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THEME n° 4 : LA POLICE ADMINISTRATIVE Au sens de la police administrative il y a lieu d’identifier un ordre public matériel, traditionnellement exprimé aux travers des pouvoirs de police du maire. Reprenant les dispositions venues de la loi municipale du 4 avril 1884, l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales prévoit que : « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». La sauvegarde de l’ordre public est considérée par le Conseil Constitutionnel comme un objectif de valeur constitutionnelle, pouvant justifier des restrictions des libertés (Conseil Constitutionnel, 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité publique). Plus récemment, la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure proclame que la sécurité « est un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives ». Terme classique, les libertés publiques se définissent comme celles qui sont reconnues, organisées et garanties par l’autorité publique. Elles se distinguent de la liberté individuelle, que l’article 66 de la Constitution place sous le contrôle de l’autorité judiciaire et dont le Conseil constitutionnel a précisé qu’elle correspondait plutôt aux valeurs de l’habeas corpus britannique. La nature même des mesures de police étant de restreindre l’exercice des libertés, il apparait que l’ordre public doit se concilier avec le respect de ces libertés. Le principe, ancien, est sans ambiguïté exprimé dans la jurisprudence du Conseil d’Etat. Dans les conclusions du commissaire gouvernement Corneille sur l’arrêt Baldy, rendu par le Conseil d’Etat le 10 août 1917 : « Pour déterminer l’étendue du pouvoir de police dans un cas particulier, il faut toujours se rappeler que les pouvoirs de police sont toujours des restrictions aux libertés des particuliers, que le point de départ de notre droit public est dans l’ensemble les libertés des citoyens, que la Déclaration des droits de l’homme est, implicitement ou explicitement au frontispice des constitutions républicaines, et que toute controverse de droit public doit, pour se calquer sur les principes généraux, partir de ce point de vue que la liberté est la règle et la restriction de police l’exception ». I – Connaissances de bases A) La notion de Police administrative.

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Page 1: LA POLICE ADMINISTRATIVE - Institut Supérieur de ... · traditionnellement exprimé aux travers des pouvoirs de police du maire. Reprenant les dispositions venues de la loimunicipale

THEME n° 4 : LA POLICE ADMINISTRATIVE

Au sens de la police administrative il y a lieu d’identifier un ordre public matériel, traditionnellement exprimé aux travers des pouvoirs de police du maire. Reprenant les dispositions venues de la loi municipale du 4 avril 1884, l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales prévoit que : « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». La sauvegarde de l’ordre public est considérée par le Conseil Constitutionnel comme un objectif de valeur constitutionnelle, pouvant justifier des restrictions des libertés (Conseil Constitutionnel, 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité publique). Plus récemment, la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure proclame que la sécurité « est un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives ».

Terme classique, les libertés publiques se définissent comme celles qui sont reconnues, organisées et garanties par l’autorité publique. Elles se distinguent de la liberté individuelle, que l’article 66 de la Constitution place sous le contrôle de l’autorité judiciaire et dont le Conseil constitutionnel a précisé qu’elle correspondait plutôt aux valeurs de l’habeas corpus britannique.

La nature même des mesures de police étant de restreindre l’exercice des libertés, il apparait que l’ordre public doit se concilier avec le respect de ces libertés. Le principe, ancien, est sans ambiguïté exprimé dans la jurisprudence du Conseil d’Etat. Dans les conclusions du commissaire gouvernement Corneille sur l’arrêt Baldy, rendu par le Conseil d’Etat le 10 août 1917 : « Pour déterminer l’étendue du pouvoir de police dans un cas particulier, il faut toujours se rappeler que les pouvoirs de police sont toujours des restrictions aux libertés des particuliers, que le point de départ de notre droit public est dans l’ensemble les libertés des citoyens, que la Déclaration des droits de l’homme est, implicitement ou explicitement au frontispice des constitutions républicaines, et que toute controverse de droit public doit, pour se calquer sur les principes généraux, partir de ce point de vue que la liberté est la règle et la restriction de police l’exception ».

I – Connaissances de bases

A) La notion de Police administrative.

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C’est l’ensemble des opérations prescriptives et matérielles par lesquelles les personnes publiques tentent de prévenir les atteintes à l’ordre public.

La police administrative se caractérise par :

- son caractère essentiellement préventif

- la référence à l’ordre public.

1) La distinction police administrative et police judiciaire : le critère finaliste de distinction.

C’est un critère qui permet de distinguer la police administrative de la police judiciaire.

Les mesures de police administrative interviennent pour éviter les troubles à l’ordre public. La police judiciaire a pour objet la répression des atteintes supposées ou avérées à l’ordre public.

Le TC se fonde sur le critère de l’ « infraction déterminée » : les opérations qui ne visent pas à la répression d’une infraction pénale déterminée relèvent de la police administrative (TC, Noualek, 7 juin 1951 et CE, Sect, 11 mai Baud, 1951).

Pour qu’il y ait activité de police judiciaire, il est nécessaire que l’action soit entreprise en raison d’une infraction déterminée, que cette dernière :

- soit sur le point d’être commise (TC, 27 juin 1955, Dame Barbier) ;

En l’espèce, il s’agissait d’une opération de police destinée à prendre en flagrant délit des trafiquants d’or. L’infraction n’était pas encore commise, mais elle était sur le point de l’être.

- puisse être commise (TC, 15 juillet 1968, Consorts Tayeb) ;

En l’espèce, il s’agissait d’une opération menée en raison du comportement suspect d’un individu. Peu importe que l’infraction soit in fine commise ou non, l’important est que tout semblait indiquer qu’elle le serait.

- soit effectivement commise (CE Sect., 11 mai 1951, Consorts Baud) ;

- soit, semble-t-il, commise mais en raison de faits qui sont en réalité non délictueux (CE, 18 mai 1981, Consorts Ferran) ;

La distinction est difficile lorsqu’une seule et même opération relève successivement de la police administrative puis de la police judiciaire. Il faut alors déterminer l’opération dominante (TC, 10 mars 1978, Sté le Profil). Une opération de police administrative peut se transformer en une activité de police judiciaire (TC, 15 décembre 1977, Demoiselle Motsch). Une activité de police administrative tendant au contrôle des identités des conducteurs d’automobile sur une route peut se transformer en une activité de police judiciaire lorsqu’un véhicule force le barrage installé.

Inversement, une activité de police judiciaire peut se transformer en une activité de police administrative. C’est le cas lors de la mise en fourrière d’un véhicule (police judiciaire) puis de sa garde en fourrière (police administrative) (CE, 18 mai 1981, Consorts Ferran).

La distinction a une double conséquence :

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- Elle détermine la compétence juridictionnelle : le juge administratif est compétent pour contrôler la légalité des mesures de police administrative ainsi que pour en indemniser les conséquences dommageables.

- Elle détermine la personne qui est susceptible de voir sa responsabilité engagée : seul l’Etat dispose du pouvoir de police judiciaire, alors que le pouvoir de police administrative est partagé entre plusieurs personnes publiques.

L’arrêt du CE en date du 9 décembre 2015 AGRIF apporte une précision sur le rôle de la police administrative. S’agissant des pouvoirs des autorités de police administrative, l’arrêt habilite ces dernières à édicter des actes destinés à « prévenir la commission des infractions pénales susceptibles de constituer un trouble à l’ordre public », précisant l’ordonnance « Dieudonné » du 9 janvier 2014 qui avait prévu « qu’il appartient (…) à l’autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises ». Cette précision est bienvenue car l’arrêt « Commune de Cournon d’Auvergne » n’avait pas reproduit un tel énoncé de sorte que des interrogations demeuraient à ce sujet. La portée de l’arrêt présenté est, sous ce rapport, double : d’une part, elle permet de mieux distinguer la police administrative de la police judiciaire, seule police inhérente à la prévention ou la cessation des infractions ; d’autre part, elle prend acte de ce que toutes les infractions ne sont pas ipso facto constitutives d’un trouble à l’ordre public. Cette dernière précision est primordiale car l’énoncé de l’ordonnance du 9 janvier 2014 habilitait les autorités de police administrative à empêcher la commission de toute infraction, ce qui revêtait un caractère potentiellement restrictif des libertés. Elle n’est pas sans constituer une évolution de la notion.

2) Une mesure fondée sur l’ordre public : une notion à contenu variable

La définition de l’ordre public est essentielle en ce qu’elle permet de déterminer l’étendue du pouvoir de police administrative : l’autorité administrative ne peut adopter une mesure de police que si celle-ci est fondée sur une composante de l’ordre public. Dans le cas contraire la mesure serait illégale en raison d’un détournement de pouvoirs.

L’ordre public inclut le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques (art L 2212-2 du CGCT) c’est à dire l’ « apparence des choses » (les troubles extérieurs visibles, les troubles matériels et extérieurs selon Hauriou).

La jurisprudence reconnait d’autres composantes à l’ordre public.

Tout d'abord il convient de s'arrêter sur l'esthétique en tant que composante de l'ordre public.

On est porté à répondre par la négative au vu de certains arrêts du Conseil d'État. En effet, celui-ci a parfois rangé au nombre des buts légaux du pouvoir de police la sauvegarde de l'esthétique. L'état du droit jurisprudentiel est diversement orienté. Ce qui explique la prise en compte par le législateur de la protection de l'environnement ou des monuments historiques.

Mais le Conseil rappelle ici et là que, en annulant certains arrêtés de police au motif que les situations que voulaient réglementer les maires ne portaient pas atteintes à "la salubrité la tranquillité et la sécurité publiques". Si le Conseil d'État avait admis la légalité d'une activité

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de police motivée pour la sauvegarde de l'esthétique semble tout de même être rejeté des composantes de l'ordre public (CE, 11 mars 1983, Commune de Bures-sur-Yvette).

Le juge administratif inclut également des composantes plus subjectives comme la moralité publique (CE, 18 décembre 1959, Sté les films Lutétia ou CE, 8 décembre 1997, Commune d’Arcueil). Mais ce fondement est admis de façon restrictive, à propos de de la projection d’œuvre cinématographique ou bien dans le cadre de la lutte contre la pornographie. Le juge exige, en outre, des circonstances locales particulières, ce qui permet d’éviter une utilisation abusive de la moralité (CE, 8 juillet 2005, Commune de Houilles, à propos de l’ouverture d’un sex-shop dans une rue fréquentée par des mineures). Elle permet, en outre l’exercice de la police spéciale du cinéma du ministre de la culture (CE, sect, 30 juin 2000, association Promouvoir)

Une atteinte à la dignité de la personne humaine peut légalement fonder une mesure de police administrative (CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge) sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence de circonstances locales particulières.

Plus récemment, le Conseil d’Etat a validé l’interdiction du préfet d’interdire la distribution à des personnes sans domicile fixe d’une soupe au cochon, en raison des « risques de réaction à ce qui est conçu comme une démonstration susceptible de porter atteinte à la dignité des personnes privées du secours proposé et de causer ainsi des troubles à l’ordre public » (CE, 5 janvier 2007, Ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire c. Association « Solidarité des français », confirmé par CEDH, 16 juin 2009, Association Solidarité des Français).

Reste que la protection de l'ordre public est un intérêt supérieur à celui de la liberté individuelle. La question s'est posée concernant la protection des individus contre eux-mêmes.

Le Conseil d'État a en effet reconnu la légalité du décret du 28 juin 1973 portant obligation pour les conducteurs de véhicule à deux roues de porter un casque et la ceinture de sécurité pour les automobilistes.

Enfin concernant le principe de libre concurrence : CE, Avis, 22 novembre 2000, Société L&P Publicité, les autorités ne doivent pas par leur activité compromettre le principe de libre de concurrence mais il n’appartient pas à cette autorité de faire respecter ce principe.

B) Les autorités de police administrative

Il convient de distinguer pouvoir administrative générale et spéciale puis d’identifier les détenteurs du pouvoir de police.

Distinction du pouvoir de police générale et spéciale et concours de police.

La police générale recouvre de multiples hypothèses dès lors que l’ordre public est menacé.

Elle consiste en un pouvoir reconnu à certaines autorités d’adopter sur le territoire pour lequel elles sont compétentes un ensemble de mesures tendant à la protection de l’ordre public.

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La police spéciale est instituée par un texte spécifique qui en limite le domaine, qui définit les autorités compétentes, et les procédures applicables, ainsi que l’objectif poursuivi.

>>> Les autorités compétentes

Si les ministres n’ont pas le pouvoir de police administrative générale, ils peuvent avoir un pouvoir de police spéciale (exemple : le ministre de l’intérieur s’agissant de la police des publications étrangères ou des publications à destination de la jeunesse ou encore police des étrangers ; ministre de la culture pour la police du cinéma consistant à octroyer les visas d’exploitation…). La même autorité peut détenir un pouvoir de police administrative spéciale et générale (exemple : le préfet ou le maire).

>>> Les domaines d’intervention

La PAS a un champ d’action limité à des catégories de personnes précises (police des nomades), des activités (jeux, chasses, pêche) ou des lieux (bâtiments accueillant du public).

>>> Le régime

L’exercice du pouvoir de PAS est en général encadré par des règles précises (Consultation de certaines commissions…)

>>> La notion d’Ordre Public

Parfois plus étendue (l’esthétique pour la police de l’affichage, la protection de l’environnement…)

Les concours de police

Compte tenu de la grande diversité des pouvoirs de police (autorités de PAG ou de PAS ; autorités nationales, locales…) il est nécessaire de déterminer les conditions dans lesquelles les différentes mesures de police peuvent se combiner.

Il faut distinguer trois hypothèses :

>>> Le concours de mesures de police générale

Il est possible, mais la mesure prise par l’autorité locale doit être moins libérale que celle adoptée par l’autorité nationale, et justifiée par des circonstances locales particulières (CE, 18 avril 1902, Commune de Néris-les-bains).

>>> Le concours des polices administratives générales et spéciales

Il est dépendant de l’importance des pouvoirs conférés à l’autorité de police spéciale.

Lorsque cette dernière dispose d’une attribution exclusive, aucune intervention de l’autorité de police générale n’est possible par principe (exemple : la police des gares et aéroports exercée par le préfet). Seule une situation d’urgence ou de péril imminent pourra justifier une intervention de l’autorité de PAG. Ce principe a été affirmé dans l’arrêt du CE du 29 septembre 2003, Houillères du bassin de Lorraine : « Considérant que, s'il appartient au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité

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publiques, la police spéciale des installations classées a été attribuée au préfet et, à l'échelon national, au gouvernement par la loi du 19 juillet 1976 ; qu'en l'absence de péril imminent, le maire ne saurait s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale »).

De même lorsque les pouvoirs de PAS et de PAG sont entre les mains d’une seule et même autorité, seul un péril imminent peut justifier l’utilisation des pouvoirs de PAG au détriment des pouvoirs de PAS (CE, 10 octobre 2005, Commune de Badinières).

Dans les autres hypothèses, l’autorité de police générale peut intervenir dans des conditions semblables à celles d’un concours de police administrative générale (CE, 18 décembre 1959, Sté Les films Lutétia, la diffusion d’un film peut être interdite par le maire même s’il a obtenu un visa d’exploitation dès lors que des circonstances locales le justifient). Sauf si la loi exclut l’intervention de la police générale. Le Conseil d’Etat interprète parfois la loi dans ce sens. Il conclut ainsi lorsque les conditions de mises en œuvre de la PAS sont, en raison des contraintes inhérentes à son exercice, le législateur a implicitement exclu l’intervention de la PAG (CE, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis à propos de la police spéciale de la radiotéléphonie, CE, 24 septembre 2012, Commune de Valence à propos de la règlementions relative aux OGM). On précisera ici que l’article 5 de la Charte de l’environnement (principe de précaution) ne saurait entraîner une extension des compétences en matière de police.

>>> Le concours de polices spéciales

Il ne pose pas de difficultés particulières : chacune s’exerce dans sa sphère propre (CE, Ass., 7 octobre 1977, Nungesser).

2) Les titulaires du pouvoir de police.

Autorités de police administrative générale

>>>A l’échelle nationale

Le pouvoir de police a été consacré par l’arrêt Labonne 8 août 1919. Le chef de l’Exécutif dispose d’un pouvoir de police générale, même sans texte, pour assurer la protection de l’ordre public. Ce pouvoir est à l’époque reconnu au Président de la République. Il permet à cette autorité d’adopter des actes réglementaires même en l’absence d’une loi.

Il est conféré ensuite au chef du gouvernement c’est à dire le Président du conseil sous la Quatrième République (CE, 13 mai 1960, Restaurant Nicolas) puis le Premier ministre sous la Cinquième (CE, 2 mai 1973, Association cultuelle des israélites de France).

Les ministres ne sont pas des autorités de Police générale.

>>>A l’échelon local

- Les préfets exercent ce pouvoir au nom de l’Etat (art L2215-1 CGCT) dès lors que le trouble à l’ordre public excède le territoire d’une commune (circulation des nationales hors agglomération). Ils doivent se substituer au maire demeuré passif après une mise en demeure (art L2215-1 CGCT). Les présidents des Conseils généraux disposent toutefois d’un pouvoir de police par exception. Ils ne peuvent en effet prendre que des mesures relatives à

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la gestion du domaine public départemental (comme les routes départementales en dehors des agglomérations par exemple).

- Le maire (article L 2212-2 du CGCT), Le maire exerce seul ce pouvoir. Son exercice ne peut être dévolu ni au Conseil municipal, ni à une personne privée (CE, 1er avril 1994, Commune de Meudon).

- A Paris, il revient au préfet de police d’exercer le pouvoir de police générale (CE, 11 février 1998, Ville de Paris c. Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre). Le maire, dans cette commune, ne détient que des pouvoirs résiduels (pouvoir de police sur les marchés, …).

C) Le contrôle des mesures de police

Le juge exerce un contrôle étendu des mesures de police administrative. Il veille à la fois à ce que ces dernières soient strictement adaptées aux circonstances qui les ont motivées (que le pouvoir de police n’aille pas trop loin, et à ce que le pouvoir de police soit effectivement exercé (que le pouvoir de police aille suffisamment loin).

1) La nécessaire adéquation des mesures de police administrative au risque de trouble à l’ordre public.

« La DDHC est au frontispice de notre public, ainsi La liberté est la règle et la restriction de police l’exception » (Corneille). Le juge administratif contrôle la nécessité et la proportionnalité des mesures au regard des objectifs poursuivis (CE, 19 mai 1933, Benjamin). Ce qui ne signifie pas que l’interdiction soit proscrite dès lors qu’elle est la seule mesure propre à parvenir au résultat souhaité. Cela signifie selon les termes de B. Seiller que le contrôle du juge administratif s’étend au-delà de la légalité juridique traditionnelle mais introduit un contrôle de la légalité extrinsèque de la décision. Ce type de contrôle a souvent été décriée comme manifestant un contrôle de l’opportunité de la mesure, c'est-à-dire que le juge substitue son appréciation de la situation à celle de l’administration active et détermine les seules mesures respectueuses de la légalité.

Pour ce qui concerne, en particulier, l’entrée et le séjour des étrangers, la « haute police », s’est progressivement estompée. Au regard de la vie privée et familiale, dont le respect est imposé tant par les principes généraux du droit (CE, 8 décembre 1978, GISTI) que par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme (CE, 19 avril 1991, Belgacem), l’octroi des visas, la délivrance des titres de séjour ou les mesures d’éloignement font l’objet d’un plein contrôle du juge. Pour les mesures prises à l’égard des publications étrangères, soumises à un régime particulier jusqu’au décret du 4 octobre 2004 qui les a fait rentrer dans le droit commun de la liberté de la presse, le contrôle d’abord restreint à l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 2 novembre 1973, Société librairie Maspero) avait laissé la place à un contrôle entier (CE, 9 juillet 1997, Association Ekin).

Les illustrations du plein contrôle du juge sur les mesures de police sont nombreuses. L’interdiction générale d’exercer l’activité de photographe filmeur est illégale à Montauban (CE, 22 juin 1951, Daudignac) mais pas au Mont-Saint-Michel durant la saison touristique (CE, 13 mars 1968, ministre de l’intérieur c/ époux Leroy). La même jurisprudence s’applique à des questions nouvelles, comme celles soulevées par les arrêtés municipaux dits de couvre-feu des enfants ou ceux qualifiés d’arrêtés anti-mendicité. Qu’il s’agisse

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d’interdire la sortie aux mineurs de sortir seuls au-delà d’une certaine heure (CE, 2 août 2001, préfet de Vaucluse et 10 août 2001, commune d’Yerres) ou de réglementer la mendicité (9 juillet 2003, Laurent L. c/ commune de Prades), les interdictions ne peuvent être générales et absolues. Le juge s’assure de leur adéquation aux circonstances de temps et de lieu propres à chaque situation.

2) Le devoir d’exercer le pouvoir de PA

>>>L’interdiction de déléguer l’action

La question se pose de savoir si l'administration peut avoir recours au procédé contractuel pour déléguer son obligation et son pouvoir d'action (CE, Ass., 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary)

De même qu'elle ne peut employer des agents de sécurité, destinés à surveiller des biens meubles ou immeubles pour des clients, pour assurer sur la voie publique des rondes qui dépassent de loin les prérogatives reconnues à ce corps de métier (CE, 29 décembre 1997, Commune d'Ostricourt)

>>>La nécessité d’agir

L’autorité administrative a le devoir de prendre les mesures nécessaires à la protection de l’ordre public, mais aussi d’assurer leur application effective. Toutefois, le refus d’agir n’est illégal que dans le cas d’un péril grave (CE, Sieur Doublet, 23 octobre 1959). De même, l'administration a l'obligation de s'assurer de l'application d'une réglementation préétablie que ce soit pour une réglementation qui émane de l'autorité de police chargée de son exécution (CE, sect., 14 décembre 1962, Doublet) ou même d'une autre. Elle a même l'obligation de veiller à l'exécution de ses mesures (CE, 20 octobre 1972, Ville de Paris c/ Marabout). Si ces critères paraissent à première vue particulièrement restrictifs, le Conseil d’Etat les interprète cependant libéralement. Ainsi a-t-il considéré qu’un maire aurait dû faire usage de ses pouvoirs de police pour « remédier aux nuisances sonores nées des activités de tir du club de la Roche-Couloir », dès lors « que l’activité de ce club portait à la tranquillité publique une atteinte d’une gravité telle que le maire ne pouvait s’abstenir d’y porter remède, sans méconnaître ses obligations en matière de police » (CE, 8 juillet 1992, Ville de Chevreuse).

>>>la responsabilité pour faute/Carence

Le juge administratif exigeait cependant une faute lourde pour engager la responsabilité de l’autorité de police en cas de carence (CE, 14 décembre 1962, Sieur Doublet). La CJCE s’est montrée plus sévère, en condamnant la France pour entrave à la liberté de circulation des marchandises du fait de l’inertie des autorités de police face à des actes de violence et de vandalismes (CJCE, 9 décembre 1997, Commission contre France).

Depuis l’arrêt du Conseil d’Etat du 27 septembre 2006 Commune de Baâlon le Conseil d’Etat se contente d’une faute simple pour engager la responsabilité de l’administration pour carence de la police des édifices menaçant ruines, de même depuis CE, 2008, Ministre de l’écologie contre Société Durance, pour la police spéciale phytosanitaire.

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II – Actualité

L’assouplissement de la légalité.

1. Les dérogations textuelles.

L’examen de la légalité est logiquement influencé par les textes, lesquels, lorsqu’est en cause la préservation de l’ordre public, révèlent une volonté de facilité l’action de l’administration. Dans ces conditions, il y a des dérogations à la légalité tant externe qu’interne. L’état de siège et le recours aux pleins pouvoirs de l’article 16 de la constitution par le chef de l’Etat, offrent des illustrations particulières de ce phénomène. C’est surtout l’usage de la déclaration d’état d’urgence qui a le plus fait débats ces dernières années. Ainsi, la déclaration d’état d’urgence est proclamée dans deux types de situations au regard de la loi du 3 avril 1955 : en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou en cas d’événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamités publiques Contrairement à l’état de siège, le régime d’exception mis ici en place demeure civil. Il ne transfère pas les pouvoirs de police aux autorités militaires, ni ne débouche en principe sur l’institution de tribunaux militaires. Cet état accroît cependant les pouvoirs du ministre de l’intérieur et des préfets dans des proportions importantes. Ces deux catégories d’autorités reçoivent en effet compétence pour ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et de tout autre lieu de réunion, pour interdire les réunions de nature à provoquer le désordre, pour interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixées par arrêté, pour instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé, pour interdire de séjour toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics, pour ordonner la remise d’armes de première, quatrième et cinquième catégories. Dans une gradation ultime, le décret d’état d’urgence (qui n’est pas un acte de gouvernement: CE 14 novembre 2005, M.Rolin) peut aussi permettre aux préfets comme au ministre de l’intérieur d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit, voire de «prendre toute mesure pour assurer la contrôle de la presse» et de la radio.

2. Les assouplissements jurisprudentiels

Lorsque le juge constate que l’administration a dû agir en urgence, il accepte d’assouplir les conditions de légalité externe. L’urgence justifie en effet la précipitation de l’action mais elle ne saurait conduire la validation d’une décision injustement fondée. En revanche, la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles offrent davantage de souplesse. En effet, dans ces situations (proches du domaine d’application de la loi du 3 avril 1955), le Conseil valide des dérogations de légalité tant externe qu’interne (CE, 28 juin 1918, Heyriès, à propos de l’empiètement de l’exécutif sur le législatif) ; il est également enclin à réduire l’intensité du contrôle de la qualification juridique des faits (CE, 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, à propos de mesures de police restreignant la liberté de circulation des personnes). Il n’est pour autant pas certains qu’aujourd’hui les même solutions soient envisageables.

Etat d’urgence.

La légalité administrative connait des adaptations dans les circonstances particulières qui ne sont pas toutes liées à un état de guerre. Si le terme de « guerre » a été utilisé par le Président de la République après les attentats de la nuit du 13 novembre 2015, la

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déclaration de l’état d’urgence ne nécessite pas, juridiquement, que la France soit en état de guerre.

Parmi les différentes situations dites de crise, il semble être le seul en mesure de répondre à la menace terroriste.

Le déclenchement de l’état d’urgence

Le régime de l’état d’urgence a été créé en 1955 pour conférer au gouvernement une alternative à celui de l’état de siège. Le premier usage du régime de l’état d’urgence a été rendu possible par l’adoption de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, modifiée par la loi n° 55-1080 du 7 août 1955 et l’ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960. Or trois ans plus tard était adoptée la Constitution de 1958 qui prévoit en son article 36 le recours à l’état de siège. Le Conseil d’Etat a, en 2005, refuser de reconnaître l’abrogation implicite de la li de 1955 compte tenu de l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958 (Conseil d’Etat, ORD., 21 novembre 2005, Boisvert)

Ainsi les régimes de l’état d’urgence et de l’état de siège coexistent mais ne peuvent, être utilisés concomitamment sur le même territoire (article L. 2131-1 al. 2). La même analyse avait été portée par le Conseil constitutionnel vingt ans plus tôt (Conseil constitutionnel, décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985, Loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie).

Le Conseil constitutionnel répond que le législateur peut déroger au fonctionnement normal des institutions car le législateur étant chargé par l’article 34 de la Constitution de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, il lui appartient “d’opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public sans lequel l’exercice des libertés ne saurait être assuré”. En conséquence, l’absence d’inscription constitutionnelle de l’état d’urgence, contrairement à l’état de siège, ne rend pas le dispositif inconstitutionnel. Dans ces conditions le projet de révision constitutionnelle consistant à procéder à une telle inscription à l’article 36-1 de la constitution était purement symbolique. Attention sur ce point seulement car le projet pouvait également en définir le régime, ce qui ne revient pas au même.

L’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d’outre-mer, des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. L’état d’urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Ce décret détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur. Dans la limite de ces circonscriptions, les zones où l’état d’urgence recevra application seront fixées par décret.

La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi.

Jusqu’en 1960, seul le législateur pouvait déclarer l’état d’urgence. C’est désormais le Président de la République et le gouvernement qui peuvent procéder à la déclaration initiale de l’état d’urgence, depuis la modification de l’article 2 par l’ordonnance n° 60-372 du 15

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avril 1960. La prolongation de l’état d’urgence au-delà de 12 jours nécessite l’intervention du législateur.

Le décret réglementaire déclarant l’état d’urgence n’est pas un acte de gouvernement et peut être soumis au contrôle du Conseil d’Etat qui examinera les conditions de son adoption (Conseil d’Etat, ORD., 14 novembre 2005, Rolin).

Entre 1955 et 2015, l’état d’urgence a été décrété six fois :

-en 1955, 1958 et 1961 en réponse à la guerre d’Algérie

– en 1985 en raison des événements de Nouvelle-Calédonie

– en 2005 dans tout le territoire métropolitain suite aux émeutes “dans les banlieues”

– en 2015 suite à la série d’attentats perpétrés à Paris dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015 (décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955).

Quant à la cessation, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser son contrôle sur la décision du président de la République. La réponse apportée n’est pas pourtant très claire : Si le Président de la République dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour faire ou non usage de la faculté de mettre fin à l'état d'urgence, sa décision n’échappe pas à tout contrôle du juge de la légalité. (CE, juge des référés, 27 janvier 2016, Ligue des droits de l’homme et autres).

Les pouvoirs exceptionnels liés à l’état d’urgence

Au titre des mesures générales, l’article 5 prévoit que :

La déclaration de l’état d’urgence donne pouvoir au préfet dont le département se trouve en tout ou partie compris dans une circonscription prévue à l’article 2 :

1° D’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ;

2° D’instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ;

L’article 8 prévoit en outre que

Le ministre de l’intérieur, pour l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans les zones déterminées par le décret prévu à l’article 2.

Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.

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L’article 9 prévoit enfin que le ministre de l’intérieur peut “ordonner la remise des armes de première, quatrième et cinquième catégories”.

Les mesures spécifiques permettent de viser des individus en particulier.

L’article 5 3° prévoit que le préfet a le pouvoir

3° D’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics.

Les assignations à résidence. L’article 6 prévoit qu’une personne peut faire l’objet d’une assignation à résidence. Cette prérogative soulève d’importantes questions de constitutionnalité. En effet, l’assignation à résidence peut être analysée comme une mesure de détention, puisqu’elle dure jusqu’à 12 heures renouvelable. Le Conseil d’Etat a accepté de transmettre cette QPC (CE, 11 décembre 2015, Cédric D.). Le Conseil constitutionnel a rendu sur ce point une décision (QPC, 22 décembre 2015, Cédric D.) qui ne surprend pas mais ne convainc pas non plus. En effet, c’est sans surprise au regard du contexte mais également de sa jurisprudence antérieure (le placement d’un étranger en zone d’attente n’est pas contraire à l’article 66 de la constitution), mais une telle analyse est peu convaincante dans la mesure où le régime de l’assignation est équivalent à un régime de peine aménagée. Le principal problème en l’absence de contrôle de l’autorité judiciaire étant de mesurer l’efficacité du contrôle effectué par le juge administratif. Sur ce point on constatera que le Conseil d’Etat n’hésite pas à censurer certaines décision d’assignation (Ordonnance du 9 février 2016, M.C.) tout en posant une présomption d’urgence, ce qui allège les conditions d’application du référé pour le requérant :

« En ce qui concerne la condition d’urgence :

Considérant qu’eu égard à son objet et à ses effets, notamment aux restrictions apportées à la liberté d’aller et venir, une décision prononçant l'assignation à résidence d’une personne, prise par l’autorité administrative en application de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, porte, en principe et par elle-même, sauf à ce que l’administration fasse valoir des circonstances particulières, une atteinte grave et immédiate à la situation de cette personne, de nature à créer une situation d'urgence justifiant que le juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, puisse prononcer dans de très brefs délais, si les autres conditions posées par cet article sont remplies, une mesure provisoire et conservatoire de sauvegarde ; que le ministre de l’intérieur ne fait valoir aucune circonstance particulière conduisant à remettre en cause, au cas d’espèce, l’existence d’une situation d’urgence caractérisée de nature à justifier l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues ».

La prorogation des assignations à résidence. Le Conseil constitutionnel était appelé à se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 2 de la loi du 19 décembre 2016 prorogeant l’état d’urgence pour la 5ème fois, article relatif au renouvellement pour 90 jours des assignations à résidence ayant déjà une durée cumulée supérieure à un an. L’article 2 de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l’état d’urgence pour la 5ème fois ne subordonne pas le renouvellement d’une assignation à résidence à l’existence d’un élément nouveau de dangerosité, alors que l’avis du Conseil d’Etat du 8 décembre 2016 comme le projet de loi présenté le surlendemain aux députés par le Gouvernement avaient retenu cet élément comme critère central de la prorogation des assignations au long cours. Avec

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sa décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017, le Conseil constitutionnel a rendu une décision équilibrée relativement à la conformité à la Constitution des assignations à résidence de plus de douze mois prises dans le cadre de l’état d’urgence.

1 – En faveur des droits des personnes assignées

Le Conseil constitutionnel juge inconstitutionnelle, avec effet immédiat, la procédure d’autorisation préalable du juge des référés du Conseil d’Etat instituée par la loi du 19 décembre 2016 : cette procédure revenait à faire du Conseil d’Etat, comme juge administratif, un co-auteur de l’arrêté d’assignation à résidence pour trois mois pris par le ministre de l’Intérieur, ce qui était inacceptable du point de vue des apparences, de l’impartialité objective de la juridiction administrative, et du droit d’exercer un recours effectif contre l’arrêté ministériel – il aurait été hautement improbable que soit annulé un arrêté d’assignation

Le Conseil constitutionnel pose des réserves d’interprétation, qui viennent donc se greffer à l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, concernant les conditions dans lesquelles un individu déjà assigné depuis plus de 12 mois peut être assigné pour une ou des nouvelles périodes de trois mois :

« - d'une part, le comportement de la personne en cause doit constituer une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ;

- d'autre part, l'administration doit être en mesure de produire des éléments nouveaux ou complémentaires de nature à justifier la prolongation de la mesure d'assignation à résidence ;

- enfin, il doit être tenu compte, dans l'examen de la situation de la personne concernée, de la durée totale de son placement sous assignation à résidence, des conditions de cette mesure et des obligations complémentaires dont celle-ci a été assortie ».

2 – En faveur de l’ordre public

Le Conseil constitutionnel juge qu’une assignation à résidence de l’état d’urgence est toujours, quelle que soit sa durée, une mesure restrictive de liberté, et non une mesure privative de liberté.

Le Conseil constitutionnel juge enfin qu’une assignation à résidence peut, dans les limites qui viennent d’être évoquées, être renouvelée tant que dure l’état d’urgence.

Les perquisitions. L’article 11 prévoit que le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peuvent, par une disposition expresse :

1° Conférer aux autorités administratives visées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ;

2° Habiliter les mêmes autorités à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales.

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Le régime des perquisitions a également été l’occasion d’une QPC. Le Conseil ayant accepté de transmettre une QPC sur l’extension de l’article 11. Les griefs principaux étaient alors les suivants : d’une part la perquisition au domicile serait contraire à l’article 66 de la constitution en ce qu’il prévoit la compétence judiciaire pour la protection de la propriété privée et de la vie privée (les autorités administratives ayant accès à des données informatisées), d’autre part, elle serait contraire à l’objet de la police administrative qui est, on le sait préventif. Le Conseil constitutionnel (Décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 Ligue des droits de l’homme) a écarté ces deux moyens. Il retient depuis plusieurs années une définition restrictive de la liberté individuelle en rattachant notamment la vie privée à l’article 2 de la DDHC. Quant au Conseil d’Etat, il précise le régime des décisions de perquisitions administratives prises sur le fondement de l’état d’urgence et le régime de responsabilité auquel elles sont soumises. A l’égard des personnes concernées par la mesure de perquisition, seule la responsabilité pour faute de l’Etat est susceptible d’être engagée, soit au titre de l’illégalité de la décision de perquisition, soit en raison d’une faute commise dans l’exécution matérielle des perquisitions. En revanche, la responsabilité de l'Etat à l'égard des tiers est engagée sans faute, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, lorsqu’une telle perquisition leur cause directement un dommage. CE, Assemblée, 6 juillet 2016, M. N… et autres.

Etat du droit des perquisitions prises en état d’urgence :

S’agissant des quelque 800 perquisitions réalisées entre le 14 et le 20 novembre 2015, le Conseil constitutionnel, dans une décision QPC du 23 septembre 2016, a jugé que leur fondement juridique – à savoir le 1° de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 novembre 2015 – était contraire à la Constitution.

Cette solution est néanmoins dépourvue de portée pratique puisqu’il a également décidé souverainement qu’elle ne pouvait être invoquée pour contester la légalité d’aucun des 800 ordres de perquisition pris sur ce fondement, y compris ceux qui faisaient l’objet d’une demande indemnitaire formée auprès des préfets ou d’une contestation devant le juge administratif ou le juge pénal à la date du 23 septembre 2016.

S’agissant des saisies des données informatiques réalisées au cours des perquisitions administratives entre le 14 novembre 2015 et le 19 février 2016, le Conseil constitutionnel, dans une décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, a jugé qu’elles étaient contraires au droit au respect de la vie privée, faute pour leur régime d’être suffisamment précisé par le législateur. Cette décision a eu pour important effet concret d’interdire les saisies informatiques pour l’avenir, à compter du 19 février 2016, jusqu’à ce que la loi du 21 juillet 2016 remédie à cette carence.

Mais quel sort devait alors être réservé aux saisies informatiques effectuées jusqu’au 19 février 2016 ? La décision du Conseil constitutionnel indique l’inconstitutionnalité des saisies « prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision ; elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement ».

Le Conseil d’Etat considère de telles données peuvent être exploitées. Autrement dit, les données saisies entre le 14 novembre 2015 et le 19 février 2016 peuvent toujours être légalement exploitées et servir de base à la fois à des incriminations pénales (indépendamment de la durée de l’état d’urgence) et à des mesures administratives de

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restriction des libertés (tant que dure l’état d’urgence), alors même que ces saisies ont été réalisées sur la base d’une disposition législative que chacun sait contraire à la Constitution mais dont l’inconstitutionnalité n’a pris effet qu’à compter de la décision du Conseil constitutionnel du 19 février 2016.

S’agissant enfin de la conservation des données informatiques copiées à l’issue des perquisitions administratives de l’état d’urgence, la décision du Conseil constitutionnel n° QPC du 2 décembre 2016 a jugé que le I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 modifié par celle du 21 juillet 2016 était contraire au droit au respect de la vie privée en ce qu’il ne prévoit pas de durée maximale de conservation de certaines de ces données.

Avant le 21 juillet 2016, le I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 ne disait rien de la durée de conservation des données copiées – celles alors recueillies peuvent donc être conservées et exploitées indéfiniment…

Depuis la loi du 21 juillet 2016, le I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 prévoit des règles de conservation dans trois cas de figure, alors qu’il peut y en avoir quatre :

- la destruction immédiate des données copiées (et la restitution des matériels saisis) en cas de refus du juge administratif d’autoriser leur exploitation – on se demande qui contrôle et vérifie cette destruction ;

- la conservation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale des données ayant conduit à la découverte d’une infraction ;

- si le juge a autorisé leur exploitation, les données copiées qui ne révèlent pas de menace ayant justifié la saisie doivent être détruites dans un délai de trois mois. Le texte de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 prévoit à cet égard que : « À l’exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée, les données copiées sont détruites à l’expiration d’un délai maximal de trois mois à compter de la date de la perquisition ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, en a autorisé l’exploitation ».

On ne peut alors qu’être surpris que le législateur n’ait pris soin de remédier à cette inconstitutionnalité en adoptant la loi du 19 décembre 2016 prorogeant une nouvelle fois l’état d’urgence. Dans ces conditions et dans la mesure où la décision du Conseil constitutionnel a un effet différé au 1er mars 2017, l’état du droit demeure incertain.

III – Pour aller plus loin

Ordre public et dignité

La dissimulation du visage dans l’espace public. La loi relative à la dissimulation du visage dans l’espace public fournit une belle illustration de la difficulté à appréhender un ordre public immatériel. Le Conseil d'Etat était saisit par le gouvernement de la recherche d’un fondement juridique propre à justifier une telle interdiction. Le Conseil d'Etat va tout d’abord s’employer à exclure le principe de dignité.

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Il rappelle tout d’abord que le principe de dignité ne connaît pas de définition précise en droit interne (DC, 1994, Lois Bioéthiques) ni en droit européen où il s’agit d’une combinaison des articles 2 et 3 CESDH.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat explique que la dignité est un élément exceptionnellement reconnu de l’ordre public. En effet, on ne peut guère recenser que la décision fondatrice de 1995 et celle plus récente de 2007 (Association solidarité des Français). Par ailleurs, le Conseil d'Etat souligne l’ambiguïté du principe. En effet, celui-ci peut à la fois justifier des interdictions contre la volonté et le consentement des personnes (CE, 27 octobre 1995, Morsang-sur-Orge). Mais il peut également être rattaché à la notion d’autonomie individuelle, qui peut justifier des comportements même immoraux dès lors qu’ils sont consentis (CEDH, 6 juillet 2005, KA et AD contre Belgique; à propos des pratiques sadomasochistes). Ainsi, la dignité pourrait tout aussi bien justifier l’interdiction du port du voile intégral et protéger celle qui consente à le porter.

Le Conseil d'Etat exclut également le principe de moralité publique, ses applications contentieuses étant limitées à des circonstances locales particulières. En effet, il n’y a pas dans l’exercice des pouvoirs de police de possibilité de restreindre l’exercice des libertés au nom d’une moralité à l’échelle nationale.

Le Conseil d'Etat préconise donc le recours à la sécurité publique. Néanmoins, il soulève une difficulté. En effet, la sécurité publique n’a pas vocation à appréhender des situations dont la dangerosité n’est pas établie. Ainsi, le juge administratif réfute la possibilité d’une sécurité publique de précaution. Or, rien ne permet de conclure que la dissimulation est en tant que telle une atteinte à la sécurité publique. Le Conseil d'Etat préconise donc de limiter l’interdiction aux lieux publics où la dissimulation du visage présente un danger particulier.

La position du Conseil constitutionnel, reprend pour l‘essentiel cette argumentation (DC, 7 octobre 2010, Loi relative à la dissimulation du visage dans l’espace public). Deux points doivent néanmoins être soulignés. Tout d’abord le Conseil utilise ici pour la première fois une référence à l’article 5 de la DDHC, et surtout le Conseil tout en validant le dispositif au nom de la sécurité publique mais également en raison des exigences minimales de vie en société. Dernier point le conseil fait ici une stricte réserve d’interprétation en estimant que la loi ne porte une atteinte disproportionnée à la liberté de religion compte tenu de l’objectif d’ordre public poursuivi à condition que l’espace public ne concerne pas les lieux de cultes ouverts au public.

Affaire Dieudonné. Par une ordonnance du 9 janvier 2014, le conseil d’Etat devait se prononcer en appel sur l’ordonnance du tribunal administratif de Nantes suspendant l’exécution de l’arrêté interdisant la tenue du spectacle « le Mur ». Ce dernier avait ainsi relevé que le « spectacle de Dieudonné tel qu’il est conçu, contient des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l’apologie des discriminations persécutions et exterminations perpétrées au cours de la seconde guerre mondiale ». Rappelons que le président de la section du contentieux statue alors à juge unique sur l’ordonnance du tribunal dans le cadre de la procédure de l’article L 521-2 du CJA. Compte tenu des circonstances il est important de souligner que le Conseil d’Etat s’est prononcé le même jour que le tribunal, permettant ainsi de valider in extremis l’interdiction du préfet. Bien que la rapidité de cette décision puisse

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apparaître comme politique, il semble pourtant bien qu’elle témoigne de l’efficacité des procédures nouvelles issues de la loi du 30 juin 2000.

- il convient de souligner l’originalité de la décision, dans le visa tout d’abord figurent de façon exceptionnelle une référence à la jurisprudence administrative (« Vu les décisions du Conseil d'État, statuant au contentieux, Benjamin du 19 mai 1933, commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995 et Mme Hoffman-Glemane du 16 février 2009 ») mais également le « parcours » de Dieudonné. A cet égard le juge prend soin de rappeler qu’il a déjà fait l’objet de neuf condamnations pénales dont sept sont définitives. En dépit des « allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine ». Le juge rappelle donc le caractère préventif de certaines mesures de police, ce qui est tout fait traditionnel puisque la police administrative vise à protéger ou rétablir l’ordre public.

- Parmi les nombreuses critiques dont l’ordonnance a fait l’objet, le fondement de l’interdiction figure au premier plan. En justifiant l’interdiction au regard de la dignité de la personne humaine, l’arrêté encourait bien le risque d’une suspension en référé et d’une annulation au fond. En effet, la conception traditionnelle de l’ordre public est matérielle, Hauriou évoquait « les troubles matériels et extérieurs » excluant tout ordre moral. Si la jurisprudence administrative a depuis longtemps dématérialisé l’ordre public en y incorporant la moralité (CE, 1959, Société des Films Lutétia) et la dignité (CE, 1995, Commune de Morsang-sur-Orge), le recours à de tels éléments demeurent exceptionnel. Outre les décisions précédentes, il est possible souligner que le Conseil a eu recours à la dignité de la personne humaine à l’occasion de l’arrêt association solidarité des français : « Considérant qu'en interdisant par l'arrêté contesté plusieurs rassemblements liés à la distribution sur la voie publique d'aliments contenant du porc, le préfet de police n'a pas, eu égard au fondement et au but de la manifestation et à ses motifs portés à la connaissance du public par le site internet de l'association, porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation », le préfet s’étant fondé ici sur les risques d’atteinte à la dignité de la personne humaine.

- En l’espèce, il s’agissait de propos précédemment tenus, et qui avait comme énoncé plus haut fait l’objet de multiples condamnations. Parmi les critiques énoncées à l’égard de l’arrêt, certains auteurs déplorent que l’interdiction ait été prononcée sur la seule atteinte potentielle à la dignité et en l’absence de tout risque matériel à l’ordre public, puisqu’aucune manifestation, contre la tenue du spectacle, n’était à signaler. Enfin, bien que le protagoniste se soit engagé à modifier le contenu du spectacle le Conseil conclut bien à l’absence d’illégalité grave et manifeste de l’arrêté : « qu'au regard du spectacle prévu, tel qu'il a été annoncé et programmé, les allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient

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de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine ».

Depuis, la solution semble avoir évoluée (CE, 6 février 2015, Commune de Cournon d'Auvergne).

Par un arrêté du 2 février 2015, le maire de la commune de Cournon d’Auvergne avait interdit le spectacle que devait tenir M. Dieudonné M’Bala M’Bala le 6 février 2015 au Zénith de Cournon d’Auvergne.

M. Dieudonné M’Bala M’Bala et la société Les Productions de la Plume avaient alors saisi, le 4 février 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’une demande de suspension de cet arrêté, dans le cadre de la procédure de « référé liberté » (article L. 521-2 du code de justice administrative).

Le juge des référés du Conseil d’État a tout d’abord rappelé que l’exercice de la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés et qu’il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l’exercice de la liberté de réunion. Quant aux atteintes portées, pour des exigences d’ordre public, à l’exercice de ces libertés fondamentales, elles doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.

Le juge des référés du Conseil d'État a ensuite procédé à un examen détaillé des circonstances de faits particulières à l’affaire : il a vérifié si les propos que le maire avait retenus pour prendre son arrêté figurent dans le spectacle en cause, apprécié les éléments de contexte, et contrôlé la possibilité de sauvegarder l’ordre public par d’autres mesures que l’interdiction du spectacle.

Il a constaté, comme le juge des référés du tribunal administratif avant lui, que le spectacle en cause avait été donné à plusieurs reprises en France depuis le mois de décembre 2014 dans plusieurs villes, sans susciter ni troubles à l’ordre public ni plaintes ou condamnations pénales. Il a également noté qu’il ne résulte pas de l’instruction que ce spectacle comporterait les propos retenus par le maire dans les motifs de son arrêté

Il a relevé que la circonstance que M. M’Bala M’Bala ait fait l’objet de condamnations pénales ou soit mis en cause devant le juge pénal pour d’autres faits que ce spectacle ne suffisait pas à caractériser des risques de troubles à l’ordre public.

Il a également indiqué que ni le contexte national, marqué par les attentats du début du mois de janvier, ni les éléments de contexte local relevés par le maire (en particulier quelques messages de soutien ou de protestation reçus à la suite de son arrêté) ne suffisaient à établir l’existence de tels risques.

Enfin, le juge des référés du Conseil d'État a reconnu que la tenue d’un spectacle tel que celui en cause appelle certaines mesures de sécurité, mais il a souligné que ces mesures pourraient être prises et que l’interdiction n’était donc pas le seul moyen de sauvegarder l’ordre public.

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Au vu de tous ces éléments, qui caractérisent une situation différente de celle qui avait donné lieu à des interdictions au mois de janvier 2014, le juge des référés du Conseil d'État a estimé que l’arrêté d’interdiction du spectacle portait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression et à la liberté de réunion et il a confirmé la suspension prononcée par le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand.

Néanmoins, TA Nice, 26 mars 2015, Conseil représentatif des associations noires (CRAN). Un boulanger pâtissier de la Ville de Grasse fabrique depuis près de 15 ans des pâtisseries recouvertes de chocolat noir, en forme de personnages représentant un homme et une femme. Ces “figurines” appelées “Dieu” et “Déesse” semblent inspirées de quelques figurines de divinité de type préhistorique. La femme, callipyge est certes un peu avachie. L’homme, lui, dispose d’un sexe surdimensionné. Les détails en crème mettent en valeur les organes génitaux des deux personnages nus. Le tout peut être jugé comme très vulgaire et plutôt maladroit.

Le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) a introduit une action en référé-liberté, en sa qualité d’association dont l’objet statutaire est la défense des populations noires de France contre les discriminations dont elles sont victimes. L’objet de ce référé était de mettre en demeure le maire de la ville de Grasse d’avoir à prendre un arrêté de police interdisant l’exposition au public des deux pâtisseries.

Le CRAN obtient gain de cause et le maire de Grasse est mis en demeure d’adopter un tel arrêté, sous astreinte de 500 € par jour de retard.

Le juge du référé se fonde sur l’atteinte à la dignité de la personne humaine que représenterait l’exposition au public des deux pâtisseries.

Par une ordonnance du 26 mars 2015 (CE, ord., 26 mars 2015, société Grasse Boulange), le juge des référés du tribunal administratif de Nice a enjoint au maire de Grasse d’interdire l’exposition au public des deux pâtisseries. La SARL Grasse Boulange a alors fait appel devant le juge des référés du Conseil d’Etat. Par l’ordonnance qu’il a rendu ce jour, le juge des référés du Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice et rejeté la demande du CRAN.

Il a relevé que l’exposition en vitrine de pâtisseries figurant des personnages de couleur noire présentés dans une attitude obscène et s’inscrivant délibérément dans l’iconographie colonialiste est de nature à choquer. Mais il a estimé que le refus du maire de Grasse de faire usage de ses pouvoirs de police pour y mettre fin ne constitue pas en lui-même une illégalité manifeste portant atteinte à une liberté fondamentale, qu’il appartiendrait au juge administratif des référés de faire cesser.

(CE, 9 novembre 2015, Alliance générale contre le racisme et le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF) et SARL Les producteurs de la Plume). Il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police administrative de prendre les mesures nécessaires, adaptées et proportionnées pour prévenir la commission des infractions pénales susceptibles de constituer un trouble à l'ordre public sans porter d'atteinte excessive à l'exercice par les citoyens de leurs libertés fondamentales. Des propos et gestes incitant à la haine raciale et faisant l'apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la seconde guerre mondiale, peuvent porter atteinte à la dignité de la personne humaine, alors même qu'ils ne provoqueraient pas de troubles matériels.

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S’agissant des pouvoirs des autorités de police administrative, l’arrêt habilite ces dernières à édicter des actes destinés à « prévenir la commission des infractions pénales susceptibles de constituer un trouble à l’ordre public », précisant l’ordonnance « Dieudonné » du 9 janvier 2014 qui avait prévu « qu’il appartient (…) à l’autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises ». Cette précision est bienvenue car l’arrêt « Commune de Cournon d’Auvergne » n’avait pas reproduit un tel énoncé de sorte que des interrogations demeuraient à ce sujet. La portée de l’arrêt présenté est, sous ce rapport, double : d’une part, elle permet de mieux distinguer la police administrative de la police judiciaire, seule police inhérente à la prévention ou la cessation des infractions ; d’autre part, elle prend acte de ce que toutes les infractions ne sont pas ipso facto constitutives d’un trouble à l’ordre public. Cette dernière précision est primordiale car l’énoncé de l’ordonnance du 9 janvier 2014 habilitait les autorités de police administrative à empêcher la commission de toute infraction, ce qui revêtait un caractère potentiellement restrictif des libertés. Enfin, l’arrêt présenté contient un mode d’emploi pour identifier les hypothèses où l’on peut édicter des actes de police administrative pour prévenir des infractions : « la nécessité de prendre des mesures de police administrative et la teneur de ces mesures s'apprécient en tenant compte du caractère suffisamment certain et de l'imminence de la commission de ces infractions ainsi que de la nature et de la gravité des troubles à l'ordre public qui pourraient en résulter ». Cette affirmation n’est pas sans soulever des questions quant à sa mise en œuvre : que signifient précisément les expressions « suffisamment certain » ou « imminence de la commission » ?

(CE, ord, 23 novembre 2015, Ministre de l'intérieur - Commune de Calais). Dans le cadre du démantèlement de la jungle de Calais, le juge des référés du Conseil d’Etat précise qu’en l'absence de texte particulier, il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti. Le juge du référé-liberté peut intervenir, sous certaines conditions, en cas de carence des autorités publiques en la matière

CE, juge des référés, 26 août 2016, Ligue des droits de l’homme et autres : « Burkini ». Le maire ne peut, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade aux personnes qui portent une tenue manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni sur des motifs d’hygiène ou de décence.

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