de l'entreprise,retiennent trois grandes concep-tions de la valeur objective2 :� la valeur financière : taux de profit,rendement de l'actif, valeur dumarché… etc.� la valeur opérationnelle : pro-ductivité de la main d'œuvre, productivité du capital… � la valeur concurrentielle : part

de marché, avantage compétitif…La valeur objective se réfère auxchoix stratégiques de l'entreprise.Ses caractéristiques sont :

� multidimensionnelle, pour prendreen compte les diverses dimensionsdes objectifs stratégiques de l'entreprise. Une entreprise cotéeen bourse et installée sur un marché concurrentiel doit chercherà optimiser aussi bien sa valeurfinancière que concurrentielle.

� dynamique, dans la mesure oùelle évolue selon l'évolution deschoix stratégiques de l'entrepriseet des caractéristiques de sonenvironnement.

La Recherche au CIGREF

Rappel : de la création de valeur par la technologie

Cahier n° 2 55

2 Pour plus de détails, se référer au Cahier de recherche n°1 du CIGREF, 2004.

Valeur financière Valeur opérationnelle Valeur concurrentielle

Champsthéoriquesde référence

Théorie financièreThéorie

économique de la production

Théorie stratégique

Quelquesindicateursde valeur

Rendement de l'actif, taux de profit,valeur du marché,

rendement des fondspropres…

Productivité de lamain d'œuvre,

productivité du capital,productivité globale

des facteurs…

Avantage compétitif,flexibilité stratégique,

performance relationnelle…

Quelquesleviers decréation de valeur

Effet de levier (endet-tement), relations

dirigeants-actionnaires,relations avec les

salariés (stockoptions, épargne

salariale)…

Allègement desactifs, stock zéro,

créances zéro, sous-traitance,

partenariat, crédit-bail, outsourcing…

Compression descoûts, variabilisation

des charges, maximi-sation des parts demarché, innovation,

knowledge management…

Figure 4 :Les différentesconceptionsde la valeur

dans larecherche

en SI

Source : Cahier de recherche n°1 du CIGREF, 2004

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La valeur subjective est relative à laperception que peuvent avoir lesacteurs de l'entreprise de la perfor-mance de celle-ci. Son évaluationest plus délicate puisqu'elle met en jeu les intérêts des différentesparties prenantes de l'entreprise(actionnaires, salariés, dirigeants,clients, fournisseurs, concurrents…) ;des intérêts différents et souventcontradictoires.

La valeur de la technologie

Pour définir la valeur de la technologieou plus précisément d'un instrumentde gestion, nous nous référerons àla distinction proposée par P. Mayer(1981) entre valeur technique etvaleur institutionnelle :� La valeur technique se réfère àla valeur d'usage de l'instrument,celle sur laquelle on se réfèrepour choisir d'introduire ou pasl'outil en question. Exemple : introduire un CRM

(Customer Relationship Mana-gement) pour mieux améliorer larelation client, introduire un ERPpour améliorer la qualité dureporting, pour rendre l'informationplus transversale, la communicationplus fluide et plus transparente…� La valeur institutionnelle seréfère au rôle de la technologiedans la régulation des rapportssociaux entre les acteurs de l'entreprise l'ayant introduit.

La distinction que fait de Paul Mayer(1981) entre valeur technique (ouvaleur d'usage) et valeur institution-nelle, rend compte de cette doublefonction de la technologie, une doublefonction qui n'est généralement pasperçue comme telle par les acteurs: la valeur institutionnelle étant enpratique souvent cachée par lavaleur technique (M. Berry, 1983).

Pour illustrer cela, nous reprenonsle cas des règlements de sécuritéde Paul Mayer, repris par M. Berry(1983) :

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Valeur technique et valeur institutionnelle d'un instrument de gestion

« La fonction explicite des règlements de sécurité est d'assurer lasécurité : il s'agit donc pour les agents de respecter les règlements,pour les instances en charge de la sécurité de faire de bonnes règleset pour la hiérarchie de faire respecter ces règles. Voilà donc uneconception claire, simple et dont l'énoncé recueillera facilement leconsensus.

Mais elle ne rend pas compte de la complexité du processus quiconduit à la définition des termes même de la règle et de ce qui est enjeu dans son respect ou sa transgression […] ».

Michel Berry,Technologie

invisible, 1983

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Les principales approches d'évaluationde la contribution des TICà la performance

Le Cahier de recherche n°1 a permisde mettre en exergue la diversité et la multiplicité des résultats destravaux autour de la contributiondes TIC à la création de valeur.Selon les cadres théoriques etméthodologiques de référence, lesétudes aboutissaient à des résultatsconflictuels voire même contradic-toires.

Nous nous proposons, dans ce brefrappel, des études ayant traité dusujet de se focaliser sur deuxgrands types de théories de l'impactdes TIC sur la performance : le modèlecausal et le modèle processuel.

Le modèle causal :

Le modèle causal met en relationdes variables indépendantes (in-vestissements en TIC par exemple,ou budgets informatiques…) pourexpliquer des variables dépendantes(telle que la performance). Le processus par lequel les variablesindépendantes expliquent les variables dépendantes n'est pasobjet d'étude.

Deux grands courants s'insèrentdans ce type de modèle :� La théorie économique de laproduction Il s'agit des travaux qui ont suivile fameux paradoxe de Solow(1987)3 :- la technologie est considéréecomme un input parmi les autresinputs de la fonction de productionde l'entreprise,

- la performance est principale-ment basée sur la notion de productivité,- la démarche poursuivie pourexpliquer l'impact des TIC sur laperformance se base sur unedémarche plutôt causale.L'objectif principal est de trouverla forme de fonction écono-mique qui convient le mieux auxTI en tant qu'input et qui permetd'expliquer le plus de variancedans l'output (Raymond, 2002).

Selon le type de la fonction de production choisie, des donnéescollectées et de la définition retenuede la productivité, ces travaux ontabouti à des résultats ambigus, difficiles à généraliser.

� La théorie de l'information etde la décisionLes travaux relatifs à la théorie del'information et de la décision :- se focalisent sur le processusde création de la performance, - par rapport aux travaux de la théorie économique de la production, ils analysent plutôtle processus de transformationdes investissements informatiquesen performance en intégrantplus de variables intermédiaires. - La performance n'est plus can-tonnée à la productivité.D'autres indicateurs tels que laperformance concurrentielle,relationnelle, financière… sontaussi mobilisés.

Malgré l'apport des travaux de lathéorie de l'information et de ladécision dans la compréhensiondes processus de contribution desTIC à la performance, leur approchereste causale limitant ainsi l'intérêtde leurs résultats.

La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 57

3 " On voit les ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité ", Solow, R., 1987.

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Même si les études fondées sur lemodèle causal n'approfondissentpas la réalité du processus decontribution des TIC à la performancede l'entreprise, leurs résultats ontbeaucoup été repris, notamment enmilieu professionnel.

Le modèle processuel :

Le modèle processuel se proposed'analyser le processus par lequelles technologies contribuent à laperformance de l'entreprise. Plutôt quede se baser sur des déterminantsexogènes (variables indépendantes)pour expliquer la performance, lespartisans du modèle processuelexaminent les événements qui,suite à l'introduction d'une technologie,ont permis de contribuer à la perfor-mance de l'entreprise. Deux grandscourants se basent sur ce type demodèle :� Le courant sociotechnique

Le courant sociotechnique consi-dère l'organisation comme unensemble de sous-systèmes eninteraction, où le sous-systèmetechnologique et le sous-systèmesocial sont inter-reliés dans uncontexte organisationnel donné(Kéfi et Kalika, 2004).

Ce courant a beaucoup été mobilisépar les travaux sur l'évaluationdes SI. Parmi ses principauxapports :

- l'établissement d'une démarched'évaluation des TIC basée surl'examen de la relation entrel'acteur et la technologie.

- l'introduction de la notion d'adéquation (alignement ou fit)entre les sous-systèmes de l'entreprise et notamment entrele sous-système technique et lesous-système social.

Ainsi, le grand mérite de ce courantest d'avoir pu réconcilier l'objettechnique et le sujet individuel.Cependant, une de ses limites estde n'avoir pas clairement défini lesmécanismes d'interaction entre latechnologie et l'acteur (Liu, 1996,Kéfi et Kalika, 2004).

�Le courant structurationniste

L'apport majeur du courant struc-turationniste aux travaux relatifsà l'évaluation des TIC se trouveprobablement dans son analyseapprofondie des mécanismesd'interaction entre la technologieet l'acteur. Ce courant se basesur la théorie sociale de la struc-turation de A. Giddens (1984) qui se propose d'en finir avec ledualisme entre la structure etl'acteur pour établir une nouvellerelation de dualité où l'acteur et la structure se trouvent dans une relation d'interdépendanceréciproque.

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Figure 5 :Deux types de

théories del'impact des

TIC

Source : Raymond, 2002 adapté de Seddon (1997)

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Face à la simplicité proposée parles démarches causales, il n'esteffectivement pas évident de faireaccepter à des décideurs habituésà des grilles de décision expéditivesune démarche d'évaluation proces-suelle. Pourtant, le modèle processuelest plus pertinent que le modèlecausal pour l'analyse de la contribution

des TIC à la performance de l'entreprise, dans la mesure où il estplus fidèle à la réalité des entreprises.

Dans notre étude des déterminantsde la création de valeur des projetsERP, nous adopterons donc unedémarche processuelle en se référant principalement au cadrethéorique structurationniste.

Qu'est ce que l'ERP ?

L'ERP (Enterprise Resource Plan-ning) ou en français PGI (Progicielde gestion Intégré).J.L. Guffond et G. Leconte (2004)recensent les différentes concep-tions de l'ERP4 :

- «Un ERP est un méga outilinformatique du système d'infor-mation de l'entreprise, c'est unoutil qui rassemble et intègre ausein d'une base unique, l'ensembledes données et des savoirs degestion de l'entreprise…

- C'est aussi un outil conceptuel-lement situé entre standard etsingularité, entre ouverture et fermeture.

- Comme logiciel (c'est-à-direcomme application logicielleschématiquement constituée dedeux couches informatiques), sacouche générique prétend répondreaux besoins de plusieurs entreprises selon des solutions

éprouvées et référées à des bestpractices qui sont autant derègles standards de gestion, tandis que sa couche spécifique,configurable donc personnalisable,a pour objet de prendre en compteles caractéristiques particulièresde l'organisation à l'occasion d'unlong et fastidieux travail de paramétrage.

- L'ERP est également un outilcomposé de modules applicatifs(un par fonction analytique ordinaire de l'entreprise) aptes àdialoguer entre eux dans le cadred'un protocole d'échange convenudu fait de la base unique et de l'unicité des données traitées ;ainsi chaque module reçoit desinformations en provenance desautres modules et diffuse à sontour ses propres données auxautres modules ».

Par ailleurs, les auteurs différen-cient la définition de l'ERP donnéepar le sociologue de celle donnée

La Recherche au CIGREF

Démarche d'évaluation des TIC : cas des projets ERP

Cahier n° 2 59

4 P. 36, dans " Le mythe de l'organisation intégrée ", Revue Sciences de la Société N° 61 - 2004.

Page 60: La Recherche au Cahier n° 2 - CIGREF · 2012-10-22 · La Recherche au CIGREF Cahier n° 2 3 En 2004, le Cigref, conformément à son plan stratégique Cigref 2005, mettait en place

par le manager. Selon la littératuremanagériale, l'ERP est un outil quipermet de « piloter l'entreprise entemps réel, dans une perspectivetransversale ; il le hisse de la sorteau rang de point de passage obligé,voire de vecteur du changement, envue d'atteindre une nouvelle ère derationalisation industrielle5 ». Pourle sociologue, l'ERP est définicomme « la résultante d'un jeu d'acteurs internes ou externes6 ».

Pour examiner les déterminants dela création de valeur par les ERP,nous avons choisi de concilier cesdeux visions, qui ne sont d'ailleurspas exclusives, en considérantl'ERP comme : Un outil de pilotagede l'activité de l'entreprise capitalisantsur les meilleures pratiques de gestion, dont la performancedépend de ses mécanismes d'interaction avec la structure del'entreprise et ses acteurs.

Aujourd'hui, l'ERP est pointé du doigt par bon nombre de professionnels, par la presse informatique, mais aussi par plusieurs études scientifiques. Maisque reproche-t-on à l'ERP ?

L'ERP, source de tous lesmaux ?

En 1999, date charnière entre l'euphorie et la réalité des projetsERP, le CIGREF a publié un rapport« Retours d'expérience ERP » dressantun premier bilan des projets ERPdans les grandes entreprises françaises, qu'il a jugé « apparemmenttrès positif » :

- Un bilan très positif, puisqueaucun dérapage ou problème

majeur n'a été évoqué pour laphase de déploiement desprojets.

- Mais, en apparence seulement,puisque les retours d'expériencesde l'époque présentaient de grosses craintes unanimes quantà l'ampleur et au coût en termesde ressources pour les évolutionsdes versions, ainsi que pour lescompétences en interne.

Aujourd'hui, même si le bilan provisoire n'est pas tout noir, plusieurs craintes exprimées en1999 se sont effectivement confirmées.Depuis plus de trois ans, l'euphoriede la presse informatique autourdes ERP a laissé la place à desanalyses et des retours d'expériencesprésentant les ERP comme le pireoutil de gestion qui n'a jamais existé :

- Les délais de mise en œuvresont fréquemment repoussés,

- Les budgets sont « explosés etceux avoués sont généralementmaquillés »,

- Les systèmes sont trop chers,aux coûts non finis,

- Les modules promis ne sont pastoujours au rendez-vous ce quiimpose de nombreux développe-ments spécifiques, ou l'acquisitionde modules auprès d'un autreéditeur,

- L'installation d'un seul module,voire deux modules de l'ERP,conduit à une perte d'efficacitépar rapport à l'objectif initial de larationalisation par le tout intégré,

- L'image du tout intégré paraîtillusoire. Peu d'entreprises passent au tout intégré. Même

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5 Idem, p. 36.

6 Idem, p. 39.

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les éditeurs d'ERP trouvent qu'ilétait difficile de synchroniser correctement leurs propres appli-cations, puisque les versions n'évoluent pas toutes au mêmerythme selon les modules. Parexemple, suite à une évolution de version dans le module decomptabilité pour se conformer àune nouvelle réglementation envigueur, l'éditeur devra théoriquementfaire évoluer les versions de sesautres modules pour aboutir à unsystème intégré.- Le potentiel offert par les ERPapparaît très souvent sous- exploité.- Les entreprises ont du mal àévaluer l'apport économique deces projets qui ont tellementcoûté.

Cet avis est aussi partagé par bonnombre d'études scientifiques quitrouvent que les ERP imposent une certaine représentation de l'organisation et de ses modalitésde transformation. Ils réduisent lapossibilité d'avoir plusieurs repré-sentations d'une ou d'un ensemblede données en entreprise en causantainsi des rigidités cognitives (P.Gilbert et P. Leclair, 2004).

Le problème des ERP serait-il alorsintrinsèque à l'outil ?

L'ERP est-il un mauvaisoutil ?

En se basant sur une analyse comparée de plusieurs modèles demanagement, Gilbert et Leclair(2004) concluent à la faiblesse descaractéristiques intrinsèques del'outil :

- Les ERP aboutissent à des rigidités cognitives en limitant l'initiative des salariés. - Les ERP incitent à des structures

pyramidales. - Les ERP ne permettent pas d'évoluer vers des stratégiesréactives basées sur la détentionde compétences spécifiques.- Les ERP peuvent être assimilésà un taylorisme des processusassisté par ordinateur !

A travers cette analyse « génétique»,l'ERP apparaît donc comme unmauvais outil, il souffre de son affiliation objective à la tradition taylorienne (Gilbert et Leclair, 2004) :« l'éditeur d'un PGI repère, secteurpar secteur, les meilleures pratiquesdans un panel d'entreprises. Il selivre donc à une activité du mêmetype que le benchmarking en voguedans les grandes firmes depuisquelques années. Il codifie ensuiteces pratiques de gestion dans lesstandards de son outil informatique.Lorsqu'une entreprise fait l'acquisitiondu PGI, elle achète en même tempsles pratiques ainsi codifiées. Elleaccepte donc de se voir imposer,via l'outil, les procédures et les pro-cessus retenus par les concepteursdu PGI, quitte à modifier pour celases façons de faire antérieures.D'une certaine façon, le PGI réussitla synthèse de l'OST7 pour la micro-organisation et du reengineeringpour les processus. Il constituedonc l'accomplissement de la prophétie de Lutz et Hirsch-Kreinsen (1988) : l'avènement dutaylorisme assisté par ordinateur ».

Cette analyse se base sur le cou-rant du déterminisme technolo-gique, ou de l'impératif technolo-gique (Markus et Robey, 1988)selon lequel une technologie, entant que facteur exogène, peutdéterminer l'action humaine en pro-voquant des forces externes quiconduisent aux changements(Leavitt et Whisler, 1958).

La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 61

7 IO.S.T. : Organisation Scientifique du Travail

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Ce courant a très souvent été critiqué pour sa faible fidélité à laréalité. Aujourd'hui, très peu de travaux se basent sur ce postulat.D'autres théories, telle que la théoriede la structuration, proposent uneautre vision de la relation entre la technologie et l'organisation :l'impact des TIC dépend des inter-actions réciproques entre la technologieet l'organisation.

L'approche que nous nous proposonsde développer s'inscrit bien dans cecadre d'analyse : l'intégration d'unetechnologie dans une organisationse fait par construction partagée. Ilexiste une influence mutuelle et en perpétuelle évolution entre laconstruction de l'organisation (évolutionde la structure, organisation desprocessus, jeux d'acteurs) et la construction de la technologie(modalités d'intégration de l'ERPpar exemple, les modules intégrés…).

D'autres méthodes d'analyse réfutantl'hypothèse du déterminisme tech-nologique sont aussi mobilisées parles travaux de recherche sur lesprogiciels de gestion intégrée.Celles-ci admettent que les problèmesgénérés par les ERP sont plutôt liésaux conditions contingentes à leurmise en œuvre.

Denis Segrestin7 (2004), présentetrois grandes approches pour expli-quer l'importance de l'intégrationdes conditions de contingence dansl'analyse des ERP :

- La théorie de la contingence :l'intégration d'un outil dans uneorganisation ne peut être analysé

sans la prise en compte desconditions de contingence l'ayantaccompagnée (taille de l'entreprise,climat socio-culturel, secteurd'activité…). Exemples : Geffroy-Maronnat, ElAmrani, Rowe (2004) concluentque l'intégration d'un ERP dansune grande entreprise ne se faitpas de la même façon que dans une petite entreprise. Lespremières sont plus dans unelogique de contrôle, alors que lesdeuxièmes sont dans une logiqued'usage global et de fonctionne-ment transversal, décloisonné. Dans la même logique, l'analysede Boitier (2002) conclut queselon le contexte de l'application,des mêmes indicateurs de reportingpeuvent servir soit un objectif decentralisation de l'information etde contrôle soit un objectif degestion distribuée.

- L'analyse sociotechnique : SelonLemaire et Valenduc (2004) larationalisation technique estindissociable de l'aménagementdes rôles dévolus au personnel.La négligence de la composantesociale dans la gestion des projets ERP est une source deleur échec.

- L'approche des systèmes d'actioncomplexes : il s'agit d'une approchedominante chez les sociologuesmais aussi chez un certain nombrede gestionnaires (Guffond et Le-conte, 2004 ; Kessous etMounier, 2004 ; Bazet et Mayère,2004 ; Vinck, Rivera et Penz,2004). Segrestin (2004) définitles systèmes d'action complexes

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8 Professeur de sociologie à l'Institut d'études politiques de Paris et membre du Centre de sociologie des organi-sations.9 Cette approche est développée dans l’article de V. Bricoune : les usages des systèmes d’information : une poli-tique du quotidien, du Cahier de recherche n°2 du CIGREF

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comme des lieux de rencontreentre l'objet technique, les projetsmanagériaux et les acteurs. Ilexiste un effet mutuel entre laplace de l'outil dans l'organisationet le travail des acteurs9.

L'exemple suivant montre bien qu'àpartir d'une analyse basée sur leprincipe de l'interaction mutuelleentre la technologie et l'organisationet réfutant le postulat du déterminismetechnologique tant dénoncé, l'ERPapparaît loin d'être le mauvais outilredouté par tout le monde. Dansune analyse complémentaire à cetexemple, Denis Segrestin (2004)

conclut même que « l'ERP ouvre laporte de l'innovation plutôt qu'il nela ferme ».Mais, si l'on conclut que l'ERP n'estpas intrinsèquement un mauvaisoutil, qu'est ce qui fait alors que lesprojets ERP sont plus susceptiblesde déraper que d'autres ?

Qu'est ce qui fait qu'on a du mal àestimer aujourd'hui sa contributionà la création de valeur pour l'entre-prise ?

Quels sont les déterminants decette contribution ?

La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 63

Les ERP puissants outils d'organisation du changement industriel

Sur la base de onze cas industriels couvrant une large palette d'activités, Guffond J.L. et Leconte G. (2004) proposent une analyseconcernant « le second temps d'un projet ERP, celui de l'usage routinier et des pratiques courantes de travail, lorsque l'outil est relativement dégagé des « mythes managériaux » dont il est initiale-ment porteur (Segrestin, 2003) ».

L'objectif de cette étude étant de répondre aux questions suivantes :Quelles sont les modalités selon lesquelles le recours aux ERP trans-forme l'activité industrielle ? Comment elles sont appropriées, doncreconçues et reconstruites par les personnes et les organisations quiles utilisent ?

Le cadre théorique de cette étude est celui du courant des systèmesd'action complexes qui se base sur le principe de l'interaction entretechnologie et organisation à travers l'action des acteurs réfutant ainsil'hypothèse du déterminisme technologique e l'impact de la technologiesur l'organisation et de la possibilité de l'imposer comme standard.

Les principales conclusions de l'étude sont les suivantes : - Les ERP ne sont pas des outils passifs au profit des gestionnaires.Ils contribuent à « formater l'action », au point de produire des effetsnon prévus au départ (Berry, 1983).- L'ERP est un outil de standardisation. Oui, mais de standardisationvoulue. Cette standardisation qui apparaît comme « contrainte » audépart, devient « ressource » en de nombreuses circonstances. - L'ERP se définit ainsi comme le résultat du jeu des acteurs.- La contrainte de la standardisation est contrebalancée par l'apportde l'intégration.

Extrait de l'article

de J.L.Guffond et G.

Leconte « Les ERP,puissants

outils d'organisation

du changementindustriel »

dans Le mythe del'organisationintégrée, lesprogiciels de

gestion

RevueSciences

de la société, n°61 - 2004

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Pourquoi est-il difficiled'évaluer la performancedes ERP ?

Trois principales raisons nous semblent expliquer les raisons desdérapages des projets ERP et la difficulté d'évaluer leur contributionà la performance de l'entreprise :

- La myopie quant à la valeurinstitutionnelle des ERP ;- La perception de l'ERP : supportversus actif de l'entreprise ;- Le besoin du flou sur l'informationque l'ERP tente d'éliminer.

Myopie des acteurs quant à lavaleur institutionnelle des ERP :Selon Michel Berry (1983) «Lesinstruments de gestion jouent unrôle important pour « produire la gestion » : coordonner les activités,choisir des investissements, fixerdes prix. […] Moyens de gérer, lesinstruments de gestion sont aussides moyens d'articulation des rapports sociaux ».

Dans la pratique, la valeur tech-nique de l'outil arrive à masquer la valeur institutionnelle, ce qui ne

permet pas de prendre consciencede l'ampleur de l'impact que peutavoir une technologie d'un point devue social (Cf. section I.2.).

Or, pour des instruments tels queles ERP, la valeur institutionnelle del'outil et sa capacité à réguler le jeu des acteurs est tellement importante qu'il est essentiel de lepercevoir comme tel dès le débutdu projet.

Par exemple, l'introduction de l'ERPdans le but d'améliorer le reporting,nécessite d'abord de se mettred'accord sur les nouveaux principesde reporting, d'intégrer ces principesdans le module ERP en question,de s'approprier les nouvelles règlesainsi que l'outil qui permet de lesappliquer. Entre les acteurs pres-cripteurs des règles, les acteursconcepteurs de l'outil et les acteursutilisateurs du produit, des tensionsvont se créer. Chacun, possédantsa propre conception de la règle,fera tout pour que ce soit celleadoptée par l'ensemble desacteurs. Et c'est l'outil qui jouera lerôle de régulateur de toutes cestensions.

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Il faut prendre conscience, dès le début, que l'ERP est un projet de transformation !

« J'ai vu des exemples d'échecs cuisants sur ces sujets (les projets ERP)parce que clairement la mise en place d'un ERP est vraiment un sujet detransformation et d'accompagnement avant tout… L'intégration d'un ERPpeut être une catastrophe à différents titres : soit vous prenez un ERP etvous voulez ne pas changer vos processus et donc vous modifiez l'ERP…et là, rien qu'au niveau de la solution informatique, c'est déjà planté. Ou alors, vous voulez appliquer, ce qui n'est pas simple, y compris en termes de gouvernance et des relations avec les métiers, strictement lesprocessus standards implémentés dans l'ERP. Et à ce moment là, pourquoi pas, mais il faut avoir bien conscience que ce que vous engagezc'est un projet de transformation. Et si vous engagez un projet de transformation,il faut que : 1/ tout le monde en soit bien convaincu et que 2/ vous vousdonniez les moyens d'accompagner la transformation ».

Il faut prendre

conscience,dès le début,

que l'ERP est un vraiprojet de

transformation !

PascalBuffard, Axa

FranceServices

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Perception de l'ERP : support vs.actif de l'entreprise

L'ERP doit être considéré commeun actif de l'entreprise, et noncomme un simple support de sesactivités. La chaîne de valeur dePorter (1986) où le système d'infor-mation est présenté comme le supportdes autres fonctions de l'entrepriseest désormais dépassée.

L'entreprise est en effet un ensemblede ressources qui doivent toutes être combinées pour améliorer laperformance de l'entreprise. Mais,en réalité, « pour 65% des financiersinterrogés, dans une étude publiéepar le Cabinet Axys Consultants encollaboration avec l'ESG en 2003,la mesure de la contribution desentités aux objectifs globaux estessentielle à la bonne gestion de laperformance, mais pourtant seuls20% d'entre eux prennent réellementen compte la maximisation du rendement des ressources, tandisque la moitié des entreprises faitparadoxalement fi de la transversalitéde la gestion de la performance, en se cantonnant à l'analyse d'indicateurs purement financiers ».

La performance globale de l'entre -prise est alors tributaire de la qualitéde la combinaison de l'ensemble deses actifs (humains, financiers,informatiques, culturels…).

Pour examiner la contribution de la technologie en tant qu'actif del'entreprise, à sa performance, ilfaut examiner l'interaction de latechnologie non seulement avecses utilisateurs (interaction acteur -

technologie, processus d'appropriationde la technologie par les utilisa-teurs), mais aussi avec les autresactifs de l'entreprise : culture, processusde travail, autres technologiesmises en place… (Fernandez etJomaa, 2005).

Chez Essilor, par exemple, la compréhension de la culture del'entreprise est un préalable audéploiement de l'ERP, « un directeurd'usine est différent d'un Directeurmarketing. Un manager américainest différent d'un manager asiatique».(Didier Lambert, Essilor).

Ainsi, pour évaluer la contributionde l'ERP à la performance de l'en-treprise, il faut dépasser la conceptiontraditionnelle basée sur les seulsindicateurs financiers, dont notammentle fameux ROI (Return On Inves-tment, ou en français, Retour SurInvestissement). Deux principalesraisons limitent l'intérêt d'adopterune telle démarche :

- Les objectifs de départ pourdéployer un ERP ont rarementété d'augmenter la rentabilitéfinancière de l'entreprise.D'autres objectifs de nature plusqualitative sont généralementmentionnés : améliorer la circulationde l'information, plus de transparence,harmonisation des processus detravail… Ainsi, pour juger de laperformance de l'ERP, il faut évaluer sa capacité à atteindreles objectifs qui lui ont été assignés au départ.

Pour Essilor, l'impact des ERP surla performance de l'entreprise setraduit plutôt par des indicateursmétier :

La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 65

« La stratégied'Essilor

(en matièred'ERP) était de

convaincreavant

de déployer…On ne tape

pas sur la têtedes gens ».

DidierLambert,Essilor

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- En tant qu'actif parmi les autresactifs de l'entreprise, l'apport de l'ERP à la performance del'entreprise ne peut être évaluéen se focalisant sur le seul retoursur l'investissement informatique.L'intégration de l'outil dans l'entreprise (avec toutes les phasesde définition des règles, de l'harmonisation des processus detravail…) et son appropriation parles utilisateurs, sont aussi despoints d'analyse incontournables.

Besoin du flou sur l'informationque l'ERP tente d'éliminer :

Une entreprise a besoin d'un minimumde flou sur l'information qui nourritses activités pour garder à sesacteurs une certaine liberté et unchamp de manœuvre nécessaires àl'accomplissement de leurs actions.

« Parfois même la préservation duflou est la seule manière dont lesdirigeants peuvent permettre à l'organisation d'évoluer comme il lesouhaitent ». (M. Berry, 1983).

En décrivant les relations entre le fabricant et le commerçant, M. Berry (1983) explicite l'importancedu flou d'information dans le désamorçage de situations parfoisconflictuelles : « […] S'ils arrivent (le commerçant et le fabricant) àmaintenir une coexistence à peuprès pacifique c'est par exempleque le fabricant a gardé de la margedans ses délais de fabrication etque sa capacité de production n'estpas complètement saturée sansque les autres parties en soient clairement informées : cela lui permet d'accéder sans trop de malaux demandes du commerçant ; il

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Contribution des ERP à la création de valeur pour l'entreprise Cas Essilor

- Augmentation du nombre de références de 150 000 à 350 000 en 6ans.

- Le chiffre d'affaires a été multiplié par trois, le prix unitaire a augmenté,le coût du stock est resté constant ainsi que le coût de l'informatique(3 à 4% du chiffre d'affaires).

- Augmentation de la part de marché.

- Passage de 95% de taux de satisfaction client à 99%.

- Augmentation du nombre de prise de commandes.

- Amélioration de la gestion du stock.

- Avoir un langage commun au niveau mondial (faciliter l'échange et lebenchmark).

- L'ERP comme référentiel.

- Globalisation de la supply chain.

- Globalisation du système financier.

Didier Lambert, Essilor

« La méthodologie

de mesure du ROI

d'un projetERP

selon les normes

financières estremise en

cause dans lecas d'un projetERP. D'autresindicateurs,

selon le métieret la fonctionen question,sont souventévoqués ».

DidierLambert,Essilor

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lui arrivera même d'accepter undélai de livraison qu'il sait impossibleà respecter, quitte à indiquer plustard qu'il a rencontré des difficultésd'approvisionnement « tout à faitimprévues » ; ces arguments serontsouvent acceptés sans trop de malpar le client qui avait lui-même prisune marge de sécurité en négociantses délais ; le commerçant prendraalors parti de ce retard, peut-êtremême n'était pas dupe mais il nevoulait pas le laisser paraître depeur que la commande ne soitencore plus retardée, etc.

On voit dans cet exemple commentdes situations conflictuelles arriventà se désamorcer par le flou, l'ambi-guïté, l'excédent de moyens ».

Or, l'ERP traque le flou d'informationen essayant d'établir le plus detransparence et d'assurer au mieuxla cohérence de l'entreprise.

Les projets ERP sont donc, à cetitre, délicats à mener puisque parleur ambition de « tout intégrer », ils touchent à la cohérence de l'ensemble de l'entreprise. D'ailleurs,on remarque que les « projets ERP »les plus réussis en entreprise sont

ceux qui se contentent de déployerquelques modules fonctionnels(finance, contrôle de gestion, comp-tabilité, par exemple) où les principesde fonctionnement et les règles surlesquels se base l'outil (les fameusesbest practices) sont moins sujet de discorde que les règles quirégissent les modules qui touchentplus directement le métier de l'entreprise.

Pour retrouver le flou d'informationsi important pour la régulation dujeu des acteurs, des dysfonctionne-ments peuvent alors surgir sous lacohérence apparente que procurel'ERP. Des dysfonctionnementsissus du contournement de l'outil ou d'une appropriation par les utilisateurs éloignés des prescriptionsd'usage prévues. C'est alors queles grands dérapages du projetcommencent à s'amorcer.

En conclusion : les déterminantsde la création de valeur par lesERP

Ainsi, nous tentons de résumer lesdéterminants de la contribution del'ERP à la création de valeur pourl'entreprise dans le tableau suivant :

La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 67

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Ce qu'on dit des ERP Notre approche

Les ERP sont des mauvaisoutils

Rompre définitivement avec le déterminismetechnologique (la technologie détermine l'actionhumaine). L'intégration d'une technologie sefait par construction partagée. Il existe uneinfluence mutuelle et en perpétuelle évolutionentre la construction de l'organisation (évolution de la structure, organisation desprocessus, jeux d'acteurs) et la constructionde la technologie (caractéristiques, modules,versions…). L'ERP comme une opportunitéde changement.

Les ERP sont très structurants rendant ainsi l'entreprise rigide

La phase d'intégration de l'ERP procure unterrain de négociation qui «ouvre la porte del'innovation plutôt qu'il ne la ferme». L'ERPse dessine alors à travers les jeux d'acteursde l'entreprise. La contrainte de la standar-disation est contrebalancée par l'apportde l'intégration.

L'ERP comme support de l'activité de l'entreprise

L'ERP doit être appréhendé comme un desactifs de l'entreprise dont la contribution à laperformance dépend de sa combinaison avecles autres actifs (processus, hommes, culture, autres technologies…).L'ERP est un des actifs de l'entreprise et non unsimple support de ses activités.

Il est difficile d'évaluer l'apportéconomique de l'ERP

Les motivations pour déployer un ERP ontrarement été financières. D'autres objectifsd'ordre qualitatif sont mis en avant (transversalité de l'information, transparence,traçabilité, cohérence des pratiques…). Pourévaluer l'apport économique de l'ERP il fautalors abandonner les ratios financiers auprofit d'indicateurs plus qualitatifs, plus proches du métier. Privilégier les indicateursmétiers aux indicateurs purement financiers.

L'apport de l'ERP à la valeurde l'entreprise dépend seule -ment de sa valeur d'usage.

L'ERP joue un rôle important dans l'harmoni-sation des processus, la transparence et lafluidité de l'information… (valeur techniqueou d'usage), mais aussi dans la régulationdes rapports sociaux (valeur institutionnelle).En pratique, la valeur technique arrive àcacher la valeur institutionnelle.Considérerdès le départ l'ERP comme un projet detransformation résultant du jeu d'acteurs.

Les projets ERP dérapentplus facilement

Les projets ERP sont délicats à mener parcequ'ils touchent à la cohérence de l'ensemblede l'entreprise et qu'ils traquent le flou d'information nécessaire à la régulation dujeu des acteurs. Pour éviter le développementdes dysfonctionnements sous l'apparentecohérence, l'ERP doit garantir un « minimum » de flou sur l'information.

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La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 69

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La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 71

Résumé

Le programme MINE France, en complément de larecherche menée par l'Ecole Polytechnique deMontréal, s'attache à étudier les relations entresystèmes d'information (SI), innovation (I) et créationde valeur (CV). Cet article expose la méthodologiede recherche retenue dans le cadre du programme,l'étude de cas, et les concepts et théories mobilisésdans le but de faire émerger des configurationsgénériques entre les trois grandes dimensions SI - I - CV.

Les premiers entretiens réalisés et la littératurepermettent, à partir de la remise en question de lavision technico-déterministe du système d'information,de la prise en compte de l'investissement en SI entant qu'investissement immatériel et du modèled'affaires comme concept central de réflexion etd'investigation, d'esquisser les grandes lignesd'une première configuration.

Systèmes d'information,innovation et création devaleur : premiers enseignements du programme MINE France

Rouba TAHA - Chargée de programme CIGREF, Doctorante Cifre - DEA : Evolutions technologiques et organisationnelles à l’Université Versailles Saint Quentin en Yvelines en collaboration avec l’école HECParis.Maîtrise : Sciences économiques et sociales, mention gestion de l’entreprise à l’Université des Antilles etde la Guyane.

Pascal CORBEL - Maître de Conférences à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

Jean-Philippe DENIS - Professeur à l'Université d'Evry.

Tous trois sont chercheurs au LAREQUOI, laboratoire de recherche en management. Cette synthèse se fondesur des études de cas achevées et en cours menées par plusieurs équipes différentes. Les chercheurs impliquésdans le programme sont M. Attarça, Y. Bonhomme, H. Chomienne, P. Corbel, J.-P. Denis, Ph. Hermel, A. Kokosowski, L.-M. Lavoisier-Mérieux, C. Rochet, K. Saïd et R. Taha.

Rouba TAHA

J.Philippe DENIS

Pascal CORBEL

Pascal Corbel, Jean-Philippe Denis,Rouba Taha

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L'articulation entre systèmes d'information, innovation et créationde valeur (désormais SI - I - CV) estau carrefour de plusieurs probléma-tiques « classiques » en managementdes systèmes d'information : commentévaluer l'impact des investisse-ments en SI sur la performance del'entreprise ? Comment transformerdes investissements « techniques »en changement dans les pratiquesde l'organisation ? Comment gérerles projets d'implémentation denouvelles technologies liées au SI ? On retrouve ici les thèmes del'évaluation des SI et de l'utilisationdes TIC qui font l'objet de travauxapprofondis - notamment dans lecadre du CIGREF. L'objectif du pro-gramme MINE France, dont cet arti-cle rend compte des premièresavancées, n'est toutefois pas decreuser chacune de ces questionsprises individuellement.

La recherche menée dans le cadrede ce programme est en effet d'abordfille d'une conviction : l'importancede dépasser une vision très techno-déterministe de l'investissement enSI pour articuler la question de lacréation de valeur associée au SIavec le thème de l'innovation. Ce

thème ne recouvre pas seulementl'innovation en SI mais bien l'innovationrendue possible (et nécessaire) parle SI. Dans ces conditions, c'est l'efficacité de cette articulation, etnon l'investissement en SI pris isolément, qui est seule susceptibled'être créatrice de valeur, c'est-à-dire génératrice de cash-flowsfuturs selon le langage financier.

L'article rend compte d'abord endétail des modalités concrètes d'organisation du programme MINEFrance (section 1). Nous verronsque le projet est de faire émergerde l'analyse des pratiques desentreprises participantes un nombrelimité de configurations génériquesd'articulations entre les trois grandesdimensions SI - I - CV. Ces pratiquessont appréhendées via des entre-tiens et la réalisation d'études de casdans un double souci de robustessethéorique et empirique.

Les deux sections suivantes de l'article présentent les premièresavancées du programme. Dans laseconde section, nous suivons l'invitation de G. Bachelard, quenous avons placée ici en épigraphe.L'objectif n'est pas d'ajouter de

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Systèmes d'information, innovation et création de valeur : premiers enseignements du programme MINE France

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« Et quoi qu'on en dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème

qui donne la marque du véritable esprit scientifique… Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit »

Bachelard G., La Formation de l'Esprit Scientifique, Vrin, 1938

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nouvelles recettes, aussi vite écriteset lues qu'oubliées. Une partiesignificative du travail de recherchea donc consisté à s'efforcer deposer le plus correctement possiblele « problème » de l'articulation SI - I - CV au vu de la revue de la littérature et des premières investi-gations empiriques.

On verra ainsi qu'un investissementen SI est d'abord un investissementimmatériel. Loin d'être banal, ceconstat est porteur d'implicationsimportantes fort justement recenséeset analysées par B. de Montmorillon(2001) et qu'il convient d'intégrer.La plus importante est sans doutequ'un investissement immatériel nepeut créer qu'un potentiel d'amélio-ration des performances, et doncde création de valeur, et que saconcrétisation passe par d'autresvoies que celles d'un investissementclassique.

La troisième partie exposera enfinles premiers résultats comparatifsissus des études de cas achevéesou en cours de réalisation. Si laconception des « configurations »SI - I - CV nécessitera de bien plusamples investigations, de premierséléments de comparaison peuventtoutefois être apportés et des pistesdessinées. Avant de débuter, précisons que leprogramme se situe dans le cadre

plus large d'un programme interna-tional initié et dirigé par leProfesseur Roger Miller, de l'EcolePolytechnique de Montréal, consacréà l'analyse des pratiques des entre-prises en matière d'innovation (etnotamment de R&D)2. Le constatprincipal du programme canadienest qu'il n'existe pas de pratiquesreliées universellement à de meilleuresperformances (mesurées par lacroissance du chiffre d'affaires). Enrevanche, il existe des pratiques quiaméliorent la performance dans le cadre de « jeux d'innovation » particuliers (Miller et Floricel, 2004).

Cette démarche a permis la miseen évidence de régularités auniveau méso. La démarche qualitativechoisie par l'équipe française, etprésentée dans la seconde partie, aainsi pour but d'affiner l'étude del'articulation entre les dimensionsen intégrant plus directement le rôledu SI (la démarche canadienne originale est davantage centrée surla R&D). La démarche française estdonc complémentaire du programmeinternational en visant à faire émergerdes configurations intersectorielles ;elle porte sur le plan local (l'entre-prise) et accorde au SI une placespécifique.

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2 Voir dans ce cahier l'article de N. Drouin.

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Si la première phase du programmeMINE France a été à dominanteinductive, celui-ci souscrit aux prin-cipes d'une méthodologie abductive(voir l'introduction de ClaudeRochet). Après avoir présenté ledesign général du programme, desprécisions sont apportées sur laconduite concrète des études decas.

L'architecture générale

La recherche empirique adopte ladémarche classique des études decas, déjà utilisée dans d'autres projets menés par certains deschercheurs de l'équipe (voir parexemple Denis et Tannery, 2000).L'objectif du programme est deréaliser entre dix et vingt études decas en deux ans en fonction dunombre d'entreprises acceptant departiciper au programme. Les résultatsainsi obtenus au niveau d'entreprisesfrançaises seront confrontés à ceux obtenus par nos collèguescanadiens sur la base de question-naires et d'études de cas plusconcentrées sur les facteurs qui ontété mis en relief lors des étudesexploratoires sur les « jeux d'inno-vation ».

Cette démarche repose sur un certainnombre de principes synthétisésnotamment par Yin (1990) : tramede questionnement générale, entretiensemi-directifs et ouverts, enregistre -ment et retranscription intégrale desentretiens, groupes contrastés etopérant dans des contextes variéspour effectuer une réplication théo-rique (services / industrie, businessto business / consommation finale,forme de développement international,degré de sophistication du systèmetechnique, taille…).

Dans la droite ligne des recomman-dations de Pettigrew (1997), lesinformations recueillies lors des étudesde cas portent sur des problèmesde contenu et d'instrumentation, surles processus organisationnels etsur les contextes dans lesquelsévoluent les groupes. L'ensemblede ces informations vise avant toutà disposer d'informations quant auxprocessus cognitifs à partir desquelsles dirigeants et responsables deprojets liés aux systèmes d'informationargumentent et expliquent les choixeffectués, de manière plus oumoins explicite, en matière d'articu-lation entre systèmes d'information,innovation et création de valeur.

Les explications, justifications, analyses et formalisations de nosinterlocuteurs s'avèrent particulière-ment riches lorsque les interviewésexposent les questions nouvelles oude rupture qui se sont présentées(ou se présentent) à eux (déploiementde nouveaux projets impliquant les SI,acquisitions, processus d'intégrationde filiales, etc.). Pour chaque groupeétudié, les réflexions sur cesmoments clés permettent de révélerles points critiques autour desquelsse joue pour une bonne part laquestion de l'articulation entre SI,innovation et création de valeur.

Les études de cas sont menées pardes équipes différentes de manière àpermettre la réalisation de plusieursd'entre elles simultanément. La plupart des chercheurs participenttoutefois à plusieurs études au sein d'équipes différentes et unechercheuse, R. Taha, en contratCIFRE avec le CIGREF, est présentesur l'ensemble des études de casde manière à assurer une certaineharmonisation dans la collecte etsurtout le traitement des données.

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Les principes méthodologiques

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La conduite des étudesde cas

Chaque étude de cas repose princi-palement sur des entretiens avecdes personnes clés dans l'articulationentre système d'information, inno-vation et création de valeur.L'objectif n'est pas de multiplier lenombre d'entretiens dans chaquegroupe étudié car la priorité est deconnaître la manière dont lesresponsables rencontrés conçoiventcette articulation et comment elleprend forme au sein de leur groupe.C'est pourquoi il s'agit essentiellementde Directeurs des SI, de responsablesde projets liés au SI, d'interlocuteursau niveau de la direction générale(corporate level ; notamment au seinde la direction de la stratégie) et deresponsables opérationnels au seinde certaines activités (businesslevel).

Ces entretiens sont complétés parde la documentation écrite collectéeavant les entretiens (notamment lesrapports d'activité des dernièresannées, permettant d'avoir une premièreappréhension des caractéristiquesclés affichées par l'organisation étudiée), ainsi que la documentationremise par nos interlocuteurs lorsde nos entretiens. Les entretiensrestent toutefois notre source princi-pale d'informations.

Afin de pouvoir traiter la masse d'informations, ces derniers, inté-gralement retranscrits, sont mis enforme pour ne garder, principalementà l'état brut, que les citations quistructurent la réflexion des interlo-cuteurs. Le matériau obtenu souscette forme condense l'essentiel de

chaque entretien et est plus facile àinterpréter pour les chercheurs.Cette structuration ouverte permetpar ailleurs de conserver un matériauutilisable durant toute la durée de la recherche. Ainsi, au cours dechacune de ses phases il sera possible de revenir sur les premiersentretiens dont toute l'informationn'aura par forcément été mobiliséedans un premier temps. Cette miseen forme consiste à réorganiser latranscription intégrale autour de différents thèmes.

Chaque étude de cas donne lieu àla rédaction de deux rapports et àune restitution orale sur site. Le premier est un rapport de synthèsereprenant les principaux résultatspropres à l'entreprise étudiée sousl'angle de l'articulation entre systèmesd'information, innovation et créationde valeur. Il constitue ensuite notreinstrument privilégié de comparaisonentre les différentes monographies.Le second rapport est pré-structuré.Il est destiné à alimenter la baseinternationale du programme MINE.Enfin, la restitution orale a pour butde mettre en relation les résultatsobtenus sur l'entreprise étudiéeavec ceux obtenus dans le cadred'autres études de cas.

A ce jour, une étude de cas pilote aété réalisée (seule la restitutionorale a été repoussée de manière aêtre réalisée sur la base de compa-raisons solides) et trois autres sonten cours. C'est sur la base de cespremiers résultats que nous avonsélaboré cette synthèse intermédiaire.La première monographie nous apermis de consolider notre cadreconceptuel et théorique qui seraprésenté dans la seconde section.

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Elle a également permis d'esquisserles grandes lignes d'une premièreconfiguration présentée dans la troisième section de l'article. Lesautres études de cas en cours,réalisées sur des entreprises desecteurs très différents, permettentpar ailleurs de commencer à dégager

ce qui relève de caractéristiquesgénériques de l'articulation TIC,innovation et création de valeur, dece qui procède d'un caractère sin-gulier propre au modèle d'affaires.S'il ne s'agit, à ce stade, que de pre-mières pistes de réflexion, ellesnous semblent déjà prometteuses.

Rappelons d'abord que le systèmed'information d'une entreprise n'esten aucun cas réductible à son système informatique. Dès lors quel'on raisonne en termes d'investis-sement, on peut toutefois affirmersans trop de risques que les inves-tissements des entreprises dansleur système d'information sontprincipalement focalisés sur lestechnologies de l'information et dela communication (TIC). C'estpourquoi on peut assimiler investis-sements en système d'informationet investissements dans les TIC.

Compte tenu du niveau élevé desinvestissements informatiques dansles entreprises aujourd'hui, il estlégitime que la question de l'évaluationdes gains de performance qu'ilsengendrent occupe une place centrale dans les préoccupationsdes dirigeants comme des chercheursen systèmes d'information et enmanagement. Pourtant, poser laquestion en ces termes revient à accepter une certaine dose detechno-déterminisme. Elle impliqueen effet de considérer que les TICsont susceptibles par elles-mêmes

de générer des gains de performance.Or, cette vision a été largementremise en question.

Dépasser une visiontechno-déterministe du système d'information

Kéfi et Kalika (2004), sur la basenotamment des travaux de Sampler,dressent un panorama des princi-pales approches qui ont prévalu aucours du temps dans les travaux derecherche en systèmes d'information.Les premières, très techno-détermi-nistes, ont attribué aux TIC des effetsquasi-automatiques de centralisationou au contraire de décentralisation,établissant ainsi une relation unidi-rectionnelle entre les systèmesinformatiques et l'organisation. Uneapproche alternative a émergé aucours des années 1970 montrant, aucontraire, que les caractéristiquesdes systèmes informatiques dépen-daient du contexte organisationnel.Les approches récentes tentent deconcilier ces deux approches enraisonnant en termes d'interactionentre organisation et TIC. Certains

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Jalons conceptuels et théoriques de l'articulation SI - I - CV

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discours enthousiastes sur leseffets des nouvelles technologiesde l'information, et notamment celles qui sont liées à Internet, ont toutefois montré que la visiontechno-déterministe était loind'avoir disparue. Il n'est donc pasinutile de rappeler pourquoi les TICprises isolément ne peuvent être àl'origine de gains de performancessignificatifs.

Le premier motif relève d'un constatde bon sens. L'ERP le plus perfec-tionné n'aura aucun impact si lescollaborateurs de l'entreprise préfè-rent continuer à utiliser les ancienssystèmes ou même si, contraintsd'utiliser l'ERP, ils l'utilisent commeles anciens systèmes. C'est doncbien l'utilisation des systèmes informatiques qui est susceptible degénérer des gains de performancesignificatifs et non les outils eux-mêmes. Orlikowski l'a d'ailleursmontré de manière particulièrementnette à travers l'étude approfondiede l'utilisation du logiciel LotusNotes dans trois contextes organi-sationnels différents. Elle distingueainsi :� Une utilisation inertielle (Inertia)selon laquelle les utilisateurs seservent de la technologie tout en conservant leurs pratiquesexistantes. Ce statu-quo peutnaturellement difficilement aboutirà des gains de performancesignificatifs.

�Une utilisation d'application(Application) selon laquelle lesutilisateurs se servent de la technologie pour améliorer l'effi-cience de leurs méthodesactuelles de travail. Dans ce cas,il y a amélioration significativedes processus de travail sansmodification des structures.

� Une utilisation reposant sur lechangement (Change) selonlaquelle l'introduction de la nou-velle technologie sert de supportà des changements structurauxet organisationnels. C'est cettedernière utilisation qui peut aboutiraux gains de performance lesplus importants, même s'ils nesont pas systématiques.

L'auteur introduit alors une distinctionconceptuelle qui nous sembleparticulièrement utile dans le cadrede la problématique qui nous intéresse ici. Elle distingue la technologie en tant qu'artefact,indépendante du contexte danslequel elle est utilisée et ce qu'elleappelle la « technologie en pratique»,c'est-à-dire la manière dont les individus dans l'organisation l'utilisentréellement. C'est bien l'impact decette « technologie en pratique »qu'il va falloir évaluer. Or, celaimplique de prendre en compte deséléments qui sortent du champ del'impact des TIC au sens strict etnotamment du champ de responsabilitéd'un DSI. Les facteurs qui peuventinfluencer l'utilisation qui est faitedes systèmes informatiques sont eneffet multiples.

Le processus d'implémentation peutavoir une importance significative(Chomienne et al., 2004, pour unesynthèse). De nombreux travauxont souligné l'importance de l'impli-cation des utilisateurs dans la miseen œuvre des TIC. Mais une DSIdoit combiner cette latitude laisséeaux utilisateurs dans la manièredont ils peuvent s'approprier latechnologie avec des exigencesantagonistes de rythme de diffusionet de standardisation des outils et processus. Or, le dosage entrecentralisation et décentralisation

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dans le processus de mise enœuvre peut influencer durablementl'impact de la mise en œuvre d'unnouveau système informatique.Gallivan (2001) a ainsi relié lamanière assez centralisée dont unsystème client/serveur avait été misen place dans une compagnie d'assurance au succès de la technologie en termes de diffusion,mais à son échec quant au but ultime recherché : instituer une culture davantage orientée vers leclient.

Mais le contexte organisationnelinitial a aussi une importance consi-dérable. Orlikowski (2000) l'avaitmontré dans le cas cité de l'utilisationde Lotus Notes, logiciel de partaged'informations, dans le cadre d'uneorganisation marquée par un fortindividualisme et une certaine compétition entre les collaborateurs(un cabinet de conseil). Celui-ci n'avait eu aucun impact significatifsur les pratiques dans l'entreprise,à l'exception d'un petit groupe quil'a utilisé pour améliorer l'efficiencede ses méthodes de travail sans lesremettre fondamentalement en cause.Or, le «contexte organisationnel»intègre de multiples variables qui nesont pas toutes maîtrisables et qui,lorsqu'elles le sont, relèvent deresponsabilités différentes. Dès lors,l'impact du système d'informationne peut être isolé de l'ensemble desparamètres en jeu dans l'améliorationdes performances d'une entreprise.L'investissement en TIC, à l'image desdépenses de R&D ou de formation,ne peut donc être directementgénérateur de gains de performanceparce qu'il est fondamentalementun investissement immatériel. A cetitre, il est générateur d'un potentielde gains de performance qui peutêtre considérable… et qui reste àconcrétiser.

L'investissement en SI,un investissement immatériel pour destransactions (certes) plus efficientes… mais aussi (et surtout)plus efficaces !

Dans une contribution stimulante etfort utile, B. de Montmorillon (2001)s'est attaché à clarifier le conceptd'investissement immatériel (enR&D, formation, système qualité,etc.). L'investissement immatérielest d'abord un investissement,c'est-à-dire selon la vision financière«une dépense qui conduit à l'acqui-sition ou à la constitution d'un actifen vue de créer de la valeur»(Charreaux 1996, p. 13). S'il estimmatériel, c'est qu'il est potentiel-lement générateur de cash-flowsfuturs mais qui ne sont ni aisémentni immédiatement activables pourdes motifs que la théorie des droitsde propriété éclaire fort bien : est-ilen effet raisonnable de penser queles salaires des chercheurs, ceuxdes collaborateurs en formation, ouencore les routines de l'organisationpuissent être aisément activées(inscrites à l'actif du bilan) et leurtransformation en flux de revenus(donc de création de valeur) spécifiée ?

L'investissement immatériel concernepour B. de Montmorillon l'ensemble desdépenses sources de «distinctionservuctive» (services associés auxbiens), qu'il considère comme lefacteur clé de la compétitivité à l'ère de la société post-industriellecaractérisée par la généralisationdes prestations de services. Cettedistinction servuctive procède d'unearticulation efficace entre :

1/ des actifs logistiques et desupport aux transactions avec lesclients,

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2/ des compétences (notammenthumaines),3/ des systèmes de coordinationmanagériale (ou « néguentro-piques»).

Les dépenses en SI, même si ellespeuvent relever de la premièrecatégorie, relèvent a priori principa-lement de la troisième. Les classerdans telle ou telle catégorie n'esttoutefois pas le plus importantpuisque c'est le développementrespectif et complémentaire de cestrois dimensions qui permettra lacréation d'une distinction servuctive,et donc une création de valeureffective. Une telle approche per-met donc de prendre en compte à lafois le rôle central du SI (supportd'interactions par excellence) et lecaractère indissociable de « l'activecoopération » des collaborateurs,qui relève principalement de la gestiondes ressources humaines (nonréduite ici à sa seule expression entant que fonction).

Comme le démontre B. deMontmorillon, l'analyse de l'investis-sement immatériel suppose nonpas la remise en cause deslogiques comptables et financièresmais leur dépassement. La réussitede l'investissement immatériel sup-pose en effet « l'active coopération »des collaborateurs (salariés maisaussi éventuellement autres par-ties-prenantes), et ce de manièredurable. Le concept est emprunté à F. Von Hayek (1945) pour lequel« l'information possédée par lesindividus ne peut être utilisée qu'avec leur active coopération ».En d'autres termes, le système d'information peut contribuer à fairecirculer, stocker et traiter l'informa-tion mais ne peut garantir sa trans-formation en valeur pour l'entrepri-se et ses parties prenantes.

L'articulation entre TIC et créationde valeur ne peut donc être penséesans intégrer les changements dansles pratiques que permettront / faci-literont les investissements en TIC,ce que nous avons désigné sous leterme générique d'innovation.

Concevoir l'investissement en SI entant qu'investissement immatérielau sens défini par B. de Mont-morillon permet ainsi d'expliquerpourquoi sont si récurrentes desquestions comme celle de l'évaluationdu SI : le problème se pose finale-ment dans les mêmes termes quepour les dépenses de R&D ou deformation, au niveau de l'entreprisecomme de l'Etat ! Dès lors, on neraisonne plus seulement en termesd'efficience (coûts de transactionque l'on cherche à réduire) maisaussi, et surtout, en termes d'effica-cité (investir pour des transactionsdavantage créatrices de richesses).Cette dernière remarque conduitdirectement au concept de modèled'affaires.

Le modèle d'affairescomme concept centralde réflexion et d'investigation

Pour B. de Montmorillon, l'investis-sement immatériel doit être distinguéde l'investissement financier sur unpoint essentiel : le rôle que jouel'entrepreneur dans celui-ci, quiconsiste à combiner différents actifsproductifs en vue de générer de lavaleur. Tout modèle d'affaires estdonc porteur d'une proposition devaleur, par conséquent, d'une problématique entrepreneurialespécifique consistant en une certaineforme de combinaison de ces actifs.En d'autres termes, si le modèled'affaires résume la manière dont

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l'entreprise crée de la valeur pourles clients en maîtrisant ses coûts,la problématique entrepreneurialerésume la manière dont le « problème »est traité par l'entrepreneur pourque le potentiel dont est porteur lemodèle d'affaires soit traduit dansles faits.

Notons que le modèle d'affaires apour particularité d'être un conceptà la fois flou sur le plan théorique(Porter, 1991) mais largement utilisédans la pratique (Warnier & al., 2004).Son utilisation a considérablementaugmenté avec l'apparition dessociétés fortement liées à l'émergenced'Internet et qui se singularisaientpar des modèles d'affaires originaux.Mais au-delà du fait qu'il a été fortement lié aux TIC et à l'innovation,le concept est aussi susceptible sur le plan théorique de permettrela combinaison d'approcheshabituellement considérées commeincompatibles (Amit et Zott, 2001),notamment du fait de son caractèreglobal mais focalisé sur la notion detransaction (avec les clients… maisaussi les fournisseurs, les action-naires, les salariés…).

Il s'agit donc, en recourant auconcept de modèles d'affaires, dechercher à identifier la nature destransactions dans lesquelles setrouve prioritairement engagée l'entreprise étudiée. L'identificationde celles-ci, fonction du modèled'affaires sous-jacent à l'activitéproductrice de richesses, permettrad'identifier la problématique entre -preneuriale spécifique de l'entreprise :comment les SI, en tant qu'actifsupport, peuvent-ils aider à augmenter la valeur de ces transac-tions ? Quelle est la nature de l'ac-tive coopération recherchée de lapart des collaborateurs en termesd'innovation pour concrétiser ce

potentiel ? Voilà donc posée les ter-mes de l'articulation SI - I - CV…mais de manière à ce qu'elle soitdésormais appréhendable empiri -quement et fondée théoriquement.

Notons pour finir qu'un modèle d'affaires est un élément fort de distinction entre les entreprises, etqu'il est à ce titre réputé être propreà chaque organisation. On retrouvelà l'importance de la singularité stratégique célébrée par les théoriciensde la croissance endogène. Le travailréalisé par Amit et Zott (2001) montrecependant, dans le cas des entre-prises liées à Internet, qu'il est clairement possible de définir desconfigurations génériques permettantde rapprocher différentes entreprisesau-delà des différences de secteurs.Mais recourir au concept de modèled'affaires et à la notion de problé-matique entrepreneuriale a uneimplication importante.

Une articulation SI - I - CVà appréhender au niveau« business »

Nous définissons le modèle d'affairescomme la manière dont l'entrepreneurcombine les différents actifs logis-tiques, de compétences et denéguentropie de l'entreprise en vue de générer des cash-flows.Mais quid alors des groupes multi-activités ?

Dans ceux-ci, les travaux ont montré que le siège est susceptiblede créer de la valeur pour lesactionnaires de par son implicationdans la formulation des stratégiesdes différentes unités, en développantplus ou moins les relations entre lesdifférentes unités, par les actions deses fonctions de support et de parsa gestion globale du portefeuille

La Recherche au CIGREF

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d'activités du groupe (Goold & al.,1994 ; Collis & Montgomery 1998 ;Denis, 2005, pour une revue).

Cette citation issue d'un entretienavec un DSI illustre bien le problème :« j'ai fait éclater l'informatique parbranche parce que c'était ingérable.On était en central, on était directe-ment rattachés au PDG du groupeet accusés d'être trop loin, de nepas connaître les business, d'être

trop lourds, trop chers. Donc on aéclaté et aujourd'hui il y a des DSIpar branches d'activités ».

Au sein de ces groupes, c'est doncau niveau des domaines d'activités(business) que se déroulent lestransactions avec les clients, maisaussi les autres parties-prenantes,génératrices de valeur. C'est donclà que se situe le cœur de l'articulationqui nous intéresse ici et qu'ilconvient de l'étudier (voir figure 6).

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Figure 6 : une

articulation SI - I - CV

située au niveaubusiness

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Si la base empirique est au jourd'aujourd'hui insuffisante pourespérer formuler des configurationsrobustes théoriquement et empiri-quement, l'étude de cas achevée et analysée à l'aune du cadreconceptuel et théorique exposédans la section 2, a permis d'es-quisser les contours d'une premièreconfiguration. Sa confrontation aumatériau issu des entretiens déjàmenés dans les autres entreprisespermet ensuite d'esquisser des pistes de réflexion quant à d'autresconfigurations d'articulation TIC,innovation et création de valeur.

Une articulation SI - I - CV tournée vers la personnalisation des transactions en interaction avec les clients ?

La première entreprise étudiée estune entreprise de services aux particuliers de grande taille. Sixentretiens (dont cinq en face à face)d'une durée totale d'environ neuf heures ont été menés avec le DSI, les responsables d'un grand projetinformatique, le Directeur adjoint dela stratégie, les directeurs d'unestructure locale et le Directeurgénéral d'une filiale appartenant àune autre business unit.

Nos interlocuteurs ont très sponta-nément mis l'accent sur la relationavec le client. Or, cette dernière est au cœur de la conception del'investissement immatériel présentéedans la section 2. Cet élément est

toutefois présenté comme un élément discriminant et susceptiblede « faire la différence » : « Lesorientations principales de notregroupe consistent d'abord à privilégier,avant toute chose, et quels quesoient les moyens pour y parvenir,la qualité des services au client(c'est notre leitmotiv) et, deuxième-ment, la réactivité commerciale ».Au-delà de l'aspect généraliséd'une tendance inhérente au développement d'une économie deservices, c'est donc peut-être ici la première esquisse d'une formed'articulation spécifique entre systèmed'information, innovation et créationde valeur qui se fait jour.

La création de valeur est ici présentéeclairement comme résultant de l'interaction directe avec le clientpermettant de lui proposer unesolution personnalisée. Grâce à uneingénierie produit assez poussée, ilest en effet possible pour certainesopérations importantes de combinerplusieurs produits standardiséspour obtenir un service répondantbien aux besoins du client pour uncoût très compétitif sans pourautant être obligé de s'aligner surles prix les plus bas sur chacun des produits standardisés : «…lastratégie […] consiste, au contraire,à dire qu'à partir d'un problème bienidentifié, notre sens de l'innovationet notre ingénierie vont vous proposerun montage spécifique qui feraqu'on fera faire des économies ànos clients, à charge pour nous d'entirer la substantifique moelle. Ainsi,nous pourrons aligner des [prix]bien supérieurs à la concurrence ».

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Première approche des configurations

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On voit sur ce schéma que la relationentre innovation et création devaleur passe par la personnalisationde la réponse aux besoins du client.L'innovation apparaît donc à deuxniveaux : au niveau, bien sûr, de laconception des différents produitsstandards susceptibles de répondreseuls, ou en combinaison avec d'autres, aux besoins du client,mais aussi plus singulièrement auniveau des collaborateurs encontact direct avec le client qui doiventdévelopper et mettre en œuvre(nous retrouvons ici la probléma-tique de la nécessaire « activecoopération » du personnel) descapacités d'ingénierie importantes.L'essentiel de la valeur est donc, ici,créée en « front office » par ceuxqui sont en contact direct avec leclient et interagissent avec lui. Lafocalisation passe alors de l'efficience

des processus de traitement destransactions («back office») à l'effi-cacité des hommes et des femmesqui co-construisent la valeur avec leclient.

Dès lors, la problématiquefondamentale de l'entreprise doitlogiquement consister à donner lapossibilité et à inciter ses collaborateursà prendre les initiatives nécessairespour que cette création de valeur,de potentielle, devienne effective.C'est semble-t-il l'objectif poursuivipar les responsables interrogés : « On lui demande de prendre vraiment ses responsabilités en termes de management, d'acteurcommercial et d'interface client ».

Le système d'information apparaîtcomme fondamental pour la premièrecondition : « donner la possibilité »

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Figure 7:

une configuration

centrée sur la

personnalisationdes

transactionsen interaction

avec lesclients

Le schéma 7 présente l'articulation SI - I - CV telle qu'elle ressort de cepremier cas.

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implique en effet d'avoir à dispositiontoutes les informations nécessairesà la fois sur les produits disponibleset sur le client. L'industrialisationdes produits financiers passe ainsiavant tout par l'élaboration de logi-ciels ad hoc : «Pour la recherche eninformatique, on a 50 informaticiensqui ne travaillent que pour le dévelop-pement de nos outils de gestion.Comme nos produits sont nouveaux,il n'y a pas d'outils dans le commercepour les faire tourner : on est doncobligé de développer nos softs ; il fautles valider, etc. C'est un énorme travail ». Ce dans le but de les intégrer au système global de l'en-treprise : « En fait, on commence àimaginer un premier produit surmesure avec Excel, puis on déve-loppe un soft si cela vaut la peine,et on industrialise et c'est publié surle système central de [l'entreprise] ».

Quant au partage des informationssur les clients, c'est l'objet principald'un grand projet, à la fois informatique organisationnel, dontnous avons pu rencontrer deux des plus importants responsablesopérationnels. « Le projet est conçudans une seule optique : c'est d'améliorer l'efficacité au service dela clientèle… C'est évidemmentclair ». Ce programme peut doncêtre interprété comme un moyend'aligner le système d'information etl'organisation sur le modèle d'affaires.Le programme en question consistaiten effet pour une bonne part à rendrel'information visible partout, tout enla structurant pour favoriser l'acti -vité des commerciaux. Il fournitégalement, avec les outils de gestionde la relation client, des moyensd'ajuster davantage les propositions

aux spécificités du client, ainsi que de dégager du temps pour larelation client.

Les modalités de management duprojet : forte autonomie, souplessedans la conduite du projet sur labase d'un schéma directeur trèsclair mais pas trop précis, travail en équipes composées à la foisd'informaticiens et de personnes demétier ont semble-t-il facilité cet alignement. La fonction la plus utilisée aujourd'hui n'était ainsi pasprévue au départ. Elle a émergé « chemin faisant » dans les interactionsentre spécialistes de l'informatiqueet spécialistes du domaine d'activitéet entre concepteurs et futurs utilisateurs3.

Il semble donc bien ici se dégagerun modèle d'affaires fondé sur laco-conception avec le client desolutions spécifiques permettant dedégager une valeur plus importante.Cette approche se déroule dans le cas qui nous intéresse ici enparallèle d'une activité de distributionde masse de produits plus standar-disés. L'entreprise en question perçoit toutefois son originalité dansune meilleure capacité à combinerces produits standards pour proposerdes solutions sur-mesure lorsquecela s'avère nécessaire. Et elle souhaite visiblement pousser plusloin dans cette direction en mettanten place les outils informatiquesnécessaires pour permettre aux collaborateurs en contact avec le client de disposer de toutes les informations nécessaires à lafois sur les produits et les clients etde bénéficier d'outils d'aide pour lamise en concordance des deux

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3 Nous avons pu interroger les responsables de l'unité locale choisie comme " alpha site " du projet pour sa partie informatique. Ils nous ont confirmé s'être sentis tout à fait impliqués dans le projet.

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(outils de gestion de la relationclient ou CRM). Mais le projet ayantmis ces outils à disposition du personnel de « front-office » illustreparfaitement les difficultés de l'évaluation d'un projet informa-tique. Renforçant manifestementles orientations stratégiques del'entreprise et mettant à dispositiondes outils pour en retirer plus devaleur, il reste tributaire de la trans-formation effective de ces outils eninnovations au service du client parles collaborateurs.

Les différences avec lesétudes de cas en cours

Un certain nombre d'entretiens ontété menés dans d'autres entrepriseset en particulier dans deux entreprisesindustrielles. Il nous a paru intéressantde mener une première comparaisonqu'il faut toutefois prendre avec prudence dans la mesure où elleest fondée sur un nombre plus limitéd'entretiens, ce qui peut conduire àcertains biais.

La première de ces entreprises pré-sente un point commun évidentavec notre entreprise de service : « [son vrai métier] c'est ce que l'onappelle en américain le mass-custom, c'est-à-dire la fabrication etla distribution d'objets sur mesureen grand nombre ». Dès lors la problématique semble proche, larelation client ayant une grandeimportance et nécessitant une forteautonomie : « Sur ce que j'appellele socle, c'est-à-dire, en gros, ce quiest production de masse, logistiqueet finance jusqu'au bout, on a eutendance à structurer par les systè-mes, oui. En revanche, tout ce quiest plus proche du client, on leslaisse faire ».On retrouve donc, comme dans la

grande entreprise de service étudiée le principe d'une forteresponsabilisation des collaborateursà tous les niveaux : « Il faut com-prendre [que cette organisation] estune entreprise très décentraliséeavec un style de management trèsresponsabilisant à des niveaux bas.Il n'y a pas de plan quinquennalpour l'innovation. On attend de chacun qu'il innove dans sondomaine. Cela nous pose, bien sûr,des problèmes de coordination,mais ce n'est pas grave. Il y a long-temps qu'on est arrivé à la conclusionqu'il valait mieux avoir des problèmesde coordination que des problèmesd'assèchement de la créativité desgens par une bureaucratie ou desnormes trop contraignantes ».

Le fait que l'activité soit industrielleentraîne toutefois l'apparition d'unfacteur structurant supplémentaire :la logistique. Celle-ci est renduecomplexe du fait du principe mêmedu sur-mesure de masse quiconduit à séparer production standardisée et adaptation surmesure (« Il y a donc deux process :le process de ligne (l'usine), et celuide fabrication sur mesure, à la commande ») dans une logique dedifférenciation retardée : « La fabri-cation et la distribution du surmesure de masse : je crois quevous ne trouverez pas ça dansbeaucoup d'autres entreprises,mondialement. C'est la différencia-tion retardée […] ». La logistique de distribution étant elle-même particulièrement complexe, celaconstitue un atout concurrentiel etune barrière à l'entrée importants :« La barrière d'entrée est infinimentplus haute que sur la rechercheproduit ».Dès lors, le besoin d'innovation se

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situe au moins autant dans les processus que dans le produit : « En gros, nous fabriquons surmesure 40 millions d'objets par anqui sont livrés dans un délai de 24heures à cinq jours. On voit bien iciqu'il faut de l'innovation dans lesprocédés en permanence pour faireen sorte que le procédé de fabricationsur mesure soit aussi fiable (qualité,coût, prévisibilité) qu'un process enligne tel qu'il est connu. On est trèssouvent en terrain inconnu car noussommes les premiers à défrichercela. Sans entrer dans le détail, il ya tout ce qui concerne les contrôlesde qualité, les contrôles de toléran-ce… en permanence sur toute lachaîne » et à ce niveau que les TICpeuvent avoir un impact important :« Moi, je pense que l'impact le plus fort des technologies de l'information, il est dans ce chapitred'innovations que j'appellerais, defaçon globale, la distribution etavec, à l'intérieur, cette phase particulière qui est le sur-mesure demasse ».

Un autre rôle des TI est égalementsouligné : elles facilitent le partaged'information dans une structure quicombine décentralisation et globali-sation : « Les recettes, c'est la globalisation : on est vraiment l'en-treprise la plus globalisée…». « Aujourd'hui, le réflexe, […] de lapart de tout le monde, est le suivant :j'ai des informations à faire partager :je fais un portail, une infobase, jemets sur l'intranet », « C'est à la foisune conséquence et une conditionde la globalisation ».

Cette première entreprise sembledonc partager avec la grande entreprise de service étudiée lafocalisation sur un service surmesure et donc sur la relation avecle consommateur. S'y ajoute toutefois

une dimension logistique (deproduction et de distribution) beau-coup plus prégnante.

Le second cas d'entreprise indus-trielle se distingue assez nettementdes deux autres. Même si cetteindustrie cherche aussi à répondrele plus finement possible auxbesoins des clients, elle le fait dansune logique davantage industrielleque de service sur-mesure, en élargissant sa gamme de produits.L'innovation y est davantage centréesur le produit et semble perçuedans l'entreprise comme quasimentsynonyme de progrès technolo-gique.

C'est donc logiquement à ce niveauqu'interviennent principalement lesTIC : « […] pour structurer et supporter (au sens anglais duterme) le processus d'innovation aucoeur même [du produit de l'entre-prise], notamment sur sa partie collaborative et capitalisation au travers des innovations, pour lesréutiliser et les ré-exploiter dansune logique de pérennisation del'innovation ». L'une des difficultésest ainsi de coordonner l'activité dedizaines d'entreprises différentesintervenant dans la conception puisla fabrication du produit, d'où l'accent mis sur les problèmes desupply chain (et notamment destandardisation des protocoles) etde gestion du travail collaboratif, ycompris dans sa dimension sécurité :« Nous sommes ici confrontés àdes schémas d'échanges de données dans un cadre sécurisé etconfidentiel puisque nous sommeslà au cœur du savoir faire ou de l'avantage concurrentiel ».

Il ne s'agit que de premièresréflexions fondées sur un faiblenombre d'entretiens. Elles nous

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permettent toutefois de tracerquelques pistes sur des configura-tions éventuelles d'articulation entreTIC, innovation et création devaleur.

Premières réflexions « typologiques »

Un premier type de configurationserait centré sur la relation client, lacréation de valeur provenant d'unservice sur-mesure, dans le contextetoutefois d'un grand nombre detransactions. L'innovation se situealors certes sur les produits disponi-bles pour répondre plus finementaux besoins de la clientèle, maisaussi sur la capacité des personnesen contact avec le client de lui proposer le produit le plus adapté,aussi bien dans le cas d'activitésindustrielles que dans la maîtrise dela logistique de distribution. Il endécoule une structure décentraliséeet responsabilisante. Le SI a alorspour rôle principal de mettre àdisposition l'information nécessairepour répondre au mieux au besoindu client. Il est alors intéressant de

noter qu'une telle configuration necorrespond véritablement à aucundes « jeux d'innovation » mis enexergue par l'équipe canadienne duprojet.

Il est trop tôt pour dessiner lescontours d'une autre configurationmais le deuxième cas de l'entrepriseindustrielle se distingue assez nettement du premier en étant focalisé beaucoup plus en amont(relations avec les fournisseurs envue d'être performant dans laconception des nouveaux produits).L'articulation SI - I - CV pourraitdonc être « jouée » de manièresignificativement différente selonque le modèle d'affaires conduit àfocaliser l'attention des acteurs surl'aval ou l'amont de la chaîne devaleur. De même, les parties prenantes engagées prioritairementpourraient ne pas être identiquesselon le réseau de valeur mobilisé(Rosenbloom et Christensen,1998), justifiant en conséquencedes designs et usages spécifiquesdu SI.

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Cet article constitue un propos d'é -tape après une première année demise en route du programme MINEFrance. Les étapes suivantes duprogramme consisteront à enrichirce travail dans deux directions :

� D'une part, l'objectif sera devenir « désagréger » plus avant lemodèle présenté dans cet articlepour identifier les dimensions etvariables clés de l'articulation SI -I - CV en vue de mieux asseoir sarobustesse théorique et empi-rique. La restitution des analysesdes chercheurs auprès des respon-sables d'entreprises partenairesdevrait fournir un riche supportpour avancer dans cette premiè-re direction. Tel sera notammentle cas dès que tous les entretiensauront pu être réalisés pour lestrois études de cas en cours.

� D'autre part, l'identification deces dimensions et variables, ainsique l'élargissement de l'échantillond'études de cas, permettront lapoursuite de l'objectif général du

programme : dresser une typologiedes configurations génériquesd'articulation SI - I - CV conduisantde facto à une typologie demodèles d'affaires génériquesfondés sur une diversité de formes d'usage des SI.

Le but des chercheurs impliquésdans le programme est que lesresponsables d'entreprises - et enparticulier les DSI - trouvent dansces outputs finaux, d'une part, despoints de repères pour (se) situer et évaluer les pratiques de leurentreprise au regard d'un panoramades types d'articulation envisagea-bles ; d'autre part, des guides utilespour concevoir et conduire d'éventuelschangements cohérents, créatifs etmieux assurés. Ce but transparaîtradans les prochaines contributionsgénérales de ce type mais aussi - etsans doute surtout - dans les rapports remis individuellement auxentreprises participantes et dansles restitutions réalisées au sein deces mêmes entreprises.

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Conclusion

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Introduction

Dans le cadre de ce deuxièmecahier de recherche du CIGREF, ilme fait plaisir de vous communiquercertains résultats de mes recherchessur les capacités organisationnellesrequises pour innover et créer de lavaleur pour les entreprises. Cesrecherches s'inscrivent dans lecadre du programme de rechercheMINE (Managing Innovation in theNew Economy) de l'École Poly-technique de Montréal et à titre deprofesseur-chercheur de l'École degestion de l'université du Québec à Montréal (ESG-UQAM). Ces travaux visent essentiellement deuxobjectifs: premièrement, ils cherchentà circonscrire les dimensions théo-riques et conceptuelles de la notionde « capacités dynamiques » dansun contexte d'innovation. Ils sontcentrées sur une mise à jour de lalittérature spécialisée des « capacitésdynamiques » par l'exploration desthèmes, des définitions, des obser-vations propres à cette discipline.Ils mettent en évidence la grandevariété des méthodes et disciplinesutilisées pour étudier ce phénomèneet examine si la notion de « capacitédynamique », en tant que facteurd'innovation, peut faciliter une

certaine convergence interdiscipli-naire. Deuxièmement, et c'est plusparticulièrement l'objet du présentarticle, ces recherches visent àcomprendre et identifier quellescapacités organisationnelles dyna-miques sont liées aux jeuxd'innovations des entreprises.

Nous débuterons donc par unebrève revue de littérature qui faitétat de la confusion au niveau destermes compétences, ressources,capacités et capacités dynamiques.Nous proposerons par la suite un modèle conceptuel sur le défistratégique des hauts dirigeantsd'équilibrer l'exploitation de leursactivités courantes et l'explorationde nouvelles pratiques pour innover.Nous terminerons en présentant lecas d'une entreprise canadiennequi œuvre dans le secteur des télé-communications. Cette entreprise,ici nommée « ABC Telecom » pourdes raisons de confidentialité, estl'un des plus importants fournisseursmondiaux de technologie d'accèssans fil à large bande. Cet exempleconcret permettra d'illustrer un jeu d'innovation utilisé par ABCTelecom et d'identifier les capacitésorganisationnelles et dynamiquesconsidérées par ses gestionnairespour créer de la valeur.

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Capacités OrganisationnellesDynamiques et Création de valeur :l'exemple d'une entreprise canadienne en télécommunication*

Cahier n° 2 91

NathalieDrouin

- Professeur àl'ESG-UQAM- Chercheurau sein duprogramme

de rechercheMINE

- Postdoctoratde l’École

Polytechniquede Montréal

(2003) - Doctorat

de l’Universitéde Cambridge,

Trinity Hall,Royaume-Uni

(2001) - MBA

de l’École des Hautes

ÉtudesCommercialesde Montréal(HEC 1995)

Courriel :drouin.

[email protected]

* Les informations contenues dans cet article ne doivent pas être utilisées sans l'autorisation de l'auteur

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L'innovation, notamment techniqueet organisationnelle, a un rôle central dans les économies modernesfondées sur la connaissance (Forayet Mairesse, 1999). Les nouvellesmanières de produire les biens etles services et d'organiser l'activitééconomique contribuent à la croissance économique et à lacréation comme à la destructiond'emplois. Détenir des capacités,des compétences d'innovation permet aux entreprises de se posi-tionner sur les marchés, aux paysd'être plus compétitifs et aux individusd'obtenir des emplois mieux rému-nérés. Toutefois, que signifie les termes capacités et capacités dynamiques? Est-ce que capacités,capacités dynamiques voir mêmecompétences signifient la mêmechose?

Nombreux sont les chercheurs quireconnaissent que les notions decapacité et capacité dynamiquesont très confuses. Cette confusions'explique par une définition, uneutilisation différente et parfois interchangeable des terminologies«compétences», «ressources» et«capacités» par les chercheurs.Par exemple, Eliasson (1990) perçoit la firme comme étant uneéquipe compétente qui peut avoirun impact positif sur la productivitéd'une entreprise. Conséquemment,les compétences découlent desdécisions prises par les gestionnairesbasées sur l'expérience, la connais-sance tacite des individus et deleurs interactions au sein d'uneéquipe. D'autres auteurs discutentde l'importance des compétencesdistinctives («core competences»)

qui procurent un avantage concur-rentiel à la firme. Elles sont l'apprentissage collectif des organi-sations (Hamel et Prahalad, 1990).Selon Barney (1991), les ressources,quant à elles, sont les actifs, lescapacités, les processus organisa-tionnels, le savoir contrôlés par lesfirmes et qui leur permettent deconcevoir et d'implanter des stratégiesqui améliorent l'efficacité et l'efficience organisationnelles. Teeceet al. (1997) préfèrent discuter decapacités dynamiques pour expliquerl'adaptation de la firme auxchangements environnementauxqu'ils soient incrémentaux ouradicaux. De façon similaire,Lessard et al (1998) définissent lescapacités comme étant la capacitéd'une firme à renouveler, augmenteret adapter des compétences distinctives dans le temps. Ils ajoutentque les capacités seront «dyna-miques» si elles se renouvellentsuivant des changements technolo-giques, causés par des modificationsdes besoins de la clientèle ou envertu de changements effectués parles compétiteurs à leurs proprescapacités. En plus de cette confusionet d'une description en termesvagues des capacités organisation-nelles, elles sont également critiquées par certains auteurscomme étant tautologiques et nonopérationnelles (Priem and Butler,2000).

Il existe donc une diversité desapproches relatives à la questiondes capacités dynamiques entre lesdisciplines. La théorie évolutionnisteen économie, par exemple, utilise lanotion de portefeuille de compétences

L'innovation et les capacités dynamiques

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des firmes et de routines dynamiquespour expliquer les phénomènes devariétés des organisations et lesmécanismes de sélection (Nelsonet Winter, 1982). En management,les performances des entreprisess'évaluent en termes de positionconcurrentielle et de parts de marché.Aussi, en vertu de la théorie sur lastratégie et plus particulièrement saperspective « Resource-based view »,les entreprises se distinguent lesunes des autres par la possessionde compétences uniques, difficile àimiter et à reproduire (Barney,1991). D'autres perspectives dérivéesde la théorie organisationnelle et de celle sur la technologie et l'orga-nisation tentent d'expliquer la performance organisationnelle nonpas à travers l'allocation des ressources mais à travers la capacitéd'une entreprise à s'adapter à sonenvironnement (Henderson et Clark,1990; Dosi et al. 2001). Ces appro-ches supposent que la firme possè-de des capacités dynamiques quiprennent en compte des mécanismesd'apprentissage (Grant, 1996, Kogutand Zander, 1992) et d'absorptiondes capacités (Zahra et George2002).

Sous cette terminologie et les disciplines qui les sous-tendent, unobjectif commun demeure. C'est la recherche de la performanceorganisationnelle par l'habileté desfirmes à développer des ressourceset capacités clés qui, selon Amit etShoemaker (1993), sont des actifsstratégiques pour les firmes. C'estcette préoccupation inspirée desdimensions stratégiques et organi-sationnelles qui est au cœur denotre compréhension de la notionde «capacité organisationnelle» etde la «capacité dynamique».

Nos récentes recherches dans le

cadre du projet MINE axées sur lesecteur des télécommunicationsnous ont permis de mettre à jourune compréhension initiale duconcept de capacité, qu'il soit dynamique ou non, liée au contexted'innovation en entreprise. Appuyéepar la revue de la littérature et laréalisation d'études empiriques,notre compréhension des capacitésorganisationelles et des capacitésdynamiques est la suivante : Lescapacités organisationelles sontdes combinaisons complexes desresources, des compétences et desprocessus organisationnels alorsque les capacités organisationellesdites «dynamiques» sont les habiletésdes entreprises à intégrer, bâtir etreconfigurer leurs compétencespour s'adapter rapidement auxchangements environnementaux(Teece et al., 1997). Les capacitésdynamiques réflètent donc l'habiletéd'une entreprise à développer despratiques innovatrices qui lui permettent de créer un avantagecompétitif et conséquemment de lavaleur pour l'entreprise. Elles sontdestinées au changement organisa-tionnel et ont une nature straté-gique (Teece, Pisano & Shuen,1997).

À l'heure de l'économie numérique,les gestionnaires doivent chercherl'équilibre entre l'exploitation deleurs activités courantes et l'explo-ration de nouvelles pratiques pourinnover et créer de la valeur (March1999). Leur défi devient l'identifica-tion des capacités dynamiques quileur permettront de mieux gérer cetéquilibre selon le jeu d'innovationqu'ils joueront. Dans le cadre denos recherches, nous avons déve-loppé un modèle conceptuel quiillustre ce défi (nous vous référonsau schéma 1 ci-après). Le principesous-jacent à ce modèle est de

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comprendre la prise de décisionsstratégiques des gestionnairesdans le but d'équilibrer efficacitéorganisationelle et innovation pourcréer de la valeur. Trois options s'offrent aux gestionnaires pouridentifier et développer les capacitésorganisationelles et dynamiquesrequises pour coordonner les opérations tout en cultivant l'innovationet le changement au sein de leursentrepises1. La première est l'opti-misation des opérations courantes.Les entreprises génèrent des alter-natives en capitalisant sur leurscapacités organisationelles existantes(routines et processus existants) en effectuant de minimes change-ments à leurs pratiques managériales.La deuxième est la transformationdes opérations courantes. Lesentreprises identifient différentesalternatives et choisissent celles quireprésentent le plus grand potentield'amélioration de leur performance.Elles doivent démontrer une capacitéà transformer le savoir et les idéesen nouveaux produits, processus etsystèmes d'information qui bénéfi-cieront à leurs clients. Enfin la troi-sième option, l'orientation créatrice(ou la création du futur), requiert desgestionnaires de pouvoir combinerleurs ressources sous de nouvellesformes, de reconnaître les nouvellescapacités requises et de disposerde celles qui ne sont plus nécessairespour innover et créer de la valeur.

Pour bien comprendre les relationsentre la prise de décisions stratégiquespar les gestionnaires, l'identificationdes capacités dynamiques et lacréation de valeur, l'approchecontingente (Lawrence & Lorsch,

1967; Donaldson, 2001) est préco-nisée. Aussi, le jeu d'innovationnous permet de qualifier le contexteet devient la prémisse dans lequelles interactions entre la prise dedécisions stratégiques, l'identificationdes capacités organisationnellesrequises et la nécessité de créer dela valeur s'inscrivent.

Pour mettre en application le modèleconceptuel proposé, il devient doncintéressant d'associer, dans un premier temps, le jeu d'innovationjoué par l'entreprise cible avec troisoptions soit : une optimisation,transformation ou des changementsradicaux dans les activités courantesdes firmes pour concurrencer lescompétiteurs avec succès. Dans undeuxième temps, les gestionnairesdéterminent les capacités requiseset évaluent le niveau de transformationet d'adaptation nécessaire en lienavec l'option choisie (vecteur«adaptation» figure 8). Que ceschangements soient incrémentauxou radicaux, ils nécessiteront l'identification par les gestionnairesnon seulement des capacitésorganisationnelles requises maiségalement des capacités dyna-miques nécessaires pour implanterle changement. Le cas ABCTelecom nous permettra d'illustrerce modèle conceptuel de manièreconcrète. Pour ce faire, nous iden-tifierons le jeu d'innovation jouéepar ABC Telecom, nous associeronsce jeu aux options qui s'offrent aux gestionnaires (optimisation,transformation ou orientation créative)pour ensuite identifier les capacitésorganisationnelles et dynamiquesutilisées par ABC Telecom.

94

1 Pour plus d'informations sur le défi des gestionnaires à la recherche d'un équilibre stratégique, vous pouvezobtenir auprès de Nathalie Drouin la copie d'un article présenté sur le sujet à la Conférence Annuelle de laStrategic Management Society, Puerto Rico, octobre 2004.

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Le cas ABC Telecom2

ABC Telecom est l'un des plusimportants fournisseurs mondiauxde technologie d'accès sans fil fixeà large bande (BFWA), qui permet àdes usagers de se connecter à desréseaux par des transmissions sansfils. Depuis plus de vingt ans, desfournisseurs utilisent les produits etles solutions de ABC Telecom afind'offrir des services robustes et efficaces de télécommunication depointe dans plusieurs régions duglobe, tant urbaines qu'éloignées.Les produits de ABC Telecom sontinstallés dans plus de 130 pays.

L'incomparable gamme de produitsBFWA qu'offre la société permet àsa clientèle en pleine croissanced'offrir des services de téléphonieordinaire, de transmission de données à large bande et d'accèsInternet. ABC Telecom est un membreprincipal du forum WiMAX, uneinitiative concertée de l'industrie quifavorise le déploiement de réseauxd'accès sans fil à large bande ens'appuyant sur une norme mondialeet en homologuant l'interopérabilitédes produits et des technologies.

La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 95

Figure 8 :

Concep-tualisation

du défi stratégique

des gestionnaires

de hautniveau

(Drouin &Miller, 2005)

2 Les données sont tirées d'une étude de cas effectuée par Roger Miller et Nathalie Drouin auprès de l'entrepri-se ABC Telecom. Vous trouverez à l'annexe 1 une description des résultats utilisés pour cet article.

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La création de valeur chez ABCTelecom est dominée par uneemphase sur l'ingénierie afin de :

1 - bâtir des systèmes com-plexes, fiables à long terme,2 - réduire les coûts et améliorerla qualité des équipements et desproduits,3 - enchâsser produits et systèmesdans l'offre de services. Parexemple, en bâtissant desréseaux pour les clients.

Le tableau 1 (annexe 1) présente lepositionnement de ABC Telecompar rapport aux autres entreprisesqui jouent le même jeu d'innovationpour créer de la valeur. En comparantABC Telecom avec les firmes lesplus performantes, nous constatonsque les dimensions de création devaleur utilisées par ABC Telecomsont :

1 - le développement de systèmescomplexes qui ont une réputationde fiabilité,2 - la réduction de coûts et lamise en valeur de la qualité,3 - le développement de produitsbrevetés qui rencontrent lesbesoins de la clientèle,4 - le développement de moduleset de pièces en collaborationavec les fournisseurs,5 - rehausser la valeur des produitsofferts en offrant le service combinéaux solutions.

Le contexte3

Le contexte dans lequel œuvreABC Telecom se qualifie ainsi :� l'entreprise oeuvre dans un

secteur qui requiert un niveaumoyen de développement dusavoir. Aussi, la base technologiquedemeure essentiellement lamême et le savoir est utilisé pouraméliorer de manière constantel'architecture existante. Le savoirest développé au sein du secteur.La collaboration avec lesréseaux universitaires pouracquérir du savoir est faible.

� un haut niveau d'interdépen-dance avec les firmes qui jouentle même jeu est constaté. ABCTelecom est hautement dépen-dante et repose sur les autresentreprises pour innover.

� le niveau des ventes est fortementinfluencé par l'intervention gou-vernementale qui encourage, pardes politiques et réglementation,l'accès universel aux communi-cations (telles que les servicesde téléphonie ordinaire, detransmission de données, d'accèsInternet)

� l'environnement de ABCTelecom est caractérisé par unniveau raisonnable d'incertitudes.Les variations et changementstechnologies demeurent toute-fois difficiles à prédire à moyenterme.

� ABC Telecom vend des produitset technologies qui s'intègrent la plupart du temps à une offresystémique. Ses produits sontdonc rarement vendus seulsmais dépendent plutôt d'une offresystémique des constructeurs deréseaux et nécessitent ainsi unfort niveau d'interopérabilité pourêtre utile

La création de la valeur

96

3 Pour plus d'informations voir le tableau figurant annexe 1.

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� sa clientèle est experte � la croissance du marché estjugée sous la moyenne

� son secteur se caractérise parde faibles économies d'échelleet barrières à l'entrée.

Suite à l'éclatement de la bulle destélécommunications, les compétiteursde ABC Telecom sont au nombre detrois.

Les conditions contextuelles quiprévalent nous permettent de distinguercertains modèles de création devaleur appelés les jeux d'innovation.Ces jeux mettent en relation lafirme, ses partenaires, ses clients,ses fournisseurs et se situent auniveau meso, entre le niveau micro(la firme) et le niveau macro (l'éco-nomie). Dans le cas de ABCTelecom, l'entreprise joue le jeuappelé Design de systèmes etconsultation.

Les firmes qui jouent ce jeu fontface à un environnement caractérisépar des changements technolo-giques modérés, peu réglementé etdont les clients sont des expertschevronnés et exigeants. Les com-pétiteurs offrent notamment dessolutions et réseaux intégrés auxsecteurs bancaires, manufacturierset des communications. Pour créerde la valeur, les firmes proposentdes architectures intégrées alignéessur les architectures dominantes

et les standards émergents. Ils proposent notamment l'intégrationpar l'entremise d'outils «hardware»et «software» et par des protocolesde communication. Les firmes centralisent et partagent le savoirentre les clients, les vendeurs, lesfournisseurs pour dessiner dessolutions systémiques et les alignéesavec les solutions dominantes4.

Nous avons constaté que le jeud'innovation joué par ABC Telecomest le Design de systèmes et laconsultation. La création de valeurchez ABC Telecom est dominée parune emphase sur l'ingénierie pourbâtir des systèmes complexes, fiables à long terme; réduire lescoûts et améliorer la qualité deséquipements et des produits; etenchâsser produits et systèmesdans l'offre de services. Pour jouerà ce jeu d'innovation et créer de lavaleur, les gestionnaires de ABCTelecom doivent prendre des décisionsqui leur permettent d'équilibrer efficacité organisationnelle et inno-vation. Selon notre modèle conceptuel,le jeu joué par ABC Telecom conduitses gestionnaires à relever desdéfis et prendre des décisionsdavantage liés à l'optimisation deses activités internes et l'exploitationde ces marchés cibles qu'à la trans-formation et à la création de nouvellestechnologies et standards sur lemarché (voir schéma ci-après).

La Recherche au CIGREF

Le jeu d'innovation

Cahier n° 2 97

4 Voir l’annexe 1 ainsi que l’article de Miller et Floricel (2004) pour plus d’information sur les jeux d’innovation.

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Les capacités observées lors de l'étude empirique auprès de ABCTelecom se classent en deux catégories: les capacités d'usine et les capacités liées à une compréhension du marché.

Les capacités d'usine servent àaugmenter l'efficacité des processusinternes et la fiabilité des produitsofferts aux clients. ABC Telecom asu déveloper une habilité distinctivesur ce plan. Par exemple, elle aune forte capacité à capitaliser etexploiter ses activités de rechercheet développement. Ceci lui permetnon seulement de produire dessolutions adaptées aux besoins desa clientèle mais de les produire etles offrir à un meilleur coût que cescompétiteurs. En fait, une partieimportante de ses activités derecherche et développement estcentrée sur la réduction de sescoûts opérationnels et sur ceux liés

à la production des produits offertsà la clientèle. ABC Telecom offredonc à sa clientèle des produits fiables à coûts compétitifs. À mêmecette perspective de réduction decoûts, ABC Telecom a démontréune capacité à intégrer les techno-logies nouvellement acquises à sestechnologies existantes pour ainsioffrir à ses clients des améliorationstechnologiques aux produits existants.ABC Telecom a également faitpreuve d'une efficacité dans la gestion de ses projets internes àl'aide d'un processus reconnu le«stage-gate» (Coopers et al. 2001).Ceci permet à la firme de mieuxgérer le flux des idées innovantes etd'évaluer la pertinence et l'efficacitéde ses projets internes. Il est intéressant de noter que cette capacitéliée à la gestion de projet s'estdéveloppée au cours des ans par laprésence d'une autre capacité soitcelle d'apprendre et d'intégrer le

98

Figure 9 :

Postionnementde ABCTelecom

sur le modèleconceptuel

du défi stratégique

des gestionnaires

de hautniveau

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savoir provenant de son implicationdans le déploiement de réseauxpour différents clients.

La deuxième catégorie est lescapacités liées à une compréhensiondu marché. Ces capacités sontliées à l'habilité de ABC Telecom degérer et comprendre les besoins dumarché et des clients. Tout au longde ses vingt ans d'existence, ABCTelecom a dévelopé une capacité à influencer les décideurs et lesorganismes de réglementation pourpénétrer le marché et surtoutengendrer le développement denouvelles initiatives d'affaires sur cemarché cible. Elle est reconnuecomme un leader, ce qui lui a permis au fil des ans de développerune réputation enviable basée surl'offre d'une technologie fiable.Cette image de marque est liée

à une capacité de la firme de se différencier par sa réputation et safiabilité. Enfin, elle a su développerune capacité à bâtir et exploiter unréseau de distribution reconnu parses compétiteurs comme un avan-tage concurrentiel clé.

Le tableau ci-dessous résume lescapacités organisationnelles etdynamiques observées dans le casde ABC Telecom. Lorsqu'une capacitéfacilite la gestion de changementinterne au sein des pratiques managériales, elle est davantageconsidérée comme une capacitédynamique qui permet à la firme detransformer ses façons de faire etde créer de la valeur. Lorsqu'elleexploite des compétences et processus internes pour créer de lavaleur, elle est considérée commeune capacité organisationnelle.

La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 99

Capacités organisationnelles

(moins axées sur l'intégration

de changements)

Capacités dynamiques (plus axées

sur l'intégrationde changements)

Capacités d'usines

�Capacité à capitaliser lesactivités R&D�Capacité à gérer les projets

�Capacité à intégrer lesavoir des nouvelles tech-nologies�Capacité à apprendre et intégrer le savoir nouéau déploiement de projets auprès des clients

Capacités liées à la compréhensiondu marché

�Capacité à influencer lesdécideurs et organismesde réglementation�Capacité à développerune image de marque etune réputation�Capacité à développerun réseau de distribution

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L'objet de cet article visait à mieuxcomprendre les capacités organisa-tionnelles et dynamiques nécessairesà la création de valeur et liées auxjeux d'innovation. Le cas de ABCTelecom nous a permis de concrétiseret traduire en termes pratiques etpar des exemples concrets lesdimensions conceptuelles de lanotion de capacités dynamiques.Ces capacités furent analyséesdans le contexte particulier d'uneentreprise de télécommunicationqui joue le jeu du design et de laconsultation.

Nous observons que pour jouer sonjeu d'innovation et créer de la valeurABC Telecom doit utiliser des capacités qui maximisent son efficacité organisationnelle etexploite davantage ses capacitésexistantes avec peu de transformationet de modifications. Pour être profi-table, ABC Telecom doit notammentmaîtriser ses coûts et améliorerconstamment la qualité de ces produits pour maintenir sa réputationde fiabilité. Des habiletés en gestion de projet, à intégrer lesavoir technologique existant pardes acquisitions, à influencer lesdécideurs clés du marché cible etune concentration de la rechercheet développement à l'améliorationdes processus internes sont desexemples de capacités utilisées par ABC Telecom pour créer de lavaleur, par une stratégie d'optimisation.

Les capacités qui supportent cettecréation de valeur favorisent doncles pratiques qui exploitent les technologies et marchés plutôt quel'exploration et la créativité. De plus,c'est une combinaison des capacitésorganisationnelles et des capacitésdynamiques qui soutient la créationde valeur. Cette combinaison permetà ABC Telecom de capitaliser de différentes manières sur ces activitésinternes et son interaction avec l'environnement pour construire unavantage concurrentiel, innover etcréer de la valeur dans un jeu dedesign et consultation qui sommetoute, requiert une optimisation deses pratiques plutôt qu'une transfor-mation radicale.

Cette étude empirique fournit desexemples concrets des capacitésorganisationnelles et dynamiquespour les gestionnaires des entreprisesen télécommunication pour innover.Nous espérons qu'elle permettra deguider les recherches futures surles capacités dynamiques etconcrétisera ce concept. Elle serviraà nos recherches dans le cadre du programme MINE pour ainsiinfirmer ou confirmer le rôle combinédes capacités organisationnelles,plus opérationnelles, et les capacitésdynamiques, axées sur le change-ment, dans la création de la valeurselon les jeux d'innovation joués.

Conclusion

100

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MINE s'appuie sur les résultats d'unprogramme de recherche interna-tional réalisé par Dr. Roger E. Milleren collaboration avec l'IndustrialResearch Institute (IRI, Washin-gton, DC). Ce projet visait à identifierles meilleures pratiques en gestionde la technologie pour soutenir lacroissance corporative. Au coursd'une période de 18 mois, les CTOet les VP R&D de plus de 125 compagnies ont été interviewés.Les conclusions suivantes se sontdégagées :

1. Il existe plusieurs jeux d'inno-vation dans lesquelles les pratiquesde gestion de l'innovation et decapture de la valeur créée sonttrès différentes. À ce jour, 8 jeuxd'innovation ont été identifiés àtravers de nombreuses industries.Nous anticipons de découvrir 3 à5 autres jeux dans le cadre duprogramme MINE.

2. Les stratégies, les structures etles pratiques d'innovation les plusadaptées dépendent du jeu danslequel la firme joue. Il faut ainsique ces éléments soient parfaitementadaptés à la logique de créationde valeur dominante dans le jeuen question. Cependant, certainesfirmes sont plus performantesque d'autres et atteignent ainsides meilleurs niveaux de crois-sance et de profitabilité. Bien quedes « meilleures pratiques uni-verselles » n'existent pas, certainespratiques sont statistiquementreliées à une meilleure perfor-mance lorsqu'elles sont analy-sées dans le contexte d'un jeud'innovation spécifique.

3. Les compagnies les plus performantes, soit celles quiatteignent à la fois une croissancede vente et un retour sur investis-sement au-dessus de la moyenne,développent les compétencesrequises compte tenu du jeudans laquelle elles jouent. Enplus de l'adoption des pratiquesles plus adaptées pour la gestionde l'innovation, elles parviennentà développer les compétencesrequises par leur environnementcompétitif, technologique etréglementaire.

Bien que ce premier projet derecherche ait ouvert le chemin versune meilleure compréhension desnouvelles exigences de la créationde valeur par l'innovation, l'échan-tillon de 125 firmes était trop restreint pour parvenir à des conclu-sions fiables de balisage (bench-marking), pour bâtir des cadres deréférence pratiques et pour livrerdes boîtes à outils opérationnellesaux compagnies. Les participants del'IRI demandèrent donc l'extensionde l'étude pour augmenter la taillede l'échantillon et pour explorerdavantage le concept de jeu d'inno-vation. Les résultats ci-après présentés sur le cas ABC Telecomfont suite à la demande de L'IRI.ABC Telecom est donc une desentreprises qui ont participé au projet MINE en répondant au ques-tionnaire et en acceptant qu'uneétude de cas soit effectuée au seinde son entreprise. Lorsque ABCTelecom a complété le questionnaireMINE, ce dernier n'était disponiblequ'en langue anglaise. C'est pourcette raison que les résultats

La Recherche au CIGREF

Annexe 1

Cahier n° 2 101

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ABC TELECOM : RESULTS

ci-après discutés sont en anglaispour préserver l'intégrité des réponsesfournies par les répondants.La mise en œuvre du projet MINE

en Europe depuis la France s'inscritdans le plan stratégique duCIGREF pour agir dans l'économiede l'information par l'innovation.

Value Creation andCapture

Value creation and capture at ABCTelecom is dominated by an engi-neering emphasis to (1) build complex systems that must be reliableover time (2) to reduce costs andenhance the quality of equipmentand products and (3) to embed products and systems into the delivery of services such as buildingnetworks for customers.

Value creation and capture activitiesthat are somehow significant are(1) aligning with the dominant solutions promoted by competitors,complementors and network buil-ders (2) producing a continuouslyflow of proprietary products whosefeatures meet customers' needs (3)developing with suppliers modularcomponents and products thatembody novelty and standardization.(4) anticipating and meeting theneeds of specialized and deman-ding clients.

Actvities of value creation and capture that are not dominant at allare (1) developing products to make

them de-facto standards thusmaking them easily inter-operable(2) rapidly imitating competitors'offering to reduce price and enlargethe offering (3) transforming academicresearch into products and gainingregulatory 'approval fast and (4)increasing product variety toemphasize customization for eachclient.

Table 1 outlines ABC Telecom'sposition on value creation and capture compared to firms that arein the same game, the top performersin the game and the overall mean inour sample of 74 firms in the IRIstudy. As compared to top performersin the same game, the dimensionsof value creation and capture thatare emphasized more by ABCTelecom are (1) developing complexsystems that have a reputation forreliability (2) cost reduction andquality enhancement (3) developmentof a flow of proprietary products withfeatures that meet customers'needs (4) de vloping with suppliersmodules and components and (5)enhancing the value of the productoffering by embedding them intoservices and solutions.

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La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 103

Table 1 :

Dominantways of

creating valueand

capabilities forconsumers /

users

ABCTelecom

Cluster20% Best

Global

VACADEMTransform academic research property intoradically products

4 4,08 4,33 3,84

VFIRSTTOBe the first to market products that meet regulatoryrequirements and tests

4 3,38 3,33 3,89

VCOMPLEXDevelop complex technical systems with a reputation for being absolutely reliable and safe

7 5,23 6,33 5,20

VDEFACTODevelop and grow products to become de-factostandards thus reducing interoperability orinterfacing problems for the consumer

2 2,38 3,67 3,22

VALIGNReduce uncertainty for consumers/users byaligning with the dominant technical solutionpromoted by competitors and complmentors

5 3,08 4,67 3,66

VREDUCO Reduce costs and enhance quality of products 7 5,62 5,33 5,12

VFLOWPRODevelop a continuous flow of proprietarily newproducts with features that meet evolving customers needs and expectations

6 4,35 4,67 4,93

VJOINTDevelop, though joint research with suppliers orpartners, products with a stable architecture butembodying innovation in modular components

6 2,77 2,33 4,14

VANTICIPAnticipate and meet the distinctive needs ofhighly specialized and demanding clients

5 4,62 5,67 4,45

VMASCUSTIncreases the product variety while keeping lowthe cost of customization and manufacturing

4 3,69 3,33 3,78

VIMITATERapidly imitate or follow leaders who openednew markets to reduce prices and offer a choice

2 3,62 4,00 3,25

VCOMPLEMEnhance the value of the product offering byproviding complementary services and solutions

6 4,92 5,00 5,00

Sum 58,0 47,7 52,7 50,5

Average 4,8 4,0 4,4 4,2

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The context in which ABC Telecomis operating can de characterizedalong the following dominant lines ;

(1) High but not highest scientificand technological pace. Thedynamism of relevant knowledgeproduction refers to the influx ofexternally produced knowledge,from academic research but alsofrom other sectors, as well as theintensity with which new technicalprinciples and technologies are produced within the sector itself. Insectors with the highest knowledgeproduction dynamism, there astrong and constant influx of newprinciples that enable radical inno-vations. Typically such knowledgeis produced outside the sector, e.g.the biotechnology sector that reliesstrongly on knowledge produced inthe academic domain.

In sectors with an average knowledgeproduction dynamism which cor-respond to the one ABC Telecomoperates in, the technical principlesmay remain about the same but theflow of knowledge enables constantrestructuring of the architecture.Typically, in such sectors knowledgeproduced inside or in the peripheryof the sector; the inflow of knowledgefrom universities is lower. Finally, inthe sectors with low knowledgedynamism, learning is often basedon existing architectures or accu-mulation in production systems.Typically, this learning is producedinside firms from the combination ofdifferent perspectives, or in collabo-ration with suppliers or similar firms.Automobile is an example of lowknowledge production dynamism.

(2) High level of interdependencewith other players in the game. :In some sectors, firms can play the innovation game alone by introducing new products and processes based on their internalactivities. By contrast, in some sector, innovating involves interde-pendencies. Products or servicesthat create value for customersemerge from interactions with uni-versities, public labs, vendors, leadcustomers and complementaryfirms. ABC Telecom in highlydependent on other firms for inno-vating. Its products are componentsof a systemic offer by network buildersand thus need interoperability to beuseful (e.g. software, routers).

(3) Need for regulatory approval.Regulatory logics and frameworksmay give an advantage to somefirms, enabling them to capture alarge share of the value that theirefforts justify. ABC Telecom sellsproducts and systems in large partdue to regulators' decisions to foster universal access. The institu-tional framework built by regulationsand public policies in economic,safety, intellectual property and procurement areas produce thehighest structuring forces that helpABC Telecom. The reasons forgovernment interventions are oftenthe social pressures and risks asso-ciated with the products or activitiesof the sector (i.e. universal accessor health hazard calls for lengthydrug approval process).

(4) Uncertainty and unpredictability.ABC Telecom finds itself in a sectorcharacterized by a reasonably high

The Competitive Context

104

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degree of uncertainty. In some sectors,investment in studies and researchmake it possible to resolve keyuncertainties. By contrast, in othersectors such as the one ABCTelecom finds itself in, key variables,especially technological competition,remain essentially unpredictable forthe medium term.

(5) Inter-operability. ABC Telecomsell products that are componentsof a systemic offer and thus needinteroperability to be useful (e.g.software, routers). Rarely are productssold as "stand alone" without theneed to do not interact with otherproducts to produce benefits. ABCTelecom build FW networks for ruraland urban operators and is ofteninvolved as a partner in a wide project directed by network builderssuch as Siemens, Ericsson.

(6) Strong buyers who are profes-sional experts. The nature anddegree of expertise of customersrefers to customers' willingness toshare problems with vendors, aswell as their ability to stimulate andinform the innovation activities inthe sector. ABC Telecom sells toexpert buyers. The highest level ofexpertise is typical for sectors thatsell products to industrial firms, operators or government agencies:such products are critical componentsfor the clients' products and productionsystems. Such customers usuallyhave a high degree of expertise, do their own R&D activities and are usually keenly interested in suppliers' innovation activities. Forinstance, a chip producer, such asIntel, is very interested in the designsystems for semiconductors, or in semiconductor manufacturingequipment. Similarly, a telephoneoperator or a network builder isinterested in the R&D activities ofequipment suppliers.

In some sectors, the level of expertiseof buyers is average and productsare not mission-critical. Clientshave an ability to judge the qualityproducts but do not jolt suppliersinto being innovators. Finally, thelowest degree of expertise is indivi-dual buyers that constitute themass markets.

(7) Market growth ABC Telecomoperates in a market where growthof sales is judged to be slightlyabove average. Some firms operatein markets that experience hyperbolicgrowth thus creating high expecta-tions. Others, by contrast, competein markets that do not grow as fast (around (20%) Finally somemarkets barely grow as fast as theGDP.

(8) Economic structuring Averagestructuring forces are produced byeconomic logics such as economiesof scale and scope in innovation,production and distribution activi-ties. Unfortunately, ABC Telecom isin a sector where economies ofscale are few and new entrants findfew barriers. Fortunately, the burstingof the telecom bubble has reducedthe number of competitors to three.Appropriate actions in the face ofsuch logics lead to high marketshare and international expansion.Other examples are network effects,which lead to the dominance of oneproduct architecture over competingarchitectures, and the importance ofbrands for reducing customeruncertainty. A low structuring potentialis present in all sectors that are notsocially sensitive and do not benefitfrom economies of scale or othereconomic logics. For instance, sectorssuch as standard construction,consulting or clothing productionhave low structuring potential.

La Recherche au CIGREF

Cahier n° 2 105

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106

Table 2 :

The contextualfactors

influencingthe valuecreation activities

ABCTelecom

Cluster20% Best

Global

STPACE Scientific and technological pace 6 3,85 6,67 4,78

INTERDEP Interdependence between co-specialized 6 4,62 4,67 4,71

NEEDREG Need for regulatory approval 5 3,46 3,67 3,72

UNCERTAI Uncertainty and unpredictability 5 3,00 4,33 3,66

COSTINNO Average cost of innovation projects 3 3,23 3,67 3,40

SOCIORES The social resistance to innovation 1 2,77 2,33 2,53

LINMARK Linear or non linear markets 4 2,54 2,67 3,24

BUYERS Nature of buyers 6 2,54 7,00 5,65

MANUFAC The importance of manufacturing 4 5,23 4,67 4,76

INTEROP Interoperability/interface requirements 6 4,38 6,33 4,58

DEFENTI The degree of differentiation of markets 3 4,77 6,00 4,75

MARKGROW Level of market growth 5 4,00 6,33 3,97

IPCAPTUR Capturing the benefits if intellectual property 4 4,23 4,33 3,62

Sum 58,0 51,6 62,7 53,4

Average 4,5 4,0 4,8 4,1

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The prevailing contextual conditionslead to distinct patterns of valuecreation and capture, network struc-tures and dynamics. Games have adominant logic to create and capturevalue that is only possible under aset of contextual conditions. In thecase of ABC Telecom, we concludethat the firm is in the game whichwe have labelled SYSTEMSDESIGN AND CONSULTING SER-VICES.

Systems Design and ConsultingServices. Firms in this game face acontext characterized by moderatespeed of scientific and technologicalchange, very demanding expertclients but little regulatory structures.Competitors offer systems consultingand IT networks for power, banking,manufacturing, communications orother sectors. To create value, firmspropose systemic architectures aligned with the dominant or emergingstandards, and propose integrationwith hardware, software tools, andcommunication protocols. Firms areknowledge clearinghouse betweenclients, vendors and software, suppliers to design systemic solu-tions and align them with dominantstandards. Cambridge TechnologyPartners, Powertech of Vancouveror CGI in Montreal use R&D tounderstand the evolution of IT systems by interacting with hardware,software and logistics systems builders in order to (1) develop systemic " points of views" that canbe proposed to guide clients' invest-ments in IT systems and (2) helpclients build competencies to imple-ment solutions. R&D is not a distinctdepartment but an activity funded atthe corporate level, conducted byconsultants, and involving wide networks of university professors,

gurus, or vendors (Miller andFloricel 2004).

The main characteristics of suchspecialty engineering games are :

� Niche markets

The relative weakness of feedbackeffects is such that sales rarelybecome mass market but remainspecialty-engineering products.Such products do not cross the"chasm" toward larger marketsbecause they are not intended to doso. Adoption of a system by majorcustomers may enhance the repu-tation of the supplying firm but it does not trigger widespread adoption. Scale effects are minimal.Buyers do not need to align them-selves with emerging standards andcan be very satisfied with tailored orproprietary products.

� Expert, demanding buyers

Buyers are not only well informedbut they are also powerful vis-à-vissellers. For example, small firmssuch as Synopsis or PRI Automationface strong buyers such as Intel or General Motor. The degree ofinformation, expertise and purchasingpower of buyers thus plays a determinant role. When buyers areinformed and expert, they can evaluate product or systems andinteract with sellers to discuss withthem with information about needs,specify systems and indicateexpected volume.

� Racing to renew products

Customers are expert and wantproducts that incorporate the mostproductive features. Systems thusneed to be renewed continually byadding desirable functions to the

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The Game of Innovation

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accumulated knowledge infrastruc-ture. The advantage to users of newgenerations of such specialty nicheproducts are so large also justifyinvestment in new version new products must be continuously re-invented. Buyers can easily calculate benefits as well as switchingcosts. Switching costs certainly fosterinertia but novel product featurescan lead to large performancejumps and thus justify adoption ofimproved versions.

The evolutionary paths of specialtyengineering games are characterizedby continuous and even radicalredesign of products. Specializedengineering games never move into

mass markets. Furthermore, buyersare informed, and sometimespowerful, experts who have astrong influence on the attributes of products offered. Specialty engi-neering games are populated bysmall to mid-size firms in narrowmarkets where they offer knowled-ge-based products and high-leveladvice to large clients. Examples ofproduct are: (i) rational drug designsoftware systems sold to pharma-ceutical firms; (ii) design engineeringsystems sold to semi-conductorsmanufacturers; (iii) engineering systems sold to airplane or car buil-ders and (iv) factory automationproducts and services sold to massmanufacturers.

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