la politique monétaire à la croisée des chemins

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LA POLITIQUE MONÉTAIRE À LA CROISÉE DES CHEMINS Martin Anota CNDP | Idées économiques et sociales 2013/3 - N° 173 pages 49 à 57 ISSN 2257-5111 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2013-3-page-49.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Anota Martin, « La politique monétaire à la croisée des chemins », Idées économiques et sociales, 2013/3 N° 173, p. 49-57. DOI : 10.3917/idee.173.0049 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour CNDP. © CNDP. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Princeton University - - 140.180.128.86 - 13/01/2014 03h07. © CNDP Document téléchargé depuis www.cairn.info - Princeton University - - 140.180.128.86 - 13/01/2014 03h07. © CNDP

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LA POLITIQUE MONÉTAIRE À LA CROISÉE DES CHEMINS Martin Anota CNDP | Idées économiques et sociales 2013/3 - N° 173pages 49 à 57

ISSN 2257-5111

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2013-3-page-49.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Anota Martin, « La politique monétaire à la croisée des chemins »,

Idées économiques et sociales, 2013/3 N° 173, p. 49-57. DOI : 10.3917/idee.173.0049

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49septembre 2013 I n° 173 I idées économiques et sociales

C’est ainsi que les autorités monétaires ont peu à peu adopté le ciblage d’inflation (inflation targeting). Selon cette approche développée par la nouvelle économie keynésienne, la banque centrale doit annoncer clairement un taux d’inflation et faire varier ses taux directeurs pour l’atteindre. Elle suit ainsi une politique monétaire contracyclique pour réduire l’écart de production (output gap) : elle assouplit celle-ci lorsque l’activité décélère afin de contrer les pressions déflationnistes et la resserre lorsque l’éco-nomie est en surchauffe. L’objectif peut toutefois être apprécié à moyen terme, ce qui évite une trop forte volatilité des taux directeurs. Une telle stratégie aurait notamment le mérite d’ancrer plus efficacement les anticipations et ainsi d’atteindre plus facilement la cible. En outre, puisque les agents gagnent en certi-tude quant à l’évolution future des prix, ils peuvent plus efficacement prendre leurs décisions, notamment dans leurs choix d’investissement, ce qui favorise la croissance économique. Certains nouveaux keyné-siens ont considéré que la stabilité des prix consti-tuait une condition suffisante pour assurer la stabilité macroéconomique. Selon cette hypothèse, dite de la « divine coïncidence », le contrôle de l’inflation stabi-lise l’emploi et l’activité économique.

Tout au long des années 2000, la plupart des banques centrales ont ainsi ciblé un taux d’inflation de 2 %, un chiffre jugé suffisamment faible pour réduire le risque d’un dérapage de l’inflation et suffisamment élevé pour préserver l’économie de la déflation.

La forte inflation et le retour des économistes libé-raux sur le devant de la scène ont conduit à un profond renouvellement de la théorie et de la pratique de la politique monétaire à partir des années 1970. Les banques centrales avaient laissé filer les taux d’inflation et l’activité s’en trouvait profondément bouleversée. Sur le plan théorique, les travaux de la nouvelle école classique affirmaient à l’époque que la stabilisation des prix constituait le seul objectif que les banques centrales puissent atteindre à long terme et le plus à même de maximiser le bien-être des agents économiques. Ils mettaient en outre l’accent sur la crédibilité des auto-rités monétaires : elles devaient annoncer un objectif précis et s’y conformer. Pour gagner en crédibilité, les banquiers centraux ont alors privilégié le respect de règles décidées ex ante pour mener leur politique moné-taire. Ils ont également délaissé plusieurs instruments pour ne se focaliser que sur un seul : le taux directeur.

Les années 1980 ont été une décennie d’expérimen-tations. Le ciblage de l’offre de monnaie que préconi-sait Milton Friedman pour lutter contre une inflation à deux chiffres a été adopté par de nombreuses banques centrales : selon le monétariste, la croissance de la masse monétaire doit correspondre étroitement à la croissance du PIB afin de stabiliser les prix. Toutefois, la volatilité de la demande de monnaie et des agrégats monétaires a eu rapidement raison d’une telle stra-tégie. Le ciblage du taux de change est quant à lui aban-donné au début des années 1990 avec la multiplication des attaques spéculatives.

La politique monétaire à la croisée des cheminsLa crise mondiale a ébranlé beaucoup de certitudes concernant le fonctionnement de l’économie et les politiques économiques. Avant qu’elle éclate, les banquiers centraux pensaient n’avoir qu’un seul objectif et qu’un instrument à leur disposition. Avec l’assouplissement quantitatif aux États-Unis ou encore la récente expérience monétaire au Japon, les autorités monétaires innovent et se dotent déjà de nouveaux outils. Surtout, elles sont susceptibles de modifier leur mandat afin d’éviter que l’épisode de la Grande Récession ne se reproduise. Plusieurs propositions ont été avancées pour redéfinir les objectifs de la politique monétaire…

Martin Anota, blogueur, professeur de SES au lycée René-Descartes de Champs-sur-Marne (77)

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avec les thèses monétaristes en considérant finale-ment l’inflation comme un phénomène essentielle-ment monétaire : l’accélération des hausses de prix serait engendrée par un excès d’offre de monnaie. Pourtant, base monétaire et niveau général des prix ne connaissent pas forcément les mêmes variations et l’inflation n’est pas nécessairement d’origine moné-taire. Durant les années 1990, la banque centrale du Japon a eu beau alimenter le marché interbancaire de liquidité, l’économie a malgré tout connu une période prolongée de déflation. En outre, le rôle exact qu’ont pu jouer les banques centrales dans le déclin du taux d’inflation depuis les années 1980 reste encore à débattre. La mondialisation fut ces dernières décennies une puissante source de stabilisation des prix. Comme le soutient Kenneth Rogoff [2], l’inté-gration de nombreux pays à faibles coûts salariaux au commerce international a peut-être davantage que l’action des banques centrales permis de maîtriser la dynamique de l’inflation. Elle a également participé à déconnecter davantage l’évolution du niveau des prix de celle de la masse monétaire.

La crise financière de 2007 et ses répercussions sur l’économie réelle ont définitivement balayé la perti-nence de la croyance dans la « divine coïncidence ». La stabilité des prix est peut-être une condition nécessaire à une croissance équilibrée et durable, mais elle paraît toutefois insuffisante pour l’assurer. Une faible inflation contraint également fortement la marge de manœuvre des autorités monétaires durant les crises. En l’occur-rence, lorsque le choc est particulièrement violent, les taux directeurs peuvent atteindre leur borne infé-rieure zéro (zero lower bound) avant même que la banque centrale ait suffisamment stimulé l’économie pour la ramener au plein emploi. Cette contrainte apparaît car les taux directeurs ne peuvent être négatifs. Or, dans une telle situation, l’activité reste durablement déprimée, l’économie est exposée à la déflation et le chômage est

Les banques centrales du Canada et de la Nouvelle-Zélande ont été les premières à adopter une cible de 2 % et à ramener l’inflation à ce niveau au début des années 1990. Mais dans les autres pays développés, la désinflation a davantage été la conséquence fortuite des évolutions conjoncturelles. Aux États-Unis, par exemple, l’inflation s’est certes maintenue à 4 % dans la seconde moitié des années 1980 suite aux actions agressives de Paul Volcker, mais celui-ci n’a pas jugé opportun de la réduire davantage. Elle n’a ralenti par la suite qu’avec les récessions de 1990 et de 2001. Ce n’est que lorsque le taux d’inflation s’est rapproché de 2 % que la Réserve fédérale des États-Unis (Fed) a décidé de cibler ce niveau.

À la veille de la Grande Récession, la stabilité des prix semble assurée dans les pays développés, et ce malgré le choc pétrolier des années 2000. Le taux d’inflation et sa volatilité n’ont cessé de diminuer depuis les années 1980. Cette évolution s’est en outre accompagnée d’une moindre fluctuation du PIB, ce qui a suggéré à beaucoup que la stabilité des prix se tradui-sait effectivement par une plus grande stabilité macro-

économique. Le terme de « grande modération » (great moderation) est apparu pour désigner la nouvelle ère que les années 1990 semblaient inaugurer pour les économies avancées. Les publications académiques et le discours des banquiers centraux mettaient alors en avant le rôle joué par la politique monétaire dans ces évolutions : non seulement les autorités avaient triomphalement gagné la lutte contre l’inflation, mais elles semblaient par là même avoir dompté également le cycle d’affaires.

La mort du ciblage d’inflationPour Jeffrey Frankel [1] 1 , la Grande Récession

marque définitivement « la mort du ciblage d’infla-tion ». Les défauts de cette stratégie sont multiples. Tout d’abord, ses partisans présentent une filiation

1 Les nombres entre crochets renvoient à la bibliographie

en fin d’article.

“ La stabilité des prix est une condition nécessaire à une croissance équilibrée et durable, mais elle paraît insuffisante pour l’assurer ”

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retrouvent face à une trappe à liquidité, mais elle rédui-rait également les coûts de cette dernière si elle surve-nait malgré tout. Une inflation plus élevée élèverait en effet les taux nominaux à long terme, ce qui permet-trait aux autorités monétaires de baisser plus ample-ment leurs taux directeurs. Ainsi, les banques centrales disposeraient d’une plus grande marge de manœuvre pour répondre aux chocs macroéconomiques et pour-raient alors plus facilement restaurer le plein emploi.

Lors des plus graves récessions qui survinrent dans les années 1960 et 1970, les taux d’intérêt nominaux et les taux d’inflation restèrent élevés, si bien que les banques centrales purent fortement réduire leurs taux directeurs pour contrer le ralentissement de l’activité sans s’approcher de la borne inférieure zéro. Ball estime qu’une cible plus élevée aurait permis à la Fed de répondre plus efficacement à la Grande Réces-sion. Si les États-Unis étaient entrés en crise avec une inflation de 4 %, la Fed aurait pu diminuer son taux directeur de deux points supplémentaires et le taux de chômage moyen entre 2010 et 2013 aurait été plus faible de deux points.

En outre, une plus forte inflation contribuerait à réduire la valeur réelle de l’endettement si les banques centrales ne répondaient pas à la hausse des prix en resserrant leur politique monétaire. Ainsi, un relève-ment du taux ciblé par les autorités monétaires facili-terait la reprise de l’activité en accélérant le processus de désendettement, non seulement pour les agents privés, mais aussi pour le secteur public. Historique-ment, l’inflation a effectivement joué un rôle important dans la réduction de la dette souveraine, notamment au sortir de la seconde guerre mondiale où elle a atteint des niveaux historiquement élevés. Un taux d’inflation de 4 % contribuerait également aujourd’hui à atténuer fortement le fardeau de la dette publique. Un relève-ment de la cible poursuivie par les banques centrales

susceptible de demeurer longtemps à un niveau élevé. Le Japon a basculé dans une telle trappe à liquidité au milieu des années 1990 suite à l’éclatement des bulles immobilière et boursière. Plusieurs pays connaissent le même scénario à partir de 2008. Par exemple, la règle de Taylor aurait impliqué que la Fed fixe en 2009 son taux directeur à -5 % [3]. Autrement dit, la banque centrale a eu beau ramener à zéro son taux d’intérêt, ce dernier est resté supérieur de cinq points de pour-centage au niveau nécessaire pour ramener l’économie américaine au plein emploi, rendant ainsi la politique monétaire excessivement restrictive.

Enfin, le ciblage d’un taux d’inflation peut conduire les autorités monétaires à prendre des décisions parti-culièrement dommageables pour l’économie. La Fed maintint ses taux inchangés sur plusieurs mois malgré l’élévation du risque de récession, si bien qu’elle laissa durant un temps la crise financière croître en gravité. Alors que les turbulences s’aggravaient visiblement sur les marchés financiers, le relèvement des taux directeurs en juillet 2008 par la BCE apparaît comme une véritable aberration. La hausse du prix du pétrole

nourrissait certes des tensions inflationnistes, mais les indicateurs ne révélaient pas une demande globale excessivement forte. Ainsi, une banque centrale ciblant l’inflation répond inefficacement aux chocs touchant les termes de l’échange. Elle est par exemple amenée à resserrer sa politique monétaire en réponse à une hausse des prix des matières premières importées alors qu’elle n’a aucune prise sur celle-ci.

Relever la cible d’inflation ?Olivier Blanchard, Paul Krugman et surtout

Laurence Ball [4] ont récemment suggéré que les banques centrales ciblent désormais un taux d’infla-tion de 4 %. Une cible plus élevée diminuerait selon eux non seulement la probabilité que ces dernières se

“ Les coûts macroéconomiques associés à un taux d’inflation de 4 % seraient particulièrement faibles ”

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aujourd’hui ni revenir sur leur objectif de stabilité des prix, ni entreprendre une quelconque action qui pour-rait compromettre leur crédibilité. Or, selon Ball, les anticipations d’inflation ont plutôt tendance à suivre l’inflation avec un certain délai. Elles ne devraient donc pas surréagir à un modeste relèvement de la cible. Et si les autorités monétaires ont effectivement acquis une crédibilité, rien ne suggère que l’adoption d’une nouvelle cible d’inflation la remette en cause.

Réagir aux prix d’actifs ?Ces dernières décennies ont été marquées par une

plus grande volatilité des prix des actifs (actions, obli-gations, logements, etc.). Ceux-ci peuvent ainsi régu-lièrement connaître des périodes de hausses rapides, en général alimentées par le crédit et très souvent suivies par de violents effondrements. De nombreux marchés boursiers et immobiliers, ont connu la forma-tion de bulles spéculatives au cours des années 2000 dans les pays avancés : la hausse des cours boursiers et des prix immobiliers y a alimenté le crédit et celui-ci a nourri en retour la spéculation. Si ces dynamiques stimulent dans un premier temps la croissance écono-mique, le retournement des prix d’actifs provoque un large mouvement de désendettement et conduit à un ralentissement de l’activité. La crise du crédit subprime et la Grande Récession qui s’ensuivit ont été l’abou-tissement d’une telle accumulation de déséquilibres.

L’une des questions qui se pose est de savoir si la poli-tique monétaire doit répondre au gonflement des bulles spéculatives. Le rôle de la politique monétaire face aux prix d’actifs faisait déjà l’objet d’un intense débat avant la crise du crédit subprime. L’idée partagée par de nombreux théoriciens et banquiers centraux était alors que les banques centrales ne devaient qu’assurer la stabilité des prix et minimiser l’output gap. Dans cette optique, la politique monétaire ne devrait répondre aux variations des prix d’actifs que si ces derniers amènent la banque centrale à réviser ses anticipations d’inflation. Par exemple, si les cours boursiers augmen-tent, les actionnaires profiteraient de l’appréciation de leur patrimoine pour consommer davantage (effet de richesse). Le surcroît de demande qui en résulterait serait alors susceptible de pousser les prix à la hausse. Les autorités monétaires devraient ainsi tenir compte de l’effet de richesse associé aux booms boursiers lorsqu’elles doivent définir leur politique monétaire.

Pour certains, la stabilité des prix contribue elle-même à renforcer la stabilité financière. Selon la

aurait par ce biais un impact indirect sur l’activité : en desserrant les contraintes pesant sur la politique budgétaire, une telle réorientation de la politique monétaire permettrait aux autorités budgétaires de retarder l’ajustement de leurs finances publiques, voire de mettre en œuvre des mesures de relance.

Outre ces bénéfices, Ball note que les coûts macro-économiques associés à un taux d’inflation de 4 % seraient particulièrement faibles. La théorie néoclas-sique a recherché les différents coûts d’une instabilité des prix. Entre autres, l’inflation empêche les agents d’identifier les variations des prix relatifs, ce qui les amène à prendre de mauvaises décisions d’investisse-ment et de consommation. La stabilité des prix serait alors essentielle pour que les ressources soient effi-cacement allouées dans l’économie. De plus, l’infla-tion provoque une redistribution des richesses au détriment des prêteurs. Elle pousse ainsi ces derniers à exiger de plus hauts taux d’intérêt nominaux pour compenser leur perte de pouvoir d’achat, si bien qu’elle accroît les taux d’intérêt réels et déprime ainsi l’investissement. Plus largement, l’instabilité des prix constituerait une source d’incertitude susceptible de réduire les incitations à investir.

Toutefois, les analyses empiriques ne parviennent pas à saisir l’impact macroéconomique de l’inflation, et ce même si celle-ci atteint deux chiffres. Ball rappelle ainsi que les estimations d’un éventuel seuil à partir duquel l’inflation deviendrait nuisible pour la croissance économique varient fortement d’une étude à l’autre. Par exemple, Michael Sarel [5] estime que l’inflation est neutre pour la croissance tant qu’elle reste inférieure à 8 %. De leur côté, Michael Bruno et William Easterly [6] ne parviennent pas à faire ressortir une quelconque relation entre l’inflation et la croissance pour des taux d’inflation inférieurs à 40 % ; en revanche, une relation négative entre les deux variables apparaît à partir de ce seuil. Dans tous les cas, ces études suggèrent qu’une inflation de 4 % ne serait pas plus dommageable pour l’activité qu’un niveau de 2 %.

Si les avantages apportés par une modeste accélé-ration de l’inflation apparaissent supérieurs aux coûts qui lui sont associés, les autorités monétaires restent toutefois réticentes à relever leur cible. Si les antici-pations d’inflation n’étaient plus ancrées à un faible niveau, les banques centrales craignent que l’inflation ne tende rapidement à s’accélérer. L’expérience infla-tionniste des années 1970 a profondément marqué la réflexion des banquiers centraux. Ils ne désirent

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(paradox of credibility) mis en avant par les économistes de la Banque des règlements internationaux et en particulier par Claudio Borio [7], les banques centrales contribuent elles-mêmes à insuffler un faux sentiment de sécurité. Rassurés à l’idée que la banque centrale interviendra si l’activité est menacée, les agents écono-miques prennent davantage de risques. Or la stabilité des prix des biens et services, en suggérant trompeu-sement que la stabilité macroéconomique est assurée, dissimule aux yeux des banquiers centraux l’accumu-lation de déséquilibres sur les marchés d’actifs. Les bulles vont croître jusqu’à devenir insoutenables, ce qui élève le risque qu’une puissante déflation s’amorce lorsque les prix d’actifs se retournent.

Puisque les épisodes de hausses rapides des prix d’actifs se soldent souvent par une crise financière et par une forte contraction de l’activité économique, certains appellent les banques centrales à réagir préventivement en relevant les taux directeurs lors de booms sur les marchés d’actifs pour limiter l’ampleur de la spéculation. En faisant éclater la bulle au plus tôt, les autorités monétaires épargneraient à l’économie de graves crises financières. Cette question d’un éventuel ciblage des prix d’actifs se pose à nouveau aujourd’hui, puisque la faiblesse des taux directeurs et les mesures non conventionnelles de politique moné-taire sont susceptibles de stimuler les prises de risque inconsidérées et d’alimenter des bulles. En effet, si les autorités monétaires doivent réagir à une crise finan-cière en baissant leurs taux directeurs, le relâchement des conditions de financement qui s’ensuit est suscep-tible d’alimenter une nouvelle bulle, en particulier si l’assouplissement monétaire est durable. Certains accusent ainsi la Fed d’avoir été responsable de la bulle immobilière aux États-Unis en laissant ses taux direc-teurs trop longtemps trop bas suite à l’éclatement de la bulle Internet en 2000 et préconisent aujourd’hui de resserrer rapidement la politique monétaire pour éviter qu’un tel scénario ne se reproduise.

Ben Bernanke et Mark Gertler [8] sont très critiques vis-à-vis du ciblage des prix d’actifs. Selon eux, si les banques centrales répondaient systématiquement aux hausses de cours boursiers en resserrant leur politique monétaire, ce resserrement n’aurait pas le même impact sur l’économie suivant les causes de cet essor. En l’occurrence, si la hausse des cours est effectivement due à des mouvements spéculatifs, le relèvement des taux directeurs pourrait a priori réduire les compor-tements spéculatifs. En revanche, si elle est causée par

conception monétariste, la volatilité du niveau général des prix brouille les perspectives de rendements futurs, ce qui fragilise l’activité de crédit. Puisque l’inflation conduit les agents à surestimer la rentabilité des projets d’investissement et par conséquent la capacité de remboursement des emprunteurs, les taux de défaut de paiement sont susceptibles de s’élever, les prêteurs de faire faillite et les réactions en chaîne d’amorcer une crise financière. Ainsi, la stabilité des prix permet aux investisseurs et épargnants de mieux juger des oppor-tunités de profit et l’économie alloue alors plus effica-cement les facteurs dans l’économie.

Pour d’autres, au contraire, la stabilité des prix est loin de garantir la stabilité financière. Des autorités moné-taires qui se focaliseraient sur le maintien de la stabilité des prix peuvent ainsi laisser l’expansion du crédit se poursuivre à un rythme soutenu et les déséquilibres macrofinanciers s’accumuler au seul motif que ceux-ci ne se traduisent pas par des pressions inflationnistes. Or il y a effectivement eu une déconnexion entre les prix des biens et services et les prix des actifs ces dernières décennies : les premiers tendent à rester stables, tandis que les seconds ont fortement gagné en volatilité. Une forte expansion du crédit ne se traduit plus par une accélération de l’inflation « normale », mais par une inflation financière. La réaction des banques centrales risque alors d’être asymétrique : elles n’ajustent pas leur taux directeur lorsque les prix d’actifs s’envolent, mais elles assouplissent en revanche puissamment leur poli-tique monétaire lorsque les prix d’actifs s’effondrent car leur chute est susceptible de déprimer l’activité économique et d’amorcer un processus déflation-niste. Autrement dit, elles ne réagissent aux bulles que lorsqu’elles éclatent, or rien ne certifie que leur action sera alors suffisante pour restaurer la stabilité financière. De tels échecs ont déjà marqué l’histoire. La Grande Dépression des années 1930 ou l’éclatement des bulles spéculatives au Japon à la fin des années 1980 sont le fruit de déséquilibres sur les marchés d’actifs qui se sont accumulés dans un contexte de faible inflation.

Non seulement la stabilité des prix n’est dès lors pas suffisante pour assurer la stabilité macroécono-mique, mais elle peut aussi alimenter les déséquilibres financiers en incitant à la prise de risque de la part des institutions financières. La baisse des rendements obligataires et des primes de risque, dans un environ-nement de faibles taux d’intérêt, incite ces dernières à user des opérations à fort effet de levier dans leur quête de rentabilité. Selon le paradoxe de la crédibilité

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production potentielle d’une économie ou le NAIRU, deux indicateurs qui jouent un rôle important dans la conduite actuelle de la politique monétaire et que les banques centrales cherchent régulièrement à estimer.

D’autres arguments amènent toutefois à rester prudent quant à l’introduction de la stabilité des prix d’actifs dans les objectifs des banques centrales [10]. Par exemple, les canaux de transmission de la poli-tique monétaire demeurent encore imprécis, donc les autorités monétaires ne peuvent anticiper la réaction exacte des prix d’actifs et des autres variables écono-miques à un ajustement donné des taux directeurs. Ensuite, le resserrement monétaire pourrait se révéler insuffisant pour dissiper la spéculation ; en revanche, il peut déstabiliser les marchés d’actifs où la spéculation est absente et, plus largement, pénaliser la croissance économique. Les banques centrales doivent fortement relever leur taux d’intérêt pour espérer influencer

significativement les prix d’actifs, mais cette action serait particulièrement nuisible à l’activité. Enfin, si elles poursuivaient explicitement un objectif de stabilité des prix d’actifs, les marchés pourraient être excessivement confiants dans leur capacité à assurer la stabilité financière. Les agents seraient alors incités à prendre encore davantage de risques.

Si les banques centrales tirent les véritables enseigne-ments de la Grande Récession, elles devront à l’avenir davantage se préoccuper de la stabilité financière. Si le taux directeur est un instrument trop grossier pour stabiliser les prix d’actifs, alors même que l’objectif de stabilité financière apparaît essentiel pour la conduite de la politique monétaire, elles doivent nécessairement se doter d’outils supplémentaires pour atteindre cet objectif. Tout en se tournant vers la lutte contre l’in-flation, elles avaient délaissé plusieurs instruments de politique monétaire, tel l’encadrement du crédit, lors des années 1970 et 1980. Les récentes études ont pour-

des gains de productivité, cette hausse reste cohérente avec les fondamentaux, si bien que la banque centrale ne peut qu’endommager l’activité en resserrant sa politique monétaire. Les banques centrales doivent alors nécessairement déterminer si la hausse des cours est justifiée ou non au regard des fondamentaux avant d’ajuster leurs taux. Or il est très difficile de déter-miner si la hausse d’un prix résulte de la spéculation, a fortiori en temps réel. Bernanke et Gertler rejettent par conséquent l’idée de cibler les prix d’actifs. Les banques centrales vont en revanche naturellement contenir les emballements spéculatifs en se conten-tant de réagir sévèrement à l’inflation. Si la hausse des cours boursiers est due à la spéculation, la hausse résul-tante de la demande globale via les effets de richesse se traduira par une accélération de l’inflation, si bien qu’une banque centrale recherchant la seule stabilité des prix relèvera mécaniquement ses taux directeurs

et la spéculation s’en trouvera atténuée. En revanche, si la hausse des cours boursiers est due à des gains de productivité, la banque centrale n’a alors aucune raison d’intervenir à l’égard du boom boursier : ceux-ci, en accroissant l’offre, poussent les prix des biens et services à la baisse, si bien que la banque centrale pour-rait même avoir à diminuer ses taux directeurs pour stimuler la demande et éviter la déflation.

Le raisonnement de Bernanke et Gertler rencontre au moins deux objections. D’une part, la moindre capa-cité de l’inflation des prix d’actifs à se traduire par une inflation des prix des biens et services ne permet pas au ciblage d’inflation d’assurer la stabilité financière. D’autre part, comme l’affirment Stephen Cecchetti et ses coauteurs [9], déceler une déconnexion des prix d’actifs d’avec leurs fondamentaux est certes difficile, mais pas impossible. Distinguer entre les compo-santes fondamentale et spéculative des hausses de prix d’actifs n’est pas plus difficile que de déterminer la

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limite inférieure zéro, elle met en place des mesures non conventionnelles telles que l’assouplissement quan-titatif (quantitative easing) mené par la Fed ces dernières années. Si les autorités monétaires ratent la cible au cours d’une année, elles cherchent de nouveau à l’at-teindre l’année suivante pour que l’économie suive à long terme un sentier stable de croissance nominale.

Selon Nick Rowe [11], le ciblage du PIB nominal permet une répartition plus efficace du risque. En effet, de nombreux contrats de long terme, notam-ment les obligations, voient leurs paiements fixés à l’avance en termes nominaux et sont difficilement renégociables. Si la politique monétaire cible un taux d’inflation, le prêteur est pleinement assuré contre les changements imprévus dans le PIB réel futur ; le risque repose entièrement sur l’emprunteur. Ce dernier subit une plus forte détresse financière lorsque survient un choc réel négatif. Un PIB nominal inférieur à son niveau anticipé empêche les emprunteurs d’obtenir les revenus attendus et complique le remboursement

de leur dette. En revanche, un ciblage du PIB nominal répartit également le risque de chocs de productivité non anticipés entre l’emprunteur et le prêteur.

Ensuite, si le ciblage du niveau nominal du PIB est aussi performant que le ciblage d’inflation en ce qui concerne la gestion des chocs de demande globale, il s’avère en revanche plus performant face aux chocs d’offre globale [12 et 13]. En effet, la politique moné-taire ne pouvant effectivement contrer que les chocs de demande globale, la banque centrale doit par consé-quent discerner la nature du choc touchant l’économie. Or l’évolution du niveau général des prix est difficile-ment interprétable. S’il y a une soudaine accélération de l’inflation, celle-ci peut avoir été engendrée par un choc de demande positif ou bien par un choc d’offre négatif. Une banque centrale ciblant exclusivement l’inflation réagirait en relevant automatiquement ses taux direc-

tant confirmé le rôle central joué par ce dernier dans le gonflement des bulles spéculatives ; en outre, les crises sont d’autant plus sévères que le crédit a initialement alimenté les déséquilibres. Les banques centrales n’ont peut-être pas à ajuster leurs taux pour stabiliser les bulles spéculatives, mais elles peuvent toujours redéployer certains instruments qu’elles jugeaient il y a encore peu de temps archaïques pour assurer la stabilité financière.

Cibler le PIB nominal ?La jeune école de pensée qualifiée de « monéta-

risme de marché » (market monetarism), dont les fonde-ments théoriques empruntent aux réflexions d’Irving Fisher, Ralph Hawtrey et surtout Friedman, préconise le ciblage du PIB nominal (nominal GDP targeting). Si le concept n’est pas totalement nouveau, la crise a suscité une vague d’engouement à son égard. Mark Carney, le nouveau gouverneur de la Banque d’Angleterre, et Christina Romer, pressentie pour succéder à Bernanke à la tête de la Fed, ont tous deux affiché leur intérêt

pour le ciblage du PIB nominal. Et pour cause : son adoption par les banques centrales devrait selon ses partisans – en premier lieu Scott Sumner et David Beckworth – renforcer la stabilité macroéconomique et accélérer la reprise.

Les monétaristes de marché préconisent l’adoption d’une cible de croissance du PIB nominal de 5 %, ce qui correspondrait à environ 2 % d’inflation et 3 % de croissance du PIB réel pour les économies avancées. Les autorités monétaires disposeraient pour atteindre cette cible des mêmes moyens qu’une banque centrale ciblant l’inflation. Si le niveau anticipé du PIB nominal est supérieur au niveau ciblé, la banque centrale relève ses taux directeurs et réduit la liquidité bancaire à travers ses opérations d’open market. S’il est au contraire infé-rieur au niveau ciblé, elle diminue ses taux directeurs et élargit la liquidité bancaire. Si les taux atteignent leur

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tout objectif de stabilité des prix, mais elles devraient donner malgré tout à l’avenir une place plus impor-tante au plein emploi et surtout à la stabilité financière. Les autorités monétaires pourraient ainsi quelque peu revenir à leur mandat originel. La Fed a par exemple été créée il y a un siècle en réponse à la panique de 1907 avec pour rôle de fournir toute la liquidité nécessaire afin de soutenir les banques lors des crises financières. Les événements de la Grande Dépression démontrent qu’elle a échoué dans cette tâche, mais les objectifs de la politique monétaire ont par la suite été suffisam-ment adaptés – et le cadre réglementaire suffisamment renforcé – pour assurer plusieurs décennies de stabilité macroéconomique et financière dans les pays avancés, au point que les banquiers centraux eux-mêmes ont fini par considérer les crises financières comme le lot des seuls pays en développement. Rien n’empêche les autorités monétaires de redéfinir à nouveau judicieuse-ment leurs objectifs de politique monétaire.

teurs. S’il s’agit d’un choc positif de demande globale, le resserrement de la politique monétaire stabiliserait en principe la dynamique des prix en neutralisant l’excès de demande. S’il s’agit en revanche d’un choc négatif d’offre globale, la réaction de la banque centrale dépri-merait davantage l’activité économique. Un ciblage du niveau nominal du PIB épargnerait un tel dilemme à la banque centrale, puisque la politique monétaire ne répondrait alors qu’aux seuls chocs de demande globale. Si un choc de productivité positif survenait et accroissait l’offre globale, le ciblage du PIB nominal impliquerait un taux de croissance réelle et un taux d’inflation respec-tivement supérieur et inférieur aux niveaux normaux. Une banque centrale ciblant l’inflation répondrait au choc en stimulant davantage l’économie et en alimen-tant alors la formation de bulles.

En définitive, si les banques centrales avaient adopté le ciblage du PIB nominal, elles auraient réagi plus rapi-dement au cours de la crise. La Fed, faisant face à une inflation sous-jacente persistante, maintint ses taux à 2 % entre avril et octobre 2008 alors que l’activité économique déclinait. La croissance du PIB nominal devint négative au cours du troisième trimestre ; au quatrième, la dépense totale dans l’économie améri-caine déclina au rythme annualisé de 8,4 %. Le ciblage du niveau nominal du PIB aurait poussé la Fed à assou-plir plus rapidement sa politique monétaire et ainsi réduire l’ampleur de la crise [14].

Actuellement, poursuivre une cible d’inflation ne peut que contraindre la reprise économique en lui imposant un rythme plafond. Les banques centrales devraient chercher à ramener l’économie sur le sentier de croissance nominale qu’elle suivait avant la Grande Récession. Les monétaristes de marché recom-mandent ainsi que les banques centrales permettent une période de rattrapage au cours de laquelle l’acti-vité croîtrait à un taux supérieur à sa valeur tendan-cielle pour combler le retard accumulé, et ce même si cela est source d’inflation.

ConclusionLa politique monétaire, telle qu’elle est pensée et

mise en œuvre, va sortir transformée de la Grande Récession, comme elle le fut suite à la Grande Dépres-sion des années 1930 ou aux chocs pétroliers. Peut-être a-t-elle contribué à l’accumulation des déséquilibres ; dans tous les cas, elle n’a de toute évidence pas été suffisamment efficace pour contenir la crise mondiale. Les banques centrales vont difficilement abandonner

[1] franKeL J., « The Death of Inflation Targeting », Project Syndicate, 16 mai 2012.[2] roGoff K., « Globalization and Global Disinflation », discours à la Federal Reserve Bank of Kansas City Conference, 29 avril 2003.[3] ruDebuscH G., « The Fed’s Monetary Policy Response to the Current Crisis », FRBSF Economic Letter, n° 17, 22 mai 2009.[4] baLL L., « The Case for 4% Inflation », Banque Centrale de la République de Turquie, Central Bank Review, vol. XIII, mai 2013.[5] sareL m., « Nonlinear Effects of Inflation on Economic Growth », IMF Working Paper, n° 95-96, 1995.[6] bruno m., easterLy w., « Inflation and Growth: In Search of a Stable Relationship », Federal Reserve Bank of St. Louis Review, vol. LXXVIII, n° 3, 1996.[7] borio c., enGLisH w., fiLarDo a., « A Tale of two Perspectives: Old or New Challenges for Monetary Policy », BIS Working Paper, n° 127, février 2003.[8] bernanKe b., GertLer m., « Should Central Banks Respond to Movements in Asset Prices? », The American Economic Review, vol. XCI, n° 2, mai 2001.[9] ceccHetti s., GenberG H., LipsKy J., waDHwani s., « Asset Prices and Central Bank Policy », The Geneva Report on the World Economy, n° 2, 2000.[10] bernanKe b., « Asset-price “Bubbles” and Monetary Policy », discours prononcé à New York, 15 octobre 2002.[11] rowe n., « Three Arguments for NGDP Targeting », Worthwhile Canadian Initiative (blog), 28 avril 2012.[12] becKwortH D., « Target the Cause not the Symptom », Macro and Other Market Musings (blog), 21 mars 2010.[13] becKwortH D., « The Case for Nominal GDP Targeting », Macro and Other Market Musings (blog), 22 décembre 2010.[14] avent r., « Understanding NGDP Targeting », Free Exchange (blog), 25 août 2011.

bLancHarD o., DeLL’ariccia G., mauro p., « Rethinking Macro Policy II: Getting Granular », IMF Staff Discussion Note, n° SDN/13/03, avril 2013.LevieuGe G., « Politique monétaire et prix d’actifs : quelles issues ? », Revue de l’OFCE, n° 93, avril 2003.mesonnier J.-s., « Le paradoxe de la crédibilité en question », Bulletin de la Banque de France, n° 122, février 2004.raGot x., Les Banques centrales dans la tempête. Pour un nouveau mandat de stabilité financière, Éditions Rue d’Ulm/Presses de l’École normale supérieure, 2012.

Références bibliographiques

Bibliographie complémentaire

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