la presse nouvelle magazine 253 fevrier mars 2008

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LA PRESSE NOUVELLE Magazine Progressiste Juif N° 253 - FÉVRIER/MARS 2008 - 26 e ANNÉE MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E. Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. PNM se prononce pour une paix juste au Moyen-Orient, sur la base du droit de l'Etat d'Israël à la sécurité, et sur la reconnaissance du droit à un Etat du peuple palestinien. Le N° 5,50 PRÉCISION QUI SOMMES-NOUS ? U n lecteur nous écrit: “Si je trouve dans l’ensemble votre magazine intéressant et d’un niveau qui ne laisse aucune place aux approximations, il me semble que les éditos, bien que j’en par- tage souvent le contenu, soient trop centrés sur la vie politique nationale française”... Votre remarque, cher lecteur, nous permet de faire une mise au point sur la ligne édi- toriale à laquelle nous nous référons. Notre journal, fondé en 1934 dans sa ver- sion yiddish (Naïè Pressè) s’inscrit dans la continuité d’un engagement dans les luttes antifascistes et progressistes d’avant guer- re, et pendant les jours noirs de l’Occupation et de la Résistance à laquelle prirent courageusement part ses rédac- teurs*. Depuis la création de l’UJRE uni- fiant en 1943, dans la clandestinité, des groupes de combat de la résistance juive, il en exprime le point de vue, sans conces- sions aux sirènes de la pensée unique, et poursuit sa participation aux luttes pro- gressistes de notre pays. En tout premier lieu, la lutte contre le racis- me, l’antisémitisme et contre toutes les dis- criminations qui conduisent aujourd’hui à la traque inhumaine des immigrés, et aux actions brutales contre les sans-papiers. Secondement, la lutte pour la Paix avec une attention particulière pour le Proche- Orient et Israël, auquel des liens particu- liers nous rattachent. Ceci suppose un règlement politique de la question. S’il est nécessaire de garantir le droit à la sécurité d’Israël, les droits nationaux du peuple palestinien à un Etat viable et souverain doivent également être consacrés. Il faut donc mettre un terme à l’occupation des territoires ; il faut respecter la dignité de ce peuple et renoncer à la politique unilatéra- le du fait accompli, tel le Mur de la honte, qui ouvre la porte à toutes les violences. Enfin, et cela répond, nous semble-t-il, directement à votre question, nous sommes français, juifs laïques et progressistes et citoyens du monde. Dans cet esprit, nous nous situons sans équivoque aux côtés des forces de progrès et de paix de notre pays, dont la devise, il n’est pas inutile de le rappeler, réside dans le triptyque “Liberté, Egalité, Fraternité”, ce qui sous-entend de défendre aujourd’hui la laïcité et toutes les avancées du pacte républicain fondé sur la solidarité qui découle de la victoire sur le fascisme et des conquêtes sociales et démocratiques, des luttes du peuple français. C’est pourquoi, cher ami, notre défense bec et ongles de ces avancées de civilisation se retrouve dans beaucoup de nos éditoriaux. L’équipe de rédaction de la PNM * Voir YISKOR BUCH (Souviens-toi), édité par l’UJRE en 1946 à la mémoire de 14 écrivains juifs fusillés ou morts en déportation : Aron Bekerman fusillé au Mont-Valérien le 16 septembre 1941, I. S. Cendorf, Yossl Cukier, Meyer Dzilowski, T. Elski, Ch. Kagan, H. Kowalska, David Kutner, Mounié Nadler, fusillé à Romainville par les SS le 11 août 1942, David Pliskin, Iankl Szpan, Oizer Warshawski, W. Wieviorke, Baruch Winogura. Prolongeant l’action des groupes de combat SOLIDARITÉ, l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide naît en 1943 dans la clandestinité de la lutte contre l’occupant nazi. Elle est alors co-fondatrice du CRIF et à la Libération, à l’initiative de la création du MRAP, par la fondation du Mouvement National Contre le Racisme (MNCR). L’UJRE tient à exprimer son indignation concernant le projet du Président de la République d’instituer un parrainage, par chaque élève de CM2, d’un enfant juif disparu lors du génocide de la deuxième guerre mondiale. C’est lors du récent diner annuel du CRIF que le Président de la République, tout en reprenant ses conceptions contraires à la laïcité, concernant l’apport des valeurs religieuses, a exposé ce projet à la fois invraisemblable, effarant et dangereux, consistant à obliger les enseignants de CM2 à imposer à leurs élèves un devoir de culpabilité au sujet des crimes antisémites. Si ces crimes nécessitent, certainement, que les futurs citoyens soient infor- més, dès l’école primaire, de l’existence des camps d’extermination et des rai- sons historiques qui ont permis la Shoah, sans préjudice d’autres initiatives en direction d’élèves plus âgés et d’adultes, il est inadmissible de confondre, comme l’a fait le chef de l’Etat, émotion et mémoire. La raison en est simple : l’émotion est à l’Histoire ce que la vengeance est à la Justice. Se contenter de jouer sur l’émotion sans fournir la moindre clé de compréhen- sion ne peut aboutir qu’au résultat inverse de celui recherché. En créant les conditions les plus propices à la concurrence victimaire, on ne peut qu’attiser les haines identitaires réciproques, alors que l’urgence serait d’agir pour les prévenir. Tout se passe comme si en haut lieu, on cherchait par un tel projet, non seu- lement à “acheter” un hypothétique vote communautaire, mais aussi à aggra- ver les réflexes de repli sur soi, tant il reste vrai que le maintien d’un pouvoir manifestement impopulaire passe par la division de ceux qui ont toutes les raisons de le combattre. Le Bureau de l’UJRE 15 février 2008 COMMUNIQUÉ Assemblée générale de l’UJRE Samedi 5 avril 2008 à 15 h. A vos agendas ! 21 FÉVRIER 1944 VINGT ET TROIS ÉTRANGERS ET NOS FRÈRES POURTANT ... Le 21 février 1944, 23 résistants étrangers parmi lesquels plu- sieurs juifs membres de la M.O.I. sont fusillés au Mont-Valérien. Que leur reproche-t-on ? D’avoir pris les armes contre l’enva- hisseur nazi. Leur arrestation est le fruit de la collaboration étroite entre la police française et les services allemands. Mais il ne suffisait pas de les fusiller, il fallait les faire passer pour de dangereux “ter- roristes”. C’est cette image qu’a voulu en donner la trop fameu- se Affiche Rouge. Elle inspira le célèbre poème de Louis Aragon, mis en musique par Léo Ferré. Dans le monde d’aujourd’hui, leur combat pour la dignité, les droits de l’homme et un monde meilleur est toujours actuel. Lire Sommaire en page 3 PNM 253 BON 28/02/08 12:34 Page 1

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La Presse Nouvelle Magazine n°253 février 2008 - 26e année

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Page 1: La Presse Nouvelle Magazine 253 fevrier mars 2008

LA PRESSE NOUVELLE MagazineProgressiste

Juif

N° 253 - FÉVRIER/MARS 2008 - 26e ANNÉE MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E.Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide

PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et deracisme, ouvertes ou sournoises. PNM se prononce pour une paix juste au Moyen-Orient, sur la base du droit de l'Etat d'Israël à la sécurité, et sur la reconnaissance du droit à un Etat du peuple palestinien.

Le N° 5,50 €

PRÉCISION QUI SOMMES-NOUS ?

Un lecteur nous écrit: “Si je trouvedans l’ensemble votre magazineintéressant et d’un niveau qui ne

laisse aucune place aux approximations, ilme semble que les éditos, bien que j’en par-tage souvent le contenu, soient trop centréssur la vie politique nationale française”...Votre remarque, cher lecteur, nous permetde faire une mise au point sur la ligne édi-toriale à laquelle nous nous référons. Notre journal, fondé en 1934 dans sa ver-sion yiddish (Naïè Pressè) s’inscrit dans lacontinuité d’un engagement dans les luttesantifascistes et progressistes d’avant guer-re, et pendant les jours noirs del’Occupation et de la Résistance à laquelleprirent courageusement part ses rédac-teurs*. Depuis la création de l’UJRE uni-fiant en 1943, dans la clandestinité, desgroupes de combat de la résistance juive, ilen exprime le point de vue, sans conces-sions aux sirènes de la pensée unique, etpoursuit sa participation aux luttes pro-

gressistes de notre pays.En tout premier lieu, la lutte contre le racis-me, l’antisémitisme et contre toutes les dis-criminations qui conduisent aujourd’hui à latraque inhumaine des immigrés, et auxactions brutales contre les sans-papiers.Secondement, la lutte pour la Paix avecune attention particulière pour le Proche-Orient et Israël, auquel des liens particu-liers nous rattachent. Ceci suppose unrèglement politique de la question. S’il estnécessaire de garantir le droit à la sécuritéd’Israël, les droits nationaux du peuplepalestinien à un Etat viable et souveraindoivent également être consacrés. Il fautdonc mettre un terme à l’occupation desterritoires ; il faut respecter la dignité de cepeuple et renoncer à la politique unilatéra-le du fait accompli, tel le Mur de la honte,qui ouvre la porte à toutes les violences.Enfin, et cela répond, nous semble-t-il,directement à votre question, nous sommesfrançais, juifs laïques et progressistes et

citoyens du monde.Dans cet esprit, nous nous situons sanséquivoque aux côtés des forces de progrèset de paix de notre pays, dont la devise, iln’est pas inutile de le rappeler, réside dansle triptyque “Liberté, Egalité, Fraternité”,ce qui sous-entend de défendre aujourd’huila laïcité et toutes les avancées du pacterépublicain fondé sur la solidarité quidécoule de la victoire sur le fascisme et desconquêtes sociales et démocratiques, desluttes du peuple français. C’est pourquoi, cher ami, notre défense becet ongles de ces avancées de civilisation seretrouve dans beaucoup de nos éditoriaux.�

L’équipe de rédaction de la PNM

* Voir YISKOR BUCH (Souviens-toi), édité par l’UJRE en1946 à la mémoire de 14 écrivains juifs fusillés ou mortsen déportation : Aron Bekerman fusillé au Mont-Valérienle 16 septembre 1941, I. S. Cendorf, Yossl Cukier, MeyerDzilowski, T. Elski, Ch. Kagan, H. Kowalska, DavidKutner, Mounié Nadler, fusillé à Romainville par les SSle 11 août 1942, David Pliskin, Iankl Szpan, OizerWarshawski, W. Wieviorke, Baruch Winogura.

Prolongeant l’action des groupes de combat SOLIDARITÉ, l’Union des Juifs pourla Résistance et l’Entraide naît en 1943 dans la clandestinité de la lutte contre

l’occupant nazi. Elle est alors co-fondatrice du CRIF et à la Libération, à l’initiative de lacréation du MRAP, par la fondation du Mouvement National Contre le Racisme (MNCR).

L’UJRE tient à exprimer son indignation concernant le projet du Président dela République d’instituer un parrainage, par chaque élève de CM2, d’unenfant juif disparu lors du génocide de la deuxième guerre mondiale. C’est lors du récent diner annuel du CRIF que le Président de la République,tout en reprenant ses conceptions contraires à la laïcité, concernant l’apportdes valeurs religieuses, a exposé ce projet à la fois invraisemblable, effarantet dangereux, consistant à obliger les enseignants de CM2 à imposer à leursélèves un devoir de culpabilité au sujet des crimes antisémites. Si ces crimes nécessitent, certainement, que les futurs citoyens soient infor-més, dès l’école primaire, de l’existence des camps d’extermination et des rai-sons historiques qui ont permis la Shoah, sans préjudice d’autres initiatives endirection d’élèves plus âgés et d’adultes, il est inadmissible de confondre,comme l’a fait le chef de l’Etat, émotion et mémoire. La raison en est simple :l’émotion est à l’Histoire ce que la vengeance est à la Justice. Se contenter de jouer sur l’émotion sans fournir la moindre clé de compréhen-sion ne peut aboutir qu’au résultat inverse de celui recherché. En créant lesconditions les plus propices à la concurrence victimaire, on ne peut qu’attiserles haines identitaires réciproques, alors que l’urgence serait d’agir pour lesprévenir. Tout se passe comme si en haut lieu, on cherchait par un tel projet, non seu-lement à “acheter” un hypothétique vote communautaire, mais aussi à aggra-ver les réflexes de repli sur soi, tant il reste vrai que le maintien d’un pouvoirmanifestement impopulaire passe par la division de ceux qui ont toutes lesraisons de le combattre. Le Bureau de l’UJRE

15 février 2008

COMMUNIQUÉAssemblée générale de l’UJRE

Samedi 5 avril 2008 à 15 h.

A vos agendas !

21 FÉVRIER 1944VINGT ET TROIS ÉTRANGERS ET

NOS FRÈRES POURTANT...

Le 21 février 1944, 23 résistants étrangers parmi lesquels plu-sieurs juifs membres de la M.O.I. sont fusillés au Mont-Valérien.Que leur reproche-t-on ? D’avoir pris les armes contre l’enva-hisseur nazi. Leur arrestation est le fruit de la collaboration étroite entre lapolice française et les services allemands. Mais il ne suffisait pasde les fusiller, il fallait les faire passer pour de dangereux “ter-roristes”. C’est cette image qu’a voulu en donner la trop fameu-se Affiche Rouge. Elle inspira le célèbre poème de LouisAragon, mis en musique par Léo Ferré. Dans le monde d’aujourd’hui, leur combat pour la dignité, lesdroits de l’homme et un monde meilleur est toujours actuel. �

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2 P.N.M. FÉVRIER/MARS 2008

Courrierdes lecteurs

DécèsLa PNM a appris avec chagrin la mortde :

Suzanne KALISZ

Décédée le 30 janvier, nous l’avonsaccompagnée au cimetière de Bagneuxlundi 4 février 2008. Suzanne fut per-manente à la CCE en même temps queBlanche Prager vers les années 80.Elle fit un certain nombre de coloscomme représentante de la CCE et par-fois comme directrice / économe. Puiselle devint directrice du dispensaireL’Aide Médicale jusqu’à sa fermeture.

André ROSSEL-KIRSCHEN

C’est après avoir posé beaucoup dequestions qu’il avait accepté de parrai-ner l'Association MRJ-MOI (Mémoiredes Résistants Juifs de la M.O.I.) :“Notre combat est le même”. Sa familleet ses proches ont demandé que sonsouvenir soit associé à celui de sescamarades du Procès de la Maison de laChimie. Ainsi sera-t-il fait*.

* Un article de Gilles Perrault lui seraconsacré dans un prochain numéro denotre magazine.

MémoireLe 19 décembre 2007, notre père

Maurice Rokdécédé en 2000, aurait eu 100 ans.Une pensée et un don à la "NaïePresse" qui l'a toujours accompagné.Bien amicalement, Charles et RogerRok et leurs familles.

Bonjour, je m’appelle AARON

et je suis né le 1er février 2008.Je fais la joie de mon frère ADAM,

de mes sœurs LAURA et LÉA

et de mon oncle GILLES

Mes parents NATHALIE ET MICHAËL

BENDAVID,mes grands-parents

PAULETTE ET ALBERT STAINBER, MÉLANIE ET MAURICE BENDAVID,

leurs enfants et petits-enfants sont heureux de ma venue.

Mazel tov !

CARNET

AVIS DE RECHERCHE“… fille de Raphaël LEWKOWICZ,arrêté en mars 1943, par la police deVichy, lors d’une distribution detracts communistes, il me semble quemon père appartenait aux groupes decombat de l’UJRE. Je fais des recher-ches afin de recueillir des informa-tions sur cette période de ma vie. Eneffet, cachée dans un internat de laville, j’aimerais savoir qui m’avaitplacée dans cette cachette, quipayait… enfin, lever le voile sur cettepériode tant occultée des juifs résis-tants”. Merci d’écrire au journal Presse NouvelleMagazine 14 rue de Paradis 75010 Paris

Hélène AKIERMAN

Chers lecteurs, votre magazine envi-sage d’adapter prochainement sa

formule éditoriale. Cela pourrait passerpar tant de paramètres ! le format dujournal, le papier utilisé, le nombre depages, la taille des articles, les illustra-tions, etc. Alors, pour toujours mieuxrépondre à vos attentes, dites-nous ce quevous en pensez ? Le journal actuel estparfait ? Il répond à vos souhaits ? Il peutévoluer ? Comment ? Ne vous limitezpas, toutes vos remarques nous intéres-sent, qu’elles concernent le contenu (desrubriques à suggérer ?) ou le format dujournal ... et merci d’avance de nousaider à faire progresser le journal, notrejournal, nous poursuivons l’ambitiond’éditer un “magazine progressiste juif”pas comme les autres, qui réponde tou-jours mieux à vos aspirations.

L’équipe de rédaction de la PNM

[NDLR] : Des copier-coller incongrus ontrendu le mot du Président de l’UJRE publiédans la PNM de janvier incompréhensible.Que les lecteurs de la PNM et surtout sonauteur trouvent ici nos excuses. Nous res-tituons ci-dessous le texte dans le vrai deson message : “En ce début de l'an 2008, je tiens à adres-ser aux lecteurs et amis de la PNM et del’UJRE un message différent de celui desannées précédentes. Mon état de santé m'acloué loin de l’UJRE et de la PNM. Un and'absence, c'est beaucoup. Trop. LE

MOMENT EST VENU DE PASSER LA MAIN. Sauferreur, je suis le premier Président del’UJRE à passer la main de son vivant.Pendant les derniers douze mois, la PNMet l’UJRE ont continué. L'équipe qui a prisen main l'existence du journal et de l’UJREa fait ses preuves. En mon âme et cons-cience, je souhaite que ...* voudra biencontinuer à la présidence de l’UJRE et dela PNM. Je connais, vous connaissez, samodestie. Je désire que …* passe outre sapropre modestie et continue à diriger lesdeux organismes, comme depuis un an.Pour ma part, je continuerai à écrire dansla PNM, en toute liberté. J'aimerais aussicontinuer la coopération au Crif. Maisc'est aux organes de direction de l’UJRE etde la PNM de décider. A bientôt 82 ans, jelaisse la place à des amis et camarades“plus jeunes”. Je suis prêt à continuer ausein de l’UJRE et de la PNM. A vous dedécider. D'ores et déjà, je vous confie unarticle sur un personnage hors du com-mun, John Rabe, le nazi qui a sauvé la vieà des dizaines de milliers de chinois, lorsde la guerre sino-japonaise. Bon courage,allez de l'avant ! mon action, avec et parmivous, m'a rempli de joie et d'espoir.

Lucien Steinberg”* À la demande de la personne, son

nom a été effacé.

REPÈRES* NOUS CONTINUONS, film produit parl’UJRE en 1946 (Equipe de réalisation :Moshe Bahelfer, O. Fessler, A.Hamza, Ilya Holodenko, JeanWeinfeld, prises de vue : Agaï,Defassiaux)

** Neuf foyers d’enfants de fusillés etdéportés furent ouverts : Aix-les-Bains, Andrésy (Manoir de

Denouval), Arcueil, Le Raincy (Allée desCôteaux), Le Raincy (Le Platau), Livry-Gargan, Montreuil I (rue Dombasle),Montreuil II (rue François Debergue),Sainte-Maxime. Ils accueillirent des enfantsorphelins juifs de père et mère ou de l’un desdeux, ou encore dont le parent survivant nepouvait assurer pour des raisons diverses,et notamment économiques, l’éducation. Lepremier fut ouvert en février 1945. Ils fonc-tionnèrent jusqu’en 1958 comme des “répu-bliques d’enfants”. Environ 750 enfants yont passé quelques semaines et plus de 400sont restés plus d’un an. En novembre 1945,350 enfants et jeunes demeuraient dans lesfoyers. (1)

*** De 1945 à 1988, dans plus de 40 colo-nies de la CCE, on évalue à 30.000 le nom-bre de séjours organisés fréquentés par envi-ron 150.000 enfants (Aix-les-Bains,Andrésy, Ancelle, Aurillac, Broc, Cannes,Celles-sur-Plaine, Château-Gontier, Chatel,Compiègne, Entremont, Haut-Seyssins,Hossegor, La Féclaz, La Motte Saint-Martin, La Salcée, Le Roc, Les Sciernesd’Albeuve, Les Giettes, Leysin, Mercy leHaut, Mimizan Plage, Mont-sous-Vaudray,Nice, Praz sur Arly, Pornichet, Saint-Jean deLuz, Saint-Paul sur Save, Saint-Pierred’Irube, Sainte-Maxime, Savennes, Saxel,Soumensac, Stella Plage, Tarnos, Uriage,Vérossaz... (1)

(1) Cf. L’ALBUM LA C.C.E. 40 ANS DE SOU-VENIRS par LES AMIS DE LA C.C.E, ISBN : 2-9510865-1-2

Un grand bravo, tout d’abord auCentre national de la cinémato-graphie dont le service des

Archives françaises du film a admirable-ment restauré notre film*. La splendeurdes images le méritait. Bravo aussi auprojectionniste. C’est dans une salle com-ble que l’on a (re)découvert un film tour-né par l’UJRE en 1946 pour témoigner dela création par sa commission centrale del’enfance (CCE), de FOYERS**, maisonsd’enfants pour l’hébergement et l’éduca-tion des enfants de fusillés et déportés,orphelins et rescapés de la barbarie nazie,et obtenir ainsi des soutiens financiers(Joint, etc.). A la tribune, Roland Wlos, PauletteSarcey, et le réalisateur Yves Jeuland.Paulette, qui fut agent de liaison de laM.O.I. et qui joue son propre rôle dans cefilm, ne l’avait jamais vu. Son émotion,certes maîtrisée, était évidente. Je m’attendais à voir un documentairedestiné à montrer aux éventuels finan-ceurs, comment l’UJRE via saCommission Centrale de l’Enfance s’oc-cupait d’orphelins juifs dans ses foyers**d’hébergement (Montreuil, Andrésy, …)et colonies*** de vacances. Précisons d’emblée que tout était difficiledans l’après-guerre. Il y eut des cartes derationnement jusqu’en 1949 au moins, età l’époque, peu d’enfants partaient envacances ! D’emblée, j’ai eu le soufflecoupé par la beauté de l’image évoquantà l’évidence La Lumière d’été deGrémillon et parfois l’empâtement, larichesse d’Eisenstein. Pas de secret :Deux des cinéastes s’étaient formés auBauhaus. Pour nombre de non-yiddisho-phones, le film fut perçu comme muet,mais n’avons pas eu, à tort peut-être,l’impression de manquer quelque chose.Attendons la copie sous-titrée... Pourmoi, le message du film est contenu danssa beauté. L’équipe des réalisateurs auraitpu rappeler l’horreur du génocide, ladétresses des orphelins : on ne gommepas la souffrance. Elle a choisi de montrerdes enfants beaux, sains, rieurs : gaiscomme le sont tous les enfants du mondequand l’intensité du jeu leur fait toutoublier, le temps du jeu. Il était vital d’enseigner à ces enfants quele soleil existe et que vivre peut être beau.Il a été rappelé que l’encadrement, lesmoniteurs, étaient pour beaucoup d’an-ciens résistants. Les visages sontempreints d’une grande détermination.On devine à les voir qu’ils sont solides etqu’on peut s’appuyer sur eux. Les leçonsde Janusz Korczak et de Makarenko sesont révélées utiles, pour essayer deconduire ces enfants sur les Chemins dela Liberté. Après la projection, le débat s’est ouvert.Difficilement. Nous avions tous la gorgeserrée. C’est bien la seule fois que j’aipleuré au cinéma, exception faite deMourir à Madrid et d’un film sur l’apar-theid. Décidément, le fascisme ne passepas. C’est peut-être pourquoi nous aussi,nous continuons… Et c’est pourquoisans doute je ne puis parler de ce film

qu’à la première personne.L’émotion me submergeencore. Nombre d’anciensdes foyers ont évoqué leurssouvenirs, toujours précieux,et rafraîchi les nôtres. Il n’yavait pas à l’époque de cellu-les de soutien psychologique,a observé Paulette, et pour-tant, aucun de ces enfants n’avait maltourné, ils sont tous devenus ce que leursparents avaient souhaité en faire en arri-vant en France : de bons citoyens, desmentsch ! A propos de l’aide apportée par uneorganisation américaine, le JOINT, l’undes participants s’est souvenu que samère faisait du porte à porte à Paris, etqu’elle n’était pas la seule, afin decollecter des fonds pour les orphelins.La CCE tenait à ne pas vivre que decharité, pour employer un vilain mot.Elle organisait pour financer sesfoyers des kermesses, dont à Paris,celle de l’Hôtel Moderne, ce dont uncertain nombre de spectateurs du filmse souviennent encore. Alors, à voir et à revoir, ensemble. Etoui, je, tu, il ou elle continue. Nouscontinuons. Plus que jamais. NM

Evénement au “14” Nous continuons projeté devant une salle comble

De gauche à droite : Roland Wlos, PauletteSarcey, Yves Jeuland

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P.N.M. FÉVRIER/MARS 2008 3

L’Etat d’Israël est-il un Etat juif ?par Patrick Farbiaz

Après la Conférence de Paix d’Annapolis du 27 novembre 2007, la PNM poursuit sa consultation des responsables politiquesfrançais. Ce mois-ci : Patrick FARBIAZ, responsable des relations internationales et de l’altermondialisation des Verts.

La question posée par le pre-mier Ministre Olmert auxdirigeants palestiniens à

l’occasion de la réuniond’Annapolis est en soi une ques-tion piégée. Elle somme les pales-tiniens de mettre fin à leur exigen-ce du droit au retour, d’accepter defait que les arabes palestiniens del’Etat d’Israël soient considéréscomme des citoyens de secondezone (ce qu’ils sont déjà dans laréalité politique actuelle de l’Etatd’Israël).

Mais elle contient une idée encoreplus grave. Si les Palestiniens et lacommunauté internationale entéri-nent l’idée d’un Etat ethniquementpur au Moyen Orient, ils caution-nent l’idée-même d’Etat confes-sionnel, dans toute la région.

Le modèle du Liban, créé sousmandat français, est déjà devenupeu ou prou celui de l’Irak. De par-tition en partition, d’épuration eth-nique en négation de l’idée-mêmede citoyenneté et de laïcité, on envient à une situation où l’ArabieSaoudite wahhabite, modèle théo-cratique par excellence, est érigé enréférence obligée de tout systèmepolitique au Moyen-Orient.

Bien sûr nous savons que lesconditions particulières de la nais-sance du sionisme politique ontengendré une situation complexe.L’affaire Dreyfus et les pogromsont permis l’émergence de la théo-rie de Herzl. Les héritiers du Bund,partisans d’une autonomie desdiasporas dans la lutte du mouve-ment ouvrier, comme les tenants del’assimilation ont disparu dans lesdécombres de la Shoah.

Mais, depuis 1967, nous assistonsà une nouvelle phase du sionismequi divise profondément la popula-tion israélienne. L’émergence dusionisme religieux, qui jusqu’àcette date refusait le concept mêmede sionisme, a déclenché un doublephénomène : La colonisation desterres palestiniennes au nom duGrand Israël, d’une part ; et lacolonisation intérieure par la mar-ginalisation et l’expulsion à termedes arabes israéliens.

Devant cet apartheid qui ne dit passon nom, l’idée de séparation, ren-forcée ces dernières années par la

construction du Mur, illégitime etillégal aux yeux de la communautéinternationale, a grandi et nourriune sorte de fuite en avant, nonseulement des dirigeants de l’Etatd’Israël, mais aussi, ce qui estbeaucoup plus préoccupant, d’unegrande partie de la société israé-lienne.

L’idée de l’égalité des droits, decitoyenneté détachée de la religionou de l’appartenance à une compo-sante ethnique a reculé. La “guerrede civilisation” alimentée par AlQaïda et par Bush a renforcé cesentiment de fossé entre non pasdeux, mais trois identités en Israël-même : d’un côté les juifs religieuxorthodoxes de tendance conserva-trice, pour qui l’identité d’Israël nepeut être que fondée sur la religionet son respect le plus strict et doncun Etat théocratique au sens pre-mier du terme. D’autre part l’en-semble des juifs laïques, libéraux,des druzes, des russes ayant utiliséle droit au retour pour s’installer enIsraël et même des immigrantséconomiques non juifs qui vien-nent pour remplacer les tra-vailleurs palestiniens de Gaza et deCisjordanie. La troisième compo-sante, les arabes d’Israël représen-tant 20 % des citoyens israélienssont par nature suspectés de délitde “cinquième colonne”. Ils seretrouvent de fait exclus dans leurpropre pays.

La définition dans ce cas de l’Etatjuif se fait par la négative. Quin’est pas juif ? Celui qui est arabe.

Il est clair que nous ne pourronssortir de cette impasse mortifèreque par un double mouvement : lafin de la colonisation de laCisjordanie et la création d’un EtatPalestinien viable reliant Gaza et laCisjordanie avec comme capitaleJérusalem Est, mais aussi le choixentre la constitution d’un Etatthéocratique et l’Etat multiculturelet multiethnique à caractère démo-cratique en Israël-même, qui enrompant avec l’idée illusoire d’êtrela tête de pont de l’Occident dansle monde arabe prendrait toute saplace dans la construction d’Etats-Unis du Moyen Orient.

C’est évidemment une utopie, maispas plus que celle de Théodore

Herzl à la fin du XIXème siècle.Cette utopie-là coûterait en toutcas moins de souffrances et per-mettrait d’aller vers une paix justeet durable dans la région. Il n’yaura pas en effet d’émancipationpolitique des juifs sans émancipa-tion parallèle des peuples arabes. Penser Israël contre le mondearabe relève non seulement ducourt-termisme, mais constitueaussi une utopie dangereuse. Sortir de la communautarisationjuive de l’Etat d’Israël est la seulemanière de sortir de la gouvernan-ce de “la peur démographique”. L’heure du choix pour Israëlapproche inexorablement car lamondialisation, si elle renforcedans un premier temps les réflexesidentitaires, les particularismesreligieux et ethniques, brasse lespopulations et dilue les souverai-netés nationales. De l’Afrique duSud à la grande Serbie, les illu-sions nationalistes ont sombré. L’avenir d’Israël n’est pas dansl’exclusion ni dans le repli surl’Etat des seuls juifs, c’est d’êtreun Etat en paix avec ses voisins, unEtat de tout ses citoyens, libres etégaux en droits comme en devoirs.�

Louise MichelContre l’antisémitisme

Lors de l’inauguration duSQUARE LOUISE-MICHEL dans

le 18ème arrondissement de Paris,sous la présidence de BertrandDelanoë, hommage fut rendu à lafigure légendaire du mouvementouvrier français. En modifiant ladénomination de ces jardins bienconnus des parisiens et des touris-tes, qui de la place Saint-Pierremontent vers le Sacré-Cœur, ladécision du Conseil de Paris met-tait fin à une situation aberrante.En effet, depuis 1930, ce lieus’appelait SQUARE WILLETTE, dunom du sieur Adolphe Willette,illustrateur montmartrois, filsd’un colonel fidèle du MaréchalBazaine, fidèle jusque dans sa pri-son où celui-ci fut détenu pourtrahison. Le fils, pour sa part, fitparler de lui comme propagandis-te actif de l’antisémitisme.Dès 1886, par ses tableaux et sesécrits, il se prête aux pires insul-tes. Il sera l’un des principauxcollaborateurs d’EdouardDrumont, qui dirige la revue LaLibre Parole illustrée et publie LaFrance juive, brûlot antisémitetrès connu de l’époque.Enfin, en 1889, en pleine affaireDreyfus, Willette se porte candidataux élections législatives dans le 9ème

arrondissement, sous l’étiquette“candidat antisémite”, et mènecampagne de façon haineuse etordurière contre les juifs responsa-bles de tous les maux* ... ; mais ilrecueillit un très faible nombre devoix. L’antisémitisme à l’époque nepayait pas non plus.Aujourd’hui, en rendant hommageà Louise-Michel, l’institutrice desenfants pauvres de Montmartre,celle qui appela le peuple à sauve-garder les canons de la Butte en1871, celle qui pendant sa déporta-tion en Nouvelle Calédonie à lasuite de la Commune de Paris, s’é-leva contre le colonialisme et leracisme, l’une des premières fémi-nistes, la Butte Montmartre reprendses vraies couleurs.�

Jean WlosAncien conseiller de Paris

* Sur l’une de ses affiches électorales,on pouvait lire : “Les juifs sont grandsparce que nous sommes à genoux” - “Ilssont 50.000 à bénéficier seuls du travailacharné et sans espérance de 30millions de Français devenus leursesclaves tremblants” - “Le juif est d’unerace différente et ennemie de la nôtre”...

Proche-OrientBruits de guerre

J.Dimet p. 4L’Etat d’Israël est-il un Etat juif ?

P. Ferbiaz p. 3

SOCIÉTÉ

Non à l’instrumentalisation...A. Krakowski p. 4-6

Une France pour les juifsH.Levart p. 5

EUROPE

Forfaiture R. Wlos p. 5

MÉMOIRE

Nous continuons...N.Mokobodzki p. 2

Le Judéo-Espagnol à Washingtonentretien avec D. Vidal p. 6

CULTURE

Le juif selon StendhalG-G. Lemaire p. 7

Confrontation linguistique etidéologique en Palestine

R. Cohen p. 8

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Page 4: La Presse Nouvelle Magazine 253 fevrier mars 2008

4 P.N.M. FÉVRIER/MARS 2008

L’assassinat d’ImadMoughnieh à Damas parl’explosion d’une voiture

piégée a considérablement faitmonter la tension dans la région.Cet homme, peu connu du grandpublic, était le responsable militai-re du Hezbollah libanais. Pour lesdirigeants du parti islamique, lecrime est signé : c’est Israël quiserait derrière l’assassinat. EhudOlmert, pour sa part, a démenti unequelconque participation des servi-ces de l’Etat hébreu dans cet acte.Le fait que l’assassinat ait eu lieu àDamas, la capitale syrienne, nelaisse pas d’interroger sur les véri-tables commanditaires.Toujours est-il que la mort du chefmilitaire a attisé les tensions, d’a-bord au Liban. Des centaines demilliers de Libanais sont descen-dus dans les rues le même jour, lesuns, représentant la majorité poli-tique issue des dernières élections,pour commémorer le troisièmeanniversaire de l’assassinat del’ancien premier ministre RaficHariri ; les autres étant des parti-sans du Hezbollah (qui est aussil’une des principales formations del’opposition) qui participaient auxobsèques de Moughnieh. Et c’est àcette dernière occasion que le chefdu Hezbollah, Hassan Nasrallah, adéclaré en s’adressant aux respon-sables israéliens : “Sionistes, sivous voulez ce type de guerreouverte, alors le monde entier doitentendre ceci : qu’une guerreouverte soit !”Le gouvernement israélien a prisau sérieux ces menaces et a renfor-cé les mesures de sécurité.Du côté palestinien, les choses res-tent pour le moment en état, Gazaétant gérée directement par leHamas, et la Cisjordanie parl’Autorité palestinienne. L’ouverture de force de la frontièreentre Gaza et l’Egypte a permispendant quelques jours de desser-rer le blocus israélien, et à la popu-lation palestinienne de souffler.Aujourd’hui la frontière est denouveau fermée.L’écrivain israélien Amoz Oz a misen garde les autorités de son payscontre la tentation d’une opérationmilitaire contre les Gazaouites.“Israël, a-t-il affirmé à la radiopublique, doit se garder de dépê-

cher son armée àGaza (…). Israëls’exposerait àbeaucoup plus deperte dans une telleopération que parcelles occasionnéespar sept ans debombardement à laroquette. (...) Deplus, a-t-il poursuivi,une telle opérationne changerait rien,vu que les tirs deroquettes se produi-saient alors que nouscontrôlions la bandede Gaza. Notre présence à Gazan’a pas empêché ces tirs.”En conclusion l’écrivain a affirmé :“il y a certes un prix politique àpayer pour parvenir à un cessez lefeu avec le Hamas. Mais j’estimequ’il vaut mieux payer ce prix quecelui d’une opération militaire àGaza qui pourrait être catastro-phique.”De son côté, le responsable duHamas, Ahmed Youssef, conseillerau ministère des affaires étrangères(dans le gouvernement formé parle mouvement islamiste), a de nou-veau demandé une trêve avecIsraël tout en mettant en cause legouvernement israélien : “Si leshabitants de Sdérot veulent savoirpourquoi des roquettes continuentà s’abattre sur eux, ils feraientmieux de demander à leur gouver-nement pourquoi il rejette nosappels à un cessez-le-feu”*.Israël a plusieurs fois rejeté lespropositions de cessez-le-feu éma-nant du Hamas, argumentant quelorsque celui-ci avait affirmérespecter une trêve, il n’avait pasempêché d’autres organisations,comme le Jihad islamique, decontinuer à envoyer des roquettessur le territoire israélien.Au sein du gouvernement israélienle Shass (parti orthodoxe séfarade)a menacé de quitter la coalition sis’engageaient des pourparlers avecles Palestiniens sur la question deJérusalem. Cette décision duConseil des sages de la Torah (ladirection du parti), prise fin janviera été renforcée par une déclarationdu chef du Shass, le vice-premierministre Eli Ishaï : “Si des avan-cées diplomatiques devaient surve-

nir avec les Palestiniens alors quedes tirs de roquettes se poursuiventcontre Israël, le Shass quitteraitimmédiatement le gouvernement”,a-t-il affirmé alors que précisé-ment, depuis la conférenced’Annapolis, Israéliens et Autoritépalestinienne ont engagé des négo-ciations sur le tracé des frontières,Jérusalem et le sort actuel des réfu-giés palestiniens de 1948.

Ces négociations devraient aboutir,selon le président Bush, à unaccord de paix. Mais pour le vice-premier ministre israélien HaïmRamon : “Il est possible de parve-nir à une déclaration de principes(…) personne ne s’attend à unaccord détaillé le 1er janvier”.

D’un autre côté, le rapport de laCommission Winograd chargéed’évaluer les causes de l’échec dela dernière guerre au Liban a mis encause l’état-major de l’armée et parvoie de conséquence le ministèrede la Défense dirigé à l’époque parAmir Peretz, dirigeant du parti tra-vailliste.

Ehud Barak qui préside à nouveauaux destinées du Parti et qui estl’actuel ministre de la Défenseavait annoncé son départ si la com-mission d’enquête se montrait cri-tique avec l’armée. Finalement,Ehud Barak a décidé de rester. “Jeme souviens très bien de ce que j’aidéclaré dans le passé, mais lasituation a changé” a-t-il notam-ment affirmé en évoquant desmenaces contre la sécurité d’Israëlen provenance, selon lui, d’Iran etdu Hezbollah. �

* Tribune publiée dans Haaretz le mardi 12

février 2008

Bru i t s de guerrepar Jacques Dimet

A quelques mois de la présidentielle américaine aucune solution ne semble encore en vue pour arriver à l’accord de paix que leprésident Bush avait promis lors de la conférence d’Annapolis.

Proche-Orient

Beyrouth : Des milliers de manifestants réunis en l'honneur de Rafic Hariri© Reuters

Nous dénonçons cette campagneindigne de diversion alors qu'à laveille des élections municipales

et cantonales, la chute libre de sa cote depopularité se poursuit dans les sondages,chute la plus élevée pour un président dela République élu depuis quelques moisseulement. Une revue de presse révèle des critiquessévères, des condamnations quasi-unani-mes de cette initiative présidentielle.

PERSONNALITÉS

Simone Veil, rescapée des camps d'exter-mination nazis Cette initiative est inima-ginable, insoutenable et injuste. On nepeut pas demander à un enfant de s'iden-tifier à un enfant mort. Cette mémoire estbeaucoup trop lourde à porter. Nous-mêmes, anciens déportés, avons eu beau-coup de difficultés après la guerre à par-ler de ce que nous avions vécu, mêmeavec nos proches. Aujourd'hui encore,nous essayons d'épargner nos enfants etpetits-enfants.Elie Wiesel s'est exprimé à France Interdans le même sens.Gérard Klein (acteur) série télévisée“L'instit'” C'est une idée affreuse …quand on a 10 ans, on est fort et fragileà la fois. Je pense qu'on n'a pas besoin dece poids supplémentaire, surtout lors-qu'on voit tout ce qui se passe dans l'ac-tualité.

PHILOSOPHES

Régis Debray Je trouve l'idée déplacéecar plus émotionnelle que pédagogique.Ce ne peut pas être une obligation sco-laire. Ce que je crains surtout, c'est uneescalade des mémoires communautaires.Michel Sparagano Après Guy Môquet,voici que les enfants d'Izieu sont à leurtour enrôlés dans la spectaculaire straté-gie présidentielle... J'ai enseigné la philo-sophie pendant vingt ans dans les classesde terminale. La mort était une notion auprogramme. J'ai le souvenir de visages secrispant imperceptiblement, j'ai vuquelques larmes couler qui disaient assezque la mort à ce moment-là n'était pas " rien ". Quelle est l'histoire de chaquegamin ? A-t-il récemment perdu un pro-che ? ... Qu'en sera-t-il de ces mômes deonze ans, à qui l'on demande de parrainerun petit supplicié ?

HISTORIENS

Esther Benbassa Endosser la mémoirede ces enfants tués cruellement ne contri-buera nullement à combattre l'antisémi-tisme, mais seulement à culpabiliser desjeunes esprits qui, pour y échapper,pourraient rejeter les porteurs de cettemémoire, donc les juifs. Allons-nous éle-ver des générations d'enfants dans l'émo-tion, en fait des générations d'amné-siques qui ne regarderont pas ce qui sepasse devant leur porte, les immigrés, lessans-papiers, les enfants de sans-papiers, la misère des uns et des autres ?Car qui dit émotion dit aussi renforce-ment de l'individualisme. En fait, lecontraire de ce qu'on attendrait de l'en-seignement de la Shoah à l'école.Henri Rousso dénonce un “marketingmémoriel” tandis que Annette Wieviorka, spécialiste reconnuede l'histoire de la Shoah et petite-fille dedéportés, estimait qu'il y avait quelque

NON À L'INSTRUMENTALISATION HONT

LA MÉMOIRE DES ENFANTS JUIFS, EXTE

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P.N.M. NOVEMBRE 2007 5P.N.M. FÉVRIER/MARS 2008 5

La récente parution du Mondedes Religions consacrée ausempiternel thème “Être juif

en France” laisse une étrangeimpression. Que le magazine, entoute liberté d’opinion, traite descroyances religieuses, c’est sommetoute logique, compte tenu de safonction. Mais que l’éclairagedonné à la présence et à la vie desjuifs dans notre pays soit unique-ment délimité par le degré de piétéet l’attachement inconditionnel à lapolitique israélienne, voila matièreà débat. Or, ni l’histoire, ni le présent nepeuvent se circonscrire dans un sipâle halo de lumière. S’il est vraique l’inquiétude, malheureux héri-tage des souffrances endurées, estune composante de l’identité juive,la participation aux combats patrio-tiques et sociaux est devenue maté-riau solide de cette identité. Lévi-Strauss disait que l’homme natureln’était ni antérieur, ni extérieur à lasociété ; qu’il nous appartenait deretrouver sa forme immanente àl’état social, hors duquel la condi-tion humaine est inconcevable. Est-il raisonnable de traquer en per-manence l’antisémitisme dans lesmedia jusqu’à éditorialiser unemédisance d’écolier ? Certes, lavigilance antiraciste s’impose.Mais il n’y a pas, à notre connais-sance, de prohibition sociale à l’en-contre de la population juive. Etpuis, les fictions quotidiennes sur laShoah à la télévision font œuvrepédagogique, peut-être même àdose excessive... Nous nous refusons à croire que lesjuifs ne soient pas mentalementsortis d’Egypte. Quant à la réduc-tion de la judaïté à l’approbationsystématique de la politique israé-lienne, nous nous y refusons égale-ment. Repoussant les sommationscommunautaristes, le consensusvictimiste, une posture morale sou-veraine, il y a une toute autre façonde tirer la leçon de nos malheurs. Nous avons de belles et grandesvaleurs à transmettre au patrimoinecommun de la Nation. Souvenons-nous. A la Libération, commentportés par le souffle de la victoireantifasciste, de la Résistance, lesjuifs avaient su sublimer leur dou-leur pour s’engager avec enthou-siasme en faveur des idéaux éman-cipateurs. Alors que le judaïsme français n’ajamais été monolithique, se définiruniquement par rapport à la reli-gion, c’est fournir un support à l’of-fensive sarkozyste contre la laïcité. Pour en revenir au Monde desReligions, les lecteurs de la PNM

ont eu bien raison de s’indigner del’absence de notre titre* dans laliste des journaux cités. Le fait de passer du statut des juifsdécrété par Vichy aux déportationset à la création de l’Etat d’Israël enomettant la participation des juifs àla Résistance est tout aussicondamnable. Notre malaise est quelque peu atté-nué par le pertinent article deRégine AZRIA sur les réflexes d’ap-partenance à un groupe, et les pro-

pos mesurés duGrand RabbinR e n é - S a m u e lSIRAT, s’inter-disant d’abuserdes sentimentsreligieux. �

* [NDLR] Tout comme bon nombre de tit-res d’organisations juives progressistes (“LaLettre” des Amis de la Cce, Les “Cahiers”du Cercle Bernard Lazare, “Notre Volonté”de l’Union des Engagés Volontaires etAnciens Combattants Juifs) ...

Une France pour les juifspar Henri Levart

Non, le 4 février ne sera pasun jour de gloire pour lesparlementaires qui, par leur

vote lors de la réunion du Congrèsde Versailles, ont refusé que le peu-ple français ait le dernier mot.

En votant pour la révision constitu-tionnelle, ou en s’en abstenant(comme la plupart des élus socialis-tes), ils ont commis un déni dedémocratie, permettant ainsi au trai-té européen de Lisbonne de ne pasêtre soumis à référendum*, et d’êtreratifié à la sauvette par l’AssembléeNationale et le Sénat.

Le Président de la République pré-tend que cela “va permettre derelancer la construction européen-ne”. Mais de quelle Europe s’agit-il? Tout simplement de celle rejetée le29 mai 2005, non par sentimentanti-européen, bien au contraire,mais parce qu’à l’issue d’un débatapprofondi comme jamais on n’enavait connu sur l’Europe, le peuplefrançais a voté majoritairementcontre celle qui consacre la concur-rence libre et non-faussée, y comprisen ce qui concerne les servicespublics, la rigueur budgétaire inter-disant toute politique publique pous-sée, le marché du travail dérégle-menté alors que le dumping social etfiscal privilégie le moins-disant audétriment des conditions de vie duplus grand nombre, la Banque cen-trale indifférente aux revendicationssalariales, intouchable, une Europeforteresse avec une politique d’im-migration contraire aux droits del’homme, l’allégeance à l’OTAN …Pour ceux qui doutent de la similitu-de entre ce qui a été rejeté et le nou-veau traité, Giscard d’Estaing, lepère du défunt projet a parlé clair :“En ce qui concerne le contenu, les

propositions sont inchangées. Ellessont présentées de façon différente.(…) Les gouvernants européens sesont mis d’accord sur des change-ments cosmétiques pour qu’elle soitplus facile à avaler”. Quel aveu !

Prétendre, comme l’a fait Sarkozy,qu’il avait prévenu de ses intentions,est fallacieux. Cela revenait à luidonner un chèque en blanc, carquelque soit le contenu - a fortioris’il est jumeau de celui que le peuplea rejeté - il dessaisit le peuple fran-çais du droit d’être juge, comme ill’avait déjà fait, en laissant la cons-truction européenne aux mains d’é-lites et de technocrates.

Ce que le peuple a fait, seul le peu-ple peut le défaire et les parlemen-taires n’ont pas la légitimité de voterun projet pour lequel 54% des fran-çais ont voté NON.

D’autant plus grave, l’Annexe,camouflée en fin de Traité, ressusci-te l’article I de la Constitution selonlequel le droit européen est supé-rieur au droit national.

Ce qui est à l’ordre du jour pour sor-tir l’Europe de la crise dans laquellel’ont plongée les politiques libéralesde ces dernières décennies, c’est unerefondation sociale, écologique etdémocratique du projet européen.Car ce qui est mis en œuvre avec cetraité ne peut qu’aggraver lescontradictions entre les orientationslibérales de l’Union et les aspira-tions qui dominent dans chaquepays.

* Rappelons que la ratification du Traité deLisbonne nécessitait de modifier laConstitution ; si la majorité des 3/5 desvotants du Congrès n’avait pas été réunie,cette modification aurait dû être soumise àreferendum. C’est, par ailleurs, ce que59% des Français estimaient nécessaire.

VOTE DU CONGRÈS

Forfaiturepar Roland Wlos

Europe

Religion ?

© Malesherbes Publications

chose de réellement monstrueux de vou-loir faire porter par un enfant de neuf,dix ou onze ans la mémoire d'un enfantmort à une autre période.

POINTS DE VUE DE PERSONNALITÉSPOLITIQUES, SYNDICALES,

D'ORGANISATIONS DIVERSES

Dominique de Villepin Je ne crois pasque l'on puisse imposer la mémoire (…)je crois que la charge de mémoire d'unenfant mort, c'est quelque chose de trèslourd à porter.François Bayrou, Président du ModemCharger un enfant de neuf à dix ans de lamémoire personnelle, du nom et de l'his-toire d'une petite victime de cette épou-vantable tragédie, cela risque d'avoir desconséquences psychologiques et moralestrès lourdes. On a l'impression que cesconséquences n'ont pas été envisagées.Pierre Moscovici, député PS C'est uneidée tout à fait malvenue, une approchecompassionnelle, généreuse mais pro-fondément erronée. Il faut la retirer.Parti communiste français NicolasSarkozy sait-il que des milliers d'ensei-gnants, de responsables associatifs, avecle témoignage d'anciens déportés, fontvivre la mémoire et restituent le contextehistorique de cette tragédie du XXèmesiècle ? (…) Cette question exige unehauteur de vue qui ne peut entrer dans leplan de communication d'un président endifficulté.Georges Séguy, déporté et résistant,ancien secrétaire général de la Cgt Ladécision insensée de Nicolas Sarkozy(…) risque de provoquer de sérieux trau-matismes psychiques. De plus, ce genrede ségrégations religieuses des victimesdu nazisme est inacceptable pour ceuxqui ont survécu à l'enfer des camps de lamort. Qu'elle fût générée par l'antisémi-tisme, par le racisme dont les Tziganesont tant souffert, ou par la haine du fas-cisme hitlérien et pétainiste contre lesrésistants de toute sensibilité politique,de toute croyance religieuse ou de touteorigine ethnique, la barbarie nazie fut etreste avant tout un crime contre toutel'humanité.Raphaël Haddad, président de l'Uniondes étudiants juifs de France (UEJF) Cen'est pas en s'identifiant à la victimequ'on fera reculer le racisme et l'antisé-mitisme d'aujourd'hui et de demain. Onne peut pas prescrire la mémoire pourprévenir l'oubli.LICRA (Ligue internationale contre leracisme et l'antisémitisme) Le recoursà l'émotion conduit à tous les ana-chronismes.Le MRAP (Mouvement contre le racismeet pour l'amitié entre les peuples ressentun profond malaise face à un " tri sélec-tif des mémoires”.

REPRÉSENTANTS DES ENSEIGNANTS

Jacques Portes, président de l'associa-tion des professeurs d'histoire-géoL'émotion fait perdre les capacités deréflexion. Bientôt, chacun va revendi-quer d'avoir plus souffert que l'autre. Ladérive peut être dangereuse. L'APGHdénonce qu'une fois de plus, une inter-vention intempestive du pouvoir poli-tique dans l'utilisation de la mémoire etpar contrecoup de l'histoire, une faussebonne idée lancée sans la moindre

HONTEUSE PAR NICOLAS SARKOZY DE

, EXTERMINÉS DANS LES CAMPS NAZIS

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6 P.N.M. FÉVRIER/MARS 2008

Mémoire

PNM : Quellessont la nature etla raison de cettedonation ?

D.V-S. : Survivantd’Auschwitz, monpère Haïm VidalSephiha, chimiste deformation, a décidé,à l’âge de 30 ans, de“réveiller” la languede son enfance : lejudéo-espagnol. Ils’est donc lancé dansun long programmed’études, portant à lafois sur l’espagnol,l’hébreu, les autreslangues sémitiques, l’histoire des juifssépharades, etc. Après avoir passé sathèse d’Etat, il a été, jusqu’à sa retraite(officielle), titulaire de la chaire dejudéo-espagnol à l’INALCO - à l’é-poque, c’était la seule au monde !

Au fil de ces trente-cinq années derecherches et d’enseignement, il aconstitué une bibliothèque linguistiqueunique, comportant des milliers de livres souvent rares, de documents, dethèses et autres mémoires qu’il a sui-vis, de revues et de journaux, de photo-graphies, de cassettes audio et vidéo,etc. Beaucoup d’ouvrages concernentévidemment le génocide nazi.A 85 ans, Haïm a décidé de léguer ce“trésor” à une institution capable de lerendre accessible aux étudiants et auxchercheurs, qui le feront fructifier. Lesinstitutions juives françaises n’étant pasen mesure de le faire, nous avonsrépondu positivement à une propositiondu Mémorial-Musée de l’Holocauste àWashington - United States (Holocaust Memorial Museum -USHMM).

PNM : Pourquoi ce choix ?

D.V-S. : C’est un lieu de mémoirevivante remarquable. Son expositionpermanente permet chaque année àplus de deux millions de visiteurs, jeu-nes notamment, de découvrir en pro-fondeur ce que furent le génocide naziet ses victimes - les millions de juifsexterminés bien sûr, mais aussi lesrésistants, les prisonniers soviétiques,les malades mentaux, les homosexuels,les Témoins de Jéhovah... Le Mémorial-Musée comporte aussiun Centre de recherches qui multiplieles colloques avec la participationd’experts du monde entier et publie denombreux livres.Il est enfin doté d’une très riche biblio-thèque et photothèque, liée à celle duCongrès américain - la plus grande dela planète. Non seulement la

“Bibliothèque judéo-espagnole deHaïm Vidal Sephiha” - c’est son nomofficiel - y sera présentée sur le siteInternet et accessible au public (avecun ex-libris dans chaque volume), maisdes bourses aideront des chercheurs àvenir l’étudier.

PNM : Comment expliquez-vous l’in-térêt de cette bibliothèque pour leslivres de votre père ?

D.V-S. : Aux Etats-Unis, le judaïsmeest pour l’essentiel ashkénaze, ce quela bibliothèque du Musée reflétait.C’est pourquoi ses responsables ontmanifesté autant d’intérêt pour la col-lection de Haïm : à leurs yeux, il s’agis-sait d’ouvrir leur bibliothèque et, dumême coup, celle du Congrès à laréalité passée et présente de la culturejudéo-espagnole.Nous l’avons bien senti pendant cettesemaine passée à Washington : laPrésidente du Musée qui a accueilliHaïm, le Directeur du Centre d’étudesqui s’est longuement entretenu avec lui,les chercheurs avec lesquels il a débattuentendaient honorer à la fois une viedédiée à la langue judéo-espagnole et àces juifs originaires d’Espagne et sou-vent ignorés du judaïsme institutionnel,en Israël et ailleurs.

Même à Auschwitz !

En 2000, mon père retourne pour lapremière fois dans le camp où il a souf-fert pendant un an et demi. Et quedécouvre-t-il ? Des plaques célèbrentle million de victimes dans toutes leslangues, sauf… en judéo-espagnol,que parlaient pourtant plus de 160.000d’entre elles. Il faudra des mois et desmois de mobilisation, avec l’associa-tion “Judéo-espagnol à AUSCHWITZ”fondée par Haïm, pour qu’enfin cetteplaque soit installée, en 2003…�* Dans cet esprit, ce Mémorial-Musée asigné une convention avec le PartiCommuniste Français pour le traitementde ses archives concernant cette période.

Le professeur Haïm Vidal Sephiha a été reçu durant une semaine au Musée-Mémorialde l’Holocauste, à Washington, auquel il a fait donation de sa bibliothèque linguistique.Trois questions de la PNM à son fils, Dominique Vidal Sephiha, qui l’accompagnait :

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De gauche à droite :Paul Shapiro, directeur du Centre de recherches, Ingeborg et Haïm Sephiha, Sarah J. Bloomfield, directrice du Mémorial, et Dominique Vidal-Sephiha

J u d é o - e s p a g n o l àWa s h i n g t o n

NON À ... (suite de la page 5)

réflexion sur les conditions de la mise enœuvre et sur les garde-fous à placer.Gilles Moindrot, secrétaire général duSNIUPP-FSU Cette annonce nous met malà l'aise. Il y a le risque que l'enfant, soits'identifie, soit rejette cette identification,ou encore qu'il ait un sentiment de culpa-bilité ou de responsabilité pour le destind'un élève duquel il n'est aucunementresponsable.SE-UNSA, deuxième syndicat dans le pri-maire : Le SE-UNSA est particulièrementchoqué de cette initiative du président dela République, qui ignore tout de lafaçon dont un jeune se construit.Eduquer ne saurait être qu'affaire d'émo-tion.Jean-Jacques Hazan, secrétaire généralde la FCPE L'histoire n'est pas une suc-cession d'émotions. Et le devoir demémoire n'est pas individuel. Il ne se faitpas d'un enfant vivant, ou d'une classe, àun enfant mort. Pourquoi leur faire por-ter ce poids ? Faut-il s'identifier à unphénomène pour le comprendre ? Sejumeler à un mort, c'est psychologique-ment lourd. Ca peut être traumatisant.Pour travailler sérieusement sur lamémoire, aidons les associations quiinterviennent dans les écoles pour expli-quer cet épisode historique.Ce mouvement d'opinion a porté sesfruits. Monsieur Sarkozy, comme surd'autres dossiers, manœuvre en recul.Emmanuelle Mignon, directrice de cabi-net du Président, explique que de possi-bles aménagements sont envisageables.Le projet pourrait concerner une classeentière. Mais le chef de l'Etat a la volon-té très nette de ne pas céder sur cet ensei-gnement. Et Madame Simone Veil serait pressentiepour animer une commission deréflexion sur cet enseignement, alorsmême que Xavier Darcos réduirait lapart de l'horaire consacré à l'histoire-géo-graphie dans le primaire ! Où l'hypocri-sie, le machiavélisme, la démagogie sontérigés en règles de bonne gouvernance...Quelles pistes envisager ? Continuer à approfondir le travail sur lamémoire de la Shoah entrepris depuisdes années avec les enseignants, lesparents, les témoins, les historiens, diver-ses associations …Rappelons les initiatives émouvantes ettrès fortes prises lors de l'inaugurationdans les établissements scolaires desplaques commémoratives des enfantsjuifs déportés, notamment avec l'AMEJD

(Association pour la mémoire des enfantsjuifs déportés).Avec Michel Sparagano, on pourrait,par exemple, commencer par demanderaux écoliers de parrainer leurs petitscamarades que monsieur Hortefeux, le“ministre de la chasse aux enfants”,rafle aux abords des écoles pour lesexpédier vers des pays qu'ils ne connais-sent pas, parce que leurs parents n'ontpas les bons papiers….En tout état de cause, le projet inique deMr. Sarkozy, même “aménagé”, doit êtreretiré. Tant de coups tordus sont à crain-dre… de “ces gens-là”. La vigilance active de tous s'impose.

Annette KRAKOWSKIEnfant juive

cachée pendant la guerre20/02/2008

Tous victimes ?

Un passage de l’interview du PèreDesbois dans PNM* m’avait

échappé. Or, il est très révélateur : “LesAllemands sont en train de ré-ensevelirleurs morts de la seconde guerre mon-diale, y compris les SS, dans de magni-fiques cimetières militaires, à traverstoute l’Ukraine. Je n’ai rien a prioricontre de tels cimetières. Mais, il seraitinacceptable que pendant ce temps, lesrestes des victimes s’enfoncent dansune boue anonyme”. Lui ne trouve rien à redire. Libre à lui.Mais n’est-ce pas une illustration fla-grante de ce “respect mutuel” qu’onnous préconise en haut lieu ? (voirRencontres internationales sur lamémoire partagée**). Côte à côte, “lesmagnifiques cimetières” des bourreauxet de leurs complices, et le milliond’hommes, femmes et enfants, leursvictimes …Tous “victimes de guerre” ?

Maurice CLING

Co-président de la FNDIRP

* Michel Gurfinkiel, Interview du PèreDesbois in PNM n° 247 de Juin 2007

** Rencontres organisées à l’UNESCO parle gouvernement français les 26 et 27 oct.2006, cf. Actes des premières rencontresinternationales sur la mémoire partagée,Ed. La Documentation Française, Paris2007, 10 €

Point de vue

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MOT D’ENFANTQUAND

VIENDRA LE MESSIE ?Un garçonnet de 6 ans demande àson père : - Papa, quand viendra le Messie ?- Quand tous les gens seront bons ethonnêtes - répond le père.- Mais si tous sont déjà bons et honnêtes,alors que viendra faire le Messie ?

C U L T U R E

Si le conflit israélo-palestinien a plus

d’une fois défrayé lachronique, la présencede palestiniens citoyensisraéliens a peu attirél’attention. Et pourtant,ils existent. L’un d’entreeux, Sayed KASHUA, amême fait une percéemédiatique qui devrait faire réfléchir,notamment les responsables israéliens,sur l’absurdité de la poursuite de leuractuelle politique de dénégation desdroits des palestiniens. Sayed KASHUA, chroniqueur du quoti-dien israélien “Haaretz” est égalementscénariste d’une série télévisée portantsur la communauté arabe d’Israël.Au début de sa carrière, il tente de ren-trer dans le moule palestinien. Il estreporter dans les territoires occupés,pour “KolHaïr” le magazine deJérusalem. Mais le traumatisme del’occupation des villes cisjordanien-nes par la soldatesque israélienne leblesse au point de l’amener à se réfu-gier dans la critique gastronomique ettélévisée. Puis, il est recruté par le journal israé-lien “Haaretz”. Refusant d’être l’alibipalestinien d’un journal israélien, il selance dans l’écriture du scénario d’unesérie télévisée.Dans celle-ci, il décrit la vie quoti-dienne d’un arabe israélien, ses diffi-cultés, ses efforts pour paraître “juif”pour, à n’importe quel prix, établir lesmeilleures relations possibles avec sesvoisins juifs. Il décrit le regard desdécalés, tant celui des autres palesti-niens, que des israéliens qui tentent,eux aussi, de se faire accepter par “lesarabes”. La surprise vient de ce que cefeuilleton a conquis l’audience juivede la chaine 2 de télévision sur laquel-le il est diffusé. Les israéliens n’y sontpourtant pas ménagés. Mais celui quiest considéré comme le Woody Allenpalestinien a suffisamment d’adressepour que les israéliens qui ont suffi-samment d’esprit critique pour accep-ter de rire d’eux-mêmes et de leurs tra-vers soient séduits par ces récitsmoqueurs. Mais ses sarcasmes n’épar-gnent pas non plus les arabes. Tant etsi bien que KASHUA passe pour un illu-miné, un collabo ou un hérétique àleurs yeux dans toute la mesure où ilest difficile, dans une situation deconflit, de faire place à l’humour.

Cependant, cette réalité devrait faireréfléchir les uns et les autres et notam-ment les dirigeants israéliens qui por-tent la lourde responsabilité d’imposerleur force supérieure dans ce conflit.

Si un auteur palestinien est capabled’établir un pont culturel entre lesdeux communautés, ne peut-on envi-sager qu’une reconnaissance mutuel-le du droit à l’existence, de part et

d’autre, ne permette un jour d’établirla paix ? �

* [NDLR] Sayed Kashua est journaliste etécrivain. Premier roman : Les Arabes dan-sent aussi trad. de l'hébreu par KatherineWerchowski - Éd. 10-18 Poche, Paris 2006,251 p., 7.80 €. Lire aussi Et il y eut un matin trad. de l'hébreu parSylvie Cohen et Edna Degon - Éd. del'Olivier, Paris 2006, 280 p., 21 €

PALESTINIEN EN ISRAËL, DRÔLE DE VIE ...par Jacques LEWKOWICZ

LE JUIF SELON STENDHAL

par Gérard-George LEMAIRE

Sayed KASHUA

Israël, invité d'honneur

“C'est la reconnaissance d’une littératuredynamique, d’une immense richesse, à l’i-mage d’une société multiculturelle. Une lit-térature qui puise dans le passé, s’affirmedans un présent mouvementé, sans a priori,n’esquivant aucune question, qui interrogeet analyse sans concession.”

Dans notre prochain numéro, unelarge place sera consacrée au

SALON DU LIVRE* qui reçoit cetteannée 40 auteurs israéliens dans lecadre du 60ème anniversaire de la créa-tion de l’Etat d’’Israël.

* Du 14 au 19 mars, le SALON DU LIVRE setient à PARIS EXPO Porte de Versailles / Hall 1

WITZN RETROUVÉS

22 mars 2008 à 15h.l’Ujre organise sa 2ème participation au

Printemps des Poètes. Pour exprimer son désir de Paix

au Proche-Orient, SARAH SEBBAG

nous fera le plaisir de présenterun montage poétique.

14 rue de Paradis Paris 10° - M° Gare de l’Est

La récente publication du secondvolume de la nouvelle édition des

Œuvres romanesques complètes deStendhal dans la collection de laPléiade (Gallimard) comprend destextes que l’auteur du Rouge et lenoir n’a jamais publiés de sonvivant. L’un d’eux a retenu monattention : il s’intitule Le Juif. Il semblerait que l’idée dece récit (on ne sait pas s’il voulait enfaire un roman ou une nouvelle,même si la seconde hypothèse paraîtla plus probable) lui vint lors d’un courtséjour à Fiume (rebaptisée aujourd’huiRijeka) en 1831, lorsqu’il était consul àTrieste. Il y aurait croisé un homme juifqui l’aurait fort impressionné sansqu’on en sache la raison. Quoiqu’il ensoit, il en conserve un souvenir assezfort pour l’évoquer en marge de LucienLeuwen où il est question de ce “juif deFiume”. L’histoire relate les mésaven-tures d’un jeune juif vénitien d’unebeauté rare, mais affecté d’une passionexclusive et néfaste : le goût de l’argent.Sa famille tout entière est frappée par lemême mal. L’avidité de la mère n’a d’é-gal que le sens du lucre de sa sœur. Ledécor est planté. La véritable religion dece petit monde n’est autre que l’argent.Quand notre héros songe à se marier, sabelle-famille lui subtilise tous ses meu-bles et ses économies alors que sa mèreet sa sœur en profitent pour le dépouillerdu reste. Commencent alors les tribula-tions de notre héros qui se rend enFrance en 1814 où il fait des affairesfructueuses avec les Alliés jusqu’au jouroù son associé tue deux soldats. Il seréfugie à Valence et tombe alors amou-reux d’une jeune femme. Quand lesoccupants quittent la France, il doit sehâter de partir, abandonnant la belleCatherine qu’il avait épousée alors qu’iln’avait pas encore divorcé. Se souve-nant alors qu’il avait une premièreépouse en Italie, il songe à la rejoindre.Mais le sort s’acharne et le malheur lefrappe sans répit. On ignore commentl’affaire devait se terminer. Il est toute-fois évident que Le Juif de Stendhal nese trouvait pas dans une situation envia-ble. La raison en est d’abord sa cupidi-té, mais aussi son absence de sensmoral. La beauté physique du Juif netraduit pas une beauté intérieure.

Ces pages assez médiocres étonnentquand on pense à Stendhal qui s’estrévélé un grand styliste. Elles ont toutde même été saluées par un intellectuelde la Collaboration en la personne deMaurice Bardèche. Cet ami de RobertBrasillach, qui a échappé à l’épuration,n’a jamais renié ses idées. Il a écrit unStendhal romancier où il s’émerveillede ce brouillon, le considérant un témoi-gnage recueilli “sous la dictée”. Pourlui, c’est un “document humain, d’unefidélité et d’une naïveté délicieuse”. Lesresponsables de cette nouvelle éditionde La Pléiade le citent sans le moindre

commentaire, et même avec complai-sance.Il ne faudrait pas pour autant accuser

Stendhal d’antijudaïsme. Sonœuvre entière ne laisse rien filt-rer d’un pareil sentiment. Il n’apas, comme Voltaire, le souci dedémontrer l’ineptie religieuse,historique et éthique de la Bibleet, cela s’entend, des Hébreuxqui en ont été les auteurs, et deleurs descendants qui en restentles gardiens. Il ne serait pas non

plus acceptable de mettre ces propos surle compte d’un esprit de l’époque.D’autant plus que Henri Beyle a été unfidèle de Napoléon, qui a créé leConsistoire, consolidant les droitsaccordés aux Juifs par la Révolution en1791. Il faudrait peut-être en rechercherla cause dans un tout autre registre. En 1825, Stendhal publie un petit pam-phlet : D’un nouveau complot contreles industriels. Le prétexte de cet opus-cule est le lancement d’un nouveaujournal, Le Producteur, d’inspirationSaint-Simonienne. Stendhal y attaque les principes deSaint-Simon, s’insurge contre le pouvoiraccordé aux industriels et fustige labanque. L’argent se trouve au cœur duproblème tout comme l’immoralismequ’il suppose. Sa dénonciation du systè-me bancaire est virulente. Il condamnele “libéralisme” qui laisse libre coursaux agissements des hommes d’affaires.Il souligne : “Les banquiers, les mar-chands d’argent ont besoin d’un certaindegré de liberté. Un baron Rothschildétait impossible sous Bonaparte, qui eûtpeut-être envoyé à Sainte-Pélagie unprêteur récalcitrant.” Le nom deRothschild n’est pas introduit par hasardquand il s’agit de “marchands d’ar-gent”. Il représente à ses yeux le combledes mauvais comportements qu’ildénonce. L’argent étant son Dieu, ilincarne le mal moderne. Tout comme lepitoyable Juif de Venise de sa fiction.�

* STENDHAL, Œuvres romanesques complè-tes, Ed. Gallimard Paris Bibliothèque de laPléiade - 2005: Tome I 1248 p. 50 € - 2007:Tome II : 1488 p. 52,50 €

La PNM a reçu ...

- L’annonce de la sortie du dernierlivre de Max KOHN : Vitsn, motsd’esprit yiddish et inconscient, Ed. Lambert-Lucas 4 rue d’IslyLimoges 2008 - 180 p. 25 €

Lauréat du Prix Max Cukierman en 2006,Max Kohn, né à Paris en 1951, est psy-chanalyste, maître de conférences HDR àParis Diderot, membre de l’unité ratta-chée au CNRS « Psychanalyse et pra-tiques sociales » et psychanalyste à laMaison de la mère et de l’enfant à Paris(Fondation Albert-Hartmann, SociétéPhilanthropique).

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LA PALESTINE ENTRE L’HÉBREUET LE YIDDISH (1880-1914)

Le renouveau(1) de l’hébreu et satransformation en langue moder-ne sont étroitement liés au déve-

loppement de l’idée sioniste, dont lebut est de créer un Etat pour les juifs dumonde entier. Que l’hébreu ait été lalangue unificatrice semble, à premièrevue, aller de soi. On pourrait en effetpenser qu’il s’agit d’un processus natu-rel issu de la volonté générale de trans-former et de redonner vie à la languesacrée, qui depuis près de 1600 ansn’était plus parlée couramment.L’hébreu était réservé au culte reli-gieux, aux documents ayant valeurjuridique ou contractuelle, aux cor-respondances d’affaires et éventuelle-ment aux communications écrites ouorales entre communautés ne prati-quant pas la même langue.Le sionisme est conçu en Europe, uneaire dominée par le yiddish, unefamille d’idiomes judéo-allemandsparlés et écrits en caractères hébraïquespar les communautés russes et centre-européennes. L’idée de la renaissancede l’hébreu entre donc en confronta-tion directe avec ce groupe linguis-tique. Ce qui n’est pas le cas des lan-gues judéo-méditerranéennes. Le terri-toire de la province ottomane dePalestine, l’Eretz-Israël des juifs,deviendra quant à lui un lieu deconfrontation linguistique à partir dumoment où le projet d’y édifier un Étatpour tous les juifs prend forme dans lemonde ashkénaze.

LA MUTATION DU MONDE JUIFEN RUSSIE : LA HASKALA

La Haskala, le mouvement juif desLumières voit le jour en Allemagne à lafin du XVIIIe siècle. Il appelle à l’ou-verture vers le monde non-juif et à ladistinction entre le religieux et le sécu-lier. Ce courant de pensée vise à donnerau judaïsme la place de religion débar-rassée de toute aspiration nationale, unjudaïsme dans et par lequel on préser-ve la langue, la mémoire biblique his-torique et la vision messianique etc.Cette vision du monde rend possiblel’idée de l’appartenance à la nationallemande en formation.Trois quarts de siècle plus tard, la“Société pour la propagation de laHaskala parmi les juifs”(2) voit le jourà Saint-Pétersbourg. Son objectif est derépandre l’usage de la langue russeparmi les juifs qui sont exclusivementyiddishophones, en vue de leur intégra-tion dans la société russe.(3)

Le courant de la Haskala entraîne unbouleversement du mode de vie descommunautés juives traditionnelles.Un phénomène renforcé par un proces-sus d’émancipation mis en œuvre dansle domaine politico-économique.L’égalité devant la loi, le droit d’exer-

cer l’artisanat et le commerce endehors de la zone de résidence encou-ragent la population juive, largementsans qualification, à apprendre desmétiers ou à les exercer ailleurs quedans la communauté. Il s’agit doncd’un appel à transformer radicalementle mode de vie des communautés.Ce mouvement n’est pas un calque du

modèle allemand mais s’en inspire.Les maskilim (le nom que se donnentles militants russes de la Haskala)rejettent aussi bien l’assimilation quel’orthodoxie conservatrice de cultureyiddish. Tout en prônant la pratique dela langue russe comme moyen d’inté-gration et l’abandon du yiddish qualifiéde jargon, ils aspirent à la créationd’une culture en langue hébraïque. Entraduisant en hébreu des ouvragesécrits en russe, ils espèrent familiariserleurs coreligionnaires à la société danslaquelle ils sont appelés à vivre. Pourles juifs “éclairés”, le russe devient lalangue de la vie courante. Dans lemême temps, des traductions en héb-reu d’œuvres littéraires européennessont réalisées et des ouvrages en héb-reu sont publiés. Les maskilim militentpour une presse en hébreu(4) et, à la dif-férence de leurs homologues alle-mands, ils défendent un nationalismejuif russe permettant l’intégration dansla société russe tout en édifiant uneidentité spécifique rénovée et dégagéedes conceptions uniquement religieu-ses. Il s’agit d’un courant véritable-ment révolutionnaire qui, à terme, doitmener les communautés juives repliéessur elles-mêmes à une participationactive dans le devenir de la sociétérusse.Au cours des vingt années de l’essor dela Haskala russe, la condition des com-munautés juives connaît de sérieusesaméliorations dans un contexte demodernisation de l’Etat voulu par le

tsar : des écoles et des universités sontouvertes aux juifs, l’obligation de rési-dence dans les shtetls est parfois levée.Les juifs modernistes russes etd’Europe orientale et centrale veulents’adapter aux temps qui changent enparlant la langue du pays, et non plus leyiddish. Ils commencent à se percevoircomme des citoyens égaux dans leurspatries respectives. Pour eux, le judaïs-me est une confession et non plus lacaractéristique d’une nation. Le judaïs-me, ainsi transformé, devient compati-ble avec l’appartenance aux nationsrespectives. Certains vont jusqu’à reje-ter complètement ce judaïsme en esti-mant que la religion est une idée dépas-sée(5).C’est dans cette effervescence intellec-tuelle et idéologique que, paradoxale-ment, va naître le nationalisme juifavec ses penseurs, les premiers “sionis-tes russes”, les Amants de Sion qui enposent les premiers jalons.Dans le même temps, le processus derussification des juifs se traduit par unprocessus de sécularisation de cespopulations. Ainsi, nombreux sontaussi les juifs qui vont adhérer au mou-vement révolutionnaire russe.

Les pogroms de 1880-1882, émeutesanti-juives perpétrées par des popula-tions russes orthodoxes rurales les plusmisérables victimes des féodaux, met-tent brutalement fin à la propagationdes idées des maskilim, juifs urbainséduqués, russifiés et hébraïsants.L’ascension sociale de cette couche estfreinée, ce qui provoque un fort senti-ment d’injustice. Deux pôles se fontjour. Si une partie des maskilim pour-suit la recherche de l’épanouissementde l’identité nationale juive en tant quetelle, d’autres choisissent en outre derejoindre la mouvance révolutionnairerusse.

LES INTERNATIONALISTESSOCIALISTES

Les premiers socialistes juifs affirmentque les juifs doivent constituer uneentité indépendante dans la lutte desclasses. Rejetant le judaïsme en tantque religion archaïque et la vie juivedominée par l”esprit boutiquier”, ilsoscillent entre la crainte que le socialis-me internationaliste conduise à l’assi-milation et l’idée que l’utopie socialis-te est un mouvement d’hommes nou-veaux luttant contre les pesanteurs dupassé et vivant déjà dans l’avenir. Unavenir qui serait celui d’un monde nou-veau dans lequel les particularités eth-niques deviendront obsolètes. Leurapprentissage culturel commun est lerésultat d’une conjonction entre le pro-phétisme tiré de l’étude des textessacrés et apocalyptiques juifs et l’uto-pisme des idéologues socialistes de leurépoque.

Dans le même temps ils se situent dansla mouvance de la Haskala militantpour la fréquentation des écoles russeset l’apprentissage de l’hébreu “pourapprendre à aimer son peuple” paropposition au yiddish “la langue ash-kénaze”, celle de l’ignorance et durepli sur soi. C’est dans cet esprit qu’ils diffusentdes textes bilingues, hébreu-yiddish enun premier temps, puis hébreu-russeauprès des juifs russes émigrés enOccident. La difficulté de concilier appartenancejuive et internationalisme restera unobjet de débat au sein du mouvementsocialiste juif tout au long de son his-toire.(6) .../...

(la suite au prochain numéro)

* Rina Cohen, La Palestine entre l’hébreu etle yiddish (1880-1914), in Tsafon - revue d’é-tudes juives du Nord, consacré au dossier"Langues et cultures d’exil", n°49, printemps-été 2005, p.13-28.

1 Les linguistes israéliens débattent le phéno-mène de “l’hébreu moderne”. S’agit-il d’une"renaissance", "renouveau", "retour" oumême "résurrection" ? (...)2 Shimon Dubnow, L’Histoire du peupleéternel, Tel-Aviv, Devir, (6e édition) 1966,p.636-637 (en hébreu). Les fondateurs expli-quent leur engagement : “Nous avons tou-jours été confrontés au reproche que les juifsrejettent la Russie. De tout bord l’on nouspromet que dans le séparatisme les condi-tions de vie de nos frères vont s’améliorer etnous deviendrons tous des citoyens égaux endroits. Nous avons donc décidé de fonder uneassociation d’intellectuels qui devrait œuvrerpour éradiquer les défauts mentionnés, par ladiffusion de la langue russe et du savoir utileparmi les juifs. Le but est le savoir au servicede l’acquisition de l’égalité”.3 Parmi les membres on compte Y. L Gordonainsi que L. Pinsker.

4 A cette époque sont créés les premiers titresde la presse hébraïque : ?????? (hatsfira -1862), ????? (hamelits - 1860), ????? (has-hahar)5 Jonathan Frankel, Prophète et politique,Tel-Aviv, Am-Oved, 1989, p.11 (en hébreu)6 Ibid, p.54

Culture Le Yidd i sh e t l ’Hébreu , CONFRONTATION LINGUISTIQUE ET IDEOLOGIQUE EN PALESTINE

par Rina CohenAprès le yiddish et le judéo-espagnol, nous avons souhaité clore notre cycle des langues parlées par les juifs dans le monde* par l’hébreu. Rina COHEN, universitaire spécia-lisée dans la langue, l’histoire et la culture israéliennes, sollicitée, a bien voulu nous autoriser à publier son article* sur “La Palestine entre l’hébreu et le yiddish (1880-1914)”.Nous la remercions d’offrir ainsi aux lecteurs de la PNM, sur QUATRE numéros, cette passionante évocation du contexte historique et social du renouveau de l’hébreu.

Isaac Baer Levinsohn - 1788-1860Un des grands représentants de la Haskalah,

appelé aussi le “Mendelssohn” russe

Pogromes en Russie (Carte d’Emile Patesson) Source : Elisée Reclus, L’homme et la terre, Paris,

Librairie Universelle, 1905, vol. V, p. 469.

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