la réalisation audionumérique diy de groupes rock au québec: … · 2020. 9. 29. · -!ils ont...
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© Mathieu Bossé, 2019
La réalisation audionumérique DIY de groupes rock au Québec: Pour une méthode de travail plus efficace
Mémoire
Mathieu Bossé
Maîtrise sur mesure en réalisation audionumérique
Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
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Résumé du mémoire
Dans ce mémoire, nous nous penchons sur les processus créatifs et techniques d’enregistrement sonore de type DIY (Do It Yourself) pratiqués dans mes expériences avec différents groupes rock, punk, hardcore et alternatif de Québec. Les styles musicaux varient grandement d’un projet à l’autre, mais trois aspects sont communs à chaque groupe:
- Ils sont issus d’une scène « underground» de la Ville de Québec1 . - Ils ont une instrumentation rock2 (pour nous, une instrumentation rock est
composée des instruments suivants : batterie, guitare électrique, guitare basse et voix).
- Ils enregistrent de manière DIY jusqu’à un certain niveau.
Avec les avancées technologiques, l’enregistrement DIY est une pratique de plus en plus courante chez les groupes de musique. À notre expérience, les artistes œuvrant dans des scènes se rapprochant de la culture punk et underground sont souvent restreints par des ressources et des budgets limités ou ont simplement un désir de liberté créative lorsqu’il est temps d’enregistrer leurs chansons. Dans la recherche de l’indépendance, ils vont souvent opter pour l’approche DIY lorsqu’il est temps d’enregistrer une chanson ou un album, ce qui donne souvent une esthétique punk aux pistes audio3. Dans ce partage d’expériences, l’objectif est d’analyser les méthodes de travail qui contribuent à obtenir des résultats de qualité en enregistrement DIY4 et d’en tirer une méthode efficace qui pourrait servir au DIYer5 en enregistrement. Nous croyons qu’en prenant connaissance de nos résultats et de nos analyses de chaque projet, un(e) artiste désirant enregistrer un projet musical de façon DIY sera en mesure de faire des choix plus sensés et éclairés par rapport à sa propre situation et son propre projet d’enregistrement. Enfin, j’offre mes observations et conclusions au réalisateur DIY pour qu’il analyse bien sa réalité unique à lui-même et à son ou ses projets d’enregistrement afin qu’il bénéficie d’une courbe d’apprentissage rapide et conviviale.
1 Selon Stephen Graham, le musique underground est fondamentalement une pratique et une culture philosophique de musique qui existe à l’extérieur des courants dominants de la musique populaire. Source : Graham, S. (2010, 06 21). (Un)popular Avant-Gardes: Underground Popular Music and the Avant-Garde. Perspectices of New Music, Vol. 48, No.2 , p.10. 2 Comme le démontre Allan Moore en refusant de donner une définition simple à ce terme dans Rock : The Primary Text : Developing a Musicology of Rock, définir ce qu’est la musique « rock » est quasi impossible et sa définition varie dans le temps ainsi que pour chaque auditeur. 3 Dunn, K. (2016, 05 16). How punk rock kickstarted the Do-It-Yourself record revolution. Consulté le 08 06, 2018, sur medium.com/cuepoint: https://medium.com/cuepoint/how-punk-rock-kickstarted-the-do-it-yourself-record-revolution-39a41d78e12a 4 Le terme DIY sera expliqué en détail dans l’introduction. Il s’agit d’un acronyme pour Do It Yourself. 5 Le terme DIYer fait référence à une personne qui pratique des activités DIY
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Abstract
In this master’s thesis, we address the issue of creative processes and recording techniques in different DIY (Do It Yourself) settings as implemented through my experience with different rock, punk, hardcore and alternative bands in Quebec City. Musical styles greatly vary from one project to another, but all of the music groups share three common aspects:
- They come from the underground scene around Quebec City. - They have a rock-type instrumentation (for us, a rock-type instrumentation is made
up of minimum two of the following instruments: drums, electric guitar, electric bass and vocal.)
- They record in a DIY setting, up to a certain point. With the rise of new technologies, DIY recording is more and more common in music bands. In our experience, artists from scenes close to the punk and underground cultures are often limited by their budget and resources or simply have a desire for creative liberty when recording their music. Seeking independence, they will often go for the DIY approach when the time has come for them to record a song or an album, which often lends a punk aesthetic to their audio tracks. This masters thesis seeks to analyse working methods that contribute to obtaining good quality results in DIY recording and to find an efficient methodology that could help the self-taught DIYer in recording music. We believe that by reading about these projects, with the analysis and feedback, an artist who wants to work in a DIY setting will be able to make better decisions in regard to their own recording project and situation. I also offer advice for the DIY recording artist to analyse his own unique recording reality and the one of his different recording projects in order for him to benefit from a faster and favorable learning curve.
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Table des matières
Résumé du mémoire ........................................................................................................ iiAbstract ............................................................................................................................. iiiTable des matières ............................................................................................................ ivListe des figures ................................................................................................................ ivListe des tableaux ........................................................................................................... viiiAvant-propos .................................................................................................................... ixRemerciements ................................................................................................................. xiIntroduction ....................................................................................................................... 1
0.1 Apologia ............................................................................................................... 10.2 Mise en contexte ....................................................................................................... 20.3 État de la littérature ................................................................................................. 140.4 Problématique ......................................................................................................... 170.5 Méthodologie .......................................................................................................... 200.6 Organisation du mémoire ........................................................................................ 21
Chapitre 1 : Aperçu des projets ..................................................................................... 231.1 Enregistrement de l’album On fait notre possible du groupe A Tree At Last . 23
1.1.1 Présentation des différentes étapes du projet ................................................... 231.1.2 : Discussion, analyse et retour sur le projet ..................................................... 34
1.2 Enregistrement de l’album Dépeindre l’habitude du groupe Distance Critique....................................................................................................................................... 41
1.2.1 Présentation des différentes étapes du projet ................................................... 411.2.2 : Discussion, analyse et retour sur le projet ..................................................... 52
1.3 Enregistrement du EP Split album with TDOAFS du groupe Albatros ......... 671.3.1 Présentation des différentes étapes du projet ................................................... 671.3.2 : Discussion, analyse et retour sur le projet ..................................................... 77
1.4 Enregistrement de l’album Endless Voids du groupe Mhedved ...................... 861.4.1 Présentation des différentes étapes du projet ................................................... 861.4.2 : Discussion, analyse et retour sur le projet ..................................................... 97
Conclusion ..................................................................................................................... 1152.1 Observations globales de mes projets et du concept d’enregistrement DIY .... 115
Bibliographie ................................................................................................................. 119Annexe 1 : Niveau de DIYness d’un projet DIY ........................................................... 121
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Liste des figures
Figure 1: Échelle de niveau de DIYness ........................................................................... 13Figure 2: Hudon aux commandes de l’ordinateur pendant l’enregistrement de la batterie
de A Tree At Last dans notre petit local ................................................................... 25Figure 3a et 3b: N’ayant pas à gérer l’ordinateur, j’accompagnais Nicolas pendant la
session d’enregistrement de la batterie d’ATAL et je pouvais me concentrer sur l’aspect réalisation artistique ..................................................................................... 25
Figure 4: L’envers du décor : nos installations pour enregistrer la guitare d’ATAL dans notre local. Là où tout s’est chamboulé .................................................................... 28
Figure 5: Hudon dans sa salle de mixage, au bureau de travail qu’il a construit lui-même................................................................................................................................... 28
Figure 6: L’amplificateur Mesa/Boogie Dual Rectifier se trouvant directement dans la salle d’écoute de Hudon ............................................................................................ 29
Figure 7: La station de travail pour l’étape finale de la réamplification : les feedbacks .. 30Figure 8: Jonathan enregistrant une piste vocale dans ma chambre à coucher pour A Tree
At Last ....................................................................................................................... 31Figure 9: L’enregistrement des « gang vocals » de ATAL. De gauche à droite : Manu
Savoie, Nathan Jacob, François Laplante-Beaudette et Nicolas Turcotte ................ 32Figure 10: Recomposition des guitares par improvisation dans « Tear Off Your Clothes
». Extrait audio 1 et 2. *Chaque ligne représente une prise improvisée. Les sections en bleu sont les segments sélectionnés. .................................................................... 38
Figure 11: Photo-écran de l’enregistrement par couche des harmonies vocales dans le bridge de Biker Romance par ATAL. Extrait audio 3 .............................................. 39
Figure 12: Panorama et volume des pistes de la première partie des harmonies vocales dans le bridge de Biker Romance .............................................................................. 40
Figure 13: Panorama et du volume des pistes de la deuxième partie des harmonies vocales dans le bridge de Biker Romance ................................................................. 40
Figure 14: L’enregistrement de la batterie de DC au studio LANTISS ........................... 45Figure 15: Photo panoramique de ma chambre prise de mon lit, là où les membres de DC
s’asseyaient pour écouter le travail et participer en donnant leurs opinions ............. 48Figure 16: Notre espace de travail pour la réamplification des guitares de Distance
Critique ..................................................................................................................... 50Figure 17: Le positionnement des micros à l’intérieur du « guitar booth » improvisé pour
la réamplification des guitares de Distance Critique ................................................ 50Figure 18: Feuilles de notes sur la performance du batteur de Distance Critique pour
faciliter l’édition ........................................................................................................ 55Figure 19: Exemple de notre travail avec l’outil « Quick swipe comping » de Logic Pro55Figure 20: L’édition de la batterie de Distance Critique avec les outils « cut, copy, paste
», « Quantizing » et « Flextime audio » *Les lignes verticales représentent le réalignement de l’audio sur la grille tempo. ............................................................. 56
Figure 21a, 21b et 21c: L’enregistrement des voix de DC dans notre « vocal booth » au studio LANTISS ....................................................................................................... 60
Figure 22a, 22b et 22c: L’enregistrement des voix dans notre « vocal booth » DIY à mon appartement ............................................................................................................... 60
Figure 23: Spectre audio sur 22 secondes de l’extrait 10, la voix de Simon enregistrée au studio LANTISS .................................................................................................. 61
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Figure 24: Spectre audio sur 22 secondes de l’extrait 11, la voix de Simon enregistrée dans notre « vocal booth » DIY à mon appartement ................................................ 61
Figure 25: Exemple de notre travail d’édition de la hauteur et du timing de la voix avec Melodyne sur la chanson Grande ourse ................................................................... 65
Figure 26: L’installation de la batterie, de la basse et des deux guitares dans la « live room » au studio Pantoum avec Albatros ................................................................. 70
Figure 27: L’installation pour la section des cuivres d’Albatros au studio Pantoum ....... 73Figure 28: Jean-Gabriel, enregistrant sa trompette séparément, mais dans la même pièce
que le reste du projet d’Albatros ............................................................................... 74Figure 29a, 29b et 29c: Le « guitar booth » créé pour l’amplificateur de Landry, guitariste
d’Albatros ................................................................................................................. 79Figure 30a et 30b: Le « guitar booth » créé pour l’amplificateur de Jean-Thomas,
guitariste d’Albatros ............................................................................................. 80Figure 31: La batterie semi-isolée dans la « live room » lors de l’enregistrement
d’Albatros ................................................................................................................. 80Figure 32: Exemple de notre travail d’édition polyphonique des cuivres (micro de type «
room) ......................................................................................................................... 83Figure 33: Turcotte et Boubou travaillant ensemble lors de l’enregistrement de la batterie
de Mhedved, tout juste à côté de mon équipement et de moi-même ........................ 89Figure 34: Une vue du « guitar booth » DIY lors de l’enregistrement de Mhedved ........ 91Figure 35a et 35b: Le bassiste de Mhedved, Étienne, qui enregistrait directement en face
de son amplificateur afin de mieux ressentir son jeu et de faire quelques effets de type « noise » ............................................................................................................ 93
Figure 36: Mon espace de mixage à deux écrans pour un travail plus fluide ................... 97Figure 37: Le plugiciel « Trigger 2 » de la compagnie « Slate Digital » ....................... 100Figure 38: Notre séparation des pistes de la batterie acoustique et des pistes de « Trigger
»............................................................................................................................... 101Figure 39: Mélange des pistes de la batterie acoustique et les pistes de « Triggers » pour
Mhedved ................................................................................................................. 103Figure 40a, 40b et 40c: À l’intérieur du « guitar booth » du projet de Mhedved ; le
cabinet de guitare et ses micros .............................................................................. 104Figure 41: Visualisation de l’extrait audio 33 ................................................................ 105Figure 42: Notre spatialisation des guitares avec le plugiciel « Space Designer » de Logic
Pro ........................................................................................................................... 106Figure 43: L’égalisation des pistes auxiliaires de la guitare de Mhedved et le panorama de
celles-ci ................................................................................................................... 107Figure 44: Le travail d’automation fait sur les guitares de l’album de Mhedved qui illustre
l’automation du niveau d’envoi des guitares lead et solo dans les busses de mixage « center left » et « center right » ................................................................................ 107
Figure 45a, 45b et 45c: Le positionnement des micros pour l’enregistrement de la guitare basse de Mhedved ................................................................................................... 110
Figure 46a et 46b: La réponse relative du Shure Beta 52 en comparaison avec celle du Shure SM57 ............................................................................................................ 110
Figure 47: Le « Portable Vocal Booth Pro 2nd edition », qui est fabriqué par la compagnie Editors Keys (Source : www.editorskeys.com) .................................... 112
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Figure 48: Kevin enregistrant la voix de Mhedved avec notre technique de positionnement de micro « en coin » ...................................................................... 113
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Liste des tableaux
Tableau 1:Défis généraux observés lors des enregistrements DIY .................................. 11Tableau 2: Matériel de base utilisé dans chaque projet .................................................... 21Tableau 3: Liste des membres du projet de A Tree At Last et rôles ................................. 23Tableau 4: Liste des microphones pour l’enregistrement de la batterie de A Tree At Last
................................................................................................................................... 25Tableau 5: Simulation d’amplificateur et microphones utilisés pour la guitare de A Tree
At Last ....................................................................................................................... 30Tableau 6: Simulations d’amplificateurs utilisés pour la guitare basse de A Tree At Last
................................................................................................................................... 30Tableau 7: Liste mes membres du projet de Distance Critique et rôles ............................ 41Tableau 8: Liste des microphones pour l’enregistrement de la batterie de Distance
Critique ..................................................................................................................... 44Tableau 9: Extraits audio de la réamplification des guitares de Distance Critique .......... 58Tableau 10: Temps requis pour la réamplification des guitares de Distance Critique ..... 59Tableau 11: Techniques de travail pour gérer la fatigue vocale lors de l'enregistrement de
Distance Critique ...................................................................................................... 62Tableau 12: Extraits audio de la voix traitée avec melodyne pour le projet de Distance
Critique ..................................................................................................................... 64Tableau 13: Liste mes membres du projet de Albatros et rôles ........................................ 67Tableau 14: Liste des microphones utilisés pour l’enregistrement de la batterie d’Albatros
................................................................................................................................... 70Tableau 15: Extraits audio de la prise de son live de Albatros et de l’isolement des
instruments ................................................................................................................ 80Tableau 16: Extraits audio de la prise de son et du mixage par couches des cuivres ....... 82Tableau 17: Extraits audio des mixes de Albatros avant et après leur « mix review » .... 85Tableau 18: Liste mes membres du projet de Mhedved et rôles ....................................... 86Tableau 19: Liste des microphones utilisés pour l'enregistrement de la batterie de
Mhedved ................................................................................................................... 88 Tableau 20: Extraits audio de la batterie de Mhedved sans et avec « triggers » .... 101Tableau 21: Positionnement des micros pour la guitare de Mhedved ............................ 103Tableau 22: Équipement du guitariste de Mhedved ....................................................... 103Tableau 23: Extraits audio de notre captation de guitare à quatre micros et de la
spatialisation des pistes ........................................................................................... 105Tableau 24: Extraits audio de la spatialisation des pistes de guitares de Mhedved avec
l’automatisation ....................................................................................................... 108Tableau 25: Extraits audio de notre prise de son de guitare basse à deux micros et une DI
active ....................................................................................................................... 111
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Avant-propos
Origines de mon intérêt pour l’enregistrement DIY
Ma première expérience en studio d’enregistrement remonte à l’été 2002, lorsque j’avais 13 ans. Nous avions pour but, mon groupe Wet Floor et moi, d’enregistrer un petit album démo de cinq chansons. Deux options s’offraient à nous dans notre petit village natal de Dégelis : le Studio Chorus, studio professionnel dirigé par Maurice Deschenes, ou bien le Studio Axis, studio DIY dirigé par Gilles-Vincent Martel, musicien local, et Stéphane Michaud, musicien et aussi notre professeur de français à l’époque. Deux raisons ont fait en sorte que nous avons choisi le Studio Axis : notre manque de budget ainsi que la «vibe»6 positive que nous avions avec Stéphane et Gilles-Vincent. Nous avons donc enregistré trois albums au Studio Axis, soit un EP en 2002, et deux LP en 2003 et 2005. Ces albums étaient relativement bien enregistrés. Les performances étaient assez bien réussies pour de jeunes adolescents, et la qualité sonore des albums était respectable et comparable à ce qui se faisait dans la scène « underground » du Bas-Saint-Laurent, scène à laquelle nous appartenions à l’époque.
Quand je pense à ces projets d’enregistrement, j’ai tendance à les qualifier d’enregistrements « DIY » pour plusieurs raisons directement liées aux méthodes de travail et à l’expérience en studio de Stéphane Michaud et de Gilles-Vincent Martel. Bien que nous n’ayons pas enregistré ces albums nous-mêmes, Stéphane et Gilles-Vincent enregistraient leur propre musique eux-mêmes en testant constamment leur nouveau matériel d’enregistrement ainsi que des techniques de captation qu’ils avaient observées dans des studios professionnels ou dont ils avaient entendu parler, le tout en jouant des chansons composées par eux. Leur équipement d’enregistrement était plutôt minimal, et ce, pour cause de budget limité. Quelques microphones très modestes faisaient partie de leurs outils de travail. De petites consoles, et de vieux ordinateurs ayant peine à exploiter le logiciel audionumérique Cubase 5 étaient la base de leur matériel. Ils étaient restreints dans leurs opérations à cause d’un nombre limité d’outils d’enregistrement. Il ne faut pas oublier qu’en 2002, la technologie d’enregistrement était moins développée que de nos jours. Au fil des ans, ils ont testé dans leurs différents projets leurs micros, leurs techniques et méthodes de travail ainsi que leurs salles d’enregistrement et sont devenus bien plus efficaces en situation d’enregistrement et de mixage. Gilles-Vincent a même décroché un contrat de musique de film (Derrière moi du réalisateur Rafaël Ouellet), car la qualité sonore et artistique de ces différents projets devenait de plus en plus professionnelle et intéressante. C’est donc dire que Stéphane et Gilles-Vincent ont appris à enregistrer de la musique eux-mêmes et l’ont fait dans un environnement non professionnel, donc DIY. En mode autoapprentissage, qui est typique du DIYer en enregistrement, ils ont expérimenté en jouant différents rôles, en portant différents chapeaux. D’un projet à l’autre, ils tenaient aléatoirement les rôles d’ingénieur sonore, de réalisateur, d’ingénieur de mixage et de prématriçage, de musicien et de compositeur. Ils occupaient ces rôles parfois tous en même temps pour s’enregistrer eux-mêmes, parfois en duo pour enregistrer des artistes locaux. Selon Spencer7, « The do-it-yourself approach to music making is all about producing your 6 Avec le terme « Vibe », nous parlons de l’ambiance et de l’atmosphère d’un endroit, d’un projet ou d’une performance musicale. 7 (Spencer, DIY: The Rise of Lo-fi Culture, 2005, 187.)
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own music using whatever resources available to you (187) ». Cela cadre bien dans la pratique des deux acolytes du Studio Axis, et ce premier contact avec l’enregistrement DIY fut ma source d’inspiration principale au cours des années qui suivirent.
J’ai par la suite exploré avec les technologies audionumériques en enregistrant multiples démos et préproductions pour les groupes dans lesquelles je jouais au secondaire, au cégep et à mon arrivée à l’université. J’utilisais les moyens à ma disposition, en passant par l’utilisation d’un seul microphone et du logiciel « Microsoft Voice Recorder » jusqu’à l’utilisation du studio du Cégep de Rivière-du-Loup. C’est d’ailleurs là où j’ai travaillé avec un vrai logiciel d’enregistrement pour la première fois8 pour enregistrer deux compositions dans ce qui était ma première expérience d’enregistrement multitâche complète.
En 2009, lors de mon arrivée à Québec, j’ai enregistré une démo de quatre chansons avec mon groupe Panic Attack. J’étais alors guitariste dans le groupe et nous avons enregistré ces chansons dans notre local avec le matériel très limité que nous avions sous la main. C’était alors mon premier contact avec le logiciel Garage Band. À la suite de cet enregistrement, j’ai continué à explorer Garage Band à la maison avec des compositions. Je travaillais alors sur ce qui était les prémices de A Tree At Last. En 2012, nous sortions une première chanson démo, Standing Still, et ensuite un premier EP de cinq chansons, « What We’ve Left Behind », mixé en partie sur Garage Band et sur Logic Pro 9. C’est là que j’ai découvert les possibilités d’un DAW9 plus avancé dans le cadre d’un projet d’enregistrement DIY et que j’ai commencé à développer mes connaissances et mon oreille de façon un peu plus juste.
8 Le logiciel utilisé à l’époque fut Tracktion 2, de Mackie 9 Daw : Digital Audio Workstation
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Remerciements
Pendant mes recherches, j’ai eu la chance de travailler avec des musiciens passionnés qui comprenaient et appuyaient ma démarche d’autoapprentissage en enregistrement DIY. Ils ont sauté à pieds joints dans mes projets et ont accepté de travailler différemment dans des processus d’enregistrement studio plus longs qu’à la normale compte tenu de mon processus d’apprentissage. Les artistes locaux en enregistrement Jimmy Voyer, Martin Hudon, Soufiane Benrqiq, Raphaël Malenfant et Jean-Étienne Collin Marcoux m’ont conseillé, aidé dans mes projets, et m’ont même prêté matériel et salles d’enregistrement. Tous ces artistes ont accepté de travailler avec moi dans les hauts et dans les bas, et leurs conseils et honnêtes commentaires ont été très utiles à mon développement professionnel. Mon directeur de recherche, Aaron Liu-Rosenbaum, m’a conseillé, appuyé et poussé au plus loin de mes capacités artistiques et dans mon écriture, et ce, jour et nuit. Ma conjointe, Noelle Miller, a cru en moi tout au long de mon parcours, m’a encouragé, motivé et a grandement contribué à mon état d’esprit de développement. Mon bon ami et jadis colocataire, Jeff-Ray Robert, m’a enduré lorsque j’enregistrais des artistes ou que je mixais une chanson pendant une journée complète ou même très tard le soir, à un point tel qu’il pouvait connaître une chanson, un couplet ou un refrain par cœur, car il l’avait entendu environ cent fois dans la soirée. À mon directeur de recherche, Aaron Liu-Rosenbaum, aux membres de A Tree At Last, Distance Critique, Albatros et Mhedved, aux artistes en enregistrement mentionnés ci-haut, à tous mes ami.e.s, ma famille et ma conjointe, Noelle Miller, sans qui je n’aurais jamais terminé ce projet d’écriture, merci infiniment.
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Introduction
Dans cette recherche-création, nous avons enregistré quatre différents groupes dans de
multiples contextes DIY. Nous avons testé différentes méthodes de travail en les appliquant
lors des sessions d’enregistrement et de mixage et en réfléchissant sur celles-ci par la suite
avec les artistes concernés pour ainsi tirer un consensus sur l’efficacité des méthodes de
travail employées. Nous présentons nos méthodes de travail et nos techniques
d’enregistrement par rapport aux différents contextes dans lesquelles elles sont utilisées et
démontrerons en quoi ces techniques sont bénéfiques à l’obtention d’un produit DIY d’une
qualité satisfaisante pour nous. Nous abordons donc les aspects artistiques et techniques de
l’enregistrement dans un angle situationnel, en prenant soin de considérer les besoins
uniques de chacun de nos projets afin d’en tirer des méthodes de travail efficaces.
Le but de ce mémoire n’est pas de remplacer les studios d’enregistrement
professionnels en promettant à l’artiste une méthode de travail qui lui donnera des résultats
au niveau des standards de l’industrie. Il est plutôt d’adresser la nouvelle réalité de
l’industrie du disque qui subit des changements importants, notamment parmi eux, la
croissance importante de l’enregistrement DIY, des studios indépendants et des maisons
de disques indépendantes10.
0.1 Apologia11 Lorsqu’une chanson n’est pas clairement issue d’un studio d’enregistrement professionnel,
il est difficile de tracer une ligne afin de trancher si un projet d’enregistrement ou un studio
est DIY ou non. Cependant, nous croyons qu’il est possible d’observer les différents
éléments d’une production musicale ou d’un studio et d’en déterminer le niveau de
DIYness12. Nous pouvons donc placer sur une échelle de niveau de DIYness un projet ou
un studio d’enregistrement. Cela permet de mieux délimiter la portée de la présente
recherche par rapport à l’enregistrement dit « professionnel ». Force est de constater que
10 Resnikoff, P. (2018, 05 20). DigitalMusicNews. Consulté le 10 10, 2018, sur digitalmusicnews.com: https://www.digitalmusicnews.com/2018/05/20/indie-labels-major-label/ 11Selon merriam-webster.com, Apologia réfère au désir de clarifier le fond d’un argument, d’une position. 12 Niveau de DIYness : Une mesure qui est établit en analysant l’ensemble des éléments d’un projet afin de quantifier le niveau de DIYness et aider à la comparaison des projets. Voir Annexe 1.
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l’évaluation du niveau de DIYness d’un projet variera selon la personne qui observe et
évalue les différents aspects d’un projet ou d’un studio. Ce que l’évaluateur considère
comme étant professionnel ou amateur, DIY ou non, aura donc une incidence sur
l’évaluation qu’il fera d’un projet.
0.2 Mise en contexte Avant de nous lancer dans une recherche-création qui vise à observer et analyser des
méthodes de travail en enregistrement DIY, nous devons nous pencher sur la réalité quant
à l’accès aux technologies en enregistrement en 2019, sur les différentes scènes musicales
et les différents styles musicaux. Ensuite, nous pourrons définir ce que l’on considère
comme étant un projet d’enregistrement DIY, un studio DIY, puis où se situe la limite entre
ce type de studio et un studio professionnel, ou du moins ce que l’on peut considérer
comme la délimitation pratique entre les deux. Cela permettra aussi de mieux situer le
niveau de DIYness de nos projets et les défis que cela apporte.
La démocratisation de la musique
De nos jours, l’accès aux technologies de l’enregistrement est plus démocratisé par
rapport au passé et une personne qui le désire, avec un investissement minimal, peut
maintenant s’enregistrer à la maison de façon autonome.
The shift to software enabled recording has significantly reduced the cost of entry level equipment which has improved the quality and capacity of home recording. This has encouraged many artists to do considerable amounts of pre-studio preparation work […], which signals a further fragmentation of project work to incorporate the space of the home or at least the home studio. In this regard, software and code have made possible a regime of more distributed musical creativity, which represents a democratisation of technology[…]
Recording studios were once highly privileged sites that allowed only those with sufficient resources to gain access to their facilities; now, with the growing ubiquity of digital recording media, and the possibilities of open access distribution sites such as MySpace and YouTube, all manner of artists that might have been prevented from finding an audience through the normal narrow channels of the music industry at least now have the opportunity to do so.13
13 Leyshon, A. (2007). The software Slump: digital music, the democratisation of technology and the decline of the recording studio sectore within the musical economy. Nottingham: University of Nottingham, p 25.
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Avec les technologies de l’enregistrement d’aujourd’hui, nous pouvons donc créer
notre propre trame sonore à la maison et, plus significativement, nous sommes maintenant
libres d’occuper différents rôles pendant la production de nos œuvres. Mais est-ce que cela
nous permet d’obtenir un succès professionnel et commercial? Premièrement, il faut
reconnaître que tous n’ont pas le même accès à ces technologies, et ce, pour diverses
raisons14. Ensuite, tous n’ont pas le même talent. Comme le mentionne Seabrook (2010 :
1), l’accessibilité aux technologies de l’enregistrement n’est pas en corrélation directe avec
le succès commercial.
You’d think that in an age when anyone with basic computer skills can make a song on a laptop—no musical training or instrumental mastery is required—the charts would be flooded with newbie hit makers. The barriers to entry are low. And yet it turns out that the same handful of top writers and producers are behind hit after hit.15
0.2.1 Ce qui qualifie un enregistrement de DIY selon nous et selon les tendances
Selon Adam Patrick Bell, il est très difficile de définir ce qu’est le DIY en enregistrement.
Cependant, il considère, comme nous, que certains facteurs clés sont à considérer lorsqu’on
cherche à qualifier une œuvre : « The sound, the space, the selling, and sharing; these are
all critical components of what constitutes DIY » (Bell, 2018).16 Pour Bell, c’est donc
quatre composantes qui constituent l’essence du DIY, soit le son, les lieux, la
commercialisation (la vente) et la diffusion. C’est une façon de voir les choses qui est très
similaires à la nôtre.
Nous croyons qu’un enregistrement musical ou un studio d’enregistrement peut être
qualifié de DIY selon une série de points observables, quoique hautement subjectifs. Nous
ajoutons donc aux facteurs de Bell quelques éléments pour qualifier une œuvre de DIY :
● L’autoapprentissage et les qualifications professionnelles des personnes
incluses dans le projet (0.2.2)
14 Liu-Rosenbaum, A. (2018, 11 21). Entretien du 21 novembre 2018. (M. Bossé, Intervieweur) 15 Seabrook, J. (2015). The Song Machine: Inside the Hit Factory. New York: W.W. Norton & Compagny.16 Bell, A. P. (2018). Dawn of the DAW: The Studio As Musical Instrument. New York: Oxford University Press, 4.
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● Le niveau d’expérience de ces personnes (0.2.3)
● Les lieux : l’endroit et l’aménagement (0.2.4)
● Le budget du studio ou du projet (0.2.5)
● Le résultat final (0.2.6)
● La réponse médiatique (0.2.7)
● Le contexte de diffusion et la scène musicale d’appartenance (0.2.8)
0.2.2 Autoapprentissage et les qualifications professionnelles
L’autodidactisme de l’artiste en enregistrement est un facteur assez révélateur du niveau
de DIYness de son studio d’enregistrement et de ses productions. Il est quasi impossible
qu’une personne sans expérience en enregistrement ou en mixage soit en mesure de créer
une piste que l’on pourrait qualifier de professionnelle. Elle sera en début de parcours
limitée en termes de connaissances en enregistrement et va expérimenter toutes sortes de
techniques, souvent sans direction précise. Cependant, il existe tellement de ressources en
ligne sur le sujet (livres, vidéos tutoriels, cours en ligne) qu’avec du temps et ses propres
recherches, un autodidacte en enregistrement pourrait devenir un professionnel du métier
et offrir des pièces de qualité. Apprendre de façon autodidacte, sans études formelles, est
donc caractéristique du DIY, pour Do-It-Yourself.
Voici quelques définitions du terme DIY au sens général:
1.0 : NOUN : The activity of decorating, building, and making repairs at home by oneself rather than employing a professional. 1.1 : ADJECTIVE : Relating to DIY. ‘a DIY store’ 1.2 : Done in person by someone without the relevant qualifications. ‘we intend to have DIY funerals’ (Oxford University Press, 2018)17
Ce qui retient notre attention dans ces définitions est le point 1.2, où l’on définit le DIY
comme quelque chose fait par quelqu’un sans qualification pertinente.
17 Oxford University Press. (2018, 01 01). Oxford dictionaries. Consulté le 08 07, 2018, sur www.oxforddictionaries.com: https://en.oxforddictionaries.com/definition/diy
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5
0.2.3 Le niveau d’expérience, un facteur important
Le facteur d’autoapprentissage prend tout son sens lorsqu’on le place en corrélation avec
le niveau d’expérience en enregistrement d’un artiste. Si l’enregistrement DIY n’est pas
pratiqué à temps plein, le niveau d’expérience d’une personne augmentera de façon
relativement lente et selon la qualité des ressources qu’il consulte et la signifiance des
expériences accumulées. En revanche, en travaillant dans un studio professionnel, on
rencontrera toutes sortes de situations musicales et l’on gagnera donc de l’expérience de
manière beaucoup plus significative, souvent sous la tutelle de professionnels. La courbe
d’amélioration selon le temps écoulé sera donc beaucoup plus nette. L’expérience acquise
en studio DIY reste tout de même de l’expérience, mais étant parfois moins significative,
elle offre seulement à l’artiste une ascension plus lente vers un niveau professionnel. Pour
mesurer le niveau d’expérience en enregistrement d’une personne, nous devons donc
considérer le temps consacré à son art et la signifiance des expériences et ressources
consultés. Sans pouvoir réellement tracer une ligne directe qui tranchera si oui ou non un
autodidacte dans son studio DIY est soudainement professionnel, nous pouvons déterminer
les probabilités qu’il réussisse à obtenir un résultat « pro » ou bien d’être considéré « pro »
par l’industrie de la musique selon, entre autres, son niveau d’expérience. Ultimement, il
en reviendra au marché de « décider ».
0.2.4 Les lieux : L’endroit et l’aménagement
Un studio DIY à la maison
Le cas du Studio Axis est un exemple de ce que l’on pourrait qualifier de studio
d’enregistrement DIY. Le studio fut aménagé dans une pièce chez Gilles-Vincent par lui-
même. Ensuite, le matériel utilisé pour enregistrer était très minimal, l’acoustique de la
pièce n’était pas optimale et l’expérience de Gilles-Vincent et Stéphane était rudimentaire
et basée sur l’autoapprentissage. En définitive, cela n’a pas empêché Gilles-Vincent de
réussir à créer une production professionnelle, que l’on qualifie ainsi grâce à son succès
commercial, avec sa trame sonore du film Derrière moi. Et si nos œuvres obtiennent un
succès commercial, sont-elles toujours DIY? Selon nous, le Studio Axis reste un studio
DIY. La trame sonore du film Derrière moi était quant à elle une production qui a atteint
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6
un niveau professionnel. Elle ne définit pas le Studio Axis comme un studio professionnel,
mais démontre qu’une œuvre issue d’un studio DIY peut être proclamée comme
professionnelle par le marché lorsqu’elle obtient un succès.
Le but et la qualité d’un produit issu d’un studio maison varieront donc grandement
de l’un à l’autre, mais il est possible pour un studio maison DIY de se transcender et de
devenir « pro »18, ou du moins d’obtenir des résultats de niveau professionnel19 selon le
talent, l’expérience et le budget d’une personne.
La ou les pièces du studio
Typiquement, la ou les pièces dans lesquelles se trouve un studio d’enregistrement
à la maison ne seront pas dans les standards de l’industrie et subséquemment non optimales
à un enregistrement de qualité. Cependant, avec les connaissances appropriées, il est
possible de créer un lieu dans sa propre maison qui aura les caractéristiques d’un studio
professionnel20. Un lieu optimal selon les standards de l’industrie sera isolé, traité
acoustiquement, et sera d’une forme et d’une grandeur adéquate à l’enregistrement ou au
mixage, c’est-à-dire sans murs parallèles dans une pièce assez grande et avec des hauts
plafonds, isolé des bruits externes et garnis de panneaux acoustiques pour réduire la
réverbération.
Alors, si quelqu’un construit chez lui, de ses propres mains, son studio maison en
suivant au pied de la lettre les recommandations des professionnels en acoustique,
pouvons-nous considérer son studio DIY comme un studio professionnel? La réponse est :
pas nécessairement. Encore une fois, il faut plutôt placer le niveau de DIYness sur une
échelle continue en considérant d’autres critères que l’endroit exclusivement. Il faut aussi
prendre en compte qu’au lieu d’investir une somme faramineuse d’un coup pour se
construire un studio professionnel, le DIYer en enregistrement va plutôt améliorer son
studio d’année en année et peut-être un jour atteindre le statut de « studio professionnel ».
18 Nous utilisons le terme « pro » comme synonyme de « professionnel » 19 Harris, B. (2009). Home studio setup : Everything you need to know from equipment to acoustics. Amsterdam: Focal Press/Elsever. 20 Gervais, R. (2006). Home Recording Studio Build it Like the Pros. Cengage Learning.
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C’est du moins la tendance que nous observons auprès des artistes en enregistrement. Au
fur et à la mesure qu’un studio maison DIY améliore ses différents aspects, il peut se
rapprocher du statut « professionnel », mais où tracer la ligne ? Y a-t-il vraiment une ligne
à tracer? Pour répondre à la question, plusieurs autres critères en plus de l’endroit lui-
même sont à considérer.
Au « local de jam »: Le studio sur roulettes
La plupart des formations rock actives de la région de Québec ont un local loué, très
souvent en cohabitation avec un ou plusieurs autres groupes, afin de pratiquer leur art. Il
existe trois options principales afin d’avoir un « local de jam » avec son propre groupe à
Québec:
● Un espace de pratique dans la maison d’un des membres du groupe.
● Un local commercial loué en communauté (rarement traité acoustiquement).
● Un local spécifiquement aménagé pour que des groupes y pratiquent (souvent traité
acoustiquement jusqu’à un certain point).
Ce genre d’installation peut s’avérer être une très bonne option pour faire de
l’enregistrement DIY si elle est de bonne taille et de bonne forme, bien isolée des sons
externes et ensuite bien traitée acoustiquement. C’est d’ailleurs en partie le cas du local de
pratique de mon groupe A Tree At Last, un local commercial loué en communauté que
nous avons traité acoustiquement nous-mêmes.
Si un projet DIY enregistré dans de telles conditions devient un succès commercial,
est-ce qu’il demeure tout de même un projet DIY? Notre réponse est : pourquoi pas?
Alors, doit-on tracer la ligne entre le DIY et le professionnel? Nous croyons que seul le
marché est en mesure de le faire. Nous voyons l’enregistrement DIY comme un ensemble
d’aspects et de caractéristiques sur une échell e continue. Selon nous, un projet DIY peut
potentiellement avoir un résultat professionnel et un studio professionnel peut, dans un cas
où un groupe non expérimenté en enregistrement louerait un studio sans technicien ni
réalisateur, produire un enregistrement DIY et un produit non professionnel.
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0.2.5 Le budget du studio : ses actifs en termes d’équipement d’enregistrement
Le prix total des actifs d’un studio est souvent un bon indicateur de son niveau de DIYness.
Cependant, comme tous les autres facteurs discutés, il n’est pas l’unique facteur délimitant
le professionnalisme du studio. Nous jugeons qu’un studio qui a plus de 50 000$ en actif
est un sérieux prétendant à l’appellation « pro ». Pourtant, comme nous le voyons dans nos
recherches, un studio d’enregistrement d’environ 5 000$ en valeur peut, avec les bons
atouts et les bonnes personnes, produire à un niveau professionnel. Encore là, le contexte
d’enregistrement, le talent des différents acteurs et des éléments en place autour du matériel
audio en plus de ce qu’une personne ou l’autre considère comme étant professionnel sont
des facteurs influents. Il n’y a donc pas de ligne nette et précise qui définit le
professionnalisme d’un studio en se basant sur son équipement d’enregistrement.
0.2.6 Le résultat final : Ultimement, on peut le comparer à quoi ?
Si une œuvre enregistrée se rapproche des standards de l’industrie dans son style musical,
nous aurons tendance à dire qu’elle est ou qu’elle se rapproche d’une œuvre
professionnelle. C’est d’ailleurs un des constats de ce mémoire : adopter des méthodes de
travail plus efficaces peut servir à contrebalancer les différentes contraintes des studios
DIY afin d’obtenir des résultats beaucoup plus professionnels et donc comparables à des
œuvres professionnelles.
0.2.7 La réponse médiatique
Si un produit musical est assez bon en termes de musicalité et de qualité sonore pour passer
à la radio commerciale, nous aurons encore plus tendance à considérer l’œuvre comme
étant professionnelle. Cela n’exclut cependant pas la possibilité qu'un produit qui tourne à
la radio soit aussi DIY. La qualité sonore d’une œuvre et le fait qu’elle joue à la radio n’est
donc pas en corrélation directe avec le niveau de DIYness d’une production. Des artistes
québécois comme Pier-Luc Lessard et Véronique Bilodeau vont avoir enregistré des
chansons dans leur studio maison ou dans des contextes relativement DIY et vont être
capables d’obtenir une place en rotation à la radio commerciale pour un certain moment.
D’autre part, avec le nombre d’artistes dans ce marché, avoir un enregistrement de qualité
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qui est comparable aux chansons entendues à la radio ne garantit pas d’avoir une place sur
les ondes . Nous pouvons donc affirmer qu’une chanson sonne « professionnelle » même
si elle ne joue pas à la radio. Elle sera seulement consommée de manière différente par des
gens différents.
Ces observations m’amènent à penser à l’enregistrement DIY comme étant
composé d’un ensemble de caractéristiques qui ne sont pas toujours évidentes à évaluer.
Ces caractéristiques DIY peuvent alors se retrouver dans des œuvres que le marché
considère comme professionnelles ou non.
0.2.8 Le contexte de diffusion et la scène musicale d’appartenance : Les scènes
underground de type « punk »
Ce que l’on entend par « marché » et « média » peut venir changer la perspective sur une
œuvre ou sur un studio. Les groupes participant à la recherche sont tous issus d’une scène
underground de la Ville de Québec qui se rapproche beaucoup de l’étiquette « punk ». Le
DIY est très présent dans cette scène. On organise des spectacles, on fait sa propre
promotion, on vend ses propres billets, et oui, on enregistre souvent ses propres démos, EP
et albums soi-même ou avec quelqu’un de la scène, de la communauté, qui n’est pas
nécessairement un « professionnel » en enregistrement, qui ne vit pas réellement de son
art. On va même jusqu’à créer, imprimer et découper nos propres pochettes d’albums dans
certains cas. Le produit issu de cette scène est consommé de façon différente par ses
membres marginaux. À la place de la radio, c’est Internet, les disques compacts et même
les vinyles, en résurgence populaire, qui font office de médium. Ces artistes ont la plupart
du temps le désir d’obtenir un produit sonore de qualité optimale, mais l’environnement
professionnel, les connaissances en audionumérique, l’expérience et même le talent ne sont
pas toujours au rendez-vous dans le studio. Avec la démocratisation des technologies de
l’enregistrement, c’est donc l’occasion pour les artistes en enregistrement de ce type de
scène de se démarquer en améliorant leur produit en travaillant sur leur environnement de
travail.
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Culture lo-fi
La culture lo-fi21 a vu le jour dans les années 50 avec les « skiffle groups », mais s’est
vraiment développé dans les années 70 et 80 avec la culture punk et post-punk22. Elle s’est
poursuivie dans les scènes « indie » et underground des années 80 jusqu’à aujourd’hui23.
Cette culture est en opposition à la valorisation de la production musicale de haute qualité24.
C’est une esthétique de musique enregistrée dans laquelle la qualité sonore est plus basse
que les standards usuels contemporains et dans laquelle les imperfections de
l’enregistrement et de la production sont audibles25.
Low fidelity or lo fi is a type of sound recording which contains technical flaws that make the recording sound different compared with the live sound being recorded, such as distortion, hum, background noise, or limited frequency response. The term "low-fidelity" is used in contrast to the audiophile term high fidelity or "hi-fi", which refers to stereo equipment that very accurately reproduces music without harmonic distortion or unwanted frequency emphasis or resonance. […] Some lower-budget recordings from the 1970s and 1980s have a "lo-fi" sound because of the limitations of the analog recording and processing techniques of the time, which introduced unwanted artifacts such as distortion and phase problems. In some recordings, however, high fidelity recording is purposely avoided, or the artifacts such as simulated vinyl record crackles are deliberately retained or added in for aesthetic or historical reasons. Some unique aural qualities are available only with "low-tech" recording methods, such as recording on tape decks, or using analog sound processors26.
Il est intéressant de constater que la culture lo-fi fut reconnue comme un style de
musique populaire dans les années 90 et que l’on se référait à ce style musical comme étant
de la musique DIY. Les deux termes sont donc très près l’un de l’autre, ou du moins
l’étaient à l’époque.
La culture lo-fi ayant été fortement présente dans la culture punk des années 70, nous
observons que certains groupes underground aux influences punk de notre scène et des
scènes indépendantes et underground du genre ont des idéologies cousines à la culture lo-
21 Le terme Lo-Fi est le diminutif de low fidelity 22 Spencer, A. (2005). DIY: The Rise of Lo-fi Culture. Ann Arbor, MI: Marion Boyars, 2005, p. 4. 23 Ibid., p. 4. 24 Ibid., p. 4. 25 Harper, A. (2014). Lo-Fi Aesthetics in Popular Music Discourse. Oxford: Wadham College, pp. 2-3. 26 educalingo. (2018, 01 01). https://educalingo.com. Consulté le 11 03, 2018, sur educalingo: https://educalingo.com/en/dic-en/lo-fi
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fi, tout en n’étant pas totalement étiquetés comme tel. À titre d’exemple, les membres du
groupe Albatros, que j’ai enregistré dans le cadre de mon mémoire, m’avaient dit qu’ils
désiraient obtenir un son clair, mais qu’en même temps, ils désiraient obtenir quelque chose
de brute, sans trop de travail esthétique sonore. Ils ne recherchaient donc pas un son parfait,
mais plutôt quelque chose d’agréable à l’écoute avec une touche esthétiquement punk. Pour
eux et pour plusieurs autres artistes, une sonorité brute et non parfaite est donc recherchée.
Par exemple, une articulation des guitares agressive et non-linéaire avec le reste du groupe
peut être quelque chose de recherché par ces artistes, et ce type de sonorité l’était aussi
dans les années 70 avec la culture punk et lo-fi. Les nouvelles technologies de
l’enregistrement rapprochent simplement ce type d’artiste au résultats qu’il recherche.
New technology has had a high impact on DIY culture, and it is now easier to do-it-yourself than ever before. Though embracing the high-tech may seen in opposition to lo-fi creation, advancements like the internet enable a more far-reaching distribution of DIY publications than ever before. The independent ethos of the lo-fi approach has remained and the rise of the DIY movement continues27.
0.2.10 Les défis présents dans l’enregistrement DIY
Toutes ces caractéristiques qui définissent un projet ou un studio comme étant DIY
apportent aussi des défis divers à un projet du genre. Ces défis seront abordés au fur et à
mesure dans chacun de nos projets.
27 Spencer, A. (2005). DIY: The Rise of Lo-fi Culture. Ann Arbor, MI: Marion Boyars, 2005, p. 5.
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Tableau 1: Défis généraux observés lors des enregistrements DIY
Défis généraux observés lors des enregistrements DIY 1. Les lieux de travail
2. L’équipement à notre disposition
3. Le niveau d’expérience et le talent du réalisateur
4. La préparation du réalisateur
5. Le niveau d’expérience et le talent de l’artiste
6. La préparation de l’artiste
7. La démarche musicale
8. Les désirs de l’artiste et du producteur quant à la qualité finale du produit
9. La gestion des horaires et du temps
10. La surcharge de travail
11. Le budget
0.2.11 Notre objectif
En comprenant et en maîtrisant les techniques et les méthodes de travail utilisées en
enregistrement et en exploitant bien son matériel d’enregistrement et ses instruments, le
DIYer en enregistrement peut considérablement améliorer ses enregistrements et mieux
comprendre ce qui lui donne du fil à retordre. Avec cette recherche en
enregistrement musicale DIY, nous chercherons à maximiser l’efficacité de notre travail
de réalisateur et de technicien sonore en studio, l’utilisation de nos instruments et
l’exploitation de notre logiciel d’enregistrement pour ainsi obtenir des résultats
satisfaisants et en accord avec nos désirs. Nous espérons obtenir des résultats de qualité
professionnelle ou quasi professionnelle, sans avoir recours aux budgets et aux ressources
humaines et matérielles dites « professionnelles ». Le DIYer en enregistrement — dans ce
cas de recherche, moi-même — explorera des moyens pour être de plus en plus efficace et
pour accentuer sa courbe d’apprentissage au fil du temps dans son propre contexte
d’enregistrement. Pour s’y faire, un développement intégré exhaustif est de mise.
0.2.12 Notre Échelle de DIYness
En analysant les acteurs, les endroits et le matériel utilisé pour un projet ou un studio
d’enregistrement, nous pouvons dresser un portrait du niveau de DIYness de chacun de nos
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projets et permettre au lecteur de mieux les comprendre en plus de lui offrir la possibilité
de faire de même pour ses propres projets. Nous avons placé en annexe un questionnaire à
remplir pour évaluer le niveau de DIYness d’un projet d’enregistrement. En répondant aux
questions de ce document, on peut placer son propre projet sur une échelle et l’étiqueter
par rapport à son niveau de DIYness. Il est à noter que nous n’avons pas utilisé le
questionnaire à des fins de sondage lors de ce mémoire, mais plutôt pour faire l’auto-
évaluation de nos propres projets.
Échelle de niveau de DIYness
Mon projet est étiqueté…
100 à 80 points :
80 à 60 points :
60 à 40 points :
40 à 20 points :
20 à 10 points :
Figure 1: Échelle de niveau de DIYness
Totalement DIY
Fortement DIY
Plutôt DIY
Légèrement DIY
Inspiré de l’éthique DIY
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0.3 État de la littérature La recherche-création sur la production de musique DIY n’a pas encore été explorée en
profondeur. Par contre, de nombreux ouvrages portant sur la confection et l’utilisation de
son propre studio maison existent et s’apparentent à des guides d’utilisateur généraux, des
genres de manuels d’instructions afin de créer son studio et d’y opérer les principaux outils.
Toutefois, très peu d’information à propos de réelles situations de réalisation y est
présentée. Ces ouvrages peuvent offrir à l’autodidacte dans le domaine de
l’audionumérique une assistance technique complète, ce qui est essentiel à son
autoapprentissage en complémentarité avec son expérimentation sur le terrain. Nous avons
étudié ce type d’ouvrage avant de nous lancer dans nos projets. En 2006, Rod Gervais
montre les variétés d’équipements audionumériques à utiliser dans un studio maison et
traite de la séparation, l’aménagement, l’isolation ainsi que du traitement acoustique des
pièces afin de maximiser l’espace et la sonorité d’un studio28. Ben Harris fait de même en
2009 tout en abordant la façon dont se comporte le son par rapport à son environnement
ainsi que la pertinence des panneaux absorbants et des panneaux acoustiques dans une
pièce destinée à l’enregistrement, au mixage et au prématriçage29. Nous permettant de
mieux comprendre nos espaces sonores et ce dont nous avions besoin pour les contrôler,
cela nous a inspiré dans nos choix de matériel, mais aussi dans notre aménagement
d’espace de travail.
Home Recording for Beginners, par Geoffrey Francis, explique comment bien
utiliser son matériel d’enregistrement dans un studio maison. Trente points importants de
l’enregistrement maison DIY y sont décortiqués et séparés en trente jours de pratique afin
de bien maîtriser les différents aspects d’un processus d’enregistrement et d’être en mesure
de résoudre les problèmes qui vont inévitablement être rencontrés. Cela nous a aidé à mieux
comprendre les bases de la chaîne audionumérique et les manipulations de base comme
l’égalisation, la compression et les automatisations30. Francis n’entre cependant pas dans
28 Gervais, R. (2006). Home Recording Studio Build it Like the Pros. Cengage Learning. 29 Harris, B. (2009). Home studio setup : Everything you need to know from equipment to acoustics. Amsterdam: Focal Press/Elsever.
30 Francis, G. (2009). Home Recording for Beginners. Boston: Cengage Learning.
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les processus de création en situation de production d’une chanson ou d’un album. The
Complete Home Music Recording Starter Kit31 de Buster Fayte contient une partie sur les
techniques de prise de son tout en offrant des explications un peu plus situationnelles. Sur
l’enregistrement de la voix en studio maison, il explique : « you’ll somehow have to deal
with those audio reflections coming back to your microphone. One thing you can do is to
build a temporary sound booth »32. Fayte propose des solutions temporaires et abordables
pour améliorer la qualité d’un enregistrement en studio maison. Nous avons d’ailleurs
souvent utilisé ce que Fayte appelle les « temporary sound booth » pendant nos
productions.
En 2011, Joe Dochtermann nous propose quant à lui de s’inspirer des grands artistes
en enregistrement en nous donnant en exemple des techniques d’enregistrement et de
mixage utilisées sur les albums d’artistes tels que The Beatles, The Beach Boys et Frank
Zappa. Il aborde la technique de doublage vocal des Beatles qui consiste à chanter la même
piste deux fois pour lui donner une meilleure présence. La technique de doublage
développée par George Martin, qui consiste à doubler la même piste dans un enregistreur
et à en changer très légèrement la vitesse (Automatic double tracking), est aussi donnée en
exemple.33 Cette technique a d’ailleurs inspiré plusieurs plugiciels actuels pour voix. Nous
avons utilisé ces deux techniques d’enregistrement vocal et de mixage dans nos
productions DIY, car nous en avions la possibilité, comme quiconque dans le domaine
audionumérique DIY. Il va donc sans dire que des pratiques plutôt DIY s’adoptent au
monde professionnel et vice-versa.
Understanding and Crafting the Mix : The Art of Recording 3rd Edition par
William Moylan nous a permis de mieux comprendre l’importance de l’écoute critique de
chansons et d’enregistrements, ce que nous jugeons très important dans l’enregistrement
31 Fayte, B. (2008). The Complete Home Music Recording Starter Kit: Create Quality Home Recordings on a Budget! Indianapolis: Que. 32 Fayte, B. (2008). The Complete Home Music Recording Starter Kit: Create Quality Home Recordings on a Budget! Indianapolis: Que, 156. 33 Dochtermann, J. (2011). Big studio secrets for home recording and productions. Boston: Course Technology PTR.
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DIY. Il décrit les procédures d’enregistrement et le rôle de la personne qui enregistre une
chanson, ce qui nous a aidé à bien comprendre nos différents rôles et les étapes à suivre.34
Plusieurs articles en ligne comme DIY Mastering de John Walden proposent des techniques
de prématriçage dans différents logiciels. Comme expliqué dans l’article, les groupes qui
travaillent de façon DIY n’ont souvent pas les moyens de s’offrir un prématriçage d’album
professionnel. Il existe cependant de bons outils dans des logiciels comme Cubase, Pro
Tools et Logic Pro pour le faire soi-même. Tout comme Walden35, nous croyons qu’afin
d’obtenir un résultat satisfaisant lors d’un prématriçage DIY, il est important de maîtriser
les outils de base comme la réverbération, la compression, l’égalisation, le limiter et
l’automatisation, même s’ils ne sont pas des plus professionnels et des plus avancés
technologiquement.
Dans le contexte spécifique de projets, Heather Ferguson aborde les dynamiques
internes des groupes rock. Son intérêt pour le sujet date de son adolescence, où elle avait
agi temporairement comme thérapeute de groupe de musique pour des amis36. Elle nous
décrit des situations où le producteur peut et doit devenir un « positive group conductor »37.
Toujours dans un angle situationnel, l’article de Mike Senior, The Feeling, décrit les
procédures d’enregistrement du premier album du groupe The Feeling intitulé « Join With
Us » en passant par la préproduction, leurs techniques de prise de son, l’overdubbing et le
mixage 38. Senior explique leur travail d’équipe lors du processus d’enregistrement et le
fait qu’ils utilisent les forces de chacun d’une partie à l’autre, que ce soit pour la
composition, la prise de son ou le mixage39. Ce groupe est apparu sur les palmarès en 2005
34 Moylan, W. (2014). Understanding and Crafting the Mix, 3rd edition. New-York and London: Focal Press. 35 Walden, J. (2006, 05 01). Sound On Sound. Consulté le 12 01, 2015, sur soundonsound.com: https://www.soundonsound.com/techniques/diy-mastering 36 Ferguson, H. (2002, 12 01). In search of bandhood: A consultation within original music groups. Group , 4 (26), pp. 268. 37 Ferguson, H. (2002, 12 01). In search of bandhood: A consultation within original music groups. Group , 4 (26), pp. 267-282. 38 Par Overdubbing, on sous-entend réenregistrement, multi pistage et superposition 39 Senior, M. (2008, 03 01). www.soundonsound.com. Consulté le 12 05, 2014, sur Sound On Sound: https://www.soundonsound.com/people/feeling
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17
avec un album complètement DIY. C’est un excellent exemple du fait qu’une production
DIY peut offrir un résultat professionnel si un projet est bien planifié.
Enfin, Paul G. Oliver analyse les défis financiers des groupes indépendants anglais.
Il identifie les besoins créatifs et commerciaux de l’artiste DIY et propose un modèle pour
que celui-ci soit autosuffisant en utilisant les nouvelles technologies40. Nous avons
d’ailleurs observé que le manque de ressources budgétaire est courant chez les groupes
indépendants québécois, situation d’où émerge souvent l’idée de s’autoproduire dans un
environnement DIY.
0.4 Problématique Le manque de ressources à approche intégrée
Comme on peut observer dans l’état de la recherche, il existe plusieurs ressources
techniques pour quelqu’un qui désire faire de l’enregistrement et du mixage audio lui-
même. Cependant, ces ouvrages tiennent rarement compte du fait que chaque
enregistrement est unique et nécessite une approche intégrée, précise et adaptée à la
situation. Nous avons observé dans nos recherches que plusieurs groupes rock de la région
de Québec ont déjà tenté d’enregistrer un album de façon autonome. Au cours de ce
processus, certains décident carrément d’abandonner, car trop de problèmes spécifiques à
leur projet sont rencontrés et non résolus. C’est ce qui est arrivé au groupe Bridge Too Far
en début de carrière et à moi-même avec plusieurs de mes productions précédentes, qui
sont restées inachevées41. D’autres réussissent à sortir un album EP ou LP, mais la qualité
d’enregistrement ou de production ne rend souvent pas justice au groupe ou à sa musique
et les délais de production sont longs. Pourtant, certains réussissent bel et bien à enregistrer
des albums de qualité eux-mêmes dans des délais raisonnables.
Contrer les facteurs typiquement DIY qui sont nuisibles à une bonne production
40 Oliver, P. (2011). Self-Sufficiency of the DIY Artist: Managing creative activities within local music scenes by adopting new technologies. Bolton: University of Bolton. 41 Genest, G.-P. (2016, 08 27). Entretien sur l'enregistrement DIY avec Guy-Pierre Genest, guitariste du groupe Get the Shot et de Bridge too Far. (M. Bossé, Intervieweur)
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18
Dans notre recherche-création, nous cherchons à contrer les facteurs typiquement
DIY qui sont problématiques dans une production musicale. Par exemple, le budget d’une
production DIY peut être limité car les acteurs des scènes de musique locale
« underground » n’attirent pas autant de gens que les artistes « mainstream », les profits de
ventes d’albums sont donc souvent minces42.
Local music scenes are sub-sectors of the music industries in the UK, but local in terms of a small locality, not necessary personnel. The independent – or DIY - artist that inhabits a local music scene has a strong ethic that relates back to the punk, lo-fi, bricolage ideals of being creative and having fun whilst being self-sufficient at the same time43.
Ensuite, le temps consacré aux arts musicaux peut être limité par un emploi autre.
Nous cherchons à trouver un équilibre entre le temps passé à réaliser un album et le temps
consacré à promouvoir un produit de façon à ce que l’enregistrement DIY ne soit pas une
perte de temps et d’argent. C’est là que la compréhension des besoins propres à un projet,
la planification du processus d’enregistrement et l’amélioration de la courbe
d’apprentissage du réalisateur DIY prennent toute leur importance.
La surcharge de travail est aussi un facteur DIY qui doit être abordé afin de trouver
des manières de composer avec cette réalité. Le fait que les artistes en enregistrement DIY
auront aussi plusieurs rôles techniques reliés aux technologies audionumériques en
addition à leurs rôles d’artistes peut effectivement mener à la surcharge de travail et à
l’épuisement. Nous démontrerons qu’il est important que les membres d’un projet DIY
considèrent chaque tâche et chaque rôle selon les forces et les faiblesses de chacun44, ou
bien qu’ils fassent tout simplement appel à une aide externe afin d’espérer obtenir un
meilleur résultat rapidement et plus confortablement.
42 Ifpi. (2018). Global music report 2018: Annual state of the industry. London: Ifpi, p. 11. 43 Oliver, P. (2011). Self-Sufficiency of the DIY Artist: Managing creative activities within local music scenes by adopting new technologies. Bolton: University of Bolton, p.4. 44 Senior, M. (2008, 03 01). www.soundonsound.com. Consulté le 12 05, 2014, sur Sound On Sound: https://www.soundonsound.com/people/feeling
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Enfin, nous chercherons à maximiser l’efficacité de nos lieux d’enregistrement lors
de nos projets, car un lieu non optimal pour l’enregistrement peut devenir problématique
en situation DIY45.
Un processus et des techniques qui s’accordent aux situations
L’exploration sur le terrain et l’exposition de méthodes de travail par rapport aux
besoins spécifiques d’un projet sert à celui qui se prépare à enregistrer de façon DIY et qui
désire mieux comprendre comment réaliser efficacement un album ou une chanson dans
telle ou telle situation. Les besoins généraux de chacun de nos projets présentés ci-bas
résument bien la réalité de ceux-ci.
● A Tree At Last : terminer la composition de certaines chansons en enregistrant de
manière indépendante.
● Distance Critique : passer par un processus d’enregistrement rigoureux sous la
direction d’un réalisateur afin d’apporter les chansons à un niveau supérieur.
● Albatros : enregistrer de façon live tout en ayant une bonne séparation des
instruments pour un mixage efficace.
● Mhedved : enregistrer un album rapidement, à un prix minime, tout en obtenant un
résultat professionnel sur le plan musical et sonore.
Lors de chacune de nos sessions d’enregistrement aux besoins uniques, nous avons
fortement tenu compte de l’aspect humain de l’enregistrement, c’est-à-dire la relation entre
les acteurs et leurs différents rôles. Nous souhaitons, par la présente, offrir un angle
d’approche différent et plus humain sur l’enregistrement DIY en analysant les diverses
manières de travailler par rapport à l’unicité de différents projets pour que le DIYer en
enregistrement audionumérique puisse s’en inspirer. Cela facilitera, nous l’espérons, les
processus de réalisation d’album du lecteur, mais aussi l’autoapprentissage, principe de
fond dans le domaine du DIY, dans le but de développer la qualité en général des
45 Il est même parfois difficile de se trouver un espace d’enregistrement en situation DIY.
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enregistrements DIY pour que cette nouvelle réalité soit une option réaliste pour des artistes
voulant être exposés dans les médias musicaux de tout genre.
0.5 Méthodologie Pour notre recherche, nous avons collaboré, participé à et fait en intégralité des
enregistrements musicaux rock avec plusieurs artistes de la région de Québec, soit les
groupes A Tree At Last, Distance Critique, Albatros et Mhedved. Par l’expérimentation,
nous trouvons donc des solutions aux problèmes typiquement reliés à l’enregistrement
DIY. Nous avons pu expérimenter et tester nous-mêmes différentes techniques de travail
parfois en enregistrant nos propres extraits musicaux, parfois en enregistrant les extraits
musicaux d’autres groupes. D’un projet à l’autre, nous avons analysé les besoins de chaque
session d’enregistrement par rapport aux ressources disponibles. Nous avons ainsi tenté
de mettre en pratique les techniques de travail qui semblaient être les mieux adaptés pour
chaque type de projet. Notre compréhension des besoins pour différents types de sessions
d’enregistrement ainsi que le choix des techniques de travail devenaient plus faciles et
évidents de projet en projet. Nous avons donc pu améliorer la qualité de notre travail et de
notre produit en général (compétence en production, qualité sonore, connaissances
technique, maximisation du temps). Ce mémoire est donc, grâce à notre exploration et nos
observations, une synthèse des approches de réalisation que nous jugeons efficaces par
rapport aux différentes réalités de nos projets ainsi que des techniques d’enregistrement
que nous recommandons et qui sont facilement applicables en production musicale DIY.
Un journal de bord afin de ne pas nuire au processus créatif
Pour faire de bons retours sur toutes les sessions d’enregistrement ainsi que sur les
projets entiers, nous avons choisi de faire un journal de bord que nous complétions avec
chaque groupe après une journée de travail pour résumer la session et ainsi relever les bons
coups et les mauvais coups de la séance. Cela nous a permis de souligner l’aspect
relationnel de l’enregistrement, c’est-à-dire le sentiment que les artistes avaient face à leur
journée d’enregistrement. Cela nous a aussi permis de bien comprendre ce qui est efficace
en termes de méthodes de travail dans différents contextes afin que l’artiste se sente à l’aise
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et puisse performer au maximum, aspect que nous considérons primordial en
enregistrement, DIY ou professionnel.
Le matériel utilisé
Pour chaque projet d’enregistrement mentionné dans ce mémoire, j’ai utilisé mon
matériel de base qui est présenté dans le tableau ci-dessous. D’un projet à l’autre, j’ai pu
acheter de nouveaux microphones et plugiciels ou tout simplement en louer ou en
emprunter. Pour cette raison, les microphones et plugiciels utilisés ne figurent pas dans le
tableau ci-dessous. Ils sont présentés par projet.
Tableau 2: Matériel de base utilisé dans chaque projet
Matériel Marque/modèle Ordinateur IMac 2,7 GHZ Intelcore i5, late 2012 16GB ram.
Logiciel Logic Pro 9
Carte de son Tascam US-1800
Moniteurs d’écoute Mackie Mr-5 MkII (5.5 pouces)
Écouteurs Shure SRH840
Amplificateur d’écouteurs Behringer Power-Play 8
0.6 Organisation du mémoire Un mémoire de projets
Ce mémoire est organisé par projet. Dans le chapitre 1, nous décrirons les étapes
de quatre projets d’enregistrement en prenant soin d’analyser les défis et les enjeux de
chacun d’entre eux.
À la fin de chaque projet, une partie intitulée « discussion, analyse et retour sur le
projet » prendra acte des réussites et des échecs de chacune de nos réalisations
audionumériques. Nous discuterons des méthodes de travail les plus efficaces de chaque
projet en prenant soin de considérer les différents contextes artistiques et les niveaux de
DIYness dans lesquels nous avons travaillé, ce qui aura comme effet de rapprocher l’artiste
DIY des technologies musicales et ainsi contribuer à son émancipation. Des extraits
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sonores seront présentés afin de démontrer les résultats de certaines de nos techniques de
travails. Afin de faciliter l’écoute, chaque extrait sonore est bien identifié dans le texte et
nommé dans le dossier des pistes audio par son numéro, précédé des mots « Extrait audio ».
À la conclusion, nous reviendrons sur nos méthodes de travail ainsi que sur nos
solutions utilisées pour régler les problèmes rencontrés en enregistrement DIY. Enfin,
nous porterons des observations globales sur l’enregistrement DIY d’aujourd’hui et
proposerons des lignes directrices pour y intégrer les fondations de l’enregistrement studio
professionnel.
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Chapitre 1 : Aperçu des projets
1.1 Enregistrement de l’album On fait notre possible du groupe A Tree
At Last L’enregistrement d’un album intégral : L’expérience multitâche (niveau de
DIYness : Totalement DIY)
Tableau 3: Liste des membres du projet de A Tree At Last et rôles
Membres Rôle(s) Mathieu Bossé Chanteur, guitariste, réalisateur, technicien sonore,
éditeur et mixeur
Nicolas Turcotte Batteur, co-réalisateur, « back vocals » 46
Nathan Jacob Bassiste, « back vocals »
Jonathan St-Pierre Guitariste, chanteur.
Martin Hudon Technicien sonore pour la batterie, éditeur, mixeur,
ingénieur au matriçage
Alexandre Landry (Albatros) Collaboration vocale
Manu Savoie (Scare) Collaboration vocale et « gang vocals »
François Laplante-Beaudette « Gang vocals »
1.1.1 Présentation des différentes étapes du projet
L’enregistrement du premier album complet de A Tree At Last, intitulé On fait notre
possible, obtient l’étiquette « Totalement DIY » sur notre échelle de niveau de DIYness. Il
fut notre projet le plus long à réaliser. Nous n’étions définitivement pas bien préparés pour
un tel projet, autant en tant qu’artistes qu’en tant que producteurs, et nous étions surtout
inconscients de l’ampleur de la tâche à accomplir. Nous avons entamé l’enregistrement de
ce projet de type punk rock le 4 octobre 2013 et le lancement du produit final s’est déroulé
le 6 juin 2015. C’est donc un total de vingt mois de production pour un album de onze
46 Lorsque nous utilisons le terme « back vocals », nous référons aux harmonies vocales et aux voix d’accompagnement dans une chanson.
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chansons pendant lesquels nous avons beaucoup appris concernant les manières de
produire un album soi-même.
Nous avons décidé de nous lancer dans l’enregistrement de l’album d’ATAL47
nous-mêmes car nous n’avions pas les moyens d’aller dans un studio professionnel et nous
avions déjà expérimenté avec l’enregistrement DIY par le passé. Nous étions donc
confiants d’obtenir un résultat qui nous satisferait.
Les défis pour ce projet
Le principal défi du projet était de tout faire par nous-mêmes ; s’autoproduire sans
faire appel à un studio professionnel. Pour se faire, j’ai dû jouer plusieurs rôles différents
sur les plans techniques et artistiques. La surcharge de travail était donc à surveiller et à
éviter.
Afin d’alléger ma tâche du côté technique lors de certaines étapes, nous avons fait
appel à une aide externe, soit Martin Hudon, réalisateur indépendant de la région de Québec
et ami du groupe. Il fut notre ingénieur sonore lors de l’enregistrement de la batterie, la
réamplification des guitares, le prématriçage ainsi que conseiller lors du mixage. Il a de
plus fait le mix de la première chanson de l’album, Robots and Emotions.
La préparation du groupe posait aussi problème. Seulement cinq chansons sur onze
étaient composées en entièreté au moment de débuter. Les structures des chansons étaient
définies, mais trois chansons étaient toujours sans texte et plusieurs riffs de Jonathan à la
guitare n’étaient pas entièrement définis sur six des onze titres.
Ensuite, la gestion de l’horaire d’enregistrement fut un défi de taille. Jonathan
habitait à deux heures de route de Québec, là où l’enregistrement de l’album avait lieu. Il
nous rendait visite chaque deux ou trois semaines pour enregistrer, mais aussi pour
pratiquer et pour faire des spectacles. De plus, nous avions tous un travail à temps plein.
47 Nous utiliserons l’abréviation ATAL en référence au groupe A Tree At Last ici et là au courant du mémoire.
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Un autre défi fut notre lieu de travail, soit notre local de pratique. Ce local n’était
pas aménagé pour faire de l’enregistrement, mais il était tout de même légèrement traité
acoustiquement. Les murs de la pièce étaient entièrement tapissés et quelques panneaux
acoustiques se trouvaient au plafond, notamment au-dessus de la batterie, ce qui favorisait
le contrôle de la dispersion des raisonnantes de l’instrument dans la pièce.
1.1.1.1 L’enregistrement de la batterie
Nous disposions de trois jours pour compléter l’enregistrement de la batterie. Avec
Martin Hudon, nous avons installé le matériel et fait les tests de son vendredi le 4 octobre
2013 pour ensuite enregistrer les onze chansons à la batterie en deux jours, soit le samedi
et le dimanche. Hudon a fourni les microphones pour l’enregistrement.
Figure 2: Hudon aux commandes de l’ordinateur pendant l’enregistrement de la batterie de A Tree At Last
dans notre petit local
Tableau 4: Liste des microphones pour l’enregistrement de la batterie de A Tree At Last
Instrument Microphone Bass drum Sennheiser E902
Snare top Shure SM 57
Snare bottom N/A
Tom 1 Sennheiser E604
Floor tom Sennheiser MD421
Overhead gauche (côté hi-hat) Oktava MK012
Overhead droite (côté floor tom) Oktava MK012
Ride cymbal Oktava MK012
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Pendant l’enregistrement de la batterie, j’accompagnais Nicolas à la guitare.
N’ayant pas à gérer l’ordinateur, je pouvais me concentrer sur l’aspect réalisation et le
conseiller dans son exécution tout en le guidant dans les chansons.
Fi