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Titre II La preuve devant le tribunal civil

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Titre II

La preuve devant le tribunal civil

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Avant-propos

« L’obligation naît du contrat et de tout acte ou faitauquel la loi attache d’autorité les effets d’une obliga-tion.

Elle peut être pure et simple ou assortie de modali-tés. » (art. 1372 C.c.Q.).

« Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver lesfaits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifiéou est éteint doit prouver les faits sur lesquels saprétention est fondée. » (art. 2803 C.c.Q.).

« La preuve d’un acte juridique ou d’un fait peut êtreétablie par écrit, par témoignage, par présomption, paraveu ou par la présentation d’un élément matériel,conformément aux règles énoncées dans le présentlivre et de la manière indiquée par le Code de pro-cédure civile ou par quelque autre loi. » (art. 2811C.c.Q.).

Ces trois dispositions du Code civil du Québec expri-ment, dans l’ordre, la notion de l’objet de la preuve – quoiprouver – du fardeau de la preuve – qui doit prouver – etdes moyens de preuve – comment prouver. Tout litigesoulève la même question : qui doit prouver quoi, etcomment?

La maîtrise des règles de preuve s’avère essentielle àtout plaideur appelé à représenter un justiciable dans unlitige civil et à les appliquer devant un tribunal judiciaire(Cour supérieure et Cour du Québec).

L’avocat ou l’avocate découvre rapidement quelorsque l’on songe à une preuve, on considère non seule-ment les dispositions en la matière du Code civil du

Québec, mais aussi celles du Code de procédure civilequi régissent notamment l’administration de la preuve,les usages de la pratique professionnelle du plaideur, lapsychologie du client et du témoin, le bon jugement et,surtout, les faits.

Les faits sont les éléments de preuve. Les moyens etles règles de preuve en permettent la vérification et la pré-sentation. Des faits découle le droit pertinent à la questionen litige. Un bon plaideur doit se comporter en enquêteuréveillé. La recherche, le contrôle et la compréhension desfaits s’avèrent donc primordiaux.

Tout comme à l’instruction, la preuve, à l’ouverturedu dossier, est véhiculée par support humain – l’entrevueavec le client – ou par support matériel – l’examen du dos-sier transmis par le client. Dans le premier cas, il faudraposer les questions appropriées dans cette recherche desfaits pertinents; dans le second cas, il faudra vérifiersi les documents soumis contiennent toute l’informationrequise.

La preuve existe en fonction d’une obligation – desource contractuelle, extracontractuelle ou légale – à prou-ver ou à contester. Avant de savoir comment prouver, ilfaut savoir quoi prouver! Le plaideur doit d’abord vérifierles éléments de preuve requis en fonction de la preuve quilui incombe et déterminer ensuite la manière dont il sedéchargera de ce fardeau de preuve, à la lumière des règlesde preuve.

Une cause contestée connaît deux étapes majeuresavant jugement final sur le fond, soit une première phasequi commence par la requête introductive d’instance,ponctuée de démarches facultatives de redressement ou devérification des faits (moyen préliminaire, interrogatoirehors cour, examen de documents, expertise), suivie de laséquence de l’instruction devant le tribunal où chacunedes parties présente sa preuve et tente de contrer celle del’adversaire.

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Ce manuel reflète, dans la mesure du possible, defaçon chronologique la démarche de l’avocat dans unecause depuis l’ouverture du dossier judiciaire jusqu’à lafin de l’instruction devant le tribunal. Il s’accompagne detextes didactiques distincts, portant notamment sur la con-duite d’un dossier en matière civile et sur les techniques depreuve au procès en matière civile, de conception plustechnique et pratique. Il y a lieu d’avoir à l’esprit defaçon supplétive, lorsque c’est pertinent, l’enseignementen matière de procédure du titre I. Le contenu de cemanuel ne saurait remplacer l’enseignement en salle decours, qui conserve toute son importance.

Les moyens juridiques de preuve visent à introduireau dossier des éléments factuels de preuve. Avant desuivre le cheminement d’un dossier judiciaire (aux cha-pitres II et III, soit avant procès et au procès), nousexaminerons dans un premier temps les exigences requi-ses de toute preuve et les outils mis à la disposition duplaideur, que représentent les moyens de preuve.

Le présent texte renvoie parfois à la jurisprudencela plus récente, parfois à la plus significative.

Note au lecteur

Le 8 juin 2002, la Loi portant réforme du Code de pro-cédure civile1 a été sanctionnée. La très grande majorité deses dispositions est entrée en vigueur le 1er janvier 2003.

Cette loi modifie, abroge, ou ajoute environ 300 articlesdu Code de procédure civile, qui s’appliquent à toutes lesinstances introduites à compter du 1er janvier 2003.

Les dispositions transitoires de cette loi sont fort sim-ples : les demandes introduites avant le 1er janvier 2003sont régies par la loi ancienne sauf aux parties à convenirde procéder suivant les règles nouvelles (art. 179 de la loi).

Bien qu’elle touche davantage les règles de procédurecivile, cette loi a modifié certaines dispositions du Code deprocédure civile touchant le droit de la preuve : procéduresspéciales d’administration de la preuve (art. 395 et s.C.p.c.), la déclaration tenant lieu de témoignage (art.294.1 C.p.c.), l’assignation des témoins (art. 280 C.p.c.),pour n’en nommer que quelques-unes.

Le présent texte tient compte uniquement des nouvel-les dispositions du Code de procédure civile, applicablesaux instances introduites à compter du 1er janvier 2003.Pour connaître les règles applicables aux instances intro-duites avant le 1er janvier 2003, le lecteur est prié de seréférer aux éditions antérieures du présent volume.

Rappelons que l’article 179 de la Loi portant réformedu Code de procédure civile permet aux parties de conve-nir de procéder suivant les règles nouvelles, donc dechoisir d’appliquer ces nouvelles règles à une instanceintroduite avant le 1er janvier 2003.

198 Preuve devant le tribunal civil

1. L.Q. 2002, c. 7.

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École du Barreau du Québec, Preuve et procédure, Collection de droit 2007-2008, vol. 2, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2007.

Toute preuve doit répondre à certaines exigences.Elle doit être de la meilleure qualité possible, elle doitsatisfaire au fardeau et au poids de la preuve requise dechacune des parties, elle doit être pertinente et recevable.Cette preuve émanera d’un témoignage ou de pièces.

1- Les exigences de la preuve

La force probante d’une preuve dépend de sa fiabilitéet de sa pertinence par rapport aux faits en litige. La preuveofferte doit être la plus parfaite et complète possible; larègle de la meilleure preuve vise la fiabilité de la preuveofferte, sous réserve de l’administration exceptionnelled’une preuve secondaire. La partie à qui incombe en vertudu droit substantiel la charge de la preuve doit en principel’établir de façon prépondérante au moyen d’éléments fac-tuels pertinents en droit et en faits. Au départ, cette preuvedoit être recevable; tous les moyens de preuve ne sont pasuniversellement recevables, dont la preuve testimonialequi, dans certains cas, est prohibée.

En matière de preuve, « il s’agit essentiellement defiabilité et de suffisance [...] en autant qu’elle soit légaleet fiable, la preuve doit être suffisante pour atteindre laqualité requise »1.

A- La meilleure preuve

Pour être recevable au dossier, une preuve doit êtrefiable. Elle doit être, à cette fin, de la meilleure qualitépossible, soit véridique.

Il y a lieu d’aller à la source même des faits en vuede les introduire en preuve au dossier, sans se contenter

d’un reflet de ceux-ci. Les éléments introduits en preuvedoivent être fiables et doivent revêtir la plus grande forceprobante possible.

1. La règle

L’article 2872 C.c.Q. reflète cette règle de la meil-leure preuve, lorsqu’il énonce au premier alinéa que :« Doit être prouvée par la production de l’écrit, la déclara-tion qui a été faite sous cette forme ». Si cette déclarationse trouve sur un document technologique, la productiond’une copie de ce document qui respecte les exigencesmentionnées à l’article 15 de la loi constitue, en soi, uneexpression de cet original.

L’article 2860, al. 1 C.c.Q., reflète la règle de la meil-leure preuve : « L’acte juridique constaté dans un écrit oule contenu d’un écrit doit être prouvé par la production del’original ou d’une copie qui légalement en tient lieu. » Lapreuve de l’écrit instrumentaire qui constate un acte juri-dique s’établit par la production de cet écrit s’il s’agit d’undocument papier qui en exprime le contenu. Dans le casd’un document technologique, au sens donné à ce termepar l’article 3 de la Loi concernant le cadre juridiquedes technologies de l’information2, en vigueur depuis le1er novembre 2001, une copie peut tenir lieu de l’originalen vertu des articles 2815 et 2816 C.c.Q. L’article 2841C.c.Q. traite de la reproduction d’un document et de sontransfert vers une technologie différente. Ces articles sontde droit nouveau et modifient la règle de la meilleurepreuve en droit québécois.

De même, la déclaration enregistrée sur un rubanmagnétique, sous réserve d’en prouver l’authenticité etla fiabilité, peut être prouvée par ce moyen (art. 2874

Chapitre I Pierre Tessier, j.c.s.

Me Monique Dupuis*

Les qualités et lesmoyens de preuve

* Me Dupuis remercie également Me Stéphane Reynolds pour sa précieuse collaboration à la mise à jour du texte.1. Garage Pierre Allard Inc. c. Sous-ministre du revenu du Québec, [1995] R.D.J. 453, 455 (C.A.), EYB 1995-64678, j. Delisle.2. L.R.Q., c. C-1.1.

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C.c.Q.), ce qui constitue dès lors la meilleure preuve. Cettepreuve de fiabilité se limite cependant aux rubans magné-tiques, parce que dans le cas où cet enregistrement estinclus dans un document technologique, cette authenticitéest présumée et jouit de l’ensemble des présomptions de laloi et le critère d’intégrité, comme pour tout documenttechnologique, est alors celui à considérer.

La preuve testimoniale ne peut, en principe, rempla-cer la preuve écrite. Dans la même veine, pour prouver lesfaits dont une personne a eu personnellement connais-sance, il faut interroger cette dernière comme témoin afinqu’elle les relate (art. 2843 C.c.Q.). Le témoignage parpersonne interposée ne constitue pas la meilleure preuve;la preuve par ouï-dire est en principe prohibée. Même lors-qu’il pourrait, de façon exceptionnelle, être administré, sarecevabilité dépend de la fiabilité de la déclaration extra-judiciaire (art. 2870 C.c.Q.).

Ce sont là quelques exemples de cette règle univer-selle de la fiabilité de la preuve, que nous verrons plus loinde façon détaillée.

Une preuve dépourvue de fiabilité est donc irrece-vable, parce qu’elle ne constitue pas la meilleure preuvedu fait qu’elle est censée présenter. Le Code civil prévoitcependant, dans certains cas, la possibilité d’introduire audossier une preuve secondaire.

2. L’exception : la preuve secondaire

L’article 2860, al. 2 C.c.Q. autorise la preuve secon-daire, en cas d’impossibilité de produire la meilleurepreuve. Ainsi, si l’exemplaire original de l’écrit n’est pasdisponible, une copie ou, à défaut, un témoignage pourraen établir le contenu. Par exemple, a été admise en preuvela photocopie d’un écrit dont l’original avait été détruit parinadvertance3. La preuve secondaire n’est pas recevableen l’absence de la perte de l’écrit ou de l’impossibilité dele retracer4.

Cette impossibilité de produire l’original de l’écritrésulte généralement de deux situations distinctes, soit laperte de l’écrit et sa rétention par un tiers.

a) La perte de l’écrit

Par écrit perdu, on entend l’écrit détruit accidentelle-ment ou involontairement égaré, malgré des recherchesdiligentes, quoique infructueuses, pour le retracer5. Ondoit démontrer la diligence dans la conservation du docu-ment, dont le degré dépend de son importance6. La preuvede cette perte peut s’effectuer par témoin pour en établirles circonstances justificatives7, puisqu’il s’agit de lapreuve d’un simple fait (art. 2857 C.c.Q.). La destructionvolontaire ne donne pas ouverture au témoignage. Letémoignage est cependant recevable lorsque le documenta été perdu alors qu’il était en la possession d’un tiers ethors du contrôle de la partie8.

b) L’écrit détenu par un tiers

L’écrit détenu par autrui, comme la partie adverse ouun tiers, peut néanmoins faire l’objet d’une demande decommunication avant l’instruction devant le tribunal, envertu des articles 168, 397, 398 et 402 C.p.c. ou de produc-tion à l’audience sur assignation par subpœna duces tecum(art. 281 C.p.c.) ou sur demande (art. 311 C.p.c.). Dans cescas, la meilleure preuve s’impose.

c) Le testament

L’article 774 C.c.Q. traite de la reconstitution d’untestament non produit qui ne peut être vérifié à la suited’une action où la preuve de son contenu, de son origine etde sa régularité doit être concluante et non équivoque9. Lapreuve de reconstitution d’un testament olographe perduou détruit s’effectue dans une demande en justice à cettefin, et non dans une requête en vérification10. L’article 775C.c.Q. autorise la preuve testimoniale d’un testament quine peut être produit, « que le testament ait été perdu oudétruit ou qu’il se trouve en la possession d’un tiers,sans collusion de celui qui veut s’en prévaloir ». Ces dis-positions s’appliquent à la perte du testament par forcemajeure11. Dans le cas de perte d’un testament ou de codi-cilles, un lourd fardeau de preuve incombe à la partie quidésire en établir l’existence; le tribunal doit apprécier defaçon rigoureuse la suffisance et la qualité de la preuverequise12.

200 Preuve devant le tribunal civil

3. Gallant c. Les Habitations Vaucresson Inc., [1980] R.P. 391 (C.S.).4. Droit de la famille – 947, [1991] R.J.Q. 489 (C.S.), EYB 1990-75824.5. Langlais c. Langley, [1952] 1 R.C.S. 28.6. Mac Pherson c. Canadian Javelin Ltd., [1982] C.S. 563; Pisano c. Di Giacobbe, [1993] R.J.Q. 1574 (C.A.), EYB 1993-74143.7. Mac Pherson c. Canadian Javelin Ltd., précité, note 6.8. La Solidarité c. Société Nationale de Fiducie, [1975] C.A. 4.9. Béchamp (Succession de) c. Béchamp-Gilmour, J.E. 97-1708 (C.S.), REJB 1997-07538.10. Trudel (Succession de) c. Trudel, [1997] R.J.Q. 1362 (C.S.), REJB 1997-00515.11. Langlais c. Langley, précité, note 5.12. Sauvageau-Crépeau c. Coulombe, [1987] R.D.J. 452 (C.A.), EYB 1987-62488; Gameroff c. Josephson, [1990] R.D.J. 242 (C.A.), EYB 1990-59448.

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Une fois la perte établie, la partie doit néanmoinsprouver de façon prépondérante le contenu de l’écrit sousseing privé, ce qui peut présenter une difficulté lorsque,par exemple, elle ne l’a jamais lu13.

Est susceptible d’appel le jugement qui accueille unerequête en vérification d’un testament dont une photo-copie est produite, en l’absence de demande enreconstitution de testament en cas de perte de l’originalsuivant les articles 774 et 775 C.c.Q.14.

d) Les documents énumérés auxarticles 2841 et 2842 C.c.Q.

Les changements technologiques s’étant rapidementsuccédés avec l’arrivée de l’Internet et des différentsmoyens de communication électronique, le législateurquébécois s’est mis à l’heure des technologies de l’in-formation. Depuis le 1er novembre 2001, date de la mise envigueur de la Loi concernant le cadre juridique des tech-nologies de l’information (ci-après désignée : « loi »), lesanciens articles 2840 à 2842 C.c.Q., soit la section VII duCode civil du Québec portant sur la reproduction de cer-tains documents, ont été remplacés par les articles 2841 et2842 C.c.Q., cette section étant maintenant intitulée « Descopies et des documents résultant d’un transfert ».

Contrairement aux anciennes dispositions, les partiesont maintenant la possibilité de conclure des actes juridi-ques dans une forme autre qu’un écrit; cela n’est plusseulement réservé à l’État et aux personnes morales, maiss’adresse dorénavant également aux personnes physiques.Si les exigences de la loi sont respectées, l’expressionpapier du document technologique dans une autre formevaudra au même titre que l’original. Cette notion boule-verse la règle de la meilleure preuve connue jusqu’àmaintenant, quant aux écrits, puisqu’elle applique les cri-tères, jusqu’alors applicables aux documents sur supportpapier, à des documents technologiques, afin de permettreaux tribunaux d’en apprécier la force probante.

Le législateur a prévu deux formes de reproduction :la copie et le transfert.

1) La copie

La reproduction d’un document sur support papier atoujours pu s’effectuer par l’obtention d’une copie sur unmême support, soit le papier. Dans ce cas, si la partie

adverse exige la production de l’original, en vertu de larègle de la meilleure preuve, celui-ci devra être produit audossier de la cour.

L’article 2841 C.c.Q. précise maintenant qu’unecopie peut être sur un même support ou sur un support quine fait pas appel à une technologie différente.

Cette copie pourra légalement tenir lieu du documentreproduit si elle est certifiée. La certification est faite, dansle cas d’un document en la possession de l’État, d’une per-sonne morale, d’une société ou d’une association, par unepersonne en autorité ou responsable de la conservation dudocument (art. 2841, al. 3 C.c.Q.). Le législateur ne pré-cise pas le processus de certification lorsqu’une personnephysique est en possession d’un document dont elle veututiliser une copie pour en tenir légalement lieu. Vraisem-blablement, elle pourra y joindre la même certification quecelle requise de l’État, d’une personne morale, d’unesociété ou d’une association. Elle pourra également témoi-gner devant la cour pour certifier la copie, comme cela sefait régulièrement devant les tribunaux.

La copie fait donc référence à l’utilisation du supportlui-même. De ce fait, une photocopie de document seratoujours considérée comme une copie puisque le supportest le même que son original. Ce dernier ne peut êtredétruit que dans l’éventualité où il fait l’objet d’un trans-fert.

Le législateur ajoute, à l’article 2842 C.c.Q., que « lacopie certifiée est appuyée, au besoin, d’une déclarationétablissant les circonstances et la date de la reproduction,le fait que la copie porte la même information que le docu-ment reproduit et l’indication des moyens utilisés pourassurer l’intégrité de la copie. Cette déclaration est faitepar la personne responsable de la reproduction ou qui l’aeffectuée ».

À titre de précaution, en l’absence de précision par lelégislateur des cas où une telle déclaration sera nécessaire,en plus de la certification, et compte tenu de la nature de ladéclaration de l’article 2842, al. 1 C.c.Q., semblable auxexigences posées par les anciens articles 2841 et 2842C.c.Q. (sans exigence toutefois de la déclaration faite sousserment), la partie qui désire que la reproduction tiennelieu de l’original d’un document, appuiera la copie cer-tifiée de la déclaration prévue à l’article 2842 C.c.Q.Cette déclaration pourra être utilisée, au besoin, en cas dedénégation du document.

Qualités et moyens de preuve 201

13. Alexandre c. Miron, J.E. 93-1665 (C.S.), EYB 1993-74253.14. Auclair c. Auclair, J.E. 97-1816 (C.A.), REJB 1997-02360, juge unique.

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2) Le transfert

La loi et les modifications apportées par la suite auCode civil du Québec permettent d’effectuer un transfertde l’original vers une technologie différente pour quel’expression de cette reproduction puisse ultérieurementconstituer un original, le cas échéant (art. 2841, al. 2C.c.Q.). Comme ce document est obtenu à la suite d’unprocessus qui, une fois complété selon des règles spécifi-ques, lui fera tenir lieu de l’original, le transfert vers uneautre technologie ne constitue pas une preuve secondaireet sera donc traité plus loin, dans la section relative à la Loiconcernant le cadre juridique des technologies de l’infor-mation. Nous attirons simplement ici l’attention du lecteursur la notion de support, lequel peut être interchangeable,afin que cette particularité au regard de la loi soit toujoursprésente dans son esprit à la lecture des sections suivantes.

e) Le consentement des parties

Les parties peuvent cependant convenir, surtoutlorsque la meilleure preuve est déjà disponible, de la pro-duction d’une preuve secondaire, comme une photocopie,soit de façon explicite, par consentement exprès équiva-lant à un aveu judiciaire de l’authenticité de la pièce(art. 2850 et 2852 C.c.Q.), soit de façon implicite, enl’absence d’objection (art. 2859 C.c.Q.).

B- Le fardeau de la preuve

1. La règle

L’expression « fardeau de la preuve » signifiel’obligation pour une partie de faire la démonstration dubien-fondé de son droit, de ses prétentions et des faits allé-gués et d’en convaincre le tribunal.

La partie qui allègue un fait doit en établir l’existence.Elle a la charge de la preuve. Le droit substantiel déter-mine la preuve à administrer. L’article 2803 C.c.Q.énonce :

« Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver lesfaits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ouest éteint doit prouver les faits sur lesquels sa préten-tion est fondée. »

Le mot « faits » à l’article 2803 C.c.Q. comprendl’acte juridique, le fait juridique et le fait matériel. L’actejuridique exprime la volonté d’une personne de modifiersa situation juridique, tel le contrat constaté par un écritinstrumentaire. Le fait juridique est tout événement quimodifie le plus souvent de façon involontaire ou acciden-telle une situation juridique, telle la faute qui engendrel’obligation de réparer le préjudice causé (art. 1457C.c.Q.) en matière de responsabilité civile extracontrac-tuelle. Le fait pur et simple ne présente que des résultatsmatériels, sans conséquence juridique intrinsèque, telle larelation d’un événement constaté par un témoin.

Un fardeau de la preuve incombe à chacune des par-ties, selon sa position dans un litige. Suivant le premieralinéa de l’article 289 C.p.c., « C’est à la partie sur laquellerepose le fardeau de la preuve à procéder la première àl’interrogation de ses témoins. » Comme le prévoit lesecond alinéa de cette disposition, la « partie adverse pré-sente ensuite sa preuve ». L’instruction devant le tribunalcommence donc par la preuve de la demande, soit, en règlegénérale, par la partie qui réclame la reconnaissance etl’exécution d’un droit.

La présomption légale, qui dispense de toute autrepreuve celui en faveur de qui elle existe (art. 2847 C.c.Q.),peut alléger le fardeau de la preuve de la partie réclamante.La disposition législative qui crée la présomption auregard de certains faits à prouver en mentionne la portée,qu’elle soit simple ou absolue15.

2. Le déplacement du fardeau de la preuve

En cours d’instruction, après clôture de la preuve de lademande, le fardeau de la preuve se déplace et reposedorénavant sur les épaules de la partie contestante qui, àpartir de faits dont la preuve lui incombe, doit établir lanullité, la modification ou l’extinction du droit invoquépar la partie adverse en fonction du droit substantiel perti-nent. La partie défenderesse ou intimée, à qui incombeégalement un fardeau de la preuve (art. 2803 C.c.Q.), pré-sentera donc une preuve pour faire échec à celle de lademande16. Ainsi, dans une action fondée sur la respon-sabilité civile extracontractuelle établie à l’article 1465C.c.Q., le demandeur doit prouver la garde de la chose,c’est-à-dire généralement le droit de propriété du défen-deur dans cette chose, le fait autonome de cette chose et lepréjudice qui en résulte. Cette preuve faite, le fardeau de lapreuve se déplace alors et il incombe au défendeur de

202 Preuve devant le tribunal civil

15. In re Gérard Nolin Ltée: Banque Canadienne Nationale c. Bellavance, [1979] C.A. 168.16. À titre d’exemple, Assurance-Vie Desjardins c. Éthier (Succession de), [1997] R.R.A. 275 (C.A.), REJB 1997-00392.

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prouver, de façon prépondérante, qu’il n’a commis aucunefaute, soit de façon positive, en établissant par exempleque l’événement préjudiciable a été causé par la faute de lavictime ou d’un tiers ou par force majeure (art. 1470C.c.Q.). Le domaine des présomptions légales et desprésomptions de faits illustre bien ce phénomène dedéplacement de la charge de la preuve.

« Du point de vue du tribunal, lorsque les parties seprésentent devant lui, la situation normale, naturelle,le statu quo est l’indépendance, l’absence de lien juri-dique. Devant les arguments d’une partie, si le juge estconvaincu qu’un droit est né, c’est cet état de dépen-dance juridique qui devient la situation acquise, lestatu quo. Or, comme aucun droit, une fois né ne peuts’éteindre ou s’altérer de lui-même, sauf en raison dela prescription et de la déchéance, le défendeur doitrévéler au tribunal l’existence de l’événement qui amodifié le statu quo. »17

Il s’opère donc, parfois de façon assez subtile, undéplacement du fardeau de la preuve en cours de procès18.

Par exemple, il existe une présomption qu’une per-sonne est saine d’esprit et capable d’aliéner19. En matièrede capacité mentale d’un testateur, on présume au départd’une telle capacité20. Lorsque cette capacité a été sérieu-sement mise en doute par la partie qui attaque le testament,le fardeau de la preuve se déplace vers la partie qui ledéfend21. Un simple doute ne suffit pas à cette fin22.« Celui qui attaque le testament doit prouver l’incapacitéqu’il allègue selon les règles ordinaires de la preuve. Iln’est pas suffisant pour renverser la présomption de soule-ver un simple doute sur la capacité de tester. »23 La partiequi conteste la capacité mentale du testateur – soit celle decomprendre les éléments essentiels relatifs au contenud’un testament24 – doit au moins établir une présomptiond’incapacité découlant des faits en preuve25 et soulever undoute sérieux quant à la capacité mentale du testateur.

Dans l’affaire Vout c. Hay26, le juge Sopinka pour lacour qualifie de « circonstances suspectes », celles qui

tendent à mettre en doute la capacité du testateur. Cescirconstances peuvent être :

– des circonstances qui ont entouré la préparation dutestament;

– des circonstances qui tendent à mettre en doute lacapacité du testateur; ou

– des circonstances qui tendent à montrer que lavolonté du testateur a été dominée par la contrainteou la fraude.

En présence de circonstances suspectes, la présomp-tion de capacité de consentement disparaît et c’est ànouveau à la personne qui veut faire valoir le testamentqu’incombe le fardeau ultime d’établir la capacité de tes-ter. Il suffit à cette fin que la partie qui attaque le testamentprésente certains éléments qui, s’ils sont acceptés, tendentà prouver l’absence de la capacité de tester.

Le même enseignement vaut en matière de mandatd’inaptitude. Au départ, la capacité d’une personne dedonner un mandat en prévision de son inaptitude est pré-sumée. Il incombe à la partie qui allègue l’incapacité defaire la preuve de circonstances suspectes de nature à fairenaître un doute sérieux quant à la capacité du mandant às’obliger. Un simple doute ne suffit pas et il faut unepreuve prépondérante. Si cette preuve est faite, le fardeaude la preuve est déplacé et il appartient à la partie qui sou-tient la validité de l’acte de prouver que le mandant avait lacapacité de s’obliger au moment où il a signé le mandat27.

Par le jeu de la preuve au procès, surtout en matière deprésomptions de faits, s’opère un transfert de l’obligationde persuasion du plaideur :

« Il fallait donc que la défense, pour faire rejeterl’action, fournisse, une fois certains faits prouvés qui,de l’avis de la cour, ont déplacé sur les défendeursle fardeau de la preuve, des explications plausiblesdégageant sa responsabilité ou, au moins, des explica-tions pouvant faire douter la cour sur la responsabilitéou la non-responsabilité des défendeurs ou, si l’on

Qualités et moyens de preuve 203

17. Caisse populaire de Maniwaki c. Giroux, [1993] 1 R.C.S. 282, 299, EYB 1993-67864, j. Gonthier.18. L’affaire Leblond c. Leblond, [1978] C.A. 506, en fournit un exemple en matière contractuelle.19. Bigué c. Desfossés-Pintal, J.E. 98-64 (C.A.), REJB 1997-03630.20. Bedick c. Bozikovic, [1975] C.A. 484.21. Touchette c. Touchette, [1974] C.A. 575.22. Falardeau c. Maloney, J.E. 86-367 (C.A.), EYB 1986-62462; Thibault c. Guilbault, REJB 1999-10511 (C.A.).23. Fillion c. Héritiers de feue Sarah Fillion-Jacob, [1991] R.L. 477, 479 (C.A.), EYB 1991-56570.24. McEwen c. Jenkins, [1958] R.C.S. 719.25. Mayrand c. Gingras, [1990] R.L. 112 (C.A.), EYB 1989-63411;Droit de la famille – 957, [1991] R.D.F. 149, 151 (C.A.), EYB 1991-55607, j. Brossard.26. [1995] 2 R.C.S. 876, 888, EYB 1995-67432; voir aussi Bertrand c. Opération Enfant Soleil, REJB 2004-55594 (C.A.).27. Gariépy c. Pitre, J.E. 96-340 (C.S.), EYB 1995-83215; T. (M.) c. T. (L.-G.), J.E. 97-1187 (C.S.), REJB 1997-00766.

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aime mieux, des explications tant compatibles avecune faute qu’avec une non-faute. »28

Cette mobilité s’accorde avec le fardeau de la preuvequi incombe à chacune des parties et illustre l’interactionen matière de preuve à l’instruction. Rappelons que« Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faitsqui soutiennent sa prétention. » et que « Celui qui prétendqu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouverles faits sur lesquels sa prétention est fondée. » (art. 2803C.c.Q.).

La preuve, qui véhicule la prétention d’une partie,doit en principe être prépondérante.

C- La prépondérance de la preuve

« La preuve qui rend l’existence d’un fait plus pro-bable que son inexistence est suffisante, à moinsque la loi n’exige une preuve plus convaincante. »(art. 2804 C.c.Q.).

Cette disposition consacre la règle de la prépondé-rance de la preuve dans les causes civiles. En matièrecriminelle, la culpabilité de l’accusé doit être prouvée au-delà du doute raisonnable. En matière civile, le poids de lapreuve à offrir s’avère moins lourd et moins rigoureux.Cette preuve doit établir l’existence de faits, au moins defaçon vraisemblable.

1. La règle

Pour se décharger de son fardeau de la preuve et réus-sir dans sa demande, la partie demanderesse ou requérantedoit établir son droit de façon prépondérante. Ainsi, dansune action en responsabilité civile extracontractuelle, ledemandeur doit prouver l’existence probable de trois élé-ments, soit une faute, un préjudice et un lien de causalitédirecte entre ces deux éléments (art. 1457 C.c.Q.). Enl’absence de prépondérance de la preuve, le demandeurqui ne peut se décharger de son fardeau de la preuve perdsa cause. Lorsque la preuve est nettement contradictoireet que la preuve de la défense est jugée de poids égal àcelle de la demande, de sorte que cette dernière n’est pasprépondérante, l’action devrait, en principe, être rejetée,

puisque le tribunal ne peut trancher en faveur de la deman-deresse qui ne s’est pas déchargée de son fardeau de lapreuve29.

La partie demanderesse doit donc prouver sa cause etelle a le fardeau de la preuve, mais cela ne veut pas direqu’elle doit la démontrer de façon absolue, au-delà de toutdoute. Il suffit que la prépondérance des probabilités joueen sa faveur.

« Les tribunaux doivent souvent agir en pesant lesprobabilités. Pratiquement rien ne peut être mathéma-tiquement prouvé. »30

« On ne retient de relations causales que celles quisont directes; n’est prouvé que ce qui est certain, voirece qui est probable mais jamais ce qui n’est que pos-sible et encore moins ce qui est imaginé. »31

Quand la preuve devient-elle prépondérante? Iln’existe pas de réponse absolue. Cela dépend de la natureet de l’objet de chaque cause, de la qualité, de la pertinenceet de la quantité de la preuve, qu’elle soit écrite, testimo-niale ou matérielle, ainsi que de l’appréciation du tribunal.

Ainsi, la causalité n’a pas à être déterminée avec uneprécision scientifique. C’est une question pratique qui faitappel au bon sens ordinaire, par une appréciation décisiveet pragmatique des faits32. Un degré raisonnable de certi-tude signifie un degré de probabilité supérieur à 50 %33.La prépondérance est la probabilité, et la probabilité, c’estce qui est « certain » à 51 %, et non à 100 %. Le résultatatteint peut donner une approximation de la vérité, ce quisuffit en vertu de la norme de prépondérance. Tant mieuxsi la preuve est certaine, mais ce n’est pas essentiel. Ainsi,le témoin expert appelé à déterminer les causes d’unincendie en distinguera les causes possibles, probables oucertaines; après élimination, il retiendra, parmi les causespossibles, celle qui s’avère la plus probable à défaut depouvoir se prononcer de façon certaine. Une conclusionprobable répond au fardeau de la preuve par prépondé-rance. Le tribunal, comme juge des faits, décide si lapreuve est prépondérante ou non. Le poids requis peutvarier d’une cause à l’autre, en fonction du fardeau depreuve de chacune des parties et des faits introduits enpreuve.

204 Preuve devant le tribunal civil

28. Houde c. Côté, [1987] R.J.Q. 723, 739 (C.A.), EYB 1987-62674, j. Chouinard, citant un extrait du jugement de la Cour supérieure.29. Gouin-Perreault c. Villeneuve, [1986] R.R.A. 4 (C.A.), EYB 1986-58609; Léveillé c. Canada-Vie, compagnie d’assurances générales, [1996] R.L. 599

(C.Q.); Parent c. Lapointe, [1952] 1 R.C.S. 376, 380, j. Taschereau.30. Rousseau c. Bennett et Nutbrown, [1956] R.C.S. 89, 93, j. Taschereau.31. Droit de la famille – 67, [1985] C.A. 135, 152, j. Vallerand.32. Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, EYB 1990-67315.33. Id., p. 330, j. Sopinka pour la cour.

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La nature de la question en litige, dans certains casparticuliers, peut influencer la portée de la preuve à four-nir.

2. Les cas particuliers

a) L’annulation d’un contrat :l’erreur subjective

En matière d’annulation de contrat, la preuve del’erreur subjective requiert en principe une corrobora-tion34, à moins que la crédibilité de la partie demanderessesoit supérieure à celle de la partie adverse35.

b) La capacité

Un simple doute ne suffit pas à écarter la présomptionqu’une personne est saine d’esprit et capable d’aliéner. Lapartie qui attaque la validité d’un acte juridique doit prou-ver l’incapacité qu’elle allègue selon les règles ordinairesde la preuve36. Ainsi, il n’est pas suffisant pour renverserla présomption de soulever un simple doute sur la capa-cité de tester37 ou de donner un mandat en prévisiond’inaptitude38. Cependant, si une preuve prima facie sou-lève un doute sérieux quant à la capacité mentale d’unepartie, il se crée dès lors une présomption d’incapacitémentale qui déplace le fardeau de la preuve et oblige cettepartie à repousser cette présomption en établissant sacapacité mentale39.

c) La prestation compensatoire

Il y a lieu de faire preuve d’une grande souplesse dansl’évaluation des éléments requis à l’attribution d’une pres-tation compensatoire (art. 427 C.c.Q.); le lien causal entrel’apport et l’enrichissement doit être adéquat, sans êtrerigoureux40. La preuve d’une simple corrélation entre

l’appauvrissement et l’enrichissement suffit, comme enmatière d’enrichissement injustifié41.

d) L’injonction, la saisie avant jugement

En matière de requête en injonction interlocutoire, lapartie requérante doit démontrer l’apparence d’un droitsuffisant au redressement demandé (art. 752 C.p.c.). Lapreuve prima facie du droit de propriété d’un bien saisisuffit au soutien d’une saisie avant jugement, la prépondé-rance de preuve n’étant pas requise42.

e) Les actes criminels

La preuve de la perpétration d’un acte criminel dansun litige civil s’établit de façon prépondérante et non horsde tout doute raisonnable43.

Toutefois, comme l’énonce la Cour suprême duCanada dans l’arrêt Continental Insurance, plus le crimeest grave, plus la preuve doit être claire; le degré de pré-pondérance est fonction de l’objet du litige, en regard de lagravité de la situation44. Cependant, la norme de la preuveprépondérante, même dans le cas de la preuve d’un actecriminel qui influe sur le sort de droits patrimoniaux, cons-titue la règle en matière civile45. Par exemple, cette règlede la prépondérance s’applique à la preuve du suicide46, oude l’incendie criminel47.

f) L’outrage au tribunal

Par exception à la règle de prépondérance, en matièred’outrage au tribunal, la partie requérante doit administrerune preuve au-delà du doute raisonnable (art. 53.1 C.p.c.);l’outrage au tribunal est de droit strict et de nature quasipénale, étant donné les conséquences possibles, notam-ment l’emprisonnement48.

Qualités et moyens de preuve 205

34. Faubert c. Poirier, [1959] R.C.S. 459; Dubeau c. Technisol, [1991] R.D.J. 466 (C.A.), EYB 1991-63740.35. McLaughlin Associates (Quebec) Ltd. c. Mildred Investments Inc., [1983] R.D.J. 681 (C.A.); Banque Nationale du Canada c. Forcier, [1984] C.S. 784.36. Falardeau c. Maloney, précité, note 22; Bigué c. Desfossés-Pintal, J.E. 98-64 (C.A.), REJB 1997-03630.37. Fillion c. Héritiers de feue Sarah Fillion Jacob, précité, note 23.38. Gariépy c. Pitre, précité, note 27; T. (M.) c. T. (L.-G.), précité, note 27.39. Bertrand c. Opération Enfant Soleil, précité, note 26.40. M. (E.) c. L. (P.), [1992] 1 R.C.S. 183, EYB 1992-67845.41. Lacroix c. Valois, [1990] 2 R.C.S. 1259, EYB 1990-67822; principe appliqué dansP. (S.) c. R. (M.), [1996] 2 R.C.S. 842, REJB 1996-30587.42. Abon c. Golden Sand Castle N.V., J.E. 91-456 (C.A.), EYB 1992-58150.43. Mutuelle du Canada c. Savary-Aubin, [1979] 2 R.C.S. 298; Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 165, 169.44. Bentata c. Compagnie d’assurances Missisquoi, [1996] R.R.A. 94 (C.S.).45. American Home Assurance Co. c. Auberge des pins, [1990] R.R.A. 152 (C.A.), EYB 1989-63307; General Accident c. Camirand-Fortier, [1992] R.R.A.

695 (C.A.), EYB 1992-64019; Auberge Rolande St-Pierre Inc. c. Cie d’Ass. Canadienne Générale, [1994] R.J.Q. 1213 (C.A.), EYB 1994-64532;Federated, cie d’assurances du Canada c. Produits pétroliers Harricana Inc., J.E. 99-523 (C.A.), REJB 1999-10947.

46. Trudel c. La Prudentielle d’Amérique, [1976] C.A. 451.47. Rhéaume c. Economical compagnie d’assurances, REJB 1999-15325 (C.A.).48. Vidéotron Ltée c. Industries Microlec, Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065, EYB 1992-67836.

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Le requérant doit démontrer hors de tout doute raison-nable que l’intimé a intentionnellement fait défaut de seconformer à l’ordonnance du tribunal49 et a commis lesactes reprochés50. La partie intimée a droit au bénéfice dudoute raisonnable51. De plus, le requérant ne peut comptersur le témoignage de l’intimé, puisque ce dernier n’est pascontraignable (art. 53.1 C.p.c.). L’intimé n’est compétentque pour témoigner en défense en vertu de l’article 4 de laLoi sur la preuve au Canada52 et ne peut témoigneren poursuite, même volontairement, de sorte que, dansce dernier cas, son témoignage ne peut être pris en consi-dération comme partie de la preuve à charge de la partierequérante53.

g) Les soins de santé

En matière de soins de santé (art. 11 à 25 C.c.Q.), ledegré de preuve requis peut dépendre des conséquences dela mesure médicale proposée. Ainsi, le degré de preuvesera plus élevé si on considère une interruption de soins etque celle-ci présente un caractère irréversible : « Il ressortque le fardeau de démontrer la nécessité de l’acte médicalincombe à ceux qui en demandent l’exécution. Et ce far-deau, bien qu’il soit civil, doit correspondre à la gravitéde la mesure proposée. »54

h) La violation des droits fondamentaux

L’article 1 de la Charte canadienne des droits et liber-tés55 énonce que celle-ci « garantit les droits et libertés quiy sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par unerègle de droit, dans des limites qui soient raisonnables etdont la justification puisse se démontrer dans le cadred’une société libre et démocratique ». La partie quiinvoque cette disposition a le fardeau de démontrer la jus-tification d’une restriction à un droit garanti par la Chartecanadienne56. La règle de la prépondérance des probabili-tés s’applique à l’article 157 quoique, suivant l’arrêt Oakes,un degré très élevé de probabilité sera proportionné aux

circonstances, de sorte que la preuve d’une telle justifica-tion d’une violation des droits et libertés constitutionnelsque la Charte vise à protéger doit être forte et persuasive.Pour que la Charte canadienne puisse être invoquée, labranche législative, exécutive ou administrative du gou-vernement devra avoir pris une mesure quelconque qu’onattaque58 (art. 32 (1) de la Charte). La Charte canadiennene peut être invoquée dans une poursuite civile entre deuxparties privées, étrangères à l’État, tels deux particuliers59.

Ce sont là quelques exemples du degré de preuverequis, qui peut fluctuer dans certains cas. La dispositionlégislative ou réglementaire ainsi que la jurisprudencedétermineront le contenu et le poids de la preuve à offrirqui, en règle générale, doit être prépondérante.

Pour être recevable, cette preuve doit être pertinente.

D- La pertinence de la preuve

L’article 2857 C.c.Q. exprime la règle universelle dela pertinence : « La preuve de tout fait pertinent au litigeest recevable et peut être faite par tous moyens. » Unepreuve doit être pertinente et fiable60. Tout ce qui estprobant doit être reçu en preuve61. Par contre, une preuvenon pertinente ne doit pas être reçue au dossier, parcequ’étrangère et inutile au débat. Cette règle de la perti-nence vaut à l’égard de tous les éléments et les moyens depreuve. Un fait est pertinent s’il doit influer sur la décisionà rendre62. Ce qui n’est pas pertinent n’est pas probant; cequi n’est aucunement probant est inutile à la solution dulitige; ce qui n’a aucune valeur probante est donc irrece-vable en preuve63.

Une preuve pertinente peut avoir deux objets : 1o ellese rapporte aux faits en litige, qu’elle vise à établir ou àcontrer; 2o elle porte sur la valeur probante d’un élémentde preuve présenté par une partie. Un fait est pertinentlorsqu’il s’agit du fait en litige, lorsqu’il contribue à prou-ver d’une façon rationnelle un fait en litige ou qu’il a pour

206 Preuve devant le tribunal civil

49. Syndicat des Travailleurs(euses) de l’Hôtel Reine Élizabeth c. C.N. Hôtel Inc., D.T.E. 88T-1034 (C.S.).50. Beauchamp c. Centre d’accueil Gatineau Inc., J.E. 94-1909 (C.A.), EYB 1994-57848.51. Rivard c. Procureur général du Québec, [1984] R.D.J. 571 (C.A.). Sur la définition du doute raisonnable, voir R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, REJB

1997-02349.52. L.R.C. (1985), c. C-5.53. Droit de la famille – 2435, J.E. 96-1261 (C.A.), aussi publié sous P.-A.P. c. A.F., [1996] R.D.J. 419, EYB 1996-65296.54. E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388, 438, EYB 1985-67712, j. LaForest.55. L.R.C. (1985), App. II, no 44, Ann. B, Partie I.56. R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Re Public Service Employee Relations Act, [1987] 1 R.C.S. 313, EYB 1985-66907.57. R. c. Edwards Books, [1986] 2 R.C.S. 713, EYB 1986-67595.58. S.D.G.M.R. c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; Borowski c. Procureur général du Canada, [1989] 1 R.C.S. 342.59. Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, 571, EYB 1989-67833.60. R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, 37, EYB 1994-67655, j. Sopinka.61. R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, EYB 1991-67624.62. Gagnon c. Ludger Harvey et Fils Ltée, [1968] B.R. 939.63. Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190.

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but d’aider le tribunal à apprécier la force probante d’unmanque de preuve, telle la crédibilité d’un témoignage64.

La pertinence dépend du but et de l’objet de la preuve.« La pertinence et la valeur probante doivent être détermi-nées dans le contexte du but visé par la preuve produite.L’élément de preuve qui est pertinent et probant à l’égardd’une question peut ne pas l’être à l’égard d’une autre. »65

Une preuve peut s’avérer pertinente à l’égard de la forceprobante d’un témoignage, mais non à l’égard d’un fait enlitige. Par exemple, le défendeur rapporte à l’instructionun avertissement donné par son frère au demandeur, qui enconfirme la compréhension, relatif à l’état défectueuxd’un appareil que ce dernier entend utiliser. Ce témoi-gnage revêt une double pertinence puisque, d’une part, ilétablit l’un des faits en litige, soit la connaissance d’undéfaut et, selon le contexte de la cause, l’acceptationd’un risque, soit un élément pertinent à l’appréciation dela responsabilité civile des parties, et, d’autre part, cetémoignage attaque la crédibilité du demandeur qui nieraitdevant le tribunal avoir reçu un tel avertissement.

La pertinence peut être une question de droit ou defaits. La pertinence d’une question dans le cadre d’uneallégation d’un acte de procédure est une question defaits, alors que la pertinence de l’allégation elle-même, auregard de l’objet du litige, est une question de droit66. Lapertinence en droit s’apprécie à la lumière du fardeau de lapreuve qu’impose la disposition législative habilitante,que traduisent les allégations de faits de l’acte de procé-dure. Ainsi, sera radiée suivant l’article 168 C.p.c. l’allé-gation non pertinente ou fera l’objet d’une objection àl’instruction la question en découlant, ce qui empêchera lapreuve des faits qu’elle exprime. Sont radiées les alléga-tions de faits qui, sans être totalement étrangères au litige,ne permettent pas d’établir les faits générateurs du droitréclamé et ne peuvent ni ne doivent influer sur le jugementfinal67.

La pertinence de faits découle des allégations écrites(art. 76 et 77 C.p.c.), par ailleurs recevables, de l’acte deprocédure; ainsi, seront prohibées les questions qui débor-dent du cadre de telles allégations. Un élément de preuvequi se rattache à un autre élément pertinent de preuve audossier et une question qui découle d’une réponse perti-nente fournie par le témoin seront pertinents. Lesquestions à l’interrogatoire préalable avant défense (art.

397 C.p.c.) doivent porter sur les faits allégués dans larequête introductive alors que celles posées à l’interro-gatoire préalable après défense (art. 398 C.p.c.) peuventporter sur l’ensemble des faits allégués dans la requêteintroductive et la défense; cette distinction mesure lapertinence d’une question : est-elle reliée ou non à uneallégation de l’acte de procédure? Cela est une question defaits que pourra trancher le juge exerçant en son bureau àl’occasion d’une objection.

Il convient d’apprécier assez largement la notion depertinence de faits, pour autant que l’on puisse constaterun lien avec les allégations de l’acte de procédure, lorsqueces dernières sont par ailleurs pertinentes en droit68. Ledoute ou l’incertitude favorise la recevabilité de la preuve.Ainsi, dans un interrogatoire préalable et dans un interro-gatoire sur affidavit, la notion de pertinence doit êtreinterprétée de façon libérale69; le juge du fond pourra sinécessaire évaluer la véritable pertinence lors du procès.

L’article 306 C.p.c. exige que les questions à l’inter-rogatoire principal à l’instruction ne portent que sur lesfaits de la contestation, soit sur les faits allégués dans lesactes de procédure. La question qui s’inscrit à l’intérieurd’allégations générales est pertinente à la contestation70.L’article 314 C.p.c. illustre la double pertinence d’unepreuve, lorsqu’il prévoit que le contre-interrogatoire peutporter sur tous les faits du litige et aussi sur les causes dereproche contre le témoin, qui peuvent affaiblir la forceprobante de son témoignage. L’article 315 C.p.c. énonceque le réinterrogatoire peut porter sur des faits nouveauxrévélés par le contre-interrogatoire, ce qui définit la perti-nence des questions alors posées. Au cas contraire, laquestion n’est pas pertinente.

Les questions doivent en conséquence se rapporter àun fait en litige ou à la force probante d’un moyen depreuve. On peut donc s’opposer à une preuve superflueou non pertinente, laquelle par définition est inutile à lasolution du litige.

Pour déterminer si un élément de preuve est pertinentau litige, il faut « s’interroger au préalable sur la nature dudroit réclamé. Ensuite, on essaie de déterminer si la preuveofferte établit ou, du moins, tend à démontrer, les faitsgénérateurs ou constitutifs du droit réclamé »71. « Pourqu’un fait soit pertinent à un autre, il faut qu’il existe entre

Qualités et moyens de preuve 207

64. St-Onge-Lebrun c. Hôtel-Dieu de St-Jérôme, [1990] R.D.J. 561 (C.A.), EYB 1990-57005.65. R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, 666, EYB 1993-67115, j. Cory.66. Singer c. Singer, [1967] B.R. 839.67. Robert c. Hôpital de Chicoutimi Inc., J.E. 91-963 (C.A.), EYB 1991-59388.68. Kruger Inc. c. Kruger, [1987] R.D.J. 11 (C.A.), EYB 1986-62452; Corporation McKesson Canada c. Losier, REJB 2004-61112 (C.A.).69. Glegg c. Smith & Nephew Inc., [2005] 1 R.C.S. 724, EYB 2005-90619.70. Cadrin c. Conseil de la nation Huronne-Wendat, J.E. 90-921 (C.A.), EYB 1990-56677.

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les deux un lien ou une connexité qui permette d’inférerl’existence de l’un à raison de l’existence de l’autre. Unfait n’est pas pertinent à un autre s’il n’a pas par rapport àcelui-ci une valeur probante véritable. »72

En matière constitutionnelle, le tribunal a le droit dese reporter aux types de preuve extrinsèque qui sont perti-nents et non douteux en soi, tels les textes connexes,l’historique du texte, soit les circonstances de sa rédactionet de son adoption, et les débats parlementaires73.

Le tribunal, chargé de la bonne gestion de l’instruc-tion, peut de son propre chef refuser d’admettre la preuvede faits non pertinents, en l’absence d’objection ou derequête antérieure en radiation d’allégations74 ou même encas de rejet d’une telle requête75. Une preuve non perti-nente à la contestation pourra être écartée par la Courd’appel76. Le tribunal n’a cependant pas le droit d’exclureune preuve pertinente, dont il appréciera plus tard la portéeau regard de l’ensemble de la preuve au dossier77. Unepreuve légale et pertinente, même si elle paraît peu pro-bante aux yeux du tribunal, doit donc être admise78. Iln’appartient pas au tribunal de limiter la preuve qu’unepartie veut apporter en relation avec un fait en litige, dansla mesure où la preuve autorisée par les allégations d’unacte de procédure s’avère pertinente au litige; le tribunaln’a qu’à en apprécier la force probante79. Même si lapreuve de certains faits requiert une longue instruction,cela ne constitue pas en soi un motif suffisant pour l’in-terdire, si elle se rapporte au litige80.

Lorsqu’une question porte sur un élément de preuvesusceptible d’influer sur le jugement, le juge devrait lapermettre sous réserve de disposer ultérieurement del’objection quant à la pertinence ou à la valeur probante,car, autrement, une Cour d’appel pourrait juger que cettepreuve était pertinente et la considérer81.

Malgré la pertinence d’un fait susceptible d’être intro-duit en preuve, le moyen de preuve qui le véhicule, tel letémoignage, doit aussi être recevable en fonction desrègles du Code civil du Québec.

E- La recevabilité des moyens de preuve

L’article 2811 C.c.Q. énumère cinq moyens depreuve : l’écrit, le témoignage, la présomption, l’aveu etl’élément matériel. Le mot « fait » dans cette dispositionregroupe le fait juridique (soit un acte auquel la loi attacheles effets d’une obligation) et le fait pur et simple ou maté-riel, par opposition à l’acte juridique, qui exprime lavolonté d’une personne de s’obliger à l’exécution d’uneprestation. « Fait » signifie donc à la fois le fait juridique etle fait pur et simple.

Le Code de procédure civile autorise dans certains casun sixième moyen de preuve, soit l’affidavit détaillé, quiconstitue une forme dérivée de preuve testimoniale.

En apparence, à l’instruction, la preuve s’administrede deux façons concrètes : au moyen d’un témoignage etau moyen de pièces. Le témoin y relate des faits de façonorale. Il peut aussi produire des documents ou des objets.Cette preuve testimoniale peut établir un acte juridique ou,le plus souvent, des faits purs et simples. Les pièces, selonleur nature, constituent une preuve écrite ou une preuvematérielle.

L’écrit, le témoignage (auquel se rattache l’affidavitdétaillé) et l’élément matériel sont des modes de preuvedirecte. Leur contenu se perçoit de façon immédiate parl’audition des paroles prononcées et par l’examen d’undocument ou d’un objet présentés. L’aveu et la présomp-tion sont des modes de preuve indirecte qui découlent d’unmode de preuve directe. L’aveu est introduit en preuvepar le truchement de la preuve écrite ou testimoniale,ou encore par les allégations d’un acte de procédure oula déclaration de l’avocat. La présomption découle ducontenu de la preuve écrite, testimoniale ou matérielle, oude la loi.

Des règles régissent la recevabilité de ces moyens depreuve, qui ne peuvent pas toujours être utilisés de façonuniverselle par le plaideur, ni à son gré. Une preuve irrece-vable en vertu de ces règles ne peut en principe êtreintroduite au dossier.

208 Preuve devant le tribunal civil

71. Domaine de la Rivière Inc. c. Aluminium du Canada Ltée, [1985] R.D.J. 30, 35 (C.A.), j. LeBel.72. Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709, 731, j. Pratte.73. R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, EYB 1993-67405.74. Léon c. Dominion Square Corporation, [1956] B.R. 623; Nadeau c. Lalancette, J.E. 78-593 (C.A.).75. Létourneau c. Lessard, [1959] B.R. 715.76. Lanctôt c. Radius Exploration Limited, [1963] B.R. 63.77. Paillé c. Lorcon Inc., [1985] C.A. 528.78. Gagnon c. Malouin, J.E. 90-1695 (C.A.), EYB 1990-59428.79. Laramée c. Poly-Actions, J.E. 90-1150 (C.S.), EYB 1990-76932.80. Martin Transports Ltd. c. Cardinal, [1943] B.R. 344.81. Bockler Investment Corp. c. Petit, H. REID, D. FERLAND, C.p.c. annoté, 1981, vol. 3, p. 104, 1975 (C.A.); Tabco Timber Ltd. c. La Reine, [1971] R.C.S.

361.

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Il y a lieu de distinguer la recevabilité et la forceprobante d’une preuve. Une preuve, par ailleurs rece-vable, peut être plus ou moins probante, selon sa valeur depersuasion, laissée à l’appréciation du tribunal. Un témoi-gnage, recevable à l’origine, peut s’avérer en rétrospectivepeu crédible. On soulève une objection à l’encontre dela recevabilité d’une preuve; on plaide sur sa valeur pro-bante. Sous réserve de la pertinence, le fait qu’une preuveait peu de valeur probante ne la rend pas pour autant irrece-vable82.

En définitive, la recevabilité d’un moyen de preuveest toujours fonction de la finalité de la preuve, donc de sapertinence. Quel est le but ou l’objet de telle preuve? Queveut-on établir par tel document, par telle question ouréponse?

Exemple : Le témoignage établit-il uniquement unfait matériel ou tend-il à établir une présomption de faits,auquel cas ce fait peut être ou ne pas être recevable?Quelle en est la pertinence dans le litige?

Exemple : Le témoin qui rapporte les paroles d’untiers veut-il établir uniquement l’existence d’une telledéclaration, tel un avertissement donné, ou tente-t-il deprouver la véracité du contenu de cette déclaration, ce quiest alors prohibé par la règle du ouï-dire?

Il convient donc de s’interroger sur la recevabilitéd’un mode de preuve. Le fardeau de la preuve et l’objet dela preuve demeurent, du moins en théorie, assez faciles àcirconscrire : la disposition législative pertinente associéesi nécessaire à l’interprétation jurisprudentielle y pour-voit. C’est à l’étape de la détermination des moyens depreuve que peuvent surgir des difficultés de recevabilité,particulièrement en ce qui concerne la preuve testimonialed’un acte juridique, tel un contrat verbal. Dans certainscas, ce contrat verbal ne pourra être prouvé par témoi-gnage.

De même, l’écrit ne peut, en principe, constituer untémoignage écrit que prohibe le ouï-dire. Sous réserve dela règle de la meilleure preuve (art. 2860 C.c.Q.), l’écritqui constate un acte juridique est recevable en preuve. Ilpeut se présenter sous trois formes :

1. écrit authentique (art. 2813 C.c.Q.), dont la copieauthentique (art. 2815 C.c.Q.) ou un extrait(art. 2817 C.c.Q.);

2. écrit sous seing privé (art. 2826 C.c.Q.);

3. écrit non signé habituellement utilisé dans lecours des activités d’une entreprise (art. 2831C.c.Q.).

Sous réserve du respect des conditions de forme quantà l’utilisation d’un support spécifique, ces trois typesd’écrits peuvent se retrouver sur papier, sur support tra-ditionnel ou, au choix des parties, sur un supporttechnologique (art. 2 de la Loi concernant le cadre juri-dique des technologies de l’information).

Depuis le 1er novembre 2001, l’écrit est un moyen depreuve, quel que soit son support, à moins qu’une disposi-tion n’exige l’emploi d’un support ou d’une technologiespécifique (art. 2837 C.c.Q., comme amendé par la loi).Contrairement à l’ancien article 2837 C.c.Q., les docu-ments technologiques ne constituent pas un type d’écritdistinct des écrits faisant l’objet des articles 2813 à 2832C.c.Q. Comme nous le verrons plus loin, le législateur aétabli le principe de l’équivalence et de l’interchangeabi-lité des supports, qu’ils soient papiers ou technologiques.

En principe, l’aveu judiciaire (art. 2852 C.c.Q.) estrecevable dans tout domaine. La recevabilité de l’aveuextrajudiciaire verbal (c’est-à-dire fait hors de l’instanceoù il est invoqué, art. 2867 C.c.Q.) et de la preuve par pré-somption de faits peut cependant soulever un problème,qui se résout en fonction de la recevabilité de la preuvetestimoniale.

Sous cette même réserve quant à la recevabilité de lapreuve d’un acte juridique, la preuve matérielle constitueun moyen universel de preuve, parce qu’illustrative d’unsimple fait.

En matière de preuve testimoniale, de laquelle peutdécouler l’aveu extrajudiciaire et la présomption de faits,il convient donc de qualifier la nature du fait à prouverpour en déterminer la recevabilité.

Le témoignage qui vise à établir un acte juridique estrecevable dans les cas suivants :

1. avec commencement de preuve (art. 2862 et 2865C.c.Q.);

2. contre une personne qui a passé un acte juridiquedans le cours des activités d’une entreprise(art. 2862 C.c.Q.);

Qualités et moyens de preuve 209

82. Gauthier c. Cie d’imprimerie et de publication de la Rive Sud Ltée, [1985] R.D.J. 476 (C.A.).

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3. lorsque la valeur du litige n’excède pas 1 500 $(art. 2862 C.c.Q.);

4. en cas d’impossibilité par une partie de se ména-ger une preuve écrite d’un acte juridique, pourune raison valable (art. 2861 C.c.Q.);

5. à titre de preuve secondaire, en cas d’impos-sibilité par une partie, malgré sa bonne foi etsa diligence, de produire l’original (ou la copiequi légalement en tient lieu) de l’écrit constatantl’acte juridique (art. 2860 C.c.Q.).

La preuve par aveu extrajudiciaire (art. 2867 C.c.Q.),par présomption de faits (suivant la jurisprudence de laCour d’appel) et par la présentation d’un élément matériel(art. 2868 C.c.Q.) d’un acte juridique suit le même régime.

La preuve de tout fait autre que l’acte juridique, soitun fait juridique ou un fait pur et simple, peut être établiepar tous moyens, dont le témoignage (art. 2857 C.c.Q.).

Nous approfondirons ces notions à l’occasion del’étude des moyens de preuve que nous entreprenonsmaintenant.

En effet, nous examinerons la preuve écrite, la preuvetestimoniale, qui incorpore la preuve par affidavit détaillé,la preuve matérielle qui accompagne la preuve testimo-niale et, finalement, les deux moyens de preuve dérivéeque constituent l’aveu et la présomption.

2- L’écrit

L’écrit qui constate un acte juridique est instrumen-taire. Il est signé, sauf s’il est habituellement utilisé sanssignature dans le cours des activités d’une entreprise pourconstater un acte juridique. L’écrit constitue la meilleurefaçon de prouver l’expression de la volonté d’une per-sonne, comme pour établir un contrat qui, suivant ladéfinition à l’article 1378 C.c.Q. « est un accord devolonté, par lequel une ou plusieurs personnes s’obligentenvers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation ».La signature établit le consentement à l’acte juridiqueexprimé par l’écrit.

En vertu de l’article 141 de la Loi sur l’application dela réforme du Code civil83, en matière de preuve précons-tituée, la loi en vigueur au jour de la conclusion de l’actejuridique s’applique. La preuve préconstituée est celleétablie avant procès, par exemple pour constater unacte juridique lors de sa formation84. Le Code civil duBas-Canada régit donc en matière de preuve l’écrit instru-mentaire passé avant le 1er janvier 1994, date d’entrée envigueur du Code civil du Québec85. Nous nous intéressonsà l’écrit instrumentaire et à l’acte juridique assujettis auCode civil du Québec.

L’écrit non instrumentaire ou simple écrit rapporte unfait matériel, sans avoir comme objet la constatation d’unacte juridique. Il exprime la connaissance d’un fait et nerequiert pas la signature des parties – quoiqu’il puisse êtresigné. Il s’agira, par exemple, d’une déclaration écritefournie par un assuré à son assureur; ce document ne relateque des faits.

Quant à leur forme, les écrits instrumentaires se divi-sent en écrit authentique, écrit semi-authentique, écritsous seing privé, écrit non signé habituellement utilisédans le cours des activités d’une entreprise.

Quant aux écrits non instrumentaires, ils se divisenten écrits authentiques, semi-authentiques et écrits niauthentiques ni semi-authentiques qui relatent des faits.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi concernant lecadre juridique des technologies de l’information86, le1er novembre 2001, le législateur a établi le principed’équivalence et d’interchangeabilité entre les écrits sursupport papier et support technologique.

La copie de loi, l’acte authentique, l’acte semi-authentique ou l’acte sous seing privé sur un support tech-nologique ont la même force probante qu’un écrit demême nature établi sur support papier : « Lorsque la loiexige l’emploi d’un document, cette exigence peut-êtresatisfaite par un document technologique dont l’intégritéest assurée. » Pour qu’un écrit technologique fasse preuve,au même titre qu’un écrit sur support papier, il doit respec-ter les exigences du Code civil et des autres lois quipeuvent les régir et qui sont propres à la catégorie d’écritsdont il est le support.

210 Preuve devant le tribunal civil

83. L.Q. 1993, c. 57.84. Régis, Trudeau et associés c. D’Arcy, J.E. 94-410 (C.S.), REJB 1994-28681; Services de Santé du Québec c. Manoir du Fleuve Inc., REJB 2000-19941

(C.A.).85. Maur c. Groupe Quebecor Inc., J.E. 94-1357 (C.Q.), EYB 1994-73812.86. Précitée, note 2.

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Comme nous le verrons, dans le cas d’un acte authen-tique, il doit avoir été reçu ou attesté par un officier publiccompétent, selon les lois du Québec ou du Canada, avecles formalités requises par la loi (art. 2813 C.c.Q.).

Dans le cas de l’acte semi-authentique, il doit éma-ner apparemment d’un officier public étranger compétent(art. 2822 C.c.Q.).

Dans le cas d’un acte sous seing privé, il doit porter lasignature des parties (art. 2826 C.c.Q.) comme ce terme secomprend maintenant à la lumière de la loi.

Comme nous abordons l’étude des écrits dans l’ordrede leur traitement dans le Code civil du Québec, nousaborderons les répercussions de cette loi et les modifica-tions au Code civil du Québec après le chapitre sur « Lesautres écrits ».

Nous examinerons la nature, la portée et le mode decontestation des écrits instrumentaires.

La première qualité d’un écrit réside dans son authen-ticité d’origine et de contenu, marque de sa fiabilité, à ladifférence de l’écrit contrefait ou altéré. Il émane de la per-sonne qui en est l’auteur et reproduit par son contenu cequ’une partie a désiré y exprimer et accomplir. L’écritauthentique vise l’atteinte de cette qualité.

A- L’acte authentique

Les articles 2813 à 2821 C.c.Q. traitent des actesauthentiques. Nous verrons ce qu’est un acte authentique,quelle est sa force probante et de quelle façon il peut êtrecontesté.

1. La notion

L’article 2813 C.c.Q. en donne la définition : « L’acteauthentique est celui qui a été reçu ou attesté par un offi-cier public compétent selon les lois du Québec ou duCanada, avec les formalités requises par la loi. » L’officierpublic authentifie les faits énoncés à l’acte qu’il a missionde constater. « L’acte dont l’apparence matérielle respecteces exigences est présumé authentique », énonce le secondalinéa de cette disposition.

L’article 2814 C.c.Q. énumère de façon non limitativeles actes authentiques. Peut donc être aussi authentiqueun écrit non mentionné dans l’une des sept catégoriesde documents de cette disposition. Sont notammentauthentiques :

1o Les documents officiels du Parlement du Canadaet du Parlement du Québec. Les lois en usage auQuébec sont authentiques. En vertu de l’article2812 C.c.Q., « Les copies de lois qui ont été ousont en vigueur au Canada, et qui sont attestéespar un officier public compétent ou publiées parun éditeur autorisé, font preuve de l’existence etde la teneur de ces lois, sans qu’il soit nécessairede prouver la signature ni le sceau y apposés, nonplus que la qualité de l’officier ou de l’éditeur. »Le tribunal doit prendre connaissance d’officedes lois en vigueur au Québec (art. 2807 C.c.Q.),de sorte qu’il n’est pas nécessaire de les alléguerdans un acte de procédure et de les prouver àl’instruction : « Nul n’est tenu de prouver ce dontle tribunal est tenu de prendre connaissanced’office. » (art. 2806 C.c.Q.).

L’article 24 de la Loi sur la preuve au Canada87,qui, en vertu de l’article 2, s’applique notammentà toutes les procédures civiles de compétencefédérale, contient une disposition de portée sem-blable à l’article 2812 C.c.Q.

2o Les documents officiels émanant du gouverne-ment du Canada ou du Québec, tels les lettrespatentes, les décrets et les proclamations.

« Toute personne est tenue de prendre connais-sance des règlements publiés à la Gazette officielledu Québec et il n’est pas nécessaire de les plai-der spécialement. »88 « Les textes réglementairespubliés dans la Gazette du Canada sont admisd’office », dont la production d’un exemplaire enprouve l’existence ou la teneur89. Le tribunal prendconnaissance d’office des règlements ainsi publiés(art. 2807 C.c.Q.), qui sont authentiques.

Notons que l’article 32 R.p.c.(C.S.) énonce :

« La partie qui invoque des dispositionsréglementaires ou législatives autres quecelles des codes civils, du Code de procédurecivile ou de la Loi sur le divorce, en fournit unexemplaire au juge. »

Qualités et moyens de preuve 211

87. Précitée, note 52.88. Loi sur les règlements, L.R.Q., c. R-18.1, art. 20.89. Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), c. S-22, art. 16.

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L’article 51 du Règlement de la Cour du Québecest au même effet.

3o Les registres des tribunaux judiciaires ayant juri-diction au Québec.

L’article 23 de la Loi sur la preuve au Canada,qui facilite la preuve des procédures judiciaires,contient une disposition de portée semblable.

Ainsi, un procès-verbal d’audience d’un tribunalcivil est un acte authentique90.

4o Les registres et les documents officiels émanantdes municipalités et des autres personnes moralesde droit public constituées par une loi du Québec.

Les règlements municipaux sont authentiques.Une résolution municipale est aussi authenti-que91. Les procès-verbaux d’un CLSC sont desactes authentiques92.

L’article 24 de la Loi sur la preuve au Canadacontient une disposition de portée semblable.

5o Les registres à caractère public dont la loi requiertla tenue par des officiers publics. Les actes del’état civil (actes de naissance, de mariage et dedécès) sont authentiques (art. 107 C.c.Q.). Sontaussi authentiques les copies d’actes de l’étatcivil, les certificats et les attestations portant levidimus du directeur de l’état civil et la date de ladélivrance (art. 144 C.c.Q.).

L’article 25 de la Loi sur la preuve au Canadacontient une disposition de portée semblable.

6o L’acte notarié.

Les notaires sont habilités à conférer un caractèred’authenticité aux actes qu’ils reçoivent. L’arti-cle 10 de la Loi sur le notariat93 énonce :

« 10. Le notaire est un officier public et colla-bore à l’administration de la justice. Il estégalement un conseiller juridique.

Mission. En sa qualité d’officier public, lenotaire a pour mission de recevoir les actesauxquels les parties doivent ou veulent fairedonner le caractère d’authenticité qui s’at-tache aux actes de l’autorité publique, d’enassurer la date et, s’il s’agit d’actes reçus enminutes, d’en conserver le dépôt dans ungreffe et d’en donner communication en déli-vrant des copies ou extraits de ces actes. »

L’acte notarié est reçu en minute ou en brevet(art. 34 de la Loi sur le notariat). En vertu del’article 35 de la Loi sur le notariat, l’acte enminute est celui que le notaire reçoit et qu’il doitgarder dans son greffe pour en délivrer des copiesou des extraits. L’article 36 de cette loi exige queles minutes soient reçues séparément et numé-rotées consécutivement, en commençant par lenuméro un. En vertu des articles 19 et 20 de la Loisur le notariat, notamment, le notaire doit conser-ver un index ou un répertoire de ses minutes94.

Certains actes juridiques doivent, à peine de nullitéabsolue, être constatés par acte notarié en minute,soit le contrat de mariage (art. 440 C.c.Q.), ladonation d’un immeuble (art. 1824 C.c.Q.) et l’hy-pothèque immobilière (art. 2693 C.c.Q.).

Par ailleurs, l’article 38 de la Loi sur le notariat95

décrit l’acte en brevet comme étant celui que lenotaire reçoit en original, simple ou multiple, etqu’il peut remettre aux parties. Contrairement àl’acte notarié en minute, le notaire instrumentantne peut délivrer aucune copie authentique d’unacte reçu en brevet. Voici des exemples d’actesqui doivent être reçus en brevet : les procurations,autorisations, quittances et autres actes simples(art. 31 de la Loi sur le notariat, c. N-3).

7o Le procès-verbal de bornage.

L’article 789 C.p.c. trace le contenu du procès-verbal.

La copie de l’original d’un acte authentique estelle-même authentique lorsqu’elle émane de son déposi-

212 Preuve devant le tribunal civil

90. Demers c. Jacques et al., REJB 2002-33692 (C.S.).91. Ste-Anne-des-Plaines (Ville de) c. Collabella, J.E. 95-335 (C.S.), REJB 1994-28797.92. C.L.S.C. de Lotbinière ouest c. Corriveau, [1985] R.D.J. 380 (C.A.).93. L.R.Q., c. N-3; on doit noter que la Loi sur le notariat (chapitre N-2) a été remplacée en 2005 par la Loi sur le notariat, chapitre N-3, à l’exception des

dispositions relatives à la conservation des actes notariés en minutes, à la tenue, la cession, le dépôt et la garde provisoire des greffes, à la délivrance de copiesou d’extraits d’actes notariés en minutes, ainsi qu’à la saisie des biens reliés à l’exercice de la profession notariale. Ainsi, certaines dispositions de la loi N-2sont toujours en vigueur.

94. L.R.Q., c. N-2.95. L.R.Q., c. N-3.

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taire. L’article 2815 C.c.Q. prévoit en effet que la copiede l’original d’un acte authentique est authentique lors-qu’elle est attestée par l’officier public qui en est ledépositaire. En vertu de l’article 55 de la Loi sur le nota-riat, c. N-2, sont authentiques et font preuve de ce qui estcontenu dans la minute, les copies et extraits des actesnotariés, certifiés conformes par le notaire qui les a reçusou par toute autre personne qui en est le dépositaire légal.Par exemple, le notaire, dépositaire de l’original en songreffe, délivre une copie authentique de l’acte original(art. 10 de la Loi sur notariat, c. N-3 et art. 866 C.p.c.) quel’on utilisera en preuve. Est aussi authentique l’extraitd’un acte authentique aux conditions énoncées à l’article2817 C.c.Q.

En cas de perte de l’original de l’acte authentique, lacopie d’une copie authentique de cet acte est authentiquelorsqu’elle est attestée par l’officier public qui en est ledépositaire (art. 2815 C.c.Q.). Les articles 870 à 871.4C.p.c. traitent de la procédure de remplacement et dereconstitution de la minute ou de l’original d’un acteauthentique ou d’un registre public, en cas de perte.

Signalons que l’officier de la publicité des droits esttenu de fournir, à toute personne qui le demande, unecopie des documents faisant partie des archives du bureaude la publicité des droits d’une circonscription foncière(art. 3019 C.c.Q.). Cependant, la copie d’un documentdélivrée par l’officier de la publicité des droits, dépositaireaux fins de publicité, n’est pas authentique et constitue unepreuve secondaire96, puisque cet officier n’est pas déposi-taire de l’original de l’acte97, sous réserve de l’exceptionprévue à l’article 2816 C.c.Q.

Une telle copie n’est authentique qu’à l’égard des faitsrelatifs à l’inscription au registre (art. 2814 C.c.Q.).

Dans tous ces cas, la copie authentique répond auxexigences de la meilleure preuve de l’article 2860 C.c.Q.,puisqu’elle tient légalement lieu de l’original. Dans tousles autres cas, sous réserve des dispositions ci-dessusmentionnées, la copie d’une copie authentique d’un acten’est pas en principe authentique98. La preuve secondairene sera permise qu’en cas d’impossibilité de productiond’une copie authentique, en accord avec le second alinéade l’article 2860 C.c.Q. En pratique, la photocopie d’unecopie authentique peut valoir en preuve, à l’instar d’unepreuve secondaire recevable, du consentement tacite de

la partie adverse qui fait défaut de soulever une objectionfondée sur la règle de la meilleure preuve (art. 2859C.c.Q.). L’usage de ce mode de preuve secondaire ne sus-cite habituellement aucun débat entre avocats, puisquel’on peut aisément en apprécier la conformité intégraleavec la meilleure preuve que constitue l’original oula copie authentique de l’acte invoqué, de connaissancegénéralement déjà acquise.

2. La force probante

L’acte authentique fait preuve en soi de sa confection.À la différence de l’acte sous seing privé, l’acte authen-tique (c’est-à-dire sous seing public) ne requiert pas unepreuve de sa confection véridique, qui en assure la fiabilitéd’origine. Par son apparence, il est présumé authentique(art. 2813 C.c.Q.). Le caractère d’authenticité de l’acte estconféré par sa forme et sa conformité apparente aux condi-tions d’authenticité; la confection en est établie à sa facemême. L’écrit instrumentaire émane bien des personnesqui l’ont signé et dont il exprime le consentement à l’actejuridique qu’il contient. Il est produit devant le tribunalsans nécessité d’en faire la preuve par témoin99. Il n’est pasnécessaire alors d’en prouver la signature, ni la qualité del’officier public qui l’a reçu ou attesté, en raison de cetteprésomption d’authenticité qui dispense de toute autrepreuve à cet égard.

En vertu de ce régime d’authenticité établi par la loi,l’écrit fait dès lors preuve, dans une certaine mesure, deson contenu. Il fait preuve des faits énoncés que l’officierpublic avait mission de constater ou d’inscrire, à l’égardnon seulement des parties, mais aussi des tiers100. L’article2818 C.c.Q. énonce à cet effet : « Les énonciations, dansl’acte authentique, des faits que l’officier public avait mis-sion de constater ou d’inscrire, font preuve à l’égard detous. » Ainsi, l’officier de l’état civil, chargé de dresser lesactes de l’état civil et de tenir le registre de l’état civil, yinscrit les énonciations de faits pertinents rapportés, sansavoir comme mission de vérifier la véracité de ces faitsqu’il n’a pas constatés.

À l’égard de l’acte notarié, le notaire a pour missionde constater la date et le lieu de réception de l’acte (art. 52de la Loi sur le notariat, c. N-3), l’identité des parties(art. 43 de la Loi sur le notariat, c. N-3)101, que lecture a étéfaite aux parties (art. 51 de la Loi sur le notariat, c. N-3),

Qualités et moyens de preuve 213

96. Riberdy c. Beaumier, [1983] C.S. 1132.97. Lepage c. Gagnon Frères de Roberval Ltée, [1969] R.P. 362 (C.S.).98. Ibid.99. Tremblay c. La Reine, [1978] R.L. 55 (C.A.).100. La Corp. de la Paroisse St-Joseph de Coleraine c. Colonial Chrome Co. Ltd., [1933] R.C.S. 13.101. Caisse populaire St-Paul-L’Hermite c. Croteau, J.E. 95-32 (C.S.), REJB 1994-65692.

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leur signature (art. 53 de la Loi sur le notariat, c. N-3)102,ainsi que la nature de l’acte juridique exprimé à l’écrit etles déclarations des parties qui s’y rapportent directement(art. 2819 C.c.Q.). Ce contenu de l’acte notarié est censérefléter la réalité, parce qu’il est authentique. L’écrit faitpreuve de l’acte juridique qu’il renferme et des déclara-tions des parties qui s’y rapportent directement, et ce, àl’égard de tous, et non seulement des parties (art. 2819C.c.Q.).

Ainsi, le contrat notarié de vente d’un immeuble faitpreuve de cet acte juridique et de l’existence des déclara-tions des parties qui s’y rapportent directement – mais nonnécessairement de la véracité du contenu factuel de cesdéclarations, non constaté par le notaire – à l’égard desparties signataires et des tiers intéressés.

La copie authentique d’un document qu’autorisel’article 2816 C.c.Q. fait preuve, à l’égard de tous, de saconformité à l’original et supplée à ce dernier (art. 2820C.c.Q.). L’extrait authentique prévu à l’article 2817C.c.Q. fait preuve de sa conformité avec la partie du docu-ment qu’il reproduit (art. 2820 C.c.Q.).

En cas de divergence entre l’exemplaire du registre del’état civil constitué de tous les documents écrits et l’autreexemplaire qui contient l’information sur support infor-matique, l’écrit prévaut, mais, dans tous les cas, l’un desexemplaires peut servir à reconstituer l’autre (art. 105C.c.Q.).

L’article 27 de la Loi sur la preuve au Canada traitede la recevabilité et de la force probante des actes notariésfaits, déposés ou enregistrés au Québec.

Le contenu de l’acte authentique peut faire l’objet decontestation, notamment par inscription de faux.

3. La contestation

La confection, c’est-à-dire la présumée forme authen-tique, est attaquée par action en nullité, parce que ledocument, ne répondant pas aux conditions d’authen-ticité, est en conséquence non authentique. Il s’agira parexemple d’un écrit, en apparence notarié, qui émanerait en

fait d’un imposteur. Le second alinéa de l’article 2821C.c.Q. énonce d’ailleurs que l’inscription de faux « n’estpas requise pour contester la qualité de l’officier public etdes témoins ou la signature de l’officier public ».

L’acte authentique vaut jusqu’à la perte de son carac-tère d’authenticité par jugement qui accueille uneinscription de faux. Ce mode de contestation de l’écrit ins-trumentaire attaque l’exactitude des faits que l’officierpublic, tel le notaire, avait le devoir de constater et de rap-porter. L’article 2821, al. 1 C.c.Q. énonce :

« L’inscription de faux n’est nécessaire que pour con-tredire les énonciations dans l’acte authentique desfaits que l’officier avait mission de constater. »

L’inscription de faux conteste l’exactitude des faitsque l’officier public tel le notaire avait comme mission deconstater et de rapporter. Elle ne vise que le contenu del’acte, non sa confection.

Le contenu de l’acte est attaqué à cause de mentionsfausses de faits, donc contraires à la vérité, que l’officierinstrumentant y déclare avoir constatés103. Ce contenufaux ou falsifié ne peut être contredit par l’aveu de la partieadverse qui désirerait en rétablir la véracité et l’exacti-tude. La contestation portant sur un élément que l’officierpublic, tel le notaire, avait mission de constater et a déclaréavoir constaté doit s’effectuer par la procédure d’inscrip-tion de faux.

Le faux incident peut ne porter que sur une partie del’acte authentique104.

Le faux est dit matériel lorsqu’il y a altération phy-sique de l’acte; il est intellectuel lorsque la déclaration dela part du notaire est contraire à la vérité, comme lorsquele faux résulte d’une erreur relative à la substance del’acte105.

Le faux matériel résulte donc de la contrefaçon ou del’altération de l’acte au moyen de ratures, d’ajouts, desubstitutions ou de falsifications d’écritures, alors que lefaux intellectuel résulte d’un manquement de l’officierpublic à reproduire avec exactitude la volonté des par-ties106.

214 Preuve devant le tribunal civil

102. Compagnie Trust Royal c. 2845-9949 Québec Inc., J.E. 96-576 (C.S.), REJB 1996-30246; 2162-5231 Québec Inc. c. Banque de Montréal, J.E. 98-1964(C.S.), REJB 1998-08043.

103. Périard c. Paiement, [1979] C.A. 213, 214, j. Jacques pour la cour, repris dans Abecassis c. Abecassis, [1980] C.A. 178.104. René Labelle Realties Limited c. Héritiers légaux de Royal Larose, [1983] R.D.J. 209 (C.A.); Forcier c. Lamarre, [1944] B.R. 506.105. Howlet Fournier c. Deluxe Cleaners & Dryers Ltd., H. REID, D. FERLAND, C.p.c. annoté, vol. 3, p. 332, 1976 (C.A.); Caisse d’Entraide Économique de

Charlevoix c. Cloutier-Perron, [1984] R.D.J. 360 (C.A.); Miller c. Ordre des Infirmières et Infirmiers du Québec, J.E. 85-355 (C.A.); Lalancette c.Bouchard, [1986] R.D.J. 538 (C.A.).

106. Albers c. Keinborg, [1994] R.D.I. 609 (C.S.), REJB 1994-28667; Baltazar c. Hémond, [1948] B.R. 596, 601, j. St-Germain, qui cite CARRÉ etCHAUVEAU, Lois de la procédure, 1880, p. 364.

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À titre d’exemple, l’omission du notaire d’exprimerles termes de la convention entre les parties, contrairementaux instructions reçues, donne ouverture à faux107. Cons-titue également un faux la mention qu’une partie a signé enprésence du notaire, alors que ce dernier était de faitabsent108. Le seul moyen de procéder à la dénégation designature d’un acte notarié est l’inscription de faux109. Sile notaire n’a pas rapporté correctement les déclarationsou la volonté des parties, il s’agit d’un faux intellectuel; lenotaire a le devoir de renseigner ses clients, de lire l’acteà haute voix et de s’assurer que les parties ont comprisle sens de l’écrit qu’elles signent110. L’omission par lenotaire de lire l’acte peut donner ouverture à l’inscriptionde faux111.

Seuls les faits essentiels à la validité de l’acte peuventfaire l’objet d’inscription de faux, de sorte qu’il n’y a pasmatière à faux en cas d’inexactitude de faits autres. Ainsi,il n’y a pas matière à inscription de faux contre un actementionnant que le signataire est dûment mandaté parrésolution, alors qu’il y a absence de résolution112.

De même, il n’y a pas lieu à inscription de fauxlorsque le notaire relate dans l’acte la déclaration des par-ties portant sur des faits qu’il n’a pas vérifiés lui-même,puisque au surplus il n’atteste pas d’un fait qu’il avait pourmission de constater113. La véracité du contenu d’uneaffirmation des parties au notaire peut être attaquée sansinscription de faux114. Il n’y a pas matière à faux lorsque lenotaire relate à l’acte ce qu’on lui a demandé de rapporter,quoique le contenu de la déclaration au notaire s’avèrefaux, puisque l’on n’attaque pas l’intégrité de ce dernier. Ily a lieu de distinguer l’existence de la déclaration rap-portée et l’exactitude des faits qu’elle contient. Ces faitsrapportés, mais non constatés par l’officier public, peu-vent être contredits par tous moyens de preuve, commesous le régime d’acte sous seing privé, sous réserve del’article 2863 C.c.Q., qui prohibe la preuve testimoniale,recevable cependant en cas d’attaque de la validité del’écrit.

L’inexactitude provenant de documents remis par lesparties au notaire ne donne pas ouverture à faux, puis-qu’elle n’émane pas du notaire115. L’inscription de fauxn’est pas nécessaire lorsque le faux est matériel et telle-ment manifeste qu’il ne saurait être sérieusement contesté,surtout lorsque ce faux n’est pas contesté116.

Les mentions dans les actes de l’état civil peuventêtre contredites sans la procédure d’inscription de faux,puisqu’elles ne sont pas des constatations factuelles dudirecteur de l’état civil, qui se borne à inscrire les déclara-tions reçues.

Puisqu’un affidavit n’est pas un document public ausens de l’article 2814 C.c.Q., il n’est pas nécessaire d’encontester la validité par inscription de faux, au motifd’absence d’assermentation réelle117.

L’inscription de faux n’est pas nécessaire pourcontester l’attestation du notaire, suivant la disposition del’article 2988 C.c.Q., de la vérification de la capacité desparties, puisqu’il ne s’agit pas de « contredire les énoncia-tions dans l’acte authentique des faits que l’officier publicavait mission de constater », comme l’énonce l’article2821 C.c.Q. L’attestation requise par l’article 2988C.c.Q., quant à la capacité des parties à un acte, est plu-tôt l’attestation d’une vérification, soit une appréciationlégale quant à la capacité des parties. Lorsque le notaireaffirme avoir vérifié cette capacité des parties, il atteste unfait, celui d’avoir rempli la mission de vérification confiéepar le législateur. Si le notaire commet une erreur quant àla capacité qu’il atteste avoir vérifiée, il s’agit d’une erreurde droit et non d’une affirmation fausse matériellement ouintellectuellement quant aux faits qu’il a pour missionde constater. La procédure d’inscription de faux n’estdonc pas nécessaire pour contester cette attestation dunotaire118.

Il en va de même lorsqu’une partie soulève la nullitéde l’acte pour vice de consentement119, ou lorsque ce qui

Qualités et moyens de preuve 215

107. Howlet Fournier c. Deluxe Cleaners & Dryers Ltd., précité, note 105.108. Caisse d’entraide économique de Charlevoix c. Cloutier-Perron, précité, note 105; 2162-5231 Québec Inc. c. Banque de Montréal, précité, note 102.109. Compagnie Trust Royal c. 2845-9949 Québec Inc., précité, note 102.110. Caisse d’Économie Canipsco c. 170946 Canada Inc., J.E. 95-958 (C.S.), EYB 1995-72767.111. Morness Investment Inc. c. Chahbazi, J.E. 95-2246 (C.S.), EYB 1995-73207.112. Le Foyer de Marie Inc. c. Barbeau, [1968] C.S. 188.113. Tsui et al. c. Tang, REJB 2004-52826 (C.A.).114. Malka c. Lafond-Malka, [1991] R.D.I. 393 (C.S.), appel rejeté; Développements O.L.M. Inc. c. 2750-0412 Québec Inc., J.E. 97-930 (C.S.), REJB

1997-03039; Saindon c. Lotbinière, Société mutuelle d’assurance générale, J.E. 97-2031 (C.A.), REJB 1997-02841.115. St-Stanislas-de-Kostka (Corp. mun. du village de) c. Dumouchel, [1988] R.J.Q. 2860 (C.S.), EYB 1988-78224.116. Forcier c. Lamarre, précité, note 104; Lemay c. Fradet, [1984] C.S. 280; Fiducie Desjardins Inc. c. Somercan Inc., [1990] R.J.Q. 2612 (C.S.); Laprade c.

Joumard, REJB 1998-09964 (C.A.).117. Acibec Ltée c. Bertrand Durand Inc., [1995] R.D.J. 272 (C.A.), EYB 1995-56223.118. Ste-Ursule (Municipalité de) c. Louiseville (Ville de), [1995] R.J.Q. 762 (C.A.), p. 197, REJB 1995-28989;Bédard c. Garzon, EYB 2006-105484(C.S.).119. Faubert c. Poirier, précité, note 34.

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est reproché au notaire n’est pas « d’avoir dressé enconnaissance de cause un acte dolosif, mais plutôt d’avoirmanqué aux devoirs professionnels qui lui incombaient[...] »120.

L’acte qui peut être facultativement sous seing privépeut valoir comme écrit sous seing privé, même s’il n’estplus authentique (art. 2826 C.c.Q.)121. Il faut donc nonseulement s’inscrire en faux, mais aussi, le cas échéant,conclure à la nullité de l’acte juridique qu’il constate pourécarter entièrement l’écrit. Toutefois, l’inscription de fauxn’est pas requise en cas de demande d’annulation de l’actepour cause de vice de consentement122.

Le notaire instrumentant et les parties à l’acte doiventêtre assignés dans le cas d’une inscription de faux123.

L’inscription de faux peut prendre deux formes.

D’abord, une partie peut prendre l’initiative des’inscrire en faux en introduisant une instance à cet effet. Ils’agira donc d’une requête introductive d’instance enfaux, dans laquelle la partie alléguera les motifs la justi-fiant de requérir, dans ses conclusions, que le tribunaldéclare l’acte faux, en totalité ou en partie.

Une partie peut également s’inscrire en faux à l’inté-rieur d’une instance déjà introduite. Il s’agit de la requêteen faux incident. La procédure est prévue aux articles 223et suivants C.p.c.

Ces articles ont fait l’objet d’une modification par laLoi portant réforme du Code de procédure civile .

Ainsi, la partie qui entend demander l’inscription defaux incident doit, préalablement à toute demande, noti-fier un avis à la partie adverse et lui demander de déclarersi elle entend ou non se servir de l’écrit contesté. Si lapartie adverse ne répond pas dans les cinq jours de laréception de l’avis, ou si elle déclare ne pas vouloir seservir de l’écrit, celui-ci ne peut être produit lors del’audience dans l’instance principale ou, s’il est déjà pro-duit, il est rejeté du dossier.

Si la partie adverse indique qu’elle entend se servir del’écrit, l’inscription de faux incident doit être décidée parle tribunal (art. 223.1 C.p.c.).

Pour ce faire, la partie qui soulève le faux devra pré-senter une requête (art. 223, 78 et 88 C.p.c.) énonçant lesmotifs à l’appui de l’allégation de faux, cette requêtedevant être signifiée à toutes les parties et à l’officierpublic qui détient l’original de l’écrit. La requête doit êtreaccompagnée d’un affidavit et d’un avis de présentationindiquant la date à laquelle il sera demandé au tribunal dese prononcer sur ses conclusions. Cette requête devra êtreaccompagnée d’un certificat du greffier attestant le dépôtau greffe d’un montant jugé suffisant pour couvrir les fraisde la partie adverse, dans le cas de son rejet (art. 224C.p.c.).

Contrairement aux dispositions en vigueur avant le1er janvier 2003, l’instance en faux incident ne suspend pasle déroulement de l’instance principale, et il est à pré-voir qu’une demande en faux incident sera susceptible denécessiter des modifications à l’échéancier initial et aubesoin, il pourra être nécessaire de requérir la prolonga-tion du délai de 180 jours de l’article 110.1 C.p.c.

Le fardeau de la preuve incombe à celui qui contestel’écrit authentique.

Malgré les dispositions de l’article 2863 C.c.Q., selonlesquelles on ne peut par témoignage contredire les termesd’un écrit, le requérant peut, dans le cadre d’une inscrip-tion de faux, établir par preuve testimoniale tout vicemettant en doute la validité de cet acte authentique qui, parhypothèse, n’a pas été valablement fait. Tous les moyensde preuve sont admissibles pour prouver le faux124. Selonune certaine jurisprudence, la preuve testimoniale doit êtreclaire et indiscutable quant à la fausseté de l’acte; unsimple témoignage oral, vague et non corroboré ne suffitpas125. Cependant, un jugement de la Cour supérieurenuance cette affirmation en ajoutant que cette exigence nes’applique que dans le cas où la preuve au soutien d’unerequête en faux incident repose sur le seul témoignagevague du requérant. On ne peut cependant conclure quedans tous les cas le requérant doive présenter une preuveindiscutable. Le critère de la prépondérance de la preuvedemeure la règle126.

L’instance en faux incident constitue une objectionà la preuve que représente l’acte authentique dont lapartie adverse entend se servir; le jugement qui accueillel’inscription de faux est un jugement interlocutoire au sens

216 Preuve devant le tribunal civil

120. Lépine c. Khalid, REJB 2004-70368 (C.A.).121. Turcotte c. Bélisle, [1977] C.A. 511.122. Simard c. Tremblay, (1929) 46 B.R. 158; Mailhot c. Simard, [1971] C.S. 686; 2747-4279 Québec Inc. c. Axa Assurances Inc., J.E. 94-1415 (C.S.),

EYB 1994-84385.123. Immeubles Canton Ltée c. Imperial Oil Ltée, [1975] C.A. 770; dans le cas d’une requête en faux incident : art. 224 C.p.c.124. Richer c. Segal, [1973] C.A. 36.125. Joaniss c. Liberty, [1974] C.A. 512; 3269175 Canada c. Acro Capital Corp., REJB 2001-24784 (C.S.).126. Rosenzveig c. Altro, REJB 1999-15294 (C.S.).

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de l’article 29 C.p.c., qui requiert une permission d’appelselon l’article 511 C.p.c.127.

Le rejet d’une requête en inscription de fauxn’empêche pas l’une des parties à l’acte de soutenir, lorsde l’instruction de l’action, qu’elle n’a pas saisi la portéede l’écrit authentique dont le contenu lui a été traduit ouqu’elle a signé à la suite de manœuvres frauduleuses128.

L’acte semi-authentique, qui se situe en apparence àmi-chemin entre l’acte authentique et l’écrit sous seingprivé, vise les écrits faits hors du Québec et qui émanent desource officielle.

B- L’acte semi-authentique

Les articles 2822 à 2825 C.c.Q. traitent des actessemi-authentiques.

1. La notion

Le Code civil du Québec crée deux catégories d’actessemi-authentiques.

a) L’acte qui émane apparemment d’un officierpublic étranger compétent ainsi que la copie d’undocument dont l’officier public étranger estdépositaire, si elle émane apparemment de cetofficier, sont des actes semi-authentiques (art.2822 C.c.Q.). Ces actes et copies peuvent êtredéposés chez un notaire pour qu’il en délivrecopie (art. 2824 C.c.Q.).

Par exemple, la copie d’un jugement authentique,qui émane de l’officier public étranger compé-tent, est un acte semi-authentique129.

Les actes juridiques, y compris les actes de l’étatcivil, faits hors du Québec, concernant une per-sonne domiciliée au Québec, et insérés au registrede l’état civil sont semi-authentiques (art. 137C.c.Q.).

b) La procuration sous seing privé faite hors duQuébec lorsqu’elle est certifiée par un officierpublic compétent qui a vérifié l’identité et lasignature du mandant (art. 2823 C.c.Q.) est semi-authentique. Cette procuration peut être déposéechez un notaire pour qu’il en délivre copie (art.2824 C.c.Q.).

2. La force probante

Ces écrits font preuve prima facie, à l’égard de tous,de leur contenu, sans qu’il soit nécessaire de prouver laqualité ni la signature de l’officier public compétent. Ilsprouvent la véracité des faits qu’ils relatent. La copie d’undocument dont l’officier public étranger est dépositairefait preuve, à l’égard de tous, de sa conformité à l’originalet supplée à ce dernier, si elle émane apparemment de cetofficier (art. 2822 C.c.Q.). La procuration fait égalementpreuve, à l’égard de tous, de son contenu (art. 2823C.c.Q.). La copie de l’acte semi-authentique délivrée parun notaire qui en est dépositaire fait preuve de sa confor-mité au document déposé et supplée à ce dernier (art. 2824C.c.Q.).

Les actes juridiques, y compris les actes de l’état civil,faits hors du Québec, concernant une personne domiciliéeau Québec, et insérés dans le registre de l’état civil conser-vent leur caractère d’actes semi-authentiques, à moins queleur validité ait été reconnue par un tribunal du Québec(art. 137 C.c.Q.). En cas de perte ou de destruction del’acte de l’état civil dressé hors du Québec ou en casd’impossibilité d’en obtenir une copie, le directeur del’état civil ne peut dresser un acte de l’état civil ni porterune mention sur un acte qu’il détient que moyennantl’autorisation du tribunal (art. 139 C.c.Q.); sur la foi desrenseignements qu’il obtient, le directeur de l’état civilreconstitue l’acte perdu ou détruit, conformément aux dis-positions du Code de procédure civile (art. 143 C.c.Q. etart. 870 à 871.4 C.p.c.). Les actes de l’état civil et les actesjuridiques faits hors du Québec et rédigés dans une autrelangue que le français ou l’anglais doivent être accom-pagnés d’une traduction vidimée au Québec (art. 140C.c.Q.). La même exigence de traduction s’applique àla demande de reconnaissance ou d’exécution d’une déci-sion étrangère (art. 786 C.p.c.).

Les documents publics étrangers, autres que ceuxvisés aux articles 2822 et 2823 C.c.Q., devront être prou-vés puisqu’ils ne jouissent pas d’une présomption derégularité. La partie qui les invoque pourrait toutefoismettre la partie adverse en demeure d’en reconnaître lavéracité et l’exactitude en vertu de l’article 403 C.p.c.

La force probante qui résulte de cette présomptionde régularité de l’acte peut être neutralisée par simplecontestation appuyée d’un affidavit.

Qualités et moyens de preuve 217

127. Doory c. Banque Nationale de Paris, [1993] R.D.J. 58 (C.A.), EYB 1992-58930; Matériaux Lumberland Inc. c. Cebrian, J.E. 97-1146 (C.A.), REJB1997-01438.

128. Efraimidis c. Darlas, [1989] R.D.J. 574 (C.A.), EYB 1989-58324.129. Auerbach c. Resort International Hotel Inc., [1992] R.J.Q. 302 (C.A.), EYB 1991-63687; Kroll Associates Inc. c. Calvi, REJB 1999-12230.

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3. La contestation

Ce type d’acte est dit semi-authentique en raison deson mode de contestation.

L’inscription de faux ne s’applique pas à la contesta-tion d’un écrit semi-authentique qui, à cette fin, jouitdu même statut qu’un écrit sous seing privé. Alors quel’authenticité de l’acte authentique demeure jusqu’à juge-ment accueillant l’inscription de faux, l’authenticité del’acte semi-authentique cesse dès l’instant d’une contesta-tion appuyée d’un affidavit. Il incombe alors à la partie quiinvoque l’écrit semi-authentique de faire la preuve de sonauthenticité.

L’article 2825 C.c.Q. énonce : « Lorsqu’ont étécontestés les actes et copies émanant d’un officier publicétranger, de même que les procurations certifiées par unofficier public étranger, il incombe à celui qui les invoquede faire la preuve de leur authenticité. »

L’article 89, al. 1, par. 3 C.p.c. déclare que doit êtreexpressément alléguée et appuyée d’un affidavit la contes-tation d’un acte semi-authentique. À défaut de cetaffidavit, l’écrit est tenu pour reconnu ou les formalitéspour accomplies, selon le cas. Cette contestation vise laconfection de l’écrit, laquelle, si elle est accueillie, en tou-chera aussi le contenu, puisque l’écrit ainsi dénué de cettequalité ne fera plus preuve de son contenu, en accord avecla règle posée à l’article 2822 C.c.Q. Cette contestation nevise pas l’exactitude des faits que l’on trouve dans l’écritsemi-authentique130.

Si une copie seulement de l’acte semi-authentique aété produite au dossier, la partie qui entend en faire usageest tenue d’en prouver l’authenticité et, à cette fin, ellepeut obtenir du juge une ordonnance enjoignant au déposi-taire de l’original de le produire entre les mains du greffier,contre remise, aux frais du contestant, d’une copie cer-tifiée (art. 90 C.p.c.).

En cas de contestation, le rétablissement de la valeurprobante de l’écrit semi-authentique est donc soumis aumême régime que celui de l’écrit sous seing privé.

C- L’écrit sous seing privé

L’écrit sous seing privé n’a pas été passé devant unofficier public. L’expression « seing » signifie la signatured’une personne sur un acte, pour en attester l’authenticité.

1. La notion

L’article 2826 C.c.Q. définit l’écrit sous seing privé :« L’acte sous seing privé est celui qui constate un acte juri-dique et qui porte la signature des parties; il n’est soumis àaucune autre formalité. » Écrit instrumentaire, il exprimedonc un acte juridique, tel un contrat. La signature, énoncel’article 2827 C.c.Q., « consiste dans l’apposition qu’unepersonne fait sur un acte de son nom ou d’une marque quilui est personnelle et qu’elle utilise de façon courante,pour manifester son consentement ». Cette « marque » estcelle qui, par exemple, identifie une personne en matièred’inscription informatisée, telle la signature électronique,sous la forme d’un code secret, à l’instar d’un sceau.Comme nous le verrons plus loin, pour que la signatureapposée par une partie sur un document technologique luisoit opposable, il devra s’agir d’un document dont l’inté-grité est assurée et qu’au moment de la signature et depuis,le lien entre la signature et le document soit maintenu131.

Par contre, l’écrit pur et simple, signé ou non, constateun fait matériel plutôt qu’un acte juridique, telle la décla-ration du témoin d’un événement (art. 2832 C.c.Q.).

Le Code civil du Québec prévoit la nécessité d’unécrit dans certains cas, notamment aux articles suivants :

24 : le consentement à des soins qui ne sont pas requispar l’état de santé, à l’aliénation d’une partie ducorps ou à une expérimentation;

712 : le testament (notarié, olographe ou devanttémoins);

1655 : l’acte de prêt et la quittance à l’origine de lasubrogation conventionnelle;

1785 : le contrat préliminaire à la vente d’un immeubleà usage d’habitation par le constructeur del’immeuble ou par un promoteur à une personnephysique qui l’acquiert pour l’occuper elle-même;

2405 : le consentement du titulaire d’une police d’assu-rance terrestre à un avenant qui constate uneréduction des engagements de l’assureur ou unaccroissement des obligations de l’assuré autresque l’augmentation de la prime;

2640 : la convention d’arbitrage;

218 Preuve devant le tribunal civil

130. Dans l’affaire de: E. (G.M.), REJB 2003-48337 (C.Q.).131. Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, précitée, note 2, art. 39, al. 2.

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2696 : l’hypothèque mobilière sans dépossession;

2728 : la dénonciation écrite du contrat au propriétairepar le sous-traitant ou le fournisseur de matériauxou de services qui n’a pas contracté avec le pro-priétaire, autre que l’ouvrier;

2938 : le contrat d’acquisition, de constitution, de recon-naissance, de modification, de transmission etd’extinction d’un droit réel immobilier, soumis àla publicité des droits.

À la différence de l’écrit authentique, l’écrit sousseing privé, au départ, ne fait pas preuve en soi de saconfection.

2. La force probante

« Celui qui invoque un acte sous seing privé doit enfaire la preuve », énonce l’article 2828 C.c.Q. La preuvede l’authenticité de la signature – fait matériel – établitcelle de l’écrit et de sa confection. Cette reconnaissancepeut être explicite ou implicite. Elle est explicite lors-qu’un témoin compétent à ce faire identifie positivementla signature, tel le signataire ou toute autre personne enmesure de l’authentifier, par exemple celle qui a signél’écrit à titre de témoin ou la partie adverse familière aveccette signature. L’acte authentique ne requiert pas un telprocédé d’identification.

Cette reconnaissance est implicite lorsque, par aveuimplicite, elle résulte de l’inaction ou du silence d’unepartie qui paraît avoir signé l’écrit et à qui l’acte estopposé. Suivant l’article 2828, al. 2 C.c.Q., « l’acte opposéà celui qui paraît l’avoir signé ou à ses héritiers est tenupour reconnu s’il n’est pas contesté de la manière prévueau Code de procédure civile ». Les articles 89 et 403 C.p.c.fournissent un mode de contestation par affidavit del’authenticité de l’écrit. À défaut de contestation en lamanière prévue, ce dernier acquiert pleine force probante.En cas de contestation, il perd sa valeur probante et lapartie qui l’invoque doit en établir l’authenticité par d’au-tres éléments de preuve, dont une identification explicitede son signataire ou d’un témoin compétent à authentifierla signature, sous réserve de l’appréciation de la preuvepar le tribunal.

Lorsque cette preuve de la confection est établie,l’écrit acquiert pleine force probante. Il fait preuve de

l’acte juridique qu’il renferme et des déclarations des par-ties qui s’y rapportent directement – à l’instar de l’actenotarié qui, suivant l’article 2819 C.c.Q., fait aussi preuvede l’acte juridique qu’il renferme et des déclarations desparties qui s’y rapportent directement. Ce qui est énoncé àl’acte fait preuve. À la différence de l’acte authentique, quifait preuve à l’égard de tous (art. 2818 et 2819 C.c.Q.),l’acte sous seing privé ne fait preuve qu’à l’égard de ceuxcontre qui il est prouvé (art. 2829 C.c.Q.).

Quant au tiers, l’écrit sous seing privé, en principe, n’apas de date, mais cette date peut être établie contre le tierspar tous moyens (art. 2830, al. 1 C.c.Q.). Le mot tiersdésigne une personne qui a un droit propre et distinct àfaire valoir contre le détenteur de l’écrit132, par exemple,un créancier saisissant133.

La date peut être établie par toute preuve légale, dontle témoignage134, puisque la date constitue un simple faitdont la preuve peut être faite par tous moyens (art. 2857C.c.Q.). Ainsi, les témoins dans le testament devanttémoins (art. 727 C.c.Q.) ont comme rôle d’établirl’authenticité de la signature du testateur et la date135.

Le second alinéa de l’article 2830 C.c.Q. prévoit uneexception, en ce que « les actes passés dans le cours desactivités d’une entreprise sont présumés l’avoir été à ladate qui y est inscrite ». Jusqu’à preuve contraire, ces actesont une date contre les tiers, puisqu’ils sont présumésavoir été faits au jour de la date y mentionnée136. Les actespassés dans le cours des activités d’une entreprise sontceux qui sont passés par une ou plusieurs personnes dansl’exercice d’une activité économique organisée, à carac-tère commercial ou non, consistant dans la production oula réalisation de biens, leur administration ou leur aliéna-tion, ou dans la prestation de services. Le troisième alinéade l’article 1525 C.c.Q. en fournit la définition suivante :

« Constitue l’exploitation d’une entreprise l’exercice,par une ou plusieurs personnes, d’une activité éco-nomique organisée, qu’elle soit ou non à caractèrecommercial, consistant dans la production ou la réali-sation de biens, leur administration ou leur aliénation,ou dans la prestation de services. »

Cette notion recouvre une vaste gamme d’activitéséconomiques, notamment en matière commerciale, indus-trielle, professionnelle ou autre de nature analogue, quirépondent à cette définition de l’article 1525 C.c.Q. Étant

Qualités et moyens de preuve 219

132. L’Écuyer c. Beaudoin, [1996] R.L. 74 (C.Q.).133. Côté c. Roy, [1961] R.P. 95 (C.S.).134. Armand c. Checotel Finance Corp., [1985] C.S. 1154.135. Atta c. Malouf, J.E. 93-1297 (C.A.), EYB 1993-57960.136. Associated Metals and Minerals Corp. c. World Transport Ltd., [1975] C.A. 376.

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donné le large champ couvert par cette exception, lapreuve de la date ne devrait guère susciter de difficulté.

Pour acquérir pleine valeur probante, l’original del’écrit sous seing privé doit, en principe, être produit, enaccord avec la règle de la meilleure preuve (art. 2860C.c.Q.). Le testament olographe ou devant témoins doit deplus être vérifié (art. 772 C.c.Q. et art. 887 à 891 C.p.c.).

La force probante de l’écrit sous seing privé cesse aumoment de sa contestation de la façon prévue par le Codecivil du Québec et par le Code de procédure civile.

3. La contestation

La partie adverse peut admettre dans un acte de procé-dure l’écrit sous seing privé dont elle est l’auteur et qui estinvoqué par l’autre partie; cet aveu judiciaire constitueune reconnaissance explicite de l’écrit qui fait dès lorspreuve de sa confection et de son contenu. À défautde contestation en la manière prévue, l’écrit est aussireconnu, par aveu implicite.

Si l’écrit n’est pas allégué dans un acte de procédure,il devra faire l’objet d’une reconnaissance ultérieure ouêtre légalement prouvé lors de sa production par la partiequi désire en faire usage.

La partie à qui on oppose, dans un acte de procédure,un écrit sous seing privé qui y est invoqué et qui est enapparence porteur de sa signature peut contester cettesignature ou une partie importante du contenu de l’écritpar un acte de procédure appuyé d’un affidavit, tellela défense ou la réponse. Cette contestation porte surl’authenticité de la signature ou du contenu. Les héritiersqui en contestent l’authenticité doivent alléguer, avec affi-davit à l’appui, qu’ils ne connaissent pas l’écriture ou lasignature de leur auteur. À défaut de contestation appuyéed’un affidavit, l’écrit est tenu pour reconnu et fait preuve.

Cependant, dans le cadre d’une requête en vérifica-tion de testament olographe, la partie qui prétend que lasignature apparaissant au testament n’est pas celle du tes-tateur, et qui en conteste l’authenticité, n’est pas soumise àcette formalité, même si elle devenait héritière ou légatairedu testateur advenant que sa contestation réussisse, et quele testament ne soit pas reconnu137.

Le second alinéa de l’article 2828 C.c.Q. énonce que« l’acte opposé à celui qui paraît l’avoir signé ou à ses héri-tiers est tenu pour reconnu s’il n’est pas contesté de la

manière prévue au Code de procédure civile ». L’article 89C.p.c., en ses dispositions pertinentes, énonce :

« Doivent être expressément alléguées et appuyéesd’un affidavit :

1. la contestation de la signature ou d’une partieimportante d’un écrit sous seing privé, ou celle del’accomplissement des formalités requises pourla validité d’un écrit;

2. la prétention des héritiers ou représentants légauxdu signataire d’un des écrits visés par le para-graphe 1, qu’ils ne connaissent pas l’écriture ou lasignature de leur auteur;

[...]

À défaut de cet affidavit, les écrits sont tenus pourreconnus ou les formalités pour accomplies, selon lecas. »

Lorsque, par exemple, la partie demanderesse allèguedans la requête introductive un écrit sous seing privé quiémane du défendeur, ce dernier, s’il entend contesterl’authenticité de la signature ou d’une partie importante decet écrit, doit formuler une allégation appropriée à cettefin dans sa défense et appuyer cette dernière de l’affida-vit prévu à l’article 89 C.p.c., à défaut de quoi l’écritfait preuve entre les parties. La même règle s’applique évi-demment au demandeur qui entend contester dans saréponse un écrit invoqué au soutien de la défense.

Le défendeur conteste l’authenticité de l’écrit sousseing privé soit parce que la signature y apparaissant estcontrefaite, soit parce que l’écrit a été physiquement altérédepuis sa confection, le contenu en ayant été subséquem-ment modifié.

Une fois la défense produite, avec l’affidavit requis, ilincombe au demandeur qui l’invoque de faire la preuve del’écrit. Ainsi dénié, l’écrit perd alors sa force probante138.

Le fardeau de la preuve incombe toujours à la partiequi invoque l’écrit, sauf qu’elle ne dispose plus, commemoyen de preuve, de l’aveu implicite de la partie adverse.Il ne s’agit pas d’un véritable déplacement du fardeaude la preuve, mais seulement de l’élimination de l’un desmoyens de preuve disponibles. Le demandeur devra alorsen établir autrement l’authenticité. Le défendeur n’a doncpas à prouver la contrefaçon139, sauf en vue de contrer

220 Preuve devant le tribunal civil

137. Nicolas (Succession de), EYB 2006-108834 (C.S.).138. Vipond c. Finestone, (1932) 53 B.R. 59, 63, j. Tellier.139. Commercial Credit Col. c. Quantz, J.E. 80-939 (C.S.).

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la preuve d’authenticité dont le fardeau incombe à lademande.

Tous les moyens de preuve sont valables pour prouverl’authenticité de l’écrit sous seing privé, dont la preuvetestimoniale, puisqu’il s’agit de prouver un fait matériel,soit la confection même de l’écrit. Ainsi, pourront êtreentendus au procès des témoins de la confection de l’acteet un expert en écriture140. Le tribunal appréciera la valeurprobante de la preuve offerte. À titre d’illustration, envertu de l’article 8 de la Loi sur la preuve au Canada,« il est permis de faire comparer par témoins une écriturecontestée avec toute écriture dont l’authenticité a étéétablie à la satisfaction du tribunal ».

Pour être valable, la dénégation de sa signature par lesignataire apparent de l’écrit doit être formelle et appuyéed’un affidavit.

Lors d’interrogatoire tenu en vertu de l’article 93C.p.c. ou à l’occasion du procès, la personne ne peut secontenter d’affirmer qu’elle ne se souvient pas de l’avoirsigné. Elle doit affirmer de façon précise cette prétention.La dénégation écrite, faite en suivant les prescriptions del’article 89, al. 1 C.p.c., doit être suivie d’une confirmationpar témoignage de même nature, soit formelle141.

À défaut par le demandeur de se décharger de son far-deau de la preuve et d’en établir l’authenticité au procès,l’écrit ne sera pas recevable en preuve, parce que dénué detoute valeur probante.

L’absence d’affidavit équivaut à la reconnaissancede la teneur et de la signature de l’écrit sous seing privé parla partie à qui on l’oppose. Par son silence, cette partieavoue alors implicitement être l’auteur de l’écrit invoquépar la partie adverse. Au procès, la partie défenderessene pourrait plus en principe attaquer l’acte142. Ainsi, enl’absence d’affidavit à l’appui de la dénégation de lasignature d’endossement d’un chèque, on doit tenir pouracquis que la défenderesse l’a endossé143.

Qu’en est-il lorsque l’avocat, par inadvertance, a omisde contester régulièrement dans sa défense l’écrit invoquéen demande, ce qui empêche d’en soulever valablement

la contrefaçon? Cet aveu judiciaire implicite vaut en prin-cipe jusqu’à sa révocation, sur preuve d’une erreur de faits(art. 2852 C.c.Q.). L’avocat devra donc présenter unerequête pour amender la défense à cette fin, appuyée d’unaffidavit, alléguant l’erreur de fait commise144. La fourni-ture d’un affidavit remédie au défaut145.

« Le défaut de se conformer à cette règle ne constituepas nécessairement un vice auquel il ne peut êtreremédié, surtout lorsque, comme en l’espèce, il nes’agirait en fait que d’une omission de la part du pro-cureur. Le juge ici jouit d’une grande discrétion. »146

La procédure de l’article 89 C.p.c. ne s’applique pasaux tiers, c’est-à-dire à toute personne non partie à l’écrit,ni par elle-même, ni par son auteur. Une partie à un litige,non partie à l’acte, peut donc en contester l’authenticité,sans affidavit147.

L’article 89 C.p.c. se trouve dans le chapitre qua-trième du Code de procédure civile, intitulé « Des règlesgénérales relatives à la procédure écrite »; l’affidavit n’estdonc pas nécessaire lorsque la contestation ne doit pasêtre écrite, comme dans le cas d’une requête présentéeen Chambre de pratique, qui n’est en principe contestéequ’oralement, selon l’article 88 C.p.c.148.

Les autres écrits sous seing privé, non déjà alléguésdans un acte de procédure, pourront être communiquéssuivant l’article 403 C.p.c., qui adopte un mode semblablede contestation par affidavit. Par exemple, « A » réclamecontre son assureur « B » une indemnité d’assurance à lasuite d’un incendie. Une des sommes réclamées est rela-tive à la perte d’un piano acheté un an plus tôt de « C ». Lecontrat de vente entre « A » et « C », non allégué au soutiende la requête introductive, sera communiqué à la partieadverse « B ».

La partie mise en demeure peut signifier à l’autre unedéclaration sous serment niant que l’écrit soit vrai ouexact, ou précisant les raisons pour lesquelles elle ne peutl’admettre. À défaut d’un tel affidavit, la véracité oul’exactitude de l’écrit est réputée admise149. Cet aveutacite de la régularité de la confection de l’écrit en établitl’origine. L’absence d’affidavit de la partie à qui on

Qualités et moyens de preuve 221

140. Pratte c. Voisard, (1918) 57 R.C.S. 184.141. Toronto Dominion Bank c. Khan, [1997] R.R.A. 50 (C.A.), REJB 1997-00036.142. Levy c. Canadian Imperial Bank of Commerce, J.E. 79-62 (C.A.); Perreault c. Dancause, EYB 2006-108012 (C.S.).143. Bélair, Compagnie d’assurances c. Succès, [1996] R.R.A. 890 (C.Q.), REJB 1996-29110.144. Gaudet c. Grimard, [1967] B.R. 182.145. Archambault c. Brunet, [1983] R.L. 201 (C.A.).146. Leroux c. Daoust, [1983] C.A. 648, 650, j. Bernier pour la cour.147. Ibid.148. Gallant c. Les Habitations Vaucresson Inc., précité, note 3.149. Assurance-Vie Desjardins c. Éthier (Succession de), précité, note 16.

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oppose l’écrit qu’elle paraît avoir signé emporte un aveuimplicite de sa part de l’authenticité de cet écrit.

La validité de l’écrit dont la confection n’a pas étéattaquée peut être contestée en cas de nullité de l’acte juri-dique qu’il constate. Ainsi, tout contrat qui n’est pasconforme aux conditions nécessaires à sa formation peutêtre frappé de nullité (art. 1416 C.c.Q.), notamment pourvice de consentement (art. 1399 C.c.Q.). L’écrit, bien quede confection authentique, perd alors toute portée.

D- Les autres écrits

Les articles 2831 à 2836 C.c.Q. traitent des écritsautres qu’authentiques, semi-authentiques ou sous seingprivé. Ces autres écrits se divisent en deux catégories, soitl’écrit non signé, habituellement utilisé dans le cours desactivités d’une entreprise pour constater un acte juridique,et l’écrit pur et simple qui rapporte un fait matériel.

1. L’écrit d’une entreprise

a) La notion

L’article 2831 C.c.Q. énonce : « L’écrit non signé,habituellement utilisé dans le cours des activités d’uneentreprise pour constater un acte un acte juridique, faitpreuve de son contenu. » Cette disposition vise l’écrit sanssignature, habituellement utilisé dans le cours des activi-tés d’une entreprise, définie à l’article 1525 C.c.Q. Cetécrit constate un acte juridique. Il doit émaner d’une entre-prise.

Cet écrit, à titre d’exemple, peut être un billet, un cou-pon de caisse, un reçu, une facture150, un bordereau depaie. Ainsi, un billet de transport peut constater l’acte juri-dique que constitue le contrat de transport de passager.

b) La force probante

« L’écrit non signé, habituellement utilisé dans lecours des activités d’une entreprise pour constater un actejuridique, fait preuve de son contenu » (art. 2831 C.c.Q.) –à la condition d’en établir l’authenticité, comme l’exigel’article 2835 C.c.Q. : « Celui qui invoque un écrit nonsigné doit prouver que cet écrit émane de celui qu’il pré-tend en être l’auteur. » La véracité et l’exactitude de l’écrit

peuvent être établies en vertu de l’article 403 C.p.c., quipermet d’en prouver la confection et l’origine, en accordavec la règle de l’article 2835 C.c.Q. L’écrit fait dès lorspreuve de son contenu.

Un témoin compétent doit garantir la fiabilité desdocuments, comme des factures qu’il est susceptible deproduire, et ce, par témoignage précis, accompagné sinécessaire d’une preuve corroborante151.

c) La contestation

L’écrit d’entreprise peut être contredit par tousmoyens (art. 2836 C.c.Q.). L’article 89 C.p.c. nes’applique pas à la contestation de son contenu. L’écritd’une entreprise n’est pas assujetti à la règle de l’article2863 C.c.Q. qui prohibe le témoignage pour contredire lestermes d’un écrit : en effet, comme le prévoit l’article 2836C.c.Q., cet écrit peut être contredit par tous moyens, sousréserve de l’appréciation de la valeur probante.

2. Le simple écrit

a) La notion

Tout autre écrit que ceux déjà énumérés constitueun simple écrit qui exprime un fait pur et simple ou laconnaissance d’un fait matériel ou juridique. Un écrit peutne rapporter qu’un fait (art. 2832 C.c.Q.). Les papiersdomestiques s’inscrivent dans cette catégorie d’écrit puret simple (art. 2833 C.c.Q.). Ces écrits, par exemple,sont des états financiers, des registres comptables, desprocès-verbaux, des articles de journaux, des déclarationsou des rapports (telle la version écrite d’un événementfournie par un assuré à un expert en sinistres). Les résolu-tions et les procès-verbaux d’un conseil d’administra-tion152 ou encore les états financiers et livres comptablesd’une personne morale153 constituent des papiers domesti-ques.

Tout écrit qui ne constate pas un acte juridique est unsimple écrit. En pratique, la preuve documentaire se com-pose dans une très large mesure de simples écrits quirapportent un fait.

Le plaideur travaille régulièrement avec de simplesécrits, tels la déclaration d’un témoin éventuel, une attes-tation, une lettre, un état financier, un relevé quelconque,

222 Preuve devant le tribunal civil

150. Zardex Inc. (Syndic de), J.E. 97-01903 (C.S.), REJB 1997-03317.151. Canadian Imperial Bank of Commerce c. S.B. McLaughlin Construction Ltd., J.E. 92-1665 (C.A.), EYB 1992-56316.152. 3042073 Canada Inc. (Faillite de), REJB 2000-18693 (C.S.).153. In re York Lampton Inc. c. Latraverse, [1990] R.L. 12 (C.A.), EYB 1990-59405.

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etc. Tous ces écrits rapportent un simple fait, et non un actejuridique.

b) La force probante

L’écrit pur et simple se rapporte à un fait matériel quidoit normalement être prouvé par un témoin. Ce dernier,suivant la définition du témoignage à l’article 2843 C.c.Q.,relatera un fait pur et simple dont il a eu personnellementconnaissance. En principe, l’écrit ne tient pas lieu de témoi-gnage. Ainsi, la déclaration écrite d’un témoin – un écrit puret simple – que pourrait avoir l’avocat dans son dossier esten principe irrecevable en preuve pour établir l’existence del’événement relaté, c’est-à-dire un fait pur et simple, à causede la prohibition du ouï-dire; le déclarant devra témoignerdu fait dont il a eu connaissance.

L’écrit pur et simple ne fait preuve de son contenu quecontre son auteur, à titre de témoignage ou à titre d’aveu,suivant l’article 2832 C.c.Q. On ne peut se constituer ainsiun titre contre autrui. Les papiers domestiques n’ont pasen soi de valeur probante du fait allégué par une partie.

À titre d’exemple, une personne pourrait écrire dansson agenda que son cousin lui doit la somme de 3 000 $.Cette inscription, en soi, ne crée ni ne prouve aucunecréance et ne saurait remplacer le témoignage, a prioriirrecevable en l’absence de commencement de preuve, àdéfaut d’aveu de ce cousin. Par contre, si cette personneécrit dans son agenda qu’elle doit 3 000 $ à ce cousin, cettemention pourra lui être opposable et valoir en preuvecomme aveu extrajudiciaire en faveur de ce créancier.

En principe, l’écrit pur et simple qui relate un faitmatériel ne peut remplacer le témoignagne de son auteur.Cependant, en pratique, les circonstances où une tellepreuve sera recevable sont assez nombreuses. Ainsi,l’écrit pur et simple, confectionné de façon systématiquedans le cours ordinaire des activités d’une entreprise, enraison de sa présumée fiabilité, peut faire preuve des faitsmatériels qu’il contient, du consentement explicite outacite des parties, comme l’autorise l’article 2869 C.c.Q.,lesquelles, à l’instar de la portée de l’article 286 C.p.c.,reconnaissent que l’auteur de cet écrit, s’il était entendu,déposerait des faits y paraissant, généralement incontesta-bles. À titre d’exemples, le contenu du dossier médicald’un centre hospitalier, le relevé d’une institution finan-cière, le rapport météorologique seront admis en preuvepour valoir comme témoignage, sans comparution de lapersonne qui a constaté ou colligé les faits y paraissant etdont le témoignage ne ferait qu’en répéter le contenu. Ces

documents seront généralement introduits au dossier aumoyen de l’article 403 C.p.c. Les avocats, soit sponta-nément entre eux, soit à l’occasion d’une conférencepréparatoire, conviendront de la valeur probante à attacherà ce document, pour éviter si possible la comparutionautrement inutile d’un témoin.

En vertu de dispositions particulières, certains écritsfont preuve de leur contenu. Ainsi, les copies de docu-ments dont est dépositaire la personne désignée par leconseil d’administration d’une personne morale pour entenir les livres et les registres font preuve de leur contenu,jusqu’à preuve du contraire, sans qu’il soit nécessaire deprouver la signature qui y est apposée ni l’autorité de sonauteur (art. 343 C.c.Q.). La déclaration de société etla déclaration modificative sont opposables aux tiers àcompter du moment où elles sont faites; elles font preuvede leur contenu, en faveur des tiers de bonne foi, tantqu’une déclaration modificative ne leur apporte pas dechangement ou que la déclaration de société n’est pasradiée (art. 2195 C.c.Q.). En vertu de la Loi sur la publicitélégale des entreprises individuelles, des sociétés et despersonnes morales154, les informations relatives à uneentreprise individuelle, société et personne morale auregistre des entreprises individuelles, des sociétés et despersonnes morales font preuve de leur contenu, en faveurdes tiers de bonne foi à compter de la date où elles sont ins-crites à l’état des informations (art. 62) et sont opposablesaux tiers à compter de cette date (art. 82).

De même, en vertu de l’article 29 de la Loi sur lapreuve au Canada, une copie de toute inscriptioneffectuée dans le cours ordinaire des affaires dans un livreou registre tenu dans une institution financière fait foi, auxconditions prévues, dans toutes procédures judiciaires,jusqu’à preuve contraire, de cette inscription, ainsi que desaffaires, opérations et comptes y inscrits. Dans un litigemettant en cause des lettres de change, une banque peutétablir l’existence d’une dette par la production de livrescomptables, qui font preuve prima facie de leur contenuselon l’article 29 (1) de la Loi sur la preuve au Canada155.En vertu de l’article 30 (1) de la Loi sur la preuve auCanada, les pièces commerciales établies dans le coursordinaire des affaires peuvent être admises en preuve.

Avant d’être modifié par la Loi portant réforme duCode de procédure civile, l’article 294.1 C.p.c. permettaitque certaines déclarations seulement puissent être accep-tées par le tribunal à titre de témoignage; il s’agissaitnotamment du rapport médical, psychologique ou psycho-social, du rapport d’employeur et du rapport de policier.

Qualités et moyens de preuve 223

154. L.R.Q., c. P-45.155. Banque Nationale du Canada c. Simpson, [1990] R.J.Q. 932 (C.A.), EYB 1990-58289.

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Le nouvel article 294.1 C.p.c. permet dorénavant autribunal d’accepter, à titre de témoignage, toute déclara-tion écrite, pourvu qu’elle ait été communiquée et produiteconformément aux règles sur la communication et la pro-duction des pièces, soit notamment les articles 331.1et suivants C.p.c. Nous aborderons plus loin l’étude del’article 294.1 C.p.c.

La déclaration d’une personne qui ne témoigne pas àl’instance ou celle d’un témoin faite antérieurement àl’instance est admise à titre de témoignage lorsqu’elle res-pecte les exigences prévues par les articles 2870 à 2874C.c.Q. ou par les dispositions de la loi (tel l’article 294.1C.p.c.), comme l’énonce l’article 2869 C.c.Q. L’article2870 C.c.Q., qui porte sur la recevabilité d’une déclarationextrajudiciaire, introduit une exception à la prohibition duouï-dire. Son application n’est pas fréquente, puisque lestémoins sont généralement disponibles pour comparaître àl’audience, au grand bonheur des plaideurs.

Les déclarations antérieures d’une personne qui com-paraît comme témoin peuvent être admises à titre detémoignage pour prouver l’existence des faits qu’ellescontiennent et non seulement pour neutraliser la crédibi-lité du déclarant qui comparaît (art. 2871 C.c.Q.), sousréserve de la meilleure preuve qui consiste en la produc-tion de l’écrit (art. 2872 et 2873 C.c.Q.), tel qu’il sera vuplus loin (« Le témoignage »).

L’écrit peut aussi être admis en preuve à titre d’aveucontre son auteur, lorsqu’il émane de la partie adverse etqu’il reconnaît un fait de nature à produire des conséquen-ces juridiques contre cette dernière, suivant la définitionde l’article 2850 C.c.Q. Cet écrit vaudra comme aveuextrajudiciaire. Par exemple, un écrit non instrumentairepeut contenir l’aveu d’un contrat verbal qui contredit uncontrat écrit antérieur156.

Dans certains cas, les écrits purs et simples peuventservir d’indices, constituant une présomption de faits qui,jointe à d’autres éléments de preuve, dont des faits maté-riels externes et le témoignage, pourraient contribuer àétablir le droit invoqué157.

Ces écrits peuvent être utilisés durant la dépositiond’un témoin, à titre d’aide-mémoire, et peuvent servir àappuyer un témoignage158. Les écrits auxquels renvoiele témoin et qui ont été préparés pour son témoignage

doivent être communiqués à l’autre partie, si son avocaten fait la demande159.

Les notes prises par un témoin lors d’événementsayant donné éventuellement lieu à un litige peuvent égale-ment être recevables à titre de témoignage, en applicationde l’article 2871 C.c.Q., dans la mesure où il est démontréqu’elles présentent des garanties suffisamment sérieusespour s’y fier160.

La nécessité pour un témoin de déposer ses notes pourtenir lieu de son témoignage se présentera vraisemblable-ment dans les cas où ce témoin n’a plus de souvenir decertains des événements sur lesquels il doit témoigner.En effet, la valeur probante de ce « témoignage » (les notesécrites tenant lieu du témoignage du témoin) ne pourraévidemment pas être appréciée de la même manièrequ’aurait pu l’être le témoignage de vive voix de ce mêmetémoin.

Dans le cas d’une déclaration écrite antérieure d’unepersonne qui comparaît comme témoin, tenant lieu de sontémoignage, en application de l’article 2871 C.c.Q., il serapermis d’en supprimer certains passages protégés par lesecret professionnel, à l’instar d’un témoignage verbal,pour les fins de communication à la partie adverse et deproduction au dossier de la cour161.

Selon l’article 2833 C.c.Q., « Les papiers domesti-ques qui énoncent un paiement reçu ou qui contiennent lamention que la note supplée au défaut de titre en faveur decelui au profit duquel ils énoncent une obligation, fontpreuve contre leur auteur. » De même, suivant l’article2834 C.c.Q., « La mention libératoire apposée par lecréancier sur le titre, ou une copie de celui-ci qui esttoujours restée en sa possession, bien que non signéeni datée, fait preuve contre lui. » Dans ce dernier cas,comme l’énonce le second alinéa de l’article 2834 C.c.Q.,« Cependant, la mention n’est pas admise comme preuvede paiement, si elle a pour effet de soustraire la dette auxrègles relatives à la prescription. » À l’instar d’un aveuextrajudiciaire, l’écrit fait alors preuve contre son auteur.

c) La contestation

Tous ces écrits peuvent être contredits par tousmoyens (art. 2836 C.c.Q.). Les faits matériels qu’ils

224 Preuve devant le tribunal civil

156. Société mutuelle d’Assurance générale Val St-François c. Paquet, [1994] R.J.Q. 2307 (C.S.), EYB 1994-73443.157. Savard c. Tremblay, [1960] C.S. 693.158. Roy c. Chartier, [1958] B.R. 406.159. Bayerische Vereinsbank A.G. c. Wightman, J.E. 97-613 (C.S.), REJB 1997-00430.160. Barrette c. Ciment du St-Laurent, REJB 2002-36225 (C.S.).161. Ibid.

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expriment peuvent être contredits par témoignage, toutcomme ils peuvent être établis par témoignage. La prohibi-tion de contradiction des termes d’un écrit par témoignage,posée par l’article 2863 C.c.Q., ne s’applique pas puisquecet article ne vise que les écrits instrumentaires.

Les faits constatés dans les documents visés par lesarticles 343 et 2195 C.c.Q. ainsi que par les articles 62 et82 de la Loi sur la publicité légale des entreprises indivi-duelles, des sociétés et des personnes morales peuventfaire l’objet d’une preuve contraire et ces documents peu-vent être contredits par tous les moyens de preuve.

E- Les documents technologiques

À l’ère des technologies de l’information, tous lesécrits que nous avons abordés peuvent se trouver sur unsupport faisant appel aux technologies de l’information,plutôt que sur le support papier traditionnel.

Par exemple, on peut trouver un article de journal tantsur l’édition livrée à la maison que sur Internet. On peutacheter une voiture en signant un contrat chez le conces-sionnaire ou l’acheter « en ligne ». On peut se rendre aubureau de la publicité foncière pour y déposer un actepour fins d’inscription au registre foncier, ou l’inscrire àdistance, dans le registre foncier informatisé.

Depuis le 1er novembre 2001, le législateur a établi leprincipe de l’équivalence et de l’interchangeabilité dessupports de l’écrit, par la mise en vigueur de la Loiconcernant le cadre juridique des technologies de l’infor-mation162. À certaines conditions, la valeur juridique d’un« document technologique » sera la même que celle d’undocument sur support papier traditionnel.

1. Un aperçu historique163

Depuis plusieurs années, force est de constater que lestechnologies de l’information sont de plus en plus utiliséesnon seulement par les entreprises, que ce soit en com-merce national ou international, mais également par l’Étatet ses citoyens.

En 1996, la Commission des Nations Unies pour ledroit commercial international (CNUDCI) adoptait la loi-type sur le commerce électronique (loi-type ONU) pourfournir aux pays membres un modèle de législation en

matière de nouvelles technologies afin de favoriser unfonctionnement semblable dans chaque pays et renvoyer àdes concepts compatibles notamment pour favoriser leséchanges commerciaux internationaux.

Au Canada, la Conférence pour l’harmonisation deslois a publié la loi uniforme sur le commerce électronique(loi type du Canada) aux fins d’adapter la loi-type ONU auCanada et de fournir un modèle de législation canadienaux différents parlements de la fédération.

S’inspirant de ces lois, le législateur fédéral a déjàsanctionné un projet de loi en la matière.

Le 21 juin 2001, le législateur québécois a adopté laLoi concernant le cadre juridique des technologies del’information. À l’avant-garde de ce type de législation, leQuébec a adopté l’une des lois les plus complètes dans lemonde occidental.

Par la nouvelle loi et l’abolition des inscriptions infor-matisées le législateur ne crée pas de nouveaux typesd’écrits. Il permet plutôt qu’un document sur support utili-sant les technologies de l’information soit utilisé en lieu etplace d’un document sur support papier ou concurrem-ment à ce dernier. Il a la même valeur juridique si lesnormes prévues par la loi sont respectées.

Cette loi comporte donc plusieurs dispositions en cequi concerne les règles de la preuve. En conséquence, ilfaut se référer, à l’occasion, non seulement aux disposi-tions du Code civil, mais également aux dispositions de laloi elle-même, afin de dénouer un litige ou une objectionportant sur un tel document.

2. Les objectifs de la loi

L’article 1 de la loi énonce ses objectifs, soit d’assurerla sécurité juridique des communications ainsi que lacohérence des règles de droit et leur application auxcommunications effectuées au moyen de documents quisont sur des supports faisant appel aux technologies del’information ou à une combinaison de ces technologies.La loi modifie le droit de la preuve et vise également à faireles liens entre les documents et les personnes et à mettresur pied les infrastructures technologiques pour l’éta-blissement des standards d’utilisation acceptables,adoptés par décret.

Qualités et moyens de preuve 225

162. Précitée, note 86. Voir généralement sur le sujet, Michel GAGNÉ, « La preuve dans un contexte électronique », dans Service de la formation permanente,Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’Internet (2001), Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., EYB2001DEV278; BARREAUDU QUÉBEC, Mémoire sur la Loi sur la normalisation juridique des nouvelles technologies de l’information, août 2000.

163. M. GAGNÉ, op. cit., note 162.

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Le but est également d’assurer l’équivalence fonc-tionnelle des documents et leur valeur juridique, quelque soit le support, ainsi que l’interchangeabilité des sup-ports et des technologies et permettre, dans certains cas,d’établir les critères d’appréciation de la preuve, pourl’ensemble des documents technologiques, qu’ils soientsous forme d’écrit, de son, d’images uniques ouséquentielles, etc.

De plus, le législateur reconnaît que l’intégrité desdocuments est conservée même si ceux-ci sont fragmentéssur plusieurs serveurs et réunis pour être envoyés, trans-portés sur le réseau (art. 46 de la loi), et ce, même s’ils ontété sauvegardés sous des formats différents ou compressés(art. 28 à 30 de la loi), le tout avec la limite évidente de fia-bilité des procédés.

3. Les répercussions de la loisur le droit de la preuve

L’article 2837 C.c.Q. édicte que l’écrit est un moyende preuve, quel que soit le support du document, à moinsque la loi n’exige l’emploi d’un support ou d’une tech-nologie spécifique. Donc, le principe de libre choix desupport par les parties et celui de l’interchangeabilitédes supports de l’article 2 de la loi constituent la règlegénérale.

L’article 71 de la loi précise que la notion de docu-ment s’applique notamment à l’emploi du terme « écrit »par le législateur. Ainsi, la loi régit les écrits, mais aussitout autre type de preuve qui peut être administrée devantles tribunaux tels les enregistrements vidéos sur supporttechnologique. Ainsi, au lieu de créer une nouvelle caté-gorie d’écrits, comme en vertu de l’ancien article 2837C.c.Q., le législateur renvoie plutôt à un support.

Il est important de noter que nul ne peut, cependant,être contraint à l’utilisation d’une technologie spécifique àmoins que cela ne soit expressément prévu par la loi ou parune convention, selon l’article 29 de la loi.

Par l’application des dispositions de la loi, une acqui-sition de logiciel sur un site transactionnel entre deuxpersonnes a la même valeur que l’acte sous seing privésur support papier, si son intégrité est assurée et qu’ellerespecte les exigences de la loi propres à l’acte sous-seingprivé, à savoir qu’elle porte la signature, au sens del’article 2826 C.c.Q.

Le document technologique conforme aux exigencesde la loi, entre autres, le message de confirmation d’achat,fera la preuve de l’acte juridique qu’il contient, des décla-

rations des parties qui s’y rapportent directement et de ladate (à l’égard des parties à l’acte seulement), le toutconformément aux articles 2829 et 2830, al. 1 C.c.Q.

Le Code civil ne comportant aucune indication quantaux exigences relatives à la signature sur un documenttechnologique, il faut donc se référer aux dispositions per-tinentes de la loi, soit notamment l’article 39 :

« Quel que soit le support du document, la signatured’une personne peut servir à l’établissement d’un lienentre elle et un document. La signature peut êtreapposée au document au moyen de tout procédé quipermet de satisfaire aux exigences de l’article 2827 duCode civil.

La signature d’une personne apposée à un documenttechnologique lui est opposable lorsqu’il s’agit dedocuments dont l’intégrité est assurée et qu’aumoment de la signature et depuis, le lien entre lasignature et le document est maintenu. »

La signature d’un document peut prendre plusieursformes dans l’expression du consentement. L’article 75 dela loi permet d’apposer la signature, autrement que defaçon manuscrite. Les parties sont donc libres d’exprimerleur consentement par tout moyen technologique, dont,à titre d’exemples, le numéro d’identification personnel(NIP), l’activation d’un bouton graphique avec une sourisou en entrant directement du texte au clavier d’un ordina-teur.

Nous rappelons que le document dont le support et latechnologie ne permettent ni d’affirmer ni de désigner quel’intégrité en est assurée peut, selon les circonstances, êtreadmis à titre de témoignage ou d’élément matériel depreuve et servir de commencement de preuve, commeprévu à l’article 2865 C.c.Q.

4. Les principes moteurs de la loi

a) Le document

La notion de « document » est l’une des notions essen-tielles de la loi. L’article 3 de la loi définit cette notion de« document » ainsi :

« Un document est constitué d’informations portéessur un support. L’information y est délimitée et struc-turée, de façon tangible ou logique, selon le supportqui la supporte, et elle est intelligible sous forme demots, de sons ou d’images. L’information peut êtrerendue au moyen de tout mode d’écriture, y compris

226 Preuve devant le tribunal civil

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d’un système de symboles transcriptibles sous l’unede ces formes en un autre système de symboles(l’encryptage, la compression d’un fichier et laconversion vers le son, l’image, le texte, exprimé parl’ordinateur après traitement logiciel).

Pour l’application de la présente loi, est assimilé audocument, toute banque de données dont les élémentsstructurants permettent la création de documents parla délimitation et la structuration de l’information quiy est inscrite (le fichier CIDREQ, maintenant nomméRegistre des entreprises du Québec, ou REQ).

Un dossier peut-être composé d’un ou plusieurs docu-ments.

Les documents sur des supports faisant appel auxtechnologies de l’information visées au paragraphe 2de l’article 1 (c’est-à-dire électronique, magnétique,optique, sans fil ou autres), sont qualifiés dans la pré-sente loi de documents technologiques. » (Les ajoutsen italique sont de nous).

Plus loin, à l’article 71 de la loi, le législateur préciseque la notion de « document » telle qu’elle est définie àl’article 3 de la loi s’applique à l’ensemble des docu-ments visés dans les textes législatifs, et donne, de façonnon limitative, de nombreux exemples : actes, annales,annexe, chèque, constat d’infraction, décret, dépliant, dia-grammes, écrit, enregistrements sonores, factures, fiches,logiciels, journal, photographies, titres d’emprunt, etc.

b) Les principes de libre choixet d’interchangeabilité

L’article 2 de la loi énonce le principe du libre choixdu support d’un écrit et celui de l’interchangeabilité dessupports :

« À moins que la loi n’exige l’emploi exclusif d’unsupport ou d’une technologie spécifique, chacun peututiliser le support ou la technologie de son choix, dansla mesure où ce choix respecte les règles de droit,notamment celles prévues au Code civil du Québec.

Ainsi, les supports qui portent l’information sontinterchangeables et l’exigence d’un écrit n’emportepas l’obligation d’utiliser un support ou une techno-logie spécifique. »

Un acte juridique peut donc être sur support papier, demême que des certificats d’actions, un article de journal,

le dossier médical d’un patient pour ne donner que quel-ques exemples. Ces écrits peuvent être également sur unsupport technologique dans les limites de la loi, à titred’exemple, le Registre des entreprises du Québec, tenu parl’Inspecteur général des institutions financières.

Cette base de données, soit le REQ, est répartie et frac-tionnée sur plusieurs disques durs, afin d’en assurer unesécurité et une conservation accrue. L’impression de l’étatdes informations sur une personne morale, à une datedonnée, constitue un document technologique. Pourtant,ce document est lui-même constitué d’un formulaireinformatique standard, selon la requête, à l’intérieurduquel certaines données, extraites de la base de donnéesde l’Inspecteur général, apparaissent. De plus, l’ensem-ble de cette information a voyagé à travers un réseauà l’intérieur duquel étaient rassemblées une multituded’autres informations, pour ultimement s’afficher àl’intérieur de la fenêtre du fureteur de l’ordinateur interro-geant le serveur sur lequel est hébergé le site Internet.L’image qui apparaît à l’écran, résulte de plusieurs trai-tements logiciels distincts. Par ailleurs, plusieurs typesde fureteurs sont disponibles sur le marché et chacundémontre, à l’impression et à l’écran, des aspects visuelsdifférents. Par interprétation de la loi, ces documentsd’apparence différente ne perdent pas, pour autant, leurcaractéristique d’intégrité, malgré toutes ces transforma-tions. Afin d’assurer la stabilité des transactions, celle-cisera présumée en vertu de l’article 33 de la loi.

c) Le transfert

Le fait de numériser un document initialement sursupport papier afin de l’archiver sous forme numériquesera considéré, pour les fins de la loi, comme un transfert,par opposition à la copie, puisqu’un support différent estutilisé. La loi comporte cependant plusieurs exigencesdans l’éventualité d’un transfert qui permet, par la suite,dans certaines circonstances, de détruire l’original. Cettereproduction pourra légalement tenir lieu du documentreproduit si ce transfert est documenté.

Le législateur définit la certification d’une copiecomme étant appuyée, au besoin, d’une déclaration éta-blissant les circonstances et la date de la reproduction, lefait que la copie comporte la même information que ledocument reproduit et l’indication des moyens utiliséspour en assurer intégrité. Cette déclaration est faite par lapersonne responsable ou celle qui a effectué la copie (art.2842, al. 1 C.c.Q.). L’article 17 de la loi décrit notammentla documentation requise dans le cas d’un transfert desupport :

Qualités et moyens de preuve 227

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« La documentation comporte au moins la mention duformat d’origine de ce document dont l’informationfait l’objet du transfert, du procédé de transfert utiliséainsi que des garanties qu’il est censé offrir, selon lesindications fournies avec le produit, quant à la préser-vation de l’intégrité, tant du document devant êtretransféré, s’il n’est pas détruit, que du document résul-tant de transfert.

La documentation, y compris celle relative à touttransfert antérieur est conservée durant tout le cyclede vie du document résultant du transfert. La docu-mentation peut être jointe, directement ou parréférence, soit au document résultant du transfert, soità ses éléments structurants ou à son support (notam-ment dans les notes attachées au document par unprocessus logiciel et accessibles à l’intérieur du logi-ciel lui-même). » (Les ajouts en italique sont de nous).

Ces dispositions permettent maintenant l’ouvertureau processus d’archivage électronique (art. 2841, al. 2C.c.Q.).

d) Les limites au principe d’interchangeabilité

Le principe d’interchangeabilité comporte certaineslimites : l’exigence législative de l’emploi exclusif d’unsupport ou d’une technologie spécifique, auquel cas on nepourra y déroger.

Par exemple, lorsqu’un contrat entre un commerçantet un consommateur en vertu de la Loi sur la protection duconsommateur (art. 25 L.p.c.) exige un écrit, celui-ci doitêtre sur un support papier. De même, un acte d’hypo-thèque immobilière ne peut, pour le moment, se conclurepar document technologique puisque l’article 2693 C.c.Q.exige un acte notarié portant minutes. Or, pour l’instant, laLoi sur le notariat exige toujours qu’un acte notarié soitsur support papier (art. 35 (1) de la Loi sur le notariat). Laloi prévoit cependant déjà la possibilité pour toutes lesorganisations compétentes de transformer leurs processusprofessionnels et leurs processus d’affaires, en temps etlieu. De plus, la loi pose certaines limites évidentes ence qui concerne les documents historiques, lesquels nepeuvent faire l’objet d’un transfert au sens de la loi.

e) L’équivalence de la valeurjuridique des supports

L’article 5 de la loi énonce le principe de l’équiva-lence de la valeur juridique des supports, qu’ils soient

traditionnels ou qu’ils fassent appel aux technologies del’information, pourvu que des conditions soient respec-tées : l’intégrité du document et le respect des règles dedroit applicables aux types d’écrits en cause qu’ils soientauthentiques, semi-authentiques, etc. :

« La valeur juridique d’un document, notamment lefait qu’il puisse produire des effets juridiques et êtreadmis en preuve, n’est ni augmentée ni diminuéepour la seule raison qu’un support, ou une technologiespécifique, a été choisi.

Le document dont l’intégrité est assurée a la mêmevaleur juridique, qu’il soit sur support papier ou sur unautre support, dans la mesure où s’il s’agit d’un docu-ment technologique, il respecte par ailleurs les mêmesrègles de droit. [...] »

Ainsi, il a été jugé que l’offre d’une partie à une ins-tance de communiquer à l’autre partie 10 000 pages dedocuments sur deux CD afin de servir en preuve estvalable dans la mesure où les dispositions du Code civilet de la loi ont été respectées164.

f) L’intégrité d’un document

Rappelons que l’article 2860 C.c.Q. a également étémodifié par l’ajout de l’alinéa suivant :

« À l’égard d’un document technologique, la fonctiond’original est remplie par un document qui répond auxexigences de l’article 12 de la Loi concernant le cadrejuridique des technologies de l’information et celle decopie qui en tient lieu, par la copie d’un document cer-tifié qui satisfait aux exigences de l’article 16 de cetteloi. »

L’article 16 de la loi édicte quant à lui :

« Lorsque la copie de document doit être certifiée,cette exigence peut être satisfaite à l’égard d’undocument technologique au moyen d’un procédé decomparaison permettant de reconnaître que l’infor-mation de la copie est identique à celle du documentsource. »

La comparaison d’un document peut s’effectuer aumoyen d’un algorithme. Ce terme peut être défini commeune séquence spécifique d’opérations de calcul. En guised’exemple, mentionnons le chiffre qui suit les deux der-niers chiffres de l’année dans le numéro attribué par la

228 Preuve devant le tribunal civil

164. Citadelle c. C.U.M., EYB 2005-92745 (C.S.).

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cour à l’ouverture d’un dossier et qui s’appelle aussi lechiffre autovérificateur. Il est la résultante d’un algo-rithme qui utilise tous les chiffres utilisés dans le numérode cour. Lors d’une entrée d’un numéro de cour au plumi-tif, dans l’éventualité où le calcul effectué par l’algorithmedu numéro entré ne correspond pas à ce dernier chiffre, ilsignalera une erreur à l’usager.

Tout fichier informatique peut être soumis à un algo-rithme du même type, qui est toujours vérifiable pour undocument technologique. Il est sensible à la variation d’unseul caractère ou d’une seule donnée dans le fichier (ils’agit de la fonction checksum, disponible dans les systè-mes d’exploitation). Il est par ailleurs également possiblede comparer des documents à l’aide de la fonction de com-paraison contenue dans les fonctions d’un logiciel detraitement de texte, pour démontrer les variations de ver-sion (en présumant au moment d’écrire ces lignes que cesprocédés sont fiables. Ils ne font pas l’objet d’un décret).

Ainsi, l’intégrité d’un écrit technologique est assuréelorsqu’il est possible de vérifier que l’information n’enn’est pas altérée et qu’elle est maintenue dans son intégra-lité et que le support qui porte cette information lui procurela stabilité et la pérennité voulue (art. 2839 C.c.Q.).

Lorsqu’une partie invoque un document technolo-gique de la nature d’un acte sous seing privé par exemple,elle n’aura pas à prouver son intégrité, à moins que lapartie adverse n’en conteste l’admissibilité et qu’elle éta-blisse par prépondérance de preuve qu’il y a eu atteinte àl’intégrité du document (art. 2840 C.c.Q.).

Rappelons que l’article 89, al. 1, par. 4 C.p.c. a égale-ment été modifié par la loi :

« Doivent être expressément alléguées et appuyéesd’un affidavit :

[...] la contestation d’un document technologiquefondée sur une atteinte à son intégrité. Dans ce cas,l’affidavit doit énoncer de façon précise les faits et lesmotifs qui rendent probable l’atteinte à l’intégrité dudocument. »

Quant aux conditions d’intégrité d’un document tech-nologique, le législateur pose à l’article 6 de la loi desrègles particulières à cet égard :

« [...] L’intégrité d’un document doit être maintenueau cours de son cycle de vie, soit depuis sa création,en passant par son traitement, sa consultation et sa

transmission, jusqu’à sa conservation y compris sonarchivage ou sa destruction.

Dans l’appréciation de l’intégrité, il est tenu compte,notamment des mesures de sécurité prises pour proté-ger le document au cours de son cycle de vie. »

Ces caractéristiques nécessaires à l’intégrité d’undocument technologique rappellent celles que démontrele papier. Le législateur précise, à l’article 7 de la loi,comme pour les écrits, tels qu’antérieurement connus auCode civil, qui sont maintenant les documents sur supportpapier, que celui qui veut utiliser le document n’a pas àprouver le fait que le support du document et les procédés,systèmes ou technologies utilisés pour communiquer aumoyen du document, permettent d’assurer son intégrité. Ilédicte que c’est plutôt à la partie qui entend contesterl’admission du document à établir, par prépondérance depreuve, qu’il y a atteinte à l’intégrité de ce document.

Il est donc clair que le législateur a voulu faciliterl’introduction en preuve d’un document technologique, enplaçant sur celui qui en conteste l’intégrité le fardeau deprouver ce manquement. Il rend donc toujours possible,sous réserve des règles de preuve applicables, la preuve del’ensemble des communications par de tels moyens. Cen’est d’ailleurs pas contesté devant les tribunaux, à enjuger par les reproductions de courriels produits devanteux quotidiennement.

Par ailleurs, comme pour les écrits sur supportpapier, dans l’éventualité où l’intégrité d’un document estcontestée, les parties doivent alors avoir recours à unexpert afin de démontrer l’intégrité du document.

Dans le but de préserver l’intégrité des documentstechnologiques, le législateur a prévu des règles relativesau transfert de l’information, à la conservation, à laconsultation et à la transmission d’un document, demanière à ce que son intégrité soit maintenue. De plus, toutaccès à un document conservé doit être documenté aumoyen d’un journal par la personne qui a la responsabilitéde sa conservation.

Afin de maximiser l’intégrité de la conservation desdocuments, la loi aménage un régime de responsabilitépour l’ensemble des intervenants dans le domaine destechnologies de l’information. Ce régime de responsabi-lité ne fait cependant pas l’objet du présent exposé. Nousinvitons les lecteurs à consulter la loi à ce sujet. Notonscependant, à l’égard de la conservation du document, quela loi prévoit à l’article 19 :

Qualités et moyens de preuve 229

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« Toute personne doit, pendant la période où elle esttenue de conserver un document, assurer le maintiende son intégrité et voir à la disponibilité du matérielqui permet de le rendre accessible et intelligible et del’utiliser aux fins auxquelles il est destiné. »

Ces modifications visent à sécuriser les transactions etouvrent donc maintenant la voie à la conclusion d’ententesà l’aide de documents technologiques, dans la mesure oùl’ensemble des critères exigés par cette loi est respecté.

g) L’identification des personneset de leurs attributs

Le législateur veut également assurer le lien entre unepersonne, une association, une société ou l’État et undocument technologique, par tout moyen qui permet de lesrelier. Mentionnons notamment la signature, laquelle peutêtre apposée ou jointe à l’original, par l’entremise d’unlogiciel et qui constitue un document technologique ratta-ché en permanence à l’original. Ces moyens logicielspermettent également de les identifier et de confirmer descoordonnées pour, au besoin, les localiser.

La loi permet également d’utiliser ces moyens pourla certification de certaines caractéristiques tels l’autoritépour signer un document ou la confirmation de l’adressed’expédition. De plus, moyennant certains amendementslégislatifs, la qualité de notaire, d’avocat, de commissaireà l’assermentation, etc. pourra également être confirmée,au bon vouloir des différents organismes compétents.

Cette identification et l’octroi d’un certificat parles organismes, énonçant une qualité requise ou une decompétence particulière, peuvent s’effectuer par l’inter-médiaire de services qui se spécialisent dans ce domaine.Mentionnons, à titre d’exemples : Verisign, E-Trust,Webtrust. Des informations plus particulières à ce sujetpeuvent facilement être repérées sur Internet.

Le réseau de communication Internet est, par défini-tion, un réseau ouvert. Il est difficile pour les législateursd’y exercer une compétence qui peut par ailleurs s’avérercoûteuse. Le législateur fait donc appel à l’infrastructureen place et permet l’émergence de nouvelles infrastruc-tures, en édictant les conditions minimales auxquellesrépondent ces intervenants (art. 50 à 61 de la loi), sousl’autorité de l’Office de la protection du consommateur.La loi traite de plus des sites transactionnels, qui sontégalement régis par cet organisme.

La loi permet l’identification de ces différentes carac-téristiques, par l’apposition d’un sceau par un procédé

logiciel tout comme pour la signature. De tels sceaux etcertificats peuvent également être utilisés pour identifierune personne, pour assurer la confidentialité d’un docu-ment, pour protéger l’intégrité d’un document ou d’enmanifester la fonction d’original. Ils sont joints, rattachésen permanence au document.

La loi prévoit un ensemble de règles relatives à cesorganismes de certification et d’émission de sceaux et cer-tificats ainsi qu’à l’administration des certificats et desrépertoires, permettant d’identifier les individus, dans lebut de sécuriser l’ensemble des transactions.

Afin de sécuriser davantage ces systèmes, la loi obligeégalement tout individu à dénoncer immédiatement toutfait qui aurait pour effet de modifier une inscription aurépertoire ou la validité d’un certificat (art. 58 et 59 de laloi). La loi oblige de plus le titulaire d’un élément secretd’un dispositif, par exemple, un numéro d’identificationpersonnel, à garder celui-ci confidentiel. L’utilisation detels dispositifs secrets est présumée être faite par son titu-laire (art. 57 de la loi). Ces sceaux et certificats ont desfonctions différentes envers les usagers selon, souvent,le coût payé pour obtenir la certification et le degré d’im-portance de l’information colligée pour appuyer le sceauou le certificat.

Ces informations doivent être vérifiées par la per-sonne qui veut agir en se fondant sur le certificat. L’article60 de la loi prévoit en effet ce qui suit :

« Dans le cadre d’une communication au moyen d’undocument technologique, la validité et la portée ducertificat doivent préalablement être vérifiées, par lapersonne qui veut agir en se fondant sur le certificat,afin d’obtenir confirmation de l’identité ou de l’iden-tification de toute partie à la communication ou del’exactitude d’un identifiant d’un objet.

De même, avant de se fonder sur un renseignementinscrit au certificat, il lui faut vérifier si le prestatairede services de certification confirme l’exactitude durenseignement.

La vérification peut être faite au répertoire ou à l’em-placement qui y est indiqué ou auprès du prestataire,au moyen d’un dispositif de consultation sur place ouà distance. »

Ainsi, dans tous les cas où un certificat, un sceau ouune marque, est joint à un document technologique, il estpossible, en pointant et en cliquant sur le certificat, d’allerdirectement sur le site de l’organisme de certification afind’en établir la validité. Cette exigence est essentielle pour

230 Preuve devant le tribunal civil

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pouvoir s’y fier ultérieurement. La contrefaçon de certifi-cats non répertoriés est toujours possible, ce qui forcecette exigence légale pour sécuriser les transactions. Ceprocédé permet une vérification de la base de donnéesdeson émetteur et rend disponible pour communicationl’ensemble des données relatives au certificat et au sceau.

Le législateur reconnaît également la possibilitéd’utiliser divers modes d’authentification de l’identitéd’une personne qui communique au moyen de documentstechnologiques. Dans ce contexte, il contient des mesuresde protection de la vie privée. La loi pose par ailleurs cer-taines limites en ce qui concerne les informations quipeuvent être obtenues pour fins d’identification des per-sonnes et encadre la collecte d’informations personnelles.

Cette loi a, par ailleurs, d’autres effets sur la créationdes obligations entre les parties relativement aux pré-somptions de transmission de documents technologiquesentre celles-ci (art. 31 de la loi), mais l’étude de leur portéene fait pas l’objet du présent exposé en matière de preuve.

h) La contestation

Compte tenu du principe d’équivalence des supportsde l’écrit, la contestation d’un écrit technologique se feraen observant les règles relatives à celles de l’écrit dont ilest le support.

Ainsi, un contrat sous seing privé sur support électro-nique, s’il respecte les conditions d’intégrité et du respectdes autres exigences de la loi, ne pourra être contesté qu’enrespectant les règles relatives à la contestation de l’actesous seing privé.

Par exemple, une partie à cet acte sous seing privésur support électronique ne pourra contester sa signaturequ’en respectant les dispositions de l’article 89, al. 1 C.p.c.

De même, une partie à cet acte ne pourra le contredirepar preuve testimoniale en raison des dispositions prohi-bant cette preuve (art. 2863 C.c.Q.), à moins qu’il n’y aitun commencement de preuve.

F- L’administration en preuve

Tel qu’il a été vu au titre I, au chapitre de la communi-cation des pièces, la partie qui entend invoquer lors del’audience une pièce en sa possession, soit notamment unécrit, doit la communiquer à toute autre partie à l’instance(art. 331.1 C.p.c.) suivant la procédure particulière appli-cable aux instances introduites conformément à l’article

110 C.p.c. (art. 331.2 à 331.4 C.p.c.), aux instances autresque celles introduites conformément à l’article 110 C.p.c.ou encore aux demandes présentées en cours d’instance(art. 331.8 C.p.c.).

En conséquence, ces pièces, dont les écrits, ne sontpas déposées au greffe : les écrits qu’une partie entend uti-liser lors du procès ne seront en principe produits audossier de la cour qu’au plus tard quinze jours avantl’audience, lorsque la défense est écrite, ou au plus tardtrois jours avant l’audience, lorsque la défense est orale(art. 331.7 C.p.c.). Lorsqu’il s’agit d’une requête autre quecelle introduite conformément à l’article 110 C.p.c., oudans le cas d’une requête en cours d’instance, les piècesseront produites à l’audience (art. 331.8 C.p.c.). Nous trai-terons plus amplement au prochain chapitre du moment oùles pièces, dont les écrits, doivent être communiquées.

De quelle façon produit-on en preuve un écrit? Faut-ildans tous les cas assigner comme témoin, lors du procès,le signataire d’un écrit instrumentaire? Tout dépend dela nature de l’écrit.

Comme nous l’avons vu précédemment, l’acteauthentique fait preuve en soi de sa confection et deson contenu (art. 2818 à 2820 C.c.Q.), sans avoir à êtrereconnu par la partie adverse. Il fait donc preuve complète,à moins qu’il ne soit éventuellement écarté par jugementaccueillant une inscription de faux (art. 2821 C.c.Q. etart. 223 C.p.c.). Quant à l’écrit sous seing privé, il peut êtrereconnu par celui à qui on l’oppose (art. 2828 C.c.Q.).Cette reconnaissance est implicite ou expresse. Elle estexpresse si le défendeur admet l’écrit dans sa défense, cequi vaut comme aveu judiciaire (art. 2852 C.c.Q.). Elle estimplicite si le défendeur ne le conteste pas dans sa défenseaccompagnée d’un affidavit, selon l’article 2828 C.c.Q. etl’article 89 C.p.c. S’il est ainsi contesté, l’écrit cesseraalors de faire preuve; il conservera donc sa force probante,à moins d’être explicitement contesté.

En conséquence, ces écrits font preuve de leur confec-tion et de leur contenu dès leur communication à l’autrepartie, sous réserve de leur dépôt au dossier lors du procès(art. 331.7 C.p.c.).

L’écrit d’une entreprise fait preuve de son contenu,dans la mesure où celui qui l’invoque prouve que cet écritémane de celui qu’il prétend en être l’auteur (art. 2835C.c.Q.). Cette preuve se fera par le témoignage, parexemple, d’un représentant de l’entreprise de qui émanel’écrit. Cependant, comme nous le verrons au regard del’article 403 C.p.c., le législateur a facilité la preuve de laconfection de cet écrit, par sa communication en vertu decet article, avant la tenue du procès.

Qualités et moyens de preuve 231

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L’article 2870 C.c.Q. et l’article 294.1 C.p.c. s’inté-ressent aux déclarations susceptibles d’être admises àtitre de témoignage visé par l’article 2832 C.c.Q. lorsquel’auteur d’une telle déclaration ne témoigne pas à l’ins-tance. L’article 403 C.p.c. vise tous genres d’écrits demême que l’élément matériel. Nous étudierons plus loinl’élément matériel.

Nous traitons d’abord des déclarations prévues àl’article 2870 C.c.Q. et à l’article 294.1 C.p.c. En vertu deces dispositions, le tribunal peut accepter en preuve unedéclaration qui, autrement, serait irrecevable à cause de laprohibition du ouï-dire. Nous aborderons ensuite la com-munication de pièces en vertu de l’article 403 C.p.c., lacommunication du rapport d’expertise en vertu de l’article402.1 C.p.c. et finalement, certains cas particuliers.

1. Les déclarations de l’article 2870 C.c.Q.

Suivant l’article 2869 C.c.Q., « La déclaration d’unepersonne qui ne témoigne pas à l’instance ou celle d’untémoin faite antérieurement à l’instance est admise à titrede témoignage si les parties y consentent; [...]. » Cette dis-position s’harmonise avec celle de l’article 2843 C.c.Q.,selon laquelle le témoignage peut découler d’une déposi-tion non faite à l’instance, du consentement des parties. Lapreuve est l’affaire des parties, comme l’illustre l’article2859 C.c.Q. Elles peuvent consentir à l’introduction enpreuve d’une déclaration écrite, tel un affidavit. Ellesadmettent de façon implicite, à l’instar des dispositionsde l’article 286 C.p.c., que le témoin absent, s’il étaitentendu, déposerait des faits relatés dans sa déclaration.Un tel aveu peut éviter le déplacement inutile d’un témoinsecondaire.

L’article 2870 C.c.Q. habilite le tribunal en Coursupérieure et en Cour du Québec à autoriser une preuvepar ouï-dire de déclarations écrites ou verbales hors ins-tance qui satisfont aux critères de nécessité et de fiabilité.Cette disposition énonce :

« La déclaration faite par une personne qui ne compa-raît pas comme témoin, sur des faits au sujet desquelselle aurait pu légalement déposer, peut être admise àtitre de témoignage, pourvu que, sur demande et aprèsqu’avis en ait été donné à la partie adverse, le tribunall’autorise.

Celui-ci doit cependant s’assurer qu’il est impossibled’obtenir la comparution du déclarant comme témoin

ou déraisonnable de l’exiger, et que les circonstancesentourant la déclaration donnent à celle-ci les garan-ties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier.

Sont présumés présenter ces garanties, notamment,des documents établis dans le cours des activitésd’une entreprise et les documents insérés dans unregistre dont la tenue est exigée par la loi, de mêmeque les déclarations spontanées et contemporaines dela survenance des faits. »

La Cour d’appel rappelle que l’article 2870 C.c.Q. apour but d’assouplir les règles plus rigides du droit tra-ditionnel. Cet article « favorise l’administration de lajustice en empêchant qu’une partie ne soit privée, pour desraisons strictement techniques, d’un élément de preuveessentiel au soutien de ses prétentions »165.

La partie qui entend utiliser en preuve une déclarationextrajudiciaire doit démontrer la nécessité de son intro-duction au dossier et sa fiabilité. Les dispositions del’article 2870 C.c.Q. posent les conditions d’applicationsuivantes :

1) La déclaration n’est pas contenue dans une dépo-sition faite à l’instance, de sorte qu’elle neconstitue pas un témoignage au sens de l’article2843 C.c.Q. Seule est assujettie à l’article 2870C.c.Q. la déclaration d’une personne qui netémoigne pas à l’instance ou celle d’un témoinfaite antérieurement à l’instance (art. 2869C.c.Q.). Les interrogatoires préalables (art. 397et 398 C.p.c.), les interrogatoires sur affidavit(art. 93 C.p.c.) qui sont communiqués et produitspar la partie qui les a tenus et les interrogatoireshors de cour (art. 404 C.p.c.) ne sont donc pasassujettis au régime de l’article 2870 C.c.Q., puis-qu’ils constituent un témoignage à l’instance.

Par ailleurs, dans l’affaire Services de santé duQuébec c. Manoir du Fleuve Inc.166, la Courd’appel a considéré que tant qu’un interrogatoirepréalable n’a pas été communiqué et produit parla partie qui l’a tenu, il ne constitue pas un témoi-gnage à l’instance. Elle considère que la personneinterrogée ne devient un témoin à l’instance quesi son témoignage est déposé. Un interrogatoirepréalable non déposé au dossier en vertu del’article 398.1 C.p.c. ne peut donc être qualifié detémoignage.

232 Preuve devant le tribunal civil

165. Itenberg c. Breuvage Cott Inc., REJB 2000-18348 (C.A.).166. Précitée, note 84.

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Dans cette affaire, le président de la compagniedemanderesse avait été interrogé par le procureurde la défenderesse, mais était décédé par la suite.La demanderesse demandait que la transcriptionde son interrogatoire soit admise à titre de témoi-gnage conformément à l’article 2870 C.c.Q. Lepremier juge a accédé à cette demande, et ce juge-ment a été confirmé par la Cour d’appel. Une tellerequête sera présentée en vertu des articles 2 et20 C.p.c. et des articles 2869 et s. C.c.Q.

2) La déclaration doit être faite par une personne quine comparaît pas comme témoin. Les disposi-tions de l’article 2870 C.c.Q. ne régissent pasla mise en preuve des déclarations antérieuresd’une personne qui comparaît comme témoin àl’instance (art. 2871 C.c.Q.).

3) La déclaration doit porter sur des faits au sujetdesquels son auteur aurait pu légalement déposers’il avait comparu comme témoin, soit, suivant ladéfinition de témoignage à l’article 2843 C.c.Q.,sur des faits dont cette personne a eu personnel-lement connaissance. Est donc irrecevable ladéclaration extrajudiciaire fondée elle-même surdu ouï-dire. Cette déclaration ne peut contrevenirà la prohibition de la preuve testimoniale établiepar l’article 2862 C.c.Q.167. Cette déclaration doitde plus être pertinente aux faits en litige (art. 2857C.c.Q.). La déclaration ne peut exprimer une opi-nion ni tenir lieu du témoignage de l’expert.L’article 2870 C.c.Q. restreint la définition detémoignage de l’article 2843 C.c.Q. aux faits, àl’exclusion de l’avis de l’expert168. Dans le cas oùune partie voudrait utiliser un rapport d’expertisepréparé par un expert décédé depuis, seule lapartie de l’expertise portant sur les faits constatéspar l’expert peut être mise en preuve. La partied’expertise comportant le rappel des faits com-muniqués à l’expert par des tiers et les passagescomportant l’expression d’une opinion sontexclus. Le rapport ainsi expurgé ne pourra êtrecommuniqué en vertu de l’article 402.1 C.p.c.puisqu’il ne contient plus d’opinion169.

Un tribunal a autorisé la production de photosmalgré l’absence de l’expert qui les avait prisesen appliquant les dispositions de l’article 2870C.c.Q. Le juge rappelle les propos de la Courd’appel dans l’arrêt Itenberg c. Breuvage CottInc.170 et conclut que si le législateur permet ledépôt en preuve d’une déclaration lorsque les cir-constances donnent des garanties suffisantes defiabilité, rien ne s’oppose à ce qu’on puisse aussidéposer des photos qui sont les seules contempo-raines et dont toutes les parties reconnaissent lafiabilité notamment en ce que l’expert de la partieadverse avait lui-même utilisé certaines de cesphotos171.

4) La partie qui entend utiliser cette déclaration pourvaloir à titre de témoignage doit en aviser la partieadverse172 et lui communiquer le texte de toutedéclaration écrite; à défaut du consentement decette dernière (art. 2869 C.c.Q.), cette partie doitrequérir et obtenir l’autorisation du tribunal, quijouit d’un pouvoir discrétionnaire à cette fin,puisqu’il peut (et non doit) admettre cette décla-ration à titre de témoignage. Cette demande peutêtre présentée avant le jour du procès, en chambrede pratique173 ou en début d’audition, alors que letribunal statuera sur la recevabilité de la déclara-tion, par l’appréciation de sa fiabilité174.

5) La partie requérante doit démontrer qu’il estimpossible d’obtenir la comparution du déclarantou déraisonnable de l’exiger. Cet empêchementprovoque la nécessité de produire la déclarationextrajudiciaire. Une telle nécessité ne se présentetoutefois pas lorsque existe la possibilité d’uninterrogatoire hors de cour en vertu de l’article404 C.p.c., notamment sous forme d’affidavitdétaillé susceptible d’être communiqué à la partieadverse, qui peut choisir d’exercer ou non sondroit au contre-interrogatoire. Le critère de lanécessité signifie que l’auteur de la déclaration nepeut témoigner au procès175 et que « la décla-ration antérieure est nécessaire parce qu’unepreuve de la même qualité ne peut être obtenue auprocès »176.

Qualités et moyens de preuve 233

167. Goffredo Lobasso c. Goffredo, REJB 1998-08612 (C.A.).168. Frenette c. Desrosiers, REJB 1998-06959 (C.S.); Droit de la famille – 2146, J.E. 95-504 (C.S.), EYB 1995-84593; Melfi c. Assurance-vie Desjardins-

Laurentienne Inc., J.E. 99-555 (C.S.), REJB 1999-11052; Itenberg c. Breuvages Cott Inc., précité, note 165.169. Promutuel Saguenay c. Lavage Saguenay, REJB 2002-27538 (C.S.).170. Précité, note 165.171. Binet c. Ville de Montréal, REJB 2001-25650 (C.S.).172. Laforce-Lavoie c. Chicoine, J.E. 97-1127 (C.S.), REJB 1997-00788.173. Bergeron c. 3092-8543 Québec Inc., J.E. 98-1912 (C.Q.), REJB 1998-08668.174. Lafortune-Coulombe c. Assurance-Vie Desjardins, [1997] R.J.Q. 2746 (C.S.), REJB 1997-03377.175. R. c. Hawkins, [1996] 3 R.C.S. 1043, EYB 1996-67709.176. R. c. U. (F.J.), [1995] 3 R.C.S. 764, 787, EYB 1995-67677, juge en chef Lamer pour la cour.

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L’impossibilité peut résulter du décès du décla-rant177 ou d’une maladie grave prolongée ouincurable, telle la maladie d’Alhzeimer178. Ellepeut aussi résulter de l’effet de la loi, parexemple, le Vérificateur général du Québec n’estpas contraignable, en vertu de l’article 50 de laLoi sur l’Assemblée nationale179 mais les tribu-naux ont parfois accepté son rapport à titre dedéclaration admissible selon l’article 2870C.c.Q.180. Le caractère déraisonnable peut décou-ler de l’éloignement prolongé du déclarant181.Rappelons que la commission rogatoire demeurepossible en cas d’éloignement. Le seul éloigne-ment n’est pas en lui-même un critère décision-nel182. Il convient de tenir compte de l’ensembledes circonstances, dont les frais à engager pourfaire comparaître le témoin au regard de l’enjeudu litige183.

6) La partie requérante doit aussi démontrer que lescirconstances entourant la déclaration donnentà celle-ci des garanties suffisamment sérieusespour pouvoir s’y fier. Elle doit en établir la fiabi-lité, d’autant plus que le déclarant absent ne peutêtre soumis au contre-interrogatoire. La fiabilitérenvoie à l’authenticité et à l’exactitude d’unepreuve, à l’instar du degré de compétence d’untémoin. Elle n’a pas à être établie « de manièreabsolument certaine »184. « Le critère de la fiabi-lité vise un seuil de fiabilité et non une fiabilitéabsolue. »185 La preuve d’une déclaration estjugée fiable si celle-ci « a été faite dans descirconstances qui écartent considérablement lapossibilité que le déclarant ait menti ou commisune erreur »186. Elle suppose l’absence de fabrica-

tion. Le tribunal doit vérifier les circonstancesdans lesquelles la déclaration a été fournie, pourdéterminer si elle a été librement et volontaire-ment faite par une personne consciente, si elle estauthentique et si elle est fidèlement reproduite.Il doit en apprécier le degré de fiabilité. Ainsi,l’appréciation de la fiabilité dépend du contextede l’interrogatoire mené par un enquêteur, ducaractère du témoin et de la formulation desquestions187.

Rappelons que, pour être recevable, une preuvedoit être fiable, ce qu’exprime la règle de lameilleure preuve. La fiabilité se distingue de lacrédibilité; au stade de la recevabilité en preuve,le tribunal n’a pas à être convaincu de la véracitédu contenu de la déclaration antérieure188. À cetteétape de la décision sur la recevabilité en preuve,le juge détermine si la déclaration renfermesuffisamment d’indices de fiabilité pour fournirplus tard au juge chargé d’évaluer la preuve unebase satisfaisante pour en examiner la véracité; ilappartiendra plus tard au juge dans son jugementde se prononcer sur la fiabilité absolue de ladéclaration et le poids à y accorder189.

En principe, une déclaration fournie sous sermentdevrait offrir un plus haut degré de fiabilité quecelle non donnée sous serment190. Ainsi, unedéclaration sous serment est jugée fiable dans lesaffaires Deslongchamps, Banque de Nouvelle-Écosse et Monette191, alors qu’une déclarationnon assermentée n’est pas jugée fiable et estrefusée dans l’affaire Légaré c. La Portneu-vienne, Société mutuelle d’assurance192. Par

234 Preuve devant le tribunal civil

177. Deslongchamps c. Deslongchamps, [1994] R.J.Q. 1930 (C.S.), REJB 1994-28611;Fequet c. Lapierre, [1995] R.R.A. 370 (C.S.), REJB 1995-28798;JaninConstruction (1983) Ltée c. Régie de l’assainissement des eaux du bassin de Laprairie, J.E. 94-1559 (C.S.), EYB 1994-86791; Rooney c. Citadelle (La),Compagnie d’assurances, J.E. 96-473 (C.Q.), REJB 1995-30601; Gagnon (Succession de) c. Guénette Lalonde, J.E. 97-107 (C.S.), EYB 1996-85332.

178. Gallo c. 2617-4326 Québec Inc., J.E. 95-1322 (C.S.), REJB 1995-29011.179. L.R.Q., c. A-23.1.180. Dubé c. Cliche, REJB 2003-49607 (C.A.); voir également Beaudoin c. La Presse, [1997] R.J.Q. 2801 (C.S.); T.-K.-A. (T.J.) c. Curateur public du Québec,

EYB 2004-79878 (C.S.).181. Canadian American Financial Corp. (Canada) Ltd. c. Lam, [1995] R.J.Q. 233 (C.S.), REJB 1994-28958, résidence au Vietnam; Protection de la jeunesse

– 770, [1995] R.J.Q. 1583 (C.Q.), EYB 1995-72954, résidence aux Philippines et exigence d’une disposition rapide du litige; Pierre c. Bélair, compagnied’assurances Inc., J.E. 97-274 (C.Q.), EYB 1996-85467, résidence permanente en Haïti; Higgins c. Communauté urbaine de Montréal , [1998] R.J.Q.1886 (C.S.), REJB 1998-07734: résidence en Floride d’un témoin dont la déposition dans un procès criminel est admise à titre de témoignage.

182. The George Edward Fritz Foundation c. Cartwright, REJB 2004-53711 (C.A.).183. Itenberg c. Breuvages Cott Inc., précité, note 165.184. R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, EYB 1992-67546.185. R. c. Hawkins, précité, note 175, j. Lamer et Iacobucci.186. Id., p. 933, juge en chef Lamer.187. Pierre c. Bélair, compagnie d’assurances Inc., précité, note 181.188. R. c. Labrecque, J.E. 96-2144 (C.A.), EYB 1996-65518.189. R. c. Hawkins, précité, note 175, p. 1084.190. R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740, 795, EYB 1993-67493; R. c. U. (F.J.), précité, note 176, p. 786.191. Deslongchamps c. Deslongchamps, précité, note 177; Banque de Nouvelle-Écosse c. Bélair, Compagnie d’assurances Inc., [1995] R.R.A. 125 (C.S.),

REJB 1995-28807; Monette c. Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée, REJB 2000-17426 (C.S.).192. [1995] R.R.A. 427 (C.S.), EYB 1995-72698.

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ailleurs, une déclaration obtenue dans une autreinstance ne fournit pas toujours une garantie suf-fisamment sérieuse de fiabilité, particulièrementlorsque la cause d’action diffère, que les partiesn’agissent pas dans les deux causes au même titre,et que l’objet de l’instance n’a pas permis uninterrogatoire complet sur les questions actuelle-ment en litige193.

Par contre, dans les affaires Gallo et Mongrain194,la déclaration jugée fiable et reçue en preuven’est pas assermentée.

Quoique de façon non limitative, le législateurénumère trois cas où les déclarations sont pré-sumées présenter des garanties suffisantes defiabilité; il s’agit d’une présomption simplequi peut être repoussée par une preuve contraire(art. 2847 C.c.Q.).

a) Les documents établis dans le cours des acti-vités d’une entreprise195. Ceux-ci établissentdes faits purs et simples, que pourrait rap-porter tout témoin compétent. L’écrit quirapporte un fait peut, sous réserve notam-ment de l’article 2870 C.c.Q., être admisen preuve à titre de témoignage (art. 2832C.c.Q.). Cet écrit est confectionné dans lecours des activités d’une entreprise définie àl’article 1525 C.c.Q.

La nécessité provient du fait que ces témoinsne peuvent aujourd’hui témoigner demémoire de faits constatés par eux dans lepassé : ils sont dans l’impossibilité de seremémorer les faits qu’ils ont constatés, laseule preuve disponible étant leurs constata-tions, consignées dans des documents qu’ilsont eux-mêmes confectionnés dans le coursde l’activité de l’entreprise.

La garantie de fiabilité provient du désin-téressement du préposé aux écritures, del’obligation de vérifier les données et dudevoir de les inscrire de façon contempo-raine196.

Ainsi, est admise en preuve, en vertu del’article 2870 C.c.Q. une réclamation pré-parée par un ingénieur depuis décédé, dansle cours des activités d’une entreprise deconstruction, en raison de la présomption defiabilité attachée à un tel document197. Lesnotes manuscrites, consignées au cours desactivités d’un employé dans une entreprise,sont admises en preuve, bien qu’il s’agissede ouï-dire, au motif qu’elles satisfont auxcritères de la nécessité et de la fiabilité198.

b) Les documents insérés dans un registre dontla tenue est exigée par la loi. Le législateurprésume que ce type d’écrits présente desgaranties de fiabilité parce qu’ils sontconfectionnés de façon systématique et sanslacune et que les faits inscrits sont protégéscontre les altérations.

c) Les déclarations spontanées et contemporai-nes de la survenance des faits. Celles-ci sontpertinentes parce qu’elles font partie desfaits en litige, les accompagnant ou lesexpliquant. Le législateur présume que ledéclarant dit la vérité et exprime ainsi fidèle-ment sa pensée lorsqu’il fait une déclarationspontanée au moment de la survenance d’unévénement litigieux. Cette déclaration présu-mément fiable porte sur les circonstancesd’un événement dont elle est concomitante,sans que le déclarant ait pu réfléchir à sesparoles et ait pu ainsi fabriquer de lapreuve199.

7) Une fois admise, à cette double condition denécessité et de fiabilité, cette déclaration extraju-diciaire vaut comme témoignage, autrement ditelle fait preuve des faits qu’elle relate (art. 2843C.c.Q.), sous réserve de l’appréciation de sa forceprobante par le tribunal, à l’instar de tout témoi-gnage (art. 2845 C.c.Q.). Une déclaration jugéefiable au départ pourra être écartée par jugement,parce que non crédible à la lumière de l’ensemblede la preuve200.

Qualités et moyens de preuve 235

193. The George Edward Fritz Foundation c. Cartwright, précité, note 182.194. Gallo c. 2617-4326 Québec Inc., précité, note 178; Mongrain c. Montmigny, Pineau, Blier et Proulx assurances, REJB 2000-21581 (C.S.).195. Bergeron c. 3092-8543 Québec Inc., précité, note 173.196. Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608.197. Janin Construction (1983) Ltée c. Régie de l’assainissement des eaux du bassin de Laprairie, précité, note 177; cette partie du jugement de première

instance a été confirmée par la Cour d’appel. Voir REJB 1999-11611.198. Gerling globale (La), compagnie d’assurances générales c. Services d’hypothèque Canada-Vie Ltée, [1997] R.J.Q. 2695 (C.A.), REJB 1997-02602.199. Canadian American Financial Corp. (Canada) Ltd. c. Lam, précité, note 181, p. 236; Leclerc c. Lafrance, REJB 1999-12608 (C.S.).200. Gallo c. 2617-4326 Québec Inc., précité, note 178.

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Cette disposition, qui témoigne d’un assouplissementde la prohibition du ouï-dire, permet à une partie de ne pasêtre privée de l’usage d’un élément important de preuve.

2. Les déclarations de l’article 294.1 C.p.c.

L’article 294.1 C.p.c. a été grandement modifié par laLoi portant réforme du Code de procédure civile. En effet,le tribunal peut dorénavant accepter à titre de témoignageune déclaration écrite quelle qu’elle soit, pourvu que cettedéclaration ait été communiquée et produite conformé-ment aux règles de la communication et de la productiondes pièces, prévues notamment aux articles 331.1 C.p.c.

Cet article s’applique à tout témoignage, quel qu’ilsoit. Il faut cependant noter que l’utilisation d’une déclara-tion écrite est refusée dans le cas où un témoin est présentet témoigne à l’audience201.

En ce qui concerne la déclaration, il s’agit d’un écritsigné et non pas d’un affidavit, soit par exemple une esti-mation, un rapport d’expert ou une simple lettre d’untémoin ordinaire énonçant un fait dont il a eu connais-sance202. Rappelons qu’avant la réforme, l’article 294.1C.p.c. ne permettait au tribunal d’accepter à titre de témoi-gnage que les déclarations écrites émanant de certainespersonnes ou organismes, soit notamment le rapport médi-cal, psychosocial, le rapport de policier, ou d’employeur.

Cet article applique l’article 2832 C.c.Q. en ce quel’écrit pur et simple, qui rapporte un fait, peut être admis àtitre de témoignage avec l’autorisation du tribunal ou leconsentement des parties. L’article 294.1 C.p.c. revêt uneportée semblable à celle de l’article 286, al. 2 C.p.c. :la partie adverse reconnaît implicitement que le témoindéposerait des faits mentionnés dans sa déclaration s’ildevait comparaître en personne pour en témoigner sansadmettre pour autant la véracité de ces faits qu’il peutcontredire, par exemple par d’autres témoins. Cette dis-position constitue donc un tempérament à la règleprohibant le ouï-dire, puisqu’elle autorise un témoignageécrit non fourni sous serment, la partie adverse renonçantau contre-interrogatoire. Le tribunal appréciera la valeurprobante de cette déclaration à l’instar de toute preuvetestimoniale (art. 2845 C.c.Q.).

La partie adverse peut néanmoins requérir la présenceà l’audience du témoin, sous réserve d’une condamnation

à des dépens si le tribunal estime que la production del’écrit aurait été suffisante.

Rappelons que s’il est impossible de faire témoignerle témoin (parce qu’il est mort ou disparu) ou qu’il seraitdéraisonnable de l’assigner, ce sont les règles établies parles articles 2870 et suivants C.c.Q. qui s’appliqueront à laproduction de sa déclaration écrite203; on ne pourra la com-muniquer en vertu de l’article 294.1 C.p.c.

3. Les pièces selon l’article 403 C.p.c.

Des pièces peuvent être communiquées en vue de leurproduction au dossier au moment de l’audience, selonl’article 403 C.p.c.

Cet article facilite la preuve de la confection d’unécrit. Il permet d’introduire en preuve un document, unplan, une photographie, un objet ou autre élément matérielde preuve émanant d’une partie ou d’un tiers, sans quel’auteur de la pièce ait à témoigner au procès pourl’authentifier et la produire. Si la partie adverse nes’oppose pas à cette pièce par affidavit signifié dans lesdix jours de la signification de l’avis, la pièce est alorsréputée être vraie et exacte. Il s’agit d’une présomptionabsolue qui ne peut être repoussée par une preuve con-traire (art. 2847 C.c.Q.).

Ce délai de dix jours peut toutefois être prorogé par lejuge204. Le tribunal peut aussi, avant jugement, relever lapartie de son défaut de dénégation de la pièce, comme lementionne la dernière phrase du second alinéa de l’article403 C.p.c.

Cette disposition vise à accélérer l’enquête en four-nissant le moyen d’obtenir à l’avance de la partie adversela reconnaissance de la véracité et de l’exactitude d’unepièce dont une partie entend se servir.

L’absence d’affidavit de la partie adverse, c’est-à-direl’absence de contestation de l’avis, emporte un aveu judi-ciaire implicite de sa part que l’écrit émane bien de sonauteur (art. 2851 et 2852 C.c.Q.). L’article 403 C.p.c. revêtune portée semblable à celle de l’article 286, al. 2 C.p.c.;par son silence, la partie adverse reconnaît implicitementque l’auteur du document, s’il était entendu, en établiraitl’authenticité d’origine et de confection.

236 Preuve devant le tribunal civil

201. Larouche c. Pruneau, EYB 2004-69026 (C.Q.).202. François BOUSQUET, Réforme du Code de procédure civile, Service de la formation permanente, Barreau du Québec, 2002, p. 61.203. Id., p. 62. Voir également Gagnon c. Lemieux, [1975] C.S. 863; Frenette c. Desrosiers, précité, note 168.204. Industrielle (L’), compagnie d’assurances sur la vie c. Bourque, J.E. 86-1016 (C.S.), EYB 1986-79029.

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Cet aveu implicite de la régularité de la confectionde l’écrit en établit donc l’origine; il ne porte pas surl’exactitude du contenu d’un écrit non instrumentaire oude l’écrit instrumentaire n’émanant pas de la partie à quion l’oppose : dans ces cas, la partie adverse pourra au pro-cès contredire les faits faisant l’objet du document enquestion (art. 2828 et 2836 C.c.Q.).

Rappelons, comme nous l’avons vu au premier cha-pitre, que « Celui qui invoque un écrit non signé doitprouver que cet écrit émane de celui qu’il prétend en êtrel’auteur. » (art. 2835 C.c.Q.). L’article 403 C.p.c. facilitecette preuve de l’écrit pur et simple, ainsi que celle del’écrit visé par l’article 2831 C.c.Q.

En pratique, l’article 403 C.p.c. est habituellementutilisé lorsqu’on désire faire la preuve de certains faits nonsusceptibles d’être contestés ou qui ne justifient pas ledéplacement d’un témoin, le plus souvent secondaire,dans l’unique but d’en établir la confection. On peut ainsifaire signifier avant procès, en vue de valoir commepreuve, des comptes ou des reçus pour frais médicaux, leplan d’un lieu, des photographies d’un immeuble, un dos-sier médical dont la communication a été autorisée par lepatient ou le tribunal, etc., sans qu’il soit nécessaire d’enassigner leur auteur, tel le pharmacien ou le photographe,pour qu’il produise la pièce au procès. Ainsi, des reçusconstituent une preuve suffisante de dépenses, enl’absence d’attaque par la partie adverse pour affaiblircette preuve car, autrement, il faudrait assigner plusieurstémoins205.

Quelle est la portée de l’article 403 C.p.c.? La juris-prudence n’est pas abondante à ce sujet, bien que l’avisselon l’article 403 C.p.c. soit fréquemment utilisé. LaCour supérieure a jugé qu’une restriction s’applique audocument de l’article 403 C.p.c., plutôt dans sa valeur pro-bante et dans son effet juridique que dans sa matérialité, enénonçant que cet article :

« [...] exclut l’écrit qui ne pourrait, autrement quepar aveu ou consentement, servir de preuve valable etutile dans l’instance telle qu’engagée, selon les allé-gations de la procédure : car, ce n’est qu’après laproduction de la défense que telle initiative peut êtreprise. Elle exclut, dès lors, ceux qui tendraient à prou-ver un fait non allégué, qui tendraient à introduire unepreuve de ouï-dire, qui manifestement ne constituerait

pas la meilleure preuve, qui, de façon générale, ten-draient à faire indirectement ce que la loi ne permetpas de faire directement, et qui tendraient à donner àcertains écrits informes une valeur probante excédantcelle des écrits authentiques eux-mêmes. Autrement,tous les abus prévisibles seraient permis obligeant lapartie adverse à ouvrir son jeu et à révéler sa preuvesous serment, contrairement au principe premier del’article 1203 C.c.B.-C. et en contradiction avecl’article 86 C.P., lorsqu’il s’agit même de procéduresécrites alléguant des faits précis. Il s’ensuivrait uneffet contraire à celui recherché par le législateur, parla multiplication des procédures qu’on croirait devoirfaire en vue d’éviter une prise au piège. »206

On ne peut ainsi produire valablement pour tenir lieude témoignage, selon l’article 403 C.p.c., la version écrited’un témoin207. L’article 294.1 C.p.c., tel qu’il se lit depuisle 1er janvier 2003, permet la production de la déclarationécrite de tout témoin, pour tenir lieu de son témoignage,à la condition de respecter les modalités prévues à cetarticle. Par contre, l’écrit non signé, habituellement utilisédans le cours des activités d’une entreprise pour constaterun acte juridique, fera preuve de son contenu (art. 2831C.c.Q.) dès qu’il aura été ainsi reconnu par le truchementde l’article 403 C.p.c. De même, la personne qui a pris desphotographies n’aura pas à venir témoigner, puisque leurauthenticité aura été ainsi établie.

La véracité et l’exactitude du document sont niées defaçon semblable à celle prévue pour la contestation del’écrit sous seing privé selon l’article 89 C.p.c., soit paraffidavit. L’absence d’un tel affidavit ne constitue pas unefin de non-recevoir aux objections de droit que l’on pour-rait proposer à l’encontre de la recevabilité en preuve desdocuments dont on a manifesté l’intention de faire usage.

« L’article 403 C.p.c. prescrit une procédure analoguepar son effet à celle par laquelle l’avocat admettraitque, si le témoin compétent était entendu, il prou-verait en faveur de la partie qui le produirait laconfection du document [...]. »208

L’absence de contestation par affidavit n’empêchedonc pas une partie de soulever des objections de droità l’encontre de la recevabilité des documents joints àl’avis209. Ainsi, la non-contestation de l’avis selon l’article403 C.p.c. ne fait que confirmer l’exactitude et le contenu

Qualités et moyens de preuve 237

205. Lavigne c. Marcoux, J.E. 87-850 (C.S.), EYB 1987-83371.206. Malinoff c. Harrisson, [1972] R.P. 275, 283 (C.S.).207. Capitale Location Lutex Inc. (La) c. Cooperators Compagnie d’assurances, REJB 2004-68202 (C.S.).208. Q.I.T. Fer et Titane Inc. c. Barron, [1981] C.P. 361.209. Winer et Chazonoff (Ontario) Ltd. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] C.S. 570.

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d’une demande d’adhésion à une assurance-prêt collectivesur la vie, mais non sa recevabilité ou son opposabilité auxhéritiers210.

Lorsque l’avis selon l’article 403 C.p.c. concerne unélément matériel (par exemple photo, plan), même enl’absence de contestation par affidavit, la valeur probantede la pièce est laissée à l’appréciation du tribunal. Cetarticle devrait donc avoir une portée restreinte, limitée parles règles habituelles de preuve211.

Si un affidavit est signifié selon les dispositions del’article 403 C.p.c., la preuve du document ou de l’élémentmatériel devra alors s’effectuer en la manière habituelle;il faudra par exemple assigner le photographe afin qu’ilproduise ses photographies à l’enquête. La conférencepréparatoire permet d’aplanir les difficultés à cet égard, demême qu’une communication entre avocats, susceptiblede provoquer le retrait de cette contestation et d’éviter ledéplacement d’un témoin, par l’admission en preuve desdocuments visés, surtout lorsqu’ils émanent de tiers. Lesdocuments qui émanent des parties, qui seront de toutefaçon présentes à l’instruction, pourront si nécessaire êtrealors mis en preuve par celles-ci.

Après le début d’un long procès, une partie a le droitde faire signifier à l’autre un avis selon l’article 403C.p.c.212.

L’application de l’article 403 C.p.c. évite donc ledéplacement inutile de témoins dans l’unique butd’authentifier une pièce et abrège d’autant l’enquête.Cette disposition ne vise pas le rapport d’expertise.

4. Le rapport d’expertise

Le rapport d’expertise est un simple écrit qui rapportedes faits et qui contient une opinion. Il ne fera preuve quesi l’expert témoigne.

L’article 402.1 C.p.c. traite des modalités de commu-nication du rapport d’expert.

Lorsqu’un expert, médical ou autre, est appelé àtémoigner à l’enquête et à y produire son rapport, ce

dernier devra avoir été communiqué et produit confor-mément aux dispositions des articles 331.1 et s. C.p.c.,comme l’exige l’article 402.1 C.p.c. Rappelons qu’enCour supérieure, l’article 71 du Règlement de procédurecivile prévoit que le demandeur doit communiquerses rapports d’expertise au jour de la présentation de sademande ou au jour de l’échéance convenue entre les par-ties ou fixée par le tribunal. La production au dossier del’ensemble ou d’extraits seulement du témoignage horscour du témoin expert peut tenir lieu de son rapport écrit,selon l’article 402.1, al. 2 C.p.c. Le défaut de communi-cation préalable du rapport d’expertise empêchera enprincipe le témoignage de l’expert au procès, quant à sonopinion213, mais ne l’empêchera pas de témoigner sur desfaits constatés, à l’instar de tout témoin ordinaire214. Eneffet, toujours selon l’article 402.1 C.p.c., sauf avec la per-mission du tribunal, nul témoin expert n’est entendu àmoins que son rapport écrit n’ait été ainsi communiquéet produit au dossier. Cette disposition a comme objetd’éviter toute surprise ou tout délai inutile au procès. Lejuge, au procès, peut rejeter la demande de productiontardive de rapports médicaux215. Il peut aussi rejeter larequête d’une partie qui veut obtenir l’autorisation de fairetémoigner son propre expert, présentée le jour de l’au-dience216.

Pour que la production d’un rapport écrit soit auto-risée en vertu de l’article 402.1 C.p.c., il faut que l’auteurdu rapport soit une personne physique qui puisse être iden-tifiée au moment de la communication; à défaut de telleindication, le rapport est inadmissible et peut, à l’instard’une pièce, être jugé irrecevable217. La signification durapport de l’expert, préalable à son témoignage, permet auprocureur adverse de l’examiner avec son propre expert etde préparer en conséquence à l’avance, si nécessaire, lecontre-interrogatoire de l’autre expert.

En matière familiale, lorsqu’une expertise psycho-sociale est ordonnée par le juge, selon l’article 33R.p.fam.(C.S.), le rapport d’expertise est transmis au jugementionné à l’ordonnance et distribué par ce dernier auxprocureurs des parties ou aux parties elles-mêmes si ellesne sont pas représentées. Le rapport est ensuite versé audossier sous enveloppe scellée (art. 38 R.p.fam.(C.S.)). Lerapport de l’expert fait partie de la preuve et ce dernier

238 Preuve devant le tribunal civil

210. Assurance-Vie Desjardins c. Éthier (Succession de), précité, note 16.211. Monark Import-Export Inc. c. Transport Val-Cam Inc., J.E. 86-362 (C.S.), EYB 1986-79111.212. MIUF – 3, [1988] R.D.J. 516 (C.S.).213. Association canadienne de ski Inc. c. Hébert, [1987] R.J.Q. 2006 (C.A.), EYB 1987-62797.214. Desbiens c. Frenkiel, J.E. 90-1113 (C.S.), EYB 1990-76668.215. Adem c. Paul Revere, Compagnie d’assurances, [1996] R.D.J. 101 (C.A.), EYB 1996-65432.216. Commission scolaire Rouyn-Norandac. Barrette, J.E. 96-634 (C.A.), EYB 1996-71913;Pietroniro c. Lévesque, [1998] R.D.I. 411, REJB 1998-07363.217. United States Fidelity and Guarantee Co. c. Bel Air Laurentian Aviation Inc., [1991] R.J.Q. 253 (C.Q.) EYB 1990-76063; Mouvement laïque québécois c.

Commission des écoles catholiques de Montréal, [1998] R.J.Q. 1862 (C.S.), REJB 1998-05334.

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peut être appelé à témoigner (art. 37 R.p.fam.(C.S.)). Leplaideur avisé a donc intérêt à communiquer en temps utileson rapport d’expertise.

Par ailleurs, l’article 294.1 C.p.c., comme modifiépar la Loi portant réforme du Code de procédure civile,peut être utilisé. La communication du rapport d’experten vertu de l’article 294.1 C.p.c. et l’absence de l’avisde la partie adverse requérant la présence de l’expert auprocès permettront la production, lors de l’audition, durapport écrit de l’expert, sans qu’il ne soit nécessaire qu’iltémoigne218.

En Cour supérieure, l’article 18.2 R.p.c.(C.S.) exigeque la partie qui produit un rapport d’expertise produiseaussi le curriculum vitæ de son auteur, son compted’honoraires à jour et le tarif actuel pour sa participation àl’audience au fond.

5. Les cas particuliers

En matière d’injonction interlocutoire et de recoursextraordinaire (quo warranto, mandamus et révision judi-ciaire), les articles 754.1 et 835.2 C.p.c. prévoient que lesparties doivent faire signifier à la partie adverse les docu-ments qu’elles entendent invoquer lors de l’instructiondès que possible avant la présentation de la requête.

Ces dispositions permettent à la partie adverse deprendre connaissance, avant le début de l’instruction, de lapreuve documentaire de l’autre partie en vue d’accélérerl’audition et d’éviter des surprises et des délais inutiles.

Sous réserve des dispositions applicables aux deman-des relatives aux obligations alimentaires à l’égardd’enfants (art. 825.8 à 825.14 C.p.c.), l’article 26R.p.fam.(C.S.) prévoit que, pour être mise au rôle de laChambre de pratique, toute requête visant à l’établis-sement ou à la modification d’une pension alimentairepersonnelle au requérant est accompagnée d’un état sousserment de sa situation financière, qui est signifié avec larequête. L’intimé doit aussi signifier au requérant, aumoins cinq jours avant la présentation de la requête, unétat sous serment de sa propre situation financière, àdéfaut de quoi, le requérant peut, à la discrétion du tribu-nal, procéder ex parte (art. 27 R.p.fam.(C.S.)).

En vue de l’audition d’une cause au fond, chaquepartie fait signifier à l’autre l’état de sa situation financière

au moins dix jours avant la date d’audition ou au momentfixé par celui qui préside la conférence préparatoire (art.30 R.p.fam.(C.S.)). Dans toute demande en séparation decorps, en nullité de mariage ou en divorce, la partie quiinscrit la cause doit communiquer et produire avec sadéclaration de mise au rôle soit une déclaration des partiesqu’elles ne sont pas assujetties aux règles du patrimoinefamilial, soit leur renonciation au partage, soit leur décla-ration que le partage n’est pas contesté, soit un état dupatrimoine familial selon le Formulaire IV. Si l’autrepartie conteste l’état, elle doit elle-même communiquer etproduire avec sa déclaration de mise au rôle, un état sousserment du patrimoine familial selon le Formulaire IV(art. 31 R.p.fam.(C.S.)).

Sous réserve de le produire ensemble (art. 825.11C.p.c.), le parent demandeur d’une pension alimentairepour son enfant doit faire signifier avec la demande le for-mulaire de fixation des pensions alimentaires pour enfantset les documents prescrits. Au moins cinq jours francsavant la présentation de la demande, le parent à qui celui-ci a été signifié doit, à son tour, faire signifier au deman-deur une copie du formulaire et des documents (art. 825.10C.p.c.). Aucune demande relative à l’obligation alimen-taire des parents à l’égard de leur enfant, ni aucunecontestation ne peut être entendue en l’absence de ceformulaire et des documents prescrits (art. 825.9 C.p.c.).

Cette divulgation préalable de la preuve en matièrefamiliale favorise les règlements hors cour ou, à défaut,une instruction éclairée et accélérée des questions enlitige.

Nous avons examiné l’administration en preuve desécrits. Pour terminer cette étude de la preuve écrite, noustraitons maintenant du cas de la contradiction d’un écritproduit en preuve, qui peut donner lieu à un débat interlo-cutoire provoqué par une objection.

G- La contradiction d’un écrit

L’article 2863 C.c.Q. énonce :

« Les parties à un acte juridique constaté par un écritne peuvent, par témoignage, le contredire ou enchanger les termes, à moins qu’il n’y ait un commen-cement de preuve. »

Cette disposition empêche que l’on puisse trop facile-ment administrer une preuve testimoniale à l’encontre

Qualités et moyens de preuve 239

218. F. BOUSQUET, op. cit., note 202, p. 61.

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d’un écrit rédigé en vue de préconstituer la preuve d’unacte juridique219.

1. La portée de la prohibition

En raison de son haut degré de fiabilité, l’écrit domineen matière de preuve. En forme authentique ou sous seingprivé, il est censé refléter l’expression délibérée de lavolonté du signataire. On ne peut ainsi se dédire, aprèscoup, par déclaration orale, en vue de répudier l’obligationcontractée, car autrement l’écrit n’aurait guère de valeuren soi.

La prohibition de l’article 2863 C.c.Q. s’appliqueen tout domaine, sans égard à la valeur du litige, sousréserve du contrat régi par la Loi sur la protection duconsommateur220; en vertu de l’article 263 de cette loi, leconsommateur peut par preuve testimoniale contredire ouchanger les termes d’un écrit, s’il exerce un droit prévupar cette loi, ou s’il veut prouver que la loi n’a pas étérespectée. De la même manière, en vertu de l’article 77de la Loi sur la Régie du logement221, une partie à un bailrésidentiel peut, par preuve testimoniale, contredire ouchanger les termes d’un écrit, lorsqu’elle veut prouver quecette loi n’a pas été respectée ou prouver que le loyereffectivement payé n’est pas celui qui apparaît au bail.

L’article 2863 C.c.Q. n’est pas d’ordre public, desorte qu’à défaut d’objection en vertu de l’article 2859C.c.Q. le témoignage, non autorisé par un commencementde preuve, pourrait par hypothèse contredire les termes del’écrit222, sous réserve toutefois de l’article 2821 C.c.Q.,qui prévoit la nécessité de l’inscription de faux pourcontredire les énonciations dans l’acte authentique desfaits que le notaire avait mission de constater; même enl’absence d’objection, le tribunal interviendra pour empê-cher la contravention à cette règle. L’article 2859 C.c.Q.ne s’applique pas à l’article 2821 C.c.Q.223.

L’article 2863 C.c.Q. vise l’écrit instrumentaire, quiconstate donc un acte juridique, tel un contrat. Les écritspurs et simples et les papiers domestiques (art. 2832 et

2833 C.c.Q.) ne sont pas assujettis à cette prohibition puis-qu’ils ne constatent pas un acte juridique; ils peuvent êtrecontredits par tous moyens, dont le témoignage (art. 2836C.c.Q.). Ainsi, les administrateurs d’une personne moralepeuvent contredire par preuve testimoniale le texte desrésolutions et des procès-verbaux du conseil d’adminis-tration, qui sont des papiers domestiques224. Un certificatde fin des travaux, qui n’est pas un écrit instrumentaire,peut être contredit par preuve testimoniale225. Le mêmerégime de contestation s’applique à l’écrit visé par l’arti-cle 2831 C.c.Q.

L’article 2863 C.c.Q. ne s’applique qu’à l’égard desparties à l’acte juridique constaté par écrit, mais non àl’égard des tiers, même parties à l’instance226.

Cette prohibition ne vaut qu’à l’égard d’un écritqui constate un acte juridique dont la validité n’est pasattaquée. On présume que l’écrit valablement fait repro-duit fidèlement un acte juridique valide227. De même,la prohibition ne s’applique qu’à l’égard d’un écrit noncontesté, soit par inscription de faux (art. 2821 C.c.Q.),soit par un acte de procédure assorti d’un affidavit (art.2828 C.c.Q. et art. 89 C.p.c.). L’écrit valide assure qu’il aété formellement rédigé et signé.

L’article 2863 C.c.Q. prohibe la preuve testimonialequi tenterait d’établir un contrat différent de celui constatédans l’écrit instrumentaire.

Le témoignage ne peut avoir comme effet d’ajouterune condition non mentionnée dans un acte dont les ter-mes sont clairs228, dans la mesure où ce contrat est completet non ambigu229.

Exemples :

• Le défendeur s’engage solidairement à titre de cau-tion de la débitrice principale. Au procès, il prétendque le cautionnement a été donné en considérationde l’émission d’actions à son nom dans le capital-actions de la débitrice, et que cette considérationne s’est pas réalisée, d’où l’extinction du caution-

240 Preuve devant le tribunal civil

219. Richer c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d’assurances sur la vie, [1987] R.J.Q. 1703 (C.A.), EYB 1987-64840.220. L.R.Q., c. P-40.1.221. L.R.Q., c. R-8.1.222. McCallum c. Babineau, [1956] B.R. 774; In re Gérard Nolin Ltée: Banque Canadienne Nationale c. Bellavance, précité, note 15; Acme Awning Co. Ltd. c.

173712 Canada Inc. (Tir-O-Golf), [1995] R.L. 451 (C.S.), REJB 1994-28584; Blain c. Tawfik, J.E. 96-379 (C.A.), EYB 1996-95835.223. Himbeault et al. c. Civic Construction Inc. et al., REJB 2001-23515 (C.A.).224. Laramée c. Poly-Actions, précité, note 79.225. Blanchet c. Simard, [1997] R.R.A. 35 (C.A.), REJB 1997-00097.226. Moreau c. Landry, [1961] C.S. 337.227. Gosselin c. Gestion J.J. Couture Inc., J.E. 85-802 (C.P.).228. Tracy c. Vien, J.E. 91-1593 (C.A.), EYB 1991-57814; Robillard c. Lacaille, [1993] R.D.J. 284 (C.A.), EYB 1992-56911; Tanguay c. Magasins Korvette

Ltée, J.E. 98-837 (C.A.), REJB 1998-05480.229. Hamas Gestion Inc. c. 2973-3722 Québec Inc., REJB 2000-18473 (C.A.).

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nement. La Cour d’appel conclut que cettecondition vise à changer les termes du contrat écritet confirme le maintien de l’objection à la preuvetestimoniale de ce fait230.

• Un contrat de vente d’une structure de bois des-tinée à un projet de construction est accompagnéd’une reconnaissance de dette d’un montant iden-tique à celui du prix de vente, dont le vendeurréclame paiement. Le débiteur signataire prétendque la validité des deux écrits est conditionnelleà ce qu’il obtienne le financement nécessaire àl’exécution du projet de construction. La Courd’appel confirme l’irrecevabilité de cette preuvetestimoniale; la preuve que les écrits ont étéconsentis à une condition non écrite équivaut à enchanger les termes et à établir une modificationsubstantielle de leur portée231.

De même, est prohibée la preuve testimoniale d’unevente révocable, alors qu’elle est mentionnée à l’actecomme étant pure et simple232. Autre exemple : une partiesignataire d’un acte de vente d’un véhicule ne peut contre-dire l’acte par preuve testimoniale pour tenter d’établirqu’il s’agissait plutôt d’une vente à l’essai233.

Est prohibée la preuve testimoniale d’une date autreque celle inscrite à l’acte234.

Lorsque la validité de l’acte juridique constaté parl’écrit instrumentaire n’a pas été attaquée, les parties nepeuvent donc, en principe, en contredire ou en changer lestermes par témoignage. La teneur de cet écrit ne peut êtrealtérée par la preuve testimoniale, puisqu’il fait preuve deson contenu, soit de l’acte juridique qu’il renferme et desdéclarations des parties qui s’y rapportent directement(art. 2819 et 2829 C.c.Q.).

Le juge peut permettre la preuve testimoniale sousréserve de l’objection et en disposer dans son jugementfinal235.

2. Le témoignage admis

Sous réserve de la prohibition somme toute limitée del’article 2863 C.c.Q., la preuve testimoniale est recevabledans les cas suivants à l’égard d’un acte juridique constatépar un écrit.

a) Le commencement de preuve

À la lumière de l’article 2863 C.c.Q., les parties à unacte juridique constaté par écrit peuvent, par témoignage,le contredire ou en changer les termes s’il y a un commen-cement de preuve.

Nous traiterons plus loin du commencement depreuve.

b) Les cas de l’article 2864 C.c.Q.

À l’article 2864 C.c.Q., le législateur prévoit trois casoù ne s’applique pas la prohibition de l’article 2863 C.c.Q.Dans ces trois cas, la preuve testimoniale est recevablemême lorsqu’elle n’est pas autorisée par un commence-ment de preuve.

1) L’interprétation de l’écrit

La preuve testimoniale est recevable pour interpréterun écrit lorsque les termes n’en sont pas clairs. Le témoi-gnage est donc prohibé lorsque les clauses d’un contratsont claires, puisqu’il n’y a pas matière alors à interpréta-tion236.

Le témoignage est recevable pour interpréter les ter-mes ambigus ou flous de l’écrit237, pour expliquer lescirconstances en entourant la confection238, pour complé-ter un écrit et en permettre l’interprétation239, pour prouverles circonstances dans lesquelles un contrat ambigu a étéconclu ainsi que l’intention réelle des parties240.

Qualités et moyens de preuve 241

230. Bolduc c. The Builders Warehouse Inc., [1990] R.D.J. 53 (C.A.), EYB 1990-57290.231. Robillard c. Lacaille, précité, note 228.232. Canadian Family Food Plant Limited c. Legault, [1958] C.S. 278.233. Lévisienne Orléans (La), Société mutuelle d’assurances c. Blanchet, [1996] R.D.J. 69 (C.A.), EYB 1995-57710.234. Héritiers Descôteaux c. Gamache, [1958] B.R. 273.235. Richer c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d’assurances sur la vie, précité, note 219, p. 1704, j. Monet pour la cour.236. Nadeau c. Rousseau, REJB 2003-40239 (C.S.).237. Société Immobilière Innovatrice de la Rive-Sud Inc. c. Trust Général Inc., [1987] R.D.J. 220 (C.A.); Richer c. Mutuelle du Canada (La), compagnie

d’assurances sur la vie, précité, note 219.238. Quincaillerie Laberge Inc. c. Tremblay, [1971] C.S. 420.239. Transports Provost Inc. c. Boily, [1988] R.R.A. 585 (C.S.).240. Roy c. Géométra Inc., J.E. 90-647 (C.A.), EYB 1990-57302;Confédération (La), Compagnie d’assurance-vie c. Lacroix, [1996] R.R.A. 930 (C.A.), REJB

1996-29279.

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Le témoignage est également recevable pour expli-quer les choix qui ont mené à la conception de travauxdécrits dans des plans et devis autorisés par un règle-ment et des résolutions d’une ville241 ou pour permettrela preuve d’une condition non écrite, sans laquelle laconvention serait un non-sens d’un point de vue finan-cier242. Le témoignage sera également recevable pourdécouvrir l’objet d’une transaction contenue dans unequittance lorsque cette preuve permet d’indiquer si cettedernière constitue une fin de non-recevoir à l’action243.

L’examen de la conduite des parties en relation avecle contrat, dans leurs négociations, et de leur attitude aprèssa conclusion, peut en faciliter l’interprétation244.

Exemples :

• Un bail emphytéotique prévoit un loyer addition-nel correspondant à un pourcentage des revenusbruts du locataire en excédent d’un seuil pécu-niaire. La Cour d’appel décide d’écarter l’appli-cation littérale de la clause litigieuse qui paraît êtrele résultat d’une erreur manifeste et contraire àl’intention commune certaine des parties, et del’interpréter en recherchant leur intention, puis-qu’elle contient en elle-même une ambiguïtélatente, à l’égard de la portée des mots « revenusbruts ». En effet, pendant les six premières annéesdu bail, le bailleur n’a pas réclamé le paiementde certaines sommes qu’il réclame maintenantcomme faisant partie des revenus bruts. Cetteconduite, juge la Cour d’appel, contredit la portéeque le bailleur veut maintenant conférer à cetteclause et signifie que les parties n’ont jamais eul’intention commune d’inclure les sommes enlitige parmi les revenus bruts. Leur comportementultérieur est de nature à manifester leur intentioncommune, soit le partage des profits au-delà duseuil fixé. La cour décide que cette conduite cons-tante de la partie réclamante vide la clauselitigieuse des effets qu’elle tente maintenantd’attribuer aux termes généraux de celle-ci245.

• Une servitude consentie en 1920 est-elle réelle oupersonnelle? La Cour d’appel juge qu’il n’y a paslieu de scruter le sens littéral des termes desconventions, mais d’interpréter plutôt le sensqu’ont voulu leur donner à l’époque les partiessignataires, à l’aide de leur conduite postérieure etdes circonstances dans lesquelles les écrits ontété rédigés. Au soutien de la conclusion de l’éta-blissement d’une servitude réelle, la Cour d’appelretient quatre éléments d’appréciation pour déter-miner l’intention des contractants en 1920 quant àla nature de la servitude qu’ils ont voulu créer, soitla situation des lieux, le but recherché, l’utilisationultérieure de l’assiette du fonds servant et un actequi peut être considéré comme confirmatif de l’in-tention du propriétaire du fonds servant246.

Le tribunal, sans contrevenir à l’article 2863 C.c.Q.,peut recourir aux règles d’interprétation du contrat énon-cées aux articles 1425 à 1432 C.c.Q.

Le second cas prévu à l’article 2864 C.c.Q. visel’ajout à un écrit.

2) Le complément à l’écrit

La preuve par témoignage est admise lorsqu’il s’agitde compléter un écrit manifestement incomplet247.

Exemple :

Un avenant dans une police d’assurance-automobilene mentionne aucune limite de garantie à l’égard de laresponsabilité civile. Le tribunal autorise la preuvetestimoniale pour ajouter une limite pécuniaire à cetavenant incomplet248.

Ainsi, lorsque, dans un contrat de vente d’une auto-mobile, la date de livraison est laissée en blanc, letémoignage peut en établir celle promise par le vendeur249.Une partie peut prouver par preuve testimoniale la date designature de cautions, non mentionnée dans un acte deprêt notarié250.

242 Preuve devant le tribunal civil

241. Lac-St-Charles (Ville) c. Construction Choinière Inc., REJB 2000-18871 (C.A.).242. Hamas Gestion Inc. c. 2973-3722 Québec Inc., précité, note 229.243. Entreprises de navigation de l’île Inc. c. Industries Samson Inc., J.E. 89-1196 (C.A.), EYB 1989-59439.244. Gale c. Fillion, [1993] R.L. 216 (C.A.), EYB 1992-64017.245. Richer c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d’assurances sur la vie, précité, note 219.246. Gale c. Fillion, précité, note 244.247. Christopoulos c. Restaurant Mazurka Inc., [1998] R.R.A. 334 (C.A.), REJB 1998-05385.248. Transports Provost Inc. c. Boily, précité, note 239.249. MemphréMagog Auto Inc. c. Beloin, [1968] C.S. 241.250. Prévost c. 132335 Canada Ltée, J.E. 89-239 (C.A.), EYB 1988-58201.

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Le troisième cas prévu à l’article 2864 C.c.Q. visel’écrit qui constate un acte juridique dont la validité estattaquée.

3) L’invalidité alléguée de l’acte juridique

La preuve par témoignage est admise lorsqu’il s’agitd’attaquer la validité de l’acte juridique que constatel’écrit, qui se distingue de l’authenticité de l’écrit qui leconstate. Cette situation diffère donc de celle où une partieattaquerait le contenu même de l’écrit, soit par inscriptionde faux en matière d’acte authentique (art. 2821 C.c.Q.) oupar contestation assortie d’un affidavit en matière d’écritsous seing privé (art. 2828 C.c.Q. et art. 89 C.p.c.).

Suivant l’article 1416 C.c.Q., « Tout contrat qui n’estpas conforme aux conditions nécessaires à sa formationpeut être frappé de nullité. » L’article 1385 C.c.Q. traitedes conditions de formation du contrat, dont le consente-ment, qui peut être vicié par l’erreur, la crainte ou la lésion(art. 1399 C.c.Q.).

Ainsi, la preuve par témoignage est recevable pourprouver la nullité de l’acte juridique constaté par écrit251,notamment pour cause d’erreur252, dont celle provoquéepar le dol253, consistant par exemple en de fausses repré-sentations pour l’obtention d’un cautionnement254.

L’acte de procédure doit alléguer la cause d’invaliditéde l’acte juridique, tel le vice de consentement255. Lapreuve de l’erreur subjective nécessite toutefois en prin-cipe corroboration256.

La cause d’invalidité d’un contrat est un fait qui seprouve par tous moyens, dont le témoignage (art. 2857C.c.Q.).

Une partie peut prouver par témoin qu’un écrit estsujet à une condition dont l’inaccomplissement influencel’existence même du contrat, par exemple à cause del’absence de contrepartie257.

Même s’il s’agit d’un acte notarié, la preuve testimo-niale sera admise pour en préciser des termes ambigus,pour le compléter, sans tentative de modification, afind’établir qu’une erreur vicie l’acte258, ou pour établirqu’une partie à l’acte s’est méprise sur le sens à donnerà une clause259.

En matière d’assurance terrestre, l’article 2413 C.c.Q.énonce : « Lorsque les déclarations contenues dans laproposition d’assurance y ont été inscrites ou suggéréespar le représentant de l’assureur ou par tout courtier d’as-surance, la preuve testimoniale est admise pour démontrerqu’elles ne correspondent pas à ce qui a été effectivementdéclaré. » Le témoignage peut expliquer les circonstancesdes mentions contenues dans une proposition d’assu-rance260.

La preuve par témoignage est permise lorsqu’unepartie signataire de l’écrit soulève la nullité absolue ourelative de l’acte juridique qu’il constate.

La preuve testimoniale est recevable en cas de fraudeà la loi. L’article 41.3 de la Loi d’interprétation261 énonce :« Les lois prohibitives emportent nullité quoiqu’elle n’ysoit pas prononcée », et l’article 41.4 de cette loi énonce :« On ne peut déroger par des conventions particulières auxlois qui intéressent l’ordre public. » Dans ce cas, le contratest nul, de nullité absolue (art. 1417 et 1418 C.c.Q.).La simulation se prouve par témoin lorsqu’elle tente decontrevenir à l’ordre public.

L’article 263 de la Loi sur la protection du consom-mateur262 énonce : « Malgré l’article 2863 du Code civil,le consommateur peut, s’il exerce un droit prévu par la pré-sente loi ou s’il veut prouver que la présente loi n’a pasété respectée, administrer une preuve testimoniale, mêmepour contredire ou changer les termes d’un écrit. »

L’article 77 de la Loi sur la Régie du logement263

énonce : « Une partie peut administrer une preuve testimo-niale : 1o même pour contredire ou changer les termes d’un

Qualités et moyens de preuve 243

251. Périard c. Paiement, précité, note 103.252. In re Rioux: Leblond, Buzzetti et Associés Ltée c. Banque Nationale du Canada, [1987] R.D.J. 148 (C.A.), EYB 1987-62639.253. Duguet c. Benzaken, [1992] R.D.J. 97 (C.A.), EYB 1991-58732.254. Rawleigh c. Dumoulin, [1926] R.C.S. 551.255. Arkon Safety Equipement Inc. c. Denco Canada Dental (1980) Inc., J.E. 91-571 (C.A.), EYB 1991-57828.256. Faubert c. Poirier, précité, note 34; Dubeau c. Technisol, précité, note 34.257. Corporation de Placements Renaud c. Charron, [1983] R.D.J. 295 (C.A.); Madill c. Héli Voyageur Ltée, [1975] C.S. 1191; Banque Nationale du Canada

c. Automobile Renault Canada Ltée, J.E. 89-139 (C.A.), EYB 1988-57068.258. Longpré c. Trottier, [1990] R.D.I. 790 (C.S.).259. Tsui et al. c. Tang, précité, note 113.260. Lévesque c. La Fédération Compagnie d’Assurances du Canada, [1990] R.R.A. 737 (C.A.), EYB 1990-57061.261. L.R.Q., c. I-16.262. Précitée, note 220.263. Précitée, note 221.

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écrit, lorsqu’elle veut prouver que la présente loi n’a pasété respectée; 2o si elle veut prouver que le loyer effective-ment payé n’est pas celui qui apparaît au bail; 3o si elleveut interpréter ou compléter un écrit. »

La preuve testimoniale pour prouver un fait matérielcomme l’erreur est aussi recevable, même si le remèderecherché n’est pas la nullité du contrat, mais plutôt la cor-rection d’une erreur matérielle dans la rédaction de l’écriten vue de faire ressortir la véritable intention des par-ties264.

La prohibition de l’article 2863 C.c.Q. ne s’étend pasà la preuve d’une modification de la situation juridique desparties.

4) Les autres actes juridiques

L’article 2863 C.c.Q. ne défend pas de prouver outreles termes de l’écrit, en ce qu’il ne prohibe pas la preuved’actes juridiques survenus antérieurement, concurrem-ment ou postérieurement à celui constaté dans l’écrit enquestion. Sous réserve de l’admissibilité de la preuvetestimoniale, on pourrait donc établir une conventionantérieure ou postérieure ou bien compléter l’écrit pourpallier l’absence de mention d’un élément, commel’autorise l’article 2864 C.c.Q., selon ce que nous avons vuci-dessus; ainsi, si le montant n’y est pas mentionné, ilpourrait être établi par témoin, pour autant que la preuvetestimoniale soit alors recevable et crédible, par exempleavec l’aide éventuelle d’un commencement de preuve(art. 2862 C.c.Q.).

La preuve testimoniale d’une convention verbale dis-tincte d’un acte juridique constaté par écrit est permise,sans que cela contrevienne à la règle posée par l’article2863265. L’auteur d’une entente préalable à un contrat fai-sant l’objet du litige peut être interrogé sur la significationdu contenu de cette entente, surtout lorsque sa productiona déjà été autorisée; cette preuve testimoniale ne vise pas àmodifier les termes de l’écrit, mais plutôt à déterminer lesens que les parties ont donné à des expressions utilisées

dans le but d’arrêter les conditions du contrat266. Nousavons vu que l’article 2864 C.c.Q. autorise la preuve partémoignage pour interpréter un contrat. Est recevable enpreuve un contrat antérieur qui explique l’utilisation d’unterme dans un autre contrat, en référence à une situationpréexistante267.

La preuve d’une convention concomitante est auto-risée dans certains cas par la jurisprudence268. La preuvetestimoniale d’une convention distincte de prête-nom estvalable269, pour autant qu’une telle preuve soit en elle-même recevable270.

La situation juridique des parties peut être modifiéedans le temps, à la lumière de certains événements. Pourprendre un exemple très simple, le contrat d’achat d’unimmeuble par le locataire occupant ne contredit pas lestermes du bail signé une année auparavant. Par contre, pré-tendre par témoignage non autorisé par commencement depreuve que ce bail à la date de sa signature était plutôt uncontrat d’achat contreviendrait certes à la prohibition del’article 2863 C.c.Q. Il est permis de prouver par témoin,lorsque la preuve testimoniale est recevable, l’existenced’un nouveau lien juridique ou de modifications à un con-trat, sans pour autant contredire ou changer les termesd’un écrit, notamment pour établir qu’un contrat « fut,en regard de l’évolution de la situation, subséquemmentmodifié »271.

La preuve du mode d’exécution d’une obligation necontrevient pas à l’article 2863 C.c.Q.272. Cependant, enmatière de contrat d’entreprise ou de service, l’article2109 C.c.Q. énonce :

« Lorsque le contrat est à forfait, le client doit payer leprix convenu et il ne peut prétendre à une diminutiondu prix en faisant valoir que l’ouvrage ou le service aexigé moins de travail ou a coûté moins cher qu’iln’avait été prévu.

Pareillement, l’entrepreneur ou le prestataire de servi-ces ne peut prétendre à une augmentation du prix pourun motif contraire.

244 Preuve devant le tribunal civil

264. Boisvert Pontiac Buick Ltée c. Rousson-Whissel, J.E. 92-669 (C.Q.), EYB 1992-75295.265. Provincial Hardwoods Inc. c. Morin, [1966] R.C.S. 58.266. Société Paquette, Rocheleau, Dion, Grenier & Associés c. Grenier, [1991] R.D.J. 43 (C.A.), EYB 1990-56015.267. Roy c. Banque de Montréal, J.E. 95-33 (C.A.), EYB 1994-55914.268. Lachance c. Petit, (1910) 53 C.S. 368; Royal Guardians c. Nielson, [1959] C.S. 316.269. Larouche c. Béliveau, [1983] R.D.J. 213 (C.A.); Iarrera c. Iarrera, [1987] R.D.J. 223 (C.A.), EYB 1987-62605.270. In re Rioux: Leblond, Buzzetti et Associés Limitée c. Banque Nationale du Canada, précité, note 252, EYB 1991-56972; Dubeau c. Technisol, précité, note

34, EYB 1991-63740; Banque Nationale du Canada c. Lemieux, [1991] R.D.J. 342 (C.A.), EYB 1991-56972; Dolard Lussier Ltée c. Hamelin, [1992]R.D.J. 228 (C.A.); Paul c. 2434-4285 Québec Inc., J.E. 96-1825 (C.A.).

271. Valuex Inc. c. Richmond Transport Inc., [1980] R.P. 237, 240 (C.A.).272. Dolard Lussier Ltée c. Hamelin et Associés, précité, note 270.

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Le prix forfaitaire reste le même, bien que des modifi-cations aient été apportées aux conditions d’exécutioninitialement prévues, à moins que les parties n’enaient convenu autrement. »

Dans ce cas, les parties devront établir la preuve d’uncontrat qui modifie le contrat à forfait.

La prohibition de l’article 2863 C.c.Q. ne s’appliquequ’aux parties à l’acte juridique constaté par écrit.

5) Les tiers

En principe, suivant l’article 1440 C.c.Q., « Le contratn’a d’effet qu’entre les parties contractantes; il n’en apoint quant aux tiers, excepté dans les cas prévus par laloi. » Les tiers à l’acte juridique ne peuvent répudierune obligation qui leur est étrangère. Dans cette optique,l’article 2863 C.c.Q., de par sa formulation même, ne viseque les parties à un écrit, de sorte que les tiers peuvent, parpreuve testimoniale, contredire ou changer les termes d’unécrit273. L’écrit, constatant un acte juridique entre les par-ties, vaut comme fait matériel à l’égard des tiers (art. 2857C.c.Q.). Les tiers, par définition, n’ont pas participé à laconfection de l’écrit, de sorte qu’il leur est impossible dese dédire. Ainsi, un tiers peut prouver par tous moyens lasimulation d’un acte274.

La prohibition prévue à l’article 2863 C.c.Q. nes’applique qu’à la preuve testimoniale.

3. Les autres moyens de preuve

Les autres moyens de preuve, soit l’aveu, un autreécrit ou des présomptions de fait, peuvent contredire unécrit ou en changer les termes.

a) L’aveu

L’écrit peut être contredit par l’aveu de la partieadverse signataire275. Un écrit non instrumentaire peutcontenir l’aveu d’un contrat verbal qui contredit un contrat

écrit antérieur276. L’aveu doit être complet et précis277. Unaveu incomplet, de la nature d’un commencement depreuve, pourrait donner ouverture à la preuve testimonialequ’autorise dans ce cas l’article 2863 C.c.Q. pour contre-dire ou changer les termes de l’écrit. S’il s’agit d’un aveuextrajudiciaire, il doit être écrit (art. 2867 C.c.Q.). L’aveune peut toutefois contredire les énonciations dans l’acteauthentique des faits que l’officier public avait mission deconstater, l’inscription de faux étant nécessaire à cette fin,comme nous l’avons déjà vu (art. 2821 C.c.Q.).

b) L’écrit

Un écrit peut contredire un autre écrit, sans contra-vention à la règle posée par l’article 2863 C.c.Q. Unecontre-lettre peut contredire l’écrit officiel. L’article1451, al. 1 C.c.Q. énonce : « Il y a simulation lorsque lesparties conviennent d’exprimer leur volonté réelle nonpoint dans un contrat apparent, mais dans un contratsecret, aussi appelé contre-lettre. » La simulation existequand les apparences ne représentent pas la réalité. Lacontre-lettre qui prévoit une convention différente de celleconstatée dans l’écrit apparent est recevable entre les par-ties pour en contredire les termes278. « Entre les parties, lacontre-lettre l’emporte sur le contrat apparent », ajoutel’article 1451, al. 2 C.c.Q. La simulation sous formede contre-lettre est inopposable aux tiers279, quoiqu’ellepuisse être invoquée par ces derniers en leur faveur280.L’article 1452 C.c.Q. énonce à cet effet : « Les tiers debonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du con-trat apparent ou de la contre-lettre, mais s’il survient entreeux un conflit d’intérêts, celui qui se prévaut du contratapparent est préféré. » Les héritiers ne sont pas des tiers281.Un contrat simulé est inopposable à un tiers qui en souffrepréjudice282. Cependant, une contre-lettre non frauduleusepeut être opposée par le débiteur au syndic de faillite283. Ilne faut pas confondre les règles de preuve prévalant enmatière d’actes simulés avec celles relatives à la preuve duprête-nom. Dans le premier cas, c’est l’existence même ducontrat qui est niée, alors que, dans le second, on invoqueune autre convention antérieure ou contemporaine àl’acte; seul un écrit ou l’aveu de la partie adverse peut con-tredire l’écrit et établir l’acte simulé284.

Qualités et moyens de preuve 245

273. Salomon et al. c. Pierre-Louis, REJB 2001-27406 (C.A.).274. Masseroli c. Galoppi, [1979] C.A. 18; voir les articles 1451 et 1452 C.c.Q.275. Société Immobilière Innovatrice de la Rive-Sud Inc. c. Trust Général Inc., précité, note 237; Robillard c. Lacaille, précité, note 228.276. Société mutuelle d’assurances générales Val St-François c. Paquet, précité, note 156.277. Boulard c. Commercial Acceptance Corporation, [1972] C.A. 597.278. Ruelland c. Pakenham, [1976] R.P. 234 (C.A.).279. Ami (L’) du consommateur M.L. Inc. (syndic de), [1990] R.D.J. 302 (C.A.), EYB 1990-57496.280. Traders Finance Co. Ltd. c. Landry, [1958] B.R. 120; Habitations Chez moi Inc. (Syndic de), J.E. 94-1820 (C.S.), EYB 1994-73522.281. Ducharme c. Duchesneau (Succession de), J.E. 97-834 (C.Q.), REJB 1997-02979.282. Construction Acibec (1980) Ltée c. Résidence Marro Inc., [1995 ] R.D.I. 16 (C.A.), EYB 1994-56042.283. Pogany (Syndic de), [1997] R.J.Q. 1693 (C.S.), REJB 1997-00629.284. Renda c. Biagio-Gulino, J.E. 95-214 (C.S.), REJB 1994-28975.

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La preuve d’une simulation illicite, tel un paiement« sous la table » ou « au noir », peut être établie par témoi-gnage285.

Les écrits préliminaires qui ont servi d’ébauche à uncontrat ne peuvent toutefois le contredire. Ces écrits pour-raient cependant être introduits en preuve pour établir uneconvention accessoire non constatée dans l’écrit définitifou l’interpréter si nécessaire, à la lumière notamment del’article 2864 C.c.Q. « Même s’il est reconnu qu’un con-trat postérieur à des ententes écrites contient en principetoute l’entente entre les parties, il peut arriver que le con-trat complet entre les parties immédiates se trouve à la foisdans l’acte postérieur et dans les conventions antérieu-res. »286

La Cour d’appel s’est penchée sur le type de clausequ’on trouve fréquemment dans un contrat, selon laquelle« ce contrat comprend tous les termes et conditions, etexclut toutes expressions, représentations, promesses ougaranties autres que celles indiquées dans le présent con-trat [...] »; elle juge qu’une telle clause lie les parties et apour effet d’exclure la preuve de toute négociation, repré-sentation ou autre élément antérieur à la signature ducontrat écrit, et exclut, mais seulement prima facie, toutepreuve visant à ajouter aux termes du contrat. Cependant,cette clause n’empêche pas la preuve d’engagement sub-séquent au contrat écrit287.

En matière d’assurance terrestre, « En cas de diver-gence entre la police et la proposition, cette dernière faitfoi du contrat, à moins que l’assureur n’ait, dans un docu-ment séparé, indiqué par écrit au preneur les éléments surlesquels il y a divergence », énonce l’article 2400, al. 2C.c.Q.

c) La présomption

La preuve par présomption est un moyen universel depreuve qui, en principe, s’applique à toutes matières. Unepartie, par ses faits et gestes, peut modifier la portée d’unécrit.

Exemple : L’intimé vend à l’appelant ses intérêtsdans un bureau d’expertise où tous deux sont expertsen sinistres et actionnaires. La convention, stipulant quel’intimé s’interdit d’agir comme expert en sinistres pen-

dant dix ans dans un territoire délimité, est assortie d’uneclause pénale d’un montant de 25 000 $ payable en casde violation de cet engagement. L’acheteur réclamel’exécution de cette clause pénale, invoquant violation àplusieurs reprises de cette stipulation de non-concurrencepar l’intimé, qui aurait continué à accomplir le même tra-vail qu’auparavant.

La Cour supérieure en vient à la conclusion que, mal-gré le contrat, les parties ont continué de collaborer uneavec l’autre parce qu’il était dans leur intérêt commun dele faire et de ne pas se considérer comme des concurrentsirréductibles; les infractions reprochées au vendeur n’ontpas été prises au sérieux par l’acheteur, qui les a toléréesou entérinées. La Cour d’appel, compte tenu des accom-modements consentis par l’appelant-acheteur quand il yvoyait un avantage, déclare qu’il n’est pas déraisonnabled’en inférer qu’il a renoncé pour la période où ces inci-dents se sont produits à se prévaloir de la clause pénale. LaCour suprême, rejetant le pourvoi de l’acheteur, conclutqu’on ne peut retenir sa prétention que la Cour supérieureet la Cour d’appel auraient écarté la prohibition de témoi-gnage (maintenant reproduite à l’article 2863 C.c.Q.) enpermettant que l’on contredise un écrit par une preuvetestimoniale, puisqu’il s’agissait seulement d’établir uneentente tacite subséquente au contrat écrit et s’inférantdu comportement des parties288.

Il ne s’agit donc pas ici comme tel de la contradic-tion d’un écrit, puisque les parties n’en contestent pas lecontenu et la portée au moment de sa formation; il s’agitplutôt de la preuve d’une convention postérieure à l’écritqui a écarté la clause de non-concurrence, soit d’unemodification subséquente non prohibée par l’article 2863C.c.Q.

En vue de contredire les termes mêmes de l’écrit, lapreuve par présomption doit cependant être recevable, ence que, si la preuve directe d’un fait requiert un écrit, lapreuve par présomption doit aussi être établie par écrit.

Dans l’affaire Matte c. Matte289, le juge Owen, de laCour d’appel, s’exprime de la façon suivante :

« If a party wishes to prove a fact from which theCourt will be asked to draw a presumption in a casewhich requires proof by writing then such a fact must,in my opinion, be proved by writing, i.e. the indirect

246 Preuve devant le tribunal civil

285. Mainguy Pièces d’Autos Inc. c. Métaux G.G. Inc., J.E. 93-1072 (C.Q.), EYB 1993-74553.286. Robichaud c. Glenfield, [1987] R.D.J. 426 (C.A.), EYB 1987-58486.287. Paquin c. 2971-1181 Québec Inc., REJB 2000-20319 (C.A.); voir aussi 9069-7384 Québec Inc. et al. c. Le Superclub Vidéotron Ltée, REJB 2004-53205

(C.S).288. Trudeau c. Cochrane, [1977] 2 R.C.S. 55.289. [1962] B.R. 521.

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or circumstantial evidence must be in writing. Itis only in cases where direct proof may be made bytestimony that circumstantial, indirect or presumptiveevidence can be made by means of testimony. »(p. 529).

La Cour d’appel a entériné cette théorie dans lesarrêts Borduas c. Ouimet, Malky c. Gauthier et Dugas c.Pepper290. Elle y décide que si la preuve directe doit êtrefaite par écrit, la preuve indirecte d’un fait dont le tribunaldevra tirer une présomption doit aussi être faite par écrit.Des présomptions non constitutives d’un commencementde preuve, parce que n’émanant pas de la partie adverse,ne rendent pas recevable la preuve testimoniale pour con-tredire ou changer les termes de l’écrit291.

Lorsque la preuve d’un fait ne requiert pas un écrit,le témoignage est recevable pour valoir comme sourcede présomption de faits, comme nous l’avons déjà vu auchapitre premier. Ces présomptions de faits sont laisséesà l’appréciation du tribunal selon l’article 2849 C.c.Q.

d) L’élément matériel

L’article 2868 C.c.Q. édicte que la preuve par élémentmatériel est admise conformément aux règles de recevabi-lité pour prouver le fait qu’il représente. En conséquence,la preuve par élément matériel ne sera pas recevable pourcontredire un acte juridique si cet élément matériel est, parexemple, l’enregistrement d’une conversation des partiesà un contrat, cette conversation contredisant en tout ou enpartie le contrat écrit.

L’élément matériel pourrait cependant être admis àtitre de commencement de preuve selon l’article 2865C.c.Q. Rappelons que le législateur n’édicte pas, à cetarticle, que l’élément matériel doive émaner de la partieadverse.

3- Le témoignage

Le témoignage occupe une place centrale dans toutprocès, car l’instruction d’une cause présuppose l’audi-tion de témoins – parties au litige, témoins ordinaires outémoins experts. Le plaideur vit d’interrogatoires horscour ou à l’audience devant le tribunal!

Quant à sa valeur probante, le témoignage peut valoircomme simple témoignage qui relate des faits, peut consti-tuer un aveu ou un commencement de preuve s’il émanede la partie adverse ou peut former une présomption defaits suivant son contenu.

A- La notion

L’article 2843 C.c.Q. définit le témoignage :

« Le témoignage est la déclaration par laquelle unepersonne relate les faits dont elle a eu personnelle-ment connaissance ou par laquelle un expert donneson avis.

Il doit, pour faire preuve, être contenu dans une dépo-sition faite à l’instance, sauf du consentement desparties ou dans les cas prévus par la loi. »

Au regard du contenu du témoignage, le témoindépose de faits dont il a eu personnellement connaissance;c’est le témoin de faits ou témoin ordinaire qui, par sesparoles, prouve des faits. Le témoin expert, qui peut aussirelater des faits dont il a eu connaissance, donne une opi-nion susceptible d’aider le tribunal dans une conclusion àtirer par jugement. Le témoin ordinaire ne peut fournir uneopinion scientifique. Au regard de l’administration decette preuve, le témoignage, pour établir les faits qu’ilexprime, doit en principe être fourni dans une dépositionfaite à l’instance où il doit servir.

Cette disposition prohibe, sous réserve d’exceptionsprévues, la preuve par ouï-dire, soit le témoignage parpersonne interposée. La preuve par ouï-dire consiste enl’introduction au dossier d’une déclaration extrajudiciaireverbale ou écrite, faite hors de l’instance, émanant d’unetierce personne, et ce, par le truchement d’un témoin oud’une pièce qui la relate, en l’absence de son auteur, pourétablir l’existence des faits qu’elle contient.

Dans l’esprit de la règle de la meilleure preuve, letémoin compétent relate des faits qu’il a personnellementvécus ou constatés. Le second alinéa de l’article 2843C.c.Q. autorise cependant la déposition faite hors del’instance, du consentement des parties ou dans les casprévus par la loi. Cette disposition s’accorde avec celle del’article 2869 C.c.Q. :

Qualités et moyens de preuve 247

290. Borduas c. Ouimet, [1988] R.D.J. 86, EYB 1987-58486; Malky c. Gauthier, [1978] C.A. 510; Dugas c. Pepper, [1973] C.A. 163.291. Dion c. Bergeron, J.E. 82-14 (C.S.).

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« La déclaration d’une personne qui ne témoigne pasà l’instance ou celle d’un témoin faite antérieure-ment à l’instance est admise à titre de témoignage siles parties y consentent; est aussi admise à titre detémoignage la déclaration qui respecte les exigencesprévues par le présent chapitre ou par la loi. »

Les parties peuvent consentir à la réception en preuved’une déclaration extrajudiciaire qui, autrement, cons-tituerait du ouï-dire. L’article 294.1 C.p.c. autorise laréception en preuve de déclarations écrites émanantd’une personne qui ne comparaît pas comme témoin.Suivant l’article 2870 C.c.Q., le tribunal peut aussi autori-ser l’introduction en preuve à titre de témoignage d’unedéclaration qui constitue du ouï-dire.

Sous réserve des tempéraments ou des exceptionsprévus par la loi ou moyennant l’accord des parties qui,par définition, font défaut d’invoquer un moyen d’irrece-vabilité à une preuve autrement illégale (art. 2859 C.c.Q.),le témoin doit déposer à l’instance, soit hors de cour(comme lors d’un interrogatoire préalable) ou à l’audiencedevant le tribunal.

B- La prohibition du ouï-dire

La preuve par ouï-dire est en principe interdite, sousréserve d’exceptions. Une personne ne peut témoigner parl’intermédiaire d’une autre ou d’un écrit; elle doit compa-raître comme témoin. Mais encore faut-il que ce soitvraiment du ouï-dire! Le témoin qui rapporte les parolesd’une autre personne ne contrevient pas nécessairementà la règle d’interdiction du ouï-dire. De même, cette prohi-bition s’assortit de certains assouplissements.

1. La notion

La preuve par ouï-dire consiste en l’introduction audossier d’une déclaration extrajudiciaire verbale ou écrited’une tierce personne par un témoin ou une pièce qui larelate, en l’absence de son auteur, pour établir l’existencedes faits qu’elle contient. C’est l’écho d’un témoignageextrajudiciaire rapporté par personne interposée.

« Il est bien établi en droit que la preuve d’une décla-ration faite à un témoin par une personne qui n’est paselle-même assignée comme témoin est une preuvepar ouï-dire, qui est irrecevable lorsqu’elle cherche à

établir la véracité de la déclaration; toutefois, cettepreuve n’est pas du ouï-dire et est donc recevablelorsqu’elle cherche à établir, non pas la véracité dela déclaration, mais simplement que celle-ci a étéfaite. »292

« Une déclaration extrajudiciaire qui est admise pourla véracité de son contenu est une preuve par ouï-dire.Une déclaration extrajudiciaire présentée tout simple-ment pour prouver que la déclaration a été faite n’estpas une preuve par ouï-dire et elle est admissible tantqu’elle a une certaine valeur probante. »293

Est donc irrecevable en preuve la déclaration d’untiers absent rapportée par un témoin pour établir la véracitédu contenu de cette déclaration. Par contre, est recevableen preuve la déclaration d’une tierce personne rapportéepar le témoin, pour établir uniquement l’existence de cettedéclaration. La recevabilité dépend alors du but ou de lapertinence de cette preuve.

L’article 2843 C.c.Q., qui définit le témoignage,contient la prohibition implicite du ouï-dire.

La déclaration par laquelle une personne relate desfaits dont elle n’a pas eu personnellement connaissancen’est donc pas un témoignage recevable et constitue duouï-dire. Prenons un exemple :

À la suite d’une collision de motoneiges en forêt,André, qui conduisait sa motoneige, intente uneaction contre Bernard, l’autre conducteur à quiClaude, maintenant insolvable, avait prêté sa moto-neige. Selon les allégations de la déclaration, ledemandeur André entend prouver que l’accident a étécausé par une défectuosité de l’autre motoneige, dontl’accélérateur avait tendance à se coincer, ce que ledéfendeur Bernard savait pour en avoir été prévenupar Denise, fille du propriétaire Claude, en présencede Martine. Au procès, le procureur du demandeurfait comparaître Martine comme témoin qui répond :« Denise nous a dit, à Bernard et à moi : Faites atten-tion, l’accélérateur est défectueux, il peut se coinceret il faut le faire vérifier prochainement. »

Ce témoignage constitue-t-il du ouï-dire? Dans lamesure où la demande entend prouver que cette déclara-tion a été faite, c’est-à-dire entend établir l’avertissementdonné au défendeur, le témoignage est recevable enpreuve, parce que pertinent à la responsabilité civile. Dans

248 Preuve devant le tribunal civil

292. R. c. O’Brien, [1978] 1 R.C.S. 591, 593, j. Dickson.293. R. c. Evans, [1993] 3 R.C.S. 653, 661, EYB 1993-66901, j. Sopinka pour la cour.

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la mesure où la demande cherche à établir par ce témoi-gnage la véracité du contenu de la déclaration rapportée,soit la défectuosité de la motoneige, cette preuve est irre-cevable; le demandeur devra établir par d’autres moyens,notamment par une preuve d’expertise, la défectuositéde l’accélérateur. Par ailleurs, le demandeur ne pourraittémoigner que son témoin expert lui a déclaré quel’accélérateur était défectueux, puisque ceci constitueraitun cas de ouï-dire flagrant. Il faudrait faire témoignerl’expert à ce sujet.

2. Le fondement

L’article 294, al. 1 C.p.c. énonce : « Sauf lorsqu’il estautrement prescrit, dans toute cause contestée, les témoinssont interrogés à l’audience, la partie adverse présenteou dûment appelée. » Suivant l’article 299, al. 1 C.p.c.,« Nul n’est admis à déposer, sous peine de nullité de sadéposition, s’il n’a fait le serment de dire la vérité. »

L’article 294 C.p.c. interdit notamment la preuvepar ouï-dire294. L’article 2843 C.c.Q. consacre cette prohi-bition du ouï-dire.

La preuve par ouï-dire est donc prohibée, parce que letémoin doit :

a) déposer à l’instance (art. 2843 C.c.Q. et art. 294C.p.c.);

b) témoigner sous serment (art. 299 C.p.c.);

c) surtout, pouvoir être contre-interrogé (art. 314C.p.c.).

Autrement, le « témoin » absent, c’est-à-dire l’auteurde la déclaration rapportée, témoigne par personne inter-posée, soit par la bouche du témoin entendu, hors de laprésence du juge, sans être assermenté et sans être assujettiau contre-interrogatoire.

« La raison de l’exclusion de la preuve par ouï-diretient essentiellement au caractère douteux inhérent àune déclaration extrajudiciaire qui a été faite sans quela partie adverse ait l’occasion d’en contre-interrogerl’auteur. »295

La preuve par ouï-dire prive essentiellement la partieadverse de son droit de vérifier en contre-interrogatoire ledegré de vérité du contenu des propos rapportés.

« Ainsi que j’en ai longuement discuté dans B. (K.G.),il existe principalement trois préoccupations concer-nant la fiabilité du ouï-dire; (i) il y a absence decontemporanéité du contre-interrogatoire; (ii) il y aabsence de serment et (iii) le juge des faits n’a pas lapossibilité d’observer l’auteur de la déclaration. »296

Il arrive que le témoin, dans l’ignorance de cette règle,rapporte spontanément durant sa déposition la déclarationverbale d’autrui; dans ce cas, l’avocat qui interroge letémoin l’interrompt de façon courtoise et lui demande des’en tenir aux faits qu’il a personnellement constatés.

3. Les illustrations

La jurisprudence fournit des cas de tentative depreuve par ouï-dire qui ont été refusés.

a) Les écrits

Le témoignage écrit est en principe prohibé.

Une partie ne peut, de plein droit, produire au dossierla version écrite, même donnée sous serment, d’une per-sonne, dans les cas où l’affidavit détaillé n’est pas permis.Ainsi, l’article 403 C.p.c. exclut l’écrit qui tend à intro-duire une preuve de ouï-dire297, telle la version écrite d’untémoin recueillie par un expert en sinistres.

À défaut du consentement de la partie adverse oud’autorisation du tribunal suivant les articles 2869 et 2870C.c.Q. ou l’article 294.1 C.p.c., les écrits rapportant desfaits constituent des cas de ouï-dire et sont inadmissiblesen preuve.

Le ouï-dire écrit est prohibé au même titre que le ouï-dire verbal.

b) Les paroles

À défaut du consentement de la partie adverse ou del’autorisation du tribunal suivant les articles 2869 et 2870

Qualités et moyens de preuve 249

294. Royal Victoria Hospital c. Morrow, [1994] R.C.S. 501, 506, j. Pigeon.295. R. c. Streu, [1989] 1 R.C.S. 1521, 1529, EYB 1989-66919, j. Sopinka.296. R. c. U. (F.J.), précité, note 176, p. 788, j. Lamer pour la cour.297. Malinoff c. Harrisson, précité, note 206.

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C.c.Q. ou l’article 294.1 C.p.c., les déclarations verbalesextrajudiciaires émanant d’un tiers sont irrecevablesen preuve pour établir la véracité de leur contenu, soitl’existence des faits qu’elles relatent. Ainsi, un constablemunicipal ne peut relater, pour en prouver la véracité, ceque lui a dit un tiers lors d’un accident; il faut faireentendre ce tiers comme témoin298. La relation par untémoin d’une déclaration émanant d’un tiers constitue duouï-dire, lorsque cette preuve, par sa pertinence, vise à éta-blir la véracité du contenu, et non simplement l’existencede cette déclaration299.

Le Code civil du Québec ne prévoit pas de façonexplicite que le droit anglais ou français soit supplétif et nerenvoie pas aux exceptions de droit anglais en matière deouï-dire.

Le droit français et le droit anglais ont-ils perdu leurcaractère supplétif tel qu’ils le connaissaient sous le Codecivil du Bas-Canada?

Dans l’affaire Drouin c. La Presse Ltée300, le jugeRochon a affirmé que les règles de preuve étaient mainte-nant autonomes et qu’il n’est plus nécessaire de faireréférence aux règles de common law pour les compléter.Par ailleurs, dans l’affaire Zurich Indemnity Co. ofCanada c. Libman301, le juge Guthrie a énoncé une opi-nion contraire. D’autres décisions ont repris la positiondu juge Guthrie302.

En l’absence d’une disposition législative indiquantclairement l’impossibilité de ce faire, il est possible queles tribunaux continuent de se référer au droit français etau droit anglais pour compléter les règles énoncées dans leCode civil du Québec ou dans le Code procédure civile303.

c) La déposition antérieure

Peut-on produire de plein droit à l’instruction ladéposition d’un témoin alors absent, qui a déjà témoigné

dans une autre instance judiciaire ou dans une instancequasi judiciaire? À la différence des déclarations extraju-diciaires verbales ou écrites, considérées ci-haut, il s’agitd’une déclaration sous serment donnée par un témoindevant un tribunal judiciaire ou quasi judiciaire. Uneréponse négative s’impose, à la lumière de l’article 2843C.c.Q., sous réserve cependant de l’exception prévue àl’article 2870 C.c.Q. qui, dans ce cas, requiert l’autori-sation du tribunal. En principe, le témoignage doit êtrecontenu dans une déposition faite à l’instance où il serten preuve.

Ainsi, n’est pas reçu de plein droit à titre de témoi-gnage dans l’instance judiciaire où il doit servir letémoignage donné devant un tribunal d’arbitrage degriefs304, devant une commission d’enquête305, dansune cause criminelle306, dans une autre cause civile nemettant pas en cause l’une des parties307 et à l’enquêtedu coroner308.

Notons que le témoin non disponible à l’audiencepeut cependant être interrogé hors de cour (art. 287 et 404C.p.c.), comme nous l’avons déjà vu au troisième chapitre.

d) L’expertise

Le témoin expert, sous réserve de l’application del’article 294.1 C.p.c., doit comparaître comme témoin; ilne peut donner son opinion sans suivre les exigences del’article 402.1 C.p.c.309.

L’expert fonde souvent son opinion, du moins enpartie, sur du ouï-dire, puisqu’il tire une conclusion à par-tir de faits observés par des tiers, qu’il n’a pas lui-mêmeconstatés. Les prémisses de faits en litige sur lesquelsl’expert appuie ses conclusions doivent être établies pardes témoins compétents, car autrement son témoignagesur ces faits ne constituerait que du ouï-dire, ce qui pour-rait toucher la valeur probante de son opinion310. La valeurprobante de l’opinion dépend de la meilleure preuve de

250 Preuve devant le tribunal civil

298. Napper c. Cité de Sherbrooke, [1968] R.C.S. 718.299. Kamir of Canada Ltd. c. Donohue St-Félicien Inc., [1989] R.D.J. 581 (C.A.), EYB 1989-63328.300. [1999] R.J.Q. 3023 (C.S.), REJB 1999-15772.301. [1997] R.J.Q. 657, EYB 1996-87800.302. 3312402 Canada Inc. c. Accounts Payable Chexs Inc., EYB 2005-94273 (C.S.); Beauchamp c. Berthold-Beauchamp, EYB 2006-112979 (C.S.).303. Voir Ciment St-Laurent Inc. c. Barrette, J.E. 97-1291 (C.A.), REJB 1997-01469; Zurich Indemnity Co. of Canada c. Libman, précité, note 301.304. Société canadienne des métaux Reynolds c. C.S.N., [1980] R.L. 253 (C.S.).305. Commission municipale du Québec c. Cité de St-Léonard, [1972] C.S. 827.306. Caisse Populaire de Saint-Raymond c. Boily, [1974] C.S. 74.307. Cloutier c. Fonds d’indemnisation des victimes d’accidents d’automobiles, [1975] C.S. 1232; voir aussi The George Edward Fritz Foundation c.

Cartwright, précité, note 182, où un témoignage donné dans une autre instance où les parties étaient présentes, mais où le cadre juridique était différent, n’apas été reçu.

308. Arbour c. Dunn, [1967] C.S. 691; Fortin c. St-Martin, J.E. 95-955 (C.S.), REJB 1995-28789.309. Association canadienne de ski c. Hébert, précité, note 213; Droit de la famille – 2146, précité, note 168.310. Trempe c. Dow Chemical of Canada Limited, [1980] C.A. 571; R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24; Paillé c. Lorcon Inc., précité, note 77.

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l’existence des faits sur lesquels l’expert la fonde. Cettevaleur probante est directement liée à la quantité et à laqualité des éléments de preuve admissibles qui soutien-nent la conclusion; plus l’expert s’appuie sur des faits nonétablis par la preuve, moins grande sera la force probantede son avis311.

L’interdiction du ouï-dire prohibe donc l’utilisation àtitre de témoignage de déclarations qui n’ont pas été faitesdans l’instance même et en la manière indiquée par leCode de procédure civile.

Surtout en raison du droit au contre-interrogatoire, laprohibition du ouï-dire ne comporte que deux exceptions,l’une en matière de protection de la jeunesse et l’autreprévue à l’article 2870 C.c.Q. L’exception consisterait parexemple en l’introduction au dossier de faits relatés, sousforme de déclaration écrite ou verbale, par une tierce per-sonne qui n’a pu et ne pourrait être interrogée sous sermentpar une partie. La règle du ouï-dire connaît cependantcertains adoucissements ou tempéraments, autorisés parle législateur ou les tribunaux, pour simplifier l’adminis-tration de la preuve, sans pour autant priver une partie dudroit au contre-interrogatoire. Dans certains cas, le décla-rant n’est pas assermenté et ne témoigne pas à l’audience;dans d’autres cas, bien qu’assermenté, il ne témoigne pasà l’audience.

4. Les tempéraments

L’un des trois éléments qui fondent la prohibition duouï-dire fait ici défaut, mais la partie conserve la facultéd’interroger l’auteur de la déclaration recevable commetémoignage.

a) Le consentement

Les objections étant en principe d’ordre privé (art.2859 C.c.Q.), une partie peut consentir à l’introduction audossier d’une preuve autrement irrecevable. Une partiepeut consentir, de façon explicite, à une preuve de ouï-dire.

Suivant l’article 2843 C.c.Q., le témoignage « doit,pour faire preuve, être contenu dans une déposition faite àl’instance, sauf du consentement des parties ou dans lescas prévus par la loi ». En vertu de l’article 2869 C.c.Q.,

« la déclaration d’une personne qui ne témoigne pas àl’instance ou celle d’un témoin faite antérieurement àl’instance est admise à titre de témoignage si les parties yconsentent ». L’article 2832 C.c.Q. prévoit qu’un écrit puret simple qui rapporte un fait peut être admis en preuve àtitre de témoignage, sous réserve des règles contenues aulivre De la preuve, donc, notamment, des articles 2843 et2869 C.c.Q.

Une partie peut renoncer à l’exercice de son droit aucontre-interrogatoire. Toute déclaration émanant d’unepersonne peut donc être produite en preuve du consente-ment des parties, qu’il s’agisse d’une déposition donnéesous serment ou d’une simple version écrite émanantd’une personne. Par exemple, les parties pourraientconvenir de déposer au dossier un affidavit détailléémanant du témoin d’un événement secondaire, nonvéritablement contesté, qui dispensera cette personne decomparaître à l’audience.

b) L’article 294.1 C.p.c.

Comme on a vu précédemment (« Les écrits »), le tri-bunal peut accepter toute déclaration écrite pour tenir lieudu témoignage du témoin qui l’a signée, pourvu que cettedéclaration ait été communiquée et produite au dossierselon l’article 294.1 C.p.c.

c) Le dossier médical

« Les dossiers d’hôpitaux, y compris les notes desinfirmières, rédigés au jour le jour par quelqu’un quia une connaissance personnelle des faits et dont letravail consiste à faire les écritures ou rédiger les dos-siers, doivent être reçus en preuve comme preuveprima facie des faits qu’ils relatent. Cela ne devraiten aucune façon empêcher une partie de contesterl’exactitude de ces dossiers ou des écritures, si elleveut le faire. Dans cette affaire, si l’intimé avait voulucontester l’exactitude des notes des infirmières, cesdernières étaient présentes en cour et disponibles pourtémoigner à la demande de l’intimé. »312

Cet arrêt, qui provient de l’Alberta et qui applique auouï-dire une exception de droit britannique, a été suiviau Québec notamment dans plusieurs jugements313. Lecontenu du dossier est présumé fiable.

Qualités et moyens de preuve 251

311. R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852, EYB 1990-67181.312. Ares c. Venner, précité, note 196, p. 626, j. Hall.313. Voir, entre autres, Gravel c. Hôtel Dieu d’Amos, [1984] C.S. 792; Hawker Siddeley Canada Ltd. c. Wilson Machine Co., J.E. 89-1120 (C.A.), EYB

1989-63383; Tremblay c. Barrette, [1990] R.R.A. 319 (C.S.).

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Il n’est donc pas nécessaire que tout le personnel infir-mier témoigne. Avant l’entrée en vigueur du nouvel article294.1 C.p.c., le dossier médical était généralement intro-duit en preuve par le truchement de l’article 403 C.p.c., oupar l’archiviste médical, à l’audience314. Les nouvellesdispositions de l’article 294.1 C.p.c. peuvent s’appliquer àla communication du dossier médical.

d) Les pièces justificatives

La preuve de certaines données compilées peut êtrefastidieuse et requérir le déplacement d’un grand nombrede témoins, le plus souvent pour établir des faits nonsérieusement contestés ou contestables. Ainsi, la pro-duction de données comptables, résultant d’une séried’opérations antérieures, peut requérir une preuve parséquences reliées les unes aux autres par le témoignagede plusieurs témoins compétents et se terminant par laconfection d’un relevé récapitulatif. Le bon sens recom-mande dans certains cas de simplifier certaines preuvesmatérielles dans le contexte d’une présomption de norma-lité des choses.

La jurisprudence fournit certains exemples de preuveadmissible, non contraire à la prohibition du ouï-dire.Outre les exemples déjà vus au chapitre des simples écrits,voici d’autres cas de preuve admissible.

Dans l’affaire Canadian Pacific Railway Companyc. Blais315, des employés de la demanderesse avaienttravaillé pendant plusieurs jours à la réparation d’unelocomotive endommagée lors d’une collision à un passageà niveau. La demanderesse fait comparaître son comptablepour établir le coût des réparations réclamé, ce qui soulèveune objection. Voici comment en a disposé le tribunal :

« Le montant de 6 213 $ pour coût de réparation de lalocomotive est détaillé dans un document produit oùl’on peut voir le nombre d’heures consacrées par lesdivers corps de métiers. On s’est opposé à la preuve dunombre d’heures de travail faite par le comptable de lademanderesse, parce qu’il n’a pas travaillé lui-mêmeet n’a pas vu travailler les ouvriers à la réparation. Si laseule preuve permise consistait en pareil cas à fairetémoigner chacune des personnes qui ont travaillé à laréparation de la locomotive ou qui étaient présentesquand une autre y a travaillé, les justiciables se trou-veraient dans une situation pratiquement intenable.

Dans les grandes entreprises, la répartition des tâchesest à ce point poussée qu’il est pratiquement impos-sible d’exiger que chacun des ouvriers vienne rendrecompte au tribunal du temps qu’il a consacré à lafabrication, à la vérification ou à la réparation de l’undes nombreux objets qu’on lui a confiés. [...] Il n’y aaucune raison de douter de l’exactitude des entréesainsi faites. Le comptable de la demanderesse a accèsà ces feuilles et à tous les documents utiles; il estcompétent pour effectuer les opérations mathémati-ques voulues et établir devant le tribunal le nombred’heures consacrées par les divers corps de métiers. »(p. 449).

On aurait pu faire entendre aussi un contremaîtreaffecté à la surveillance de ces réparations qu’il auraitdécrites et qui, si nécessaire, de concert avec le comptable,aurait établi la méthode suivie pour la compilation desheures travaillées et l’acheminement de ces données auservice de la comptabilité.

La preuve documentaire du temps travaillé par desouvriers et du coût des matériaux fournis produite par undirigeant, responsable des opérations, suffit, sauf si lapartie adverse présente une preuve qui attaque sérieuse-ment la validité des montants réclamés316.

Dans un litige relatif à des lettres de change, unebanque peut établir l’existence d’une dette par la produc-tion de livres comptables qui sont des registres qui fontpreuve prima facie de leur contenu, selon l’article 29 (1)de la Loi sur la preuve au Canada317.

La compétence d’un témoin pour témoigner au sujetd’une pièce et la produire dépend de sa connaissance et desa familiarité avec cette pièce ou avec les faits qui en ontentouré la confection.

Rappelons que, en vertu de l’article 2870, al. 3 C.c.Q.,les documents établis dans le cours des activités d’uneentreprise et les documents insérés dans un registre dont latenue est exigée par la loi jouissent d’une présomption defiabilité.

e) L’affidavit

En matière de saisie avant jugement, l’affidavit àl’appui de la réquisition du bref indique les sources d’in-

252 Preuve devant le tribunal civil

314. Banque Laurentienne du Canada c. 9036-4720 Québec Inc., REJB 2001-24939 (C.S.).315. [1969] C.S. 446.316. Paquet c. Navada Ltée, J.E. 80-866 (C.A.).317. Banque Nationale du Canada c. Simpson, précité, note 155.

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formation du déclarant, en vertu de l’article 735 C.p.c. quiautorise ainsi la preuve par ouï-dire318.

La jurisprudence enseigne que les affidavits produitsà l’appui d’une requête en injonction interlocutoire peu-vent contenir du ouï-dire, puisque, à ce stade, la partierequérante ne doit établir qu’une preuve prima facie, cequi rend les exigences procédurales moins rigides que lorsde l’audition au fond319.

Les dépositions données hors de cour à l’instance sontrecevables de plein droit à titre de témoignage en vertude l’article 2843 C.c.Q. et de l’article 294 C.p.c., telsl’affidavit détaillé et l’interrogatoire préalable, commenous l’avons déjà vu.

5. Les exceptions

Le législateur crée deux exceptions à la règle du ouï-dire, l’une en matière de protection de la jeunesse et l’autreapplicable à tout litige civil, en vertu de l’article 2870C.c.Q. Ce régime d’exception, qui découle de l’inaptitudeou de l’inopportunité à témoigner à l’instance, se fonde surla nécessité de recevoir en preuve une déclaration extraju-diciaire pour établir l’existence des faits qu’elle relate etsur les garanties de fiabilité qu’elle présente. « L’admis-sion de la preuve par ouï-dire est désormais fondée sur desprincipes, dont les principaux sont la fiabilité de la preuveet sa nécessité. »320

a) Les enfants

En matière de protection de la jeunesse, le législateurdécrète l’admissibilité du ouï-dire, en ce que la déclarationextrajudiciaire d’un enfant est admissible en preuve pouren établir la véracité du contenu. Les articles 85.5 et 85.6de la Loi sur la protection de la jeunesse321 énoncent :

« 85.5. La déclaration faite par un enfant inapte àtémoigner à l’instance ou qui en est dispensé par le tri-bunal est recevable pour faire preuve de l’existencedes faits qui y sont allégués.

Toutefois, le tribunal ne peut décider que la sécuritéou le développement de l’enfant est compromis, sur la

foi de cette déclaration, que s’il considère qu’elle estcorroborée par d’autres éléments de preuve qui enconfirment la fiabilité. »

« 85.6. La déclaration visée à l’article 85.5 peut êtreprouvée par la déposition de ceux qui en ont eu per-sonnellement connaissance.

Si elle a été enregistrée sur ruban magnétique ou parune autre technique d’enregistrement à laquelle onpeut se fier, elle peut également être prouvée par cemoyen, à la condition qu’une preuve distincte en éta-blisse l’authenticité. »

On constate que la portion pertinente du second alinéade l’article 2872 C.c.Q. s’inspire du premier alinéa del’article 85.6 de la loi et que le second alinéa de cette dis-position est reproduit à l’article 2874 C.c.Q.

Il s’agit d’une véritable exception au ouï-dire, auto-risée par le législateur, puisque le déclarant témoigne parpersonne interposée, sans prêter serment et sans pouvoirêtre contre-interrogé.

En matière de sévices sexuels, les verbalisations d’unenfant d’âge tendre à des tiers peuvent être reçues enpreuve en Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec,à la condition qu’elles soient fiables et nécessaires, pourautant que cette preuve soit corroborée par des élémentsindicateurs fiables322. La preuve des déclarations extraju-diciaires de l’enfant, aux fins d’en établir la véracité ducontenu, est cependant irrecevable pour en compléter letémoignage323.

En Chambre de la famille de la Cour supérieure,malgré l’absence de disposition législative habilitante, lapreuve des déclarations extrajudiciaires d’un jeune enfantne soulève habituellement pas d’objection de la part desprocureurs des parents en opposition dans une requêtepour garde ou droit d’accès.

Dans l’arrêt R. c. Khan324, la Cour suprême du Canadaprononce l’admissibilité en preuve de la déclaration extra-judiciaire d’un enfant, en s’appuyant sur une exceptionde droit anglais. Cet arrêt reconnaît que, en règle géné-rale, une preuve fiable ne devrait pas être exclue sim-

Qualités et moyens de preuve 253

318. Loomis c. Gallery of Persian Carpets Ltd., J.E. 82-529 (C.A.); Franchise Plus Inc. c. Dépanneur Bitton et Fils Inc., [1984] C.S. 394.319. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57 (U.I.E.P.B.) C.T.C.-F.T.Q. c. Association d’hospitalisation du

Québec, J.E. 87-1039 (C.S.), EYB 1987-78807; Sony du Canada Ltée c. Multitronic Stéréo Inc., J.E. 91-1698 (C.S.), EYB 1991-58259.320. R. c. Smith, précité, note 184, p. 933, juge en chef Lamer pour la cour.321. L.R.Q., c. P-34.1.322. Protection de la jeunesse – 468, J.E. 91-154 (C.Q.), EYB 1990-75793; Protection de la jeunesse – 850, J.E. 97-598 (C.Q.), REJB 1997-00084.323. Protection de la jeunesse – 632, [1993] R.D.F. 528 (C.Q.), EYB 1993-74171.324. [1990] 2 R.C.S. 531, EYB 1990-67557.

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plement parce qu’elle ne peut être vérifiée par contre-interrogatoire325.

b) L’article 2870 C.c.Q.

Nous avons traité précédemment des dispositions del’article 2870 C.c.Q. qui crée une exception à la prohibi-tion du ouï-dire. Nous y renvoyons le lecteur.

6. La preuve recevable

Malgré les apparences, certains éléments de preuve,verbaux ou écrits, ne constituent pas du ouï-dire et sontpleinement recevables. Il ne faut donc pas confondre cespreuves avec le ouï-dire. Ainsi, le témoin qui rapporte lesparoles d’autrui n’enfreint pas nécessairement la règle duouï-dire.

a) L’aveu extrajudiciaire

L’aveu est la reconnaissance d’un fait de nature àproduire des conséquences juridiques contre son auteur(art. 2850 C.c.Q.). Cet aveu est extrajudiciaire lorsqu’il estfait en dehors de l’instance dans laquelle il est invoqué(art. 2852 C.c.Q.). Il peut être verbal ou écrit. Nous en trai-terons plus loin dans le présent chapitre.

La preuve d’un aveu extrajudiciaire verbal est excluede la prohibition de la preuve par ouï-dire.

Admettre la prohibition du ouï-dire dans ce cas auraitcomme effet d’écarter toute preuve possible d’aveu extra-judiciaire verbal – puisque c’est la seule façon de l’établir.Par exemple, le procureur du demandeur fait comparaîtreun tiers comme témoin et lui demande de relater, confor-mément à une allégation de la déclaration, ce que lui a ditle défendeur : « Il m’a dit qu’il devait la somme de 5 000 $à votre client comme prix d’achat de meubles livrés chezlui une semaine auparavant. » Cela constitue la preuved’un aveu extrajudiciaire d’un acte juridique, et non unepreuve de ouï-dire.

En cas d’objection et de doute sur sa recevabilité, il estpréférable de prendre sous réserve la preuve d’une décla-ration faite par une partie à un tiers, puisqu’il est possible

que cette déclaration, dont on ne connaît pas la teneur,constitue un aveu extrajudiciaire326.

b) L’écrit

L’écrit instrumentaire est exclu du champ d’appli-cation de la règle d’interdiction du ouï-dire. Il constate unacte juridique, dont il est la meilleure preuve (art. 2860C.c.Q.).

L’écrit non signé, habituellement utilisé dans le coursdes activités d’une entreprise pour constater un acte juri-dique, fait preuve de son contenu (art. 2831 C.c.Q.). Cetécrit peut être introduit au dossier par le truchement del’article 403 C.p.c. pour établir qu’il émane de son auteur(art. 2835 C.c.Q.).

Comme on l’a vu précédemment (« Les écrits »), lesimple écrit qui, par définition, rapporte un fait matériel nefait pas preuve en principe de son contenu, sous réservedes articles 2833 et 2834 C.c.Q. et de la preuve d’un aveuextrajudiciaire (art. 2832 C.c.Q.). L’écrit pur et simple,dont l’origine doit au préalable être prouvé (art. 2835C.c.Q.), n’a pas en soi de valeur probante à l’égard du faitallégué par la partie qui l’utilise, puisqu’on ne peut ainsi seconstituer un titre contre autrui. Cet écrit interne pourraitcependant être utilisé durant la déposition d’un témoin,par ailleurs compétent à cette fin, à titre d’aide-mémoire327, pour corroborer son témoignage328 et, danscertains cas, pourrait servir d’indices de présomptions defaits329.

Les notes prises par un témoin lors d’événementsayant donné éventuellement lieu à un litige peuvent égale-ment être recevables à titre de témoignage, en applicationde l’article 2871 C.c.Q., dans la mesure où il est démontréqu’elles présentent des garanties suffisamment sérieusespour s’y fier330.

Nous avons vu que certains écrits non instrumentairespeuvent aussi faire preuve de leur contenu, par exempleles articles 343 et 2195 C.c.Q. et les articles 62 et 82 de laLoi sur la publicité légale des entreprises individuelles,des sociétés et des personnes morales.

Rappelons que le témoignage écrit est en principe pro-hibé, sous réserve des dispositions de l’article 294.1 C.p.c.

254 Preuve devant le tribunal civil

325. R. c. Smith, précité, note 184.326. Royal Victoria Hospital c. Morrow, précité, note 294; Moulins (Municipalité régionale de comté des) c. Groupe R.C.D. Inc., [1992] R.D.J. 467 (C.A.),

EYB 1992-63997.327. The Canadian Spool Cotton Co. Ltd. c. Lyall, (1913) 14 R.P. 203 (C.S.).328. Roy c. Chartier, précité, note 158.329. Savard c. Tremblay, précité, note 157.330. Barrette c. Ciment du St-Laurent, précité, note 160.

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c) La déclaration pertinente

Nous avons vu que la pertinence d’une preuve endétermine la recevabilité (art. 2857 C.c.Q.). Lorsque perti-nente au litige, est recevable la preuve d’une déclarationqui, autrement, constituerait du ouï-dire et serait alorsirrecevable. Rappelons que dans l’affaire R. c. O’Brien,précitée, le juge Dickson écrit que :

« La preuve d’une déclaration faite à un témoin parune personne qui n’est pas elle-même assignéecomme témoin [...] est donc recevable lorsqu’ellecherche à établir, non pas la véracité de la déclaration,mais simplement que celle-ci a été faite. »331

« [...] Lorsque des paroles prononcées sont une partiedu fait en litige comme, par exemple, dans le cas dediffamation verbale, il ne s’agit pas d’une dépositiondonnée autrement qu’à l’audience, mais bien du faitqu’il s’agit de prouver. »332

La règle du ouï-dire n’exclut pas qu’une déclarationsoit mise en preuve à d’autres fins que celle d’établir lavéracité de son contenu. Lorsque les paroles d’un tierssont rapportées par un témoin pour faire la preuve de ladéclaration même, il s’agit de faits dont l’admissibilitérelève de la règle de la pertinence et non du ouï-dire333.

Une partie peut donc faire la preuve d’une déclarationverbale qui fonde son droit d’action ou sa contestation.

Ainsi, dans une action en diffamation, le demandeurfera comparaître des témoins qui relateront ce qu’ils ontentendu dire à son sujet, pour prouver une atteinte à saréputation. Cette preuve établit que ces déclarations ontété faites, ce qui est pertinent, mais non la véracité ducontenu des propos diffamatoires entendus. Par exemple,si le témoin rapporte les paroles d’un tiers qui a qualifiéle demandeur de voleur, cette preuve n’établit que l’exis-tence des propos diffamatoires, mais non le fait que ledemandeur soit réellement un voleur. Dans ce contexte,la partie demanderesse interrogée au préalable à l’occa-sion d’une action en diffamation peut être requise dedivulguer le nom de témoins dont elle allègue l’existence

dans sa déclaration, parce que cet élément est pertinentau préjudice334.

Un témoin peut rapporter les paroles d’un tiers décédéayant trait à la réputation d’une partie, sans contraventionà la règle du ouï-dire, en vertu d’une exception de droit bri-tannique non incompatible avec une règle expresse dudroit du Québec335.

Sont admissibles les déclarations qui constituent,accompagnent ou expliquent un fait pertinent au litige,sans en établir la véracité. On peut rapporter ainsi toutedéclaration qui accompagne et explique un fait si intime-ment lié à l’objet du litige qu’il en fait partie. Laprohibition du ouï-dire n’exclut pas la preuve des déclara-tions d’une personne décédée qui révèle son état d’esprit;la preuve d’une déclaration antérieure est donc admissiblepour démontrer l’intention ou l’état d’esprit d’une per-sonne au moment de la déclaration, lorsque pertinente auxfaits en litige336.

Ainsi, les paroles incriminantes prononcées peu detemps avant son décès par un assuré peuvent être misesen preuve, par l’assureur-vie qui conclut au suicide del’assuré337. Dans un litige opposant le conjoint de l’assuréet l’assureur-vie, est admissible en preuve la déclarationde l’assuré décédé faite à un policier qui la rapporte, quantà l’usage de stupéfiants338.

Un témoin peut rapporter les paroles d’un testateurpertinentes à l’interprétation d’un testament, pour en éta-blir l’intention339. La déclaration doit être faite après laconfection du testament et doit porter sur le contenu decet écrit340. Le tribunal peut tenir compte notamment del’intention du testateur en vertu de l’article 771 C.c.Q. :« Si, en raison de circonstances imprévisibles lors del’acceptation du legs, l’exécution d’une charge devientimpossible ou trop onéreuse pour l’héritier ou le légataireparticulier, le tribunal peut, après avoir entendu les inté-ressés, la révoquer ou la modifier, compte tenu de la valeurdu legs, de l’intention du testateur et des circonstances. »La preuve testimoniale est recevable afin de rechercherl’intention d’un assuré depuis décédé quant à la dési-gnation du bénéficiaire d’une assurance vie, en casd’ambiguïté de la fiche de désignation du bénéficiaire341.

Qualités et moyens de preuve 255

331. R. c. O’Brien, précité, note 292.332. Royal Victoria Hospital c. Morrow, précité, note 294, p. 509.333. Montréal (Ville de) c. Société d’Énergie Foster Wheeler Ltée, EYB 2007-117188 (C.A.).334. Poulin c. Vaillancourt, J.E. 88-1362 (C.S.), EYB 1988-83469.335. Entreprises Télé-Capitale Limitée – Division CHRC c. Dorion, [1990] R.D.J. 570 (C.A.), EYB 1990-63523.336. R. c. Smith, précité, note 184, p. 925.337. Rioux-Therrien c. L’Alliance, [1974] C.A. 271; Depeault-Tétreault c. La Survivance, J.E. 84-855 (C.S.).338. Scarapicchia c. Industrielle (L’), Compagnie d’assurance-vie, [1989] R.R.A. 961 (C.S.), EYB 1989-77223.339. Godbout c. Godbout, [1993] R.L. 414 (C.A.), EYB 1992-64021.340. Brown c. Brown, J.E. 94-557 (C.S.), EYB 1994-73308.341. Confédération (La), compagnie d’assurance-vie c. Lacroix, précité, note 240.

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Sont admissibles en preuve, parce que pertinentes aulitige, les déclarations qui établissent la connaissance, telun avertissement préalable pour prouver l’acceptation durisque par la victime, puisque cela influe sur la responsabi-lité civile. Par exemple, la preuve de la déclaration selonlaquelle tel objet est défectueux établit l’avertissementdonné, mais non la défectuosité de cet objet.

Une déclaration extrajudiciaire peut être admise enpreuve pour établir qu’une partie a reçu une informationsur laquelle elle s’est fondée pour poser un geste, sans quecette preuve établisse l’exactitude de l’information ainsifournie342.

Une bande audiovisuelle, à l’instar d’un document,est admissible en preuve pour tenter d’établir la connais-sance par une partie d’un fait en litige, sans que soittoutefois établie la véracité du contenu de cette bande 343.

Ne constitue donc pas du ouï-dire et est recevable lapreuve qui cherche uniquement à établir qu’une déclara-tion a été faite, pour autant que cette preuve soit pertinenteau litige. Il importe donc, avant de formuler une objectionvalable, de distinguer la portée et la pertinence de la décla-ration rapportée par le témoin.

d) La présence du déclarant

La prohibition devient sans effet lorsque l’auteur de ladéclaration rapportée est présent à l’audience et peut êtreinterrogé comme témoin sur les faits qui la constituent.

Rappelons que le juge Dickson, dans l’arrêt R. c.O’Brien, précitée, déclare que :

« La preuve d’une déclaration faite à un témoinpar une personne qui n’est pas elle-même assignéecomme témoin est une preuve par ouï-dire, qui estirrecevable lorsqu’elle cherche à établir la véracité dela déclaration; [...]. »

Il faut conclure que la preuve d’une déclaration faiteà un témoin par une personne qui est assignée commetémoin ne contrevient pas à la règle du ouï-dire. Ainsi,une partie peut rapporter les paroles de la partie adverseprésente, même celles non constitutives d’un aveu extra-judiciaire, puisque cette dernière – généralement présenteà l’audience – pourra en déposer comme témoin. Envertu de l’article 302 C.p.c., « Toute personne présente à

l’audience peut être requise de rendre témoignage, et elleest tenue de répondre comme si elle avait été régulière-ment assignée. » Afin d’abréger l’instruction, on pourraitcependant s’abstenir de mettre en preuve cette déclaration,si elle n’est pas source d’aveu, puisque son auteur pourraitêtre interrogé sur les faits qu’il a constatés.

e) L’absence d’objection

La preuve par ouï-dire peut être introduite au dossier,en l’absence d’objection.

« La preuve par ouï-dire au cours d’une preuve tes-timoniale en matière commerciale, faite devant lapartie adverse qui ne s’oppose pas, est une preuvevalide. Elle est probante en l’absence d’une preuvecontraire. »344

Le tribunal en appréciera la valeur probante (art. 2845C.c.Q.), quoique conscient de la fiabilité relative d’unepreuve de ouï-dire.

Dans ce cas, on infère du silence de la partie adverseun consentement à la preuve de cette déclaration (art. 2869C.c.Q.). Par exemple, en Chambre de la famille de la Coursupérieure, les parties soulèvent rarement une objection àla preuve de certaines déclarations de leurs enfants en basâge, absents du débat.

Le témoin doit être apte à témoigner et compétent àrapporter des faits pertinents et à produire les pièces exhi-bées, afin que le contenu de son témoignage soit fiable etvéridique.

C- L’aptitude et l’habilité du témoin

L’aptitude à témoigner détermine la recevabilitéentière du témoignage. L’habilité du témoin par ailleursapte peut influer sur la recevabilité de certaines portions deson témoignage et aussi sur sa valeur probante, et elle estfonction du degré de connaissance des faits.

La personne susceptible de rapporter des faits dontelle a eu connaissance doit être apte à témoigner. Cetteaptitude peut varier chez l’enfant; dans certains cas,l’avocat, par ailleurs apte à témoigner, risque de devenirinhabile comme procureur au dossier. Nous traiteronsplus loin de la compétence de l’expert.

256 Preuve devant le tribunal civil

342. Jolicœur c. Hippodrome Blue Bonnets Inc., [1989] R.D.J. 69 (C.A.), EYB 1989-63390.343. MIUF – 3, [1988] R.D.J. 425 (C.S.).344. Tri-Bec Inc. c. Saillant Inc., [1989] R.D.J. 218, 228 (C.A.), EYB 1989-63191, j. Bernier pour la cour.

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1. Le témoin ordinaire

Ce témoin doit être en état de rapporter des faits dontil a eu connaissance. Suivant l’article 295 C.p.c., « Toutepersonne est apte à déposer en justice, sauf si, en raison desa condition physique ou mentale, elle n’est pas en état derapporter des faits dont elle a eu connaissance. »

Sous peine de nullité de sa déposition, le témoin doitfaire le serment de dire la vérité, qui consiste à fairel’affirmation solennelle de dire la vérité, toute la vérité etrien que la vérité (art. 299 C.p.c.).

À titre d’illustration, l’article 16 (1) de la Loi sur lapreuve au Canada, relatif à l’aptitude à témoigner d’unepersonne dont la capacité mentale est mise en question,précise que le tribunal doit déterminer si cette personnecomprend la nature du serment – soit l’obligation de dire lavérité – et si elle est capable de communiquer les faits dansson témoignage.

L’habilité à témoigner comporte la capacité de perce-voir des événements pertinents au litige, de s’en souveniret de les communiquer au tribunal; elle se distingue deleur perception réelle – question de compétence – et dela crédibilité – question de valeur probante345.

Signalons que « L’huissier peut effectuer des cons-tatations purement matérielles, exclusives de tout avissur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent enrésulter; ces constatations n’ont que la valeur de simplesrenseignements »346. Cependant, en vertu de l’article 297C.p.c., l’huissier qui a signifié l’assignation ne peut êtrereçu à témoigner de faits ou d’aveux dont il aura euconnaissance après avoir été chargé de la significationde cet acte, sauf quant à la signification elle-même.L’huissier qui procède à des significations ou à desmesures d’exécution ne peut valablement effectuer desconstatations dans le même dossier347.

À la différence du témoin adulte, le témoignage del’enfant requiert certains aménagements particuliers.

2. L’enfant

L’enfant qui ne comprend pas la nature du sermentpeut témoigner sans prêter serment s’il est assez déve-

loppé pour pouvoir rapporter des faits dont il a eu connais-sance et s’il comprend le devoir de dire la vérité. Le secondalinéa de l’article 2844 C.c.Q. énonce à cet effet :

« L’enfant qui, de l’avis du juge, ne comprend pas lanature du serment, peut être admis à rendre témoi-gnage sans cette formalité, si le juge estime qu’il estassez développé pour pouvoir rapporter des faits dontil a eu connaissance, et qu’il comprend le devoir dedire la vérité; toutefois, un jugement ne peut êtrefondé sur la foi de ce seul témoignage. »

Le témoignage de l’enfant, dans ces circonstances,devra alors être corroboré.

L’article 85.2 de la Loi sur la protection de la jeu-nesse348 contient une semblable disposition applicable àl’enfant âgé de moins de 14 ans, de même que l’article16 (3) de la Loi sur la preuve au Canada. L’habilité àtémoigner n’est pas présumée dans le cas d’un enfant quitémoigne sous le régime de l’article 16 de la Loi sur lapreuve au Canada; l’enfant est placé dans la même situa-tion qu’un adulte dont l’habilité a été contestée. Le jugedoit vérifier la capacité de percevoir, de se rappeler et decommuniquer de l’enfant, sans que cette enquête ne portesur la perception même des événements en litige, puisquela capacité de témoigner se distingue de la crédibilité d’untémoignage permis selon l’article 16 (3) de la loi349. Il doitaussi vérifier la possibilité que l’enfant subisse un trauma-tisme dans le cas où il témoigne350.

Le législateur favorise l’audition de l’enfant. « Le tri-bunal doit, chaque fois qu’il est saisi d’une demandemettant en jeu l’intérêt d’un enfant, lui donner la possibi-lité d’être entendu si son âge et son discernement lepermettent. » (art. 34 C.c.Q.). Son témoignage, lorsqu’ilest recevable, peut être utile dans les litiges concernant lagarde et l’accès351.

L’enfant qui témoigne peut être accompagné d’unepersonne apte à l’assister ou à le rassurer (art. 394.3C.p.c.). Le tribunal peut l’interroger hors la présence desparties après avoir avisé celles-ci (art. 394.4 C.p.c. etart. 85.4 de la Loi sur la protection de la jeunesse).Comme l’autorise l’article 394.4 C.p.c., le parent d’unenfant ainsi interrogé a le droit d’obtenir une copie del’enregistrement de la déposition aux fins de l’appel d’un

Qualités et moyens de preuve 257

345. R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223, EYB 1993-67538.346. Loi sur les huissiers de justice, L.R.Q., c. H-4.1, art. 9.347. Desjardins c. Mondoux, J.E. 83-949 (C.S.).348. Précitée, note 321.349. R. c. Marquard, précité, note 345.350. R. c. Rockey, [1996] 3 R.C.S. 829, EYB 1996-67710.351. Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, EYB 1993-67111.

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jugement portant sur la garde352. Le juge peut aussi l’en-tendre au lieu de sa résidence ou en tout autre lieuapproprié (art. 394.5 C.p.c.).

À titre exceptionnel, le tribunal en Chambre de la jeu-nesse de la Cour du Québec peut dispenser de témoignerun enfant par ailleurs apte à le faire, s’il considère que lefait de rendre témoignage pourrait porter préjudice audéveloppement mental ou affectif de l’enfant (art. 85.3 dela Loi sur la protection de la jeunesse), c’est-à-dire pour-rait causer un tort à sa croissance mentale ou affective353.En vertu de l’article 34 C.c.Q., le tribunal doit vérifier sil’âge et le discernement de l’enfant lui permettent d’êtreentendu. Un expert pourrait évaluer la capacité de l’enfantà témoigner354. « Mais une preuve solide fondée sur desévaluations psychologiques que le témoignage de l’enfantdevant le tribunal pourrait être traumatisant pour l’enfantou lui porter préjudice pourrait également être utile. »355

En matière de protection de la jeunesse, le législateurautorise la preuve par ouï-dire en cas d’inaptitude del’enfant à témoigner ou de dispense à ce faire par le tribu-nal, en ce que la déclaration extrajudiciaire de l’enfant nonentendu par le tribunal est recevable pour faire la preuvede l’existence des faits qu’elle contient, par exception à laprohibition du ouï-dire. Toutefois, cette déclaration devraêtre corroborée afin d’en confirmer la fiabilité. L’article85.5 de la Loi sur la protection de la jeunesse énonce à ceteffet :

« La déclaration faite par un enfant inapte à témoignerà l’instance ou qui en est dispensé par le tribunal estrecevable pour faire preuve de l’existence des faits quiy sont allégués.

Toutefois, le tribunal ne peut décider que la sécuritéou le développement de l’enfant est compromis, sur lafoi de cette déclaration, que s’il considère qu’elle estcorroborée par d’autres éléments de preuve qui enconfirment la fiabilité. »

La preuve des déclarations extrajudiciaires de l’en-fant, pour en établir la véracité du contenu, est cependantirrecevable pour compléter le témoignage de l’enfant;

cette preuve par ouï-dire n’est recevable qu’en casd’absence de témoignage de l’enfant356.

Il n’est pas opportun de permettre le témoignaged’enfants mineurs hors de la présence du juge, comme lorsd’un interrogatoire préalable, quand ce dernier n’a pas eul’occasion d’apprécier leur développement et leur capa-cité de rendre témoignage357. Il y a donc lieu de déterminerauparavant si l’enfant est apte à témoigner au préalable,par le truchement d’une enquête358.

En vertu de l’article 16 (4) de la Loi sur la preuve auCanada, l’enfant qui ne comprend pas la nature du ser-ment et qui n’est pas capable de communiquer les faitsdans son témoignage ne peut témoigner. Toutefois, parexception à la règle du ouï-dire, est recevable la déclara-tion extrajudiciaire de l’enfant concernant des crimes dontil a été victime, si elle est nécessaire et fiable, sous réservedes garanties que le tribunal peut estimer nécessaires et del’appréciation de la valeur probante359. À l’exception deces cas, l’enfant en état de rapporter des faits dont il a euconnaissance et qui comprend la nature du serment estapte à témoigner (art. 295 C.p.c. et art. 85.1 de la Loi sur laprotection de la jeunesse). Cet enfant peut alors être con-traint à témoigner (art. 295 C.p.c.), sous réserve d’unedispense en Chambre de la jeunesse pour les raisons déjàmentionnées (art. 85.3 de la loi), notamment lorsque laprimauté de l’intérêt de l’enfant déconseille l’interro-gatoire360.

Un procureur peut représenter l’enfant pour la sauve-garde de l’intérêt de ce dernier (art. 394.1 C.p.c.) ou pourdéfendre l’enfant lorsque son intérêt est opposé à celuide ses parents (art. 80 de la Loi sur la protection de la jeu-nesse).

Abordons maintenant le cas de l’avocat qui, suscep-tible de témoigner ou d’assister au témoignage de l’un deses associés, agit déjà comme procureur au dossier. Sacompétence comme telle à témoigner ne soulève guère dedifficulté : l’article 295 C.p.c. y pourvoit. Son habilité àcontinuer d’occuper comme procureur au dossier soulèvecependant des interrogations à la lumière des règles de ladéontologie, surtout en cas d’assignation à comparaîtrecomme témoin par une autre partie.

258 Preuve devant le tribunal civil

352. Droit de la famille – 2333, J.E. 96-308 (C.A.), EYB 1996-95829,.353. Protection de la jeunesse – 651, J.E. 94-52 (C.Q.), EYB 1993-73227.354. Protection de la jeunesse – 471, [1991] R.J.Q. 564 (C.Q.), EYB 1990-75804.355. R. c. Khan, précité, note 324, p. 546, j. McLachlin pour la cour.356. Protection de la jeunesse – 632, précité, note 323.357. Yamaha Motors Canada Ltée c. Corbeil, [1993] R.D.J. 419 (C.A.); Décelles c. Hôpital Maisonneuve-Rosemont, J.E. 97-1416 (C.S.), REJB 1997-07411.358. Whitty c. Zellers Inc., [1994] R.D.J. 182 (C.S.), REJB 1994-28593.359. R. c. Khan, précité, note 324; R. c. Smith, précité, note 184.360. Protection de la jeunesse – 318, J.E. 88-397 (T.J.), EYB 1987-77652.

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3. L’avocat

Le droit à la représentation par avocat, reconnu àl’article 34 de la Charte des droits et libertés de lapersonne361, et celui à une justice impartiale, consacrépar l’article 23 de la Charte, exigent l’indépendance del’avocat devant le tribunal. L’article 3.05.06 du Code dedéontologie des avocats énonce que l’avocat ne doit pasaccepter un mandat ou en continuer l’exécution dans unlitige, s’il est évident qu’il y sera appelé comme témoin, àmoins que son témoignage ne se rapporte à une affaire noncontestée, à une question de forme non susceptible de sou-lever une preuve sérieuse contraire ou à la nature et à lavaleur de services juridiques rendus. Le tribunal prendconnaissance d’office de cette disposition réglementairepertinente362. Le tribunal a le pouvoir, selon l’article 46C.p.c., d’assurer le respect de la dignité et de l’intégrité duprocessus judiciaire, dont le respect des règles essentiellesde la déontologie363.

Afin de préserver son indépendance et sa crédibilité,l’avocat ne peut témoigner sur un élément principal enlitige dans la cause où il exerce comme procureur. S’ilentend témoigner ainsi, il devient inhabile à agir commeprocureur et doit donc se retirer du dossier364. Un avocatappelé à être le principal témoin d’une compagnie deman-deresse dont il est président doit cesser d’occuper365. Estinhabile à occuper l’avocat qui sera appelé à témoignersur les pourparlers et les négociations préalables à lasignature d’un contrat en litige, au motif qu’il devra fairevaloir sa propre crédibilité contre celle des parties pourlesquelles il a alors agi366. Pour obtenir l’exclusion du pro-cureur adverse, encore faut-il démontrer la nécessité deson témoignage367. Une simple éventualité de témoignagene suffit pas pour faire déclarer l’avocat inhabile : l’in-tention de le faire témoigner doit être motivée de façonsérieuse et ne pas reposer sur des considérations futiles ouvexatoires368. Le tribunal à l’instruction aura discrétionpour décider de cette question d’inhabilité369.

En cas de conflit d’intérêts provoqué par l’accès à desinformations confidentielles, l’avocat appelé à témoignersur le caractère et la conduite d’une partie dans la détermi-nation de la négligence de cette dernière devient inhabile àoccuper au dossier370.

L’avocat peut devenir aussi inhabile à agir commeprocureur lorsqu’il désire faire témoigner sur un faitimportant et controversé son associé, chargé égalementde l’exécution du mandat371. Toutefois, l’article 3.05.06C.d.a., qui s’applique à l’avocat personnellement, necontient aucune interdiction quant aux autres membres deson cabinet; le seul fait qu’un avocat sera appelé commetémoin ne rend pas ses collègues de bureau automatique-ment inhabiles à occuper372. L’inhabilité à occuper de tousles procureurs d’un seul et même cabinet doit s’apprécierpar rapport aux faits particuliers de chaque espèce, entenant compte des circonstances précises donnant nais-sance au litige et en considération des intérêts apparents dela justice373. Un cabinet d’avocats doit se retirer du dossierlorsque le témoignage de l’un de ses membres constitue lapierre angulaire de la solution du litige374.

Le fait, pour les procureurs d’une partie, d’être appe-lés à témoigner au sujet de la nature et de la valeur desservices professionnels qui font partie de la réclamation,ne les place pas nécessairement dans une situation oùils pourraient trouver un avantage personnel, direct ouindirect, actuel ou éventuel, et ils ne sont donc pas néces-sairement empêchés d’agir pour cette partie375.

L’associé d’un avocat qui est lui-même partie à unlitige peut cependant agir pour ce dernier376. L’article3.05.06 C.d.a. ne s’applique pas dans le cas d’un avocatqui devient un justiciable.

Le procureur d’une partie qui produit une déclarationsous serment qu’il a signée dans une cause où il occupe,s’expose, dès lors, à être interrogé sur la véracité des faits

Qualités et moyens de preuve 259

361. L.R.Q., c. C-12.362. Simms c. Aalders, J.E. 97-612 (C.A.), REJB 1997-00344; Robinson c. Films Cinar Inc., [1997] R.L. 44 (C.S.), REJB 1998-09618; Intersuivi Inc. c.

Logiciels Teamcoordination Inc., J.E. 98-711 (C.S.), REJB 1998-04605.363. Droit de la famille – 684, [1989] R.J.Q. 2134 (C.A.), EYB 1989-59044.364. Gervais c. Union des employés de commerce, local 501, T.U.A.C., [1988] R.D.J. 8 (C.A.), EYB 1987-62796.365. Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité de), J.E. 95-469 (C.S.), EYB 1994-72624.366. Lapointe c. Disques Gamma (Qué.) Ltée, J.E. 96-834 (C.S.), REJB 1995-30546.367. Simard c. Lauzier, J.E. 90-532 (C.S.), EYB 1990-76843.368. Simms c. Aalders, précitée, note 362; Fortin c. Lanoix, J.E. 97-2106 (C.S.), REJB 1997-08156; Dufour c. Groupe Normandin Inc., J.E. 98-292 (C.S.),

REJB 1997-03895.369. Caisse populaire St-Maurice de Duvernay c. Rossignuolo, J.E. 93-362 (C.S.), EYB 1992-79319.370. Terrecan Inc. c. Société immobilière Imaxion Ltée, J.E. 92-1775 (C.S.), EYB 1992-75601.371. Brasserie O’Keefe Ltée c. Lauzon, [1988] R.J.Q. 2833 (C.S.), EYB 1988-79694.372. Boutique LeBac Inc. c. Tremblay, [1994] R.D.J. 360 (C.A.), EYB 1994-57756.373. Orange de luxe Inc c. Grégoire, [1994] R.D.J. 479 (C.A.), EYB 1994-55827; Commission de la construction du Québec c. Pompe et Filtration Nord-Est

Inc., [1995] R.D.J. 233 (C.A.), EYB 1995-55902.374. Navigation Île-aux-Coudres (1992) Inc. c. Transports Desgagnés Inc., J.E. 97-365 (C.S.), EYB 1996-85381; Lapointe c. Disques Gamma (Qué.) Ltée,

précité, note 366.375. Cyclomesh Canada Corp. c. Placements Techniques Lubecki Inc., 99BE-459 (C.S.).376. Feldman c. R.B.C. Dominion Securities Inc., J.E. 91-174 (C.S.), EYB 1990-76073.

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allégués, en vertu de l’article 93 C.p.c.; dans ce cas,l’avocat déclarant qui s’est placé dans la position d’avoirà témoigner doit être déclaré inhabile à occuper, à moinsde pouvoir invoquer l’application de l’une des excep-tions prévues à l’article 3.05.06 C.d.a., qu’il s’agissed’un simple affidavit ou d’un affidavit détaillé. Pour ques’applique l’exception prévue à l’article 3.05.06, al. 2 b)C.d.a., il faut que le témoignage de l’avocat ne se rapportequ’à une question de forme et qu’il n’existe pas de raisonde croire qu’une preuve sérieuse sera offerte afin de con-tredire ce témoignage377. L’avocat prudent serait avisé dene pas souscrire d’affidavit, afin d’éviter une déclarationd’inhabilité à occuper.

Avant de pouvoir statuer sur l’inhabilité du procureur,le tribunal devra parfois entendre le témoignage del’avocat afin d’en connaître la teneur et la portée378.L’avocat ne doit pas être déclaré inhabile de façon préma-turée, surtout lorsqu’il n’est pas évident qu’il témoigneraet que son témoignage sera nécessaire ou utile379. Le tribu-nal peut déférer au juge du fond la décision de déclarerinhabiles à occuper ou non tous les membres du cabinetqui représente une partie ou seulement l’un d’eux, dans lecas où ce dernier est appelé à témoigner au procès380.Devant le principe du libre choix de l’avocat, les tribunauxne doivent pas appliquer avec un automatisme absolu larègle de la prohibition du témoignage de l’avocat, mêmeen l’absence de preuve d’un préjudice grave susceptiblede résulter de son exclusion du dossier comme procu-reur381. En cas d’allégation d’inhabilité, une partie a ledroit de faire valoir les raisons pour lesquelles elle nedevrait pas être privée des services de son avocat et de pré-senter dans ce but une preuve pertinente, en accord avec ledroit de la partie à une audition complète de sa cause382.

Il serait injuste de donner préséance à la règle déonto-logique qui interdit le cumul des fonctions d’avocat et detémoin sur le principe du libre choix de l’avocat par leclient, lorsque le témoignage de l’avocat plaideur porte surune question purement matérielle qui est techniquementétrangère aux principales questions en litige. La partieainsi touchée doit donner mandat à un avocat-conseil, nonmembre du cabinet de son procureur, d’agir temporaire-ment au dossier pendant la séquence de l’instruction qui

met en cause son avocat comme témoin intéressé à cetincident de preuve, sans que le procureur de cette partiesoit ainsi complètement et définitivement exclu du dos-sier383. Le justiciable ne doit pas être privé sans raisonvalable de son droit de retenir les services de l’avocat deson choix, surtout lorsque le témoignage ne serait requisque pour prouver des faits accessoires et non essentiels aulitige384. Ne devient pas inhabile à occuper l’avocat dont letémoignage ne se rapportera qu’à une question de forme,qui bénéficie dès lors de l’exception prévue à l’article3.05.06 b) C.d.a.385. Chaque cas est un cas d’espèce quidoit être décidé selon les circonstances de l’affaire386.

Le témoin habile, telle une partie, peut déposer de sonpropre chef; il peut aussi être contraint de témoigner parune partie qui l’assigne.

D- La contraignabilité

Toute personne apte à déposer peut être contrainte dele faire (art. 295 C.p.c.). Signalons le cas d’exception sui-vant : l’intimé poursuivi pour outrage au tribunal ne peutêtre contraint à témoigner (art. 53.1 C.p.c.), quoiqu’il luisoit loisible de déposer de son propre chef en défense –tout comme en matière criminelle.

La partie qui désire produire un témoin l’assigne aumoyen d’un bref de subpœna signifié au moins dix joursavant la comparution (art. 280 C.p.c.). Il est prudent enpratique d’expédier ses subpœnas le plus tôt possible, plu-tôt que le onzième jour avant la date du procès, ce quidonne le temps d’effectuer les démarches requises pourretrouver un témoin déménagé à une adresse inconnue etlui faire ensuite signifier le subpœna. L’absence du témoinsans la remise de la cause ou de son témoignage pourraits’avérer néfaste à l’instruction! En cas d’urgence, ce délaide signification de dix jours peut être abrégé par le jugeou le greffier sans être toutefois inférieur à vingt-quatreheures avant le moment de la comparution.

Selon l’article 280 C.p.c., le subpœna peut être délivrépar un juge, un greffier ou un avocat du district où la causedoit être entendue ou de tout autre district.

260 Preuve devant le tribunal civil

377. Gestion Clément Bernier Inc. c. Financière Micadco Inc., [1998] R.J.Q. 1403 (C.A.), REJB 1998-06380.378. Tsuru c. Montpetit, [1989] R.J.Q. 1226 (C.S.), EYB 1989-77143.379. Carignan (Ville de) c. Ménard, [1992] R.D.J. 413 (C.A.), EYB 1992-58128.380. Potton (municipalité du canton de) c. Pasmore-Baudinet, J.E. 96-1573 (C.S.), REJB 1996-30372.381. Fédération des médecins spécialistes du Québec c. Association des médecins hématologistes-oncologistes du Québec, [1988] R.J.Q. 2067 (C.A.), EYB

1988-62928.382. Vasquez c. Carr, [1992] R.D.J. 493 (C.A.), EYB 1992-63870.383. Teoli c. Fargnoli, J.E. 89-1629 (C.A.), EYB 1989-63187.384. Salatellis c. Hellenic Community of Montreal, [1992] R.D.J. 269 (C.A.), EYB 1991-58100.385. Casgrain c. Lac d’amiante du Québec Ltée, J.E. 98-1561 (C.A.), REJB 1998-06830.386. Roy c. Lefrançois, J.E. 90-598 (C.S.), EYB 1989-76851.

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Un témoin peut être assigné sur simple subpœna pourdéclarer ce qu’il connaît et aussi pour produire quelquedocument au moyen d’un subpœna duces tecum lui enjoi-gnant d’apporter tel document avec lui au procès (art. 281C.p.c.).

Lorsqu’une personne régulièrement assignée et à quises frais de déplacement et, le cas échéant, son indemnitépour la perte de temps et les allocations pour les frais derepas et d’hébergement ont été avancés fait défaut de com-paraître, le juge, au début de l’enquête, peut décernercontre ce témoin un mandat d’amener, s’il est d’avis queson témoignage peut être utile (art. 284 C.p.c.). Il ne fauttoutefois pas s’attendre que ce témoin, amené de force,donne spontanément un témoignage dénué de toute ani-mosité envers la partie qui l’a ainsi contraint à compa-raître! La persuasion auprès d’un témoin peut s’avérerplus efficace.

Toute personne présente à l’audience, telle la partieadverse, peut être requise de rendre témoignage, sans sub-pœna préalablement signifié (art. 302 C.p.c.). Par contre, aumoindre doute sur la présence éventuelle de cette personne,il est préférable de lui faire signifier un subpœna.

Le refus de prêter serment constitue un refus de témoi-gner (art. 304 C.p.c.). « Le témoin qui, sans raison valable,refuse de répondre, se rend coupable d’outrage au tribu-nal, de même que celui qui, ayant en sa possession quelqueélément matériel de preuve d’intérêt pour le litige, refusede le produire. » (art. 313 C.p.c.). Le témoin qui répond defaçon évasive peut être considéré comme un témoin quirefuse de répondre387. N’est pas contraignable le témoinqui refuse de répondre pour une raison valable, soit le plussouvent en cas du maintien d’une objection fondée sur lesecret professionnel ou la communication privilégiée ouencore sur l’absence de pertinence de la question.

Le témoin ne peut refuser de répondre au motif que saréponse pourrait tendre à l’incriminer. Son témoignages’accompagne d’une protection légale à cette fin.

L’article 38 de la Charte des droits et libertés de lapersonne388 se lit en effet comme suit :

« Aucun témoignage devant un tribunal ne peut servirà incriminer son auteur, sauf le cas de poursuites pourparjure ou pour témoignages contradictoires. »

L’article 13 de la Charte canadienne des droits etlibertés exprime un principe identique :

« Chacun a droit à ce qu’aucun témoignage incrimi-nant qu’il donne ne soit utilisé pour l’incriminerdans d’autres procédures, sauf lors de poursuites pourparjure ou pour témoignages contradictoires. »

L’article 309 C.p.c. prévoit qu’un « témoin ne peutrefuser de répondre pour le motif que sa réponse pourraittendre à l’incriminer ou à l’exposer à une poursuite, dequelque nature qu’elle puisse être; mais s’il fait une objec-tion en ce sens, sa réponse ne pourra servir contre lui dansaucune poursuite pénale intentée en vertu de quelque loidu Québec ».

L’article 5 (2) de la Loi sur la preuve au Canada est aumême effet. Une réponse incriminante ne pourra servirdans une procédure criminelle ou pénale exercée par lasuite contre ce témoin, sauf pour parjure389. L’article 309C.p.c. s’applique aux procédures subséquentes à cellesoù le témoin fait sa déclaration, et non aux procédurespénales antérieurement intentées390 : « [...] le seul momentpertinent relativement à l’appréciation de la nature incri-minante du témoignage est celui de la seconde procédure[...] au moment où la poursuite cherche à utiliser le témoi-gnage comme preuve »391, et non lorsque le témoignageest donné à l’origine.

Ce droit fondamental facilite l’éclosion de la vérité,en excluant la menace d’une poursuite pénale pour avoirjustement dit une vérité incriminante. Cette protectionn’écarte toutefois pas la preuve par aveu.

L’article 13 de la Charte canadienne des droits etlibertés vise à empêcher l’auto-incrimination par l’utilisa-tion d’un témoignage antérieur. Cette forme de protectionest liée au droit de ne pas être contraint de témoignercontre soi-même et à la présomption d’innocence établisaux alinéas c) et d) de l’article 11 de la Charte canadienneet aux articles 33 et 33.1 de la Charte québécoise392.

Selon l’article 309 C.p.c., le témoin doit invoquer la« protection de la cour ». Cependant, depuis la consécra-tion de ce droit dans les deux Chartes, il s’agit maintenantd’une « protection de la loi » ne requérant aucune demandeexpresse. À la lumière de l’article 52 de la Charte québé-coise, l’article 38 de la Charte l’emporte sur l’article 309

Qualités et moyens de preuve 261

387. Cotroni c. Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048.388. Précitée, note 361.389. R. c. Bourdon, [1973] C.A. 357.390. Brunet c. Rodrigue, H. REID, D. FERLAND, C.p.c. annoté, Suppl. 1982, p. 245, 1980 (C.S.); Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S.

152; Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350.391. Dubois c. La Reine, précité, note 390, p. 364, j. Lamer.392. Ibid.

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C.p.c., de sorte que l’objection ne serait plus requise : ils’agit d’une protection automatique. De même, en casd’incompatibilité, la Charte canadienne l’emporte surl’article 5 (2) de la Loi sur la preuve au Canada etil n’est plus nécessaire d’invoquer cette protection393.Bénéficiant de ce droit, le témoin demeure contraint derépondre394.

La Cour supérieure a déjà décidé que, lorsqu’il y ainterrelation entre une action civile et une accusation cri-minelle dirigées contre un défendeur, lesquelles découlenttoutes deux des mêmes actes imputés au défendeur, celui-ci peut valablement s’opposer à être interrogé au préa-lable, après défense, sur les faits se rapportant au litige etpertinents à l’infraction criminelle reprochée, aux motifsdu droit à la non-incrimination consacrée à l’article 38 dela Charte des droits et libertés de la personne, à l’article 13de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article5 de la Loi sur la preuve au Canada. Le juge a le droit nonseulement de maintenir l’objection du défendeur à toutequestion découlant de la défense ou de la déclaration, maisaussi, en vertu de l’article 46 C.p.c. et de la juridictioninhérente de la Cour supérieure395, d’ordonner le sursis detoute procédure dans le dossier civil jusqu’au moment oùle jugement final sera prononcé dans la cause criminelleou, dans l’alternative, jusqu’au moment où la Cour supé-rieure lèvera cette suspension de procédure pour les raisonsqu’elle jugera suffisantes, après audition des parties396.

Cependant, dans une autre affaire, la Cour supérieure,invoquant la règle selon laquelle « le criminel ne tient pasle civil en état », décide qu’un défendeur, accusé au pénal,est contraignable à être interrogé après défense parl’assureur demandeur qui lui réclame la valeur d’objetsvolés retrouvés en sa possession, ce dernier bénéficiantde la protection contre l’auto-incrimination397. Dans lamême veine, la Cour d’appel a décidé que des accusationscriminelles portant sur des transactions à l’origine derequêtes en annulation de paiements préférentiels parle syndic de faillite n’en suspendaient pas en principel’audition398.

En principe habile et contraignable, le témoin doitcependant fournir un témoignage qui soit recevable. LeCode civil du Québec impose certaines limites.

E- La recevabilité du témoignage

Le témoin, par son témoignage, peut prouver tout faitpur et simple et tout fait juridique pertinent au litige(art. 2857 C.c.Q.). Le fait pur et simple se prouve partémoin, parce que non constaté par écrit399. Le témoinrelate un fait matériel, tel l’état d’une maison. La preuvetestimoniale d’un fait matériel est toujours recevable.

La gestion d’affaires, la réception de l’indu et l’en-richissement injustifié (art. 1482 à 1496 C.c.Q.) peuventse prouver par témoignage, puisqu’aucun écrit ne constateces quasi-contrats. De même, se prouvent par témoinles faits relatifs à l’inexécution d’une obligation con-tractuelle, puisqu’il s’agit de faits matériels. En matièrecontractuelle, l’exécution subséquente de l’obligation sedistingue de la formation du lien juridique qui la crée.

La preuve par témoignage de l’acte juridique connaîtcertaines limites, posées par l’article 2862 C.c.Q., en rai-son de la fiabilité plus grande de la preuve écrite. Lapreuve testimoniale de l’acte juridique n’est recevable quedans cinq cas, de sorte qu’elle est prohibée dans les autrescas. Nous examinons maintenant ces critères de recevabi-lité du témoignage pour prouver un acte juridique.

Cette prohibition est restreinte aux parties, de sorteque les tiers non assujettis peuvent recourir à la preuve tes-timoniale pour établir un acte juridique qu’ils ont intérêtà invoquer400.

1. L’absence d’écrit

Aucun écrit n’a été rédigé pour constater l’acte juri-dique. Cette absence peut provenir de la nature de l’acteou de la relation entre les parties401. L’article 2861 C.c.Q.énonce : « Lorsqu’il n’a pas été possible à une partie, pourune raison valable, de se ménager la preuve écrite d’unacte juridique, la preuve de cet acte peut être faite partous moyens. » Cette disposition renvoie à l’impossibilitéphysique ou morale de se procurer un écrit. En cas d’im-possibilité de ce faire pour une raison valable, la preuvetestimoniale de l’acte juridique est permise.

262 Preuve devant le tribunal civil

393. Ibid.394. Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, précité, note 390.395. Three Rivers Boatman Ltd. c. Conseil canadien des relations ouvrières, [1969] R.C.S. 607, 615 et 616.396. Pétroles Esso Canada c. Les Entreprises Richard Chaput Inc., [1988] R.J.Q. 1388 (C.S.), EYB 1988-77716.397. Royale du Canada (La), Compagnie d’assurances c. Transport A.Y.D.Y. Inc., J.E. 97-1812 (C.S.), REJB 1997-02032;au même effet, Tremblay c. Demers,

J.E. 98-66 (C.S.), REJB 1997-03642.398. Obadia (Syndic de), J.E. 97-907 (C.A.), REJB 1997-00590.399. Telmond Factors Ltd. c. Freed, [1975] C.A. 165.400. Cruise Canada Inc. c. Clermont, REJB 1998-05903 (C.A.); 9148-6274 Québec Inc. c. Al Raîs, EYB 2006-111795 (C.A.).401. Turcotte (Succession de) c. Ruest, EYB 2005-94331 (C.Q.).

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L’impossibilité de se ménager une preuve écrite doitexister à l’époque de la formation de l’acte juridique.Lorsqu’une telle impossibilité n’est pas établie, la preuved’un contrat verbal ne peut s’effectuer par le témoignagede la partie qui l’invoque, à moins d’être autorisée par unautre cas d’exception, tel le commencement de preuve. Àdéfaut, il faudra recourir à l’aveu judiciaire de la partieadverse, qui pourrait reconnaître ce contrat lors d’un inter-rogatoire préalable ou – situation plus aléatoire – lors d’uninterrogatoire principal à l’audience au cours de la preuvede la demande.

2. La perte de l’écrit

Un écrit a déjà existé mais a depuis été perdu. En vertude l’article 2860, al. 2 C.c.Q., « lorsqu’une partie ne peut,malgré sa bonne foi et sa diligence, produire l’original del’écrit ou la copie qui légalement en tient lieu, la preuvepeut être faite par tous moyens », dont le témoignage.

Nous avons plus amplement traité de cette preuvesecondaire au début du présent chapitre, au regard de larègle de la meilleure preuve.

3. La valeur du litige

En vertu du premier alinéa de l’article 2862 C.c.Q.,« La preuve d’un acte juridique ne peut, entre les parties,se faire par témoignage lorsque la valeur du litige excède1 500 $. » La preuve testimoniale d’un contrat verbal estdonc recevable, lorsque la valeur du litige n’excède pas cemontant.

La valeur du litige se distingue de celle de l’acte juri-dique même. La recevabilité de la preuve testimonialen’est pas déterminée en fonction de la valeur de l’acte juri-dique au moment de sa formation, mais en fonction de lavaleur de l’objet du litige au moment du procès. Parexemple, le litige peut porter sur des arrérages de loyer de1 000 $ selon un bail verbal établissant un loyer annuel de5 000 $; la valeur du litige n’excède pas 1 500 $, quoiquel’acte juridique excède ce montant.

L’expression « valeur du litige » (ou « valeur de lachose réclamée » ou « valeur de l’objet du litige »)se trouve dans différents articles du Code de procédurecivile, par exemple : art. 26, al. 1, par. 1, art. 34, al. 1, par. 1et 2.

Vu la similitude des termes employés, on pourra seréférer à la jurisprudence établie en application de ces

règles pour l’interprétation en regard de l’exception à laprohibition de la preuve testimoniale établie par l’article2862, al. 1 C.c.Q.

Qu’en est-il des intérêts ou du montant réclamé envertu d’une clause pénale? Pour décider de la valeur dulitige en application de cet article, les tribunaux doiventtenir compte des intérêts et, le cas échéant, d’une clausepénale, lorsque ceux-ci ont été calculés et inclus dans lemontant réclamé lors de l’introduction d’une demande enjustice. Cependant, le tribunal devrait ignorer les intérêtscourus entre la date de la signification de la demande etcelle du procès.

Dans les actions réelles, la recevabilité de la preuvepar témoignage sera en fonction de la valeur du bienréclamé, valeur déterminée au moment de l’introductiond’une action.

Si en défense à une action sur prêt d’un montant de10 000 $, le défendeur veut établir qu’il a payé la sommede 1 000 $, la preuve testimoniale est-elle permise? Cettepreuve serait possible, le paiement étant un acte juridiquedistinct. Le même principe s’applique à la demande recon-ventionnelle.

Cette limite relative à la valeur du litige s’estompe encas d’un commencement de preuve.

4. Le commencement de preuve

L’article 2862 C.c.Q., al. 2 énonce : « Néanmoins, enl’absence d’une preuve écrite et quelle que soit la valeurdu litige, on peut prouver par témoignage tout acte juri-dique dès lors qu’il y a commencement de preuve. »

a) La notion

Selon l’article 2865 C.c.Q., le commencement depreuve est tout ce qui émane de la partie adverse ou d’unepreuve matérielle et qui rend vraisemblable l’acte juri-dique à prouver.

L’énumération à l’article 2865 C.c.Q. n’est pasexhaustive402.

Le commencement de preuve peut résulter d’un aveuécrit ou d’un aveu judiciaire oral qui émane de la partieadverse (art. 2850 C.c.Q.). En cas de division (art. 2853C.c.Q.), l’aveu qualifié, ainsi divisé, peut parfois, selon le

Qualités et moyens de preuve 263

402. Immeubles Axxa Realties Inc. c. Investissements Intergem Inc., J.E. 94-944 (C.S.), EYB 1994-73735.

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cas, servir de commencement de preuve403. Par contre,l’aveu indivisible ne peut valoir comme commencementde preuve404. Des admissions dans des actes de procédurepeuvent constituer un commencement de preuve405.

Tout écrit qui émane de la partie adverse ou de sonmandataire autorisé peut, par son contenu, constituer uncommencement de preuve, qu’il s’agisse d’un écrit instru-mentaire ou d’un simple écrit406. Une inscription écritepar un tiers à la demande de la partie adverse constitueun commencement de preuve407. Le commencement depreuve ne peut toutefois émaner d’un tiers, tel l’exécuteurtestamentaire qui omet de déclarer au fisc une prétenduedette du défunt408.

Le commencement de preuve peut aussi provenir dutémoignage de la partie adverse rendu de son propre chefou à la demande d’une autre partie, comme lors d’un inter-rogatoire préalable ou à l’instruction devant le tribunal. Cecommencement de preuve peut découler du contenu de ladéclaration de la partie adverse qui, comme dans le casd’un aveu, reconnaît un fait de nature à produire des consé-quences préjudiciables contre son auteur et susceptiblede rendre vraisemblable l’acte juridique allégué. Ainsi,l’interrogatoire préalable après défense du défendeur (art.398 C.p.c.) au sujet d’une entente peut donner ouvertureà la preuve testimoniale de l’autre partie qui, commel’autorise l’article 2863 C.c.Q., peut alors en contredire lestermes409.

Ce début de preuve peut aussi découler de l’appré-ciation de la force probante du témoignage par le tribunal(art. 2845 C.c.Q.), soit de la crédibilité de la partie adversepar sa façon de témoigner. Son comportement commetémoin ainsi que ses réticences, hésitations et contra-dictions peuvent faire présumer qu’elle tente de cacherla vérité pour ne pas reconnaître le fait recherché410.L’hostilité de la partie adverse entendue comme témoinpeut constituer un commencement de preuve411. Le témoi-gnage d’une partie peut servir de commencement depreuve « lorsque les réponses données sont plus ou moins

embarrassées ou artificieuses ou évasives, démontrant quela partie cherche à dissimuler la vérité, soit en se retran-chant dans un défaut de mémoire ou en prétendant ignorerdes faits qui devraient lui être connus »412. Par contre, destémoignages contradictoires ne suffisent pas en soi à créerun commencement de preuve413.

Le commencement de preuve peut également résul-ter de la présentation d’un élément matériel (art. 2854C.c.Q.). Le législateur n’exige pas que cette preuve maté-rielle émane de la partie adverse. Le tribunal peut tirer dela présentation d’un élément matériel toute conclusionqu’il estime raisonnable (art. 2856 C.c.Q.). Le commen-cement de preuve peut aussi résulter d’une preuvecirconstancielle414.

Rappelons qu’en vertu de l’article 2839 (2) C.c.Q., ledocument technologique dont le support ou la technologieutilisé ne permet ni d’affirmer ni de dénier que son inté-grité est assurée peut servir de commencement de preuve.

Pour valoir comme commencement de preuve, lefait doit être suffisamment cohérent pour rendre probablel’acte juridique à prouver.

b) La force probante

Le moyen de preuve doit rendre vraisemblable le faitallégué, comme l’énonce l’article 2865 C.c.Q.

« Le commencement de preuve par écrit, c’est l’adhé-sion logique de l’esprit à l’existence d’un fait qui aune relation telle avec le fait allégué que ce dernieracquiert le caractère de vraisemblance et de plausi-bilité. »415

Le fait en preuve, bien qu’incomplet en soi pour éta-blir le contrat, doit être suffisamment probant pour que letribunal, selon la prépondérance des probabilités, puisseconclure à la vraisemblance de ce dernier416.

264 Preuve devant le tribunal civil

403. Aubin c. La Librairie Commerciale Ltée, [1960] B.R. 290.404. Lefebvre c. Robidoux, J.E. 96-748 (C.Q.), REJB 1996-30536.405. A.E. Lepage (Québec) Inc. c. Matte, J.E. 83-74 (C.S.).406. Séguin (Succession de) c. Racine, J.E. 94-611 (C.S.), EYB 1994-79411; Laboratoire Avicena Inc. c. Keyserlingk, REJB 2002-35222 (C.S.).407. Labonne c. Robichaud, REJB 2001-25605 (C.Q.); Boulay (Syndic de), REJB 1995-15670 (C.S.).408. Mousseau c. Mathieu-Mousseau, J.E. 88-722 (C.P.), EYB 1988-78055.409. Thériault c. Dumont, J.E. 94-1188 (C.Q.), EYB 1994-84376.410. Bernard Dairy Queen Inc. c. Gagnon, [1975] C.A. 750.411. Gauthier c. Joannette, [1988] R.D.J. 96 (C.S.).412. Household Finance Corp. c. Desaulniers, [1966] R.L. 108 (C.S.); Dagenais c. Fortin (Succession de), REJB 2000-18877 (C.S.).413. 3099-2325 Québec Inc. c. 2849-6180 Québec Inc., [1995] R.L. 571 (C.S.).414. Entreprises Wilfrid Côté Inc. c. Touchette, [1995] R.L. 460 (C.Q.); Commentaires du ministre de la Justice, t. II, Québec, Publications du Québec, 1993,

art. 2865.415. Sirois c. Parent, [1954] B.R. 91, 95, j. Bissonnette.416. Robertson c. Quinlan, [1934] R.C.S. 550, 557, j. Cannon.

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Chaque cas est un cas d’espèce et le tribunal déciderade la suffisance des faits invoqués pour valoir commecommencement de preuve417. La vraisemblance du fait àprouver est une question de faits laissée à l’appréciationdu tribunal. La question sera généralement débattue àl’occasion d’une objection à la preuve, afin de déterminers’il y a ou non ouverture à la preuve testimoniale. Le tribu-nal appréciera par exemple si le témoignage de la partieadverse constitue un commencement de preuve; laCour d’appel n’interviendra pas dans cette questionlaissée à l’arbitrage du juge de première instance, sauf encas d’erreur évidente418, ou si le tribunal de première ins-tance omet de statuer sur l’existence d’un commencementde preuve419.

Si on invoque un écrit à titre de commencement depreuve, ce dernier doit être pertinent et appuyer le témoi-gnage; il doit, par l’utilisation des règles ordinaires duraisonnement, donner à penser que le témoignage est pro-bablement vrai; il doit également avoir un poids suffisantpour prêter de la vraisemblance au témoignage, c’est-à-dire aller au-delà de la simple possibilité420.

À titre d’exemple, la lettre suivante a été considéréecomme commencement de preuve d’un mandat confié àun courtier en immeubles :

« Quant à la maison, vous savez que je ne refuseraispas 25 000 $ [...] toutefois, si vous avez une offre, je laprendrai en considération. »421

Le demandeur établit ensuite par son témoignagel’existence d’un mandat verbal.

L’ensemble des éléments du témoignage doit rendrevraisemblables les prétentions de la partie quant à l’exis-tence de l’acte juridique invoqué422.

Un chèque en soi ne peut servir, en principe, decommencement de preuve, parce qu’il ne rend pas néces-sairement vraisemblable le fait allégué. Un chèque sans

inscription n’établit que des débours, non un commen-cement de preuve423.

Ainsi, un chèque sans mention additionnelle ne vautdonc pas en principe comme commencement de preuveautorisant la preuve testimoniale d’un prêt424. Exception-nellement, dans de rares cas d’espèce, un tel chèque a étéqualifié de commencement de preuve425. Sous réservede l’appréciation du tribunal, un chèque avec annota-tions peut cependant constituer un commencement depreuve426.

Dans le même sens, une entrée comptable aux livresd’une partie ne prouve pas qu’il y a eu prêt. L’admissiond’une partie qu’elle a reçu de l’argent, alors qu’elle nie unprêt, ne constitue pas un commencement de preuve, ni lapreuve que ce prêt a été effectué427.

Lorsqu’il y a commencement de preuve, la partieréclamante peut ensuite, par preuve testimoniale, établirde façon complète l’acte juridique invoqué. Dans le cadrede sa preuve, la partie demanderesse devra d’abord utiliserun élément émanant de la partie adverse – écrit ou témoi-gnage – ou un élément matériel qui rend vraisemblable ledroit invoqué. D’une part, l’écrit émanant de la partiedéfenderesse pourrait déjà avoir été annoncé en preuvecomme pièce alléguée et accompagnant un acte de procé-dure (art. 331.1 C.p.c.) ou communiquée par avis selonl’article 403 C.p.c. puis produite au dossier dans les délaisprévus aux articles 331.7 ou 331.8 C.p.c. D’autre part, lecommencement de preuve pourrait déjà avoir été établipar les réponses de la partie adverse à son interrogatoirepréalable (art. 397 et 398 C.p.c.) ou sur les faits se rappor-tant au litige (art. 405 C.p.c.). Si le dossier au procès necomporte déjà aucun de ces commencements de preuve, lapartie demanderesse devra alors faire entendre comme sonpremier témoin la partie défenderesse, qui reconnaîtra etproduira l’écrit ou fournira un témoignage qui servirade commencement de preuve contre elle. La partie deman-deresse présentera ensuite sa preuve testimoniale entémoignant elle-même et en faisant entendre, le cas

Qualités et moyens de preuve 265

417. Johnston c. Buckland, [1937] R.C.S. 131.418. Larouche c. Béliveau, précité, note 269.419. Hamas Gestion Inc. c. 2973-3722 Québec Inc., précité, note 229.420. London Life, Compagnie d’assurance-vie c. Berthiaume, [1992] R.R.A. 392 (C.A.), EYB 1992-63863.421. Brennan c. Gagnon, (1923) 29 R.L. 225 (C.A.).422. Deschênes c. Bérard (succession de), [1993] R.D.J. 222 (C.A.), EYB 1992-55620.423. Wolfe c. Wolfe (succession de), J.E. 93-411 (C.A.), EYB 1993-64111; Turcotte c. Goyette, [1987] R.D.J. 443 (C.A.), EYB 1987-56252; Brunet c. Poirier,

J.E. 96-212 (C.Q.), REJB 1995-29051.424. Corbeil c. Corbeil, (1939) 67 B.R. 24; Fraser c. Reid, [1945] C.S. 442.425. Industrial Glass Company Ltd. c. Allan, [1968] B.R. 250, désistement en Cour suprême; Masson c. Joron, [1981] C.P. 142.426. Bricot c. Brien, (1914) 23 B.R. 565; Thow c. Lacoste, (1938) 45 R.L. 310 (C.S.); Cahane c. Curatelle Publique, J.E. 88-1200 (C.S.), EYB 1988-78165, y

compris d’un prêt Laverdure c. Les héritiers de Léo Moisan, [1972] R.L. 457 (C.P.); voir aussi Dupaul c. Beaulieu, REJB 2000-18191 (C.S.), où le jugeretient qu’un chèque portant la mention non équivoque «prêt» suffit comme preuve du prêt.

427. Jutras Construction c. Lecompte, J.E. 78-950 (C.P.).

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échéant, ses autres témoins, en vue d’offrir une preuvecomplète de ses prétentions.

Si la partie adverse n’a pas fourni auparavant, par unécrit produit ou par son témoignage, un commencementde preuve, toute preuve testimoniale au procès de l’actejuridique invoqué serait prohibée et, par conséquent, irre-cevable, sauf en l’absence d’objection (art. 2859 C.c.Q.).Afin d’éviter les surprises et les déceptions en cas d’in-succès à l’instruction, le plaideur avisé devrait rechercherle commencement de preuve avant procès, par exempleà l’occasion d’un interrogatoire préalable accompagnéd’une communication de documents.

Le commencement de preuve n’est pas requis lors-qu’il s’agit de prouver contre une personne un acte juri-dique passé par cette dernière dans le cours des activitésd’une entreprise.

5. Le contrat avec une entreprise

Quelle que soit la valeur du litige, « on peut aussiprouver par témoignage, contre une personne, tout actejuridique passé par elle dans le cours des activités d’uneentreprise » (art. 2862 C.c.Q.). L’article 1525, al. 3 C.c.Q.,définit ce que constitue l’exploitation d’une entreprise.L’activité économique dont il traite peut émaner, parexemple, de l’exercice d’une profession, d’un orga-nisme sans but lucratif ou d’une entreprise commercialeou industrielle.

Si l’acte en question est conforme à l’objet de l’entre-prise, il devra être considéré comme ayant été passé dansle cours de l’entreprise. Par exemple, un contrat de cons-truction conclu par un entrepreneur, l’achat et la vented’une automobile par un marchand d’automobiles. Parcontre, il n’en sera pas de même en ce qui a trait à l’actejuridique posé par une entreprise en vue de permettre l’ac-complissement de son ou de ses objets, selon un courantjurisprudentiel majoritaire récent428. Cette jurisprudence aécarté l’application de la théorie de l’acces- soire connuesous l’ancien Code civil du Bas-Canada, notamment parl’analyse de textes de l’article 2862 C.c.Q. dont la versionanglaise et la version française sont différentes et parl’analyse du contexte dans lequel cette expression est uti-lisée ailleurs dans le Code civil du Québec. Les tribunaux,dans ces instances, ont conclu à l’interprétation restrictive

de l’expression « un acte juridique passé dans le coursd’une activité d’une entreprise ».

Par exemple, renoncer à une clause d’exclusivité n’estpas un acte passé dans le cours de l’activité d’une agencede voyage429. De même, une entente relative à un partagede profits n’intervient pas dans le cadre des activitésd’une entreprise de construction430. La preuve testimo-niale d’une telle entente n’est donc pas recevable, enl’absence de commencement de preuve.

Le consommateur qui est une personne physique peutétablir par son témoignage l’existence d’un contrat concluavec une entreprise régie par la définition de l’article 1525C.c.Q. Notons cependant que la Loi sur la protection duconsommateur431 exige un contrat écrit dans les cas régispar cette loi.

Par contre, l’entrepreneur ne peut prouver par témoi-gnage contre une personne qui n’exploite pas uneentreprise un acte juridique, même si cet entrepreneur apassé cet acte dans le cours des activités de son entreprise.Suivant la théorie de l’acte mixte, s’applique la règle de lapersonnalité des lois, selon laquelle chaque partie est régiepar le régime juridique qui lui est propre. L’exploitant del’entreprise, qui ne peut utiliser la preuve testimonialecontre l’autre partie, doit en conséquence faire appel à lapreuve écrite432. Le témoignage sera cependant recevables’il est autorisé par un commencement de preuve.

Notons toutefois que l’entrepreneur, le cas échéant,peut établir la preuve de l’acte juridique par un écrit nonsigné, habituellement utilisé dans le cours des activitésd’une entreprise pour constater un acte juridique (art. 2831C.c.Q.).

En l’absence de la recevabilité du témoignage et àdéfaut d’une preuve écrite, la preuve de l’entrepreneurdevra s’établir par l’aveu de la partie adverse ou par pré-somption de faits. Il s’agira de l’aveu judiciaire, toujoursrecevable, ou de l’aveu extrajudiciaire écrit; l’aveu extra-judiciaire oral est irrecevable car il se prouve partémoignage, ici prohibé (art. 2867 C.c.Q.). De même, laprésomption de faits devra résulter d’un écrit, et non d’untémoignage, en raison de cette même prohibition, à lalumière de la jurisprudence de la Cour d’appel qui établitun parallèle avec la recevabilité de l’aveu extrajudi-ciaire433.

266 Preuve devant le tribunal civil

428. Gagné c. Gestion Unidev Inc. et al., REJB 1997-02630 (C.S.); Labonne c. Robichaud, REJB 2001-25605 (C.Q.); Morisset c. Genford Construction Ltée,REJB 2001-26804 (C.S.).

429. Club de voyage Aventures (groupe Inc.) c. Club de voyage Aventures Inc., REJB 1997-02683 (C.S.).430. Morisset c. Genford Construction Ltée, précité, note 428.431. Précitée, note 220, art. 23 à 33.432. Dynacast Ltd. c. Pearson, [1972] C.A. 339.433. Borduas c. Ouimet, précité, note 290; Malky c. Gauthier, précité, note 290; Dugas c. Pepper, précité, note 290.

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Rappelons que cette prohibition assortie de casd’exception ne vaut qu’à l’égard de la preuve testimonialede l’acte juridique, tel un contrat verbal non constaté dansun écrit instrumentaire.

Le témoignage doit non seulement être recevable,mais il doit aussi être probant.

F- La force probante

Le poids du témoignage résulte de sa force probante.Dans quelle mesure le témoin dit-il la vérité?

1. En première instance

La force probante de la preuve testimoniale dépendde la crédibilité de chaque témoin et de la qualité deson témoignage, eu égard à la façon de témoigner et aucontenu des réponses, éléments que le juge considère envue de rendre un jugement conforme au poids de la preuve.« La force probante du témoignage est laissée à l’appré-ciation du tribunal », énonce l’article 2845 C.c.Q. « Lacrédibilité doit toujours être le résultat de l’opinion dujuge ou du jury sur les divers éléments perçus au procès, deson expérience, de sa logique et de son intuition à l’égardde l’affaire. »434

La crédibilité du témoin est appréciée par le juge, defaçon positive ou négative, eu égard à plusieurs critères,dont le degré de perception et de connaissance des faitsrapportés par ce témoin, sa faculté de mémoriser lesévénements passés, son comportement et son moded’expression ainsi que sa relation avec l’une des parties.À ce dernier égard, l’article 295, al. 2 C.p.c. énonce :« La parenté, l’alliance, l’intérêt peuvent être causes dereproche contre un témoin, mais seulement quant au degréde crédibilité de son témoignage. » Cela ne signifie pasqu’un témoin uni par un lien d’amitié avec une partie nepuisse rapporter la vérité. L’expérience enseigne que letémoin plus que parfait peut être suspect lorsqu’il relate defaçon extrêmement précise et détaillée un événement quis’est déroulé plusieurs années auparavant. Par contre, untémoin nerveux parce qu’il est intimidé par l’appareil judi-

ciaire à l’audience peut néanmoins fournir une dépositionvéridique.

La jurisprudence fournit des critères d’appréciationd’un témoin435.

La preuve des témoins qui parlent à leur connaissancepersonnelle est acceptée de préférence à celle des person-nes qui donnent des opinions basées sur des observationsscientifiques, qui ne peuvent démentir les faits relatéspar les témoins oculaires436. Une preuve scientifique théo-rique, non précise ni suffisante, ne peut prévaloir sur unepreuve positive apportée par des témoins oculaires437. Unepreuve positive doit en principe être préférée à une preuvenégative438.

« La preuve par témoignage peut être apportée parun seul témoin » (art. 2844 C.c.Q.), ce qui n’en exclut évi-demment pas la corroboration. L’analyse de la preuven’est pas purement quantitative et dépend de l’évaluationpar le juge de la valeur probante des témoignages439.Cependant, doit être corroboré le témoignage de l’enfantnon assermenté qui, de l’avis du juge, ne comprend pas lanature du serment, puisqu’un « jugement ne peut êtrefondé sur la foi de ce seul témoignage » (art. 2844 C.c.Q.).Cette nécessité de la corroboration du témoignage del’enfant non assermenté n’existe pas en Chambre de la jeu-nesse de la Cour du Québec440, suivant l’article 85.2 de laLoi sur la protection de la jeunesse, qui, au second alinéa,énonce : « Il n’est pas nécessaire que ce témoignage soitcorroboré », à la différence toutefois que la déclarationextrajudiciaire de l’enfant, lorsqu’elle est recevable parexception à la prohibition du ouï-dire, doit être corro-borée, en vertu de l’article 85.5 de la Loi sur la protectionde la jeunesse, précédemment cité.

Même en l’absence d’exigence de corroboration, lejuge doit néanmoins traiter les témoignages d’enfantsavec soin lorsque les circonstances de l’affaire le justi-fient441. La norme de l’adulte raisonnable ne convient pasnécessairement à l’appréciation de la crédibilité des jeu-nes enfants; il faut aborder leur témoignage en se fondantsur le bon sens442. Les témoignages d’enfants ne sont pasintrinsèquement peu fiables; il est peut-être erroné de leur

Qualités et moyens de preuve 267

434. R. c. Marquard, précité, note 345, p. 248, j. McLachlin pour la majorité.435. White c. La Reine, [1947] R.C.S. 268, 272, j. Estey; Beaudoin c. Banque de développement du Canada, REJB 2004-54067 (C.S.).436. Gareau c. The Montreal Street Railway Co., (1900) 31 R.C.S. 463.437. Bilodeau c. Nadeau, [1950] B.R. 481.438. Lefeunteum c. Beaudoin, (1897) 28 R.C.S. 89, 93, j. Taschereau.439. Mignacca c. Provigo Inc., REJB 2004-70099 (C.A.).440. Protection de la jeunesse – 695, J.E. 94-1128 (C.Q.), REJB 1994-28643.441. R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122, EYB 1992-67527; Tabor c. La Reine, J.E. 93-759 (C.A.), EYB 1993-64170.442. R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 30, EYB 1990-59701.

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appliquer les mêmes critères qu’à ceux des adultes enmatière de crédibilité, puisque les enfants peuvent voirle monde différemment des adultes443. Cette normed’appréciation du témoignage de l’enfant élaborée parla Cour suprême en matière criminelle est applicableen matière civile444. La variation dans un témoignaged’enfant, en matière d’abus sexuel, n’entache pas sa crédi-bilité; il faut plutôt vérifier la crédibilité interne de ladéclaration, c’est-à-dire voir si le récit offre une structurelogique, et se demander si la déclaration a été spontanée etcomporte des détails concrets445. Le poids à accorder autémoignage d’un enfant ne peut, en droit, être touché par lefait qu’il n’a pas témoigné sous serment446.

La corroboration, soit tout élément qui confirme unélément de la déposition, renforce la crédibilité du témoin,puisqu’il s’agit d’une preuve supplémentaire qui rend pro-bable la véracité de sa version447. En matière criminelle, lapreuve de véracité est irrecevable : les témoignages justifi-catifs, qui visent à confirmer la crédibilité d’un témoin,sont interdits448. Jusqu’à l’avènement du Code civil duQuébec en 1994, cette théorie s’appliquait en matière dedroit civil449.

Or, depuis 1994, l’interdiction de produire une décla-ration antérieure compatible ne s’applique plus en matièrecivile en raison de l’article 2871 C.c.Q.450. Une décla-ration antérieure compatible d’un témoin sera doncadmissible à titre de témoignage si cette déclaration pré-sente des garanties suffisamment sérieuses pour qu’onpuisse s’y fier.

Il appartient toujours au juge des faits de se prononcersur la crédibilité. En conséquence, sera déclarée irrece-vable une preuve qui « tendrait à établir la franchise dutémoin plutôt que la véracité de ses déclarations »451. Parexemple, dans le cas de l’utilisation d’un test polygra-phique, l’expert en détecteur de mensonges n’exprimerapas d’opinion sur la crédibilité du témoin; sa fonctionconsistera plutôt à interpréter les données physiologiques

et à indiquer si ces données correspondent à celles prove-nant d’une personne qui dit la vérité. Il s’agira donc d’uneopinion d’expert sur la façon d’interpréter les résultats dutest polygraphique et non d’une opinion sur la franchisedu témoin452.

Bien que la preuve par polygraphe soit irrecevableen matière criminelle453, les résultats d’un détecteur demensonge peuvent être admissibles en preuve dans unecause civile. La fiabilité de ce test influera principalementsur sa valeur probante454.

Ainsi, à plusieurs occasions, les tribunaux ont consi-déré que la preuve par polygraphe n’était pas fiable,dans les circonstances où cette preuve visait à soutenirl’argument relatif à l’absence de crédibilité du témoin,dans son témoignage au procès, alors qu’il avait subi cetest polygraphique antérieurement455.

La cour a estimé que, dans un premier temps, il n’yavait eu aucune preuve quant à la fiabilité de l’appareil uti-lisé, lequel, contrairement à l’alcootest, ne fait pas l’objetd’une certification. La cour a ensuite considéré qu’aucunepreuve scientifique ou médicale n’avait été présentée poursoutenir la prémisse qu’une personne qui ment démontreune réaction physiologique mesurable (battement decœur, sueur, etc.) différente de celle qui dit la vérité,mais qui est stressée.

Au surplus, la Cour d’appel a récemment indiqué quele refus de subir un test polygraphique ne permet pas aujuge de tirer une inférence négative de ce refus456.

2. En appel

La Cour d’appel n’interviendra pas, en principe, dansl’appréciation des témoignages par le tribunal de premièreinstance, sauf en cas d’erreur manifeste, puisque le jugede première instance qui voit et entend les témoins est

268 Preuve devant le tribunal civil

443. R. c. W. (R.), précité, note 441.444. Dans la situation de: M. (J.), REJB 2002-36449 (C.S.).445. Protection de la jeunesse – 740, J.E. 95-529 (C.Q.), EYB 1994-72638.446. R. c. Melville-Liddle, J.E. 94-607 (C.A.), EYB 1994-57891.447. R. c. B. (G.), précité, note 442.448. R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398, EYB 1987-67735.449. Domaine de la Rivière Inc. c. Aluminium du Canada Ltée, [1985] R.D.J. 30 (C.A.).450. Hôtel Central (Victoriaville) Inc. c. Compagnie d’assurances Reliance, J.E. 98-1363 (C.A.), REJB 1998-06721.451. R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656, 668, EYB 1994-67081, j. McLachlin pour la cour, qui cite R. c. B. (F.F.), [1993] 1 R.C.S. 697, 729, EYB 1993-67380.452. Hôtel Central (Victoriaville) Inc. c. Compagnie d’assurances Reliance, précité, note 450.453. R. c. Béland, précité, note 448.454. 9027-7104 Québec Inc. c. Commissaire général du travail, J.E. 97-1355 (C.S.), REJB 1997-00868; Hôtel Central (Victoriaville) Inc. c. Compagnie

d’assurances Reliance, précité, note 450.455. Les vêtements Paul Allaire Inc. c. La Citadelle, compagnie d’assurances générales Inc., REJB 2000-01963 (C.S.); Protection de la jeunesse – 1121,

[2000] R.J.Q. 982 (C.Q.), REJB 2000-16406; Latouche c. Promutuel Bellechasse, REJB 2003-45170 (C.S.); Hydro-Québec c. Desaulniers, EYB2005-92623 (C.S); Lefebvre c. Axa Assurances Inc., EYB 2002-117385 (C.Q.).

456. Brès c. Cumis Compagnie d’assurances générales, REJB 2004-55546 (C.A.).

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mieux placé pour apprécier leur crédibilité que la Courd’appel. Une cour d’appel ne doit pas modifier les déter-minations et les conclusions de faits d’un juge de premièreinstance, à moins d’erreur manifeste et dominante qui afaussé l’appréciation des faits par le tribunal457. Afin de nepas donner l’impression de tomber dans l’arbitraire, le tri-bunal doit motiver son choix en matière de crédibilité.

« De toute évidence, la tâche d’une cour d’appel seragrandement simplifiée si le juge de première ins-tance a soigneusement expliqué les motifs au soutiende ses conclusions. Comme notre Cour l’a concludans l’arrêt Laurentide Motels, précitée » (LaurentideMotels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S., 705)« à la p. 799 : [...] une cour d’appel qui n’a ni vuni entendu les témoins et, à ce titre, est incapabled’apprécier leurs gestes, regards, hésitations, trem-blements, rougeurs, surprise ou bravade, ne sauraitsubstituer son opinion à celle du juge du procès dontc’est précisément la tâche difficile de séparer l’ivraiedu bon grain, de scruter les reins et les cœurs pour ten-ter de découvrir la vérité. S’il arrive que le juge duprocès néglige de faire part de ses conclusions à cetégard ou ne les étaye pas de façon concluante, il estpossible qu’une cour d’appel soit obligée de formerses propres conclusions. Ce n’est toutefois pas lecas ici où l’on voit que le juge a très souvent notéses impressions et a étayé ses conclusions. »458 (Lesitaliques sont de nous).

La Cour d’appel ne doit pas reprendre le procès etréexaminer la preuve présentée en première instance459.

Une cour d’appel doit motiver son désaccord avec lesconclusions de faits du juge de première instance460.

La Cour d’appel peut tirer des conclusions en droit àpartir de faits que le juge de première instance a lui-mêmeconsidérés comme établis, sans substituer sa propre appré-

ciation de la preuve à celle du premier juge. Elle peut inter-venir quant aux conclusions de droit fondées sur cesfaits461. « Lorsqu’une juridiction d’appel accepte toutesles conclusions de faits proprement dites du juge, commeje le fais, elle est en aussi bonne position que lui pour qua-lifier ces faits. »462 Ainsi, en matière de présomption defaits, la Cour d’appel peut tirer ses conclusions à partir desfaits retenus par le tribunal d’instance463.

La mise de côté de la preuve en première instanceexige donc des motifs suffisants464. Ainsi, lorsque le tribu-nal de première instance n’a pas tenu compte de partiesimportantes de la preuve, tels un aveu et des documents, laCour d’appel est justifiée de réévaluer la preuve testimo-niale et les conclusions d’ensemble du premier juge465.Dans cette éventualité, la Cour d’appel appréciera selonson examen de la preuve au dossier466.

Le témoignage provient le plus souvent d’un témoinordinaire qui relate des faits dont il a eu personnellementconnaissance; il peut aussi provenir d’un témoin expert.Le témoignage est aussi « la déclaration [...] par laquelleun expert donne son avis » (art. 2843 C.c.Q.).

G- Le témoignage d’expert

L’expert, auteur d’un rapport d’expertise, peut êtreentendu comme témoin à l’instruction. En raison de sa for-mation ou de son expérience, l’expert est particulièrementcompétent à exprimer un avis sur un sujet donné. La tâchede l’expert consiste à éclairer d’abord l’avocat dans laconduite de son dossier par l’opinion qu’il est appelé àdonner, puis éventuellement le tribunal dans la compré-hension et l’appréciation de certains faits. Nous traitons icide l’utilité, de la recevabilité et de la force probante dutémoignage de l’expert. Nous traiterons de la confidentia-lité de certaines communications écrites ou verbales del’expert au chapitre qui traite des objections.

Qualités et moyens de preuve 269

457. Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351, EYB 1992-67846 et EYB 1992-67847; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, REJB2002-29758; Société de gestion Place Laurier Inc. c. 3336140 Canada Inc., REJB 2004-79813 (C.A.).

458. Id., p. 361, j. L’Heureux-Dubé pour la cour; Ouellette c. Maxwell, [1984] R.D.J. 425 (C.A.); Gaz Métropolitain Inc. c. Toupin, [1974] R.C.S. 1071;Heller-Natofin Ltd. c. Thomassin, [1987] R.D.J. 137 (C.A.), EYB 1987-57394; Industrial Teletype Electronics Corp. c. Ville de Montréal, [1977] 1 R.C.S.629; Maryland Casualty Co. c. Roland Roy Fourrures Inc., [1974] R.C.S. 52; voir également Pouliot c. Promutuelle de Montmagny, EYB 2005-88361(C.A.), où la Cour d’appel applique le même raisonnement à une situation inverse.

459. Farber c. Royal Trust Co., J.E. 95-1307 (C.A.), EYB 1995-59558.460. Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554, EYB 1992-67806.461. Procureur général de l’Ontario c. Bear Island Foundation, [1991] 2 R.C.S. 570, EYB 1991-67621; St-Jean c. Mercier, REJB 2002-28009 (C.S.C.).462. Desgagné c. Fabrique de St-Philippe D’Arvida, [1984] 1 R.C.S. 19, 31, j. Beetz, suivi dans B.G. Checo International Ltée c. Les Hélicoptères

Trans-Québec Ltée, [1990] R.L. 507 (C.A.), EYB 1990-63545.463. Ferme Denijoy Inc. c. Société coopérative agricole de St-Tite, [1994] R.R.A. 240 (C.A.), EYB 1994-64522;Southière c. Allstate, compagnie d’assurances

Inc., [1998] R.R.A. 329 (C.A.), REJB 1998-05576.464. Corporation municipale des Cantons Unis de Stoneham et Tewkesbury c. Ouellet, [1979] 2 R.C.S. 172.465. Hamas Gestion Inc. c. 2973-3722 Québec Inc., précité, note 229; Housen c. Nikolaisen, précité, note 457; Pouliot c. Promutuelle de Montmagny, précité,

note 458.466. Dumesnil c. Shaky, [1976] 1 R.C.S. 152.

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L’article 4.2 C.p.c., relatif à la proportionnalité et àl’utilité des procédures, permet au juge, lorsqu’il établitou modifie un calendrier des échéances, de refuser uneexpertise si celle-ci est inutile ou disproportionnée.Ce pouvoir discrétionnaire doit cependant être exercé entenant compte de l’importance de l’expertise relativementaux questions en litige, et non seulement sur la base del’importance pécuniaire d’une cause467.

1. L’utilité

Le rôle de l’expert consiste à fournir des rensei-gnements scientifiques et une conclusion qui, en raisonde la technicité des faits, dépasse les connaissances etl’expérience du juge468.

Le témoin expert est appelé à donner une opinion sus-ceptible d’éclairer le juge dans la décision qu’il aura àrendre. Ce droit à l’opinion caractérise le témoin expert etle distingue du témoin de faits.

« Les experts aident le juge des faits à arriver à uneconclusion en appliquant à un ensemble de faits desconnaissances scientifiques particulières, que ne pos-sèdent ni le juge, ni le jury, et en exprimant alors uneopinion sur les conclusions que l’on peut en tirer. »469

À titre d’exemples, l’expert pourrait être un ingénieurou un architecte appelé à déterminer les causes probablesd’un vice touchant un immeuble ou encore, de façon nonlimitative selon la nature de la cause, un comptable, méde-cin, chimiste, psychologue, expert en écriture, évaluateur,etc. Il peut aussi témoigner pour établir une coutume ou unusage470. Ainsi, la preuve d’expert portant sur des normeset usages est pertinente pour évaluer une pratique profes-sionnelle471.

L’avis de l’expert se fonde sur sa science et son expé-rience, qu’il devrait donner de façon impartiale472.

L’expert peut énoncer des faits relevant d’uneconnaissance spécialisée, sans pour autant usurper la fonc-tion du juge appelé à tirer de la preuve une conclusionjuridique. L’expertise du professionnel de la santé mentale

peut, dans certains cas, s’avérer utile, telle en Chambre dela famille ou en Chambre de la jeunesse. Un expert peutexpliquer le comportement humain473.

« Quand une preuve d’expert est produite dans desdomaines tels que le génie ou la pathologie, l’in-suffisance des connaissances du profane n’est pascontestée. Il est depuis longtemps reconnu que letémoignage psychiatrique ou psychologique cons-titue également une preuve d’expert parce qu’on s’estrendu compte que, dans certaines circonstances, lapersonne moyenne peut ne pas avoir une connais-sance ou une expérience suffisante du comportementhumain pour pouvoir tirer des faits qui lui ont été pré-sentés une conclusion appropriée. »474

Un technicien ne peut se substituer aux experts pourproduire l’estimation de ce qu’aurait dû être la consom-mation relevée par un compteur d’électricité chez unconsommateur, lorsque, pour ce faire, le technicien aintroduit des données telles la liste des appareils électri-ques dans les pièces d’une maison et la mesure desditespièces, dans un ordinateur qui a calculé, en se servant d’unlogiciel préparé à cette fin, ce qu’aurait dû être la consom-mation pour cette période. Seul un expert peut établirla consommation d’électricité normale par appareil ouaccessoire, ainsi que l’électricité requise pour le chauf-fage475.

Le législateur reconnaît l’utilité de l’expert dans cer-tains cas. Ainsi, en matière de demande d’autorisationrelative à des soins, le tribunal prend l’avis d’experts(art. 23 C.c.Q.). Le tribunal peut ordonner qu’une per-sonne qui représente un danger pour elle-même ou pourautrui en raison de son état mental subisse un examen psy-chiatrique (art. 27 C.c.Q. et art. 778 à 781 C.p.c.). Dansles procédures pertinentes à un régime de protection dumajeur, le tribunal prend notamment en considérationl’évaluation médicale et psychosociale de celui qui a exa-miné le majeur (art. 270, 276, 279 et 288 C.c.Q.). L’article399 C.p.c. traite de l’examen médical lorsque est misen question dans une cause l’état physique ou mentald’une personne (que nous verrons au chapitre suivant). Unassuré peut être requis de se soumettre à un examenmédical (art. 2438 C.c.Q.).

270 Preuve devant le tribunal civil

467. Groupe immobilier de Montréal c. Société en commandite immobilière l’Assomption, REJB 2003-48860 (C.A.).468. R. c. Abbey, précité, note 310, p. 42, j. Dickson pour la cour; R. c. Lavallée, précité, note 311, p. 889, j. Wilson pour la cour; R. c. Burns, précité, note 451,

p. 666, j. McLachlin pour la cour.469. R. c. Howard, [1989] 1 R.C.S. 1337, 1348, EYB 1989-67451, j. Lamer pour la majorité.470. Joyal c. La Reine, J.E. 90-527 (C.A.), EYB 1990-59434; Caisse populaire St-Étienne de la Malbaie c. Tremblay, [1990] R.R.A. 542 (C.A.), EYB

1990-63501.471. Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374, EYB 1991-67727.472. Donolo Inc. c. St-Michel Realties Inc., [1971] C.A. 536, 537, j. Brossard.473. R. c. Burns, précité, note 451.474. R. c. Lavallée, précité, note 311, p. 870 et 871.475. Tremblay c. Hydro-Québec, REJB 2001-24081 (C.A.).

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L’article 402 C.p.c. s’intéresse à l’expertise d’un élé-ment matériel de preuve qui se rapporte au litige. Enmatière de bornage, l’arpenteur-géomètre dresse, pourvaloir rapport, un procès-verbal de ses opérations (art. 789C.p.c.). Dans une procédure de vente du bien d’autrui, lademande, sauf dispense, doit être accompagnée d’uneévaluation faite par une personne compétente (art. 904C.p.c.), qui peut même être ordonnée d’office (art. 907C.p.c.). L’article 414 C.p.c. autorise le tribunal à ordonnerune expertise par une personne qualifiée pour l’examen, laconstatation et l’appréciation de faits relatifs au litige. EnChambre de la famille de la Cour supérieure, le juge peutrendre une ordonnance d’expertise psychosociale (art. 33R.p.fam.(C.S.)). En Chambre de la jeunesse de la Cour duQuébec, une évaluation psychologique ou médicale del’enfant et des membres de sa famille, ou toute autre exper-tise utile, peut être jointe à l’étude sur la situation socialede l’enfant (art. 86 de la Loi sur la protection de la jeu-nesse).

L’article 413.1 C.p.c. énonce ce qui suit :

« Lorsque les parties ont chacune communiqué unrapport d’expertise, le tribunal peut, en tout état decause, même d’office, ordonner aux experts qui ontpréparé des rapports contradictoires, de se réunir enprésence des parties ou des procureurs qui souhaitenty participer, afin de concilier leurs opinions, de déter-miner les points qui les opposent et de lui faire rapportainsi qu’aux parties dans le délai qu’il fixe. »

Une fois ce rapport commun préparé par les experts etproduit au dossier de la cour, il n’est pas possible à unepartie de tenter, par le dépôt du rapport d’un autre expert,de tenter de contredire les conclusions du rapport communproduit par les experts à la demande du tribunal476.

En Cour supérieure, l’article 18.1 R.p.c.(C.S.) permetaux parties, en tout état de cause, de demander au tribunalla nomination d’un expert commun.

Ces dispositions fournissent une indication du rôleque peut jouer l’expert, en plus de celui que peuvent luiconfier les parties à l’occasion de tout litige qui requiertses services.

Signalons toutefois que le témoin ordinaire peutexprimer une opinion, à la portée de tout justiciable,notamment sur l’âge, le caractère ou l’état physique oumental apparent d’une personne.

« Il est bien établi qu’un témoin qui n’est pas expertpeut déposer que quelqu’un est ivre tout comme ilpeut témoigner au sujet de l’âge, de la vitesse, del’identité ou d’un état émotif. [...] Ce n’est pas un sujetoù il est nécessaire d’obtenir un témoignage scienti-fique, technique ou spécialisé pour que le tribunalapprécie les faits pertinents à leur juste valeur. »477

L’arrêt Mayrand c. Gingras478 illustre une telle appré-ciation profane de l’état d’un testateur.

La partie qui fait comparaître un expert doit d’abordétablir sa compétence à fournir un avis.

2. La recevabilité

Le témoin, pour se démarquer du témoin ordinaire,doit établir sa qualité à agir comme expert habilité à four-nir une opinion. « Le témoignage d’expert est admissiblepourvu que l’expert possède les qualités requises et queson témoignage soit nécessaire ou utile au tribunal auxfins de trancher des questions de caractère technique ouscientifique. »479 Le tribunal ne devrait pas déclarer letémoignage de l’expert irrecevable sans connaître lesquestions précises qui peuvent lui être posées, la forme etl’objet de ces questions, leur pertinence et tous autresfacteurs qui peuvent rendre une preuve recevable ou irre-cevable480. La seule condition à la recevabilité d’uneopinion d’expert est que « le témoin-expert possède desconnaissances et une expérience spéciales qui dépassentcelles du juge des faits »481. Cette compétence peut pro-venir d’une formation officielle ou d’une expériencepratique, ou des deux.

« Enfin, la preuve doit être présentée par un témoindont on démontre qu’il ou elle a acquis des connais-sances spéciales ou particulières grâce à des études ouà une expérience relatives aux questions visées dansson témoignage. »482

Qualités et moyens de preuve 271

476. Marineau c. Chartrand, REJB 2004-81613 (C.S.), décision rendue sur la base de l’article 19 R.p.c.(C.S.), dont le contenu est repris dans son essence àl’article 413.1 C.p.c.

477. Graat c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 819, 837 et 838, j. Dickson.478. Précité, note 25.479. Roberge c. Bolduc, précité, note 471, p. 429, j. L’Heureux-Dubé pour la cour.480. Leroux c. Cake, H. REID, D. FERLAND, C.p.c. annoté, suppl. 1982, p. 348, 1979 (C.A.).481. R. c. Béland, précité, note 448, p. 414, j. McIntyre.482. R. c. Mohan, précité, note 60, p. 25.

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La preuve d’expert doit être pertinente et fiable483.

L’avocat qui présente un témoin expert doit doncétablir sa compétence à ce titre pour tous les domainesdans lesquels ce dernier doit exprimer un témoignaged’opinion484. Il serait cependant excessivement formalistede rejeter le témoignage d’expert pour la simple raisonque le témoin émet une opinion qui s’étend au-delà dudomaine d’expertise pour lequel il a été qualifié. En pra-tique, il appartient à l’avocat de la partie adverse desoulever une objection si le témoin sort des limites de sonexpertise, soit à l’étape de la qualification initiale, soit aucours de sa déposition, selon le cas. Les failles dansl’expertise touchent la valeur probante du témoignage,plutôt que sa recevabilité485.

Au début de son témoignage, l’expert décline sestitres, qualifications, formation et expérience pertinents ausujet traité afin d’établir son aptitude à témoigner commeexpert. La production du curriculum vitæ peut abréger unelongue nomenclature, quitte à ce que l’avocat en souligneles éléments importants en début d’interrogatoire. Rap-pelons qu’en Cour supérieure l’article 18.1 R.p.c.(C.S.)exige la production, avec le rapport d’expertise, du curri-culum vitæ de l’expert, de son compte d’honoraires à jouret du tarif actuel pour sa présence à la cour.

Est recevable le témoignage de l’expert à l’emploi dela partie qui le fait comparaître en cette qualité, sousréserve d’en apprécier la valeur probante486. La craintede partialité de la part d’un expert n’en prohibe pas letémoignage, sous réserve d’en apprécier la crédibilité487.L’expert qui a déjà agi pour la partie adverse peut compa-raître comme témoin expert de l’autre partie, à la réserveque ses réponses ne violent pas son obligation de respecterle secret professionnel488.

La recevabilité du témoignage dépend aussi, sur leplan procédural, de la communication préalable et de laproduction du rapport d’expertise, en conformité avec lesdispositions de l’article 402.1 C.p.c. L’expert ne peut donc

donner son opinion sans s’être soumis aux exigences decet article489, sous réserve de la permission du tribunal quijouit d’un pouvoir discrétionnaire à cet effet490. L’absencede rapport écrit n’empêche toutefois pas le témoignage del’expert sur des faits qu’il a constatés, à l’instar de touttémoin ordinaire491. La communication et la production durapport, en vertu de l’article 294.1 C.p.c., peuvent tenirlieu du témoignage de son auteur.

L’appréciation de la recevabilité et de la valeur pro-bante du rapport d’un expert relève du juge du procès.Ce dernier a le pouvoir de refuser qu’un expert émetteune opinion qui ne soulève aucune question scientifiqueou technique. C’est pour cette raison qu’une requête enrejet d’un rapport d’expert et en obtention d’une ordon-nance de retrait du dossier de la cour de l’expertisecommuniquée en vertu de l’article 402.1 ou 294.1 C.p.c.sera rejetée, comme étant prématurée, si la requêteinvoque des motifs relevant de la recevabilité ou de lavaleur probante de cette expertise492.

Cependant, lorsque l’expert se prononce sur une ques-tion de droit pur, une partie pourra demander, à un stadepréliminaire, le rejet de son rapport, puisqu’il appartientuniquement au tribunal de statuer sur les questions dedroit, après plaidoirie des parties493.

Bien que recevable, le témoignage de l’expert,comme tout autre témoignage, doit être néanmoinsprobant.

3. La force probante

Le témoignage de l’expert portera sur des faits qu’il alui-même constatés ou qui ont été constatés et prouvéspar d’autres témoins, qui sont admis ou de connaissancecommune, ainsi que sur des hypothèses découlant de cesfaits. L’expert examinera ces faits à la lumière de donnéesscientifiques pour ensuite tirer une conclusion dictée parses connaissances et son expérience dans le domaine de sa

272 Preuve devant le tribunal civil

483. Id., p. 37.484. Mongrain c. Desaulniers, [1994] R.R.A. 417 (C.A.), EYB 1994-58468.485. R. c. Marquard, précité, note 345, p. 243 et 244.486. General Motors du Canada Ltée c. Compagnie d’Assurances Missisquoi et Rouville, [1988] R.D.J. 18 (C.A.), EYB 1988-62990; Mont-Tremblant

(Municipalité de) c. Tellier, [1994] R.D.J. 44 (C.A.), EYB 1993-58689.487. Procureur général du Québec c. Marleau, [1995] R.D.J. 236 (C.A.), EYB 1995-56046.488. 149644 Canada Inc. c. St-Eustache (Ville de), [1996] R.D.J. 401 (C.A.), EYB 1996-65254.489. Association canadienne de ski Inc. c. Hébert, précité, note 213; Commission scolaire Rouyn-Noranda c. Barrette, précité, note 216; Pietroniro c.

Lévesque, précité, note 216.490. Tremblay c. Barrette, précité, note 313.491. Desbiens c. Frenkiel, précité, note 214.492. Beaudoin c. Optimum Assurance agricole Inc., REJB 2003-46503 (C.S.); Laflamme c. Union-Vie, compagnie mutuelle d’assurances, REJB 2003-42265

(C.S.).493. Tremblay c. St-David de Falardeau (Municipalité de), REJB 2003-39603 (C.S.); voir à ce sujet la synthèse effectuée par la juge Marie St-Pierre dans

l’affaire Agropur coopérative c. Cegerco constructeur Inc., EYB 2005-94595 (C.S.), par. 141 à 154.

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spécialité. À moins d’en arriver à une certitude absolue,l’expert devrait énoncer et motiver la conclusion qui,parmi plusieurs possibles, s’avère la plus probable.L’expert peut donner son avis selon un degré raisonnablede certitude, ce qui signifie une probabilité supérieure à50 %, surtout lorsqu’il œuvre dans un domaine où lascience n’est pas exacte494. Le poids du témoignage del’expert dépendra des motifs qui supportent son opinion.

Une preuve scientifique peut, de prime abord, êtreplus impressionnante que celle qui émane d’un simpletémoin de faits. Bien que l’expert doive en principe éclai-rer le tribunal sur le sujet traité, le juge n’est toutefois paslié par la preuve technique et n’est pas tenu de retenirce témoignage, qu’il lui est loisible d’écarter de façonmotivée. Le tribunal apprécie la valeur, la qualité et la cré-dibilité du témoignage de l’expert, comme dans le cas detout autre témoin ordinaire. « La force probante du témoi-gnage est laissée à l’appréciation du tribunal », énoncel’article 2845 C.c.Q., qui ne distingue pas le témoignagedu témoin ordinaire de celui de l’expert495.

« Le juge, cependant, reste l’arbitre final et n’estpas lié par le témoignage des experts »496, qui doit êtreapprécié de la même manière que tout autre témoi-gnage497.

Un témoin peut être entendu pour contredire le rap-port du praticien lors de la demande d’homologation durapport dans une action en partage498.

L’opinion d’un expert se fonde sur un ouï-dire lors-qu’il tire une conclusion à partir de faits qu’il n’a paspersonnellement observés, mais qui lui ont été rapportéspar des tiers; les données sur lesquelles l’expert s’appuiedevront être prouvées par la partie qui le fait comparaître,afin que ne soit pas touchée la valeur probante de sontémoignage499. Les faits retenus par l’expert pour formerson opinion doivent être prouvés, autrement ce témoi-gnage n’établit pas les faits y énoncés, non constatés ouvécus par le témoin, et constitue du ouï-dire. Le problèmene se pose pas sur le plan de la recevabilité du témoignage,mais plutôt sur celui de la valeur probante à accorder àl’opinion qu’il contient500.

« Je crois qu’aux fins de la présente analyse le fonde-ment de l’arrêt Abbey peut se réduire aux propositionssuivantes :

1. une opinion d’expert pertinente est admissible,même si elle est fondée sur une preuve de secondemain.

2. cette preuve de seconde main (ouï-dire) estadmissible pour montrer les renseignements surlesquels est fondée l’opinion d’expert et non pas àtitre de preuve établissant l’existence des faits surlesquels se fonde cette opinion.

3. lorsque la preuve psychiatrique consiste en unepreuve par ouï-dire, le problème qui se pose estcelui de la valeur probante à accorder à l’opinion.

4. pour que l’opinion d’un expert puisse avoirune valeur probante, il faut d’abord conclureà l’existence des faits sur lesquels se fondel’opinion. »501

Il n’est pas essentiel que chacun des faits sur lesquelsl’expert s’appuie soit individuellement établi et admisen preuve comme condition de l’attribution de quelquevaleur probante à l’ensemble de l’opinion. Le tribunal nepeut faire complètement abstraction du témoignage tantqu’il existe quelque élément de preuve admissible tendantà établir le fondement de l’opinion de l’expert, puisqu’ils’agit alors d’une question de valeur probante, reliée à laquantité et à la qualité des éléments de preuve admissibles.

Dans l’arrêt Lavallée, le juge Sopinka, dans son opi-nion (p. 898 et 900), observe, en réaction à celle de la jugeWilson, qu’il y a lieu de distinguer la preuve qu’un expertobtient et sur laquelle il se fonde dans les limites de sacompétence, et la preuve qu’il obtient d’une partie aulitige et qui concerne une question directement en litige.Dans le premier cas, l’expert forme une opinion en ayantrecours à des méthodes d’enquête et à des pratiques quiconstituent, dans son champ d’expertise, des moyensd’arriver à une décision. En n’accordant aucune valeurprobante à ce genre de jugement professionnel formé enconformité avec de saines pratiques professionnelles, ou

Qualités et moyens de preuve 273

494. Snell c. Farrell, précité, note 32, p. 330, j. Sopinka pour la cour.495. Donolo Inc. c. St-Michel Realties Inc., précité, note 472, p. 538.496. Roberge c. Bolduc, précité, note 471, p. 430, j. L’Heureux-Dubé pour la cour.497. R. c. Ratti, [1991] 1 R.C.S. 68, EYB 1991-67597.498. Bérard c. Brochu, [1995] R.D.J. 390 (C.A.), EYB 1995-57429.499. Lortie c. La Reine, [1986] R.J.Q. 2787 (C.A.), EYB 1986-62338; Trudel c. La Reine, [1994] R.J.Q. 678 (C.A.), EYB 1994-64413.500. R. c. Abbey, précité, note 310, p. 44.501. R. c. Lavallée, précité, note 311, p. 893, j. Wilson pour la cour.

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en l’écartant carrément, un tribunal ferait abstraction desfortes garanties circonstancielles de crédibilité que com-porte un tel jugement et irait à l’encontre de l’approcheadoptée par la Cour suprême pour l’analyse de la preuvepar ouï-dire en général. Dans le second cas, lorsque lesdonnées sur lesquelles un expert forme son opinion pro-viennent d’une partie au litige ou d’une autre sourcefondamentalement suspecte, le tribunal devrait exiger queces données soient établies par une preuve indépendante.L’absence d’une telle preuve influera directement sur lepoids à donner à l’opinion, peut-être au point de lui enle-ver toute valeur probante. Quand l’opinion d’un expert estfondée en partie sur des renseignements suspects et enpartie soit sur des faits reconnus, soit sur des faits qu’onessaie de prouver, il s’agit uniquement d’une question devaleur probante.

Le juge Sopinka souscrit aux propos suivants de lajuge Wilson, selon lesquels :

« [...] tant qu’il existe quelque élément de preuveadmissible tendant à établir le fondement de l’opinionde l’expert, le juge du procès ne saurait dire par lasuite au jury de faire complètement abstraction dutémoignage. Le juge doit, bien sûr, faire comprendreau jury que plus l’expert se fonde sur des faits non éta-blis par la preuve, moins la valeur probante de sonopinion sera grande. » (p. 900).

La preuve par expert se présente généralement dansle cadre d’une preuve par présomption de faits laisséeà l’appréciation du tribunal, qui ne doit prendre en consi-dération que les présomptions qui sont graves, préciseset concordantes (art. 2849 C.c.Q.).

« In the end, of course, any evidence based upon pre-sumptions must meet the test required by thejurisprudence. If inferences are to be drawn from thisevidence, the facts on which it is based must be“grave, précis et concordants”. But that, again, goesto weight and not admissibility. »502

Ainsi, en raison de son haut degré de fiabilité, l’exper-tise sanguine est admise pour analyser le groupe sanguin,telle en matière de filiation503, ainsi que le test d’ADN504.

Cependant, l’absence de consensus sur la fiabilitéd’une preuve ou le faible degré d’acceptation d’unethéorie au sein de la communauté scientifique, parexemple à l’occasion d’une preuve controversée, nedevrait en affecter que la valeur probante, et non sa receva-bilité505. Le domaine des soins de santé (art. 11 à 25C.c.Q.), surtout en cas de cessation autorisée, illustre cetteproblématique506.

La valeur probante de la preuve d’expert dépend de lacrédibilité de ce dernier, de sa compétence, de la manièredont l’évaluation a été menée et de la validité des tests uti-lisés507. La crédibilité de l’expert relève de l’appréciationdu tribunal, qui doit non seulement considérer sa compé-tence, mais aussi la fiabilité des instruments d’évaluationet des techniques auxquels il a recours, en regard de leurdegré d’acceptabilité par la communauté scientifique etl’application de cette technique selon les règles de lascience508.

« Une expertise valable doit rencontrer les critèresde fiabilité, de rigueur scientifique, d’indépendanceintellectuelle et d’éthique qui permettent à la cour del’utiliser à la solution du [...] litige. »509

Rappelons que des tribunaux ont déjà rejeté, lors del’audition au fond, la preuve par polygraphe, estimantque le technicien expert appelé à témoigner n’avait pas faitla preuve de la fiabilité de l’instrument, lequel, contraire-ment à l’alcootest, ne fait pas l’objet d’une certificationgouvernementale. De plus, dans ces instances, aucunepreuve scientifique ou médicale n’avait été présentée poursoutenir la prémisse qu’une personne qui ment démontredes réactions physiologiques mesurables et différentes decelle qui dit la vérité, mais qui est stressée510.

La valeur du témoignage de l’expert est affaiblie parles lacunes qu’il contient, et les divergences et contradic-

274 Preuve devant le tribunal civil

502. Paillé c. Lorcon Inc., précité, note 77, p. 533, j. Rothman pour la majorité.503. S. c. S., [1973] C.S. 530; Droit de la famille – 102, [1984] C.S. 83, J.E. 84-1034 (C.A.).504. L. c. R., [1997] R.L. 394 (C.S.), REJB 1997-00776; P. (A.) c. D. (L.), REJB 2000-21326 (C.A.).505. City of St. John c. Irving Oil Co., [1966] R.C.S. 581, 592, j. Ritchie.506. Couture-Jacquet c. Montreal Children’s Hospital, [1986] R.D.F. 175 (C.A.), EYB 1986-62351; Protection de la jeunesse – 332, [1988] R.J.Q. 1666

(C.S.); Commission de Protection des droits de la jeunesse du Québec c. T. (C.), [1990] R.J.Q. 1674 (C.S.), EYB 1990-76655.507. Protection de la jeunesse – 323, [1988] R.J.Q. 1473 (T.J.), EYB 1988-78025.508. Protection de la jeunesse – 329, [1988] R.J.Q. 1739 (T.J.), EYB 1987-77726.509. Beaudoin c. Banque de développement du Canada, précité, note 435.510. Les vêtements Paul Allaire Inc. c. La Citadelle, compagnie d’assurances générales Inc., précité, note 455; Protection de la jeunesse – 1121, précité,

note 455; Latouche c. Promutuel Bellechasse, précité, note 455; Hydro-Québec c. Desaulniers, précité, note 455; Lefebvre c. Axa Assurances Inc., précité,note 455.

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tions avec l’ensemble de la preuve. Il y a donc lieu de jugersi la déposition de l’expert est conforme au poids de lapreuve et si elle s’inscrit dans le cadre de faits positifset probants.

L’expert doit faire preuve d’objectivité et de désin-téressement. Le tribunal peut n’attacher aucune valeurprobante au témoignage empreint de partialité511. Lesexperts ne doivent pas se trouver dans une relation servileà l’égard de leurs clients de façon à faire triompher les pré-tentions de ces derniers, mais ils doivent plutôt être auservice du tribunal pour lui communiquer leur opinionprofessionnelle sur des sujets complexes qui demandent àêtre mieux compris512.

Une preuve par expert, scientifique, théorique etconjecturale, ne peut l’emporter sur la preuve positived’un fait rapporté par des témoins ordinaires qui parlent àleur connaissance personnelle513.

L’expertise est-elle conciliable avec la prépondérancede la preuve profane rapportée par les témoins ordinaires?

4. La preuve profane

Le tribunal doit juger en fonction de la prépondérancede preuve. Lorsque la preuve par experts est controversée,il peut s’appuyer sur la preuve profane pour trancher lelitige514, ainsi que sur des faits connus et généralementacceptés515.

Par exemple, le tribunal a tenu compte du témoignagede simples profanes qui l’ont éclairé sur les changementsimportants de personnalité d’une victime survenus depuisson accident, compte tenu de la preuve médicale contra-dictoire quant au degré d’incapacité partielle permanentede nature psychologique516, ou pour établir la capacitémentale d’un testateur517.

Le témoignage de l’expert constitue un des élémentsde preuve, qui sera apprécié à la lumière de l’ensemblede la preuve scientifique et profane.

Nous traiterons plus loin dans le présent chapitre del’interrogatoire principal et du contre-interrogatoire del’expert à l’instruction.

* * * * *

De quelle façon s’établit la preuve testimoniale lorsde l’instruction devant le tribunal? De toute évidence, enobtenant du témoin une réponse à une question posée!Mais encore faut-il déterminer quand, pourquoi et com-ment poser cette question.

Le Code de procédure civile et l’expérience devantles tribunaux déterminent la façon de bien administrerla preuve testimoniale à l’enquête. Bien que le Code deprocédure civile fournisse un cadre formel, chaque causeprésente un cas d’espèce, de sorte que la preuve testimo-niale doit s’établir en fonction des faits de la cause alorsinstruite ainsi que de la personnalité du témoin et del’avocat.

La preuve testimoniale au procès peut devenir l’échodes passions humaines en ce que chaque témoin relate, fil-tré par son caractère et sa motivation, un événement qu’il avécu ou constaté.

Dans cette reconstitution d’événements passés, latâche de l’avocat, tant en demande qu’en défense, consisteà présenter en preuve des faits vrais sous l’éclairage le plusfavorable au client, dans le cadre des règles de preuve etde la dignité professionnelle. Les règles de forme serontvues lors de l’enseignement des journées de représenta-tion. Nous examinerons les règles de fond.

Abordons en premier l’interrogatoire principal.

H- L’interrogatoire principal

L’interrogatoire principal est celui mené par l’avocatde la partie qui a produit le témoin. L’article 306 C.p.c.régit cet interrogatoire.

Qualités et moyens de preuve 275

511. Paterson c. Mannix, [1966] R.C.S. 180; Poulin c. La Reine, [1975] C.A. 180; Agropur coopérative c. Cegerco constructeur Inc., précité, note 493, par. 133à 140.

512. Protection de la jeunesse – 763, J.E. 95-1202 (C.Q.), EYB 1995-72858.513. Royal Montreal Golf Club c. Corp. de St-Raphael, [1964] B.R. 223, 228, j. Montgomery; General Accident Insurance Co. c. Cie de chauffage Gaz Naturel,

[1978] C.S. 1160.514. La Métropolitaine c. Rivard, [1984] C.A. 191; Placements D.P.C. Inc. c. Gagnon Bolduc, REJB 2001-23899 (C.A.).515. Longpré c. Société de l’assurance automobile du Québec, J.E. 93-1592 (C.Q.), EYB 1993-74733.516. Michaud c. Bergeron, [1980] C.A. 246.517. Mayrand c. Gingras, précité, note 25.

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1. La portée

Le témoin ordinaire – partie au litige ou simple témoin– doit rapporter des faits dont il a eu personnellementconnaissance. Il ne lui appartient pas d’émettre une opi-nion ou de tirer des conclusions, ce qui relève de lacompétence du témoin expert. Il doit donc témoignerd’événements qu’il a personnellement vécus, vus ouentendus, en accord avec la définition du témoignage àl’article 2843 C.c.Q.

L’interrogatoire principal a pour but d’établir les faitsallégués par la partie qui produit ce témoin, lorsque lapreuve testimoniale est recevable. Il fournit l’informa-tion nécessaire à l’élaboration d’un jugement motivé. Lesquestions doivent porter uniquement sur les faits en litige,c’est-à-dire être pertinentes à la cause (art. 2857 C.c.Q.).Alors que l’interrogatoire préalable avant défense(art. 397 C.p.c.) se limite en principe aux faits alléguéspar la demande, l’interrogatoire principal à l’instruction,à l’instar de l’interrogatoire préalable après défense del’article 398 C.p.c., peut porter sur tous les faits alléguésdans les actes de procédure liant la contestation (art. 186C.p.c.). Comme l’énonce l’article 306 C.p.c., « les ques-tions doivent porter sur les faits de la contestationseulement ».

En principe, le témoin, dans tout interrogatoire, doitrelater de mémoire les événements qu’il a personnelle-ment constatés en réponse aux questions posées et ne peutse borner à lire un texte préparé d’avance. L’utilisationde notes par le témoin est cependant permise pour luirafraîchir la mémoire lorsqu’elles ont été rédigées par cedernier518 ou même par un tiers pourvu, dans ce derniercas, que le témoin ait été en mesure d’en vérifier l’exac-titude, quand les faits étaient encore frais à sa mémoire,afin qu’elles reflètent une réalité. Un témoin peut ainsi serafraîchir la mémoire en consultant des notes rédigéespar une tierce personne, pourvu qu’il soit en mesurede répondre de mémoire à la question519. L’article 2873C.c.Q. fournit une application de ce principe.

Ainsi, le policier, appelé à témoigner sur l’un desnombreux événements au sujet desquels il a enquêté,consultera ses notes personnelles et son propre rapportpour se rafraîchir la mémoire durant son témoignage. Il en

sera de même du témoin expert, tel le médecin, qui témoi-gnera à l’aide du dossier médical de la victime réclamante,des notes prises lors de l’examen clinique et de son rapportd’expertise.

Le témoin qui consulte des notes durant son témoi-gnage peut être contraint de les produire. Le tribunal nes’opposera généralement pas à la production de notes rédi-gées comme aide-mémoire. Les écrits dont se sert letémoin pour se rafraîchir la mémoire peuvent être commu-niqués à l’autre partie520.

Les papiers domestiques ou écrits internes pourraientaussi être utilisés au soutien du témoignage.

Un document qui aurait pu être considéré privilégiépourra être examiné par la partie adverse si le témoinle consulte durant son témoignage, puisque le prétenduprivilège est alors perdu521.

Il s’agit alors d’une renonciation implicite à la confi-dentialité, mais cette renonciation doit être claire, volon-taire et non équivoque522.

2. La forme des questions

La comparution du témoin fait présumer qu’il estfavorable à la partie qui l’a produit, puisqu’il est censéla corroborer dans ses prétentions. Le témoin occupealors une place centrale et l’avocat n’est qu’un auxiliairesusceptible de permettre au témoin de fournir un témoi-gnage convaincant et spontané. Il n’a donc aucun intérêt àaffaiblir la portée du témoignage. Cette préoccupationdoit se refléter dans la forme des questions posées.

En vertu de l’article 306 C.p.c., les questions à l’in-terrogatoire principal « ne doivent pas être posées d’unemanière qui suggère la réponse désirée ». La questiondoit être directe, sans diriger le témoin vers la réponse sou-haitée. Il est interdit de guider le témoin par la main etde l’entraîner visiblement dans un sentier tracé d’avance!La question doit être posée de façon telle à laisser autémoin un choix de réponses objectives.

On ne doit donc pas poser à son propre témoin unequestion suggestive.

276 Preuve devant le tribunal civil

518. Roy c. Chartier, précité, note 158.519. MIUF – 7, [1988] R.D.J. 438 (C.S.).520. Lansdowne Financial Services Ltd. c. Binlanden Telecommunications Co. Ltd., [1991] R.D.J. 381 (C.A.), EYB 1991-56574;Bayerische Vereinsbank A.G.

c. Wightman, précité, note 159; Kansa General International Insurance Company Ltd. (Liquidation de) c. Ogilvy Renault, REJB 1999-11469 (C.S.).521. Kansa General International Insurance Company Ltd. (Liquidation de) c. Ogilvy Renault, précité, note 520; Wightman c. Widdrington, REJB 2000-20740

(C.A.).522. Commission des normes du travail c. Corporation de sécurité Garda World, EYB 2005-96538 (C.A.).

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L’avocat qui pose des questions suggestives à sontémoin en affaiblit la crédibilité et atténue la portée de sontémoignage, surtout lorsqu’il porte sur un fait important.À la limite, il n’appartient pas à l’avocat de témoigner à laplace de son témoin.

Comme nous le verrons au chapitre qui porte sur lesobjections, l’adversaire peut s’opposer à une question sug-gestive posée à l’interrogatoire principal. La question doitalors être reformulée de façon non suggestive.

Cette règle comporte un tempérament fondé sur lacoutume suivie devant les tribunaux. La question quiporte sur des faits simplement introductifs ou non contes-tables peut être suggestive, pour abréger le témoignageet accélérer l’enquête avant de se concentrer sur des faitslitigieux. Par exemple, peuvent être suggestives les ques-tions préliminaires qui situent le témoin dans la chaîne desévénements relatés. Celles qui portent sur un élémentcontroversé ne doivent pas être suggestives, puisque letribunal doit alors apprécier la crédibilité du témoin.

Comme nous l’avons vu ci-dessus, lors de l’interro-gatoire principal, l’avocat n’a aucun intérêt à diminuer lacrédibilité de son témoin, qui doit être cru par le tribunal.L’article 310 C.p.c. énonce justement que « la partie quiproduit un témoin ne peut le reprocher ». L’avocat ne doitdonc pas attaquer la crédibilité de son témoin.

Le Code de procédure civile prévoit certaines excep-tions au principe ci-dessus mentionné.

3. Les exceptions

Dans certains cas, des questions suggestives peuventêtre posées au témoin à l’interrogatoire principal et sa cré-dibilité peut être attaquée.

L’avocat qui assigne un témoin est censé connaîtred’avance la teneur de sa version, ayant vérifié avant le débutde l’audience quelle réponse, conforme à la perception desfaits, ce dernier donnera aux questions qu’il entend luiposer. Comme il a été signalé ci-dessus, l’avocat ne produitpas un témoin dans l’unique but d’affaiblir la portée de sontémoignage ou d’attaquer sa crédibilité; il s’abstiendraitplutôt de faire entendre ce mauvais témoin! Il arrive cepen-dant qu’un témoin provoque parfois un effet surprise,néfaste à l’équilibre nerveux de l’avocat qui l’a produit,lorsque ce témoin, déposant de façon imprévue et intempes-tive, témoigne de faits auxquels l’avocat ne s’attendaitaucunement ou, n’étant pas coopératif, s’obstine à ne pasrépondre à une question. La partie adverse, que l’autrepartie fait comparaître comme son propre témoin, parce que

c’est nécessaire à sa preuve, peut aussi créer certaines diffi-cultés. Dans ce cas, les remèdes prévus aux articles 306 et310 C.p.c. pourraient alors être utilisés.

L’article 306 C.p.c. prévoit deux cas d’exceptions quipermettent à un avocat qui produit un témoin de lui poserdes questions suggestives, soit lorsque le témoin cherchemanifestement à éluder une question ou à favoriser uneautre partie, soit lorsque le témoin est la partie adverse.

a) Le témoin récalcitrant ou hostile

Le premier cas vise le témoin récalcitrant ou hostile.Lorsque le témoin tente de ne pas répondre à une questionou est nettement partial en faveur de la partie adverse, desquestions suggestives peuvent alors lui être posées lors del’interrogatoire principal, avec la permission du tribunal.Cette situation peut se présenter lorsqu’un proche ou unpréposé de la partie adverse est produit comme témoin etque son témoignage est nettement coloré, teinté de favori-tisme ou empreint de réticences. L’interrogatoire peutrevêtir alors la forme d’un contre-interrogatoire. L’avocatconfronté à cette situation, par crainte de s’aventurer enterrain peu sûr, peut terminer immédiatement son interro-gatoire. Un juge vigilant, à la lumière de l’article 318C.p.c., pourrait poser à ce témoin récalcitrant toutes lesquestions qu’il croit utiles dans l’intérêt de la vérité et dela justice.

Le sens commun commande évidemment à l’avocatde s’abstenir de produire un témoin qu’il sait d’avancehostile, à moins que ce témoin soit absolument essentiel àsa preuve.

L’article 306 C.p.c. mentionne que la question peutêtre posée d’une manière qui suggère la réponse désiréelorsque le témoin interrogé par la partie qui l’a produit oupar son procureur, étant lui-même partie au procès, a desintérêts opposés à la partie qui l’interroge.

Des questions suggestives peuvent être posées à lapartie adverse lors de l’interrogatoire principal. Ainsi,l’avocat du demandeur, dans sa preuve, peut faireentendre comme témoin le défendeur afin d’établir cer-tains faits essentiels à sa cause, que seul le défendeur peutapporter en preuve. Le témoignage de la partie adversepeut aussi être requis afin d’en obtenir un aveu (art. 2852C.c.Q.) ou pour constituer un commencement de preuve(art. 2865 C.c.Q.). Le témoin, partie adverse, est présuméfavoriser sa propre cause de sorte que l’exception prévue àl’article 306 C.p.c. s’avère logique. Ce témoin est plusqu’un simple témoin : c’est la partie adverse. Encore faut-il que les intérêts de ce témoin-partie soient véritablement

Qualités et moyens de preuve 277

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opposés à ceux de la partie qui l’interroge, ce qui, toujoursvrai dans le cas du demandeur et du défendeur, n’est pastoujours applicable à un codemandeur, à un codéfendeurou à un intervenant.

Les questions suggestives tendent à affaiblir la crédi-bilité du témoin, de sorte qu’elles ne sont pas nécessaireslorsqu’il s’agit d’obtenir une information objective.

Même si des questions suggestives peuvent lui êtreposées, on ne peut en principe attaquer la crédibilité de lapartie adverse produite comme son propre témoin en vertude l’article 310 C.p.c., selon lequel « La partie qui produitun témoin ne peut le reprocher. » Le juge, à l’occasiond’une question soulevant une objection à cette fin, devradonc apprécier si la question, suggestive par sa forme,tend, par sa substance et son but, à reprocher ce témoin. Defaçon stratégique, il semble a priori illogique d’attaquerla crédibilité de la partie adverse produite comme sonpropre témoin, puisque le témoignage de la partie adverseest censé établir de façon crédible un fait à prouver; aucas contraire, il est préférable d’attendre que l’adversaireproduise dans sa preuve la partie adverse pour ensuitela contre-interroger. Toutefois, lors de l’interrogatoireprincipal, ce témoin-partie peut s’écarter du chemin del’exactitude et de la vérité, de sorte qu’il peut devenirnécessaire de procéder avec des questions très suggesti-ves, à la façon d’un contre-interrogatoire, pour le ramenersur le droit chemin. Il s’agit d’une question de degrélaissée à l’appréciation du juge.

b) Le reproche

L’article 310 C.p.c. permet à la partie qui produit untémoin de le reprocher en prouvant par d’autres témoins lecontraire de ce qu’il a dit ou, avec la permission du tribu-nal, en prouvant qu’il a, à une autre époque, fait desdéclarations incompatibles avec son témoignage actuel,pourvu que dans ce dernier cas le témoin ait d’abord étéinterrogé à cet égard. Il s’agit d’une opération d’urgencenon souhaitée, provoquée par les réponses imprévisiblesd’un témoin intempestif. On ne fait pas en effet compa-raître un témoin en vue de le faire contredire par d’autresou avec lui-même! L’article 310 C.p.c. constitue unemesure de sauvetage de la preuve, qui permet de neutrali-ser un témoin qui, en rétrospective, n’aurait sans doute pasété appelé à ainsi comparaître.

Une partie peut faire entendre des témoins qui contre-diront le témoignage défavorable précédemment donnépar l’un de ses témoins. Si on avait su, on se serait sansdoute abstenu de le faire témoigner! Une partie peut égale-ment mettre en contradiction avec lui-même un témoinen établissant l’existence d’une déclaration antérieurecontraire à sa déposition. On procède alors de la façonsuivante :

– Le témoin est interrogé de façon générale sur sadéclaration antérieure523; cet interrogatoire préli-minaire n’a pas besoin d’être long, le juge jouissantpar ailleurs de toute latitude pour rechercher lavérité524. Le témoin doit être interrogé sur sesdéclarations antérieures précises525; il en reconnaîtou non l’existence. À défaut d’une telle reconnais-sance, une preuve indépendante en établira l’exis-tence. La déclaration écrite est prouvée par la pro-duction de l’écrit (art. 2872 C.c.Q.).

– Avant de poursuivre, l’avocat doit obtenir la per-mission du tribunal à cette fin, parce qu’il s’apprêteà déroger à une règle que soulèverait autrement lapartie adverse.

– Il peut alors le contre-interroger et établir la décla-ration antérieure incompatible qui, si elle estécrite, sera versée au dossier, suivant l’article 2872C.c.Q. Le témoin peut être confronté, par exemple,avec une version écrite et signée des faits donnéeà un expert en sinistres, incompatible avec sontémoignage.

Cette façon de procéder annule, en pratique, le témoi-gnage de ce témoin discrédité, du moins quant à la portionattaquée. La déclaration antérieure peut aussi être admiseà titre de témoignage pour établir le fait en litige, si elleprésente des garanties suffisamment sérieuses de fiabilité(art. 2871 C.c.Q.)526, notamment lorsque le témoin laconfirme sous serment de façon crédible527, sous réservede l’appréciation du tribunal (art. 2845 C.c.Q.). Si ladéclaration extrajudiciaire émane de la partie adverse etcontient un aveu, le tribunal peut en apprécier la force pro-bante (art. 2852 C.c.Q.); en cas d’aveu judiciaire fourni,par exemple, lors d’un interrogatoire préalable, cet aveune peut être révoqué que pour cause d’erreur de faits(art. 2852 C.c.Q.), comme nous le verrons au chapitreportant sur l’aveu.

278 Preuve devant le tribunal civil

523. Linteau c. Lussier, [1968] R.P. 250 (C.P.).524. Twentieth Century Mining Co. c. Carson, [1976] C.S. 1544.525. Cohen c. La Reine, [1970] C.A. 230.526. Protection de la jeunesse – 852, [1997] R.J.Q. 1161 (C.Q.), REJB 1997-02916; Ridley c. Financière Manuvie, REJB 2000-18684 (C.S.); H. & M.

Diamonds Ass. Inc. c. Optimum assurance générale agricole Inc., REJB 1999-15158 (C.A.).527. Ouellette c. Maxwell, précité, note 458.

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L’article 9 de la Loi sur la preuve au Canada contientune disposition semblable à celle de l’article 310 C.p.c.

Il est généralement prudent, lorsqu’on dispose d’uneversion signée par un témoin, de la joindre au subpœna quilui sera signifié afin qu’il puisse se rafraîchir la mémoire,sous réserve de vérifier avec lui la véracité des faits y men-tionnés avant le début de son témoignage.

4. L’expert

Nous avons déjà traité du témoignage de l’expert.

Il importe de bien préparer le témoignage de l’expert,en compagnie de ce dernier. L’interrogatoire principals’inspirera de son rapport, déjà communiqué selon l’ar-ticle 402.1 C.p.c.

Au début de son témoignage, l’expert décline sestitres, qualifications et expériences pertinents au sujettraité afin d’établir son aptitude à témoigner commeexpert et rendre ainsi recevable l’opinion qu’il est appeléà exprimer. Il arrive parfois que l’avocat de la partieadverse, dans un désir apparent d’abréger la preuve,déclare dispenser son adversaire de procéder à une tellepreuve préliminaire parce qu’il connaît bien cet expert etqu’il est satisfait de sa compétence! Le procureur avisédoit quand même interroger le témoin sur sa compétence àtémoigner comme expert, pour le profit à la fois du tribu-nal de première instance et de la Cour d’appel, qui n’ontpas connaissance judiciaire de la qualité de l’expert. Cetteinformation pourra s’avérer utile lors de l’appréciation dela crédibilité des experts respectifs. La production d’uncurriculum vitæ peut abréger une longue nomenclature,quitte à ce que l’avocat en signale les éléments importantsen début d’interrogatoire.

Une fois l’expertise du témoin établie, l’avocat l’in-terroge sur les faits pertinents à l’exécution de son mandatet sur ses conclusions, en mettant en relief les points lesplus favorables à la cause de son client, sans négligerpour autant certaines hypothèses ou lacunes apparentesque l’adversaire pourrait autrement exploiter en contre-interrogatoire. Il n’est pas essentiel que l’expert relate aulong ce qui est déjà mentionné dans son rapport, qui faitdorénavant partie de la preuve. Le témoignage principalpeut être abrégé à la suggestion du juge, pour éviter unerépétition du contenu du rapport et accélérer l’audition.Encore une fois, est-il nécessaire d’ajouter qu’on ne pose

jamais à son expert une question dont on ne connaît pasla réponse!

L’expert pourra se référer à des travaux et études éma-nant de tiers, en vue de valider sa méthodologie et dedémontrer la vraisemblance de ses résultats mis en preuve,pourvu qu’il prouve que ces travaux sont scientifiques ouutilisés par d’autres chercheurs et qu’ils sont publiés ouaccessibles528. Pour appuyer son opinion, il pourra aussi seréférer à des politiques émanant d’organismes, sans fairepreuve pour autant de la véracité de leur contenu, puisqu’ils’agirait alors de ouï-dire529, ainsi qu’à des livres scientifi-ques et autres documents qui font autorité530. La preuve detraités et de l’autorité de leurs auteurs doit être faite pourque le tribunal puisse en tenir compte531.

L’interrogatoire principal terminé, le procureur cèdela place à l’avocat de la partie adverse.

I- Le contre-interrogatoire

Le droit au contre-interrogatoire découle de l’article314 C.p.c. Lorsque l’avocat du demandeur a terminél’interrogatoire principal de son témoin, l’avocat dudéfendeur peut contre-interroger ce témoin sur tous lesfaits pertinents à la cause, et non uniquement sur ceuxexposés durant l’interrogatoire principal, et attaquer aussila crédibilité du témoin.

L’article 314 C.p.c. définit les deux objets du contre-interrogatoire. La partie adverse peut :

– interroger le témoin « sur tous les faits du litige ». Àl’instar de l’interrogatoire principal, qui porte « surles faits de la contestation », on questionne letémoin afin d’obtenir des informations supplémen-taires;

– établir des causes de reproche contre le témoin,c’est-à-dire affaiblir sa crédibilité. C’est ce qui dis-tingue, par sa finalité, le contre-interrogatoire del’interrogatoire principal.

Les questions doivent être pertinentes aux faits enlitige ou à la crédibilité du témoin.

Le contre-interrogatoire est ouvert à toute partie qui,dans la réalité des faits, a des intérêts opposés à la partiequi a produit ce témoin, que ce soit une partie codemande-

Qualités et moyens de preuve 279

528. MIUF – 2, [1988] R.D.J. 423 (C.S.).529. MIUF – 20, [1988] R.D.J. 481 (C.S.).530. Drummond c. Canadian Consumers Loan and Finance Corp., [1975] C.S. 819.531. Désaulniers c. La Reine, J.E. 94-1339 (C.A.), EYB 1994-64369.

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resse ou codéfenderesse, un mis en cause, ou même unintervenant volontaire.

Bien qu’une partie doive être représentée par un seulprocureur, sans fractionnement de mandat532, dans uneaction importante et complexe, deux avocats peuvent separtager la tâche de contre-interroger le même témoin533.Par contre, en l’absence de conflit d’intérêts, un avocatpeut représenter deux défendeurs.

Le contre-interrogatoire est une arme utile, quoiquedangereuse à manier. Par sa finalité, le contre-interroga-toire a comme but général de séparer la fausseté de lavérité. Il présente un aspect à la fois positif et négatif.

1. Le caractère constructif

De façon positive, le contre-interrogatoire permet àune partie de compléter sa preuve en y introduisant de nou-veaux faits à l’aide de ce témoin ou en obtenant certainesrectifications utiles. Le témoin doit, en principe, dire lavérité et n’est pas nécessairement hostile à la partieadverse qui l’interroge. Les réponses données par cetémoin, par hypothèse alors favorables à la partie adversequi contre-interroge, constitueront un élément valable decorroboration de la preuve de cette partie. Le témoin con-tribue ainsi à la construction de la preuve de la partie quicontre-interroge.

Sauf en cas de nécessité, il ne faut toutefois pas comp-ter sur le contre-interrogatoire pour faire sa preuve. Lapartie se déchargera de son fardeau de la preuve en faisantentendre ses propres témoins.

Le danger inhérent au contre-interrogatoire réside,dans ce contexte, dans le risque d’obtenir du témoin uneréponse défavorable aux intérêts de la partie qui le contre-interroge et de contribuer à compléter et à renforcer lapreuve de la partie adverse. L’intensité du danger estdirectement proportionnelle au degré d’ignorance parl’avocat des réponses que fournira le témoin aux questionsposées – ce qui distingue le contre-interrogatoire, quant àcet aspect, de l’interrogatoire principal.

2. L’attaque

Le contre-interrogatoire revêt également un aspectoffensif en ce que, de façon ultime, on cherche à détruire la

preuve apportée par le témoin lors de son interrogatoireprincipal. La valeur probante d’un témoignage dépend dedeux facteurs d’incertitude, soit la possibilité d’erreur etcelle de mensonge, qui altèrent le degré de véracité d’unfait soumis au tribunal. Le contre-interrogatoire a commeobjet de différencier l’exactitude de l’inexactitude; il visela fiabilité du témoignage. Le résultat de l’opération peutprocurer une approximation de la réalité, soit une véritérelative plutôt qu’absolue, ce qui suffit selon la norme dela prépondérance de preuve.

« Le contre-interrogatoire s’identifie par son objet quiest d’attaquer l’exactitude, la crédibilité et la valeurgénérale de la preuve donnée au cours d’un interroga-toire principal. Il s’agit de passer au crible les faitsdéjà affirmés par le témoin, de découvrir et révéler lesdivergences ou de mettre à jour les faits qui auraientpu être dissimulés. »534

À cette fin, comme le prévoit l’article 314 C.p.c., onpeut établir de toutes manières les causes de reprochecontre ce témoin, afin de toucher sa crédibilité.

C’est l’épreuve du contre-interrogatoire qui peut lemieux révéler les inexactitudes et le manque de fiabilitéque peut receler la déclaration non vérifiée d’un témoin. Ilpermet donc de déterminer si un témoin est digne defoi et de jauger la fragilité de son témoignage. « C’est lemoyen par excellence d’établir la vérité et de tester la véra-cité. »535

Quels sont les faits susceptibles de diminuer la crédi-bilité du témoin? L’article 314 C.p.c. ouvre une large porteen utilisant l’expression « de toutes manières », sans toute-fois fournir à dessein de directives précises. « Les avocatsjouissent, en matière de contre-interrogatoire, d’unegrande liberté qui leur permet de vérifier et d’attaquer lesdépositions des témoins et leur crédibilité. »536

Examinons maintenant les principales causes dereproche.

a) Les causes de reproche découlantde l’interrogatoire principal

De façon générale, le témoin est contre-interrogé afinde faire ressortir les erreurs, contradictions, faiblesses,

280 Preuve devant le tribunal civil

532. Nobert c. Lavoie, [1990] R.J.Q. 55 (C.A.), EYB 1989-57497; Montréal Trust c. Lareau, [1990] R.D.J. 448 (C.A.), EYB 1990-58402.533. Beaver Foundations Limited c. R.N.R. Transport Ltée, [1984] C.A. 207.534. Laurent E. BÉLANGER, «Le prétendu contre-interrogatoire de la partie par son propre avocat», (1973) 33R. du B. 133.535. R. c. Osolin, précité, note 65, p. 663.536. R. c. Krause, [1986] 2 R.C.S. 466, 474, j. McIntyre.

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invraisemblances, exagérations ou lacunes de son témoi-gnage principal.

Il faut donc déceler et exploiter les carences et lesfaiblesses du témoignage principal de la façon la plus pro-fitable à la partie qui contre-interroge, ce qui sera d’autantdéfavorable aux intérêts de la partie adverse.

« C’est le droit absolu d’une partie de tenter d’établirl’absence de crédibilité de la partie adverse et cela« de toutes manières » (art. 314 C.p.c.), à conditionque les questions soient pertinentes à la crédibi-lité. »537

Même si le droit privé québécois ne limite pas expres-sément la portée de l’article 314 C.p.c., cette dispositionn’autorise pas une partie à soumettre la partie adverse outout autre témoin à un test de goût (c’est-à-dire goûter deséchantillons d’eau), pour lui demander d’identifier, engoûtant et en sentant ces échantillons, celui qui provien-drait d’un réservoir, dont la qualité de l’eau est l’objet dulitige. Le tribunal ne peut imposer à ce témoin de se prêterà cet exercice, et ne peut interpréter défavorablement sonrefus, le cas échéant538.

Le droit d’attaquer la crédibilité du témoin en contre-interrogatoire doit être exercé de façon pertinente et nonabusive.

« Par conséquent, c’est le droit absolu d’une partiede tenter d’établir la non-crédibilité de tout témoinproduit par la partie adverse et ce, de toutes manières.Mais encore faudrait-il que les questions et la preuvetombent dans le cadre de cette règle. Il faudra d’abordqu’elles soient pertinentes à la question de crédibilité,qu’elles soient sérieuses : telles questions et tellepreuve devront porter sur une cause de reproche pré-cise que la partie croit raisonnablement fondée (hemay have) et non être motivées par le simple espoirde découvrir des causes de reproche dont on ne soup-çonne même pas l’existence; elles ne devront pasnon plus être permises si le but évident n’est qued’humilier, de harceler le témoin. »539

Les questions doivent être pertinentes, mais les limi-tes de la pertinence sont plus larges, car en plus des faits enlitige, il y a toujours la question de la crédibilité du témoin;les questions en apparence non pertinentes à la cause peu-vent néanmoins être pertinentes au fait de déterminer si letémoin adverse peut être cru ou non par le tribunal.

Une objection valable peut donc être soulevée si laquestion posée au témoin de la partie adverse est de touteévidence non pertinente aux faits en litige ou à sa crédibi-lité, ou si elle n’a comme but que d’humilier ou de harcelerce témoin. Le juge pourra intervenir de son propre chef sile procureur apparemment égaré et répétitif semble tour-ner en rond ou si le procureur agressif franchit les limitesdu raisonnable.

b) Les causes de reproche résultant defacteurs extérieurs au témoignage

La crédibilité du témoin peut être influencée par deséléments provenant d’une source autre que son témoi-gnage, établis si nécessaire par preuve indépendanteapportée par un autre témoin ou une pièce.

1) La condamnation antérieure

Il est possible de contre-interroger un témoin sur sescondamnations antérieures.

Si le témoin nie posséder un dossier judiciaire crimi-nel, une preuve indépendante établira ce fait, soit parla production du dossier en question ou d’un relevé infor-matique des antécédents judiciaires.

Les antécédents judiciaires peuvent (mais non doi-vent) influer sur la crédibilité d’un témoin suivant le poidsque le juge leur accorde compte tenu de leur nature, de leurimportance et de leur situation dans le temps. Il convientde noter que le témoin doté d’un dossier criminel nement pas nécessairement et, en corollaire, que le témoindépourvu d’antécédent n’est pas nécessairement, en rai-son de ce fait, fiable et crédible.

Quatre éléments s’avèrent pertinents à l’appréciationde la valeur probante d’antécédents judiciaires :

1o La nature de l’infraction qui a mené à la cul-pabilité, en fonction de sa pertinence. Unecondamnation qui reflète un caractère de mal-honnêteté (par exemple, pour fraude ou parjure)est plus pertinente que celle qui en est dénuée.

2o Une condamnation récente peut importer davan-tage qu’une condamnation sans lendemain, sur-venue il y a longtemps, avant une réadaptation.

Qualités et moyens de preuve 281

537. Corp. Mun. de la Paroisse Ste-Catherine c. Couture, Leclerc & Associés, [1986] R.D.J. 218, 220 (C.A.), j. Jacques.538. Hamel c. Ville de Ste-Anne-de-Beaupré, EYB 2007-117105 (C.S.).539. Le Fonds d’indemnisation des victimes d’accidents d’automobile c. Agnesi, [1980] C.A. 557, 559, j. Bernier.

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3o Le nombre de condamnations. Une seule con-damnation devrait être moins sérieuse qu’unelongue liste d’antécédents judiciaires.

4o Le genre de vie menée par le témoin depuis la der-nière infraction. Mène-t-il ou non depuis une viehonnête? S’est-il réadapté ou non?

Ces quatre facteurs peuvent aider l’avocat ou le juge àapprécier la valeur probante du témoignage dans ce cas.

2) La déclaration antérieure contradictoire

Le témoin qui comparaît (art. 2871 C.c.Q.) peut êtreconfronté avec une déclaration antérieure incompatibleavec son témoignage, pour miner sa crédibilité. Cettedéclaration antérieure peut être écrite ou orale.

La déclaration écrite peut émaner d’une dépositionfaite à l’instance, tel un interrogatoire préalable (art. 397et 398 C.p.c.) ou sur affidavit (art. 93 C.p.c.) – oraleà l’origine mais ensuite reproduite par écrit – ou dansune autre instance judiciaire540 ou quasi judiciaire. Il peutégalement s’agir de la déclaration écrite du témoin, com-muniquée en vertu de l’article 294.1 C.p.c., la partieadverse ayant cependant requis sa présence à la cour. Ellepeut aussi émaner de tout écrit pur et simple (art. 2832C.c.Q.) fourni dans un cadre extrajudiciaire, telle unelettre ou une version recueillie par un enquêteur. L’avocaten position de contre-interroger doit donc prendreconnaissance à l’avance de toutes les déclarations fourniespar le témoin et en tenir compte.

En cas de déclaration écrite, l’avocat lui en rappelle lesouvenir et en procède à l’identification, pour en assurerl’authenticité, en accord avec la norme de fiabilité, et larendre ainsi recevable. Le témoin, par exemple, reconnaîtson écriture ou sa signature à l’écrit. « Celui qui invoqueun écrit non signé doit prouver que cet écrit émane de celuiqu’il prétend en être l’auteur », énonce l’article 2835C.c.Q. Le déclarant doit reconnaître que l’écrit reproduitfidèlement sa déclaration, lorsqu’elle a été consignée parun tiers, tel un expert en sinistres ou un autre enquêteur.L’article 2873 C.c.Q. énonce à cet effet :

« La déclaration, consignée dans un écrit par une per-sonne autre que celle qui l’a faite, peut être prouvéepar la production de cet écrit lorsque le déclarant areconnu qu’il reproduisait fidèlement sa déclaration.

Il en est de même lorsque l’écrit a été rédigé à lademande de celui qui a fait la déclaration ou par unepersonne agissant dans l’exercice de ses fonctions,s’il y a lieu de présumer, eu égard aux circonstances,que l’écrit reproduit fidèlement la déclaration. »

L’avocat attire ensuite l’attention du témoin sur lespassages pertinents de la déclaration qui doivent servir à lemettre en contradiction avec sa déposition, puis il le con-fronte avec ces deux versions contradictoires d’un mêmeévénement. Cette déclaration écrite doit être produite,comme l’exige le premier alinéa de l’article 2872 C.c.Q. :« Doit être prouvée par la production de l’écrit, la déclara-tion qui a été faite sous cette forme. »

En cas de déclaration orale, non reproduite par écrit,l’avocat en interroge le témoin sur les circonstances etlui demande s’il a fait ou non cette déclaration. S’il laconfirme, elle est alors prouvée par cette reconnaissancede son auteur. S’il la nie, cette déclaration pourra êtreintroduite par une preuve indépendante, administrée,selon le cas, lors de la preuve de la défense ou en contre-preuve par la demande541, notamment par le témoignagedes personnes qui en ont eu personnellement connais-sance, en vue de la rendre fiable et recevable : « Touteautre déclaration ne peut être prouvée que par la déposi-tion de l’auteur ou de ceux qui en ont eu personnellementconnaissance, sauf les exceptions prévues aux articles2873 et 2874. » (art. 2872, al. 2 C.c.Q.). La déclarationantérieure peut être contenue dans un rapport d’en-quête542.

La déclaration orale peut avoir été captée et enre-gistrée sur ruban magnétique, intégrée à un magnéto-cassette ou vidéocassette. L’article 2874 C.c.Q. énonce :« La déclaration qui a été enregistrée sur ruban magné-tique ou par une autre technique d’enregistrement àlaquelle on peut se fier, peut être prouvée par ce moyen,à la condition qu’une preuve distincte en établisse l’au-thenticité. » Cependant, lorsque l’enregistrement est undocument technologique au sens de la Loi concernant lecadre juridique des technologies de l’information, cettepreuve d’authenticité n’est requise que dans le cas visé autroisième alinéa de l’article 5 de cette loi. » Il s’agit dudocument technologique dont le support et la technologiene permettent ni d’affirmer ni de dénier que son intégritéest assurée. Il peut alors être admis à titre de témoignageou d’élément matériel de preuve, comme prévu à l’article2865 C.c.Q., sous réserve d’en établir l’authenticité.

282 Preuve devant le tribunal civil

540. Massé c. Chamberland, J.E. 98-1191 (C.A.), REJB 1998-06394.541. R. c. Mandeville, [1992] R.J.Q. 1185 (C.A.), EYB 1992-63931.542. Federal Insurance Co. c. LaSalle (Cité de), [1985] R.D.J. 230 (C.A.).

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La déclaration antérieure incompatible peut consisteren une conversation téléphonique du témoin enregistréesur ruban magnétique. Ainsi, dans l’affaire Pagé c. Beau-dry543, un témoin de la demande corrobore le demandeurpar son témoignage. Or, il avait donné une version diffé-rente des faits à un expert en sinistres agissant pourle compte du défendeur lors d’une conversation télépho-nique captée sur magnétophone. En contre-interrogatoire,ce témoin est interrogé sur cette déclaration antérieureintroduite en preuve par la production du ruban magné-tique.

L’enregistrement clandestin par une partie d’uneconversation téléphonique avec la partie adverse, noninterceptée par un tiers, est recevable afin de toucher lacrédibilité de cette dernière durant le contre-interroga-toire544.

Sous réserve de l’article 2858 C.c.Q., l’interceptionou l’utilisation d’une communication privée interceptéene constitue pas un acte criminel lorsqu’elle a lieu avec leconsentement de l’auteur de la communication ou de lapersonne à laquelle son auteur la destinait (art. 184 (2) et193 (1) C.cr.).

L’enregistrement est recevable, de même que sareproduction écrite, dans la mesure où il représente fidèle-ment la réalité. Nous traiterons des conditions derecevabilité de tels enregistrements au chapitre qui portesur l’élément matériel.

Par contre, un journal intime est un document conte-nant des réflexions intimes qui, dans le respect du droit à lavie privée, ne doivent pas être dévoilées. On ne pourraitdonc utiliser cet élément pour mettre en preuve une décla-ration antérieure545.

Nous traiterons au dernier chapitre de la recevabilitéd’une preuve obtenue illégalement, à la lumière del’article 2858 C.c.Q.

Les articles 10 et 11 de la Loi sur la preuve au Canadacontiennent des dispositions de portée semblable à cellesdu Code civil du Québec, en ce qu’ils traitent du contre-interrogatoire au sujet de déclarations antérieures écriteset orales.

Le tribunal appréciera la force probante de la décla-ration antérieure, eu égard aux circonstances qui l’ontentourée. Le témoin peut reconnaître que sa déclarationantérieure, plutôt que son témoignage, correspond à lavérité, de sorte que, sous réserve de l’appréciation du tri-bunal (art. 2845 C.c.Q.), elle est susceptible dans ce cas deprouver les faits qu’elle contient, sans toucher seulementla crédibilité du témoin546. La déclaration antérieureincompatible avec le témoignage peut non seulement atta-quer la crédibilité, mais aussi faire preuve de son contenu,sous réserve d’en évaluer la fiabilité547. La déclarationoffre-t-elle des garanties suffisantes de fiabilité? L’article2871 C.c.Q. énonce à cet effet : « Lorsqu’une personnecomparaît comme témoin, ses déclarations antérieures surdes faits au sujet desquels elle peut légalement déposerpeuvent être admises à titre de témoignage, si elles présen-tent des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’yfier. » Une déclaration faite sous serment ou une affirma-tion solennelle offre une garantie de fiabilité548, tel untémoignage ou un affidavit détaillé antérieur. Une déclara-tion sera jugée fiable si celle-ci « a été faite dans descirconstances qui écartent considérablement la possibilitéque le déclarant ait menti ou commis une erreur »549. Unedéclaration non suffisamment fiable peut n’attaquer que lacrédibilité, sans établir la véracité de son contenu.

« En dernier lieu, lorsque le juge du procès trouve quela déclaration n’est pas suffisamment fiable pour êtreutilisée quant au fond, celle-ci peut toujours, bienentendu, être utilisée pour attaquer la crédibilité oupour prouver le fait qu’il y a eu déclaration. »550

Le témoin, en réinterrogatoire, pourra expliquer lescirconstances de la déclaration.

Trois choix s’offrent donc au tribunal. Il peut premiè-rement n’accorder aucune crédibilité au témoin à l’égardde ce fait, ne retenant le contenu d’aucune des deuxversions qui se neutralisent ainsi. Il peut deuxièmementadmettre à titre de témoignage la déclaration antérieure, sielle est suffisamment fiable, qui établit dès lors le fait enlitige, en ce que cette déclaration relate un fait dont letémoin a eu personnellement connaissance, en accordavec la définition de témoignage à l’article 2843 C.c.Q. Ilpeut troisièmement écarter cette déclaration et retenirle témoignage à l’audience dont il a apprécié la forceprobante (art. 2845 C.c.Q.).

Qualités et moyens de preuve 283

543. [1977] C.S. 1103.544. Renzo c. Prudential-Bache Securities Canada Limited, [1991] R.J.Q. 373 (C.S.), EYB 1990-75800; Caron c. Pennsylvanie (La), compagnie d’assurance-

vie, [1998] R.R.A. 974 (C.S.), REJB 1998-07900.545. L. (H.J.) c. E. (W.V.), REJB 2001-24936 (C.S.); Sergerie c. Centres jeunesse du Saguenay Lac St-Jean, AZ-04019052 (C.A.).546. Ouellette c. Maxwell, précité, note 458; Suissa c. C.P.R., [1984] C.S. 891.547. R. c. B. (K.G.), précité, note 190; Banque de Nouvelle-Écosse c. Bélair, compagnie d’assurances Inc., précité, note 191.548. R. c. B. (K.G.), précité, note 190, p. 795.549. R. c. Smith, précité, note 184, p. 933, juge en chef Lamer.550. R. c. U. (F.J.), précité, note 176, p. 795, juge en chef Lamer pour la cour.

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La déclaration antérieure émanant de la partie adversecontre-interrogée faite au cours de l’instance où elle estinvoquée, notamment à l’interrogatoire préalable, peutvaloir, selon son contenu et sa portée, comme aveu judi-ciaire, qui ne peut être révoqué par témoignagesubséquent, sous réserve d’une preuve d’erreur de faits(art. 2852 C.c.Q.). La déclaration de la partie adverse faiteen dehors de l’instance où elle est invoquée peut valoircomme aveu extrajudiciaire dont la force probante estlaissée à l’appréciation du tribunal (art. 2852 C.c.Q.).Nous traiterons plus loin de l’aveu.

3) La relation avec une partie

Certains faits peuvent établir à l’égard du témoin uneprésomption de partialité en faveur de la partie qui l’a assi-gné. Ainsi, l’article 295 C.p.c. énonce que « la parenté,l’alliance, l’intérêt peuvent être cause de reproche contreun témoin, mais seulement quant au degré de crédibilité deson témoignage ». Si, par exemple, le témoin est à la foisle frère et l’employé du demandeur, son témoignage, apriori, risque d’être coloré en faveur de cette partie quil’a produit, ce qui n’en fait plus un témoin totalementdésintéressé et indépendant.

L’avocat qui produit le témoin devrait établir dansl’interrogatoire principal la relation entre cette personneet la partie. À défaut, ce fait apparaîtra en contre-interroga-toire ou par une preuve indépendante.

Cette cause possible de reproche ne signifie pas quele juge n’accordera automatiquement aucune crédibilitéàce témoin; il s’agit uniquement de l’un des facteurs quipeuvent influencer la crédibilité et le juge, en s’appuyantsur d’autres éléments, peut accorder une entière crédibilitéau témoignage de cette personne, qui n’affirme pas néces-sairement une fausseté.

c) Les autres cas

L’article 314 C.p.c. permet d’attaquer de toutesmanières la crédibilité du témoin contre-interrogé. Cetteexpression englobe un vaste arsenal qui permet d’affaiblirla portée du témoignage donné à l’interrogatoire principal.Chaque cause et chaque témoin offre un cas d’espèce par-ticulier. Ainsi, si l’on sait que le témoin n’était pas présentlà où il a prétendu l’être, on devrait en faire la preuve. Demême, si le témoin est atteint d’un trouble mental affectantsa mémoire de façon sérieuse, on devrait également être enmesure d’en faire la preuve.

3. Le contre-interrogatoire du client

Peut-on contre-interroger son client produit à l’inter-rogatoire principal par la partie adverse?

Par exemple, l’avocat du demandeur fait comparaîtrele défendeur comme témoin et l’interroge afin d’établir unélément de preuve. Cet interrogatoire principal se terminepar l’expression habituelle « c’est votre témoin » et l’avo-cat du défendeur se lève pour l’interroger à son tour. Il luipose alors des questions suggestives puisque, en appa-rence, c’est l’étape du contre-interrogatoire et qu’il s’agitd’un témoin produit par la partie adverse. Peut-il alors lecontre-interroger comme tout autre témoin? Une applica-tion littérale de l’article 314 C.p.c. semble permettre lecontre-interrogatoire, par la paraphrase suivante : lorsquela partie demanderesse a terminé l’interrogatoire dutémoin-défendeur qu’elle a produit, toute autre partie,dont le défendeur, qui a des intérêts opposés à la partiedemanderesse peut contre-interroger ce témoin.

Une réponse négative devrait néanmoins s’imposerpar une application logique des articles 306 et 314 C.p.c.

La qualité de partie doit l’emporter sur celle detémoin. L’avocat ne peut contre-interroger son propreclient, dont il n’est qu’un mandataire. Il semble illogiqueen droit que la partie puisse se contre-interroger elle-même, puisque le contre-interrogatoire tend à affaiblir lacrédibilité et à écarter un témoignage. Il n’est certes pas del’intérêt de cette partie d’attaquer sa propre crédibilité parle truchement de son procureur! L’article 314 C.p.c., ons’en souvient, mentionne que toute autre partie ayant desintérêts opposés peut contre-interroger un témoin produitpar une partie et établir les causes de reproche contre lui.Dans le cas précité, le défendeur, par l’entremise de sonavocat, ne pourrait être contre-interrogé, puisqu’il n’entrepas dans le cadre de l’article 314 C.p.c.

Monsieur le juge Laurent E. Bélanger favorise le res-pect constant de cette règle qui découle de l’article 314C.p.c.551.

L’avocat du défendeur pourrait poser des questions àson client, mais ces questions, à l’instar de celles poséeslors d’un interrogatoire principal, ne devraient pas suggé-rer la réponse désirée. L’avocat qui questionne son clientdevrait donc alors s’abstenir de lui poser des questionssuggestives, même si elles ne tendent pas à affaiblir sa cré-dibilité, et de le contre-interroger dans le sens véritable dumot, c’est-à-dire de tenter de le discréditer; il devrait pro-

284 Preuve devant le tribunal civil

551. L. BÉLANGER, loc. cit., note 534.

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céder comme s’il s’agissait de son propre témoin, à l’instard’un interrogatoire principal ou d’un réinterrogatoire.

4. L’opportunité

Quand est-il opportun de contre-interroger? Lecontre-interrogatoire de chaque témoin est facultatif!Instrument à la fois utile et dangereux, il faut en useravec discernement. Il faut donc déterminer si un contre-interrogatoire s’impose, quel est le but recherché etquelle en sera la portée probable. Ce dernier ne constituepas nécessairement l’outil vital au succès de toute cause.D’une part, lorsqu’il est mal utilisé, il joue au détrimentde la partie qui contre-interroge; d’autre part, lorsqu’il estutilisé à bon escient, le contre-interrogatoire bien menéfavorise le rétablissement de la vérité des faits, par hypo-thèse, favorables à la partie qui contre-interroge.

Il est plus prudent de s’abstenir de contre-interrogerplutôt que de le faire au hasard, en se fiant uniquementà l’inspiration du moment, sans but précis. Le contre-inter-rogatoire n’a lieu que s’il est vraiment nécessaire. Lecontre-interrogatoire ne doit jamais servir à faire la preuvede la partie adverse. S’il est utile, il doit permettre de mar-quer des points au profit de la cause de son client.

5. L’expert

Le contre-interrogatoire de l’expert est en soi dan-gereux et nécessite un soin plus grand que le contre-interrogatoire du simple témoin de faits552. Le témoinexpert, par définition, est expert dans le domaine de sa spé-cialité et aussi, généralement, n’en est pas à sa premièreprésence devant un tribunal. Il est donc plus difficile, apriori, de désarçonner un témoin expert qu’un simpletémoin d’occasion.

Avant le début du procès, l’avocat a étudié le rapportde l’expert, communiqué selon l’article 402.1 C.p.c., et aen conséquence préparé, si possible en compagnie de sonpropre expert, le contre-interrogatoire. Si la dépositiondonnée par l’expert à l’interrogatoire principal a pu révé-ler des faits, hypothèses ou conclusions nouveaux quel’avocat n’est pas prêt d’affronter immédiatement à piedlevé, il peut alors demander au juge un bref ajournement

afin de pouvoir conférer avec son propre expert, enpréparation du contre-interrogatoire.

L’expert, bien que supposément impartial, peut avoirtendance, parfois inconsciemment, à faire jouer le béné-fice du doute en faveur de la partie qui a retenu sesservices. Répondant strictement aux questions qui lui ontété posées lors de l’interrogatoire principal, il n’a pasnécessairement exposé les points faibles de sa thèse. Encontre-interrogatoire, il est donc opportun de scruter lesdoutes, les nuances et les omissions de son témoignage.L’expert, intellectuellement honnête et soucieux de saréputation, répondra généralement de façon franche auxquestions posées en contre-interrogatoire. C’est donc direque la façon de poser la question est souvent aussi impor-tante que la réponse donnée, car l’expert habile réponduniquement à la question telle qu’elle est formulée, sansdisserter outre mesure dans la direction souhaitée par lapartie adverse.

« [...] on peut procéder à un contre-interrogatoire dansle but de déterminer si ce dont l’expert a tenu compteétait pertinent, s’il y a des points pertinents qui n’ontpas été pris en considération et, naturellement, sil’expert aurait pu arriver à sa conclusion par suite deconsidérations qui ne se rapportent pas à son domained’expertise particulier. Un expert peut évidemmentêtre contre-interrogé pour savoir si des faits pertinentsont été écartés ou négligés et si des faits non pertinentsont été pris en considération, mais uniquement s’ils’agit de faits non pertinents qui appuient la conclu-sion tirée. »553

On peut exiger la communication des rapports audossier sur lesquels le témoin expert appuie son témoi-gnage554. Il est permis de contre-interroger un expert surune recommandation qu’il a déjà faite dans un cas simi-laire à celui en litige, afin de porter atteinte à sa crédibilité,c’est-à-dire à sa compétence et à la fiabilité de l’unede ses conclusions555. Cependant, en raison du caractèreconfidentiel des communications entre l’expert et l’avocatqui retient ses services à titre de mandataire d’un client,l’expert n’est pas contraignable à produire ses notes,brouillons et versions préparatoires du rapport produit556.Il est possible d’obtenir communication des photogra-phies prises par un expert (ou un expert en sinistre) de la

Qualités et moyens de preuve 285

552. À ce sujet, voir L. CHAMBERLAND, Manuel de plaidoirie : Techniques et stratégies d’un procès civil, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2000,p. 65 et s.

553. R. c. Howard, précité, note 469.554. Dow Chemical c. Institut national canadien pour les aveugles Inc., [1979] C.A. 215; Paillé c. Lorcon, précité, note 77; Drouin c. Axa Boréal, compagnie

d’assurances, REJB 1999-12044 (C.S.).555. Corp. municipale de la Paroisse Ste-Catherine c. Couture, Leclerc & Associés, précité, note 537.556. Poulin c. Prat, [1994] R.D.J. 301 (C.A.), EYB 1994-64315.

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partie adverse, et qui ne sont pas jointes à son rapport. Cesphotographies sont reconnues comme étant un élémentmatériel de preuve, et il est possible de se prévaloir del’article 402 C.p.c. pour en obtenir communication557.L’expert peut toutefois être tenu de produire un rapportantérieur si le rapport produit y renvoie558 ou si la partiequi en est le destinataire fait état dans son témoignagedes démarches préparatoires au rapport définitif559. Lesextraits d’ouvrages invoqués ne font preuve que si letémoin en confirme l’autorité :

« Lorsqu’on interroge un témoin expert sur d’autresopinions d’expert exprimées dans des études ou deslivres, la procédure à suivre est de demander autémoin s’il connaît l’ouvrage. Dans la négative, ousi le témoin nie l’autorité de l’ouvrage, l’affaire enreste là. Les avocats ne peuvent lire des extraits del’ouvrage puisque ce serait les introduire en preuve.Dans l’affirmative, et si le témoin reconnaît l’autoritéde l’ouvrage, alors il le confirme par son propretémoignage. Des extraits peuvent être lus au témoin,et dans la mesure où ils sont confirmés, ils deviennentune preuve dans l’affaire. »560

La règle classique – on ne pose pas une questiondont on ne connaît pas la réponse – doit ici s’appliquer defaçon rigoureuse. En effet, lors du contre-interrogatoire del’expert, il faut connaître d’avance toutes les réponses sus-ceptibles d’être données par le témoin afin d’éviter que cedernier profite de l’occasion pour s’esquiver ou donnerune leçon à un élève ignorant. En cas de doute ou d’igno-rance, il faut s’abstenir et s’en tenir au témoignage de sonexpert pour étayer sa preuve.

Il faut éviter d’argumenter avec l’expert, dans ledomaine de sa spécialité, à moins d’être aussi, sinondavantage, renseigné que lui. L’acharnement contre unexpert produit généralement un résultat stérile; son témoi-gnage pourra, le cas échéant, être contredit par l’expert dela partie adverse et par les autres éléments de preuve, dontla preuve profane. Il convient d’attaquer les prémissesde la conclusion, plutôt que la justesse de cette dernière.

Le plaideur, dans sa plaidoirie plutôt que lors ducontre-interrogatoire, s’emploiera à souligner les lacunesde la preuve scientifique présentée par la partie adverse, à

la lumière des autres éléments de preuve, dont le témoi-gnage fourni par son propre expert et la preuve profaneémanant des témoins de faits.

Après la fin du contre-interrogatoire d’un témoin,l’avocat qui a fait comparaître ce témoin peut procéder àun réinterrogatoire.

J- Le réinterrogatoire

Les questions en réinterrogatoire doivent porter surdes éléments issus du contre-interrogatoire, qui se rappor-tent à des faits nouveaux ou à des questions soulevéespendant l’interrogatoire principal et qui nécessitent desexplications en ce qui concerne les questions posées et lesréponses données en contre-interrogatoire561. Le réinter-rogatoire a lieu de plein droit et a pour but de faire préciserles réponses données en contre-interrogatoire562.

L’article 315 C.p.c. énonce : « Le témoin peut êtreentendu de nouveau par la partie qui l’a produit, soitpour être interrogé sur des faits nouveaux révélés par lecontre-interrogatoire, soit pour expliquer ses réponses auxquestions posées par une autre partie. » Le réinterrogatoiren’est pas une continuation ni une reprise de l’interro-gatoire principal. S’il est nécessaire, il est généralementbref, parce qu’il est restreint par la portée de cette disposi-tion.

Le nouvel interrogatoire exige l’autorisation du juge,et le pouvoir de l’autoriser découle de l’obligation géné-rale du juge de sauvegarder l’équité du procès civil etde faciliter la présentation des preuves nécessaires; lapartie défenderesse a droit de contre-interroger à nouveaule témoin lorsque le réinterrogatoire porte sur un sujetnon traité lors de l’interrogatoire principal ou du contre-interrogatoire563.

K- La contre-preuve

Une contre-preuve peut être offerte après la clôture dela preuve de la défense.

Afin de contrer la preuve de la défense et redonner sinécessaire à sa propre preuve cette qualité prépondérante,

286 Preuve devant le tribunal civil

557. Mauricienne (La) Société d’assurances générales c. Gaston Brouillette Inc., 99BE-521 (C.S.); Société d’habitation du Québec c. Mercier, EYB2006-108294 (C.S.).

558. Poulin c. Prat, précité, note 556.559. Côté c. La Sécurité Nationale, J.E. 94-1191 (C.S.), EYB 1994-73775.560. R. c. Marquard, précité, note 345, p. 251, j. McLachlin pour la majorité.561. R. c. Evans, [1993] 2 R.C.S. 629, EYB 1993-67105.562. Pourchelle c. Mercier, [1996] R.J.Q. 31 (C.A.), EYB 1995-29190.563. Ibid.

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la partie demanderesse peut, après la preuve de la défense,soumettre une contre-preuve, ainsi que le prévoit lesecond alinéa de l’article 289 C.p.c.

À l’instar d’une réplique, la contre-preuve ne doit pasconstituer une répétition de la preuve principale aupara-vant close. Elle devrait réfuter ou contredire des élémentsde faits nouveaux soulevés par la défense – quoiquel’exercice du droit à la contre-preuve ne devrait pas enprincipe être indûment restreint564.

L’apport d’un fait nouveau en défense justifie laprésentation d’une contre-preuve. Cette contre-offensiverestreinte n’autorise toutefois pas la partie demanderesseà scinder sa preuve principale et à la présenter en deuxétapes.

« Le ministère public ou le demandeur doit produire etinclure dans sa preuve tous les éléments clairementpertinents dont il dispose ou sur lesquels il a l’inten-tion de se fonder pour établir sa preuve relativement àtoutes les questions soulevées dans les débats. [...]Cette règle empêche les surprises injustes, les préju-dices et la confusion qui pourraient résulter si leministère public ou le demandeur était autorisé à scin-der sa preuve, c’est-à-dire à présenter une partie de seséléments de preuve – autant qu’il l’estime nécessaireau départ – pour ensuite terminer la présentation desa preuve et, après la fin de l’argumentation de ladéfense, [texte original : « after the defence is com-plete », c’est-à-dire après la fin de la preuve de ladéfense] ajouter d’autres éléments de preuve à l’appuide la position présentée au début. »565

Le défendeur a en effet le droit de connaître toute lapreuve de la demande et de savoir ce à quoi il doit répondreavant d’entreprendre sa propre preuve. La contre-preuven’est pas permise pour établir des faits qui confirment ourenforcent simplement des éléments de la preuve de lademande et qui auraient pu être soumis avant celle de ladéfense.

Par contre, elle est permise lorsque la partie défen-deresse a soulevé de nouveaux éléments factuels ou denouveaux moyens de défense non traités par la partiedemanderesse, qui ne pouvait raisonnablement les prévoir.

« Elle ne sera autorisée que si elle est nécessaire pourassurer qu’à la fin de l’audience, chaque partie aura euune chance égale d’entendre les arguments completsde l’autre et d’y répondre. »566

La contre-preuve sera cependant refusée lorsqu’ils’agit d’un nouvel élément incident, qui ne peut disposerd’une question traitée dans les actes de procédure ou quiest étrangère aux faits dont la preuve est nécessaire pourtrancher le litige. Le tribunal devra en apprécier la perti-nence et la recevabilité. La contre-preuve n’est pas uneréouverture de la preuve principale. Il est donc interdit deprésenter une contre-preuve relativement à des questionsincidentes. Tout ce que peut alors faire le procureur dudemandeur, c’est de contre-interroger le témoin sur cesfaits sans pouvoir présenter de contre-preuve pour le con-tredire. La partie demanderesse choisit les moyens depersuasion qu’elle doit présenter, en même temps, enpreuve principale, sans scission.

Le tribunal ne devrait pas cependant être privé d’unepreuve importante qui se rapporte à un élément essentieldu litige. « Toutefois, les règles ne devraient pas allerjusqu’à priver le juge des faits d’éléments de preuveimportants, susceptibles d’être utiles à la solution d’unélément essentiel du litige. »567

Le témoignage d’expert en contre-preuve ne peuttendre qu’à discréditer l’opinion de l’expert de la défense,étant irrecevable à tous autres égards568.

Le doute quant à la pertinence d’un élément suscep-tible d’être offert en contre-preuve en favorise cependantl’introduction au dossier; si une portion de la contre-preuve s’avère inutile en rétrospective, le juge l’élimineradurant son délibéré. Le tribunal, à la suite de la contre-preuve, pourrait user de sa discrétion et permettre la réou-verture de la preuve de la défense569.

Après la contre-preuve, « le tribunal peut, à sa discré-tion, permettre l’interrogation d’autres témoins » (art. 289C.p.c.). La contre-preuve peut en effet donner ouverture àune réplique, afin d’écarter tout préjudice570, qui devraitalors être à la fois brève et circonscrite. Cette réplique doitfaire l’objet d’une autorisation préalable du tribunal, quiexerce sa discrétion, puisqu’elle n’a pas lieu de plein droit.

Qualités et moyens de preuve 287

564. Nugent c. Thomson, H. REID, D. FERLAND, C.p.c. annoté, 1981, vol. 3, p. 523, 1976 (C.A.); Société canadienne des métaux Reynolds c. C.S.N., précité,note 304.

565. R. c. Krause, précité, note 536, p. 473.566. Id., p. 474; voir aussi Immeubles B.F.V. Inc. c. Venus Products Inc., REJB 2000-20870 (C.A.).567. R. c. Aalders, [1993] 2 R.C.S. 482, 499, EYB 1993-67875, j. Cory pour la majorité.568. MIUF – 5, [1988] R.D.J. 433 (C.S.).569. MIUF – 4, [1988] R.D.J. 429 (C.S.).570. R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303, EYB 1990-67195.

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L- L’affidavit détaillé

Le Code de procédure civile, à l’article 4 a), définitainsi l’affidavit :

« affidavit » : une déclaration écrite appuyée du ser-ment du déclarant reçu et attesté par toute personneautorisée à cette fin par la loi; »

L’article 4 i) C.p.c. définit ainsi le serment :

« serment » : une affirmation solennelle par une per-sonne de la vérité d’un fait ou de son témoignage; »

Une preuve par affidavit constitue donc une forme detémoignage.

Il existe deux types d’affidavit, soit l’affidavit simple,par exemple celui auquel l’article 88 C.p.c. renvoie, etl’affidavit détaillé, comme celui requis dans le cas de lapreuve par défaut de comparaître ou de plaider (art. 195et 196 C.p.c.), ou encore en matière d’injonction interlo-cutoire (art. 754.1 C.p.c.).

1. La notion

a) L’affidavit simple

Dans le simple affidavit, le déclarant y atteste que lesfaits allégués dans l’acte de procédure au soutien duquelil est donné sont vrais.

L’affidavit simple est-il autant un témoignage écritque l’est l’affidavit détaillé?

Habituellement, cet affidavit fait partie de la preuve àapprécier571. Il a occasionnellement été considéré commefaisant preuve de son contenu, les jugements en ce sensconcernant des affidavits soumis à l’appui de certainesprocédures à un stade préliminaire : requête en rétractationde jugement au stade de la réception572, requête en rejetd’expertise573.

Dans ces cas, les tribunaux ont estimé que l’affidavitconstituait une preuve suffisante et ils ont accueilli surcette base les requêtes en cause.

Rappelons cependant qu’habituellement, le simpleaffidavit ne constitue pas un mode de preuve distinct, maisn’est qu’un élément accessoire à un acte de procédure. Lesfaits allégués dans l’acte de procédure au soutien duquelil a été donné doivent être ultérieurement mis en preuveselon les modes habituels, notamment par le témoignagedu déclarant à l’audience.

Certaines procédures doivent être accompagnéesd’un affidavit, notamment le bref de saisie avant jugement(art. 735 C.p.c.), la requête en injonction interlocutoire(art. 753 C.p.c.), la requête en habeas corpus (art. 851C.p.c.), ainsi que toute requête en cours d’instance danslaquelle la preuve des faits allégués n’est pas déjà audossier (art. 88 C.p.c.). Un affidavit est également requisau soutien d’une défense qui conteste un écrit sous seingprivé ou un document reproduisant les données d’unacte juridique inscrites sur support informatique (art. 89C.p.c.). Toute requête visant à modifier, à annuler ou à sus-pendre une mesure accessoire est appuyée d’un affidavit(art. 39 R.p.fam.(C.S.)).

Notons que l’avocat, en sa qualité de membre du Bar-reau inscrit au Tableau de l’Ordre comme avocat enexercice, est autorisé à ce titre à faire prêter serment selonl’article 219 de la Loi sur les tribunaux judiciaires574.Selon l’article 221 de cette loi, il ne peut cependant rece-voir le serment de la partie qu’il représente dans une causeou dans une procédure non contentieuse575.

b) L’affidavit détaillé

L’affidavit détaillé constitue un témoignage horscour. « C’est une déposition hors cour reproduisant uni-quement les réponses qu’aurait données un témoin lorsd’un interrogatoire principal tenu sous l’article 404 C.p.c.à la différence que des objections ne peuvent alors êtresoulevées et décidées. »576 Comme dans le cas du témoi-gnage à l’audience, le déclarant établit les faits alléguésdans l’acte de procédure qu’il est compétent à rapporter; lapartie adverse, comme dans le cas d’une preuve testimo-niale fournie dans le cadre d’une contestation, peut aussiproduire des affidavits détaillés. Contrairement au simpleaffidavit, l’affidavit détaillé peut porter une date anté-rieure à la requête qu’il accompagne577. Bien qu’il soit un

288 Preuve devant le tribunal civil

571. Hinla Corporation c. Thersidis, [1993] R.J.Q. 1411 (C.A.), EYB 1993-57985.572. Ibid.573. France Landry c. Société immobilière Marathon Ltée, REJB 2000-20579 (C.S.); requête pour permission d’en appeler rejetée, C.A. Québec,

no 200-09-003318-000.574. L.R.Q., c. T-16.575. Comité de la protection de la jeunesse c. Schleichkorn, J.E. 87-614 (C.P.), EYB 1987-78689; Dansereau et Arsenault Ltée c. Trust Général du Canada,

J.E. 96-528 (C.A.), EYB 1996-71763.576. Brasserie O’Keefe Ltée c. Lauzon, précité, note 371.577. Paquin c. Territoire de Lacs Inc., J.E. 91-1680 (C.S.), EYB 1991-68102.

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témoignage écrit plutôt qu’oral « cet affidavit doit par ail-leurs répondre à tous les critères et règles de preuvequi s’appliqueraient à un témoignage oral »578.

Quoique l’article 402.1 C.p.c. autorise la productionau dossier de l’ensemble ou d’extraits seulement du témoi-gnage hors cour d’un témoin expert pour tenir lieu de sonrapport écrit, l’affidavit détaillé ne peut valoir comme rap-port d’expertise579.

Le législateur autorise la preuve par affidavit détaillédans cinq cas, soit en matière de preuve par défaut (art. 196C.p.c.), de preuve hors cour (art. 404 C.p.c.), de requêteen injonction interlocutoire (art. 754.1 C.p.c.), de recoursextraordinaire (art. 835.3 C.p.c.) et de requête pour mesuresprovisoires (art. 813.10 C.p.c.). Ces dispositions autorisentune partie à faire sa preuve au moyen d’affidavits suffisam-ment détaillés. En matière familiale, dans le cas de demandeintroduite par voie de requête, les parties peuvent, si elles ledésirent, faire leur preuve au moyen d’un seul affidavitdétaillé chacune. Si l’intimé produit un tel affidavit, lerequérant a alors le droit de faire signifier un seul autre affi-davit détaillé en réplique. Tout autre affidavit doit êtreautorisé par le tribunal (art. 813.10 C.p.c.).

Il n’est pas nécessaire de répéter dans l’affidavitdétaillé ce qui est déjà mentionné à la requête, en vertu del’article 93.1 C.p.c. selon lequel « ces affidavits ne doi-vent contenir que les éléments de preuve pertinents quel’affiant peut attester et qui ne sont pas déjà allégués etattestés dans la requête et l’affidavit qui l’accompagne ».

Suivant l’article 93 C.p.c., « toute autre partie peutassigner le déclarant à comparaître devant le juge ou legreffier, pour y être interrogé sur la vérité des faits attestéspar sa déclaration ».

Nous traiterons de l’interrogatoire sur affidavit auchapitre qui porte sur la preuve avant procès.

2. L’application de la notion depreuve par affidavit détaillé

Aux fins de l’enquête requise dans une action viséedans l’article 195 C.p.c. et inscrite pour enquête et audi-tion par défaut de comparaître ou de plaider, la preuvehors cour peut être administrée par affidavit détaillé. Letroisième alinéa de l’article 196 C.p.c. prévoit que les

dépositions des témoins peuvent être faites par des affida-vits suffisamment détaillés pour établir tous les faitsnécessaires au soutien des conclusions recherchées et êtreproduites au dossier pour valoir comme si elles avaient étérecueillies à l’audience. Le tribunal ne peut cependantfaire droit à une demande en nullité de mariage que sile témoignage de la partie demanderesse a été rendu àl’audience, suivant le second alinéa de l’article 196 C.p.c.

En vertu de l’article 404 C.p.c., les parties peuventconvenir ou le tribunal peut permettre, s’il le juge à pro-pos, qu’un témoin soit entendu hors cour. Les dépositionspeuvent être faites par des affidavits suffisamment détail-lés pour établir tous les faits nécessaires au soutien desconclusions recherchées et sont produites au dossier pourvaloir comme si elles avaient été recueillies à l’audience.Par exception, la partie demanderesse doit cependanttémoigner à l’audience dans une demande en nullité demariage et dans une demande contestée en séparation decorps ou en divorce (art. 404, al. 3 C.p.c.).

Ces dispositions facilitent l’administration de lapreuve hors cour et évitent le déplacement et la comparu-tion de témoins devant le tribunal.

Les parties à une requête en injonction interlocutoire« font leur preuve au moyen d’affidavits suffisammentdétaillés pour établir tous les faits nécessaires au soutiende leur prétention », en vertu de l’article 754.1 C.p.c. Lerequérant doit faire signifier ses affidavits en même tempsque la demande d’injonction interlocutoire, alors que ceuxde la partie adverse sont signifiés à la partie requérante dèsque possible avant la présentation de cette demande.

L’article 753 C.p.c. exige que la demande d’injonc-tion interlocutoire soit appuyée d’un affidavit attestant lavérité des faits allégués. Ce simple affidavit diffère del’affidavit détaillé requis par l’article 754.1 C.p.c., qui faitpreuve en soi580.

Le tribunal ne peut ignorer la règle de la meilleurepreuve uniquement parce qu’elle s’établit par affidavit etinterrogatoire selon l’article 93 C.p.c.581. L’affidavit régipar l’article 754.1 C.p.c. dans le contexte d’une requêteen injonction interlocutoire peut toutefois contenir duouï-dire, puisque la partie requérante doit présenter unepreuve prima facie, ce qui rend les exigences procéduralesmoins rigides que lors de l’instruction sur l’action582, sur-tout lorsqu’il est corroboré par un document583.

Qualités et moyens de preuve 289

578. Larose, Paquette Autobus Inc. c. Voies du Québec Transports Inc., [1989] R.D.J. 130, 136 (C.A.), EYB 1989-58435.579. 2626-4143 Québec Inc. c. Hyundai Auto Canada, J.E. 92-628 (C.S.), EYB 1992-75279.580. Larose, Paquette Autobus Inc. c. Voies du Québec Transport Inc., précité, note 578.581. Entreprises Omnipak Inc. c. De Serres, [1988] R.J.Q. 1951 (C.S.), EYB 1988-77765.582. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, Section locale 57 (U.I.E.P.B.) C.T.C.-F.T.Q. c. Association d’hospitalisation du

Québec, précité, note 319.583. Sony du Canada Ltée c. Multitronic Stéréo Inc., précité, note 319.

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« En plus de la preuve par affidavit, toute partie peut,si elle le désire, présenter une preuve orale », énoncele second alinéa de l’article 754.2 C.p.c. que complètel’article 754.3 C.p.c. : « Le tribunal peut, lors de l’audition,prescrire toutes mesures susceptibles d’en accélérer ledéroulement et de limiter la preuve si elles ne portent paspréjudice à une partie. » Cette dernière disposition permetde restreindre l’exercice du droit de présenter une preuveorale permise en vertu de l’article 754.2 C.p.c. Bien que letribunal jouisse d’une discrétion à cet effet, celle-ci doitêtre exercée judicieusement, après que l’on ait donné leloisir aux parties de s’exprimer584.

L’utilisation de la preuve par affidavit détaillé est éga-lement prévue en matière de recours extraordinaires, soit àl’occasion de requêtes en quo warranto (art. 838 à 843C.p.c.), en mandamus (art. 844 et 845 C.p.c.) et en révisionjudiciaire (art. 846 C.p.c.). « Une partie peut faire sapreuve au moyen d’affidavits suffisamment détaillés pourétablir tous les faits nécessaires au soutien de ses préten-tions » (art. 835.3 C.p.c.), selon des modalités d’exerciceidentiques à celles prescrites en matière d’injonctioninterlocutoire.

L’affidavit détaillé est utilisé en Chambre de lafamille de la Cour supérieure. L’article 813.10 C.p.c. selit comme suit :

« Les parties peuvent, si elles le désirent, faire leurpreuve au moyen d’un seul affidavit chacune, suffi-samment détaillé pour établir les faits au soutien deleurs prétentions. Si l’intimé procède de cette façon,le requérant a alors le droit de lui signifier un seulautre affidavit détaillé en réplique. Tout autre affida-vit détaillé doit être autorisé par le tribunal. »

Lors de la présentation de la requête introductived’instance, en vertu de l’article 151.6 (4) C.p.c., à défautd’entente entre les parties quant au déroulement del’instance déposée au greffe avant cette date, le tribunalétablira le calendrier des échéances à respecter pour assu-rer le bon déroulement de l’instance, dont les dates designification et de dépôt des affidavits détaillés, le caséchéant. Lorsque la requête a notamment comme objetune pension alimentaire, un état sous serment de la situa-tion financière des parties, préparé selon le Formulaire III,doit être déposé au dossier (art. 26 et 27 R.p.fam.(C.S.)).

Le législateur n’impose pas l’obligation aux partiesde faire leur preuve au moyen d’affidavit détaillé tant sur

la requête introductive d’instance que sur la requête pourmesures provisoires et permet la preuve orale, sans auto-risation du tribunal. Les parties qui décident d’utiliserla preuve par affidavit sont limitées à un seul affidavitchacune et, dans le cas du requérant, un affidavit supplé-mentaire en réplique; tout autre affidavit doit être autorisépar le tribunal (art. 813.10 C.p.c.). L’intention du législa-teur est vraisemblablement de diminuer le coût lié à lapréparation des affidavits et à la transcription des interro-gatoires.

Seul le juge saisi d’une requête pour mesures provi-soires peut décider de la pertinence de la preuve fourniepar affidavit détaillé585. Le tribunal qui rend une ordon-nance de sauvegarde ne peut alors disposer des questionsen litige, ni exprimer une opinion, puisque toute la preuven’est pas nécessairement encore au dossier586.

Dans tout litige, un affidavit détaillé pourrait être pro-duit en preuve, pour valoir témoignage, du consentementdes parties (art. 2869 C.c.Q.) ou moyennant l’autorisationdu tribunal (art. 2870 C.c.Q.). Le juge qui préside uneconférence préparatoire (art. 279 C.p.c.) pourrait aussiautoriser, habituellement avec l’assentiment des parties, laproduction d’un affidavit détaillé portant sur un élémentsecondaire non véritablement contesté, pour éviter lacomparution de ce témoin à l’audience et accélérer l’ins-truction, quitte à ce que le contre-interrogatoire ait lieuhors cour.

Le témoin qui comparaît à l’audience peut être appeléà produire des pièces, que ce soient des écrits ou desobjets. Le témoignage peut s’assortir de la présentationd’un élément matériel.

4- L’élément matériel

La preuve matérielle constitue un moyen autonomede preuve autorisé par le Code civil du Québec et prévuau Code de procédure civile.

A- La notion

La preuve matérielle consiste dans l’introduction enpreuve d’un élément matériel que constate le tribunal. Cedernier examine un objet ou un lieu qui représente un faitmatériel. Cette preuve s’établit par la présentation del’objet devant le tribunal, accompagnée de sa production,ou par la visite d’un lieu. L’article 2854 C.c.Q. énonce :

290 Preuve devant le tribunal civil

584. Promer Seafoods International Ltd. c. Pépin, [1993] R.D.J. 340 (C.A.), EYB 1993-64074.585. Droit de la famille – 292, [1986] R.J.Q. 1760 (C.A.), EYB 1986-62437.586. Droit de la famille – 499, J.E. 88-666 (C.S.), EYB 1988-77710.

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« La présentation d’un élément matériel constitue unmoyen de preuve qui permet au juge de faire directe-ment ses propres constatations. Cet élément matérielpeut consister en un objet, de même qu’en la représen-tation sensorielle de cet objet, d’un fait ou d’un lieu. »

Le tribunal, à l’instar d’un témoin, observe directe-ment l’objet plutôt que de se fier à un témoignagedescriptif. Cet examen s’intègre dans les pouvoirsd’enquête du tribunal, qu’exprime l’article 2810 C.c.Q.

Les règles d’administration de la preuve du Code deprocédure civile traitent également de la preuve maté-rielle. Ainsi, une partie ou un tiers peut être tenu d’exhiberun élément matériel de preuve se rapportant au litige,après défense, selon le second alinéa de l’article 402C.p.c., lequel pourra être soumis à une expertise. Un élé-ment matériel de preuve peut être exhibé à l’audience ouen tous autres lieux, sur ordonnance du tribunal (art. 312C.p.c.). Suivant l’article 403 C.p.c., « Après production dela défense, une partie peut, par avis écrit, mettre la partieadverse en demeure de reconnaître la véracité ou l’exac-titude d’une pièce qu’elle indique. » L’article 290 C.p.c.prévoit que « Le juge peut, au cours de l’enquête, ordonnerle transport du tribunal sur les lieux, pour procéder à touteconstatation utile en vue de la solution du litige et, à cettefin, rendre les ordonnances qu’il croit nécessaires. » Demême, le tribunal peut, de sa propre initiative, ordonnerune expertise par personne qualifiée qu’il désigne pourl’examen, la constatation et l’appréciation de faits relatifsau litige, en vertu de l’article 414 C.p.c.

La preuve par la présentation d’un élément matérielpeut consister en la présentation même de l’objet, tel uncontenant d’essence trouvé sur la scène d’un incendie, ouen la représentation visuelle de cet objet ou d’un lieu,notamment par photographie, plan, ou en la représentationsonore d’un fait, par exemple l’enregistrement d’une con-versation captée sur ruban magnétique et reproduite parécrit.

À titre d’exemples puisés dans la jurisprudence,peuvent être admis en preuve des films587, des photogra-

phies588, une disquette souple d’un logiciel589, une bandeaudio-visuelle, équivalente à un document590, une audio-cassette591, l’enregistrement de bord d’un avion592. Parexemple, une partie établit, notamment par un enregistre-ment sonore, la preuve de bruits excessifs nocturnes593.Dans une autre affaire, le tribunal ordonne la remise par lapartie défenderesse de vidéocassettes à la partie demande-resse qui a institué des procédures en diffamation594.

Dans une action en responsabilité médicale, le tribu-nal a décrété la visite du Centre hospitalier pour mieuxsituer la chambre et la salle d’opération, et aussi mieuxconnaître la nature et l’accessibilité de l’équipementmédical595. Le tribunal s’est également transporté sur leslieux dans une cause relative à une enclave de terrain596.Une des visites les plus intéressantes a sans doute été celleeffectuée par le juge dans la maison hantée d’un parcd’amusement où la partie demanderesse avait malencon-treusement chuté sur le tapis magique597! Le jugementqui ordonne la visite des lieux n’est pas susceptibled’appel598.

En pratique, il s’agit plus souvent de choses percepti-bles par le sens de la vue ou de l’ouïe, et plus rarement,d’une chose perceptible par le sens du toucher, de l’odoratou du goût. Par exemple, le tribunal a refusé, en contre-interrogatoire, qu’on soumette un témoin à un test de goût,pour vérifier sa capacité d’identifier l’eau d’un réservoirdont la qualité était l’une des questions en litige599.

Comme tout autre moyen de preuve, la preuve par laprésentation d’un élément matériel doit être recevable.

B- La recevabilité

Il y a lieu de distinguer la recevabilité en droit et larecevabilité en faits.

L’article 2868 C.c.Q. traite de la recevabilité en droit :« La preuve par la présentation d’un élément matériel estadmise conformément aux règles de recevabilité prévuespour prouver l’objet, le fait ou le lieu qu’il représente. »

Qualités et moyens de preuve 291

587. Chayne c. Schwartz, [1954] C.S. 123.588. Compagnie d’Assurances Union Commerciale du Canada c. General Motors du Canada Ltée, [1981] R.P. 379 (C.P.).589. Barcana Ltée c. Dupras, Alexandre Tremblay et Associés Inc., J.E. 85-997 (C.A.).590. MIUF – 3, précité, note 343.591. Cadieux c. Services de Gaz Naturel Laval Inc., J.E. 93-604 (C.Q.), EYB 1993-74428.592. Air Inuit (1985) Ltd. c. Procureur général du Canada, [1995] R.J.Q. 1475 (C.S.), EYB 1995-75627.593. Paquin c. Hart, [1990] R.D.J. 280 (C.A.), EYB 1990-56657.594. Parizeau c. Société Radio-Canada, [1995] R.D.J. 132 (C.S.), EYB 1994-73525.595. Lafrenière c. Baie Comeau Company, [1968] R.P. 49 (C.A.).596. Morrissette c. Bienvenu, [1971] C.A. 356.597. Bourlos c. Belmont Park, [1979] C.S. 1143.598. Lafrenière c. Baie Comeau Company, précité, note 595.599. Hamel c. Ville de Ste-Anne-de-Beaupré, précité, note 538.

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La preuve matérielle est généralement recevable puis-qu’elle vise habituellement un fait pur et simple dontla preuve peut être faite par tous moyens, dont le témoi-gnage (art. 2857 C.c.Q.). Le témoignage peut remplacer lapreuve matérielle : le témoin peut décrire un objet ou plu-tôt en exhiber une photographie, qui vaut mille mots. Si letémoignage est recevable pour prouver l’objet, le fait ou lelieu que pourrait représenter l’élément matériel, ce der-nier, dès lors, est toujours recevable en preuve. La preuvematérielle, qui vise habituellement à établir un fait maté-riel, est, dans cette mesure, toujours recevable en preuve.

La seule restriction concernerait la preuve de l’actejuridique par la présentation d’un élément matériel ou lapreuve de ouï-dire. On pourrait imaginer le testament oralenregistré sur vidéo cassette dont la preuve serait prohibéepuisque le testament requiert un écrit ou, encore, la preuvepar le même moyen d’un contrat verbal dont la preuve tes-timoniale serait prohibée (art. 2868 C.c.Q.). De même,serait irrecevable, sauf de consentement (art. 2869 C.c.Q.)ou moyennant l’autorisation du tribunal (art. 2870 C.c.Q.),la déclaration enregistrée d’un témoin, qui contreviendraità la prohibition du ouï-dire. Une partie ne peut faire indi-rectement ce qu’elle n’a pas le droit de faire directement.

La recevabilité en faits dépend du degré d’authen-ticité de l’élément matériel que doit établir un témoincompétent. Ce qui n’a aucune valeur probante est irrece-vable en preuve. L’article 2855 C.c.Q. énonce : « Laprésentation d’un élément matériel, pour avoir forceprobante, doit au préalable faire l’objet d’une preuve dis-tincte qui en établisse l’authenticité. Cependant, lorsquel’élément matériel est un document technologique au sensde la Loi concernant le cadre juridique des technologiesde l’information, cette preuve d’authenticité n’est requiseque dans le cas visé au troisième alinéa de l’article 5 decette loi. » Il s’agit du document technologique dont lesupport et la technologie ne permettent ni d’affirmer ni dedénier que son intégrité est assurée. Il peut alors être admisà titre de témoignage ou d’élément matériel de preuve,sous réserve de faire la preuve de son authenticité.L’article 312 C.p.c. applique cette règle, en ce que destémoins sont appelés à identifier un objet qu’une partieexhibe; à défaut par la partie d’exhiber cet élément maté-riel en sa possession, l’identité de l’objet est en principeréputée établie contre elle. L’article 2874 C.c.Q. reflètecette préoccupation de fiabilité de la preuve, en accord

avec la règle de la meilleure preuve : « La déclaration quia été enregistrée sur ruban magnétique ou par une autretechnique d’enregistrement à laquelle on peut se fier peutêtre prouvée par ce moyen, à la condition qu’une preuvedistincte en établisse l’authenticité. Cependant, lorsquel’enregistrement est un document technologique au sensde la Loi concernant le cadre juridique des technologiesde l’information, cette preuve d’authenticité n’est requiseque dans le cas visé au troisième alinéa de l’article 5 decette loi. » Il s’agit du document technologique dont lesupport et la technologie ne permettent ni d’affirmer ni dedénier que son intégrité est assurée. Il peut alors être admisà titre de témoignage ou d’élément matériel de preuve,comme prévu à l’article 2865 C.c.Q., sous réserve d’enétablir l’authenticité.

Sous réserve de la recevabilité de la preuve par témoi-gnage, l’enregistrement de la déclaration, telle uneconversation téléphonique, est recevable en preuve dansla mesure où cet enregistrement et, le cas échéant, sareproduction écrite, représente fidèlement la réalité. Pourétablir l’authenticité de la déclaration, comme celle for-mulée lors d’une conversation téléphonique captée surruban magnétique, il faut prouver l’identité des interlocu-teurs, l’authenticité et la fiabilité du document qui latraduit par écrit et, enfin, l’audibilité et l’intelligibilité despropos captés600. Une bande vidéo, si elle est pertinente,est recevable en preuve, une fois qu’il est prouvé qu’ellen’a pas été retouchée ou modifiée; le degré de clarté et laqualité de la bande sont des facteurs qui servent à détermi-ner le poids de cette preuve601. La partie adverse a le droitd’obtenir le document qui reproduit la conversation en vuede l’examiner personnellement ou avec l’aide d’un expert;il n’est pas nécessaire qu’une copie de l’enregistrementsoit remise immédiatement après sa réalisation602. Lareproduction écrite d’un enregistrement de fiabilité dou-teuse à l’égard de plusieurs éléments est irrecevable enpreuve603. Ainsi, la Cour d’appel a confirmé une décisionrejetant l’enregistrement et la transcription par sténo-graphe officielle d’une conversation téléphonique,puisque cette transcription indiquait que plusieurs répon-ses étaient inaudibles ou coupées de l’enregistrement604.Puisqu’il n’est pas nécessaire d’alléguer ses moyensde preuve, il n’est pas non plus nécessaire d’alléguerl’enregistrement d’une conversation téléphonique avantde pouvoir en faire preuve à l’instruction605, sous réserved’en divulguer l’existence à l’occasion du dépôt du certifi-

292 Preuve devant le tribunal civil

600. R. c. Parsons, [1980] 1 R.C.S. 785; Cadieux c. Services de gaz naturel Laval Inc., [1991] R.J.Q. 2490 (C.A.), EYB 1991-63691; Pagé c. Beaudry, précité,note 543; Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec c. Fédération des travailleurs du Québec (construction), J.E. 98-1360 (C.S.),REJB 1998-06161.

601. R. c. Nikolovski, [1996] 3 R.C.S. 1197, 1215 et 1216, j. Cory, EYB 1996-67711.602. Cadieux c. Services de gaz naturel Laval Inc., précité, note 600.603. Durand c. Drolet, [1994] R.L. 311 (C.A.), EYB 1993-59024.604. Bois-des-Filions (Ville de) c. Guay, REJB 2004-81617 (C.A.).605. Cadieux c. Services de gaz naturel Laval Inc., précité, note 591.

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cat prévu par l’article 15 ou 15.1 R.p.c.(C.S.), pour lesactions intentées avant le 1er janvier 2003, ou la déclara-tion selon les articles 274.1 et 274.2 pour les actionsintentées après le 1er janvier 2003, et complétées par lesinformations requises par l’article 77.1 R.p.c.(C.S.)606.

Le simple fait qu’une partie ait repiqué sur une cas-sette les extraits pertinents de conversations téléphoniquesauparavant enregistrées sur divers rubans ne rend pasnécessairement irrecevable la production de cette cassetterepiquée607. La partie adverse a le droit d’obtenir le docu-ment qui reproduit la conversation en vue de l’examinerpersonnellement ou de le faire examiner par un expert.

Tout élément matériel de preuve pertinent au litigepeut être produit comme pièce lors du procès par untémoin compétent à cette fin. La pièce est exhibée et, le caséchéant, commentée par un témoin qui en a une connais-sance personnelle suffisante – autrement, il s’agirait d’unepreuve de ouï-dire. Il faut donc établir la connaissance et lafamiliarité du témoin avec la pièce. Ce témoin doit êtrehabile à utiliser cette pièce et à la produire. Ainsi, unephotographie est en principe produite en preuve par lephotographe qui l’a prise ou par une personne alors pré-sente sur les lieux. La compétence du témoin à témoignerau sujet de cette pièce et à la produire dépend de son degréde connaissance et de familiarité avec cette pièce ou avecles faits qui en ont entouré la confection. Le défaut de com-pétence du témoin pourrait susciter une objection fondéesur le ouï-dire ou sur la règle de la meilleure preuve, dontle maintien rendrait cette pièce irrecevable en preuve parl’entremise de ce témoin. L’avocat a donc intérêt à établirle plus tôt possible le degré de connaissance du témoinavec cette pièce, en vue d’en établir l’authenticité etl’exactitude.

Le témoin habile à ce faire doit établir qu’il s’agitd’une pièce vraie et exacte, conforme à la réalité, c’est- à-dire que l’élément matériel représente bien ce qu’il estcensé établir. Le témoin doit donc connaître les faits rela-tifs à la pièce susceptible d’être introduite en preuve, afinde l’authentifier. Autrement, son témoignage à ce sujetainsi que la pièce n’auraient aucune valeur probante etla partie adverse pourrait s’opposer à l’introduction enpreuve de cette pièce.

La recevabilité d’une pièce à titre d’élément matérielne confère toutefois pas à celle-ci une valeur probanteabsolue608.

« Dans un procès qui se déroule devant un juge seul, larecevabilité d’une pièce par le juge n’emporte pasnécessairement que celui-ci trouvera cette pièce pro-bante. Au soir du procès, après avoir entendu toute lapreuve, le juge peut très bien décider que telle piècen’a aucune fiabilité et refuser d’y accorder quelquevaleur probante. »609

L’élément matériel présenté et produit doit s’avérer leplus probant possible, à l’instar d’un témoignage.

C- La force probante

Comme tout autre moyen de preuve, la force probantede la preuve matérielle est laissée à l’appréciation du tribu-nal. « Le tribunal peut tirer de la présentation d’un élémentmatériel toute conclusion qu’il estime raisonnable. »(art. 2856 C.c.Q.).

La preuve matérielle s’inscrit dans le cadre de lapreuve testimoniale. Une chose ou un lieu quelconquespeuvent être décrits par les paroles du témoin; cependant,ce témoignage sera plus probant s’il est accompagné del’examen de cette chose ou d’un mode d’illustration dulieu en question. Ainsi, dans une action en annulation de lavente d’un immeuble fondée sur la garantie de qualité(art. 1726 C.c.Q.), la preuve des vices de cet immeublepeut s’effectuer au moyen de photographies les illustrantproduites à l’enquête, accompagnées si nécessaire de des-sins et de maquettes, et complétées par le témoignage desimples témoins ou de témoins experts qui y renverrontpour étayer leurs constatations.

Tout élément matériel pertinent à la cause peut êtreproduit à l’enquête par un témoin compétent pour examenpar le tribunal. Afin de faciliter la compréhension duproblème soulevé, surtout en matière technique ou scien-tifique, le juge peut prendre connaissance d’une piècecomposante d’un appareil mécanique, visionner un film,examiner un plan ou croquis, etc., selon la nature de lacause.

La preuve matérielle peut non seulement servir à com-pléter et à illustrer les explications d’un témoin, mais ellepeut également valoir comme meilleure preuve. Ainsi,dans une action fondée sur une atteinte à la réputation(art. 2929 C.c.Q.), la meilleure preuve des paroles diffa-matoires consistera dans l’audition et la production d’unruban magnétique les reproduisant, plutôt que dans le

Qualités et moyens de preuve 293

606. Daoust c. American Road Insurance Company, EYB 2006-102428 (C.Q.).607. Roy c. Saulnier, [1992] R.J.Q. 2419 (C.A.), EYB 1992-63957.608. Ibid.609. Id., p. 2421, j. Beauregard.

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témoignage des personnes qui les auraient entendues. Ouencore, à titre d’exemple, afin d’établir l’acceptation durisque en matière de responsabilité civile extracontrac-tuelle, comment prouver le degré d’usure de la botted’hiver de la victime d’une chute? On pourrait établir ladate d’achat et la fréquence d’usage afin que le tribunalpuisse en tirer une présomption de faits établissant l’usure,ou, mieux encore, au moyen de la preuve matérielle, faireproduire cet objet usé du réclamant, soit la preuve visibleet incontestable de ce fait. À cet égard, la preuve matérielleconstitue le mode le plus direct de preuve.

La valeur probante d’une bande sonore qui reproduitles conversations téléphoniques s’apprécie en fonction detoutes les circonstances qui en ont entouré la confec-tion610.

Tout comme le témoignage, l’élément matériel faitl’objet d’une perception directe par le juge. Il s’agit d’uneappréciation subjective que ce dernier doit motiver. Sousréserve de sa pertinence, la preuve matérielle peut consti-tuer en soi un élément indépendant de preuve établissant lefait à prouver; elle peut aussi compléter et corroborer untémoignage. Elle peut donner source à une présomption defaits laissée à l’appréciation du tribunal (art. 2849 C.c.Q.).Elle peut finalement constituer un commencement depreuve (art. 2865 C.c.Q.) qui donne ouverture à la preuvepar témoignage d’un acte juridique, en l’absence d’écrit.

Nous avons traité jusqu’à maintenant de trois moyensde preuve directe et concrète, soit l’écrit, le témoignage etl’élément matériel. L’aveu et la présomption sont desmoyens de preuve indirecte, qui découlent d’un moyen depreuve directe. L’écrit et le témoignage, par leur sourceet par leur contenu, peuvent donner ouverture à l’aveu.La preuve écrite, la preuve testimoniale et la preuvematérielle, par leur contenu, peuvent constituer une pré-somption de faits. Lorsque certains faits sont établis, laloi crée aussi certaines présomptions. Nous examinonsmaintenant la preuve par aveu.

5- L’aveu

« L’aveu est la reconnaissance d’un fait de natureà produire des conséquences juridiques contre son

auteur. » (art. 2850 C.c.Q.). C’est un « moyen de preuveprivilégié et péremptoire entre tous »611.

A- La notion

L’aveu émane de la partie adverse. « L’aveu faitpar une partie au litige, ou par un mandataire autorisé àcette fin, fait preuve contre elle, s’il est fait au cours del’instance où il est invoqué. » (art. 2852 C.c.Q., qui visel’aveu judiciaire). Ce mandataire pourrait être l’officierd’une personne morale qui, par les réponses données lorsd’un interrogatoire sur les faits se rapportant au litige(art. 409 C.p.c.), lierait ainsi la partie adverse612. Par défi-nition, un simple témoin, tiers non partie à l’action, ne peutêtre l’auteur d’un aveu. Ainsi, la reconnaissance d’un faitpar le fils mineur ne lie pas le père défendeur613. Égale-ment, le paiement par un assureur à un tiers n’équivaut pasà un aveu de l’assuré614. Un ingénieur chargé, à titre demandataire d’une partie, de la surveillance de travaux estun tiers par rapport au litige et il ne peut fournir d’aveu615.Cependant, dans certaines circonstances, la déclaration del’employé de la partie adverse peut constituer un aveu liantcette partie, parce que faisant partie de la res gestae616. Demême, une déclaration qui émane d’un assuré constitue unaveu opposable à l’assureur dans une poursuite dirigéecontre ce dernier par un autre automobiliste en vertu de laLoi sur l’assurance automobile617.

L’aveu doit porter sur un fait qui joue contre l’intérêtde son auteur. Il ne peut porter sur une question de droit618.Ainsi, une partie n’est pas liée par l’aveu de son avocat surune question de droit619.

Un rapport d’expert est une opinion qui ne peut enaucun cas constituer un aveu. L’opinion d’un expert sur undommage doit être distinguée du dommage lui-même.Une partie qui réfère dans une procédure à un rapportd’expert pour appuyer sa réclamation, peut amender cetteprocédure pour retirer cette allégation ou la modifier, sansse voir opposer qu’il s’agit d’un aveu judiciaire, qui nepeut être révoqué que pour cause, au moyen d’une requêteà cette fin620.

L’aveu fait par une partie au litige ou par un manda-taire autorisé à cette fin, tel l’avocat, et fait au cours de

294 Preuve devant le tribunal civil

610. Ibid.611. Droit de la famille – 1059, [1990] R.D.F. 385, 389 (C.A.), EYB 1990-63530, j. Vallerand.612. Lavoie c. Le Syndicat Coopératif, [1949] C.S. 473.613. Tremblay c. Sansfaçon, [1970] C.A. 360.614. Larochelle c. Garand, [1968] C.S. 357.615. Poisson et Paquin (Excavation) Inc. c. Procureur général du Québec, [1995] R.J.Q. 896 (C.S.), EYB 1995-72335.616. Allstate Insurance Co. of Canada c. Sarrieu, [1986] R.D.J. 457 (C.A.), EYB 1986-62343.617. Veilleux c. La Concorde, [1985] C.A. 177.618. Patrick c. Maryland Casualty Co., [1970] C.A. 1049.619. Rousson c. La Corporation municipale de la Ville de Malartic, [1963] B.R. 933.620. Société d’Énergie Foster Wheeler Ltée c. Montréal (Ville de), EYB 2006-104172 (C.S.).

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l’instance où il est invoqué (art. 2852 C.c.Q.) est qualifiéd’aveu judiciaire. Il se fait dans le cadre d’une instance enjustice où il sert en preuve. Il peut provenir, par exemple,des réponses données par la partie adverse lors de soninterrogatoire préalable ou lors de son témoignage à l’ins-truction. L’aveu fait en dehors de l’instance où il estinvoqué (art. 2867 C.c.Q.) est qualifié d’aveu extrajudi-ciaire. Cet aveu est celui qui a été fait en dehors d’un cadrejudiciaire, par exemple avant l’introduction des procédu-res, ou dans une autre cause que celle où il est invoqué.L’aveu est verbal s’il découle d’une déclaration orale de lapartie adverse. Il est écrit s’il découle du contenu d’un écritde la partie adverse.

Selon l’article 2851 C.c.Q., l’aveu peut être exprèsou implicite. En vertu du second alinéa, l’aveu ne peut tou-tefois résulter du seul silence que dans les cas prévus parla loi.

L’aveu judiciaire peut être exprès; il n’est impliciteque dans les cas prévus par la loi. L’aveu extrajudiciaire nepeut être implicite : des modifications apportées aprèsl’événement en litige ne constituent pas un aveu implicitede responsabilité621. Le tribunal peut cependant tirer de laconduite d’une partie une présomption de faits. Des faitspostérieurs à l’événement en litige peuvent constituer desindices menant à une présomption de faits622.

L’aveu émane donc de la partie adverse ou d’un man-dataire autorisé et ne porte que sur des faits.

B- L’aveu judiciaire

Seul est judiciaire l’aveu fait au cours de l’instanceoù il est invoqué (art. 2852 C.c.Q.). Tout autre aveu estextrajudiciaire, parce qu’il est fait en dehors de l’instanceoù il est invoqué (art. 2867 C.c.Q.). Ainsi, une allégationfaite dans sa défense principale par le défendeur qui estlui-même demandeur en garantie, allégation non repro-duite dans sa déclaration en garantie, ne peut constituerun aveu judiciaire pour les fins de l’action en garantie,puisqu’il ne s’agit pas de la même instance623. Il peut êtreexprès. Il peut aussi être implicite à l’occasion de procédu-res, parce qu’il résulte du silence de la partie adversedans les cas prévus par la loi (art. 2851 C.c.Q.), énoncésau Code de procédure civile. L’aveu judiciaire exprèsconsiste en une déclaration écrite ou orale émanant de lapartie adverse ou de son procureur à titre de mandataireautorisé à cette fin.

L’aveu judiciaire écrit peut survenir dans les cas sui-vants :

Article 85 C.p.c. : admission d’une allégation dansun acte de procédure; par exemple, le procureur dudéfendeur dans sa défense admet le paragraphe 2 dela requête introductive d’instance alléguant que ledemandeur est propriétaire de tel objet. À la lumièrede l’article 76 C.p.c. et de l’article 2852 C.c.Q., lesaffirmations d’une partie dans un acte de procédurepeuvent constituer un aveu judiciaire;

Article 279 C.p.c. : admission lors d’une conférencepréparatoire consignée au procès-verbal;

Article 286 C.p.c. : admission de la véracité des faitsou de la teneur du témoignage d’un témoin défaillant;

Article 405 C.p.c. : interrogatoire sur les faits se rap-portant au litige (même s’il s’agit d’un interrogatoire,les réponses sont écrites et signées);

Article 331 C.p.c. : admissions écrites à l’instructionnotées au procès-verbal d’audience par le greffier-audiencier (art. 39 g) et h) R.p.c.(C.S.));

L’aveu du procureur à l’instruction lie la partie qu’ilreprésente624. Une admission sur le montant des dom-mages sous la forme d’une entente entre les parties àl’action principale s’apparente à un aveu, qui, aprèsjugement condamnant le défendeur principal à payerce montant, est opposable au défendeur en garantiequi n’est pas intervenu dans l’action principale625.

Article 28 R.p.fam.(C.S.) : la partie qui, en Chambrede la famille de la Cour supérieure, admet dansle Formulaire III sa capacité de payer les sommesdemandées par la partie adverse;

Article 448 C.p.c. : décision sur un point de droitlorsque les parties s’accordent sur les faits;

Article 457 C.p.c. : acquiescement à la demande;l’acquiescement à la totalité de la demande représentel’aveu complet par excellence, qui dispense de toutepreuve et met fin au litige;

Articles 754.1, 813.10 et 835.3 C.p.c. : affidavit dé-taillé. Les affirmations d’une partie dans un affidavitpeuvent constituer un aveu judiciaire;

Qualités et moyens de preuve 295

621. Hervé Matte & Fils Camionneurs Ltée c. Donnacona, [1984] R.D.J. 495 (C.A.).622. Commission des droits de la personne du Québec c. Communauté urbaine de Montréal, J.E. 87-981 (C.A.), EYB 1987-62574.623. Gendreau c. Turcotte, REJB 1999-14331 (C.S.).624. Leblanc c. Argo Construction Ltd., [1976] C.A. 239; Adricon Ltée c. East Angus (Ville), [1978] 1 R.C.S. 1107.625. Zurich, Compagnie d’assurances c. Chaussures Bruno Scola (1985) Inc., [1996] R.J.Q. 2453 (C.A.), REJB 1996-29275.

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Article 2869 C.c.Q. : la déclaration écrite faite par lapartie adverse qui ne comparaît pas comme témoin,admise à titre de témoignage, du consentement desparties.

L’aveu judiciaire verbal peut avoir lieu dans les cassuivants :

Article 93 C.p.c. : interrogatoire sur affidavit.

Article 196 C.p.c. : témoignage de la partie adverselors de l’enquête par défaut de comparaître ou de plai-der.

Articles 306 et 314 C.p.c. : interrogatoire et contre-interrogatoire d’une partie à l’enquête.

Article 331 C.p.c. : les aveux faits de vive voix par lesparties à l’audience.

Articles 397 et 398 C.p.c. : interrogatoire préalableavant et après défense.

Article 404 C.p.c. : interrogatoire hors cour d’unepartie.

Article 444 C.p.c. : déposition d’une partie en matièrede conservation de la preuve.

L’aveu judiciaire peut également être impliciteen vertu d’une disposition de la loi, lorsqu’il résulte dusilence de la partie, dans les cas suivants :

Article 89 C.p.c. : absence d’affidavit à l’appui d’unecontestation de la signature ou d’une partie impor-tante d’un écrit sous seing privé, de la contestationd’un acte semi-authentique et la contestation d’undocument technologique fondée sur une atteinte à sonintégrité; l’écrit est alors tenu pour reconnu.

Article 403 C.p.c. : absence d’affidavit à la suite dela mise en demeure de reconnaître la véracité oul’exactitude d’une pièce; la véracité ou l’exactitude decette pièce est alors admise.

Article 411 C.p.c. : le défaut de répondre à un interro-gatoire sur les faits se rapportant au litige, les faitsétant alors tenus pour avérés.

Signalons que le silence d’une partie à l’égard d’unfait allégué par la partie adverse ne doit pas être interprétécomme une reconnaissance de ce fait, à moins d’unedisposition contraire de la loi (art. 86 C.p.c.).

C- L’aveu extrajudiciaire

L’aveu extrajudiciaire constitue un fait à prouver, quidoit donc être allégué dans un acte de procédure par lapartie qui l’invoque, conformément à l’article 76 C.p.c.626.Lorsque l’allégation d’un aveu extrajudiciaire est vague etambiguë, des précisions peuvent être demandées selonl’article 168, al. 7 C.p.c., afin de connaître toutes les cir-constances entourant ce prétendu aveu.

L’aveu extrajudiciaire écrit résulte du contenu d’unécrit émanant de la partie adverse qui y reconnaît un fait denature à produire des conséquences préjudiciables. Unécrit pur et simple qui rapporte un fait peut être admis enpreuve à titre d’aveu contre son auteur (art. 2832 C.c.Q.).

La preuve de cet aveu extrajudiciaire écrit s’effectuepar la production de l’original de cet écrit (art. 2860 et2867 C.c.Q.). S’il est signé, il faudra établir qu’il s’agit dela signature de la partie à qui il est opposé. S’il n’est passigné, celui qui l’invoque doit prouver qu’il émane bien decelui qu’il prétend en être l’auteur (art. 2835 C.c.Q.).

L’aveu extrajudiciaire verbal résulte de paroles pro-noncées par la partie adverse. La preuve de cet aveus’effectue par le témoignage d’une personne qui a entendula déclaration orale de la partie adverse et qui en rapportela teneur, ou encore par la reconnaissance même de lapartie adverse durant son témoignage en l’instance(art. 2843 C.c.Q.).

Si l’aveu extrajudiciaire a été enregistré sur rubanmagnétique ou par une autre technique d’enregistrement,une preuve d’authenticité distincte devra être faite aupréalable (art. 2855 C.c.Q.).

Au chapitre traitant de la prohibition du ouï-dire, plusparticulièrement la section portant sur la preuve recevable,malgré les apparences de ouï-dire, nous avons vu que lapreuve d’un aveu extrajudiciaire verbal est exclue de laprohibition de la preuve par ouï-dire.

La partie adverse sera d’abord interrogée sur sa décla-ration comportant un aveu, faite en dehors de l’instance,afin d’en établir l’authenticité, en accord avec la règle dela meilleure preuve. Elle pourrait être confrontée avec sadéclaration antérieure lors d’un interrogatoire préalableou de son contre-interrogatoire à l’instruction.

La recevabilité de l’aveu extrajudiciaire écrit ne sou-lève aucune difficulté, sous réserve du respect de la règle

296 Preuve devant le tribunal civil

626. Leclerc c. Robitaille, [1952] R.L. 257 (C.A.).

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de la meilleure preuve. La preuve de l’aveu extrajudiciaireverbal, qui vise à établir un acte juridique, n’est cependantpas toujours recevable. L’article 2867 C.c.Q. énonce :« L’aveu, fait en dehors de l’instance où il est invoqué, seprouve par les moyens recevables pour prouver le fait quien est l’objet. » La partie qui ne peut avoir recours à lapreuve testimoniale pour prouver un fait, tel un contrat, nepourra prouver par témoignage l’aveu extrajudiciaire quireconnaîtrait ce fait. Les articles 2860 à 2865 C.c.Q. trai-tent de la recevabilité des moyens de preuve, dont etsurtout le témoignage, que nous avons déjà étudiés. Laconfirmation écrite d’un engagement peut constituer unaveu extrajudiciaire627.

Lorsque l’aveu extrajudiciaire porte sur un fait qui nepeut être prouvé par témoin, cet aveu extrajudiciaire nepourra être établi par preuve testimoniale; si la preuve dufait nécessite un écrit, l’aveu extrajudiciaire devra êtreprouvé au moyen d’un écrit.

Le plaidoyer de culpabilité donné par la partie adversedans une cause pénale constitue un aveu extrajudiciaire,qui peut être introduit en preuve628. Le procès-verbalreproduisant le plaidoyer de culpabilité est un acte authen-tique et est admissible en preuve selon l’article 2814, al. 3C.c.Q.629.

D- La portée

L’aveu judiciaire fait preuve contre la partie adversequi en est l’auteur. « L’aveu fait par une partie au litige, oupar un mandataire autorisé à cette fin, fait preuve contreelle, s’il est fait au cours de l’instance où il est invoqué »(art. 2852 C.c.Q.). L’aveu judiciaire d’un fait dispense detoute autre preuve de ce fait. Toute question au sujet d’unfait déjà admis, donc non contesté, est irrecevable parcequ’elle est inutile et non pertinente630. L’aveu doit êtreclair, sans comporter de nombreuses réserves631. Il doitaussi être complet, par exemple pour établir toutes lesconditions d’un contrat632. Le demi aveu, par définition,ne constitue pas un aveu complet du fait entier à prouver!Cette reconnaissance partielle d’un fait peut cependant

constituer un commencement de preuve, lorsque la preuvepar témoignage de l’acte juridique requiert un tel com-mencement de preuve.

Il se peut qu’une partie regrette son aveu, par défini-tion préjudiciable à sa prétention. Peut-elle corriger cetaveu en le révoquant?

Selon l’article 2852 C.c.Q., l’erreur de droit ne donnepas ouverture à la révocation de l’aveu. Seule l’erreur defaits en autorise la révocation633. La seule façon de révo-quer l’aveu judiciaire consiste donc à prouver l’existenced’une erreur de faits ou à désavouer l’avocat qui en estl’auteur634.

Le fait que l’auteur de l’aveu n’en prévoit pas tous leseffets juridiques possibles ne donne pas, pour ce motif,ouverture à la révocation de cet aveu635. L’aveu ne peutdonc être rétracté pour une erreur de droit, par exemple aumotif que la partie ignorait les conséquences de ses décla-rations.

Une partie qui avoue un fait qu’elle sait être faux estliée par cet aveu, aussi bien que si le fait était vrai; l’aveune peut être révoqué. Il n’y a pas erreur de faits lorsqu’unepartie admet délibérément l’existence d’un fait qu’elle saitinexistant636 ou affirme un fait qu’elle sait contraire à laréalité637. Le mensonge lie son auteur!

« La partie qui répond par écrit à un acte de procéduredoit en admettre les allégations qu’elle sait être vraies; »(art. 85 C.p.c.). L’avocat, auteur par exemple d’unedéfense, doit donc s’assurer de la véracité d’une allégationde la requête introductive d’instance avant de l’admettre.L’aveu inexact fait par inadvertance dans un acte de procé-dure peut constituer une erreur de faits. En vue d’enobtenir la révocation, il faut alléguer que l’aveu résulted’une erreur de faits638. La révocation peut s’effectuer parvoie d’amendement (art. 199 C.p.c.), soit par requête pouramender l’acte de procédure, telle la défense, appuyéed’un affidavit invoquant le motif de la révocation. Lesmotifs de cette révocation doivent être énoncés de façontrès explicite639 et la preuve à cette fin doit être concluante

Qualités et moyens de preuve 297

627. Cold Springs Farm Ltd. c. Viandes et aliments Or-fil (Canada) Inc., J.E. 95-407 (C.S.), EYB 1995-72610.628. Union Insurance Co. c. Arsenault, [1961] R.C.S. 766; Corporation professionnelle des médecins du Québec c. Boily, [1977] C.S. 84; Couture-Lauzon c.

Industrielle Alliance (L’) Compagnie d’Assurances sur la vie, [1993] R.R.A. 406 (C.Q.), EYB 1993-74091.629. Scarapicchia c. Industrielle (L’), Compagnie d’assurance-vie, précité, note 338.630. Baxter Corp. c. Partagec Inc., [1991] R.J.Q. 1064 (C.S.), EYB 1991-75869.631. Zeller’s Ltd. c. Paragon Entertainment Products Inc., J.E. 91-1115 (C.A.), EYB 1991-57900.632. Ringling Bros. and Barnum & Bailey Combined Shows Inc. c. Latraverse, [1993] R.D.J. 11 (C.A.), EYB 1992-58376.633. 122510 Canada Inc. c. Centre commercial Deux-Montagnes Inc., [1990] R.D.J. 121 (C.A.), EYB 1990-58286.634. Lansdowne Financial Services Ltd. c. Binlanden Telecommunications Co. Ltd., précité, note 520.635. Syndicat National des Travailleurs de St-Thomas Didyme c. Donahue St-Félicien Inc., [1982] C.A. 98.636. Corbin c. Jutras, [1986] R.D.J. 66 (C.A.).637. Modesto c. Beaupré, J.E. 88-371 (C.S.), EYB 1987-77648.638. Municipal Motors Ltd. c. Chadwick, [1969] B.R. 186.639. Perreault c. Lafantaisie, EYB 2005-91192 (C.Q.).

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et décisive640, bien que l’aveu émanant de bonne foi del’avocat devrait être plus aisément révoqué, surtout lors-que celui-ci aurait pu être désavoué641.

« Permettre de corriger une erreur de fait ou encoreautoriser la rétractation d’un aveu dans un acte de pro-cédure, ce ne doit pas être d’exiger la preuve de lafausseté du fait admis, c’est requérir de l’avocat qu’ila fait, de bonne foi, une admission que la partie qu’ilreprésente aurait le droit de désavouer. »642

L’admission faite par un avocat dans un acte de procé-dure est assujettie au droit de désaveu de la partie et à larétractation par l’avocat, dès que l’erreur lui est soulignée,même s’il a été pris acte de cette admission dans l’acte deprocédure qui y répond643.

Une vérification minutieuse des faits s’impose doncavant de les admettre, afin d’éviter le désagrément de larétractation de l’aveu ou, plus lourde encore, la procédurede désaveu autorisée à l’article 243 C.p.c. : « Une partiepeut désavouer un procureur ad litem qui a excédé ses pou-voirs ou a agi sans mandat. » Lorsque l’avocat excède sespouvoirs dans l’exercice de son mandat, la partie ainsireprésentée peut recourir au désaveu pour répudier l’actenon autorisé644. À la lumière de l’article 2852 C.c.Q., cetteprocédure suppose que le mandataire n’a pas été autorisé àfaire l’aveu. La partie doit alléguer et prouver que l’actequ’elle entend répudier, tel l’aveu erroné, n’a pas été auto-risé ni ratifié, et qu’il lui a causé préjudice645. L’admissionautorisée par le client empêche le désaveu de l’avocat646.Le jugement sur la requête en désaveu de procureur cons-titue un jugement interlocutoire qui ne peut faire l’objetd’un appel qu’avec la permission d’un juge de la Courd’appel suivant l’article 511 C.p.c.647.

La procédure de désaveu n’est cependant pasnécessaire à l’encontre d’une simple erreur dans uneallégation648.

L’aveu extrajudiciaire fait aussi preuve contre lapartie qui en est l’auteur, pourvu que le tribunal accorde

pleine valeur probante au témoignage ou à l’écrit qui lecontient. Suivant l’article 2852, al. 2 C.c.Q., la force pro-bante de l’aveu extrajudiciaire est laissée à l’appréciationdu tribunal. Ce dernier jouit d’un pouvoir discrétionnairepour apprécier les circonstances dans lesquelles l’aveu aété fait, qui peuvent influer sur le poids à y attacher. À ladifférence de l’aveu judiciaire, la partie à qui on oppose ceprétendu aveu extrajudiciaire peut en contester la valeur etla portée, sans être tenue d’en demander formellementla révocation pour cause d’erreur de faits. Cependant,l’erreur inexcusable ne peut être invoquée pour contesterun aveu extrajudiciaire649. Il incombe à la partie qui pré-tend qu’un aveu lui a été extorqué par crainte, menaceou violence d’en faire la preuve, suivant l’article 2852C.c.Q.650. La contestation de l’aveu extrajudiciaire, laisséeà l’appréciation du tribunal, qui pourrait l’écarter s’iln’est pas probant, peut survenir pour d’autres motifs quel’erreur de faits651.

Si la partie défenderesse fournit à l’audience untémoignage contraire à une déclaration antérieure écriteintroduite en preuve, ces deux versions contradictoirespeuvent neutraliser la crédibilité du témoin relativementà l’établissement d’un fait et le tribunal peut déciderdans son jugement de les écarter, parce qu’elles sontnon probantes, ce qui élimine ce prétendu aveu. Il peutaussi retenir l’une des deux déclarations pour conclure àl’existence d’un fait se rapportant au litige. En cas demaintien de la déclaration antérieure, l’aveu subsiste. Si letribunal retient le témoignage à l’instruction, parce qu’ilest probant, la déclaration antérieure est aussi éliminée,sans que ne soit seulement anéantie à l’égard de ce fait lacrédibilité de la partie adverse. Celle-ci, bien que nontenue de demander la révocation de l’aveu extrajudiciaire,devrait néanmoins expliquer la cause de cette contradic-tion apparente pour maintenir sa crédibilité.

L’aveu peut porter sur un fait incident ou sur un faitmajeur. L’aveu sur un fait mineur est plus fréquent; l’aveusur un fait important est rare. En effet, une partie ne se rendpas à procès dans le but de faire un aveu qui fera échec àses prétentions! Il ne faut donc pas compter à l’avance sur

298 Preuve devant le tribunal civil

640. Vistachi Building Corp. c. Bergstrom International Ltd., [1978] C.S. 1109.641. Laplante c. Bérubé, [1961] R.P. 185 (C.S.).642. Marine Industries Ltd. c. Beauchemin Richard Ltée, [1949] R.L. 482, 496 (C.A.), j. Bissonnette.643. Lasalle Factories Ltd. c. Canadian Pacific Ltd., J.E. 78-70 (C.S.).644. Bélanger c. Bélanger, [1958] R.C.S. 344; Vaillant c. Okrainec, [1985] C.A. 581.645. Rivard c. Construction Concorde Inc., [1989] R.D.J. 319 (C.S.), EYB 1989-83653; Lansdowne Financial Services Ltd. c. Binlanden Telecommunications

Co., précité, note 520.646. Boulanger c. Re/Max Extra Inc., J.E. 97-279 (C.S.), EYB 1996-87793.647. Centrale de la Machine à Coudre Industrielle Inc. c. Bourcier, J.E. 91-29 (C.A.), EYB 1990-57917.648. Salomon c. Lignières, [1986] R.D.J. 154 (C.A.).649. Caumartin c. Ville de Trois-Rivières, REJB 2002-30848 (C.S.).650. Côté c. Wawanesa, Compagnie d’assurance mutuelle, J.E. 97-167 (C.Q.), EYB 1996-85476; Roy c. Pellerin, REJB 2001-26404 (C.S.), règlement hors

cour en Cour d’appel.651. Sainte-Anne-des-Plaines (Ville de) c. Tremblay, [1993] R.J.Q. 1392 (C.A.), EYB 1993-59021, EYB 1993-59021.

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l’aveu de la partie adverse pour gagner sa cause, ni suresti-mer l’efficacité du contre-interrogatoire. L’interrogatoirepréalable offre un terrain plus approprié pour la recherched’un aveu. Par contre, la partie défenderesse pourraitadmettre spontanément, avant procès, un élément essen-tiel de la demande, telle la responsabilité civile, parce qu’ilest non contestable, et limiter le débat à la seule questionde la valeur du préjudice subi, ou l’inverse.

L’aveu est en principe indivisible.

E- L’indivisibilité

En règle générale, la déclaration de la partie adversene peut être scindée.

1. Le principe

L’article 2853 C.c.Q. énonce que, en principe, l’aveu« ne peut être divisé ». Cela signifie que l’aveu doit êtreconsidéré en son entier, tel qu’il est formulé. On ne peut lemorceler afin d’en retenir seulement les éléments favora-bles et en exclure la portion susceptible d’en neutraliser laprétendue portée.

Examinons trois types d’aveu non divisible.

a) L’aveu qualifié

La partie adverse reconnaît un fait, mais le qualifieautrement, en apportant une modification qui altèrel’essence ou la nature juridique du fait allégué. Ainsi, c’estle cas d’une partie qui admet :

– un contrat différent de celui invoqué contre elle;

Exemple652 : Le demandeur réclame le rembourse-ment d’un prêt; le défendeur admet la réceptionde l’argent réclamé, mais ajoute qu’il s’agit d’unpaiement pour services rendus. Dans ce cas, ledéfendeur n’admet pas l’existence d’un contrat deprêt.

Exemple : Le demandeur prétend avoir prêté audéfendeur la somme de 3 000 $. Le défendeur, parhypothèse, admet avoir reçu cette somme, mais à

titre de don, et non de prêt. Il s’agit alors d’un aveuqualifié, puisque la partie adverse, tout en admet-tant un fait, le qualifie autrement, ce qui touche laforce probante de l’aveu recherché. Cet aveu nepeut être divisé.

– le contrat invoqué, mais ajoute qu’il était accompa-gné d’une condition non réalisée;

Exemple653 : Le défendeur plaide la diminution duprix de vente réclamé, mais le demandeur répliqueque c’était sous réserve d’un paiement comptant.

Exemple654 : Le demandeur allègue que le défen-deur a consenti verbalement à lui vendre un terrainet demande que jugement équivaille à titre. Àl’interrogatoire préalable et à l’enquête, le défen-deur admet avoir promis de vendre au demandeurune certaine lisière de terrain, mais à la conditionqu’un tiers, exploitant une sablière sur ce terrain,consente à la vente. Or, ce tiers n’y a pas consenti,de sorte que cette condition ne s’est pas réalisée.Dans cette affaire, le tribunal rappelle que cettepromesse de vente verbale ne pouvait être établieque par l’aveu du défendeur ou par la preuvetestimoniale autorisée par un commencement depreuve. Il conclut que l’aveu du défendeur est indi-visible « parce qu’il ne comporte rien qui soitétranger à la contestation liée, rien qui soit invrai-semblable, combattu par des indices de mauvaisefoi ou par une preuve contraire » et parce qu’il « nemanque pas de lien ou de connexité entre la pro-messe de vente du défendeur et l’approbation de lavente » par ce tiers exploitant de la sablière surle terrain en question, qui versait une redevancesubstantielle au propriétaire. Comme il n’y a pas eucommencement de preuve, l’action est rejetée.

– le contrat invoqué, mais ajoute qu’il était d’uncontenu partiellement différent.

Exemple655 : Le défendeur admet la vente, maisprécise que toute garantie contre les défauts cachésavait été exclue.

b) L’aveu complexe

La partie adverse reconnaît le fait allégué, mais yajoute un fait distinct qui annule l’effet de l’aveu recher-

Qualités et moyens de preuve 299

652. Taillon c. Taillon, (1907) 13 R.L. 90.653. Perreault c. Bernard, (1908) 14 R.L. 206.654. Boudreau c. Juneau, [1975] C.S. 903.655. Thibodeau c. Viau, (1912) 18 R.J. 299.

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ché656. Dans ce cas, l’aveu doit être pris dans son entier,tel qu’il a été fait, sans division.

Voici un exemple d’aveu complexe. Dans une actionen réclamation d’un prêt, le demandeur alléguait avoirperdu le billet que le défendeur avait signé. Dans sadéfense, le défendeur admettait avoir signé ce billet, maisajoutait que ce même document comportait une quittancepartielle. La cour a estimé que ce n’est pas parce que ledéfendeur reconnaissait que le document comportait unbillet que le demandeur pourrait lui opposer le billet sanstenir compte des prétentions du défendeur quant à unequittance partielle657.

Dans cette même affaire, le demandeur alléguaitqu’une consolidation des dettes du défendeur à son égardavait été effectuée, à une date donnée. Le défendeuradmettait une telle consolidation de dettes, mais à une dateantérieure. Encore une fois, la cour estime que le deman-deur ne pouvait opposer au défendeur que l’admissionconcernant la consolidation de dettes sans tenir compte deses prétentions quant à la date658.

Que dire du cas où un demandeur poursuit un défen-deur en remboursement d’un prêt et que dans sa défense,ce défendeur admet le prêt mais ajoute l’avoir remboursé.S’agit-il d’un aveu complexe?

L’aveu d’emprunt et la prétention de remboursementpar le défendeur ne forment pas un aveu complexe puis-qu’il s’agit de deux actes juridiques indépendants et nonsimultanés; le prêt invoqué par le demandeur est prouvépar l’aveu et il incombera au défendeur d’en établir leremboursement de façon prépondérante659. Rappelonsque certains considèrent cet exemple comme un aveucomplexe, mais que vu l’absence de connexité entre le prêtallégué et le remboursement, cet aveu peut être divisible.Celui qui invoque le remboursement doit en faire la preuvede façon prépondérante, évidemment en respectant lesrègles relatives à la preuve testimoniale d’un acte juri-dique660.

c) L’aveu pur et simple

L’aveu pur et simple, soit celui recherché, sansdivision, est la reconnaissance par la partie adverse d’unfait susceptible de créer un effet juridique contre elle(art. 2850 C.c.Q.). Ainsi qu’on l’a signalé ci-dessus,

l’aveu pur et simple d’un fait capital est plutôt raredans une cause.

De façon exceptionnelle, l’aveu est divisible danstrois cas.

2. Les exceptions

L’article 2853 C.c.Q. prévoit trois cas de division del’aveu.

Le tribunal évalue les circonstances qui peuvent, dansson appréciation, donner ouverture, dans ces trois cas, àla division de l’aveu.

a) L’aveu contient des faits étrangersà la contestation liée

L’aveu est divisible lorsqu’il contient un fait non allé-gué dans les procédures, donc étranger au litige661.

Exemple : Dans l’affaire Revesz c. Hanka662, ledemandeur réclame de la défenderesse la somme de4 000 $, alléguant qu’il a prêté cette somme à la défende-resse, que cette dernière a accepté ce prêt et qu’elle ena déposé le montant à sa banque. La défenderesse niesimplement ces faits dans la défense, spécifiant que ledemandeur ne lui a jamais prêté le montant de 4 000 $.Dans sa réponse, le demandeur invoque, à l’appui de sesprétentions, un chèque de 4 000 $ qu’il a signé en faveurde la défenderesse.

La Cour d’appel, après un examen de la preuve, note :

« Le demandeur, nous l’avons vu, expose que ladéfenderesse, ayant accepté le prêt, a déposé le mon-tant de 4 000 $ à sa banque. La défenderesse nie cesfaits importants. Or, dans son témoignage, elle admetqu’elle a reçu du demandeur le chèque de 4 000 $qu’elle a elle-même rédigé à la réquisition du deman-deur et qu’elle l’a déposé à sa banque. Elle ajoute quece montant représente un cadeau de fiançailles, un faitimportant mais non allégué, et partant, étranger aulitige. Ainsi, la défenderesse, dans son aveu et sousserment, contredit son plaidoyer et elle ajoute un faitétranger à la contestation liée. Je suis d’avis que cet

300 Preuve devant le tribunal civil

656. Reimnitz c. Banque de Montréal, (1928) 66 C.S. 315.657. Simard c. Tremblay, [1998] R.J.Q. 2595 (C.A.), REJB 1998-08231.658. Ibid.659. Ibid.660. Dupaul c. Beaulieu, précité, note 426.661. Sirois c. Messier, J.E. 94-943 (C.Q.), EYB 1994-84372.662. [1970] C.A. 1012.

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aveu est divisible contre la défenderesse et en faveurdu demandeur. » (j. Salvas pour la cour, p. 1014).

Il y a donc preuve, par aveu, de la remise de cettesomme de 4 000 $ par le demandeur à la défenderesse,à la suite de la division de cet aveu contenant des faitsétrangers à la contestation liée. La Cour d’appel examineensuite le témoignage de la défenderesse, qui est confuset empreint de contradictions, d’invraisemblances etd’indices de mauvaise foi, pour conclure que :

« [...] ce témoignage peut servir de commencement depreuve par écrit, contre la défenderesse et permettrela preuve testimoniale du prêt, base de l’action. »(p. 1014).

Dans un second temps, le demandeur a donc pu éta-blir, par son propre témoignage, la cause juridique de cetransfert d’argent déjà admis dans un premier temps, etprouver ainsi le prêt, malgré les tentatives de la partieadverse de se défiler.

b) La partie contestée de l’aveu estinvraisemblable ou contreditepar des indices de mauvaise foiou par une preuve contraire

Le prétendu aveu farfelu ou inexact est divisible.L’invraisemblance de la partie contestée de l’aveu pour-rait résulter de l’interrogatoire ou d’un contre-interrogatoire serré de la partie adverse qui aurait donnédes réponses contradictoires. La portion fausse de l’aveusera donc écartée. Chaque cas est un cas d’espèce et ils’agit alors d’une question de faits laissée à l’appréciationdu tribunal.

Exemple : Le défendeur admet avoir reçu la somme de2 000 $ d’un compagnon de travail occasionnel qui lui enréclame le remboursement à la suite d’un prêt, mais pré-tend que c’était un cadeau, sans fournir toutefois de motifsjustifiant cette prétendue générosité!

c) L’absence de connexité entre lesfaits mentionnés dans l’aveu

L’aveu émanant de la partie adverse peut porter surdes événements distincts susceptibles de division.

Exemple : Le demandeur réclame le remboursementd’un prêt de 3 000 $. Le défendeur admet avoir reçuce montant, mais allègue qu’il y a eu extinction del’obligation par compensation avec une autre dette dudemandeur. Dans ce cas, le demandeur, par l’aveu dudéfendeur, a prouvé être le créancier d’une obligation, soitcelle résultant du contrat de prêt. L’aveu est alors divisibleet il incombera au défendeur d’établir l’extinction de cetteautre dette par compensation, à la suite du déplacement dufardeau de preuve (art. 2803 C.c.Q.).

La portion retenue après division de l’aveu complexeservira d’aveu pur et simple. L’aveu qualifié divisé, désor-mais incomplet, peut valoir dans certains cas commecommencement de preuve donnant ouverture à la preuvetestimoniale663. Ainsi, à la lumière de l’article 2865C.c.Q., si la partie interrogée admet certains faits relatifs àun prétendu contrat, sauf ce contrat qu’elle nie, il pourraity avoir division, de sorte que les réponses affirmativesconstitueraient un commencement de preuve664. Dans uneaction en déclaration de paternité introduite par la mère,l’aveu du défendeur recherché en paternité qu’il a eu desrelations sexuelles avec la mère, mais qui ajoute quecelle-ci a connu six autres hommes à l’époque de laconception, est divisible. À la lumière de l’article 533C.c.Q., cet aveu divisé constitue un indice donnant ouver-ture à la preuve testimoniale665. L’aveu indivisible ne peutcependant valoir comme commencement de preuve666.

Dans certains cas, l’aveu est irrecevable en preuve.

F- La prohibition

L’aveu est en principe toujours recevable en preuve,sous réserve d’exceptions dans le domaine matrimonial,des actes authentiques et de l’exécution par équivalentd’une obligation.

L’article 457 C.p.c. prohibe l’acquiescement à lademande dans les actions en séparation de corps, en nullitéde mariage et en divorce ou dans celles relatives à la filia-tion. En matière matrimoniale, pour des raisons d’ordrepublic, le jugement ne peut être fondé uniquement surl’aveu de la partie adverse. La partie demanderesse doittémoigner à l’audience dans une demande, même noncontestée, en nullité de mariage et dans une demandecontestée en séparation de corps ou en divorce (art. 404C.p.c.). La preuve hors cour par affidavit détaillé est

Qualités et moyens de preuve 301

663. Aubin c. La Librairie Commerciale Ltée, précité, note 403.664. Laliberté c. Turcotte, [1946] B.R. 208; Koerner c. Dubé, J.E. 85-25 (C.S.).665. Droit de la famille – 1059, précité, note 611.666. Lefebvre c. Robidoux, précité, note 404.

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admissible à l’appui d’une demande non contestée enséparation de corps ou en divorce (art. 196 et 404 C.p.c.).Selon l’article 10 (5) de la Loi sur le divorce et l’article815.3 C.p.c., rien de ce qui a été dit, reconnu ou communi-qué au cours d’une tentative de réconciliation entre lesépoux n’est admissible en preuve dans aucune action enjustice. De même, selon l’article 10 (4) de la Loi sur ledivorce, le spécialiste en consultation ou en orientationmatrimoniales ou toute autre personne qualifiée, désignéepar le tribunal pour aider les époux à se réconcilier, ne sontpas aptes ni contraignables à déposer en justice sur les faitsreconnus devant eux ou les communications qui leur ontété faites à ce titre.

L’aveu ne peut faire échec au contenu d’un acteauthentique rapportant des faits que l’officier public avaitmission de constater. Il faut d’abord procéder par voied’inscription de faux (art. 2821 C.c.Q. et art. 223 C.p.c.) etattaquer ensuite cet écrit par tout moyen de preuve.

Les déclarations obtenues du créancier dans les30 jours du fait dommageable qui fonde sa réclamationpour préjudice corporel ou moral peuvent être sans effetet, par conséquent, irrecevables. L’article 1609 C.c.Q.énonce à cet effet : « Les quittances, transactions ou décla-rations obtenues du créancier par le débiteur, un assureurou leurs représentants, lorsqu’elles sont liées au préjudicecorporel ou moral subi par le créancier, sont sans effet sielles ont été obtenues dans les trente jours du fait domma-geable et sont préjudiciables au créancier. » Ainsi, ladéclaration obtenue sous forme de version de la victimepar un expert en sinistres moins de 30 jours après un évé-nement accidentel ne pourra lui être opposée lorsqu’elleréclamera plus tard en justice, si elle lui cause un préju-dice, et ne pourra ainsi servir d’aveu.

Sous réserve de ce qui précède et de la recevabilité del’aveu extrajudiciaire, l’aveu est un moyen de preuve uni-versel.

6- Les présomptions

« La présomption est une conséquence que la loi oule tribunal tire d’un fait connu à un fait inconnu. »(art. 2846 C.c.Q.).

Le législateur ou le tribunal, par un processusd’induction, tire une conclusion à partir de faits établisen preuve.

Le Code civil distingue entre les présomptions légaleset les présomptions de faits.

A- Les présomptions légales

Le premier alinéa de l’article 2847 C.c.Q. énonce :

« La présomption légale est celle qui est spécialementattachée par la loi à certains faits; elle dispense detoute autre preuve celui en faveur de qui elle existe. »

Le législateur attache à une situation une conséquencejuridique, telle une présomption de faute ou de responsabi-lité, qui découle de l’établissement de certains faits à lacharge de la partie demanderesse.

Les présomptions de droit conditionnent, à diversdegrés selon la portée de la présomption, le fardeau de lapreuve du réclamant et les moyens d’exonération ouvertsà la partie défenderesse. La disposition législative qui créela présomption en mentionne la portée, qu’elle soit simpleou absolue667.

Le second alinéa de l’article 2847 C.c.Q. énonce quela présomption légale « qui concerne des faits présumésest simple et peut être repoussée par une preuve contraire;celle qui concerne des faits réputés est absolue et aucunepreuve ne peut lui être opposée ».

Cependant, comme l’a jugé la Cour d’appel668,l’utilisation par le législateur du mot « réputé » dans unedisposition législative, soit en l’instance l’article 1632C.c.Q. (un contrat à titre onéreux ou un paiement fait enexécution d’un tel contrat est réputé fait avec l’intentionde frauder si le cocontractant ou le créancier connaissaitl’insolvabilité du débiteur), peut constituer une méprise.Dans cette affaire, la cour, se fondant sur les dispositionsdu même chapitre et sur les commentaires du ministre,estime que l’intention du législateur n’était pas claire; ellepréfère maintenir les droits du créancier de bonne foi et luilaisser la possibilité de prouver qu’il ne connaissait pasl’insolvabilité du débiteur ni son intention de se rendreinsolvable. Dans ce cas, l’usage du mot « réputé » ne faitpas obstacle à une preuve contraire et la présomption n’estpas absolue.

Les présomptions absolues ne peuvent être repous-sées par une preuve contraire, lorsque sont établis les faitsqui y donnent ouverture. Ainsi, « l’autorité de la chosejugée est une présomption absolue », comme l’énonce

302 Preuve devant le tribunal civil

667. In re Gérard Nolin Ltée: Banque Canadienne Nationale c. Bellavance, précité, note 15.668. Banque nationale du Canada c. S.S. et C.B., [2000] R.J.Q. 658 (C.A.), REJB 2000-16669.

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l’article 2848 C.c.Q., qui en fixe les conditions d’appli-cation. La filiation par le sang constitue un autre exemplede présomption absolue. « Nul ne peut réclamer une filia-tion contraire à celle que lui donnent son acte de naissanceet la possession d’état conforme à ce titre. » (art. 530C.c.Q.). Cette preuve faite, la filiation devient incontes-table669.

L’article 2866 C.c.Q. énonce :

« Nulle preuve n’est admise contre une présomptionlégale, lorsque, à raison de cette présomption, la loiannule certains actes ou refuse l’action en justice, sansavoir réservé la preuve contraire.

Toutefois, cette présomption peut être contredite parun aveu fait à l’instance au cours de laquelle la pré-somption est invoquée, lorsqu’elle n’est pas d’ordrepublic. »

L’article 403 C.p.c. fournit un exemple de présomp-tion absolue de la confection. La véracité ou l’exactituded’une pièce jointe à l’avis ou déjà déposée au dossier estréputée admise en l’absence de dénégation par affidavit dela partie adverse.

La règle de l’article 2847 C.c.Q. ne s’applique pasnécessairement à toutes les lois du Québec. L’article 142de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil670

énonce en effet :

« La règle d’interprétation du second alinéa de l’arti-cle 2847, établissant que la présomption qui concerneun fait « présumé » est simple et que celle qui con-cerne un fait « réputé » est absolue, ne s’applique auxlois autres que le Code civil du Québec et le Code deprocédure civile qu’à compter de la date fixée par legouvernement. »

Il n’existe pas, pour interpréter les lois fédérales, derègle semblable à celle énoncée à l’article 2847 C.c.Q.selon laquelle la présomption relative au fait réputé nepeut faire l’objet d’une preuve contraire671.

Voici, à titre d’exemples, quelques présomptions sim-ples établies au Code civil :

• Article 525 C.c.Q. : La présomption de paternitépeut être repoussée par une preuve contraire672.

• Article 1459 C.c.Q. : Le titulaire de l’autoritéparentale est tenu de réparer le préjudice causé àautrui par le fait ou la faute du mineur à l’égard dequi il exerce cette autorité; il se dégagera de cetteresponsabilité présumée par la preuve d’absencede faute dans la garde, la surveillance ou l’édu-cation du mineur.

• Article 1463 C.c.Q. : Le commettant est tenu deréparer le préjudice causé par la faute de ses pré-posés dans l’exécution de leurs fonctions.

• Article 1465 C.c.Q. : Le gardien d’un bien est tenude réparer le préjudice causé par le fait autonomede celui-ci; il ne se dégagera de sa responsabilitéprésumée qu’en prouvant l’absence de faute de sapart, comme l’établit cette disposition. La forcemajeure et la faute d’un tiers peuvent constituer unmoyen d’exonération pour le gardien de la chose,pourvu que ce dernier démontre sa propre dili-gence.

• Article 1467 C.c.Q. : La responsabilité du proprié-taire pour le préjudice causé par la ruine de sonimmeuble.

• Articles 2034, 2037, 2038 et 2049 C.c.Q. : Laresponsabilité du transporteur pour le préjudicerésultant du retard, d’un préjudice subi par unpassager, de la perte des bagages et du transportd’un bien, dont il ne peut être relevé que par lapreuve d’une cause étrangère à sa conduite équiva-lente à la force majeure.

• Article 2100 C.c.Q. : La responsabilité de l’entre-preneur et du prestataire de services lorsqu’ils sonttenus du résultat, qui ne peuvent s’en dégagerqu’en prouvant la force majeure.

• Articles 2118 et 2119 C.c.Q. : La responsabilité del’entrepreneur, de l’architecte, de l’ingénieur et dusous-entrepreneur pour la perte de l’ouvrage dansles cinq ans de la fin des travaux, qu’elle résulted’un vice de conception, de construction ou de réa-lisation de l’ouvrage ou d’un vice du sol.

• Article 2289 C.c.Q. : La responsabilité du déposi-taire rémunéré, repoussée par une preuve de forcemajeure.

Qualités et moyens de preuve 303

669. Droit de la famille – 2370, J.E. 96-554 (C.A.), EYB 1996-71494.670. Précitée, note 83.671. Lloyd’s of London c. Pêcheries Nicol Desbois Inc., REJB 2004-53607 (C.A.).672. Droit de la famille – 2530, [1996] R.J.Q. 2981 (C.S.), REJB 1996-29303.

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En matière de responsabilité civile, la présomption defaute est repoussée par la preuve d’absence de faute, alorsque la présomption de responsabilité est repoussée par lapreuve que le préjudice a été causé par la force majeure oupar une cause étrangère, telle la conduite de la victimeréclamante.

L’inversion de la charge de la preuve est acceptabledans les actions civiles et ne porte pas atteinte à un droitgaranti par la Charte canadienne des droits et libertés673.

Le demandeur doit établir les éléments qui font jouerla présomption invoquée contre le défendeur. Cette preuvepeut être simple ou complexe selon le fardeau de la preuvede la demande et les moyens de défense possibles. Ainsi,en matière d’ouvrages immobiliers (art. 2118 et 2119C.c.Q.), la preuve de la cause de la perte de l’ouvrage, tel levice de conception ou de construction, peut s’avérer fortlongue et requérir la présence de nombreux experts.

Bien que la présomption légale « dispense de touteautre preuve celui en faveur de qui elle existe » (art. 2847C.c.Q.), ce dernier peut évidemment présenter une autrepreuve plus étoffée, pour mieux assurer le succès de saprétention, par un cumul de moyens. Le réclamant peutinvoquer une présomption légale et prouver les faits quien autorisent l’application; il peut aussi établir par unepreuve plus longue d’autres faits, tels des éléments defaute sanctionnés par l’article 1457 C.c.Q. ou d’inexécu-tion d’obligations fondés sur l’article 1458 C.c.Q.

Le tribunal apprécie les faits susceptibles de donnerouverture à l’application de la présomption légale.

Notons, en terminant, que la loi en vigueur au jourde la survenance des faits s’applique en matière de pré-somptions légales, suivant l’article 141 de la Loi surl’application de la réforme du Code civil. Par exemple, sile fait autonome d’une chose sous la garde d’une personnecause un dommage avant le 1er janvier 1994 (date d’entréeen vigueur du Code civil du Québec), on appliquera lesdispositions de l’article 1054 C.c.B.-C.; si cet événementpréjudiciable survient le ou après le 1er janvier 1994, onapplique l’article 1465 C.c.Q.

B- Les présomptions de faits

« Il n’y a pas de fumée sans feu! »

Tout comme l’aveu, la présomption de faits constitueun moyen indirect de preuve, puisqu’elle découle d’un

autre mode de preuve, soit l’écrit, le témoignage ou laprésentation d’un élément matériel.

« Les présomptions qui ne sont pas établies par la loisont laissées à l’appréciation du tribunal qui ne doitprendre en considération que celles qui sont graves,précises et concordantes. » (art. 2849 C.c.Q.).

La présomption de faits est une conséquence que letribunal tire d’un fait connu à un fait inconnu (art. 2846C.c.Q.). Le tribunal tire une conclusion à partir d’indicesde faits prouvés dont il apprécie la valeur probante.

Le Code civil prévoit certaines situations susceptiblesde donner ouverture à une présomption de faits. En voiciquelques exemples :

• Article 94 C.c.Q. : La date du décès d’une personnedisparue, qui peut être fixée avant l’expiration de lapériode de sept ans à compter de la disparition, « siles présomptions tirées des circonstances permet-tent de tenir la mort d’une personne pour certaine ».

• Articles 117 et 127 C.c.Q. : La fixation de la date denaissance et de décès. Lorsqu’ils sont inconnus, ledirecteur de l’état civil fixe, d’une part, les lieu,date et heure de la naissance et, d’autre part, la dateet l’heure du décès sur la foi d’un rapport médicalou du coroner selon le cas « et suivant les présomp-tions tirées des circonstances ».

• Article 2132 C.c.Q. : L’acceptation tacite du man-dat, « lorsqu’elle s’induit des actes et même dusilence du mandataire ».

• Articles 2250 et 2267 C.c.Q. : Le contrat taciteconstitutif de la société en participation et de l’asso-ciation, qui « peut aussi résulter de faits manifestesqui indiquent l’intention de s’associer ».

• Article 2885 C.c.Q. : La renonciation tacite à laprescription, « lorsqu’elle résulte d’un fait quisuppose l’abandon du droit acquis ».

• Au livre De la preuve, l’article 2856 C.c.Q. auto-rise le tribunal à tirer de la présentation d’unélément matériel toute conclusion qu’il estimeraisonnable.

Le tribunal jouit d’une latitude semblable, quoiqueplus restreinte, à celle dont il dispose dans l’appréciation

304 Preuve devant le tribunal civil

673. R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443, EYB 1988-67146; Droit de la famille – 1741, [1993] R.J.Q. 647 (C.A.), EYB 1993-58916.

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de la crédibilité des témoins. Il doit apprécier la forceprobante de certains faits, desquels il peut tirer uneconclusion; le juge au procès possède un large pouvoirdiscrétionnaire dans son appréciation des présomptionset des indices requis674. Par un processus de déduction, letribunal, à partir de prémisses connues, c’est-à-dire defaits établis par la preuve, en arrive à une conclusion. Cesfaits, toutefois, doivent être suffisamment « précis, graveset concordants » pour établir la probabilité du fait à prou-ver675, comme le confirme l’article 2849 C.c.Q.

D’une part, les présomptions sont laissées à la discré-tion du juge de première instance qui voit et entend lestémoins676; la Cour d’appel n’interviendra pas, à moinsque les conclusions de faits du juge d’instance soientmanifestement déraisonnables ou erronées ou qu’il y aiterreur manifeste dans son interprétation de l’ensemble dela preuve ou dans l’application de principes juridiques,comme lorsqu’il tire des faits retenus une conclusionclairement erronée677. Une présomption de faits ne peutvalablement découler d’une perception erronée de lapreuve678.

D’autre part, la conclusion à tirer des indices defaits non contestés est une question de droit, appréciablepar la Cour d’appel679. Une cour d’appel peut intervenir ence qui concerne des conclusions de droit fondées sur lesfaits retenus par le tribunal de première instance, malgrél’absence d’une erreur manifeste et prépondérante quiaurait influé sur l’appréciation des faits par ce dernier,insuffisante à justifier l’intervention à ce niveau de lacour680. Ainsi, la Cour d’appel pourrait conclure que lesindices pris de l’ensemble de la preuve ne peuvent donnerouverture à des présomptions suffisamment graves,précises et concordantes pour autoriser la conclusionauparavant adoptée. La cour peut renverser les conclu-sions tirées en matière de présomption de faits, par cemode de preuve indirecte, sans pour autant porter atteinte

aux faits mêmes apportés par la preuve directe681. Il y alieu en effet de distinguer entre les faits retenus par le jugede première instance, résultant de son appréciation de lapreuve directe, notamment à la lumière de la crédibilitédes témoins – au sujet de laquelle la Cour d’appel n’in-tervient pas en principe – et l’inférence ou la conclusiontirée par le juge de cette preuve directe de faits, soitla preuve indirecte par présomptions. La Cour d’appelpourra intervenir à ce second niveau, dans l’interprétationdes faits desquels une déduction a été tirée, puisqu’elle esten aussi bonne position que le juge pour apprécier cetteinférence découlant d’un processus de raisonnementlogique682.

Les faits postérieurs à l’événement en litige peuventêtre invoqués à titre d’indices, sous réserve de leurpertinence et de leur force probante683. L’examen de laconduite passée des parties peut s’avérer pertinente àl’interprétation d’un contrat684.

La Cour d’appel enseigne que, dans une action endéclaration de paternité, le tribunal peut tirer une inférencenégative et interpréter comme une preuve supplémentairede paternité le refus d’une partie, quoique valable en rai-son du principe de l’inviolabilité de la personne énoncé àl’article 10 C.c.Q., de subir une expertise sanguine, sansexplication suffisante, ni justification raisonnable de sapart685. Le refus de se soumettre à un test sanguin peutconstituer un indice suffisamment grave pour autoriser,suivant l’article 533 C.c.Q., une preuve testimoniale envue d’établir la preuve de la filiation686. Ainsi, dans uneaction en déclaration de paternité, ce refus et les autrescirconstances peuvent constituer des présomptions suffi-santes pour donner ouverture à la preuve testimoniale687.

Au stade de la demande en vertu de l’article 535.1C.c.Q., en vue d’obtenir une ordonnance pour procéder àune analyse permettant d’établir l’empreinte génétique

Qualités et moyens de preuve 305

674. G. c. P., [1947] B.R. 99; Droit de la famille – 1059, précité, note 611.675. Commission des droits de la personne du Québec c. Communauté urbaine de Montréal , [1987] R.J.Q. 2024 (C.A.), EYB 1987-62574; La Garantie,

compagnie d’assurances de l’Amérique du Nord c. Massicotte, [1988] R.R.A. 16 (C.A.), EYB 1987-62795; La Concorde, Compagnie d’assurancesgénérales c. Doyon, [1989] R.R.A. 52 (C.A.), EYB 1988-59563; Les Immeubles B.F.V. Inc. c. Venus Products Inc., REJB 2003-48988 (C.A.).

676. Rousseau c. Bennett et Nutbrown, précité, note 30; Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, précité, note 457.677. Latour c. Grenier, [1945] R.C.S. 749; Corporation Municipale des Cantons Unis de Stoneham et Tewkesbury c. Ouellet, précité, note 464; Prévoyants du

Canada c. Coopérative funéraire St-Philippe de Clermont, [1983] C.A. 528; Gameroff c. Josephson, précité, note 12; St-Jean c. Mercier, précité, note 461.678. Vigneault c. Mathieu, [1991] R.J.Q. 1607 (C.A.), EYB 1991-63618.679. Croteau c. London Life, [1979] C.A. 516.680. Procureur général de l’Ontario c. Bear Island Foundation, précité, note 461.681. Snell c. Farrell, précité, note 32; Ferme Denijoy Inc. c. Société coopérative agricole de St-Tite, précité, note 463.682. Southière c. Allstate, compagnie d’assurances Inc., précité, note 463.683. Commission des droits de la personne du Québec c. Communauté urbaine de Montréal, précité, note 622; Lescoat c. Bisson, [1989] R.J.Q. 2807 (C.S.),

EYB 1989-77581; Compagnie Minière Québec Cartier c. Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 6869, [1995] 2 R.C.S. 1095; Farber c.Compagnie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846, REJB 1996-00456; Banque Laurentienne du Canada c. Lussier, REJB 2003-38382 (C.A.).

684. Yves Germain Construction Inc. c. Hydro-Québec, J.E. 94-1005 (C.A.), EYB 1994-57736.685. Droit de la famille – 1059, précité, note 611; Droit de la famille – 1859, [1993] R.J.Q. 2303, EYB 1993-59031; Droit de la famille – 2418, [1996] R.D.F.

443, REJB 1996-29233.Cependant, sur la question de la validité du refus en regard de l’inviolabilité de la personne, voir P. (A.) c. D. (L.), précité, note 504.686. Droit de la famille – 2192, [1995] R.D.F. 196 (C.A.), EYB 1995-58001.687. Droit de la famille – 2441, J.E. 96-1301 (C.A.), EYB 1996-65289.

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d’une personne visée par une action relative à la filiation,le refus de se soumettre à l’analyse ne permet pas de tireren soi une présomption négative. Sinon, il serait pratique-ment impossible de contester la demande faite en vertu del’article 535.1 C.c.Q. Par contre, une fois l’ordonnancerendue, le refus d’une personne de s’y soumettre permettraau tribunal d’en tirer une présomption négative688.

À l’inverse, le tribunal ne peut tirer d’inférence néga-tive du refus d’une partie de subir un test de polygraphe689.

Examinons deux cas d’espèce considérés en jurispru-dence, soit la condamnation pénale et le chèque.

La condamnation pénale constitue-t-elle une pré-somption de faits dans une poursuite civile?

Longtemps, tant la doctrine que la jurisprudence ontété partagées entre deux courants. Certains affirmaientque la condamnation criminelle d’une partie ne constituaitpas un fait pertinent690; d’autres, au contraire, lui accor-daient une importance non négligeable691.

La Cour d’appel a tranché et a jugé que le jugementpénal est un fait juridique que nul ne peut ignorer, quiest pertinent et qui peut s’imposer quant à sa valeur pro-bante692. Elle estime que le juge civil, sans attribuer à lacondamnation pénale l’autorité de chose jugée en droit ouen faits, est libre, selon les circonstances, d’en tirer lesconclusions et les présomptions de faits appropriées.

Voici comment s’exprime à ce sujet la juge FranceThibault dans cet arrêt unanime :

« L’introduction en preuve d’un verdict de culpabilitépeut, selon les circonstances, permettre au juge civilde tirer les conclusions qui s’imposent relativementaux faits que l’acte reproché a bel et bien été commis.Devant, comme dans le présent cas, un jugementpénal motivé établissant que les Ali ont volontaire-ment mis le feu à leur édifice pour toucher l’assu-

rance, il me semble difficile, en l’absence d’élémentsde preuve nouveaux, que le juge civil, ignorant com-plètement ce fait, réévalue la preuve, par ailleurs,strictement identique, pour en arriver à une solutionclairement contradictoire. Je vois mal, en effet, com-ment un juge civil devant qui la fraude ne doit êtreprouvée que par simple prépondérance de preuve,peut conclure que deux personnes trouvées coupablesd’incendie volontaire à la suite d’un procès où leurculpabilité doit être prouvée au delà du doute raison-nable puissent, pour ainsi dire, « rejuger » à l’aided’une preuve identique et qu’on arrive ainsi à deuxdécisions contradictoires [...].

Certes, il existe certaines hypothèses où l’accusé,même innocent, peut plaider coupable, notammentpour s’éviter les frais d’un procès. Dans ce cas, le jugecivil peut, bien évidemment, et sans contradiction,remettre ce plaidoyer de culpabilité dans son contexteet en tirer les conséquences qui s’imposent. »693

En résumé, le juge civil, sans attribuer à la condamna-tion pénale l’autorité de chose jugée en droit ou en faits694,est libre, selon les circonstances, d’en tirer les conclusionset les présomptions de faits appropriées.

Considérons maintenant la portée d’un chèque. Cedernier peut créer une présomption de paiement695. Par ail-leurs, la mention « finale » à l’endos d’un chèque neconstitue pas une présomption légale de paiement libéra-toire, mais simplement une présomption de faits laissée àl’appréciation du tribunal, qui est justifié de rechercherdans la preuve à quelle entente préalable renvoyait lechèque et si le créancier, par sa conduite et par ses gestes, aparticipé à l’entente et l’a acceptée696. La mention « paie-ment final » sur un chèque ne constitue en effet qu’uneprésomption simple de transaction697 que le créancier peutrepousser698. L’encaissement pur et simple, sans réserve niexplication, d’un chèque portant la mention « Paiementfinal des bons de commande » crée une présomption depaiement final699. Le juge doit déterminer, à la lumière

306 Preuve devant le tribunal civil

688. F. (G.) c. G. (G.U.), ès qualité de tutrice à l’enfant mineur G. (M.MO.), REJB 2004-53638 (C.A.).689. Brès c. Cumis, Compagnie d’Assurances générales, précité, note 456.690. Ceremuga c. Vigeant, [1987] R.R.A. 264 (C.S.); Bélanger c. Comtois, [1980] C.S. 891; Ville de Montréal c. L. & M. Parking Ltd., [1977] C.S. 415; La Paix,

Compagnie d’assurances générales du Canada c. Mailloux, [1976] C.P. 255; Laverdure c. Bélanger, [1975] C.S. 612; Brousseau c. Gagnon, [1973] R.L.229 (C.S.); Martel c. Riverain, [1967] R.P. 395 (C.S.); Bernard c. Witthom, [1959] R.P. 211 (C.S.).

691. Légaré c. La Portneuvienne, société mutuelle d’assurances, [1995] R.R.A. 427 (C.S.), EYB 1995-72698; La Royale du Canada, compagnie d’assurancesc. Robitaille, J.E. 93-1025 (C.S.), EYB 1993-74540;Trudeau c. R.I.O., J.E. 92-1511 (C.S.), EYB 1992-75529;Lacroix c. Rivel, [1976] C.S. 1964; Ringel c.Ferster, [1976] C.P. 143; Dion c. Bélair Insurance Co., [1965] R.L. 190 (C.S.); Laflamme c. Bolduc, [1952] C.S. 430.

692. Ali c. Compagnie d’assurances Guardian du Canada, REJB 1999-12678 (C.A.).693. Id., p. 6 et s.694. Bélanger c. Lippé, [1988] R.D.J. 39 (C.A.), EYB 1988-57686: demande de pourvoi refusée par la Cour suprême du Canada.695. Girard c. Émond, [1966] R.P. 235 (C.P.).696. Boutique Guy Gareau Inc. c. Laframboise, [1980] R.L. 104 (C.P.).697. Gendron c. Caisse d’Établissement de Joliette, [1985] R.D.J. 1 (C.A.).698. U. Tomassin & Frères Ltée c. Reitelman, J.E. 94-972 (C.Q.).699. Lavoie c. West Island Plomberie et chauffage Ltée, [1996] R.R.A. 13 (C.A.), EYB 1995-56698.

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de la preuve, si le créancier, par son comportement, aacquiescé ou non à la transaction proposée sous forme demention libératoire inscrite sur le chèque par le débi-teur700. Lorsqu’un créancier reçoit de son débiteur unchèque sur lequel est inscrit qu’il est remis en paiementfinal de sa dette, il ne peut l’encaisser sans informer sondébiteur qu’il refuse sa proposition de règlement; le créan-cier ne saurait se libérer de cette obligation par un ajout surle chèque avant ou lors de son encaissement. Le débiteurdoit pouvoir en effet dans ce cas retirer sa propositionen arrêtant le paiement ou en soumettant une nouvelle pro-position de règlement701.

C- Le fardeau de la preuve

« C’est en quelque sorte l’éternelle question des preu-ves circonstancielles : chacune ne suffit pas, maisleur somme suffit largement. »702

Les présomptions invoquées s’apprécient en fonctiondu poids des probabilités et la partie demanderesse qui a lefardeau d’établir sa cause doit fournir une preuve prépon-dérante. Les faits mis en preuve doivent mener à uneconclusion qui, sans être certaine, doit à tout le moins êtreprobable, et non seulement possible. Les présomptions defaits sont laissées à l’appréciation du tribunal (art. 2849C.c.Q.).

En vertu de l’article 2849 C.c.Q., le tribunal ne doit eneffet prendre en considération que les présomptions defaits qui sont graves, précises et concordantes. Les faitssont graves lorsque le fait à déterminer s’infère logique-ment du fait connu; ils sont précis lorsque le fait inconnudécoule forcément du fait connu et ils sont concordantslorsque, ensemble, ils tendent à établir l’existence du faitinconnu703.

Le recours à la preuve par présomption de faits peutpallier l’absence de preuve directe d’une faute caracté-risée.

La présomption de faits est considérée comme unmode de preuve indirecte et d’une qualité moins probanteque la preuve directe d’un fait à laquelle elle supplée.

La présomption de faits peut découler de la preuvetestimoniale, d’un écrit ou de la preuve matérielle, soit des

indices de faits susceptibles d’y donner ouverture, sousréserve de la recevabilité en preuve de cette présomption.

D- La recevabilité

En principe, tous les moyens de preuve semblent vala-bles pour établir les présomptions, tels le témoignage oul’écrit. Toutefois, l’admissibilité de la preuve par pré-somption a été restreinte par la Cour d’appel. La preuvepar présomption doit être fondée sur un écrit dans les casoù la preuve testimoniale est prohibée.

Dans l’arrêt Malky c. Gauthier704, la Cour d’appeltrace un parallèle avec l’article 1244 C.c.B.-C. qui traitaitde la preuve de l’aveu extrajudiciaire (auquel succèdel’article 2867 C.c.Q.). Cet aveu devait être prouvé par écritou par une reconnaissance judiciaire de la partie adverse,sauf dans le cas où la preuve testimoniale est permise.Pourquoi en serait-il autrement quant à la présomption?Voici comment s’exprime le juge Bernier dans ce pour-voi :

« Avec déférence, je ne puis être d’accord avec laprémisse de droit énoncée par le juge de premièreinstance à l’effet que l’article 1205 C.c.B.-C. pré-voit quatre modes distincts de preuve, soit la preuvepar écrit, par témoin, par présomption, par l’aveu.Cet énoncé ajoute aux dispositions de cet article unélément essentiel; si la preuve littérale se distingueessentiellement de la preuve testimoniale, il n’en estpas de même, vis-à-vis ces modes de preuve, de lapreuve par aveu ou par présomption de faits, preuveessentiellement indirecte (celle dont il s’agit ici); pourles établir, il faut avoir recours soit à la preuve littéraleou à la preuve testimoniale, ou aux deux, et ce dans lamesure où le permettent les règles énoncées à ce sujetau Code de procédure civile (art. 1205 C.c.B.-C.).

L’article 1244 C.c.B.-C. comporte une telle restric-tion à la preuve testimoniale, quant à l’aveu extra-judiciaire : la preuve testimoniale (sauf s’il s’agitd’une matière où elle est autrement admissible) n’estpas admissible autrement que par le témoignagemême de la partie contre laquelle l’aveu extrajudi-ciaire est invoqué; comme le spécifie l’article 1244C.c.B.-C., tel aveu devra être prouvé « [...] par écritou par le serment de la partie contre laquelle il estinvoqué [...] ».

Qualités et moyens de preuve 307

700. Brillant Silk Manufacturing Co. Inc. c. Kaufman, [1925] R.C.S. 249.701. Fernand Boilard Inc. c. Tremblay, J.E. 93-1821 (C.Q.), EYB 1993-74274.702. Droit de la famille – 1059, précité, note 611.703. RCA Limitée c. Lumbermen’s Mutual Insurance Company, [1984] R.D.J. 523, 527 C.A.), j. Chouinard pour la cour.704. Précité, note 290.

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L’article 1234 C.c.B.-C. comporte aussi une sem-blable restriction à la preuve testimoniale qui, à monavis, n’est autre que l’application de la règle de lameilleure preuve (art. 1204 C.c.B.-C.) : la preuvelittérale étant la règle et la preuve testimonialel’exception, la preuve testimoniale ne peut servir pourcontredire l’écrit valablement fait. Cette règle estclaire et doit s’appliquer peu importe qu’il s’agissede preuve directe ou de preuve indirecte. »705

L’article 2867 C.c.Q. contient une disposition de sem-blable portée : « L’aveu, fait en dehors de l’instance où ilest invoqué, se prouve par les moyens recevables pourprouver le fait qui en est l’objet. » Si la preuve par témoi-gnage est irrecevable, celle par témoignage de l’aveuextrajudiciaire est aussi irrecevable. Il en ressort, à lalumière de cette jurisprudence, que la preuve par présomp-tion de faits d’un acte juridique suit la même règle, fondéesur la recevabilité de la preuve par témoignage. Puisquele témoignage est largement recevable, cette prohibitionsoulève rarement des difficultés. Au cas contraire, le tribu-nal doit vérifier la pertinence du témoignage : vise-t-il àétablir un fait pur et simple, sans portée juridique ouvise-t-il à prouver par présomption un acte juridique quine pourrait être prouvé de façon directe par témoignage?

Le plus souvent sous des dehors anonymes, la preuvepar présomption connaît une large utilisation devant le tri-bunal qui est souvent invité à tirer une conclusion àpartir de faits mis en preuve, notamment à l’occasion dela preuve par expert, rarement empreinte de certitudeabsolue.

* * * * *

Ainsi renseigné des moyens de preuve, le plaideur estmaintenant prêt à les utiliser dans la vérification, la pré-sentation et la contestation des faits pertinents au litige,

que ce soit avant le procès ou à l’instruction devant letribunal.

Une cause contestée connaît deux étapes majeuresavant le jugement final sur le fond, soit, après la phaseintroductive d’instance commencée par la partie deman-deresse ou requérante (cueillette d’information etpréparation de l’acte initial de procédure), une premièreétape de vérification, à caractère facultatif selon les cas,franchie à l’occasion d’une contestation éventuelle oudéjà produite (redressement des procédures par desmoyens préliminaires, interrogatoires hors cour, commu-nication de documents, expertise), préparatoire à l’au-dition, suivie d’une seconde séquence, soit celle del’instruction de la cause devant le tribunal. Le plaideur,tant avant l’instruction que lors de cette confrontationjudiciaire, devra y appliquer de façon compétente lesrègles substantielles de preuve du Livre de la preuve duCode civil du Québec et les règles formelles relativesà l’administration de la preuve et audition du Code deprocédure civile, en vue d’un jugement favorable auxprétentions de la partie représentée, à défaut de règlementà l’amiable.

En tout état de cause et en toute matière (et nonpas simplement en matière de responsabilité civile), unepartie peut demander au tribunal de scinder l’instance etdemander, par exemple, de disposer d’abord de la respon-sabilité et en second lieu du montant des dommages etintérêts nécessaires pour indemniser le préjudice subi, lecas échéant (art. 273.1 C.p.c.).

Aux fins de rendre une décision sur une telledemande, le tribunal pourra tenir compte notamment de lacomplexité de la preuve relative à la responsabilité et aumontant des dommages et tiendra compte aussi du prin-cipe de la proportionnalité énoncé à l’article 4.2 C.p.c.

308 Preuve devant le tribunal civil

705. Malky c. Gauthier, précité, note 290, p. 514.